**** *book_soanen_sermons_1769.pdf *id_body-1 *date_1686 *creator_soanen FRONTISPICE SERMONS SUR DIFFERENTS SUJETS, PRECHES DEVANT LE ROY, Par le Père Soanen, Prêtre de l'Oratoire. tome premier A LYON Chez Benoit Duplain, rue Merciere à l'Aigle d'Or MDCCLXVIX. Avec Approbation et Privilege. **** *book_soanen_sermons_1769.pdf *id_body-2 *date_1686 *creator_soanen SERMON POUR LE I. DIMANCHE DE CAREME Sur les Spectacles. « Et ostendit omnia regna mundi, et gloriam eorum. » « Et Satan fit voir à Jésus-Christ tous les Royaumes du monde, et toute leur gloire. » En S. Matth. Chap. 4. Que nous représente cet étalage de pompe et de magnificence que le Démon ose mettre aujourd'hui sous les yeux du Sauveur, sinon ces illusions du Théâtre dont cet Ange de ténèbres fascine les esprits ? Attentif à profiter du goût des hommes pour les vanités du monde, il les leur présente sous la forme des Spectacles les plus séduisants, et il triomphe de leur défaite, dans le temps même qu'ils s'imaginent être à l'abri de ses fureurs et de ses traits. « Et ostendit ei omnia regna mundi, et gloriam eorum. » En vain on s'efforce d'excuser les Théâtres, comme des écoles où l'on épure l'esprit, et où l'on corrige les mœurs ; en vain on tâche de rapprocher leurs maximes de celles de l'Evangile, d'interpréter la Religion en leur faveur : c'est un attentat fait à la morale chrétienne, une blasphème contre la vérité dont toutes les Lois Divines demandent justice, comme d'un crime énorme, et du plus grand scandale qu'il y eut jamais. Les Spectacles sont l'œuvre du Démon ; c'est là qu'il élève son trône et qu'il montre tous les Royaumes du Monde et leur gloire. « Et ostendit omnia Regna mundi, et gloriam eorum. » Jésus-Christ qui veut bien être tenté dans sa personne, pour nous apprendre à souffrir l'épreuve de la tentation, et à y résister, permet que Satan expose à sa vue tout le vain éclat des richesses et des grandeurs, comme un exemple de ce que ce Père de mensonge doit faire un jour à notre égard. Il veut nous prémunir contre ses traits, et nous prévenir de la séduction avec laquelle cet Ange artificieux nous déguisera les dangers du Théâtre et ses horreurs. Le Démon en effet toujours plein de malice et de ruses, rassemble sur les Théâtres tout ce que le monde à de plus éblouissant. Ici il emploie les paroles, et les sons les plus propres à inspirer l'amour de la volupté ; là il se sert de toutes les livrées du luxe pour étaler le charme des plus brillantes couleurs, et ce mélange qui étonne, et qui ravit, enivre les sens, subjugue l'âme, et vient à bout de corrompre les cœurs. « Et ostendit omnia regna mundi et gloriam eorum. » Lévites du Seigneur, armez-vous ici de ce saint zèle que la Religion inspire, et faites retentir une voix forte et puissante qui renverse les Théâtres comme la Trompette fit autrefois tomber les murs de Jéricho. Le Théâtre est l'Autel du Démon élevé contre celui de Jésus-Christ, l'Idole de Dagon qui insulte à l'Arche Sainte, l'abomination de la désolation au milieu même du Christianisme. Mais que sera cette voix, Seigneur, si vous ne vous faites vous-même entendre à ces insensés qui, oubliant le magnifique Spectacle de la Terre et des Cieux, n'en connaissent point d'autres que ceux qui leur sont préparés par le Démon ; qui, ne se souvenant plus des promesses de leur Baptême, vont continuellement les abjurer aux pieds des Trophées que le monde érige à la gloire du mensonge et de la volupté, et qui, ne craignant, ni la perte de l'innocence, ni le naufrage dans la foi, s'abandonnent au milieu des plus grands dangers. Saint Chrysostome disait autrefois, si je connaissais ceux qui fréquentent les Théâtres, je les chasserais de l'Eglise, et je leur en interdirais l'entrée, non pour les désespérer, mais pour les corriger, de même que les Pères bannissent les enfants de leurs maisons, lorsqu'ils ont commis des fautes notables, et fait des excès pernicieux. Vous ne vous étonnerez pas de cette sévérité, mes Frères, lorsque vous aurez appris ; Premièrement, que les Spectacles sont les pompes mêmes du monde, et les œuvres du Démon, auxquels vous avez solennellement renoncé dans votre Baptême : Secondement, qu'ils sont les plus terribles écueils pour l'innocence, et pour la vertu. Deux propositions que je vais tâcher de vous démontrer avec toute la force et toute la vérité qu'exige l'importance du sujet. Ave Maria. **** *book_soanen_sermons_1769.pdf *id_body-3 *date_1686 *creator_soanen PREMIER POINT. Si les Spectacles ne sont pas réellement les maximes du monde, et les pompes de Satan auxquelles nous avons renoncé, il n'y a ici-bas, ni œuvre de mensonge, ni vanité, et notre renonciation n'a pour objet que des fantômes et des chimères. Où trouver en effet plus véritablement que sur les Théâtres, ce luxe si opposé à la pauvreté évangélique, cette mondanité si contraire à la simplicité chrétienne, cette mollesse si incompatible avec l'austérité de nos devoirs, cet amour profane, si ennemi de la pureté Angélique qui doit former nos mœurs ? N'est-ce pas aux Spectacles que toutes les vertus se cachent, que tous les vices se déploient, que la vengeance prend le nom de magnanimité, l'ambition celui d'héroïsme, l'orgueil celui d'élévation, l'impudicité celui de sentiment ? N'est-ce pas là que tout l'art s'épuise à raffiner les plaisirs, à faire entrer le luxe et la volupté, par les oreilles et par les yeux, pour en remplir l'âme, et pour les faire triompher ? N'est-ce pas là que toutes les passions se trouvent à l'aise, et qu'elles rencontrent tout ce qui peut leur plaire, et les favoriser ; de sorte que les maximes du monde et les pompes de Satan se représentent à tout instant, et comme l'embellissement des Théâtres, et comme le principal objet des acteurs ? Je dis d'abord les maximes du monde. Ah ! mes Frères, vous n'en disconviendrez pas, puisque c'est cela même qui vous rend si amateurs des spectacles, et qui vous y fait courir avec tant d'ardeur. Oui, le Théâtre est le tableau du monde, et un tableau qui, par les traits dont il est rempli, est plus dangereux que le monde même. En effet les différentes passions des hommes sont, pour ainsi dire, isolées dans le commerce de la vie. Ici c'est le luxe qui domine ; là l'orgueil qui règne : ici la vengeance qui se fait craindre ; là l'impureté qui gouverne : mais au Théâtre cela fait un tout qui ne se diversifie que pour séduire avec plus d'adresse, pour corrompre avec plus de sûreté. Quelles sont les coutumes du Monde, ses usages, ses modes, qui ne brillent pas sur les Théâtres, et qui n'en fassent pas l'assaisonnement ? On y voit passer comme sur ces verres qui se succèdent rapidement pour représenter diverses couleurs et diverses figures, toutes les vanités du siècle, et toutes ses erreurs. Il y a un tel enchantement, une telle magie, que tous les objets embellis par le luxe, et produits par la mollesse, paraissent se confondre, quoique sans confusion, afin de posséder toute l'âme des Spectateurs, et d'enivrer tous leurs sens. Que serait-ce qu'un Spectacle à vos yeux où l'on ne parlerait ni d'intrigues ni d'amour ; où l'on n'entendrait, ni cette musique qui énerve, ni ces voix qui séduisent ; où l'on ne verrait, ni ces habits qui éblouissent, ni ces décorations qui charment ; où l'on ne retrouverait enfin, ni les mœurs du siècle, ni les usages du pays ? Ah ! sans doute un tel spectacle vous semblerait la chose la plus désagréable et la plus dégoûtante ; preuve, dit Saint Chrysostome, que vous ne recherchez au Théâtre, que les maximes du monde, et que vous n'aimez que tout ce qui vous les rappelle, et tout ce qui vous les représente. Aussi voyons-nous que les Spectacles changent comme les mœurs, et qu'il n'y a point d'Auteur qui n'étudie le goût dominant de sa nation pour le bien rendre ; point d'Acteur qui ne fasse tous ses efforts pour entrer dans les sentiments du rôle qu'on lui donne, et pour les communiquer à tous ceux qui l'écoutent. De là toutes les passions rendues avec tout le coloris et toute la finesse, que l'élégance de notre siècle…. Mais que fais-je ? La Chaire de vérité est-elle destinée à détailler les mensonges du Théâtre, et ne me rendrais-je pas coupable si, en m'élevant contre les Spectacles, je venais vous en rappeler le souvenir ? Non, mes Frères, non, je n'emploierai point mon pinceau à vous retracer ce que vous en connaissez que trop. Ah ! que ma langue s'attache plutôt à mon palais que d'employer des figures et des expressions, qui pourraient réveiller dans vos âmes, des idées qui n'auraient jamais dû y être. Heureuse ignorance que celle qui ne sait ni les règles du Théâtre, ni les criminelles beautés des pièces qu'on y joue, et qui, se renfermant dans la sphère du Chrétien, se contente d'avoir appris Jésus-Christ crucifié. Ne parlons donc plus des Spectacles, mes Frères, que pour vous en inspirer la plus grande horreur ; que pour vous dire, avec tous les Pères de l'Eglise, avec toute la tradition, que vous ne pouvez y assister sans violer les vœux de votre Baptême, sans désavouer l'alliance solennelle que vous avez contractée à la face des Autels, alliance dont les témoignages subsistent dans les Archives de la Religion, et déposeront à jamais contre vous. Quoi, mon Frère, vous êtes un membre de Jésus-Christ crucifié, et vous croyez pouvoir, sans déshonorer cette auguste qualité, fréquenter les Théâtres qui ne retentissent que des maximes du monde ? Ah ! je vous le demande, le Spectacle continuel d'un Chrétien n'est-il pas la croix du Sauveur ? Et pourriez-vous en supporter la vue au milieu de ces Acteurs profanes et scandaleux, qui, par leurs gestes, par leurs paroles, par leur immodestie, ne cherchent qu'à vous distraire de ce grand objet ? Eh que diriez-vous si l'on vous présentait tout à coup sur ces Théâtres que vous aimez tant, l'image de l'Homme-Dieu cloué sur une croix, percé d'une lance, couronné d'épines, et tout couvert du sang qu'il répandit pour vous et pour moi ? Ah ! sans doute, ce spectacle vous mettrait hors de vous-même, et peut-être vous désespérerait. Cependant, mon Frère, c'est là ce que vous devez toujours envisager, si vous voulez remplir les engagements de votre Baptême ; c'est là ce qui doit faire l'objet de vos espérances et de vos consolations ; c'est là ce que vous rechercherez en mourant, et la seule chose à laquelle vous attacherez votre bouche et vos yeux, comme à un trésor que vous avez malheureusement oublié, et qui seul mérite d'être aimé. Ah ! ne venez donc plus nous dire que les Spectacles peuvent s'allier avec les devoirs du Chrétien ; car je croirai vous avoir suffisamment confondu, en opposant tout simplement aux maximes du Théâtre l'image de Jésus-Christ dont toute votre vie doit être l'Expression. Vous m'objecterez peut-être que ces festins, ces bals, ces jeux, dont le monde fait son occupation et ses délices, ne peuvent pas plus s'allier que les Spectacles avec la Croix de notre divin Sauveur, et que cependant la multitude se livre sans scrupule à ces plaisirs. Mais, ne savez-vous pas que le grand nombre se damne ; que le monde court à sa perdition ? Et faut-il vous répéter des vérités que l'Alphabet du Christianisme vous apprend ? La Religion ne condamne point une action vicieuse, pour en permettre une autre, et quand l'occasion s'en présente, elle tonne contre tous les divertissements profanes, ainsi que contre les Spectacles. Ce n'est pas à nous qu'il faut vous en prendre, si ces lois vous paraissent austères et difficiles, mais à l'Evangile que vous avez embrassé ; cet Evangile qui nous déclare que nous rendrons compte des paroles inutiles ; cet Evangile qui nous ordonne de prier sans cesse, et de mortifier tous nos sens si nous ne voulons pas périr ; cet Evangile qui n'appelle bienheureux que ceux qui pleurent et qui souffrent, qui n'offrent le Royaume des cieux qu'à ceux qui se font violence ; cet Evangile qui est le testament d'un Dieu qui n'a vécu que pour nous donner l'exemple, et dont la vie se passa dans les travaux, dans les douleurs et se termina sur une Croix. Comment ferez-vous, dites-le-moi, pour allier maintenant les Spectacles avec votre Baptême, et pour vous persuader qu'ils n'ont rien de commun avec ces maximes du monde auxquelles vous avez renoncé ? Il n'y a pas ici moyen d'échapper ; car l'Evangile est votre règle, dès que vous avez été baptisés, règle que vous devez suivre, à moins que vous ne vouliez y renoncer, et conséquemment vous ouvrir les abîmes éternels que la justice du Seigneur a creusés. Qu'un Païen livré au culte des Idoles vienne nous faire l'apologie du Théâtre, dit Saint Bernard ; qu'un Musulman même, disciple d'une Religion toute sensuelle, nous en vante les agréments et les plaisirs, nous n'en sommes point étonnés ; mais qu'un Chrétien, formé pour nous retracer Jésus-Christ, tienne le même langage, voilà ce qui ne se comprendra jamais. Il n'y a personne d'entre vous, mes Frères, qui ne fût dans la dernière surprise de voir un Religieux assister aux Spectacles. Votre indignation ne pourrait sûrement se contenir, et vous ne manqueriez pas d'instruire les uns et les autres, du scandale que vous causerait une démarche aussi téméraire et aussi impie. Cependant, si vous étiez conséquents, votre colère devrait plutôt se tourner contre vous-mêmes. Les vœux d'un Religieux, quelque respectables qu'ils soient, ne peuvent être plus forts que ceux du Baptême ; et le Chrétien est aussi déplacé au Théâtre, que le Moine le plus pénitent. Le malheur vient de ce qu'on s'est accoutumé à fréquenter les Spectacles. Ce scandale n'affecte plus, parce qu'il est en usage ; mais Dieu qui, selon la réflexion de Saint Ambroise, n'est point coutume, mais vérité ; Dieu qui pèse les crimes de ce siècle, comme il a pesé ceux de tous les précédents ; Dieu qui condamne le monde, et tous ceux qui en suivent les maximes, s'élèvera dans sa juste fureur contre le Chrétien qui déshonore le Christianisme, et qui fréquente les assemblées du Démon. C'est ainsi que les Pères de l'Eglise ont appelé les Théâtres, persuadés qu'ils étaient, que les spectacles ne pouvaient passer que pour les œuvres du Démon ; seconde vérité qui doit nous les faire envisager avec toute l'horreur et tout l'effroi qu'ils inspirent aux âmes saintes. Oui, mes Frères, ces divertissements que vous excusez, ou que vous regardez comme des objets indifférents, tant pour la Religion, que pour les mœurs ; ces Tragédies que vous allez entendre avec un enthousiasme que rien ne peut exprimer ; ces Opéra que vous trouvez si magnifiques et si merveilleux ; ces Comédies que vous appelez l'école du savoir-vivre et des bonnes mœurs, sont les pompes de Satan. Le Démon a tâché dans tous les temps de corrompre les âmes, et d'éblouir les esprits. Après avoir formé des Cirques et des Amphithéâtres, où les hommes s'exerçaient à la vengeance et à la fureur, soit en se tuant eux-mêmes, soit en faisant périr des animaux ; après avoir rempli de sang les Villes entières pour amuser l'oisiveté des Peuples, et pour les accoutumer à devenir cruels, il a employé l'enchantement des Sirènes, à dessein d'introduire la volupté dans tous les cœurs, et de la rendre souveraine de l'Univers. Ainsi c'est par son inspiration, dit saint Ambroise, que tant d'écrivains composent des Poésies lascives et criminelles, et que tant de personnes font métier de les répéter ; métier infâme, métier scandaleux, que les Romains eux-mêmes regardèrent avec indignation, et qui, malgré tous les éloges qu'on s'efforce de lui donner, n'est encore aux yeux de toute la Nation, qu'un objet de mépris et d'avilissement. Quelle profession en effet que celle d'apprendre à tromper les hommes, à séduire la jeunesse, à mépriser des parents, à vivre dans le crime, à flatter les passions, à honorer les vices, à accréditer les erreurs ! telles sont les leçons du Théâtre. Les personnes qui les donnent, presque toutes débauchées, ou prêtes à le devenir, emploient jusqu'à l'indécence la plus outrée, soit dans leurs gestes, soit dans leur manière de se présenter, pour s'associer des complices de leurs crimes et de leurs impudicités. Le Diable, toujours attentif à faire valoir son œuvre, remue toutes les passions de ceux qui représentent et de ceux qui regardent, de celles qui déclament et de celles qui écoutent, pour faire un assemblage monstrueux de pensées lascives et de désirs criminels. L'amour, et toujours l'amour, comme un tyran qui captive les esprits et les cœurs, paraît et reparaît sous mille formes diverses, parle, pleure, gémit, s'agite, et se tourmente, jusqu'à ce qu'il ait tout soumis aux lois de son empire. Alors les pompes de Satan se déploient dans tout leur éclat, le goût de la parure et de la vanité se communique de rang en rang, les yeux s'ouvrent, ainsi que les oreilles, et le cœur reçoit la moisson de tout ce que la corruption a recueilli pour empoisonner les âmes. Que sont en effet les pompes du Démon, sinon ses triomphes ? et où sa victoire est-elle plus complète qu'aux Spectacles ? N'est-ce pas là qu'il domine, en foulant aux pieds les lois de l'Evangile, et les règles de la pénitence ; qu'il vous arrache des pleurs sur des aventures criminelles et scandaleuses ; qu'il attache votre esprit et votre cœur à des récits pernicieux ; qu'il remplit votre mémoire d'images impures ; qu'il vous fait avaler un poison d'autant plus dangereux, qu'il flatte votre goût, et qu'il est mieux préparé ? Grand Dieu ! est-ce là votre Religion ? Est-ce là ce que vous nous avez enseigné ? Est-ce à ce prix que vous donnerez votre Royaume éternel ? Les amateurs des Spectacles espèrent-ils donc que vous leur direz un jour, venez mes bien-aimés, venez recevoir des Couronnes immortelles, parce que vous avez plus fréquenté les Théâtres, que mes Temples ; parce que vous vous y êtes remplis des maximes d'un monde que j'ai maudit ; parce que vous y avez enivré vos sens de tout ce que ma loi condamne ; parce que vous y avez cherché tout ce que votre Baptême vous défendait ; parce que vous y avez sacrifié au Démon l'ennemi de mon Eglise, l'ennemi de toute vérité : et vous mes Saints, qui avez pleuré, gémi, crucifié votre chair pour ma gloire et pour mon amour, allez au feu éternel. Je vous le demande, mes Frères, cette supposition n'est-elle pas la plus étrange ? Ne vous fait-elle pas trembler ? Et voilà cependant quelle est la juste conséquence de votre enthousiasme pour les Spectacles, et de votre ardeur à les excuser. Ou ils sont bons, ou ils sont mauvais, point de milieu. S'ils sont bons, dès lors Dieu récompensera ceux qui les fréquentent ; si au contraire ils sont mauvais, comment ose-t-on les justifier, comment ose-t-on y assister ? Me direz-vous qu'ils sont une œuvre indifférente ? Mais comment, dans le cours d'une vie chrétienne, il y aurait une partie du jour qu'on pourrait perdre ? Comment, on rendra compte des paroles inutiles, et les actions inutiles ne nous seraient point imputées ? Comment, dans une Religion qui nous oblige de rapporter à Dieu tout ce que nous faisons, de mortifier nos sens, de crucifier notre chair, d'user de ce monde comme n'en usant pas, il nous sera permis de suivre les folies du siècle, et de nous y livrer ? Comment, sous les lois d'un Evangile qui nous ordonne d'arracher notre œil, s'il nous scandalise, il nous sera libre de nous exposer au plus grand danger ? Quels paradoxes, quelles inconséquences ! C'est le Démon qui vous joue, lorsqu'il vous suggère de telles réponses, et toutes vos objections au sujet des Spectacles, sont la meilleure preuve que le Démon vous tient dans ses filets. Si Saint Augustin s'accuse dans ses Confessions (ce Livre immortel qu'on ne peut trop lire, ni trop méditer) d'avoir répandu des pleurs sur le sort de l'infortunée Didon ; s'il en demande pardon à Dieu dans toute l'amertume de son cœur, et à la face de tout l'Univers, comment justifierez-vous les larmes que vous versez continuellement au Théâtre ? Ah ! quand elles couleraient pendant toute votre vie, elles ne seraient pas suffisantes pour expier vos péchés, et vous ne les réservez que pour vous rendre plus coupables, que pour exprimer votre sensibilité sur des aventures Romanesques vraiment dignes de mépris et de pitié. Lisez l'Histoire de l'Eglise, et vous verrez à quelles pénitences on condamnait autrefois celui qui avait assisté aux Spectacles, et vous verrez qu'ils furent toujours regardés par les Chrétiens comme l'école du Démon, et qu'il déclara souvent lui-même, par la bouche des possédés qu'on exorcisait, qu'il s'était emparé de leur esprit, parce qu'il les avait trouvés au Théâtre, c'est-à-dire, dans un lieu qui lui appartenait ; de sorte qu'il n'y a pas lieu de douter que l'Apôtre n'ait voulu parler des Spectacles, lorsqu'il publie qu'on ne peut assister à la table des Démons, et à celle de Jésus-Christ : « Non potestis bibere calicem Domini, et calicem Dæmoniorum. » Ah ! si le Seigneur voulait vous révéler, au milieu même de ces Spectacles que vous fréquentez, quelle est maintenant la destinée de ceux qui les inventèrent, de ceux qui en sont les héros, hélas ! saisis du plus terrible effroi, vous verriez des hommes couverts d'un vêtement de feu, demandant, comme le mauvais riche, une goutte d'eau pour rafraîchir leur langue, maudissant d'une voix épouvantable le moment qui les vit naître, et cherchant dans les abîmes un repos qu'ils ne trouveront jamais. Eh ! plût à Dieu, mes Frères, que ce Spectacle s'offrît à vos yeux, au lieu de celui que vous allez chercher, et que le Dieu terrible et vivant vous convainquît par cette image de sa justice, combien il sera redoutable envers les amateurs des Théâtres, et les Poètes qui contribuent à les entretenir. Mais, sans recourir à ces événements dont la Religion nous garantit la vérité, quoiqu'ils ne s'accomplissent pas sous nos yeux, comment n'êtes-vous pas frappés de tous ces morts qu'on fait en quelque sorte revivre, pour vous intéresser ? Comment ne redoutez-vous pas un plaisir, qu'on ne vous fait sentir qu'en remettant sur la Scène des empereurs, des Rois, des Héros qui ne sont plus, c'est-à-dire, des hommes dont la mémoire doit vous avertir de votre dernière fin, et vous dégoûter pour jamais de tout ce qui respire la mollesse et la vanité ? Mais n'attendons rien d'un Spectacle, où le Démon préside, d'un Spectacle qu'il anime, et qu'il a fait succéder au culte des Idoles. Rien n'y sert qu'à la ruine des Chrétiens, et la vertu même n'y est représentée que d'une manière à la rendre ridicule : aussi voyons-nous qu'il n'y a point d'examen de conscience où l'on ne mette au nombre des actions contraires à la pureté, l'assistance aux Spectacles ; aussi voyons-nous que tous les Confesseurs qui remplissent les devoirs de leur ministère, et qui ne délient les pécheurs que lorsqu'il faut les délier, refusent la grâce de l'absolution à tous ceux qui fréquentent les Théâtres. Ajoutons à tant de vérités que c'est participer à l'excommunication des Comédiens, que de se rendre à leurs assemblées ; que c'est les entretenir dans leur révolte contre l'Eglise, et dans leur impénitence, que de payer leurs actions, et que si l'on doit faire tous ses efforts pour arracher au Démon une âme pour laquelle Jésus-Christ est mort, on ne peut, sans la plus horrible impiété, contribuer à sa damnation. Je ne vous dirai point ici, mes Frères, que vous privez les pauvres de leur substance, lorsque vous dépensez pour les Spectacles ; que vous perdez un temps dont toutes les minutes sont le prix même du sang de Jésus-Christ, et des moyens de salut ; que vous entraînez par votre exemple, des personnes qui se font peut-être un devoir de vous imiter ; et que, quand même les Spectacles ne vous feraient nulle impression, vous répondez devant le Seigneur du mal qu'ils peuvent causer à ceux qui vous suivent, ou que vous y conduisez. Ces vérités ne vous paraîtront point assez fortes pour vous affecter ; cependant, outre que les Spectacles sont ces maximes du monde, et ces pompes de Satan auxquelles vous avez solennellement renoncé dans votre Baptême, comme vous venez de le voir, ils sont encore les plus terribles écueils pour l'innocence et pour la Religion, et c'est ce que je vais vous montrer. **** *book_soanen_sermons_1769.pdf *id_body-4 *date_1686 *creator_soanen SECOND POINT. Ne vous attendez pas, Chrétiens mes Frères, que, pour vous peindre les écueils du Théâtre, j'entre ici dans des détails plus propres à vous y attacher, qu'à vous en dégoûter, et que j'aille déshonorer mon ministère par des peintures indignes de la sainteté de ce lieu. Je sais, avec le grand Apôtre, qu'il y a des choses qu'on ne doit pas même nommer parmi le peuple de Dieu, nec nominetur in vobis ; que le portrait même du vice est un objet dangereux ; et que c'est en quelque sorte participer au crime, que de le représenter avec des couleurs capables de le faire aimer. Il suffit de vous dire, mes Frères, avec tous les Docteurs de l'Eglise, que le Théâtre est le foyer de l'amour profane, l'école du libertinage, l'empire de la volupté, et conséquemment l'écueil de l'innocence ; mais je ne veux que votre propre témoignage, que l'aveu de votre propre cœur, pour constater ces vérités. Combien de fois n'avez-vous pas senti des mouvements d'orgueil et d'impureté s'élever dans votre âme, et la remplir de toutes sortes d'images, lorsqu'on exprimait le langage de ces passions avec tant de force et tant d'énergie ? Les vers se gravaient dans votre mémoire, et les sentiments dans votre cœur, de sorte que vous ne respiriez plus que les mêmes vices et les mêmes erreurs qu'on mettait sur la scène, et qu'on travestissait. Ah ! s'il nous est ordonné de faire un pacte éternel avec nos yeux, pour ne pas nous exposer à considérer un objet dangereux ; si, selon la sagesse éternelle, on a déjà commis l'adultère dans son cœur, lorsqu'on regarde une femme avec un œil d'envie ; s'il faut être en garde contre toutes les occasions qui nous environnent dans la crainte de nous laisser surprendre par le péché ; si, lorsqu'on aime le danger, on y périt, comment excuser les Théâtres qui présentent à la vue des Actrices chargées de tout l'attirail propre à séduire, qui ne retentissent que des charmes de l'amour, qui ne préconisent que les plaisirs des sens ; et qui ne s'annoncent qu'avec tous les attributs du luxe et de la volupté ? Eh quoi ! mes Frères, Jérôme a toute la peine possible à oublier, au milieu des images de la mort et de la solitude la plus profonde, les traces que les spectacles de Rome laissèrent dans son imagination ; Antoine courbé sous la haire et sous le cilice, a besoin de toute la grâce, et de tous ses efforts, pour résister à la violence des tentations qui l'assiègent ; Benoît continuellement appliqué à méditer les éternelles vérités, est obligé de se rouler dans les épines, pour ne pas consentir à de mauvais désirs, et l'on pourra sans risque, sans danger, sans scrupule, s'exposer aux périls d'un Spectacle où l'on n'aperçoit que des objets de séduction ? Mais, dites-moi, je vous prie, si le Démon voulait vous tenter, sous quelle figure plus séduisante pourrait-il vous apparaître, que sous celle de ces personnages qui jouent la Comédie ? Quelle indécence dans leurs gestes et dans leurs habits ! quelle immodestie dans leurs danses et dans leur maintien ! quelle mollesse dans leur expression ! oui, je défie Satan lui-même de pouvoir mieux réussir, que dis-je ! on le voit, on l'entend, on le reconnaît à chaque instant. En pouvez-vous douter, mes Frères, après les scandales et les désordres que cause journellement la fréquentation des Spectacles ? Ah ! c'est là, vous le savez, qu'ont commencé tant de divorces qui mettent une misérable Actrice à la place d'une légitime Epouse, qui ruinent des familles entières, et qui sont des objets continuels de gémissements ; c'est là que des regards lascifs entraînent le cœur, et que l'âme devient coupable d'adultère. Lorsque vous sortez du Spectacle, dit Saint Chrysostome, et que vous revenez dans vos maisons, brûlant du feu de cette concupiscence que le Théâtre a allumé dans vos veines, vous méprisez une femme sage et modeste, et vous n'êtes remplis que des airs lascifs que vous avez entendus : que des visages immodestes que vous avez vus ; que des leçons de vanité qu'on vous a données. Je vous exhorte donc, continue ce Père, à abhorrer les Spectacles publics, et à en arracher tous ceux que vous pourrez. Tout ce qu'on y aperçoit n'a été inventé que pour votre perte, et tout ce que vous en retirerez sera votre damnation. Quels mots, grand Dieu ! quels mots ! ne frissonnez vous pas, mes Frères, à ce terme de damnation, et regarderez-vous encore le Théâtre comme une école de sagesse et de vertu ? Qui est-ce qui peut ignorer qu'il empoisonne tout ce qu'il offre au public, et que les Tragédies, même les plus saintes, en passant par la bouche de ces acteurs justement flétris par la Religion et par les lois, deviennent des occasions de se perdre ? N'est-ce pas faire servir Dieu lui-même à l'iniquité, que d'entendre prononcer son saint nom par des personnages dont la profession l'outrage et le déshonore : « Servire me fecistis iniquitatibus vestris ? » Que ne puis-je rassembler ici sous vos yeux tous ceux dont les Spectacles ont corrompu les mœurs ; tous ceux dont ils ont causé la ruine éternelle ! Les Pères ne savent souvent à qui s'en prendre, lorsque leurs enfants s'abandonnent aux plus grands excès ; les Mères vont chercher dans des circonstances éloignées la cause du scandale de leurs filles ; et c'est le Théâtre, n'en doutez pas, qui a perdu les uns et les autres. C'est là qu'on apprend à tromper un Père sagement économe ; à surprendre la vigilance d'une Mère attentive : à nouer des intrigues avec des domestiques, à en faire des confidents, pour venir à bout d'effectuer de mauvais désirs, et de se livrer aux plus honteuses passions. C'est là qu'on apprend à se ménager des entrevues secrètes avec un Amant passionné, à lui faire parvenir des Lettres et des Billets ; à trouver de l'argent à crédit, et des Usuriers faciles et commodes ; c'est là en un mot qu'on apprend à ne plus rougir, à regarder le crime comme une galanterie, le mensonge comme une adresse, le luxe comme une bienséance, l'obéissance aux parents comme une tyrannie. Ne nous dites pas que les Théâtres sont aujourd'hui châtiés, de manière qu'il n'y a nul risque à les fréquenter. Ah ! cette espèce de voile qu'on met maintenant sur les vices, soit en gazant les aventures, soit en colorant les expressions, ne sert qu'à exciter d'avantage les désirs déréglés ; et je ne veux que votre propre aveu pour vous en convaincre. Combien de fois ne vous a-t-on pas entendu dire que des objets présentés d'une manière indécente et grossière, étaient mille fois plus propres à vous dégoûter du vice, qu'à vous y attacher ! Mais, vous êtes autant inconséquents que déraisonnables, lorsqu'il s'agit de justifier ce qui flatte vos passions, et ce qui nourrit votre mollesse et votre oisiveté, autrement il y a longtemps que vous auriez vu, avec toute l'Eglise dont vous devez écouter les lois, que les Spectacles sont la ruine des bonnes mœurs. Ne passons pas si légèrement sur l'article de l'Eglise, d'autant mieux qu'elle a sans doute l'autorité de vous commander, et que vous vous révoltez contre elle toutes les fois que vous fréquentez les Théâtres. Sentez-vous toute la force de cet argument que je vous défie d'éluder ? Car ou vous êtes enfants de l'Eglise, ou vous ne l'êtes point, et dans l'un ou l'autre cas votre jugement est prononcé. Ah ! mes Frères, n'y eût-il que la rébellion que vous arborez contre l'Eglise et contre ses Ministres, lorsque vous allez aux Spectacles, vous devriez les regarder avec la plus grande horreur, et frémir au seul aspect de ceux qui voudraient vous y entraîner. Vous nous soutenez toujours qu'il n'y a point de mal ; mais qui, de vous ou des successeurs des Apôtres que vous devez écouter comme Jésus-Christ, et que vous ne pouvez mépriser sans le mépriser lui-même, jugera cette question. Mais qui, de vous ou des dispensateurs des saints mystères établis juges des péchés, chargés de les remettre et de les retenir, décidera ce point important ? Il n'y a plus de moyen de nier, plus lieu de douter. L'Evangile, les Apôtres, les Conciles, les Pères, les Docteurs, tous les Saints ont frappé d'anathème quiconque fréquente les Théâtres. S'ils ne vous font point d'impression, c'est peut-être hélas ! parce que vous êtes tellement corrompus que rien n'est plus capable de vous pervertir ; parce que vous êtes tellement familiarisés avec le crime, que rien ne peut plus vous séduire ; parce que vous êtes rassasiés de ses infâmes voluptés dont l'habitude conduit à l'endurcissement ; parce que le péché qui règne en vous, vous rend insensibles aux plus terribles vérités. Ouvrez les yeux, sortez de votre léthargie, reprenez les sentiments de foi dont vous vous êtes malheureusement dépouillés, et vous reconnaîtrez que ces spectacles que vous excusez avec une espèce de frénésie, sont l'antipode du Christianisme, et que c'est le comble de l'impiété et de la folie de vouloir les justifier comme n'étant contraires ni à l'Evangile ni aux bonnes mœurs. Les Chrétiens sont-ils faits, dit Saint Chrysostome, pour entendre des fables diaboliques, et des airs qui ne respirent que l'impudicité ? Doivent-ils loger le Démon dans la demeure du Saint-Esprit ? Grand Dieu ! quelle génération que la nôtre en comparaison de celle qui fit les beaux jours de l'Eglise ! Alors on craignait jusqu'à l'ombre du mal ; alors on regardait le Théâtre comme une source empoisonnée, et ceux qui en étaient les Acteurs comme les Sacrificateurs du Démon. Y aurait-il donc un double Evangile, l'un pour ces temps-là, et l'autre pour ceux-ci ? Mais qui est-ce qui ne sait pas que les hommes changent ; que la loi de Dieu demeure éternellement, et que par conséquent il est aussi certain aujourd'hui qu'il l'était autrefois, que l'innocence fait presque toujours naufrage au milieu des Spectacles ; qu'on en revient avec le cœur rempli des plaisirs et des vanités du monde, et qu'il n'y a rien qu'on doive plus redouter que leur fréquentation. En vain on veut vous persuader qu'ils rendent l'âme compatissante, et que lorsqu'on verse des pleurs à certains récits, c'est une marque indubitable qu'on est humain et généreux. Eh ! qu'importe à l'humanité, mes Frères, qu'on pleure la mort de César ; qu'on s'afflige des malheurs d'Iphigénie ; qu'on plaigne le sort d'Andromaque ; qu'on gémisse sur des infortunes Romanesques, si l'on est insensible aux maux de son prochain ; si, au sortir même du Théâtre, on brusque les pauvres au lieu de les assister ; si l'on envisage d'un œil sec les misères qui les environnent et les plaies qui les couvrent ? L'humanité ne consiste ni dans des pleurs ni dans des soupirs ; mais dans des actions qui soulagent le malheureux, dans des manières qui le consolent, dans des encouragements qui l'empêchent de s'abattre, et qui le tranquillisent. N'attendez donc des Spectacles que des vices et des erreurs ; et croyez que s'ils sont l'écueil de l'innocence, il sont encore celui de la Religion, seconde raison qui doit vous en inspirer toute l'horreur. Il n'y a qu'un pas à l'incrédulité, quand le cœur est corrompu, dit le Docteur Angélique, et puisque le Théâtre est l'école du libertinage, il doit l'être aussi de l'irréligion. On ne se familiarise point impunément avec les Spectacles, selon l'expression de Saint Bonaventure ; ils conduisent à l'impiété comme au crime, et la chose ne doit pas nous paraître extraordinaire, attendu que la foi s'éteint presque toujours là où les passions dominent. Or, je vous le demande, mes Frères, peut-on dire qu'elles ne règnent pas aux Spectacles, ces Scènes malheureuses où l'on ne déclame que pour séduire ; où l'on ne gesticule que pour mieux insinuer les vices et les faire fermenter ? Aussi voyons-nous que ces incrédules dont le cœur est corrompu, sont les plus grands partisans des Spectacles, les plus célèbres Apologistes du Théâtre. Ils sentent que cette école est nécessaire pour détruire insensiblement l'hommage qu'on doit à Dieu, et soit par leurs discours, soit par leurs écrits, ils font tout ce qu'ils peuvent pour la mettre en honneur. Examinez ceux qui travaillent pour le Théâtre, ceux qui récitent, ceux qui écoutent, et vous trouverez dans le plus grand nombre des personnes qui vivent sans espérance et sans foi. Il est tout naturel qu'à force de voir tout l'étalage des vanités du monde, on oublie le Ciel ; qu'à force d'entendre préconiser l'amour et les plaisirs des sens, on fasse son Dieu de ce qui flatte les passions et la chair. Le cœur séduit commence à désirer qu'il n'y ait point d'enfer, et à la fin il se le persuade. On peut résister à ces sortes d'impressions lorsqu'elles ne sont qu'un sentiment passager excité par la violence de quelque tentation ; mais quand elles naissent d'une circonstance préméditée ; quand elles ont pour principe et pour mobile une chose aussi réfléchie et aussi combinée qu'un Spectacle, alors l'âme ne peut plus se défendre, et elle finit par douter des vérités les plus certaines. Lorsqu'on fréquente le Théâtre, dit Saint Chrysostome, on vient à l'Eglise avec dégoût, on n'y entend qu'avec peine discourir sur la pudeur et la modestie, on ne peut plus souffrir la Prédication et le chant des Psaumes ; et du désir que l'on a que toutes ces choses soient vaines et frivoles, on vient malheureusement à bout de s'en convaincre. Tel a été le commencement, et telle a été la marche de bien des incrédules, qui sont aujourd'hui les Apôtres du Déisme, et qui, pour avoir fréquenté les Spectacles préparent sans s'en défier les voies mêmes à l'Antéchrist. Qu'y a-t-il en général de plus ardent que les Poètes contre la Religion et contre ses dogmes ; c'est-à-dire, ces personnages qui composent des Tragédies ou des Comédies, et qui n'ont pour l'ordinaire qu'une brillante imagination en partage ? Il est difficile de ne pas trouver dans leurs fictions Romanesques, dans leurs morceaux les plus saillants, quelque trait, ou contre la divinité même, ou contre le culte qu'on lui rend. Ils regardent cette impiété comme l'assaisonnement de leurs ouvrages, et ils s'en font un jeu. Hélas ! vous n'avez vu que trop souvent dans les cercles applaudir à ces malheureux vers qui insultaient à la Majesté suprême, et qu'on avait eu l'audace de réciter en plein Théâtre. C'est ainsi qu'on sème l'incrédulité, et que sous prétexte de louer une saillie, on fait souvent l'éloge d'un blasphème. Que résulte-t-il de ces maux, si ce n'est des malheurs plus grands encore ? En effet le temps de la Confession arrive, et comme on sent qu'on ne veut pas interrompre la coutume d'aller au Théâtre, on s'éloigne des Sacrements, et l'on finit par n'en plus recevoir ; mais, afin que les remords ne viennent pas troubler les plaisirs, ni la fausse sécurité dans laquelle on veut vivre, on cherche avec avidité, soit dans les livres des impies, soit dans leurs discours, des prétextes pour ne plus rien croire. De ce terrible état on passe à des railleries sur l'Eglise et sur ses Ministres, à un mépris général pour tout ce qu'elle prescrit : et voilà, mes Frères, comment les Spectacles sont ordinairement une source d'incrédulité. Si les choses ne vont pas jusqu'à cette extrémité, et si l'on conserve encore quelques étincelles de foi, ce n'est plus qu'une foi morte, une foi qu'on trouve le moyen d'allier avec la pratique extérieure de la loi. Ainsi l'on fait l'éloge du Christianisme, et l'on n'a plus d'âme que pour les plaisirs ; ainsi l'on passe alternativement du Bal au Salut, de la Sainte Table au Théâtre où l'on ose venir avec les lèvres encore teintes du sang de Jésus-Christ ; ainsi l'on s'abandonne à une vicissitude de Confessions et de rechutes, et l'on croit avoir tout gagné, ou parce qu'on a malheureusement trouvé un Confesseur cruellement indulgent, selon l'expression de Saint Cyprien, ou parce qu'on a contracté l'affreuse habitude de ne plus s'accuser de la fréquentation des Théâtres. Terrible état ! où l'on s'imagine être vivant, et où l'on est véritablement mort, état où l'on persévère ordinairement jusqu'à la fin des jours, état qui est celui du plus grand nombre ; et Dieu veuille, mes Frères, que ce ne soit pas le vôtre, et qu'actuellement même que je vous fais voir le danger des Spectacles, vous ne murmuriez pas en secret contre la sévérité de cette morale, comme si elle n'était pas celle de l'Evangile, et comme si j'exagérais sur cette matière, uniquement à dessein de vous effrayer. A Dieu ne plaise que je donne dans de pareils excès ! J'ai appris de l'Apôtre Saint Jean, que quiconque ajoute un seul iota aux Livres Saints, doit s'attendre à être retranché pour jamais du Livre de vie, et si je suis coupable aux yeux de celui qui sonde les cœurs et les reins, ce sera plutôt pour avoir adouci les expressions des Saints Pères, dans la crainte d'effaroucher un siècle aussi lâche que le nôtre ; car il est bon que vous sachiez que les Cyprien, les Jérôme, les Basile, les Chrysostome, les Augustin, ont tous parlé de l'assistance au Théâtre, comme d'une véritable Apostasie. Vous me répondrez peut-être, qu'il faut donc se retirer dans les déserts. Eh ! quand vous prendriez ce parti, mes Frères, vous ne feriez que ce qu'ont fait tant d'illustres Pénitents qui avaient une âme à sauver comme vous : mais je sais que ce genre de vie ne convient pas à tout le monde, et s'il est vrai qu'on se sanctifie dans la solitude, il n'est pas moins certain qu'on obtient la même grâce au milieu des Villes et des Cours. L'Evangile est pour toutes les conditions et pour tous les états ; mais ce n'est ni en suivant le torrent du siècle, ni en se conformant à ses maximes, qu'on peut arriver au Royaume des Cieux. Si l'on objecte que les Spectacles sont permis, cette objection n'empêche pas qu'ils ne soient dangereux. Il y a des choses même autorisées par les lois, que la conscience ne permet pas d'adopter. La prescription vous donne le bien de votre voisin, si depuis trente ans vous avez une possession non interrompue ; mais profiterez-vous de cet avantage quand vous serez intérieurement convaincu qu'il ne vous appartient pas ? Les Gouvernements tolèrent des lieux que la seule bienséance ne permet pas de nommer ; mais les fréquenterez-vous, pour peu que vous respectiez la décence, et que vous ayez des mœurs ? Ce n'est point à vous, mon Frère, à réformer les abus ou les usages qui sont dans l'Univers ; mais c'est à vous à les rejeter si tôt qu'ils ne s'accordent pas avec l'Evangile, cette règle toujours vivante sur laquelle nous serons tous jugés. C'est dans ce Livre, et non ailleurs, que je puise, ô mon Dieu, les grandes vérités que j'ose annoncer ici en votre nom ; c'est dans ce Livre qu'on trouve les plus fortes preuves contre les Spectacles et contre ceux qui les fréquentent ; Livre éternel, Livre divin, où chaque page est un Arrêt qui proscrit les Théâtres comme étant la ruine de la Religion. Quel est l'homme d'entre vous, mes Frères, qui voulût mourir à la Comédie, et qui osât à ce dernier moment offrir à Dieu son assistance aux Spectacles, comme une œuvre méritoire ? Hélas, il n'y a personne qui ne reconnaisse alors que c'est véritablement un péché de fréquenter les Théâtres, et qui ne demande pardon au Seigneur d'y avoir été. La mort est le moment qui dessille les yeux, et l'on peut s'en rapporter à ce que la conscience reproche alors. Mais que de remords étouffés pendant qu'on jouit d'une bonne santé ! que de personnes qui pensent intérieurement comme nous sur le danger des Spectacles, et qui attendent à la mort à se repentir de les avoir suivis ! La vérité ne doit-elle donc se faire entendre qu'au moment où l'on ne peut presque plus parler, et faudra-t-il perdre son âme pour un respect tout humain ? Je conçois bien, mes Frères, que Dieu vous ayant donné des désirs et des yeux, vous devez naturellement souhaiter des Spectacles. Mais ne savez-vous pas que la Providence y a magnifiquement pourvu ? et afin de n'en pas douter, considérez ce firmament où les étoiles comme en sentinelle attendent les ordres du Dieu qui les conduit ; contemplez ce soleil qui, toujours ancien et toujours nouveau, vous offre journellement l'image des plus brillantes couleurs et des plus superbes décorations ; regardez cette lune qui, par la douceur de sa lumière, donne à la nuit même des beautés que tout l'art des Peintres ne peut imiter ; voyez cette terre qui, par la plus admirable variété, se couvre successivement de fleurs et de fruits, et paraît un assemblage d'émeraudes, de saphirs et de rubis ; fixez la majesté de ces mers qui promenant leurs flots d'un bout du monde à l'autre, transportent les richesses et les passions des humains, et qui toujours prêtes à engloutir la terre, se voient continuellement arrêtées par un seul grain de sable que le Tout-Puissant oppose à leur fureur ; enfin considérez-vous vous-mêmes, admirez les merveilles qui résultent de l'union de votre âme avec votre corps, et donnez à vos pensées un essor qui les conduise à ces espaces immenses, et à ces jours éternels pour lesquels nous sommes nés. Voilà, mes Frères, les Spectacles du Chrétien, les Spectacles du Philosophe, les Spectacles de tout homme qui réfléchit. Si vous ne les trouvez pas assez touchants, et si vous aimez ces événements qui intéressent l'âme qui remuent le cœur et qui arrachent des pleurs, ah ! lisez l'histoire de Joseph, celle de Moïse, celle des Machabées, histoires si attendrissantes, si supérieures à toutes les fictions, que ceux mêmes qui ont voulu les mettre en vers, et qui ont cru les embellir, les ont défigurées ; lisez les souffrances de Jésus-Christ, les circonstances de sa douloureuse Passion, celles de son ignominieux Crucifiement, et si vous ne versez pas des larmes, c'est que votre cœur n'a de sentiment que pour les crimes et pour les fables. Lisez les Actes des Martyrs, et c'est là que vous verrez des membres palpitants sur des roues ; des corps mis en pièces par la rage des bourreaux ; des têtes séparées de leur tronc par l'activité d'un feu dévorant ; des hommes tout vivants couverts de bitume et de poix, allumés comme des torches pour servir de lumière aux passants ; des hommes exposés dans les Cirques et dans les Amphithéâtres, à la férocité des Tigres et des Lions, comme un Spectacle propre à amuser le Peuple et les Empereurs. C'est là que vous verrez des mères qui encouragent elles-mêmes leurs filles à la mort, et qui considèrent leurs tourments avec une intrépidité que tout l'Univers ne peut entamer ; des vieillards qui se traînent avec joie au milieu des pierres et des injures, pour aller terminer leurs jours par les plus affreux supplices, et menacer les tyrans de la colère céleste. Si enfin tous ces objets ne sont pas capables de vous frapper, retournez donc à vos Spectacles lascifs et scandaleux ; mais allez auparavant renoncer à votre baptême à la face de ces mêmes Autels, que vous prîtes autrefois à témoin des promesses que vous faisiez au Seigneur ; allez effacer le registre où vous êtes inscrits comme Chrétiens ; arborez publiquement la révolte contre l'Eglise dans le sein de laquelle vous êtes nés ; choisissez le Démon pour votre père, les Enfers pour votre héritage, et n'attendez plus de Dieu ni grâce ni miséricorde. Mais, ne permettez pas, Seigneur, que ces malheurs se réalisent. Rétablissez plutôt, ô mon Dieu, la gloire de votre culte ; faites que tous les Chrétiens se souviennent de la grâce de leur vocation ; qu'ils abhorrent les Spectacles comme absolument contraires à votre sainte Religion, et qu'ils n'en connaissent point d'autre que la contemplation de ce Royaume céleste où nous devons tous aspirer. Ainsi soit-il.