**** *book_tertullien-trad-caubere_traite-spectacles_1733 *id_body-1 *date_1733 *creator_tertullien FRONTISPICE Traités de Tertullien sur l'ornement des femmes, les Spectacles, le Batême, et la Patience avec une lettre aux Martirs. traduit en françois par M. Caubère mention manuscrite A PARIS Rolin fils, Quai des Augustins, à S. Athanase. MDCCXXXIII Avec Approbation et Privilege du Roy. **** *book_tertullien-trad-caubere_traite-spectacles_1733 *id_body-2 *date_1733 *creator_tertullien AVERTISSEMENT. Tertullien composa cet ouvrage à l'occasion des jeux séculaires, que l'Empereur Sévère fit célébrer la douzième année de son empire, et la 205. de Jésus-Christ, selon Pamélius. Quelques Chrétiens peu instruits, ou présomptueux s'imaginaient, que sans blesser leur conscience ils pouvaient assister aux spectacles du Cirque, du Théâtre, du Stade et de l'Amphithéâtre. L'Auteur s'applique à leur montrer, qu'ils se trompent. Il commence par réfuter les faux raisonnements, dont on se servait pour prouver, qu'il n'y a rien de criminel dans cette espèce de plaisirs : Il fait voir ensuite, que ces spectacles sont défendus aux Chrétiens. 1°. Par l'Ecriture Sainte. 2°. Par le renoncement qu'ils ont fait dans le Baptême aux vanités et aux plaisirs de la terre ; mais surtout à l'idolâtrie, de laquelle il montre fort au long, que les spectacles tirent leur origine. 3°. Par l'obligation que nous impose l'esprit du Christianisme, auquel la police même du monde n'est pas toujours contraire. Enfin il conclut par une instruction morale, en remontrant aux chrétiens, qu'ils ne doivent chercher d'autre plaisir sur la terre, que celui d'une bonne conscience ; et en les exhortant à se représenter souvent à eux-mêmes le plus grand de tous les spectacles, qui est celui du Jugement dernier. **** *book_tertullien-trad-caubere_traite-spectacles_1733 *id_body-3 *date_1733 *creator_tertullien TRAITÉ CONTRE LES SPECTACLES. Fidèles serviteurs de J.C. vous catéchumènes, qui désirez d'être bientôt unis à lui par le baptême, et vous chrétiens qui l'avez déjà confessé en participant à ses mystères ; apprenez par les régles de la foi, par les principes de la vérité, et par les lois de la discipline, l'obligation où vous êtes de renoncer au plaisir des spectacles, de même qu'aux autres folies du siècle. Instruisez-vous, afin que vous ne péchiez point, les uns par ignorance, les autres par dissimulation. Car la force du plaisir est si grande, qu'elle entraîne dans l'occasion les ignorants, et porte les autres à trahir leur propre conscience : double malheur, qui n'arrive que trop souvent. En effet il se trouve des gens, qui séduits agréablement par les fausses maximes des païens, raisonnent ainsi : Il n'y a, disent-ils, rien d'opposé à la religion dans ce plaisir, que l'on donne aux yeux et aux oreilles ; puisque l'âme n'en souffre aucune atteinte : Dieu n'est point offensé par un divertissement, au milieu duquel l'homme conserve toujours la crainte, et le respect qu'il doit à son divin maître ? Illusion, mes frères ; erreur dangereuse, très contraire à la véritable religion, et à la parfaite obéissance que nous devons à Dieu : c'est ce que j'ai principalement résolu de vous démontrer. Il y en a qui pensent, qu'un chrétien (c'est-à-dire, un homme, qui doit se tenir toujours prêt à mourir) ne se prive des plaisirs, que par poltronnerie. Comment cela ? le voici, dit-on. Comme les chrétiens sont un peuple lâche et timide, ils cherchent à se fortifier contre les attaques de la mort. Afin de pouvoir plus aisément mépriser la vie, ils rompent insensiblement les liens, qui nous attachent le plus. Ils trouvent par conséquent moins d'embarras à la fin de leurs jours, et moins de peine à abandonner une chose, qu'ils se sont déjà rendu comme inutile : ils meurent ainsi avec moins de regret. De là cette constance stoïque, qu'ils font paraître dans les tourments ; et qui est plutôt l'effet d'une prévoyance humaine, qu'une véritable soumission aux ordres du ciel. On a vu en effet, que ceux d'entre les chrétiens, qui se sont longtemps attachés à ces divertissements, ont témoigné une peine extrême à mourir pour Jésus-Christ. Supposons que cela soit : du moins une telle précaution n'a pas été inutile ; puisqu'elle a produit cette admirable générosité, qui les a élevés au-dessus de toutes les frayeurs de la mort. Voici encore le frivole prétexte, que font valoir une infinité de gens. Dieu, disent-ils, a créé tout ce qui est dans le monde, et en a fait présent aux hommes (nous l'avouons nous-mêmes.) Or toutes les créatures sont bonnes, puisque leur auteur est essentiellement bon. Il faut sans doute mettre dans ce rang tout ce qui sert aux spectacles ; par exemple, le cirque, le lion, les forces du corps, et les agréments de la voix. Ainsi l'on ne saurait regarder comme une chose contraire à la volonté de Dieu, ce qui a été créé par lui-même. Par conséquent les serviteurs de Dieu ne doivent point fuir ce que leur maître ne hait pas. On ne peut donc soutenir que les amphithéâtres soient condamnés par le Seigneur ; puisque c'est lui qui a fait les pierres, le ciment, le marbre, les colonnes. Enfin les jeux et les spectacles ne se passent qu'à la vue du ciel, qui est aussi l'ouvrage de Dieu. Ignorance humaine, combien fais-tu valoir tes vaines raisons ; surtout lorsqu'il s'agit de la perte de quelque plaisir ! On trouve en effet mille gens, qui s'éloignent de la religion chrétienne, plutôt par la crainte d'être privés des divertissements, que par la crainte de perdre la vie. Car quelque insensé que l'on soit, on a néanmoins assez de courage pour ne pas craindre la mort ; parce qu'on la regarde comme un tribut dû à la nature : mais pour le plaisir, l'attrait est si puissant, que les plus sages n'en sont pas moins frappés, que les fous ; parce que le plaisir fait le plus doux charme de la vie pour les uns et pour les autres. Personne ne nie (puisqu'on ne peut ignorer, ce que la seule lumière naturelle nous fait connaître) personne, dis-je, ne nie, que Dieu ne soit le créateur de toutes choses. On convient de même, que toutes les créatures sont bonnes, et qu'elles ont été données à l'homme pour son service. Mais quand on ne veut connaître Dieu que par la lumière naturelle, et non par le flambeau de la foi ; quand on ne le regarde que de loin, et non de près, on ne le connaît qu'imparfaitement. Ainsi on ignore le véritable usage, qu'il veut que nous fassions des créatures : on ignore encore les desseins de cet implacable et invisible ennemi, qui nous sollicite à user des présents de Dieu, tout autrement que Dieu ne prétend. La raison de cette ignorance est, qu'en ne connaissant Dieu qu'imparfaitement, on ne saurait distinguer sa volonté d'avec l'intention de son adversaire. Il faut donc non seulement considérer celui qui a fait toutes choses, mais savoir encore comment l'usage en est perverti. Par ce moyen on verra clairement quel est l'ouvrage, et quel usage on en doit faire. Il y a une très grande différence entre ce qui est corrompu, et ce qui est pur et sain ; parce qu'il y en a une très grande entre l'auteur et le corrupteur. Au reste tant de mauvaises choses, que les païens défendent eux-mêmes rigoureusement, ne se font-elles pas par le moyen des créatures, que Dieu a produites ? Vous voulez commettre un homicide ; choisissez ou le fer, ou le poison, ou la magie. Mais le fer n'est-il pas l'ouvrage de Dieu, aussi bien que les herbes venimeuses, et les mauvais anges ? Croyez-vous cependant, que le créateur ait produit ces créatures pour faire périr les hommes ? Ou plutôt n'a-t-il pas prononcé lui-même un arrêt de mort contre l'homicide, quand il a dit :« Vous ne tuerez point. » De même qu'est-ce qui a produit l'or, l'argent, le cuivre, l'ivoire, le bois, et toutes les autres matières, dont on se sert pour fabriquer les idoles ? Qui a formé ces métaux, si ce n'est celui qui a créé aussi la terre ? Cependant leur a-t-il donné l'être, afin qu'on les adorât en sa place ? Non certainement ; puisque l'idolâtrie est le plus grand outrage, que l'on puisse faire à Dieu. Nous ne prétendons donc pas, que ce qui offense Dieu, ne vienne point de Dieu : mais l'usage qu'on en fait pour l'offenser, n'est plus l'ouvrage de Dieu. L'homme lui-même auteur de toute sorte de crimes, n'est-il pas l'ouvrage, et de plus l'image de Dieu ? Cependant il a abusé de son âme et de son corps pour se révolter contre son créateur. Il est certain que nous n'avons point reçu les yeux pour allumer en nous les feux de la concupiscence, ni les oreilles pour écouter de mauvais discours, ni la langue pour la médisance, ni la bouche pour la gourmandise, ni l'estomac pour la débauche, ni les mains pour dérober, ni les pieds pour courir au crime. De même notre âme n'a point été unie au corps pour être l'arsenal des fraudes et des injustices. Donc s'il est vrai, que Dieu étant infiniment bon, déteste le mauvais usage qu'on fait de ses créatures, il s'ensuit évidemment, qu'il n'a point créé pour de mauvaises fins ce qu'il condamne lui-même ; puisque les choses dont on se sert pour faire le mal, ne sont mauvaises, que par le mauvais usage qu'on en fait. Nous donc, qui en connaissant Dieu, connaissons aussi son rival, et qui avons appris à distinguer le créateur d'avec le corrupteur de la créature, nous ne devons être nullement surpris du changement qu'a fait le démon dans le genre humain ; sachant que ce mauvais ange a eu le pouvoir de faire tomber d'abord de l'état d'innocence l'homme créé à l'image de Dieu, nous ne devons point douter qu'il n'ait perverti et l'homme lui-même, et ce que l'homme a reçu de son créateur. Il a été indigné que le domaine sur les créatures ait été donné à l'homme : c'est pourquoi il a tâché d'envahir ce domaine, et de s'en servir pour rendre l'homme coupable. Instruits comme nous devons l'être de ces vérités, contre l'aveuglement et les fausses opinions des païens, consultons maintenant les oracles de notre religion. Car il se trouve quelquefois des fidèles ou trop simples, ou trop difficultueux, qui veulent être convaincus par l'autorité des Ecritures, pour se résoudre à renoncer aux spectacles ; ou qui doutent, s'ils doivent absolument s'abstenir de ce que Dieu ne leur a pas défendu en termes exprès. Il est vrai, que nous ne trouvons point formellement cette défense, vous n'irez point au cirque, au théâtre, au stade, à l'amphithéâtre, comme nous trouvons expressément ces paroles : « Vous ne tuerez point, vous n'adorerez point d'idole, vous ne déroberez point, vous ne commettrez point d'adultère. » Mais nous voyons suffisamment cette défense dès le commencement du premier Psaume de David. «  Heureux dit-il, celui qui n'est point allé aux assemblées des impies, qui ne s'est point arrêté dans la voie des pécheurs, et qui ne s'est point assis sur une chaire empestée. » Car bien qu'en cet endroit le Prophète semble parler principalement de l'homme juste, qui n'a voulu prendre aucune part au conseil des Juifs, qui délibéraient de se soulever contre leur divin maître ; on peut néanmoins donner plusieurs significations à l'Ecriture Sainte ; surtout lorsque le sens moral paraît conforme à celui que la lettre présente d'abord. Ainsi ces paroles de David peuvent très bien s'entendre, d'une défense spéciale d'assister aux spectacles. En effet, s'il a donné le nom d'assemblée à une petite multitude de Juifs ; à combien plus forte raison ne doit-on pas appeler de ce nom ces prodigieuses assemblées de païens ? A moins que les païens ne soient aujourd'hui moins pécheurs et moins ennemis de Jésus-Christ, que les Juifs ne le furent autrefois. Le reste a le même rapport : car dans les amphithéâtres il y a des voies, où l'on se tient pour assister aux spectacles. On appelle voies ces amas de degrés, qui séparent le peuple des chevaliers. De même on appelle chaires ces grands sièges, où les sénateurs s'étendent mollement dans l'orchestre. S'il est donc vrai de dire avec le Prophète : malheur à celui qui entre dans quelque assemblée que ce soit des impies, qui s'arrête dans les différentes voies des pécheurs, et qui est assis dans la chaire de corruption ; soyons bien persuadés que ces paroles doivent s'entendre dans un sens général, quoiqu'elles puissent être aussi interprétées dans un sens plus particulier. Car souvent le discours s'adresse tellement à des particuliers, qu'il regarde en même temps tout le monde. Ainsi lorsque Dieu fait des commandements ou des défenses aux Israélites, il est certain qu'il parle aussi à tous les hommes. Lorsqu'il menace de détruire l'Egypte et l'Ethiopie, ses menaces s'étendent à toute sorte de nations rebelles : l'espèce renferme le genre ; et sous le nom de ces deux royaumes il comprend tout l'univers. De même quand parlant des spectacles, il les appelle du nom d'assemblée des impies : il passe du général au particulier. Mais afin qu'on ne s'imagine pas que je m'amuse ici à subtiliser, venons à la principale autorité, qui nous défend les spectacles : elle est fondée sur notre baptême. Lorsque nous sommes entrés aux fonts baptismaux, nous avons fait profession de la foi chrétienne dans les termes qu'elle nous prescrit. Au même temps nous avons promis solennellement de renoncer à Satan, à ses pompes, à ses anges. Or y a-t-il quelque chose où le diable domine plus avec ses suppôts, que dans l'idolâtrie ? N'est-ce pas là comme le trône de l'esprit immonde, et le siège de l'impiété ? Je le prouverai ailleurs plus au long. Si je montre donc ici, que tout l'appareil des spectacles est fondé sur l'idolâtrie, ce sera un préjugé évident, que dans le baptême nous avons renoncé aux spectacles, dont l'idolâtrie a fait une espèce de sacrifice à Satan et à ses anges. Voyons donc l'origine de chaque spectacle en particulier : comment ces jeux ont été introduits dans le monde. Examinons ensuite leurs titres : comment ils sont appelés. En troisième lieu leur appareil, et avec combien de superstitions on les prépare. En quatrième lieu leurs différentes circonstances : à quelles divinités ils ont été dédiés. Enfin leur représentation, et quels en ont été les instituteurs. Si quelqu'une de ces choses n'a point de rapport aux idoles, nous avouerons, que cela ne regarde ni l'idolâtrie, ni l'abjuration que nous avons faite dans notre baptême. Comme l'origine des jeux est obscure, et inconnue à la plupart de nos frères, il ne faut point la chercher ailleurs que dans les histoires des païens. Il y a plusieurs auteurs parmi eux qui ont écrit sur cette matière. Voici ce qu'ils en racontent. Ils disent, suivant le rapport de Timée, que les Lydiens sortis de l'Asie sous la conduite de Thyrrhénus, qui avait été contraint de céder le royaume à son frère Lidus, arrêtèrent dans la Toscane ; et que là, parmi plusieurs autres cérémonies superstitieuses, ils instituèrent des spectacles sous un manteau de religion. Les Romains ensuite ayant appelé chez eux quelques-uns de ces étrangers, empruntèrent et les cérémonies de ces jeux, et le temps où l'on devait les célébrer. De sorte que dans la suite on donna à ces spectacles le nom latin ludi à cause des Lydiens de qui ils venaient. Il est vrai que Varron dérive ce terme du verbe ludere, jouer, c'est-à-dire, badiner, se divertir ; comme on disait autrefois les jeux Luperciens, parce que la jeunesse les célébrait d'une manière folâtre : ce qui n'empêche pas que l'auteur n'attribue l'origine de ces jeux et de ces divertissements à la célébration de quelque fête, à la dédicace de quelque temple, ou à quelque autre semblable motif de religion. Mais pourquoi nous arrêter à une question de nom, lorsque tout paraît idolâtrie dans la chose ? En effet tous les jeux tirent leur nom de quelque Dieu du paganisme. Ainsi tantôt on a appelé Liberiaux ceux qui étaient institués à l'honneur de Liber, ou Bacchus : car c'est à ce faux Dieu, que les paysans les consacraient en reconnaissance de la libéralité, qu'il leur avait faite, en leur découvrant l'usage du vin. Tantôt on a appelé Consuales ceux qui étaient dédiés à Neptune, nommé autrement Consus. Tantôt on a nommé equiriens ceux que Romulus consacra à Mars. Quelques Auteurs attribuent l'institution des jeux consuales au même Romulus, qui voulut désormais faire honorer Consus comme le Dieu du conseil, pour lui avoir inspiré le dessein d'enlever les Sabines, afin de les donner en mariage à ses soldats. Beau conseil véritablement ! Ne passe-t-il pas encore aujourd'hui parmi les Romains pour une chose juste et permise ? Je ne dis rien de ce qu'il est aux yeux de Dieu. Car ce qui doit faire abhorrer ce conseil détestable, c'est qu'il doit son commencement à une friponnerie, à une violence, à une brutalité, à un fratricide, à un fils de Mars. Il reste encore aujourd'hui dans le cirque près des premières limites, un autel bâti sous terre et consacré au Dieu Consus avec cette inscription : Consus préside au conseil, Mars à la guerre, les Lares aux assemblées. Les prêtres publics y célèbrent des sacrifices le 7. de Juillet ; et le grand prêtre du mont Quirinal avec les vestales en offre le 21. du mois d'Août. Quelque temps après le même Romulus institua des jeux en l'honneur de Jupiter Férétrien sur le mont Tarpeius ; d'où il furent appelés Tarpeiens et Capitolins, comme raconte Pison. Ensuite Numa Pompilius en institua d'autres, consacrés à Mars et à la Rouille : car la Rouille a été érigée en Déesse. Il se fit encore de semblables institutions par Tullus Hostilus, par Ancus Martius et par les autres rois de Rome. Si l'on veut savoir à quelles idoles ces différents jeux furent consacrés, il faut lire Suétone, et les autres historiens qui ont écrit avant lui. Mais en voilà assez sur l'origine idolâtre de ces jeux criminels et abominables. A ce témoignage de l'antiquité ajoutons celui des siècles postérieurs, dans lequel nous découvrirons aussi clairement l'origine de nouveaux spectacles, par les titres qu'on leur a donnés. On voit par ces titres à quelle idole, et à quelle superstition ces jeux de différente espèce ont été consacrés. Ceux qu'on appelle Mégaliens, Apollinaires, Céréaux Neptunaux, Floréaux, Latiares, se célèbrent publiquement chaque année. Les autres moins fixés doivent leur origine ou à la naissance, ou au couronnement des rois ; ou aux prospérités de la république, ou aux fêtes superstitieuses des villes municipales. Parmi ces jeux arbitraires on peut compter encore ceux que les particuliers célèbrent à l'honneur de leur parents défunts : comme pour s'acquitter d'un devoir de piété envers eux ; coutume ancienne. Car dès les premiers temps on divisa les jeux en sacrés et en funèbres. Les premiers furent institués en l'honneur des Dieux du pays, et les autres en mémoire des défunts. Mais peu nous importe de savoir sous quel nom, et sous quels titres ils ont été institués : dès là qu'ils sont consacrés aux mêmes esprits, auxquels nous avons renoncé dans le baptême, c'en est assez. Ainsi qu'on célèbre ces fêtes ou en l'honneur des Dieux, ou pour l'apothéose des défunts, c'est toujours la même chose, la même idolâtrie, et nous devons y renoncer également. L'origine de ces différents jeux est donc la même ; leurs titres sont aussi les mêmes, comme provenant de la même cause : par conséquent leur spectacle est le fruit malheureux qu'une même idolâtrie a produit. Il faut avouer néanmoins, que l'appareil des jeux du Cirque a quelque chose de plus pompeux : car c'est proprement à ces derniers que convient le nom de Pompe. C'est ce qui paraît par la prodigieuse quantité des simulacres, par le nombre infini des tableaux, par le superbe attirail des carrosses, des chariots, des brancards, des chaises, des couronnes qu'on y étale. Outre cela que de cérémonies, que de sacrifices précèdent, accompagnent, terminent ces jeux : que d'augures, que de prêtres, que d'Officiers sont en mouvement ! J'en prends à témoin les habitants de cette superbe ville, où les démons en foule semblent avoir établi leur demeure. Que si ces spectacles sont moins magnifiques dans les provinces, parce qu'on y a moins de secours ; en quelque endroit cependant qu'on les célèbre, on n'en doit jamais oublier l'origine : c'est de là principalement qu'ils tirent leur malignité. Ainsi une branche, ou un ruisseau conserve les mauvaises qualités du tronc, ou de la source d'où ils viennent. Qu'il y ait donc de la magnificence, ou non dans ces jeux, ils offensent toujours le Seigneur. Quelle que soit la pompe du cirque, quand il n'y aurait qu'un petit nombre de simulacres, c'est toujours une idolâtrie, n'y eût-il qu'une seule idole. Quand on n'y traînerait qu'un char, c'est néanmoins le char où l'on porte Jupiter. De quelque indigence, de quelque médiocre appareil qu'une idolâtrie soit accompagnée, elle n'est que trop manifeste par l'origine criminelle d'où elle vient. Suivons le dessein que je me suis proposé ; venons maintenant aux lieux où l'on représente les spectacles. Le Cirque est principalement consacré au soleil. On y voit son temple bâti au milieu, et son image toute rayonnante sur le sommet du temple. Admirez cette disposition : ils ont cru ces pieux idolâtres, qu'il ne fallait point placer sous l'obscurité d'un toit, celui qu'ils voient briller tous les jours sur leurs têtes. Comme ils assurent, que Circé la première institua des spectacles à l'honneur de son puissant père le soleil, ils prétendent aussi, qu'elle a donné son nom au Cirque. En vérité cette fameuse magicienne n'a pas médiocrement fait réussir les affaires de ceux dont elle était la prêtresse ; je veux dire des démons, et de leurs ministres. Considérez donc combien d'idolâtries on découvre par ce seul endroit : autant d'ornements du cirque sont autant de temples profanes. Ici on voit des figures ovales : elles sont dédiées à Castor et Pollux par ceux qui croient follement, que Jupiter transformé en cygne fut père de ces deux jumeaux, et qu'ils naquirent d'un œuf. Là on trouve des dauphins : ils sont consacrés à Neptune. D'un autre coté on voit de grosses colombes, qui soutiennent ou les statues Sessiennes, ainsi appelées de la déesse qui préside aux semences ; ou les Messiennes, dites ainsi de celle qui préside aux moissons ; ou les Tuteliennes, de celle qui préside à la tutelle des fruits. Devant ces colombes paraissent trois autels consacrés à autant de dieux ; c'est-à-dire, aux grands, aux puissants, et aux bons. L'opinion des gentils est, que ce sont les mêmes dieux qui sont venus de Samothrace. Le superbe et prodigieux Obélisque est consacré (comme l'assure Hermatele) ou plutôt prostitué au soleil. Les caractères hiéroglyfiques, qui y sont gravés comme autant de mystères, témoignent assez, que c'est une superstition des Egyptiens. Cette assemblée de démons aurait langui sans leur grand-mère : c'est pourquoi elle y préside auprès de ce grand bassin, qu'on nomme l'Euripe. Consus, comme j'ai déjà dit, demeure caché sous terre proche des Termes. Ce n'est pas tout : les limites Murtiennes tirent aussi leur nom d'une idole ; car la déesse Murtia passe chez les gentils pour la déesse de l'amour. Aussi ces hommes religieux n'ont pas manqué de lui dresser un temple dans cet endroit. Voyez, ô fidèles disciples de J.C. combien de noms infâmes ont rempli le cirque ! Loin de vous une religion à laquelle préside tous les démons. Puisque nous en sommes sur le sujet de ces lieux profanes, il est bon de répondre à une objection que font quelques-uns. Quoi, disent-ils, si je vais au cirque hors du temps des spectacles, dois-je craindre que mon âme y contracte quelque souillure ? Les lieux considérés en eux-mêmes ne tirent point à conséquence. Car un serviteur de Dieu peut aller sans aucun péril, non seulement aux endroits où l'on s'assemble pour les spectacles, mais encore aux temples des gentils ; lorsqu'il y en a quelque raison, sans aucun rapport ni aux offices, ni aux autres propriétés de ces lieux. D'ailleurs où pourraient demeurer les chrétiens ? les rues, les places, les bains, les hostelleries, nos maisons mêmes ne sont point sans quelque idole ; Satan et ses anges ont occupé tout le monde. Cependant quoique nous demeurions dans le monde, nous n'avons pas pour cela quitté Dieu : on le quitte seulement, lorsqu'on s'attache aux maximes et aux plaisirs criminels du monde. Si j'entre dans le capitole, ou dans le temple de Serapis pour y faire des prières, ou des sacrifices, alors je renonce à Dieu. Si je vais au cirque, ou au théâtre, à dessein d'assister aux spectacles, je trahis ma religion. Ce ne sont pas les lieux par eux-mêmes, qui souillent notre âme ; c'est ce qui se passe dans ces lieux, et ce qui souille ces lieux mêmes, comme je viens de le montrer. Ce qui nous gâte sont les choses gâtées et corrompues. Je ne me suis arrêté à montrer à quelles divinités on a consacré ces lieux, que pour faire mieux voir que les choses qui s'y passent, appartiennent spécialement aux idoles à qui ces lieux ont été consacrés. Parlons maintenant de la manière dont on représente les jeux dans le cirque. L'usage des chevaux était simple dans le commencement : c'était pour faire voyage ; rien ne rendait mauvais un usage universel. Mais quand on les employa pour les jeux, ce qui était un présent de Dieu, devint un instrument du démon. C'est pourquoi ce nouvel usage est attribué à Castor et à Pollux, à qui Mercure donna des chevaux pour cet effet ; comme nous l'apprenons de Stésichore. Il y a d'autres semblables courses consacrées à Neptune, que les Grecs appellent d'un nom particulier ἵππιος le cavalier. Or ces jeux qui se font avec des chevaux attelés, ne sont pas moins idolâtres que les autres. Car les chars à quatre chevaux sont dédiés au soleil, et ceux qui n'en ont que deux, sont consacrés à la lune. D'ailleurs Erichtonius est le premier qui osa, comme dit le Poète. « Joindre quatre chevaux ; et poussé par la gloire Sur un rapide char courir à la victoire. » Or cet Erichtonius, fruit abominable des débauches de Vulcain et de Minerve, est un monstre démoniaque, ou plutôt un diable, et non un serpent. Que ce Trochilus de Grèce, qui passe pour inventeur de chars, dédia son premier ouvrage à Junon. Enfin si c'est Romulus qui a introduit cet usage chez les Romains ; il doit sans doute être mis lui-même au nombre des autres idoles ; s'il est vrai qu'il est le même que Quirinus. Tels ont été les inventeurs des chars à quatre chevaux ; faut-il donc être surpris, que les combattants aient été d'abord couverts des livrées de l'idolâtrie, si je puis m'exprimer ainsi. Au commencement ces livrées n'étaient que de deux couleurs ; l'une blanche qui était consacrée à l'hiver, à cause de la blancheur de la neige : l'autre, couleur de feu qui était consacrée à l'été, à cause des rayons du soleil. Dans la suite le plaisir et la superstition s'étant également augmentés, on changea la dédicace de ces deux couleurs, et on en ajouta deux autres. Le rouge fut consacré à Mars, et le blanc aux zéphyrs ; le vert à la terre ou au printemps, et l'azur au ciel, ou à la mer, ou à l'automne. Or comme toute l'idolâtrie est anathématisée de Dieu, il est certain qu'il condamne aussi ces profanes consécrations, que l'on fait aux différents éléments du monde. Passons au théâtre dont l'origine et les titres sont les mêmes que ceux du cirque, comme nous l'avons déjà montré, en parlant des jeux en général. Ainsi l'appareil du théâtre ne diffère presque point de celui du cirque. On se rend à l'un et à l'autre de ces deux spectacles au sortir du temple ; où l'on a prodigué l'encens en abondance, et arrosé les autels du sang de plusieurs victimes. On marche parmi le bruit des fifres et des trompettes ; pendant que deux infâmes personnages, directeurs des funérailles, et des sacrifices, je veux dire le désignateur et l'aurispice, conduisent tout le cortège. Mais voici ce que le théâtre a de particulier, et ce qui le distingue du cirque : voyons d'abord combien le lieu en est infâme. Le théâtre est proprement le temple de Vénus. C'est ainsi que sous prétexte d'honorer la déesse ce lieu exécrable a été canonisé dans le monde. Autrefois s'il s'élevait quelque nouveau théâtre, qui ne fût point consacré par une dédicace solennelle, les censeurs le faisaient souvent abattre pour prévenir la corruption des mœurs, qu'ils prévoyaient devoir suivre infailliblement des actions lascives qu'on y représentait. Remarquez ici en passant, combien les païens se condamnent eux-mêmes par leurs propres arrêts, et combien ils décident en notre faveur par leur attention à conserver la police. Quoiqu'il en soit Pompée le grand, dont la grandeur ne céda qu'à celle de son théâtre, ayant fait bâtir le superbe édifice, qui était comme la citadelle de toutes les infamies ; et craignant les justes reproches que ce monument attirerait un jour à sa mémoire, le métamorphosa en une maison sacrée. Ainsi ayant invité publiquement tout le monde à cette dédicace, il ôta à cet édifice le nom de théâtre, et lui donna le nom de temple de Vénus ; où nous avons ajouté, dit-il, quelques emplacements pour les spectacles. De cette sorte il couvrit du titre de temple un ouvrage profane, et se moqua de la police sous un vain prétexte de religion. Le théâtre n'est pas seulement consacré à la déesse de l'amour, il l'est encore au dieu du vin. Car ces deux démons du libertinage, et de l'ivrognerie sont si étroitement unis, qu'ils semblent avoir conjuré ensemble contre la vertu : ainsi le palais de Vénus est aussi l'hôtel de Bacchus. En effet il y avait autrefois certains jeux du théâtre, qu'on appelait proprement libériaux : non seulement à cause qu'ils étaient consacrés à Bacchus, comme sont les Dyonisiens chez les Grecs ; mais encore parce que Bacchus en était l'instituteur. Du reste ces deux divinités exécrables ne président pas moins aux actions du théâtre, qu'au théâtre ; soit qu'on ait égard à la turpitude du geste, ou aux autres mouvements dissolus du corps. C'est ce qu'on remarque en particulier dans les acteurs de la comédie. Dans ce misérable métier, ils font gloire d'immoler en quelque façon leur mollesse à Vénus et à Bacchus ; les uns par des dissolutions horribles, les autres par des représentations lascives et brutales. Pour ce qui regarde les vers ; la musique, les flûtes, les violons, tout cela ressent les Apollon, les Muses, les Minerve, les Mercure. Disciple de Jésus-Christ ne détesterez-vous pas des objets, dont les auteurs doivent vous paraître si détestables. Ajoutons un mot sur ce qui regarde les actions théâtrales, et la qualité de leurs instituteurs, dont le nom seul nous doit être en abomination. Nous savons, que les noms de ces hommes morts ne sont rien, non plus que leurs simulacres. Mais nous n'ignorons pas, que ceux qui ont tâché de contrefaire la divinité sous des noms empruntés, et sous des simulacres nouveaux, ne sont autre chose que de malins esprits, c'est-à-dire, des démons. D'où il paraît manifestement, que les actions théâtrales dont nous parlons, sont consacrées à l'honneur de ceux qui se sont couverts, pour ainsi dire, du nom de leurs inventeurs : et par conséquent que ces exercices sont idolâtres : puisque ceux qui en sont les auteurs, passent pour des Dieux. Je me trompe ; je devrais avoir dit d'abord que ces exercices ont une origine bien plus ancienne. Ce sont les démons, qui prévoyant dès le commencement, que le plaisir des spectacles serait un des moyens les plus efficaces pour introduire l'idolâtrie, inspirèrent eux-mêmes aux hommes l'art des représentations théâtrales. En effet, ce qui devait tourner à leur gloire, ne pouvait venir que de leur inspiration : et pour enseigner cette funeste science au monde, ils ne devaient point employer d'autres hommes, que ceux, dans l'apothéose desquels ils trouvaient un honneur et un avantage singulier. Pour nous en tenir à l'ordre que nous avons marqué, parlons maintenant du jeu des Athlètes. Ils ont presque la même origine que les précédents : aussi les divise-t-on en sacrés et en funèbres ; c'est-à-dire, qu'ils sont dédiés ou aux Dieux des nations, ou aux défunts. De là leurs titres remplis d'idolâtrie : les jeux Olympiques sont consacrés à Jupiter, comme les Capitolins ; les Pythiens à Apollon ; les Néméens à Hercule ; les Isthméens à Neptune : les autres qui sont en grand nombre se célèbrent à la mémoire des morts. Faut-il donc être surpris, que l'appareil de ces jeux soit souillé des taches de l'idolâtrie ? Témoin les couronnes profanes dont on y récompense les vainqueurs : témoin les prêtres qui y président : témoin les ministres qui y sont députés du corps des magistrats : témoin enfin le sang des taureaux qui y sont immolés. Telle est aussi la conformité qui se trouve entre le lieu où combattent les Athlètes et le lieu du cirque, ou du théâtre. Comme dans celui-ci l'on voit des bandes de joueurs de flûtes, de violons, ou d'autres instruments dédiés aux Muses, à Apollon, et à Minerve ; de même dans celui-là paraissent les bandes martiales consacrées à Mars ; parce qu'elles animent les combattants par le bruit des trompettes. Ainsi le stade ressemble parfaitement au cirque : outre que le stade peut encore être regardé comme le temple de cette idole, en l'honneur de laquelle les Athlètes célèbrent solennellement leurs jeux. Enfin on sait que Castor et Pollux, que Mercure et Hercule, sont les auteurs des exercices de la lice. Il nous reste à parler du plus fameux et du plus agréable de tous les spectacles. On l'a d'abord appelé devoir, comme qui dirait office ; parce que office et devoir signifient la même chose. Les anciens s'imaginaient, que par cette sorte de spectacles ils rendaient leurs devoirs aux morts ; surtout après qu'ils eurent modéré la barbarie de cette pratique par une cruauté moins barbare. Car autrefois, comme l'on croyait, que les âmes des défunts étaient soulagées par l'effusion du sang humain, on immolait sur leur tombeau, de malheureux captifs, ou des esclaves mutins qu'on achetait exprès pour cela. Dans la suite on jugea à propos de couvrir du voile de divertissement, une inhumanité si atroce. C'est pourquoi on instruisait ces misérables à faire des armes, bien ou mal ; cela était indifférent, pourvu qu'ils aprissent à s'entre-tuer. Instruits de la sorte, on les faisait venir au jour marqué pour les funérailles ; afin qu'ils s'immolassent comme par divertissement sur le tombeau des défunts. C'est ainsi que l'on consolait les morts par des meurtres. Voilà l'origine du devoir. Ce spectacle quelque temps après, devint d'autant plus agréable, qu'il fut plus cruel. C'était peu que d'employer le fer pour faire entre-tuer des hommes : il fallut encore pour rendre le divertissement plus complet, exposer ces hommes à la fureur des bêtes féroces. Les victimes qu'on immolait de la sorte étaient regardées comme un sacrifice fait à l'honneur des parents défunts. Or un pareil sacrifice est une véritable idolâtrie ; puisque l'idolâtrie est une espèce de culte que l'on rend aux morts : ces honneurs funèbres, et l'idolâtrie se rapportent également aux défunts. Mais dans les tombeaux, et dans les statues des morts il ne demeure autre chose que des démons : on honore par conséquent les démons par ces pratiques. Considérons présentement les titres du jeu des Gladiateurs, dont nous venons de montrer l'origine. Quoique cette sorte de spectacle ait passé de l'honneur des morts à l'honneur des vivants, je veux dire, à celui des questeurs, des magistrats, des pontifes et des prêtres, il faut avouer, que si ces dignités ont du rapport à l'idolâtrie, comme elles y en ont effectivement, tout ce qui se pratique au nom de ces dignités, doit être souillé et corrompu, puisque la source en est gâtée. Nous devons dire la même chose de l'appareil qui accompagne ces jeux. La pourpre, les écharpes, les bandelettes, les couronnes, les harangues, les discours, les festins, qu'on fait la veille, tout cela n'est que la pompe du diable. Que devons-nous donc juger de ce lieu horrible, plus exécrable que les parjures mêmes dont il retentit ? Car l'amphithéâtre est consacré à une plus grande multitude de démons, que le Capitole même, qui est le temple de tous les démons. On trouve là autant d'esprits immondes qu'il y a d'acteurs ou de spectateurs. Enfin Mars et Diane président aux deux exercices de l'amphithéâtre ; c'est-à-dire aux combats et à la chasse. Je crois avoir montré en combien de façons l'idolâtrie a souillé les spectacles. J'ai fait voir, que l'origine, que l'appareil, que les titres, que les lieux, que les représentations en sont idolâtres. D'où il est manifeste, qu'après avoir renoncé à l'idolâtrie, il ne nous est nullement permis d'assister à ce qui est inséparable de l'idolâtrie. Non que les idoles soient quelque chose, comme parle l'Apôtre ; mais c'est que les sacrifices qu'on offre aux idoles sont offerts aux démons qui habitent dans ces idoles ; soit qu'elles représentent les morts, ou ce qu'on appelle des Dieux. Or comme ces deux espèces d'idoles sont d'une même nature, d'autant que les morts et les dieux sont même chimère, nous nous abstenons également de l'une et de l'autre idolâtrie. Ainsi nous ne détestons pas moins les temples des dieux, que les sépulcres des morts : nous n'approchons point des autels de ceux-là ; nous n'adorons point les images de ceux-ci : nous ne faisons ni des sacrifices aux uns, ni des offrandes aux autres : nous ne mangeons ni la chair des victimes immolées aux premiers, ni les viandes offertes sur le tombeau des derniers ; parce que nous ne pouvons participer en même temps à la cène du Seigneur, et à celle des démons. Si nous nous faisons donc un scrupule de souiller notre bouche de ces viandes profanes, à combien plus forte raison ne devons-nous pas éloigner de tout spectacle consacré ou aux dieux, ou aux morts, les autres organes de nos sens, qui nous doivent être sans doute plus précieux ; je veux dire, les yeux, et les oreilles ? Car ce qui entre par ces deux organes ne se dissout pas dans l'estomac, mais se digère dans l'âme même. Or il est hors de doute que la pureté de notre âme est beaucoup plus agréable à Dieu, que la netteté de notre corps. Quoique j'aie montré jusqu'ici que l'idolâtrie règne dans toute sorte de jeux (ce qui devrait suffire pour nous les faire haïr) tâchons néanmoins d'appuyer encore par de nouvelles raisons, le sujet qui est en question ; ne fût-ce que pour répondre à quelques-uns, qui se prévalent de ce qu'il ne paraît point de loi positive, qui nous défende d'assister aux spectacles : comme si ces spectacles n'étaient pas interdits dès qu'on nous interdit toute convoitise du siècle. En effet de même qu'il y a une convoitise des richesses, des honneurs, de la bonne chère, des voluptés charnelles, il y en a aussi une des plaisirs. Or entre les autres espèces de plaisir, on peut compter les spectacles. Les convoitises, dont nous venons de parler, prises en général, renferment en soi les plaisirs ; de même les plaisirs entendus dans une signification générale, s'étendent aux spectacles. Du reste nous avons déjà dit en parlant des lieux, où se donnent les spectacles, que ces lieux ne nous souillent pas par eux-mêmes ; mais par les choses qui s'y passent : parce que ces actions étant infâmes de leur nature, font rejaillir leur infamie sur les spectateurs. Jugez donc encore, mes Frères, s'il est permis de prendre part à un divertissement, où les marques de l'idolâtrie sont tracées partout. Mais comme certains esprits ne se rendraient qu'avec peine à ces vérités, tâchons de les convaincre par d'autres raisons. Dieu nous commande de révérer, et de conserver le S. Esprit en nous par notre tranquillité, notre douceur, notre modération, notre patience ; parce qu'il est de sa nature un esprit tendre, et doux : il nous défend au contraire de l'inquiéter par nos fureurs, par nos emportements, par nos colères, par nos chagrins. Or comment accorder tout cela avec les spectacles, qui troublent, qui agitent si furieusement l'esprit ? Car partout où il y a du plaisir, il y a de la passion, sans quoi le plaisir serait insipide : partout où il y a de la passion, il y a de l'émulation, sans quoi la passion serait désagréable. Or l'émulation amène la fureur, l'emportement, la colère, le chagrin, et cent autres passions semblables, qui sont incompatibles avec les devoirs de notre religion. Je veux même qu'une personne assiste aux spectacles avec la gravité, et la modestie qu'inspire ordinairement une dignité honorable, ou un âge avancé, ou un heureux naturel ; il est néanmoins bien difficile, que l'âme ne ressente alors quelque agitation, quelque passion secrète. On n'assiste point à ces divertissements sans quelque affection ; et on n'éprouve point cette affection, sans en ressentir les effets, qui excitent de nouveau la passion. D'un autre côté, s'il n'y a point d'affection, il n'y a point de plaisir ; et alors on devient coupable d'une triste inutilité, se trouvant là où il n'y a rien à profiter. Or une action vaine et inutile ne convient point, ce me semble, aux Chrétiens. Bien plus, un homme se condamne lui-même, en se rangeant parmi ceux auxquels il ne veut point être semblable ; et dont par conséquent il se déclare ennemi. Pour nous, il ne suffit pas que nous ne fassions point le mal, il faut encore que nous n'ayons aucun commerce avec ceux qui le font. Ecoutons là-dessus le reproche que fait le Prophète : « Si vous aperceviez , dit-il, un voleur, vous couriez avec lui. » Plût à Dieu que nous ne fussions pas même obligés de demeurer dans le monde avec ces gens-là : cependant dans cette fâcheuse nécessité, nous devons en être séparés dans les choses mondaines. Le monde est à la vérité l'ouvrage de Dieu ; mais les choses mondaines sont l'ouvrage du démon. Lorsqu'on nous défend la fureur, on nous interdit donc aussi toute sorte de spectacles, surtout le cirque, où la fureur préside plus particulièrement. Voyez le peuple qui s'achemine tout hors de lui vers le lieu, où le spectacle doit se donner : voyez-le, dis-je, tout agité, tout étourdi, tout troublé, dans l'incertitude où il est qui remportera la victoire. Le Préteur tarde trop à venir… chacun a les yeux continuellement attachés à l'urne : on dirait que les spectateurs s'y remuent avec les sorts…. On attend en suspens la déclaration du Préteur…. Chacun débite ses extravagances. Jugez de leur folie par la vanité de leurs discours : il a déjà, dit-on, envoyé la serviette : chacun dit à son voisin, ce que son voisin a vu lui-même. Témoignage sensible de leur aveuglement : ils aperçoivent mal, ce qu'ils pensent bien apercevoir : ils s'imaginent que c'est une serviette, et c'est l'image du Diable précipité du ciel dans l'enfer. De là on passe aux fureurs, aux animosités, aux discordes, et à tout ce qui est sévèrement interdit aux disciples du Seigneur de la paix. De là tant d'imprécations, tant d'injures sans nulle équité, tant de suffrages sans égard à aucun mérite. Et quel profit peuvent espérer pour eux-mêmes des spectateurs qui ne sont pas à eux-mêmes ? Ils s'attristent du malheur d'autrui ; ils se réjouissent du bonheur d'autrui : tout ce qu'ils désirent, tout ce qu'ils maudissent ne les regarde point. Ainsi leur affection est vaine et leur haine est injuste. A la vérité, il est peut-être plus permis d'aimer sans sujet, que de haïr injustement : du moins Dieu nous défend de haïr même avec raison ; puisqu'il nous commande d'aimer nos ennemis. Il nous défend de maudire personne, même avec quelque sujet ; puisqu'il nous ordonne de bénir ceux qui nous maudissent. Cependant, quoi de plus furieux que le cirque, où l'on n'épargne ni sénateurs, ni citoyens. Si quelqu'un de ces emportements qu'on y remarque, est quelque part permis aux chrétiens, il leur est aussi permis dans le cirque ; mais s'il leur est défendu partout, il l'est aussi en cet endroit. De même on nous commande de renoncer à toute sorte d'impureté : on nous ferme donc le théâtre, qui est à proprement parler, le consistoire privé de l'impudence, où l'on n'approuve que ce qui est désapprouvé partout ailleurs. Aussi le plus grand charme du théâtre consiste d'ordinaire dans le spectacle des plus grandes infamies. Ce sont ces infamies que représente, ou un Toscan par ses gestes impudiques, ou un comédien à l'aide des habits de femmes, ou un pantomime par les indécences abominables, à quoi il a accoutumé son corps dès son enfance, afin d'en donner aux autres des leçons. Bien plus, ces misérables victimes de l'impudicité, qui ont prostitué leur corps au public, ne paraissent-elles pas aussi sur le théâtre, d'autant plus misérables, que ne découvrant ailleurs leur turpidité qu'aux hommes, ici elles la font paraître aux yeux des autres femmes, à qui elles avaient eu soin de se cacher jusqu'alors. On les expose à la vue de tout le monde ; à gens de tout âge, de toute dignité. De plus un crieur public annonce ces courtisanes à ceux qui ne les connaissent déjà que trop. Voilà, dit-il, la loge d'une telle : il faut donner tout pour la voir : elle a telle et telle qualité…. Mais passons sous silence des infamies, qui devraient être ensevelies sous les plus épaisses ténèbres, afin que le jour même n'en fût pas souillé. Cependant vous sénateurs, vous magistrats, vous citoyens Romains, rougissez de honte, et de confusion ! Du moins ces malheureuses, qui ont étouffé en elles toute pudeur, craignent-elles en certain jour de montrer au peuple les indécences de leurs gestes : du moins rougissent-elles une fois l'an ? Au reste, si nous devons avoir en exécration toute sorte d'impureté, pourquoi nous sera-t-il permis d'entendre ce qu'on ne saurait dire sans crime ? sachant d'ailleurs que Dieu condamne toute plaisanterie ; et toute parole inutile. Pourquoi nous sera-t-il permis de regarder ce qui nous est défendu de faire ? Pourquoi les mêmes choses qui souillent l'homme par la langue, ne le souilleraient-elles point par les yeux, et par les oreilles : les oreilles, et les yeux étant comme les avenues de nôtre âme ? Il est difficile que le cœur soit bien net, lorsque l'entrée en est corrompue. Voilà donc le théâtre interdit, dès là que l'impureté est condamnée. Si vous dites que les actions théâtrales ont été inventées pour apprendre la politesse, et la science du monde ; je réponds, que nous devons mépriser cette science mondaine, puisqu'elle est une folie devant Dieu ; et par conséquent que nous devons détester ces deux espèces de spectacles ; je veux dire la comédie, et la tragédie, où sont employés tous les attraits de cette maudite doctrine. La comédie est, pour ainsi parler, l'école de l'impureté : La tragédie n'apprend que cruauté, qu'impiété, que barbarie. Soyez donc persuadés que le récit inutile et dangereux d'une action honteuse, ou cruelle, n'est pas excusable, non plus que l'action même. Vous ajoutez, qu'il est fait mention du Stade dans l'Ecriture sainte. Je l'avoue ; mais vous devez avouer aussi, qu'il est indigne de regarder ce qui se passe dans le stade ; savoir les coups de poing, les coups de pied, les soufflets, et toutes les autres insolences qui défigurent le visage de l'homme qui est l'image de Dieu. Vous ne sauriez avec quelque religion approuver ces courses insensées, ces furieux élancements, qui accompagnent le jeu du disque, et tant d'autres mouvements, plus extravagants les uns que les autres. Vous ne sauriez, sans injustice, faire l'éloge de ces forces corporelles, qui ne servent qu'à la vanité de celui qui les exerce, ou à l'outrage de celui contre qui il les emploie : moins encore pourriez-vous estimer cette science, que l'oisiveté des Grecs nous a apprise ; de se faire un corps tout neuf, comme pour réformer celui que Dieu nous a fait. Non, non : des hommes engraissés pour un si malheureux emploi, ne peuvent mériter que notre exécration. Enfin la lutte est une invention du diable. Il la commença, lorsque par son habileté il renversa nos premiers parents. Le mouvement des lutteurs n'est qu'une souplesse semblable à celle du serpent infernal. On accroche pour arrêter un adversaire ; on se plie pour l'entortiller ; on glisse pour lui échapper. Vous combattez, direz-vous, pour avoir le plaisir d'être couronné : de telles couronnes sont-elles d'aucun usage aux chrétiens ? Faut-il que nous examinions maintenant, si l'amphithéâtre est condamné dans les saintes Ecritures ? Si nous pouvons démontrer, que la cruauté, que la férocité, que la barbarie nous est permise ; à la bonne heure, allons à l'amphithéâtre. Si nous sommes tels, qu'on nous suppose, prenons plaisir à nous repaître du sang humain. Il est bon, direz-vous, que les scélérats soient punis. Qui peut le nier, sinon les scélérats eux-mêmes ? J'en conviens donc ; mais convenez aussi qu'un homme de bien ne peut licitement se complaire dans le supplice d'un méchant homme : puisqu'il doit plutôt s'attrister de ce qu'un homme semblable à lui, a eu le malheur de devenir assez coupable, pour mériter d'être si rigoureusement puni. D'ailleurs peut-on me répondre, qu'on n'expose aux bêtes féroces, ou qu'on ne punisse ordinairement que les seuls coupables ? Les innocents ne sont-ils jamais sacrifiés, ou par la malice du juge, ou par la négligence de l'avocat, ou par l'irrégularité de l'information ? Ah ! qu'il vaudrait bien mieux ignorer, quand les méchants sont punis, et ne savoir pas que des gens de bien périssent ; si toutefois ils peuvent tous être appelés gens de bien. Certainement il y a des gladiateurs innocents, qui paraissent dans l'amphithéâtre, pour devenir les hosties du plaisir public. Il y en a d'autres qui y sont conduits comme coupables ; mais comment ? En punition d'un vol léger. Par exemple, on leur fait apprendre à devenir homicides. Au reste, je n'ai fait jusqu'ici tout ce détail, que comme pour répondre à des païens : car à Dieu ne plaise, qu'un chrétien veuille en savoir beaucoup pour renoncer aux spectacles. Personne ne peut mieux exposer ce qui se passe à l'amphithéâtre, que ceux qui y sont encore spectateurs. Pour moi j'aime mieux ne pas tout dire, que d'en rappeler le souvenir. N'est-ce donc pas une excuse frivole, et pitoyable, que le raisonnement de ceux, qui veulent par des faux-fuyants, se persuader, que ces plaisirs ne leur sont pas défendus ? Il n'y a, disent-ils, aucun endroit formel dans les Ecritures, qui condamne les spectacles : un chrétien ne peut-il donc pas y assister ? Voici encore l'argument d'un homme que j'entendais dernièrement subtiliser de la sorte. Le soleil, disait-il ; bien plus, Dieu lui-même, ne regarde-t-il pas du haut du ciel la comédie, le combat des gladiateurs, et les autres jeux, sans en recevoir aucune souillure ? Cela est vrai : je sais que le soleil jette ses rayons sur un cloaque, sans qu'il en devienne moins pur. Si Dieu ne regardait pas nos crimes, et nos infamies, peut-être qu'alors nous éviterions la rigueur de ses jugements. Mais hélas ! il les voit, et ne peut pas ne pas voir nos brigandages, nos fourberies, nos adultères, nos injustices, nos idolâtries, et nos spectacles ; et c'est pour cela que nous ne devons pas y assister, afin que nous ne soyons point aperçus par celui qui aperçoit tout. Homme téméraire ! vous osez comparer le coupable avec son juge ? L'un est coupable, parce qu'il a découvert ; et l'autre est juge, parce qu'il n'y a rien qu'il ne découvre. Ne sera-t-il donc pas aussi permis, selon vous, de s'abandonner à la fureur hors du cirque, à l'impudicité hors du théâtre, à l'insolence hors du stade, ou à la cruauté hors de l'amphithéâtre ; puisque Dieu voit tout, hors des loges, hors des degrés, hors des portiques ? Nous nous trompons : ce que Dieu condamne, n'est jamais permis ; ce qu'il défend, est toujours et par tout illicite. Voilà en quoi consiste la vérité et l'intégrité de la morale chrétienne ; l'exactitude de la crainte, et la fidélité de l'obéissance, que nous devons à Dieu ; c'est à ne jamais altérer ses redoutables commandements, et à ne pas prétendre affaiblir ses jugements éternels. Ce qui est bon en soi, ne saurait jamais être mauvais ; et ce qui est mauvais en soi, ne saurait jamais être bon. Tout est fixé, et déterminée par la vérité éternelle, qui est invariable. Les Païens, qui n'ont point cette plénitude de la vérité, parce qu'ils ne veulent pas connaître celui qui est le docteur de la vérité ; les Païens, dis-je, jugent du bien et du mal selon leur caprice. Ce qui leur paraît bon aujourd'hui, leur paraît mauvais demain : ce qu'ils regardent ici comme illicite, là ils le regardent comme permis. Qu'arrive-t-il de là ? Le voici. Celui qui ferait scrupule de lever un peu trop sa robe dans une rue pour un besoin, devient si impudique dans le cirque, qu'il expose avec effronterie à la face de tout le monde, les parties de son corps qu'il devrait cacher le plus. Celui qui n'oserait proférer la moindre parole déshonnête en présence de sa fille, la conduit lui-même à la comédie pour lui faire entendre mille discours impurs, et lui faire voir mille postures indécentes. Celui qui se fait un devoir de réprimer l'insolence d'un querelleur, approuve les meurtrissures sanglantes que se font les athlètes dans le stade. Celui qui se trouve saisi d'horreur en voyant le cadavre d'un homme mort d'une mort naturelle, se fait un plaisir dans l'amphithéâtre de repaître ses yeux de la vue d'un corps, dont les membres tout déchirés, et mis en pièces, nagent encore dans le sang qu'il a répandu. Bien plus, celui que sa charge conduit à l'amphithéâtre pour faire punir un homicide, pousse lui-même un misérable esclave à la boucherie à coups de verges, et de bâton. Celui qui veut qu'on expose chaque assassin à un lion furieux, demande qu'on donne à un barbare gladiateur la liberté pour récompense, s'il sort victorieux du combat ; mais s'il vient à y perdre la vie, le voilà regretté avec des démonstrations de compassion et de tendresse par celui même qui l'a fait exposer à la mort, et qui reconnaît de près avec satisfaction ce malheureux, auquel il a voulu de loin ôter la vie ; en cela d'autant plus cruel, qu'il devait être auparavant plus humain. Faut-il être surpris de l'inconstance de ces hommes aveugles, qui ne jugent du bien, ou du mal, que selon leur bizarre imagination ? En voici une nouvelle preuve. Les magistrats eux-mêmes, et les administrateurs des jeux, privent de toute charge honorable les cavaliers du cirque, les athlètes, les comédiens, les gladiateurs (c'est-à-dire ces galants hommes, à qui certaines dames ont la bassesse de sacrifier leur cœur, et souvent même leur corps, en commettant avec eux des infamies, qu'elles se piquent de condamner en public.) On condamne donc authentiquement cette espèce de gens à la dernière ignominie, en les excluant absolument de la cour, du barreau, du sénat, de l'ordre des chevaliers, enfin de toute sorte de dignités. Cependant en les déclarant infâmes, ces magistrats honorent de leur présence les jeux de ces misérables : Quelle bizarrerie ! Ils aiment ceux qu'ils punissent ; ils méprisent ceux qu'ils approuvent ; ils louent l'ouvrage, et notent d'infamie l'ouvrier. Quelle étrange sorte de jugement, que de condamner un homme pour les mêmes choses, pour lesquelles on l'estime ! Disons mieux : quel aveu tacite de la méchanceté d'une action, quand ceux qui la font sont néanmoins diffamés ; quelque réjouissants qu'ils deviennent en la faisant. Puisque la justice humaine condamne donc ces malheureux, malgré le plaisir qu'ils donnent à leurs juges ; puisqu'elle les exclut de toute dignité, et les confine souvent en des lieux horribles et déserts : combien plus rigoureuse sera contre eux la justice divine ? Pensez-vous que Dieu puisse approuver ce cocher du cirque, qui trouble tant d'âmes, qui excite tant de mouvements furieux, qui tourmente tant de spectateurs ? Le croyez-vous fort agréable au ciel, lorsque couronné de fleurs comme un prêtre des gentils, ou couvert d'un vêtement aussi bigarré que celui d'un maître d'impudicité, il paraît élevé sur un char ? Ne dirait-on pas que le diable veut avoir des Elie enlevés vers le ciel, comme Dieu en a ? Croyez-vous de même que Dieu chérisse le comédien, qui se fait raser si soigneusement la barbe ; défigurant par cette infidélité le visage qui lui a été donné ? Non content même de rendre ainsi sa face semblable à celle de Saturne, de Bacchus, et d'Isis, il reçoit sur la joue tant de soufflets, qu'il semble vouloir insulter au précepte de nôtre Seigneur. Comment ? c'est que le diable l'instruit à présenter la joue gauche, lorsqu'on l'a frappé sur l'autre. De même parce que nul ne peut ajouter une coudée à sa taille, ce rival de Dieu apprend aux acteurs de la tragédie à s'élever sur leurs cothurnes : veut-il démentir Jésus-Christ ? Pensez-vous encore, que l'usage des masques soit approuvé de Dieu ? Je vous le demande. S'il défend toute sorte de simulacres, combien plus défendra-t-il, qu'on défigure son image ? Non, non : l'auteur de la vérité ne saurait approuver rien de faux. Il regarde comme une espèce d'adultère tout ce qu'on réforme dans son ouvrage. S'il condamne toute sorte d'hypocrisie, fera-t-il grâce à un comédien, qui contrefait sa voix, son âge, son sexe ; qui fait semblant d'être amoureux, ou d'être en colère ; qui répand de fausses larmes, et pousse de faux soupirs. Enfin si ce divin maître s'explique ainsi dans la loi : maudit celui qui s'habillera en femme ; quel jugement croyez-vous qu'il porte contre un pantomime, qui prend non seulement les habits, mais encore la voix, le geste, et la mollesse des femmes ? Peut-être que cet ouvrier habile dans la science des coups de poing, demeurera aussi sans punition ? En effet, n'a-t-il pas reçu du créateur un corps formé exprès pour l'exposer aux gourmades, et aux meurtrissures du ceste ? N'a-t-il pas reçu des oreilles pour se les faire enfler à force de coups ? N'a-t-il pas reçu des yeux pour se les faire crever à force d'insultes ? Je ne dis rien de celui qui pousse un autre au-devant d'un lion ; afin de paraître moins homicide, que la bête féroce qui le met en pièces. Faut-il d'autres preuves pour convaincre les véritables serviteurs de Dieu, qu'ils doivent détester tout ce qui appartient aux spectacles ; puisque tout cela déplaît à leur divin maître ? S'il est vrai, comme je l'ai fait voir, que les spectacles ont été institués pour honorer le démon ; si l'appareil en est composé des ouvrages du démon (car ce qui ne vient pas de Dieu est l'ouvrage du diable) il s'ensuit manifestement que c'est là la pompe de Satan, à laquelle nous avons renoncé dans notre baptême. Or ce que nous avons anathématisé alors, nous ne pouvons plus le rechercher ni par nos actions, ni par nos paroles, ni par nos regards, ni par nos désirs. D'ailleurs rompre notre promesse, n'est-ce pas rompre notre baptême ? Il faut cependant pour une plus ample conviction que nous interrogions les Païens eux-mêmes. Demandons-leur, s'il est permis aux chrétiens d'assister aux spectacles, que répondront-ils ? Infailliblement, disent-ils, cet homme est devenu chrétien : il a renoncé aux spectacles ; il n'y paraît plus. Vous voyez par là que celui qui ôte cette marque distinctive, fait connaître qu'il n'est plus chrétien. Quelle espérance reste-t-il donc à ce malheureux ? Un soldat ne passe chez les ennemis qu'en abandonnant ses premières armes, qu'en quittant l'étendard de son prince, qu'en violant sa foi, qu'en faisant serment de périr avec ceux à qui il se livre. Y a-t-il apparence qu'un chrétien déserteur pense sérieusement à Dieu en un temps, et en un endroit où rien ne lui rappelle le souvenir de Dieu ? Est-il croyable qu'on puisse conserver la paix de l'âme, tandis qu'on s'acharne à soutenir le parti d'un gladiateur ? Est-il facile d'apprendre les règles de la pudeur, pendant qu'on tient les yeux attachés aux infâmes postures d'un comédien ? Ce n'est pas tout : peut-on trouver un plus horrible scandale dans toute sorte de spectacles, que ces parures extraordinaires qui y brillent, et les hommes assis pêle-mêle avec les femmes ? Monstrueux mélange, qui donnant aux uns et aux autres occasion de s'entretenir, fait que ces entretiens mutuels soufflent partout les étincelles de la concupiscence. Ajoutez que la première pensée que l'on a en se rendant aux spectacles, c'est d'y voir, et d'y être vu. D'ailleurs est-il aisé parmi les effroyables hurlements d'un acteur, de penser aux salutaires exclamations d'un prophète ? Est-il aisé de joindre le chant de quelque psaume aux airs efféminés de quelque opéra ? Lorsqu'on regarde deux athlètes se meurtrir à grands coups de poing, est-il facile de se rappeler dans l'esprit la défense qui nous est faite, de frapper celui qui nous a frappés ? Enfin peut-on apprendre la douceur et l'humanité, tandis qu'on se divertit à voir des hommes cruellement déchirés par des ours, ou deux gladiateurs s'accrochant l'un l'autre, et essuyant avec leurs éponges le sang qu'ils se font répandre ? Grand Dieu, ôtez à vos serviteurs le désir de prendre des divertissements si funestes. Car enfin, mes Frères, considérez ce que c'est que de passer de l'église de Dieu au temple du diable ; d'un lieu sacré à un lieu profane ; de l'éclat du ciel, comme l'on dit, à l'ordure de la terre. Ces mains que vous avez élevées vers le Seigneur, vous les fatiguez un moment après, pour applaudir à un bouffon : de la même bouche donc vous avez répondu amen pendant le sacrifice, vous rendez témoignage à un gladiateur dans l'amphithéâtre ; enfin vous osez dire à tout autre qu'à Jésus-Christ notre Dieu : qu'il vive à jamais. Ne soyons point surpris après cela que le démon s'empare de ces chrétiens infidèles. Dieu l'a permis plus d'une fois : témoin l'exemple tragique de cette femme, qui étant allée à la comédie, en revint avec un démon dans le corps. Comme l'on exorcisait l'esprit immonde, et qu'on lui commandait de répondre, pourquoi il avait osé s'emparer de cette femme ? C'est avec raison, dit-il, que je m'en suis saisi : je l'ai trouvée chez moi. Il est constant aussi qu'une autre femme vit en songe un singe, le même jour qu'elle était allée entendre un comédien ; et que le nom de ce comédien lui fut souvent répété aux oreilles avec des reproches épouvantables : enfin que cinq jours après cette femme n'était plus en vie. Il y a cent exemples semblables de personnes qui ont perdu le Seigneur pour avoir communiqué avec le démon dans les spectacles. Car « nul ne peut servir deux maîtres ». Quel rapport peut-il y avoir entre la lumière et les ténèbres, entre la vie et la mort ? Nous devons anathématiser ces assemblées païennes ; soit parce que le nom de Dieu y est blasphémé ; soit parce qu'on y demande que nous soyons exposés aux lions ; soit parce qu'on y forme le dessein de nous persécuter ; soit parce qu'on y choisit les émissaires qui vont découvrir les chrétiens pour les tourmenter. Que ferez-vous lorsque vous serez surpris dans ce concert furieux de résolutions impies ? Ce n'est pas que vous ayez à y redouter la persécution des hommes : personne ne vous reconnaît pour chrétien, tandis que vous assistez aux spectacles. Mais songez à ce que Dieu détermine de vous dans le ciel : c'est de là que vous êtes découvert par mille témoins. Au moment que vous êtes dans le temple du diable, les anges vous regardent du ciel ; et ils remarquent en particulier celui qui a proféré un blasphème, qui l'a écouté, qui a prêté sa langue, et ses oreilles au diable contre Dieu même. Ne fuirez-vous donc pas ces assemblées révoltées contre Jésus-Christ, ces chaires remplies de corruption, cet air qu'on y respire tout empesté par la voix de mille scélérats, qui y jettent des cris ? Je veux que dans ces spectacles il y ait des choses purement agréables, simples, modestes, quelquefois même honnêtes : faites réflexion cependant qu'on ne mêle pas d'ordinaire le poison avec le fiel, ou avec l'hellébore ; mais avec des liqueurs douces et agréables au goût. C'est ainsi qu'en use le démon : il cache son poison mortel en des viandes où il paraît le plus de délicatesse et d'agrément. Par conséquent tout ce que vous trouvez dans les spectacles de grand, de poli, de mélodieux, de divertissant, de subtil, d'harmonieux, regardez-le comme un rayon de miel qu'on a empoisonné. Ayez moins d'égard au plaisir de la bouche, qu'au danger, qui est infailliblement attaché à ce plaisir. Laissez aux parasites du démon la vaine satisfaction de s'engraisser des mets qu'il leur offre : qu'ils se rendent exactement aux lieux des spectacles, où leur patron les invite. Pour nous le temps de fête, et de réjouissance n'est point encore venu. Nous ne pouvons nous divertir avec les gentils, parce que les gentils ne peuvent se divertir avec nous. Chacun à son tour : ils sont maintenant dans la joie ; nous sommes dans la tristesse. « Le monde se réjouira, dit Jésus à ses disciples ; et vous serez affligez. » Gémissons pendant que les gentils se réjouissent ; afin que nous puissions nous réjouir, quand ils commenceront leurs gémissements. Prenons garde à ne pas nous divertir aujourd'hui avec eux, de crainte qu'un jour nous ne pleurions comme eux. Disciple de Jésus-Christ vous êtes trop délicat, si vous prétendez avoir du plaisir dans le siècle ; ou plutôt vous êtes insensé, si vous regardez la joie de ce monde comme un véritable plaisir. Les philosophes n'ont donné le nom de plaisir, ou de volupté, qu'au repos, et à la tranquillité de l'âme : c'est cette tranquillité qu'ils regardent comme le fondement de leur joie, de leurs divertissements, et de leur gloire. Et vous au contraire, vous ne soupirez qu'après les troubles et les agitations du cirque, du théâtre, de l'amphithéâtre, et du stade. Oserez-vous dire que nous ne pouvons vivre sans quelque plaisir, nous dont le plus grand plaisir doit être de cesser de vivre ? Car quel doit être notre désir, sinon celui de l'Apôtre ; Savoir, de sortir du monde, et d'aller régner avec le Seigneur ? Or notre plaisir est là où est notre désir. Cependant si vous croyez qu'on ne peut passer cette vie sans quelque agrément, pourquoi êtiez-vous assez ingrat pour ne vouloir reconnaître, ni goûter tant de différents plaisirs que Dieu a faits, et qui sont plus que suffisants pour vous satisfaire ? Quoi de plus heureux pour nous, que d'avoir été réconciliés avec Dieu le père, et avec Jésus son fils ? Quoi de plus avantageux que d'avoir connu la vérité, que d'avoir découvert nos erreurs, que d'avoir obtenu le pardon de tant de crimes commis autrefois ? Quel plus grand plaisir, que l'éloignement du plaisir même ; que le mépris du siècle ; que la jouissance de la vraie liberté ; que le calme d'une bonne confiance ; que la sainteté de la vie, et l'exemption de la crainte de la mort ? Quelle satisfaction que de fouler aux pieds les dieux des nations, que de chasser les démons, que d'avoir le don des guérisons miraculeuses, et des révélations célestes ; enfin que de vivre toujours pour Dieu ? Voilà les véritables plaisirs des chrétiens : voilà leurs spectacles innocents, perpétuels, et qui ne leur coûtent rien. Représentez-vous dans ces saints spectacles une image des jeux du cirque ; considérez-y la course rapide de toutes les choses du siècle ; remarquez-y la vicissitude, et la fuite précipitée du temps ; regardez-y le terme de notre consommation ; prenez-y le parti des sociétés chrétiennes : animez-vous-y à la vue de l'étendard céleste ; éveillez-vous au bruit de la trompette de l'ange ; aspirez à la glorieuse palme du martyre. Si vous êtes charmé de la poésie, vous avez assez d'autres livres que ceux des gentils : vous avez assez de beaux vers, assez de belles sentences, assez de cantiques, assez de chœurs de musique. Ce ne sont point des fables grossières ; ce sont de saintes vérités : ce n'est point un ramas de strophes ampoulées ; c'est un trésor de sentences pures, et sans affectation. Demandez-vous des combats, des luttes, des victoires ? Le christianisme vous en offre une infinité. Voyez l'impureté abattue par la chasteté, la perfidie vaincue par la foi, la cruauté surmontée par la miséricorde, l'insolence atterrée par la modestie : voilà les combats propres des chrétiens, où nous sommes glorieusement couronnés. Voulez-vous encore du sang répandu ? Vous avez celui de Jésus-Christ. Mais surtout quel spectacle plus éclatant que celui, où toutes les nations de la terre assemblées verront, et plus tôt qu'on ne pense, paraître le Seigneur au milieu des nues ; alors triomphant, alors plein de gloire, et de majesté, alors enfin reconnu pour le véritable fils de Dieu. Quelle sera en ce jour la joie des anges, la gloire des saints, la récompense des justes, et la magnificence de cette nouvelle Jérusalem, où ils iront régner éternellement ? Il est vrai qu'il y aura en même temps un spectacle bien différent ; je veux dire le terrible jour du jugement, le dernier de tous les jours, et le premier de l'éternité : ce jour auquel les gentils ne s'attendent point, et dont ils se moquent : ce jour où tant de superbes et antiques monuments de l'orgueil humain seront anéantis, et toute la terre avec ses habitants sera consumée par un déluge de feu. Quelle sera l'étendue de ce spectacle ! Quel étonnement, quelle surprise ! Ou si vous voulez, quel objet de joie et de plaisir, en voyant tant de célèbres monarques, que l'on disait régner dans le ciel, pousser d'affreux gémissements au milieu des profondes ténèbres de l'enfer avec leur dieu Jupiter, et avec la foule de leurs favoris ? Quel transport subit en voyant tant de gouverneurs, tant de magistrats, tant de persécuteurs du nom chrétien, brûler en des flammes plus insupportables que celles où ils ont jeté autrefois les martyrs ; pendant que ceux-ci les insulteront à leur tour dans cet éternel et rigoureux supplice. Ajoutez tant d'orgueilleux philosophes, qui se glorifiaient du nom de sages, maintenant tout couverts de feu en présence de leurs infortunés disciples, à qui ces maîtres insensés tâchaient de persuader, qu'il n'y avait point de providence ; que nos âmes n'étaient rien, ou que jamais elles ne se réuniraient à nos corps. Ajoutez enfin tant de poètes tremblants de frayeur, non à la vue d'un Minos, ou d'un Rhadamante ; mais devant le tribunal de Jésus-Christ, auquel ils n'auront jamais voulu penser. C'est alors que les acteurs de la tragédie pousseront dans l'excès de leur malheur, des cris plus lamentables et plus éclatants que ceux dont ils faisaient retentir autrefois le théâtre. C'est alors que les bouffons se feront mieux connaître ; étant devenus plus subtils par les flammes dont-ils seront couverts. C'est alors que les superbes cochers du cirque frapperont davantage notre vue, élevés sur un char de feu, et tout environnés de feu eux-mêmes. C'est alors qu'on verra tant de gladiateurs percés, non de traits de javelot, comme autrefois dans leurs académies, mais de mille traits de flamme, qui les pénétreront de toutes parts. Il est vrai que j'attacherai moins ma vue à ces misérables, qu'à ces monstres d'inhumanité, qui exercèrent autrefois leur cruelle rage contre le Seigneur. Le voilà, leur dirai-je alors, ce fils d'un charpentier, et d'une mère pauvre ; ce destructeur du sabbat, ce samaritain, ce possédé du démon. Le voilà celui que vous achetâtes du traître Judas ; celui que vous meurtrîtes à force de soufflets, et de coups ; celui que vous défigurâtes par mille crachats ; celui que vous abreuvâtes de fiel, et de vinaigre : voilà celui qui fut secrètement enlevé par ses disciples, pour faire accroire qu'il était ressuscité ; ou qui fut déterré par un jardinier ; afin d'empêcher que les laitues de son jardin ne fussent foulées aux pieds de ceux qui passaient par là. Pour voir de si grands spectacles, pour vous procurer de si magnifiques divertissements, que peut faire la libéralité d'un préteur, d'un consul, d'un questeur, d'un pontife ? Vous me direz peut-être que ces spectacles sont encore éloignés de nous ? Non, mes Frères, la foi nous les rend déjà présents ; et nous pouvons les imaginer, comme s'ils se passaient actuellement à nos yeux. Du reste, quels doivent être ces doux avantages que l'œil n'a point vus, et que l'oreille n'a point entendus, et que l'esprit humain n'a jamais pu comprendre ? Ne doutons point qu'ils ne surpassent infiniment tous les plaisirs du cirque, du théâtre, de l'amphithéâtre, du stade, et de tous les autres lieux, que la vanité a consacrés aux spectacles. **** *book_tertullien-trad-caubere_traite-spectacles_1733 *id_body-4 *date_1733 *creator_tertullien REMARQUES SUR LE TRAITÉ CONTRE LES SPECTACLES. Un chrétien, c'est-à-dire un homme qui doit se tenir toujours prêt à mourir, etc. « Christianum expeditum mortis genus, etc. » Tertullien fait apparemment allusion au triste état où se trouvaient les chrétiens dans le temps des persécutions : on les regardait comme des victimes dévouées à la mort. Ceux qui savent combien Tertullien est obscur, me pardonneront la liberté que j'ai prise de paraphraser un peu cet endroit, pour le rendre plus clair. Je n'ai pas entièrement suivi ce que dit Pamélius dans l'argument de ce livre ; parce qu'il n'est pas vraisemblable que les gentils proposassent jamais à un chrétien la comédie, ou les autres spectacles ; comme un moyen propre pour s'instruire à braver la mort. Notre âme n'a point été unie à notre corps pour être, etc. L'Auteur s'exprime ainsi en latin ; « aut spiritus ideo insitus corpori, ut, etc. » Outre que le terme entée insitus ne paraît pas assez noble, et que celui d'unie est plus propre, j'ai cru que je devais faire parler Tertullien en bon catholique. On sait que quelques Pères l'ont accusé de croire que les âmes n'étaient pas créées de nouveau, mais qu'elles venaient par voie de génération : ex traduce. Dans les amphithéâtres il y a des voies. Pour bien entendre ce que dit ici Tertullien, il faudrait savoir quelle était la figure des anciens amphithéâtres. Vitruve, Juste-Lipse, Rosin, et d'autres en ont fait de longues descriptions. La forme en était ronde, et plus ordinairement ovale. Le fond qu'on appelait aussi arène, était une grande place où combattaient les gladiateurs. Cette place était entourée d'une galerie ou plate-forme, qu'on nommait l'orchestre ; c'est là qu'étaient assis les sénateurs, et les autres principaux magistrats. Au-dessus de l'orchestre régnaient également tout autour plusieurs galeries, qui s'élevaient les unes sur les autres, comme un amas continu d'étages. Ces étages étaient coupés en quelques endroits par des escaliers pour la commodité du passage des spectateurs ; et comme ces escaliers tendaient droit au centre de l'amphithéâtre, ils donnaient une forme de coin à ce grand amas d'étages dont nous venons de parler, et que les anciens appelaient cunei spectaculorum. Ce que notre auteur nomme donc voies, étaient les escaliers différents, et ces larges espaces qui régnaient tout autour au pied d'un certain nombre de degrés. Vitruve les appelle aussi chemins itinera. Les jeux luperciens. Une jeunesse folle célébrait ces jeux vers la fin du mois de Février à l'honneur du dieu Pan ; en courant par la ville d'une manière immodeste, et insolente. Les folies du carnaval parmi les chrétiens ont malheureusement succédé aux fêtes lupercales des païens. Quel affront à la sainteté de notre religion ! Il reste… près des premières limites. Ces limites étaient certains poteaux semblables à de petites pyramides. Il y en avait de deux sortes dans le cirque ; les premières, qu'on appelait aussi Murtiènes, étaient tout proche des barrières d'où partaient les gladiateurs, et les cavaliers ; les autres étaient à l'extrémité du cirque. Le 21. du mois d'Août. Suivant Plutarque c'était le 18 jour, auquel arriva le rapt des Sabines. Le Calendrier Romain s'accorde néanmoins avec Tertullien. Ceux qu'on appelle Mégaliens, Apollinaires, etc. Les jeux Mégaliens où l'on représentait des comédies, comme il paraît dans Térence, étaient consacrés à Cybèle, que les poètes nomment la grand-mère des dieux, et en grec Μεγάλη. Les Apollinaires dédiés à Apollon se célébraient dans le cirque ; de même que les Céreaux, consacrés à Cérès. Politien prétend que les jeux Céreaux, et les grands jeux du cirque étaient les mêmes. Rosin, Boulanger, et Lacerda prétendent le contraire. Les Neptunales se célébraient aussi dans le cirque en l'honneur de Neptune. Les Latiares étaient dédiés à Jupiter, et les Floreaux à Flore. Dans ces derniers, on représentait des comédies de la dernière indécence, comme je le dirai plus bas. A quelque chose de plus pompeux. Rien de plus superbe, et de plus magnifique que la pompe du cirque. Ce qu'en dit ici Tertullien ne détruit point ce qu'en rapportent les historiens profanes. Le cirque est principalement consacré au soleil. Il y avait plus d'un cirque à Rome. L'auteur parle ici du plus grand de tous ; lequel avait été bâti par Tarquinius Priscus du coté du Mont Aventin : Il fut ensuite considérablement augmenté par les empereurs Romains. On dit que la longueur de ce cirque était de trois stades et demi ; et que la largeur était moindre d'environ un quart ; ce qui ferait 1981. pieds de roi en longueur, donnant à chaque stade 566. pieds de roi mesure de France ; et environ 1486. en largeur. On ajoute qu'il pouvait contenir cent cinquante mille hommes. Voyez Boulanger, Rosin, etc. Ici l'on voit des figures ovales… là on découvre des dauphins. Mr. Fleuri dans son Histoire Ecclésiastique faisant l'analyse du traité des spectacles de Tertullien, suppose que cet auteur parle de ce qu'il n'avait peut-être jamais vu. « Tertullien, dit-il, montre l'origine de chaque espèce de jeux ; et parlant de ceux du cirque en particulier, il fait entendre qu'il n'était pas à Rome, et peut-être qu'il n'y avait jamais été. » J'ai peine à croire que ceux qui liront avec attention cet endroit de Tertullien, tirent la même conséquence. La description du cirque est trop claire et trop détaillée, pour ne pas l'attribuer à un homme qui écrit ce qu'il voit, ou du moins ce qu'il a vu. Le superbe, et prodigieux obélisque. Il avait, suivant le témoignage de Pline 125. pieds et trois quarts de hauteur, sans y comprendre la base. Il y en avait d'autres moindres ; comme on peut le voir dans Kirker qui a composé un grand ouvrage sur ces hautes colonnes pyramidales, que l'on nommait obélisques. Erichtonius fruit abominable. L'expression latine m'a paru trop forte pour la rendre mot à mot en français : elle aurait certainement choqué les oreilles chastes. Le rouge fut consacré, etc. Il est souvent fait mention de ces quatre couleurs du cirque dans plusieurs auteurs. Le désignateur, et l'auspice. Le désignateur dont Tertullien parle ici, est celui qui avait soin d'assigner à chacun sa place. Il y avait aussi des désignateurs dans les pompes funèbres. L'Auspice est celui qui considérait les entrailles des victimes, pour en tirer des présages. Pompée le Grand, etc. En latin, « Pompeïus magnus solo theatro suo minor ». Pensée forte. Tertullien dit en un autre endroit quelque chose de semblable, en parlant d'Alexandre : « Magnum regem sola sua gloria minorem. » Ayant invité… à cette dédicace. Pline dit que cette seconde dédicace se fit sous le second consulat de Pompée. On y fit combattre les esclaves contre vingt éléphants en l'honneur de Vénus la victorieuse. Si l'on veut savoir quelle était la disposition des anciens théâtres, on peut lire les notes de Perrault sur Vitruve. Dans les tombeaux, et dans les statues des morts. Il ne faut pas s'imaginer que Tertullien condamne ici les devoirs qu'on rend aux défunts suivant la sainte, et constante pratique de l'Eglise ; puisqu'il veut qu'on fasse des prières et des oblations pour eux, ainsi qu'il le déclare ailleurs : de coronat. milit. c. 3. de Monogam : c. 10. et exhort. ad castit. c. 11. Il ne désapprouve ici que les vaines superstitions, dont les funérailles des païens étaient accompagnées, et leurs folles apothéoses. Le préteur est trop lent à venir. Le préteur avait deux emplois dans le cirque ; 1°. de remuer les sorts pour tirer les noms de ceux qui devaient combattre ; 2°. d'envoyer le linge ou la serviette qui servait de signal pour commencer le combat. Il a, dit-on, envoyé la serviette. Cette coutume vient, selon Cassiodore, de ce qu'un jour comme Néron demeurait longtemps à table, et que le peuple demandait avec empressement, que l'on commençât les jeux, cet empereur fit jeter sa serviette par la fenêtre pour signal, qu'on pouvait commencer. D'autres prétendent que cette coutume est plus ancienne ; et que les magistrats eux-mêmes, qui étaient à l'orchestre, faisaient paraître de là quelque espèce de mouchoir pour faire commencer le combat. Martial et Juvenal semblent appuyer ce dernier sentiment. Par l'aide des habits des femmes : per mulieres. Quoique l'auteur s'exprime d'une manière un peu obscure, je crois néanmoins qu'il parle ici contre les comédiens qui s'habillaient en femmes ; car il parle un peu plus bas des femmes, qui paraissaient elles-mêmes sur le théâtre. Elles rougissent une fois l'an. On ne sait pas bien quel était ce jour de modestie, et de pudeur. Le Jésuite Lacerda prétend que l'unique fois, où ces malheureuses prostituées rougissaient, comme parle Tertullien, c'était à la fête de Flore, parce que, dit-il, les jeux Floreaux ne se célébraient qu'une fois l'an, savoir le 28 d'Avril. Cependant Lactance nous donne une idée bien différente de ces jeux : il assure qu'on les célébrait d'une manière tout à fait scandaleuse. Voici ses paroles. « Celebrantur ergo illi ludi florales cum omni lascivia convenientes memoriæ meretricis. Nam præter verborum licentiam, quibus obscœnitas omnis effunditur, exuuntur etiam vestibus populo flagitante meretrices, quæ tunc mimorum funguntur officio ; et in conspectu populi usque ad satietatem impudicorum luminum cum pudendis motibus detinentur. » Voyez aussi comment S. Augustin foudroie ces jeux dans son Epître 202. et ce que Sénèque dans son Epître 47. rapporte de la modestie de Caton ; lequel s'apercevant que sa présence empêchait le peuple de demander le spectacle de ces infâmes nudités, se retira pour ne point troubler la fête. Des hommes qu'on engraisse pour la boucherie. L'auteur dit en latin, altiles homines. C'est une figure prise de la volaille qu'on engraisse exprès pour manger. Si nous sommes tels qu'on nous fait passer. Tertullien fait ici allusion à ce qu'il dit dans un endroit de son apologétique. Les chrétiens étaient accusés d'une cruelle inhumanité ; savoir, d'égorger dans leurs sacrifices un petit enfant, et de se nourrir ensuite de sa chair : « Dicimur sceleratissimi de sacramento infanticidii, et pabulo inde ». On voit assez combien l'accusation était injuste ; et que les gentils comprenaient très mal ce qu'ils entendaient dire du sacrement de l'eucharistie. Hors des loges, hors des portiques. C'est ainsi que j'ai cru pouvoir traduire les deux mots latins, cameras, apulias. Les interprètes ne sont pas tous d'accord sur ce dernier terme : j'ai suivi Pamélius. Celui qui veut qu'on expose un assassin aux lions. C'est endroit est difficile ; peut-être manque-t-il quelque chose dans le latin. Couvert d'un vêtement aussi bigarré, etc. Etrange licence ! non seulement il était permis à certaines femmes de sacrifier leur honneur ; il se trouvait encore des hommes assez impudents pour faire le métier infâme d'exposer en vente, si j'ose parler ainsi, la pudeur de ces malheureuses. Pour être reconnus ils portaient des habits bigarrés de différentes couleurs. Ce comédien qui se fait raser. On voit par ce reproche de Tertullien, que c'était une chose ridicule de son temps, que de se faire faire la barbe ; ce qui n'appartenait qu'à des comédiens, ou à des efféminés. Il n'est peut-être aucune mode, qui ait tant varié que celle de la longue barbe, et des longs cheveux ; même parmi les ecclésiastiques. Pourquoi cela ? Aux airs efféminés de quelque opéra. Comme ce terme est fort connu, et qu'il exprime bien la chose dont parle l'auteur, j'ai cru qu'il me serait permis de rendre ainsi la phrase latine ; « inter effœminationis modos ». Dont vous avez répondu Amen pendant le sacrifice. Il me souvient d'avoir lu que les premiers chrétiens répondaient amen à la fin de ces paroles corpus domini nostri, etc. que le Prêtre dit avant que de donner la communion ; et c'est apparemment à cette coutume que Tertullien fait allusion. Ils répondaient de même amen après les paroles de la consécration ; comme il se pratique encore aujourd'hui chez les Grecs. Pamélius fait tomber ce reproche de Tertullien, non sur les laïques, mais sur certains prêtres qui n'avaient pas honte d'assister aux spectacles. Les paroles latines de notre auteur semblent favoriser ce sentiment : « Ex ore quo Amen in sanctum protuleris, gladiatori testimonium reddere. » Je doute pourtant que les prêtres de ce temps-là fussent assez effrontés pour causer un si énorme scandale. Qu'il vive à jamais. L'auteur s'est exprimé ainsi en grec « εις αιῶνας » ; à quoi répondent ces paroles latines, « in sæcula ». Notre acclamation française signifie la même chose. Comme l'on exorcisait l'esprit immonde. Voilà l'usage des exorcismes bien établi dans l'église dès le commencement du troisième siècle : quoique le protestant Junius tâche d'expliquer autrement ce passage. Tertullien parle encore des exorcismes en plusieurs autres endroits de ses ouvrages. Toutes les nations de la terre verront, et plutôt qu'on ne pense. En latin, « quale autem spectaculum in proximo est adventus Domini jam indubitati, jam superbi, jam triomphantis ». A prendre ces paroles de Tertullien dans le sens qui se présente d'abord, on dirait qu'il regardait comme fort proche le dernier avènement de Jésus-Christ. Entre les pères de l'église quelques-uns semblent avoir cru la même chose. Nous savons que cette opinion ne s'est pas trouvée véritable ; ainsi au lieu de traduire bientôt in proximos j'ai mis plus tôt qu'on ne pense : ce sont presque les propres paroles de l'évangile. Le voilà ce fils de charpentier, et d'une pauvre femme. Saint Jérôme dans son épître à Héliodore a transcrit ce passage presque tout entier. Quoique Lacerda prétende que dans l'un et dans l'autre de ces pères, il faut lire quæstuarii filius, et non pas puæstuariæ, qui signifie quelque chose d'ignominieux ; il me semble néanmoins qu'on peut donner à ce dernier terme la signification que je lui ai donnée. Je ne disconviens pas cependant que la malice, et la haine n'aient pu faire inventer aux Juifs les injures les plus atroces contre la sainte Vierge.