**** *book_voisin_defense-traite_1671.pdf *id_body-1 *date_1671 *creator_voisin FRONTISPICE LA DEFENSE DU TRAITTÉ DE MONSEIGNEUR LE PRINCE DE CONTI, TOUCHANT LA COMEDIE, ET LES SPECTACLES. OU LA REFUTATION D'UN LIVRE INTITULÉ Dissertation sur la condamnation des Théâtres. Par le sieur De Voisin Prestre, Docteur en Théologie, Conseiller du Roi. A Paris, Chez Jean Baptiste Coignard, ruë S. Jacques, à la Bible d'or. M.DC.LXXI. Avec Approbation, et Privilège du Roi. **** *book_voisin_defense-traite_1671.pdf *id_body-2 *date_1671 *creator_voisin A son Altesse Sérénissime Monseigneur Le Prince de Conti. Je présente à Votre Altesse la défense de la Vertu, contre les spectacles du Théâtre. Les partisans de ce divertissement ne se contentent pas de le vouloir faire passer pour un plaisir indifférent, ils prétendent même qu'il est honnête, et digne des Chrétiens. Ils tâchent ainsi d'allier la Comédie avec la Religion ; l'impureté avec les bonnes mœurs ; le dérèglement des passions avec le repos de la conscience ; l'esprit du monde avec l'esprit de dévotion : ou plutôt ils détruisent la Vertu, pour mettre les vains divertissements en sa place. Vous êtes Fils, Monseigneur , d'un Père qui s'opposa fortement pendant sa vie, à cette profanation ; et qui fit connaître à tout le monde, qu'il n'y a que la seule Vertu toute pure qui puisse rendre les actions honnêtes, et dignes du Christianisme. Et comme vous êtes l'héritier de sa piété, aussi bien que de sa grandeur ; c'est à vous, Monseigneur , que la Vertu s'adresse aujourd'hui pour être maintenue dans son rang, et dans ses droits ; n'ayant point de plus puissants moyens pour arrêter l'injustice de ses adversaires, que de leur opposer la Vie de cet illustre Prince, et la Conduite de la vôtre dans l'exacte observation des règles de notre Religion. Votre Altesse en a reçu de si belles instructions, qu'elle est persuadée que l'homme n'a point été créé à l'image et ressemblance de Dieu, pour se plaire à des jeux qui ne servent qu'à effacer ces traits divins, par les mauvaises impressions que l'on y reçoit. Le péché qui a banni l'homme du Paradis vous paraît si détestable, que vous ne pouvez souffrir ce qui en a seulement quelque apparence : Et les représentations des crimes qui portent les spectateurs à les commettre, ne sont point pour vous un sujet de divertissement. En effet la bonté que Jésus-Christ a eue de nous délivrer par son sang, des peines éternelles, mérite bien que nous lui donnions cette marque de notre reconnaissance, de ne pas quitter les saintes assemblées de son Église, pour aller à celles du Théâtre, qui sont les écoles du vice. Et d'ailleurs Votre Altesse, ne doute point que le vœu que nous avons fait au Baptême de renoncer au Démon, à ses pompes, et à ses œuvres, ne nous oblige aussi à renoncer à la Comédie. Continuez donc, Monseigneur , de suivre ces divines Maximes sous la Conduite toute sainte de cette grande Princesse, Madame votre Mère : Aimez la vertu ; fuyez tout ce qui est contraire au nom Chrétien, qui a toujours été si auguste dans la Famille Royale d'où vous tirez votre Naissance : Et vous attirerez ainsi sur Vous les bénédictions que Dieu donne aux Princes qu'il a élus pour son service, et pour sa gloire. Ce sont les souhaits que fait pour Votre Altesse, celui qui est avec un très profond respect, **** *book_voisin_defense-traite_1671.pdf *id_body-3 *date_1671 *creator_voisin Abrégé de la vie de feu Monseigneur le Prince de Conti Je n'ai point entrepris de décrire la Vie de feu Monseigneur le Prince de Conti dans toute l'étendue que mérite un sujet si illustre, et si rare : j'ai considéré cette entreprise au-dessus de mes forces. Mais en donnant au public la défense d'un de ses ouvrages, j'ai cru être obligé de laisser à la postérité un recueil de ses vertus ; et de rendre ce devoir à la mémoire de ce grand Prince, puisque j'ai eu l'honneur d'être à lui durant plus de vingt années, et que je l'ai accompagné dans ses voyages, et dans ses plus grands emplois. Je ne représenterai point la suite des Rois, et des Princes dont il est descendu. Il suffit de dire sur ce point, qu'il était Prince du Sang Royal le plus noble, et le plus illustre qui soit sur la terre. Je ne décrirai point aussi le cours de son enfance, parce que les grandes actions qu'il a faites dans la maturité de son âge, ne me permettent pas de m'arrêter à des choses qui n'en sont que les images : « Lusus puerorum simulacrum est negotii majoris. » Je dirai seulement que la nature en lui ne s'opposait point à la Grâce, de sorte qu'on peut appliquer à son enfance, ce que le Sage dit de la sienne : « Puer eram ingeniosus, et sortitus sum animam bonam. » Ses inclinations naturelles allaient à la vertu : et outre les dons de la Grâce, il avait reçu de la nature une beauté, et une force d'esprit toute extraordinaire : il exprimait ses pensées d'une manière si agréable, si nette, et si propre à persuader, que les personnes les plus habiles ne pouvaient l'entendre sans l'admirer. La douceur de ses mœurs et la ferveur de sa piété ne ravissaient pas moins les cœurs, que la force de son éloquence. Et quel plus grand sujet d'admiration, que de voir un Prince du Sang à l'âge de seize ans savoir la Théologie aussi parfaitement que ceux qui font profession de l'enseigner ? Le cours de sa jeunesse jusqu'à l'âge de vingt-quatre ans fut traversé d'une infinité d'accidents fâcheux, soit par la mort de Monseigneur le Prince son Père, et de Madame la Princesse sa Mère ; soit par le malheur d'un temps plein de troubles, et de désordres si funestes, qu'il mériterait d'être enseveli dans un oubli éternel. Il suffit de savoir que dans un dérèglement si général, ce jeune Prince n'eut pas la force de résister au torrent, et à la violence des tentations qui l'environnaient. « II pécha, comme les Princes ont accoutumé de faire ; mais il fit pénitence, ce que les Princes n'ont pas coutume de faire » : de sorte qu'on peut dire que cette chute est devenue le sujet de son Eloge, puisqu'elle a servi à l'humilier devant Dieu, et à l'attacher à lui avec plus de vigilance, et de ferveur. Elle apprend aux peuples qu'il ne faut pas qu'ils se plaisent à imiter les Princes dans leurs chutes, mais qu'au contraire il faut que la chute des Princes augmente leur crainte, et leur vigilance. C'est pour cela que bien loin de cacher le péché de David, on le publie même dans l'Église à cause de sa pénitence ; afin que ceux qui ne sont pas encore tombés, l'écoutent de peur de tomber : et que ceux qui sont déjà tombés, l'écoutent pour se relever. Lorsque l'homme se penche vers les affections de la terre, son cœur est comme courbé et appesanti ; mais quand il s'élève vers le Ciel, ce cœur se redresse, et devient l'objet de la bonté de Dieu ; car « Dieu est bon à ceux qui ont le cœur droit. » C'est pourquoi, comme remarque S. Augustin, encore que David eût commis de grands crimes, Dieu ne laisse pas de dire qu'il l'a trouvé selon son cœur, à cause de sa pénitence : « Inveni David secundum cor meum. » C'est donc justement que nous pouvons dire, que le Prince de Conti imitant la pénitence de David, a été un Prince selon le cœur de Dieu. Mais voyons quels ont été les moyens dont le Père des miséricordes s'est servi pour le rendre selon son cœur. « Ô abîme des richesses de la sagesse, et de la science de Dieu ! Que ses secrets jugements sont incompréhensibles, et que les raisons de sa conduite sont impénétrables ! » Il arrive souvent qu'il abandonne pour un temps ses élus aux désirs déréglés de leurs cœurs, et qu'il les laisse entrer dans un état auquel ils ne sont point appelés, afin de faire éclater ensuite la puissance de sa Grâce, et la grandeur de sa miséricorde, en les retirant pour les mettre dans la voie de leur vocation, et pour les conduire selon son cœur. C'est ce qu'il a fait voir en la personne de ce Prince. Il fut engagé dès la première jeunesse dans l'état Ecclésiastique : et quoiqu'il reconnut assez qu'il n'y était point appelé, il y demeura jusqu'à la vingt-quatrième année de son âge, que Dieu le fit entrer dans l'état du mariage, où il l'appelait, prenant le soin de lui choisir une sage et vertueuse compagne pour l'aider à se conduire : « Faciamus ei adjutorium simile sibi. »  Car Dieu nous déclare lui-même par la bouche du Sage, que c'est de sa main qu'on reçoit une femme prudente, et vertueuse. « A Domino datur proprie uxor prudens. » Aussi ce Prince reconnaissant la Grâce que Dieu lui avait faite, disait souvent dans son cœur avec le Roi Prophète : « Seigneur, vous m'avez pris par la main, et vous m'avez conduit selon votre volonté. »  Quelque temps après son mariage, il s'en alla en Catalogne commander l'armée du Roi en qualité de Vice-Roi, où il fit paraître la grandeur de son courage, et la prudence de sa conduite, par la prise de plusieurs villes, et par la conquête de plusieurs Provinces. Au retour de sa dernière Campagne étant à Pézenas, où il tenait les États de Languedoc, il eut quelques conférences avec M. L'Évêque d'Alet, que Dieu bénît d'une manière si admirable, que ce Prince prit une ferme résolution de s'appliquer entièrement au service de Jésus-Christ. Et comme il ne faut pas se conduire sans avis dans une affaire aussi importante qu'est le règlement de la vie, et de la conscience, il se soumit pleinement à la direction de ce saint Prélat, et à celle de M. l'Abbé Ciron, que cet Évêque lui donna pour le conduire en son absence. C'est ici proprement où commence la vie de ce grand Prince : car la crainte des jugements de Dieu, qui est le commencement de la sagesse, ayant fait naître dans son cœur une bonne volonté, et un ardent désir de vivre selon les règles de l'Evangile, il n'eut point de peine à se soumettre à la conduite de ceux que la Providence lui avait choisis. Et s'étant entretenu longtemps avec soi-même durant plusieurs retraites qu'il fit, repassant dans l'amertume de son cœur, toute sa vie passée, et ayant examiné soigneusement si la résolution qu'il avait prise, était assez forte, et assez puissante pour lui faire changer de vie, il fit une confession générale avec un si grand ressentiment de douleur, avec une si profonde humilité, et avec tant de passion d'obéir aux conseils de son Directeur, que les fruits de pénitence qui l'ont suivie, ont été des marques visibles d'une véritable conversion : Et nous pouvons dire avec S. Bernard que la crainte de Dieu commença à produire en lui la plénitude des vertus. Il exécuta ponctuellement tout ce qu'on lui prescrivit pour la conduite de sa Vie, et pour le règlement de sa maison. Il modéra sa dépense, et retrancha toute sorte de superfluités ; le Bal, la Comédie, le Jeu furent interdits à tous ses domestiques. Il eut soin de les faire instruire dans la doctrine, et dans la piété chrétienne. Mais rien ne faisait tant d'impression sur leur esprit que l'exemple de ce Prince, qui n'exigeait rien d'eux qu'il ne pratiquât le premier. On le voyait toujours occupé dans la méditation, et la prière ; dans la lecture de l'Ecriture, et des vies des Saints, et dans l'exercice des œuvres de charité. Il faut que je dise ici quelque chose touchant la manière de ses prières, et de ses méditations : Il s'y préparait par une grande attention à la présence de Dieu ; et il y recherchait plus les mouvements du cœur, que les pensées de l'esprit : Il récitait l'office de l'Eglise ; et retenant dans sa mémoire les passages les plus touchants de l'Ecriture, il s'en entretenait souvent en lui-même durant la journée, et avant le repas il prenait quelque temps pour prier, et pour faire l'examen de sa conscience. Lorsqu'il voulait prendre quelque résolution, il examinait auparavant avec soin les raisons de part, et d'autre et ne se déterminait que suivant les lumières qu'il recevait dans les prières qu'il présentait à Dieu pour cet effet. Mais comme l'homme spirituel ne se nourrit pas seulement de bonnes instructions, mais aussi de bons exemples ; ce Prince s'était proposé celui du Roi S. Louis son Aïeul, dont il tâchait d'imiter la sainteté. Il n'y avait point de personnes recommandables par leur vertu, dont il ne recherchât l'amitié : Il les visitait, il conférait avec eux, et en tirait des lumières pour son avancement dans la perfection ; de sorte qu'il pouvait dire avec le Roi Prophète : « Seigneur je suis lié d'affection, et de société avec tous ceux qui vous craignent, qui gardent vos commandements. » Il y a beaucoup de gens qui se plaisent à visiter des personnes vertueuses ; mais il y en a si peu qui se servent de ces visites, pour amender leur vie, qu'un ancien Auteur a sujet de s'en plaindre :«  « Il y en a, dit-il, qui négligeant le soin de purifier leur cœur, de réformer leurs mœurs, de quitter le vice, et de dompter leurs passions vont trouver de saints personnages pour avoir seulement la satisfaction de les voir, et de leur entendre dire quelques paroles excellentes, qu'ils ont ensuite le plaisir de raconter aux autres par un esprit de vanité, se glorifiant de les avoir apprises de la bouche de ces Saints. Que s'il leur arrive par ce moyen d'acquérir quelque petite connaissance des choses spirituelles, ils conçoivent aussitôt du mépris pour les autres, et se mêlent d'en faire des leçons. Ils enseignent ce qu'ils ont vu, et ce qu'ils ont entendu dire, mais ils ne le pratiquent point. Ils devraient néanmoins considérer que ceux qui se défiant de leur capacité, quelques vertueux qu'ils soient, n'osent entreprendre d'instruire les autres, sont bien moins coupables que ceux qui étant accablés du poids de leurs passions, et de leurs vices, s'ingèrent de prêcher la vertu. » Il faut donc visiter les personnes de piété, et de savoir, non pour satisfaire sa curiosité, et sa vanité, mais pour profiter de leur conversation dans la conduite de sa vie. Ainsi ce Prince s'étant avancé dans la vertu par les instructions, et par les exemples, entra dans un âge plus parfait de la vie spirituelle, où l'on ne demeure plus, comme dit S. Augustin, dans le sein, et comme entre les bras de l'autorité humaine ; mais où l'on s'avance par les pas de la raison purifiée, vers la loi souveraine, et immuable. C'est ici que ce Prince commença à tirer de l'Ecriture Sainte, et de la Tradition de l'Eglise des maximes, et des règles pour s'acquitter saintement de ses obligations. Dans ce qui regarde ses devoirs envers Dieu ; Il savait parfaitement qu'il était indigne d'un Chrétien de douter qu'on soit obligé d'exercer des actes d'amour envers celui qui nous commande de l'aimer de tout notre cœur, de toute notre âme, de toutes nos forces, et plus que toutes les choses du monde. Que plus les Princes sont grands, et élevés devant les hommes, plus ils sont obligés de s'humilier devant Dieu. Qu'ils le doivent craindre comme leur Juge souverain, et penser dans toutes leurs affaires, à la sévérité de ses jugements, parce que l'Ecriture nous apprend que les Grands seront jugés à la rigueur, et que les Puissants seront tourmentés puissamment. Qu'ils doivent plus que les autres mettre toute leur confiance en Dieu, avec une entière soumission aux ordres de sa providence, tant dans la prospérité, que dans l'adversité. Qu'ils doivent rapporter à Dieu la gloire de toutes leurs bonnes actions, et ne s'attribuer à eux-mêmes que leurs propres fautes. Qu'ils doivent être obéissants, et fidèles à Dieu, afin d'avoir des sujets qui leur soient fidèles et obéissants. Qu'ils doivent prendre garde que ce qu'ils offrent à Dieu, soit bien acquis. Enfin qu'ils sont obligés de faire observer ses commandements, et de ne pas laisser impunies les offenses qui se commettent contre sa divine Majesté ; comme ils sont obligés de pardonner celles qu'on commet contre leurs personnes. Dans ce qui regarde l'Eglise, il avait pour maxime, que les Princes étant plus exposés que personne, à la tentation, et au péché, ont aussi besoin plus que personne, d'implorer le secours, et la miséricorde de Dieu. C'est pourquoi ils doivent aimer, et honorer son Eglise, à qui il a donné le pouvoir de les absoudre de leurs péchés. Il avait une dévotion particulière au Saint Sacrifice de la Messe, et à l'Office divin : et il ne souffrait point que ses gens y assistassent qu'avec une attention, et une modestie respectueuse. Ceux qui y assistent, disait-il, sans révérence, et qui s'entretiennent dans l'Eglise de choses vaines, et inutiles, ne satisfont pas au précepte, et par conséquent ils pèchent mortellement, et seraient obligés selon les Canons, de jeûner dix jours au pain et à l'eau. « Les maisons particulières, dit S. Chrysostome, étaient autrefois des Eglises, les Eglises aujourd'hui ne sont plus que des maisons particulières. Les Chrétiens alors ne parlaient que des choses du Ciel dans leurs maisons ; et aujourd'hui ils ne parlent plus dans les Eglises que des choses de la terre. » Cet excès est si criminel, et si injurieux à Dieu, que ce grand Saint déclare qu'il ne peut être puni trop sévèrement : « Ne savez-vous pas, dit-il, que vous êtes dans l'Eglise avec les Anges, que vous y devez chanter avec eux les louanges de Dieu ? Et cependant vous y demeurez debout, vous n'y faites que rire. Il n'y aurait pas de quoi s'étonner si la foudre tombait sur ces personnes, et sur nous-mêmes qui les souffrons sans les reprendre. » C'est pourquoi le Concile de Trente défend de célébrer le saint Sacrifice de la Messe, si l'on ne voit auparavant que ceux qui y assistent, soient dans une posture décente, témoignant qu'ils y sont présents non seulement de corps, mais aussi d'esprit avec une sincère dévotion de leur cœur. Il serait encore à souhaiter que tout le monde y pût assister avec intelligence selon ces paroles du Roi Prophète : « Bienheureux est le peuple qui entend ce qu'il chante » : car encore que ceux qui n'entendent pas ce qu'on dit à la Messe, et à l'office divin, ne laissent pas de faire une action de piété, et de mérite devant Dieu lorsqu'ils joignent leur intention à celle de l'Eglise ; il est néanmoins très utile et très avantageux d'entendre ce qui s'y dit : « Nous devons , dit S. Augustin, entendre ce que nous disons, afin que nous chantions raisonnablement, et non pas comme ces oiseaux qui apprennent souvent des hommes à prononcer, et chanter ce qu'ils n'entendent pas ; puisqu'il n'appartient qu'à l'homme de chanter avec intelligence. » C'est pour cette raison que feu Monseigneur le Prince de Conti fit traduire en notre langue toutes les Messes de l'année, et l'Office de la semaine sainte, afin que les fidèles pussent entendre ce qui se dit dans l'Eglise, et profiter des instructions qui sont contenues particulièrement dans la Messe, comme le Concile de Trente le marque en termes exprès. C'est encore pour cette raison qu'il voulait que ces gens assistassent les Dimanches à la Messe de la Paroisse, afin d'entendre l'explication qu'on donne au peuple de ce qui s'y fait, et de recevoir de leur Pasteur la nourriture spirituelle de leurs âmes. Il savait de plus que les Princes sont les gardiens, et les protecteurs de la paix de l'Eglise. Qu'ils doivent faire paraître l'amour qu'ils ont pour le culte de Dieu, en honorant les Prêtres, et surtout les Evêques. Qu'ils doivent trouver bon que les Prélats leur représentent ce qui est utile pour le service de Dieu, et pour leur salut. Qu'ils sont obligés, principalement lorsqu'ils ont le gouvernement de quelques Provinces, d'aider les Evêques dans les besoins qu'ils peuvent avoir de leur secours pour l'exécution de ce qui regarde le service, et la gloire de Dieu. Et que bien loin d'avoir querelle avec les Evêques ; s'il arrive quelque différend entre eux ils doivent poursuivre leur cause de sorte que la charité ne soit point blessée, ni le respect qui est dû à leur dignité. Ce grand serviteur de Dieu avait un déplaisir si sensible de voir violer les sacrés Canons, qu'il a fait pénitence durant tout le cours de sa vie d'avoir tenu plusieurs bénéfices contre ce qu'ils défendent expressément. Je l'ai vu souvent déplorer l'état de ceux qui en retiennent plusieurs, quoique simples, l'un étant suffisant pour les entretenir selon les bornes de la tempérance Ecclésiastique. Le Concile de Trente, disait-il, et les Conciles Provinciaux de Milan, qui en sont les fidèles interprètes, sont si formels sur ce sujet, qu'il faudrait s'aveugler soi-même pour n'en demeurer pas d'accord. Et quant aux dispenses qu'on obtient pour les tenir ; il exhortait ceux qui s'en servent, de consulter leur conscience, s'ils les avaient obtenues gratuitement, pour une juste et pressante cause, et pour un plus grand bien de l'Eglise ; car sans cela leurs dispenses ne pouvaient passer que pour subreptices, selon le Concile de Trente. « Que tout le monde sache, dit ce Concile, que tous doivent observer les sacrés Canons exactement, et sans aucune distinction, autant qu'il sera possible. Que si l'on est obligé quelquefois d'accorder des dispenses à quelques personnes, pour un sujet juste et pressant, ou pour un plus grand bien, on ne les accordera qu'avec connaissance de cause, avec un très grand discernement, et gratuitement. Autrement ces dispenses seront tenues pour subreptices.  » Il leur représentait encore ces paroles de saint Bernard : « Lorsque la nécessité presse, la dispense est excusable : lorsque l'utilité la demande, elle est louable : j'entends l'utilité commune de l'Eglise, et non l'utilité des particuliers. Car lorsqu'il n'y a rien de cela ; ce n'est pas une fidèle dispensation mais une cruelle dissipation. » Ecoutons parler ce Prince dans un Traité qu'il a composé sur cette matière : « L'opinion, dit-il, la plus sûre, et la seule véritable est, que le Bénéficier n'est pas le propriétaire des fruits, mais n'en est que le dispensateur ; en sorte qu'après avoir pris ce qui lui est nécessaire pour sa subsistance, il doit distribuer fidèlement le reste pour les nécessités des pauvres, et de l'Eglise. Cette maxime est claire, premièrement dans l'intention des fondateurs, qui n'ont donné leur bien à l'Eglise, que dans cette vue : secondement dans l'intention même de l'Eglise, qui ne peut avoir dessein de tendre un piège au salut des Bénéficiers, en fomentant leur avarice, et leur cupidité ; mais qui prétend plutôt que le bien qu'elle leur donne, leur serve à acquérir le Ciel par les aumônes qu'elle les oblige de faire. Il n'est pas même permis de posséder un seul Bénéfice pour la seule commodité temporelle : ou de passer d'un petit, à un plus grand, par ce motif ut lautius vivat, comme dit saint Thomas, qui assure que cela rend illicite la possession même d'un seul Bénéfice, qui est permise en soi. » « Et pour ce qui regarde les pensions, il faut convenir , dit ce Prince, que la pension étant ce qui reste après la subsistance du Titulaire devrait être employée par lui, s'il en jouissait, à entretenir, et soulager les pauvres, ou à pourvoir aux nécessités de l'Eglise ; et qu'ainsi le pensionnaire ôte aux pauvres, ou à l'Eglise ce secours. Il faut encore convenir que l'ordre des Canons permet seulement l'établissement des pensions pour ceux qui ont rendu des services considérables à l'Eglise, et qui ont besoin de son assistance pour leur entretien ; ou en faveur de ceux qui ayant longtemps servi un Bénéfice, sont réduits par maladie, ou par vieillesse dans l'impuissance de le faire ; car alors il est de la justice que celui qui s'est consumé au service de l'Eglise, soit secouru dans ses infirmités aux dépens de cette même Eglise ; surtout s'il n'a pas d'ailleurs de quoi s'entretenir. Mais pour ceux qui ne gardent des pensions que par avarice ; ils dérobent aux pauvres ce bien qui leur appartient : et c'est avec justice qu'on leur peut appliquer ces paroles terribles de saint Bernard : "Clamant pauperes post nos : nostrum est quod expenditis : nobis crudeliter eripitur quidquid in superfluos usus inaniter expenditur.” Que si les laïques sont obligés de donner aux pauvres le superflu de leurs revenus patrimoniaux ; à combien plus forte raison les Ecclésiastiques, qui doivent donner aux autres l'exemple d'un désintéressement vraiment Chrétien ? « Je sais qu'il se trouvera quelques nouveaux Auteurs qui pourront tenir une doctrine contraire par des raisons purement philosophiques, et qui ne tendent qu'à énerver la pureté de la Morale Chrétienne ; mais le meilleur moyen de bien juger entre ces dogmes corrompus, et cet écrit, est de voir devant Dieu, laquelle de ces deux opinions on serait plus aisé d'avoir suivi à l'heure de la mort, lorsqu'on sera prêt de rendre compte à Dieu de toutes ses actions, et que nos richesses nous abandonnant, nous ne serons suivis que de nos œuvres bonnes ou mauvaises. » Ce sont les propres paroles de cet Illustre Prince, par lesquelles il fait paraître le zèle qu'il avait contre le dérèglement de la Morale corrompue. Il avait un si grand respect pour le chef visible de l'Eglise, qu'il disait d'ordinaire que les fautes personnelles des Papes ne devaient point faire perdre dans l'esprit des Princes, la vénération qu'ils doivent avoir pour le saint Siège Apostolique. Il considérait ses obligations envers le Roi, et l'Etat comme inséparables de celles qu'il avait à l'égard de Dieu ; puisque l'Ecriture sainte les joint ensemble : « Craignez Dieu ; et respectez le Roi. » C'est ce qui le portait à exécuter les ordres de sa Majesté avec tant de fidélité, et avec une si prompte obéissance : Et comme il lisait l'Ecriture pour apprendre ses devoirs en qualité de Chrétien ; il lisait de même les Ordonnances, et les Edits du Roi pour s'acquitter de ses obligations en qualité de Prince, et de Gouverneur de Province. Et c'est par là qu'il était persuadé de la nécessité de la résidence des Gouverneurs dans leurs Provinces. Il tenait pour une maxime indubitable qu'on ne peut être fidèle à Dieu, si l'on n'est fidèle au Roi ; et sur ce fondement solide, il établissait cette vérité, qu'il n'y avait point de meilleur moyen pour réunir les prétendus Réformés dans le sein de l'Eglise, que de les tenir dans l'obéissance, et dans la fidélité qu'ils doivent au Roi, leur faisant observer ponctuellement les Edits, les Déclarations, et tous les Ordres de sa Majesté : Il en fit un projet excellent dans une de ses retraites, dont j'ai une copie entre mes mains. Il ajoutait ce qu'il avait lu dans S. Grégoire, qu'il fallait traiter favorablement, et avec beaucoup de charité ceux qui reviennent dans le sein de l'Eglise, afin d'inviter les autres par ce bon traitement à se convertir. Il employa des sommes considérables pour une œuvre si sainte, et si importante pour le service de Dieu, et du Roi. C'est sur ce même principe que j'ai rapporté, qu'il a travaillé si heureusement pour éteindre la fureur des duels, n'ayant point trouvé d'expédient plus propre pour cet effet, que de tenir fortement la main à l'exécution des Ordres de sa Majesté, obligeant tous les Gentilshommes de son Gouvernement de confirmer par leur propre seing, la promesse qu'il tirait d'eux, de ne se battre jamais plus en duel. Enfin ce Prince était si exact dans la fidélité qu'il devait au Roi, qu'il n'a jamais rien entrepris dans son Gouvernement sans être auparavant assuré de l'intention, et de la volonté de sa Majesté. Aussi elle était tellement persuadée de sa fidélité, et de sa prudence, qu'elle a recommandé à son successeur dans le Gouvernement de Languedoc, de suivre en toutes choses la conduite de feu M. le Prince de Conti. Ces paroles sorties de la bouche du plus grand, et du plus éclairé Roi du monde, suffiraient pour faire l'éloge entier de cet illustre Prince. Quant aux obligations qui regardaient sa personne en particulier, voici quelques-unes de ses maximes : Qu'il n'y a qu'un même Evangile pour les Princes, et pour les autres Chrétiens, parce que nous avons les uns, et les autres un maître commun dans le Ciel, qui n'aura point d'égard à la condition des personnes : Il ne respectera point la grandeur de qui que ce soit, parce qu'il a fait les petits, et les Grands ; et sa providence s'étend sur les uns, aussi bien que sur les autres : de sorte, disait-il, que la considération de la qualité de Prince, bien loin de me dispenser de suivre les règles de l'Evangile, m'y oblige davantage par l'exemple que je dois donner aux autres, et par la reconnaissance que je dois avoir de la grandeur que j'ai reçue de Dieu. C'est pourquoi les Princes sont obligés de régler leur temps pour pouvoir s'acquitter de leurs devoirs. Ils doivent être bien instruits dans la Religion Chrétienne, et dans les belles lettres. Ils doivent aimer la vérité. Ils ne doivent point se plaire aux discours des flatteurs. Ils doivent prendre garde de ne se point laisser surprendre par les artifices des hypocrites. Ils ne doivent pas croire légèrement ce qu'on leur dit. Ils doivent croire les choses, et en juger selon ce qu'elles sont véritablement, et non pas selon le rapport des autres. Ils doivent régler leur dépense, afin de ne point fouler leurs sujets, et afin d'avoir de quoi faire des aumônes, et des libéralités. Ils doivent fuir l'avarice comme un obstacle à toutes sortes de bonnes œuvres. Ils doivent prendre garde de ne rien acquérir, ni posséder injustement. Ils doivent avoir soin que ceux qui sont près de leurs personnes soient vertueux, et capables de leur représenter ce qui se doit faire selon la justice. Ils doivent être persuadés qu'il ne leur est pas permis de faire tout ce qu'ils peuvent ; mais ils doivent régler leur puissance par la raison. Pour ce qui est de ses obligations envers le prochain, il considérait que Dieu a établi les Princes pour porter leurs sujets à son service. Qu'ils doivent donner bon exemple aux peuples, considérant que le dérèglement des Grands est la ruine des bonnes mœurs. Qu'ils sont obligés d'aimer leurs sujets, de les soulager, et de leur procurer leur repos, et leurs avantages, et de les conserver dans leurs privilèges, et leurs libertés. Qu'ils ne doivent point se laisser emporter aux passions de vengeance, et de colère, même dans la punition des coupables. Qu'ils se rendent coupables des péchés de leurs sujets, en ne les corrigeant pas lorsqu'ils en ont le pouvoir. Qu'ils ne doivent point favoriser ni protéger les méchants. Qu'ils doivent suspendre leur jugement jusqu'à ce qu'ils aient ouï les deux parties. Que les Princes, et les Gouverneurs de Provinces ne doivent point souffrir que sous prétexte d'un faux zèle, on persécute comme hérétiques ceux que l'Eglise n'a pas déclarés tels. Qu'ils doivent accomplir leurs promesses. Qu'ils doivent donner gratuitement les charges à ceux qui les méritent. Qu'ils ne doivent point user de violence, mais doivent agir selon la justice. Qu'ils doivent être équitables, même dans les moindres choses. Qu'ils ne doivent jamais recommander des affaires aux Juges qu'avec cette condition, en tant que la justice le permet. Qu'ils doivent réparer les dommages que leurs troupes ont causés. Qu'ils doivent travailler à accorder les différends, se souvenant qu'ils sont les pères des peuples. Qu'ils doivent accorder de bon cœur les justes demandes qu'on leur fait ; et ne point différer à faire du bien. Qu'ils doivent prendre garde que les riches ne se déchargent pas sur les pauvres de ce qu'ils sont obligés de payer. Qu'ils doivent être persuadés que leur plus grande gloire est d'assister les pauvres, et les misérables. Qu'ils doivent avancer ceux qui ont du mérite, de la science, et de la vertu. Qu'ils ne doivent point exercer leurs libéralités envers quelques-uns au préjudice des autres. Qu'ils doivent garantir les pauvres de l'oppression des riches, et des puissants. Enfin qu'ils ne doivent rien omettre de ce qui peut servir à réformer les mœurs des peuples. Jugez quelle était la vie d'un Prince qui se conduisait par des maximes si saintes. C'est sur ces principes qu'il fit les règlements de sa maison, de ses terres, et de son Gouvernement, entrant dans le troisième âge de la vie spirituelle, où, selon Saint Augustin, la partie inférieure s'unissant avec la supérieure, l'âme se plaît tellement dans la pratique des vertus, qu'elle est si éloignée d'avoir besoin qu'on la force pour bien vivre, qu'elle ne voudrait pas pécher, quand toute la terre le lui permettrait. « Ut etiam si omnes concedent peccare non libeat. » Et la Grâce de Dieu lui faisant faire de grands progrès, il s'avança aussitôt dans le quatrième âge de la vie spirituelle, où l'on commence à entrer dans l'état d'homme parfait, et où l'on est capable de soutenir la violence des persécutions qui nous viennent de la part des hommes, et de résister à toutes les tempêtes que le monde peut exciter contre nous. Combien de difficultés et d'obstacles lui fallut-il surmonter pour faire démolir tant de Temples que les Calvinistes avaient bâtis contre les Edits dans son Gouvernement ; pour délivrer les Catholiques de leur oppression ; pour détruire la violence et la tyrannie que les puissants exerçaient sur les faibles ; pour abolir les duels ; pour apaiser les querelles, et les différends ; pour arrêter le cours des usures, des voleries, du jeu, et de la débauche ; pour rétablir la piété, et le culte de Dieu ? Certes il eut besoin de toute sa sagesse, et de toute sa puissance pour exécuter de si grandes choses. Entrant dans le cinquième âge de la vie spirituelle, il jouit de la paix, et de la tranquillité dont les fidèles serviteurs de Dieu ont accoutumé de jouir en cette vie. Cette paix néanmoins, et cette tranquillité des Justes, qui consiste dans le témoignage de leur conscience, n'est pas exempte de crainte. Car encore que leur conscience ne leur reproche aucune chose, ils n'ont garde toutefois de s'estimer innocents, sachant bien que c'est Dieu qui les doit juger, lui dont les yeux pénètrent dans les cœurs, et y découvrent souvent des plaies qu'ils ne sentent pas. C'est pourquoi les justes s'accusent, et se condamnent continuellement eux-mêmes, afin que par le mérite de cette humiliation volontaire, ils puissent effacer leurs fautes involontaires. Car si nous ne devions point craindre les fautes involontaires, et cachées que nous commettons par ignorance ; pourquoi David dirait-il ? « Seigneur, ne vous souvenez point de mes ignorances.. » Et en un autre endroit : « Qui est-ce qui connaît ses péchés ? Purifiez-moi des offenses qui me sont cachées. » Mais comment n'aurions-nous pas sujet de craindre pour les péchés que nous commettons par ignorance, puisque nous avons sujet de craindre même pour nos bonnes actions ? Parce que, selon saint Grégoire, « souvent l'esprit de l'homme séduit l'homme, et se déguise à lui-même ». Et selon saint Bernard, « nous devons extrêmement appréhender que plusieurs de nos actions que nous prenons pour des vertus, ne paraissent des vices dans un examen aussi rigoureux qu'est celui du Tribunal de Dieu, où les justices mêmes sont jugées. J'ai appris par ma propre expérience , dit ce Père en un autre endroit, qu'il n'y a rien de si efficace pour attirer la grâce, pour la conserver, et pour la recouvrer, que de ne s'élever jamais devant Dieu ; mais d'être toujours dans un état de crainte, et d'abaissement.“Bienheureux l'homme, dit le Sage, qui est toujours dans la crainte.” « Craignez donc lorsque la Grâce est présente ; craignez lorsqu'elle se retire ; craignez lorsqu'elle revient : Et c'est ainsi vivre toujours dans la crainte : lorsque la Grâce est présente, appréhendez de n'y pas correspondre assez dignement. C'est l'avis que donne l'Apôtre, lorsqu'il dit, “Prenez garde de ne pas recevoir en vain la Grâce de Dieu.” Et écrivant à son disciple Timothée, “Ne négligez pas, dit-il,la Grâce qui est en vous” : Et parlant de lui-même : “La Grâce de Dieu n'a pas été inutile en moi.” Cet homme admirable qui pénétrait les secrets de Dieu, savait que négliger les dons du Seigneur, et ne s'en pas servir pour l'usage qu'on les a reçus, est faire injure à celui de qui on les tient : c'est d'un orgueil insupportable. » C'est donc avec raison que M. le Prince de Conti était toujours dans la crainte, et qu'il se défiait de ses actions quelques bonnes qu'elles lui parussent. Il était bien éloigné de la présomption de ceux qui n'ont point de scrupule de faire des actions illicites sous prétexte que leur intention est droite ; et se croient justifiés, en disant, qu'ils ne croyaient pas mal faire. Il était encore bien éloigné des sentiments de ces personnes qui n'ont point de scrupule de faire des actions qu'ils ne croient bonnes que sur une opinion moins probable, et qui n'étant par conséquent que moins probablement bonnes, ont quelque apparence de mal. Car il considérait que si les actions qui paraissent les plus justes, doivent être jugées ; on doit à plus forte raison appréhender la rigueur du jugement de Dieu pour des actions qui ne sont que moins probablement bonnes. Il savait que « nous devons, selon l'Apôtre, éprouver tout, et retenir ce qui est bon, et nous abstenir de tout ce qui a quelque apparence du mal. Je vous conseille, mes frères, dit saint Augustin, d'avoir plutôt trop de crainte, que trop de confiance. Il ne nous est point avantageux de vous donner des assurances mal fondées. Et quand je le voudrais, je ne puis vous donner une assurance que je n'ose pas prendre pour moi-même. Je vous avoue que je suis dans la crainte, et que les jugements de Dieu m'épouvantent. Je vous donnerais, comme je viens de dire, de l'assurance, si j'étais assuré moi-même. Je ne vous le cèle point : je crains les feux éternels. » C'est par cette sainte conduite que ce Prince s'avança dans le sixième âge de la vie spirituelle : où, selon saint Augustin, l'homme se renouvelant, et se changeant entièrement, oublie toute cette vie temporelle, et passagère, et ne pense plus qu'à l'éternelle. Le règlement qu'il dressa pour Messieurs de son Conseil, fait bien voir combien il était détaché des biens de la terre, pour ne penser plus qu'aux éternels. Il leur recommanda premièrement de prendre garde de mesurer les affaires par le droit, et non par son autorité. D'accepter toujours avec facilité les bonnes ouvertures d'accommodement : et aux affaires douteuses se pencher plutôt pour les autres, que pour lui, surtout lorsque ce sont des pauvres. De châtier sévèrement les mauvaises procédures des Officiers de ses terres. D'accorder des diminutions raisonnables aux Fermiers ruinés, avec connaissance de cause. D'être très réservés à accorder des interventions, et à permettre aux Fermiers de se servir de committimus pour les personnes éloignées, et aux affaires de petite conséquence. De prendre le fait et cause des oppressés avec chaleur. D'éviter surtout d'entreprendre sur les droits de l'Eglise : et d'y donner promptement la main quand ils sont clairs, et même douteux. Et de se servir peu de prescriptions contre l'Eglise, lorsque le droit est bien établi. Les sommes immenses que ce Prince a employées en œuvres de justice, de piété, et de charité, sont encore de plus grandes preuves de son détachement des biens de ce monde. Il y a de quoi remplir un gros volume du détail de l'emploi des sommes qu'il a données pour le soulagement des nécessités des pauvres, pour les besoins des hôpitaux, pour l'entretien des personnes converties, pour la réparation des Eglises, pour les Missions tant dans ses terres, et dans presque toutes les provinces du Royaume, que dans les pays étrangers. Mais comme la charité doit être bien ordonnée, parce qu'il ne suffit pas de faire de bonnes œuvres ; mais qu'il les faut encore bien faire ; ne vous imaginez pas qu'en faisant tant d'aumônes, ce Prince ait omis de payer ses dettes, et de satisfaire à ses autres obligations. Il était trop éclairé pour commettre cette faute. Il savait qu'il vaut mieux ne rien donner, que de donner le bien des autres : et que ces sortes d'aumônes qui font pleurer ceux aux dépens de qui on les fait, ne sont point agréables à Dieu, qui défend de couvrir son autel de larmes. Il commença donc par payer ses dettes, et les gages de ses Domestiques ; et par réparer les dommages que les peuples avaient soufferts par ses troupes. Je ne puis omettre ici une chose très considérable. Il avait obtenu autrefois une dispense pour pouvoir s'approprier les revenus des Bénéfices dont il avait joui dans sa première jeunesse, en distribuant aux pauvres une somme assez médiocre. Il ne voulut point se servir de cette dispense, et ne retint rien de tous ces grands biens, dont la jouissance lui faisait quelque juste peine. Et comme selon les règles des sacrés Canons, les revenus des Bénéfices doivent être employés aux réparations des Eglises, et au soulagement des pauvres des lieux où sont situés les Bénéfices ; après avoir satisfait à ces devoirs, il obtint une nouvelle dispense pour employer le reste en d'autres œuvres de piété. Ce Prince était si détaché des biens de la terre, qu'il pressa M. l'Evêque d'Alet avec instance de trouver bon qu'il quittât tout son bien, et qu'il passât le reste de ses jours avec un seul valet. Ce saint Prélat lui ayant réparti que Dieu n'exigeait point cela de lui, qu'il ne lui conseillait point de quitter tout son bien ; mais d'en faire part aux pauvres, n'en retenant pour lui que ce qui lui était absolument nécessaire. Ce Prince se soumettant à l'avis de ce sage Prélat, le pria de régler ce qu'il jugeait lui être absolument nécessaire. Ce qu'il fit. Et ce Prince a employé jusqu'à sa mort tout le reste de ses revenus, à réparer les dommages que les peuples avaient soufferts par ses troupes durant les désordres du temps ; pendant que Madame la Princesse de Conti secondant le zèle de Monseigneur son mari, vendait toutes ses pierreries, pour en distribuer l'argent aux pauvres qui mouraient de faim. S. Chrysostome disait autrefois qu'il était bien rare de trouver une femme qui voulût se résoudre à vendre quelque chaîne d'or, ou quelqu'une de ses pierreries pour nourrir un pauvre. Qu'eût-il dit s'il eût vu de son temps une Princesse vendre toutes ses pierreries pour soulager les nécessités d'un nombre infini de misérables ? Mais ce qui est admirable, c'est que l'affection naturelle qui porte d'ordinaire les hommes à multiplier leurs revenus pour enrichir leurs enfants, portait au contraire ce Prince à faire de plus grandes aumônes, parce qu'il savait bien qu'il ne pouvait pas mettre ses richesses en de meilleures mains qu'en celles de Dieu. Un père moins pieux aurait craint d'appauvrir ses enfants ; mais ce Prince avait des sentiments bien plus relevés, et plus chrétiens. Il se représentait en distribuant son bien aux pauvres, ce que répartit autrefois l'illustre Paule à ceux qui lui disaient qu'elle appauvrissait ses enfants par ses charités ; Que ce qu'elle faisait en cela, était pour laisser une succession beaucoup plus grande que la sienne ; c'est-à-dire, la miséricorde de Jésus-Christ. Ce Prince était persuadé que le plus grand trésor qu'il pouvait laisser à ses enfants, était une bonne instruction. C'est pourquoi dès que Monseigneur son Fils aîné eut atteint l'âge de trois ans, il s'appliqua lui-même avec Madame la Princesse sa Femme, à lui apprendre les principes, et l'abrégé de la doctrine Chrétienne, avec l'Histoire du vieux et du nouveau Testament : ce que ce jeune Prince apprenait avec une facilité merveilleuse, en se jouant, et avec un plaisir extraordinaire, donnant des marques d'un esprit, et d'un jugement qui surpassait son âge. C'est ce qui porta Monseigneur le Prince son Père à penser à l'instruction qui lui serait nécessaire dans un âge plus avancé. C'est pourquoi il composa un traité du devoir des Grands, qu'il avait dessein d'accompagner de la Tradition de l'Eglise sur l'éducation des enfants. Et comme il était convaincu qu'il n'y a rien de si dangereux, ni qui donne de plus pernicieuses impressions aux enfants que la Comédie, il composa un excellent discours contre la Comédie, y joignant tout ce qui se trouve de plus fort dans les Conciles, et dans les écrits des saints Pères sur ce sujet. Il travailla à ces Ouvrages dans une maison des champs proche de Paris, où il s'était retiré pour prendre l'air, après une maladie qui l'avait tellement affaibli qu'il ne se pouvait soutenir. La plupart des hommes ne pensent d'ordinaire dans leurs infirmités qu'à soulager leur corps, et n'évitent rien avec plus de soin, que la grande application d'esprit, comme étant nuisible à la santé. Ce Prince au contraire en faisait son divertissement, appliquant son esprit à la prière, à la méditation, et à la lecture des saints Pères, et surtout à celle de S. Augustin, et de S. Bernard, à l'imitation du Roi saint Louis son aïeul. Et comme ce saint Roi s'occupait à traduire en français ce qu'il lisait des saints Pères ; De même ce Prince se mit à traduire plusieurs ouvrages de saint Augustin : Il choisit ceux que l'Eglise a adoptés par l'approbation de ses Conciles, et qui portent l'homme à s'humilier devant Dieu, et à ne s'attribuer pas par une ingratitude sacrilège ce qu'il a reçu de sa libéralité, et à ne croire pas par une malheureuse présomption, qu'il se peut donner à lui-même, ce qu'il ne peut recevoir que de Dieu seul. Ainsi il traduisit l'Epître 105. de S. Augustin à Sixte, et ensuite le livre de la Prédestination des Saints. Et après son retour de la campagne, sa maladie ne lui permettant pas d'aller dans son Gouvernement, il traduisit les lettres de Prosper et d'Hilaire à S. Augustin ; et le livre de ce saint, du don de la persévérance. L'utilité qu'il retirait de ces saintes occupations, lui faisait dire souvent, qu'il n'y a rien qui nous fasse mieux supporter les maux avec patience, et qui entretienne plus fortement la pureté dans nos âmes, que la science du Christianisme. Il rendait grâces à Dieu des lumières qu'il lui en avait données. Et c'est pour cette raison qu'il avait résolu de faire instruire à fond Messeigneurs ses enfants. C'est une grande erreur, disait-il, de s'imaginer qu'il suffit aux Princes d'avoir une légère teinture des bonnes lettres ; puisqu'étant établis de Dieu pour conduire les peuples, personne n'est plus obligé qu'eux d'apprendre parfaitement tout ce qui est nécessaire pour cela, en se rendant capables de juger des choses par leur propre connaissance, et non pas par le rapport des autres. Il vaudrait mieux être tout à fait ignorant, que demi-savant ; parce que l'ignorance fait qu'on se défie de soi-même, et qu'on prend conseil ; au lieu qu'une science imparfaite, et superficielle ne sert qu'à remplir l'esprit d'une vaine présomption, qui fait que pensant savoir ce qu'on ne sait point, on tombe à chaque pas dans l'erreur. L'autre utilité que ce Prince recevait de la science du Christianisme, était de prendre sa maladie en pénitence, et de regarder cette occasion de porter sa croix, et d'avoir ainsi quelque part aux souffrances de Jésus-Christ, comme une rencontre favorable que Dieu lui envoyait pour faire son salut. Il se représentait ce que dit Yves Evêque de Chartres, que les maladies étant endurées en esprit de pénitence, nous tiennent lieu des peines du Purgatoire. Il tirait encore de sa maladie cette considération, qu'elle l'aidait à détacher son affection de cette vie temporelle ; et il en donna bientôt une grande preuve. Il n'avait pu aller dans son Gouvernement l'année précédente : Il ne voulut point différer davantage, quelque danger qu'il y eût d'aigrir son mal, quelque infecté que fût l'air de Languedoc : Il se résolut de partir, ne craignant point d'exposer sa vie pour ne rien omettre de ce qui pouvait contribuer au salut des peuples qui lui étaient commis : Il disait avec S. Paul : « Rien de cela ne me fait peur, la vie ne m'est pas plus précieuse que mon devoir, pourvu que j'achève ma course, et que je m'acquitte de mes obligations.  » Il se rendit donc à Béziers, où il fit l'ouverture des Etats. Bientôt après le travail excessif qu'il avait pris en l'état où il était, et le soin des affaires échauffèrent tellement son poumon, que la fièvre le prit avec des accès, et des douleurs si violentes qu'il fut à l'extrémité. On crut que le changement d'air, et le repos le pourraient soulager ; mais il était si ponctuel en ce qui regarde le service du Roi, qu'il ne voulut point quitter les Etats sans un ordre exprès de sa Majesté. Dès qu'il l'eut reçu, il se fit porter en sa maison de la Grange proche de Pézenas : Il commença à s'y trouver mieux durant quelques jours. Ce qui lui fit prendre la résolution de venir à Paris, dans un dessein semblable à celui qu'eut autrefois le saint Comte Elzéar peu de jours avant sa mort, de remettre son Gouvernement entre les mains du Roi, et de se retirer dans une maison des champs, où étant éloigné du bruit, et des embarras des choses de la terre, il pût mieux goûter la douceur de celles du ciel. Et c'est pour cette raison qu'il avait donné ordre qu'on lui achetât une maison à la campagne proche de Paris. Sur quoi je ne puis omettre une particularité qui fait voir combien l'esprit de ce Prince était éloigné des vanités du monde, et attaché à ses devoirs. Il ne voulut point que pour acheter cette maison, on empruntât de l'argent qu'on remplacerait de ses revenus, de peur de diminuer le fonds qu'il avait destiné pour les œuvres de justice, et de charité ; de sorte qu'il fallut vendre de ses terres où il n'y avait point de bâtiments, pour faire cet achat. Mais comme il eut appris qu'on lui en avait acheté une très bien bâtie, il eut quelque appréhension qu'elle ne fût trop magnifique pour une personne qui voulait passer sa vie en pénitence : Et n'eut point l'esprit en repos, jusqu'à ce qu'il eût reçu sur cela les avis de plusieurs Docteurs recommandables par leur savoir, et par leur piété. « Heureux celui qui met son espérance au Seigneur, et qui ne s'arrête point aux folies, et aux vanités du siècle.. » Comme ce Prince était sur le point de revenir à Paris, M. l'Evêque d'Alet le vint visiter. Il reçut une grande consolation de l'entretien qu'il eut avec ce S. Prélat. M. Ciron dont Dieu s'était servi pour le conduire depuis sa conversion, arriva tout aussitôt après le départ de M. l'Evêque d'Alet. Son Altesse en reçut une joie extrême ; et la nuit suivante s'étant trouvé extraordinairement mal d'une grande oppression de poitrine, il fit appeler M. Ciron, et lui dit, qu'il reconnaissait que l'heure de sa mort approchait ; qu'il rendait grâces à Dieu de l'avoir envoyé pour l'assister dans ce dernier moment, afin d'achever ce qu'il avait commencé. Il lui fit sa confession avec la disposition que peut avoir une âme juste, et pénitente, qui se prépare à sortir de cette vie. Il demanda le saint Viatique ; mais il lui arriva la même chose qu'à S. François de Sales ; il ne le put recevoir. Sur quoi nous pouvons lui appliquer ce que dit M. l'Evêque de Vence à ce sujet, dans la vie de ce Saint : Il adora le jugement de Dieu sur lui, et reçut cette privation comme une espèce d'abandonnement de son Juge, qui voulait en se retirant de lui dans son Sacrement, l'humilier, et le purifier par une haute participation de celui qu'il souffrit en la Croix, lorsqu'il dit à son Père : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous délaissé ? Mon Père, je remets mon âme entre vos mains.. » On peut encore dire, que comme ce Prince avait une extrême ardeur pour la pénitence, Dieu le voulut traiter, comme l'on traitait dans les premiers temps de l'Eglise, les plus grands pénitents, auxquels on ne donnait point de Viatique à l'heure de la mort. Il reçut donc cette privation comme une peine qu'il avait méritée : Il demanda et reçut dans cet esprit l'Extrême Onction, qui est, selon Yves Evêque de Chartres, le Sacrement de la pénitence publique ; c'est-à-dire, le sceau de la réconciliation des pécheurs avec l'Eglise. Il n'eut point de frayeur de la mort, à laquelle il y avait longtemps qu'il se préparait. Son esprit était rempli de cette pensée de S. Cyprien que S. Augustin rapporte dans le livre de la Prédestination des Saints, que son Altesse Sérénissime a exprimée ainsi dans la traduction qu'il nous en a laissée : « Pourquoi nous qui devons être avec Jésus-Christ, qui sommes certains de la vérité de ses promesses, n'aurions-nous pas de joie, lorsqu'il nous appelle à lui ; et qu'il nous va mettre dans une sûreté parfaite de ne tomber jamais en la puissance du Démon ? Pourquoi ne courons-nous pas ? Pourquoi ne nous pressons-nous pas pour aller en notre patrie ? Jusques à ce que nos âmes soient séparées de leurs corps, nous avons toujours lieu de craindre les tentations, et les dangers de pécher ; mais après la mort nous sommes en sûreté contre ces craintes. » Il se représentait encore ce qu'il avait traduit du livre de ce grand Saint, du don de la persévérance ; « que celui qui finit ses jours en s'avançant toujours dans la vertu, meurt avec cette sainte confiance, qu'il va se présenter devant le tribunal de Dieu pour recevoir l'accomplissement, et la perfection de ce qui lui restait à faire ». C'est dans cette sainte paix que donne le témoignage d'une bonne conscience, que ce Prince étant prêt de sortir de cette vie, regarda la mort comme la fin du vieil homme ; et rendit son âme à Dieu si doucement qu'à peine put-on s'en apercevoir. Y a-t-il rien de plus doux que la mort qui succède à une bonne vie, et qui conduit à l'éternité ? Y a-t-il rien de plus doux que de mourir pour aller recevoir la récompense de ses travaux ? Comme ce Prince s'était hâté durant sa vie de s'avancer dans la vertu, et de faire de dignes fruits de pénitence, et de justice, la bénédiction de Dieu s'est aussi hâtée de lui donner sa récompense. Si nous considérons l'âge de ce Prince par le nombre de ses années, il semble que sa mort ait été bien précipitée, puisqu'il est mort à l'âge de trente-six ans. Mais si nous considérons son âge par son progrès dans la vertu, nous trouverons qu'elle lui avait acquis toute la maturité de la vieillesse ; car l'Ecriture nous apprend que la vieillesse la plus digne de vénération, et d'honneur, n'est pas celle qui est la plus longue, et qui se mesure par le nombre de ses années ; mais la sagesse de l'homme est sa véritable vieillesse ; et la pureté de sa vie, la longue durée de cette vieillesse. « Tous les hommes, dit saint Augustin, soit que leur vie soit longue, soit qu'elle soit courte, finissent les uns et les autres ; et la mort est le terme de la vie de tous. » On ne peut pas donc dire, que ce qui n'est plus, soit plus long, ou plus court. L'importance n'est pas de mourir bien tôt, ou de mourir bien tard ; mais de bien mourir ; et pour bien mourir, il faut avoir bien vécu. Si nous considérons les jugements des hommes, il était raisonnable que la Vie de Monseigneur le Prince de Conti eût été d'une plus longue durée. Mais les jugements de Dieu sont bien différents de ceux des hommes : et il est bien plus raisonnable que sa volonté s'accomplisse que la nôtre. Dieu n'accorde pas aux hommes toutes choses à souhait en cette vie : et il leur refuse souvent ce qu'ils souhaitent le plus ardemment, pour les réduire à reconnaître qu'ils sont ici-bas dans une région de misère et de mort. Dieu toutefois par une disposition particulière de sa providence a fait paraître dans cette rencontre des effets de sa bonté paternelle envers ce Prince qu'il retirait de ce monde ; en mettant Messeigneurs ses Enfants sous la conduite d'une Mère si vertueuse, et si capable de les élever, que c'a été la plus sensible consolation que feu Monseigneur ait reçue en lui disant le dernier adieu. « Nunc tibi commendo communia pignora natos, Hæc cura et cineri spirat inusta meo. Fungere tu, Mater, vicibus Patris. » Dieu qui est le protecteur des orphelins, et des veuves, bénit tellement le soin qu'elles prennent de l'éducation de leurs enfants, qu'il a voulu que l'instruction que le plus sage des Princes avait reçue de sa Mère, ait été mise au rang des Oracles de la sainte Écriture ; et qu'en même temps que ce Prince déclare que Dieu lui a servi de maître, il témoigne qu'il est aussi redevable de son instruction, à sa Mère « Verba Lamuelis Regis, id est Salomonis eruditi a Deo : Et visio, id est instructio, qua erudivit eum mater sua. » Nous lisons encore dans nos histoires, que la sainteté du Roi saint Louis, a été le fruit de l'éducation de la Reine Blanche sa Mère. Ainsi nous ne doutons point que Madame la Princesse de Conti n'attire sur elle, et sur Messeigneurs les Princes ses Enfants de semblables bénédictions de la bonté de Dieu, qu'elle sert avec une pareille ferveur. Et c'est dans cette espérance de voir revivre les vertus de feu son Altesse sérénissime, dans Messeigneurs les Princes ses Enfants, que nous avons sujet de nous consoler de notre commune perte. Certainement c'est une perte commune à tout le Royaume : Nous avions tous besoin que ce Prince eût vécu plus longtemps ; mais nous ne méritions pas de jouir plus longtemps de sa présence. Nos péchés ont causé la perte que nous avons faite ; et nous pouvons dire avec le Sage, que ce Prince a en peu d'années rempli plusieurs siècles ; car son âme était agréable à Dieu. C'est pourquoi il s'est hâté de le retirer du milieu de l'iniquité. Si nous sommes donc touchés d'un véritable regret d'avoir perdu ce Prince ; témoignons-le en punissant nos crimes qui nous l'ont ravi ; et tâchons de profiter des instructions, et des exemples qu'il nous a laissés. **** *book_voisin_defense-traite_1671.pdf *id_body-4 *date_1671 *creator_voisin Préface Il est arrivé par une étrange rencontre, qu'au même temps que le Traité de la Comédie et des Spectacles, composé par feu Monseigneur le Prince de Conti, fut imprimé ; L'on publia une Dissertation sur la condamnation des Théâtres, dont les sentiments sont entièrement opposés à la Tradition de l'Eglise, que son Altesse avait fidèlement représentée dans son Traité. Encore que cette Dissertation soit très méprisable en elle-même, et qu'elle soit désapprouvée généralement de toutes les personnes de Savoir, et de Piété ; néanmoins comme elle favorise l'inclination déréglée de ceux qui n'aiment que les plaisirs des sens, et qui sans se mettre en peine d'examiner si ce qu'ils lisent, est solide et véritable, s'attachent à ce qui leur paraît agréable, et qui flatte leur humeur ; on a jugé qu'il était nécessaire de réfuter les erreurs de cette Dissertation. Et j'y ai été engagé par une obligation presque indispensable, puisque ayant donné au public le Traité de feu Monseigneur le Prince de Conti, par l'ordre exprès qu'il m'en avait donné quelques mois avant son décès : il était de mon devoir d'en entreprendre la défense après sa mort, contre les illusions de cet écrit. Cet illustre Prince a fait voir évidemment, par la Tradition perpétuelle de l'Eglise, que les Comédies ont toujours été condamnées, et que leurs Acteurs ont été excommuniés, et notés d'infamie. L'Auteur de la Dissertation prétend tout le contraire : et toutes ses preuves ne sont fondées que sur des suppositions visiblement fausses. La première est, que les Saints Pères n'ont condamné les Comédies de leur temps, qu'à cause de l'Idolâtrie dont elles étaient souillées ; D'où il tire cette conséquence, que les Comédies de notre temps étant exemptes d'Idolâtrie, elles ne peuvent être condamnées ? Cette supposition, dis-je, est visiblement fausse, parce que les Saints Pères déclarent formellement, qu'encore que les Comédies ne fussent point souillées d'Idolâtrie, elles ne laisseraient pas néanmoins d'être criminelles, à cause qu'elles ne peuvent servir qu'à corrompre les mœurs. D'où il s'ensuit par une conséquence nécessaire, qui détruit celle de la Dissertation, que les Comédies de ce temps doivent être condamnées par cette même raison qu'elles ne servent qu'à faire vivre les passions et corrompre les bonnes mœurs. Mais quand même les Saints Pères n'auraient condamné les Comédies de leur temps, qu'à cause seulement qu'elles étaient souillées d'Idolâtrie (ce qui n'est pas) il ne s'ensuivrait pourtant pas que celles de notre temps ne dussent être condamnées, puisqu'encore qu'elles ne soient pas consacrées aux Idoles, elles sont toutefois des restes du Paganisme, d'où elles tirent leur origine. C'est donc inutilement que l'Auteur de la Dissertation dit dans le premier Chapitre, que les Spectacles des Anciens ont fait partie de la Religion Païenne : Dans le second, Que la représentation des Comédies, et des Tragédies, était un acte de Religion : et dans le troisième, Que les Anciens Pères de l'Eglise défendirent aux Chrétiens d'assister aux Jeux du Théâtre, parce que c'était participer à l'Idolâtrie. D'où il conclut dans le quatrième Chapitre, Que la représentation des Poèmes Dramatiques ne peut être défendue par la raison des Anciens Pères de l'Eglise. Car tout cela n'est qu'un faux raisonnement qui se détruit de lui-même, si les Comédies de ce temps sont des restes de l'Idolâtrie ; et si les Anciens Pères ont défendu aux Chrétiens celles de leur temps, non seulement à cause qu'elles étaient souillées d'Idolâtrie ; mais encore à cause qu'elles corrompaient les mœurs, comme je le fais voir dans toute la suite de ma Réponse : où je montre aussi que les plus sages des Païens les ont condamnées pour la même raison. Secondement, L'Auteur de la Dissertation suppose que les Anciens Romains n'ont jamais compris les Acteurs de Comédies, et de Tragédies, sous le nom d'Histrions et de Scéniques. D'où il infère dans le neuvième Chapitre, que les Acteurs des Poèmes Dramatiques n'étaient point infâmes parmi les Romains, mais seulement les Histrions, et les Bateleurs. Et les Censures, dit-il, dont l'Eglise a frappé les Histrions, et les Scéniques, et l'infamie dont les Lois Civiles les ont notées, ne tombent point sur les Acteurs de Comédies, et de Tragédies. Mais cette supposition n'est qu'une pure illusion ; car il est constant par le témoignage des plus célèbres Auteurs de l'Antiquité, que les Romains ont compris les Acteurs de Comédies, et de Tragédies sous le nom d'Histrions, et de Scéniques. Et par conséquent l'Eglise en excommuniant les Histrions, et les Scéniques généralement, et sans aucune exception, a aussi excommunié les Comédiens, et les Acteurs de Tragédies : et les Lois Civiles en notant d'infamie les Histrions, et les Scéniques généralement, et sans aucune exception, ont aussi déclaré infâmes les Acteurs de Comédies, et de Tragédies, puisqu'ils étaient compris sous le nom d'Histrions, et de Scéniques. Et c'est en vain que l'Auteur de la Dissertation fait un si long discours de l'impudence des Jeux Scéniques dans le V Chapitre : Des Poèmes Dramatiques représentés aux Jeux Scéniques, dans le VI. De la distinction des Acteurs des Poèmes Dramatiques, et des Histrions, et Bateleurs des Jeux Scéniques dans le VII. Des erreurs des Modernes sur ce sujet dans le VIII. et de la condamnation de l'extrême impudence des Jeux Scéniques, et des Histrions dans le X. Car cette rhapsodie ne sert de rien, et ne mérite pas qu'on s'y arrête, puisque les Lois Ecclésiastiques et Civiles ne distinguent tous les différents Acteurs du Théâtre, que selon la différence de leurs vices ; et les condamnent tous selon qu'ils sont plus, ou moins vicieux, et que d'ailleurs il est certain que les Conciles, les Saints Pères, et les Jurisconsultes, condamnent en termes exprès les Comédies, et les Tragédies avec leurs Acteurs. En troisième lieu, L'Auteur de la Dissertation suppose que Ars ludicra ne signifie autre chose que l'Art de bouffonner. D'où il infère que les Lois Civiles en notant d'infamie ceux qui montent sut le Théâtre pour exercer Artem Ludicram, n'imposent cette peine qu'aux Bouffons, et non pas aux Comédiens. Mais c'est une ignorance grossière de ne pas savoir que Ars Ludicra signifie l'Art de représenter toutes sortes de Jeux, et particulièrement les Comédies, comme on le peut apprendre par la seule lecture de Valère Maxime, et par l'interprétation de tous les Jurisconsultes. Et pour peu d'intelligence qu'on ait de la Jurisprudence, on ne peut douter que tous ceux qui montent sur le Théâtre pour le gain, ne soient notés d'infamie par les Lois. Mais il est difficile de comprendre comment l'Auteur de la Dissertation a pu dire que les Comédiens n'ont jamais été notés d'infamie, en même temps qu'il allègue une Déclaration de l'an 1641. par laquelle il paraît que les Comédiens avaient toujours été notés d'infamie jusqu'à cette année-là ; et qu'ils n'en furent alors relevés que sous des conditions qu'ils n'ont jamais observées. S'il avait lu le Rituel de l'Eglise de Paris, il y aurait trouvé une Ordonnance, qui exclut de la Sacrée Communion les Comédiens, comme étant notoirement excommuniés, interdits, et manifestement infâmes. Enfin l'Auteur de la Dissertation, après avoir supposé dans le Chapitre XI. que les Poèmes Dramatiques ont toujours été si honnêtes qu'ils n'ont point été condamnés ; conclut dans le dernier Chapitre, que la représentation des Comédies, et des Tragédies, ne doit point être condamnée, tant qu'elle sera modeste, et honnête. Mais c'est supposer ce qui n'a jamais été, et ce qui ne peut être, comme il paraît par les preuves de tous les Siècles passés depuis l'origine des Comédies, jusqu'à notre temps. L'expérience d'une si longue suite d'années, a fait assez connaître que quelque soin qu'on ait pris pour tâcher de rendre la Comédie honnête, on n'a jamais pu en venir à bout ; parce que la nature même de la Comédie y répugne ; de sorte que si elle était dépouillée de tous les vices qui l'accompagnent, ce ne serait plus une Comédie. Je ne m'étendrai pas davantage sur ce sujet, de peur qu'il ne semble que je veuille préoccuper les esprits de ceux qui prendront la peine de lire cet Ouvrage. Je les avertis seulement que j'ai suivi partout l'ordre de mon Adversaire, en rapportant ses propres paroles, et marquant la page où elles se trouvent dans sa Dissertation : et que j'ai donné le nom d'Observations, aux Réponses que je fais à ce qui regarde le Paganisme, pour les distinguer de celles que je fais à ce qui concerne les sentiments contraires à la pureté de la Religion Chrétienne, auxquelles je donne le nom de Réfutations. **** *book_voisin_defense-traite_1671.pdf *id_body-5 *date_1671 *creator_voisin Table des observations, et des réfutations. Chapitre I. I. Observation. Tous les Jeux, et les Spectacles de l'antiquité n'ont pas fait la plus grande, et la plus solennelle partie de la Religion Païenne, 1. Parce que selon les sentiments des Philosophes, et des gens d'esprit, ils ne faisaient pas même tous partie de la Religion. 2. Parce que ceux qui étaient célébrés à l'honneur des faux Dieux des Païens, n'appartenaient à leur Religion, qu'en tant qu'ils faisaient une partie, et encore la moindre de la solennité de leurs Fêtes. II. Observation. Réfutation du faux raisonnement de l'Auteur de la Dissertation, d'où il s'ensuivrait que les Jeux, et les Spectacles, quelque déshonnêtes, déréglés, et impies qu'ils fussent, auraient été des moyens plus grands, et plus solennels pour obtenir des grâces des Dieux, que n'étaient les Sacrifices, les Processions, les Vœux, et les Prières publiques : que les Théâtres auraient été plus Saints, et plus sacrés que les Temples : et que les Acteurs des Jeux, et des Spectacles auraient été plus vénérables, et plus considérables, que les Pontifes, et les Prêtres des Dieux. III. Observation. Les exemples que l'Auteur de la Dissertation rapporte dans ce premier Chapitre, lui sont inutiles pour établir sa proposition, et nous servent au contraire pour la détruire. IV. Observation. Les Jeux et les Spectacles, principalement ceux que les Païens représentaient aux jours ouvriers, n'étaient que de simples divertissements, et non pas des actes de Religion. Chapitre II. I. Observation. Les Comédies et les Tragédies furent condamnées dès leur origine. II. Observation. Les Païens mêmes ont estimé que les Théâtres étaient très pernicieux, et très préjudiciables aux bonnes mœurs. III. Observation. Valère Maxime témoigne que les représentations du Théâtre déshonoraient la Religion. IV. Observation. Erreur de l'Auteur de la Dissertation, touchant un Passage de Quintilien qu'il a très mal traduit, ne l'ayant pas entendu. V. Observation. Faux raisonnement de l'Auteur de la Dissertation pour avoir confondu les Allégories, et les Mythologies avec les Mystères ; et pour n'avoir pas connu la différence qu'il y avait entre les choses qui appartenaient à la Théologie fabuleuse, et celles qui appartenaient à la Théologie Naturelle, et à la Civile. Les raisons pour lesquelles les Philosophes Païens improuvaient les Comédies, et les Tragédies, font la conclusion de cette Observation. Chapitre III. I. Observation. Les Jeux du Théâtre, et les autres Spectacles n'appartenaient à la Religion païenne, que selon l'erreur populaire : mais les Théologiens, les Philosophes, et les gens d'esprit n'étaient point de ce sentiment. II. Observation. Les Païens distinguaient les Temples d'avec les Théâtres ; et tout ce qui se disait, et ce qui se faisait dans les Temples, d'avec ce qui se disait, et ce qui se faisait dans les Théâtres ; comme des choses honnêtes, et infâmes. Et saint Augustin soutenait au contraire contre les Païens que selon les principes de leur doctrine, et selon la pratique de leur Religion, les Temples n'étaient point plus purs que les Théâtres. L'Auteur de la Dissertation a pris l'argument de saint Augustin pour l'opinion des Païens. Réfutation. Raison pour laquelle dans la suite de ce Livre, on se sert du terme de Réfutation. Dans celle-ci l'on fait voir que c'est sans raison que l'Auteur de la Dissertation allègue Tertullien pour appuyer sa proposition, Que les Spectacles faisaient la plus grande partie des cérémonies du Paganisme ; puisqu'il n'y a pas un seul mot de ce qu'il avance dans Tertullien. Suite de la Réfutation. Où l'on montre que l'Auteur de la Dissertation a falsifié dans sa traduction le texte de Tertullien. Chapitre IV. I. Réfutation. Les Spectacles du Théâtre de notre temps sont des restes exécrables du Paganisme ; et par conséquent il les faut détruire par les raisons que les Anciens Pères ont employées pour détruire l'Idolâtrie des Spectacles du Paganisme, qui sont le principe, et la source de ceux qui restent encore parmi nous. II. Réfutation. L'Auteur de la Dissertation ne rapporte pas fidèlement ce que l'Empereur Constantin fit à l'égard des Statues des Temples des Païens : et il applique encore plus mal cette Histoire à ce qui est arrivé à la Comédie. III. Réfutation. Erreur, et contradiction de l'Auteur de la Dissertation. IV. Réfutation. Il n'est point vrai que sous l'Empire de Constantius, les Spectacles étaient exempts de toute superstition, et quand même ils l'auraient été (ce qui n'est point) il ne s'ensuivrait pas qu'ils eussent été dignes des Chrétiens ; parce que d'ailleurs ils avaient des vices qui les en rendaient indignes. Ve Réfutation. Les Spectacles n'étaient point dignes des Chrétiens sous l'Empire de Théodose. VI. Réfutation. Les Jeux et les Spectacles n'étaient point dignes des Chrétiens sous le Règne d'Arcadius et d'Honorius. VII. Réfutation. Encore que les Empereurs Chrétiens Gratien, Valentinien, Théodose, Léon, et Anthémius, n'eussent défendu les Spectacles qu'aux jours des Fêtes marquées dans leurs Lois ; II ne s'ensuivrait pas néanmoins qu'ils fussent licites aux Chrétiens les autres jours, soit parce qu'étant des choses mauvaises, au moins à cause des circonstances qui les accompagnent, et à cause de leurs effets, il n'est jamais permis aux Chrétiens, ni de les représenter, ni d'y assister : soit parce qu'étant défendus absolument aux Chrétiens par les Lois de l'Eglise, ils ne leur sont licites en aucun temps. VIII. Réfutation. L'Auteur de la Dissertation allègue Sidonius Apollinaris, de mauvaise foi. IX. Réfutation. L'exemple de Baudouin, Empereur d'Orient, ne sert de rien pour justifier les Spectacles, puisque l'Eglise les a toujours condamnés, comme étant indignes des Chrétiens. X. Réfutation. Illusion de l'Auteur de la Dissertation, en ce qu'il a pris le Théâtre de la Chapelle du Pape, pour le Théâtre de la Comédie. Les Chapitres V. VI. VII. VIII. ne traitant que de la différence des Acteurs du Théâtre, et de leurs Noms, sont tout à fait inutiles, et hors de propos ; car cette distinction des différents Acteurs du Théâtre ne regarde point la Morale, qui ne les distingue que selon la différence de leurs vices, et qui les condamne tous selon qu'ils sont plus, ou moins vicieux. Chapitre IX. I. Réfutation. Les Romains ont compris les Comédiens sous le nom d'Histrions, et de Scéniques : et par conséquent en condamnant absolument et sans distinction les Histrions, ils ont aussi condamné les Comédiens. Ainsi le titre que l'Auteur de la Dissertation a mis à la tête de ce Chapitre, est entièrement détruit : et tout ce qu'il a dit dans les quatre Chapitres précédents, est inutile. II. Réfutation. Il n'est point vrai que les Grecs n'aient rien prononcé contre les Comédies, ni contre leurs Acteurs. III. Réfutation. Les Romains estimant que l'art des Jeux, et tous les Spectacles du Théâtre étaient des choses infâmes, non seulement ils ont privé ces sortes de gens qui en sont les Acteurs, des honneurs, et des dignités de leur République ; mais ils les ont même notés d'infamie, et les ont exclus de leurs Tribus. IV. Réfutation. Les Comédiens sont notés d'infamie par l'Edit du Préteur, puisqu'ils sont compris parmi ceux qui montent sur le Théâtre pour le gain, en y exerçant l'art des Jeux. L'Auteur de la Dissertation falsifie le texte de l'Edit, en traduisant artis ludicrae causa pour exercer l'art de bouffonnerie ; au lieu de traduire, pour exercer l'art des jeux. V. Réfutation. La Loi Si fratres dans le Code nous apprend que les Comédiens étaient notés d'infamie, puisqu'ils étaient du nombre de ceux qui montaient sur le Théâtre, et qui exerçaient l'art de représenter les jeux. VI. Réfutation. La Loi Si quæ C. de spect. nous fait voir que le Théâtre était un lieu infâme. VII. Réfutation. La Loi Imperialis C. de nupt. et la Loi Julia ff. de ritu nupt. marquent que les Comédiens étaient notés d'infamie. VIII. Réfutation. La Loi Senatoris ff. de ritu nupt. et la Loi quædam ff. de pœnis, condamnent la Comédie. IX. Réfutation. La Loi consensu C. de Repud. et la Novelle 22. de iis qui nupt. iter. condamnent le Théâtre. X. Réfutation. Néron est blâmé d'avoir récité des Tragédies sur le Théâtre. XI. Réfutation. Emilius Probus témoigne que les Comédiens étaient infâmes parmi les Romains. XII. Réfutation. Tertullien témoigne que les Comédiens étaient infâmes. XIII. Réfutation. Les Atellanes qui n'exerçaient pas l'art de représenter les Jeux, étaient exempts de la note d'infamie, mais non pas ceux qui exerçaient cet art, et qui montaient sur le Théâtre pour le gain. XIV. Réfutation. Les Comédiens que les Romains comprenaient sous les noms d'Histrions, et de Scéniques, étaient notés de l'infamie de droit à cause de leur profession : Mais ceux d'entre eux qui avaient d'ailleurs de bonnes qualités, encore qu'ils fussent notés de l'infamie de droit, à cause de leur métier, n'étaient pas notés de l'infamie de fait. XV. Réfutation. Les Athlètes, les Conducteurs de Chariots, les Thyméliques, ou Musiciens, et les Ministres du Cirque, qui étaient employés aux Jeux des sacrés solennités, n'étaient point notés d'infamie : Mais ceux qui exerçaient cette profession pour le gain, étaient infâmes. L'Auteur de la Dissertation se trompe grossièrement en accusant Tertullien d'ignorance sur ce sujet. XVI. Réfutation. Erreur de l'Auteur de la Dissertation en ce qu'il prétend sans raison que les Conciles n'ont point excommunié les Athlètes, et les Conducteurs de Chariots au Cirque, et encore moins les Acteurs de Tragédies, et de Comédies, et qu'ils n'ont point estimé que ces sortes de gens fussent infâmes. XVII. Réfutation. Saint Augustin condamne les Comédies, et montre qu'elles étaient infâmes, et que leurs Acteurs étaient notés d'infamie parmi les Romains. XVIII. Réfutation. Nos Rois, et les Rois d'Espagne : les Lois Romaines, et le Parlement de Paris ont condamné les Comédies, et leurs Acteurs. Chapitre X. I. Réfutation. Tatien, et Minucius Félix condamnent les Comédies et les Tragédies. II. Réfutation. Tertullien condamne les Comédies, et les Tragédies. III. Réfutation. Saint Cyprien condamne les Comédies, et les Tragédies. IV. Réfutation. Saint Chrysostome condamne les Comédies en termes formels. V. Réfutation. Saint Cyrille Evêque de Jérusalem condamne généralement, et sans exception toutes sortes de spectacles, et par conséquent ceux des Comédies, et des Tragédies. VI. Réfutation. S. Basile a condamné les Comédies, et les Tragédies. VII. Réfutation. Clément d'Alexandrie condamne généralement tous les spectacles sans aucune exception, et par les mêmes raisons pour lesquelles les Tragédies, et les Comédies doivent être défendues. VIII. Réfutation. Illusion de l'Auteur de la Dissertation en ce qu'il prétend que les Hébreux n'ont pas estimé les Poèmes Dramatiques indignes de leurs soins, ni contraires à la sainteté de leur Religion. IX. Réfutation. Autre illusion de l'Auteur de la Dissertation en ce qu'il s'est imaginé qu'il y avait des Tragédies, et des Comédies du temps des enfants de Caïn. X. Réfutation. Le Concile Elibertin, ou d'Elvire, et celui de Constantinople in Trullo condamnent les Acteurs de Comédies, et de Tragédies. XI. Réfutation. Passage de Saint Augustin dont le droit Canonique a formé la Canon Donare dist. 86. où ce grand Docteur montre que ceux qui donnent aux Comédiens à cause des Comédies qu'ils jouent, offensent Dieu. XII. Réfutation. Le 1. Concile de Milan a condamné les Comédies. XIII. Réfutation. Illusion de l'Auteur de la Dissertation sur un passage de Gaufrédus, pour avoir ignoré qu'en cet endroit le mot Inventores signifie Trouvères, ou Troubadours. XIV. Réfutation. Salvien condamne les Comédies, et les Tragédies. Chapitre XI. I. Réfutation. Abrégé de ce qui a été dit dans les Réfutations précédentes contre les Comédies, et les Tragédies. II. Réfutation. Fausse citation de Tertullien, qui d'ailleurs est inutile à l'Auteur de la Dissertation : à qui l'on fait voir évidemment que Tertullien condamne les Comédies, et les Tragédies. III. Réfutation. Saint Cyprien déclare que les Acteurs de Comédie, et de Tragédies méritent d'être excommuniés : Et ils le sont aussi dans le Rituel de l'Eglise de Paris. IV. Réfutation. Excellent passage de Saint Augustin, que l'Auteur de la Dissertation a tronqué, et falsifié ; dans lequel ce grand Docteur nous apprend que les Comédies, et les Tragédies étaient comprises dans les Jeux Scéniques, ou de la Scène ; et que par conséquent les Romains en condamnant tous les Jeux Scéniques ou de la Scène, et en notant d'infamie leurs Acteurs, ont aussi condamné les Comédies, et les Tragédies, puisqu'elles faisaient partie des Jeux de la Scène. Autres passages de Saint Augustin mal entendus par l'Auteur de la Dissertation. V. Réfutation. Lactance condamne les Comédies, et les Tragédies. VI. Réfutation. Les Canons qui défendent de lire les Comédies, défendent aussi par conséquent de les voir représenter. Et cette défense est un précepte, et non pas un simple conseil. Chapitre XII. I. Réfutation. Les Comédies et les Tragédies sont mauvaises selon leur genre, selon leur espèce, selon leurs circonstances, selon leur fin, et selon leurs effets. C'est pourquoi les Lois Civiles, et Canoniques les condamnent. II. Réfutation. Plus les Comédies sont ingénieuses, et éloquentes, plus elles sont dangereuses. III. Réfutation. L'Eglise défend de représenter sur le Théâtre le martyre, et la vie des Saints. IV. Réfutation. Des Tragédies des Collèges. V. Réfutation. Illusion de l'Auteur de la Dissertation touchant la réformation des Comédies, et des Tragédies. VI. Réfutation. Erreur de l'Auteur de la Dissertation touchant le rétablissement des jeux de Majuma. VII. Réfutation. L'Eglise n'a jamais approuvé qu'on représentât des Comédies dans les lieux sacrés ; Et le Parlement même ne souffre pas qu'on les représente dans les Auditoires de la justice. VIII. Réfutation. Les Comédies, et les Tragédies qui représentaient la Passion de Notre Sauveur, les Actes des Apôtres, et les Histoires du vieux, et du nouveau Testament ont été condamnées par le Parlement de Paris. IX. Réfutation. La Déclaration du Roi Louis XIII en faveur des Comédiens, ne leur a été accordée que sous des conditions, qu'ils n'ont jamais exécutées. X. Réfutation. Une femme est d'autant plus vertueuse, que plus elle s'éloigne du Théâtre. XI. Réfutation. Les Comédies, et les Tragédies qu'on représente d'ordinaire sur le Théâtre, ne servent qu'à corrompre les mœurs. XII. Réfutation. Touchant l'explication d'un passage de saint Thomas. Preuves du xiv. siècle. Contre la Comédie. Preuves du xv. siècle. Contre la Comédie. Preuves du xvi. siècle. Contre la Comédie. Preuves du xvii. siècle. Contre la Comédie. Explication des sentiments de S. François de Sales Evêque de Genève. Touchant la Comédie. **** *book_voisin_defense-traite_1671.pdf *id_body-6 *date_1671 *creator_voisin Réfutation d'un livre intitulé Dissertation sur la condamnation des théâtres. Chapitre premier. Que les spectacles des anciens ont fait partie de la Religion Païenne. Tout le monde demeure d'accord que les Spectacles des Païens faisaient partie de leur Religion ; de sorte qu'il n'était pas nécessaire que l'Auteur de la Dissertation se mît en peine de le prouver : Et je ne me serais pas aussi arrêté à ce qu'il dit sur ce point, s'il l'eut traité avec exactitude. Mais comme il n'en parle que superficiellement, et sans beaucoup de discernement ; J'ai été obligé de faire quelques observations sur le premier et sur le second chapitre de sa Dissertation. Pour ôter toute équivoque, il faut remarquer que par le mot de Spectacles on entend toutes sortes de divertissements publics, comme S. Charles Borromée l'a très bien remarqué : « On sait assez, dit ce S. Prélat, que le nom de Spectacles comprend généralement toutes sortes de divertissements qui ont été fréquentés, et qui sont recherchés pour le plaisir : et les lois que nous avons citées dans le chapitre précédent le déclarent encore assez. » Ainsi les Spectacles et les Jeux ne signifient qu'une même chose selon divers regards. On donne le nom de jeu à l'action, et à la représentation ; et l'on donne le nom de spectacle, à la vue de l'action et de la représentation. C'est en ce sens que le Maître des sentences dit, « Que les Pénitents qui désirent obtenir la grâce entière et parfaite de la rémission de leurs péchés, doivent s'abstenir des Jeux, et des Spectacles ». Sur quoi S. Thomas remarque, que les Spectacles signifient la vue des choses. Et selon les Jurisconsultes, les Spectacles signifient les lieux qui sont établis pour voir les Jeux. Dissertation pag. 2. « Tous les Jeux, et les Spectacles de l'Antiquité ont fait la plus grande, et la plus solennelle partie de la Religion Païenne. » Première Observation. L'Auteur de la Dissertation ayant entrepris de montrer que les Spectacles des Anciens ont fait partie de la religion Païenne, dont nous demeurons tous d'accord ; la passion qu'il a pour les Spectacles, l'a emporté plus avant dès l'entrée de son discours, s'engageant de prouver que tous les Jeux, et les Spectacles de l'Antiquité ont fait la plus grande et la plus solennelle partie de la religion Païenne. Cette nouvelle proposition mérite d'être examinée ; mais il faut auparavant remarquer 1° que la religion comprend le culte divin, qui regarde la croyance : et la manière de rendre ce culte qui regarde l'usage, et la pratique de la religion. 2° Que la croyance du peuple Païen était qu'il y avait plusieurs Dieux ; et dans la pratique il les adorait en toutes les manières qui étaient autorisées par les lois, et par la coutume, quelques superstitieuses qu'elles fussent. 3° Que les Philosophes, et les gens d'esprit qui étaient parmi eux, avaient une croyance, et des sentiments bien différents de ceux du peuple touchant leurs Dieux, et le culte qu'on leur doit rendre ; car ils croyaient que les Dieux que le peuple adorait, n'étaient que de faux Dieux : « Vous voyez, dit Cicéron, comment des choses naturelles bien et utilement inventées, l'on s'est laissé emporter, jusqu'à en forger de faux Dieux. C'est de là que les opinions fausses, que les erreurs fanatiques, et les superstitions ridicules se sont introduites dans le monde. De là nous sont venues les formes des Dieux, leur âge, leurs habits, leurs ornements et leurs livrées. Cela a aussi donné lieu à leurs généalogies, et à leurs mariages, et leur a fait attribuer tout ce qui est de la faiblesse humaine de même que s'ils étaient hommes. ... Il y a de la folie et à dire et à croire toutes ces choses qui ne sont que vanité, que mensonge et qu'imposture. » Mais encore que la croyance, et les sentiments que ces Philosophes avaient des Dieux, et de leurs cultes, fussent très différents de ceux du peuple ; néanmoins dans la pratique de la religion, ils adoraient les Dieux extérieurement et en apparence, en la même manière que le peuple les adorait, condamnant dans leur cœur ce culte comme une superstition qui n'était point agréable à la Divinité. Ainsi Sénèque dans le livre contre les superstitions que S. Augustin allègue dans le 6e livre de la Cité de Dieu chap. 10. donne cet avis à un homme sage, sur ce qui regarde le culte des Dieux, « d'observer tout ce qu'on y observe, comme des choses qui sont ordonnées par les lois, mais non pas comme des choses qui soient agréables aux Dieux  ». Et dans le même livre. « Adorons , dit-il, toute cette méprisable troupe de Dieux, qu'une longue superstition a établie depuis tant de siècles ; mais en telle sorte que nous nous souvenions que cette adoration est plutôt une déférence que nous donnons à la coutume, qu'un culte véritable que nous leur rendons. » Ainsi Platon, selon S. Chrysostome, encore qu'il sût bien que l'Idolâtrie n'était qu'erreur, et qu'imposture, ne laissa pas de célébrer les fêtes des Dieux, et de faire toutes les autres choses qui regardaient leur culte, n'ayant pas assez de force pour résister au torrent de la coutume. Et Cicéron adorant extérieurement les Dieux en la manière que le peuple les adorait, croyait rendre à un seul Dieu un vrai culte de religion, et être exempt de Superstition, et d'Idolâtrie, parce qu'il la condamnait en son cœur, et qu'il ne reconnaissait point pour Dieux ceux qu'il adorait extérieurement, concevant sous leurs noms les divers effets de la puissance d'un seul Dieu. « Après avoir, dit-il,rejeté et condamné toutes ces fables, nous pouvons concevoir un Dieu qui passe et qui pénètre dans la nature de chaque chose, sous le nom de Cérès dans la terre ; sous celui de Neptune dans la mer ; et sous d'autres noms dans les autres choses : Quels que soient ces Dieux, et quelques noms que la coutume leur ait donnés, nous devons les adorer. Or le culte des Dieux le meilleur, le plus pur, le plus saint, et le plus pieux, consiste à les adorer toujours avec une pureté, et une sincérité de cœur, dans les prières qu'on leur fait. » Tous ces détours que ces grands hommes du Paganisme prenaient pour ajuster leur religion avec la superstition et l'idolâtrie du peuple, ne servaient qu'à les rendre plus coupables devant Dieu. Car le peuple ignorant, et grossier adorait ce qu'il croyait être adorable ; et ceux-ci adoraient ce qu'ils croyaient ne mériter pas leurs adorations, et leurs hommages. « Ils révéraient, comme dit S. Augustin parlant de Sénèque, ce qu'ils blâmaient : ils faisaient ce qu'ils improuvaient, ils adoraient ce qu'ils condamnaient, parce que la Philosophie leur avait enseigné comme une grande maxime, qu'il ne fallait pas être superstitieux dans le monde ; mais qu'à cause des lois des citoyens, et de la coutume des hommes, ils pouvaient les imiter, et faire ce qu'ils faisaient dans le temple, sans y faire un faux personnage, comme font les Comédiens sur le Théâtre. En quoi ils étaient d'autant plus coupables, qu'ils faisaient de telle sorte ce qu'ils feignaient de faire ; que le peuple croyait pourtant qu'ils le faisaient avec sincérité, et sans aucun déguisement, au lieu que les Comédiens divertissaient plutôt le peuple par leurs jeux, qu'ils ne le trompaient par leurs fictions. » C'est de ces sortes de gens que l'Apôtre dit, « Qu'ils ont connu Dieu, mais qu'ils ne l'ont pas glorifié comme Dieu ». Toutefois la Providence de Dieu qui sait tirer le bien du mal, et tourner toutes choses à sa gloire, a fait que la connaissance que ces Philosophes ont eue de la vérité, a servi aux Chrétiens pour combattre la superstition et l'idolâtrie des Païens par le témoignage de leurs propres auteurs. Cela étant présupposé, examinons maintenant la proposition de la Dissertation. Nous pouvons prendre pour règle de cet Examen ou les sentiments des Philosophes du Paganisme ; ou la croyance du peuple. L'Auteur de la Dissertation déclare dans le 2. chapitre pag. 51. et 52. qu'il faut juger de ces matières selon les sentiments que les Théologiens, les Philosophes et les Gens d'esprit en avaient ; et non pas selon la croyance du petit peuple ignorant et grossier. Suivons donc cette règle qu'il nous propose lui-même ; et voyons s'il est vrai selon les sentiments des Théologiens, des Philosophes, et des gens d'esprit, « Que tous les Jeux et les Spectacles de Antiquité ont fait la plus grande et la plus solennelle partie de la Religion Païenne ». Tite-Live nous apprend dans le 7. livre de sa première Décade, que l'institution des jeux scéniques est un effet de la superstition. Nous rapporterons ici le passage tout entier, parce qu'il est tronqué dans ce 1. chapitre de la Dissertation pag. 11. Voici les paroles de Tite-Live. « La peste continua tout le long de cette année, et de l'année suivante, sous le consulat de T. Sulpitius Peticus, et de C. Licinius Stolon. Et durant ce temps-là il ne se fit rien de mémorable, si ce n'est que pour apaiser la colère des Dieux on célébra les Lectisternes pour la troisième fois depuis la fondation de la ville. Comme l'on vit que le mal ne diminuait point, ni par le secours des hommes, ni par l'assistance des Dieux ; Enfin on se laissa vaincre par la Superstition : et l'on dit qu'entre autres choses pour apaiser l'indignation du Ciel, on institua les jeux scéniques, chose nouvelle parmi un peuple belliqueux ; car auparavant il n'y avait point d'autres jeux que ceux du Cirque. » D'où il s'ensuit que puisque les Jeux Scéniques faisaient partie de la superstition ; ils ne faisaient point partie de la Religion. Car selon Cicéron, la superstition est un vice, qui est opposé à la Religion. « Non seulement, dit-il, les Philosophes ; mais aussi nos Pères ont séparé la superstition de la Religion…. Ainsi le mot de superstitieux est un nom de vice ; et celui de religieux est un nom de louange et de vertu. » Il n'est donc pas vrai selon les sentiments de ces grands hommes, que tous les jeux et les spectacles de l'Antiquité aient fait la plus grande, et la plus solennelle partie de la Religion païenne ; puisque les jeux scéniques n'étant qu'un effet de la superstition, ne faisaient pas même partie de la religion. Valère Maxime, quoiqu'il dise que les jeux publics avaient été inventés pour honorer les Dieux, et pour divertir les hommes ; néanmoins considérant les combats sanglants qui se faisaient sur le théâtre, ou que ces spectacles causaient par les divers partis qui s'y formaient sur leur sujet, bien loin de les regarder comme des choses de religion ; il déclare qu'ils déshonoraient la religion. « Après avoir parlé, dit-il, de ce qui regarde les combats qui ensanglantent la campagne, passons à ceux qui se font dans les villes : c'est-à-dire, parlons des Théâtres, dont on a fait souvent un champ de bataille ; car ayant été inventés pour le culte des Dieux, et pour le divertissement des hommes ; ils ont corrompu la pureté des plaisirs de la paix ; et ont déshonoré la religion par le sang des citoyens que les spectacles monstrueux de la Scène y font répandre. » Pour ce qui regarde les jeux des Gladiateurs, et les autres combats sanglants, la peinture que Sénèque en fait est si horrible, qu'il n'y a point lieu de douter qu'il ne croyait pas que ces spectacles pussent faire une des plus solennelles parties de la Religion. « Tous ces spectacles, dit-il,ne sont rien autre chose que des homicides. Le matin on fait combatte des hommes contre des lions et des ours. A midi on les abandonne à la discrétion de leurs spectateurs. Aussitôt qu'il y en a un qui a tué son homme, on le met aux mains avec un autre, qui le tue : et jamais on ne laisse le victorieux en repos jusqu'à ce qu'un autre l'ait égorgé. Enfin le peuple ne s'en va point que tout ne soit mort : tout passe par le fer, et par le feu. C'est ce qui se fait tandis que l'Amphithéâtre n'est point occupé, si quelqu'un a volé, il mérite d'être pendu ; s'il a tué il doit souffrir la mort. Mais toi, pauvre misérable, qu'as-tu fait qui ait mérité qu'on te condamnât à des spectacles si inhumains, où le peuple crie sans cesse ? tue, brûle, frappe. Pourquoi craint-il si fort l'épée de son adversaire ? Que n'est-il plus hardi à tuer ? Que ne meurt-il avec plus de résolution, et de constance ? On les entraîne aux coups avec des filets : et il faut que tout nus ils cherchent l'épée l'un de l'autre, et se l'enfoncent dans le sein. Le spectacle est-il cessé ? On égorge des hommes plutôt que de demeurer sans rien faire ; et cependant vous ne prenez pas garde, que vous donnez des exemples pernicieux qui peuvent tourner à votre ruine. » Plutarque avait tant d'horreur de la manière d'honorer les Dieux en leur immolant des hommes, qu'il estime qu'il vaudrait mieux n'avoir jamais eu aucune connaissance des Dieux, que de croire qu'il y en ait de si cruels, qu'ils se plaisent à être honorés par des meurtres. Quant aux autres jeux non sanglants, ce que Tacite en a remarqué, est fort considérable. Lorsque l'Empereur Néron introduisit dans Rome des jeux à l'imitation de ceux de la Grèce qui se célébraient tous les cinq ans, les sentiments que les plus sages eurent de ces jeux, et de tous ceux du Théâtre, nous font voir clairement qu'ils ne les regardaient pas comme des choses appartenant à la Religion, mais comme des choses profanes, et pernicieuses. « Néron étant Consul pour la quatrième fois avec Cornelius Cossus, on établit à Rome des jeux à l'imitation de ceux de la Grèce qui se célèbrent tous les cinq ans. Cette nouveauté fut reçue diversement, comme toutes les autres : les uns disaient que Pompée même avait été repris par les vieillards de son temps, pour avoir fondé un Théâtre perpétuel. Car auparavant on n'en dressait qu'à mesure qu'on en avait à faire : et dans le commencement de Rome le peuple assistait aux Spectacles tout debout. On disait qu'en faisant des Sièges, on avait fait des trônes à l'oisiveté, et à la paresse, où l'on passait les jours entiers à ne rien faire. Qu'on ne gardait pas seulement l'ancienne coutume, qui ne contraignait aucun citoyen à s'y trouver, ni à monter sur le Théâtre ; Mais que foulant aux pieds les lois de nos Ancêtres, nous donnions entrée chez nous aux vices des étrangers ; afin que Rome fût le réceptacle de toute sorte d'ordure, et de corruption. Que notre jeunesse se laissait aller peu à peu à l'oisiveté des Grecs, et prenait leurs plaisirs, leurs exercices, et leurs sales amours, par l'autorité du Prince et du Sénat, qui ne se contentaient pas de souffrir les vices ; mais les commandaient. Que les principaux sous ombre de faire des versets et des harangues montaient déjà sur le Théâtre ; et qu'il ne leur restait plus qu'à descendre tout nus en l'arène, et de prendre le Ceste au lieu de la cuirasse, et de l'épée. Que les Augures n'apprendraient point à vivre saintement ; et les chevaliers à devenir bons juges, en ne s'étudiant qu'à savoir toute la mollesse des tons, et des nombres de la Musique ? Qu'on avait même choisi la nuit pour accroître l'infamie, et pour ne laisser aucun asile à la pudeur ; et qu'il était bien facile aux débauchés parmi la confusion, et les ténèbres, d'exécuter les convoitises du jour, et les adultères prémédités pendant la lumière. » Je ne doute point que Sénèque ne fût de cet avis, puisque dans l'épître 7. qu'il écrit à Lucile, il condamne généralement tous les Spectacles. « Il n'y a rien, dit-il, de plus pernicieux, ni de plus nuisible aux bonnes mœurs, que de s'arrêter à quelque Spectacle ; car alors les vices se glissent plus facilement dans l'âme, par le plaisir qu'on y prend. Que pensez-vous que je dise ? j'en deviens plus avare, plus ambitieux, plus dissolu, et qui pis est, plus cruel et plus inhumain. » Cicéron n'improuvait pas moins les Spectacles, comme il le témoigne dans la lettre qu'il écrit à Marius, sur le sujet des Jeux que Pompée fit célébrer à la consécration du Théâtre qu'il avait bâti. « Si quelque douleur du corps, dit-il, ou quelque autre indisposition vous a empêché de vous trouver aux Jeux publics ; il faut plutôt attribuer cela au hasard, que le prendre pour un effet de votre sagesse. Que si vous portant bien vous n'avez pas voulu néanmoins y venir, par un mépris que vous avez pour ces sortes de choses qui font l'admiration des autres ; je me réjouis de l'un, et de l'autre, de votre santé, et de votre bon sens qui vous fait mépriser ce que les autres admirent sans raison…. Pour nous il nous a fallu souffrir les pièces de Théâtre que P. Macius avait approuvées. Et afin de vous en dire librement ma pensée, ces jeux étaient très magnifiques ; mais ils n'eussent pas été certainement à votre goût, dont je juge par le mien. » Il faut avouer que Cicéron, ni Marius n'auraient point eu tant de mépris pour les Jeux, et pour les Spectacles, s'ils eussent cru qu'ils faisaient la plus grande, et la plus solennelle partie de la Religion. Julien l'Apostat, qui était si passionné pour le culte des faux Dieux que les Païens adoraient, était si éloigné de croire que les Jeux et les Spectacles des Théâtres fissent la plus grande et la plus solennelle partie de la Religion ; qu'il les regardait au contraire comme « des choses très infâmes, et comme des occupations les plus honteuses de la vie, pour lesquelles il avait, , dit-il, autant d'aversion et de haine, qu'il avait de vénération et de zèle pour le culte des Dieux dans les temples ». Mais comme ces grands esprits du Paganisme ne laissaient pas de s'accorder avec le peuple dans la pratique de la Religion ; il ne sera pas inutile d'examiner encore la proposition de la Dissertation selon la pratique de la Religion Païenne. Examen de la proposition de la Dissertation selon la pratique de la Religion Païenne. Les gens d'esprit parmi les Païens séparaient la Religion de la Superstition, ainsi que nous l'avons fait voir ci-dessus. Mais dans l'usage commun du peuple, la Religion comprenait toutes sortes de cultes des Dieux, quelques superstitieux qu'ils fussent, lorsqu'ils étaient autorisés par les lois, ou par la coutume. Ainsi Varron, selon le témoignage de S. Augustin, met les Jeux Scéniques au rang des choses divines, non pas selon son sentiment, mais selon l'usage commun dans la pratique de la Religion. « Varron, dit S. Augustin, le plus docte des Païens, et de très grande autorité, composant divers livres des choses divines et humaines ; et traitant des unes et des autres séparément selon leurs différences, n'a pas mis les Jeux de la Scène au rang des choses humaines ; mais au rang des choses divines. Au lieu que dans un état, où il n'y aurait que des personnes de probité, et d'honnêtes gens, on n'eût pas dû même les mettre au rang des choses humaines. Mais certes ce n'est pas de son autorité qu'il en a usé de la sorte ; Ce qui l'y a obligé est qu'à Rome, où il était né, et où il avait été élevé, il avait trouvé ces Jeux reçus au rang des choses divines. » Cicéron dans le second livre des lois traitant de la Religion, et des choses qui appartiennent à la Religion, y comprend aussi les Jeux publics ; mais avec cette condition ; « qu'ils soient dans la modération prescrite par la loi » Aussi les Censeurs avaient un grand soin de faire observer cette modération dans les Jeux publics jusques là que lorsqu'on commença à dresser des Théâtres, Scipion Nasique s'y opposa, et en fit vendre tout l'appareil à l'encan. Et le Sénat défendit par Arrêt de dresser aucuns sièges, ou échafauds pour voir les Jeux étant assis, soit dans la ville, soit à demi-lieu près de la ville ; « Afin de ne pas dresser des trônes à l'oisiveté et à la paresse  », comme dit Tacite. Il n'est donc pas vrai que tous les Jeux et les Spectacles absolument, et sans exception fissent la plus grande et la plus solennelle partie de la Religion ; puisqu'ils ne faisaient pas même tous partie de la Religion, les lois en exceptant ceux qui n'étaient pas dans la modération qu'elles prescrivaient. Les lois qui ordonnaient au Pontife de ne pas souffrir qu'on introduisît des Religions sales et honteuses ; mais de les condamner comme impies ; Ne condamnaient-elles pas aussi les Spectacles honteux et déshonnêtes ? N'est-ce pas pour cela qu'elles déclaraient infâmes les acteurs des Spectacles ? Si ces Spectacles eussent fait la plus grande et la plus solennelle partie de la Religion, pourquoi aurait-on défendu d'y mener les enfants ? Car Aristote déclare que « les Législateurs ne doivent point souffrir que les jeunes gens aillent aux Comédies ni aux Tragédies ». Pourquoi l'Empereur Julien l'Apostat aurait-il ordonné au grand Pontife des Païens dans la Galatie, d'exhorter ses Prêtres de ne point aller aux Théâtres ? Pourquoi aurait-on défendu aux femmes d'être spectatrices des Jeux Olympiques ? Pourquoi l'Empereur Auguste aurait-il défendu aux femmes de se trouver aux Jeux des Athlètes ? Si les Romains eussent cru que tous les Jeux et les Spectacles étaient des choses de Religion ; les maris n'eussent point eu droit de répudier leurs femmes pour y être allées sans leur permission. Et toutefois « P. Sempronius répudia la sienne seulement à cause qu'elle avait eu la hardiesse d'aller voir les jeux sans sa permission. » Si la ville de Marseille eût été persuadée que tous les Jeux et les Spectacles faisaient la plus grande, et la plus solennelle partie de leur Religion ; en aurait-elle exclu les Mimes ? « La ville de Marseille, dit Valère Maxime, garde si exactement la sévérité de sa discipline, qu'elle ne laisse pas monter sur le Théâtre les Mimes, qui ne représentent dans la plupart de leurs pièces, que des amours impudiques ; de peur que ses Citoyens s'accoutumant à voir ces représentations, ne prennent la liberté de les imiter. » Si tous les Jeux étaient des choses de Religion, pourquoi les Pantomimes n'osèrent-ils pas se trouver aux Jeux sacrés que Néron faisait célébrer. « Encore que les Pantomimes, dit Tacite, eussent la liberté de monter sur le Théâtre, il ne leur fut pas néanmoins permis de se trouver à ces Jeux qui étaient sacrés. » Le Peuple Romain croyait-il que ces Jeux des Pantomimes fissent une partie solennelle de la Religion, lorsqu'il pria l'Empereur Trajan de les abolir ? Ce que Pline second représente excellemment dans son Panégyrique en ces termes : « La bonne vie du Prince est la censure perpétuelle de nos mœurs : c'est elle que nous nous proposons d'imiter : C'est sur elle que nous avons continuellement les yeux tournés : Nous n'avons pas tant besoin de commandements, que d'exemples ; la crainte étant peu capable et ayant d'elle-même peu de force pour nous porter au bien : les exemples nous instruisent beaucoup mieux ; car ils ont cet avantage, et cette utilité, qu'ils nous font voir que ce qu'ils nous proposent, n'est pas impossible. En effet quelle terreur eût jamais été capable de faire ce qu'a fait le respect, et la vénération qu'on a pour votre Majesté ? Un de nos Princes (Domitien) obtint à la vérité des Romains qu'ils souffrissent qu'on abolît les Spectacles des Pantomimes ; mais il ne put obtenir que ce fût de leur plein gré qu'ils y consentissent. Il n'en est pas de même de vous ; car ils sont venus d'eux-mêmes vous supplier de leur accorder ce que ce Prince exigeait d'eux par force : et ils ont reçu comme un bienfait, ce qui leur était autrefois une nécessité de souffrir malgré qu'ils en eussent. Car tout le Peuple vous conjura d'une commune voix d'abolir les Spectacles des Pantomimes avec autant d'empressement qu'il en avait témoigné à votre Père lorsqu'il le supplia de les vouloir rétablir. Il y a eu en cette rencontre de la justice de part et d'autre. Car il fallait rétablir ces Jeux, parce qu'un méchant Prince les avait ôtés, et il fallait les abolir après les avoir rétablis. C'est ainsi qu'on doit se conduire à l'égard des bons règlements que les mauvais Princes ont faits, afin qu'il paraisse que ce n'est pas l'action qu'on improuve ; mais que c'est à cause qu'on n'en peut supporter l'Auteur. Ce peuple donc qui se plaisait autrefois à voir jouer un Empereur sur le Théâtre, et qui lui donnait des applaudissements, est à présent le même qui se déclare contre les Pantomimes, et qui condamne ces Jeux infâmes, et ces divertissements honteux à notre siècle. Cela nous fait connaître clairement, que le menu peuple même est capable de se régler sur la bonne vie du Prince, et que tout le monde se porte à la vertu, quelque sévère qu'elle soit, lorsque le Prince la pratique. Continuez donc, ô César, cette sérieuse conduite qui vous attire tant de vénération et de respect, que ce qu'on ne faisait auparavant que par force et par crainte, on le fait maintenant par l'amour de la vertu et des bonnes mœurs. » Enfin si nous considérons comment les Jeux et les Spectacles faisaient partie de la Religion Païenne, nous verrons que la proposition de l'Auteur de la Dissertation n'est nullement soutenable : « Que tous les Jeux et les Spectacles de l'Antiquité ont fait la plus grande et la plus solennelle partie de la Religion Païenne. » Comment les Jeux et les Spectacles faisaient partie de la Religion Païenne. Les Jeux et les Spectacles de l'Antiquité faisaient partie de la Religion Païenne, en tant qu'ils faisaient partie de la solennité de leurs Fêtes. Macrobe nous l'apprend par ces paroles : « Les Fêtes comprennent les sacrifices, les festins sacrés, les Jeux et les féries… C'est une sacrée solennité, lorsqu'on offre les sacrifices aux Dieux, ou lorsque le jour se passe en festins sacrés, ou lorsqu'on célèbre les Jeux en l'honneur des Dieux, ou lorsqu'on observe les féries. » Or les Jeux et les Spectacles ne faisaient pas la plus grande partie des Fêtes, puisque des quatre parties des Fêtes ils n'en faisaient tous ensemble qu'une seule, et encore la moindre, au moins au regard des sacrifices, et des féries ; et par conséquent les Jeux et les Spectacles ne faisaient pas la plus grande partie de la Religion Païenne. Ils ne faisaient pas non plus la plus solennelle partie des Fêtes. Car il est certain que c'étaient les sacrifices qui faisaient la principale solennité des Fêtes ; puisqu'il n'y avait point de Fêtes sans sacrifice, comme le nom même de Férie nous le fait entendre, qui vient, selon Festus, a feriendis victimis, c'est-à-dire, de ce qu'on immolait en ces jours des victimes aux Dieux. Au lieu qu'il y avait une infinité de Fêtes sans Jeux, et sans Spectacles : et qu'ils ne rendaient point solennels les jours auxquels il n'y avait point de sacrifice. Car il y avait des Jeux et des Spectacles les jours ouvriers, ainsi qu'on le peut apprendre par ces paroles de l'Empereur Julien l'Apostat : « J'ai toujours autant fui les Jeux du Cirque, que ceux qui sont chargés de beaucoup de dettes, fuient la place publique. C'est pourquoi je n'y vais que rarement ; à savoir les jours de Fête. » D'où il s'ensuit qu'il y avait des Jeux et des Spectacles en d'autres jours qu'aux jours de Fête. Et pour montrer que cet Empereur n'estimait pas que ces Jeux et ces Spectacles fissent la plus solennelle partie de sa Religion ; il ne faut que rapporter ce qu'il ajoute ensuite : « Je ne m'y arrête pas tout le long du jour ; mais après avoir vu environ la sixième course, sans plaisir, ou plutôt avec ennui, et avec dégoût, je me retire bien aise de m'en être dégagé. » Un Empereur qui assistait avec tant d'assiduité aux sacrifices qu'on offrait aux Dieux dans leurs temples et qui était si passionné pour leur culte, aurait-il parlé de la sorte des Jeux et des Spectacles, s'il eût cru qu'ils faisaient la plus grande, et la plus solennelle partie de sa Religion ? Les sentiments de Cicéron n'étaient pas aussi fort éloignés de ceux de cet Empereur, lorsqu'il préfère les exercices de ses études aux Fêtes des Jeux. « Qui est-ce, dit-il, qui trouvera mauvais, ou qui me reprendra avec raison, si je prends pour employer à l'étude le temps que les autres donnent à leurs affaires, aux Fêtes des Jeux publics, à leurs autres plaisirs, au repos même du corps, et de l'esprit, et que quelques-uns passent à la débauche des festins, aux jeux de hasard, ou à la paume ? » Si le Peuple Romain eût cru que tous les Jeux et les Spectacles faisaient la plus grande et la plus solennelle partie de la Religion ; ce sage Politique se fût bien gardé de parler de la sorte devant un Préteur du Peuple Romain, devant des Juges graves et sévères, et en une audience si célèbre. Justin l'Historien n'eût pas aussi osé dire que les Fêtes des Jeux, et des Spectacles étaient la principale cause de la corruption des mœurs, et de la ruine des Etats. Voici ce qu'il dit : « La mort d'Epaminondas contribua aussi beaucoup à affaiblir le courage des Athéniens : car comme ils n'eurent plus en tête celui dont la vertu leur donnait de l'émulation, ils commencèrent à devenir stupides et fainéants, et à dépenser le revenu de la République, non à faire équiper des vaisseaux, et à soudoyer des armées, comme autrefois ; mais à célébrer des Fêtes et des Jeux magnifiques. Ils ne firent autre chose depuis que de fréquenter les Théâtres avec les Acteurs, et les Poètes, se trouvant plutôt aux Spectacles de la Scène, qu'aux armées, et faisant plus d'état des faiseurs de vers, et de harangues, que des plus grands Capitaines. Ils commencèrent à partager avec le peuple de la ville les deniers publics qu'on levait auparavant pour l'entretien des armées de terre et de mer. Pendant que les Grecs vivaient dans cette oisiveté, leurs débauches furent cause que les Macédoniens, qui jusqu'alors avaient paru fort méprisables, se mirent en grande réputation ; et que Philippe qui avait été retenu trois ans en otage dans Thèbes, où il eut pour maîtres ces vaillants hommes Epaminondas, et les Pélopides, assujettit la Grèce, et l'Asie à la domination des Rois de Macédoine. » Et pour ne rien omettre sur ce sujet, il faut remarquer que la Fête des Jeux du Cirque avait deux parties, l'une de la pompe, et l'autre des Spectacles : la pompe était la cérémonie de la procession que les Pontifes et les principaux de la ville conduisaient du Capitole, dans le Cirque, portant les images des Dieux, et faisant des sacrifices. Ces deux parties sont marquées dans l'Arrêt que le Sénat donna pour refaire les Jeux, sur ce qu'Attinius dit que Jupiter lui avait révélé en songe, qu'il était offensé de l'irrévérence de ceux qui avaient fait passer au milieu du Cirque un esclave chargé d'une potence, à laquelle il devait être attaché ; c'est pourquoi il voulait qu'on refît les Jeux. Sur quoi « le Sénat ordonna qu'on referait la Pompe, et les Jeux ». Il est question de savoir quelle était la plus solennelle partie de la Fête du Cirque. Il n'y a point de doute que ce ne fût la Pompe, puisque c'était elle qui rendait les Jeux et les Spectacles solennels ; comme Ovide nous l'apprend : « Les Jeux du Cirque , dit-il, seront solennels par la Pompe, et par le nombre des Dieux. » Et par conséquent les Jeux et les Spectacles ne faisant pas la plus solennelle partie de la Fête du Cirque ne faisaient point aussi la plus solennelle partie de la Religion. Enfin lorsque Pompée ayant bâti un Théâtre, et un Temple au-dessous à l'honneur de Vénus, appela le peuple à la consécration de cet édifice, il ne l'invita qu'à la consécration du Temple, sans parler du Théâtre, comme il paraît par l'édit qu'il publia, qu'on peut lire dans Tertullien, et dans le Traité de la Comédie et des Spectacles de Monseigneur le Prince de Conti. Ce que Pompée n'eût point fait, et n'eût pas même dû faire, si le peuple Romain eût cru que les Jeux publics et les Spectacles faisaient la plus grande, et la plus solennelle partie de la Religion. Cela suffit pour faire voir que la proposition de la Dissertation, n'est point absolument véritable. Examinons les raisons dont l'Auteur prétend se servir pour l'appuyer. Dissertation pag. 3. « Tout y était mystérieux, et sacré, soit de la part de ceux que l'on croyait les avoir institués, et à qui ils étaient consacrés ; soit pour les causes non seulement de leur institution ; mais aussi de leur célébration, soit par la qualité de ceux qui devaient y présider, et en prendre soin ; ou par les vœux des combattants, et les actions de grâces que les vainqueurs rendaient à leurs Dieux, ou par l'estime, et la révérence pour ceux, qui en avaient souvent remporté le prix. » « C'est avec raison qu'ils avaient accoutumé de vouer à leurs Dieux les Jeux, et de les célébrer en leur honneur, pour en obtenir quelques grâces, et le plus souvent pour les remercier de celles qu'ils en avaient reçues. » II. Observation. Voilà tout le raisonnement de l'Auteur de la Dissertation, qui ne prouve rien de ce qu'il s'était proposé de prouver : Car quelle raison y a-t-il dans tout ce discours qu'on ne puisse alléguer pour les Sacrifices, pour les processions et prières publiques, pour les Triomphes, pour les mystères, et cérémonies des Fêtes, avec cet avantage que les Acteurs des Jeux, et des Spectacles n'étaient que des personnes infâmes, et que les Ministres de ces autres parties de la Religion étaient des personnes illustres, et vénérables ? Comment donc l'Auteur de la Dissertation a-t-il pu conclure de ce raisonnement, que tous les Jeux et les Spectacles du Cirque, du Théâtre, et de l'Amphithéâtre faisaient la plus grande et la plus solennelle partie de la Religion ? Pour prouver cette proposition, il faudrait qu'il fît voir que les représentations du Théâtre, quelques déshonnêtes, déréglées, et impies qu'elles fussent, que les fureurs du Cirque, et les cruautés de l'Amphithéâtre étaient des moyens plus grands, et plus solennels, pour obtenir des grâces des Dieux que n'étaient les sacrifices, les processions, les vœux et les prières publiques. Il faudrait qu'il montrât que les Théâtres étaient plus saints, plus sacrés que les Temples ; et que les Acteurs des Jeux et des Spectacles étaient plus vénérables, et plus considérables, que les Pontifes, et les Prêtres des Dieux. Mais est-il possible qu'on se persuade que l'infamie ne soit pas incompatible avec la plus solennelle partie de la Religion ? Dissertation pag. 20. et 21. « Et quand même ils n'avaient point de sujet pour les célébrer, ils les faisaient seulement comme un acte de piété, et par vœu qu'ils exécutaient soigneusement. Le Sénat enjoignit au Dictateur Manlius de faire les Jeux qu'ils appelaient grands, que Marcus Emilius Préteur avait faits sous le Consulat de Flaminius Servilius, et qu'il avait encore voués pour cinq ans après. Ce que Manlius exécuta, et les voua encore à pareil temps. Ce qui est d'autant plus notable, que ce Manlius fut élu Dictateur pour tenir les assemblées, et faire ces Jeux seulement. » III. Observation. Tous les exemples qui sont rapportés dans ce premier chapitre de la Dissertation ne peuvent servir qu'à montrer que les Jeux et les Spectacles faisaient partie de la Religion Païenne. C'est pourquoi comme tout le monde demeure d'accord de ce point, je ne m'y arrêterai pas. Mais parce qu'en cet endroit l'Auteur de la Dissertation nous avertit de remarquer comme une chose notable, que Manlius fut élu Dictateur pour faire les Jeux, prétendant inférer de là, que les Jeux faisaient la plus solennelle partie de la Religion, puisqu'il était nécessaire de créer un souverain Magistrat pour les faire ; je suis obligé de faire cette observation, afin de montrer que non seulement cet exemple lui est inutile pour établir sa proposition ; mais qu'il nous fournit au contraire de quoi pouvoir la détruire. Car premièrement il paraît que Manlius ne fut pas élu Dictateur pour faire les Jeux seulement, mais principalement pour tenir les assemblées, comme nous le voyons dans l'Ordre que le Sénat donna aux Députés qu'il envoya vers le Consul T. Quintius Crispinus à Capoue : « Le Sénat donna ordre à ses Députés de dire au Consul, que s'il ne pouvait pas venir à Rome pour tenir les assemblées, il nommât dans le territoire de Rome un Dictateur pour les tenir : et comme le même ordre portait, que si le Consul s'était retiré à Tarente, le Préteur Q. Claudius conduisît les troupes en un lieu d'où il pût plus aisément défendre un plus grand nombre de villes alliées » ; Le Consul voyant que le Préteur ne pourrait se trouver à Rome pour faire les Jeux, il élut Manlius Dictateur pour tenir les assemblées et pour faire les Jeux : mais c'était principalement pour tenir les assemblées, selon l'ordre du Sénat. Secondement ce n'était pas seulement pour tenir les assemblées, et pour faire les Jeux qu'on nommait un Dictateur, on en élisait aussi pour établir les Fêtes : « Le Sénat ordonna, dit Tite-Live, qu'on élût un Dictateur pour établir les Fêtes ; et P. Valérius Publicola fut élu. » De sorte que les Jeux n'ayant aucun avantage en cela sur les Fêtes, on ne peut pas dire que les Jeux fissent une plus grande, et plus solennelle partie de la Religion que les Fêtes. Troisièmement lorsqu'on nommait un Dictateur pour faire les Jeux, ce n'était pas à cause que les Jeux étaient si considérables, qu'il fût nécessaire que le premier Magistrat de la République les fît, mais parce que le Préteur qui les devait faire n'y était pas, comme Manlius fut élu Dictateur pour faire les Jeux, parce que le Préteur Q. Claudius était à l'armée. Tite-Live nous l'apprend encore plus clairement sur la fin du 8. livre, où il remarque que cet emploi n'était pas fort considérable, et qu'il était presque indigne d'un Dictateur. « On ne doute point, dit-il, qu'en cette année A. Cornélius n'ait été Dictateur ; mais on doute s'il fût créé Dictateur pour faire la guerre ; ou s'il le fût seulement afin que le Préteur L. Plautius étant travaillé d'une grande maladie, il y eût quelqu'un aux Jeux Romains qui donnât le signal pour la course des chariots, et qui quittât la Dictature après cette fonction, qui en vérité n'était pas fort considérable pour signaler sa souveraineté. » Ces paroles de Tite-Live renversent de fond en comble la proposition de l'Auteur de la Dissertation ; Et s'il y fait réflexion, il n'aura plus sujet d'avoir une si haute idée des Jeux, et des Spectacles de l'Antiquité. Quatrièmement si à cause qu'une cérémonie ne se pouvait faire que par le premier Magistrat de la République, il s'ensuivait qu'elle fît la plus solennelle partie de la Religion, il faudrait avouer que la cérémonie qui se faisait, ou pour marquer les années, ou pour apaiser la colère des Dieux dans quelque grande calamité, en mettant un clou dans le Capitole, était la plus solennelle partie de la Religion, puisque, comme dit Tite-Live, « Le pouvoir de faire cette cérémonie a passé des Consuls au Dictateur, parce que sa charge était plus grande. » Et par conséquent la proposition de l'Auteur de la Dissertation n'est pas véritable, que tous les Jeux et les Spectacles faisaient la plus grande et la plus solennelle partie de la Religion Païenne. Enfin quelque tour qu'il puisse donner à l'exemple qu'il a rapporté, il n'y trouvera jamais que la condamnation de sa proposition. Dissertation pag. 34. « Qu'il demeure donc pour constant que les spectacles des Anciens n'étaient pas de simples divertissements que l'on donnait au public ; mais des actes de Religion. » IV. Observation. Cette proposition peut avoir deux sens ; premièrement que les Jeux et les Spectacles étaient, selon leur origine, et leur institution, des actions de Religion, et non pas de simples divertissements : En ce sens la proposition de la Dissertation est véritable ; parce qu'il n'y avait point de Jeu ni de Spectacle qui ne fût consacré à quelque faux Dieu. Secondement on peut entendre cette proposition selon les motifs, et l'intention des Acteurs, et des Spectateurs : En ce sens il n'est pas généralement vrai que les Acteurs, ou ceux qui donnaient ces Jeux, et les Spectateurs mêmes, y cherchassent plutôt la Religion, que le divertissement. Car il y avait plusieurs sortes de Jeux, les uns étaient célébrés aux Fêtes des Dieux soit ordinaires, soit extraordinaires : Et en ceux-là je ne doute point que ceux qui avaient quelque sentiment de piété, ne s'y trouvassent pour faire des actes de Religion ; Quoique Varron et Sénèque nous apprennent que la plupart de ceux qui y étaient, y cherchaient plutôt leur divertissement, que le culte de leurs Dieux, puisqu'ils témoignaient n'avoir que du dégoût et de l'ennui dans les actions de Religion qui s'y faisaient devant que de commencer les Jeux. « La Pompe, dit Varron, c'est-à-dire la cérémonie sacrée de la procession solennelle, et des sacrifices, déplaisait au peuple, parce qu'elle retardait les Jeux » : et Sénèque dans la Préfacé de ses Controverses, « Vous n'ignorez pas , dit-il, combien la Pompe est odieuse aux Acteurs et aux Spectateurs des Jeux du Cirque. » Il y avait d'autres Jeux qu'on demandait, et que les Magistrats donnaient au peuple pour l'avoir favorable dans les assemblées, où l'on obtenait les dignités par son suffrage. Et dans ces Jeux le principal but de ceux qui les donnaient, et de ceux qui les demandaient, était le divertissement, comme Cicéron nous l'apprend dans l'Oraison pour Muréna, où représentant les raisons qui avaient porté le peuple à se déclarer pour Muréna lorsqu'il fut élu Consul, il allègue la magnificence des Jeux qu'il avait donnés étant Préteur, pour le divertissement, dit-il, du peuple ; sans parler d'aucun acte de Religion. «  Ne méprisez pas tant, dit Cicéron, la magnificence de la Scène, et la beauté des Jeux que Muréna a donnés au peuple, dont il a tiré un grand avantage. Car si je vous dis que le peuple ignorant et grossier se plaît extrêmement aux Jeux, cela ne doit pas vous surprendre ; et cela néanmoins suffit pour le gain de cette cause, puisque si le peuple qui peut tout dans les assemblées, a pris un grand plaisir à voir la magnificence de ces Jeux-là, il ne faut pas trouver étrange qu'il lui ait été favorable dans ses suffrages. Que si nous-mêmes à qui les affaires ne permettent pas de prendre du plaisir à ces sortes de divertissements, et qui trouvons assez d'autres plaisirs dans nos occupations, nous ne laissons pas de nous plaire aux Jeux ; Pourquoi trouverez-vous étrange que le petit peuple s'y plaise…. Les Jeux, croyez-moi, donnent du plaisir, non seulement à ceux qui l'avouent franchement, mais aussi à ceux qui feignent de n'en point recevoir. » Si le peuple eût regardé les Jeux, non pas comme un simple divertissement, mais comme un acte de Religion, Cicéron n'eût pas omis cette circonstance, dont il eût pu tirer un grand avantage, pour relever le mérite des Jeux que Muréna avait donnés au peuple.   Il y avait encore d'autres Jeux qui se faisaient aux jours ouvriers, comme il paraît par les paroles de l'Empereur Julien l'Apostat, que nous avons rapportées dans la première Observation : car il dit qu'il ne se trouvait aux Jeux que les jours de Fêtes ; d'où il s'ensuit qu'il y avait des Jeux qui se faisaient aux autres jours. Et S. Chrysostome nous l'apprend clairement dans l'Homélie 6. sur le chap. 2. de S. Mathieu, lorsqu'il se plaint de ce que les artisans quittaient leurs boutiques, et leurs travaux pour aller aux Spectacles. On ne peut pas douter qu'en cette rencontre le peuple ne regardât ces Jeux comme un simple divertissement. C'est de ces Jeux que parle Sénèque dans le chapitre 7. qu'il distingue de ceux qu'il appelle ordinaires, c'est-à-dire, qui se faisaient aux Jours de Fêtes marqués dans les Fastes, et de ceux que le peuple demandait, et que les Magistrats lui donnaient. « Je suis allé, dit-il, aujourd'hui par hasard au Spectacle qu'on représente à midi, pour y voir les Jeux, pour entendre quelque bon mot, et pour y trouver quelque divertissement plus agréable que le combat sanglant des gladiateurs ; Mais j'y ai trouvé tout le contraire de ce que je pensais. Tous les combats précédents que j'avais vus, étaient pitoyables, et dignes de compassion en comparaison de ceux-ci : car on ne s'amuse plus à des bagatelles. Ce ne sont plus que des homicides : Ceux qui combattent n'ont rien qui les couvre, leurs corps sont entièrement exposés aux coups ; aussi n'en donnent-ils point qui ne portent. Quelques-uns préfèrent ces Jeux aux Jeux ordinaires, et à ceux qu'on demande. » Et dans l'Epitre 96. « L'homme, dit-il, qui est une chose sacrée, est tué par un autre homme par divertissement et par jeu. C'était autrefois un crime de l'instruire à porter, ou à recevoir des coups ; il y est maintenant exposé tout nu et sans armes ; et l'on se fait un divertissement de sa mort. Dans une aussi grande corruption de mœurs qu'est celle que l'on voit à présent, l'on a donc besoin de remèdes plus forts et plus efficaces que ne sont ceux dont on s'est servi jusqu'ici, pour tâcher d'arrêter le cours de ces maux invétérés. » Il est vrai qu'encore que la plupart n'allassent aux Jeux que pour un simple divertissement ; ils ne laissaient pas néanmoins d'être souillés d'Idolâtrie, parce qu'ils prenaient leur divertissement des choses qui étaient consacrées à leurs faux Dieux, et dans des lieux qui leur étaient aussi dédiés : « Encore, dit Scaliger, qu'on n'allât aux Jeux que pour se divertir ; toutefois ces Jeux ne se faisaient point que sous le nom de quelque divinité. » C'est pourquoi les Saints Pères défendaient aux Chrétiens d'aller aux Spectacles des Païens ; car encore qu'ils n'y allassent que pour leur simple divertissement, et non pas pour y faire des actes d'Idolâtrie ; néanmoins c'était participer à l'Idolâtrie, que de se plaire à des choses qui étaient consacrées aux faux Dieux, que les Païens croyaient en être les Auteurs. « Nous renonçons à vos Spectacles, dit Tertullien, comme nous en condamnons les diverses origines par la connaissance que nous avons que ce sont des effets de la superstition et de d'Idolâtrie. » «  Vous qui êtes Chrétiens, dit-il en un autre endroit, haïssez et détestez ces choses, dont les Auteurs ne peuvent être que l'objet de votre haine, et de votre aversion. » « Un serviteur de Dieu, dit-il encore, peut aller non seulement en ces lieux où se font les Spectacles, mais aussi aux Temples des faux Dieux sans danger de blesser la discipline Chrétienne, lorsque quelque affaire pressante l'oblige d'y aller ; pourvu que ce ne soit pas pour le sujet des choses qui s'y font. Car il y a des Idoles partout, dans les rues, dans les places publiques, dans les bains, dans les hôtelleries ; et nos maisons mêmes n'en sont pas tout à fait exemptes : Satan et ses Anges ont rempli tout le monde ; Néanmoins nous ne nous écartons pas de Dieu, à cause que nous sommes dans le monde, mais nous l'abandonnons lorsque nous nous rendons participants des crimes du monde. Ainsi je quitte Dieu, si j'entre dans le Capitole, ou dans le temple de Sérapis pour y offrir des sacrifices, ou pour y rendre des adorations ; comme aussi si je vais au Cirque, ou au Théâtre pour être spectateur de ce qui s'y fait. Ce ne sont point les lieux par eux-mêmes qui nous souillent ; mais ce qui nous souille, ce sont les choses qui s'y font, lesquelles rendent ces lieux mêmes impurs, comme nous l'avons montré dans ce discours.  » Chapitre II de la Dissertation. Que la représentation des Comédies et Tragédies était un acte de religion parmi les Grecs, et les Romains. Cette proposition est véritable à l'égard de la représentation des Comédies, et des Tragédies dans leur origine et dans leur institution, parce qu'elles ne contenaient que les louanges des Dieux, à l'honneur desquels elles étaient représentées. Mais si l'on prétend que toutes les Comédies, et toutes les Tragédies généralement et sans nulle exception étaient des actes de religion ; Il est aisé de faire voir le contraire par le témoignage même des Païens, qui en condamnent la plupart comme impies, et déshonnêtes, et qui ne servaient qu'à remplir les esprits d'erreurs, et à corrompre les mœurs, ainsi que nous le prouverons dans les observations suivantes. Dissertation pag. 39. et 40. « La Comédie et la Tragédie commencèrent par les danses et par les chansons qui furent faites dans Icarie, l'un des bourgs d'Athènes à l'entour d'un bouc qu'Icarus avait tué, comme l'ennemi de Bacchus, au milieu d'une vigne, dont il gâtait, et mangeait les fruits. Et cette cérémonie s'étant ainsi continuée durant quelque temps, passa dans la ville, et sur les Théâtres ; et fut appelée Tragédie du nom du bouc que l'on y sacrifiait à Bacchus ; ce qui dura plusieurs siècles, jusqu'à tant que Thespis pour donner quelque repos au Chœur de Musique, y inséra un acteur qui récitait quelques vers. Et Eschyle y en mit deux. Et ces récits s'éloignant peu à peu des louanges de Bacchus, ses Prêtres en firent de grandes plaintes, n'ayant pu retenir les Poètes, qui par ce moyen plaisaient au Peuple. » I. Observation. Ce que l'Auteur de la Dissertation dit en cet endroit, étant fidèlement rapporté suffit pour détruire sa proposition. «  Anciennement, dit Suidas, on s'exerçait à faire des vers à l'honneur de Bacchus, qu'on appelait satyres. On fit après des Tragédies, et ensuite on se mit à représenter des fables, et des histoires, sans parler de Bacchus ; Ce qui fit crier le peuple, disant que cela n'était point à propos, n'étant point à l'honneur de Bacchus. » Zénodote raconte cela en cette sorte, et Erasme après lui. « Anciennement on avait accoutumé de chanter dans les Chœurs des Dithyrambes à l'honneur de Bacchus ; mais les Poètes ensuite changeant cette coutume, ne représentaient que des Ajax, des Centaures, et d'autres semblables Fables : sur quoi les Spectateurs s'écrièrent par moquerie : Cela n'est point à propos, cela n'est point à l'honneur de Bacchus ; Ce qui fit que les Poètes touchés de ce reproche, commencèrent à introduire des satyres, afin qu'il ne semblât pas qu'ils n'eussent rien fait à l'honneur de Bacchus. » Cela nous fait voir clairement que les Tragédies où l'on ne parlait point de Bacchus, n'étaient pas considérées comme des actes de religion, mais comme des choses qui ne se rapportaient point à l'honneur de ce Dieu. Ajoutons ce que dit Plutarque des Tragédies de Thespis : « Solon alla un jour voir Thespis qui jouait lui-même ses tragédies, comme c'était la coutume des Anciens ; et après que le jeu fut fini, il l'appela, et lui demanda s'il n'avait point de honte de représenter tant de choses fausses en la présence de tant de monde. Thespis lui répondit, qu'il n'y avait point de mal de faire, ni de dire ces choses par jeu et par divertissement. Alors Solon frappant de son bâton, contre terre, Nous ne tarderons guère, dit-il, à voir dans nos contrats, et dans le commerce ces mêmes faussetés que nous louons à présent, et que nous approuvons dans nos Jeux. » Solon donc était bien éloigné de regarder les Tragédies comme des actes de religion, puisqu'il les condamnait comme des choses très pernicieuses au public. Dissertation pag. 43. « Et chez les Romains il y avait toujours sur le Théâtre deux Autels, l'un à la main droite consacré à Bacchus, comme au Dieu du Théâtre ; et l'autre à la main gauche au nom de celui en l'honneur duquel on faisait les Jeux en ce jour-là. » II. Observation. Cela nous fait voir que le Théâtre était consacré à Bacchus, et que les Comédies, et les Tragédies y étaient représentées à l'honneur de quelque divinité : Mais il ne s'ensuit pas de là, que le Théâtre ne fût d'ailleurs très pernicieux, et très préjudiciable aux bonnes mœurs, comme nous l'avons prouvé ci-devant. Cela était si connu que les Poètes mêmes l'ont publié. « Les femmes, dit Ovide, vont au Théâtre pour voir, et pour y être vues. Ce lieu cause la ruine de la chasteté, et de la pudeur. » Et dans un autre endroit. « Qu'on ôte, dit-il, le Cirque, car la licence y est si grande, que l'honneur des filles n'y est pas en sûreté, étant assises auprès des hommes qui leur sont inconnus. » Il ne s'ensuit pas non plus de ce que les Comédies et les Tragédies étaient représentées à l'honneur des Dieux, qu'il n'y en eût de très mauvaises remplies d'impiétés, d'erreurs, et d'impuretés, et qui par conséquent n'étaient pas des actes de Religion comme nous le ferons voir dans la 5. observation de ce chapitre. Je dirai seulement en cet endroit, que selon le témoignage d'Ovide, « ces Jeux jettent dans l'âme les semences du vice »,  », Et que selon Properce ; « Les jeux du Théâtre corrompent les bonnes mœurs. C'est pourquoi on ne jouait point de Comédies, ni de Tragédies parmi les Lacédémoniens, pour ne point écouter, non pas même en se jouant, ceux qui parlaient contre les Lois.. » Nous lisons dans la vie de Platon, qu'ayant fait dans la maturité de son âge des Tragédies comme il allait les réciter sur le Théâtre, il rencontra Socrate qui le toucha tellement par ses discours, qu'il jeta aussitôt ses Tragédies dans le feu, disant ; « Vulcain, viens à mon aide, Platon a besoin de toi.. » De sorte que tant s'en faut que Platon crût que ses Tragédies fussent des actes de religion, qu'au contraire il fut persuadé que c'était faire un acte de religion, que de les sacrifier à Vulcain, et de les brûler. Dissertation pag. 44. et 45. « Et Valère dit que les Théâtres ont été inventés pour rendre honneur aux Dieux, et donner du plaisir aux hommes. » III. Observation. L'Auteur de la Dissertation est malheureux en citations ; car il nous fournit souvent de quoi détruire ses propositions par les mêmes passages qu'il allègue. Il prétendait prouver, que les représentations du Théâtre étaient des actes de religion, et pour cet effet il a cité ce passage de Valère Maxime, qui dit tout le contraire : car il dit qu'encore que les Théâtres eussent été inventés pour rendre honneur aux Dieux ; néanmoins les représentations de la Scène étaient si monstrueuses, et les actions qui s'y faisaient, si criminelles, qu'elles déshonoraient la religion. Est-ce faire des actes de religion que de déshonorer la religion ? J'ai déjà rapporté le passage de Valère tout entier dans la première observation du chapitre précèdent ; mais il ne sera pas inutile de le répéter encore en cet endroit, parce qu'il est tronqué dans ce 2. chapitre de la Dissertation. « Après avoir parlé, dit Valère, de ce qui regarde les combats qui ensanglantent la campagne, passons à ceux qui se font dans les villes : c'est-à-dire, parlons des Théâtres, dont on a fait souvent un champ de bataille ; car ayant été inventés pour le culte des Dieux, et pour le divertissement des hommes ; Ils ont corrompu la pureté des plaisirs de la paix, et ont déshonoré la religion par le sang des Citoyens, que les Spectacles monstrueux de la Scène font répandre. » Dissertation. pag. 47. « Quant à la célébration de ces Jeux sacrés, Quintilien dit qu'elle commençait toujours par l'honneur des Dieux, et que c'est un sentiment de religion de nommer le Théâtre un temple ou un sanctuaire. » IV. Observation. Je ne pense pas que l'Auteur de la Dissertation eut Quintilien devant les yeux, lorsqu'il lui a fait dire des choses si éloignées du sens de ses paroles, qu'il ne faut que les rapporter fidèlement, pour le reconnaître ; Elles sont si claires, et si intelligibles qu'il n'est pas presque possible qu'une personne qui entend le Latin, ait lieu de s'y tromper. Mais la préoccupation est une chose étrange : elle fait qu'on trouve dans un livre ce qui n'y est point, et qu'on n'y voie pas ce qui y est en termes exprès. Voici les paroles de Quintilien dans l'endroit qu'allègue l'Auteur de la Dissertation. « Il y en a qui estiment qu'on peut quelquefois fonder une délibération sur le seul plaisir ; comme lorsqu'on délibère si l'on doit bâtir un Théâtre et instituer des Jeux. Mais je ne crois pas qu'il y ait des gens si abandonnés à leurs plaisirs, que dans les délibérations ils n'aient en vue autre chose que la volupté ; il faut nécessairement qu'il y ait toujours quelque autre motif qui précède, savoir celui de l'honneur des Dieux en ce qui regarde les Jeux ; et à l'égard du Théâtre, celui de l'utilité que produit le relâche du travail ; ce qui serait désagréable et incommode au peuple à cause de la presse, s'il n'y avait point de Théâtre. Nous y ajoutons aussi le motif de la Religion, en disant que le Théâtre est comme une espèce de Temple, où l'on rend aux Dieux ces honneurs sacrés », c'est-à-dire, où l'on fait des Jeux à l'honneur des Dieux. Voilà ce que dit Quintilien. Y a-t-il rien qui en soit plus éloigné, que ce que lui fait dire l'Auteur de la Dissertation ? Quintilien dit que celui qui voudrait persuader qu'on doit instituer des Jeux, ne devrait pas seulement représenter qu'on le doit, parce que cela est divertissant ; mais qu'il faudrait représenter quelque autre motif précédent, disant qu'on le doit faire ; parce que c'est rendre un honneur aux Dieux que d'instituer des Jeux : Et l'Auteur de la Dissertation fait dire à Quintilien, « Que la célébration des Jeux sacrés commence toujours par l'honneur des Dieux ». Quintilien dit que pour persuader de bâtir un Théâtre, on doit encore alléguer le motif de la Religion, en disant que le Théâtre est comme une espèce de Temple où l'on fait des Jeux à l'honneur des Dieux ; et l'Auteur de la Dissertation lui fait dire : « Que c'est un sentiment de Religion de nommer le Théâtre un Temple, ou un Sanctuaire ». Ainsi ce que Quintilien propose comme un exemple d'une matière de délibération et par conséquent comme une chose douteuse (car comme il dit dans le même chapitre, « Toute délibération est d'une chose douteuse ») l'Auteur de la Dissertation veut que ce soit le sentiment constant de Quintilien. C'est justement comme s'il disait ; que c'est le sentiment indubitable de Quintilien, qu'il faut colorer le mal, parce qu'il dit ; « que pour persuader même aux méchants des choses infâmes, il faut leur donner quelque couleur ; parce qu'il n'y a point d'homme quelque méchant qu'il soit, qui veuille passer pour tel ». Si l'Auteur de la Dissertation avait lu avec attention ce que Quintilien décrit dans ce chapitre qu'il cite, il aurait pu remarquer ; que lorsque Quintilien propose les raisons qui peuvent servir à persuader qu'on doit instituer des Jeux, ou bâtir un Théâtre, il fait entendre en même temps qu'il y a des raisons contraires qui peuvent servir à persuader qu'on ne doit point instituer des Jeux, ni bâtir des Théâtres ; en disant que ce n'est point rendre des honneurs aux Dieux, que de faire des Jeux qui corrompent les bonnes mœurs ; et que par conséquent le Théâtre où ces Jeux se font, n'est point comme une espèce de Temple où l'on honore les Dieux, mais que c'est plutôt une sentine, et un égout d'ordure et d'impureté. Car autrement s'il n'y avait point des raisons de part et d'autre qui formassent un sujet de douter ; il n'y aurait point lieu de délibérer. « Lorsqu'une chose, dit Quintilien, ne souffre point de contradiction, quelle raison peut-on avoir d'en douter. De sorte que toute délibération n'est presque autre chose qu'une comparaison de différentes raisons de part et d'autre. » Ainsi il est constant que ce que dit Quintilien en cet endroit sur le sujet des Jeux et du Théâtre, n'est qu'un exemple qu'il propose d'une manière de délibération, qui par conséquent est une chose douteuse, et qui souffre contradiction, y ayant des raisons contraires de part et d'autre. En voici encore un exemple semblable tiré de Tacite sur le même sujet : J'en ai rapporté une partie dans la première observation du 1. chapitre ; mais il est nécessaire de répéter ici, ce que j'en ai dit, pour faire voir la comparaison entière des différentes raisons de part et d'autre sur cette question, si l'on doit instituer des Jeux et bâtir un Théâtre. Raisons pour persuader qu'on ne doit point instituer des Jeux, ni bâtir un Théâtre. « Néron,dit Tacite, étant Consul pour la quatrième fois, avec Cornelius Cossus, on établit à Rome des Jeux qui se célèbrent tous les cinq ans à l'imitation de ceux de la Grèce. Cette nouveauté fut reçue diversement comme toutes les autres. » Les uns disaient que Pompée même avait été repris par les vieillards de son temps pour avoir fondé un Théâtre perpétuel ; car auparavant on n'en dressait qu'à mesure qu'on en avait à faire. Et dans les commencements de Rome le peuple assistait aux spectacles tout debout. On disait qu'en faisant des sièges, on avait fait des trônes à l'oisiveté, et à la paresse, où l'on passait les jours entiers à ne rien faire. Qu'on ne gardait pas seulement l'ancienne coutume, qui ne contraignait aucun citoyen à s'y trouver, ni à monter sur le Théâtre ; mais que foulant aux pieds les lois de nos ancêtres, nous donnions entrée chez nous aux vices des Etrangers, afin que Rome fût le réceptacle de toute sorte d'ordure et de corruption. Que notre jeunesse se laissait aller peu à peu à l'oisiveté des Grecs, et prenait leurs plaisirs, leurs exercices, et leurs sales amours, par l'autorité du Prince, et du Sénat, qui ne se contentaient pas de souffrir les vices mais les commandaient. Que les principaux sous ombre de faire des vers et des harangues, montaient déjà sur le Théâtre : et qu'il ne leur restait plus qu'à descendre tout nus en l'arène, et de prendre le Ceste au lieu de la cuirasse et de l'épée. Que les Augures n'apprendraient pas à vivre saintement, et les Chevaliers à devenir bons Juges, en ne s'étudiant qu'à savoir toute la mollesse des tons, et des nombres de la Musique. Qu'on avait même choisi la nuit pour accroître l'infamie, et pour ne laisser aucun asile à la pudeur ; et qu'il était bien facile aux débauchés parmi la confusion, et les ténèbres, d'exécuter les convoitises du jour, et les adultères prémédités pendant la lumière. » Raisons pour persuader qu'il est raisonnable d'instituer des Jeux, et bâtir un théâtre. « D'autres trouvaient même cette licence agréable ; mais ils déguisaient leurs vices sous des noms honnêtes : ils disaient que la sévérité de nos Ancêtres, n'avait pas même été ennemie du divertissement des Spectacles, et qu'ils en avaient tout le soin, qu'on en pouvait avoir alors : Qu'ils avaient envoyé quérir en Toscane des farceurs et des baladins, et tiré d'un autre endroit les plaisirs du Cirque : Qu'étant maîtres de la Grèce et de l'Asie, ils avaient fait leurs jeux avec plus d'appareil ; et que cela avait apporté si peu de corruption, qu'en l'espace de deux cents ans qu'il y avait depuis le triomphe de Mummius, qui avait introduit ces plaisirs dans Rome, il ne s'était trouvé personne d'honnête famille qui fût monté sur le Théâtre. Qu'en établissant un lieu perpétuel pour les exercices, on avait eu égard à l'épargne, à cause des dépenses infinies qu'il fallait faire tous les ans pour ce sujet. Que le peuple ne demanderait plus ces jeux aux Magistrats, et ne les ruinerait plus pour les donner, comme il faisait auparavant, depuis que la République en aurait fait la dépense. Que les combats de la prose, et de la poésie servaient d'aiguillon aux beaux esprits ; et qu'un juge ne perdrait rien de sa gravité pour donner quelques heures de récréation aux voluptés honnêtes et permises. Que c'était plus pour allégresse publique que par amour de la débauche qu'on destinait quelques nuits tous les cinq ans à ces exercices : et que parmi tant de feux, et de clartés, il était difficile qu'il s'y pût rien passer de déshonnête. » Il y a cette différence entre l'exemple de Quintilien, et celui de Tacite que dans cette délibération sur le sujet des Jeux et du Théâtre, Tacite n'allègue point d'une part, ni d'autre, le motif de la Religion parce que si l'on prouve que les Jeux et le Théâtre corrompent les bonnes mœurs, et donnent l'entrée aux vices, il est indubitable qu'ils ne peuvent servir à honorer les Dieux, et la Religion. Que si l'on veut savoir quel était le sentiment de Tacite sur ce sujet, il n'est pas difficile de reconnaître qu'il condamnait les Jeux et le Théâtre ; puisque rapportant les raisons qu'employaient ceux qui voulaient persuader qu'il était raisonnable d'établir des Jeux, et de bâtir un Théâtre, il dit, « Qu'ils trouvaient même la licence des Jeux du Théâtre agréable, et qu'ils déguisaient leurs vices sous des noms honnêtes. » Il n'est pas aussi moins facile de montrer quel était le sentiment de Quintilien sur ce même sujet, puisqu'encore qu'il crût que la lecture des Comédies était très utile pour apprendre l'éloquence ; il ne voulait pas néanmoins qu'on la permît aux enfants que lorsqu'ils seraient dans un âge plus avancé, et lorsque cette lecture ne pourrait plus nuire à la pureté de leurs mœurs, « Cum mores in tuto fuerint ». D'où nous pouvons aisément juger qu'a plus forte raison il estimait que la représentation des Comédies sur le Théâtre était encore beaucoup plus nuisible aux bonnes mœurs : bien loin de croire que le Théâtre fût un Temple, ou un Sanctuaire, selon l'imagination de l'Auteur de la Dissertation. Dissertation pag. 51. 52. et 53. « En quoi certes il ne faut pas dire que les Anciens se moquaient de ceux qu'ils adoraient comme Dieux, en représentant des actions que l'on pouvait nommer criminelles, comme des meurtres, des adultères, et des vengeances : ni qu'ils avaient dessein d'en faire des objets de Jeux et de risée, en leur imputant des crimes que l'on condamnait parmi les hommes, car toutes ces choses étaient mystérieuses, et bien que le petit peuple ignorant et grossier fût peut-être incapable de porter sa croyance au-delà des fables que l'on en contait ; il est certain que leurs Théologiens, leurs Philosophes, et tous les gens d'esprit en avaient bien d'autres pensées. Et tout ce que nous lisons maintenant de la naissance de leurs Dieux, et de toutes leurs actions avait une intelligence mystique, ou dans les secrètes opérations de la nature, ou dans les belles maximes de la morale, ou dans les merveilles incompréhensibles de la Divinité. Nous l'apprenons de la Poétique d'Aristote, des allégories d'Héraclide Ponticus, des Saturnales de Macrobe, de Maxime de Tir, de Cicéron, de Sénèque, de Léon Hébreu, de Lilius Giraldus, et de tous les Auteurs des Mythologies. Ce qui nous découvre que tout ce qui se faisait dans le Théâtre et tout ce qui s'y disait touchant les faux Dieux, était des actes de révérence. » V. Observation. L'auteur de la Dissertation n'est pas plus heureux dans ses raisonnements, que dans ses citations. Car ayant à prouver que la représentation des Comédies et des Tragédies était un acte de Religion parmi les Païens ; et voyant que les Comédies, et les Tragédies représentaient souvent des actions criminelles, comme les meurtres, les adultères, les parricides, et les vengeances de leurs Dieux, il s'est imaginé que pour en faire des actes de Religion et de révérence envers les Dieux, il fallait dire « que tout ce qui se faisait dans le Théâtre, et tout ce qui s'y disait touchant les faux Dieux, était des choses mystérieuses selon le sentiment de leurs Théologiens, de leurs Philosophes et des gens d'esprit ; et que par conséquent, c'étaient des actes de révérence ». Il s'ensuit de ce raisonnement que ces infâmes représentations n'étaient donc pas des actes de Religion, ni de révérence envers les Dieux, à l'égard du petit peuple ignorant et grossier, qui « était peut-être incapable de porter sa croyance au-delà des fables que l'on en contait ». C'est néanmoins tout le contraire ; Car c'était le petit peuple ignorant et grossier qui croyait que les Dieux étaient honorés par les Comédies qui représentaient leurs adultères et leurs autres actions honteuses ; comme il croyait aussi qu'ils étaient honorés par les peintures de ces mêmes choses dont ils ornaient leurs temples selon le témoignage de Sénèque : « Les adultères des Dieux, dit-il, sont peints dans les Temples ; et l'on y met les tableaux d'Hercule égorgeant ses enfants. » Mais leurs Théologiens et leurs Philosophes estimaient que c'était se moquer des Dieux de croire qu'on les honorait par des peintures infâmes, et par des représentations comiques si honteuses et si criminelles ; encore qu'ils feignissent de se conformer à l'usage du peuple dans ce culte extérieur, dont ils se moquaient aussi bien que de ces Dieux que le peuple croyait se plaire à ces sortes d'ordures ; ne regardant ces choses, selon le témoignage de Cicéron, que comme des fictions que les Poètes, et ensuite les Peintres, et les Sculpteurs avaient introduites dans le monde. « Les Poètes, dit-il encore, ont introduit des Dieux enflammés de passion et de colère, et agités de furieux transports de lubricité ; Ils nous ont aussi représenté leurs guerres, leurs combats, et leurs blessures, leurs haines, leurs divisions, leurs discordes, leur naissance, leur mort, leurs plaintes et leurs regrets, leurs débordements en toutes sortes d'impuretés, leurs adultères, leurs chaînes, des Dieux amoureux des femmes : des Déesses amoureuses des hommes ; et enfin des hommes engendrés des Dieux. » C'est pourquoi Aristote défendant les peintures impudiques et déshonnêtes, excepte par moquerie celles des Dieux que les lois autorisent ; Si toutefois, ajoute-t-il, il y a des Dieux qui se plaisent à ces impuretés. Voici ses paroles. Comme nous avons défendu toutes sortes de paroles déshonnêtes, il est évident que nous défendons aussi de regarder des peintures, ou des actions déshonnêtes, et honteuses. Que les Magistrats aient donc soin qu'on ne fasse point de peintures, ni de statues qui représentent ces impuretés ; si ce n'est pour le culte de quelques Dieux, s'il y en a de tels, dont les lois autorisent l'impudicité. Sur quoi un savant Interprète d'Aristote a fait cette excellente remarque. « Il faut observer que lorsqu'Aristote ajoute ensuite ces paroles, “Si ce n'est pour le culte de quelques Dieux, s'il y en a de tels, etc.” Il ne dit cela que par moquerie ; se servant néanmoins de cette précaution pour éviter la sévérité de l'Aréopage. Car les Athéniens avaient des Dieux impudiques, auxquels ils rendaient des honneurs sales et honteux ; comme Hérodote nous l'apprend dans son livre intitulé Euterpe   : où cet Historien condamne la folie des peuples, qui adoraient des Dieux qui leur étaient inconnus, et dont ils ne savaient ni les qualités, ni les noms ; Aussi devant Homère, et Hésiode ils n'avaient point d'autres Dieux que sous des noms barbares, comme Belzebuth, Astaroth, Belphégor, et quelques autres semblables qui font horreur. “On a ignoré , dit-il, jusqu'à aujourd'hui l'origine des Dieux ; on ne sait s'ils ont toujours été, ni quelle forme ils ont, sinon depuis hier, pour ainsi dire : car Hésiode et Homère qui vivaient il y a environ quatre cents ans, ont été les premiers qui ont introduit parmi les Grecs la race des Dieux, et qui leur ont donné des noms, des honneurs, des métiers, et des figures.” Ce sont les paroles d'Hérodote. » Et comme la Poésie est une peinture parlante, de même que la peinture est une Poésie muette ; Aussi Aristote ne condamne pas moins les infâmes représentations de la Poésie, que celles de la Peinture : car dans le chapitre 25. de sa Poétique, après avoir parlé des Poèmes Dramatiques qui représentent les choses ou telles qu'elles sont, ou telles qu'elles doivent être ; Il dit « qu'il y en a qui ne les représentent ni de l'une ni de l'autre de ces deux manières, comme sont les représentations des choses qui regardent les Dieux ; car ce qu'ils en disent, n'est point vrai, et il ne faudrait pas non plus le dire ». Cicéron remarque la même chose dans le second livre de la nature des Dieux. « On introduit, dit-il, des Dieux comme étant sujets aux passions ; En effet nous ne savons que trop leurs convoitises, leurs tristesses, et leurs fureurs. Et certes s'il s'en faut rapporter aux fables, les Dieux n'ont pas manqué de guerre ; ils ont donné des combats, non seulement comme on le voit dans Homère, lorsque deux armées ennemies avaient chacune des Dieux dans leur parti ; mais lorsqu'ils ont pris les armes pour eux-mêmes contre les Titans, et les Géants. Cependant il y a de la folie, et à dire et à croire toutes ces choses qui ne sont que mensonge, et qu'imposture. » D'où il s'ensuit que puisque ces Philosophes estimaient qu'il y avait de la folie et à dire, et à croire ces actions honteuses des Dieux, ils ne faisaient pas de la représentation de ces choses-là des actes de révérence, et de religion. Et c'est sans raison que l'Auteur de la Dissertation a recours aux allégories, et aux mythologies, pour dire que ces Philosophes par l'intelligence mystique qu'ils avaient de ces choses, en faisaient des actes de révérence : Car s'il eût bien lu Varron, et Macrobe, il aurait appris que les Philosophes condamnaient et ces fables honteuses des Dieux ; et leurs allégories. Varron, selon le témoignage de S. Augustin, comprend les fables des Dieux, et leurs allégories et mythologies dans la Théologie fabuleuse qu'il condamnait. « Les Poètes, dit S. Augustin, expliquent la plupart de leurs fables en la même manière, disant qu'elles signifient la nature des choses ;Jusque-là que sur ce qu'ils ont avancé de plus cruel, et de plus détestable, qui est que Saturne avait dévoré ses enfants ; Quelques-uns donnent cette interprétation, que la longueur du temps, qui est signifié par Saturne, consume tout ce que le temps produit ; ou bien selon Varron, on entend par cette fable de Saturne que les semences retombent dans la terre d'où elles étaient sorties ; d'autres l'expliquent d'une autre sorte ; et ainsi du reste : et néanmoins tout cela n'est que Théologie fabuleuse qui est condamnée, rejetée, et improuvée avec toutes ses interprétations semblables, et elle est non seulement séparée de la naturelle, qui est la science des Philosophes ; mais elle est encore séparée et rejetée avec raison de la civile qu'on tient être la science des villes, et des peuples, parce qu'elle a introduit des fictions indignes des Dieux. » Et Macrobe dans le 1. livre sur le songe de Scipion chap. 2. « Lorsqu'on traite, dit-il, des choses véritables et qu'il n'y a que la seule narration qui soit fabuleuse ; il y a plusieurs manières de les représenter par des fictions. Car, ou la narration contient des fictions honteuses et indignes de la majesté des Dieux, et comme monstrueuses ; par exemple lorsqu'on raconte les adultères des Dieux ; et cette manière de traiter les choses véritables par des fictions honteuses et indignes des Dieux, n'est point reçue par les Philosophes, qui aiment mieux l'ignorer tout à fait : Ou bien l'on exprime par des noms honnêtes ce qu'on dit des choses sacrées, sous le voile pieux de quelques fictions ; et c'est le seul genre de fictions que la prudence des Philosophes admet, lorsqu'ils traitent des choses divines. » L'Auteur de la Dissertation peut reconnaître par là combien son raisonnement est faux ; et qu'il faut conclure au contraire, que lorsque les Philosophes assistaient aux représentations des actions honteuses des Dieux, pour se conformer à l'usage du peuple, quelque intelligence allégorique qu'ils eussent de ces actions infâmes, ils ne laissaient pas de les condamner, et de les regarder comme des choses indignes des Dieux, et qui les déshonoraient ; bien loin d'en faire des actes de révérence, et de Religion : En un mot, feignant de faire ce que le peuple faisait à cause des lois et de la coutume ; ils ne l'observaient néanmoins que comme des choses qui étaient ordonnées par les lois ; mais non pas comme des choses qui fussent agréables aux Dieux, « tamquam legibus jussa, dit Sénèque, non tamquam Diis grata  » ; ce n'était donc pas des actes de révérence, et de Religion. Ce qui a trompé l'Auteur de la Dissertation, c'est qu'il a confondu les allégories, et les mythologies, avec les mystères : et les choses allégoriques et mythologiques avec les mystérieuses ; et qu'il n'a pas connu la différence qu'il y avait entre les choses qui appartenaient à la Théologie fabuleuse, et celles qui appartenaient à la Théologie naturelle et à la civile. C'est pourquoi afin de le détromper, il est à propos de lui en donner quelque éclaircissement tiré de ce qui nous reste des écrits de Varron dans les livres de S. Augustin de la Cité de Dieu. La différence des choses qui appartenaient à la Théologie fabuleuse, et de celles qui appartenaient à la Théologie naturelle, et à la civile ; et ensuite la différence des mystères et des allégories ou mythologies. «  Varron dit qu'il y a trois genres de Théologie, c'est-à-dire, de discours qui traitent des Dieux, dont l'un est la Théologie fabuleuse, l'autre la naturelle, et le troisième la civile. « La Théologie fabuleuse est celle dont se servent principalement les Poètes : la naturelle est celle dont se servent les Philosophes : la civile est celle dont se servent les peuples. « La Théologie fabuleuse regarde particulièrement le Théâtre : la naturelle regarde le monde : la civile regarde les villes. « Quant au premier genre de Théologie, c'est-à-dire, quant à la Théologie fabuleuse ; elle contient plusieurs choses feintes contre la dignité et la nature des Dieux immortels : car on y voit qu'un Dieu est né de la tête ; un autre de la cuisse, et un autre de gouttes de sang : on y voit des Dieux larrons, des Dieux adultères, des Dieux esclaves des hommes : enfin dans cette Théologie on attribue aux Dieux tout ce qui est propre non seulement aux hommes ; mais même aux plus méprisables des hommes. » Et c'est cette Théologie fabuleuse, dit S. Augustin, que Varron a cru lui être permis de condamner librement : et par là nous voyons comme Varron condamne le Théâtre et les représentations du Théâtre, puisque ce sont des choses qui appartiennent à la Théologie fabuleuse que Varron condamne, de quelques allégories ou mythologies qu'on les puisse revêtir ; comme nous l'avons montré dans la précédente partie de cette Observation. Et partant ces représentations du Théâtre n'étaient pas des actes de révérence, comme prétend sans raison l'Auteur de la Dissertation ; mais c'étaient au contraire des irrévérences contre la dignité et la nature des Dieux, selon Varron le plus savant des Romains. « Le second genre de Théologie, dit Varron, est celui dont les Philosophes nous ont laissé plusieurs livres, où ils traitent de la nature des Dieux, du lieu où ils sont, de leur origine, de leurs qualités ; s'ils ne sont que depuis un certain temps, ou s'ils sont de toute éternité ; s'ils sont formés de feu, comme a cru Héraclite ; ou des nombres, selon Pythagore ; ou des atomes, selon Epicure, et ainsi du reste, qu'il vaut mieux agiter en particulier dans les écoles, qu'en public, où tout le monde n'est pas capable d'entendre ces choses : Varron n'improuve rien, dit S. Augustin, dans ce genre de Théologie qu'il appelle naturelle, et qui appartient aux Philosophes. Le troisième genre de Théologie , dit Varron , est celui que les citoyens, et principalement les Prêtres doivent savoir, et pratiquer dans les villes. Elle enseigne quels Dieux il faut adorer publiquement ; quelles cérémonies, et quels sacrifices chacun doit faire. Varron ajoute , « que les choses écrites par les Poètes sont au-dessous de ce que le Peuple doit suivre ; et que celles que les Philosophes enseignent, sont au-dessus de ce qu'il est expédient que le petit peuple recherche. Ces choses néanmoins, dit-il, ne sont pas tellement incompatibles, que de l'un, et de l'autre genre de Théologie ; c'est-à-dire de la fabuleuse, et de la naturelle, on n'en ait fait passer plusieurs choses dans les actions civiles. » Ainsi les mêmes actions infâmes des Dieux, qui étaient représentées par les Poètes dans leurs vers, et par les Comédiens sur le Théâtre, étaient aussi représentées par les Peintres dans les Temples, et par les Prêtres dans les honneurs qu'ils rendaient à leurs Dieux, d'une manière encore plus sale: Et néanmoins ils condamnaient, et rejetaient celles-là, comme des choses déshonnêtes, honteuses, et indignes  ; et ils avaient de la vénération pour celles-ci, comme pour des choses honnêtes, et dignes du culte des Dieux ; parce qu'étant revêtues de quelques interprétations qu'on leur donnait pour remarquer les divers effets de la nature, et étant accompagnées de quelques cérémonies que les Prêtres y joignaient, ils croyaient qu'elles étaient sanctifiées, et qu'elles devenaient honnêtes. « Les Prêtres des Païens, dit S. Augustin,tâchent par des cérémonies sacrées de donner quelque apparence d'honnêteté aux fables des Dieux, quelque déshonnêtes qu'elles soient », c'est ce qu'ils appelaient des mystères, et des choses mystérieuses. « On trouvera, dit Cicéron, que les plus considérables des Dieux sont sortis de la terre pour aller prendre place au ciel : Cherchez l'origine de ceux dont l'on voit encore les tombeaux dans la Grèce ; et comme vous êtes initié, et instruit dans les choses de la religion, rappelez dans votre mémoire les choses que ces mystères nous représentent. » Ainsi les actions infâmes des Dieux, qui étaient représentées sur le Théâtre, quoique dans l'usage de la Théologie fabuleuse elles fussent rejetées comme honteuses, déshonnêtes, et indignes de la Majesté Divine, ne laissaient pas d'être reçues avec respect et vénération lorsque la Théologie civile les proposait comme des mystères aux jours de leurs Fêtes. Il n'y avait point de différence entre ces choses que selon les divers usages qu'en faisait la Théologie fabuleuse, ou la Théologie civile, comme le remarque excellemment S. Augustin. « La Théologie fabuleuse, dit-il, sème par ses fictions des choses infâmes touchant les Dieux ; la Théologie civile les moissonne par l'approbation qu'elle leur donne : Celle-là répand des mensonges : celle-ci les ramasse : Celle-là souille les choses divines de faux crimes : celle-ci comprend dans les choses divines les Jeux qui représentent les crimes : Celle-là fait retentir par les vers des Poètes ses fables détestables des Dieux : celle-ci les consacre aux Fêtes des mêmes Dieux : Mais celle-là fait une profession publique de turpitude sur le Théâtre ; et celle-ci se pare de la turpitude de l'autre dans les choses civiles », c'est-à-dire, dans le culte des Dieux que les hommes ont inventé, et dans les réjouissances publiques des villes. Ce que nous venons de dire nous fait remarquer deux choses. Premièrement que les interprétations honnêtes qu'on donnait aux fables honteuses des Dieux, n'étaient277 mystérieuses que dans l'usage de la Théologie civile, où elles étaient accompagnées de cérémonies sacrées : Secondement que les représentations des Comédies, et des Tragédies n'étaient des actes de religion et de révérence que dans l'usage de la Théologie civile ; c'est-à-dire, dans les Fêtes des Dieux, ou dans les réjouissances publiques des villes, comme faisant partie des solennités sacrées. Il est encore constant qu'elles n'étaient des actes de religion et de révérence que selon l'opinion du peuple, qui en cela ne faisait pas ce qu'il devait faire, suivant plutôt les Poètes, que les Philosophes. Car Varron dit, « qu'en ces choses, nous devons plutôt nous attacher aux Philosophes qu'aux Poètes ». S. Augustin, après avoir bien examiné ce que Varron a écrit sur ce sujet, conclut que ces grands esprits n'improuvaient pas moins la Théologie civile, que la fabuleuse, et que par conséquent ils ne condamnaient pas moins les Comédies, et les Tragédies qui contenaient les actions infâmes de leurs Dieux, et qui étaient représentées aux jours de leurs Fêtes, et de leurs réjouissances publiques, faisant en ce cas partie de la Théologie civile, que celles qui étaient représentées aux autres jours, et qui ne faisaient en ce cas que partie de la Théologie fabuleuse ; quoique en condamnant celles-ci ouvertement et avec toute sorte de liberté, ils n'osassent condamner les autres publiquement, craignant la sévérité des lois. « Ces hommes subtils et très savants, dit S. Augustin,qui ont écrit de ces choses, jugeaient bien qu'on devait condamner ces deux genres de Théologie, savoir la fabuleuse et la civile ; mais ils improuvaient celle-là librement, et n'osaient pas improuver celle-ci ouvertement ; ils ont donc proposé celle-là pour la condamner ; et celle-ci, pour la comparer avec l'autre, afin que par cette comparaison on reconnût qu'elles étaient semblables : le dessein de ces grands hommes n'était pas qu'on choisît l'une plutôt que l'autre ; mais qu'on jugeât que l'une et l'autre devaient être rejetées, et qu'ainsi sans que ceux qui craignaient de reprendre ouvertement la Théologie civile, courussent aucun péril, toutes les deux étant rejetées, les plus sages fussent portés à embrasser celle que l'on nomme naturelle. En effet la Théologie fabuleuse, et la civile sont toutes deux fabuleuses, et toutes deux civiles : Car quiconque considérera mûrement les faussetés, et les ordures de l'une, et de l'autre, reconnaîtra qu'elles sont toutes deux fabuleuses : et quiconque remarquera comme les Jeux Scéniques, qui appartiennent à la Théologie fabuleuse entrent dans la solennité des Fêtes des Dieux civils (c'est-à-dire, qui sont institués par les lois civiles) et comme dans les villes ces jeux sont mis au rang des choses divines », il jugera aussitôt que la Théologie civile, et la fabuleuse sont toutes deux civiles, et qu'ainsi puisqu'on improuve la fabuleuse, il faut aussi improuver la civile. L'Auteur de la Dissertation pourra donc apprendre de Varron et de S. Augustin, qu'il est constant que les Théologiens, les Philosophes et les gens d'esprit d'entre les Païens, n'ont jamais cru « que tout ce qui se faisait dans le Théâtre, et tout ce qui s'y disait touchant les faux Dieux, était des actes de révérence ». Les raisons pour lesquelles les Philosophes Païens improuvaient les Comédies et les Tragédies. L'unique but de la Comédie est de donner du plaisir, comme le Prologue de l'Andrienne de Térence nous le fait assez connaître en ces termes : « Lorsque le Poète s'est mis à écrire, il a cru que la seule chose qu'il avait à faire, était de rendre ses Comédies agréables au peuple. » Et c'est une des principales raisons qui fait que la Philosophie les rejette. « Il y a des fables, dit Macrobe, qui ne font que flatter l'oreille, comme sont les Comédies de Ménandre, et les autres qui ont été données au public par ceux qui l'ont imité, ou comme sont les ouvrages qui sont remplis d'amours fabuleuses, en quoi Pétrone s'est beaucoup exercé : et même Apulée s'y est diverti quelquefois, ce qui nous donne sujet d'étonnement. La Philosophie, qui est l'étude de la sagesse, bannit de son sanctuaire tout ce genre de fables, qui ne fait que flatter l'oreille, et le renvoie au berceau des nourrices. » Secondement les Philosophes improuvaient la Comédie et la Tragédie, à cause de l'impression qu'elles donnent de l'amour infâme. Voici, dit Cicéron, ce que le Poète Trabéa fait dire à Chérée ; et le Sieur Du Ryer le traduit ainsi : « Par l'appas de l'argent notre vieille gagnée Suivra la volonté que j'aurai témoigné. Je heurterai du doigt, la porte s'ouvrira : Je surprendrai Chrysis, son œil me charmera, Et de cette surprise, et contente, et ravie, Cette belle qui fait tout le bien de la vie, Se donnant elle-même à mes embrassements, Ne refusera rien à mes contentements. » Il va dire aussitôt l'estime qu'il fait de toutes ces choses. «  Je serai plus heureux que la fortune même.  » « Il est aisé de connaître, ajoute Cicéron, combien cette joie est honteuse si l'on y fait attention : et comme ceux-là sont infâmes qui ne la sauraient couvrir dans la jouissance des plaisirs et des voluptés. Aussi les autres sont dépravés et vicieux qui les souhaitent et les cherchent avec une ardeur, et une passion déréglée. Quant à ce qu'on appelle ordinairement amour, et pour qui je ne saurais trouver un autre nom, il est si extravagant et si léger, que je ne vois rien qui puisse lui être comparé. Cécilius en parle de la sorte. « Qui ne croit pas qu'Amour soit des Dieux le plus grand, Qu'il s'estime insensé, qu'il s'estime ignorant. Il fait quand il lui plaît ou des fous, ou des sages. Il guérit, il abat, sans épargner les âges. C'est lui dont le pouvoir de la haine est vainqueur, Et qui fait les objets les plus chéris du cœur. » « O que la Poétique est une admirable réformatrice des mœurs, laquelle place dans l'assemblée des Dieux, l'amour qui est l'auteur du vice, de l'extravagance, et de la légèreté ? « J'entends parler de la Comédie, qui ne pourrait subsister, et qui serait il y a déjà longtemps exterminée, si nous n'approuvions toutes ces ordures et ces vilénies. Mais que dit dans la Tragédie le Prince des Argonautes ? « L'amour plus que l'honneur t'oblige à me sauver. Combien l'amour de Médée a-t-il causé d'embrasements et de misères ? Cette femme furieuse ose dire à son père, dans un autre Poète, qu'elle ne reconnaît pour son mari que celui "Que lui donna l'amour plus puissant que son père". » Mais laissons les Poètes se jouer dans les fables, où nous voyons même Jupiter souillé de ce vice, et esclave de l'amour. » Troisièmement les Philosophes improuvaient les Comédies et les Tragédies, à cause du mauvais usage qu'elles faisaient de la raison, pour établir des maximes pernicieuses qui blessaient les lois, et corrompaient les mœurs, apprenant à faire le mal par raison, et donnant des adresses et des moyens pour le faire. Cicéron nous en fournit plusieurs exemples dans le troisième livre de la nature des Dieux : Voici comme Médée parle dans une Tragédie : « Tout ce qu'on veut succède, et même avec excès, Quand on fait ce qu'il faut pour avoir du succès. » « Ces vers, dit encore Cicéron,, sont comme une semence de toutes sortes de méchancetés, et de maux.  « Il a donné lui-même à mon ressentiment, Et puis à ma fureur un funeste aliment. Suivons la passion dont je suis combattue, Je me perds, il est vrai, mais au moins je le tue. » « Considérez ce qu'elle fait en fuyant son père et son pays : « Lorsque son père approche, et qu'elle se voit prête De tomber en ses mains, et d'être sa conquête ; Elle égorge son frère, et sème par les champs Les membres de son corps déchirés et sanglants ; Et le fruit qu'en attend cette sœur inhumaine, Est d'amuser son père, et de fuir sans peine, Tandis que de douleur ce vieillard transpercé, Ramassera son fils en pièces dispersé. Ainsi pour éviter le courroux de son père, Elle veut se sauver par la mort de son frère. » « Comme la méchanceté ne manqua pas à cette femme ; la raison ne lui manqua pas aussi. Mais celui qui prépare à son frère un festin si funeste, ne se sert-il pas de la raison, et ne la tourne-t-il pas de tous côtés. » « Il est besoin de maux et plus grands et plus forts, Pour dompter de son cœur les infâmes transports.  «Il ne faut pas pourtant oublier Thyeste même, qui ne se contente pas de corrompre la femme de son frère ; sur quoi Atrée dit fort bien » : « Ce que je trouve ici de plus épouvantable, C'est de souiller des Rois la maison, et le rang  C'est de confondre enfin et la race, et le sang. « Mais avec combien d'adresse se gouverna-t-il, lui qui voulait ravir la Royauté à son frère par un adultère ? » J'ajoute que le traître, et le lâche Thyeste, Ce frère détestable, à son frère funeste, Osa de mon palais enlever cet Agneau, Qu'une perruque d'or rend précieux, et beau, Et que par un miracle et que par un prodige, Qui me flattait alors, qui maintenant m'afflige, Autrefois m'envoya le souverain des Dieux, Pour l'affermissement d'un trône glorieux. Le traître en ce dessein si digne du supplice, Se servit de ma femme, il en fit son complice. « Ne vous semble-t-il pas qu'il a fait une grande méchanceté avec beaucoup de raison ? Le Théâtre est rempli de semblables crimes . » Diogène Laërce raconte que Socrate étant allé à une Tragédie d'Euripide, comme il vit qu'il se moquait de la vertu, disant, qu'il était bon de la laisser échapper, sans se mettre en peine de la suivre ; il se leva, et dit en se retirant de dépit, que c'était une honte de croire qu'un esclave qui s'est dérobé, mérite bien qu'on coure après lui, pour tâcher de le retrouver ; et de laisser perdre une chose aussi précieuse qu'est la vertu. « Que dirons-nous, dit Cicéron,des extravagances de la Comédie ? » En voici un exemple tiré d'une Comédie intitulée Les Synéphèbes ; qui instruit les fils de famille à dérober leur père, par des fourbes, par des tromperies, et par de mauvais traitements. Un débauché parle en ces termes dans cette pièce : « Que c'est une douceur d'avoir un père avare , Peu facile, sévère, à ses enfants barbare, Qui ne vous aime point, et sans cesse en courroux, Vous refuse le soin qu'il doit avoir de vous. Ou par un beau semblant vous pouvez le tromper ; Ou par l'appât d'un fruit vous pouvez l'attraper ; Ou bien par une lettre et fausse et contrefaite, Vous pouvez finement lui soustraire une dette ; Ou vous pouvez encore au lieu de le flatter, Même par un valet le faire maltraiter. Enfin quand on a pris de quoi se rendre riche, Dedans le cabinet d'un père avare, et chiche, Combien plus librement dissipe-t-on ce bien Que l'on conte pour rien. » C'est donc avec raison que les Lacédémoniens rejetaient les Comédies, et les Tragédies, pour ne point écouter, dit Plutarque, non pas même en se jouant, ceux qui contrevenaient aux lois. Ce même Auteur nous apprend que les Athéniens estimaient les Comédies si indécentes, et si insupportables, qu'il y avait une loi parmi eux qui défendait aux Aréopagites de faire des Comédies. Et les sages Romains condamnaient encore les Comédies des Grecs, à cause de l'insolence avec laquelle elles déchiraient la réputation des hommes. « Parmi les lois des Grecs, dit Scipion, dans les livres que Cicéron avait composés de la République, il y en avait une qui permettait de parler librement de tout sur le Théâtre, d'y nommer et d'y reprendre toutes sortes de personnes. C'est pourquoi, comme Scipion l'Africain continue dans ces mêmes livres, Qui est-ce que la Comédie n'a point attaqué, ou plutôt qui n'a-t-elle point outragé, à qui a-t-elle pardonné ? Souffrons-la toutefois si elle a offensé des méchants du menu peuple, si elle a repris des séditieux, qui aient excité des troubles dans la République, comme un Cléon, un Cléophon, un Hyperbole : souffrons-lui cette liberté ; quoiqu'il eût pourtant mieux valu que ces sortes de gens eussent été repris par un Censeur que par un Poète. Mais qu'elle se soit attaquée à Périclès, et qu'elle l'ait déchiré par ses vers après tant de services qu'il avait rendus à son pays, après l'avoir gouverné tant d'années ; et en paix et en guerre, avec tant d'éclat et de gloire ; c'est ce qui est aussi peu supportable, que si nos Comiques Plaute, Névius, et Cécilius eussent eu l'insolence d'outrager les deux Scipion, et Caton même. « Il ajoute peu après : « Nos lois des douze tables, ont établi une discipline toute contraire à la coutume des Grecs, et quoique elles soient fort retenues à punir de peine capitale, néanmoins elles prononcent cette peine contre ceux qui ont noirci l'honneur de quelqu'un sur le Théâtre, ou blessé sa réputation par des vers injurieux. Et certes c'est avec grande justice qu'elles ont fait cette ordonnance ; car si notre vie doit être soumise à la puissance de la Justice, à la censure et à la connaissance légitime des Magistrats ; elle ne doit pas être en proie à la licence des Poètes : et il ne doit point être permis de nous dire une injure, sinon à condition que nous y puissions répondre, et que nous ayons la liberté de nous en défendre, et d'appeler l'autorité publique à notre secours... « Cicéron passe ensuite à d'autres discours ; et pour conclure il montre enfin que les anciens Romains ne pouvaient souffrir qu'un homme vivant fût ni loué, ni blâmé sur le Théâtre Je finirai cette observation par un extrait d'un excellent discours que l'Orateur Aristide a composé contre la Comédie : où il reprend les Grecs de ce qu'ils représentaient des Comédies aux Fêtes de leurs Dieux ; leur remontrant qu'il n'y avait rien de plus opposé à la solennité de ces jours : Et il rapporte ensuite les raisons pour lesquelles on doit entièrement abolir la Comédie, qui ne sert qu'à corrompre les mœurs : « J'estime, dit-il, qu'on doit célébrer les Fêtes de Bacchus, et même de Vénus, et de tous les autres Dieux, en leur offrant des sacrifices, en chantant des hymnes, en portant des couronnes en leur honneur, et en n'omettant rien de ce qui regarde le culte religieux qui leur est dû. Mais je soutiens qu'on doit entièrement abolir une chose qu'on y joint, laquelle a été accordée au peuple par condescendance, et qui déplaît extrêmement aux honnêtes gens : à savoir les discours injurieux, et diffamatoires, et tous ces jeux des Comédies... « N'est-il pas raisonnable qu'aux jours de Fête nous ayons un grand soin de ne nous entretenir que de bons discours, de n'avoir dans notre esprit que des pensées honnêtes, et de nous rendre les uns aux autres des témoignages d'affection, considérant que l'amitié, et l'union des cœurs sont des dons dont les Dieux récompensent nos vœux ; et que les Fêtes sont, pour ainsi dire, des marques solennelles d'amitié ? En effet il n'y a point de plus beau sacrifice, ni qui soit plus cher et plus agréable aux Dieux, que le soin que nous prenons de leur présenter notre cœur aussi pur qu'il nous est possible : et quelle plus grande preuve peut-on donner de la vénération qui leur est due, que de ne rien dire, et de ne rien écouter d'indécent en leur présence ?... « Il y en a qui ont la hardiesse de dire qu'il est bon de permettre des mauvais discours sur le Théâtre ; parce, disent-ils, que par là ceux qui ont mal vécu, sont repris, et les autres de peur d'être joués dans la Comédie, prennent soin de se bien conduire. Pour moi, s'il était possible d'instruire ainsi les hommes, j'estimerais que l'ivrognerie y serait encore plus propre : Mais il est bien difficile de croire que des ivrognes pussent donner aux autres des instructions pour devenir sages, et devant que d'être désenivrés, apprendre aux autres à bien vivre... « Nous savons tous premièrement qu'il n'appartient pas à tout le monde de donner des instructions, non plus que de faire des lois, et dogmatiser parmi le peuple : et comme l'on dit ordinairement, il n'appartient pas à tout le monde de naviguer à Corinthe, comment donc tous les hommes seront-ils capables de conduire tout le cours de leur vie en la manière qu'il faut ? Tous sont-ils capables de cet emploi : et doit-on souffrir que chacun se mêle de conduire la jeunesse comme il lui plaira ? Nous faisons le choix des Athlètes, de sorte que celui qui ne se trouve pas habile, est contraint de se retirer avec honte, et en reçoit le châtiment. Et toutefois en ce qui regarde les Maîtres et les Précepteurs de la vertu, nous en faisons un mauvais discernement, en les prenant de toutes sortes de métiers, qu'il semble que nous ayons nous-mêmes besoin de Précepteurs. Nous servons-nous de toutes sortes de gens pour être portiers ? ne prenons-nous pas les plus fidèles que nous pouvons trouver, afin qu'il n'arrive aucun désordre dans nos maisons ? Et cependant nous abandonnerons la conduite des enfants, des femmes, du peuple, et en un mot, des Magistrats à quiconque s'en voudra mêler ; et nous nous confierons à des ivrognes que nous condamnons lorsqu'ils sont encore à jeun ? « Que si nous considérons le temps des Bacchanales, ou des Fêtes Samiennes, ou de celles qu'on célèbre pendant toute la nuit ; certes c'est un temps de divertissement, et non pas d'étude. Est-il donc raisonnable que lorsque nos enfants sortent de l'école de leurs véritables Précepteurs, ils aillent sous d'autres qui n'en ont point la charge, et qui s'ingèrent eux-mêmes de leur faire des leçons ? « Quant au lieu (où l'on représente la Comédie) il n'est point propre à y prendre des leçons ; et il est absurde de lui donner le nom d'école ; car ce n'est point aux Théâtres où les Précepteurs doivent aller pour instruire leurs disciples ; puisque les Théâtres ne sont établis que pour le plaisir, et le divertissement. Mais il y a d'autres lieux qui sont destinés pour l'étude de la sagesse, comme leur nom le marque.... « Je n'estime point aussi que ce soit une manière propre à instruire la jeunesse, de railler, et de noircir la réputation d'autrui avec impudence ; mais la jeunesse doit être élevée, ainsi qu'il convient à des personnes libres ; et sur toutes choses on lui doit apprendre à se garder de rien faire qui soit indécent. « Ceux qui n'ont point l'honneur en recommandation , et qui sont tout corrompus par leurs mauvaises habitudes, ne perdent rien lorsqu'on les joue sur le Théâtre ; mais au contraire ils tiennent à un grand avantage d'être connus par là de tout le monde. Mais ceux qui y sont joués injustement et sans sujet, combien sont-ils détournés par là des exercices qu'il faut pratiquer pour acquérir la sagesse ? On ne doit donc pas permettre la Comédie afin que vos enfants en deviennent meilleurs ; mais c'est pour cette raison, quand il n'y en aurait point d'autre, qu'on doit abolir la Comédie, afin que vos enfants puissent librement s'exercer dans la vertu, sans crainte d'être joués sur le Théâtre. « N'est-il donc pas tout à fait évident que la Comédie est très odieuse, et qu'il vaut mieux l'abolir entièrement ? « Quels sont ceux qu'on représente dans la Comédie, tels sont d'ordinaire tous ceux qui se plaisent à ces représentations. « Où y a-t-il plus de malignité dans la diction , plus d'impudence dans les vers, plus d'infamie dans les postures ? Et il n'y a point de Comédie qui soit exempte de ces vices, et la volupté n'y a point de bornes. Direz-vous que vous permettez tout cela comme des choses honnêtes ? Mais y a-t-il rien de plus honteux ? Direz-vous qu'il est utile d'entendre, et de voir ces choses ? Mais ce n'est qu'un amas de corruption. Car lorsqu'un homme, ou une femme se sont accoutumés à entendre de mauvais discours qui blessent leur réputation, et à supporter des outrages les plus indignes, leur esprit se relâche et s'abat facilement : et ils apprennent à devenir vicieux, quand même ils auraient été vertueux. » Chapitre III de la Dissertation. Que les anciens Pères de l'Eglise défendirent aux Chrétiens d'assister aux Jeux du Théâtre, parce que c'était participer à l'Idolâtrie. Il faut voir sur ce sujet la Tradition de l'Eglise dans le traité que feu Monseigneur le Prince de Conti a composé de la Comédie et des Spectacles. Dissertation. « Puisqu'il est indubitable que tous les Jeux du Théâtre, aussi bien que les autres spectacles des anciens étaient des actes de Religion, il ne faut pas trouver étrange que les Docteurs de la primitive Eglise aient défendu si rigoureusement aux Chrétiens d'y assister. » I. Observation. J'ai montré évidemment dans les Observations précédentes que les Jeux du Théâtre, et les autres Spectacles n'appartenaient à la Religion que selon l'erreur populaire : Et que les Théologiens, les Philosophes, et les gens d'esprit n'étaient point de ce sentiment. Cela est si indubitable, que S. Augustin, et les autres Pères de l'Eglise se sont servis du témoignage de ces grands personnages du paganisme, pour détruire cette erreur populaire. Dissertation pag. 57. « Il ne fallait point lors distinguer les Théâtres d'avec les Temples ; ils étaient également religieux, ou plutôt abominables ; on rencontrait dans les uns et dans les autres les mêmes Autels, et les mêmes Sacrifices, les mêmes Divinités, et les mêmes mystères. » II. Observation L'Auteur de la Dissertation veut qu'on l'en croie sur sa parole. Mais il s'est engagé si mal à propos qu'il se trouve qu'il a pris l'argument des Chrétiens pour l'opinion des Païens : et je crois qu'il l'a fait sans y penser ; car s'il avait lu dans S. Augustin l'objection des Chrétiens sur ce sujet, il y aurait pu remarquer la différence que les Païens mettaient entre les Temples et les Théâtres. Le dessein de S. Augustin dans le 6. livre de la Cité de Dieu, est de montrer que le culte des Dieux, qui appartenait à la Théologie civile, devait être rejeté par la même raison dont Varron se servait pour rejeter la Théologie fabuleuse, qui comprenait les Théâtres, les Jeux et les Spectacles ; réfutant la différence que cet habile Païen prétendait établir entre ces deux genres de Théologie ; et entre les choses infâmes qui étaient représentées sur les Théâtres, et celles qui étaient représentées dans les Temples, et dans le culte qu'on rendait aux Dieux. Voici le raisonnement de S. Augustin : La Théologie fabuleuse qui comprend les Théâtres, les Jeux, et les Spectacles, doit être rejetée selon Varron, comme infâme, et indigne de la majesté divine à cause des fictions honteuses des Dieux qu'elle représente dans ses vers, et sur le Théâtre. Or la Théologie civile, qui comprend le culte divin, les Temples, les Sacrifices, les cérémonies, et les mystères, représente ces mêmes fictions honteuses dans les Temples des Dieux, et dans le culte qu'on leur rend. Et par conséquent la Théologie civile ne doit pas moins être rejetée, que la fabuleuse ; et on ne doit pas moins condamner les Temples, et le culte qu'on y rend aux Dieux, que les Théâtres, et ce qui s'y fait. Saint Augustin montre ensuite comment la Théologie civile représente dans les Temples, et dans le culte qu'on y rend aux Dieux les mêmes fictions honteuses que la Théologie fabuleuse représente sur le Théâtre. « Les simulacres, dit-il, des Dieux, leurs formes, leurs âges, leurs sexes, leurs postures, et leurs ornements, nous en fournissent assez de preuves. « N'y a-t-il que les Poètes qui représentent Jupiter avec une barbe ; et Mercure sans barbe ? Les Pontifes ne les représentent-ils pas de même ? Et le Dieu de l'impureté est-il d'une autre manière dans les lieux sacrés où l'on l'adore ; qu'il ne l'est sur les Théâtres, où l'on l'expose à la risée du peuple. » Et dans le chapitre 6. « Les Dieux, dit-il, dont vous riez, et dont vous vous moquez dans les Théâtres, sont les mêmes que vous adorez dans les Temples. Les Dieux à l'honneur desquels vous célébrez des Jeux, sont les mêmes à qui vous immolez des victimes. » Et dans le même chapitre. « Quelqu'un, dit-il, qui ignore ces choses, s'imaginera qu'il n'y a que ces fables des Dieux que les Poètes chantent dans leurs vers, et qui sont représentées dans les Jeux de la Scène, qui soient ridicules, détestables, et indignes de la Majesté divine ; mais que ces mystères sacrés que célèbrent les Prêtres, et non pas les Acteurs de la Scène, sont purs et éloignés de toute sorte d'impureté, et d'infamie. Si cela était ainsi, personne n'estimerait jamais qu'on dût célébrer à l'honneur des Dieux les honteuses représentations du Théâtre ; et les Dieux ne commanderaient jamais qu'on les célébrât en leur honneur. Mais on n'a point de honte de faire ces choses dans les Théâtres pour le service des Dieux ; parce que on en fait de semblables dans leurs Temples. » Enfin après avoir bien prouvé que les Temples n'étaient pas plus purs que les Théâtres, « Qu'ils tâchent, dit-il, encore de distinguer, avec toute la subtilité dont ils se peuvent servir, et de séparer la Théologie civile de la fabuleuse ; les villes, des Théâtres ; les Temples, des Scènes ; les mystères et les cérémonies sacrées des Pontifes, des vers des Poètes : comme si ces choses-là étaient honnêtes ; et que celles-ci fussent infâmes : comme si celles-là étaient véritables ; et que celles-ci fussent fausses et trompeuses : comme si celles-là étaient considérables par leur gravité ; et que celles-ci ne fussent que des légèretés et des extravagances : comme si celles-là étaient sérieuses ; et que celles-ci ne fussent que des jeux et des passe-temps : et comme si celles-là devaient être recherchées ; et que celles-ci dussent être rejetées. » Il est aisé de voir par là que les Païens distinguaient les Temples d'avec les Théâtres, et tout ce qui se disait, et ce qui se faisait dans les Temples d'avec ce qui se disait, et ce qui se faisait dans les Théâtres ; comme des choses honnêtes et sacrées, d'avec des choses honteuses et infâmes : Et S. Augustin soutenait au contraire que les Temples n'étaient point plus purs que les Théâtres ; de sorte qu'il est évident que l'Auteur de la Dissertation a pris l'argument de S. Augustin pour l'opinion des païens. S'il avait lu encore ce qu'en a écrit l'Empereur Julien l'Apostat ; il se serait bien gardé de dire que parmi les Païens les Théâtres n'étaient pas moins religieux que les Temples ; car cet Empereur déclare que « les Théâtres sont des ouvrages d'impureté, et des occupations les plus honteuses de la vie ». Les Païens estimaient les Théâtres si peu religieux, qu'ils les faisaient servir de lieux pour la punition des criminels. Ainsi nous lisons dans Suétone qu'Auguste fit fouetter un nommé Stéphanion dans trois Théâtres, et puis le bannit. Philon le Juif nous apprend que le Président Flaccus faisait fouetter les Juifs au milieu du Théâtre d'Alexandrie, et leur faisait souffrir les tourments du feu et du fer. Dissertation. pag. 61. « Mais le fondement général que Tertullien prend pour interdire tous les Spectacles aux Chrétiens, est qu'ils faisaient la plus grande partie des Cérémonies du Paganisme, ce qu'il traite fort au long, comme la plus puissante, et la plus importante raison que l'on puisse mettre en avant. » Réfutation. Lorsque j'ai remarqué les erreurs de la Dissertation en ce qui regarde le Paganisme, je me suis contenté de donner le nom d'Observation à ce que j'ai dit, sur ce qui m'a paru digne d'être repris. Mais comme les erreurs de la Dissertation concernent maintenant la Religion Chrétienne, les Décrets des Conciles, et les sentiments des Pères de l'Eglise, j'ai cru être obligé de me servir du nom de Réfutation, pour distinguer ce qui regarde les choses de notre Religion, d'avec ce qui concerne les choses profanes. Après que dans les Chapitres précédents l'Auteur de la Dissertation s'est efforcé en vain de prouver par le témoignage des Païens que tous les Jeux et les Spectacles de l'Antiquité faisaient la plus grande et la plus solennelle partie de la Religion Païenne ; il prétend dans ce chapitre montrer par l'autorité de Tertullien, que « les Spectacles faisaient la plus grande partie des cérémonies du Paganisme » ; mais il y a si mal réussi, qu'en tout ce qu'il en rapporte, il n'y a pas un seul mot de ce qu'il avance dans sa proposition : et toutefois, ce qui est encore plus étrange, il veut que de cette proposition, qui n'est point dans Tertullien, Tertullien « ait fait le fondement général qu'il prend pour interdire les Spectacles aux Chrétiens, comme la plus puissante, et la plus importante raison que l'on puisse mettre en avant ». Il n'y a personne qui lise ces paroles de l'Auteur de la Dissertation, qui ne s'attende de voir en termes exprès dans ce qu'il va rapporter de Tertullien, cette proposition qu'il assure être la plus puissante, et la plus importante raison qu'on puisse mettre en avant, « Que les Spectacles faisaient la plus grande partie des cérémonies du Paganisme » ; Et néanmoins il n'y en a pas un seul mot, comme il paraît par la lecture de ce qu'il en allègue. Dissertation pag. 61. et 62. etc. « Et voici comme Tertullien en parle  : “Il ne faut pas s'imaginer que la défense que nous faisons aux Chrétiens d'assister aux Spectacles du Paganisme ne soit qu'une invention de la subtilité de l'esprit. Faites seulement réflexion sur le Sacrement qui nous a donné ce caractère : En le recevant nous avons renoncé au diable, et à ses pompes, et où sont-ils plus forts, et plus considérables que dans l'Idolâtrie ? De sorte que si les Spectacles en sont procédés, et soutenus, il ne faut point douter qu'ils ne soient compris en cette renonciation générale. Or il est aisé de vous le justifier par leur origine, et leur accroissement : par leurs représentations accompagnées de mille superstitions " : par ceux qui président dans tous les lieux destinés à ces magnificences : et par les inventeurs des arts qui s'y pratiquent." « Et après avoir traité toutes ces choses séparément et doctement, il poursuit. "Regarde donc, Chrétien, les noms des esprits immondes qui se sont emparés du Cirque, tu ne dois point avoir de part à cette Religion, où tant de démons sont les maîtres." « Enfin il ajoute :“le Théâtre est le vrai sanctuaire de Vénus et de Bacchus ; c'est leur palais, et tu dois haïr toutes les choses, dont tu ne saurais te dispenser de haïr les Auteurs.” Et il conclut en ces termes. “Donc si toutes les choses sont introduites dans les Spectacles par les démons, s'ils sont faits pour eux, et si tous les ornements y viennent d'eux, ils sont assurément de ces pompes des démons, auxquelles nous avons renoncé, sans qu'il nous soit libre d'y participer ni par les actions ni par les regards. Personne ne se jette ni dans le camp, ni dans le parti des ennemis sans avoir abandonné les armes et les enseignes sous lesquelles il combattait.” "Aussi lorsque l'on exorcisa cette femme qui se trouva possédée d'un démon à la sortie des Spectacles , et qu'on lui demanda de quel droit il avait entrepris sur une Chrétienne ; il répondit qu'il l'avait fait justement, puisqu'il l'avait rencontrée dans son empire." « Et lorsqu'il veut rendre raison aux Païens pourquoi les Fidèles refusaient d'assister à leurs spectacles, il dit en un mot : "Nous y renonçons parce que nous savons bien qu'ils sont les ouvrages de la Superstition.” » Suite de la Réfutation. Voilà tout ce que l'Auteur de la Dissertation rapporte de Tertullien : où nous voyons bien qu'il interdit aux Chrétiens les spectacles, parce qu'ils procèdent de l'Idolâtrie, et que les démons en sont les maîtres, et les auteurs ; parce qu'ils sont faits pour eux ; parce qu'ils sont les ouvrages de la Superstition ; parce que tous leurs ornements viennent des démons ; parce que le Théâtre est le sanctuaire de Vénus, et de Bacchus : mais nous n'y voyons pas un seul mot de cette proposition, « Que les Spectacles faisaient la plus grande partie des cérémonies du paganisme » ; et certes Tertullien ne l'aurait pas omise, s'il eût cru qu'elle était « le fondement général pour interdire les Spectacles aux Chrétiens, comme la plus puissante et la plus importante raison qu'on puisse mettre en avant », selon l'Auteur de la Dissertation. Mais pourquoi a-t-il falsifié le texte de Tertullien dans le premier passage qu'il a cité, traduisant ainsi ces paroles de Tertullien : « Exinde apparatus, quibus superstitionibus instruantur. » « Par leurs représentations accompagnées de mille Superstitions ». Je ne vois pas qu'il ait prétendu tirer d'autre avantage de cette falsification, si ce n'est qu'il a voulu incorporer les cérémonies avec les représentations des Spectacles, afin d'inférer de là qu'ils faisaient la plus grande partie des cérémonies. Mais le texte de Tertullien dit tout autre chose, et il s'explique si clairement qu'on ne peut pas douter du sens de ses paroles : car ce qu'il dit, « Exinde apparatus, quibus superstitionibus instruantur », signifie, « Nous ferons voir après avec combien de Superstitions leurs appareils sont dressés. » Et ensuite Tertullien montre qu'il entend par ces appareils la pompe des cérémonies sacrées : « Les Jeux, dit-il, de l'un et de l'autre genre, c'est-à-dire, les Jeux sacrés, et les Jeux funèbres, ont une origine commune : Ils ont des titres communs, comme ils ont des causes communes de leurs institutions ; il est aussi nécessaire qu'ils aient des appareils communs, qui sont souillés de la tache générale de l'Idolâtrie qui les a formés. Mais l'appareil des Jeux du Cirque est un peu plus pompeux, à qui proprement ce nom de Pompe est donné : la Pompe qui précède fait assez connaître en elle-même de qui elle est, par la suite des simulacres, par le nombre des images qu'on y porte, par les chariots, par les carrosses, par les chars sacrés, par les sièges, par les couronnes, par les dépouilles, ou reliques. Combien outre cela y a-t-il de mystères sacrés, combien de sacrifices devant, au milieu, et après ; combien de compagnies différentes, combien de Prêtres, combien d'officiers et de Ministres qui marchent en procession ? Ceux-là le savent qui habitent dans cette ville, où les démons tiennent leurs assemblées. » Ainsi l'appareil des Spectacles, selon Tertullien, n'est autre chose que la pompe des cérémonies de la Religion païenne, qui précédait les Spectacles, de sorte qu'on ne les commençait point, qu'après que les cérémonies étaient achevées, comme nous l'avons montré sur la fin de la première Observation du 1. Chapitre. D'où il s'ensuit que les Spectacles ne faisaient pas la plus grande partie des cérémonies ; premièrement, parce que les cérémonies étaient finies, lorsqu'on commençait les Spectacles ; secondement, parce que les Spectacles, et les cérémonies étaient deux choses séparées et distinctes, comme nous l'avons fait voir dans la 2. Observation de ce Chapitre par ces paroles de S. Augustin, « Que les Païens, dit-il, tâchent de distinguer les mystères, et les cérémonies sacrées des Pontifes, d'avec les vers des Poètes ? » Troisièmement, parce que les Jeux et les Spectacles, les sacrifices, les festins sacrés, et les féries faisaient séparément partie des fêtes selon le témoignage de Macrobe : « les Fêtes, dit-il, comprennent les sacrifices, les festins sacrés, les Jeux, et les féries…. C'est une solennité sacrée, lorsqu'on offre des sacrifices aux Dieux ; ou lorsque le jour se passe en festins sacrés ; ou lorsqu'on fait des Jeux à l'honneur des Dieux, ou lorsqu'on observe les féries. » Ainsi les Jeux et les Spectacles ne faisaient pas la plus grande partie des fêtes, ni par conséquent des cérémonies du paganisme ; puisque de quatre parties des fêtes, ils n'en faisaient tous qu'une seule, et encore la plus petite, au moins à l'égard des Sacrifices. Voyez ce que j'en ai dit dans la 1. Observation du 1. Chapitre, où j'ai montré comment les Jeux et les Spectacles faisaient partie de la Religion païenne. C'est donc sans raison que l'Auteur de la Dissertation dit que « le fondement général que prend Tertullien pour interdire aux Chrétiens les Spectacles, est qu'ils faisaient la plus grande partie du Paganisme, comme la plus puissante, et la plus importante raison qu'on puisse mettre en avant » ; quoique Tertullien n'en dise pas un seul mot. Mais la raison de Tertullien est ; parce que les Spectacles sont des ouvrages de la superstition ; parce que les démons en sont les auteurs ; parce qu'ils se font à l'honneur des faux Dieux, et sous le titre de quelque fausse divinité, à laquelle ils sont consacrés ; parce que ceux qui y assistent ayant pris leurs places de bonne heure, assistent aussi aux sacrifices, et aux autres cérémonies de la Pompe des Dieux qui précède l'ouverture des Jeux ; et qu'ainsi c'est se souiller d'Idolâtrie, c'est célébrer les fêtes des Dieux avec les Païens. Chap. IV de la Dissertation. Que la représentation des Poèmes Dramatiques ne peut être défendue par la raison des anciens Pères de l'Eglise. L'Auteur de la Dissertation veut dire que les anciens Pères de l'Eglise ayant défendu la représentation des Poèmes Dramatiques, à cause de l'Idolâtrie dont ils étaient souillés, on ne peut maintenant se servir de cette raison des anciens Pères pour défendre la Comédie de ce temps qui est exempte d'Idolâtrie. C'est ce que nous allons examiner dans la réfutation suivante ; avertissant cependant le lecteur que les saints Pères n'ont pas défendu la Comédie seulement à cause de d'Idolâtrie, mais aussi parce qu'elle corrompt les bonnes mœurs, comme nous le ferons voir en son lieu. Dissertation pag. 89. « Il ne faut point trouver étrange que l'on ait interdit aux premiers Chrétiens avec tant de rigueur les Jeux du Théâtre, et tous les autres Spectacles du paganisme, puisqu'ils avaient partout les marques de l'hommage honteux et détestable que l'on y rendait aux démons. Mais maintenant qu'ils sont purifiés de toutes les cérémonies de cette impiété, et que la Religion païenne est entièrement abolie parmi les peuples de l'Occident, cette raison qui fut autrefois si puissante dans la bouche des Pères de l'Eglise, n'est plus maintenant considérable ; et cette défense qu'ils prêchaient avec quelque sorte d'anathème, n'a plus ce fondement dans notre siècle : Il n'y a plus lieu d'y craindre l'apostasie des Fidèles : on ne saurait plus les accuser d'entrer dans la société des Idoles, que l'on ne voit plus au Théâtre qu'avec des sentiments dignes des Chrétiens, je veux dire, qu'avec horreur, ou avec mépris ; et ce qui fut autrefois un sacrilège, n'est plus maintenant qu'un divertissement public, agréable et sans crime à cet égard ? On n'y reconnaît plus Bacchus, et Vénus pour des divinités, mais pour des fantômes de l'Enfer, ou tout au plus pour des songes de la Poésie : il n'y a plus d'autels ni de sacrifices, si ce n'est pour représenter quelques vieilles fables, qui font aussi peu d'impression sur nos esprits que les contes ridicules des Fées. On n'y reconnaît plus ces anciens Prêtres ministres de l'Idolâtrie, comme souverains Pontifes ; ce n'est plus à l'honneur de quelques fantastiques divinités que nos Poètes et nos Acteurs consacrent leurs travaux, ni qu'ils rendent des actions de grâces, quand ils y reçoivent des applaudissements. Tous leurs soins ne vont qu'à complaire à la Cour de France, et à la ville de Paris ; et leurs remerciements ne sont que pour les bienfaits dont nos Princes les honorent. Enfin que l'on considère le Théâtre de tous les côtés ; les consciences n'y sont plus en péril de participer aux abominations du Paganisme, dont il n'y reste plus de vestiges, ni de mémoire ; et si tous ceux qui se sont opiniâtrement attachés à le combattre par les paroles de nos anciens Pères, eussent bien examiné toutes ces choses, ils auraient retranché plus de la moitié des textes qu'ils en ont emprunté : ils n'en auraient pas tiré de fausses conséquences, et n'auraient pas détruit un plaisir public, et de soi-même innocent, par des maximes qui ne servaient qu'à condamner l'Idolâtrie, et qui n'ont plus aujourd'hui de causes ni de prétextes. » Réfutation. Il semble que l'Auteur de la Dissertation n'ait jamais ouï parler des restes de l'Idolâtrie, et du soin que l'Eglise a toujours eu de les détruire de siècle en siècle jusqu'à notre temps ; s'il en eût eu quelque connaissance, il se serait bien gardé de faire un raisonnement aussi faux qu'est celui qu'il avance dans ce 4. Chapitre. Car selon le raisonnement de cet Auteur, il eût été permis aux Chrétiens du temps de S. Augustin d'apporter du pain, du vin, et quelques viandes aux Chapelles des Martyrs ; et néanmoins S. Ambroise défendit aux Chrétiens cette coutume, parce qu'elle avait trop de rapport à la superstition des Païens : il est à propos de représenter ici ce qu'en a écrit S. Augustin. « Ma Mère, dit-il, selon la coutume de l'Afrique ayant apporté du pain, du vin, et quelques viandes aux Chapelles des Martyrs, et le Portier de l'Eglise lui ayant dit qu'il ne lui pouvait permettre de présenter cette offrande, à cause que l'Evêque l'avait défendu ; elle reçut cet ordre avec tant de respect, et d'obéissance, que je ne pus voir sans admiration qu'elle se fût si facilement résolue à condamner plutôt la coutume qu'elle suivait auparavant, qu'à examiner pourquoi on ne lui permettait pas de la suivre. Aussi l'intempérance ne pouvait rien sur son esprit ; et l'amour du vin ne portait pas à la haine de la vérité, comme il arrive à beaucoup d'autres de l'un, et de l'autre sexe, qui étant ivrognes n'ont pas moins de dégoût des exhortations qu'on leur fait touchant la sobriété, que du vin qui est mêlé avec beaucoup d'eau. Lorsqu'elle apportait à l'Eglise son petit panier plein de viandes qu'elle devait offrir à l'honneur des saints Martyrs, pour en goûter, et donner le reste aux pauvres, elle ne réservait pour elle que fort peu de vin bien trempé, afin d'en user très sobrement. Et s'il arrivait qu'elle voulût honorer de cette sorte plusieurs Martyrs, elle ne portait partout que la même chose. Et ainsi le vin qu'elle buvait, n'était pas seulement fort trempé, mais aussi fort chaud ; et elle en donnait à goûter à ceux qui l'accompagnaient en cette dévotion, parce qu'en ces exercices religieux, elle ne cherchait qu'à satisfaire à sa piété, et non par à son plaisir. Ainsi lorsqu'elle eut appris que selon l'ordre de ce saint Evêque, et de cet illustre Prédicateur de votre parole, cette coutume ne se devait plus pratiquer par les personnes mêmes qui l'observaient avec plus de sobriété, afin de ne point donner sujet d'en abuser à ceux qui étaient plongés dans l'intempérance, et parce qu'elle avait trop de rapport à la superstition des Païens dans les funérailles de leurs parents, et de leurs amis ; elle s'en départit très volontiers : et au lieu d'un panier plein de fruits terrestres, elle apprit à apporter sur les tombeaux des Martyrs un cœur plein de vœux purs et religieux ; et se réservant de faire ailleurs ses aumônes aux pauvres selon son pouvoir, elle se contentait de participer dans l'Eglise au corps précieux de Christ dans la célébration des divins mystères, puisque ç'a été par l'imitation du sacrifice de ce même Corps en la Croix que les Martyrs ont été immolés et couronnés. » Et cette défense de S. Ambroise a été reçue de toute l'Eglise, de sorte qu'encore aujourd'hui elle défend aux Chrétiens cette coutume d'apporter du pain, du vin, et des viandes sur les tombeaux des Saints, comme ayant du rapport à la superstition des Païens. Selon le raisonnement de l'Auteur de la Dissertation l'Eglise n'aurait pas dû défendre, et ne devrait pas défendre encore maintenant les mascarades, comme étant des restes du Paganisme ; et toutefois elle les a toujours défendues, et les défend encore présentement aux Chrétiens. « Nous offrons, dit S. Augustin, un sacrifice très agréable aux démons, lorsque nous disons, ou faisons quelque chose qui blesse, et bannit l'honnêteté, qui est l'amie de la justice. Y a-t-il une folie pareille à celle qui porte les hommes à s'habiller en femmes par un honteux déguisement ? à défigurer son visage par des masques, qui sont capables de faire peur aux démons ? ou enfin à mettre impudemment son plaisir à chanter les louanges des vices avec des vers lascifs, et avec des postures tout à fait ridicules, et impertinentes ? Y a-t-il de plus grande folie que de se déguiser en bête, et de se rendre semblable à une chèvre ou à un cerf ; afin que l'homme qui a été formé à l'image et à la ressemblance de Dieu, devienne le sacrifice et la victime du démon ? C'est par là que cet ouvrier d'iniquité s'insinue, et s'introduit, afin qu'ayant gagné insensiblement les esprits des hommes sous l'apparence du divertissement, il établisse sa domination sur eux…. Vous donc qui êtes Pères de famille, avertissez vos domestiques de ne point suivre ces coutumes sacrilèges des misérables Païens. » Et en un autre sermon sur le même sujet, « Ceux, dit-il, qui veulent faire quelque chose de ce que les Païens ont accoutumé de faire en ces premiers jours du mois de Janvier, doivent craindre que le nom de Chrétien qu'ils portent, ne leur serve de rien. » Le second Concile de Tours, tenu l'an 567. défend aussi ces restes du paganisme, déclarant que de les garder, c'est participer à l'Idolâtrie. « Nous avons appris, dit le Concile, qu'il y a plusieurs personnes, qui suivant l'erreur de l'antiquité, observent ce que les Païens font les premiers jours de Janvier à l'honneur de Janus, qui n'était qu'un homme Païen, qui peut-être a été Roi, mais qui n'a pu être Dieu. Quiconque donc croit en un Dieu le Père qui règne avec son Fils, et le S. Esprit, ne peut véritablement être estimé tout à fait Chrétien, s'il garde quelque reste du Paganisme, etc. C'est pourquoi nous conjurons tant les Pasteurs, que les Prêtres, d'avoir soin de bannir de l'Eglise par la sainte autorité qu'ils en ont reçue, tous ceux qu'ils trouveront attachés à ces folies ; et de ne pas permettre que ceux qui observent ces coutumes des Païens, aient part à ce qui est offert sur l'Autel sacré ; car quelle union, et quel accord y a-t-il entre les démons, et Jésus-Christ ? » Burchardus Evêque de Worms qui vivait dans le onzième siècle, rapporte la pénitence qui était imposée de son temps à ceux qui gardaient ces restes du Paganisme. « Avez-vous fait, dit-il, quelque chose semblable à ce qu'ont fait, et que font encore les Païens aux premiers jours de Janvier, vous déguisant en cerf ou en génisse ? si vous l'avez fait, faites-en pénitence durant trente jours au pain et à l'eau. » Le Pape Zacharie défend aux Chrétiens ces restes du Paganisme sous peine d'anathème. « Si quelqu'un, dit-il, célèbre les premiers jours de Janvier, comme font les Païens, qu'il soit anathème. » Et dans le Chapitre 3. d'un ancien Concile de Rouen cité par Burchard, et par S. Yves Evêque de Chartres, il est porté en termes exprès : « Si quelqu'un aux premiers jours de Janvier fait quelque chose de ce qui a été inventé par les Païens ; qu'il soit anathème. » L'an 1444. le 12. du mois de Mars la Faculté de Théologie de Paris écrivit une lettre à tous les Prélats de France, pour les exhorter d'abolir ces restes du Paganisme, qu'on appelait la fête des fous ; Voici ses Conclusions. « La fête des fous tire son origine des Païens et des Gentils, qui faisaient de semblables folies au commencement de Janvier, selon le témoignage de S. Augustin, à l'honneur de Janus, qu'ils croyaient être un Dieu, et à qui ils avaient dressé une Idole, devant laquelle ils faisaient ces Jeux, comme par une manière de sacrifice. C'est pourquoi les Chrétiens doivent tout à fait éviter et fuir ces folies ; de peur qu'en les faisant, ou en étant les spectateurs, ils ne semblent vivre comme les Païens, et honorer comme eux l'Idole de Janus ; principalement lorsqu'ils font ces choses au commencement du mois de Janvier, qui porte le nom de Janus. » Et ensuite la Faculté conclut. « Si ceux qui ont accoutumé de célébrer cette fête des fous, après avoir été suffisamment instruits de ce qu'a écrit Saint Augustin sur ce sujet, et après avoir été avertis, et exhortés par leur Prélat, de ne plus faire désormais ces folies, de peur qu'ils ne semblent vivre comme les Païens, s'endurcissent et s'opiniâtrent à faire le contraire ; il faut procéder contre eux comme contre des gens suspects en la foi, et qui suivent les coutumes des Païens. » En un mot l'Eglise a toujours condamné généralement tous les restes de l'Idolâtrie, et du Paganisme, et les a interdits aux Chrétiens. L'an 572. le second Concile de Brague défend généralement toutes les traditions païennes. « Il n'est point permis, dit-il, aux Chrétiens de garder les traditions des Païens ; car il est écrit dans l'Epitre aux Colossiens chap. 3 v. 17. "Quoique vous fassiez ou en parlant, ou en agissant, faites tout au nom du Seigneur Jésus, rendant grâces par lui à Dieu le Père" : Que si quelqu'un commet cet excès, qu'il en soit très sévèrement repris, et qu'il en fasse pénitence selon les Canons. » L'an 743. dans le Synode de Leptines au Diocèse de Cambrai : « Nous ordonnons , dit le Roi Childéric III, ce qui a été aussi ordonné par feu mon Père, que celui qui aura gardé en quelque chose les coutumes des Païens, soit puni et condamné à l'amende de quinze écus d'or. » Et dans un autre Synode tenu sous Carloman : « Nous ordonnons que selon les Canons chaque Evêque dans son Diocèse, assisté du Défenseur de l'Eglise, ait soin que le peuple de Dieu ne fasse point les choses que font les Païens ; mais qu'il rejette, et qu'il abhorre toutes les ordures du paganisme…. Qu'ils défendent donc exactement toutes les coutumes superstitieuses des Païens. » Et le Concile de Calchut en Angleterre tenu l'an 787. « S'il y a, dit-il, quelque reste des coutumes du paganisme, qu'il soit arraché, qu'il soit rejeté avec mépris. » Ces défenses de l'Eglise tombent sur la Comédie, puisque nous y voyons encore aujourd'hui, à la honte du Christianisme, la plupart de ces restes de la Superstition païenne que les Conciles interdisent avec tant de sévérité. Ne voit-on pas tous les jours des masques sur le Théâtre ? n'y voit-on pas des hommes déguisés en femmes, et des femmes déguisées en hommes ? n'y voit-on pas publier les louanges des vices, avec des vers infâmes ? n'y voit-on pas des ballets avec des postures et des gestes impudiques ? Mais la Comédie en elle-même n'est-elle pas un reste de l'Idolâtrie, ayant été inventée par les démons, et consacrée à de fausses divinités ? C'est pourquoi S. Charles Borromée Archevêque de Milan, dans le 3. Synode diocésain de Milan, tenu l'an 1572 « ordonna aux Prédicateurs d'employer tous leurs soins à présenter avec un Zèle pieux, et avec autant de véhémence qu'il leur serait possible, combien les Comédies, et les mascarades, qui sont la source et la semence de toutes sortes de crimes et de désordres, étaient opposées aux devoirs de la discipline Chrétienne, et combien elles étaient conformes aux dérèglements des Païens : et que comme elles sont une pure invention de la malice du démon, le peuple Chrétien les doit entièrement abolir. » Un savant Jésuite Espagnol dans un livre qu'il publia l'an 1614. dit que la Comédie est une tête qui reste de l'Hydre du Paganisme. « Les Empereurs Chrétiens, dit-il, les Rois et les Pontifes ayant coupé et brûlé avec le feu de leur saint Zèle quelques têtes de cette vieille Hydre de l'oisiveté païenne ; néanmoins il en est resté deux qui sont le principe de beaucoup de maux, et qu'il faut couper et brûler tout à fait : Ce sont les Jeux de la Scène, ou les représentations des comédies dont nous parlerons ci-après ; les Jeux des Taureaux, qui ont assez de rapport à l'ancienne cruauté des Gladiateurs, ou plutôt à la chasse des bêtes qui étaient enfermées dans l'amphithéâtre. » Je demande à l'Auteur de la Dissertation, si en l'an 1444. l'an 1572. l'an 1614. les Spectacles n'étaient pas autant purifiés de toutes les cérémonies de l'impiété païenne, qu'ils le sont aujourd'hui ? Si la Religion païenne n'était pas entièrement abolie parmi les peuples de l'Occident, comme elle l'est maintenant ? Si en ce temps-là il y avait plus de lieu d'y craindre l'apostasie des Fidèles, qu'il n'y en a en ce temps ? Il faut nécessairement qu'il demeure d'accord que sur ce point il n'y avait nulle différence entre ces temps-là, et celui-ci ; et néanmoins nous voyons qu'en ce temps-là, on n'a pas laissé d'interdire aux Chrétiens les mascarades, et les Spectacles, et particulièrement ceux de la Comédie, comme étant des restes de l'Idolâtrie, et des restes qui ont resté de l'Hydre du Paganisme, qu'il fallait couper, et brûler. La Faculté même de Théologie de Paris a employé l'autorité de S. Augustin, pour persuader aux peuples que ces choses étaient des restes du Paganisme. Et S. Charles Borromée dans le 3. Synode Diocésain de Milan enjoint expressément aux Prédicateurs de prêcher fortement contre les Spectacles, et d'employer pour cela les raisons dont se sont servis les anciens Pères, « Que les Prédicateurs, dit ce saint Prélat, représentent sans cesse combien les Spectacles, les Jeux, et les autres divertissements semblables, qui sont des restes du Paganisme, sont contraires à la discipline Chrétienne ; combien ils sont exécrables, et détestables ; combien de maux et d'afflictions publiques ils attirent sur le peuple Chrétien. Et pour en persuader leurs auditeurs, ils emploieront les raisons dont se sont servis ces grands personnages Tertullien, saint Cyprien Martyr, Salvien, et S. Chrysostome ; ils n'omettront rien sur ce sujet de ce qui peut contribuer à détruire entièrement ces dérèglements et ces débauches. » En effet le bon sens nous fait connaître qu'on ne peut mieux détruire les restes du Paganisme, que par les raisons dont les anciens Pères se sont servis pour détruire leur principe, et leur source : et il n'y a rien qui soit plus puissant pour détourner les peuples des Comédies, et des autres Spectacles, et pour leur en donner de l'horreur, que de leur représenter l'impiété et l'abomination de leur origine, dont ils retiennent toujours quelque tache, et quelque souillure ; car comme dit excellemment Tertullien, «  Les choses qui ont été consacrées à l'Idolâtrie dès le commencement, portent toujours la tache de leur profanation. » C'est donc choquer le bon sens, c'est pécher contre le respect que les Chrétiens doivent à l'autorité de l'Eglise, de dire, comme fait l'Auteur de la Dissertation, contre les paroles expresses du 3. Synode de Milan ; « Que les anciens Pères n'ont interdit aux premiers Chrétiens avec tant de rigueur les Jeux du Théâtre, et tous les autres Spectacles du Paganisme, qu'à cause qu'ils avaient partout les marques de l'hommage honteux et détestable que l'on y rendait aux démons ; Mais que cette raison qui fut autrefois si puissante dans la bouche des Pères de l'Eglise, n'est plus maintenant considérable ; et que cette défense qu'ils prêchaient avec quelque sorte d'anathème, n'a plus ce fondement dans notre siècle. « Et si tous ceux, dit-il, qui se sont opiniâtrement attachés à combattre le Théâtre par les paroles de nos anciens Pères, eussent bien examiné toutes ces choses, ils auraient retranché plus de la moitié des textes qu'ils en ont empruntés ; ils n'auraient pas tiré de fausses conséquences, et n'auraient pas détruit un plaisir public, et de soi-même innocent, par des maximes qui ne servaient qu'à condamner l'Idolâtrie, et qui n'ont plus aujourd'hui de causes ni de prétextes. » Le Synode de Milan enjoint aux Prédicateurs d'employer les raisons des anciens Pères de l'Eglise contre les Spectacles ; Et l'Auteur de la Dissertation dit que ces raisons ne sont plus maintenant considérables. Le Synode de Milan ordonne que les Prédicateurs n'omettent rien de ce qui peut contribuer à détruire entièrement ces dérèglements exécrables et détestables qui attirent sur le peuple Chrétien des maux et des afflictions publiques ; et l'Auteur de la Dissertation soutient qu'on a tort de s'opiniâtrer à détruire un plaisir public, et de soi-même innocent : il veut même en être cru sur sa parole ; car il l'avance sans aucune preuve, et nous ferons voir ci-après combien ce plaisir est pernicieux et criminel. Le Synode de Milan déclare que les Spectacles du Théâtre sont des restes exécrables du Paganisme ; et que par conséquent il les faut détruire par les raisons que les anciens Pères ont employées pour détruire le Paganisme, et l'Idolâtrie des Spectacles, qui sont le principe et la source de ceux qui restent encore parmi nous : y a-t-il de conséquence plus juste et plus certaine ? Et néanmoins l'Auteur de la Dissertation dit en l'air, que c'est tirer de fausses conséquences. Cependant il s'aveugle tellement qu'il ne prend pas garde qu'il tire la plus fausse conséquence qu'on puisse imaginer, et qu'il établit sans aucune preuve un principe et une maxime dont la fausseté est si visible, qu'il n'y a pas lieu d'en douter : car voici son principe. « Les maximes des anciens Pères ne servaient qu'à condamner l'Idolâtrie. » Ce principe est visiblement faux ; car il est évident que les anciens Pères ont interdit les Spectacles du Théâtre aux Chrétiens, non seulement à cause de l'Idolâtrie dont ils étaient souillés ; mais aussi à cause des impuretés dont ils étaient remplis ; et parce qu'ils corrompaient les bonnes mœurs, comme nous le montrerons ci-après. La conséquence qu'il tire de ce principe est encore visiblement fausse. « Les maximes , dit-il, des anciens Pères ne servaient qu'à condamner l'Idolâtrie ; elles n'ont donc plus aujourd'hui de causes ni de prétextes, c'est-à-dire, elles ne servent donc plus aujourd'hui à condamner les Jeux et les Spectacles, puisqu'ils sont exempts d'Idolâtrie; quoiqu'ils soient des restes de l'Idolâtrie. » Peut-on tirer une conséquence plus fausse ? Car c'est au contraire pour cela que les raisons dont se servaient les anciens Pères pour condamner l'Idolâtrie, servent encore aujourd'hui pour condamner les Spectacles du Théâtre, parce qu'ils sont des restes de l'Idolâtrie, comme le Synode de Milan le déclare. Que l'Auteur donc de la Dissertation reconnaisse que l'on détruit un plaisir public, infâme et criminel, par des maximes qui n'ont encore aujourd'hui que trop de causes, et trop de prétextes. Sur ce qu'il dit ensuite, « Que ce qui fut autrefois un sacrilège, n'est plus maintenant qu'un divertissement public, agréable et sans crime à cet égard », je n'ai qu'à lui représenter ces paroles de S. Pierre Chrysologue, Archevêque de Ravenne : « Peut-on faire un jeu de l'impiété ? Peut-on faire un divertissement d'un sacrilège ? Qui peut dire qu'un crime soit un sujet de réjouissance ? Celui qui a ce sentiment se trompe fort. » Que l'Auteur de la Dissertation considère ces paroles de Tertullien qu'on ne saurait assez répéter : « Les choses qui dès le commencement ont été consacrés à l'Idolâtrie, portent toujours la tache de leur profanation. » Et lorsque cet Auteur approuve que les Comédiens se déguisent en faux Dieux, et qu'ils représentent sur le Théâtre leurs Idoles, leurs Autels et leurs sacrifices, ne craint-il point de blesser la pureté de notre Religion ? « L'on ne voit plus, dit-il, au Théâtre des Idoles qu'avec des sentiments dignes des Chrétiens, je veux dire qu'avec horreur ou avec mépris… Il n'y a plus d'autels ni de sacrifices, si ce n'est pour représenter quelques vieilles fables, qui font aussi peu d'impression sur les esprits, que les contes ridicules des Fées. » Ce discours est bien éloigné de la doctrine des Saints Pères. « Qui pourrait assez déplorer, dit S. Pierre Chrysologue, ceux qui se déguisent en Idoles ? N'ont-ils pas effacé en eux-mêmes l'image de Dieu ? N'ont-ils pas perdu la ressemblance de Jésus-Christ ? Ne se sont-ils pas dépouillés de la grâce dont il les avait revêtus ? Mais quelqu'un me dira : ce ne sont point des exercices sacrilèges ; ce sont des jeux et des divertissements ; c'est une nouvelle manière de se réjouir, et non pas une erreur de l'antiquité ni une superstition des Païens. Vous vous trompez qui que vous soyez : ce ne sont point des jeux, ce sont des crimes… Celui qui se déguise en Idole, ne veut point porter l'image de Dieu. Celui qui se veut divertir avec le diable, ne pourra pas se réjouir avec Jésus-Christ. Personne ne se joue sans danger avec un serpent : personne ne se divertit impunément avec le diable. » Plutarque nous apprend, comme nous l'avons déjà dit, « qu'on ne jouait point de Comédies, ni de Tragédies parmi les Lacédémoniens, pour ne point écouter, non pas même en se jouant, ceux qui représentaient des choses contraires à leurs lois  ». A combien plus forte raison les Chrétiens devraient-ils s'abstenir d'écouter et de voir représenter les choses qui sont si contraires à la Foi Chrétienne ? C'est une chose honteuse aux Chrétiens, que des Païens aient plus de respect pour leurs lois, que les Chrétiens n'en ont eux-mêmes pour la sainteté de leur Religion. Si l'Auteur de la Dissertation avait bien lu le livre des Confessions de S. Augustin, il n'aurait jamais loué les Comédiens « de ce que tous leurs soins ne vont qu'à complaire à la Cour de France, et à la ville de Paris ». Ce grand Docteur de l'Eglise s'accuse comme d'un péché qui déplaît extrêmement à Dieu, de ce qu'il ne s'était servi de sa science que pour plaire aux hommes : « Je ne me servais de ma science, dit-il, que pour me rendre agréable aux hommes, non en les instruisant, mais en voulant seulement leur plaire. C'est pourquoi, Seigneur, vous preniez la verge de votre Justice, et vous brisiez mes os, selon la parole du Prophète, parce que je n'avais pour but que de plaire aux hommes. » Et sur ce que l'Auteur de la Dissertation ajoute « que les remerciements de nos Poètes, et de nos Acteurs ne sont que pour les bienfaits dont nos Princes les honorent » ; Un grand Prince lui apprendra qu'il a fait pénitence, et demande pardon à Dieu d'avoir autrefois donné sujet aux Comédiens de lui faire de semblables remerciements. Voici ce qu'il en a écrit rapportant ces paroles de S. Augustin. « Ceux qui donnent aux Comédiens, pourquoi leur donnent-ils ? Ne sont-ce pas des hommes à qui ils donnent ? Mais ils ne considèrent pas en eux la nature de l'ouvrage de Dieu ; ils ne regardent que l'iniquité de l'ouvrage de l'homme. « Qu'est-ce que donner à l'ouvrage de l'homme ? c'est donner à un pécheur à cause de son péché, parce qu'il nous divertit par son impiété. » Et en un autre endroit : « Donner son bien aux Comédiens, c'est un vice énorme, bien loin d'être une vertu. Vous savez que le monde donne d'ordinaire des applaudissements et des louanges à ces sortes de gens : car comme dit l'Écriture, on loue le pécheur de ses passions ; et on bénit le méchant à cause de ses méchancetés. » L'Auteur de la Dissertation ne doit pas s'imaginer qu'à cause que S. Augustin se sert du mot d'Histrions, il ne parle pas des Comédiens ; car je ferai voir évidemment ci-après que S. Augustin donne le nom d'Histrions aux Comédiens. Cet illustre Prince rapporte encore sur le même sujet ces paroles de S. Chrysostome : « Il n'y a rien qui expose plus au mépris la parole de Dieu, que l'applaudissement et l'approbation qu'on donne aux représentations des Spectacles. » Le même Père remontre en un autre endroit, qu'il n'y a pas une plus grande extravagance que de faire des libéralités aux Comédiens, et de faire état de leurs remerciements, et de leurs louanges. « Quel honneur, dit-il, peuvent recevoir les Princes des personnes infâmes ? Pourquoi leur faites-vous tant de présents ? car s'ils sont infâmes il faudrait les chasser : pourquoi les avez-vous rendus infâmes ? est-ce pour les louer, ou pour les condamner ? c'est sans doute parce que vous les condamnez, et qu'ainsi cette condamnation les rend infâmes. » Enfin l'Auteur de la Dissertation est si peu heureux en sa doctrine, que tout ce qu'il dit est formellement contraire aux sentiments des saints Pères. « On a tort, dit-il, de vouloir détruire un plaisir public » ; et saint Chrysostome au contraire dit qu'en renversant les Théâtres on détruit les vices. « En détruisant les Jeux du Théâtre vous détruirez l'iniquité, et vous étoufferez toute la peste de la ville. » Dissertation pag. 93. 94. et 95. « Il me souvient de ce que fit autrefois l'Empereur Constantin après qu'il eut fait profession de la Religion Chrétienne . Il tira des Temples toutes les Idoles, et les exposa dans les places publiques, comme des objets d'opprobre, de mépris, et de risée ; il en transporta même quelques-unes jusques dans son palais ; et par ce moyen étant arrachées des lieux où l'on avait accoutumé de leur immoler des hécatombes et de les voir avec des sentiments de Religion ; et étant mises en d'autres endroits peu convenables à cette révérence, elles perdirent entièrement ce qu'elles avaient de vénérable à des aveugles, et restèrent aux yeux de tout le monde, comme des ouvrages dont toute l'estime dépendait des grâces, et des beautés que la main des artisans leur avait données. Il en est arrivé de même des Poèmes dramatiques ; car depuis qu'ils ont été retirés des Théâtres anciens consacrés aux faux Dieux, ils n'ont plus été considérés comme une invention des démons ; et n'ayant plus rien de leur vieille et criminelle vénération ; ils sont donnés au public, et portés jusques dans les palais des Rois, sans aucun scrupule d'Idolâtrie ; on les regarde seulement comme les chefs d'œuvre d'un bel esprit ; et une parfaite imitation de la vertu des Héros, et tout ce que l'on y peut admirer sont les inventions du Poète et le beau récit des Acteurs. » II. Réfutation. Si l'Auteur de la Dissertation se fût bien souvenu de tout ce que rapporte Eusèbe sur ce sujet dans l'endroit qu'il allègue, il eût pu reconnaître que ce seul passage suffirait pour détruire tout ce qu'il a avancé dans les Chapitres précédents, et particulièrement dans le Chapitre 3. où il dit : « Il ne fallait point lors distinguer les Théâtres d'avec les Temples, ils étaient également religieux, ou plutôt abominables : on rencontrait dans les uns et dans les autres les mêmes autels, et les mêmes sacrifices, les mêmes divinités, etc. » Car si ce discours était véritable, l'Empereur Constantin aurait eu grand tort de faire transporter les statues, et les autres choses sacrées, des Temples des Païens, dans le Cirque que les Grecs appellent Hippodrome, où l'on célébrait les Jeux et les Spectacles, pour en faire des objets d'opprobre, de mépris, et de risée ; puisque selon l'Auteur de la Dissertation, « Le Cirque et le Théâtre étaient aussi religieux que les Temples » ; Et néanmoins l'Empereur Constantin est loué de cette action par les Chrétiens ; Voici les paroles d'Eusèbe, qui sont tronquées dans la Dissertation. « L'Empereur s'appliquait avec soin à faire toutes ces choses, pour faire éclater la gloire et la puissance de Dieu ; et ainsi il rendait non seulement un grand honneur à son Sauveur, mais il détruisait encore l'erreur et la superstition des Gentils en toutes manières. C'est pourquoi on ôtait avec raison par son commandement les ornements des portiques des Temples de la ville ; on en abattait les portes ; on démolissait les toits, et les lambris de quelques-uns ; on en ôtait les statues de bronze, dont la superstition des Païens s'était glorifiée si longtemps, et on les exposait comme un spectacle honteux dans les places publiques de Constantinople ; la statue de Pythius en un endroit ; celle de Smynthius en un autre : le Trépied de Delphes fut exposé dans le Cirque ; les Muses d'Hélicon dans le Palais. » Et ce Cirque avait été consacré à Castor et à Pollux par les Païens selon le témoignage de Codinus. « Sévère, dit-il, orna le Cirque qui était consacré à Castor et Pollux, de planchers et de portiques, où jusqu'à aujourd'hui les bustes des Dieux qui y présidaient en donnent des marques par les œufs que l'on voit sur les obélisques de bronze. » Et Zozime nous apprend que l'Empereur Constantin agrandissant le même Cirque, y enferma le Temple de Castor et de Pollux, d'où il ôta leurs statues, et les mit sur les portiques du Cirque. « L'Empereur Constantin, dit-il, embellit beaucoup le Cirque, et il y enferma le Temple de Castor et de Pollux, dont on voit encore maintenant les statues sur les portiques du Cirque ; il mit encore en un autre endroit du même lieu le Trépied d'Apollon de Delphes, qui porte sa figure. » Nous voyons donc que le Cirque, quoiqu'il fût consacré à de fausses divinités, quoiqu'il fût rempli de plusieurs statues de faux Dieux, n'était pas estimé un lieu religieux pour y faire des actes d'adoration, puisque l'Empereur Constantin ayant ôté des Temples les statues des faux Dieux qu'on y adorait, les mit dans le Cirque pour en faire des objets d'opprobre, de mépris et de risées. A plus forte raison le Théâtre était encore moins religieux, comme il paraît par la pompe du Cirque dont nous avons parlé amplement dans les Observations précédentes. L'application que l'Auteur de la Dissertation fait ensuite de cette action de l'Empereur Constantin, à ce qui est arrivé à la Comédie, n'est point juste ; puisque ce n'est pas exposer la Comédie au mépris, et en faire un objet d'opprobre et de risée ; que de la faire passer dans les palais des Rois. D'ailleurs dans la comparaison que l'Auteur de la Dissertation fait des statues et des Comédies, il semble qu'il ignore la différence qu'il y a entre les choses qui étant bonnes d'elles-mêmes, sont consacrées aux faux Dieux par le mauvais usage qu'on en fait ; et celles qui étant mauvaises d'elles-mêmes, sont encore consacrées aux fausses divinités : celles qui sont bonnes d'elles-mêmes, demeurent toujours bonnes étant purgées de l'Idolâtrie ; mais celles qui sont mauvaises d'elles-mêmes, encore qu'elles soient dégagées de l'Idolâtrie, demeurent toujours mauvaises : et comme telles étant l'ouvrage du démon, elles sont considérées comme des restes de l'Idolâtrie et sont justement interdites aux Chrétiens. Or on ne peut pas douter que la Comédie ne soit mauvaise par sa nature ; puisque les Païens mêmes nous l'apprennent : « Si nous n'approuvions pas les vices, dit Cicéron, il n'y aurait point du tout de Comédie. » C'est pourquoi, encore que la Comédie soit purifiée de l'Idolâtrie, elle ne laisse pas d'être mauvaise et pernicieuse ; et par conséquent c'est avec raison que l'Eglise la condamne comme un ouvrage du démon, et comme un reste de l'Idolâtrie ; ainsi que nous l'avons montré dans la Réfutation précédente, et comme nous le prouverons encore plus au long en son lieu. Quant à ce que l'Auteur de la Dissertation ajoute, « qu'on regarde seulement les Poèmes dramatiques, les chefs-d'œuvre d'un bel esprit, et une parfaite imitation de la vertu des Héros, et que tout ce que l'on y peut admirer sont les inventions du Poète, et le beau récit des Acteurs » ; s'il avait bien lu saint Augustin, il aurait remarqué avec ce grand Docteur de l'Eglise, que ces chefs-d'œuvre d'un bel esprit, ces inventions du Poète, et ce beau récit des Acteurs, ne sont que des artifices dont le démon se sert pour répandre agréablement dans les âmes le venin et la peste des vices. « La Folie, dit-il, des Jeux de la scène s'introduisit par la délicatesse, et par la beauté de l'esprit qu'on y trouvait, pendant que la ville de Rome était affligée de la peste. Les démons, ces esprits malins, pleins de subtilité et de ruse, prévoyant que la pestilence qui affligeait les corps finirait bientôt, s'avisèrent de prendre cette occasion, pour jeter une autre pestilence plus dangereuse, et qui leur plaît fort, non pas dans les corps ; mais dans les mœurs des hommes. » Dissertation pag. 96. et 97. « Pourquoi voudrait-on traiter les Poèmes dramatiques avec plus de rigueur que les autres spectacles de l'antiquité, que les Empereurs Chrétiens ont entretenus longtemps, après leur avoir ôté tout ce qu'ils avaient du Paganisme ? Ils en firent les divertissements de leur Cour, et de leurs peuples, quand les Fidèles y purent assister sans entrer dans la société des Idolâtres. Constantin ayant embrassé le Christianisme, défendit les Jeux des Gladiateurs, comme une brutalité criminelle sans excuse, et qui ne pouvait se rectifier : et ayant donné les jeux Circenses avec grande pompe, il en retrancha toute la superstition, et toute la révérence des Idoles, afin qu'ils fussent dignes des Chrétiens ; et ils furent conservés ainsi jusques au règne des Comnènes. » III. Réfutation. L'Auteur de la Dissertation tombe dans une contradiction manifeste : car il dit ici, que « l'Empereur Constantin ayant donné les Jeux Circenses avec grande pompe, il en retrancha toute la superstition, et toute la révérence des Idoles, afin qu'ils fussent dignes des Chrétiens ; et qu'ils furent conservés ainsi jusqu'au règne des Comnènes. ». Et dans le chap. 3. pag. 69. il dit au contraire : « Quand le Concile 3. de Carthage défend à tous les Chrétiens de donner les spectacles publics, et d'y assister, il est ajouté  ; Parce qu'ils ne doivent point se trouver où sont les blasphémateurs du nom de Dieu.  « Et saint Chrysostome se réjouissant de voir le Cirque et le Théâtre abandonné par les Chrétiens, et les Eglises plus fréquentées que par le passé, “Combien avons-nous, dit-il, employé des discours pour obliger les Fidèles à quitter les Théâtres, et les désordres qui s'y font, sans qu'ils en aient rien fait : Ils ne laissaient pas de courir aux danses publiques qui leur sont défendues, et qui font partie de cette assemblée diabolique, formée contre la plénitude de l'Eglise de Dieu. Mais sans nous en mêler davantage, l'Orchestre, et le Cirque sont maintenant déserts, et tous viennent ici pour chanter les louanges de Dieu.” » « Les Conciles ont interdit par cette même considération la communion aux Fidèles qui conduisaient les chariots dans les combats du Cirque ; car ces conducteurs de chariots ne pouvaient être coupables que pour être participants de l'Idolâtrie ; et il traite les Scéniques et les Histrions comme Apostats. « Orose n'avait point d'autre sentiment, lorsque parlant des Théâtres Romains dans son histoire, il s'écrie par digression : “Il ne faut pas que les Fidèles les fréquentent ; c'est blasphémer le nom de Dieu qui les défend, c'est honorer ces Dieux abominables, c'est-à-dire les démons qui les demandent, et qui par un effet de leur malice y veulent des sacrifices, où l'on fait mourir plus de vertus que de victimes, etc.” » Et l'Auteur de la Dissertation, après avoir rapporté plusieurs semblables témoignages de S Chrysostome, de S. Augustin et de Salvien, conclut en ces termes : « Voilà comme ils en parlent tous ; et cette sévérité fut si grande dans les premiers siècles de l'Eglise, que l'on défendait absolument aux Chrétiens toutes les choses qui par la moindre considération semblaient avoir quelque part à l'Idolâtrie. » Ces Conciles qu'allègue l'Auteur de la Dissertation dans le 3. Chapitre, au moins le Concile 3. de Carthage, et le second d'Arles, ont été tenus après la mort de l'Empereur Constantin, et les saints Pères qu'il y cite, qui ont condamné les spectacles comme souillés d'Idolâtrie et de superstition, ont écrit longtemps après le règne de Constantin ; et par conséquent il faut nécessairement qu'il avoue que ce qu'il avance dans ce 4. Chapitre est faux, « Que Constantin retrancha des Spectacles toute la superstition, et la révérence des Idoles afin qu'ils fussent dignes des Chrétiens, et qu'ils furent conservés ainsi jusqu'au règne des Comnènes ». Ou bien s'il soutient que ce qu'il avance dans ce quatrième chapitre, est véritable, il faut malgré lui qu'il rétracte comme faux ce qu'il a dit dans le 3. « Que les anciens Pères de l'Eglise, entre lesquels il allègue S.  Chrysostome, S. Augustin, Orose et Salvien, défendaient aux Chrétiens d'assister aux jeux du Théâtre, parce que c'était participer à l'Idolâtrie. » Cette contradiction est si évidente, qu'il n'y en eut jamais de plus visible ; de sorte que nous pouvons dire à l'Auteur de la Dissertation ce que disait autrefois Cicéron à Atticus : « Ne voyez-vous pas que vous dites des choses qui répugnent les unes avec les autres, et qu'il est impossible d'accorder. » Mais lorsqu'il dit que l'Empereur Constantin retrancha des Spectacles toute la superstition et toute la révérence des Idoles, afin qu'ils furent dignes des Chrétiens ; Est-ce parler en habile homme ? Est-ce parler en Chrétien ? Un habile homme n'ignore pas que toutes ces lois que les Empereurs ont publiées sur le sujet des Spectacles, n'ont été faites qu'en faveur des Païens, afin qu'en leur ôtant leurs Temples, et leurs sacrifices, on leur accordât au moins ces sortes de divertissements pour lesquels ils avaient tant de passion ; et qu'ainsi ils n'excitassent point de sédition. C'est ce que l'Empereur Constantin nous apprend lui-même par ces paroles qu'il dit aux Evêques assemblés dans son Palais, touchant sa conduite envers les Païens. « Vous êtes, leur dit-il, Evêques de ceux qui sont dans l'Eglise ; c'est-à-dire des Chrétiensmais pour ce qui est de moi, Dieu m'a établi Evêque de ceux qui sont hors de l'Eglise », c'est-à-dire des Païens, montrant par ces paroles, que ce qu'il accordait aux Païens, ne regardait point les Chrétiens, dont il laissait la conduite aux Evêques en ce qui concerne la Religion et les bonnes mœurs. Le seul titre des lois fait connaître cette vérité : car les lois les plus favorables aux Spectacles sont dans le Code de Justinien et de Théodose, sous le titre de Paganis ; ce qui fait voir clairement que ces lois regardaient les Païens. Et un Chrétien doit-il ignorer qu'encore que les Spectacles soient exempts de la superstition, et de l'Idolâtrie ; ils ne laissent pas néanmoins d'être indignes des Chrétiens, parce qu'ils corrompent les bonnes mœurs, et qu'ils blessent la pureté de l'Evangile ? Certes on ne saurait guère rien avancer de plus injurieux à la sainteté de la Religion Chrétienne, ni de plus contraire aux sentiments des Pères de l'Eglise, que de dire, que les Spectacles sont dignes des Chrétiens : « Il y a donc des Chrétiens, dit S. Augustin, qui sont si malheureux que d'aller aux Spectacles, et d'y porter un si saint nom pour leur condamnation. » « Il n'y a rien, dit S. Chrysostome, qui expose plus au mépris la parole de Dieu, que l'applaudissement, et l'approbation que l'on donne aux représentations des Spectacles. » « Saint Paul nous apprend, dit Salvien, que "la grâce de Dieu notre Sauveur s'est manifestée en nous enseignant que nous devons vivre en ce monde dans la tempérance, dans la justice et dans la piété, renonçant à l'impiété, et aux désirs du siècle, et demeurant fermes dans l'attente de la béatitude que nous espérons, et de l'avènement glorieux du grand Dieu, et de notre Sauveur Jésus-Christ qui s'est livré lui-même pour nous, afin de nous racheter de toute iniquité, et de nous purifier, pour se faire un peuple particulièrement consacré à son service, et fervent dans la pratique des bonnes œuvres.” Où sont ceux qui pratiquent les choses, pour lesquelles l'Apôtre dit que Jésus-Christ est venu ? où sont ceux qui fuient les désirs du siècle ? où sont ceux qui vivent dans la piété et dans la justice ? où sont ceux qui témoignent par leurs bonnes œuvres, qu'ils demeurent fermes dans l'attente de la béatitude que nous devons espérer, et qui par la pureté de leur vie montrent qu'ils attendent le Royaume de Dieu, en ce qu'ils se rendent dignes de l'obtenir ? Notre Seigneur Jésus-Christ, dit l'Apôtre, est venu afin de nous purifier, pour se faire un peuple particulièrement consacré à son service, et fervent dans la pratique des bonnes œuvres ; où est ce peuple purifié ? où est ce peuple fervent dans la pratique des bonnes œuvres ? où est ce peuple saint ? “Jésus-Christ, dit l'Écriture, est mort pour nous, nous donnant exemple, afin que nous l'imitions, et que nous marchions sur ses pas.” Imitons-nous notre Sauveur et marchons-nous sur ses pas dans le Cirque ? Imitons-nous, et marchons-nous sur ses pas dans le Théâtre ? Jésus-Christ nous a-t-il donné cet exemple, lui de qui nous lisons qu'on l'a vu pleurer ; mais nous ne lisons pas qu'on l'a vu rire ? C'est pour nous qu'il a pleuré, et qu'on ne l'a point vu rire ; parce que les larmes partent de la componction du cœur, et le ris vient de la corruption, et du dérèglement de la discipline. C'est pourquoi il disait ; “Malheur à vous qui riez maintenant, parce que vous serez réduits aux pleurs et aux larmes : et vous êtes bienheureux, vous qui pleurez maintenant, parce que vous rirez.” » Avertissement. Pour garder l'ordre de la Chronologie, je rapporte ici l'exemple de l'Empereur Constantius après celui de Constantin, quoique dans la Dissertation il ne soit rapporté qu'après celui d'Arcadius et d'Honorius, je ne sais pourquoi ? Dissertation. pag. 98. « Constantius donna dans Arles les jeux Circenses, et du Théâtre, avec grande magnificence . » IV. Réfutation. L'Auteur de la Dissertation ayant mis en avant, que « l'Empereur Constantin retrancha des Spectacles toute la superstition, et toute la révérence des Idoles, afin qu'ils fussent dignes des Chrétiens ; et qu'ils furent conservés ainsi jusques au règne des Comnènes », il prétend le prouver par les exemples suivants, dont il forme un très faux raisonnement. Les Empereurs Chrétiens, dit-il, ont donné des Spectacles ; Les Spectacles donc sont exempts de toute superstition et de toute révérence des Dieux, et par conséquent ils sont dignes des Chrétiens. Cette conséquence est doublement fausse ; premièrement parce qu'il n'est point vrai que tous les Spectacles que les Empereurs Chrétiens ont donnés, ou tolérés, aient été exempts de toute superstition, comme je le ferai voir évidemment par les mêmes exemples que rapporte cet Auteur. Car il ne faut que lire la loi que l'Empereur Constantius publia l'an 10. de son règne, pour être convaincu du contraire ; puisqu'il ordonna par cette loi, que les Temples des Idoles, lesquels étaient hors des villes, et d'où les Spectacles tiraient leur origine, fussent conservés tout entiers. « Encore, dit cet Empereur, que toute superstition doive être abolie ; néanmoins nous voulons que les Temples qui sont hors les murs, subsistent, et qu'ils ne soient point ruinés, ni gâtés : car puisqu'il y en a quelques-uns d'où les jeux du Théâtre, ou du Cirque, et des combats tirent leur origine, il n'est pas à propos de détruire ces lieux d'où vient la solennité des divertissements, dont jouit de tout temps le peuple Romain. Donné le premier jour de Novembre, sous le 4. consulat de l'Empereur Constantius, et sous le 3. de l'Empereur Constans. » Secondement la conséquence que l'Auteur de la Dissertation prétend tirer de ces exemples, est très fausse : car encore que les Spectacles eussent été exempts de toute superstition et de toute révérence des Idoles, ce qui n'est point vrai, il ne s'ensuivrait pas néanmoins qu'ils eussent été dignes des Chrétiens ; parce que d'ailleurs ils auraient eu des vices qui les en auraient rendus indignes. Ainsi nous voyons que sous le règne du même Empereur Constantius, S. Cyrille, Archevêque de Jérusalem, représentait aux Chrétiens, que les Spectacles étaient les pompes du diable, auxquelles ils avaient renoncé dans leur Baptême « Vous avez dit au Baptême : je vous renonce, Satan ; je renonce à toutes vos œuvres, et à toutes vos pompes… Les pompes du diable sont les spectacles du Théâtre, et toutes les autres vanités semblables, dont le Roi David demande à Dieu d'être délivré : “Détournez, dit-il, mes yeux, afin qu'ils ne regardent point la vanité.” ». Dissertation pag. 97. « Le grand Théodose après ses victoires donna des jeux au peuple dans Milan durant plusieurs jours, auxquels il ne put assister, parce qu'il était malade, et obligea son fils Honorius d'y tenir sa place ; ce qu'il fit sans les interrompre par la maladie de son père, qui mourut peu de jours après. » V. Réfutation. L'Auteur de la Dissertation a pris de Socrate, et de Sozomène ce qu'il rapporte en cet endroit de l'Empereur Théodose ; mais il ne devait pas ignorer que le Cardinal Baronius a remarqué que Socrate et Sozomène s'étaient trompés en ce point, puisque Paulin, qui était en ce temps-là à Milan, ne parle point de ces jeux. « L'Empereur Théodose d'heureuse mémoire, dit Paulin, après avoir reçu ses enfants dans l'Eglise, et après les avoir recommandés à l'Evêque, ne vécut pas longtemps. » « Nous voyons par là, dit Baronius, que Socrate et Sozomène se sont trompés, disant que les enfants de Théodose venant de Constantinople, le trouvèrent au lit malade dans Milan ; car Paulin qui y était présent, dit qu'ils le trouvèrent à l'Eglise, où il les reçut, et les recommanda à S. Ambroise. » Quoiqu'il en soit, Socrate et Sozomène ne disent point que Théodose approuvât ces Spectacles, ni qu'il les jugeât dignes des Chrétiens. Je sais bien que Zozime a écrit que l'Empereur Théodose avait une extrême passion pour les Spectacles : « Tout ce qui contribue beaucoup , dit-il, à corrompre les mœurs et la discipline, prit un tel accroissement sous l'Empire de ce Prince, que presque tous suivant ses inclinations, mettaient la félicite humaine dans ces sortes de choses ; car on ne voyait que des spectacles de Mimes, de bouffons ; et de danseurs exécrables : et tous ces exercices qui sont pleins d'impuretés, avec tout ce qui appartient à la licence et aux dérèglements de la Musique, étaient en usage sous le règne de ce Prince et de ses successeurs. » Mais si les Spectacles du temps de l'Empereur Théodose étaient tels que Zozime les dépeint, l'Auteur de la Dissertation n'aurait-il point de honte de dire que ces Spectacles fussent dignes des Chrétiens ? puisqu'ils étaient si infâmes que les Païens mêmes en avaient horreur ? Je ne doute point pourtant que cette relation de Zozime, grand ennemi du Christianisme, ne soit une imposture et une calomnie contre ce pieux Empereur, comme S. Paulin, Evêque de Nole, le fait voir dans l'Apologie de la vie de ce Prince, laquelle S. Jérôme loue en ces termes : « L'Empereur Théodose est heureux d'avoir pour défenseur un si illustre Orateur de Jésus-Christ. » En effet il n'y a point d'apparence que cet Empereur que les Païens mêmes préféraient à Trajan, ait pris plaisir à voir les représentations des Mimes, et les honteuses postures de ces infâmes danseurs dont parle Zozime, puisque l'Empereur Trajan les avait bannis de l'Empire, comme nous l'avons montré dans la première Observation du Chapitre 1. Il n'y a point d'apparence qu'un Prince qui avait tant de vénération pour l'Eglise, et pour S. Ambroise, ait souffert qu'à la vue de ce saint Prélat on ait représenté de si sales Spectacles, et que lui-même les ait approuvés par sa présence, ou par celle des Princes ses enfants : Et S. Ambroise, qui était si généreux, et si zélé qu'il ne craignait pas de reprendre cet Empereur, eût-il gardé le silence dans cette rencontre ? Il faut donc dire que s'il y a eu des spectacles honteux sous le règne de Théodose, c'est contre la volonté de cet Empereur qu'ils ont été représentés ; Et s'il y en a eu d'autres moins déréglés, auxquels il ait assisté, ou y ait envoyé les Princes ses enfants pour y tenir sa place ; c'est qu'il y a été contraint, pour ne pas aigrir les esprits des peuples qui demandaient sa présence en ces lieux-là, où ils croyaient lui rendre des honneurs : Il faut dire qu'il tolérait ces choses qu'il ne pouvait pas empêcher ; mais qu'il ne les approuvait pas. En un mot, quoiqu'on puisse dire, l'Eglise a toujours déclaré que les Spectacles étaient indignes des Chrétiens, et leur a toujours défendu d'y assister. On peut voir sur ce sujet les Décrets des Conciles, et les sentiments des saints Pères dans le Traité que Monseigneur le Prince de Conti a composé de la Comédie et des Spectacles : l'on y lit ces paroles de S. Ambroise. « Dieu veuille que cette interprétation du verset 37. du Psaume 118. “Détournez mes yeux afin qu'ils ne regardent point la vanité”, ait la force de retirer des Spectacles du Cirque, et du Théâtre ceux qui y courent : Ces jeux que vous regardez ne sont que vanité ; Elevez vos yeux vers Jésus-Christ, et détournez-les des Spectacles et de toutes les pompes du siècle. » S. Ambroise ne croyait donc pas que les Spectacles du temps des Empereurs Chrétiens, fussent dignes des Chrétiens : et l'Empereur Théodose recommandant ses enfants à S. Ambroise pour les aider de ses Conseils, et de ses instructions, voulait-il qu'ils eussent des sentiments contraires à ceux de ce saint Prélat, qui dans l'Oraison funèbre de l'Empereur Valentinien le jeune, loue ce Prince d'avoir fui les Spectacles, comme des choses indignes des Chrétiens ? « On disait, dit S. Ambroise, que l'Empereur Valentinien se plaisait aux jeux du Cirque dans les premières années de sa vie ; mais il effaça cette opinion qu'on avait de lui de telle sorte qu'il estimait qu'on ne devait point célébrer les jeux du Cirque, non pas même aux jours de la naissance des Princes, ni pour honorer les Empereurs. » Enfin l'Auteur de la Dissertation apprendra de S. Chrysostome, qu'il n'y a rien de plus faux, ni de plus opposé à l'esprit de l'Eglise, que de dire, comme il fait, que les Spectacles étaient dignes des Chrétiens sous le règne de l'Empereur Théodose. Voici les paroles de ce grand Prélat, dans le discours qu'il fit aux habitants d'Antioche, lorsque l'Empereur Théodose leur ôta le Théâtre, et le Cirque, pour lesquels il n'y avait point de ville au monde qui eût plus de passion. « L'Édit du Roi, leur dit-il, vous met dans l'affliction, mais en vérité vous n'en recevez aucun dommage ; Il vous est au contraire fort avantageux : Car, dites-moi, je vous prie, quel sujet avez-vous de vous en plaindre ? Est-ce qu'il vous a interdit l'Orchestre, qu'il a rendu le Cirque inaccessible, qu'il a fermé les sources de l'iniquité ? Plût à Dieu qu'elles ne soient jamais ouvertes. C'est de ces lieux, comme de maudites racines, que sont sortis les rejetons de tant de vices : c'est de là que viennent ceux qui corrompent et infectent les mœurs. » Peut-on dire après cela que les Spectacles étaient dignes des Chrétiens, sous le règne de l'Empereur Théodose ? Dissertation pag. 97. et 98. « Les Empereurs Honorius, et Arcadius Chrétiens donnèrent les jeux du Cirque avec les Tragédies et les Comédies  ; ce que le Proconsul Manlius Théodorus fit encore sous leur règne dans l'an de sa Magistrature. Aussi quand Arcadius, Honorius, Théodosius voulurent régler les Jeux et les Spectacles publics, qu'ils nommèrent les délices et la joie du peuple, ils n'en défendirent pas absolument la célébration ; mais ils en retranchèrent tous les sacrifices et toutes les superstitions du Paganisme ; et voici comme ils en écrivirent au Proconsul d'Afrique Apollodorus . “Encore que nous ayons aboli les cérémonies profanes ; nous ne voulons pas néanmoins détruire la joie de nos sujets, dans les assemblées qu'ils font aux jours de fêtes. Nous ordonnons que ces plaisirs du peuple soient célébrés selon les anciennes coutumes, et même avec les festins, quand les occasions s'en présenteront ; mais nous défendons d'y faire aucun sacrifice aux Idoles, ni d'y pratiquer aucune superstition impie.” »  VI. Réfutation. L'Auteur de la Dissertation ne pensait pas à ce qu'il écrivait, quand pour prouver que les Spectacles étaient dignes des Chrétiens sous le règne d'Arcadius et d'Honorius, il se sert du témoignage d'un Poète Païen, lequel au même endroit blâme ces Spectacles par la bouche d'Eutrope : « Eutrope, dit Claudien, les reprit, et leur dit, le temps ne demande pas ces spectacles : la guerre nous presse ; il faut vaquer à d'autres choses. » Manlius Théodorus était Chrétien, et grand personnage ; il est vrai néanmoins que S. Augustin dans le premier livre de ses Rétractations déclare qu'il l'a trop loué : « J'ai autrefois, dit S. Augustin, dédié à Manlius Théodorus le livre que j'avais composé de la vie heureuse, mais quoiqu'il fût Chrétien, et très savant, il me déplaît pourtant de lui avoir donné plus de louanges que je ne devais. » Ce fut sous le consulat de ce Manlius Théodorus, l'an 399. le 1. de Septembre, que l'Empereur Honorius étant à Padoue publia la loi qui est rapportée dans la Dissertation, et dont le titre qui est de Paganis, au Code, fait voir qu'elle ne regardait que les Païens, qui en prirent un tel avantage, que deux ans après, les Pères du Concile de Carthage, tenu l'an 401. depuis le consulat de Stilicon, demandèrent aux Empereurs la révocation, ou du moins la modification de cette loi, comme nous montrerons dans la Réfutation suivante. Et pour savoir combien les Jeux et les Spectacles du Cirque et du Théâtre, étaient indignes des Chrétiens en ce temps-là, sous le règne d'Arcadius et d'Honorius ; il suffit de lire ce que S. Chrysostome en a écrit, dans le Recueil que Monseigneur le Prince de Conti en a fait, dans son Traitté de la Comédie et des Spectacles : Je n'en rapporterai ici que quelques passages, que le Cardinal Baronius allègue sous le consulat de ce Manlius Théodorus, l'an 399. « On me dira, dit Saint Chrysostome, le péché que ceux qui sont allés aux Spectacles, ont commis, est-il si grand, qu'il mérite qu'on leur interdise l'entrée de ces lieux sacrés ? Mais y a-t-il de crime si énorme que le leur ? Ils se sont souillés de crime d'adultère ; et après cela ils se jettent impudemment comme des chiens enragés sur la sainte Table. Que si vous voulez savoir comment ils sont coupables d'adultère, je ne le vous déclarerai point par mes discours, mais par les propres paroles de celui qui doit juger de toutes les actions des hommes : “Celui , dit-il, qui verra une femme pour la désirer, a déjà commis l'adultère dans son cœur.” Si une femme négligemment parée qui passe par hasard dans la place publique, blesse souvent par la seule vue de son visage, celui qui la regarde avec trop de curiosité ; ceux qui vont aux Spectacles non par hasard, mais de propre liberté et avec tant d'ardeur, qu'ils abandonnent l'Eglise par un mépris insupportable pour y aller, où ils passent tout le jour à regarder ces femmes infâmes, auront-ils l'impudence de dire qu'ils ne les voient pas pour les désirer, lorsque leurs paroles dissolues et lascives, les voix et les chants impudiques les portent à la volupté ?.... Car si en ce lieu où l'on chante les Psaumes, où l'on explique la parole de Dieu, et où l'on révère et respecte sa divine Majesté, la concupiscence ne laisse pas de se glisser secrètement dans les cœurs, comme un subtil larron ; Ceux qui sont continuellement au Théâtre où ils ne voient ni entendent rien de bon, où tout est plein d'infamie et d'iniquité, dont leurs oreilles et leurs yeux sont investis de toutes parts ; comment pourront-ils surmonter la concupiscence ? Et s'ils ne la peuvent pas surmonter ; comment pourront-ils être exempts du crime d'adultère ; et étant souillés de ce crime, comment pourront-ils entrer dans l'Eglise, et être reçus dans la Communion de cette sainte assemblée sans en avoir fait pénitence ? C'est pourquoi je conjure et je prie ces personnes de se purifier par la confession, par la pénitence, et par tous les autres remèdes salutaires, des péchés qu'ils ont contractés aux Spectacles du Théâtre, afin qu'ils puissent être admis à entendre la parole de Dieu : car ces péchés ne sont point médiocres ?... « Ne craignez-vous point, ô hommes ? n'avez-vous point horreur de regarder cette sainte Table, où l'on célèbre les redoutables mystères, des mêmes yeux dont vous regardez ce lit qui est dressé sur l'Orchestre, où l'on représente les détestables fictions de l'adultère ? N'avez-vous point horreur d'entendre les paroles impudiques d'une Comédienne, des mêmes oreilles que vous entendez les paroles d'un Prophète, qui vous introduit dans les mystères de l'Écriture ? N'appréhendez-vous point de recevoir dans un même cœur un poison mortel, et cette Hostie sainte et terrible ? N'est-ce pas de là que naissent les dérèglements de la vie, les désordres des mariages, les guerres, les troubles et les querelles domestiques ?... « C'est pourquoi je vous prie tous de ne point assister à ces infâmes représentations des Spectacles, et d'en retirer les autres ; car tout ce qui s'y fait, bien loin d'être un divertissement, n'est qu'un dérèglement pernicieux, qui n'attire que des peines et des supplices... « Que sert à l'homme de jouir d'un plaisir passager, s'il est suivi d'une douleur éternelle, et s'il est tourmenté nuit et jour par la concupiscence ? Consultez-vous vous-mêmes, et considérez la différence qu'il y a entre l'état où vous êtes lorsque vous revenez de l'Eglise ; et celui où vous vous trouvez lorsque vous sortez des Spectacles. Si vous comparez ces deux états selon leurs divers temps, l'un avec l'autre, vous n'aurez pas besoin de mes avertissements ; cette comparaison suffira, pour vous faire connaître combien l'un vous est utile et avantageux, et combien l'autre vous est dommageable. » Et dans un des premiers Sermons que ce grand Patriarche a prononcés dans Constantinople sous le règne de l'Empereur Arcade : « Puisque nous voyons, dit-il, qu'après avoir employé envers vous tant d'exhortations, et de remontrances, de corrections et de châtiments, après vous avoir continuellement représenté cet effroyable tribunal, ces peines inévitables, ce feu qui ne s'éteindra jamais, et ce ver qui ne mourra point, quelques-uns de mes auditeurs (je dis quelques-uns, car je ne les condamne pas tous, à Dieu ne plaise) oubliant ces terribles vérités, se sont encore abandonnés au spectacle diabolique de la course des chevaux ; que pouvons-nous attendre raisonnablement, en recommençant encore aujourd'hui la même entreprise ? Quelle prétention pouvons-nous avoir en proposant encore une fois cette doctrine spirituelle, nous qui voyons qu'ils n'en ont tiré aucun profit, et qu'ils ne suivent point d'autre règle que celles de la coutume ? Ne devons-nous pas être inconsolables, puisque nous avons à parler devant des personnes, qui après avoir témoigné par des applaudissements publics le plaisir qu'ils prennent à entendre nos discours, ne laissent pas après cela de courir au Cirque, de favoriser par des applaudissements encore plus grands l'adresse des conducteurs de chevaux, et d'entrer comme eux dans la carrière avec une extrême passion ? Quelle tranquillité d'esprit peuvent-ils apporter à nos discours, ceux qui sont toujours en contestation l'un contre l'autre et qui disent qu'un cheval n'a pas bien couru, ou qui se plaignent de ce qu'on a fait perdre le prix à un autre ? N'est-ce pas une chose pitoyable que des personnes prennent divers partis pour les différents conducteurs de ces chevaux ; et que nos discours ne repassent jamais dans leur esprit, et dans leur mémoire ? Qu'ils ne se souviennent jamais des mystères sacrés et épouvantables que nous célébrons dans ces lieux saints ; mais qu'ils passent des jours tout entiers dans le Cirque et dans le Théâtre, comme si le diable les tenait captifs dans ses liens ? Qu'ils s'abandonnent tout à fait aux Spectacles diaboliques, et que par cette conduite si peu chrétienne ils se rendent ridicules aux Juifs, aux Païens, et à tous les ennemis de notre Religion ? Serait-il donc possible qu'il y eût quelqu'un, à moins que d'être tout à fait de pierre et entièrement insensible, qui ne fût touché de douleur en voyant un si grand abus ? Et si cela est n'en devons-nous pas être extrêmement affligés ? Nous qui tâchons de vous témoigner les mêmes sentiments d'affection que tous les Pères ont pour leurs enfants ? Certes ce qui nous afflige n'est pas seulement de voir que vous rendez tous nos travaux inutiles par un procédé si peu raisonnable ; mais c'est surtout de voir que ceux qui agissent de la sorte, s'attirent un plus effroyable jugement qu'ils n'auraient reçu s'ils n'avaient appris de notre bouche ces vérités importantes. Car pour ce qui nous regarde en particulier, nous pouvons attendre de Dieu la récompense de nos peines, et de nos travaux, après avoir fait de notre part tout ce que nous devions faire ; après avoir fait valoir et distribué le talent qui nous avait été confié ; en un mot, après nous être acquittés exactement de notre devoir. Mais quelle raison, quelle excuse pourront alléguer ceux qui après avoir reçu ces richesses spirituelles, seront obligés non seulement d'en rendre compte devant Dieu ; mais aussi de lui faire voir le profit qu'ils en auront fait ? De quels yeux oseront-ils regarder ce Juge inflexible ? Comment pourront-ils supporter ce jour effroyable ? quelle force pourront-ils avoir à l'épreuve de tant d'épouvantables tourments ? Est-ce peut-être qu'ils se justifieront sur leur ignorance ? Mais il ne se passe point de jour que nous n'élevions notre voix contre ce désordre, que nous ne leur adressions nos exhortations, et nos remontrances, que nous ne tâchions de leur faire voir le malheur où ils s'engagent par cette erreur, et par cet égarement, la grandeur du mal qu'ils s'attirent, l'illusion de ces assemblées diaboliques : Et cependant tous nos discours leur ont été inutiles jusqu'ici. Mais qu'est-il besoin de leur représenter le jour terrible du Jugement universel ? Parlons seulement de l'état où nous nous trouvons. Comment se pourrait-il faire que ceux qui ont eu quelque part à ces représentations diaboliques, vinssent ici avec confiance, et avec liberté, en même temps que leur conscience s'élève contre eux par ses remords, et qu'elle les condamne hautement par des cris intérieurs ? N'ont-ils jamais ouï ce que dit S. Paul, ce grand Docteur de tout l'Univers ? Quelle société peut-il y avoir entre la lumière,et les ténèbres ? Et quelle communion peut avoir le fidèle avec l'idolâtre ? Quelle horrible condamnation ne mérite pas un fidèle lorsque après avoir participé dans ce saint lieu à tout ce qui s'y passe de plus auguste, à nos plus secrètes prières, aux sacrés mystères que nous y célébrons avec tremblement, et à la doctrine spirituelle qui s'y enseigne ; au sortir de ce sacrifice, il va s'asseoir avec un Païen pour repaître ses yeux de ce spectacle diabolique ? Et peut-on voir un mélange plus indigne que quand un Chrétien, que le Soleil de Justice a éclairé de ses rayons, se trouve dans la malheureuse compagnie d'un Infidèle qui s'égare dans les ténèbres de l'impiété ? Comment pourrons-nous après cela fermer la bouche aux Païens, et faire taire les Juifs ? Comment pourrons-nous les porter à notre Religion ; comment leur persuaderons-nous de se ranger de notre parti, et d'embrasser la piété Chrétienne ; puisqu'ils remarquent que ceux même qui en font profession avec nous, ne laissent pas de se trouver tous les jours confusément avec eux dans ces pernicieux Théâtres, qui ne sont pleins que d'abominations et d'ordures ? Après être ici venus ; après avoir purifié votre âme ; après avoir sanctifié votre cœur par des sentiments de piété, et de componction ; est-il possible qu'au sortir de cette Eglise vous soyez assez malheureux pour vous souiller encore une fois ? Ne savez-vous pas ce que dit le Sage, que quand d'une part quelqu'un bâtit une muraille, et que de l'autre quelqu'un la détruit, tout le succès de leur travail est de se donner une peine fort inutile ? etc. » En ce temps-là sous le consulat du même Manlius Théodorus, l'an 399. il parut la plus grande Comète qu'on eût jamais vue, il y eut une grande sécheresse, et la ville de Constantinople fut en un extrême péril, à cause de la trahison de Gainas. S. Chrysostome Patriarche de cette ville, se servant de cette occasion pour porter le peuple à faire pénitence, prêcha si fortement contre les Spectacles, que l'Empereur Arcadius en étant touché publia une loi le second d'Octobre de la même année, sous le consulat du même Manlius Théodorus, par laquelle il abolit le spectacle honteux de Majuma. « La misérable chute d'Eutrope, dit le Cardinal Baronius, fournit assez à propos à S. Jean Chrysostome un ample sujet de prêcher contre la vanité des plaisirs de ce monde ; particulièrement contre ces honteux spectacles qu'on avait accoutumé de donner au peuple : Et les menaces du Ciel qui parurent cette année-là, donnèrent une nouvelle force à son éloquence, lorsqu'on vit dans le Ciel des présages de grands maux par une langue de feu, c'est-à-dire par une Comète “funeste aux Royaume de la terre”. Socrate en parle en ces termes : “Une Comète beaucoup plus grande qu'aucune que l'on eût vue jusqu'alors, fut un présage des malheurs dont la ville était menacée." Sozomène dit la même chose de ce merveilleux prodige ; ajoutant, “qu'il y eut une si grande sécheresse, qu'il semblait que le Ciel fût de bronze”. S. Chrysostome se servant de l'occasion que ces accidents lui présentaient, prêcha plus fortement contre les Spectacles ; et pour donner de la terreur à ses auditeurs, il leur dit entre autres choses : “Tremblez toujours, de peur que Dieu ne s'irrite, et que vous ne vous perdiez en vous écartant de la droite voie. Contemplez ces signes et ces prodiges ; voyez comme le Ciel est devenu de bronze, et terre de fer. Les Eléments même nous font connaître que Dieu est en colère : Et vous enfants des hommes jusqu'à quand aurez-vous le cœur appesanti ? jusqu'à quand aimerez-vous la vanité dans les Spectacles ? jusqu'à quand chercherez-vous le mensonge parmi les Comédiens, et les Farceurs ? Sachez que Dieu a séparé pour lui-même toute âme qui ne s'éloigne point de l'Eglise.”  » « Que gagna enfin ce saint Prélat par ses prédications continuelles, à temps et à contretemps ? » Il obtint une chose très importante ; savoir que le spectacle infâme de Majuma fut entièrement aboli, par la loi que l'Empereur Arcade publia le second d'Octobre de cette même année 399. et sous le Consulat du même Manlius Théodorus en ces termes : « Nous permettons les arts qui servent aux jeux et aux divertissements, pour ne pas donner, en les restreignant trop, un sujet de tristesse ; mais nous défendons ce honteux et infâme spectacle à qui une insolente licence a donné le nom de Majuma. Donné à Constantinople le 2. d'Octobre, sous le consulat du très illustre Théodore” » : Sur quoi Baronius ajoute ces mots ; « Arcadius fit cette loi sans doute à la poursuite de saint Chrysostome. » Mais comme Arcadius n'accordait à S. Chrysostome qu'une partie de ce qu'il demandait, en permettant les autres Spectacles au même temps qu'il défendait celui de Majuma, S. Chrysostome ne laissa pas de continuer ses prédications contre les spectacles : ce qui paraît dans les Sermons qu'il fit sur les Actes des Apôtres dans Constantinople ; car ce S. Prélat prêcha ces Sermons les années suivantes, c'est-à-dire l'an 400. et 401. comme il le témoigne lui-même dans l'Homélie 44. sur les mêmes Actes des Apôtres. « Il y a déjà trois ans, dit-il, que par la grâce de Dieu nous ne cessons de vous exhorter nuit et jour, pendant trois jours de la semaine, et plusieurs fois pendant toute la semaine. » S. Chrysostome fut élu Patriarche de Constantinople l'an 398. et par conséquent l'an 400. il fit ce 44. Sermon sur les Actes : Or dans ce Sermon il conjure le peuple de quitter les Spectacles ; « Que ferai-je, dit-il, je me tue à force de crier et de vous exhorter d'abandonner les Spectacles du Théâtre, et plusieurs se moquent de moi. » Et en l'Homélie 42. « Dans le Théâtre, dit-il, il n'y a que des ris dissolus ; que des choses honteuses ; que des pompes du diable ; qu'une dissipation d'esprit ; qu'une perte de temps, et de jours tout entiers ; que des appareils de la concupiscence ; que des projets d'adultère. Ce n'est qu'une académie d'impureté, et une école d'intempérance ; où l'on ne parle que de choses honteuses ; où l'on ne pense qu'à rire ; où l'on ne voit que des exemples d'ordure, et d'infamie. Les Théâtres causent de grands maux aux villes ; oui ces maux sont grands, et cependant nous ne les comprenons pas. » Tout ce que nous venons de rapporter, fait voir si clairement combien les Spectacles étaient souillés d'impureté, et de superstition sous le règne d'Arcadius, et d'Honorius, qu'il n'y a que le seul Auteur de la Dissertation qui l'ait pu ignorer ; C'est toutefois ce qu'il pouvait encore aisément apprendre par la lecture des mêmes Annales de Baronius. « L'an 404. dit ce Cardinal, il y eut pour Consul l'Empereur Honorius, et Aristenet, et en cette même année les jeux séculaires introduits par la superstition des Païens, que la piété de Constantin avait négligés, et tout à fait rejetés, furent célébrés à la honte du Christianisme. Honorius étant mal conseillé par les Gentils qui étaient de son conseil, et qui disaient que la destinée de la perpétuité de la ville de Rome, et de la félicité de l'Etat, était attachée à ces jeux, se laissa séduire par leur conseil, et par leur persuasion ; de sorte qu'il rétablit imprudemment ces spectacles que le grand Constantin avait négligés et rejetés. Cela vint, ce semble, de ce que la victoire qu'il venait de remporter à Pollence sur Alaric, et la gloire du triomphe que le Sénat lui avait décerné, le transportaient tellement, qu'il ne pensait ni à ce qu'on lui demandait, ni à ce qu'il accordait. Les Païens donc s'imaginaient que par la représentation de ces jeux, l'éternité de la ville était consacrée sous d'heureux auspices : Et comme la terreur que la descente d'Alaric en Italie leur avait donnée, les avait obligés de fortifier la ville de nouvelles murailles, ils crurent la devoir aussi fortifier par la Religion ; disant même avec emportement, comme fait Zozime, qu'à cause que dans le siècle précédent on avait négligé ces jeux, il était arrivé par un grand malheur, que l'Empire Romain avait été ravagé par les Barbares, et que Rome même avait été en grand péril. Ainsi Honorius se laissa persuader par leurs discours au grand préjudice de l'Empire ; car par ce crime il attira sur la ville de Rome la colère de Dieu, d'où s'ensuivit la prise et la ruine de cette ville : au lieu que l'expérience lui devait assez faire connaître combien toutes ces choses étaient vaines et inutiles ; puisque sous l'Empereur Constantin, qui avait rejeté ces Jeux, l'Empire Romain ne laissa pas d'être florissant, les Tyrans ayant été exterminés, et les Barbares défaits. Mais le dommage que souffrit Honorius par la perte de la ville, pour l'éternité de laquelle on employait si mal la superstition, lui fit ressentir combien en commettant ce crime il avait excité la vengeance de Dieu ; car en effet peu d'années après Dieu permit que les Goths sous la conduite d'Alaric, prissent et pillassent cette ville, qu'il avait auparavant délivrée par la protection du nom de Jésus-Christ. « Nous savons bien que quelques-uns tâchent d'excuser Honorius, sous prétexte qu'encore qu'il eût permis aux Païens de Rome de célébrer les Jeux Séculaires, il n'avait pas voulu néanmoins qu'ils fussent célébrés avec les cérémonies Païennes ; leur permettant seulement de représenter les Jeux du Théâtre, et du Cirque. Mais y a-t-il des Spectacles sans superstition ? ou qui peut se persuader que les jeunes gens, et les jeunes filles ne chantassent pas ces vers solennels de la Sybille qui avaient accoutumé d'être chantés à la fête de ces jeux. Certes le Poète Prudence témoigne qu'en ce temps-là, sous le règne d'Honorius, les combats des Gladiateurs furent rétablis, lesquels avaient été auparavant abolis par les lois de tant d'Empereurs Chrétiens. Car après avoir décrit la victoire qu'on avait depuis peu remportée à Pollence par la puissante protection de Jésus-Christ, il conjure sur la fin Honorius d'interdire entièrement les Jeux des Gladiateurs : "Ne permettez point, dit-il, les victimes sanglantes de ces misérables qu'on égorge ; Ne souffrez point que dans la ville on fasse un divertissement du supplice et de la mort de personne." « En vérité ce fut un grand péché de permettre que ces cruels Spectacles des Gladiateurs, que tant de lois des Empereurs Chrétiens avaient défendus, et pour l'abolition desquels ce généreux Martyr Télémaque avait répandu son sang, fussent rétablis de nouveau par les Païens avec des cérémonies solennelles ; puisque, comme dit Prudence, les Vestales allèrent avec pompe à ces Spectacles. Ces crimes attirèrent la vengeance de Dieu, de sorte qu'il se servit de l'épée des Goths pour les expier par l'effusion du sang des Romains. » On vit les effets de cette vengeance de Dieu six ans après ; car Rome fut prise et saccagée par Alaric l'an 410. sous le règne d'Honorius, et du jeune Théodose. Mais ce qui est étrange, c'est que cette horrible désolation n'eut pas la force d'éteindre la passion que le peuple Romain avait pour les Spectacles ; car Alaric ne fut pas plutôt sorti de Rome, que ce peuple courut aussitôt au Théâtre, et au Cirque. « Le peuple, dit Orose, fit certainement paraître que l'accoutumance qu'il avait aux voluptés, avait été interrompue pour si peu de temps, qu'il criait hautement, qu'il n'avait rien souffert, si le Cirque lui restait ; c'est-à-dire que les épées des Goths n'avaient rien fait dont Rome se dût plaindre, s'il était permis aux Romains d'être spectateurs des jeux du Cirque. » Et ce qui est encore plus étrange, ceux qui dans cette désolation de Rome, fuyant le désastre de leur patrie, s'étaient retirés à Carthage, ne laissaient pas de courir encore tous les jours au Théâtre, comme le témoigne S. Augustin dans les livres de la Cité de Dieu, qu'il composa l'année suivante. « Les malins esprits qui sont si rusés, et si artificieux, s'appliquèrent à répandre non dans les corps, mais dans les mœurs  des hommes, la peste des jeux de la Scène, qui est beaucoup plus dangereuse que celle qui afflige les corps : Elle offusqua tellement leur raison, et la défigura d'une manière si honteuse, que maintenant même dans la désolation de Rome, ce que la postérité aura peine à croire, ceux qui ont été infectés d'une si mortelle peste, et qui fuyant le désastre de leur patrie, ont pu se retirer à Carthage, courent encore tous les jours au Théâtre, où à l'envi les uns des autres, par la passion qu'ils ont pour les Comédiens et pour les Farceurs, ils montrent l'extrême folie qu'ils ont dans l'esprit. « O esprits insensés , quelle est, je ne dirai pas cette erreur qui vous aveugle, mais cette fureur qui vous transporte et qui fait que lorsque tous les peuples d'Orient, que les plus grandes et les plus célèbres villes des lieux même les plus éloignés de vous pleurent votre infortune, et par un deuil public témoignent une extrême douleur, comme nous l'avons appris ; on vous voit au contraire courir au Théâtre, y entrer et en remplir les places ; et faire enfin des choses plus extravagantes que vous ne faisiez avant vos malheurs. C'est cette peste et cette corruption des âmes, ce renversement de toute probité, et de toute honnêteté que Scipion craignait pour vous, quand il empêchait de bâtir des Théâtres, quand il prévoyait qu'une trop grande prospérité vous pourrait aisément corrompre, et vous perdre ; quand il ne voulait pas vous voir délivrés des sujets de crainte que vous donnaient vos ennemis. Car il ne croyait pas qu'une ville pût être heureuse, dont les murailles sont bonnes, et dont les mœurs sont corrompues. Mais la malice des démons qui vous ont séduits, a eu plus de pouvoir sur vos esprits que la prévoyance des hommes sages, qui vous donnaient de bons conseils. D'où vient que vous ne voulez pas que l'on vous impute les maux que vous faites ; et que vous voulez pas qu'on impute au temps du Christianisme ceux que vous souffrez ? Comme la prospérité vous a corrompus, et que l'adversité n'a pu vous corriger ; vivant en sûreté vous cherchez non le repos et la tranquillité de la République, mais l'impunité de vos excès, et de vos débauches. Scipion voulait que l'ennemi vous donnât de la crainte, afin de ne vous pas jeter dans le luxe, et dans la dissolution, mais vous ne vous êtes pas retirés de vos désordres, lors même que vos ennemis vous ont ruinés. Vous avez perdu le profit que vous deviez recueillir de votre calamité ; vous êtes devenus misérables, et vous demeurez vicieux. Cependant la vie vous a été conservée par la grâce de Dieu, qui vous épargnant vous avertit de vous corriger, et de faire pénitence, et qui vous a fait cette faveur, que vous reconnaissez si mal par votre ingratitude, que sous le nom de ses serviteurs, ou dans les lieux consacrés en l'honneur de ses Martyrs, vous avez échappé des mains de vos ennemis. » Ce que je viens de rapporter, fait voit clairement combien les Spectacles étaient indignes des Chrétiens, et combien ils étaient souillés de superstition sous le règne d'Arcadius, et d'Honorius ; combien encore était grande la passion que les peuples, et particulièrement les Païens, avaient pour les Jeux et pour les Spectacles ; de sorte que les Empereurs Chrétiens étaient contraints de les souffrir pour ne pas exciter des troubles dans leurs Etats. J'ajouterai seulement quelques paroles de S. Augustin, qui nous font connaître que quelque retranchement que les Empereurs Chrétiens eussent fait des sacrifices dans les Spectacles, ils ne pouvaient pas néanmoins empêcher la superstition qui en était inséparable, comme étant attachée étroitement à la croyance du menu peuple : car il était impossible d'empêcher que les Païens ne crussent honorer leurs Dieux par ces Jeux et ces Spectacles qu'ils faisaient aux jours de leurs fêtes, étant persuadés que leurs Dieux leur avaient commandé de leur rendre ce culte. « Vous qui ignorez ces choses, dit S. Augustin, et vous qui feignez de n'en avoir point connaissance, et qui cependant murmurez contre celui qui a délivré les hommes de tels maîtres, pensez-y bien. Les jeux de la Scène, ces spectacles où l'on ne voit que des infamies, et des ordures, que des images de vanité, et de licence, ont été institués à Rome non par le vice, et la corruption des hommes ; mais par le commandement de vos Dieux. « Peut-être que Scipion me répondrait s'il était vivant : comment ne jugerions-nous pas ces choses licites, puisque les Dieux les ont voulu consacrer, lorsqu'ils ont introduit dans les mœurs des Romains les jeux de la Scène, où l'on célèbre, où l'on prononce, où l'on représente ces impuretés, et qu'ils ont commandé que ces jeux leur fussent dédiés, et fussent représentés en leur honneur ? » Il est donc indubitable que puisque les Païens croyaient rendre un culte à leurs Dieux en célébrant les Jeux, et les Spectacles ; il n'y avait point de Jeux, ni de Spectacles sans superstition ; D'où il s'ensuit que lorsque les Païens célébraient les Jeux et les Spectacles, sous le règne d'Arcadius et d'Honorius, les Chrétiens n'y pouvaient assister sans participer à leur superstition. Si l'Auteur de la Dissertation eût considéré toutes ces choses, il n'aurait jamais dit que les Jeux et les Spectacles étaient dignes des Chrétiens sous le règne d'Arcadius et d'Honorius. Dissertation pag. 99. « Et les Empereurs Chrétiens, Gratien, Valentinien, Théodose, et Léon n'en voulurent pas priver le peuple ; mais ils défendirent de les célébrer aux jours de Dimanche, de Noël, de l'Epiphanie, de Pâques et de Pentecôte. » VII. Réfutation. L'Auteur de la Dissertation allègue ici trois lois ; la première des Empereurs Gratien, Valentinien, et Théodose, l'an 386. La seconde des Empereurs Théodose et Valentinien, l'an 425. Et la troisième des Empereurs Léon et Anthémius, l'an 469. Il faut remarquer premièrement qu'il ne rapporte pas fidèlement ce qui est contenu dans ces lois, lorsqu'il dit « que ces Empereurs défendirent de célébrer les Spectacles aux jours de Dimanche, de Noël, de l'Epiphanie, de Pâques, et de Pentecôte : car les Empereurs Théodose et Valentinien défendirent encore les Spectacles pendant tout le temps que les nouveaux Baptisés portaient les habits blancs, et aux fêtes des Apôtres ». Secondement il dit, que ces Empereurs ne voulurent pas priver le peuple des Spectacles aux autres jours, prétendant tirer de là cette conséquence, que les Spectacles étaient donc licites, et dignes des Chrétiens aux autres jours ; car il ne rapporte ces lois que pour prouver la proposition qu'il a avancée ci-dessus : Constantin retrancha des Jeux publics et des Spectacles « toute la superstition, et toute la révérence des Idoles, afin qu'ils fussent dignes des Chrétiens ; et ils furent conservés ainsi jusqu'au règne des Comnènes ». Cette conséquence qu'il prétend tirer de là, « qu'aux jours qui ne sont point exceptés dans ces lois, les Spectacles étaient donc permis, comme étant dignes des Chrétiens », est visiblement fausse. Et pour le montrer, je pose ce principe de S. Charles Borromée, que la Comédie, et les autres Spectacles sont des choses mauvaises, au moins à cause de leurs circonstances, et de leurs effets ; et même à cause que les lois de l'Eglise les défendent. « Nous avons, dit ce Cardinal, jusqu'à présent parlé des Danses et des Comédies, comme de choses qui sont illicites ; parce qu'elles sont mauvaises, au moins à cause des circonstances qui les accompagnent, et de leurs effets : Il faut maintenant parler de la prohibition qui en a été faite, et conclure qu'elles sont encore illicites, parce qu'elles sont défendues. » Ce principe étant présupposé, il est évident qu'encore que les Empereurs n'eussent défendu les Spectacles qu'aux jours marqués dans leurs lois, il ne s'ensuit pas néanmoins qu'ils fussent licites aux Chrétiens les autres jours ; soit parce qu'étant des choses mauvaises, au moins à cause des circonstances qui les accompagnent, et à cause de leurs effets, il n'est jamais permis aux Chrétiens ni de les représenter, ni d'y assister ; soit parce qu'étant défendus absolument aux Chrétiens par les lois de l'Eglise, ils ne leur sont licites en aucun temps. C'est ce que nous allons faire voir plus au long sur chacune de ces lois. La première fut faite l'an 386. en ces termes : « Que nul ne transgresse la loi que nous avons faite il y a longtemps : Que nul ne donne des Spectacles au peuple le jour du Dimanche, en causant de la confusion et du désordre dans la célébration et la solennité du service divin. » Les Empereurs Valentinien et Théodose renouvellent la loi qu'ils avaient faite auparavant avec l'Empereur Gratien, pour défendre les Spectacles au jour du Dimanche ; parce que la passion que les peuples, et principalement les Païens avaient pour les Spectacles, ne leur permettant pas de les abolir tout à fait, ils les interdisaient au moins en ce saint jour. L'Auteur de la Dissertation prétend conclure de là qu'ils étaient donc licites, et dignes des Chrétiens aux autres jours ; mais il est aisé de lui prouver que cette conséquence est très fausse. Car en même temps que ces Empereurs publièrent cette loi, saint Chrysostome représentait au peuple d'Antioche, combien les Spectacles du Théâtre étaient pernicieux en eux-mêmes, dans leurs circonstances, et dans leurs effets ; combien ils étaient indignes des Chrétiens ; et combien le péché qu'ils commettaient en y allant, même les jours ouvriers, était grand devant Dieu. « Ce n'est point à nous, dit-il , à passer le temps dans les ris, dans les divertissements, et dans les délices.…Ce n'est point là l'esprit de ceux qui sont appelés à une vie céleste, dont les noms sont déjà écrits dans cette éternelle cité, et qui font profession d'une milice toute spirituelle ; mais c'est l'esprit de ceux qui combattent sous les enseignes du démon. « Oui, mes frères, c'est le démon qui a fait un art de ces divertissements, et de ces jeux, pour attirer à lui les soldats de Jésus-Christ, et pour relâcher toute la vigueur, et comme les nerfs de leur vertu. C'est pour ce sujet qu'il a fait dresser des Théâtres dans les places publiques, et qu'exerçant et formant lui-même ces bouffons, il s'en sert comme d'une peste, dont il infecte toute la ville. « Saint Paul nous a défendu les paroles impertinentes, et celles qui ne tendent qu'à un vain divertissement ; mais le démon nous persuade d'aimer les unes et les autres. « Ce qui est encore plus dangereux, est le sujet pour lequel on s'emporte dans ces ris immodérés. Car aussitôt que ces bouffons ridicules ont proféré quelque blasphème, ou quelque parole déshonnête, on voit que les plus fous sont ravis de joie, et s'emportent dans des éclats de rire ; ils leur applaudissent pour des choses pour lesquelles on les devrait lapider ; et ils s'attirent ainsi sur eux-mêmes par ce plaisir malheureux, le supplice d'un feu éternel. Car en les louant·de ces folies, on leur persuade de les faire, on se rend encore plus digne qu'eux de la condamnation qu'ils ont méritée. Si tout le monde s'accordait à ne vouloir point regarder leurs sottises, ils cesseraient bientôt de les faire. Mais lorsqu'ils vous voient tous les jours quitter vos occupations, vos travaux, et l'argent qui vous en revient, en un mot, renoncer à tout pour assister à ces Spectacles, ils redoublent leur ardeur, et ils s'appliquent bien davantage à ces niaiseries. « Je ne dis pas ceci pour les excuser, mais pour vous faire voir, que c'est vous principalement qui êtes la source de tous ces dérèglements, en assistant à leurs Jeux, et y passant les journées entières. C'est vous qui dans ces représentations malheureuses profanez la sainteté du mariage, et qui déshonorez devant tout le monde ce grand Sacrement. Car celui qui représente ces personnages infâmes, est moins coupable que vous qui les faites représenter ; que vous qui l'animez de plus en plus par votre passion, par vos ravissements, par vos éclats, et par vos louanges, et qui travaillez en toutes manières à embellir, et à relever cet ouvrage du démon.... « Ne me dites point que tout ce qui se fait alors n'est qu'une fiction ; cette fiction a fait beaucoup d'adultères véritables, et a renversé beaucoup de familles. C'est ce qui m'afflige davantage, que ce mal étant si grand, on ne le regarde pas même comme un mal, et que lorsqu'on représente un crime aussi grand qu'est celui de l'adultère, on n'entend que des applaudissements et des cris de joie. « Ce n'est qu'une feinte, dites-vous ; c'est donc pour cela même que ces personnes sont dignes de mille morts, d'oser exposer aux yeux de tout le monde des désordres qui sont défendus par toutes les lois. Si l'adultère est un mal, c'est un mal aussi de le représenter. « Qui pourrait dire combien ces fictions rendent de personnes adultères ; et combien elles inspirent l'impudence, et l'impureté dans tous ceux qui les regardent, car il n'y a rien de plus impudique que l'œil qui peut souffrir de voir ces ordures. » Vous voyez donc comme lorsque les Empereurs Gratien, Valentinien, et Théodose défendaient les Spectacles au jour du Dimanche, saint Chrysostome montrait qu'ils étaient défendus aux Chrétiens tous les autres jours ; parce que ce n'est point l'esprit du Christianisme d'aller aux Théâtres ; parce qu'il est indigne des Chrétiens de quitter leurs occupations et leurs travaux, pour passer les journées entières en ces divertissements, dont le diable a fait un art pour perdre les hommes ; parce que c'est un grand mal, et une peste, dont le démon infecte les âmes, et parce que l'Apôtre S. Paul l'a défendu, en défendant les paroles de railleries, et celles qui ne tendent qu'à un vain divertissement. De là on peut aisément juger que ce grand Prélat estimait que c'était encore un plus grand mal d'aller aux Spectacles pendant le temps du Carême, quoique cela ne fût point défendu par la loi de ces Empereurs. «  Quand je considère, dit-il, qu'un petit souffle du démon vous a fait oublier toutes les instructions, et tous les avertissements que je vous donnais chaque jour, et qu'il vous a fait courir à ces jeux diaboliques de la course des chevaux ; je ne sais avec quelle satisfaction je pourrai vous instruire de nouveau de ces choses dont vous perdez aussitôt la mémoire. Ce qui m'afflige et me fâche davantage, c'est qu'en oubliant mes avertissements, vous avez aussi oublié le respect que vous devez à ce sacré temps de Carême, pour vous engager dans les filets du diable....  Y a-t-il de plus grande folie ? Quel profit recueillerez-vous du jeûne ? » Dans le 3. Concile de Carthage tenu l'an 397. onze ans après la loi de Gratien, de Valentinien, et de Théodose, que nous avons rapportée ci-dessus, il est défendu absolument aux Chrétiens d'aller aux Spectacles. « Qu'il soit défendu, dit le Concile, à tous laïques d'assister aux Spectacles ; car il a toujours été défendu aux Chrétiens d'aller aux lieux qui sont souillés par des blasphèmes. » De là on voit évidemment qu'encore que les Empereurs eussent défendu les Spectacles aux jours du Dimanche, il ne s'ensuivait pas pour cela qu'ils fussent permis aux Chrétiens les autres jours ; puisque l'Eglise les leur défend absolument. La 2. loi des Empereurs Théodose, et Valentinien, de l'an 425. est conçue en ces termes. « Nous défendons aux peuples de toutes les villes de notre Empire tous les divertissements du Théâtre et du Cirque, le Dimanche, qui est le premier jour de la semaine, le jour de la naissance de Notre Seigneur Jésus-Christ, le jour de l'Epiphanie, les jours de Pâques, et de la Pentecôte, tant qu'on porte les habits blancs, qui par leur blancheur, comme par des rayons célestes figurent la nouvelle lumière qu'on reçoit au Baptême. Comme aussi les jours auxquels on célèbre avec grande raison la mémoire du martyre des Apôtres qui sont les maîtres de tous les Chrétiens, afin que les fidèles occupent tout leur cœur, et tout leur esprit au service de Dieu ; et que s'il y a encore des personnes qui suivent l'impiété des Juifs, ou l'erreur, et la folie des Païens, ils reconnaissent que le temps des prières est bien différent du temps des divertissements, et des plaisirs. Et afin que nul ne s'imagine qu'il est obligé d'assister aux Spectacles, ou de les représenter à notre honneur, par la vénération et le respect qu'il doit à la Majesté Impériale, sans avoir même égard au culte qu'on doit à Dieu, de peur de nous offenser, en faisant paraître moins d'affection envers nous, qu'il n'avait accoutumé de faire ; nous voulons que tout le monde soit persuadé que le plus grand honneur que nous puissions recevoir des hommes, est que toute la terre rende à Dieu tout-puissant la soumission, et le service qui est dû à sa grandeur. » L'Auteur de la Dissertation prétend inférer de cette loi, que les Spectacles étaient donc licites, et dignes des Chrétiens aux autres jours, qui ne sont pas exceptés par cette loi. Mais pour faire voir que cette conséquence qu'il en prétend tirer est très fausse ; il ne faut que considérer les paroles de la demande que les Pères du Concile d'Afrique tenu après le Consulat de Stilicon, firent à ces Empereurs Théodose, et Valentinien, pour obtenir cette loi. « Il faut demander, disent les Pères du Concile, aux très pieux Empereurs Théodose, et Valentinien, qu'ils défendent les Spectacles du Théâtre et des autres Jeux, les Dimanches, et les autres Fêtes que la Religion Chrétienne solennise ; surtout comme pendant l'Octave de Pâques, le peuple se trouve au Cirque, au lieu d'aller à l'Eglise ; il faut demander que si la représentation des Spectacles qu'on a coutume de donner au peuple, se rencontre en ces saints jours, on remette ces Jeux à un autre temps. Il faut encore représenter aux très pieux Empereurs, qu'on ne doit point contraindre les Chrétiens, d'assister aux Spectacles, ou d'en être les Acteurs : car il ne faut persécuter personne pour l'obliger de faire des choses qui sont contraires aux Commandements de Dieu, mais on doit laisser chacun dans la liberté qu'il a reçue de Dieu, pour en user comme il faut. Surtout on doit considérer le danger où sont ceux qui sont du corps de ces personnes, qui sont chargées du soin des Jeux publics, que l'on contraint par la terreur des peines, de se trouver aux spectacles contre les Commandements de Dieu. » Nous voyons, comme l'a très bien remarqué Monseigneur le Prince de Conti, que parce que en ce temps-là, il y avait encore un très grand nombre de Païens, sur lesquels l'Eglise n'avait point de Juridiction, et que d'ailleurs l'attachement du peuple à ces Spectacles, était si grand, qu'il était presque impossible, même aux Empereurs de les abolir ; ce Concile par une extrême prudence se contenta de demander que pour le respect qui était dû à la véritable Religion, qui était aussi en ce temps-là la Religion des Empereurs, les Spectacles cessassent absolument, lorsque l'Eglise était occupée à honorer Dieu pendant les grandes solennités. Et pour faire voir que même aux autres jours il n'était point permis aux Chrétiens d'aller aux Spectacles ; le Concile demanda ensuite aux Empereurs que les Chrétiens ne fussent point contraints d'être ni les Acteurs ni les Spectateurs des Jeux publics, ni de les faire représenter, parce que c'était pécher contre les Commandements de Dieu. Cela détruit sans doute tout ce faux raisonnement de l'Auteur de la Dissertation : « Les Empereurs n'ont défendu les Spectacles qu'aux jours des grandes fêtes ; il est donc licite aux Chrétiens, et il est même digne des Chrétiens d'aller aux spectacles les autres jours… » C'est comme s'il disait ; il est donc licite aux Chrétiens, et il est même digne des Chrétiens de violer les Commandements de Dieu. Ce qui donna sujet à ce Concile de faire cette demande et quelques autres, fut la loi que l'Empereur Honorius avait envoyée au Proconsul d'Afrique Apollodore, l'an 399. qui est rapportée dans la Dissertation pag. 98. et 99. et dont nous avons parlé dans la VI. Réfutation précédente ; voici quels sont les termes de cette loi. « Encore que nous ayons aboli les cérémonies profanes ; nous ne voulons pas néanmoins détruire la joie publique de tous nos sujets dans les assemblées qu'ils font aux jours de fêtes : nous ordonnons que ces plaisirs du peuple, soient célébrés selon les anciennes coutumes, et même avec les festins solennels, quand les vœux et les réjouissances publiques le requerront ; mais nous défendons d'y faire aucun sacrifice, ni d'y pratiquer aucune superstition impie. » L'Eglise d'Afrique jugea que cette loi était préjudiciable à la Religion Chrétienne : car encore qu'elle eût retranché les Sacrifices, et quelques superstitions impies des Jeux, et des Spectacles ; néanmoins elle permettait à tous les sujets de l'Empire de célébrer ces Jeux et ces Spectacles, et de faire des festins solennels aux jours de fêtes, selon les anciennes coutumes ; de sorte que les Païens qui faisaient une très grande partie des sujets de l'Empire, célébraient des Jeux et des Spectacles, et faisaient des festins solennels à l'honneur de leurs Dieux, et dans des lieux qui leur étaient consacrés aux jours de leurs fêtes, selon leurs anciennes coutumes, comme cette loi leur permettait. Et lorsque leurs fêtes se rencontraient aux mêmes jours que celles des Chrétiens, quelques solennelles qu'elles fussent, ils ne laissaient pas de célébrer leurs Jeux, et leurs Spectacles et ils avaient même la hardiesse de contraindre les Chrétiens d'y assister, ou de leur faire donner ces divertissements ; ce qui n'était autre chose, qu'obliger les Chrétiens de célébrer les fêtes du diable : « Car les Spectacles du Théâtre, dit S. Chrysostome, où l'on célèbre des fêtes étrangères, sont des assemblées de démons, et non pas d'hommes. Je vous conjure donc de vous éloigner de ces fêtes du diable ; car s'il ne vous est pas licite de vous trouver dans les Temples des Idoles, il vous est encore plus illicite d'assister aux solennités des démons. » C'est pourquoi les Prélats d'Afrique s'étant assemblés bientôt après la publication de cette loi, dans un Concile tenu depuis le Consulat de Stilicon, après l'an 400. demandèrent aux Empereurs Théodose et Valentinien, que les Spectacles fussent défendus aux jours des fêtes solennelles de l'Eglise Chrétienne ; et que les Chrétiens ne fussent point contraints d'y assister, ni de les faire représenter. Ils demandèrent encore que les Chrétiens ne fussent point contraints de faire ces festins solennels, qui n'étaient qu'un dérèglement du Paganisme, opposé à la loi de Dieu. « Comme par un mépris des Commandements de Dieu, dit ce Concile, on fait en plusieurs lieux des festins qui tirent leur origine de l'erreur des Païens, qui contraignent même les Chrétiens de les célébrer, de sorte qu'il semble que sous le règne des Empereurs Chrétiens il s'élève une nouvelle persécution ; il faut encore demander aux Empereurs Théodose et Valentinien, qu'il leur plaise de défendre ces choses dans les villes, et dans les villages, sous les peines qu'ils jugeront à propos ; en leur représentant que même aux jours des fêtes des bienheureux Martyrs, on ne craint point de faire telles choses en quelques villes, et même dans les lieux sacrés. » Nous voyons donc par là que l'Auteur de la Dissertation ne pouvait pas se méprendre davantage, que de se servir d'une loi que l'Eglise a improuvée comme étant opposée à la loi de Dieu : et il ne s'est pas moins trompé en alléguant la loi des Empereurs Léon, et Anthémius, de l'an 469. « Nous ne voulons point, disent ces Empereurs, que les jours de fêtes qui sont dédiés à la souveraine Majesté de Dieu ; soient employés aux voluptés et aux divertissements.… Que la Scène donc du Théâtre, les combats du Cirque, et les tristes spectacles des bêtes cessent en ces jours-là. Que si la solennité qu'on fait au jour de notre naissance, se rencontre en quelqu'une de ces fêtes, qu'elle soit remise à un autre jour, etc. » Pour inférer de cette loi qu'aux autres jours les spectacles étaient licites et dignes des Chrétiens, il faudrait ignorer l'histoire de ce temps-là ; car pour peu de connaissance qu'on en ait, il est aisé de savoir qu'au même temps que les Empereurs Léon et Anthémius firent cette loi, Salvien remontrait aux Chrétiens, qu'aller aux spectacles, c'était renoncer à la foi Chrétienne. « Se trouver aux Spectacles, dit-il, c'est renoncer à la foi par une espèce d'Apostasie ; c'est violer le Symbole et les Sacrements par une prévarication mortelle. Car la première protestation que les Chrétiens font au Baptême, n'est-ce pas de renoncer au diable, à ses pompes, à ses spectacles, à ses œuvres ? Les spectacles donc et les pompes selon notre profession de foi sont des œuvres du diable. Comment, vous qui êtes Chrétiens, suivez-vous après le Baptême les Spectacles que vous confessez être des œuvres du diable ? Vous avez renoncé au diable, et à ses spectacles ; et par conséquent il faut de nécessité qu'en allant aux spectacles volontairement et avec dessein, vous reconnaissiez que vous retournez au diable, car en même temps vous avez renoncé à l'un et à l'autre, et avez confessé que l'un et l'autre sont la même chose ; si bien que si vous retournez à l'un, il est véritable que vous retournez à l'autre. « En vous faisant baptiser vous dites : Je renonce au Diable, à ses pompes, à ses spectacles et à ses œuvres ; et vous ajoutez aussitôt après : Je crois en Dieu le Père tout puissant, et en Jésus-Christ son fils ; l'on renonce donc premièrement au Diable, afin que l'on croie en Dieu parce que quiconque ne renonce point au Diable, ne croit point en Dieu ; et partant quiconque retourne au Diable quitte Dieu. Or le Diable est dans les spectacles, et dans les pompes ; de sorte que quand nous retournons aux spectacles, nous quittons la foi de Jésus-Christ : Ainsi nous violons tous les Sacrements du symbole ; et par conséquent nous détruisons tout ce qui suit dans le symbole. Car lorsque le principal est détruit, l'accessoire ne peut pas subsister. » Il est donc certain qu'en ce temps-là, aussi bien qu'aux siècles précédents, quand les Chrétiens recevaient le Baptême, ils renonçaient aux spectacles : les acteurs mêmes des spectacles n'étaient point admis au Baptême qu'ils n'eussent renoncé à leur métier ; et si après le Baptême ils retournaient à leur premier exercice, ils étaient retranchés de l'Eglise, comme il paraît par le Canon 20. du 2. Concile d'Arles, tenu en ce même siècle, environ l'an 452. « Quant aux conducteurs des chariots, et quant à ceux qui montent sur le théâtre, nous ordonnons qu'ils soient excommuniés, tant qu'ils feront ce métier. » Ce Concile, tenu l'an 452. ordonne la même chose qui avait été ordonnée au premier Concile d'Arles, tenu l'an 314. Et Salvien nous apprend qu'on observait encore de son temps, c'est-à-dire jusqu'en l'année 480. ce qui avait été ordonné dès les premiers siècles de l'Eglise, qu'en recevant le Baptême on renonçât aux spectacles, comme nous le voyons dans les Constitutions Apostoliques : « Que celui qui est attaché aux spectacles duThéâtre, quitte cet attachement, ou qu'il ne soit point admis à recevoir le Baptême. » D'où il s'ensuit que l'Auteur de la Dissertation n'a pu dire sans erreur, que sous le Règne de Léon, et d'Anthémius, et des autres Empereurs précédents, les spectacles étaient licites, et dignes des Chrétiens. Salvien nous apprend encore que de son temps les spectacles n'étaient pas exempts de superstition : Car il dit que comme les Païens se servaient des spectacles pour honorer leurs Dieux ; Il y avait aussi des Chrétiens qui employaient les spectacles pour rendre grâces à Jésus-Christ de quelque heureux succès qui leur arrivait. « Quelle prodigieuse folie, dit ce Saint, Quoi ? s'il nous arrive quelque bon succès, si nous remportons des victoires sur nos ennemis, si Jésus-Christ nous comble de ses faveurs, nous lui offrons les jeux du Cirque, et du Théâtre ; et ce sont nos actions de grâces. Nous imitons en cela celui qui payerait d'une injure le plaisir qu'il viendrait de recevoir, et qui percerait le visage et le cœur de celui qui lui ferait des caresses. Je demanderais volontiers aux Grands, et aux riches du monde, de quel supplice serait digne un esclave qui outragerait son Maître, de qui il viendrait de recevoir la liberté ? Certainement celui-là est tout à fait méchant qui rend le mal pour le bien ; n'étant pas même permis de rendre le mal pour le mal. Nous faisons toutefois ce que je viens de dire. Nous nous disons Chrétiens ; et par nos impuretés nous irritons contre nous un Dieu miséricordieux : Nous l'offensons lorsqu'il nous est favorable ; et nous l'outrageons lorsqu'il nous caresse. Nous offrons donc à Jésus-Christ, O étrange folie, les jeux du Cirque et de la Scène ; Nous lui offrons pour ses bienfaits les ordures du Théâtre ; nous lui immolons des jeux infâmes comme des Victimes. Est-ce là ce que le Sauveur du Monde, s'étant revêtu pour nous de notre chair, nous a enseigné ? Est-ce là ce qu'il nous a prêché par sa bouche, ou par celle de ses Apôtres ? » Et en un autre endroit : « Tout ce qu'il y a d'impureté, dit-il, se représente sur le Théâtre : tout ce qu'il y a de dissolu, se pratique dans les combats de la lutte : toute sorte de dérèglement se trouve dans le Cirque : tout ce qu'il y a de fureur paraît dans l'Amphithéâtre. L'on voit là l'impudicité ; ici la dissolution ; là l'intempérance ; ici la fureur ; et le diable partout ; ou plutôt il n'y a point de spectacle où tous les monstres de l'Enfer ne se trouvent ; car ils président dans les sièges qui sont consacrés à leur culte : de sorte que ce n'est pas un simple dérèglement et une légère offense à un Chrétien, de se trouver à ces spectacles ; mais c'est une espèce de sacrilège de se mêler dans cette superstition avec les Païens ; puisqu'en effet c'est participer au culte qu'ils rendent à leurs Idoles, que de se plaire à leurs fêtes. » Ce discours de Salvien nous fait voir combien la proposition de l'Auteur de la Dissertation est fausse, que Constantin retrancha des Spectacles toute la superstition, et toute la révérence des Idoles, afin qu'ils fussent dignes des Chrétiens ; et qu'ils furent conservés ainsi jusques au règne des Comnènes. S'il eût lu le discours de Saint Auxent, qui vivait sous l'Empire de Marcien, auquel l'Empereur Léon succéda, il aurait pu reconnaître combien en ce temps-là les Spectacles étaient indignes des Chrétiens. La Sainteté de cet illustre Abbé était si éclatante par tant de miracles qu'il faisait, que l'Empereur Marcien voulut lui faire approuver les décrets du Concile de Chalcédoine. C'est pourquoi on le mena au Monastère de S. Hypace, qui est dans un des Faubourgs de cette Ville-là, où l'Empereur lui envoya un de ses Vaisseaux avec ordre de le venir trouver. Lorsque le Saint fut retourné au Monastère de S. Hypace, il y trouva une foule incroyable de monde qui l'attendait. Il leur recommanda fort de ne point aller aux spectacles de Théâtre, rien n'étant leur dit-il, plus capable de corrompre la pureté du corps et de l'âme, et de faire tomber dans toutes sortes de crimes. Mais la passion qu'a l'Auteur de la Dissertation pour les spectacles, l'a tellement aveuglé qu'il a pris l'objection des libertins, et des Païens, pour un sentiment conforme au Christianisme ; Car ces sortes de gens selon le témoignage de Saint Chrysostome, disaient, comme fait l'Auteur de la Dissertation : Puisque les Lois ne défendent les Spectacles qu'aux jours des Fêtes solennelles ; c'est détruire les Lois, que de les vouloir défendre aux autres jours. « Quoi donc, disaient-ils, détruirons-nous toutes les Lois, qui ont approuvé le spectacles ? » Voilà l'objection des Libertins, et des Païens, qui est aussi le raisonnement de l'Auteur de la Dissertation. Mais voici la réponse de S. Chrysostome, qui est le sentiment des véritables Chrétiens. « Au contraire, dit ce grand Prélat, en détruisant les jeux du Théâtre, vous ne détruirez pas les Lois ; mais vous détruirez l'iniquité, et vous étoufferez toute la peste de la ville. » Enfin, comme l'Auteur de la Dissertation semble ignorer la raison pour laquelle les Empereurs Chrétiens ont fait ces Lois que nous avons rapportées ci-dessus, et combien sous leur Règne on estimait que les Spectacles étaient indignes des Chrétiens ; il est nécessaire qu'il l'apprenne de S. Isidore, Prêtre de Damiette. « Encore que les Spectacles, dit-il, fussent pleins d'infamie et d'iniquité, néanmoins les Empereurs les considéraient comme un moyen propre à empêcher les conspirations, et les séditions ; et ils les ont soufferts comme un moindre dérèglement ; rachetant par un mal qui leur semblait de moindre importance, le repos, et la sûreté publique qui sont des biens très considérables. Mais il ne fallait point que les jeunes gens qu'on élève dans la vertu, ni même les hommes qui ont soin du salut de leur âme, assistassent à ces Spectacles. Aussi n'y vont-ils plus, et ceux qui rejettent ce pernicieux divertissement sont estimés les plus vertueux, principalement depuis qu'en cette Ville tout le monde jusques au menu peuple rentrant dans le bon sens, a embrassé sérieusement la Philosophie Chrétienne. On a donc fermé les Théâtres, et s'il y en a encore d'ouverts, personne n'y va.… Le métier ou plutôt le dérèglement des infâmes Acteurs de ces jeux est aboli, et trois grands biens en sont arrivés, le salut des âmes, le bon gouvernement de l'Etat, et la sûreté de ceux qui commandent. » Dissertation pag. 99. et 100. « Sidonius Apollinaris Evêque en France décrit les jeux du Cirque qui furent donnés de son temps, et ne trouve point étrange que les Chrétiens en prissent les plaisirs, parce qu'ils n'avaient plus rien de leurs vieilles impiétés. » VIII. Réfutation. Je ne sais si dans cet exemple que rapporte l'Auteur de la Dissertation, il n'a point eu dessein de tromper le monde ; ou s'il ne s'est point trompé lui-même le premier. Car lorsqu'il dit « que Sidonius Apollinaris Evêque en France décrit les jeux du Cirque qui furent donnés de son temps » ; il semble qu'il veuille faire croire que Sidonius ait fait cette description étant Evêque, et qu'elle se trouve dans quelqu'un de ses ouvrages sérieux ; mais pourtant il est certain qu'elle ne se trouve que dans une pièce de poésie qu'il fit en sa jeunesse, étant encore laïque, et dans les dignités du siècle. Et quand ensuite l' Auteur de la Dissertation ajoute, que « Sidonius ne trouve point étrange que les Chrétiens en prissent les plaisirs, parce qu'ils n'avaient plus rien de leurs vieilles impiétés » ; Il est visible qu'il prend plaisir à s'abuser lui-même : Car si cela était vrai, il s'en suivrait que Sidonius n'aurait pas aussi trouvé étrange que les Chrétiens prissent leurs plaisirs des spectacles honteux, et infâmes des Mimes, des Pantomimes, et des Histrions, car il en fait aussi la description au même endroit : il s'ensuivrait encore qu'il n'aurait pas trouvé étrange que les Chrétiens prissent plaisir à voir adorer Bacchus, Cérès, Palès, et Minerve dans Narbonne, puisqu'il dit au même endroit que c'est « avec raison que la ville de Narbonne adore ces fausses divinités ». Mais l'Auteur de la Dissertation devait reconnaître que tout ce que dit Sidonius dans cette pièce, n'est qu'un jeu de Poète qu'il fit dans sa jeunesse longtemps devant qu'il eût aucun ordre dans l'Eglise. Je ne vois donc pas comment l'Auteur de la Dissertation a pu tirer de là une conséquence aussi fausse que celle qu'il en a tirée sans aucun fondement : Car il ne devait pas ignorer que Sidonius Apollinaris étant Evêque a improuvé cette poésie, et toutes les autres semblables qu'il avait composées dans sa jeunesse. « Je ne saurais, dit-il, me souvenir de tout ce que j'ai écrit autrefois dans la première chaleur de ma jeunesse ; Plût à Dieu que la plupart de ces écrits puissent être supprimés et ensevelis dans l'oubli. Car plus je m'avance dans l'âge, et m'approche de la fin de mes jours ; plus je rougis de me souvenir des jeux et des légèretés de ma jeunesse : l'horreur que j'en ai, fait que je ne m'occupe plus qu'à écrire des lettres, de peur que m'étant rendu coupable par le libertinage de mes vers, je ne le devienne encore par mes actions. Et afin qu'il ne semble pas que j'affecte la galanterie, je me servirai des figures et des ornements de l'art, en sorte qu'il n'y ait rien dans mes vers qui puisse blesser la gravité que doit garder un Ecclésiastique. » Dissertation pag. 100. « Au sacre de Baudouin, Empereur d'Orient, et depuis au mariage de son frère Henry avec Agnès de Montferrat, on renouvela dans Constantinople tous les spectacles des anciens, ceux du Cirque, de l'Hippodrome, et du Théâtre. » IX. Réfutation. Pour faire voir la fausseté de la conséquence que l'Auteur de la Dissertation prétend tirer de cet exemple, de même que des précédents ; Je n'ai qu'à lui opposer ce que fit au contraire le Roi Philippe Auguste Dieu donné aussitôt après son Sacre, et peu de temps avant que Baudouin Comte de Flandres fut élu Empereur d'Orient. Car au lieu que selon l'Auteur de la Dissertation, Baudouin à son Sacre renouvela dans Constantinople tous les Spectacles des Anciens, ceux du Cirque, de l'Hippodrome, et du Théâtre ; le Roi Philippe Auguste par un Edit exprès chassa tous les Bateleurs hors du Royaume de France. « Le Roi Philippe Auguste, dit du Pleix, consacra les prémices de sa Royauté à la gloire de Dieu ; car soudain après son Couronnement, il bannit de sa Cour les joueurs d'instruments, les Bateleurs, Comédiens et Farceurs, comme gens qui ne servent qu'à efféminer les hommes, et les exciter à la volupté, par mouvement, discours, et actions sales, et lascives. » Je demande à l'Auteur de la Dissertation laquelle de ces deux actions est digne du Christianisme ? Il n'oserait nier que ce ne soit celle du Roi de France ; puisque elle est autant conforme aux règles et aux maximes de l'Evangile, aux décrets des Conciles, et à la doctrine des Pères de l'Eglise, que l'action de Baudouin leur est contraire. Car environ le même temps que cet Empereur renouvela tous les Spectacles des Anciens, le Concile 3. de Latran sous Alexandre III. renouvela la condamnation des Spectacles des Tournois, qui est insérée dans les Décrétales en ces termes… « Suivant les traces de nos prédécesseurs Innocent et Eugène, d'heureuse mémoire, nous défendons ces détestables assemblées qu'on appelle ordinairement des Tournois, où des gens armés ont accoutumé de s'assembler, et de combattre les uns contre les autres, pour faire paraître leur force, et leur audace ; de sorte qu'il y en a souvent de tués, et qui exposent leurs âmes à un grand danger. Si quelqu'un de ces gens-là y est tué, encore qu'on ne lui refuse pas la pénitence lorsqu'il l'a demandée ; néanmoins qu'il soit privé de la Sépulture Ecclésiastique. » D'ailleurs en ce même temps-là, Saint Bernard ne représentait-il pas aux Chrétiens combien tous les Spectacles généralement étaient indignes de notre Religion ? « Quant à la vue des spectacles vains, dit-il, que sert-elle au corps, ou quel bien apporte-t-elle à l'âme.… Certes ce n'est pas tant une folie, qu'une infidélité d'aimer des choses si basses, ou plutôt des choses de néant ; et d'estimer si peu cette gloire que nul œil n'a vue, que nulle oreille n'a ouïe, que nul esprit humain n'a imaginée ; Ces biens et ces trésors que Dieu a préparés pour ceux qui l'aiment. » Jean de Salisbury Evêque de Chartres, qui vivait au même temps, ne condamnait-il pas aussi les Spectacles, quand il disait : « Notre Siècle s'attachant à des fables, et à de vains amusements, ne prostitue pas seulement les oreilles, et le cœur à la vanité ; mais il flatte aussi son oisiveté par les plaisirs des yeux et des oreilles ; et il allume le feu de l'impureté, cherchant de toutes parts ce qui est propre à entretenir les vices.… Il faut fuir l'oisiveté comme une dangereuse Sirène ; et cependant les Comédiens nous y attirent. L'ennui se glisse aisément dans un esprit vide, qui ne se peut supporter lui-même, s'il n'a quelque volupté pour se divertir : C'est pour cela que l'on a introduit les Spectacles, et tous ces appareils de la vanité, où s'occupent ceux qui ne peuvent vivre sans quelque amusement ; Mais c'est un dérèglement pernicieux : car l'oisiveté leur serait encore plus avantageuse qu'une si honteuse occupation. » Que si nous considérons la circonstance du temps ; nous verrons combien les Spectacles que Baudouin renouvela dans Constantinople, étaient encore pour cette raison plus opposés à la piété Chrétienne. Cette Ville capitale de l'Empire venait d'être prise et saccagée ; il avait ensuite été élu Empereur : Ne devait-il pas attirer sur lui les bénédictions de Dieu par des prières solennelles, et non pas l'irriter par des Spectacles qui offensent sa Divine Majesté ? N'était-ce pas profaner son Sacre ? « Quelle prodigieuse folie », disait autrefois Salvien, comme nous l'avons déjà représenté.. « Quoi s'il nous arrive quelque bon succès ; si nous remportons des victoires sur nos ennemis, si Jésus-Christ nous comble de ses faveurs ; nous lui offrons les jeux du Cirque et du Théâtre. » Si l'on veut dire que Baudouin voulait par ces Spectacles gagner le cœur du peuple de Constantinople ; Cette action ne serait pas pour cela moins indigne du Christianisme, et l'on pourrait dire au peuple de Constantinople ce que disait autrefois le même Salvien aux habitants de Trèves, qui après la prise et la ruine de leur Ville demandaient aux Empereurs la liberté de faire des jeux publics. « Qui peut comprendre l'excès de cette folie ? Quelques-uns de la Noblesse qui sont échappés, ont demandé aux Empereurs les jeux du Cirque, comme un extrême soulagement de leur ville ruinée. Que n'ai-je assez d'éloquence pour exprimer, comme il faut, l'indignité de cette action ? Que n'ai-je autant de force pour pousser mes plaintes, que j'ai de douleur d'une chose si déplorable ? Je ne sais par où je dois commencer, les accuserai-je d'impiété, ou d'extravagance ; de dissolution, ou de folie ? car ils sont coupables de toutes ces choses. Qu'y a-t-il de plus impie et de plus contraire à la Religion, que de demander des choses qui sont injurieuses à Dieu ? Quelle plus grande extravagance, que de ne pas considérer ce qu'on demande ? Qu'y a-t-il de plus dissolu, que désirer des réjouissances déréglées dans le deuil, et dans la tristesse ? Quelle plus grande folie que d'être accablé de maux, et de ne le pas connaître ? Toutefois la moins blâmable de toutes ces choses c'est la folie ; parce que l'on ne pèche point volontairement lorsqu'on pèche par folie : C'est pourquoi ceux dont nous parlons sont d'autant plus blâmables, qu'ils font des folies de sens rassis. Vous désirez, donc, peuple de Trêves, les jeux du Cirque ; vous les demandez venant d'être vaincus et saccagés après les pertes que vous avez souffertes ; après tant de sang répandu, après tant de supplices ; après les malheurs de la captivité ; après la désolation et la ruine de votre Ville. Qu'y a-t-il de plus lamentable que cette folie ? J'avoue que je vous ai cru bien malheureux d'avoir souffert tant de maux ; mais je vous estime encore plus misérables de demander des spectacles, etc. Je ne m'étonne plus des malheurs qui vous sont arrivés. Votre ville a été trois fois saccagé, et vous ne vous en êtes pas corrigés ; c'est pour cela que vous avez mérité de périr pour la quatrième fois. » Il ne faut donc pas s'étonner aussi que le Règne de Baudouin ait été si court et si malheureux ; puisqu'il avait attiré sur lui l'indignation de Dieu, en profanant son Sacre par des spectacles qui sont injurieux à sa Divine Majesté. Et au contraire le Règne de Philippe Auguste fut d'une longue et heureuse durée parce qu'il avait attiré sur lui les bénédictions du Ciel, en sanctifiant son Sacre par l'abolition des spectacles du Théâtre. Quant à ce que l'Auteur de la Dissertation ajoute que depuis « au mariage d'Henri frère de Baudouin avec Agnès de Montferrat on renouvela dans Constantinople tous les Spectacles des Anciens » ; Comment peut-il inférer de là que tous les Spectacles étaient donc dignes des Chrétiens en ce temps-là ? Car encore que les sacrifices et les superstitions des Païens en eussent été retranchés ; n'étaient-ils pas toujours des restes de l'ancienne superstition ? N'étaient-ils pas si pleins d'impuretés, que Philippe Auguste en ce même temps se crut obligé en conscience de les abolir, en bannissant leurs Acteurs ? De sorte que bien loin de pouvoir inférer que ces spectacles étaient dignes du Christianisme ; parce que des Princes Chrétiens les avaient renouvelés aux solennités même de leur mariage ; on en doit inférer au contraire, selon les maximes de notre Religion ; que ces Princes avaient commis un grand péché, en profanant la sainteté du Sacrement par la représentation de ces spectacles : Car, comme dit Saint Chrysostome, « Ceux qui les font représenter, profanant la sainteté du mariage, déshonorent devant tout le monde ce grand Sacrement, et se rendent même plus coupables que ceux qui les représentent. » Voilà tout ce qu'a rapporté l'Auteur de la Dissertation pour tâcher de prouver sa proposition : « Que l'Empereur Constantin retrancha des spectacles toute la superstition, et toute la révérence des Idoles afin qu'ils fussent dignes des Chrétiens ; et qu'ils furent conservés ainsi jusqu'au règne des Comnènes. » Mais ces réfutations font assez voir combien cette proposition, et les preuves qu'il a employées pour l'établir, sont fausses ; de sorte qu'il n'est point nécessaire d'y rien ajouter davantage. Néanmoins comme on peut trouver quelque chose à redire sur ce que cet Auteur, au lieu de continuer ses preuves prétendues depuis le temps de Sidonius Apollinaris, jusqu'au règne des Comnènes, c'est à dire depuis l'an 482. jusques en 1204. a passé sous silence six siècles entiers ; J'ai cru qu'il était à propos de montrer par des preuves tirées de tous les siècles qu'il a omis, que les Spectacles en ces temps-là n'étaient point exempts de superstition, et que l'Eglise les condamnait comme étant opposés à l'esprit du Christianisme. Dans le sixième siècle nous trouvons un rescrit de Théodoric Roi d'Italie, et des Goths, par lequel il déclare que les spectacles sont des folies, et des ouvrages de la superstition opposés aux bonnes mœurs. « C'est avec raison, dit ce Roi, qu'on croit que le spectacle du Cirque est consacré à une grande superstition ; puisqu'il est certain que par là on détruit les bonnes mœurs. Nous entretenons les Spectacles par nécessité, nous laissant aller à l'importunité des peuples qui les désirent pour se divertir, au lieu d'appliquer leur esprit à des choses sérieuses. Car il y a peu de personnes qui se conduisent par la raison ; et ceux qui se plaisent à suivre ce qui est digne d'approbation, sont bien rares : La multitude se porte plutôt aux choses qui ont été inventées pour le divertissement ; car elle estime que tout ce qui lui paraît agréable, fait partie de la félicité de la vie. C'est pourquoi faisons par libéralité la dépense de ces jeux, quoique nous ne la fassions pas toujours par raison. Il faut quelquefois s'accommoder aux folies du peuple, afin de ne le pas priver tout à fait des plaisirs pour lesquels il a tant de passion. » Ce rescrit détruit entièrement la fausse conséquence que l'Auteur de la Dissertation prétend tirer des Lois qu'il a alléguées ci-dessus ; disant que les Princes Chrétiens ont donné des spectacles aux peuples, et que par conséquent ils les ont approuvés, et rendus dignes des Chrétiens. Car au contraire le Roi Théodoric déclare dans ce rescrit, que bien loin d'approuver les spectacles, il ne les regarde que comme des folies et des choses qui détruisent les bonnes mœurs ; et qu'il ne les souffre que par la nécessite que lui imposait l'importunité des peuples. Dans le septième siècle, S. Isidore Archevêque de Séville, ne renverse pas moins le faux raisonnement de l'Auteur de la Dissertation. « Un Chrétien, dit-il, ne doit avoir aucun commerce avec les folies du Cirque, avec l'impudicité du Théâtre, avec les cruautés de l'Amphithéâtre, avec la barbarie des Gladiateurs, avec l'infamie des jeux de Flore. C'est renoncer à Dieu, que de s'amuser à ces vanités. C'est se rendre prévaricateur de la foi Chrétienne que de rechercher après le Baptême les choses auxquelles on a renoncé en le recevant, c'est-à-dire, le Diable, ses pompes, et ses œuvres. » Voyez dans le Traité de Monseigneur le Prince de Conti, comme dans le huitième siècle S. Jean Damascène dit que le Théâtre est l'école publique de l'impureté, où l'on ne voit que les pompes du diable, où l'on n'entend que la voix du démon. Voyez comme dans le neuvième siècle le troisième Concile de Châlons défend non seulement aux Prêtres, mais aussi à tous les fidèles, les spectacles du Théâtre, et les autres jeux infâmes. Voyez comme dans le onzième siècle Olympiodore représente aux Chrétiens de prendre garde que les pieds dont ils se servent pour aller au Temple de Dieu, ne soient point employés pour aller aux jeux du Théâtre, et aux Spectacles qui déplaisent à Dieu. Enfin voyez comme dans le douzième siècle Zonare expliquant le 51. Canon du 6. Concile in Trullo, dit que selon les règles de la Discipline Évangélique ce Canon défend et interdit aux Chrétiens, sous peine d'excommunication, tous les spectacles qui relâchent l'esprit, et dissipent son attention par un divertissement inutile, qui cause les ris dissolus, et les réjouissances déréglées ; parce que en effet les Chrétiens se doivent conduire vertueusement, et sans reproche, pour répondre à la sainteté de la Religion dont ils font profession. En voilà, ce me semble, assez pour faire connaître à l'Auteur de la Dissertation, que depuis le règne de l'Empereur Constantin jusqu'à celui des Comnènes, l'Eglise a toujours condamné les Spectacles comme étant indignes des Chrétiens. Dissertation pag. 100. 101. etc. 102. « Et sans rechercher des exemples de plus loin, on sait que dans les derniers temps les Spectacles étaient en si bonne estime, et si fréquentés, qu'il y avait deux places d'honneur dans le Théâtre, l'une à la main droite pour le Pape, et l'autre à la main gauche pour l'Empereur : et que les Vénitiens ayant fait l'accommodement d'Alexandre III. et de Frédéric II. reçurent du Pape plusieurs privilèges en reconnaissance de la retraite qu'ils lui avaient donnée, et de la pacification des affaires d'Italie. Et entre autres, le droit d'avoir la troisième place pour le Duc au Théâtre du Pape. « Il ne faut donc plus employer contre le Théâtre de notre temps ces grandes paroles de zèle, et de foudre que les anciens Pères de l'Eglise ont autrefois prononcées : et l'on ne doit point condamner un divertissement que les Papes, et les Princes Chrétiens ont approuvé depuis qu'il a perdu les caractères de l'impiété qui le rendaient abominable. » X. Réfutation. Voici une plaisante illusion. Il fallait que l'Auteur de la Dissertation eût la tête bien pleine des idées des Spectacles, lorsqu'en lisant ces paroles qu'il a rapportées de Baronius, il s'est imaginé que par ce mot de Théâtre Baronius et les Historiens dont il s'est servi, ont entendu le lieu où l'on représente les Comédies. C'est justement comme si en lisant l'Histoire de Louis XIII. écrite par Jean Baptiste Mathieu, où cet Historien parlant des cérémonies du mariage du Roi avec l'Infante d'Espagne, et de Madame sa Sœur avec le Prince d'Espagne, dit « qu'on avait élevé au milieu du Cœur de l'Eglise un Théâtre, sur lequel Madame monta, et fut assise en une chaire de velours incarnat, entre le Roi et la Reine, dont les chaires étaient de velours violet, parsemé de fleurs de lis, etc. ». C'est, dis-je, comme si en lisant ces paroles, l'Auteur de la Dissertation s'était imaginé qu'on avait élevé un Théâtre au milieu du Chœur de l'Eglise, pour y représenter une Comédie. Car dans ce que rapporte Baronius, le mot de Théâtre ne signifie autre chose que ce qu'il signifie dans l'histoire de Mathieu ; et afin qu'il n'en puisse douter, je vais rapporter ici ce qu'en disent les Historiens d'Italie, qui n'ignoraient pas les privilèges que le Pape Alexandre III. avait donnés au Duc, et à la République de Venise. « Peu après, dit Bardi, le Pape Alexandre III. étant entré dans la Ville de Rome, et ayant confirmé de nouveau au Duc, et à la République de Venise les prééminences qu'il leur avait accordées par des privilèges très amples, il y ajouta encore celle-ci que le Duc et ses successeurs auraient droit d'avoir en la chapelle du Pape, de même que l'Empereur, un siège avec un coussinet de drap d'or. » Nous voyons par là, que Baronius disant que le Pape donna au Duc de Venise le droit d'avoir la troisième place au Théâtre du Pape, n'entend autre chose sinon que le Pape donna au Duc de Venise le droit d'avoir la troisième place en la Chapelle du Pape. Nicole Sens, et Nicole Manerbi de l'ordre de Camaldoli, son traducteur, confirment ce que nous venons de dire, dans la vie de S. Ubald en ces termes. « L'Empereur Fréderic étant réconcilié avec le Pape Alexandre III. et avec le Duc de Venise Sébastien Ziani, le Pape donna à ce Duc, et à ses successeurs de grands Privilèges ; à savoir de sceller en Plomb ; de tenir un Cierge à la main lorsqu'on lirait l'Evangile, et qu'on chanterait le Magnificat ; et le droit d'avoir un dais : il lui donna encore six trompettes d'argent : un siège avec le coussinet ; une épée, et neuf étendards: il accorda aussi indulgence perpétuelle à tous les fidèles Chrétiens, qui étant purifiés par la confession avec un cœur contrit, visiteraient l'Eglise de S. Marc, depuis les vêpres de la veille de l'Ascension, jusques aux vêpres du jour, en mémoire, et en reconnaissance d'un si grand bienfait », que le Pape avait reçu des Vénitiens au jour de l'Ascension, lorsqu'ils défirent l'armée navale qu'Othon fils de Frédéric conduisait contre le Pape, et qu'ils le prirent. Nous lisons aussi dans un ancien Commentaire Italien sur Dante, que le Pape Alexandre III. donna à Ancône au Duc de Venise le droit d'avoir un siège dans les solennités : et il lui confirma ce droit étant entré dans Rome, comme nous l'avons montré ci-dessus. « Le Pape, dit cet Auteur, l'Empereur et le Duc de Venise arrivant tous ensemble à Ancône, les habitants vinrent au-devant du Pape, et de l'Empereur, portant deux Sièges et deux Dais ; l'un pour le Pape, et l'autre pour l'Empereur. Aussitôt le Pape commanda qu'on apportât un autre Siège et un autre Dais pour le Duc ; et en les lui présentant il lui dit : Je vous donne ce Siège et ce Dais, afin que vous et vos Successeurs ayez droit d'en user dans les solennités. Et depuis le Pape étant arrivé à Rome, les Romains vinrent au-devant de lui avec huit Trompettes, et huit Etendards de diverses couleurs : A même temps sa Sainteté présenta ces Trompettes et ces Etendards au Duc, et lui dit ; Que lui et ses Successeurs les portassent toujours dans les solennités. » Un homme d'étude « qui a joint la Science du beau monde aux veilles du Cabinet, comme l'Auteur de la Dissertation le dit lui-même dans l'avis au Lecteur, et qui déclare qu'on ne doit point s'étonner qu'il mêle, quand il lui plaît, les grâces aux Muses, et qu'il imprime partout le caractère de diverses choses dont il a rempli son esprit, » devait prendre garde de ne pas imprimer en cet endroit le caractère d'une illusion aussi extravagante qu'est celle de s'être imaginé qu'un Pape si pieux, et si éclairé, ait eu tant d'estime, et de passion pour les Spectacles, que venant de recevoir de Dieu de si grandes marques de son assistance, et de si grands services du Duc de Venise, il ait cru ne pouvoir rendre de plus dignes actions de grâces à sa divine Majesté qu'en autorisant le Théâtre ; ni mieux reconnaître l'extrême obligation qu'il avait au Duc de Venise qu'en lui donnant la troisième place à la Comédie. Y a-t-il rien de plus injurieux à la sainteté du Souverain Pontife ? En quel endroit l'Auteur de la Dissertation a-t-il trouve qu'il y ait jamais eu à Rome un Théâtre pour la Comédie, et pour des Spectacles, où il y eût une place pour le Pape, et une autre pour l'Empereur ? Où a-t-il trouvé qu'il y eût à Rome un Théâtre qui fût appelé le Théâtre du Pape ? Il n'a formé cette pensée que sur les paroles qu'il vient d'alléguer de Baronius sans les entendre : et sans considérer qu'Alexandre troisième ayant défendu les Spectacles même des Tournois sous peine d'être privé de la sépulture Ecclésiastique, comme nous l'avons montré ci-dessus dans la IX. Réfutation de ce IV. Chapitre ; il n'y avait point d'apparence de le pouvoir rendre approbateur des Spectacles ? Mais il ne s'arrête pas là, il passe plus avant ; il ne fait nulle difficulté de dire généralement que les Papes ont approuvé les Spectacles. « Il ne faut donc plus, dit-il, employer contre le Théâtre de notre temps ces grandes paroles de zèle, et de foudre que les Anciens Pères de l'Eglise ont autrefois prononcées ; et l'on ne doit pas condamner un divertissement que les Papes et les Princes Chrétiens ont approuvé depuis qu'il a perdu les caractères de l'impiété qui le rendaient abominable. » Comme tout ce discours n'est fondé que sur l'illusion de l'équivoque du mot de Théâtre ; Cette équivoque étant tout à fait levée, il se détruit de lui-même. Il faut néanmoins ajouter ici que l'Auteur de la Dissertation se trompe d'ordinaire dans ses citations, car rapportant l'histoire dont je viens de parler, il cite Baronius : Or il est certain que Baronius la réfute telle qu'elle est rapportée dans la Dissertation, comme étant fabuleuse. « Cette célèbre histoire, dit-il, est rendue méprisable par les fables ridicules qu'on y a insérées. » Je ne m'étonne pas de cet égarement de l'Auteur de la Dissertation ; parce qu'il nous avertit dans l'Avis au lecteur, « qu'on ne doit pas s'étonner qu'il imprime partout le caractère des diverses choses, dont il a rempli son esprit ». En effet la multitude de diverses choses dont on a l'esprit rempli, fait naître souvent le désordre et la confusion. Avant que de finir cette réfutation il faut que je l'éclaircisse sur la conduite des Papes touchant les spectacles ; ou plutôt ce sera de la bouche même des Papes qu'il pourra en être instruit. Le Pape Gélase écrivant contre le Sénateur Andromaque, et contre les autres Romains, qui s'opposaient à l'abolition des Spectacles des Lupercales : « Si tant de vains spectacles, dit-il, qui avaient été en usage auparavant durant plusieurs Siècles, ont été justement abolis ; pourquoi n'en pourra-t-on pas abolir un qui reste, quelque temps qu'il y ait qu'on en use. Si vous alléguez la prescription ; blâmez vos Ancêtres, qui ne s'en étant point servis ont jugé que la plus grande, et la plus considérable partie de ces vanités ayant été ôtée, le reste pouvait, et devait aussi être ôté. Mais cela s'est observé, dites-vous, dans le temps du Christianisme, aussi bien que les autres superstitions Païennes. Est-ce donc, qu'à cause que ces choses-là n'ont point été abolies sous les premiers Prélats de la Religion Chrétienne ; elles n'ont pas dû l'être sous leurs successeurs ? Chacun d'eux en divers temps a aboli ce qu'il a pu de ces choses pernicieuses, et infâmes. Car les Médecins n'ôtent pas tout d'un coup toutes les maladies d'un corps ; mais ils remédient d'abord au mal qu'ils voient être le plus dangereux et le plus pressant ; soit qu'ils craignent que le corps, n'ait pas assez de forces pour supporter les remèdes ; soit que l'infirmité de la nature ne leur permette pas d'en détourner tous les maux en même temps. Considérez quelle est la chose dont il s'agit : Si elle est bonne, si elle est de Dieu, si elle est salutaire ; il est constant qu'elle n'a jamais dû être ôtée ; si elle n'est point salutaire, si elle n'est point de Dieu ; vous avez plutôt sujet de vous plaindre qu'on ait tardé à ôter ce qui n'est que superstition, que vanité, et qui certainement ne convient point à la profession du Christianisme. Quant à ce qui me regarde ; qu'aucun Chrétien ne pratique ces choses : Comme elles sont des cérémonies du Paganisme, que les seuls Païens les observent. Il est de mon devoir de représenter aux Chrétiens que telles choses sont sans doute pernicieuses, et funestes. Pourquoi me blâmez-vous, si je représente à ceux qui font profession avec moi de la Religion Chrétienne, qu'ils doivent abolir ce qui est opposé au nom qu'ils portent ? Certes j'en déchargerai ma conscience ; C'est à eux à y penser, s'ils négligent de suivre mes avertissements. Je ne doute point que mes prédécesseurs n'aient fait la même chose, et qu'ils n'aient tâché par leurs remontrances d'obtenir des Empereurs l'abolition de ces Spectacles : Et comme il paraît qu'ils n'ont pas obtenu ce qu'ils demandaient, puisque ces maux et ces dérèglements continuent encore aujourd'hui ; c'est pour cela que l'Empire est tombé dans la désolation ; c'est pour cela que le nom des Romains, pour n'avoir pas aboli les spectacles des Lupercales, est presque entièrement effacé. Je suis donc d'avis qu'on les doit abolir, et comme je reconnais qu'ils n'ont jamais été utiles ; Je déclare même qu'ils sont pernicieux, et opposés à la véritable Religion. Enfin si vous m'alléguez la prescription à cause qu'ils ont été célébrés sous mes prédécesseurs. Je vous dis que chacun rendra compte de son administration, comme vous voyez qu'on le fait dans les charges publiques. Je n'ose pas accuser mes prédécesseurs de négligence : parce que je crois plutôt qu'ils ont peut-être tâché de faire abolir entièrement ces spectacles, mais qu'il y a eu des causes, et des volontés contraires qui ont empêché le succès de leurs desseins ; comme en effet vous savez bien qu'il y a même maintenant des personnes, qui ne cessent point de faire sans raison tous leurs efforts pour en empêcher l'abolition. » Voilà donc quelle est la conduite des Papes touchant l'abolition des Spectacles, et comme elle nous est même représentée par un Saint Pape, dont les solides raisons détruisent de fond en comble tous les faux raisonnements de l'Auteur de la Dissertation, qui sont les mêmes qu'étaient autrefois ceux des personnes qui favorisaient les restes de la superstition Païenne. Car ils disaient, comme fait l'Auteur de la Dissertation, « Ces spectacles ont été célébrés sous des Empereurs Chrétiens ; ils ont été célébrés sous les Papes ; ils sont donc dignes des Chrétiens, il ne faut point les abolir. » Mais que leur répond le Pape S. Gélase ? Il dit qu'il n'y a point de prescription qui autorise le mal : que si des Empereurs, ou des Papes ont toléré les spectacles ; c'est qu'ils ne les pouvaient pas empêcher : mais que leurs Successeurs doivent faire tous leurs efforts pour les abolir ; chacun étant obligé de rendre compte de son administration : et c'est aussi ce que nous opposons aux objections semblables de l'Auteur de la Dissertation. Telle est encore aujourd'hui la conduite des Papes : si l'on voit des Spectacles dans Rome, c'est que l'attachement que les peuples ont à leurs plaisirs, et la dureté de leur cœur contraignent les Papes de les tolérer malgré eux, afin d'empêcher de plus grands maux ; et tout ce qu'ils ont pu faire, c'est de les défendre les jours de Fêtes, et les Vendredis ; comme la Lettre que l'Evêque d'Anagni écrivit au Pape Paul V. le 18. May 1600. nous l'apprend en ces termes. « Puisqu'il a plu à Votre Sainteté que je ne fusse pas seulement chargé de veiller à mon propre salut, mais encore de coopérer à celui des autres, pour remédier aux désordres, et aux excès par lesquels Dieu était offensé dans mon Diocèse ; J'ai ordonné dans l'assemblée Synodale qu'on célèbrerait à l'avenir les jours de Dimanches, et les Fêtes avec la révérence et la dévotion convenable : et pour cela j'ai défendu en ces mêmes jours les danses et toutes sortes de débauches ; la lutte et tous les Spectacles du Théâtre, comme une profanation manifeste : J'ai menacé les contrevenants des censures Ecclésiastiques. « Et mon dessein aurait heureusement réussi pour la gloire de Dieu, et pour le bien des âmes, n'eût été l'exemple d'une permission, qu'on dit avoir été accordée à la ville d'Alatre, voisine de mon Diocèse, contre une ordonnance semblable à la mienne ; et comme l'on croit, sans que votre Sainteté en ait eu aucune connaissance : En vertu de laquelle concession néanmoins le peuple de cette Ville croit pouvoir en sûreté de conscience persévérer dans sa mauvaise coutume, de célébrer la fête de Saint Sixte Pape et Martyr, qui est le patron de ce lieu, en dansant, et en assistant à d'autres semblables spectacles. Car encore que ce peuple nonobstant cette licence, qui a été sans doute arrachée de la Cour de Rome, et qui ne leur a été donnée que comme par contrainte, et à cause de la dureté de leur cœur, ne laisse pas d'être coupable devant Dieu ; les fidèles néanmoins, qui sont sous ma charge, et que je dois régler et conduire, s'appuient sur cet exemple : et ils ont pris même cette liberté de déclarer qu'ils auront recours à votre Sainteté pour éviter de faire ce que je ne désire que pour leur salut. « C'est pour cela, très Saint Père, que j'ai cru vous devoir écrire avec confiance ce peu de mots, et vous envoyer en même temps un excellent ouvrage composé par S. Charles Borromée, qui porta Grégoire XIII. prédécesseur de Votre Sainteté ; à qui Saint Charles même le fit voir, à terminer les contestations qui troublaient sur ce sujet la Ville de Milan, par ses Lettres Apostoliques ; et à défendre même dans Rome, comme nous lisons dans la vie de S. Charles, les masques, et toutes sortes des spectacles, les jours de Fêtes et les Vendredis. « Et ce règlement a été si fidèlement observé, que cela seul devrait obliger mon peuple, sans attendre de nouvelles ordonnances, à se régler lui-même sur ce sujet. » Avertissement Sur ces quatre Chapitres 5. 6. 7. et 8. L'Auteur de la Dissertation ayant parlé dans les précédents chapitres des jeux et des spectacles en ce qui regarde l'idolâtrie ; prétend en parler dans les suivants en ce qui concerne les bonnes mœurs. Et son principal dessein est de tâcher à démontrer que « la représentation des Poèmes Dramatiques n'a jamais été condamnée comme contraire aux bonnes mœurs ; mais qu'elle fut toujours exempte de la peine portée par les lois contre les Acteurs des Jeux de la Scène, comme elle n'était pas coupable de pareille turpitude ». Cependant pour prouver cela il a voulu préoccuper l'esprit du Lecteur : car avant que d'en venir aux preuves, il a fait quatre chapitres, le 5, le 6. le 7. et le 8. où il ne traite que de la différence des Acteurs du Théâtre, et de leurs noms ; ce qui est tout à fait inutile, et hors de propos. En effet, si nonobstant toutes ces différences, il est constant que les Lois tant civiles qu'Ecclésiastiques ont condamné les représentations des Poèmes Dramatiques, c'est-à-dire les Comédies et les Tragédies, telles qu'on les représente sur le Théâtre ; il est visible que tout ce qu'il a dit dans la rhapsodie de ces quatre chapitres 5. 6 7. et 8. ne sert à rien, et ne mérite pas qu'on s'y arrête. Car cette distinction des différents Acteurs de Théâtre, ne regarde point la morale, qui ne les distingue que selon la différence de leurs vices, et qui les condamne tous selon qu'ils sont plus ou moins vicieux. Il faut venir au point dont il s'agit ; il faut examiner s'il est vrai que les Lois civiles et Ecclésiastiques, n'aient point condamné les Comédies et les Tragédies qu'on représente sur le Théâtre, comme étant opposées aux bonnes mœurs ; c'est ce que nous allons voir dans les réfutations suivantes. Chapitre IX. Que les acteurs des Poèmes Dramatiques n'étaient point infâmes parmi les Romains, mais seulement les Histrions, ou Bateleurs. I. Réfutation. L'Auteur de la Dissertation n'ignorait pas que les Comédiens sont compris sous le nom d'Histrions ; mais comme cela ruinait le dessein qu'il avait de justifier la Comédie, il a eu recours à l'artifice. Il a cru qu'en faisant voir que la fonction des Histrions était distincte de celle des Acteurs des Poèmes Dramatiques, et qu'employant pour cet effet quatre chapitres qui font le tiers de son livre, il préoccuperait tellement l'esprit du lecteur, que lorsqu'il verrait que les lois civiles, et Ecclésiastiques, et les Pères mêmes de l'Eglise déclarent les Histrions infâmes, il ne croirait pas que cela regardât les Comédiens. Certainement cet artifice est fort grossier : car, pour me servir de ses propres exemples, comme la Tragédie, quoiqu'elle soit détachée de la Comédie, ne laisse pas d'être comprise sous le nom de Comédie, selon qu'il en demeure d'accord : de même bien que des Histrions soient distingués des Comédiens ; cela n'empêche pas que les Comédiens ne soient compris sous le nom d'Histrions. C'est pourquoi, si je lui montre que les Romains ont compris les Comédiens sous le nom d'Histrions, il s'ensuit par conséquent que les Romains en condamnant absolument et sans distinction les Histrions, ont aussi condamné les Comédiens ; qu'ainsi le titre qu'il a mis à la tête de ce Chapitre, est entièrement détruit, et que tout ce qu'il a dit dans les quatre chapitres précédents, est inutile. Or il n'y a rien de plus facile que de lui montrer que les Romains ont compris les Comédiens sous le nom d'Histrions, et qu'ils ont donné le nom d'Histrions aux Comédiens. Y a-t-il rien de plus exprès là-dessus que ces paroles de Cicéron ? « Nous avons vu, dit-il, des Histrions si excellents, qu'il n'y avait rien de plus parfait en leur genre : ils jouaient si bien de très différents personnages, non seulement chacun dans son espèce, c'est-à-dire l'un dans la Comédie, et l'autre dans la Tragédie, qu'ils ravissaient leurs Spectateurs ; mais encore le Comédien était si bon acteur de Tragédie, et le Tragédien de Comédie, qu'ils attiraient l'admiration et l'applaudissement de tout le monde. » En cet endroit Cicéron parle du Comédien Roscius, et d'Esope joueur de Tragédies, qu'il appelle Histrions ; comme fait aussi Macrobe : « personne n'ignore, dit-il, que Cicéron était si bon ami des Histrions Esope, et Roscius, qu'il était leur protecteur dans leurs affaires ». Cicéron en un autre endroit parlant du témoignage d'affection que lui avait rendu le Tragédien Esope, en excitant le peuple sur le Théâtre, à la compassion de son exil, lui donne le nom d'Histrion : « Un Histrion, dit-il, a pleuré tant de fois mon malheur, et l'a représenté avec tant de tristesse, que cette excellente voix était troublée par les larmes qui tombaient de ses yeux. Les Poètes mêmes, dont j'ai toujours chéri l'esprit, ne m'oublièrent pas dans mon infortune, et le peuple Romain approuva leurs plaintes, non seulement par ses applaudissements, mais aussi par ses soupirs. Si le peuple eût été libre, eût-il fallu qu'Esope, ou le Poète Acius parlât pour moi, plutôt que les Grands de la Ville ? » Ainsi S. Augustin donne après Cicéron le nom d'Histrion au Comédien Roscius. « Cicéron, dit-il, louant un certain Histrion nommé Roscius, n'a-t-il pas dit qu'il était si habile dans son art, qu'il n'y avait que lui seul qui fût digne de monter sur le Théâtre ; et que d'ailleurs il était si homme de bien, qu'il n'y avait que lui seul qui n'y dût point monter. » Les Romains ne donnaient pas seulement le nom d'Histrions aux Acteurs des Poèmes Dramatiques ; mais ils leur donnaient encore celui de Scéniques, comme Cicéron nous l'apprend quand il dit : « Que chacun connaisse son esprit, et que sans se flatter il juge lui-même de ses vertus, et de ses vices, afin qu'il ne semble pas qu'il ait moins de prudence, et de jugement que les Scéniques, qui ne choisissent pas toujours les meilleures pièces, mais celles qui leur sont les plus propres, et qu'ils peuvent le mieux représenter : Ceux qui ont meilleure voix, représentent la Tragédie des Epigones, et celle de Mède ; et les autres qui ont l'action meilleure, jouent Ménalippe, et Clytemnestre. Il me souvient à ce propos que Rupilius jouait ordinairement Antiope ; et que Esope ne représentait pas souvent Ajax. Un Histrion aura donc la prudence de ne représenter sur son Théâtre que ce qu'il jugera lui pouvoir être propre ; et un homme sage ne verra pas, en ce qui regarde sa vie, ce qui lui sera le plus convenable ? » Il est donc indubitable que les Romains comprenaient les Acteurs des Poèmes Dramatiques, c'est-à-dire les Comédiens et les Joueurs de Tragédies, sous le nom de Scéniques, et d'Histrions ; comme Aulu-Gelle nous l'apprend encore par ces paroles : « Un jeune homme riche, Disciple du Philosophe Taurus, se plaisait extrêmement avec les Comédiens, les Joueurs de Tragédies, et les Joueurs de flûtes, de libre condition. Taurus voulant retirer ce jeune homme de la compagnie de ces Scéniques, lui envoya ce qu'Aristote avait écrit contre telles gens dans le livre qu'il a intitulé les Problèmes Circulaires ; et lui recommanda de le lire tous les jours. » Et il faut encore remarquer qu'Aulu-Gelle met les Acteurs de Comédies, et de Tragédies, au rang des personnes vicieuses ; tels qu'étaient les Joueurs d'instruments ; comme fait aussi Martial. Et de là il s'ensuit que toute cette longue rhapsodie, touchant la différence des Mimes, des Pantomimes, des Histrions, des Scéniques, des Comédiens, des Joueurs de Tragédies, etc., dont l'Auteur de la Dissertation a fait quatre grands chapitres, ne lui sert de rien, et qu'elle est tout à fait hors de propos ; puisqu'il est constant que les Anciens, et particulièrement les Romains comprenaient les Comédiens, et les Joueurs de Tragédies, sous le nom d'Histrions, et de Scéniques : de sorte que lorsque nous trouvons qu'ils condamnent absolument, et sans distinction, les Scéniques, et les Histrions ; nous ne pouvons pas douter qu'ils n'aient aussi condamné les Comédiens, et les Joueurs de Tragédies. C'est pourquoi, comme il avoue dans le titre de ce chapitre IX. que les Histrions étaient infâmes parmi les Romains, il faut, par conséquent, qu'il reconnaisse que les Comédiens, et les Joueurs de Tragédies l'étaient aussi, puisqu'ils sont compris sous le nom d'Histrions : Et c'est sans raison qu'il prétend le contraire dans ce même titre, ne le pouvant prouver, s'il ne montre, par des preuves convaincantes, que les Romains en condamnant les Histrions aient excepté les Comédiens et les Joueurs de Tragédies ; Ce qu'il n'a pu faire, comme nous l'allons faire voir dans les Réfutations suivantes. Dissertation pag. 187. 188. etc. « Il est certain que la République d'Athènes n'a jamais rien prononcé contre ceux qui représentaient sur la Scène les Comédies, et les Tragédies, ni contre ceux-là mêmes qui dansaient les Mimes les plus ridicules, qui jouaient les farces les moins honnêtes, et qui faisaient les bouffonneries les plus insolentes, qu'elle a toujours considérés comme les suppôts de Bacchus, dévoués à son service, employés à la pompe de ses cérémonies et qualifiés Technites, c'est-à-dire artisans, ouvriers, et ministres de ce faux Dieu : Elle ne rendit jamais les uns ni les autres incapables d'aucunes charges de l'Etat, et ne voulut point les priver des droits les plus honorables de leur bourgeoisie. Néanmoins les personnes illustres de naissance, ou de condition ne les ont pas traités de même sorte ; car les premiers étaient estimés jusqu'à ce point, que Sophocle qui joua lui-même quelques-unes de ses Tragédies, eut le commandement de leurs armées : et les autres furent toujours méprisés, et regardés comme des gens qui tenaient le dernier rang en la société civile. Et ce qui conserva des personnes dignes d'un si grand mépris dans les avantages publics, où les gens d'honneur seulement devaient prétendre, fut à mon avis que la souveraine puissance était entre les mains du peuple et que ces farceurs ou Technites de Bacchus ayant tous leurs intérêts, toutes leurs liaisons, et toutes leurs cabales parmi la plus vile populace, où ils étaient nés, eurent aisément les suffrages, et la protection de leurs semblables, sous prétexte même de Religion, pour jouir avec eux de tous les privilèges de leur République. » II. Réfutation L'Auteur de la Dissertation ne saurait rapporter une vérité sans l'altérer ; car Cicéron dans ses livres de la République dit simplement, selon le témoignage de S. Augustin, que les Comédiens, et les autres Acteurs du Théâtre n'étaient pas mis au rang des infâmes parmi les Grecs ; « parce, dit-il, que les Athéniens ne jugèrent pas convenable, que ces arts, et ces Jeux de la Scène étant agréables à leurs Dieux, ils missent au rang des personnes infâmes, ceux qui en étaient les Acteurs ». Mais l'Auteur de la Dissertation ajoute du sien, « qu'il est certain que la République d'Athènes n'a jamais rien prononcé contre ceux qui représentent sur la Scène les Comédies » ; ce qui est très faux : car Plutarque nous apprend qu'il y avait une loi dans Athènes, par laquelle il était défendu aux Aréopagites de faire des Comédies, comme étant des choses indécentes. « Quant aux Poèmes Dramatiques , dit Plutarque, les Athéniens estimaient que les Comédies étaient des choses si indécentes, et si insupportables, qu'il y avait une loi parmi eux, qui défendait aux Aréopagites de faire des Comédies. » Il n'est donc pas vrai que la République d'Athènes n'ait jamais rien prononcé contre ceux qui représentent sur la Scène les Comédies : puisqu'elle a prononcé par cette Loi dont parle Plutarque, que les Comédies étaient des choses indécentes, et insupportables ; et que par conséquent les Comédiens qui les représentaient, étaient indignes des honneurs de l'Aréopage. Et Aristote n'a-t-il pas enseigné dans Athènes, « que les Législateurs ne doivent point permettre qu'on mène les enfants à la Comédie ? Que les Législateurs, dit-il, ne souffrent point que les enfants aillent aux Comédies, ni aux Tragédies. » Quant à ce que l'Auteur de la Dissertation dit ensuite, que « les premiers, c'est-à-dire les Comédiens, et les joueurs de Tragédies, étaient estimés jusqu'à ce point que Sophocle, qui joua lui-même quelques-unes de ses Tragédies, eut le commandement de leurs armées ; et que les autres , c'est-à-dire les autres Acteurs de la Scène, les Mimes, et les Technites, ou Artisans de Bacchus, furent toujours méprisés, et regardés comme des gens qui tenaient le dernier rang en la Société civile » ; Il fait voir qu'il n'a pas beaucoup de connaissance de ces choses-là ; car lorsqu'il donne cet avantage aux Comédiens, et aux joueurs de Tragédies, d'avoir été estimés jusques à ce point qu'un d'eux fut choisi pour commander les armées des Athéniens, il fait paraître qu'il a ignoré que même les derniers et les plus méprisables Histrions ont été employés dans les plus honorables et les plus importantes Ambassades de la République d'Athènes. En effet Eschine dans sa jeunesse avait été des derniers Histrions, comme Démosthène le lui reproche en ces termes : « Vous serviez ces Histrions qui ne font que soupirer ; vous faisiez le moindre personnage. » Et au même endroit : « Que les Dieux, lui dit-il, et tous ceux qui sont ici présents, te puissent perdre, mauvais citoyen, traître, et le dernier des Histrions. » « Démosthène, dit Suidas, appelle Eschine Histrion du troisième rang ; c'est-à-dire, le moindre, et le plus vil des Histrions. » « Eschine, dit Plutarque, fit le personnage du troisième Acteur dans les Bacchanales sous Aristodème. » Or ces Acteurs des Bacchanales, qu'on appelait des Technites, ou artisans de Bacchus, étaient les plus vils, et les plus vicieux des Histrions, comme Aristote nous l'apprend en ses Problèmes, « Pourquoi, dit-il, ces sortes de gens que nous appelons artisans Dionysiaques, c'est-à-dire artisans des Bacchanales, ont-ils accoutumé d'être la plupart de mauvaise vie ? Est-ce parce qu'ils ne s'appliquent point à l'étude de la Sagesse, et que passant la plus grande partie de leur vie dans ces Arts que la nécessité les contraint d'exercer, ils vivent d'ordinaire dans l'intempérance, et dans la pauvreté, qui sont deux choses qui causent les vices et qui les augmentent ? » Diogène avait raison de dire que les jeux de ces artisans des Bacchanales n'étaient que les objets de l'admiration des fous. Néanmoins Eschine qui avait fait ce métier, ne laissa pas d'être employé par les Athéniens dans des Ambassades très honorables, et très importantes. « Eschines, dit Plutarque, fut employé dans plusieurs Ambassades ; et même il fut envoyé Ambassadeur à Philippe Roi de Macédoine, pour traiter de la paix. » C'est donc sans raison que l'Auteur de la Dissertation dit que les Comédiens, et les joueurs de Tragédies avaient cet avantage dans la République d'Athènes, d'être choisis pour les grands emplois ; et que les autres Acteurs étaient dans le mépris. Mais comment n'a-t-il pas considéré que les Comédiens, et les joueurs de Tragédies en général n'étaient point estimés vertueux parmi les Athéniens, ni parmi les autres Grecs ? S'il eût lu Aulu-Gelle, il l'aurait pu apprendre : Car il met les Comédiens, et les joueurs de Tragédies au rang des personnes vicieuses, aussi bien que tous les autres Acteurs du Théâtre, comme nous l'avons montré dans la réfutation précédente. Et pour faire voir que les personnes illustres, et les Philosophes n'approuvaient pas les Tragédies, et par conséquent n'estimaient pas autant que l'Auteur de la Dissertation se l'imagine, ceux qui les représentaient dans Athènes ; J'en rapporterai ici des exemples, dont j'en ai déjà rapporté quelques-uns en divers endroits des Réfutations précédentes. « Solon, dit Plutarque, alla un jour voir Thespis, qui jouait lui-même ses tragédies, comme c'était la coutume des Anciens, et après que le jeu fut fini, il l'appela et lui demanda, s'il n'avait point de honte de représenter tant de choses fausses en la présence de tant de monde : Thespis lui répondit, qu'il n'y avait point de mal, de faire ni de dire ces choses-là par jeu, et par divertissement. Alors Solon frappant de son bâton contre terre ; “mais nous ne tarderons guères, dit-il, à voir dans nos contrats, et dans le commerce ces mêmes faussetés que nous louons à présent, et que nous approuvons dans nos jeux” ». Diogène Laërce raconte que « Socrate étant allé à une Tragédie d'Euripide ; comme il vit qu'il se moquait de la vertu, disant qu'il était bon de la laisser échapper sans se mettre en peine de la suivre, il se leva, et dit en se retirant de dépit, que c'était une honte de croire qu'un esclave qui s'est dérobé, mérite bien qu'on coure après lui, et qu'on tâche de le trouver ; et de laisser perdre au contraire une chose aussi précieuse qu'est la vertu. » Ces illustres et sages Athéniens regardaient donc les joueurs de Tragédies comme des corrupteurs des bonnes mœurs. Le même Diogène nous apprend que « Platon dans la maturité de son âge ayant composé des Tragédies, comme il allait les réciter sur le Théâtre d'Athènes consacré à Bacchus, il rencontra Socrate, qui le toucha tellement par ses discours, qu'il jeta aussitôt dans le feu les Tragédies qu'il avait faites, disant, “Vulcain viens à mon aide, Platon a besoin de toi !”. » Ce grand Philosophe d'Athènes jugeait donc que les Tragédies et leurs représentations étaient indignes de ceux qui s'appliquent à l'étude de la sagesse. Enfin les plus sages de la Grèce estimaient que les Jeux et les Spectacles étaient pernicieux à la discipline et aux bonnes mœurs ; comme Plutarque l'a très bien remarqué dans la vie de Périclès : Car après avoir dit que plusieurs tenaient que « Périclès fut le premier qui introduisit la coutume dans Athènes de distribuer au peuple des deniers du fonds de la République pour voir les jeux ; il ajoute que cette politique de Périclès fut cause que le menu peuple, qui auparavant vivait dans la tempérance, et gagnait sa vie du travail de ses mains, devint fainéant et dissolu, s'attendant à cette largesse. » Ce grand homme établit dans la vie du même Périclès un excellent principe, qui sert pour montrer combien les Jeux et les Spectacles qui n'ont d'autre fin que le plaisir, et le divertissement, sont indignes des hommes qui se conduisent par la raison. « Comme la couleur, dit-il, qui est propre aux yeux, est celle qui les satisfait par son éclat ; de même les objets convenables à l'entendement sont ceux qui lui plaisent par le bien qu'ils ont en eux : Telles sont les choses vertueuses, qui donnent de l'émulation, et qui portent à les imiter ceux qui les considèrent. Quant aux autres choses, quelque admiration qu'on en ait, l'on n'a pas envie pour cela d'imiter les personnes qui les font ; mais il arrive souvent au contraire, qu'un ouvrage nous plaît, dont nous méprisons l'ouvrier : Comme par exemple les parfums, et les teintures de pourpre nous plaisent ; et toutefois nous tenons les parfumeurs et les teinturiers pour des personnes viles, et méprisables. C'est pour cela qu'Antisthène sur ce qu'un homme lui disait qu'Isménius était un excellent joueur de flûte, fit cette sage réponse ; mais il est vicieux : car s'il était vertueux, il ne serait pas joueur de flûte. » Ainsi, puisque les personnes qui ont le plus d'admiration, et d'estime pour la Comédie ; ne voudraient pas néanmoins devenir Comédiens ; Il s'ensuit selon ce principe de Plutarque, que la Comédie n'est pas une chose vertueuse, et que le métier de Comédien est indigne d'un homme qui se conduit par la raison : de sorte que comme suivant le sentiment d'Aulu-Gelle les Comédiens, et les joueurs de flûtes sont d'une même condition, l'on peut dire d'eux ce qu'Antisthène disait des autres, que s'ils étaient vertueux ils ne feraient pas le métier de Comédiens. Que si nous considérons le jugement que les Lacédémoniens faisaient des Comédiens, et des joueurs de Tragédies, nous trouverons qu'ils ne les distinguaient point des Mimes, ni des autres Acteurs du Théâtre, comme il paraît par ces paroles du Roi Agésilas. « Un Acteur de Tragédies, nommé Callipide, très célèbre parmi les Grecs, et à qui tout le monde déferait beaucoup, la première fois qu'il se présenta pour saluer Agésilas, s'ingéra dans sa compagnie avec impudence, et avec ostentation, espérant qu'Agésilas  lui ferait un bon accueil. Enfin il lui dit ;Votre Majesté ne me connaît-t-elle point, et n'a-t-elle point ouï dire, qui je suis ? Agésilas le regardant, lui répartit : N'êtes-vous point le bouffon, ou le Mime Callipide ? » Aussi la République de Lacédémone ne rejetait pas moins les Comédiens et les joueurs de Tragédies, que les Mimes, et les autres Acteurs du Théâtre. « Les Lacédémoniens, dit Plutarque, ne souffraient point qu'on jouât dans leur Ville des Comédies, ni des Tragédies, pour ne point écouter, non pas même en se jouant, ceux qui représentaient des choses contraires à leurs Lois. » Dissertation. pag. 191. et 192. « Mais parmi les Romains, les Patrices, c'est-à-dire les Nobles qui avaient la plus grande autorité, ne furent pas si favorables à ces Scéniques, Histrions, Farceurs, Bouffons, et Bateleurs que nous avons décrits ; car ils les notèrent d'infamie par les Lois, et les déclarèrent indignes de posséder aucunes charges publiques, de porter les armes sous leurs Généraux, et d'avoir le droit de suffrage aux assemblées de leurs Bourgeois, et nous ne voyons point que le peuple qui les regardait comme les Auteurs de tous leurs plaisirs, ait jamais obtenu, ni seulement demandé leur rétablissement. « Mais dans cette rigueur qu'ils exercèrent contre eux, ils ne comprirent jamais les Atellanes, les Comédiens, ni les Tragédiens : Ceux-ci furent toujours bien estimés et bien reçus des Magistrats les plus puissants, des personnages les plus illustres, et de tous les gens d'honneur : l'excellence de leurs ouvrages, la beauté de leurs représentations, et l'honnêteté de leurs vies, qui les distinguait des autres Acteurs leur fit recevoir un traitement bien dissemblable ; et c'est en quoi presque tous les Ecrivains des derniers siècles se sont abusés. J'ai demandé compte à ma mémoire de tout ce que j'avais lu, j'ai rappelé toutes mes vieilles idées, et j'ai cherché dans tous les livres qui me sont tombés sous la main, et je n'ai rien trouvé qui ne m'ait fait connaître clairement, que les Acteurs du poème Dramatique ont toujours été maintenus dans tous les droits, et les honneurs de la République Romaine ; et que les Scéniques seulement, les Histrions, les Mimes, et les Bateleurs exerçant l'art de bouffonner, ont été marqués de cette infamie, qui fait soulever tant de gens par ignorance, ou par scrupule contre le Théâtre. » III. Réfutation. On peut dire de l'Auteur de la Dissertation ce que disait autrefois un Poète Comique de ceux qui le reprenaient ; « Certes en voulant faire trop les entendus, ils témoignent qu'ils n'y entendent rien. » Il s'agit d'un point fondamental de la question qu'il traite, à savoir si les Romains ont noté d'infamie les Comédiens : Et comme il est contraint d'avouer que presque tous les Ecrivains des derniers siècles ont estimé qu'ils les avaient notés d'infamie ; il soutient qu'en cela ils se sont abusés ; et que ce n'est que par ignorance, ou par scrupule que tant de gens se soulèvent contre le Théâtre. Il était donc du bon sens de faire voir clairement par des preuves convaincantes, que les Anciens Auteurs n'étaient pas de ce sentiment ; mais c'est ce qu'il ne fait point : il a tant d'estime de lui-même qu'il a prétendu devoir être cru sur sa parole ; puisque pour toute preuve il se contente de dire : « J'ai demandé compte à ma mémoire de ce que j'avais lu, j'ai rappelé toutes mes vieilles idées, et j'ai cherché dans tous les livres qui me sont tombés sous la main, et je n'ai rien trouvé qui ne m'ait fait connaître clairement que les Acteurs du poème Dramatique ont toujours été maintenus dans tous leurs droits, et les honneurs de la République Romaine, etc. » Voilà toutes ses preuves ; n'est-ce pas une proposition bien établie ? mais y eut-il jamais un plus faux raisonnement ? Un esprit moins préoccupé eût dit par un raisonnement contraire ma mémoire me peut tromper ; mes idées sont trop vieilles ; les bons livres ne me sont pas tous tombés sous la main : c'est pourquoi il faut que je m'en instruise mieux ; car il me serait désavantageux d'oser soutenir avec obstination ce que je ne sais pas : il vaut mieux reconnaître son ignorance de bonne foi, que de faire l'entendu avec audace et témérité. Voilà un raisonnement aussi juste que celui de l'Auteur de la Dissertation est faux : il n'était pas nécessaire qu'il prît tant de peine à demander compte à sa mémoire de tout ce qu'il avait lu, à rappeler ses vieilles idées, et à consulter tous les livres qui lui tombaient sous la main. S'il eût seulement lu Cicéron, et saint Augustin ; il ne serait pas tombé dans l'égarement où il s'est précipité : deux ou trois passages de ces grands hommes l'auraient pleinement instruit sur ce sujet. Cicéron dans l'Oraison pro Quintio, parlant du Comédien Roscius, dit, « qu'il était si habile dans son art, qu'il n'y avait que lui seul qui fût digne de monter sur le Théâtre ; et que d'ailleurs il était si homme de bien, qu'il n'y avait que lui seul qui n'y dût point monter ». Saint Augustin remarque que Cicéron montre évidemment par ces paroles, que les Comédiens étaient infâmes parmi les Romains : « Leur Cicéron, dit-il, louant un certain Comédien nommé Roscius, n'a-t-il pas dit qu'il était si habile dans son art, qu'il n'y avait que lui seul, qui fût digne de monter sur le Théâtre ; et que d'ailleurs il était si homme de bien, qu'il n'y avait que lui seul qui n'y dût point monter ; faisant voir par là en termes bien exprès, que le Théâtre est si infâme, que plus un homme est vertueux, plus il doit s'en éloigner. » Cicéron encore dans le quatrième livre de la République nous apprend que les Romains notaient d'infamie les Comédiens ; ce qui est confirmé par S. Augustin, qui rapporte les paroles de cet Orateur. « Nous apprenons de Cicéron, dit-il, dans ses livres de la République, ce que les Anciens Romains jugeaient de la Scène ; car il y introduit Scipion l'Africain qui parle ainsi : "On n'eût jamais approuvé les Comédies, et les crimes qu'elles représentaient sur le Théâtre, si les mœurs des hommes qui étaient souillés des mêmes vices, ne l'eussent souffert. Quant aux Grecs, quelques-uns des plus anciens ont traité la Comédie, selon l'opinion qu'ils en avaient dans le dérèglement de leur vie, etc." » Et après avoir allégué les sentiments des Grecs sur ce sujet, il rapporte ensuite ceux des Romains en ces termes : « Encore que les Romains, par une pernicieuse superstition, adorassent ces Dieux qu'ils voyaient avoir demandé que les ordures de la Scène leur fussent consacrées, toutefois se souvenant de leur dignité, et ayant devant les yeux l'honnêteté et la pudeur, ils n'ont pas communiqué, comme les Grecs, les honneurs de l'Etat aux Acteurs de ces fables, et de ces Comédies : mais ainsi que Scipion parle dans ce livre de Cicéron, estimant que l'art des jeux, et tous les spectacles de la Scène étaient des choses honteuses, et infâmes, non seulement ils ont privé ces sortes de gens qui en sont les Acteurs, des honneurs et des dignités, dont la porte était ouverte aux autres citoyens : mais ils les ont même jugés dignes d'être notés par les Censeurs, pour  être exclus de leurs Tribus. » Tite-Live parlant d'un certain Ariston joueur de Tragédies, de bonne famille, et d'honnête condition dans Syracuse, qui était une ville des Grecs, dit que le métier qu'il faisait, ne le déshonorait point ; parce que parmi les Grecs il n'y avait pas d'infamie à jouer des Tragédies, ni d'autres pièces de Théâtre. Cette remarque d'un Historien si illustre, nous fait donc voir que c'était seulement parmi les Grecs que les joueurs de Tragédies, et les autres Acteurs de la Scène n'étaient point infâmes ; mais qu'au contraire parmi les Romains ils étaient notés d'infamie. Car l'on n'aurait point remarqué dans l'histoire Romaine, que le métier de Comédien n'était point infâme parmi les Grecs, s'il ne l'eût été parmi les Romains. C'est aussi ce que Tertullien nous apprend en termes exprès dans son Traité des Spectacles : « Les Auteurs des Spectacles, dit-il, et ceux qui sont chargés de les faire représenter, abaissent autant les Conducteurs des chariots, les Acteurs de la Scène, les Xystiques, et ceux qui descendent en l'Arène… qu'ils relèvent leur art : ils les notent d'infamie ouvertement ; ils leur font changer d'état pour les exclure de la Cour, du Barreau, du Sénat, et de l'ordre des Chevaliers ; ils les privent de tous honneurs, et de toutes dignités. » Ensuite Tertullien montre que toutes ces sortes de gens qui sont punis par les lois civiles, qui les notent d'infamie, doivent encore attendre un jugement plus sévère de la Justice de Dieu, dont ils attirent l'indignation sur eux par leurs crimes, qu'il décrit en détail ; et marquant en quoi tous ces Acteurs chacun en son espèce, et leurs spectateurs offensent la majesté de Dieu, il n'oublie pas les Acteurs des Poèmes Dramatiques, y comprenant les joueurs de Tragédies en termes exprès. « Puisque les hommes, dit-il, quelques favorables qu'ils soient aux divertissements de la volupté, jugent ceux qui en sont les Acteurs, indignes d'être admis aux dignités, et qu'ils les notent d'infamie ; combien plus sévère sera le jugement que la justice de Dieu exercera contre eux ? Ce conducteur de chariots qui trouble tant d'âmes, plaira-t-il à Dieu ?… Est-ce qu'un homme se représentera les exclamations d'un Prophète en même temps qu'il sent frapper ses oreilles par les cris d'un Acteur de Tragédies ? » Tertullien montre ensuite que Dieu punit même en cette vie ceux qui vont aux Spectacles, et particulièrement à ceux des Tragédies. « Comment donc, dit-il, ces gens qui vont aux spectacles, ne seraient-ils pas exposés à la tyrannie du Démon ?… Il est constant qu'une femme étant allée à une Tragédie, la nuit suivante, elle vit en songe un suaire, et il lui sembla qu'on lui reprochait la faute qu'elle avait commise d'avoir assisté à cette Tragédie, en lui représentant même la personne de l'Acteur ; ce qui l'effraya tellement qu'elle mourut cinq jours après. Combien d'autres exemples y a-t-il de ceux qui en suivant le parti du démon dans les spectacles, ont secoué le joug du Seigneur ? Car personne ne peut servir deux maîtres : quel commerce peut-il y avoir entre la lumière, et les ténèbres, entre la vie et la mort ? » Enfin Tertullien représente les peines que les Acteurs des Tragédies, et des autres Spectacles, souffriront dans l'Enfer : « Alors, dit-il, les Acteurs des Tragédies se feront mieux entendre, poussant leur plaintes d'une voix plus éclatante dans leur propre misère. » Nous voyons par ces passages de Tertullien, et par toute la suite de son discours, comme les Acteurs de Tragédies, et par conséquent des Comédies, étaient compris sous le nom de Scéniques, ou d'Acteurs de la Scène ; et comme ils étaient notés d'infamie, aussi bien que les Acteurs des autres Spectacles. Hérodien confirme cette vérité, lorsqu'il nous apprend que les Comédiens n'étaient pas moins estimés indignes des charges, et des dignités de l'Empire, que les Conducteurs de chariots, et les Mimes ; de sorte que l'Empereur Héliogabale en ayant élevé quelques-uns aux Charges de l'Empire, se rendit méprisable aux Romains, qui ne pouvaient souffrir sans indignation une action si infâme et si honteuse. « Héliogabale, dit-il, donnait les plus grandes Charges de l'Empire, à des Conducteurs de chariots, à des Comédiens, et à des Mimes… Ainsi toutes les choses qui étaient autrefois en vénération, étant tombées dans le dérèglement, et, dans l'infamie par la conduite honteuse de cet Empereur ; tout le monde, et principalement les soldats Romains ne le regardaient qu'avec indignation, et n'avaient que du mépris pour lui. » Toutes ces vérités que je viens de remarquer, font assez voir que l'ignorance, que l'Auteur de la Dissertation attribue à ses adversaires, retombe sur lui. Néanmoins son aveuglement est si grand, qu'encore qu'il n'ait rien prouvé de ce qu'il prétendait établir, il s'imagine qu'il ne lui reste plus qu'à examiner les raisons qu'on lui oppose. Dissertation pag. 193. 194. et 195. « Examinons quelques textes les plus apparents, que l'on allègue ordinairement pour défendre cette fausse opinion. « Le premier, et le plus considérable est l'Edit dit du Préteur , qui contenait le droit commun du peuple Romain, et qui déclare infâmes ceux qui paraissaient sur la Scène, pour exercer l'art de bouffonnerie, ou pour y faire des récits. Sur quoi le Jurisconsulte Labéo dit, qu'il faut entendre par la Scène celle que l'on élève pour faire les Jeux à la vue du peuple, et où l'on fait un spectacle de son corps par des mouvements. En quoi le Préteur, et le Jurisconsulte n'ont jamais prétendu comprendre les Comédiens, et les Tragédiens, qui n'y sont point nommés, comme il eût été nécessaire dans une si importante occasion : car on n'imposerait pas une peine d'infamie par des mots équivoques, et qui ne peuvent être équivalents : il n'est fait mention que d'un art de bouffonner, qui consistait en deux choses, aux paroles, et aux postures ; et l'un et l'autre est ici clairement expliquée par les mots de prononcer, et de faire des gestes : et c'était par là que les Mimes, et Bouffons étaient principalement recommandables, en faisant réciter leurs vers avant que danser, ou les récitant eux-mêmes en les dansant, afin que les spectateurs eussent une plus facile intelligence de leurs postures, comme je l'ai déjà marqué. Et que Pline qui savait fort bien sa langue, le dit expressément de la bouffonne Lucéia, lui attribuant le mot de prononcer, ou de faire des récits. » IV. Réfutation. Est-ce donc examiner les textes qu'allèguent les adversaires, que de les falsifier ? Et peut-on dire qu'une opinion est fausse, lorsqu'on ne la peut combattre que par des faussetés ? Ceux qui soutiennent que les lois notent d'infamie les Joueurs de Comédie, et de Tragédies, allèguent l'Edit du Préteur qui déclare infâmes ceux qui montent sur le Théâtre artis ludicra causa. Que répond à cela l'Auteur de la Dissertation ? Il traduit ainsi ces mots, artis ludicra causa, « pour exercer l'art de bouffonnerie » ; Et de là il infère que cette loi ne comprend que les Bouffons, et non pas les Comédiens. Mais cette falsification est trop visible pour ne la pas apercevoir : car ces mots ne signifient pas seulement l'art de bouffonnerie ; ils signifient encore généralement l'art des Jeux, sous lesquels les Comédies et les Tragédies sont aussi comprises. Cela est si certain, qu'il ne faut que consulter les Dictionnaires du Droit, et les livres qu'on lit dans les Ecoles pour en être convaincu : « Le Jurisconsulte Macer, dit Simon Schardius, appelle artem ludicram, l'art des Bouffons et des Comédiens. » Et si l'Auteur de la Dissertation se fût souvenu de la lecture qu'on fait de Valère Maxime dans les Collèges, il n'aurait pas fait une faute si grossière que de dire, que lorsque l'Edit du Préteur parle de ceux qui montent sur le Théâtre artis ludicra causa, il ne parle que des Bouffons, et non pas des Comédiens ; car il eût vu dans cet Auteur que ars ludicra signifie aussi l'art de représenter des Comédie, et des Tragédies : « Ce n'est pas, dit Valère, ars ludicra, c'est-à-dire, l'art de jouer des Comédies, qui a rendu Roscius recommandable ; mais c'est Roscius qui a rendu cet art recommandable. » Et en un autre endroit. « Il est certain, dit-il, qu'Esope et Roscius, ludicra artis peritissimi, c'est-à-dire, qui étaient très habiles en l'art de jouer des Tragédies et des Comédies, se trouvaient souvent aux assemblées lorsqu'Hortensius plaidait. » Il n'y a pas moins d'ignorance en ce qu'il ajoute, « Que le Préteur, et le Jurisconsulte n'ont jamais prétendu comprendre dans cette loi les Comédiens, et les Tragédiens qui n'y sont point nommés, comme il eût été nécessaire dans une occasion si importante ; parce qu'on n'imposerait pas une peine d'infamie par des mots équivoques, et qui ne peuvent être équivalents. » Car ne devait-il pas savoir que ars ludicra, l'art des Jeux est un genre ; et que l'art de représenter les Comédies en est une espèce, qui par conséquent est comprise dans ce genre, selon cette règle de Droit, laquelle nous apprend, que « les choses spéciales sont toujours comprises dans les générales », sans qu'il soit nécessaire de les nommer. C'est pourquoi l'Edit du Préteur notant d'infamie tous ceux généralement qui montent sur le Théâtre pour exercer l'art des Jeux, artem ludicram, note aussi d'infamie par conséquent ceux qui montent sur le Théâtre pour exercer l'art de Comédien, puisque cet art est une espèce de l'art de représenter les jeux, et qu'il n'est point excepté par la loi. Mais il n'est fait mention, dit l'Auteur de la Dissertation par une suite d'erreur ; « que d'un art de bouffonner, qui consistait en deux choses, aux paroles, et aux postures ; et l'un et l'autre est ici clairement expliqué par les mots de prononcer, et de faire des gestes : et c'était par là que les Mimes et Bouffons étaient principalement recommandables, etc. ». Nous avons montré évidemment, que ars ludicra ne signifie pas seulement l'art de bouffonner ; mais généralement l'art de jouer toutes sortes de jeux. Quant à ce qu'il ajoute, que par ces mots de prononcer et de faire des gestes, les Mimes et les Bouffons sont marqués ; il se plaît à tromper le monde, et à s'abuser lui-même : car il faudrait être bien ignorant pour ne pas savoir que c'est le propre des Comédiens et des Tragédiens de prononcer, et de faire des gestes. « Qui peut nier, dit Cicéron, qu'un Orateur n'ait pas besoin du geste, et de la bonne grâce du Comédien Roscius, dans les actions du Barreau ? » « N'oublions pas,dit Valère Maxime, un exemple célèbre pour l'adresse et l'industrie de la Scène en la personne du Comédien Roscius, qui ne fit jamais aucun geste devant le peuple, qu'il ne l'eût auparavant étudié dans sa maison. » Et en un autre endroit : « Hortensius, dit-il, étant persuadé que le mouvement du corps est une des principales parties d'un Orateur, s'étudia presque plus à le bien former, qu'à rechercher les autres ornements de l'éloquence, de sorte que vous ne sauriez dire si le peuple courait plus volontiers pour l'entendre, que pour le voir : Ainsi son action donnait de l'agrément à ses paroles ; et ses paroles embellissaient son action. Il est certain qu'Esope et Roscius, très habiles en l'art de jouer sur le Théâtre, se trouvaient aux assemblées où il plaidait, pour en étudier les gestes, et pour orner le Théâtre en les imitant. » Quintilien nous apprend combien la prononciation est propre aux Comédiens, et aux Tragédiens, lorsqu'il dit : « Il y a des endroits qu'il faut prononcer vite ; il y en a d'autres qu'il faut prononcer lentement : il faut prononcer vite les choses que nous ne faisons que parcourir, que nous voulons resserrer, que nous désirons passer légèrement : il faut prononcer lentement les choses que nous soutenons fortement, que nous voulons inculquer, que nous voulons imprimer dans les esprits : et les mouvements impétueux doivent être exprimés encore plus lentement. Roscius parlait vite, et Esope parlait gravement ; à cause que celui-là jouait des Comédies, et celui-ci des Tragédies. » Peut-on rien alléguer de plus exprès pour détruire entièrement tout ce que l'Auteur de la Dissertation avance ici sans aucune preuve, que ce que Quintilien dit encore dans le sixième livre chap. 2. où il montre que les Histrions, et les Comédiens indifféremment, doivent exprimer les passions, non seulement par les paroles, mais aussi par les gestes, et par les mouvements du corps ? « J'ai vu souvent, dit-il, des Histrions et des Comédiens, après avoir représenté une passion violente, sortir du Théâtre jetant encore des larmes. » « Le plaisir, dit Suétone, que l'Empereur Caligula prenait à chanter, et à danser, le transportait de telle sorte, que même aux spectacles publics il ne pouvait pas s'empêcher de mêler sa voix avec les paroles que prononçait l'Acteur de Tragédie. » Et la Glose même expliquant ces termes, pour prononcer, qui sont dans la loi ci-dessus alléguée, dit que cela se doit entendre pour y prononcer quelque Comédie, ou quelque Satire. Mais il n'eût pas été nécessaire d'apporter toutes ces autorités, pour convaincre l'Auteur de la Dissertation, s'il eût rapporté la loi toute entière ; car voici la conclusion de cette loi qu'il a tronquée. « Pégasus et Nerva le fils ont déclaré que ceux qui descendent dans l'Arène, afin d'y combattre pour le gain, et tous ceux qui montent sur la Scène pour en tirer de l'argent, sont infâmes. » L'Auteur de la Dissertation peut-il nier que les Comédiens, et les Joueurs de Tragédies, ne soient du nombre de ceux qui montent sur la Scène ? Puisque Cicéron nous l'apprend clairement, et en termes exprès, quand il dit que le Comédien « Roscius était si habile dans son art, qu'il n'y avait que lui seul qui fût digne de monter et de paraître sur la Scène ». Et c'est pour cela qu'il appelle Scéniques les Comédiens, comme je l'ai montré dans la 1. Réfutation de ce 9. Chapitre. J'ajouterai seulement ici ce que Budé célèbre interprète du Droit a écrit sur ce sujet : « Afin de mieux entendre, dit-il, le texte de cette loi, et quelques autres lieux du droit, j'ai cru devoir une fois pour toutes, représenter ici en peu de mots les genres des Jeux, qui ont été en usage parmi les Anciens Grecs, et parmi les Romains. Donc entre ceux qui montaient sur le Théâtre, les uns étaient Gymniques, les autres Scéniques, sans parler ici qu'en passant des Gladiateurs, et des Conducteurs de chariots. Les Scéniques sont ceux qui exercent les jeux de la Scène, qu'on appelle aussi jeux de Musique, et Dionysiaques, comme étant consacrés à Bacchus ; c'est pourquoi les Acteurs de ces jeux sont appelés Scéniques, et parmi les Grecs, sont nommés artisans de Bacchus. Entre eux sont compris les Comédiens, et les Tragédiens… Les Acteurs des Comédies, ajoute-t-il, et des Tragédies, qui sont proprement appelés Scéniques, jouaient leurs pièces sur la Scène, selon le témoignage de Vitruve. » Budé passe encore plus avant, comme Monsieur Tiraqueau Conseiller au Parlement de Paris, l'a très bien remarqué. « Budé, dit-il, estime, que non seulement ceux qui montaient sur la Scène pour le profit ; mais aussi les autres qui y montaient par une vaine ostentation, étaient infâmes ; car il rapporte qu'il a lu cet endroit de la loi seconde du Digeste, au titre, de ceux qui sont notés d'infamie, dans un abrégé du Droit écrit en Grec par ordre alphabétique, lequel est à Rome dans la Bibliothèque du Pape, en ces termes-ci : Tous ceux qui entrent dans les combats pour le gain, sont infâmes ; comme aussi ceux qui montent sur la Scène par une vaine ostentation. » Le Droit Canonique estime les Comédiens et les autres Acteurs qui montent sur le Théâtre, si infâmes, qu'il les exclut des Ordres Ecclésiastiques ; « Que celui, dit-il, qu'on saura avoir joué sur la Scène, ne soit point admis aux Ordres Ecclésiastiques. » Le Concile d'Elvire défend même aux filles fidèles ou Catéchumènes d'épouser des Comédiens ou des Scéniques sous peine d'excommunication. Le Concile in Trullo défend même aux laïques de se déguiser en Comédiens ou en Tragédiens, sous la même peine d'excommunication, et aux Ecclésiastiques sur peine d'être déposés. « Que personne, dit ce Concile, ne se déguise en Comédien, ni en Satyre, ni en Tragédien. Si quelqu'un donc désormais commet quelque crime de ceux qui sont exprimés dans ce décret ; dès que les Prélats en auront connaissance, si c'est un Ecclésiastique, qu'il soit déposé, et si c'est un laïque, qu'il soit excommunié. » Dissertation pag. 195. « Aussi quand les Empereurs Dioclétien et Maximien déclarent exempts de toute infamie des mineurs que l'on en croyait notés pour avoir monté sur le Théâtre, ils ne parlent ni de Tragédie, ni de Comédie ; mais seulement de cet art de bouffonner impudemment, et d'y faire un spectacle public de sa personne, qui sans doute eût rendu les Majeurs infâmes. » V. Réfutation. L'Auteur de la Dissertation s'est abusé pour n'avoir pas compris la signification de ces mots Ars ludicra, et spectaculum sui facere. Nous avons prouvé évidemment dans la Réfutation précédente, que ars ludicra ne signifie pas seulement l'art de bouffonner ; mais généralement l'art de jouer des Comédies, des Tragédies, et toutes sortes de Jeux. Nous avons montré par le témoignage exprès de Cicéron, que spectaculum sui facere, signifie spectari in scena ; c'est-à-dire paraître sur la Scène, ou dans les autres lieux destinés aux Spectacles publics. « Le Comédien Roscius, dit Cicéron, était si habile dans son art, qu'il n'y avait que lui seul qui fût digne de paraître sur la Scène. » C'est donc mal à propos que l'Auteur de la Dissertation dit sans preuve, et sans raison, que dans la loi si fratres, il n'est parlé ni de Comédie, ni de Tragédie : Car étant certain que l'art de représenter des Comédies, et des Tragédies, est une espèce de l'art de représenter des Jeux, artis ludicræ ; la loi parlant de ceux qui ont exercé artem ludicram en général, comprend aussi les Comédies, et les Tragédies, qui en sont une espèce, selon cette règle du Droit, Que les choses spéciales sont comprises dans les générales ; comme nous l'avons marqué ci-dessus. Dissertation pag. 196. « C'est encore avec moins de raison que l'on pense autoriser cette mauvaise intelligence de l'Antiquité par la constitution des Empereurs Théodose, Arcadius, et Honorius, qui défendent de mettre aucunes figures de ces joueurs scéniques dans les lieux publics, où leurs statues sont élevées en objets de vénération ; car elle parle en termes exprès des Pantomimes, ou d'un vil Histrion , c'est-à-dire des Sauteurs, et des Bouffons ; et non pas des Acteurs du Poème Dramatique. » VI. Réfutation L'Auteur de la Dissertation a tronqué cette loi pour se faire une objection imaginaire. Car la loi toute entière telle qu'elle est dans le Code montre clairement et en termes exprès, que le Théâtre est un lieu infâme, et destiné pour des personnes infâmes ; Voici ce que disent ces Empereurs dans cette loi. « Si dans les portiques publics, ou dans les lieux des villes où l'on a accoutumé de nous consacrer des statues, il y a des portraits de quelque Pantomime mal vêtu, ou de quelque Conducteur de chariots avec son habit plissé, ou de quelque vil Histrion, qu'on les ôte aussitôt : Et que désormais il ne soit plus permis de mettre les portraits des personnes infâmes, en des lieux honnêtes ; mais nous ne défendons pas de les mettre à l'entrée du Cirque, ou dans l'avant-scène du Théâtre. » Puis donc que cette loi défendant de mettre les portraits des personnes infâmes en des lieux honnêtes, permet en même temps de les mettre dans l'avant-scène du Théâtre ; il s'ensuit par une conséquence nécessaire que le Théâtre, selon cette loi, est un lieu infâme. Aussi les Interprètes du Droit expliquant cette loi, déclarent que les Comédiens, et tous les autres qui montent sur le Théâtre, sont infâmes : « Lucas de Penna, dit Ménochius, enseigne sur la loi, si qua de C. spect. et scenic. que les Histrions même qui n'exercent point l'art de bouffonnerie, mais qui montent sur le Théâtre pour y réciter des Comédies, sont infâmes. Majole et Pierre Grégoire disent la même chose. » Dissertation pag. 197. « Et Justinien permet aux femmes qui s'étaient engagées aux Jeux scéniques par la faiblesse de leur sexe, de recourir à la bonté de l'Empereur, pour être restituées en leur premier honneur, et bonne renommée quand elles voulaient retourner à la pratique d'une vie honnête. Ce qui témoigne assez que l'infamie ne s'était point étendue sur les Comédiens, ni sur les Tragédiens, parce que les femmes n'y jouaient point, et que ces Acteurs étant bien plus modestes, et plus estimés, que tous les Mimes, et Bouffons de ces jeux, on leur eût bien plus facilement accordé cette grâce ; et cette loi ne les eût pas oubliés, s'ils avaient été compris en celle dont la sévérité est ici modérée par la douceur de Justinien. » VII. Réfutation. Il y a deux grands défauts dans ce raisonnement ; le premier, parce que quand il serait vrai que cette loi fût particulière pour les femmes scéniques, prenant le nom de Scénique pour l'espèce, et non pour le genre ; de sorte que les Comédiens et les Tragédiens n'y fussent point compris ; il ne s'ensuivrait nullement de là que les Comédiens, et les Tragédiens ne soient point infâmes ; puisqu'ils sont notés d'infamie par d'autres lois comme nous l'avons montré ci-dessus dans la IV. Réfutation. L'autre défaut de ce raisonnement est, qu'encore que cette loi ne parlât pas formellement des Comédiens, ni des Tragédiens ; il ne s'ensuivrait pas non plus qu'elle ne pût servir de préjugé à leur égard ; puisque les Scéniques et les Comédiens sont d'une même condition selon les lois civiles, et canoniques, comme nous l'avons prouvé dans la IV. Réfutation de ce IX. Chapitre. Ce que nous prouvons encore par les paroles suivantes de cette loi que l'Auteur de la Dissertation a omises ; Car la loi dit, « que les femmes Scéniques quittant ce métier, peuvent être relevées de la note d'infamie, et même qu'elles peuvent contracter un légitime mariage, sans craindre qu'il soit nul, à cause que les lois précédentes défendent le mariage avec les femmes scéniques » ; Et par conséquent on ne peut nier qu'à plus forte raison cette loi ne témoigne qu'il était défendu aux femmes d'épouser des hommes Scéniques ; et que ces mariages étaient nuls. D'où il s'ensuit que la même loi ne regarde pas seulement les Scéniques, prenant ce mot de Scéniques dans sa signification spécifique ; mais qu'elle s'entend aussi des Comédiens ; puisque les lois Ecclésiastiques, que l'Empereur Justinien n'a point révoquées, défendent en termes exprès aux filles, et aux femmes Chrétiennes d'épouser non seulement des Scéniques, mais aussi des Comédiens, sous peine d'excommunication. « Il faut, dit le Concile d'Elvire, défendre aux femmes et aux Catéchumènes, d'épouser des Comédiens, ou des Scéniques : Que s'il y en a qui en épousent ; qu'elles soient excommuniées. » C'est donc sans raison que l'Auteur de la Dissertation prétend « que l'infamie ne s'était point étendue sur les Comédiens, ni sur les Tragédiens, parce que, dit-il sans le prouver, les femmes n'y jouaient point » ; Comme si l'infamie des Comédiens ne s'étendait pas sur leurs femmes, et sur leurs filles, quand même elles n'eussent point monté sur le Théâtre ? La loi Julia ne le déclare-t-elle pas en termes exprès, défendant aux hommes de qualité d'épouser les femmes ou les filles de ceux qui exercent, ou qui ont exercé l'art de représenter les jeux ? « Qu'aucun homme de qualité, dit cette loi, n'épouse une femme qui exerce ou qui ait exercé l'art de représenter les jeux ; ni celle de qui le père, ou la mère exerce, ou ait exercé cet art. » Enfin quoique en puisse dire l'Auteur de la Dissertation, les Comédiens ont si bien reconnu eux-mêmes, que l'infamie dont ils sont notés par les lois, s'étendait aussi sur leurs femmes, et sur leurs enfants, que l'an mil six cent quarante-et-un ils supplièrent le feu Roi de leur accorder une Déclaration pour les relever de cette infamie. Dissertation pag. 198. «  Les lois condamnent la fille d'un Sénateur qui s'est abandonnée, ou qui exerce l'art de bouffonner  ; où l'on ne doit pas entendre jouer la Comédie ; mais pratiquer les Danses honteuses, et les Bouffonneries des Mimes, et Farceurs, comme nous l'avons expliqué. Elles punissent encore rigoureusement le soldat qui vend sa liberté ou qui exerce l'art des Bouffons , sans rien dire contre ceux qui récitaient les Mimes Dramatiques. » VII. Réfutation. La traduction de ces lois est falsifiée dans la Dissertation : car ars ludicra ne signifie pas seulement l'art de bouffonner, mais l'art de jouer toutes sortes de jeux, comme nous l'avons prouvé si clairement dans la IV. Réfutation de ce IX. Chapitre, qu'il n'y a pas lieu d'en douter, et comme il paraît encore par la définition que Sénèque nous a donnée en ces termes : « Artes ludicræ, dit-il, sont les arts dont le but est de donner du plaisir aux yeux et aux oreilles » ; Ce que les Comédies, et les Tragédies font, aussi bien que les autres jeux. D'ailleurs l'Auteur de la Dissertation pouvait apprendre d'Hotoman, célèbre Jurisconsulte, et des Dictionnaires même du Droit, que la loi quædam ff. de pœnis qu'il a alléguée, et qui est tirée des écrits du Jurisconsulte Macer, défendant aux soldats, sous peine de la vie, d'exercer artem ludicram, ne leur défend pas moins l'art de jouer des Comédies, que l'art de bouffonner : « Macer, dit le Jurisconsulte Schardius, appelle dans cette loi, artem ludicram, l'art non seulement des bouffons ; mais aussi l'art des Comédiens selon Hotoman. » Dissertation pag. 199. « Et quand les Empereurs Théodose et Valentinien veulent qu'un mari puisse répudier sa femme , si contre sa défense elle assiste aux jeux du Théâtre, ils entendent les jeux scéniques, qui ont porté ce nom les premiers, et par une signification propre, parce qu'ils y ont été célébrés les premiers. Et cette intelligence résulte des termes de la Novelle de Justinien , qui y est conforme ; et de ce que les uns et les autres de ces Empereurs conjoignent ces jeux avec les combats de l'Arène, où la cruauté régnait comme l'impudence aux jeux scéniques ; et sans que l'on y lise un seul mot concernant les Poèmes Dramatiques. » IX. Réfutation. L'Auteur de la Dissertation m'oblige souvent de le renvoyer à la lecture de son Dictionnaire : En vérité ces sortes de livres suffiraient pour détruire tout ce qu'il dit en cet endroit ; Mais il faut auparavant rapporter les termes de ces lois. « Que le mari, dit la loi du Code, ne répudie point sa femme, si ce n'est… qu'elle soit allée contre sa défense se divertir ou aux jeux du Cirque, ou à ceux du Théâtre, ou aux spectacles de l'Arène, dans les lieux où l'on a accoutumé de les célébrer. » Voici les termes de la Novelle de Justinien : « La loi permet au mari de répudier sa femme… qui va se divertir aux jeux du Cirque, contre sa volonté, et qui est attachée aux spectacles, ou qui va au Théâtre, c'est-à-dire au lieu où est la Scène, et où l'on représente les jeux, ou bien encore où les bêtes combattent contre les hommes. » L'Auteur de la Dissertation prétend que ludi Theatrales, les jeux du Théâtre signifient les jeux Scéniques, en tant qu'ils font une espèce séparée des autres jeux du Théâtre ; mais s'il avait consulté le Dictionnaire, il eût trouvé que prenant les Jeux Scéniques en ce sens, ils ne s'appellent que Scéniques, et que les autres Jeux, comme les Comédies, et les Tragédies, etc., s'appellent ludi Theatrales, jeux du Théâtre. « Les jeux publics, dit Schardius dans son Dictionnaire du Droit, étaient distingués parmi les Romains, par le Cirque, et par le Théâtre : le Cirque comprenait les jeux Circenses, les combats des Athlètes et des Lutteurs ; le Théâtre comprenait les jeux du Théâtre, et les jeux Scéniques. » Les jeux donc du Théâtre, ludi Theatrales, ou ludicra Theatralia, ne signifient pas les jeux Scéniques selon leur différence spécifique, puisqu'ils en sont séparés ; et par conséquent c'est sans raison que l'Auteur de la Dissertation prétend sans aucune preuve, que ludi Theatrales, les jeux du Théâtre, ne signifient dans la loi du Code que nous venons d'alléguer que les jeux Scéniques. Or les jeux du Théâtre ainsi distingués des Scéniques, comprennent les Comédies, et les Tragédies, aussi bien que les autres jeux. Que si nous prenons le nom de jeux du Théâtre, et de la Scène généralement, comme la Novelle de Justinien le prend, disant, « Qui va au Théâtre, c'est-à-dire au lieu où est la Scène, et où l'on représente les jeux » ; il est constant que ludi Theatrales, les jeux du Théâtre pris ainsi généralement, signifient toutes les sortes de jeux qu'on représentait sur le Théâtre, les Comédies, les Tragédies, les jeux Scéniques, et tous les autres, comme Budé, et Pierre Grégoire nous l'apprennent. « Budé, dit Pierre Grégoire, divise les jeux du Théâtre, en Scéniques, et Gymniques : les jeux Scéniques sont encore appelés Dionysiaques, et jeux de Musique : les Acteurs des fables, et ceux qui jouent divers personnages, les Comédiens, et les Tragédiens y sont aussi compris. » Budé dit de plus, que les Comédiens, et les Tragédiens sont proprement appelés Scéniques, prenant le nom de Scéniques généralement pour des Acteurs de la Scène : « Les Acteurs, dit-il, des Comédies, et des Tragédies, qui sont proprement appelés Scéniques, jouaient leurs pièces sur la Scène, selon le témoignage de Vitruve. » C'est pourquoi Cicéron donne le nom de Scénique à Esope Acteur de Tragédies, comme nous l'avons fait voir ci-dessus dans la 1. Réfutation de ce 9. Chapitre ; Et partant l'Auteur de la Dissertation prétend mal à propos, que « ces lois ne disent pas un seul mot concernant les poèmes Dramatiques », puisqu'il est constant qu'ils sont compris sous le nom de Jeux du Théâtre, et de la Scène. Le raisonnement que fait ensuite l'Auteur de la Dissertation, est plaisant : il veut prouver que les Comédies et les Tragédies ne sont pas comprises sous le nom de jeux du Théâtre ; et de la Scène ; et voici comme il le prouve. « Les Empereurs, dit-il, conjoignent ces jeux du Théâtre avec les combats de l'Arène, où la cruauté régnait ; ils ne parlent pas donc des Poèmes Dramatiques », c'est-à-dire des Comédies, ni des Tragédies. Peut-on plus mal raisonner ? Car les Empereurs ne joignent pas seulement les jeux du Théâtre avec les combats de l'Arène, ou de l'Amphithéâtre ; mais ils les joignent aussi avec les Spectacles du Cirque, pour montrer qu'ils comprennent toutes sortes de jeux, puisqu'il n'y avait point d'autres jeux publics que ceux du Cirque, du Théâtre, et de l'Amphithéâtre. Mais sans nous arrêter à son faux raisonnement, voyons si ce qu'il veut dire, vaut mieux que ce qu'il dit. Il semble qu'il veuille dire que les Comédies, et les Tragédies étaient si honnêtes, qu'un mari ne pouvait pas avoir sujet de répudier sa femme pour y avoir été contre sa volonté. S'il dit cela, comme il semble le vouloir dire, il ne saurait rien avancer de plus faux ; car les Païens mêmes ont reconnu que les Comédies étaient très vicieuses, et très déshonnêtes. « La Comédie, dit Cicéron, n'aurait plus du tout de lieu parmi nous ; si nous n'approuvions toutes les ordures et les vilénies dont elle est remplie. » Et pour éclaircir encore cette vérité par quelque exemple, il suffit donc rapporter un du plus retenu de tous les Poètes Comiques, lequel saint Augustin représente en ces propres termes. « Terence , dit-il , dans un endroit de l' Eunuque, nous représente un jeune homme vicieux, et débauché, qui racontant une action infâme qu'il avait commise, dit qu'il avait été enflammé à la commettre par l'exemple de Jupiter même, ayant remarqué dans un tableau peint sur la muraille, que ce Dieu avait fait descendre une pluie d'or dans le sein de Danaé, et avait ainsi trompé cette femme. Mais voyez un peu de quelle sorte il s'anime lui-même à satisfaire sa brutale passion, comme ayant pour maître et pour modèle celui que le Ciel adore. Un Dieu, dit-il, l'a bien voulu faire. Mais quel Dieu ? Celui qui fait trembler les voûtes du Ciel par le bruit de son tonnerre. Et moi qui ne suis qu'un des moindres d'entre les hommes, j'aurais honte d'imiter le plus grand des Dieux ? Non certes. Aussi l'ai-je imité, et avec joie. « N'est-il pas très vrai que ces paroles sont très propres pour faire commettre aux hommes cette infamie avec plus de hardiesse ? » Je demande à l'Auteur de la Dissertation s'il estime qu'un mari ait sujet d'être bien satisfait de voir sa femme se plaire à entendre ces ordures, et à les voir représenter malgré lui ? Mais si nous considérons encore les circonstances du lieu où l'on représente les Comédies (ce que les lois n'ont pas oublié) nous verrons qu'il n'y a rien de plus indigne d'une honnête femme que de se trouver en tels lieux : « Les femmes, dit Ovide, vont au Théâtre pour voir, et pour être vues ; ce lieu-là cause la ruine de la chasteté, et de la pudeur. » « Mais il n'y a rien de plus scandaleux dans tous les spectacles, dit Tertullien, que de voir avec quel soin, avec quel agrément les hommes, et les femmes y sont parés : l'expression de leurs sentiments conformes ou différents, pour approuver, ou pour désapprouver les choses dont ils s'entretiennent, ne sert qu'à exciter dans leurs cœurs des passions déréglées. Enfin nul ne va aux spectacles qu'à dessein de voir et d'y être vu. Un homme se représentera-t-il les exclamations d'un Prophète en même temps qu'il sent frapper ses oreilles par les cris d'un Acteur de Tragédies ? » « Il n'y a sur le Théâtre, dit S. Chrysostome , , que des ris dissolus, que des choses honteuses, que des pompes du diable, qu'une dissipation d'esprit, qu'une perte du temps et des jours entiers, que des appareils de la concupiscence, que des projets d'Adultères ; ce n'est qu'une Académie d'impureté, et une école d'intempérance, où l'on ne parle que de choses sales, où l'on ne pense qu'à rire, où l'on ne voit que des exemples d'ordure et d'infamie. » Dissertation pag. 200. et 201. « Quand Tacite écrit que Néron pour ne se pas diffamer en paraissant sur le Théâtre public, institua les jeux Juvénaux, qui se faisaient en particulier, dans lesquels plusieurs si firent enrôler , il ne veut parler ni de Tragédies, ni de Comédies, qui ne notaient point d'infamie ceux qui les jouaient ; mais d'un récit de vers libres, et pleins de railleries, avec un mélange de ridicules bouffonneries, de danses, et chansons malhonnêtes, qui rendaient les Acteurs infâmes par la loi. Aussi dans la suite, l'Auteur ajoute, que ni la noblesse, ni l'âge, ni la Magistrature, n'empêcha personne de pratiquer à son exemple l'art d'Histrion, avec des gesticulations efféminées indignes des hommes : Et tous les Auteurs qui ont blâmé Néron d'avoir monté sur le Théâtre, ne lui reprochent point d'avoir récité des Tragédies, et Comédies ; mais d'avoir joué des instruments, et bouffonné sur la Scène : Ce que Tacite explique assez clairement, lorsqu'il parle de Valens, que cet Empereur avait au commencement contraint de bouffonner en ces jeux ; car il dit qu'il y joua des Mimes  : ce qui fait voir que ce n'était point une représentation de Comédies, ni de Tragédies ; mais seulement un jeu de postures, et de danses malhonnêtes. » X. Réfutation. En vérité l'Auteur de la Dissertation se moque du monde, d'assurer avec tant de hardiesse, « Que tous les Auteurs qui ont blâmé Néron d'avoir monté sur le Théâtre, ne lui reprochent point d'avoir récité des Tragédies, et des Comédies ». Est-ce donc que Lucien n'est pas un Auteur, ou celui qui a composé le Dialogue intitulé Néron, qui se trouve parmi ceux de Lucien ? Ce Dialogue est une espèce de Déclamation contre ce Prince, où l'Auteur faisant le récit de ce qui se passa dans l'entreprise que fit cet Empereur de percer l'Isthme, dit entre autres choses : « Néron entend parfaitement le Théâtre, et mieux qu'il ne convient à un Prince… Ecoutez une étrange extravagance qu'il fit aux yeux de toute la Grèce ; cela arriva en cette sorte. Quoiqu'on n'eût pas accoutumé de représenter des pièces de Théâtre aux jeux Isthmiques, ni de disputer le prix des Comédies, ni des Tragédies ; il y voulut néanmoins remporter l'honneur de la Tragédie, etc. » N'est-ce pas blâmer Néron d'avoir récité des Tragédies sur le Théâtre ? Dissertation pag. 202. « C'est pourquoi Emilius Probus , après avoir dit qu'en Grèce il n'y a point d'infamie de faire un spectacle de sa personne au peuple sur la Scène ; et que parmi les Romains cet exercice est infâme ; nous voyons qu'il ne parle que de ceux qui font un spectacle de leurs corps ; c'est-à-dire, des Mimes, Danseurs, et Bouffons ; et non pas de ceux qui récitaient honnêtement les Comédies, et les Tragédies. » XI. Réfutation. C'est une suite de l'illusion dans laquelle est tombé l'Auteur de la Dissertation, pour n'avoir pas compris que ces mots, Prodire in Scenam, et populo esse spectaculo, ne signifient autre chose, que monter sur le Théâtre, et paraître devant le peuple ; mais il ne faut que rapporter le passage de Probus tout entier, pour faire voir combien l'Auteur de la Dissertation s'est trompé. « C'était, dit-il, un grand honneur parmi tous les Grecs, de remporter la victoire aux jeux Olympiques. Quant à ceux qui montent sur la scène, et qui y paraissent devant le peuple, ils n'ont jamais été noté d'infamie parmi ces peuples-là ; mais parmi nous toutes ces choses sont estimées en partie infâmes, en partie viles et déshonnêtes. » Il se voit par ces paroles que tous ceux qui montaient sur le Théâtre, qui y paraissaient devant le peuple, et qui n'étaient point notés d'infamie parmi les Grecs, étaient jugés infâmes parmi les Romains. Or les Acteurs des Tragédies, et des Comédies, étaient parmi les Grecs du nombre de ceux qui montaient sur la Scène, qui y paraissaient devant le peuple, et qui n'étaient point notés d'infamie : et partant, puisque Probus dit que toutes ces choses-là étaient estimées infâmes ou viles, et déshonnêtes parmi les Romains, il faut avouer que les Acteurs des Comédies et des Tragédies y étaient compris ; car en disant toutes ces choses, il n'en excepte aucune selon cette règle du droit, qui dit tout, n'excepte rien. D'ailleurs ce que dit ici Probus étant entièrement conforme à ce que Cicéron écrit sur ce sujet, si Cicéron parle des Comédies et des Tragédies, il faut demeurer d'accord que Probus en parle aussi ; et voici ce que dit Cicéron. « On n'eût jamais approuvé les Comédies, et les crimes qu'elles exposaient sur le Théâtre, si les mœurs des hommes qui étaient souillées des mêmes vices ne l'eussent souffert. Quant aux Grecs, quelques-uns des plus anciens ont traité la Comédie selon l'opinion qu'ils en avaient dans le dérèglement de leur vie.… Mais les Romains estimant que l'art de représenter les jeux, et tous les spectacles de la Scène étaient des choses honteuses, et infâmes, non seulement ils ont privé ces sortes de gens des honneurs, et des dignités, dont la porte était ouverte aux autres citoyens ; mais ils les ont même jugés dignes d'être notés par les Censeurs, pour être exclus de leurs Tribus. » Ce qui a trompé l'Auteur de la Dissertation, est qu'il n'a pas compris que ces mots, prodire in scenam, et populo esse spectaculo, ne signifient autre chose, que monter sur la scène, et y paraître devant le peuple ; Ce qui convient aux Comédiens, aussi bien qu'aux autres Acteurs du Théâtre selon le témoignage de Cicéron, qui parlant du Comédien Roscius, dit « qu'il était si habile dans son art, qu'il n'y avait que lui seul qui fût digne de paraître sur la scène ». Dissertation pag. 203. « Ainsi Tertullien appelle les Mimes des têtes infâmes, et sans honneur, et ne dit rien de ceux qui représentaient les Poèmes Dramatiques. Enfin je n'ai vu dans les Anciens que les Acteurs des jeux scéniques, les Histrions, les Mimes, et l'art de bouffonner condamnés d'infamie ; et jamais la Comédie, ni la Tragédie, ni les noms de Comédiens, et de Tragédiens n'ont souffert ce reproche, si ma mémoire ne me trompe, ou qu'une lecture précipitée ne m'en ait ôté la connaissance. » XII. Réfutation. Certes c'est avec raison que l'Auteur de la Dissertation commence à se défier, quoique trop tard, de sa mémoire, et de la précipitation de sa lecture : car s'il eût lu Tertullien avec attention, il aurait reconnu qu'il déclare que les Comédies, et les Tragédies sont pleines d'infamie et de crimes ; parce qu'elles sont des représentations de choses infâmes, et criminelles ; et qu'ainsi elles ne peuvent être meilleures, que ce qu'elles représentent. « Si les Tragédies, dit-il, et les Comédies sont des représentations de crimes, et de choses impudiques ; elles sont sanglantes, lascives, impies, et déréglées. Car la représentation d'un crime énorme, ou d'une chose vile, et infâme, n'est point meilleure que ce qu'elle représente. Comme il n'est point permis d'approuver un crime dans l'action par laquelle on le commet ; il n'est point permis aussi de l'approuver dans les paroles, qui le représentent. » Tertullien prouve encore l'infamie des Comédies, et des Tragédies, en prouvant l'infamie de tous les Spectacles en général, par celle de leurs acteurs. Car ayant divisé, dans ce livre des Spectacles, tous les Jeux, en ceux du Cirque, du Théâtre, de l'Amphithéâtre, ou de l'Arène, et en ceux du Xyste, ou des Athlètes, comme il les divise aussi dans son Apologétique en ces termes, « Nous n'avons aucun commerce avec les fureurs du Cirque, avec l'impudicité du Théâtre, avec les cruautés de l'Arène, et avec la vanité du Xyste » ; Il représente les vices, et les dérèglements de tous ces Spectacles en général, et en particulier selon leurs différentes espèces : Et après avoir prouvé par plusieurs raisons que les Chrétiens les doivent tous rejeter ; il ajoute encore celle-ci, que les Acteurs des Spectacles sont notés d'infamie par les lois, et que par conséquent les Spectacles sont mauvais, et infâmes. « Ν'est-ce pas, dit-il, avouer clairement qu'une chose est mauvaise, lorsque ceux qui la font, quelques agréables qu'ils soient, sont notés d'infamie ? » Dans le dénombrement qu'il fait de ces Acteurs, il suit la division, qu'il a faite dans les chapitres précédents, des Jeux et des Spectacles en général : « Les Auteurs, dit-il, des Spectacles, et ceux qui sont chargés de les faire représenter, déclarent ouvertement infâmes les Conducteurs des chariots, les Scéniques, les Xystiques, et les Arénaires. » Les Conducteurs des chariots comprennent tous les Acteurs du Cirque ; les Scéniques, tous les Acteurs du Théâtre, les Xystiques, tous les Acteurs du Xyste, et les Arénaires, tous les Acteurs de l'Amphithéâtre ou de l'Arène. En un mot Tertullien comprend sous ces genres d'Acteurs, toutes les espèces particulières dont il a fait le dénombrement dans les Chapitres précédents ; puisqu'il n'en fait point d'exception. Et pour ne parler que de ceux qui appartiennent à notre sujet, il ne reste qu'à voir si aux Chapitres précédents il a compris les Acteurs de Comédies et de Tragédies, dans le dénombrement des Scéniques. C'est ce qui est très facile de montrer. Tertullien après avoir parlé des Jeux du Cirque, passe aux Jeux Scéniques : il montre premièrement qu'ils sont indignes des Chrétiens, à cause du lieu où ils sont représentés, et même à cause de leur origine, et de leur consécration toute souillée d'idolâtrie ; Ensuite il montre que l'Ecriture sainte les condamne, en condamnant la concupiscence, la volupté et l'impudicité. Il fait voit en détail les ordures de ces Jeux Scéniques, exposant en premier lieu les représentations des Atellanes, et des Mimes, et après cela l'impureté, et les autres vices des Comédies, et des Tragédies. « Si les Tragédies, dit-il, et les Comédies sont des représentations de crimes, et de choses impudiques, etc. » comme ci-dessus. Puisque donc Tertullien comprend les Comédies, et les Tragédies parmi les Jeux Scéniques, il comprend aussi, par conséquent, les Acteurs des Comédies, et des Tragédies, parmi les Acteurs Scéniques. Et comme il déclare que les Acteurs Scéniques étaient notés d'infamie ; il déclare par conséquent que les Acteurs des Comédies, et des Tragédies, l'étaient pareillement : Car selon la règle du droit, les espèces sont contenues sous les genres, et des parties sont comprises dans le tout. Tertullien montre encore que tous ces Acteurs des Spectacles, qui sont punis et notés d'infamie par les lois civiles, doivent attendre un jugement plus sévère de la Justice de Dieu : Et dans le dénombrement qu'il en a fait, il comprend aussi les Acteurs de Tragédies, comme nous l'avons fait voir dans la 3. Réfutation de ce 9. Chapitre. Cela est si évident que je ne doute point que l'Auteur de la Dissertation n'en demeure lui-même d'accord, et qu'il n'avoue que sa mémoire l'a trompé, ou qu'une lecture précipitée lui en a ôté la connaissance. Dissertation pag. 203. 204. 205. 206. et 207. « Mais pour donner encore plus de jour à l'explication de ces vieilles autorités, il en faut apporter qui ne puissent recevoir de contredit, employer des démonstrations infaillibles, et non pas des conjectures, et faire voir par des preuves convaincantes que les Ecrivains des derniers siècles, qui ont étendu l'infamie des Scéniques jusques sur les représentanteurs des poèmes Dramatiques, n'ont jamais eu l'intelligence du Théâtre des Romains. Nous avons établi trois sortes d'Acteurs qui n'avaient rien de commun avec les Mimes, Planipèdes, Histrions, ou Farceurs ; et j'ajoute que les plus nobles de tous étaient les Tragédiens, tant pour la grandeur des matières qu'ils traitaient, que pour les personnes illustres qu'ils représentaient, et la manière sérieuse dont ils agissaient. Les Comédiens étaient au second rang, parce que leur sujet n'était que des intrigues populaires, leurs personnages tirés des conditions communes, et leurs actions accompagnées quelquefois de plaisanteries. Et les Atellanes étaient les derniers, leurs Poèmes ne contenant que des railleries, et des actions plus satiriques, et moins honnêtes, quoiqu'ils y aient gardé toujours quelque modération. Cet ordre, et cette distinction ne peuvent être révoqués en doute. « Après quoi nous n'avons qu'à prendre le témoignage de Valère Maxime, pour rendre inébranlable la vérité que nous avons avancée. C'était un Romain qui vivait sous Auguste à la naissance de l'Empire, qui n'ignorait pas les lois de son pays, et qui ne pouvait s'abuser en la connaissance du Théâtre de son temps, que l'on peut dire avoir été lors en son éclat ; et voici comme il en parle. « “Les Atellanes étaient originairement venus d'Etrurie, et leurs fables tenaient beaucoup des vieilles satires, mais avec une modération digne de la sévérité Romaine ; et pour cela , dit-il , , jamais ils ne furent notés d'infamie ; ils ne perdirent point leur droit de suffrages dans les assemblées publiques, ni le privilège de servir dans les armées avec la solde et les avantages de leur milice.” « Pouvait-il s'expliquer plus clairement ? Et si les Acteurs des fables Atellanes ont été si favorablement traités, nous peut-il rester quelque scrupule pour les Comédiens, et les Tragédiens, que les Romains tenaient dans un plus haut rang, qu'ils honoraient d'une bien plus grande estime, et que le cours des années n'a pas empêché de passer jusqu'à nous avec les règles de l'art, et les exemples des ouvrages qui les ont rendus si célèbres, et qui leur ont mérité l'affection des Grands, et l'applaudissement des peuples ? au lieu que les fables Atellanes nous sont entièrement inconnues, comme étant beaucoup moins considérables. Les Poèmes qu'ils récitaient, se sont perdus dans les ruines de Rome ; et nous n'en avons pas seulement des fragments. » XIII. Réfutation. Il faut avoir une extrême présomption de soi-même pour dire que « les Ecrivains des derniers siècles qui ont étendu l'infamie des Scéniques jusques sur les représentations des Poèmes Dramatiques, n'ont jamais eu l'intelligence du Théâtre des Romains » ; Mais c'est de plus un étrange aveuglement de s'engager à le prouver par des démonstrations infaillibles, et cependant être réduit à ne pouvoir avancer que de faux raisonnements, comme fait l'Auteur de la Dissertation en cet endroit ; car « voici toutes ses démonstrations infaillibles, toutes ses preuves convaincantes, toutes ses autorités qui ne peuvent recevoir de contredit ». Les Atellanes, dit-il, n'étaient point notés d'infamie, comme Valère Maxime le témoigne en termes exprès ; les Comédiens donc, et les Tragédiens ne l'étaient point aussi, puisqu'ils étaient plus considérables, et plus estimés que les Atellanes. Voilà une démonstration infaillible selon l'Auteur de la Dissertation ; mais ce n'est qu'un faux raisonnement selon tous ceux qui ont quelque connaissance de ces matières : parce que la raison pour laquelle les Atellanes n'étaient point notés d'infamie, ne convient pas aux Acteurs de Comédies, et de Tragédies. Car les Atellanes ont été exemptés de cette peine, comme n'exerçant pas l'art de représenter les Jeux, « tanquam expertes artis ludicræ », dit Tite-Live. Or on ne peut pas dire que les Acteurs de Comédies, et de Tragédies, n'exerçaient pas l'art de représenter les Jeux ; puisque Valère Maxime témoigne en termes exprès, « qu'Esope Acteur de Tragédie, et Roscius Acteur de Comédie étaient très habiles en cet art ». Et l'Auteur de la Dissertation ne peut rejeter le témoignage de ce grand homme, après avoir déclaré que « c'était un Romain qui vivait sous Auguste, à la naissance de l'Empire, qui n'ignorait pas les lois de son pays, et qui ne pouvait s'abuser en la connaissance du Théâtre de son temps ». Il est donc certain que les Acteurs de Comédies, et de Tragédies, exerçaient l'art de représenter les Jeux, et que par conséquent ils étaient notés d'infamie par les lois qui ne les exceptent point. C'est pourquoi on ne saurait nier avec raison que ce ne soit là un faux raisonnement : les Atellanes n'étaient point notés d'infamie ; les Comédiens donc, et les Tragédiens, ne l'étaient point aussi. Car c'est justement dire : les Atellanes qui n'exerçaient point l'art de représenter les Jeux, n'étaient pas notés d'infamie ; les Comédiens donc, et les Tragédiens, qui exerçaient cet art, ne l'étaient point aussi. Peut-on plus mal raisonner ? Il faut avouer que l'Auteur de la Dissertation n'est pas moins malheureux dans son raisonnement, que dans le choix qu'il a fait de Valère Maxime pour l'établir ; car cet illustre Ecrivain nous sert au contraire pour le détruire. Il faut encore remarquer que si les Atellanes n'étaient pas notés d'infamie, c'était un privilège qu'on avait accordé à la Jeunesse Romaine, qui se plaisait à ces sortes de divertissements, sans souffrir que d'autres personnes que de leur condition fussent les Acteurs de ces Jeux, comme Tite-Live nous l'apprend en ces termes : « La jeunesse apprit des Osciens ces sortes de jeux Atellanes, et ne souffrit pas qu'ils fussent déshonorés par les Histrions. Et de là est venue la coutume qui est demeurée depuis, que les Acteurs des pièces Atellanes, ne sont point exclus des tribus, et qu'il leur est permis d'aller à la guerre, comme n'exerçant pas l'art de représenter les Jeux. » Ainsi de conclure que les Comédiens et les Tragédiens n'étaient point notés d'infamie, à cause que les Atellanes en étaient exemptés par un privilège particulier ; c'est fort mal raisonner : car selon les maximes de Droit, les privilèges ne s'étendent point ni d'une personne à une autre, ni d'un cas à un autre, par quelque induction que ce soit. Cela suffit pour détruire le faux raisonnement de l'Auteur de la Dissertation ; et pour faire voir que le passage de Valère Maxime qu'il allègue ne lui sert de rien. Mais je veux encore montrer qu'il a mal entendu Valère Maxime. Car l'Auteur de la Dissertation suppose que Valère Maxime parle généralement de toutes sortes d'Atellanes : au lieu qu'il ne parle que de ceux dont parle Tite-Live, c'est-à-dire, des Atellanes qui ne passaient point pour Histrions, comme n'exerçant pas l'art de représenter les Jeux, et qui ne souffraient pas même que leurs Jeux fussent déshonorés par les Histrions. De sorte que si je fais voir qu'il y avait des Atellanes qui passaient pour Histrions, et qui exerçaient l'art de représenter les Jeux, montant sur la Scène pour gagner de l'argent ; il est visible que ce n'étaient point les Atellanes dont parlent Tite-Live, et Valère Maxime : Et de plus on ne peut nier que ces Atellanes ne fussent notés d'infamie aussi bien que les Histrions. Or il est facile de faire voir qu'il y avait des Atellanes qui passaient pour Histrions ; puisque Suétone le témoigne clairement, quand il donne le nom d'Histrion au Philosophe Datus Acteur de pièces Atellanes : « Datus, dit-il, était un Histrion Acteur de pièces Atellanes », lequel fut banni d'Italie pour avoir dit des paroles piquantes contre Néron Claudius. « Néron, ajoute Suétone, ne fit autre chose à ce Philosophe Histrion, que de le bannir de la ville, et de toute l'Italie ; soit qu'il méprisât toute sorte d'infamie ; soit qu'il appréhendât d'irriter les esprits, en témoignant d'en être fâché. » Nous voyons aussi que Tertullien donne aux Atellanes le nom de Bateleurs, et qu'il les met parmi les scéniques, parmi les Mimes, et les Pantomimes : « Nous passons, dit-il, maintenant aux jeux Scéniques.… Il nous est commandé de n'aimer aucune sorte d'impudicité. Ainsi le Théâtre nous est interdit, comme étant un consistoire de l'impureté, où rien n'est approuvé que ce qu'on désapprouve partout ailleurs : où rien ne plaise tant que l'impudicité, qu'un bateleur Atellane exprime par ses gestes, et qu'un Mime représente par le ministère même des femmes, qui perdent tellement la pudeur de leur sexe, qu'elles auraient plus de honte dans leur maison de ce dérèglement, qu'elles n'en ont sur la Scène. » Il est donc indubitable qu'il y avait des Atellanes qui passaient pour Bateleurs, et pour Histrions, montant sur la Scène pour gagner de l'argent, et qui par conséquent n'étaient pas moins infâmes que les autres Acteurs des Jeux Scéniques. En effet la loi qui déclaré généralement infâmes tous ceux qui montent sur la Scène pour gagner de l'argent, n'excepte point les Atellanes, non plus que les Acteurs de Comédies, et de Tragédies. Ces preuves sont si solides, que l'Auteur de la Dissertation n'y a pu opposer qu'un faux raisonnement ; soit dans la supposition qu'il fait, soit dans l'induction qu'il en tire. Mais je crois plutôt qu'il n'a jamais pensé à ce que je viens de représenter ; car autrement je m'assure qu'il aurait reconnu « qu'il n'avait point d'autorités qui ne puissent recevoir de contredit, ni de démonstrations infaillibles, ni de preuves convaincantes, non pas même de conjectures raisonnables, pour faire voir que les Ecrivains des derniers siècles, qui ont étendu l'infamie des Scéniques jusques sur les représentations des Poèmes Dramatiques, n'ont jamais eu l'intelligence du Théâtre des Romains ». Dissertation pag. 208. et 209. « Et Macrobe soutient que les Histrions n'étaient point infâmes, et le prouve par l'estime que Cicéron faisait du fameux Roscius Comédien, et d'Esope excellent Tragédien, avec lesquels il avait une étroite familiarité ; et par les soins qu'il prit de défendre les intérêts du premier devant les Juges ; où le mot d'Histrions ne signifie que les Joueurs de Comédie et de Tragédie, comme il résulte assez clairement de l'exemple qu'il en tire de Roscius, et d'Esope seulement ; et de ce qu'auparavant il avait montré que les danses malhonnêtes, et désordonnées, qui étaient propres aux Bouffons, et vrais Histrions, étaient condamnées par tous les Sages au siècle de ces deux célèbres Acteurs. « Sur quoi nous pouvons remarquer en passant, que dès l'âge de cet Auteur, la langue latine dégénérant de sa pureté, le nom d'Histrions commençait à s'appliquer à tous ceux qui s'exerçaient aux représentations du Théâtre. » XIV. Réfutation. La défiance que l'Auteur de la Dissertation témoignait de sa mémoire, et de sa lecture précipitée, devait le rendre plus soigneux de bien examiner les choses qu'il donne au public ; mais l'habitude qu'il a de débiter sans discernement tout ce qui se présente à son imagination, l'a emporté sur sa défiance : En voici un exemple assez remarquable. Il a trouvé dans Macrobe que Cicéron témoigne que « les Histrions n'étaient pas estimés infâmes » : Et il a vu que ce passage recevait de grandes difficultés ; car il est visiblement faux que tous les Histrions généralement fussent estimés infâmes ; il a vu encore que ce que Macrobe dit touchant les Histrions, se doit entendre par rapport à ce qu'il dit auparavant touchant les Danseurs, et il n'a pas ignoré que ce passage de Macrobe était fondé sur le témoignage de Cicéron. Toutes ces difficultés méritaient bien qu'il y fît attention : aussi a-t-il tâché de le faire, au moins à l'égard des deux premières difficultés ; mais il y a si mal réussi, qu'il n'a pu s'empêcher de corrompre le texte de Macrobe dans sa traduction, traduisant ainsi ces paroles : « Histriones non inter turpes habitos », que les Histrions n'étaient point infâmes ; au lieu de traduire, les Histrions n'étaient pas estimés infâmes ; Ce qui est très différent : car il y a deux sortes d'infamie ; l'une de droit, et l'autre de fait : ceux-là sont proprement infâmes, qui sont notés d'infamie par les lois ; ceux-là sont estimés infâmes, lesquels quoiqu'ils ne soient pas notés d'infamie par les lois, ne laissent pas de passer pour infâmes, à cause de leur mauvaise vie, ou de leur condition vile et abjecte, qui les sépare des honnêtes gens, et les exclut des dignités ; c'est l'infamie de fait. Ces différences d'infamie sont marquées dans le droit civil : « Les portes des dignités, dit la loi, ne seront point ouvertes à ceux qui sont notés d'infamie, ni à ceux qui sont souillés de quelque crime, ou qui mènent une vie honteuse, ni à ceux que leur condition vile et abjecte sépare des assemblées des honnêtes gens » : De sorte qu'il y avait des personnes qui encore qu'elles fussent notées d'infamie par les lois à cause de leur profession, n'étaient pas néanmoins estimées infâmes par les sages, à cause des vertus et des bonnes qualités qu'elles avaient d'ailleurs ; c'est-à-dire qu'elles étaient notées de l'infamie de droit ; mais non pas de l'infamie de fait. « On peut être, dit Schardius, noté d'infamie en diverses manières ; premièrement par l'opinion des hommes ; car celui qui est en mauvaise estime dans l'opinion des personnes graves, et vertueuses, est réputé infâme quoiqu'il ne soit point noté d'infamie par le droit, ni par les lois.… L'autre genre d'infamie est celle dont le droit civil note quelqu'un ; quoique peut-être sa réputation ne soit pas flétrie dans l'opinion des gens de bien : c'est ce qui s'appelle communément infamie de droit ; l'autre s'appelle infamie de fait. » Et c'est de cette infamie de fait, dont parle Macrobe, comme l'a très bien remarqué Albericus Gentilis : « Les Histrions, dit-il, n'ont pas toujours été estimés infâmes de cette infamie de fait ; car Roscius fut fort chéri et loué des hommes illustres et de grande réputation ; et son éloge a été mis parmi ceux de ces grands hommes, sans qu'on puisse dire qu'il y ait en cela de l'impudence. » Le rapport de ce que dit Macrobe des Histrions, avec ce qu'il a dit auparavant des Danseurs, montre clairement qu'il ne parle que de cette infamie de fait : car, après avoir dit auparavant que tous les sages estimaient les danses indignes des honnêtes gens (ce qui marque une infamie de fait) il ajoute : « mais quant aux Histrions, ils n'étaient pas estimés infâmes, comme il paraît par l'estime que Cicéron faisait du fameux Roscius ». Il est donc à juger, par là, qu'il ne parle que de l'infamie qui vient de l'opinion des sages, et qui est l'infamie de fait. Sur quoi il faut remarquer que comme ces paroles de Macrobe ne se peuvent entendre que de quelques Histrions, et non pas de tous généralement, savoir des Acteurs de Tragédies, et de Comédies, ainsi que l'Auteur de la Dissertation le reconnaît ; elles ne se peuvent aussi entendre de tous les Acteurs de Comédies et de Tragédies généralement ; mais seulement de quelques-uns, comme il se voit par les exemples particuliers que Macrobe rapporte de Roscius et d'Ésope : car il est constant que les Acteurs de Comédies et de Tragédies en général étaient estimés infâmes par les sages ; comme je l'ai montré ci-dessus dans la 2. et dans la 3. Réfutation de ce 9. Chapitre. Mais pour faire voir encore plus évidemment que Macrobe ne parle que de l'infamie de fait, et non pas de l'infamie du droit, c'est que Macrobe ne fonde ce qu'il dit des Histrions que sur l'estime que Cicéron faisait de Roscius et d'Esope ; mais non pas sur les paroles de Cicéron, lequel au contraire déclare en termes exprès qu'il y avait de l'infamie à monter sur le Théâtre.   « Roscius, dit-il , est si habile dans son art, qu'il semble qu'il n'y ait que lui seul qui soit digne de monter sur le Théâtre ; et d'ailleurs il est si homme de bien, qu'il semble qu'il n'y ait que lui seul qui n'y dût point monter. » Pour accorder ce que dit Macrobe avec ce que dit Cicéron, il faut nécessairement dire que Cicéron faisait tant de cas de la vertu, et des belles qualités de Roscius, qu'il ne l'estimait pas infâme à l'égard de sa personne ; quoique à l'égard de sa profession de Comédien il fût noté d'infamie par les lois, qui déclarent infâmes tous ceux qui montent sur le Théâtre pour le gain et pour le profit. Quant à ce que l'Auteur de la Dissertation ajoute, « que dès l'âge de Macrobe, la langue Latine dégénérant de sa pureté, le nom d'Histrion commençait à s'appliquer à tous ceux qui s'exerçaient aux représentations du Théâtre » ; sa mémoire l'a trompé, ou une lecture précipitée lui en a ôté la connaissance. Car s'il avait lu Cicéron et Valère Maxime avec attention, il aurait appris que du temps de la plus grande pureté de la langue Latine les Acteurs des Tragédies et des Comédies étaient appelés Histrions et Scéniques ; comme nous l'avons prouvé dans la 1. Réfutation de ce 9. Chapitre. « Nous avons vu, dit Cicéron, des Histrions si excellents, qu'il n'y avait rien de plus parfait en leur genre : non seulement ils jouaient si bien de très différents personnages, chacun dans son espèce ; c'est-à-dire l'un dans la Comédie, et l'autre dans la Tragédie, qu'ils ravissaient leurs spectateurs ; mais encore le Comédien était si bon Acteur de Tragédie ; et le Tragédien de Comédie, qu'ils attiraient l'admiration, et l'applaudissement de tout le monde. » Cicéron parle du Comédien Roscius, et du Tragédien Esope, qu'il appelle Histrions, comme il leur donne encore ce nom en beaucoup d'autres lieux. Voyez la 1. Réfutation de ce 9. Chapitre. Valère Maxime qui vivait sous Auguste, et qui ne pouvait s'abuser en la connaissance du Théâtre de son temps, que l'on peut dire avoir été alors en son éclat, comme l'Auteur de la Dissertation le reconnaît lui-même, donne au Comédien Roscius le nom de Scénique et d'Histrion. « N'oublions pas, dit-il, un célèbre exemple de l'adresse, et de l'industrie scénique en la personne de Roscius, qui ne fit jamais aucun geste devant le peuple, qu'il ne l'eût auparavant étudié dans sa maison : de sorte que ce n'est pas l'art des Jeux qui a rendu recommandable Roscius : mais c'est Roscius qui a rendu cet art recommandable : il gagna non seulement la faveur du peuple ; mais il s'insinua bien avant dans l'amitié, et dans la familiarité des plus grands Seigneurs. Ce sont là les récompenses que mérite un étude assidu, et infatigable ; tellement qu'il n'y a point d'impudence à mettre l'éloge d'un Histrion parmi ceux de ces grands hommes. » Dissertation pag. 210. 211. et 212. « Nous pouvons prendre encore un autre raisonnement de pareille manière, et d'une aussi forte conséquence dans les pensées des Jurisconsultes Romains , qui nous enseignent que l'on n'a pas compris entre ceux qui pratiquaient l'art de bouffonner, ni jamais noté d'infamie les Athlètes, ou Lutteurs, bien qu'ils combattissent tous nus sur l'arène ; ni les Thyméliques, ou Musiciens, bien qu'ils joignissent leurs voix, et l'adresse de leur main aux danses des Mimes, et des bouffons ; ni les Conducteurs des chariots au Cirque ; ni même les Palefreniers qui servaient auprès des chevaux employés aux courses sacrées, bien qu'ils fussent de la plus méprisable condition. D'où l'on peut aisément juger, et certainement, que les Acteurs des Poèmes Dramatiques n'ont jamais souffert cette tache. Ils ne paraissent point sur le Théâtre, que modestement vêtus, bien que ce fût quelque fois plaisamment : ils n'occupaient les Musiciens qu'aux danses, et aux chants de leurs Chœurs, ou de quelques vers insérés dans le corps de leurs Poèmes, comme ceux de nos Stances, que l'on récite mal à propos, au lieu de les chanter, étant lyriques. Ils n'étaient point employés à des ministères abjects qui les rendissent indignes de la société des personnes d'honneur, et de qualité : Et je ne crois pas que l'on se puisse imaginer que Roscius cet excellent Comédien, et Esope cet incomparable Tragédien, ne fussent pour le moins aussi bien traités que des Cochers, et des Valets d'étable. Où je puis remarquer en passant que Tertullien s'est fort trompé, d'avoir dit que les Athlètes et Xystiques avaient été notés d'infamie par les lois Romaines, puisque nous lisons le contraire dans les textes formels de ces mêmes lois. » XV. Réfutation. Je ne m'arrête point sur ce que l'Auteur de la Dissertation traduit mal à son ordinaire ces mots Ars ludicra, l'Art de bouffonner ; car j'ai déjà montré si clairement que Ars ludicra signifie généralement l'art de représenter toutes sortes de Jeux, qu'il n'y a pas lieu d'en douter. Mais je passe à l'examen de son faux raisonnement : « Les lois Romaines, dit-il, n'ont jamais noté d'infamie les Athlètes ni les Thyméliques, ou Musiciens, ni les Conducteurs de chariots au Cirque, ni même les Palefreniers ; et par conséquent les Comédiens, et les Tragédiens n'ont aussi jamais été notés d'infamie. » Cette induction est visiblement fausse : parce que la raison pour laquelle les lois ont exempté les Athlètes de la note d'infamie, ne convient point aux Acteurs de Comédies, et de Tragédies ; car les lois déclarent en termes exprès qu'elles exemptent les Athlètes de cette peine, à cause qu'ils n'exercent pas l'art de représenter les jeux, leur but principal n'étant que d'exercer, et d'éprouver leur force : Or il est indubitable, comme nous l'avons vu ci-dessus, que les Acteurs de Comédies et de Tragédies exerçaient l'art de représenter les Jeux ; l'induction donc de l'Auteur de la Dissertation, est visiblement fausse. Quant à la raison pour laquelle les lois ont exempté d'infamie les Thyméliques, ou Musiciens, les Xystiques, les Conducteurs de chariots, et même les Palefreniers ; Elle ne convient point non plus aux Acteurs de Comédie, et de Tragédies qui montaient sur la Scène pour gagner de l'argent, comme il paraît par les paroles suivantes de la loi Athletas, lesquelles nous font entendre que la loi n'exempte d'infamie ces sortes de gens, qu'à cause du service qu'ils rendaient aux combats sacrés. « Il semble, dit la loi, qu'il est utile que ni les Thyméliques, ni les Xystiques, ni les Conducteurs de chariots ; ni ceux qui arrosent d'eau les chevaux, et tous leurs autres ministres, qui servent aux combats sacrés, ne soient point estimés infâmes. » Ainsi comme c'était un privilège particulier accordé à ces sortes de gens, on ne le peut étendre par quelque induction que ce soit, en faveur des Acteurs de Comédies et de Tragédies, dont la loi ne parle point. Cela suffit pour détruire le faux raisonnement de l'Auteur de la Dissertation. Mais il est juste de réparer l'injure qu'il a faite très mal à propos à un des plus grands hommes de l'Antiquité. « Je puis, dit-il, remarquer en passant que Tertullien s'est fort trompé d'avoir dit, que les Athlètes, et Xystiques avaient été notés d'infamie par les lois Romaines, puisque nous lisons le contraire dans les textes formels de ces mêmes lois. » Et moi je dis en passant, que l'Auteur de la Dissertation n'allègue pas fidèlement les paroles de Tertullien : car ces mots, les Athlètes, ne sont point dans Tertullien ; mais il y a, « les Conducteurs de chariots, les Scéniques, les Xystiques, et ceux qui descendent en l'arène ». Ce n'est pas que les Athlètes ne soient compris sous les noms de Xystiques, et de ceux qui descendent en l'Arène ; mais il faut être exact dans la citation des paroles des Auteurs. Nous allons voir ensuite que Tertullien ne s'est point trompé dans l'intelligence des lois Romaines de son temps, mais que c'est l'Auteur de la Dissertation qui s'est grossièrement abusé lui-même ; pour avoir ignoré les difficultés qui se rencontrent dans le droit sur cette question. Car par exemple les Conducteurs de chariots sont exemptés d'infamie par la loi Athletas du Digeste ; et ils sont notés d'infamie par la loi si qua du Code : « Si dans les portiques publics, disent les Empereurs, en cette loi du Code, ou dans les lieux des villes où l'on a accoutumé de nous consacrer des statues, il y a des portraits de quelques Pantomimes mal vêtus, ou de quelque Conducteur de chariots avec son habit plissé, ou de quelque vil Histrion ; qu'on les ôte aussitôt : et que désormais il ne soit plus permis de mettre les portraits des personnes infâmes en des lieux honnêtes. » Les Jurisconsultes tâchent d'accorder ces deux lois en trois manières. Premièrement ils disent que la loi du Digeste, qui exempte d'infamie les Athlètes ou Lutteurs, les Thyméliques ou Musiciens, les Conducteurs de chariots, et les autres, dont parle cette loi, doit être entendue de l'infamie de Droit ; et que celle du Code qui met les Conducteurs de chariots au rang des infâmes, doit être expliquée de l'infamie de fait : « Il semble, dit Albericus Gentilis, que les conducteurs de chariots étaient aussi souillés de cette infamie de fait, comme il paraît dans la loi du Code, qui est contraire à celle du Digeste. D'où il s'ensuit encore que les autres personnes qui étaient exemptées de l'infamie de Droit avec les Conducteurs de chariots ne laissaient pas d'être infâmes de l'infamie de fait. » Ce qui est confirmé par le témoignage de Tacite en ces termes : « Après venait une foule de Bouffons, de Farceurs, de Baladins, de Conducteurs de Chariots dans le Cirque, et autre telle racaille, connue de Vitellius par ses débauches : connaissance honteuse, mais à laquelle il se plaisait infiniment. » Quant aux Thyméliques, c'est-à-dire Musiciens, ou Joueurs de flûtes, et d'autres instruments ; Macrobe nous apprend qu'ils étaient estimés infâmes : « C'est, dit-il, ce que témoigne Scipion l'Africain dans l'oraison contre la loi judiciaire de Tiberius Gracchus : on enseigne aux jeunes gens des tours déshonnêtes de Bateleurs : ils vont à l'école des Histrions avec des cymbales, avec des flageolets, et des harpes, ils apprennent à chanter ; et c'est ce que nos Ancêtres ont estimé infâme, et honteux à la Noblesse. » Ceux qui descendaient tout nus en l'Arène n'étaient pas moins estimés infâmes selon Tacite, qui nous représente les sentiments des plus sages de son temps sur ce sujet, en ces termes. « On disait que foulant aux pieds les lois de nos Ancêtres, nous donnions entrée chez nous aux vices des étrangers, afin que Rome fût le réceptacle de toute sorte d'ordure, et de corruption : Que notre jeunesse se laissait aller peu à peu à l'oisiveté des Grecs, et prenait leurs plaisirs, leurs exercices, et leurs sales amours, par l'autorité du Prince, et du Sénat, qui ne se contentaient pas de souffrir les vices, mais les commandaient, que les principaux sous ombre de faire des vers, et des harangues, montaient déjà sur le Théâtre ; et qu'il ne leur restait plus qu'à descendre tout nus en l'Arène, et de prendre le ceste, au lieu de la cuirasse et de l'épée. » La seconde manière d'accorder ces lois, est, que la loi du Digeste n'exempte d'infamie les Conducteurs de chariots, et les autres personnes qui y sont nommées, qu'en partie, savoir pour les rendre capables des privilèges de la bourgeoisie, et de la milice ; mais non pas pour les rendre dignes d'être élevés aux honneurs des Chevaliers, et des Sénateurs, comme Monsieur du Faur Président au Parlement de Toulouse l'a très bien remarqué. La défense que Vitellius fit aux Chevaliers Romains de descendre en l'Arène, montre clairement que cela était estimé infâme et indigne de la noblesse de cet ordre. « Vitellius, dit Tacite, défendit sévèrement aux Chevaliers Romains, de se souiller de l'infamie du Théâtre, et de l'Arène. » Hérodien confirme cette vérité, et nous fait voir que les Comédiens, les Conducteurs de chariots, aussi bien que les Mimes, étaient estimés infâmes et indignes des charges et des dignités de l'Empire ; de sorte que l'Empereur Héliogabale en ayant élevé quelques-uns à ces honneurs se rendit méprisable aux Romains, qui ne pouvaient souffrir sans indignation une action si infâme et si honteuse. « Héliogabale, dit-il, donnait les plus grandes charges de l'Empire à des Conducteurs de chariots, à des Comédiens et à des Mimes. Ainsi toutes les choses qui étaient autrefois en vénération, étant tombées dans le dérèglement et dans l'infamie par la conduite honteuse de cet Empereur, tout le monde, et principalement les soldats Romains ne le regardaient qu'avec indignation, et n'avaient que du mépris pour lui. » La troisième manière d'accorder ces lois, est qu'il y avait deux sortes d'Athlètes, de Conducteurs de chariots, de Thyméliques ou de Musiciens et de ministres du Cirque : les uns étaient employés aux jeux des sacrées solennités, et les autres exerçaient cette profession pour le gain ou pour le profit. Ceux qui étaient employés aux jeux des solennités sacrées, n'étaient point notés d'infamie, comme la loi Athletas le marque en termes exprès : « Sabinus et Cassius, dit la loi, ont répondu que les Athlètes n'exerçaient pas l'art de représenter les jeux ; parce qu'ils font leurs exercices pour éprouver leur force : Tous généralement sont de ce sentiment, et il semble qu'il est utile que ni les Thyméliques, ni les Xystiques, ni les Conducteurs de chariots, ni ceux qui arrosent d'eau les chevaux, et tous leurs autres ministres qui servent aux combats sacrés, ne soient point estimés infâmes. » Mais ceux qui exerçaient cette profession pour le profit, étaient infâmes selon la loi, qui note d'infamie ceux qui entrent dans les Combats pour le gain, et tous ceux qui montent sur la Scène pour le salaire qu'ils en reçoivent. C'est en ce sens qu'on doit entendre les paroles de Tertullien, comme Pamélius l'a très bien observé : « Les Auteurs des Spectacles, dit Tertullien, et ceux qui sont chargés de les faire représenter, abaissent autant les Conducteurs de chariots, les Acteurs de la Scène, les Xystiques et ceux qui descendent en l'Arène, qu'ils relèvent leur art ; ils les notent d'infamie ouvertement, ils leur font changer d'état, pour les exclure de la Cour, du Barreau, du Sénat, de l'ordre des Chevaliers : ils les privent de tous honneurs et de toutes dignités. » Sur quoi Pamélius remarque que « Tertullien fait ici allusion à l'Edit du Préteur, qui était chargé de faire représenter les Spectacles. Cet Edit se trouve dans le 3. livre du Digeste au titre 2. de ceux qui sont notés d'infamie ; où entre autres choses il est dit ; “Celui qui monte sur la Scène pour exercer l'art de représenter les jeux, ou pour réciter des vers, est noté d'infamie.” Ulpien au même livre, dans la loi 2. au §. dernier, parle ainsi sur cet Edit : “Pégasus et Nerva le fils ont déclaré que tous ceux qui entrent dans les combats et qui montent sur la Scène pour le gain, sont infâmes.” Il faut donc entendre que ce que dit Tertullien en cet endroit, des Conducteurs de chariots qui entraient dans le Cirque pour le gain ; des Scéniques qui montaient sur la Scène pour le gain ; des Xystiques qui s'exerçaient dans le Xyste pour le gain, et de ceux qui descendaient en l'Arène pour le gain ; car quant aux Ministres des jeux sacrés, à qui on donnait aussi en général le nom de Conducteurs de chariots, de Thyméliques, de Xystiques et de gens qui descendaient en l'Arène, Ulpien dit en ce même lieu que Sabinus et Cassius ont répondu, qu'ils n'étaient point estimés infâmes. » Si l'Auteur de la Dissertation n'avait pas ignoré ces choses, il se serait bien gardé de tomber dans un si grand égarement, que de dire sans preuve et sans raison, que Tertullien s'est fort trompé d'avoir dit que les « Athlètes et Xystiques avaient été notés d'infamie par les lois Romaines, puisque nous lisons le contraire dans les textes formels de ces mêmes lois ». Le sens commun lui devait faire connaître qu'il n'y avait point d'apparence qu'un Jurisconsulte aussi savant qu'était Tertullien, eût ignoré les lois Romaines ; et qu'il se fût trompé sur une matière qui était si connue de son temps. Dissertation pag. 212. et 213. « Aussi quand les Conciles et les Pères de l'Eglise ont allégué cette infamie du Théâtre ancien, ils en ont toujours parlé suivant cette doctrine. » XVI. Réfutation. L'Auteur de la Dissertation veut que les Conciles aient parlé de l'infamie du Théâtre selon la fausse doctrine, et non pas selon la doctrine de Tertullien, qui était en ce point celle de tous les Chrétiens de son temps, et des plus sages même des Païens ; car on ne saurait donner un autre sens à ces paroles de la Dissertation : « Aussi quand les Conciles ont allégué cette infamie du Théâtre ancien, ils en ont toujours parlé suivant cette doctrine. » En vérité voilà une rêverie qui n'est point supportable, et qui est si ridicule, qu'elle ne mériterait pas de réponse ; néanmoins sans nous arrêter à cette illusion, examinons par condescendance ce que l'Auteur de la Dissertation veut dire. Il prétend que les Conciles n'ont point excommunié les Athlètes ni les Conducteurs de chariots au Cirque, et encore moins les Acteurs de Tragédies et de Comédies ; et qu'ils n'ont point estimé que ces sortes de gens fussent infâmes. Il devait donc au moins alléguer quelque Concile, car il n'est pas juste qu'il en soit cru sur sa parole. Mais est-il possible qu'un homme qui se mêle de citer les Conciles, n'ait pas vu que le Concile d'Elvire excommunie les Conducteurs de chariots au Cirque, et qu'il ne les estime pas moins infâmes que les Pantomimes, qui l'étaient sans contredit ? « Si des Conducteurs de chariots, dit ce Concile, ou des Pantomimes veulent embrasser la Foi Chrétienne ; Nous ordonnons qu'ils renoncent auparavant à leurs exercices, et qu'ensuite ils y soient admis ; de sorte qu'à l'avenir ils n'exercent plus leur premier métier. Que s'ils contreviennent à ce décret, qu'ils soient chassés et retranchés de l'Eglise. » Si l'Auteur de la Dissertation avait lu les Conciles d'Arles, il y aurait aussi trouvé ces Canons : « Nous ordonnons que les Conducteurs de chariots, qui sont du nombre des fidèles, soient excommuniés tant qu'ils feront ce métier. » Ces Conciles lui auraient encore appris que leur sentiment touchant les Athlètes et les Acteurs de Tragédies et de Comédies, n'était pas conforme à sa doctrine : « Quant aux Théâtriques, disent-ils,, c'est-à-dire, quant à ceux qui divertissent le peuple dans les Théâtres, s'ils sont du nombre des fidèles, Nous ordonnons qu'ils soient excommuniés tant qu'ils feront ce métier. » Or il est certain que sous le nom de Théâtriques, c'est-à-dire, de ceux qui divertissent le peuple dans les Théâtres, sont compris les Athlètes, et les Acteurs de Tragédies et de Comédies, aussi bien que les Mimes et les autres Histrions. « Les Théâtriques, dit Budé, étaient ou Gymniques ou Scéniques, les Scéniques étaient ceux qui représentaient leurs jeux sur la Scène, et de ce nombre étaient les Comédiens, et les Tragédiens, les Mimes, les Pantomimes, les Archimimes, les Histrions, etc. Les Athlètes étaient du nombre des Gymniques : et selon Pollux sous le nom d'Athlètes, sont compris tous les Gymniques, lesquels sont ainsi appelés, à cause que les Athlètes combattaient tout nus dans ces jeux. » Que si le témoignage de Budé ne suffit pas à l'Auteur de la Dissertation, pour lui faire avouer que les Athlètes divertissaient le peuple dans les Théâtres ; et que par conséquent ils étaient compris sous le nom de Théâtriques ; Suétone le lui apprendra, quand il dit : « Que l'Empereur Auguste défendit aux filles et aux femmes le spectacle des Athlètes ; de sorte qu'aux jeux Pontificaux, le peuple lui ayant demandé le combat de deux Athlètes, il remit à le donner jusques au matin du jour suivant, défendant par un Edit aux femmes d'aller au Théâtre avant onze heures, c'est-à-dire, avant que les Athlètes en fussent sortis. » Etant donc indubitable que les Athlètes étaient compris sous le nom de Théâtriques ; il est visible que les Conciles en excommuniant les Théâtriques, ont aussi excommunié les Athlètes. En effet si les Conciles n'avaient interdit aux Chrétiens les combats des Athlètes comme étant infâmes et indignes du Christianisme. Pourquoi depuis tant de siècles ces spectacles ne seraient-ils plus en usage parmi les Chrétiens ? L'Auteur de la Dissertation oserait-il dire, que l'Eglise ait eu moins de soin de la pureté des mœurs, que les Empereurs et les sages Païens, qui ont aboli autant qu'ils ont pu, les combats des Athlètes, comme étant des choses pernicieuses et contraires aux bonnes mœurs ? L'exemple que Pline second en rapporte, est très remarquable : « J'ai assisté, dit-il, au jugement d'une affaire qui a été traitée devant notre bon Prince, et dont il a voulu que je fusse des Juges. Je vous en vais faire le récit. On célébrait dans la Ville de Vienne un combat Gymnique, c'est-à-dire, d'Athlètes qui combattent tous nus, qu'un homme avait ordonné par son testament d'être célébré. Trébonius Rufinus très habile homme et de mes amis avait fait abolir ce spectacle pendant son Duumvirat : On se pourvut ensuite contre son procédé, sur ce qu'on prétendait qu'il n'avait fait cela que de son autorité privée. Il plaida lui-même sa cause avec autant de bonheur que d'éloquence ; ce qui rendait cette action plus recommandable, était de voir un Romain, et un bon citoyen parler en sa propre cause avec une grande prudence, et une grande gravité. Quand on vint à demander les avis des Juges, Junius Mauricus, cet homme si ferme, et si sincère, dit qu'il ne fallait point rétablir ce combat d'Athlètes en la ville de Vienne : Et plût à Dieu, ajouta-il, qu'on pût aussi abolir dans Rome ces sortes de spectacles. Enfin il fut ordonné que ce combat d'Athlètes serait aboli, parce qu'il ne servait qu'à corrompre les mœurs des Viennois ; comme ceux qui se font à Rome, infectent toutes les nations : car les vices des Viennois sont renfermés dans l'enceinte de leur ville ; mais les vices de Rome se répandent partout. Or dans l'Empire, de même que dans les corps, le mal le plus dangereux est celui qui vient de la tête, et se répand sur les membres. » Il faut que l'Auteur de la Dissertation soit bien aveugle, si ce passage de Pline ne lui fait reconnaître son erreur. Mais si son illusion est grossière à l'égard des Athlètes ; elle ne l'est pas moins à l'égard des Comédiens, et des Tragédiens, qu'il prétend n'avoir jamais été excommuniés, ni traités d'infâmes par les Conciles. Car il est visible que les Conciles d'Arles que je viens d'alléguer en excommuniant les Théâtriques, ont aussi excommunié les Comédiens et les Tragédiens, puisqu'ils sont compris sous les Théâtriques, c'est-à-dire sous ceux qui divertissent le peuple dans les Théâtres. Le Concile d'Elvire, qui défend aux filles, et aux femmes fidèles, ou Catéchumènes, d'épouser ou des Comédiens, ou des Scéniques, sous peine d'excommunication, estimait-il que les Comédiens n'étaient point infâmes, non plus que les Scéniques ? Et le Concile in Trullo, qui défend aux laïques de se déguiser en Comédiens, ou en Tragédiens, sous peine d'excommunication, et aux Ecclésiastiques sous peine d'être déposés, croyait-il que le métier de Comédien, et de Tragédien fût aussi honnête, que se l'imagine sans raison l'Auteur de la Dissertation ? « Que personne, dit ce Concile, ne se déguise en Comédien, ni en Satyre, ni en Tragédien. Si quelqu'un donc désormais commet quelque crime de ceux qui sont exprimés dans ce Décret ; Dès que les Prélats en auront connaissance. Si c'est un Ecclésiastique, qu'il soit déposé ; et si c'est un laïque, qu'il soit excommunié. » Le Concile de Bordeaux, tenu l'an 1583. n'interdit-il pas en termes exprès les Comédies aux Ecclésiastiques, comme étant des spectacles infâmes ? « Que les Ecclésiastiques, dit ce Concile, ne se masquent jamais : qu'ils ne soient ni les Acteurs, ni les spectateurs des Comédies, des fables, des danses, ni d'aucun autre de ces jeux que les Comédiens et les Farceurs ont accoutumé de représenter, afin que les yeux consacrés aux saints mystères ne soient point infectés de la contagion de ces infâmes spectacles. » Enfin, si l'Auteur de la Dissertation, qui demeure à Paris, assiste quelquefois au Prône de sa Paroisse ou s'il lit le Rituel de Paris, il apprendra que l'Eglise met les Comédiens au rang des personnes excommuniées, et infâmes. « Tous les Fidèles, dit le Rituel de l'Eglise de Paris, doivent être admis à la sacré Communion, excepté ceux auxquels pour quelque juste raison il est défendu de la recevoir : et il en faut exclure ceux qui en sont publiquement indignes, tels que sont ceux qui sont notoirement excommuniés, interdits, et manifestement infâmes ; savoir les femmes de mauvaise vie, les Concubinaires, les Comédiens, les Usuriers, les Magiciens, les Sorciers, les Blasphémateurs, et autres semblables pécheurs ; si ce n'est qu'il soit constant qu'ils aient fait pénitence de leurs péchés, qu'ils aient donné des preuves de leur amendement, et qu'ils aient auparavant réparé le scandale public par une digne satisfaction. » Nous allons voir dans les Réfutations suivantes, que les SS. Pères ne sont pas plus favorables que les Conciles à l'Auteur de la Dissertation. Dissertation pag. 213 et 214. « Saint Augustin n'étend point cette infamie au-delà de ceux qui s'occupaient à la célébration des Jeux scéniques , et ne parle que de l'art de bouffonner : et raconte qu'un Edile, soit Cicéron, ou quelque autre, entre les devoirs de sa charge s'écriait au peuple, “qu'il fallait apaiser la Déesse Flore par les Jeux scéniques, que l'on croyait célébrer d'autant plus dévotement, qu'ils étaient célébrés honteusement ; et toute la ville voyait, entendait, et apprenait cette manière d'apaiser leurs Dieux si effrontée, impure, détestable, immonde, impudente, honteuse, et qui doit donner de l'horreur à la véritable religion, ces fables voluptueuses, et criminelles écrites contre leurs Dieux, ces actions déshonnêtes, inventées avec autant d'iniquité que de turpitude, et commises avec plus d'abomination, et dont les Acteurs furent privés des honneurs publics par les sentiments de la vertu Romaine, et du droit de suffrages dans les assemblées ; on connut leur turpitude, et ils furent déclarés infâmes.” Où l'on ne peut pas dire que ce grand Saint parle d'autre chose que de l'infamie des Mimes, et Farceurs des jeux scéniques, à cause de leur impudence. » XVII. Réfutation. Peut-on plus mal raisonner ? Saint Augustin dans le livre 2. de la Cité de Dieu, chap. 13. et 27. dit l'Auteur de la Dissertation, ne parle que de l'infamie des Mimes, et Farceurs des Jeux scéniques, à cause de leur impudence ; S. Augustin donc ne parle point de l'infamie des Acteurs de Comédies, et de Tragédies. Y eut-il jamais une conséquence plus fausse ? Il fallait qu'il prouvât que S. Augustin n'en parlait point en aucun endroit de ses écrits. C'est justement comme s'il disait : Virgile ne parle point de la guerre de Troie dans ses Géorgiques ; il n'en parle donc point absolument : mais suffit-il pas qu'il en parle dans l'Enéide, pour faire voir la fausseté de cette conséquence ? D'ailleurs ce qui est plus étrange, c'est que dans les mêmes lieux qu'il cite de S. Augustin ; où ce grand Saint parle de l'infamie des Acteurs des Jeux publics, il est indubitable que les Acteurs de Comédies, et de Tragédies y sont compris. Car premièrement dans le Chapitre 13. du 2. livre de la Cité de Dieu qu'il allègue, S. Augustin parle des sentiments des Romains qui notaient d'infamie les Acteurs des Jeux publics, qu'il oppose aux sentiments des Grecs qui ne les notaient pas d'infamie, comme il l'avait montré aux Chapitres précédents 9.10.11. et par conséquent Saint Augustin parle dans le Chapitre 13. selon le sentiment des Romains des mêmes Acteurs, dont il avait parlé dans les Chapitres précédents 9.10.11. selon les sentiments des Grecs. Or dans le 9. Chapitre il parle en termes exprès des Acteurs de Comédies, et de Tragédies. « Nous apprenons de Cicéron, dit-il, dans les livres de la République, ce que les Anciens Romains jugeaient des jeux de la Scène ; car il y introduit Scipion l'Africain qui parle ainsi : On n'eût jamais approuvé les Comédies, et les crimes qu'elles exposaient sur le Théâtre, si les mœurs des hommes qui étaient souillées des mêmes vices, ne l'eussent souffert. Quant aux Grecs, quelques-uns des plus anciens ont traité la comédie selon l'opinion vicieuse qu'ils en avaient. » Et après avoir montré combien les Comédies étaient infâmes, et impies dans la représentation des crimes vrais ou supposés de leurs Dieux, il fait voir dans le 10. Chapitre, comme les Grecs bien loin de noter d'infamie les Acteurs de Tragédies, et de Comédies, les ont jugés dignes des premiers honneurs de leurs villes : « Les Grecs donc, dit-il, étant esclaves de tels Dieux, n'ont point cru que parmi tant d'opprobres qui se publiaient d'eux sur la Scène, les Poètes dussent les épargner, soit qu'ils voulussent se rendre de cette sorte semblables à leurs Dieux, soit qu'ils craignissent d'attirer sur eux leur colère en recherchant d'être estimés plus honnêtes qu'eux, et en se préférant ainsi à eux. C'est pourquoi pour s'accommoder à l'humeur de leurs Dieux, ils ont tenu les Acteurs scéniques de ces fables, dignes des premiers honneurs de leurs villes. Car, comme Cicéron dit dans le même livre de la République, Eschine Athénien, ce personnage si éloquent, après avoir fait en sa jeunesse le métier d'Acteur de Tragédies, entra dans l'administration des affaires publiques ; et le peuple d'Athènes envoya souvent Aristodème Acteur aussi de Tragédies, Ambassadeur vers Philippe pour les plus importantes négociations de la paix, et de la guerre, ne jugeant pas convenable que ces arts et ces jeux de la scène, étant si agréables à leurs Dieux, ils missent au rang des personnes infâmes ceux qui en étaient les Acteurs. » D'où il paraît évidemment que S. Augustin nomme les Acteurs de Comédies, et de Tragédies, scenicos Actores, des Acteurs de la scène, ou des Acteurs scéniques ; comme il appelle aussi les Comédies, et les Tragédies, artes et ludos scenicos, des arts et des Jeux de la Scène. Ensuite ce grand S. rapporte dans le Chapitre 13. les sentiments des Romains opposés à ceux des Grecs, en ces termes : « Encore que les Romains par une pernicieuse superstition adorassent ces Dieux, qu'ils voyaient avoir demandé que les ordures de la Scène leur fussent consacrées ; toutefois se souvenant de leur dignité, et ayant devant les yeux l'honnêteté, et la pudeur, ils n'ont pas communiqué, comme les Grecs, les honneurs de l'Etat aux Acteurs de ces fables, et de ces Comédies ; mais ainsi que Scipion parle dans ce livre de Cicéron, estimant que l'art des Jeux, et tous les Spectacles de la Scène, étaient des choses honteuses et infâmes, non seulement ils ont privé ces sortes de gens des honneurs, et des dignités dont la porte était ouverte aux autres citoyens ; mais ils les ont même jugés dignes d'être notés par les Censeurs, pour être exclus de leurs tribus. Certes ils ont montré en cela une prudence singulière, et qui doit entrer dans l'Eloge des vertus Romaines : mais je désirerais qu'elle suivît ces propres lumières, et qu'elle  voulût s'imiter soi-même. C'est avec justice, que si un citoyen de Rome choisissait la profession d'Acteur de la Scène, il ne pouvait plus participer aux honneurs de la République, et le Censeur ne lui souffrait pas même de demeurer compris dans sa tribu. O générosité vraiment Romaine, et pleine de l'amour de sa patrie. Mais je voudrais que l'on me dît quelque pertinente raison pourquoi en rejetant les Acteurs de la Scène de tous les honneurs, on n'ait pas laissé de mêler les jeux de la Scène dans les honneurs des Dieux ? Ces arts de divertissements du Théâtre ont été longtemps inconnus à la vertu Romaine : et quoiqu'ils aient été recherchés pour la volupté des hommes, et qu'ils aient été introduits par la corruption de leurs mœurs, il est vrai néanmoins que les Dieux les ont demandés à leurs adorateurs, comme une marque de leur culte. Comment donc peut-on avilir un Acteur de la Scène, puisqu'il est le ministre d'un culte qu'on rend à la divinité ? Et de quel front peut-on noter d'infamie les Acteurs de ces ordures du Théâtre, si l'on adore ceux qui les demandent ? C'est une controverse en laquelle les Grecs, et les Romains sont de divers sentiments : les Grecs estiment qu'ils ont un légitime fondement d'honorer les Acteurs de la scène ; puisqu'ils adorent des Dieux qui demandent les jeux de la Scène : Mais les Romains ne souffrent pas même qu'une tribu du menu peuple soit déshonorée par des Acteurs de la scène, bien loin de permettre que la dignité du Sénat en soit avilie. » Il est donc visible par la seule lecture de ces paroles de S. Augustin, qu'il parle des mêmes Acteurs de la Scène selon les sentiments des Romains, dont il parle selon les sentiments des Grecs, et que par conséquent les Acteurs de Comédies et de Tragédies étant compris parmi les Acteurs de la Scène selon les sentiments des Grecs, ils y sont aussi compris selon les sentiments des Romains qui les notaient d'infamie. D'où il s'ensuit, que l'Auteur de la Dissertation s'est fort trompé, en traduisant, artem ludicram et artes Theatricas, l'art de bouffonner, au lieu de traduire l'art des jeux et les arts du Théâtre, qui comprennent les Comédies et les Tragédies, comme nous l'avons montré ci-dessus. Il s'est aussi abusé, disant sans aucune preuve et sans aucune raison, que scenici homines ne signifient point les Acteurs de Comédies et de Tragédies ; car par ces paroles de S. Augustin, « les Grecs estiment qu'ils ont un légitime fondement d'honorer scenicos homines, les Acteurs de la Scène », il paraît que ces termes, scenicos homines comprennent les Acteurs de Tragédies, dont ce grand Saint rapporte des exemples dans le chapitre 10. Enfin lorsque l'Auteur de la Dissertation dit, que ludi scenici ne signifient pas les jeux de Comédies, il témoigne n'avoir pas lu S. Augustin avec attention ; car ce S. Docteur de l'Eglise dit le contraire en ces termes exprès : « Les Comédies et les Tragédie sont les jeux de la Scène les plus supportables » ; Et ainsi les Comédies et les Tragédies sont comprises sous le nom de jeux scéniques. Quant à ce qu'il allègue du chapitre 27. du 2. livre de la Cité de Dieu de saint Augustin, il n'y réussit pas mieux que dans la précédente citation du chapitre 13. du même livre. Car peut-on faire un plus faux raisonnement que celui-ci ? « S. Augustin dans le 27. chapitre du 2. livre de la Cité de Dieu, ne parle que de l'infamie des Mimes et farceurs des jeux scéniques qui se représentaient pour apaiser la Déesse Flore ; donc S. Augustin n'étend point l'infamie des Acteurs de la Scène au-delà de ceux qui s'occupaient à la célébration des jeux scéniques et n'y comprend point les Acteurs de Comédies et de Tragédies. » Pour détruire tout ce faux raisonnement, ne suffit-il pas de lui avoir montré ci-dessus, que S. Augustin parle de l'infamie des Acteurs de Tragédies et de Comédies en beaucoup d'autres endroits. Mais ce passage même qu'il cite lui est si peu favorable qu'il a été contraint de le tronquer. Car après ces paroles : « S. Augustin raconte qu'un Edile soit Cicéron ou quelque autre, entre les devoirs de sa charge s'écriait au peuple, qu'il fallait apaiser la Déesse Flore par les jeux scéniques, que l'on croyait célébrer d'autant plus dévotement, qu'ils étaient célébrés honteusement ; l'Auteur de la Dissertation ajoute immédiatement : Et toute la ville voyait, entendait, et apprenait cette manière d'apaiser leurs Dieux, etc. » Ce qui est une falsification visible, en ce qu'il supprime ce que dit S. Augustin des autres jeux, comme il paraît par la lecture du texte entier que nous allons représenter. « Ce grave personnage, et grand Philosophe Cicéron, étant sur le point d'entrer dans la charge d'Edile, criait à toute la Ville de Rome, qu'entre les fonctions de sa Magistrature il était obligé d'apaiser la mère Flore par la solennité des jeux : jeux qui se célèbrent avec d'autant plus de dévotion, qu'ils sont plus déshonnêtes et honteux. Il dit en un autre endroit, étant Consul, et la République se trouvant réduite à un extrême péril, qu'on avait fait des jeux durant dix jours, et qu'il n'avait été rien omis de tout ce qui pouvait servir à apaiser la colère des Dieux ; comme s'il n'eût pas été meilleur d'aigrir ces Dieux par l'abstinence des voluptés, que d'obtenir leur faveur par des actions déshonnêtes ; et de s'attirer leur haine par la vertu et l'honnêteté, que de les adoucir par le vice et par l'infamie, etc. » Il est donc constant que S. Augustin parle non seulement des Acteurs des jeux de Flore, mais aussi des Acteurs des autres jeux ; à savoir de ceux dont Cicéron, étant Consul, a parlé dans la 3. Oraison contre Catilina, comme Vivès, auquel l'Auteur de la Dissertation nous renvoie, l'a remarqué. Voici les paroles de Cicéron. « Certes vous vous souvenez que sous le consulat de Cotta et de Torquatus, plusieurs tours du capitole furent frappées du foudre ; les simulacres des Dieux immortels furent abattus ; les statues des anciens personnages furent renversées ; les tables d'airain sur lesquelles les lois étaient gravées, se fondirent ; la statue même du Fondateur de cette ville ne fut pas épargnée, cette statue dorée que vous avez vue dans le Capitole de Romulus étant encore à la mamelle et tétant une louve. Alors les Haruspices étant appelés de toute l'Etrurie, dirent qu'on était sur le point de voir des meurtres et des embrasements ; l'anéantissement des lois, une guerre civile, et domestique, et la ruine de la Ville et de tout l'Empire, si nous n'apaisions les Dieux immortels par toutes sortes de moyens pour fléchir par leur puissance les destins qui nous menaçaient. On célébra donc, selon leurs réponses, les Jeux durant dix jours, et l'on n'omit rien de tout ce qui pouvait servir à apaiser la colère des Dieux. » Or il est indubitable que dans ces jeux qui durèrent dix jours, et où il ne fut rien omis de tout ce qui pouvait servir à apaiser la colère des Dieux, l'on n'oublia pas les Comédies, ni les Tragédies que l'on avait accoutumé de représenter aux jeux qu'on célébrait à l'honneur des Dieux, comme nous voyons que l'Andrienne, l'Eunuque, le Vengeur de soi-même de Térence furent jouées aux jeux Mégaliens, les Adelphes aux jeux funèbres, le Phormion et l'Hocyre, ou la belle-mère, aux jeux Romains. Et lorsque Cicéron parle des Jeux en général et sans les spécifier, il y comprend les Comédies et les Tragédies ; comme il paraît par la lettre qu'il écrit a Marius : « Si quelque douleur du corps, dit-il, ou quelque autre indisposition, vous ont empêché de vous trouver aux Jeux, etc. ». Ensuite par la description qu'il fait de ces Jeux, il montre assez que les Comédies et les Tragédies n'y furent pas omises ; puisqu'il dit qu'Esope Acteur de Tragédie, quoique fort âgé, y joua son personnage, et assez mal, à cause de sa vieillesse : « Notre ami Esope, dit-il, y joua de telle sorte, que tout le monde eût voulu qu'il n'eût pas joué. » Mais quand même S. Augustin ne parlerait en ce passage que l'Auteur de la Dissertation allègue, que des Jeux de Flore ; il est certain qu'en ces Jeux-là on jouait aussi des Comédies et des Tragédies, comme il paraît par la Novelle 105. de Justinien, où parlant de l'ordre des spectacles, il dit : « Le cinquième spectacle public sera celui du Théâtre, qu'on appelle les Jeux de Flore, où sont reçus ceux qui bouffonnent sur la Scène, et les Acteurs aussi de Tragédies, et les danseurs Thyméliques. En un mot, le Théâtre est ouvert à toutes sortes de jeux qui  donnent du plaisir aux yeux et aux oreilles. » Dissertation pag. 215. « Et pour dire en passant un mot du mauvais traitement que les Histrions et Scéniques ont reçu quelquefois des Empereurs, on verra toujours si l'on prend bien garde aux Auteurs qui nous en parlent, que cela ne s'adresse qu'aux Bateleurs et Bouffons, et non pas aux Acteurs des Comédies et des Tragédies, comme Pline s'explique, en ajoutant les mots de Pantomimes et d'arts efféminés ; car cela ne convient qu'à ces impudents qui dans leurs actions donnaient des images des plus lâches et des plus honteuses pratiques de la débauche. » XVIII. Réfutation. Ulpien célèbre Jurisconsulte sous le règne de l'Empereur Adrien, déclare en général, que tous ceux qui montent sur la Scène pour le gain, sont infâmes selon la décision de Pégasus et de Nerva le fils, dont on a fait une loi dans le droit civil, que les Empereurs n'ont jamais révoquée ; comme en effet on n'a jamais douté que les Comédiens ne fussent compris parmi ceux qui montaient sur le Théâtre pour le gain. « La première peine , dit Ménochius , dont les Histrions sont punis par les lois des Empereurs, est la note d'infamie, par laquelle ils sont exclus des dignités, comme l'enseigne entre autres Lucas de Penna ; ajoutant que parmi ces Histrions notés d'infamie, sont compris ceux qui montent sur le Théâtre, et y récitent des Comédies, quoiqu'ils ne fassent point de farces. » Ainsi l'Auteur de la Dissertation s'est fort trompé quand il dit ; « que si l'on prend bien garde aux Auteurs qui nous en parlent, on verra toujours que cela ne s'adresse qu'aux Bateleurs et Bouffons et non pas aux Acteurs des Comédies et des Tragédies ». S'il avait bien lu notre Histoire, s'il avait consulté les Registres du Parlement ; il aurait appris le mauvais traitement que les Comédiens ont reçu de nos Rois, et de leurs Magistrats. « Le Roi Philippe Auguste, dit du Pleix, consacra les prémices de sa Royauté à la gloire de Dieu, car soudain après son couronnement, il bannit de sa Cour les Joueurs d'instruments, les Bateleurs, Comédiens, et Farceurs, comme gens qui ne servent qu'à efféminer les hommes, et les exciter à la volupté par mouvement, discours, et actions sales et lascives. » En l'année 1584. certains Comédiens étant venus à Paris, et ayant dressé leur Théâtre dans l'Hôtel de Cluny, la Chambre des vacations en étant avertie ; leur fit défenses de jouer dans Paris sous peine de mille écus d'amende. Le 6 Octobre 1584. Ouï le Procureur général en ses conclusions et remontrances, la matière mise en délibération, a été attesté et ordonné, que présentement tous les Huissiers de la Cour se transporteront au logis des Comédiens, et du Concierge de l'Hôtel de Cluny près les Mathurins, auxquels seront faites défenses par ordonnance de la Chambre des Vacations, de jouer leurs Comédies, ne faire assemblée en quelque lieu et Faubourg que ce soit, et audit Concierge de Cluny les y recevoir ; à peine de mille écus d'amende. Et à l'instant a été enjoint à l'Huissier Pujet aller faire ladite signification et défenses. Aussi depuis, d'autres Comédiens étant venus de nouveau à Paris, le Parlement leur défendit de jouer à peine d'amende arbitraire, et de punition corporelle. Le Lundi 10. jour du mois de Décembre 1588. sur la remontrance faite par Maître Antoine Séguier Avocat du Roi pour le Procureur Général dudit Seigneur, et ayant égard aux conclusions par lui prises ; La Cour a fait et fait inhibitions et défenses à tous Comédiens, tant Italiens que Français, de jouer Comédies, soit aux jours de fêtes ou ouvrables, et autres semblables ; jouer et faire tours, et subtilités, à peine d'amende arbitraire, et punition corporelle, s'il y échet, quelques permissions qu'ils aient impétrées ou obtenues. Le Père Guzman Jésuite rapporte que le Roi d'Espagne Philippe II. bannit les Comédiens de ses Etats sur la fin de ses jours. « J'estime, dit-il, qu'il est convenable de bannir de la République Chrétienne, les Comédies, comme fit le Roi Catholique Philippe second de glorieuse mémoire, sur la fin de sa vie. » Et le Père Escobar aussi Jésuite, témoigne qu'en l'an 1646 le Roi d'Espagne Philippe quatrième bannit les Comédiens de tous ses Etats. « Les Magistrats, dit-il, qui permettent les Comédies pèchent-ils ? Mendoza soutient qu'ils pèchent ; parce qu'en permettant ce mal, on n'en évite pas un plus grand ; mais on entretient par là toutes sortes de vices. C'est pourquoi on ne saurait assez louer la piété du Roi Philippe IV. véritablement Catholique, d'avoir banni des Royaumes d'Espagne par un Edit, les Comédies comme étant une peste publique. » Chapitre X. QUE L'EXTREME IMPUDENCE des Jeux Scéniques et des Histrions fut condamnée. Dissertation pag. 216. 217. et 218. « Après l'éclaircissement de ces vérités, touchant les choses qui se pratiquaient dans le Théâtre des Romains, il sera facile de montrer que la juste censure des premiers Docteurs de l'Eglise ne regardait point les Acteurs des Comédies et des Tragédies, mais seulement les Scéniques, Histrions ou Bateleurs, qui par la turpitude de leurs discours et de leurs actions, avaient encouru l'indignation de tous les gens de bien, l'infamie des lois et l'anathème du Christianisme, il ne faut qu'examiner les paroles qu'ils ont employées en cette occasion, et qui nous en peuvent aisément donner toute assurance. “Quant à nous, écrit Minucius Félix le plus ancien de nos Auteurs, qui faisons profession d'une vie honnête, nous nous abstenons de vos pompes, de vos spectacles et de tous les mauvais plaisirs que l'on y prend, dont nous savons bien que l'origine est un effet de votre superstition et que leurs agréments sort condamnables ; car dans le Cirque qui peut souffrir la folie de tout un peuple qui se querelle ; dans les Gladiateurs le cruel art de tuer les hommes ; dans les jeux Scéniques une prodigieuse turpitude ; car les Mimes exposent un adultère, ou le montrent aux yeux, et ces Histrions efféminés inspirent l'amour qu'ils représentent, et se revêtant de l'image de vos Dieux, ils font honneur au crime qu'ils leur imputent, et vous font pleurer par des mouvements de tête, et les gestes qu'ils emploient pour exprimer une douleur imaginaire.” Où nous ne voyons pas une parole qui concerne le Poème Dramatique. Aussi ne veut-il parler que des Mimes, dont Pline appelle l'exercice un art efféminé. » I. Réfutation. Si l'Auteur de la Dissertation s'était arrêté à prouver la proposition qu'il a avancée dans le titre de ce 10. chapitre ; je ne me serais pas mis en peine de le réfuter ; car nous demeurons tous d'accord que l'extrême impudence des jeux Scéniques, et des Histrions fut condamnée. Mais comme dès l'entrée du même chapitre il passe plus avant, prétendant montrer que « la juste censure des premiers Docteurs de l'Eglise ne regardait point les Acteurs des Comédies et des Tragédies » ; je suis obligée de le désabuser, et de lui faire voir évidemment le contraire. Le premier Docteur de l'Eglise qu'il allègue, est Minucius Félix, qu'il dit sans preuve quelconque être le plus ancien de nos Auteurs, quoique S. Jérôme le mette après Tertullien. Pour faire croire que cet Auteur parlant des ordures de la Scène, ne parle que des Mimes, il n'a point fait scrupule de le falsifier dans sa traduction, et voici comment il traduit ces paroles de Minucius Félix· : « Nunc enim Mimus vel exponit adulteria, vel monstrat, nunc enervis Histrio amorem dum singit, infligit ; Car les Mimes exposent un adultère, ou le montrent aux yeux, et ces Histrions efféminés inspirent l'amour qu'ils représentent », Joignant ainsi les Mimes, et les Histrions que Minucius Félix distingue formellement, comme il paraît par le texte Latin, qu'il faut traduire en cette sorte : « Tantôt un Mime expose des Adultères, ou les montre ; tantôt un Histrion efféminé inspire l'amour par la représentation d'un amour feint. » Or nous avons montré dans la première Réfutation du chapitre précédent, que le nom d'Histrion comprend les Acteurs de Comédies et de Tragédies. Nous avons fait voir encore dans la 9. Réfutation du même chapitre, que c'est le propre des Comédiens d'inspirer l'amour par la représentation d'un amour feint. « Térence, dans un endroit de l'Eunuque, dit S. Augustin, nous représente un jeune homme vicieux et débauché, qui racontant une action infâme qu'il avait commise, dit qu'il avait été enflammé à la commettre par l'exemple de Jupiter même ; ayant remarqué dans un tableau peint sur la muraille, que ce Dieu avait fait descendre une pluie d'or dans le sein de Danaé, et avait ainsi trompé cette femme. Mais voyez un peu de quelle sorte il s'anime lui-même à satisfaire sa brutale passion, comme ayant pour maître, et pour modèle celui que le Ciel adore : “Un Dieu, dit-il, l'a bien voulu faire ; mais quel Dieu ? Celui qui fait trembler les voûtes du Ciel par le bruit de son tonnerre ; et moi qui ne suis qu'un des moindres d'entre les hommes, j'aurais honte d'imiter le plus grand des Dieux ? Non certes : Aussi l'ai-je imité avec joie.” N'est-il pas vrai que ces paroles sont très propres pour faire commettre aux hommes cette infamie détestable avec plus de hardiesse ? » Et de même Ovide nous apprend que toutes les Comédies de Ménandre sont pleines d'intrigues d'amour. Ce que Minucius Félix ajoute ensuite ne convient pas moins aux Acteurs de Comédies et de Tragédies : « Idem Histrio deos vestros, induendo stupra, suspiria, odia, dedecorat ; idem simulatis doloribus lacrymas vestras, vanis gestibus, et nutibus provocat » : « Le même Histrion déshonore vos dieux, représentant leurs adultères, leurs soupirs, et leurs haines ; le même tire de vous des larmes véritables par des douleurs feintes, par des gestes, et par des mouvements de tête. » Cela, dis-je, convient aussi aux Acteurs de Comédies, et de Tragédies, comme Tertullien nous l'apprend ; « Les Dieux, dit-il, ne sont pas plus respectés dans les Tragédies, et dans les Comédies, où l'on récite les déplaisirs, les travaux, les désordres de la famille de quelqu'un de vos dieux. » C'est donc sans raison que l'Auteur de la Dissertation dit que « nous ne voyons pas en cet endroit de Minucius Félix, une parole qui concerne le Poème Dramatique ». Ne devait-il pas avoir appris de Tertullien, que les sujets des Comédies, et des Tragédies, et des Mimes sont semblables ? « Tous les Adultères, dit-il, les fornications... sont autant de mélanges de sang, et d'alliances de races, et par conséquent autant de sources d'incestes, d'où les Mimes et les Comédiens tirent les sujets de leurs pièces. » Ne devait-il pas encore avoir appris de ce grand Docteur, que ceux qui se déguisent en filles, sont appelés efféminés : « Nous voyons Achille, dit-il, se vêtir en fille, se coiffer, se farder, consulter le miroir, former sa gorge, et avoir l'oreille percée comme un efféminé. » Puis donc que les Comédiens se déguisent en filles, et en femmes. On ne peut pas nier que le nom d'efféminés ne leur convienne. Il devait enfin avoir appris de Cicéron, et de Quintilien, que les gestes, et les mouvements du corps, sont propres aux Acteurs de Comédies, et de Tragédies, comme nous l'avons montré dans la 4. Réfutation du Chapitre précédent. Mais puisque Minucius Félix dit en général, « Nous nous abstenons de vos voluptés, de vos pompes, et de vos spectacles, comme de choses mauvaises », comment peut-on dire qu'il n'y comprend pas les Tragédies, ni les Comédies, qui sont des espèces de Spectacles ? car les choses spéciales sont toujours comprises dans les générales, et les parties dans leur tout. Il est aisé d'ailleurs de faire voir encore plus expressément, que les premiers Docteurs de l'Eglise ont condamné les Comédies, et les Tragédies : « A quoi me sert, dit Tatien, un Oreste furieux, ainsi qu'Euripide le représente, qui vient nous entretenir du meurtre qu'Alcméon fit de sa mère, qui porte un masque, ou qui fait des grimaces, ayant l'épée au côté, qui se tue à force de crier ; et qui s'habille d'une manière indigne d'un homme ? Laissons les fables d'Agésilas, et du Poète Ménandre… Nous vous abandonnons ces choses frivoles, et inutiles ; mais croyez plutôt les vérités de notre Religion, et quittez à notre exemple ces badineries. » Tatien pouvait-il plus expressément condamner les Tragédies, qu'en condamnant celles d'Euripide ? Pouvait-il condamner plus clairement les Comédies qu'en condamnant celles de Ménandre ? Il n'est donc pas vrai, comme l'Auteur de la Dissertation s'imagine, que la juste censure des premiers Docteurs de l'Eglise ne regardait point les Acteurs de Comédies, et de Tragédies. Dissertation pag. 219. « Et si Tertullien dit que les Histrions ne gagnent pas seulement leur vie avec leurs mains, mais avec leurs corps ; il fait bien connaître qu'il n'entend pas parler des Comédiens, et des Tragédiens, qui agissent plus de la langue, que de tout le reste de leurs personnes ; mais seulement des Mimes, Pantomimes, et autres Bateleurs de la Scène, et du Théâtre, dont l'art était de s'expliquer bien plus par les postures, que par le discours. Et nous pouvons découvrir son sentiment, quand il écrit  : “Nous nous sommes séparés de votre Théâtre, parce que c'est un mystère d'impudicité, où rien n'est approuvé que ce que l'on condamne ailleurs ; et tout ce qu'il a de charmes pour plaire, ne vient que des gesticulations trop libres des Atellanes et des honteuses représentations des Mimes, où les femmes se font voir sans aucun reste de pudeur.” » II. Réfutation. L'Auteur de la Dissertation se moque du monde, de débiter continuellement de faux raisonnements, et de ne citer presque jamais les Auteurs de bonne foi. Car peut-on faire un plus faux raisonnement que celui-ci ? Tertullien dans un endroit du Traité de l'Idolâtrie n'entend pas parler des Comédiens, et des Tragédiens ; il n'entend donc pas en parler en aucun autre endroit. C'est justement comme si l'on disait, Saint Mathieu n'entend point parler de la passion de Notre Seigneur Jésus-Christ dans le premier chapitre de son Évangile ; il n'entend donc pas en parler en aucun autre chapitre. Cela est si visiblement faux que j'aurais honte de m'y arrêter davantage. Le passage qu'il ajoute ensuite, tiré du chapitre 17. du traité de Tertullien des spectacles, où il parle des Atellanes et des Mimes, est allégué de mauvaise foi, parce qu'il est tronqué ; car il n'est pas possible qu'un homme qui a lu Tertullien, puisse alléguer de bonne foi ce passage tel qu'il est cité dans la Dissertation, pour montrer que Tertullien ne condamne que les Atellanes et les Mimes, et non pas les Comédiens ni les Tragédiens ; puisqu'aussitôt après il condamne en termes exprès les Comédies et les Tragédies, comme étant sanglantes, lascives, impies et déréglées, il ne faut que rapporter le passage de Tertullien tout entier, pour reconnaître la vérité de ce que je dis : Après que ce grand homme a prouvé que le Cirque est interdit aux Chrétiens, à cause de la fureur dont on y est transporté, il montre que le Théâtre leur est aussi interdit, à cause de l'impudicité qui y règne. « Il nous est commandé, dit-il, de ne point aimer aucune sorte d'impudicité, et ainsi le Théâtre nous est de même interdit, comme étant un consistoire de l'impureté, où rien n'est approuvé que ce qu'on désapprouve partout ailleurs ; où rien ne plaît tant que l'impudicité, qu'un Bateleur Atellane exprime par ses gestes, et qu'un Mime représente par le ministère même des femmes, qui perdent tellement la pudeur de leur sexe, qu'elles auraient plus de honte dans leurs maisons de ce dérèglement qu'elles n'en ont sur la Scène. Un Pantomime souffre dès son enfance l'impudicité en son corps pour devenir habile dans cet art. Des femmes prostituées paraissent aussi sur la Scène, ces victimes de la débauche publique, qui sont d'autant plus misérables que devant des femmes qui étaient les seules de qui elles se cachaient, elles sont exposées à la vue de toutes sortes de personnes, de quelque âge et de quelque condition qu'ils soient : On fait savoir publiquement à ceux même qui n'en ont que faire, le lieu où elles demeurent, le prix de leur prostitution, leur nom et leurs qualités. Je passe sous silence les autres infamies, qui devraient être ensevelies dans les ténèbres et dans leurs tanières pour ne pas souiller la lumière du jour. Que le Sénat et tous les ordres en aient honte ! qu'elles-mêmes, ces meurtrières de leur pudeur, aient de la confusion de faire des gestes et des postures si impudiques, en plein jour et à la vue du peuple, et qu'elles en rougissent au moins une fois l'an : Que si toute sorte d'impureté nous doit être en horreur et en exécration, pourquoi sera-t-il permis d'entendre ce qu'il n'est pas permis de dire ; puisque nous savons que Dieu condamne même toutes sortes de bouffonneries et de paroles inutiles ? Pourquoi sera-t-il permis de regarder ce qu'on ne peut faire sans commettre un crime ? Si ce qui sort de la bouche souille un homme, pourquoi ce qu'il reçoit par les yeux et par les oreilles, ne le souillera-t-il point ? puisque les yeux et les oreilles sont les organes de l'âme, qui ne peut être pure, si ses organes sont souillés d'impureté. Vous voyez donc que l'impudicité nous étant interdite, le Théâtre par conséquent est aussi interdit. Et si nous rejetons la doctrine des lettres profanes, comme n'étant qu'une folie devant Dieu, nous devons aussi par la même raison rejeter ces espèces de spectacles, que les lettres profanes comprennent sous l'art des jeux ou des combats. Que si les Tragédies et les Comédies sont des représentations de crimes et de choses impudiques, elles sont sanglantes, lascives, impies et d'une extrême dépense ; puisque la représentation d'un crime énorme ou d'une chose infâme n'est point meilleure que ce qu'elle représente. Comme il n'est point permis d'approuver un crime dans l'action par laquelle on le commet, il n'est point aussi permis de l'approuver dans les paroles qui le représentent. » Il est donc difficile de comprendre comment l'Auteur de la Dissertation a eu la hardiesse de dire que Tertullien n'a point condamné les Tragédies ni les Comédies, dans l'endroit même où il les condamne en termes exprès. Dissertation pag. 220. « Aussi lorsque saint Cyprien interdit la Communion à ceux qui jouaient sur le théâtre , il ne parle que des Histrions, et montre assez clairement qu'il n'entend par là que ces bouffons infâmes, que les paroles et les postures rendaient odieux à tous ceux qui conservaient les moindres restes de l'honnêteté. Voici ces termes : “On ne doit point recevoir à la table des fidèles un Histrion, qui persévère en la turpitude de son art, et qui perd les jeunes enfants en leur enseignant ce qu'il a mal appris.”. » III Réfutation. Voici encore un faux raisonnement ; Saint Cyprien dans l'Epître à Euchratius ne parle que des Histrions bouffons ; il ne parle donc point des Comédiens ni des Tragédiens. Premièrement il n'est pas vrai que dans cette Epître saint Cyprien ne parle que des Histrions bouffons ; l'Auteur de la Dissertation le dit sans preuve et sans raison. Cette Epître de saint Cyprien est insérée dans le corps du droit Canonique, où les interprètes l'expliquent non seulement des Histrions bouffons, mais aussi des Histrions Acteurs de Comédies. « La première peine, dit Ménochius, dont les Histrions sont punis par les lois des Empereurs, est la note d'infamie, par laquelle ils sont exclus des dignités, comme l'enseigne Lucas de Penna ; ajoutant, que parmi ces Histrions notés d'infamie, sont compris ceux, qui même sans faire de farces montent sur le Théâtre, et y récitent des Comédies… La neuvième peine dont ces Histrions sont punis, est d'être privés de la sacrée et sainte Eucharistie à l'heure de la mort, selon le Canon pro dilectione, tiré de l'Epître de saint Cyprien à Euchratius, comme l'enseigne Lucas de Penna et Majolus. » Secondement quand Saint Cyprien ne parlerait en cet endroit que des Histrions bouffons ; il ne s'ensuit pas néanmoins que dans un autre endroit il ne parle des Acteurs de Tragédies et de Comédies : Cette conséquence est si fausse, que la seule lecture de l'Epître que saint Cyprien écrit à Donat, suffit pour convaincre d'imposture l'Auteur de la Dissertation. Car peut-on condamner plus expressément les Tragédies qu'en ces termes de ce grand S. que Monseigneur le Prince de Conti a rapportés dans son traité de la Comédie et des Spectacles. « Vous verrez dans les Théâtres, dit S. Cyprien, des choses qui vous donneront de la douleur, et qui vous feront rougir. C'est le propre de la Tragédie d'exprimer en vers les crimes de l'antiquité, on y représente si naïvement les parricides et les incestes exécrables des siècles passés, qu'il semble aux spectateurs qu'ils voient encore commettre effectivement ces actions criminelles, de peur que le temps n'efface la mémoire de ce qui s'est fait autrefois. Les hommes de quelque âge et de quelque sexe qu'ils soient, apprennent qu'un crime se peut faire, en apprenant qu'il s'est fait. Les péchés ne meurent point par la vieillesse du temps : les années ne couvrent point les crimes, et on ne perd jamais le souvenir des mauvaises actions : elles ont cessé d'être des crimes, et elles deviennent des exemples. » Dissertation pages 221. et 222. « Saint Chrysostome fut un des plus rigides en ces occasions  ; mais il parle seulement contre les assemblées du Théâtre, où l'on introduisait des troupes de femmes débauchées et des sujets d'autres crimes, qui faisaient horreur à la nature ; des danseurs et des Mimes, qu'il appelle tous infâmes. Il fait même trois sortes de censures contre le Théâtre et le nomme une chaire de pestilence et l'école de la débauche  ; mais ces paroles montrent assez clairement qu'il n'applique cette condamnation qu'aux Histrions, Farceurs, Mimes, Scurres et autres gens qui ne travaillaient qu'à faire rire : car il ne se plaint que de l'impudence de l'Orchestre où nous avons montré que les Comédiens ne jouaient point, et où était un lit sur lequel les Mimes représentaient les adultères de leurs Dieux, et de ce que l'on y donnait au public des spectacles de fornication, de corps effémines, des paroles sales, des mauvaises chansons, des femmes débauchées, qui dansaient et nageaient toutes nues dans l'Orchestre pour divertir le peuple, dont rien ne convenait au Poème Dramatique. » IV. Réfutation. Voilà bien des propos hors de propos. L'Auteur de la Dissertation s'est engagé de prouver, que S. Chrysostome ne condamne point les Comédies, et au lieu de le prouver, il dit que ce Père condamne les Histrions, les Farceurs et les Mimes. Peut-on plus mal raisonner ? Pour détruire tout ce faux raisonnement, il ne faut que faire voir au contraire que S. Chrysostome condamne les Comédies en termes formels. Car en effet S. Chrysostome représentant les difficultés que les Apôtres rencontraient dans les esprits des peuples qu'ils voulaient convertir, met entre les principaux obstacles, l'attachement qu'ils avaient aux Comédies : « Les Apôtres, dit-il, appelaient les peuples de l'impureté et de la fornication, à la chasteté ; de l'amour de la vie, à la mort, de l'ivrognerie, à la tempérance ; du ris, aux larmes et à la componction ; de l'avarice, à la pauvreté ; de la sûreté, aux dangers : Enfin ils exigeaient d'eux une extrême circonspection et exactitude en toutes choses. “Que les paroles déshonnêtes leur disaient-ils, folles et bouffonnes ne sortent point de votre bouche”: et ils prêchaient ces choses à ceux qui ne s'étudiaient qu'à s'enivrer et à faire bonne chère ; à ceux qui ne solennisaient leurs fêtes, que par des divertissements honteux, par des ris dissolus, par toutes sortes de Comédies. » Peut-on dire après cela que saint Chrysostome ne condamne pas les Comédies, puisqu'il les met au rang des choses honteuses et dissolues, qui empêchent la conversion des âmes. Dissertation pag. 223. « Saint Cyrille ne crie que contre les impudicités des Mimes, et des Sauteurs efféminés. » V. Réfutation. Les paroles de S. Cyrille font voir le contraire. Il montre premièrement qu'en renonçant dans le Baptême aux pompes du diable, nous renonçons à toutes sortes de Spectacles ; et par conséquent à ceux des Comédies, et des Tragédies. Ensuite il dit que nous ne devons pas être attachés aux folies du Théâtre, ou l'on voit encore les ordures des Mimes. « Les pompes du diable, dit-il, sont les spectacles du Théâtre, la course des chevaux dans l'Hippodrome, les chasses, et toutes les autres vanités semblables, dont le Roi David demande à Dieu d'être délivré, en lui disant : “Détournez mes yeux, afin qu'ils ne regardent point la vanité.” Ne vous laissez donc pas emporter à la folie des spectacles du Théâtre, où vous verriez les excès des Mimes tous pleins d'impureté, et d'infamie, où vous verriez les danses des hommes efféminés. » Il paraît clairement par ces paroles que S. Cyrille ne condamne pas seulement les Mimes ; mais aussi toutes sortes de spectacles, et toutes les autres vanités semblables. Dissertation pag. 223. « Saint Basile s'explique de la même sorte , en condamnant les spectacles de toutes sortes de Bateleurs, les chansons des personnes efféminées, et les impudences de l'Orchestre, destinée aux Sauteurs, et aux Farceurs, comme nous l'avons expliqué ci-dessus. » VI. Réfutation L'Auteur de la Dissertation ne devait pas ignorer que les Chœurs des Tragédies, et des Comédies se jouaient sur l'Orchestre ; S. Basile donc condamnant l'Orchestre avec les Spectacles qui y étaient représentés, sans en excepter les Chœurs des Tragédies ni des Comédies, comme étant une école publique de toute sorte d'impureté, condamne aussi les Comédies, et les Tragédies, dont les Chœurs faisaient partie parmi les Grecs, occupant les espaces qui divisaient les Actes, et représentant sur l'Orchestre par leurs postures, par leurs chansons, et par leurs danses, ce que les Acteurs des Tragédies et des Comédies représentaient sur la Scène par les vers et par l'action. Mais comment l'Auteur de la Dissertation a-t-il pu s'imaginer que S. Basile ne condamnait point les Comédies, ni les Tragédies ? N'a-t-il jamais lu le Traité que ce grand Saint a composé de la manière qu'on doit lire les livres des Gentils ? Il y condamne en termes exprès les Poèmes Dramatiques, comme étant remplis d'ordures, et d'impuretés. « Nous n'approuverons point , dit-il , les Poètes outrageux, Satiriques, et Farceurs, ni ceux qui représentent des Amants, ou des Ivrognes, ni ceux qui établissent la félicité dans la bonne chère, dans le luxe des tables, et dans des chansons déshonnêtes. Surtout nous désapprouverons ceux qui introduisent plusieurs Dieux qui ne s'accordent point ; un frère qui a des différends avec son frère ; un père qui en a avec ses enfants ; un fils qui fait sans cesse la guerre à son père. Nous rejetterons ceux qui représentent les adultères, et les sales amours des Dieux, et principalement de Jupiter, qu'ils disent être le Roi de tous les autres : Ces crimes qu'ils leur attribuent, sont si énormes qu'on aurait honte de les attribuer aux bêtes les plus farouches. Nous abandonnerons à la Scène toutes ces ordures, et toutes ces impuretés. » Dissertation pag. 223. « Et Clément Alexandrin ayant touché cette communication de l'Idolâtrie des Spectacles, ajoute pour en exprimer la turpitude, qu'ils ne doivent pas faire notre divertissement. “Le Stade, et le Théâtre , dit-il , peuvent bien se nommer une chaire de pestilence ; et l'assemblée qui s'y fait est remplie d'iniquité, et chargée de malédictions : les actions les plus honteuses y sont toutes représentées ; et quelles paroles les Bouffons et les Bateleurs ne prononcent-ils point pour faire rire le peuple ?”. » VII. Réfutation. Il ne faut que rapporter fidèlement les paroles de Clément d'Alexandrie, pour voir que l'Auteur de la Dissertation n'a nulle raison de dire que ce grand homme ne condamne point les Comédies et les Tragédies ; car on verra qu'il condamne tous les Spectacles généralement sans aucune exception, et par les mêmes raisons, pour lesquelles les Tragédies et les Comédies doivent être défendues. « Jésus-Christ, dit-il , qui est notre Pédagogue, ne nous conduira point aux Spectacles. On peut justement appeler le Théâtre, et la carrière des courses publiques, une chaire de pestilence ; car c'est là où se tient le conseil des méchants contre la justice : C'est pourquoi les assemblées qui s'y font, sont maudites : elles sont pleines de confusion et d'iniquité ; et elles ne fournissent que trop de sujets d'impureté, par le mélange des hommes, et des femmes qui s'occupent à se regarder. C'est là où se forment de pernicieux desseins ; car les regards lascifs excitent de mauvais désirs, et les yeux étant accoutumés à regarder impudemment les objets qui sont auprès d'eux, se servent de l'occasion qui se présente, pour satisfaire leur cupidité. C'est pourquoi les Spectacles doivent être défendus, où l'on ne voit que des choses infâmes, où l'on n'entend que des paroles bouffonnes et inutiles. Car y a-t-il rien de honteux qu'on ne représente sur les Théâtres ? Et y a-t-il des paroles insolentes que les Farceurs et les Histrions ne profèrent pour faire rire ? De sorte que ceux qui par leur inclination criminelle y prennent plaisir, en emportent chez eux de vives images empreintes dans leur esprit. Que s'il y en a qui ne soient pas touchés de ces choses ; ils ne s'amuseront pas assurément à des plaisirs inutiles. S'ils disent que les Spectacles leur servent seulement de jeu et de divertissement pour relâcher leur esprit, nous leur répondrons que les villes ne sont pas sages, où l'on fait des Jeux des choses sérieuses ; car ces désirs cruels de la vaine gloire, qui font mourir des hommes pour leur plaisir, sont-ce des Jeux ? Les soins qu'on emploie pour la vanité ; ces ambitions déréglées ; ces excès de prodigalité, sont-ce des Jeux ? Les séditions qu'excitent les divers partis qui se forment sur le sujet de ces Spectacles, sont-ce des Jeux ? Certes il ne faut jamais acheter l'oisiveté, par une vaine et inutile occupation : car un homme sage ne préférera jamais ce qui est agréable, à ce qui est plus honnête et plus avantageux. Mais, dites-vous, nous ne faisons pas tous profession de la sagesse. Est-ce donc que nous n'aspirons pas tous à la vie éternelle ? Que dites-vous ? Comment donc avez-vous embrassé la foi ? Comment aimez-vous Dieu, et le prochain, si vous ne faites pas profession de la sagesse ? Et comment vous aimez-vous vous-mêmes, si vous n'aimez pas la vie éternelle ? Je n'ai pas étudié, dites-vous, je ne sais pas seulement lire. Mais si vous ne savez pas lire, vous entendez du moins ce qu'on dit ; et ainsi vous vous rendez inexcusable, si vous n'avez pas soin d'entendre ce qui vous peut instruire. Or la foi qui vient de ce qu'on a ouï, appartient à ceux qui sont sages non selon le monde ; mais selon Dieu : Et cette sagesse de la foi s'apprend sans étude et sans lettres ; elle s'imprime d'un caractère spirituel et divin dans les cœurs des plus grossiers, et des plus ignorants ; et elle est appelée Charité. On peut être auditeur et disciple de cette divine sagesse, sans cesser de vaquer aux affaires publiques : Et il n'est pas même défendu de se servir des choses de ce monde, pourvu qu'on y garde l'honnêteté prescrite par la loi de Dieu. » Je demande à l'Auteur de la Dissertation, s'il estime que Jésus-Christ nous conduise à la Comédie par l'instruction de son Evangile ? Je m'assure qu'il aurait honte de dire une chose si extravagante. Il faut donc qu'il avoue que Clément d'Alexandrie condamne la Comédie par la même raison pour laquelle il condamne généralement les Spectacles ; savoir parce que Jésus-Christ qui est notre Pédagogue, ne nous y conduit pas. Je lui demande encore si dans les assemblées des Comédies, les hommes et les femmes étant ensemble ne s'occupent pas à se regarder ; et si les regards lascifs n'y excitent pas de mauvais désirs ? C'est ce qu'il ne saurait nier. Il est donc vrai qu'on peut justement appeler le Théâtre où l'on joue les Comédies, une chaire de pestilence, et les assemblées qui s'y font, des assemblées maudites ; et qu'ainsi Clément d'Alexandrie condamne le Théâtre, à l'égard de la Comédie, aussi bien qu'à l'égard des autres Spectacles. Enfin je lui demande si ce n'est pas pour le plaisir et pour le divertissement, plutôt que pour l'honnêteté, et pour l'avantage qui en revient, qu'on va à la Comédie ? Il n'y a point d'homme raisonnable qui n'en demeure d'accord. C'est donc une folie, selon Clément d'Alexandrie, d'aller à la Comédie ; « Car un homme sage, dit-il, ne préférera jamais ce qui est agréable, à ce qui est plus honnête et plus avantageux. » Dissertation pag. 224. « Et ce que l'on ne doit pas oublier en ce discours, est que les Hébreux n'avaient point estimé les Poèmes Dramatiques indignes de leurs soins, ni contraires à la sainteté de leur Religion, comme nous le pouvons juger par le fragment qui nous en reste de la Tragédie d'Ezéchiel, intitulée : la sortie d'Egypte . » VIII. Réfutation. La lecture précipitée de l'Auteur de la Dissertation lui fournit assez souvent des illusions ; En voici une qui n'est pas des moindres. Il a vu dans Clément d'Alexandrie, et dans Eusèbe, qu'il y est parlé d'une Tragédie d'Ezéchiel intitulée la sortie d'Egypte : il s'est imaginé aussitôt que c'était le Prophète Ezéchiel, ou du moins quelque autre Hébreu qui avait composé cette Tragédie ; et qu'ainsi les Hébreux n'avaient point estimé les Poèmes Dramatiques indignes de leurs soins, ni contraires à la sainteté de leur Religion. Mais il ne devait pas ignorer ; premièrement que cet Ezéchiel était un Poète Grec, qui représentait dans ses Tragédies les Histoires des Juifs : et en effet les fragments qu'en rapportent Clément d'Alexandrie, et Eusèbe, font voir que les Tragédies de ce Poète étaient composées en Grec, lesquelles par conséquent n'étaient pas de l'usage des Hébreux, qui n'approuvaient pas l'étude du Grec, ni des autres langues étrangères, estimant que la sainteté de leur Religion était profanée par ces langues. « J'ai fait, dit Josèphe, quelque progrès dans l'étude de la langue Grecque ; quoique la coutume de notre pays ne m'ait pas permis d'en apprendre exactement la prononciation : car parmi nous on ne fait pas état de ceux qui apprennent plusieurs langues ; parce que cette étude est estimée profane. » Et nous lisons dans le Talmud que les Juifs estimaient que c'était profaner l'Ecriture sainte que de la traduire en Grec ; de sorte qu'ils célèbrent un jeûne public pour témoigner le regret qu'ils ont d'avoir été obligés d'accorder à la prière du Roi Ptolémée qu'elle fût traduite en Grec : « On célèbre un jeûne, dit le Talmud, le cinquième jour de la lune de Décembre ; parce qu'en ce jour la loi fut écrite en Grec du temps du Roi Ptolémée : et alors le monde fut couvert de ténèbres pendant trois jours. » Secondement l'Auteur de la Dissertation devait avoir appris de Josèphe, que les Hébreux étaient si éloignés de croire que les Poèmes Dramatiques, tels qu'étaient ceux du Poète Ezéchiel, n'étaient pas indignes de leurs soins, ni opposés à la sainteté de leur Religion, qu'ils les regardaient, au contraire, comme des sacrilèges que Dieu ne laissait pas impunis. « La traduction de la loi, dit Josèphe, ayant été achevée en soixante et douze jours… le Roi Ptolémée Philadelphe eut une extrême joie de voir l'accomplissement de ce qu'il avait tant désiré pour l'utilité publique ; mais la lecture qu'on lui fit de la loi, lui donna encore beaucoup plus de contentement, ne pouvant assez admirer la sagesse du Législateur : Et s'entretenant sur ce sujet avec Démétrius Phaléreus il lui demanda, d'où venait qu'aucun Historien ni aucun Poète n'avait parlé de ces lois admirables. Démétrius lui répondit, qu'étant certain que cette loi était divine et digne de toute vénération, personne n'y avait osé toucher ; quelques-uns ayant été punis de Dieu, pour avoir eu la témérité de le faire. Car Théopompus, pour en avoir voulu tirer quelques endroits, afin de les insérer dans ses écrits, perdit l'esprit durant trente jours, et dans les intervalles de sa folie ayant aisément reconnu quelle était la cause du mal qui lui était arrivé, il apaisa par ses prières la colère de Dieu, et fut averti en songe qu'il souffrait cette peine pour avoir recherché avec trop de curiosité la connaissance des choses divines, afin de les découvrir aux profanes ; c'est pourquoi ayant quitté son entreprise, il rentra dans son bon sens. Et le Poète Théodecte ayant voulu mêler quelque chose de ces livres sacrés dans une de ses Tragédies, devint aveugle par une fluxion qui tomba sur ses yeux : et après avoir reconnu sa faute et en avoir demandé pardon à Dieu, il recouvra la vue. » Il n'est donc pas vrai, comme dit l'Auteur de la Dissertation, que les Hébreux n'aient pas estimé les Poèmes Dramatiques indignes de leurs soins, ni contraires à la sainteté de leur Religion. Il ne pouvait rien avancer de plus désavantageux pour lui, que de nous avertir de ne pas oublier l'illusion qu'il débite en cet endroit. Dissertation pages 224. et 225. « Mais les Auteurs du Talmud ou livre de la narration d'Enoch condamnent les Mimes, chansons, danses et bouffonneries, auxquelles ils disent que les enfants de Caïn s'étaient trop adonnés, sans avoir parlé de Tragédies ni de Comédies. » IX. Réfutation. Cette prétendue preuve de l'Auteur de la Dissertation est digne du sujet qu'il traite. Il appuie la défense des fables du Théâtre sur les fables des livres apocryphes ; et toutefois il aurait mieux fait de suivre le conseil de l'Apôtre, qui nous avertit « de ne nous arrêter point à des fables Judaïques ». Il suffit donc de dire, que ce qui est ici rapporté par l'Auteur de la Dissertation, est une fable sans nous y arrêter d'avantage ; je remarquerai seulement les fautes qu'il a faites en la rapportant. Il confond le Talmud avec le livre d'Enoch : Et cette erreur n'est pas excusable en ce temps où il y a tant de livres qui nous apprennent ce que c'est que le Talmud, si nous ne sommes pas capables de le savoir par sa lecture. Quant au livre d'Enoch, Tertullien lui pouvait apprendre qu'il n'est pas même reçu des Juifs. Mais il est admirable quand il dit qu'il n'est point parlé dans ce livre d'Enoch de Tragédies ni de Comédies. Comment a-t-il pu s'imaginer qu'il y eût des Tragédies et des Comédies du temps des enfants de Caïn ? Et s'il n'y en avait point, comment veut-il qu'Enoch en parlât ? Tout le monde demeure d'accord que Thespis a inventé la Tragédie environ l'an 3400. de la création du monde : et tous les enfants de Caïn périrent par le déluge l'an 1655. de la création du monde ; ainsi les Tragédies n'ont paru que près de deux mille ans après la mort de tous les enfants de Caïn, et même la Comédie n'a été inventée qu'après la Tragédie selon le témoignage d'Horace. Dissertation page 225. « C'est encore avec cette même distinction que les Conciles, et le droit des souverains Pontifes ont condamné la Scène de l'Antiquité . Le Concile Elibertin ne parle que des Pantomimes, qu'il ne reçoit à la pénitence qu'en changeant de vie. Le sixième de Carthage réprouvé ne défend que les Mimes et les danses de la Scène. » X. Réfutation. L'Auteur de la Dissertation a-t-il cru pouvoir trouver des Lecteurs si persuadés de sa suffisance, qu'ils n'examineraient pas ses citations ? s'il n'avait eu cette pensée, il n'aurait jamais eu la hardiesse de dire que le Concile Elibertin ou d'Elvire, ne parle que des Pantomimes ; puisque dans le Canon 67. il met en termes exprès les Comédiens au rang des Scéniques, et ne défend pas moins aux filles Chrétiennes d'épouser des Comédiens, que des Scéniques. « Il faut défendre, dit le Concile, aux femmes et aux filles fidèles ou Catéchumènes, d'épouser des Comédiens ou des Scéniques. Que s'il y en a qui en épousent, qu'elles soient excommuniées. » Il cite ensuite à la marge le Canon 51. du Concile de Constantinople qu'on appelle in Trullo, qu'il dit ne condamner que les Mimes et les danses de la Scène. Mais il ne devait pas oublier le Canon 62. qui défend même aux Laïques de se déguiser en Tragédiens ou en Comédiens, sous peine d'être excommuniés, et aux Ecclésiastiques, sous peine d'être déposés. « Que personne ne se déguise ni en Comédien, ni en Satyre, ni en Tragédien. Si quelqu'un donc désormais commet quelque crime de ceux qui sont exprimés dans ce décret, dès que les Prélats en auront connaissance, si c'est un Ecclésiastique, qu'il soit déposé ; si c'est un Laïque qu'il soit excommunié. » Quant au sixième Concile de Carthage qu'il allègue et qu'il qualifie réprouvé ; c'est une fausse citation, ce Concile n'étant point réprouvé, et d'ailleurs ne contenant rien de tout ce qu'il dit. Dissertation pag. 225. et 226. « Et quand on a mis entre les règles du droit Ecclésiastique, la défense que S. Augustin fait de donner aux Histrions  ; on n'a regardé que les Mimes et Farceurs : et ces termes ne se peuvent étendre plus loin ; car il les nomme Bateleurs et Bouffons, et les conjoint aux combats d'hommes et de bêtes, aux plus viles personnes du Cirque ; et à ces femmes prostituées de la Scène, qui jouaient les Mimes. » XI. Réfutation. C'est ici une manifeste pétition de principe ; car l'Auteur de la Dissertation suppose pour vrai ce qui est en question, ou plutôt ce qui est évidemment faux ; il suppose que S. Augustin par le mot d'Histrion n'entend parler que des Mimes, des Farceurs, des Bateleurs et des Bouffons. Et nous avons montré ci-dessus dans la 1. Réfutation du chap. précédent, que S. Augustin après Cicéron donne le nom d'Histrion aux Acteurs de Comédies et de Tragédies en termes si exprès qu'il n'y a pas lieu d'en douter. Aussi les interprètes du droit Canonique expliquant ce passage de S. Augustin, dont on a formé le Canon Donare, nous apprennent, que par là le droit canonique établit une peine, non seulement contre les Mimes, et les Farceurs, mais encore contre les Comédiens. « La première peine, dit Ménochius, dont les Histrions sont punis par les lois des Empereurs, est la note d'infamie, par laquelle ils sont exclus des dignités, comme l'enseigne entre autres Lucas de Penna, qui ajoute que parmi ces Histrions notés d'infamie, sont compris ceux qui montent sur la Scène et y récitent des Comédies ; quoiqu'ils ne fassent point de farces.... « La sixième peine établie contre eux, est que personne ne leur peut rien donner pour la représentation de leurs pièces, suivant le même Canon Donare, tiré de S. Augustin. » Quant à ce que l'Auteur de la Dissertation ajoute, que le terme d'Histrion ne s'étend qu'aux Mimes, aux Bateleurs et aux Bouffons, parce que S. Augustin les joint aux combats d'hommes et de bêtes, aux plus viles personnes du Cirque, et à ces femmes prostituées de la Scène qui jouaient les Mimes ; il y a encore en cela une manifeste pétition de principe ; car il suppose pour vrai, ce qui est évidemment faux, que la Comédie n'est point vicieuse ni criminelle ; et que par conséquent S. Augustin ne joint pas les Comédiens avec des personnes vicieuses et criminelles. Cette supposition dis-je, est évidemment fausse ; car S. Augustin déclare en termes exprès, que la Comédie est vicieuse et criminelle. « On n'eût jamais, dit-il, approuvé les Comédies et les crimes qu'elles représentent sur le Théâtre, si les mœurs des hommes qui étaient souillés des mêmes vices ne l'eussent souffert. » C'est donc avec raison que S. Augustin voulant montrer par des exemples qu'on ne doit rien donner à un pécheur, comme pécheur, c'est-à-dire à cause de son péché, rapporte l'exemple des Comédiens et des autres Acteurs de la Scène, avec celui des Chasseurs de l'Amphithéâtre, des Conducteurs de chariots, et des femmes de mauvaise vie. La lecture du passage entier de S. Augustin fait voir que puisque les Acteurs de Comédies représentant des choses vicieuses sont pécheurs, il n'est pas permis de leur rien donner à cause des Comédies qu'ils jouent ; d'où il s'ensuit que S. Augustin comprend les Comédiens sous le nom d'Histrions : « Il faut, dit-il, concilier ensemble ces deux devoirs, de rejeter les pécheurs en ne leur faisant point de bien ; et de donner à tous ceux qui vous demandent. Quand un pécheur vous demande l'aumône, donnez-la mais non pas comme à un pécheur. Quand est-ce que vous lui donnez comme à un pécheur ? c'est lorsque vous lui donnez à cause de son péché qui vous plaît ; en quoi vous offensez Dieu. Ayez je vous prie la patience que je vous développe par des exemples, cette vérité qu'il est utile de bien entendre. Je dis donc quand un homme quel qu'il soit, est dans la nécessité, donnez-lui si vous avez de quoi lui donner ; donnez-lui pour subvenir au besoin qui le presse, si vous jugez qu'il soit à propos : Dans ces rencontres ne fermez pas à votre prochain les entrailles de la miséricorde et de la compassion. A la vérité c'est un pécheur qui se présenté à vous ; mais vous devez aussi considérer au même temps que c'est un homme. Quand je dis un homme pécheur se présente à vous, je marque deux noms, et ce n'est pas inutilement et sans raison ; car être homme, et être pécheur sont deux choses bien différentes. Être homme, c'est l'ouvrage de Dieu : Être pécheur, c'est l'ouvrage de l'homme. Donnez à l'ouvrage de Dieu, mais non pas à l'ouvrage de l'homme. Pourquoi, me direz-vous, ne m'est-il point permis de donner à l'ouvrage de l'homme ? Qu'est-ce que donner à l'ouvrage de l'homme ? C'est donner à un pécheur à cause de son péché ; parce qu'il vous divertit par son péché. Mais qui fait cela, dites-vous ? Plût à Dieu que personne ne le fît, ou qu'il y eût peu de gens qui le fissent, ou qu'on ne le fît point publiquement. Ceux qui donnent aux Chasseurs de l'Amphithéâtre, pourquoi leur donnent-ils ? qu'ils me disent pourquoi ils donnent aux Chasseurs de l'Amphithéâtre ? Ils les aiment à cause de leur péché : c'est pour ce péché qu'ils leur donnent de quoi se nourrir et de quoi se vêtir ; c'est ce péché qu'ils entretiennent à la vue de tout le monde. Celui qui donne aux Histrions, c'est-à-dire, aux Comédiens et aux autres Acteurs de la Scène ; celui qui donne aux femmes débauchées ; celui qui donne aux Conducteurs de chariots, pourquoi leur donne-t-il ? Ne sont-ce pas des hommes à qui ils donnent ? Mais ils ne considèrent pas en eux la nature de l'ouvrage de Dieu ; ils ne regardent que l'iniquité de l'ouvrage de l'homme. » Il paraît par ce discours que le but de S. Augustin est de prouver que c'est offenser Dieu que de donner à ceux qui l'offensent, en considération de l'offense qu'ils commettent contre sa divine Majesté ; or ceux qui donnent aux Comédiens, leur donnent en considération des Comédies qu'ils représentent, lesquelles étant vicieuses, selon S. Augustin, comme nous l'avons montré, ne peuvent être représentées sans offenser Dieu ; D'où il s'ensuit que ceux qui donnent aux Comédiens à cause des Comédies qu'ils jouent, offensent Dieu selon les sentiments de S. Augustin. Dissertation pag. 226. « Le Concile de Milan ordonne bien que l'on chasse les Histrions, les Mimes et Bateleurs, et tous les gens de cette sorte abandonnés au vice, et que l'on soit sévère contre les Hôteliers, et tous ceux qui les retirent ; mais il ne dit rien contre les Acteurs des Comédies et des Tragédies, qui n'ont jamais été traités de même sorte. » XII. Réfutation. L'Auteur de la Dissertation a de mauvais mémoires ; car le 1. Concile de Milan qu'il allègue, condamne les Comédies si clairement, qu'il n'y a pas lieu d'en douter : « Les Ecclésiastiques, dit ce Concile, n'assisteront point à la représentation des fables, aux Comédies, aux Joutes, ni à aucun autre spectacle profane, de peur que leurs oreilles, et leurs yeux, qui sont consacrés au service divin, ne soient souillés par des actions, et des paroles d'impureté et de badinerie.  » Mais d'ailleurs peut-on alléguer en faveur de la Comédie un Concile tenu sous saint Charles Borromée, qui a composé un livre exprès contre la Comédie ? lequel a été traduit en Français, et imprimé par les soins de Monsieur l'Evêque de Montpellier. Dans le chapitre 13. de ce livre saint Charles parle en ces termes : « Nous avons jusqu'à présent parlé des Danses, et des Comédies, comme de choses qui sont illicites ; parce qu'elles sont mauvaises, au moins à cause des circonstances qui les accompagnent, et de leurs effets ; il faut maintenant parler de la prohibition qui en a été faite, et conclure qu'elles sont encore illicites, parce qu'elles sont défendues. » Quant à ce que l'Auteur de la Dissertation ajoute, que les Acteurs de Comédies, et de Tragédies n'ont jamais été traités de même sorte que les autres Histrions ; je le renvoie à ce que j'en ai dit ci-dessus dans la 18. Réfutation du chap. précédent : où il verra comme le Roi Philippe Auguste chassa les Comédiens de France ; et comme le Parlement de Paris les a bannis par deux Arrêts ; et comme les Rois d'Espagne Philippe II. et Philippe IV. les ont chassés de tous leurs Etats. Dissertation pag. 227. « La Province d'Auvergne prétend avoir remis sur le Théâtre de ce Royaume les premiers Bateleurs qui n'y chantaient point et n'y dansaient point ; croyant par ce moyen s'exempter de la peine des anciens Mimes et Bouffons : Mais parce qu'ils y faisaient des railleries indécentes, et prononçaient plusieurs paroles impudentes, ils furent condamnés par nos Théologiens , qui conclurent que la turpitude du discours n'était pas moins condamnable que celle des gestes du corps. Où nous devons remarquer qu'il n'est parlé que d'Histrions, et Joueurs de bouffonneries, et non point de Tragédies et Comédies, qui n'étaient pas encore en état d'être estimées, ou condamnées. » XIII. Réfutation. L'Auteur de la Dissertation se plaît fort aux illusions. Il a lu dans les notes de Savaron sur l'Epître Décrétale de la Sorbonne, que Gaufrédus parlant des Histrions qui ne chantaient point, et ne dansaient point, dit qu'il y en avait plusieurs en Auvergne, et que dicuntur inventores. Aussitôt l'Auteur de la Dissertation s'est imaginé que ces paroles et dicuntur inventores, signifiaient que ceux d'Auvergne étaient les inventeurs de ces sortes de pièces que jouaient les Histrions : et sur cette illusion il dit hardiment, « que la Province d'Auvergne prétend avoir remis sur le Théâtre de ce Royaume les premiers Bateleurs, qui n'y chantaient point, et n'y dansaient point ». Mais la simple lecture du passage de Gaufrédus lui pouvait apprendre, que ces paroles, et dicuntur inventores, ne signifient autre chose sinon que ces Histrions étaient appelés Trouvères, ou Troubadours, à cause des inventions qu'ils trouvaient, comme le remarque Pasquier dans ses Recherches. Voici le passage de Gaufrédus : « Que dirons-nous de ces Histrions qui ne font point de postures de leur corps, et qui ne jouent point des instruments ; mais qui récitent seulement leurs pièces, comme l'on fait en Auvergne, où il y en a plusieurs d'ordinaire ? et ils sont appelés Trouvères, ou Troubadours ; c'est-à-dire, Inventeurs de paroles. Je crois que nous ne devons pas moins éviter les paroles déshonnêtes, que les honteuses postures du corps. » Or quoique ces Histrions ne donnassent à leurs pièces que le nom de Farces ; elles étaient néanmoins de véritables Comédies, suivant le témoignage de Pasquier : « Je trouvai, dit-il, sans y penser la Farce de Maître Pierre Patelin, que je lus et relus avec tel contentement, que j'oppose maintenant cet échantillon à toutes les Comédies Grecques, Latines, et Italiennes. » Il n'est donc pas vrai, selon Monsieur Pasquier, que les Comédies de ces Histrions qu'on appelait Troubadours, ne fussent pas en état d'être estimées ou condamnées, ainsi que l'Auteur de la Dissertation le prétend ; mais même il faut avouer que nos Théologiens en condamnant les pièces de ces Histrions ont aussi condamné les Comédies. Dissertation pag. 228. « Et lorsque Salvien prépare ce grand discours qu'il fait contre les impudences horribles de la Scène, il dit qu'il entend parler des jeux du Cirque, et du Théâtre ; et dans la suite il explique les derniers par le seul terme de Mimes, Bouffons et Musique lascive , sans rien imputer de leur honteux libertinage aux Tragédiens, et Comédiens. » XIV. Réfutation. L'Auteur de la Dissertation a fait ici deux fautes ; l'une pour n'avoir pas entendu la signification du terme lusoria dont Salvien se sert ; l'autre d'avoir supposé pour vrai ce qui est très faux, savoir que les Comédies ne sont pas souillées d'impureté. Mais afin de le désabuser, je rapporterai un passage de Tertullien, qui l'éclaircira sur ces deux points, et lui fera comprendre clairement que Salvien condamne les Tragédies, et les Comédies, aussi bien que les autres Spectacles. « Si nous rejetons, dit Tertullien, la doctrine des lettres profanes, comme n'étant qu'une folie devant Dieu ; nous devons aussi par la même raison rejeter ces espèces de Spectacles que les lettres profanes comprennent sous l'art lusoria, c'est-à-dire, sous l'art des Jeux de divertissement, et sous l'art des combats. Car si les Tragédies, et les Comédies sont des représentations de crimes, et de choses impudiques, elles sont sanglantes, lascives, impies, et d'une extrême dépense. » Nous voyons premièrement par ce passage de Tertullien, que le mot de lusoria signifie l'art des Jeux de divertissement, qui comprend les Tragédies, et les Comédies. Lors donc que Salvien dit qu'il serait trop long de parler des crimes de tous les Spectacles, et entre autres de lusoriis, qu'il condamne, il y comprend les Tragédies et les Comédies : Secondement nous voyons par le même passage de Tertullien, que les Comédies étant des représentations de choses impudiques, sont lascives et impures ; et par conséquent lorsque Salvien dit ensuite qu'il ne veut parler que des impuretés du Cirque, et du Théâtre, il y comprend aussi les impuretés des Comédies, comme ses paroles le font assez entendre par les termes de représentations de choses honteuses, etc. Voici donc ce que dit Salvien. « Mais parce qu'il faudrait faire un trop long discours si l'on voulait parler de tous les Spectacles, savoir de ceux de l'Amphithéâtre, et des Musiciens, des Jeux de divertissement, des pompes des Jeux, des combats des Athlètes, des Spectacles de ceux qui dansent sur la corde, de ceux des Pantomimes, et des autres monstres, qui sont si pernicieux qu'il vaut mieux n'en point parler, et ne les point connaître ; Je parlerai seulement des impuretés du Cirque, et du Théâtre. Ce qui s'y fait est si sale qu'on n'en saurait parler, ni même s'en souvenir sans en être souillé. Les péchés qui se commettent ailleurs ne se saisissent que d'une partie de nous-mêmes : les pensées déshonnêtes s'emparent de notre esprit : les regards impudiques s'attachent à nos yeux, et les mauvais discours entrent dans nos oreilles ; de sorte que quand l'une de ces parties a péché, les autres peuvent être innocentes. Mais dans les Théâtres, il n'y a rien en nous qui soit exempt de péché : L'esprit y est souillé par de mauvais désirs ; les oreilles par des discours d'impureté, les yeux par des objets honteux qui se présentent à eux. Toutes ces choses-là sont si infâmes que l'on n'en saurait parler sans renoncer à la pudeur et à l'honnêteté. Car qui pourrait exprimer sans rougir ces représentations de choses honteuses, ces voix et ces paroles déshonnêtes : ces lascifs mouvements du corps, ces gestes impudiques ? » Certainement il faut avoir l'esprit bien préoccupé pour ne pas voir les impuretés des Comédies dépeintes dans ces paroles de Salvien. Chapitre XI.  QUE LES POEMES DRAMATIQUES n'ont point été condamnés. Dissertation. « C'est donc ainsi que les Chrétiens ont fulminé contre les Jeux scéniques, et contre tous les Mimes et Bateleurs qui n'y paraissaient que pour faire les divertissements du peuple, par des actions et des paroles dignes de la plus grande sévérité des lois ; et qu'ils ont empêché que la sainteté des Chrétiens ne fût souillé par la communication de ces impudences, dont le poison se pouvait aisément glisser dans l'âme par les yeux, et par les oreilles : ils n'ont pas traité de la même sorte la représentation des Poèmes Dramatiques ; et je ne trouve que fort peu d'endroits qui témoignent ce qu'ils en ont pensé. » I. Réfutation. J'ai montré dans la 1. Réfutation du 9. chapitre de la Dissertation que Cicéron et S. Augustin donnent aux Acteurs de Tragédies et de Comédies le nom d'Histrions, et de Scéniques ; D'où il s'ensuit que les Conciles, et les SS. Pères en condamnant généralement sans exception, les Histrions et les Scéniques, ont aussi par conséquent condamné les Acteurs de Tragédies, et de Comédies. Dans la 3. Réfutation du même Chapitre, j'ai fait voir que S. Augustin condamne les Poèmes Dramatiques en termes exprès, lorsqu'il dit que le Théâtre des Comédies est si infâme que plus un homme est vertueux, plus il doit s'en éloigner : et lorsque en un autre endroit il dit encore, que l'on n'eût jamais approuvé les Comédies, et les crimes qu'elles représentaient sur le Théâtre, si les mœurs des hommes qui étaient souillées des mêmes vices ne l'eussent souffert. J'y ai fait voir aussi que Tertullien condamne les Tragédies comme étant si criminelles, qu'elles attirent sur les Acteurs et sur les Spectateurs les fléaux de la Justice de Dieu. Dans la 12. Réfutation du même chapitre 9. j'ai montré ; que Tertullien condamne les Tragédies, et les Comédies, comme étant des représentations de crimes, et de choses impudiques, dont les Acteurs sont infâmes. Dans la 16. Réfutation du même chapitre, j'ai fait voir, que le Concile de Bordeaux, tenu l'an 1583. interdit les Comédies aux Ecclésiastiques, comme étant des Spectacles infâmes ; et que le Rituel de Paris met les Comédiens au rang des personnes excommuniées, et notoirement infâmes. Dans la 18. Réfutation du même chapitre 9. j'ai fait voir, que selon le Droit Civil et Canonique, les Comédiens sont infâmes ; que le Roi Philippe Auguste les bannit de France ; que le Parlement de Paris les chassa de la ville et des faubourgs ; que les Rois d'Espagne Philippe II. et Philippe IV. les ont aussi chassés de leurs Etats. Dans la première Réfutation du chapitre 10. j'ai fait voir que Tatien condamne les Tragédies, et les Comédies, comme des badineries indignes des Chrétiens. Dans la 3. Réfutation du même Chapitre, j'ai montré, que S. Cyprien condamne les Tragédies comme donnant de mauvais exemples par les crimes qu'elles représentent. Dans la 4. Réfutation du même chapitre 10. j'ai fait voir, que S. Chrysostome condamne les Comédies, comme étant des obstacles à la conversion des âmes et à leur salut. Dans la 7. Réfutation du même Chapitre, j'ai représenté les raisons pour lesquelles Clément d'Alexandrie condamne les Comédies ; 1. parce que Jésus-Christ ne nous y conduit point ; 2. parce que le Théâtre où elles se jouent, est une chaire de pestilence, et que les assemblées qui s'y font sont maudites ; 3. parce qu'on ne doit jamais préférer ce qui est agréable à ce qui est plus honnête et plus avantageux. Dans la 10. Réfutation du même Chapitre, j'ai montré, que le Concile d'Elvire condamne les Comédies, en défendant aux filles et aux femmes Chrétiens, d'épouser des Comédiens. J'y ai encore montré, que le Concile in Trullo condamne aussi les Comédies, en défendant aux Laïques de se déguiser en Comédiens et en Tragédiens, sous peine d'être excommuniés et aux Ecclésiastiques, sous peine d'être déposés. Dans la 12. Réfutation du même Chapitre 10. j'ai fait voir, que S. Charles Borromée Archevêque de Milan, condamne les Comédies, comme des choses qui sont illicites ; parce qu'elles sont mauvaises, et parce qu'elles sont défendues. Dans la 13. Réfutation du même Chapitre, j'ai montré que le 1. Concile de Milan, condamne les Comédies comme des spectacles infâmes, en défendant aux Ecclésiastiques d'en être ni les Acteurs, ni les spectateurs, afin de n'être point infectés de leur contagion. Mais comment est-il possible qu'un Chrétien s'imagine que les SS. Pères n'aient point condamné les Comédies ? puisque les Païens mêmes les ont condamnées, comme je l'ai prouvé ci-dessus. Car dans la 1. observation sur le Chapitre 2. de la Dissertation, j'ai fait voir que Solon condamna les Tragédies dès leur naissance, comme étant des représentations de choses faussés, qui apprennent à introduire les faussetés dans les affaires sérieuses. Dans la 2. observation sur le même Chapitre on voit que Platon condamna les Tragédies, en jetant au feu celles qu'il avait composées, comme étant indignes d'un homme qui aime la sagesse. On y voit aussi que les Lacédémoniens condamnaient les Tragédies et les Comédies, pour ne point écouter non pas même en se jouant, ceux qui parlaient contre les lois. Dans la 3. partie de la 5. observation sur ce même Chapitre second, j'ai représenté les raisons pour lesquelles les Philosophes Païens condamnaient les Tragédies et les Comédies, 1. parce que leur unique but, n'est que de donner du plaisir, ce que la Philosophie rejette ; 2. à cause de l'impression qu'elles donnent de l'amour impur ; 3. à cause du mauvais usage qu'elles font de la raison, pour établir des maximes pernicieuses qui blessent les lois, et corrompent les mœurs, apprenant à faire le mal par raison, et inspirant des adresses et des moyens pour cet effet. 4. à cause de leur insolence. J'ai fait voir encore au même endroit, que les Romains condamnaient les Comédies, en notant d'infamie leurs Acteurs, et que les Athéniens les condamnaient aussi comme indécentes, en défendant aux Aréopagites d'en faire. Dans la 2. Réfutation du 9. Chapitre, j'ai montré qu'Aristote, Aulu-Gelle et Martial condamnent les Comédiens comme étant des personnes vicieuses. Et enfin dans la même Réfutation, j'ai fait voir qu'Aristote condamne les Tragédies et les Comédies en défendant aux enfants d'y aller. D'ailleurs pour montrer que ç'a été le sentiment de tous les siècles, je rapporterai dans la suite de mes Réfutations le jugement des Théologiens jusques à notre temps. Il faut donc que l'Auteur de la Dissertation reconnaisse qu'il n'a jamais eu plus de sujet de se plaindre de sa mémoire et de sa lecture précipitée, que lorsqu'il a eu la témérité d'avancer que les Poèmes dramatiques n'ont point été condamnés. Dissertation page 230. « Tertullien le plus austère de tous nos Ecrivains dit que les Comédies et les Tragédies étaient les meilleurs spectacles des anciens , et n'y blâme autre chose que les adultères et les autres crimes de leurs Dieux, que l'on y représentait avec beaucoup de mépris : il en condamne le sujet par le peu de respect qu'ils portaient à leur religion ; mais il ne charge ni d'infamie, ni d'anathème ceux qui les représentaient. » II. Réfutation. Cette citation de Tertullien est fausse, car dans le traité des spectacles qui est allégué à la marge de la Dissertation, on ne trouve point ces paroles : « Comœdia et Tragœdia horum meliora poemata, que les Comédies et les Tragédies étaient les meilleurs spectacles des anciens ». Mais d'ailleurs je ne vois pas que l'Auteur de la Dissertation en puisse tirer quelque avantage ; parce qu'il est évident qu'il ne peut pas inférer de là que les Comédies et les Tragédies soient bonnes, à cause qu'elles sont meilleurs que les antres spectacles, car comme S. Thomas nous l'enseigne, le mot de meilleur en ces sortes de comparaisons ne signifie autre chose, sinon minus malum, c'est-à-dire, moins mauvais. Ainsi lorsque l'Apôtre S. Pierre dit aux Païens convertis, « Qu'il leur eût été meilleur de n'avoir point connu la voie de la piété et de la justice que de retourner en arrière après l'avoir connue, et d'abandonner la loi sainte qui leur avait été prescrite » ; On ne peut pas conclure de ces paroles, qu'il eût été bon de n'avoir point connu la voie de la piété et de la justice : Mais S. Pierre dit, qu'en comparaison du crime qu'on commet en abandonnant la voie de la justice après l'avoir connue ; c'est un moindre mal, de ne l'avoir pas connue ; « Melius erat, id est , dit S. Thomas, minus malum. » Ce que l'Auteur de la Dissertation ajoute ensuite, que Tertullien n'a point condamné les Comédies, et n'a point chargé d'infamie ni d'anathème ceux qui les représentaient, n'est pas moins faux, comme il paraît par la lecture de son traité des Spectacles, ainsi que nous l'avons remarqué dans la 3. et dans la 12. Réfutation du Chapitre 9. et dans la 2. du Chapitre 10. Le discours de ce grand homme suffit pour détruire de fond en comble tout ce que l'Auteur de la Dissertation prétend prouver, et qui se réduit à deux points : le premier, que les anciens Pères n'ont condamné les Poèmes dramatiques qu'à cause de l'idolâtrie dont ils étaient souillés ; de sorte qu'en étant maintenant exempts, ils ne sont plus condamnables : Le 2. que les Poèmes dramatiques n'ont jamais été condamnés comme étant contraires aux bonnes mœurs, et que leurs Acteurs n'ont jamais été notés d'infamie. A l'égard du premier point, Tertullien déclare en termes exprès que sans parler de l'idolâtrie, les spectacles, et par conséquent les Poèmes dramatiques qui en sont une espèce, méritent d'être condamnés pour d'autres raisons. « Laissons là l'Idolâtrie, dit-il, qui est un sujet pour lequel seul, quand il n'y en aurait point d'autres, les spectacles doivent être rejetés ; et passons maintenant à une autre raison, pour désabuser ceux qui se flattent jusqu'à s'imaginer que l'Ecriture ne nous prescrit point absolument de s'en abstenir, comme si l'Ecriture sainte ne nous les défendait pas assez expressément, en condamnant les désirs du siècle. Car comme les désirs du siècle comprennent l'avarice, l'ambition, la gourmandise, la luxure, ils comprennent aussi la volupté ; or les Spectacles sont des espèces de volupté ; ainsi j'estime que les désirs du siècle en général, comprennent en particulier les voluptés : et que de même les voluptés en général comprennent aussi en particulier les spectacles qui en sont une espèce.  » Il s'ensuit de là par la même raison de Tertullien, que les Spectacles en général comprennent aussi en particulier les Poèmes Dramatiques, les Tragédies et les Comédies qui en sont une espèce. Quant au second point qui regarde la corruption des mœurs ; Tertullien condamne si clairement les Tragédies et les Comédies pour ce sujet, qu'il n'y a pas lieu d'en douter. « Si les Tragédies, dit-il, et les Comédies sont des représentations des crimes, et de choses impudiques, elles sont sanglantes, lascives, impies et d'une extrême dépense ; car la représentation d'un crime énorme, ou d'une chose vile et infâme, n'est point meilleure que ce qu'elle représente. Comme il n'est point permis d'approuver un crime dans l'action par laquelle on le commet, il n'est point aussi permis de l'approuver dans les paroles qui le représentent. » Au Chapitre 23. il condamne même les Cothurnes, c'est-à-dire les hauts souliers des Acteurs de Tragédies, comme étant une invention du diable : « Le Diable, dit-il, a élevé les Acteurs de Tragédies sur de hauts souliers pour démentir Jésus-Christ, qui a dit, que nul ne peut ajouter à sa taille la hauteur d'une coudée. » Dans le Chapitre 25. il condamne les Tragédies, à cause qu'elles nous détournent de penser aux choses de Dieu : « Un homme pensera-t-il à Dieu lorsqu'il est au Théâtre où il n'y a rien de Dieu ?... Est-ce qu'un homme se représentera les exclamations d'un Prophète en même temps qu'il sent frapper ses oreilles par les cris d'un Acteur de Tragédie ? » Au Chapitre 26. il montre que Dieu punit même en cette vie ceux qui vont aux spectacles des Tragédies, comme nous en avons rapporté les exemples ci-dessus en la 3. Réfutation du Chapitre 9. Dans le dernier Chapitre il représente les peines que les Acteurs de Tragédies souffriront dans l'Enfer : « Alors, dit-il, les Acteurs de Tragédie se feront mieux entendre poussant leur plainte d'une voix plus éclatante dans leur propre misère. » Au Chapitre 22. il montre que les Acteurs de Tragédies et de Comédies étaient infâmes, en faisant voir que tous les Acteurs des Spectacles en général étaient notés d'infamie, comme nous l'avons prouvé ci-dessus dans la 12. Réfutation et dans la 3. du Chapitre 9. Enfin Tertullien en condamnant les Spectacles en général, condamne aussi les Tragédies et les Comédies qui en sont une espèce, par l'argument dont il se sert, et qu'il appelle « du genre à l'espèce ». Or premièrement il condamne les Spectacles en général, parce qu'ils tirent leur origine d'un mauvais principe. « Le vice, dit-il, de l'origine des Spectacles fait que vous ne devez pas estimer bon ce qui a été institué par le diable. Vous qui êtes Chrétiens, haïssez et détestez ces choses-là, dont les Auteurs ne peuvent être que l'objet de votre haine et de votre aversion. » Ainsi les Comédies tirant aussi leur origine du Diable ne doivent point être estimées bonnes selon le sentiment de Tertullien. En second lieu, Tertullien condamne les Spectacles, à cause qu'ils sont opposés aux grâces du S. Esprit, par le trouble des passions qu'ils excitent dans l'âme ; par leur vanité ; par leur inutilité ; Et parce que ceux qui en sont les Spectateurs y prenant plaisir se rendent coupables des crimes qui y sont représentés. « Considérons, dit-il, quelles sont les autres qualités des spectacles, et nous verrons qu'elles sont toutes opposées aux choses de Dieu. Comme l'esprit Saint de sa nature est tendre et délicat, Dieu nous a commandé de l'entretenir en nous par la tranquillité, par la douceur, par le repos, par la paix, et de ne le pas inquiéter par la fureur, par l'aigreur, par l'emportement, par la colère, par la douleur. Comment s'accordera-t-il avec les spectacles ? Car il n'y a point de Spectacles sans quelque trouble d'esprit parce que où il y a du plaisir, il y a du désir qui fait goûter le plaisir : où il y a du désir ; il y a de l'émulation qui fait goûter le désir : mais il n'y a point d'émulation sans fureur, sans aigreur, sans emportement, sans colère, sans douleur et sans toutes leurs suites ; ce qui est incompatible avec une vie bien réglée. Car quelque bon et modéré que soit l'usage que les hommes peuvent faire des Spectacles selon leur dignité, selon leur âge, ou même selon la condition de leur nature; néanmoins leur esprit n'est point si insensible qu'il ne soit agité de quelque passion secrète. Nul ne reçoit du plaisir sans affection, et il n'y a point d'affection qui ne soit accompagnée des circonstances qui l'excitent. Que si quelqu'un assiste aux spectacles sans en être touché ; il n'en retire donc aucun plaisir ; et par cela même, il se rend coupable de vanité et d'inutilité, allant en un lieu où il n'y a rien qui lui puisse être utile. Or j'estime que la vanité ou l'occupation en des choses inutiles n'est point une chose qui nous convienne, ni qui nous soit permise. Mais d'ailleurs celui qui assiste aux spectacles ne se condamne-t-il pas lui-même en fréquentant des personnes qu'il déteste, comme il le témoigne en cela même qu'il ne voudrait pas leur être semblable ? Il ne nous suffit point de ne pas faire ce qu'ils font ; mais nous sommes encore obligés de ne point favoriser de notre consentement et de notre approbation ceux qui commettent ces crimes. “Lorsque vous avez trouvé un voleur, dit le Roi Prophète, vous couriez avec lui.” Plût à Dieu qu'il nous fût possible de ne point vivre en ce monde parmi ces gens-là : Mais au moins nous devons nous séparer des œuvres du monde ; parce que le monde est un ouvrage de Dieu, mais les œuvres du monde sont l'ouvrage du Diable. » Ainsi les Tragédies et les Comédies étant pareillement opposées aux grâces du S. Esprit, par le trouble des passions qu'elles excitent dans l'âme, par leur inutilité ; et même à cause que les spectateurs se rendent, par le plaisir qu'ils y prennent, coupables des crimes qui s'y commettent ; Il est évident que Tertullien les condamne en particulier par les mêmes raisons qu'il a condamné les spectacles en général. En troisième lieu Tertullien condamne les Spectacles, à cause des masques dont les Acteurs se servent : « Je demande maintenant, dit-il, si les masques plaisent à Dieu ; puisqu'en défendant de faire aucune figure, il défend à plus forte raison de faire des figures de son image. Lui qui est l'Auteur de la vérité, n'aime point la fausseté : il regarde toute sorte de déguisement, comme une altération, comme une falsification. C'est pourquoi condamnant toute sorte de feinte, il n'approuvera point qu'on déguise sa voix, son sexe, son âge, ni qu'on représente des amours, qu'on exprime des passions de colère, qu'on feigne des gémissements. » Il condamne encore les Spectacles ; parce que les hommes s'y déguisent en femmes, et les femmes en hommes : « D'ailleurs, dit-il, puisque Dieu dans sa loi déclare que celui qui s'habille en femme, est maudit ; quelle peine doit attendre de sa Justice un Pantomime, qui ne s'étudie qu'à faire tout ce qui est propre aux femmes ? » Peut-on dire que cette Censure ne tombe pas aussi sur les Comédiens ; puisqu'ils se masquent, et se déguisent en femmes ? Enfin Tertullien condamne tous les Spectacles, à cause du dérèglement des assemblées qui s'y font : « Il n'y a rien, dit-il, de plus scandaleux dans tous les Spectacles, que de voir avec quel soin, et avec quel agrément les hommes, et les femmes y sont parés : l'expression de leurs sentiments conformes, ou différents pour approuver, ou pour désapprouver les choses dont ils s'entretiennent, ne sert qu'à exciter dans leurs cœurs des passions déréglées. Enfin nul ne va aux Spectacles qu'à dessein de voir et d'y être vu. Un homme, se représentera-t-il les exclamations d'un Prophète, en même temps qu'il sent frapper ses oreilles par les cris d'un Acteur de Tragédie ? » Ces désordres se rencontrant aussi dans les assemblées de la Comédie, on ne peut pas dire que Tertullien ne les condamne point ; puisqu'il parle généralement de tous les Spectacles, et qu'il y comprend en particulier les Tragédies. Après cela il est difficile de comprendre comment l'Auteur de la Dissertation a pu avoir la hardiesse de dire que Tertullien ne condamne point les Poèmes Dramatiques. Dissertation pag. 231. « Et nous pouvons bien observer la différence dont S. Cyprien se sert pour condamner les Mimes, et les Poèmes Dramatiques ; car à l'égard des premiers, il blâme leur corruption, et leur mollesse plus honteuse que celle des femmes les plus perdues ; mais à l'égard des autres, il blâme seulement les soins, et les pensées inutiles que les Comédiens peuvent donner, et ces voix extravagantes, et fortes des Tragédiens ; et l'on jugera si ces choses leur pouvaient donner sujet de prononcer contre eux la censure qu'ils ont prononcée contre l'impudence des Histrions et Farceurs. » III. Réfutation. Je puis dire ici à l'Auteur de la Dissertation ce que disait autrefois S. Cyprien à des personnes qui soutenaient les Spectacles, comme il fait : « Qu'il lui serait meilleur de n'avoir jamais rien lu, que de faire un si mauvais usage de sa lecture » ; Il vaudrait mieux qu'il n'eût jamais lu S. Cyprien, que de lui faire dire tout le contraire de ce qu'il dit. Il prétend que ce grand Saint, « à l'égard des Poèmes Dramatiques, blâme seulement les soins, et les pensées inutiles que les Comédiens peuvent donner, et ces voix extravagantes et fortes des Tragédiens ». S. Cyprien, au contraire, bien loin de blâmer seulement ce qu'allègue l'Auteur de la Dissertation, dit qu'outre l'Idolâtrie, dont les Comédies, et les Tragédies sont souillées, elles sont pleines de crimes : et que quand même elles seraient exemptes de crimes, elles seraient néanmoins indignes des Chrétiens, à cause de leur vanité, et de leur inutilité. « Que dirai-je, dit-il, des vaines et inutiles occupations des Comédies, et de ces cris insensés des Tragédiens ? Quand bien ces choses ne seraient pas consacrées aux Idoles ; toutefois les Chrétiens ne devraient pas en être les Acteurs, ni les Spectateurs : Et quand même elles seraient sans crime ; elles ne laisseraient pas pour cela d'avoir en elles-mêmes une extrême vanité, et inutilité, qui est peu convenable aux Fidèles. » Les Comédies donc, et les Tragédies, selon Saint Cyprien, sont indignes des Chrétiens ; parce qu'elles sont consacrées aux démons qui en sont les Auteurs ; parce qu'elles sont souillées de crimes ; parce qu'elles sont des choses vaines et inutiles. Et si nous désirons savoir quels sont les crimes dont elles sont souillées ; ce grand Saint nous les représente dans le même Traité, parlant des excès des Spectacles de la Scène en général. « Mais pour passer, dit-il, aux galanteries infâmes de la Scène, j'ai honte de rapporter ce qui s'y dit ; j'ai honte de parler des dérèglements criminels qui s'y commettent. On y voit les fourbes des serviteurs et des gens d'affaires ; les tromperies des adultères ; l'impudicité des femmes ; les bouffonneries des Farceurs, les lâches flatteries des Parasites. On y représente des pères de famille en robe longue, tantôt hébétés, tantôt lascifs, mais insensés en toutes choses, et sans pudeur en certaines rencontres. Cependant quoique ces Acteurs impies n'épargnent aucune personne dans leurs discours, de quelque condition, et de quelque profession qu'elle soit ; tout le monde va néanmoins au Théâtre : On se plaît à cette infamie publique, ou pour y reconnaître ses vices, ou pour les apprendre ; on court à ce lieu infâme, à cette école d'impureté, afin de ne pas faire moins de mal en secret, qu'on en a appris en public : Et à la vue, pour ainsi dire, des lois, on commet tous les crimes qui sont défendus par les lois. Que fait là un fidèle Chrétien ? Il ne lui est pas même permis d'avoir une pensée impure ; comment donc peut-il prendre plaisir aux représentations de l'impureté, et comment se mettra-t-il au hasard de perdre toute pudeur dans ces Spectacles, pour pécher après avec plus si audace ? En s'accoutumant à voir la représentation des crimes, il apprend à les commettre.… Ainsi l'on aime tellement ce qui est défendu, que même on se remet devant les yeux ce que le temps avait couvert : Le dérèglement est si grand, qu'on ne se contente pas d'être chargé de ses propres vices ; on se veut encore charger dans les spectacles, des excès de tous les siècles passés. En vérité il n'est nullement permis aux Chrétiens de se trouver en ces sortes d'assemblées. » Et pour faire voir que S. Cyprien estime que ces excès des Spectacles de la Scène en général, sont aussi propres aux Poèmes Dramatiques, je rapporterai ici ce qu'il en dit dans l'Epître à Donat en ces termes : « Jetez maintenant les yeux sur les divers spectacles dont l'infection n'est point moins dangereuse, ni moins détestable ; Vous verrez dans les Théâtres des choses qui vous donneront de la douleur et qui vous feront rougir : C'est le propre de la Tragédie d'exprimer en vers les crimes de l'antiquité, on y représente si naïvement les parricides et les incestes exécrables des siècles passés, qu'il semble aux Spectateurs qu'ils voient encore commettre effectivement ces actions criminelles ; de peur que le temps n'efface la mémoire de ce qui s'est fait autrefois. Les hommes de quelque âge et de quelque sexe qu'ils soient, apprennent qu'un crime se peut faire, en apprenant qu'il s'est fait. Les péchés ne meurent point par la vieillesse du temps : les années ne couvrent point les crimes, et on ne perd jamais le souvenir des mauvaises actions : elles ont cessé d'être des crimes, et elles deviennent des exemples. » Ces exemples publics de crimes infâmes que donnent les Tragédies et les Comédies dans leurs représentations, ne méritent-ils pas la censure de l'Eglise, aussi bien que celle des lois ? Aussi l'Eglise dès les premiers siècles en a excommunié les Acteurs, et elle en a toujours usé de la sorte jusqu'à nos jours. S. Cyprien dans l'Epître qu'il écrit à Euchratius déclare que le respect que nous devons à Dieu, et l'ordre de la discipline Evangélique demandent que les Acteurs des Comédies et des Tragédies soient exclus de la Communion des fidèles, aussi bien que les Acteurs des autres Spectacles de la Scène. « Mon cher frère, comme nous avons de l'affection et de la déférence l'un pour l'autre, il vous a plu de me demander mon sentiment sur le sujet d'un Histrion de votre pays qui exerce encore ce métier, et instruit la jeunesse, non pas à se bien conduire, mais à se perdre, enseignant aux autres le mal qu'il a appris, s'il doit être reçu dans notre Communion. Je vous dirai qu'il me semble, que le respect que nous devons à la Majesté de Dieu, et l'ordre de la discipline Evangélique, ne peuvent souffrir que la pudeur, et l'honneur de l'Eglise soient souillés par une si honteuse et si infâme contagion. » Il faut remarquer que le mot d'Histrion signifie aussi les Acteurs de Comédies, et de Tragédies, comme je l'ai montré dans la 1. Réfutation du 9. Chapitre, et c'est dans cette signification que le mot d'Histrion est pris dans le droit Canonique, où cette Epître de S. Cyprien à Euchratius est insérée comme une règle générale contre les Comédiens et autres Acteurs de la Scène. Il est encore aisé de prouver tant par l'autorité des interprètes du droit Canonique, que par l'usage et la pratique de l'Eglise, qu'on a toujours entendu de la sorte ce Canon Pro dilectione, tiré de l'Epître de S. Cyprien à Euchratius. « La première peine, dit Ménochius, célèbre Interprète du Droit Canonique,, dont les Histrions sont punis par les lois des Empereurs, est la note d'infamie, par laquelle ils sont exclus des dignités, comme l'enseigne entre autres Lucas de Penna, qui ajoute que parmi ces Histrions notés d'infamie, sont compris ceux qui montent sur la Scène et y récitent des Comédies ; encore qu'ils ne fassent point de farces…. La neuvième peine, dont ils sont punis, est d'être privés de la sacrée et sainte Eucharistie à l'heure de la mort selon le Canon Pro dilectione, tiré de l'Epître de S. Cyprien à Euchratius comme l'enseigne Lucas de Penna et Majolus. » Mais peut-on douter que selon les lois Ecclésiastiques, les Comédiens soient excommuniés, puisqu'ils le sont encore aujourd'hui selon l'usage perpétuel de l'Eglise, qui est le fidèle interprète des lois : Et il n'y en a point de plus approuvé que celui qui est marque dans les Rituels ; or nous trouvons dans le Rituel de Paris que les Comédiens doivent être exclus de la Communion, parce qu'ils sont des pécheurs publics notoirement infâmes : « Tous les fidèles, dit le Rituel, de l'Eglise de Paris, doivent être admis à la sacrée Communion, excepté ceux auxquels pour quelque juste raison, il est défendu de la recevoir. Et il en faut exclure ceux qui en sont publiquement indignes, tels que sont ceux qui sont notoirement excommuniés, interdits et manifestement infâmes, savoir les femmes débauchées, les Concubinaires, les Comédiens, les Usuriers, les Magiciens, les Sorciers et les Blasphémateurs, et autres semblables pécheurs, si ce n'est qu'il soit constant qu'ils aient fait pénitence de leurs péchés, qu'ils aient donné des preuves de leur amendement, et qu'ils aient auparavant répare le scandale public, par une digne satisfaction. » Cet usage perpétuel de l'Eglise détruit entièrement toute la Dissertation. Après cela que son Auteur crie tant qu'il voudra : « L'on jugera si les représentations des Comédies et des Tragédies, leur pouvaient donner sujet de prononcer contre eux, la censure qu'ils ont prononcée contre l'impudence des Histrions et Farceurs. » Il fait comme ces chicaneurs qui après avoir perdu leur procès par un Arrêt définitif, crient qu'on juge s'il y avait lieu de les condamner. Il suffit donc de lui dire que l'Eglise de Paris a déclaré que les Comédiens sont notoirement infâmes et excommuniés. C'est une affaire jugée, il ne faut plus chicaner. Dissertation pages 232. et 233.  « Ce qu'il y a de plus tolérable, écrit S. Augustin , ce sont les Comédies et les Tragédies, où les Fables des Poètes sont représentées parmi les spectacles publics, avec quelques choses indécentes ; mais sans aucunes paroles impudentes et dissolues, comme en beaucoup d'autres jeux du Théâtre : elles sont même comptées entre les disciplines libérales, et les jeunes enfants sont ordinairement obligés par des personnes âgées et plus sages qu'eux de les lire et de les apprendre . « Et se reprochant à lui-même la complaisance qu'il avait eue pour les Spectacles des Théâtres, il ne parle que de la compassion qu'il avait pour les misérables que l'on représentait dans les Tragédies, et de laquelle il faisait alors son plaisir ; disant qu'il était fâché lorsqu'il en sortait sans être ému de douleur, et qu'il entrait dans les intérêts des amants, étant bien aise quand ils obtenaient ce qu'ils avaient désiré. Mais lorsqu'il condamne quelques désordres dans les représentations Théâtrales, il parle de celles qui étaient accompagnées de danses honteuses et de gestes impudents, c'est-à-dire celles des Histrions. » IV. Réfutation. La providence de Dieu permet d'ordinaire que ceux qui entreprennent la défense de quelque mauvaise cause, s'aveuglent tellement qu'ils ne sauraient citer un passage sans le tronquer, sans l'altérer, sans le falsifier, et qu'ils ne prennent pas garde que ce qu'ils allèguent détruit ce qu'ils prétendent prouver. C'est ce qui paraît en cet endroit de la Dissertation, dans la citation de deux passages de S. Augustin, dont l'un est tiré du chap. 8 du 2. livre de la Cité de Dieu ; et l'autre du 2. Chapitre du 3. livre de ses Confessions ; car quant au premier, il est visible que ce passage tel même qu'il est rapporté dans la Dissertation, détruit ce que l'Auteur qui l'allègue, s'était proposé de prouver dans ce chapitre, Que les Poèmes Dramatiques n'ont point été condamnés. Car n'est-ce pas condamner les Comédies et les Tragédies que de dire, « que les Fables des Poètes y sont représentées avec quelques choses indécentes ? ou plutôt avec beaucoup d'impureté dans les choses qu'on y représente » : Car il y a dans le texte, qui est falsifié dans la Dissertation, multa rerum turpitudine ? Quant à ce que S. Augustin ajoute, qu'au moins il n'y a point dans les Comédies aucunes paroles déshonnêtes, comme en beaucoup d'autres jeux du Théâtre ; cela ne se peut entendre qu'en comparaison des autres jeux de la Scène ; car d'ailleurs il est constant que presque dans toutes les Comédies, il y avait des paroles aussi bien que des actions déshonnêtes, comme il paraît par la lecture des Comédies de Plaute : ce qui les rendait indignes des honnêtes gens qui aimaient la pureté des mœurs, comme Plaute le déclare lui-même dans le prologue et dans la conclusion de la Comédie des Captifs, qu'il dit avoir composée pour les honnêtes gens, sans aucune parole d'impureté. « Il sera bon, dit-il, que vous écoutiez cette Comédie avec attention : elle n'est pas composée d'une manière lascive et licencieuse : ce n'est pas une pièce comme les autres où il y ait des vers sales et malhonnêtes, qu'on ne doit pas dire, encore moins apprendre. Il n'y a point de ces Marchands infâmes qui corrompent la jeunesse, point de femmes débauchées. » Et dans la conclusion il fait ainsi parler la troupe des Comédiens aux spectateurs. « Messieurs, cette Comédie est pour les honnêtes gens, qui aiment la pureté des mœurs, car on n'y a point représenté aucune action déshonnête, on n'y a point parlé d'amourettes, point de folâtreries, point d'enfants supposés, point d'argent escroqué, point de jeune homme passionné, qui à l'insu de son père délivre une femme esclave pour en faire sa maîtresse. Il y a peu ou point de ces sortes de Comédies ; d'où de bon qu'on y était allé, on en revienne meilleur. » Un Comédien Païen condamne les Comédies ; et un Chrétien ne rougit pas de vouloir faire accroire que S. Augustin ne les condamne pas ? S'il objecte que Plaute ne condamne pas les Comédies qui sont exemptes d'impureté : Je lui répondrai premièrement que Plaute déclare ouvertement qu'il y en a bien peu qui ne soient sales et malhonnêtes, de sorte que leur petit nombre n'empêche pas qu'elles ne doivent être généralement défendues. Secondement je lui dirai que cette objection pourrait être tolérable en la bouche d'un Païen qui croit que les Dieux se plaisent à être honorés par les Comédiens ; mais qu'elle est indigne d'un Chrétien, qui ne doit pas ignorer que Dieu ne se plaît point à être servi par des infâmes pécheurs. « Dieu a dit au pécheur : pourquoi annoncez-vous mes préceptes ? » C'est un artifice du diable de faire jouer quelques Comédies où il n'y ait rien contre les bonnes mœurs, afin d'accoutumer les hommes par le plaisir qu'ils y prennent, à se plaire insensiblement à celles qui sont sales, et malhonnêtes. Quelque honnête que puisse être une Comédie ; elle corrompt toujours la vertu, en ce qu'elle porte les hommes à ne l'aimer qu'autant qu'ils y trouvent leur plaisir, et leur divertissement. « Encore , dit Tertullien , qu'il n'y eût rien dans les spectacles qui ne fût doux, agréable, simple, et qu'il y eût même quelque chose d'honnête, ils n'en seraient pas moins dangereux ; car comme personne ne mêle le poison avec du fiel, ou avec de l'Ellébore ; mais on le met dans les viandes bien apprêtées, douces et agréables au goût ; de même le diable répand son venin sur les choses de Dieu les plus agréables. Que tout ce qui se passe aux spectacles soit généreux, honnête, harmonieux, charmant et subtil ; regardez tout cela comme un breuvage de miel, dans une coupe empoisonnée ; et que l'amour de la volupté n'ait pas plus de pouvoir sur vous, que la crainte du péril qu'il y a dans ses douceurs. » « Dites-moi, je vous prie, dit encore ce grand homme , Est-ce que nous ne saurions vivre sans les plaisirs de ce monde, nous qui devons trouver notre plaisir dans la mort ? Car notre plus grand désir doit être à l'imitation de l'Apôtre de sortir de cette vie, et d'être unis à Dieu. Comme donc c'est le but de nos désirs ; c'est aussi ce qui doit faire nos plaisirs. » Mais revenons au passage de S. Augustin que l'Auteur de la Dissertation a tronqué et falsifié en trois endroits : Voici les paroles de ce grand Saint, qui sont les dernières du chapitre 8. du 2. livre de la Cité de Dieu. « Cependant c'est ce qu'il y a de plus supportable dans les jeux scéniques, ou de la Scène, savoir les Comédies, et les Tragédies ; c'est-à-dire les fables des Poètes qu'on représente aux Spectacles. Ce n'est pas qu'il n'y ait beaucoup d'impureté dans les choses qui y sont représentées ; mais au moins elles sont composées avec cette retenue, qu'il n'y a point d'impureté dans les paroles, comme il y en a en beaucoup d'autres pièces de la Scène : D'où vient que les vieillards les font lire et apprendre aux enfants qu'ils instruisent dans les arts que l'on nomme honnêtes et libéraux. » L'Auteur de la Dissertation a tronque ces deux mots très importants scenicorum ludorum, se contentant de dire en sa traduction : « Ce qu'il y a de plus tolérable ce sont les Comédies et les Tragédies ; au lieu qu'il devait traduire ainsi : Ce qu'il y a de plus tolérable dans les Jeux scéniques, ou de la Scène, sont les Comédies et les Tragédies. » Il a tronqué ces mots Scenicorum ludorum, dans les Jeux scéniques, parce qu'ils détruisent presque tout ce qu'il a avancé dans sa Dissertation ; car ces mots font voir que les Comédies et les Tragédies étaient comprises dans les Jeux Scéniques, ou de la Scène, dont elles faisaient partie ; et par conséquent lorsque Augustin dit ensuite dans le chapitre 13. du même livre : « Les Romains, ainsi que Scipion parle dans ce livre de Cicéron, estimant que l'art de divertissement, et tous les jeux de la Scène étaient des choses honteuses, et infâmes, non seulement ils ont privé ces sortes de gens qui en sont les Acteurs, des honneurs, et des dignités, dont la porte était ouverte aux autres citoyens ; mais ils les ont même jugés dignes d'être notés par les Censeurs, pour être exclus de leurs tribus. » Ce grand Saint fait voir clairement que les Romains en condamnant tous les Jeux de la Scène, et en notant d'infamie leurs Acteurs, ont aussi condamné les Comédies, et les Tragédies, puisqu'elles font partie des Jeux de la Scène, dont ils ont aussi note d'infamie les Acteurs. Mais si l'Auteur de la Dissertation avait rapporté la suite des dernières paroles du Chapitre 8. du 2. livre de la Cité de Dieu, qu'il ne devait pas omettre ; on verrait que S. Augustin nous apprend en termes formels que les Romains ont condamné les Comédies et les Tragédies aussi bien que les autres Jeux de la Scène, comme étant des choses vicieuses : c'est ce qui m'oblige de répéter ici les dernières paroles du chapitre 8. du livre de la Cité de Dieu, et d'y joindre ce qui suit au commencement du chapitre 9. « Cependant c'est ce qu'il y a de plus supportable dans les Jeux Scéniques, ou de la Scène, savoir les Comédies, et les Tragédies ; c'est-à-dire les Fables des Poètes qu'on représente aux Spectacles : ce n'est pas qu'il n'y ait beaucoup d'impureté dans les choses qui y sont représentées, mais au moins elles sont composées avec cette retenue, qu'il n'y a point d'impureté dans les paroles, comme il y en a en beaucoup d'autres pièces de la Scène. D'où vient que les vieillards les font lire, et apprendre aux enfants qu'ils instruisent dans les arts que l'on nomme honnêtes et libéraux. Or Cicéron nous apprend dans ses livres de la République ce que les anciens Romains jugeaient de ces choses, car il introduit Scipion l'Africain qui parle ainsi : on n'eût jamais approuvé les Comédies, et les crimes qu'elles représentaient sur le Théâtre, si les mœurs des hommes qui étaient souillées, des mêmes vices, ne l'eussent souffert. » L'Auteur de la Dissertation pouvait-il alléguer un passage plus propre pour détruire ce qu'il prétendait prouver ? Car n'est-ce pas condamner les Comédies, que de dire, qu'il y a beaucoup d'impureté dans les choses qui y sont représentées ? N'est-ce pas condamner les Comédies, que de dire qu'elles ne peuvent être approuvées que de ceux qui sont souillés de vices ? La 2. falsification de ce passage de S. Augustin, est en ce que l'Auteur de la Dissertation traduit ces mots, « multa rerum turpitudine », « qu'il n'y avait que quelques choses indécentes », au lieu de traduire, qu'il y avait beaucoup d'impureté dans les choses qui y étaient représentées. Troisièmement pour faire accroire que S. Augustin approuve la conduite de ces vieillards, qui faisaient lire et apprendre les Comédies aux enfants, l'Auteur de la Dissertation ajoute du sien, que ces vieillards étaient sages en cela, traduisant ces mots à senibus, en cette sorte, « par des personnes âgées et plus sages qu'eux », au lieu de traduire simplement par des personnes âgées ; car S. Augustin ne donne point à ces gens-là le nom de sages, mais il leur donne seulement le nom de vieillards, pour marquer la vieille coutume de cette instruction qu'il condamne expressément dans le 1. livre de ses Confessions, où il demande pardon à Dieu des fautes qu'il a commises dans ces sortes de lectures qu'il était obligé de faire en son enfance. « Malheur à toi, dit-il , torrent funeste de la coutume : qui peut avoir assez de force pour te résister ? ne te sécheras-tu jamais ? Jusqu'à quand entraîneras-tu les enfants d'Eve dans cette vaste, et si périlleuse mer, dont à peine se peuvent sauver ceux mêmes qui la passent sur le bois de la Croix de Jésus-Christ ? N'ai-je pas vu dans les livres que tu autorises, un Jupiter tonnant, et adultère tout ensemble ? Ce n'est pas que la puissance divine peut jamais être jointe avec une si infâme corruption. Mais ils ont faussement armé de foudres un homme vraiment souillé de vices, et de crimes, afin que l'autorité que lui donnerait son tonnerre imaginaire, portât les hommes à l'imiter dans un adultère véritable. Et qui est celui de ces maîtres des lettres humaines qui considère avec l'attention qu'il devrait, ce qu'un Auteur nourri comme eux dans les sciences profanes, et dans la Religion du Paganisme a écrit dans ses livres contre les imaginations des Poètes qu'ils estiment tant ; et qui s'étant fait cette objection, on me dira peut-être, qu'Homère feignait ces choses, et qu'il attribuait aux Dieux les mouvements et les passions des hommes ; répond aussitôt : Il aurait mieux fait de rendre les hommes semblables aux Dieux, que de rendre ainsi les Dieux semblables aux hommes. Mais nous pouvons dire avec plus de vérité que ce Poète en effet inventait ces choses, et qu'il les inventait afin qu'attribuant aux Dieux des actions criminelles, elles ne passassent plus pour des crimes, et que ceux qui les commettraient à l'avenir semblassent imiter plutôt les Dieux célestes, et tout puissants, que des hommes perdus, et des scélérats. « Et néanmoins, ô fleuve infernal, les hommes ne laissent pas de se plonger avec plaisir dans tes eaux si sales, et si corrompues ; et ils donnent même des récompenses à ceux qui leur apprennent ces folies si dangereuses. On les met en honneur et en crédit, comme des choses grandes, et importantes : et on les enseigne publiquement à la vue des Magistrats, qui ordonnent des gages à ces Professeurs publics, outre ce qu'ils peuvent recevoir de ceux qu'ils instruisent. Et après cela, fleuve malheureux, tu fais encore retentir le bruit de tes flots, et des cailloux qu'ils entraînent ; et nous entendons ces personnes qui nous crient : c'est de ces livres que l'on apprend la pureté de la langue, c'est de ces livres qu'il faut tirer cette éloquence qui est si nécessaire pour persuader ce que l'on désire, et pour exprimer avec grâce ses avis, et ses sentiments. N'aurions-nous donc jamais su ce que signifient ces mots : une pluie d'or : le sein d'une femme : une tromperie : les voûtes du Ciel ; et les autres que nous lisons dans un endroit de l'Eunuque de Térence, si ce Poète ne nous représentait un jeune homme vicieux, et débauché, qui racontant une action infâme qu'il avait commise, dit qu'il avait été enflammé à la commettre par l'exemple de Jupiter même, ayant remarqué dans un tableau peint sur la muraille, que ce Dieu avait fait descendre une pluie d'or dans le sein de Danaé, et avait ainsi trompé cette femme. Mais voyez un peu de quelle sorte il s'anime lui-même à satisfaire sa brutale passion, comme ayant pour Maître et pour modèle celui que le Ciel adore : “un Dieu, dit-il, l'a bien voulu faire. Mais quel Dieu ? Celui qui fait trembler les voûtes du Ciel par son tonnerre : Et moi qui ne suis qu'un des moindres d'entre les hommes, j'aurais honte d'imiter le plus grand des Dieux ? Non certes ; aussi l'ai-je imité, et avec joie.” Ν'est-il pas vrai de dire que cette honteuse description n'était nullement nécessaire pour nous faire apprendre ces paroles avec plus de facilité ? Mais que ces paroles au contraire sont très propres pour faire commettre aux hommes cette infamie détestable avec plus de hardiesse ? « Je ne condamne point les paroles que je considère en elles-mêmes comme des vases riches et précieux. Je condamne seulement la corruption du vin qui est enfermé dans ces coupes d'or, que ces Docteurs qui étaient ivres eux-mêmes, nous présentaient, voulant nous enivrer aussi bien qu'eux, et le voulant jusqu'à nous châtier sévèrement si nous refusions d'en boire ; sans qu'il nous fût permis d'en appeler au jugement d'un homme sobre. Cependant, mon Dieu, qui me faites la grâce de reconnaître devant vous les désordres de ma vie passée, sans appréhender la rigueur de votre justice, j'ai appris très volontiers toutes ces folies ; et je les apprenais avec plaisir, misérable que j'étais, et c'était ce qui me faisait passer pour un enfant de grande espérance. » S. Augustin compare les Maîtres qui faisaient lire, et apprendre aux enfants les Comédies, à des personnes ivres, qui voulaient enivrer ces enfants. Et l'Auteur de la Dissertation fait dire faussement à S. Augustin, « que les jeunes enfants sont ordinairement obligés par des personnes âgées, et plus sages qu'eux, de lire, et d'apprendre les Comédies ». Il n'a pas plus de raison de prétendre que ce fût le sentiment de Saint Augustin, que les Comédies, et les Tragédies, dussent être comptées entre les disciplines libérales. Car il est certain que ce que Saint Augustin en dit dans ce chapitre 8. du 2. livre de la Cité de Dieu, n'est que selon le sentiment, et l'usage des Païens, comme il nous l'apprend lui-même dans l'Epître 131. qu'il écrit à Mémorius Evêque de Capoue. « Posidius, dit-il, a été instruit par notre ministère, non pas dans ces lettres, que les esclaves de diverses passions déréglées appellent libérales, mais il a été nourri du pain du Seigneur, autant que notre indigence nous a pu permettre de lui en distribuer. Car nous ne pouvons dire autre chose à ceux qui étant méchants et impies s'estiment être bien élevés, comme des personnes libres le doivent être ; sinon ce que nous lisons dans les lettres qui sont véritablement libérales : si le fils vous met en liberté, vous serez alors vraiment libres. Joan. 8. v. 36. Car c'est lui qui nous fait connaître ce qu'il y a de libre dans ces disciplines, que ceux qui ne sont pas appelés à un état de liberté, appellent libérales, car elles n'ont rien qui convienne à la liberté, que ce qu'elles ont de conforme à la vérité. C'est pourquoi le même Fils de Dieu dit. "Et la vérité vous rendra libres." Ces fables donc innombrables et impies dont les vers des vains Poètes sont remplis, n'ont rien de commun avec notre liberté. » Quant au 2. passage que cite l'Auteur de la Dissertation, tiré du chapitre 2. du 3. livre des Confessions de S. Augustin, y a-t-il rien de plus éloigné des sentiments de ce grand Saint ; y a-t-il rien de plus opposé à la piété Chrétienne, que de dire, que ce grand Docteur de l'Eglise ne regardait pas comme un désordre et un dérèglement, les diverses passions que les spectacles des Comédies et des Tragédies excitaient dans son âme : « S. Augustin, dit l'Auteur de la Dissertation, ne parle que de la compassion qu'il avait pour les misérables que l'on représentait dans les Tragédies, et de laquelle il faisait lors son plaisir, disant qu'il était fâché lorsqu'il en sortait sans être ému de douleur, et qu'il entrait dans les intérêts des amants, étant bien aise quand ils obtenaient ce qu'ils avaient désiré. Mais lorsqu'il condamne quelques désordres dans les représentations Théâtrales, il parle de celles qui étaient accompagnées de danses honteuses, etc. » Ainsi selon l'Auteur de la Dissertation, cette compassion que S. Augustin avait pour les misérables, la part qu'il prenait dans les intérêts des amants, la tristesse qu'il ressentait, lorsqu'ils étaient contraints de se séparer, et la joie qu'il avait lorsqu'ils obtenaient ce qu'ils avaient désiré, n'étaient point des désordres que ce grand Saint condamnât, y a-t-il dis-je rien de plus éloigné des sentiments de S. Augustin, y a-t-il rien de plus opposé à la piété Chrétienne ? Ce grand Saint parlant de cette compassion et de cette tristesse : « D'où vient cela, dit-il, sinon d'une étrange maladie d'esprit, puisqu'on est d'autant plus touché de ces aventures Poétiques que l'on est moins guéri de ces passions. » Être malade d'esprit, n'être pas guéri des passions de l'amour, n'est-ce pas un étrange désordre ? « Cette compassion, dit-il ensuite, procède donc de la source de l'amour naturel que nous nous portons les uns aux autres. Mais où vont les eaux de cette source, et où coulent-elles ? Elles vont fondre dans un torrent de poix bouillante, d'où sortent les violentes ardeurs de ces noires et de ces sales voluptés. Et c'est en ces actions vicieuses que cet amour se convertit et se change par son propre mouvement, lorsqu'il s'écarte, et s'éloigne de la pureté céleste du vrai amour.… Mais ô mon âme garde-toi de l'impureté. » Cette compassion donc et cette douleur qu'on ressent aux Comédies et aux Tragédies venant d'un amour qui s'écarte et s'éloigne de Dieu, et qui se change par son propre mouvement en des actions vicieuses, n'est-ce pas un désordre que S. Augustin condamne ? Ecoutons encore ce qu'il ajoute sur le même sujet. « Alors je prenais part à la joie de ces amants de Théâtre, lorsque par leurs artifices ils faisaient réussir leurs impudiques désirs, quoiqu'il n'y eût rien que de feint dans ces représentations et ces spectacles. Et lorsque ces amants étaient contraints de se séparer, je m'affligeais avec eux comme si j'eusse été touché de compassion : Et toutefois je ne trouvais pas moins de plaisir dans l'un que dans l'autre. Mais aujourd'hui j'ai plus de compassion de celui qui se réjouit dans ses excès et dans ses vices, que de celui qui s'afflige dans la perte qu'il a faite d'une volupté pernicieuse, et d'une félicite misérable, voilà ce qu'on doit appeler une vraie miséricorde. » Se réjouir de l'accomplissement des désirs impudiques étant un péché opposé à la charité « qui ne se réjouit point de l'iniquité » ; n'est-ce pas un désordre criminel, que S. Augustin condamne ? Je conjure donc l'Auteur de la Dissertation de faire un meilleur usage de la lecture de S. Augustin et des autres Pères, finissant cette Réfutation par ces paroles que S. Augustin écrit à Nectarius. « Lisez ou rappelez en votre mémoire ce que vous avez lu dans les livres d'un Païen ; avec combien de prudence il y est remarqué qu'on n'aurait jamais souffert qu'on eût écrit ni représenté des Comédies, si les mœurs de ceux qui les ont reçues, n'eussent été souillées des mêmes vices, dont les représentations des Comédies étaient infectées. » Dissertation pag. 233. « Aussi Lactance ne blâme la Comédie et la Tragédie, que pour les sujets qui contenaient quelquefois des fables malhonnêtes, et non pas l'art du Poète, ni l'exercice des Acteurs. » V. Réfutation. Y eut-il jamais une plus grande illusion ? l'Auteur de la Dissertation nous veut faire accroire que Lactance ne condamne pas ce qu'il condamne en termes exprès. Est-ce qu'il s'est imaginé que ceux qui liraient sa Dissertation, seraient si persuadés de sa suffisance, qu'ils l'en croiraient sur sa parole, sans se mettre en peine de voir ce qu'en a écrit Lactance ? voici ses paroles. « Je ne sais s'il y a moins de corruption et de dérèglement dans les Théâtres, que dans les autres Spectacles. Car on représente dans les Comédies l'incontinence des filles et les amours des femmes de mauvaise vie. Et plus les Auteurs des fictions de ces crimes infâmes ont d'éloquence, plus ils persuadent ceux qui les écoutent, par la politesse de leurs sentiments, la justesse et la beauté de leurs vers faisant qu'on les retient plus aisément. Dans les Tragédies l'on expose avec un discours et une action magnifique aux yeux du peuple, les parricides, les incestes, et toutes sortes de crimes. » Peut-on condamner en termes plus exprès non seulement les sujets des Comédies et des Tragédies, mais aussi l'art du Poète, et l'exercice des Acteurs ? Voilà comme Lactance condamne les Comédies et les Tragédies en particulier : et voici comme il les condamne en général, en condamnant tous les Spectacles. « Nous devons rejeter les Spectacles publics, parce qu'ayant de très puissants attraits pour les vices, et une extrême force pour corrompre les mœurs, ils sont non seulement inutiles pour nous conduire à la vie bienheureuse, mais ils sont même extrêmement nuisibles. » Certainement l'Auteur de la Dissertation ne pensait pas à ce qu'il écrivait quand il a dit que Lactance ne blâme pas l'art du Poète, ni l'exercice des Acteurs, car n'est-ce pas blâmer l'art du Poète, que de blâmer l'éloquence, la politesse des sentiments, la justesse et la beauté des vers des Comédies, et des Tragédies, qui servent à imprimer plus fortement dans les esprits les crimes qu'on représente ? l'art de la Poésie n'est pas blâmable en lui-même ; mais on ne saurait assez blâmer le mauvais usage qu'en font les Poètes, lorsqu'ils l'emploient pour embellir les crimes. Enfin n'est-ce pas blâmer l'exercice des Acteurs, que de blâmer la représentation des impuretés et des autres crimes, puisque ce sont les Acteurs des Comédies et des Tragédies qui les représentent ? Et peut-on avancer une plus grande absurdité que de dire qu'un sujet est blâmable parce qu'il est déshonnête ; mais que le Poète qui le rend agréable, et les Acteurs qui l'exposent aux yeux du peuple, ne sont pas blâmables ? cela choque tellement le bons sens qu'il ne mérite pas qu'on s'amuse à le réfuter. Dissertation pag. 234. et 235. « Et je ne sais comment il s'est pu faire que certains Canonistes prévenus de l'erreur public, et sans avoir examiné les sentiments des Anciens, ont allégué deux Canons tirés des paroles de S. Jérôme , comme une condamnation absolue de la représentation des Poèmes Dramatiques, car il n'en parle point, il ne s'agit que des Ecclésiastiques qui lisaient des Comédies, au lieu de s'appliquer à l'étude des Ecritures saintes, et l'on ne peut en tirer aucune conséquence, parce qu'il confond dans cette défense Virgile, et toutes sortes d'Auteurs profanes. En quoi il donne un conseil aux Ecclésiastiques, et non pas un précepte à tous les Chrétiens. Autrement il faudrait dire qu'un des plus saints et des plus doctes Evêques de ce Royaume, qui se faisait lire ordinairement les Comédies de Térence au chevet de son lit, a vécu dans un désordre condamné par les Canons, et que la lecture de Virgile est pernicieuse et criminelle. » VI. Réfutation. Comme l'Auteur de la Dissertation a accoutumé de tronquer les passages qu'il cite, il y a sujet de croire qu'il a aussi tronqué l'objection de ces Canonistes qu'il allègue sans les oser nommer ; car il n'y a point d'apparence qu'ils eussent omis le Canon Ideo qui est dans la même distinction 37. tiré d'Isidore, par lequel « il est défendu aux Chrétiens de lire les fictions des Poètes, parce que par le plaisir que donnent leurs vaines fables, ils jettent dans les cœurs les flammes de l'impureté ; car on sacrifie aux démons non seulement en leur offrant de l'encens ; mais aussi en recevant volontiers leurs discours ». Joignant donc ce Canon, aux deux autres qui sont cités dans la Dissertation, par lesquels il est défendu aux Evêques et aux Prêtres de lire les Comédies et les vers lascifs des Poètes, je soutiens que c'est avec raison qu'on en infère une condamnation absolue des Poèmes Dramatiques. Car c'est une règle constante du droit canonique que « lorsqu'il n'est pas permis de faire un moindre mal, il n'est pas permis à plus forte raison d'en faire un plus grand ». Or il y a moins de mal à lire les Comédies, qu'à les représenter, ou à les voir représenter. Et par conséquent le droit Canonique en défendant non seulement aux Evêques et aux Prêtres, mais généralement à tous les Chrétiens de lire les Comédies, il leur défend aussi à plus forte raison de les représenter, ou de les voir représenter. Ces Canonistes n'ont pas donc en cela suivi l'erreur public, mais ils ont détruit l'erreur de la Dissertation par les règles du droit Canonique. Mais, ajoute l'Auteur de la Dissertation, « on ne peut tirer aucune conséquence de ces Canons, parce que dans cette défense S. Jérôme, de qui ces deux Canons sont tirés, confond Virgile et toutes sortes d'Auteurs profanes, en quoi il donne un conseil aux Ecclésiastiques, et non par un précepte à tous les Chrétiens ». Si sa lecture précipitée ne lui avait ôté la connaissance du Canon Ideo que nous venons de rapporter, il se serait bien gardé de prendre cette défense du Droit Canonique pour un simple conseil, à l'égard des Evêques et des Prêtres, et à l'égard même de tous les Chrétiens sans distinction quelconque ; car selon ce Canon, lire les fictions des Poètes et remplir son esprit de leurs fables, c'est offrir un sacrifice au démon ; la défense donc, qui regarde tous les Chrétiens dans ce Canon, de lire les fictions des Poètes n'est pas un simple conseil ; puisque la défense d'offrir un sacrifice aux démons, n'est pas un simple conseil. En effet si cette défense de lire les fictions des Poètes et les Comédies n'était qu'un conseil à l'égard des Ecclésiastiques ; pourquoi Rufin aurait-il objecté comme un crime à Saint Jérôme d'avoir lu étant Prêtre ces sortes de livres contre son serment. « Il n'y a pas longtemps, dit-il, que S. Jérôme expliquait aux enfants qu'on avait mis sous sa conduite dans le Monastère de Bethléem, pour les instruire dans la crainte de Dieu, Virgile, et les Poètes Comiques et Lyriques, comme aussi les Historiens se rendant interprète des Auteurs Païens contre le serment qu'il avait fait de ne les pas même lire désormais sous peine d'être puni, de même que s'il avait nié Jésus-Christ. » Et pourquoi S. Jérôme se serait-il mis en peine de se justifier de ce reproche ? Quant à ce qui regarde son serment, il répart à Rufin que « ce n'est qu'un serment fait en songe » ; Mais quant à la lecture des livres profanes, il lui dit, « qu'il peut jurer qu'il ne les a jamais lus depuis qu'il était sorti des Ecoles ». D'ailleurs lorsque le 4. Concile de Carthage défend aux Evêques la lecture des livres des Païens ; peut-on dire que cette défense ne soit qu'un conseil. Mais si cela est ainsi, dit l'Auteur de la Dissertation, « il faudrait dire qu'un des plus saints et des plus doctes Evêques de ce Royaume, qui se faisait lire ordinairement les Comédies de Térence au chevet de son lit, a vécu dans un désordre condamné par les Canons ». Voilà une plaisante manière d'interpréter les Canons : où a-t-il donc appris qu'il faille accommoder les Canons au relâchement des mœurs ; au lieu qu'on doit former ses mœurs sur les décrets des Canons ? Quand même ce ne serait qu'un conseil aux Ecclésiastiques ; un Evêque serait obligé de le suivre, puisque l'état sublime de l'Episcopat l'oblige à suivre ce qui est plus parfait : « Comme un Evêque, dit le Pape S. Grégoire, est obligé d'apprendre aux hommes la voie la plus sublime et la plus parfaite, il est obligé de même de leur en représenter un modèle dans la perfection de sa vie. » Mais si l'Auteur de la Dissertation avait bien étudié le Droit Canonique, il aurait pu apprendre la véritable interprétation des deux Canons tirés de S. Jérôme, par la lecture du 8. Canon de la même distinction 37. car il y aurait vu que ces Canons ne défendent la lecture des fables des Poètes, des Comédies et des autres livres des Païens, que lorsqu'on les lit pour le seul plaisir qu'on y prend ; mais non pas lorsque une juste nécessité oblige de les lire.... « Pourquoi donc, dit ce Canon, est-il défendu de lire ces sortes de livres, puisqu'il y a tant de raisons qui font voir qu'il est utile de les lire ? c'est parce qu'il y a des personnes qui lisent les lettres profanes pour le seul plaisir qu'ils reçoivent des fictions des Poètes et des beautés du discours. Mais il y en a d'autres qui les apprennent pour s'instruire, afin d'être capables de réfuter les erreurs des Païens, et pour se servir sainement de ce qu'ils y trouvent d'utile à soutenir les dogmes de la doctrine sacrée. C'est en cette manière qu'il est permis d'apprendre les lettres profanes. » Il faut ici remarquer combien il est important que les Prêtres et les Evêques aient été bien instruits en leur jeunesse dans les lettres profanes, afin que dans les occasions qui se présentent après qu'ils sont promus à la Prêtrise et à l'Episcopat, ils puissent s'en servir utilement sans se détourner des saintes occupations de leur ministère. C'est ce que nous enseigne S. Jérôme en ces termes. « Si nous sommes contraints quelquefois de nous servir de ce que nous nous souvenons d'avoir appris des lettres profanes, et de dire quelque chose de cette étude que nous avons quittée il y a longtemps, ce n'est pas par un mouvement de notre volonté que nous le faisons, mais par une très pressante nécessité pour ainsi dire, afin de prouver que les choses que les Saints Prophètes ont prédites avant tant de siècles, sont arrivées, comme il paraît par les écrits des Grecs, des Latins et des autres nations. » C'est aussi par une juste nécessité qu'on permet aux enfants la lecture des fables des Poètes et des Comédies, comme le Canon Sacerdotes le marque, parce que cette lecture leur est nécessaire pour apprendre la pureté de la langue, la beauté de l'expression et les autres ornements de l'éloquence ; mais avec cette précaution qu'on en retranche tout ce qu'il y a d'impur, de déshonnête et de dangereux comme les paroles suivantes de S. Jérôme dans l'Epître qu'il écrit au Pape Damase sur le sujet de l'Enfant prodigue, d'où ce Canon est tiré nous l'apprennent. « Purifions, dit-il, cette sagesse profane, et nettoyons-la de toutes ses erreurs et de toutes ses ordures. » Hors de ces cas de nécessité, il n'est point permis aux Chrétiens de lire les fables des Poètes, ni les Comédies, non pas même tous les vers de Virgile pour le seul plaisir qu'on y prend. Et quelque nécessité qu'il y ait à en permettre la lecture aux enfants ; ce n'est qu'avec cette condition qu'on en retranche les ordures, et ce qui peut corrompre les bonnes mœurs. Si l'Auteur de la Dissertation avait bien lu les Confessions de S. Augustin, il ne le trouverait pas étrange comme il fait, lorsqu'il ne peut souffrir qu'on dise, que « la lecture de Virgile est pernicieuse et criminelle ». Car il verrait que ce grand Saint demande pardon à Dieu comme d'un grand mal, d'avoir lu en son enfance avec plaisir les amours de Didon et d'Enée que Virgile décrit. « J'étais obligé, dit-il, d'étudier les vaines et fabuleuses aventures d'un Prince errant, tel qu'était Enée, au lieu de penser à mes égarements et à mes erreurs, et on m'enseignait à pleurer la mort de Didon, à cause qu'elle s'était tuée par un transport violent de son amour, cependant que j'étais si misérable, que de regarder d'un œil sec la mort que je me donnais à moi-même, en m'attachant à ces fictions, et en m'éloignant de vous, mon Dieu, qui êtes ma vie ; car y a-t-il une plus grande misère, que d'être misérable sans reconnaître et sans plaindre soi-même sa propre misère, que de pleurer la mort de Didon, laquelle est venue de l'excès de son amour pour Enée, et de ne pleurer pas sa propre mort qui vient du défaut d'amour pour vous. » On voit encore comme S. Augustin reconnaît que représenter en son style les transports de la colère de Junon, que Virgile décrit dans ses vers, « c'est se perdre dans le vague de ces chimériques rêveries et être la proie et le jouet des Esprits impurs qui volent dans l'air, car il y a plusieurs manières de sacrifier aux Anges rebelles ». Mais si l'Auteur de la Dissertation n'a pas encore appris de la Religion Chrétienne combien la lecture des Comédies et des autres ouvrages des Poètes est dangereuse ; surtout aux Enfants ; qu'il aille à l'école d'un Païen pour l'apprendre. Quintilien parlant des Poètes que l'on doit montrer aux Enfants, dit que l'on ne doit pas seulement choisir les Auteurs, mais même certaines parties de chaque Auteur, parce que les Grecs ont dit beaucoup de choses qui ne sont pas assez honnêtes : Et qu'il ne voudrait pas expliquer Horace en certains endroits de ses ouvrages. C'est pourquoi il veut que l'on bannisse bien loin toutes les Elégies qui parlent d'amour. Et traitant des Comédies, particulièrement de celles de Ménandre, dont Térence en a traduit quelques-unes : Il dit formellement qu'encore qu'il croie que ces Comédies soient une des choses les plus utiles aux enfants, et qu'ils doivent lire avec plus de soin ; il ne veut pas néanmoins qu'on les leur donne, que lorsqu'ils seront dans un âge plus avancé et lorsque cette lecture ne pourra plus nuire à la pureté de leurs mœurs. Sur quoi il faut observer que quelque nécessité qu'il y ait eu de permettre aux Chrétiens la lecture des Comédies, l'Eglise ne leur a jamais permis d'assister à leurs représentations, et moins encore d'en être les Acteurs, comme il paraît par tout ce que nous avons rapporté dans les Réfutations précédentes et par ce que nous en dirons dans les suivantes. Ainsi lorsque l'Empereur Julien l'Apostat défendit aux Chrétiens l'étude des lettres profanes, afin d'introduire l'ignorance dans le Christianisme ; les saints Pères pour remédier au mal que la Religion Chrétienne en pouvait souffrir ; voyant que les enfants étaient privés de l'instruction qu'ils avaient accoutumé de recevoir par la lecture des Philosophes, des Orateurs et des Poètes Païens, qu'on leur avait ôtée, s'avisèrent de composer promptement divers ouvrages pieux, d'un caractère et d'un style approchant de celui des Auteurs profanes qu'on leur avait ôté : Ils n'oublièrent pas même les Comédies ni les Tragédies qu'ils firent à l'imitation de celles des Poètes Comiques et Tragiques, afin que les enfants ne fussent pas même privés de cette utilité qu'ils avaient accoutumé de recevoir de la lecture de ces sortes de pièces pour apprendre la pureté de la langue et les ornements de l'éloquence. « L'empereur Julien, dit Sozomène , estimant que c'était des livres des Païens seulement qu'on pouvait apprendre l'art de persuader, ne souffrait pas que les Chrétiens s'exerçassent dans ces études. Mais en même temps Apollinarius homme de grand savoir et d'excellent esprit composa heureusement en vers Héroïques l'histoire du vieux Testament jusqu'au règne de Saül, pour tenir lieu de l'Iliade et de l'Odyssée d'Homère etc. il composa aussi des Comédies à l'imitation de celles de Ménandre, des Tragédies à l'imitation de celles d'Euripide, et des vers Lyriques à l'imitation de ceux de Pindare, etc. » L'ancien Auteur de la vie de S. Grégoire Evêque de Nazianze nous apprend que ce S. Prélat fit la même chose : « Voyez, dit-il, je vous prie avec quelle prudence, et avec quelle adresse ce saint Evêque rendit inutile la loi par laquelle ce Tyran avait interdit aux Chrétiens l'étude des lettres Grecques : il composa plusieurs pièces en tout genre d'écrits : en vers Héroïques, en vers Iambiques, en vers Elégiaques, et de plusieurs autres façons : il en composa même en forme de Tragédies et de Comédies ; de sorte qu'il n'y a presque aucun genre de doctrine, qu'il n'ait exprimé dans ses livres, prenant toujours pour sujet de ses vers quelque matière pieuse : la louange de la vertu, ce qui regarde la pureté de l'âme et du corps, quelque point de Théologie, quelque prière ou quelque autre chose semblable, bannissant avec raison les impuretés et les rêveries des fables et les illusions des Dieux et proposant aux Chrétiens une doctrine pleine de sagesse. Ainsi cet homme impie enviant la doctrine aux Chrétiens, bien loin de retirer quelque profit de sa loi détestable, n'en reçut que de la confusion et de la perte. » Nous voyons par là que ces Poésies, ces Tragédies et ces Comédies ne servaient qu'à instruire les enfants par la lecture qu'ils en faisaient ; et on ne peut pas dire qu'elles aient servi pour divertir des Spectateurs sur un Théâtre. Car les Saints Pères déclarent eux-mêmes que c'eût été un crime d'en faire cet usage, en nous apprenant que le Théâtre même des Comédies est un crime, lorsqu'on l'a fait pour son plaisir, n'étant permise que par une pure nécessité pour l'instruction des enfants. Mais ce qui est très remarquable : Quoique l'Eglise permît aux enfants la lecture des Comédies avec la restriction que nous avons marquée ; elle ne leur a jamais permis la lecture des Romans, et elle a toujours défendu d'en composer ; comme il paraît par cet exemple célèbre qui est rapporté dans le chapitre 34. du 12. livre de l'histoire Ecclésiastique de Nicéphore. « Héliodore Evêque de Tricala en Thessalie composa en sa jeunesse des livres d'amour qu'il intitula l'Histoire Ethiopique, auxquels on donne maintenant le nom de Chariclée, c'est-à-dire, la gloire des Grâces. Il perdit son Evêché pour avoir composé ces livres : car leur lecture ayant fait une dangereuse impression dans les esprits de plusieurs jeunes hommes, le Concile Provincial ordonna que ces livres qui excitaient des flammes d'amour, fussent brûles et entièrement abolis, ou que l'Evêque qui en était l'Auteur, fut privé du ministère Episcopal. Il aima mieux quitter son Évêché, que supprimer ses écrits. » J'ajouterai ici un exemple excellent de la conduite des mères à l'égard de la lecture qu'elles doivent défendre ou permettre à leurs filles, que S. Grégoire de Nysse nous propose dans la vie de sainte Macrine sa sœur : « Ma mère, dit-il, avait un extrême soin de faire instruire ma sœur Macrine, non pas en la manière qu'on instruit d'ordinaire ceux de cet âge en leur expliquant les fables des Poètes ; car elle estimait que c'était agir contre la pudeur et la bienséance, que d'empoisonner les âmes bien nées et encore tendres en leur faisant voir dans des Tragédies des femmes transportées d'amour ; et dans des Comédies, des saletés honteuses, et indignes d'être entendues par des personnes que leur sexe oblige à n'avoir pas seulement les sentiments, mais les oreilles chastes. Mais au lieu de cela elle lui faisait apprendre les endroits de l'Ecriture Sainte les plus faciles à entendre, et les plus propres à son âge. Ainsi elle commença par la sagesse de Salomon, dont elle choisit les endroits les plus capables de régler sa vie, et tous les mouvements de son esprit. Elle savait aussi fort bien les Psaumes et les partageait en certaines heures. » Je ne dois pas aussi omettre les lois qu'Aristote veut qu'un sage Législateur établisse touchant ce qu'on doit permettre aux enfants de dire, d'écouter, de lire et de voir. « Que le Législateur, dit-il, ait soin sur toutes choses de bannir de la ville toutes sortes de paroles sales et déshonnêtes ; car des paroles licencieuses et déshonnêtes, on passe d'ordinaire aux actions honteuses ; il faut donc accoutumer principalement les enfants dès leur bas âge, à ne rien dire et à ne rien écouter de déshonnête. « Or ayant défendu de dire aucune parole déshonnête, il est manifeste que nous défendons aussi de regarder des peintures ou des actions déshonnêtes : Que les Magistrats prennent donc garde qu'il n'y ait point de peintures ni de statues qui représentent des choses honteuses. « Que le Législateur ne souffre point que les enfants soient Spectateurs des Comédies ni des Tragédies, car les premières impressions sont d'ordinaire les plus fortes et les plus agréables : c'est pourquoi il faut éloigner des enfants tout ce qui est déshonnête, et principalement ce qui est en soi honteux ou mauvais. » De ce que je viens de rapporter je tire deux arguments qui détruisent entièrement tout ce que l'Auteur de la Dissertation avance en cet endroit ; premièrement Aristote nous apprend qu'à cause qu'il est défendu de dire et d'écouter aucune parole déshonnête, il s'ensuit qu'il est aussi défendu de voir aucune chose déshonnête, et par conséquent d'être spectateur des Tragédies et des Comédies. C'est donc avec raison et selon les principes d'Aristote que les Canonistes dont parle l'Auteur de la Dissertation, ont conclu de ce qu'il est défendu de lire les Comédies, qu'il est aussi défendu de les voir représenter et par conséquent ils ont justement allégué les Canons qui défendent de lire les Comédies, comme une condamnation des Poèmes dramatiques. Secondement, c'est sans raison que l'Auteur de la Dissertation prétend que cette défense des Canons n'est qu'un conseil, car toute défense est un précepte ; et par conséquent n'est pas un simple conseil. Mais n'est-ce pas un précepte pour tous les Chrétiens, de ne dire et de n'écouter aucune parole déshonnête, et de ne regarder aucune chose malhonnête, non pas même en peinture. Un Chrétien peut-il nier cette vérité, puis qu'un Philosophe Païen en fait une loi ? Or lire la description d'une chose sale et honteuse, n'est-ce pas regarder la peinture d'une chose sale et déshonnête ? et par conséquent les Comédies et les Tragédies étant des représentations des choses qui blessent la pudeur ; comme l'enseigne S. Grégoire de Nysse dans l'endroit que je viens de rapporter ; il est manifeste que les Chrétiens sont obligés, non par un simple conseil ; mais par un précepte de ne les point lire, et de n'en être point les Spectateurs. Mais les termes du Canon Sacerdotes allégué dans la Dissertation ne suffisent-ils pas pour nous l'apprendre ; en marquant que « c'est un crime de lire les Comédies pour le plaisir qu'on y prend ». Or n'est-ce pas un précepte et non un simple conseil, de ne pas faire un crime ? Que si c'est un crime de lire les Comédies pour le plaisir qu'on y prend, c'en est encore un plus grand de les voir représenter. Il faut donc que l'Auteur de la Dissertation ait été bien prévenu de l'erreur de son imagination, et qu'il n'ait point examiné les sentiments des anciens, pour dire : « Je ne sais comment il s'est pu faire que certains Canonistes prévenus de l'erreur public, et sans avoir examiné les sentiments des anciens, ont allégué ces Canons tirés des paroles de Saint Jérôme comme une condamnation absolue de la représentation des Poèmes dramatiques. » Chapitre XII. QUE LA REPRESENTATION des Comédies et des Tragédies ne doit point être condamnée tant qu'elle sera modeste et honnête. Dissertation pag. 236. « De toutes ces recherches de l'antiquité, il sera vrai de conclure que la Tragédie et la Comédie n'ont rien de leur nature qui puisse les exposer à la censure des lois, et des gens de bien. » I. Réfutation. Les Comédies et les Tragédies sont des représentations, dont les unes sont muettes, et les autres parlantes et animées ; les muettes, sont celles qui ne se voient que dans les livres ; les autres sont celles qu'on joue sur le Théâtre et c'est de celles-ci dont il s'agit. Ainsi donc les Comédies et les Tragédies qu'on joue sur le Théâtre, étant des représentations animées, sont des actions : or une action pour être bonne, demande quatre choses, 1. qu'elle soit bonne selon son genre, 2. selon son espèce, 3. selon ses circonstances, 4. selon sa fin. « Dans chaque action humaine, dit S. Thomas , on peut considérer sa bonté selon quatre choses : Premièrement selon son genre ; c'est-à-dire, selon qu'elle est action, parce qu'elle a autant de bonté, qu'elle a d'action et d'être. Secondement selon son espèce, qui se prend de l'objet convenable. Troisièmement selon ses circonstances, comme selon des accidents en quelque manière. Quatrièmement selon sa fin, c'est-à-dire selon le rapport qu'elle a à la cause et au principe de la bonté. » Sur quoi il faut remarquer deux choses : premièrement que les circonstances ne sont pas toujours des accidents, mais qu'elles sont des différences spécifiques qui forment une nouvelle espèce d'action morale, lorsqu'elles ajoutent quelque vice d'un genre différent. Secondement il faut remarquer, qu'une action n'est point absolument bonne, s'il lui manque quelqu'une de ces quatre choses qui composent sa bonté ; c'est-à-dire, si elle n'est bonne selon son genre, selon son espèce, selon ses circonstances et selon sa fin ; « car un seul défaut suffit pour rendre une chose mauvaise ; mais elle ne peut  être bonne, si elle n'a entièrement tout ce qui rend une chose bonne ». D'où il s'ensuit que si les Comédies et les Tragédies ne sont bonnes selon leur genre, selon leur espèce, selon leurs circonstances, et selon leur fin, elles sont mauvaises, et qu'elles méritent d'être condamnées. Or il est facile de faire voir que selon leur genre et selon leur fin elles sont mauvaises ; car selon leur genre elles sont des représentations fausses et imaginaires, ne représentant pas les choses telles qu'elles sont comme sont les Histoires ; mais telles qu'elles les feignent ou les déguisent ; et leur fin n'étant que de mettre devant les yeux des spectateurs ce qui peut plus agréablement occuper leur esprit, flatter plus doucement leurs sens, et émouvoir plus fortement leurs passions ; elles ne se rapportent qu'à cela, préférant même le mensonge à la vérité. C'est justement ce que l'Ecriture appelle des vanités ou des objets imaginaires et de fausses folies, que ceux qui recherchent la véritable félicité, ne doivent pas seulement regarder. « Bienheureux celui, dit le Roi Prophète, qui n'a point abusé de ses yeux pour regarder des objets imaginaires, et qui ne s'est point occupé de fausses folies. » Si nous considérons les Comédies selon leur espèce, nous trouverons qu'elles ne sont point meilleures soit dans la matière, soit dans la forme, car quant à la matière, il leur est indifférent qu'elle soit honnête ou déshonnête, bonne ou mauvaise. Quant à la forme elle est telle qu'il plaît au Poète de la donner ; de sorte que quelque honnête que soit la matière, la forme que le Poète lui donne, n'a jamais l'honnêteté toute pure ; parce qu'il la revêt toujours de galanterie, et de ce qu'il estime pouvoir agréer davantage aux spectateurs ? Et le plus souvent la forme détruit ce qu'il y a d'honnête dans la matière, par des discours profanes, pleins de dogmes et de maximes Païennes ; et bien loin de sanctifier le Théâtre par des sujets honnêtes que l'on y représente, on profane au contraire l'honnêteté de ces sujets par des fictions d'amour et d'autres vices que l'on y mêle. Si nous considérons les Comédies et les Tragédies selon leurs circonstances, on ne saurait nier qu'elles ne soient mauvaises : quelque honnête que soit leur matière : la manière de les représenter n'est-elle pas opposée aux réglés du Christianisme ? l'Apôtre ordonne que « les femmes se tiennent en silence ; qu'elles soient vêtues comme l'honnêteté le demande, qu'elles se parent de modestie et de chasteté, et non avec des cheveux frisés ni des ornements d'or, ni de perles, ni des habits somptueux mais comme le doivent  être des femmes qui font profession de piété, et qui le témoignent par leurs bonnes œuvres ». Et l'on voit au contraire des femmes parées sur le Théâtre ; qui ne s'étudient qu'à plaire à ceux aux yeux desquels elles s'exposent, et qui dans leurs ajustements, dans leurs gestes, dans leurs actions, dans leurs regards, dans leurs paroles n'ont rien qui ne blesse la modestie de leur sexe, et qui ne respire l'esprit du monde et la vanité. L'Ecriture sainte défend comme une chose abominable et maudite, que les hommes s'habillent en femmes, et les femmes en hommes : « Que les femmes ne s'habillent point en hommes, ni les les hommes en femmes. Celui qui fait cela, est abominable devant Dieu », et selon la version de Tertullien et de S. Cyprien : « Celui qui fait cela est maudit. » Et par un mépris public de la loi de Dieu, on voit sur le Théâtre des hommes déguisés en femmes, et des femmes déguisées en hommes. Que si nous considérons les effets que ces spectacles produisent dans les Esprits des spectateurs, nous verrons qu'ils ne sont pas innocents ; car quand ils ne feraient autre chose que d'émouvoir les passions ; n'est-ce pas un très grand mal, puisque c'est dissiper les esprits, les détourner de Dieu et étouffer les semences de la piété, c'est perdre l'attention qu'on doit avoir à se tenir sur ses gardes contre les tentations auxquelles on est continuellement exposé : En un mot c'est attrister l'esprit Saint de Dieu, dont nous avons été marqués comme d'un sceau pour le jour de la rédemption. Le lieu de ces représentations présente encore une infinité d'occasions d'offenser Dieu dans les assemblées qui s'y font : le temps qu'on choisit pour les jouer, qui est le soir, ne contribué pas peu à favoriser le vice et à lui faire jeter dans les âmes de ceux qui y assistent de très profondes racines ; de sorte que le seul péril où l'on s'expose dans ces assemblées, est un motif suffisant pour en donner de l'horreur à ceux qui aiment la vertu, quand la Comédie serait une chose indifférente d'elle-même ; car comme dit S. Chrysostome, « Nous ne sommes pas seulement obligés d'éviter les péchés ; mais nous devons encore fuir les choses même qui paraissent indifférentes et qui portent néanmoins insensiblement au péché. Car comme celui qui marche sur le bord d'un précipice, quoiqu'il n'y tombe point, ne laisse pas d'être toujours dans la crainte ; et il arrive souvent que la crainte le trouble et le fait tomber ; de même celui qui ne s'éloigne pas du péché, mais qui en est proche, doit vivre dans l'appréhension, parce qu'il arrive souvent qu'il y tombe. » Et selon la parole de l'Ecriture, « Celui qui aime le péril, se perdra dans le péril. » D'ailleurs on ne se contente pas de représenter des Comédies ; on en a fait un art : C'est un métier de gens qui n'ont d'autre but que de gagner de l'argent par des jeux et des divertissements, ce qui est bien éloigné de la fin pour laquelle Dieu a créé les hommes, comme l'Ecriture sainte et la raison naturelle le font assez connaître. « C'est une chose absurde, dit Aristote, de s'imaginer que le Jeu et le divertissement soit la fin pour laquelle les hommes sont faits. La nature, dit Cicéron, ne nous a pas fait naître pour passer notre vie dans le jeu et dans le divertissement : mais nous sommes nés pour des choses sérieuses et pour des occupations plus hautes et plus importantes. » Il y a des insensés, dit le Sage dans l'Ecriture, « qui estiment que notre vie n'est qu'un jeu, et que le gain étant la fin de nos actions ; il faut acquérir des richesses par toutes sortes de voies, par celles même qui sont mauvaises ». Le métier donc de Comédien qui de sa nature n'a point d'autre fin que de gagner de l'argent par la représentation des jeux quels qu'ils soient indifféremment honnêtes ou déshonnêtes, ne peut être bon de sa nature, parce qu'il n'exclut pas la volonté de faire le mal, mais l'enferme au contraire, s'il en revient un plus grand profit. C'est pourquoi les lois Civiles et Ecclésiastiques ont condamné ce métier et ceux qui en font profession, comme nous l'avons montré ci-dessus. « Tous ceux qui montent sur la Scène pour le gain, dit la loi, sont infâmes selon la décision de Pégasus et de Nerva le fils. » « Les Romains, dit S. Augustin , ainsi que Scipion parle dans les livres que Cicéron a composés de la République estimant que l'art de divertissement, et tous les jeux de la Scène étaient des choses honteuses et infâmes, non seulement ils ont privé ces sortes de gens qui en sont les Acteurs, des honneurs et des dignités, dont la porte était ouverte aux autres citoyens, mais ils les ont même jugés dignes d'être notés par les Censeurs pour être exclus de leurs tribus. » Et selon les Jurisconsultes cette peine s'étend même sur les Acteurs des Comédies honnêtes lorsqu'ils les représentent pour le gain. « Celui, dit Baron célèbre Jurisconsulte, qui représente une Tragédie de Jésus-Christ ou d'un Martyr, n'est pas maintenant noté d'infamie, si ce n'est qu'il monte sur le Théâtre pour le gain. » L'Eglise ne condamne pas moins la Comédie et les Comédiens : « Quant à ceux qui montent sur le Théâtre, disent les Conciles d'Arles, s'ils sont du nombre des fidèles, nous ordonnons qu'ils soient excommuniés tant qu'ils feront ce métier. » « Tous les fidèles , dit le Rituel de l'Eglise de Paris , doivent être admis à la sacrée Communion, excepté ceux auxquels pour quelque juste raison, il est défendu de la recevoir. Et il en faut exclure ceux qui en sont publiquement indignes, tels que sont ceux qui sont notoirement excommuniés, interdits et manifestement infâmes, savoir les femmes débauchées, les Concubinaires, les Comédiens, les Usuriers, les Magiciens, les Sorciers, les Blasphémateurs, et autres semblables pécheurs ; si ce n'est qu'il soit constant qu'ils aient fait pénitence de leurs péchés, qu'ils aient donné des preuves de leur amendement, et qu'ils aient auparavant réparé le scandale public, par une digne satisfaction. » Dissertation pag. 236. « Ce sont des ouvrages des plus difficiles, je l'avoue, mais des plus ingénieux et des plus agréables. Ceux de l'antiquité sont encore vénérables parmi nous et dignes d'occuper les plus beaux esprits, les plus sévères en font les innocents plaisirs de leurs études. » II. Réfutation. Le jugement des saints Pères est bien différent de celui de l'Auteur de la Dissertation. Il estime que les Comédies et les Tragédies étant ingénieuses et agréables, ne sont point exposées à la censure des lois et des gens de bien ; Et c'est pour cela au contraire que les Pères de l'Eglise déclarent qu'elles sont plus dangereuses, parce que plus elles sont ingénieuses et éloquentes, plus elles ont d'attraits pour les vices, et plus de force pour corrompre les mœurs ; et l'Auteur de la Dissertation ne peut pas dire qu'il ne parle que des Comédies et des Tragédies modestes et honnêtes, puisqu'il parle en termes exprès des Comédies et des Tragédies de l'antiquité, qu'il dit être encore vénérables parmi nous et dignes d'occuper les plus beaux esprits, dont les Pères font un jugement tout à fait opposé à celui de l'Auteur de la Dissertation : « Je ne sais, dit Lactance, s'il y a moins de corruption et de dérèglement dans les Théâtres que dans les autres Spectacles ; car on représente dans les Comédies l'incontinence des filles, et les amours des femmes de mauvaise vie. Et plus les Auteurs des fictions de ces crimes infâmes ont d'éloquence, plus ils persuadent ceux qui les écoutent par la politesse de leurs sentiments, la justesse et la beauté de leurs vers faisant qu'on les retient plus aisément. Dans les Tragédies l'on expose avec un discours et une action magnifique aux yeux du peuple, les parricides, les incestes et toutes sortes de crimes... « Nous devons rejeter ces spectacles publics, parce qu'ayant de très puissants attraits pour les vices, et une extrême force pour corrompre les mœurs, ils sont non seulement inutiles pour nous conduire à la vie bienheureuse ; mais ils sont même extrêmement nuisibles. » « Ne savez-vous pas , dit S. Chrysostome , quelle pente nous avons au mal ? Lors donc qu'à cette inclination naturelle nous ajoutons encore l'art et l'étude, comment ne tomberons-nous pas dans l'enfer, puisque nous nous hâtons de nous y jeter ? » D'ailleurs quelque honnête que puisse être une Comédie, plus elle est ingénieuse, et éloquente, plus elle est dangereuse, parce qu'elle corrompt davantage la vertu, en ce qu'elle porte les hommes à ne l'aimer qu'autant qu'ils y trouvent leur plaisir, et leur divertissement. « Que tout ce qu'ont les Spectacles, dit Tertullien, soit généreux, honnête, harmonieux, charmant, et subtil, regardez tout cela comme un breuvage de miel dans une coupe empoisonnée : Et que l'amour du plaisir n'ait point plus de pouvoir sur vous, que la crainte du péril qu'il y a dans ses douceurs. » Quant à la lecture des Comédies, et des Tragédies de l'antiquité, dont l'Auteur de la Dissertation dit que les plus sévères font les innocents plaisirs de leurs études, je le renvoie à ce que j'ai écrit sur ce sujet dans la dernière Réfutation du chapitre précédent. J'ajouterai seulement ce que dit S. Augustin parlant de la lecture des Comédies qu'on permettait aux enfants pour apprendre la pureté de la langue, et les ornements de l'éloquence. « Ce n'est pas, dit-il, que je n'aie appris plusieurs paroles utiles parmi ces folies ; mais on les pourrait aussi bien apprendre en des lectures plus sérieuses ; et ce serait une voie sûre pour bien instruire les enfants. » J'ajouterai encore ces paroles du P. Pierre de Guzman Jésuite : « Quelqu'un me dira, dit-il, que les Comédies apportent une grande utilité à la langue vulgaire, l'enrichissant par la beauté de leur style, et par leur galante manière de parler, par l'élégance de leurs phrases, et des nouveaux ornements de l'éloquence, etc. On peut dire beaucoup de choses pour répondre à cette objection ; que pour favoriser les paroles, il ne faut pas abandonner les actions ; et que pour enrichir le langage, il ne faut pas se dépouiller des bonnes œuvres. Pour moi, je veux seulement opposer à cette objection ce que Valère Maxime rapporte touchant le Poète Archiloque, que les Lacédémoniens bannirent de leur ville, quoiqu'il excellât en son art, parce que ses écrits quelque polis et élégants qu'ils fussent, étant peu honnêtes, pouvaient corrompre les esprits. Ainsi ils les bannirent avec leur Auteur ; parce qu'ils jugeaient qu'ils étaient plus nuisibles aux bonnes mœurs, qu'utiles aux beaux esprits. » Valère Maxime lib. 6. cap. 3. Dissertation pag. 237. « Les Poètes ont souvent mis sur le Théâtre des sujets graves tirés de toutes sortes d'Histoires, et même de nos Ecritures saintes et des persécutions de nos Martyrs. » III. Réfutation. Si l'Auteur de la Dissertation avait lu dans Josèphe ce qui arriva au Poète Théodecte pour avoir voulu mettre sur le Théâtre quelques sujets tirés de l'Ecriture sainte ; il aurait eu plus de vénération qu'il n'en fait paraître dans sa Dissertation pour ces sacrés Oracles, que Dieu n'a pas donnés à son peuple pour être profanés sur un Théâtre. « Le Poète Théodecte, dit Josèphe, ayant voulu mêler quelque chose des livres sacrés dans une de ces Tragédies, devint aveugle par une fluxion qui tomba sur ses yeux ; et après avoir reconnu sa faute et en avoir demandé pardon à Dieu, il recouvra sa vue. » L'Auteur de la Dissertation ne devait pas ignorer que le premier Concile de Milan défend de représenter sur le Théâtre, ou en quelque autre lieu le Martyre et la vie des Saints, « qu'on ne représente point, dit ce Concile, par des Acteurs le Martyre et les actions des Saints, mais qu'on en fasse le récit si pieusement, que les auditeurs soient excités à les imiter, à les honorer et à les invoquer ». Ne devait-il pas savoir que ceux qui pour le gain représentent sur le Théâtre les histoires des saints, ne laissent pas pour cela d'être infâmes. « Celui, dit un célèbre Jurisconsulte, qui représente une Tragédie de Jésus-Christ ou d'un Martyr, n'est pas maintenant noté d'infamie, si ce n'est qu'il monte sur le Théâtre pour le gain. » « Supposez , dit Mariana Jésuite , ce que vous ne sauriez prouver qu'il soit jamais arrivé, que les Comédiens pussent être contraints par la sévérité des lois, de se contenir dans les bornes de la modestie, de sorte qu'ils ne représentent que des Histoires sacrées seulement, d'une manière qui réponde à leur dignité ; Je soutiens que la Comédie en cet état ne serait pas moins opposée à la sainteté de notre Religion, ni moins préjudiciable à l'honneur de la République. Car il ne convient point à des personnes infâmes de représenter les actions des Saints, de faire le personnage de S. François, de S. Dominique, de Sainte Madeleine, des Apôtres et de Jésus-Christ même. N'est-ce pas mêler le Ciel avec la terre, ou plutôt avec la boue, et les choses sacrées avec les profanes. On a un extrême soin qu'il n'y ait rien de malhonnête dans les peintures des Eglises ; et nous souffrirons qu'une femme impudique représente la Vierge Marie, ou sainte Catherine ; et qu'un homme infâme représente S. Augustin ou S. Antoine ? C'est ce qu'Arnobe et Tertullien avant lui reprochaient aux Païens de leur temps, de permettre que des hommes vicieux et infâmes représentassent les plus saints de leurs Dieux sur le Théâtre. « “N'est-ce pas , dit Tertullien, quelque infâme qui se masque du visage de votre Dieu ? n'est-ce pas quelque vicieux qui paraît sur la Scène, avec un port lascif et une voix efféminée pour contrefaire une Minerve ou un Hercule ? Dites-moi, si quand vous approuvez ces sacrilèges par les louanges et les applaudissements que vous leur donnez, vous ne violez pas la majesté des Dieux, et vous ne profanez pas la Divinité ?” Vous pouvez appliquer ces paroles à ce qui se fait parmi nous, jugeant bien que ce reproche des anciens tombe sur la licence et sur l'infamie des représentations de notre temps. C'est pourquoi s'il en fallait faire le choix, j'aimerais mieux que les Comédiens représentassent des fables profanes, que des histoires sacrées ; parce que je suis persuadé qu'ils ne les sauraient représenter avec la décence et l'honnêteté qu'elles demandent, tant à cause de l'infamie de leurs personnes, que de la corruption et du dérèglement de leur vie et de leurs mœurs. » En effet comme la fin de la Comédie, est de plaire au gens du monde, il faut que la dévotion de ces Saints du Théâtre soit toujours un peu galante : et le diable se sert de cette galanterie pour faire perdre l'idée de la générosité et de la charité Chrétienne que les Saints ont fait paraître dans leurs actions, et pour relever l'éclat de l'amour profane pour en donner de l'estime et pour en exciter les flammes dans les cœurs des spectateurs. « Représenter de bonnes choses, dit le P. Pierre de Guzman Jésuite, est une action dont on doit juger selon la manière qu'elles sont représentées. Néanmoins j'estime que c'est un artifice du démon et de ceux qui l'aident dans l'exécution de ses desseins, de joindre le mal avec le bien, pour l'autoriser. Le mal n'a pas assez de force pour s'établir et pour se soutenir par lui-même ; c'est pourquoi il s'attache au bien pour se mieux maintenir. “On ne présente pas le venin tout pur, dit S. Jérôme, mais on le mêle avec le miel : de même les vices ne se glissent que sous l'apparence des vertus….” Que sert-il qu'une Comédie soit bonne, si les Episodes, le raisonnement, l'action, les paroles sont vicieux ? les maîtres de cet art qui savent si bien ce qui peut satisfaire le goût du peuple, n'ignorent pas que si une Comédie n'a quelque chose de lascif ou quelque parole malhonnête, quelque Episode, ou quelque danse qui serve comme d'assaisonnement et de ragoût ; tout le reste ne plaît pas tant, et il ne leur en revient point tant de profit. Or pour peu de mal qu'il y ait dans un chose, elle n'est point bonne ; car afin qu'une chose soit bonne, il faut qu'il n'y ait rien en elle qui ne soit bon ; mais un seul défaut suffit pour la rendre mauvaise... Les choses saintes se doivent traiter saintement, et par des personnes saintes, dont il y en a peu parmi les Comédiens ; n'est-ce pas ce que Dieu dit à un de ces pécheurs, Ps. 49. v. 27. “Pourquoi annoncez-vous mes actions justes ; et pourquoi parlez-vous de mon alliance.” »  Dissertation pag. 237. « Elles (la Tragédie et la Comédie) font encore aujourd'hui comme autrefois, l'exercice de la jeunesse studieuse et les maîtres des sciences qui tiennent la plus belle école de doctrine et de piété, ne feignent point de composer une infinité de ces Poèmes et d'en donner publiquement le récit par le ministère de leurs disciples, les plus modestes et les plus illustres. » IV. Réfutation. Quelle est cette comparaison des Tragédies et des Comédies des Collèges, avec celles des Théâtres ; et des jeunes écoliers qui ne représentent que des choses honnêtes, et encore fort rarement, et seulement pour s'exercer à parler en public avec plus de hardiesse, avec des Comédiens qui font un métier honteux de ces spectacles pour gagner de l'argent, à qui il est indifférent de représenter des choses honnêtes ou malhonnêtes ; et qui pour cela sont notés d'infamie par les lois Civiles, et excommuniés par les lois de l'Eglise ? Cette comparaison, dis-je est injuste et odieuse : y a-t-il rien de plus injurieux aux Universités, que de tirer de ces actions de Collège, la conséquence qu'en tire l'Auteur de la Dissertation, pour autoriser les représentations des Comédiens ? Il est vrai que depuis quelque temps la coutume de jouer quelquefois dans les Collèges des Tragédies et des Comédies s'est introduite dans l'Université de Paris, et que sur cela elle a trouvé à propos de faire ce règlement. « Tous les Principaux, et Recteurs des Collèges prendront garde qu'on ne récite pas dans leurs écoles des Satires ou des déclamations, et qu'on n'y représente point des Tragédies ni des Comédies, ni des fables, ni d'autres jeux, soit en Latin, soit en Français où il y ait rien de lascif, de licencieux, d'impudent, d'injurieux et de médisant contre aucun ordre public, contre les Magistrats, ou contre aucune personne privée. Et si quelqu'un contrevient à ce règlement, qu'il soit sévèrement châtié. » Mais en même temps l'Université interdit aux écoliers les Spectacles des Comédiens, qu'elle ne souffre point dans l'étendue de sa Juridiction, comme il paraît par ce règlement : « Afin d'ôter aux Ecoliers toutes sortes d'occasions qui les pourraient détourner de leurs études et les porter au mal, que tous Bateleurs et Comédiens soient chassés du quartier de l'Université et qu'ils soient relégués au-delà des ponts. » J'ai dit que cette coutume de représenter des Comédies et des Tragédies dans les Collèges est introduite depuis peu dans l'Université, parce qu'il est certain qu'anciennement, même dans les écoles des Païens cela ne se pratiquait point : mais on exerçait seulement les écoliers à composer et à réciter des vers et des déclamations, dont Quintilien nous a laissé quelques exemples, non pas sur un Théâtre, mais sur le pavé, debout et sans chaire, comme il paraît par ces paroles de Suétone parlant des déclamations d'un Grammairien nommé le Prince : « Je me souviens, dit-il, qu'étant encore bien jeune, j'ai vu un Grammairien nommé le Prince, qui avait accoutumé un jour de déclamer, et un jour de disputer ; et quelquefois en un même jour il discourait et enseignait le matin, et après midi ôtant sa chaire il déclamait. » C'est en cette manière que les Consuls même haranguaient devant l'Empereur et le Sénat : ainsi que Pline second nous l'apprend : « Virginius Rufus, dit-il, se disposant à parler pour rendre grâces à l'Empereur Trajan en qualité de Consul, un grand livre qu'il tenait et qu'un homme de son âge pouvait à peine porter, étant débout comme il était, vint à lui échapper des mains ; se hâtant pour le reprendre avant qu'il tombât à terre, il fit un faux pas sur le pavé qui est glissant à cause de sa polissure et il se rompit une cuisse. » Qu'on lise tous les Ecrits qui nous restent de l'antiquité touchant les exercices des jeunes écoliers dans les Collèges, on ne trouvera point qu'on les ait exercés parmi les Romains à jouer des Tragédies et des Comédies sur un Théâtre. Nous lisons au contraire dans Tacite que c'était une chose honteuse aux personnes de condition et de qualité de monter sur le Théâtre pour y réciter des vers et des harangues. « Les plus sages, dit-il, se plaignaient que notre jeunesse se laissait aller peu à peu à l'oisiveté des étrangers, et prenaient leurs plaisirs, leurs exercices et leurs sales amours, que les principaux sous ombre de réciter des vers et des harangues montaient déjà sur le Théâtre, ce qui était honteux et infâme. » Nous voyons dans Quintilien et dans Plutarque qu'encore que les anciens appelassent chez eux quelque Comédien, ou que leurs enfants allassent chez quelque Comédien pour former leur geste et leur prononciation ; néanmoins bien loin de les exercer à jouer des Comédies ou des Tragédies, le Comédien qui les instruisait, ne leur faisait apprendre que certains endroits honnêtes de ces pièces, qu'il leur faisait réciter debout devant lui, les reprenant de leurs défauts, et récitant après devant eux les mêmes vers, il leur faisait remarquer comment ils devaient prononcer, non pas de la manière qu'on les récitait sur le Théâtre, mais selon l'usage du Barreau et selon qu'il est convenable à des personnes d'honnête condition. « Il faut, dit Quintilien, apprendre quelque chose des Comédiens, en ce qui regarde la prononciation, dont celui qui prétend être Orateur a besoin d'être instruit ; car je ne veux pas que l'enfant que j'instruis, déguise sa voix en celle de femme, ou la rende tremblante comme celle des vieillards, je ne veux point aussi qu'il contrefasse les vices des ivrognes ni le libertinage des esclaves, ni qu'il apprenne les passions d'amour, d'avarice ou de crainte, qui ne sont point nécessaires à un Orateur, et qui peuvent corrompre l'esprit tendre des enfants dans leurs premières années ; car ce qu'on imite souvent, passe en coutume et en habitude, et même toutes sortes de gestes et de mouvements de Comédien, ne doivent pas être imités ; parce que encore que les gestes et les mouvements conviennent à l'Orateur en quelque manière : Ils doivent toutefois être fort différents de ceux des Acteurs de la Scène, il faut que dans le mouvement de son visage et dans les gestes de ses mains, et dans ses digressions, il n'y ait rien qui ne soit modéré ; car s'il y a quelque art à observer en ces choses, c'est de prendre garde qu'il n'y paraisse rien d'artificiel... « Le Comédien doit encore enseigner comment il faut faire une narration, avec quelle autorité il faut persuader, avec quel mouvement il faut exciter la colère ; comment il faut pleurer pour donner de la compassion : Il s'acquittera très bien de son devoir, s'il choisit certains endroits des Comédies qui soient propres pour cela ; c'est-à-dire qui soient conformes aux actions ; de sorte qu'ils ne soient pas seulement utiles pour la prononciation ; mais qu'ils servent à s'avancer dans l'éloquence. C'est ainsi qu'on doit conduire les enfants lorsque la faiblesse de leur âge n'est pas capable de plus grandes choses. Mais lorsqu'il faudra lire les Oraisons et que le jeune écolier peut remarquer leurs grâces et leurs perfections, qu'on appelle un Précepteur exact et habile, qui ne s'arrête pas simplement à l'instruire par la lecture ; mais qui lui fasse apprendre les endroits qu'il en aura choisis, et les lui fasse déclamer debout, à haute voix, et comme il faut afin que par cette prononciation il exerce sa voix et sa mémoire. » Et parlant des premiers exercices de ceux qui passent de l'école de la Grammaire, a celle de la Rhétorique. « Il me semble, dit-il, qu'il est à propos de commencer par quelque chose qui approche de ce que l'écolier peut avoir déjà appris chez les Grammairiens : et parce que nous recevons d'ordinaire trois espèces de narrations (dans lesquelles nous ne comprenons pas celle que nous employons dans les causes,) la fable qui appartient aux Tragédies et aux vers, et qui n'est pas seulement éloignée de la vérité ; mais même de toute apparence de vérité : les arguments ou sujets qui sont d'eux-mêmes faux, mais que la Comédie rend vraisemblables : et l'Histoire qui est l'exposition de ce qui s'est fait ; nous laissons aux Grammairiens les narrations Poétiques, il faut donc que celui qui entre dans l'école d'un Rhéteur commence ses exercices par l'Histoire qui est d'autant plus solide, qu'elle est véritable. » Plutarque nous présenté un bel exemple de ces exercices dans la vie de Démosthène. « Démosthène, dit-il, ayant été rebuté et sifflé dans quelque harangue et dans quelques causes qu'il plaidait devant le peuple, comme il se retirait en sa maison la tête couverte, tout confus et abattu de tristesse ; le Comédien Satyrus qui était de ses amis le suivit : Démosthène se plaignant à lui de ce que encore qu'il prît plus de peine que les autres Orateurs, et qu'il eût presque consumé dans l'étude toutes les forces de son corps, il était néanmoins si malheureux que de ne pouvoir se rendre agréable au peuple ; au lieu que des ivrognes et des mariniers ignorants et grossiers avaient l'oreille du peuple et étaient écoutés avec attention, et que lui au contraire était l'objet de leur mépris ; “vous avez raison, lui dit Satyrus, mais ayez bon courage ; j'y remédierai bientôt, si vous voulez prononcer quelques vers d'Euripide ou de Sophocle” : Démosthène en ayant prononcé quelques-uns qui se présentèrent à sa mémoire ; Satyrus les répétant après lui leur donna toute une autre grâce en les prononçant avec une telle justesse de voix, de geste et de mouvement, que Démosthène même les trouva bien différents, et reconnut par là que ce n'était presque rien, que de s'exercer à bien parler, si l'on ne s'étudie à bien prononcer. C'est pourquoi il fit bâtir un cabinet sous terre, qu'on voit encore aujourd'hui, où il descendait tous les jours pour régler son geste et le mouvement de son corps, et pour former sa voix : Et souvent il demeurait deux ou trois mois entiers dans sa maison sans en sortir, se faisant expressément raser la moitié de la tête, afin que la honte de paraître dehors en cet état, l'empêchât de sortir, quand même il en eût eu envie. Il prenait le sujet de ses déclamations et de ses exercices des discours qu'il avait tenus, ou des affaires qu'il avait traitées avec ceux qui le venaient voir. » Je conjure ceux qui gouvernement les Collèges de faire une sérieuse réflexion sur cette conduite des Païens dans l'instruction de la jeunesse, et dans l'usage des Comédies et des Tragédies : Je les prie de considérer s'il est juste et raisonnable que des Païens n'aient pu souffrir que leurs enfants contrefissent la voix de femme, et que des Chrétiens permettent que leurs enfants se déguisent en filles et en femmes, qu'on leur couvre le visage de mouches, et qu'on les pare de tous les ornements et de tout l'attirail du luxe et de l'afféterie, qu'on leur apprenne à imiter les œillades et les paroles des femmes qui vivent selon l'esprit du monde ? N'est-ce pas un mépris manifeste de la loi de Dieu et des ordonnances de l'Eglise ? « Que les femmes, dit la loi de Dieu, ne s'habillent point en hommes, ni les hommes en femmes. Celui qui fait cela, est abominable devant Dieu. » « Nous ordonnons , dit le Concile in Trullo , que désormais nul homme ne s'habille en femme, et que nulle femme ne s'habille en homme. Si quelqu'un donc commet quelque crime de ceux qui sont exprimés dans ce décret ; dès que les Prélats en auront connaissance ; si c'est un Ecclésiastique, qu'il soit déposé, si c'est un Laïque, qu'il soit excommunié. » Le 2. Concile de Brague ordonne « que les hommes qui se déguisent en femmes, et les femmes en hommes, soient obligés après avoir promis de ne plus commettre ce crime, de faire pénitence durant trois années ». L'imposition de cette pénitence est insérée en mêmes termes dans le Pénitentiel Romain et dans le décret de Burchard Evêque de Worms, et dans celui de S. Yves Evêque de Chartres. « Je crois , dit S. Augustin , que ceux qui s'habillent en femmes publiquement, sont infâmes selon le Droit et incapables de faire testament et de servir de témoin en justice ; et je ne sais si je les dois appeler ou de fausses femmes, ou de faux hommes, mais il est sans doute que nous les pouvons appeler des Comédiens et des Farceurs et de vrais infâmes. » « C'est une chose vicieuse d'elle-même, dit S. Thomas, qu'une femme s'habille en homme, οu qu'un homme s'habille en femme, principalement parce que cela peut donner lieu à l'impureté, et parce que cela est défendu par la loi en termes exprès, à cause que les Païens se servaient de ce changement d'habits pour la superstition de leur idolâtrie, toutefois cela se peut faire en quelques rencontres sans péché, lorsqu'on ne le fait que par quelque nécessité, soit pour ne pas être reconnu des ennemis, soit parce qu'on n'a pas d'autres habillements pour se couvrir, soit pour quelque autre sujet semblable » : c'est-à-dire soit pour quelque nécessité semblable. Or quelle nécessité y a-t-il qui oblige à faire déguiser de jeunes Ecoliers en filles et en femmes ? Est-ce qu'on ne saurait représenter des Tragédies ou des Comédies sans quelque personnage de filles ou de femmes ? Il n'y en a point dans les Captifs de Plaute, ni dans les Chevaliers d'Aristophane, ni dans le Cyclope d'Euripide, ni dans le Philoctète de Sophocle. Faut-il que la Scène du Paganisme soit plus modeste que le Théâtre des Collèges du Christianisme ? Prétend-on faire passer un divertissement pour une nécessité ? mais ne sait-on pas que les actions qui d'elles-mêmes sont vicieuses, ne laissent pas d'être vicieuses, quoiqu'on ne les fasse que par divertissement ; et qu'elles rendent même le divertissement vicieux et illicite ? « Il y a, dit S. Thomas, des actions, qui selon leur espèce sont des péchés, et tant s'en faut que le divertissement exempte ces actions de péché, qu'au contraire elles rendent même le divertissement criminel. » Or selon S. Thomas le déguisement d'un homme en femme ou d'une femme en homme : est une action vicieuse d'elle-même ; c'est un reste de la superstition de l'Idolâtrie : C'est une chose que la nature a en horreur selon S. Ambroise, « Si vous considérez, dit ce Saint Prélat, avec exactitude ce qui est défendu par ce Précepte du Deutéronome chap. 22. v. 5. vous verrez que ce déguisement est un dérèglement que la nature même ne peut souffrir. Car pourquoi, ô homme, ne voulez-vous point paraître tel que vous êtes par votre naissance ? pourquoi prenez-vous une autre figure ? pourquoi vous déguisez-vous en femme, et vous femme pourquoi vous déguisez-vous en homme ? la nature a revêtu chaque sexe d'habillements qui leur sont propres. » Enfin ce déguisement est défendu par la loi de Dieu et par l'ordonnance de l'Eglise sous peine d'excommunication. Et par conséquent tant s'en faut qu'il soit permis de se déguiser de la sorte par divertissement, qu'au contraire ce déguisement rend le divertissement vicieux et illicite. C'est à quoi les Pères Jésuites ont pourvu dans les règlements de leurs Ecoles en ces termes : « Qu'on représente rarement des Tragédies et des Comédies ; et qu'elles soient Latines ; que leur sujet soit saint et pieux ; qu'il n'y ait rien dans les Entractes qui ne soit Latin et honnête ; Qu'il n'y ait aucun personnage de fille ni de femme, ni aucun travestissement. » Mais d'ailleurs quelle nécessité y a-t-il d'instruire des enfants à jouer des Tragédies et des Comédies ? Nous voyons que les Païens à qui il était permis d'appeler un Comédien, ou d'envoyer chez lui leurs enfants pour apprendre la prononciation et les gestes ; bien loin de souffrir qu'ils jouassent des Comédies ou des Tragédies, ils ne voulaient pas même qu'ils en apprissent que certains endroits ; ils ne voulaient pas qu'ils apprissent a contrefaire la voix des vieillards, ni les vices des ivrognes ni des esclaves, ni les passions d'amours ni d'avarice et autres semblables qui ne sont point nécessaires à un Orateur, et qui peuvent corrompre l'esprit tendre des enfants ; en un mot ils ne voulaient point qu'ils apprissent à prononcer et à faire des gestes tels que les font les Comédiens sur le Théâtre ; mais comme on les doit faire dans le barreau. Est-il juste et raisonnable que les Chrétiens à qui la pureté et la modestie de notre religion ne permet pas d'appeler chez eux un Comédien, ni d'envoyer chez lui leurs enfants ; souffrent qu'ils montent sur le Théâtre pour être acteurs de Comédies ou de Tragédies, imitant la prononciation et les gestes des Comédiens, et représentant toutes sortes de passions, ce que les Païens même ne trouvaient pas honnête ni nécessaire, mais très nuisible tant aux bonnes mœurs, qu'à l'action des honnêtes gens, qui parlent en public d'une manière très différente de celle des Comédiens ? Certes ce n'est pas un petit mal, d'accoutumer ainsi les enfants à se plaire à la Comédie ; de sorte que sortant des Ecoles avec cette inclination, ils n'aient pas moins de passion pour les pièces du Théâtre, qu'ils en avaient pour celles des Collèges. Ce n'est pas un petit mal d'apprendre dès son enfance le langage des passions, c'est-à-dire l'art de les exprimer et de les faire paraître d'une manière agréable et ingénieuse ; car il arrive souvent qu'en s'étudiant à exprimer ainsi les passions, on s'y trouve insensiblement engagé. La perte du temps est encore très considérable. Combien de temps emploient les enfants à s'exercer à représenter leurs personnages : il faut que pour cela ils quittent toutes leurs autres études, auxquelles ils ont après beaucoup de peine à se remettre. Aussi l'un des premiers soins qu'eut Monsieur du Vair dès qu'il fut élevé à la dignité de Garde des Sceaux de France, fut d'obliger les Principaux et les Recteurs des Collèges de n'y point représenter des Comédies et des Tragédies, mais d'exercer la jeunesse à réciter des Déclamations selon l'usage ancien. Je me souviens que les Régents du Collège où j'étudiais alors, étant encore bien jeune, nous dirent qu'ils avaient reçu cet ordre de ce grand Magistrat, qu'ils exécutèrent ponctuellement. La raison qu'il alléguait, est très remarquable, « Parce disait-il, qu'on n'envoie point les enfants aux Ecoles pour en faire des Comédiens ».  Dissertation pages 238. et 239. « Si donc il est arrivé que le libertinage des Acteurs ait donné quelque peine à la pudeur des âmes Chrétiennes, il ne faut en cela qu'imiter les Empereurs qui n'ont jamais rien prononcé contre ces représentations, et qui se sont contentés d'en réformer l'abus et d'imposer des peines rigoureuses contre ceux qui par leurs désordres corrompaient l'excellence de cette Poésie et la beauté de sa représentation, il en faut chasser le vice qui se doit faire haïr partout, et conserver un art qui peut plaire. « Les femmes avaient accoutumé d'assister aux combats de la Lutte ; mais Auguste ne voulut pas souffrir qu'on exposât à leurs yeux des hommes tout nus , qui pouvaient offenser les Sages, et flatter la débauche des autres, et remit au lendemain matin le combat des Athlètes, avec défense aux femmes de venir au Théâtre devant onze heures. C'est ainsi qu'il en faut user pour les Poèmes dramatiques ; je veux dire, en éloigner tout ce qui peut offenser les oreilles chastes et l'honnêteté de la vie. » V. Réfutation. J'ai fait voir dans les Réfutations précédentes, qu'il n'est pas vrai que les Empereurs et les Rois n'aient jamais rien prononcé contre les représentations des Comédies ; qu'il n'est pas vrai qu'ils se soient contentés d'en réformer l'abus et d'imposer des peines rigoureuses contre ceux qui par leurs désordres corrompaient cette Poésie ; car j'ai montré qu'ils en ont déclaré les Acteurs infâmes, et que quelque réforme qu'ils aient tâché d'y apporter, ils n'ont pas laissé de déclarer que ce n'était que par une pressante nécessité qu'ils étaient contraints de tolérer ces spectacles : J'ai fait voir encore que des Rois de France et d'Espagne reconnaissant qu'il était impossible de réformer les Comédies, ont chassé les Comédiens de leurs Etats. Il y a une loi dans le Droit Civil des Empereurs qui déclare généralement que tous ceux qui montent sur la Scène pour le gain sont infâmes ; et on n'a jamais douté que les Comédiens ne fussent compris parmi ceux qui montent sur la Scène pour le gain. « Parmi les Histrions notés d'infamie, dit Ménochius après Lucas de Penna, sont compris ceux qui montent sur la Scène, et y récitent des Comédies, encore qu'ils ne fassent point de farces. » Nous trouvons une autre loi qui déclare que c'est corrompre un esclave et le rendre plus méchant de lui persuader de s'occuper trop aux spectacles. Il y a encore une loi qui dit que c'est une maladie d'esprit, de vouloir être un spectateur assidu des jeux publics. S. Isidore Prêtre de Damiète, Disciple de S. Chrysostome, nous apprend que les Empereurs n'ont toléré les Comédies et les autres spectacles que comme un moindre mal pour empêcher de plus grands, et qu'aux villes où le peuple embrassait la piété Chrétienne, on fermait les Théâtres. « Encore que les Spectacles, dit-il, fussent pleins d'iniquité ; néanmoins les Empereurs les considéraient comme un moyen propre à empêcher les conspirations et les séditions ; et ils les ont soufferts comme un moindre dérèglement, rachetant par un mal qui leur semblait de moindre importance, le repos et la sûreté publique, qui sont des biens très considérables. Mais il ne fallait point que les jeunes gens qu'on élève dans la vertu, ni même les hommes qui ont soin du salut de leurs âmes assistassent à ces spectacles. Aussi n'y vont-ils plus, et ceux qui rejettent ce pernicieux divertissement, sont estimés les plus vertueux, principalement depuis qu'en cette Ville, tout le monde jusqu'au menu peuple rentrant dans le bon sens, a embrassé sérieusement la Philosophie Chrétienne. On a donc fermé les Théâtres et s'il y en a encore d'ouverts ; personne n'y va, le métier ou plutôt le dérèglement des infâmes Acteurs de ces jeux est aboli, et trois grands biens en sont arrivés, le salut des âmes, le bon gouvernement de l'Etat et la sûreté de ceux qui commandent. » L'expérience ayant toujours fait voir qu'il est impossible de réformer la Comédie, Philippe Auguste crut ne pouvoir commencer son règne par une action plus agréable à Dieu, qu'en chassant les Comédiens de sa Cour. « Le Roi Philippe Auguste, dit Dupleix, consacra les prémices de sa Royauté à la gloire de Dieu ; car soudain après son couronnement, il bannit de sa Cour les joueurs d'instruments, les Bateleurs, Comédiens et Farceurs comme gens qui ne servent qu'à efféminer les hommes et les exciter à la volupté par mouvements, discours et actions sales et lascives. » L'an 1584. des Comédiens étant venus à Paris, et ayant dresse leur Théâtre dans l'hôtel de Cluny, la Chambre des Vacations en ayant été avertie, leur fit défenses de jouer dans Paris sous peine de mille écus d'amende. Le 6. Octobre 1584. Ouï le Procureur Général en ses conclusions et remontrances, la matière mise en délibération, a été arrêté et ordonné que présentement tous les Huissiers de la Cour se transporteront au logis des Comédiens, et du Concierge de l'Hôtel de Cluny près les Mathurins, auxquels seront faites défenses, par ordonnance de la Chambre des Vacations, de jouer leurs Comédies, ne faire assemblée en quelque lieu, et faubourg que ce soit : et audit Concierge de Cluny, les y recevoir à peine de mille écus d'amende. Et à l'instant a été enjoint à l'Huissier Pujet aller faire ladite signification, et défenses. L'an 1588. des Comédiens étant venus de nouveau à Paris, le Parlement leur défendit de jouer à peine d'amende arbitraire, et de punition corporelle. Le Lundi 10. jour du mois de Décembre 1588. sur la Remontrance faite par Messire Antoine Séguier Avocat du Roi, pour le Procureur Général dudit Seigneur, et ayant égard aux Conclusions par lui prises, la Cour a fait, et fait inhibitions et défenses à tous Comédiens tant Italiens que Français, de jouer Comédies soit aux jours de Fêtes ou ouvrables, et autres semblables, jouer, et faire tours, et subtilités, à peine d'amande arbitraire, et punition corporelle, s'il y échet, quelques permissions qu'ils aient impétrées ou obtenues. Le Père de Guzman Jésuite rapporte que le Roi d'Espagne Philippe II. bannit les Comédiens de ses Etats sur la fin de ses jours. « J'estime, dit-il, qu'il est convenable de bannir de la République Chrétienne ces Comédies, comme fit le Roi Catholique Philippe second de glorieuse mémoire, sur la fin de sa vie. » Et le Père Escobar aussi Jésuite rapporte que l'an 1646. le Roi d'Espagne Philippe IV. bannit les Comédies de tous ses Etats. « Les Magistrats, dit-il, qui permettent les Comédies, pèchent-ils ? Mendoza soutient qu'ils pèchent, parce que par la permission de ce mal, on n'en évite pas un plus grand ; mais on entretient par là toutes sortes de vices. C'est pourquoi on ne saurait assez louer la piété du Roi Philippe quatrième véritablement Catholique, d'avoir banni des Royaumes d'Espagne les Comédies, comme étant une peste publique. » Les sentiments de ces grands Rois et de leurs Magistrats étaient bien différents de ceux de l'Auteur de la Dissertation, qui veut « qu'on réforme les Comédies, et qu'on conserve un art qui peut plaire ». Ces Princes au contraire étant persuadés qu'il est impossible de réformer les Comédies, ont cru être obligés d'abolir un art qui ne peut plaire sans déplaire à Dieu, et sans corrompre les bonnes mœurs. C'est ce que le Père de Guzman Jésuite lui apprendra. « Après avoir considéré , dit-il , , tout ce que nous avons dit, et l'expérience de tant de siècles nous ayant fait connaître qu'il est impossible de modérer, de réformer, et d'ajuster les Comédies avec les règles de la raison, en ôtant tout ce qu'il y a de sale, et de déshonnête ; et qu'en l'état où elles sont maintenant pour l'ordinaire, et où elles ont toujours été, elles sont comme l'Hydre de Lerne, à qui lorsqu'on coupait une tête, il en renaissait une autre, ou comme un bras si gâté de gangrène, qu'il est plus facile, et plus salutaire de le couper tout à fait que d'en retrancher ce qui est pourri ; J'estime qu'il vaut mieux bannir ces Comédies de la République Chrétienne, que de les réformer et de les tolérer ; comme fit le Roi Catholique Philippe second de glorieuse mémoire, sur la fin de sa vie, lorsque la prudence est au plus haut point de sa perfection ; car, comme dit un Ancien, la vieillesse est l'assaisonnement de la sagesse. En effet l'expérience a fait voir qu'il n'y a point de réformation, ni de règlement qui puisse remédier aux désordres des Comédies. Et quand il y en aurait quelqu'un, les Comédiens ne seraient pas capables de le recevoir ; et le peuple même ne le trouverait pas à son goût. » Cela suffirait pour faire connaître à l'Auteur de la Dissertation combien l'idée de la Réforme des Comédies, est chimérique, mais il en a tellement rempli son esprit, qu'il s'est imaginé d'en avoir trouvé un excellent modèle, en ce que fit l'Empereur Auguste sur le sujet des Spectacles des Athlètes. « Les femmes , dit-il , avaient accoutumé d'assister aux combats de la lutte ; mais Auguste ne voulut pas souffrir qu'on exposât à leurs yeux des hommes tout nus qui pouvaient offenser les sages, et flatter la débauche des autres, et remit au lendemain matin le combat des Athlètes, avec défense aux femmes de venir au Théâtre devant onze heures. C'est ainsi qu'il en faut user pour les Poèmes Dramatiques ; je veux dire en éloigner tout ce qui peut offenser les oreilles chastes, et l'honnêteté de la vie. » Peut-on faire une plus fausse application de cet exemple d'Auguste ? Tout ce qu'on en peut inférer, est, que comme Auguste ne réforma point les Spectacles des hommes nus dans les combats de la lutte ; mais il défendit seulement aux femmes de s'y trouver ; c'est ainsi qu'il en faut user pour la représentation des Poèmes dramatiques ; il ne les faut point réformer ; mais il faut seulement défendre aux femmes de s'y trouver. Si cela ne s'accorde pas avec ce que l'Auteur de la Dissertation prétendait prouver ; c'est sa faute de n'avoir pas bien choisi son exemple : et il prendra garde une autre fois de mieux ajuster ses histoires. Cependant je ne dois pas omettre un excellent discours du Père Mariana Jésuite, qui fait voir qu'il vaut mieux abolir tout à fait la Comédie, que la réformer ; et que quelque réformation qu'on y pût apporter, la Comédie n'en deviendrait pas pour cela bonne, mais seulement moins mauvaise ; de sorte qu'en la tolérant ainsi réformée, on ne devrait pas néanmoins l'approuver comme une bonne chose ; mais on la pourrait souffrir comme un moindre mal, si on ne pouvait pas l'abolir entièrement. « J'estime , dit-il , comme font plusieurs autres, qu'il serait utile à l'état, que les Comédiens qui ne montent sur le Théâtre que pour le gain, fussent entièrement rejetés : car ils tentent toutes les voies d'où ils peuvent tirer de l'argent : il n'y a point d'impureté dont ils ne se souillent, et qu'ils n'inspirent aux autres pour cet effet. Ils épuisent les bourses par un art honteux qui préfère le gain à l'honneur et au devoir, et charmant les sens par les attraits de la volupté, ils enlèvent insensiblement l'argent qu'ils consument en des choses encore plus infâmes ; ils corrompent les mœurs des citoyens, les entretenant dans l'oisiveté et dans la paresse, qui est la racine de tous les maux, ils ouvrent le chemin aux fourberies, et à toutes sortes de vices, qui s'insinuent principalement par le plaisir des oreilles et des yeux ? Ils ruinent le culte de Dieu, en attirant les peuples à leurs Spectacles les jours de Fêtes, au lieu qu'ils ne devraient vaquer qu'aux choses qui regardent sa divine Majesté : ce qui est un si grand mal, qu'il n'y a point de peste plus dangereuse : et il n'y a point d'expiation qu'on ne dût employer pour y remédier. Que si nous ne pouvons pas obtenir l'entière abolition des Jeux de la Scène ; et si nonobstant ce que nous avons représenté, on veut donner ce divertissement au peuple ; nous demandons au moins ; ce qui est certes juste, et équitable, qu'on y mette quelque ordre, de sorte que les Comédiens n'aient pas la liberté de faire tout ce qui leur plaît, mais qu'on leur prescrive des lois, et des bornes, qu'ils ne puissent passer impunément. Quoique j'aie toujours cru qu'il n'y avait point de loi qui fût assez capable de tenir en bride cette furieuse licence du Théâtre, car, comme dit très bien Térence, “Je crois qu'il est impossible de régler par la raison une chose qui ne reçoit ni conseil, ni règle.” Suivons néanmoins le règlement de Platon, qui ordonne d'établir des hommes prudents qui n'aient pas moins de cinquante ans, pour examiner les vers des Poètes. Qu'on ne représenté donc aucune Comédie qui n'ait été examinée par ces Juges. Qu'il n'y ait point aussi d'Episode ou d'Entracte, où il y a d'ordinaire plus d'impureté, qui n'ait passé par leur censure. Qu'il ne soit jamais permis d'introduire des femmes sur le Théâtre : Qu'il n'y ait nul Théâtre public. Qu'on ne représente point les Jeux de la Scène, les jours de fêtes, selon qu'il est ordonné par les lois anciennes ; non pas même les jours de jeûne ; car quel commerce peut-il y avoir entre la mortification de la pénitence chrétienne, et le ris, et l'applaudissement du Théâtre ? Qu'on bannisse des Eglises, des Fêtes des Saints, et de toutes les solennités divines, ces spectacles profanes, et particulièrement ces postures et ces gestes, qui représentent, et exposent devant les yeux des actions impudiques : ce sont les plaies de notre Religion, ce sont des monstres d'infamie qui déshonorent l'Espagne, et qui ne subsistent que par leur infection qui donne tant d'horreur qu'on n'en ose parler. Il faut encore avoir soin autant qu'il sera possible, que les enfants, et les jeunes filles n'assistent point à ces spectacles, de peur que ce séminaire de la République ne soit infecté dès son bas âge, des vices qui sont plus à craindre que la peste. Que le public établisse des hommes pieux et prudents, pour prendre garde que toute impureté en soit bannie ; avec un plein pouvoir de punir ceux qui commettront quelque insolence. Enfin il faut faire comprendre au peuple, que la République n'approuve point les Comédiens ; mais que si elle accorde aux peuples le divertissement de la Comédie, c'est qu'elle ne le peut refuser à l'importunité de leurs demandes. Et que ne pouvant pas obtenir d'eux qu'ils se portent à ce qui est meilleur, elle a accoutumé de tolérer quelquefois de moindres maux, et de donner quelque chose à la légèreté de la multitude. » Dissertation pag. 240. « S. Chrysostome fit abolir les jeux Majuma, comme un spectacle de superstition, et d'impudence . Et lorsqu'ils furent rétablis par les Empereurs Arcadius, et Honorius, pour rendre ce contentement à leurs Provinces, ils défendirent expressément d'y mêler aucune chose malhonnête, et contraire à la pudeur, et aux bonnes mœurs . » VI. Réfutation. Nous avons montré dans la Réfutation précédente combien l'Auteur de la Dissertation s'est égaré dans l'application de ce que fit Auguste sur le sujet des Spectacles des hommes nus dans la lutte ; nous allons maintenant faire voir, comme il allègue les lois, et l'histoire de mauvaise foi : car il suppose que S. Chrysostome fit premièrement abolir les Jeux de Majuma, et qu'après les Empereurs Arcadius, et Honorius les rétablirent par la loi Clementiæ nostræ placuit qui est la première du titre 6. du livre 15. du Code de Théodose. Mais ce n'est pas agir de bonne foi ; car encore que les Jeux de Majuma eussent été abolis, et puis après rétablis par Arcadius et Honorius, comme il paraît par cette loi ; il ne devait pas ignorer qu'ils furent encore après tout à fait abolis, comme la loi 2. du même titre, et du même livre du Code de Théodose nous l'apprend. La 1. loi touchant le rétablissement, et la réforme de ces jeux, fut faite sous le 4. Consulat d'Arcadius, et sous le 3. d'Honorius, c'est-à-dire l'an 396. Et la 2. touchant l'entière abolition de ces jeux, fut faite sous le Consulat du très illustre Théodore, c'est-à-dire l'an 399. à la poursuite de S. Chrysostome. C'est ce que Baronius lui eût appris, s'il eût pris la peine de le consulter. « Que gagna enfin S. Chrysostome par ses prédications continuelles à temps et à contretemps ? Il obtint une chose très importante, savoir que le spectacle infâme de Majuma fut entièrement abolie ; lequel ayant été auparavant ôté, avait été rétabli depuis trois ans, en sorte que ce qu'il y avait de honteux et de malhonnête, en fut retranché, par un rescrit de l'Empereur qui est inséré dans le Code de Théodose, au titre de Majuma, en ces termes : “Il nous a semblé bon de rendre aux Provinciaux le divertissement des Jeux de Majuma ; en sorte néanmoins qu'on y garde l'honnêteté, et la pudeur que demandent les bonnes mœurs. Donné à Constantinople le 25. du mois d'Avril, sous le quatrième Consulat de l'Empereur Arcadius, et sous le troisième de l'Empereur Honorius, l'an 396.” « Mais comme les hommes se portent naturellement au mal, de sorte qu'il est plus facile de s'abstenir entièrement de la volupté, que lorsqu'on a la liberté d'en jouir, de se contenir dans les bornes que prescrit l'honnêteté. S. Chrysostome fut encore obligé de prêcher contre les ordures qui souillaient de nouveau ces Spectacles, comme auparavant. Et il en obtint enfin l'entière abolition de l'Empereur Arcadius, par un rescrit qui est aussi inséré dans le même titre du Code de Théodose en ces termes : “Nous permettons les arts qui servent aux jeux, et aux divertissements, pour ne pas donner, en les restreignant trop, un sujet de tristesse. Mais nous défendons cet honteux et infâme Spectacle, à qui une licence a donné le nom de Majuma. Donné à Constantinople le 2. d'Octobre, sous le Consulat du très illustre Théodore l'an 399.” Arcadius fit cette loi, sans doute à la poursuite de S. Chrysostome. » Mais comme Arcadius n'accordait à S. Chrysostome qu'une partie de ce qu'il demandait, en permettant les Comédies, et les autres Spectacles en même temps qu'il défendait celui de Majuma ; S. Chrysostome ne laissa pas de continuer ses prédications contre les Spectacles ; ce qui paraît dans les Sermons qu'il fit sur les Actes des Apôtres dans Constantinople : car ce Saint Prélat prêcha ces Sermons les années suivantes ; c'est-à-dire l'an 400. et 401. comme il le témoigne lui-même dans l'Homélie 44. sur les Actes des Apôtres, ainsi que je l'ai montré ci-dessus dans la 6. Réfutation du Chapitre 4. Nous voyons donc que l'Auteur de la Dissertation ne peut pas inférer de ces lois des Empereurs Arcadius et Honorius, ce qu'il prétend prouver, qu'il ne faut pas abolir la Comédie, mais qu'il la faut réformer. Au contraire ces lois nous apprennent que de quelque manière qu'on tâche de réformer les Spectacles, on ne les saurait rendre bons : c'est pourquoi il vaut mieux les abolir entièrement. Dissertation pag. 240. et 241. « Il est certain qu'autrefois les Comédies, étaient représentées dans les Eglises, et durant plusieurs années on n'y trouva rien à redire ; mais lorsque les Ecclésiastiques entreprirent d'y paraître avec des masques ; et diverses bouffonneries indignes de la sainteté des lieux, Innocent III. condamna ce désordre, sans condamner ces représentations, ni même chasser ces jeux des Théâtres hors des Eglises. Et Boniface VIII. défend l'art infâme des Bouffons, Jongleurs, et Gueulards , c'est-à-dire, selon la Glose, l'art des Histrions, et diseurs de mots de gueule, et les prive de Privilège de Cléricature, s'ils y persévèrent durant une année. « Voilà, certes, ce qu'il faut faire ; mais c'est aux sages Politiques d'en trouver les moyens. Je n'entreprendrai pas ici de leur donner conseil, et je dirai seulement que si l'on peut mettre le Théâtre à ce point et innocence, et d'honnêteté, il n'aura plus de contradicteurs. » VII. Réfutation. Il est si peu certain « qu'autrefois les Comédies étaient représentées dans les Eglises, et que durant plusieurs années, on n'y trouva rien à redire » ; Que dans le Canon même qui est allégué dans la Dissertation, Innocent III. déclare en termes exprès que c'était un abus et un dérèglement. « Comme il est, dit ce Pape, de l'honneur de l'Eglise, etc. Et plus bas : On fait quelquefois dans les Eglises des jeux de Théâtre, et non seulement on introduit dans ces jeux et dans ces Spectacles des monstres de masques ; mais même en certaines Fêtes, des Diacres, des Prêtres, et des Sous-diacres prennent la hardiesse de faire ces folies, et ces bouffonneries, etc. Et plus bas : Nous vous enjoignons, mon frère, d'exterminer de vos Eglises la coutume, ou plutôt l'abus, et le dérèglement de ces jeux honteux, afin que cette impureté ne souille pas l'honnêteté de l'Eglise. » L'Auteur de la Dissertation prétend « qu'Innocent III. par ce Décret ne condamna que ce désordre, sans condamner ces représentations, ni même chasser ces jeux de Théâtre hors des Eglises ». Peut-on rien avancer de plus opposé au texte de ce Décret ? Le Pape enjoint à un Evêque d'exterminer de ses Eglises une coutume, ou plutôt un abus qui s'était introduit, de représenter des jeux de Théâtre qui blessaient l'honnêteté de l'Eglise; n'est-ce pas lui enjoindre en termes exprès de chasser des Eglises ces jeux de Théâtre ? Le seul titre de ce Canon fait voir combien l'Auteur de la Dissertation s'est égaré. « Les jeux de Théâtre, dit ce titre, ne se doivent point représenter dans des Eglises, non pas même par des Ecclésiastiques, sous prétexte de la coutume. » Tostatus expliquant ce Canon Cum decorem, dit encore « qu'il est aussi défendu aux Laïques de représenter des Jeux de Théâtre dans les Eglises ». Mesnard célèbre Avocat au Parlement de Paris, expliquant sommairement ce Canon : « Que les jeux de Théâtre, dit-il, ne soient point représentés dans les Eglises : et qu'on n'y introduise point les monstres de masques, etc. » Et pour faire voir que ce n'est pas seulement le sentiment de quelques Docteurs ; mais que c'est la doctrine de l'Eglise universelle ; je rapporterai ici le Décret du Concile de Bâle. « Il y a , dit ce Concile , un abus infâme qui se pratique dans quelques Eglises, où en certaines Fêtes de l'année quelques-uns se revêtant d'habits pontificaux, avec la mitre, et la crosse, donnent la bénédiction, comme font les Evêques ; d'autres s'habillent en Rois, et en Ducs : et c'est ce qu'on appelle en quelques Provinces, la fête des fous, ou des innocents, ou des enfants : D'autres se masquent et représentent des jeux de Théâtre, et d'autres par des danses d'hommes, et de femmes, attirent des spectateurs, et les portent à des ris dissolus. Ce saint Concile détestant ces désordres, ordonne, et enjoint tant aux Ordinaires qu'aux Doyens, et Recteurs des Eglises, sous peine de suspension de tous leurs revenus Ecclésiastiques durant trois mois, de ne plus permettre désormais qu'on fasse ces jeux, et ces badineries, ni dans l'Eglise qui doit être une maison de prière, ni dans le Cimetière, et de n'être pas négligent à punir par les Censures Ecclésiastiques, et par les autres peines du Droit, ceux qui contreviendront à cette Ordonnance. » Le Concile provincial de Reims tenu l'an 1456. défend aussi de représenter les Jeux de Théâtre dans les Eglises. « Ce sacré Concile ordonne et enjoint d'exterminer entièrement de toutes les Eglises, et de tous les Monastères de Religieux et de Religieuses de cette Province, cet infâme abus qui s'y était introduit. Défendant d'y faire des mascarades, et des jeux de Théâtre, des danses, des trafics, et d'autres choses qui troublent l'Eglise et l'Office Divin, ou qui blessent l'honnêteté de ces saints lieux. » Que si l'Auteur de la Dissertation veut dire qu'il n'entend pas parler de ces sortes de Jeux de Théâtre ; mais seulement de ceux qui sont honnêtes, comme sont les Comédies qui représentent quelque histoire sainte. Je lui répondrai que cette excuse ne lui sert de rien, parce qu'il est certain que l'Eglise n'approuve point qu'on représente aucune Comédie ou Jeu de Théâtre, ni aucun autre Jeu dans l'Eglise. « Qu'on ne représente point, dit le Synode de Paris, dans les Cimetières, non plus que dans les Eglises, des Jeux de Théâtre, ni quelque autre sorte de jeu que ce soit. » « Qu'on ne fasse , dit le Synode de Sens , quelque jeu que ce soit, dans les Eglises ni dans les Cimetières. » C'est aussi ce que les Docteurs Romains nous apprennent parce que, disent-ils, les Comédies sont des choses vaines ; et qu'on ne doit pas même représenter dans les Eglises des Jeux, qui d'ailleurs ne sont pas défendus. « On demande, dit un savant Docteur Romain, s'il est permis de représenter des jeux dans un lieu sacré ? On répond qu'il n'est point permis, principalement si c'est un jeu défendu, comme est de réciter des choses vaines, telles que sont les Comédies. » Ce qui a trompé l'Auteur de la Dissertation, c'est qu'il a lu dans la Glose du Canon cum decorem que le Pape Innocent III. ne défend pas par ce Décret les représentations des choses saintes, par exemple de la Crèche de Jésus-Christ, de la persécution d'Hérode, et de l'adoration des Mages, etc. Et aussitôt il s'est imaginé, que la Glose comprenait dans ces représentations les Jeux de Théâtre, et les Comédies. Mais s'il avait lu la Glose avec attention, il aurait remarqué la différence qu'il y a entre ces représentations dont parle la Glose, et les Jeux de Théâtre, et les Comédies ; car ces représentations dont parle la Glose, ne portent les spectateurs qu'à la piété ; au lieu que les Jeux de Théâtre, et les Comédies ne les portent qu'à la volupté. « Toutefois, dit la Glose, ce Canon ne défend point de représenter la Crèche de Notre Seigneur, Hérode, les Mages, et comment Rachel pleura ses enfants, etc. qui sont des choses qui appartiennent aux fêtes dont il est parlé dans ce Canon ; et la raison pourquoi elles ne sont pas défendues, est parce qu'elles portent plutôt les hommes à la componction, qu'au libertinage et à la volupté : Ainsi aux fêtes de Pâques on représente le Sépulcre de Notre Sauveur, et d'autres choses pour exciter de la dévotion. Or pour montrer que cela est permis, on en tire la preuve du Canon Semel, de consecrat. dist. 2. et du Canon. Quæris, dist. 4. » C'est aussi ce que nous apprend le Pape Innocent IV. expliquant ce même Canon, cum decorem. « Ce Canon , dit ce Pape , ne défend pas de représenter quelque chose pour exciter la componction, par exemple la Crèche et le Sépulcre de Notre Seigneur, et autres choses semblables : Et la raison pourquoi cela est permis, se tire du Canon Semel, dist. 2. de consecrat . Et du Canon Quæris dist. 4 de consecrat . » Voici ce que dit le Canon Semel qui est tiré de la Préface du 2. Sermon de S. Augustin sur le Psaume 21. « Jésus-Christ n'est mort qu'une seule fois, le juste pour les injustes. Nous savons, nous sommes assurés et nous croyons par une foi inébranlable, que Jésus-Christ étant ressuscité d'entre les morts ne mourra plus, et que la mort désormais n'aura plus d'empire sur lui. Selon que nous l'enseigne l'Apôtre. Néanmoins afin que nous ne perdions pas le souvenir de ce qui est arrivé une seule fois ; l'Eglise nous en renouvelle la mémoire une fois tous les ans. Jésus-Christ meurt-il toutes les fois qu'on célèbre la Pâque ? Non, mais la mémoire qu'on en renouvelle tous les ans, nous rend comme présent ce qui s'est passé depuis tant de temps, et nous fait avoir les mêmes sentiments, que si Jésus-Christ était attaché sur une Croix devant nos yeux ; non pas pour le traiter avec des moqueries, et des blasphèmes ; mais pour avoir toute la foi que nous sommes obligés d'avoir. » Voilà quelles sont les représentations que l'Eglise admet : ce sont des représentations historiques qui rendent comme présents les Mystères de notre Religion, sans altérer ni déguiser en aucune manière leur vérité, afin que ces représentations servent de livre aux ignorants, et aux plus grossiers pour les en instruire, et pour exciter la foi, et la piété des fidèles. C'est ce qui nous fait voir la différence qu'il y a entre ces représentations, et les Comédies et les Jeux de Théâtre, lors même qu'ils représentent les mêmes Mystères, ou les mêmes actions des Saints ; parce qu'ils en altèrent, et en déguisent la vérité, pour donner du divertissement ; car comme dit Quintilien, les représentations des Comédies, et des autres pièces de Théâtre ne sont que des narrations poétiques, et non pas historiques ; ce sont des jeux qui servent plutôt à divertir les spectateurs, qu'à leur donner de la dévotion, et à exciter leur foi. C'est pourquoi l'Eglise n'a jamais approuvé qu'on jouât des Comédies, dans les lieux sacrés ; comme elle a approuvé les représentations historiques, qui ne sont pas proprement des Jeux. C'est ce qui est bien traité dans la Somme Angélique, où l'Auteur de cette Somme ayant distingué les représentations des choses honnêtes qui sont des jeux que les hommes ont inventés pour le divertissement, d'avec celles qui ne sont pas proprement des jeux ; mais qui sont des choses sérieuses, qui n'ont pour but que la gloire de Dieu ; il dit que ces représentations qui sont des jeux, ne sont point permises, en aucune manière ni dans les Eglises, ni dans les lieux sacrés : et cela est conforme aux ordonnances du Synode de Paris, et de celui de Sens que nous avons rapportés ci-dessus. « Il y a un autre Jeu, dit l'Auteur de cette Somme, qu'on appelle humain, qu'on fait pour son divertissement, ou pour celui des autres. Et ce jeu est quelquefois appelé jeu de Théâtre à cause du lieu où il est représenté qui s'appelle Théâtre, parce qu'il est propre pour voir les spectacles. Quelquefois il est appelé une bouffonnerie, où l'on fait un jeu de sa personne : il y en a un autre qu'on appelle un jeu de Bagatelle, où l'on représente des choses honnêtes. « Tous ces jeux ne peuvent être représentés en aucune manière ni dans les Eglises, ni dans les lieux sacrés, parce que cela est défendu par le Canon Cum decorem de vit. et honest. Cleric . Et par le Canon Decet de immunit. Eccles. in 6. C'est pourquoi je n'exempterais point de péché mortel celui qui représenterait quelqu'un de ces jeux dans l'Eglise (si ce n'est que ce fût peu de chose) parce qu'il semble que cela est défendu par le droit divin. Isai. 56. et Math. 21. “Ma Maison sera appelée la maison de la prière.” Mais il n'est point défendu de représenter par des figures dans l'Eglise à l'honneur de Dieu la Passion de Jésus-Christ, ou la vie de quelque Saint ; parce que ces représentations ne sont point proprement des jeux ; comme la Glose du Canon Decorem et l'Abbé de Palerme l'ont remarqué. » C'est donc sans raison que l'Auteur de la Dissertation dit, « Qu'il est certain qu'autrefois les comédies étaient représentées dans les Eglises ; que durant plusieurs années, on n'y trouva rien à redire, et que le Pape Innocent III. ne chassa point les jeux de Théâtre hors des Eglises ». J'ajouterai seulement à ce que j'ai dit ci-dessus, ces paroles du Cardinal Cajetan : « Les circonstances rendent le jeu mauvais… comme la circonstance du lieu ; par exemple, si l'on représentait des jeux dans l'Eglise, ce qui serait un péché mortel à l'égard des jeux de Théâtre, et d'autres semblables. » « Il n'est point permis , dit Azorius , de représenter des jeux publics dans l'Eglise, selon le Canon Cum decorem, de vit. et honest. Cleric . Mais il est permis d'y représenter la Crèche de Notre Seigneur, la venue des Mages, et autres choses semblables, pour exciter la dévotion. » C'est encore sans raison que l'Auteur de la Dissertation dit, « Que Boniface VIII. défend l'art infâme des Bouffons, Jongleurs, et Gueulards » ; c'est-à-dire selon la Glose, « l'art des Histrions, et diseurs de mots de gueule » : Voulant inférer de là que ce Pape ne défend point la Comédie. Mais s'il eut rapporté fidèlement la Glose, nous verrions qu'elle remarque que le mot de Joculatoires, c'est-à-dire, Jongleurs, comprend aussi les Acteurs de Comédies qu'on appelait alors Jongleries : Joculatores, c'est-à-dire, « les jongleurs sont ceux qui par l'action de leurs corps représentent les gestes, et les postures des hommes avec des Comédies ou sans Comédies ». Mais quand même les Acteurs de Comédies ne représenteraient que des histoires saintes et pieuses ; leurs gestes néanmoins, et le bruit des Spectateurs blesseraient la décence, et la modestie qu'on doit garder, dans l'Eglise. « Je pensais, dit le Père Mariana, que dans les Eglises, et aux fêtes des saints toutes choses devaient être réglées, et conduites dans la piété, et dans la modestie ; et qu'on ne devait vaquer en commun, et en particulier qu'aux choses qui excitent l'esprit à la dévotion, et à la contemplation des choses divines. Que chacun considère en lui-même, si le ris, l'applaudissement et le bruit que font les spectateurs des Comédies, sont des choses propres pour cela. » D'ailleurs si les Comédies ne blessaient point l'honnêteté des lieux sacrés, de sorte qu'il fût permis de les jouer dans les Eglises ; il serait aussi par conséquent permis de les représenter dans les Chapelles des Monastères, même des Religieuses. Or c'est ce que le Concile Provincial de Cologne tenu l'an 1549. sous l'Archevêque Adolphe, condamne en termes exprès. « Nous avons appris que quelques Acteurs de Comédies ne se contentant pas de jouer sur leur Scène, et sur leur Théâtre ; les vont aussi représenter dans les Monastères des Religieuses, où par des gestes profanes, amoureux et mondains, ils donnent du plaisir à ces filles. Ces Spectacles encore qu'ils ne représentassent que des choses sacrées, ne pourraient produire presque rien de bon ; mais ils peuvent au contraire laisser de très mauvaises impressions dans l'esprit de ces Religieuses, qui s'arrêtent plutôt à regarder et à admirer les gestes des Acteurs, qu'à entendre leurs paroles. C'est pourquoi nous défendons de recevoir désormais les Acteurs de Comédies dans les Monastères des Religieuses ; auxquelles nous interdisons aussi les Spectacles des Comédies. » Ainsi les Règles des Jésuites défendent de jouer même des Tragédies de Collège dans les Eglises. « Que le Provincial ne permette qu'on joue des Comédies et des Tragédies que très rarement, et qu'il n'en souffre point qui ne soient latines, et honnêtes, et qu'il n'ait examinées lui-même auparavant, ou qu'il n'ait fait examiner par d'autres, et qu'il défende de faire dans les Eglises ces actions ou d'autres semblables. » Il y a bien plus de raison de ne pas souffrir que les Comédiens profanent la sainteté des Eglises, et des lieux sacrés par la représentation infâme des pièces de Théâtre ; puisque les Parlements même ne permettent point qu'ils dressent des Théâtres, et jouent leurs pièces dans les Auditoires de la Justice, comme il paraît par un Arrêt célèbre du Parlement de Paris, donné le 1. jour de Juin 1652. Monsieur le Procureur… vous trouverez ci-inclus l'Arrêt de la Cour du 1. Juin 1652. par lequel entre autres choses défenses sont faites à toutes personnes de s'ingérer de faire dresser des Théâtres, et à tous Comédiens, et autres de représenter sur iceux en l'Auditoire de Bourbon, des Comédies, à peine de punition corporelle, et de deux mille livres d'amende : Et à vous enjoint, et aux autres Officiers de ladite Châtellenie de Bourbon, de tenir la main à l'exécution dudit Arrêt, aux peines y portées ; et en cas de contravention, faire et parfaire le procès aux contrevenants, nonobstant oppositions ou appellations quelconques, et sans préjudice d'icelles. Vous devez le faire publier en votre Siège, l'Audience tenant, afficher afin que personne n'en ignore, et en cas de contravention le faire exactement exécuter contre les contrevenants, et me tenir averti de vos diligences. Ce qu'attendant avec votre réponse, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde, et demeure, Monsieur le Procureur, Votre frère et bon ami Vu par la Cour la Requête présentée par le Procureur Général du Roi contenant qu'il aurait reçu plainte de ce qu'au mépris de la Justice, et par un scandale public, même au préjudice du refus fait par les Officiers du Roi en la Châtellenie de Bourbon, certaines personnes de leur autorité privée auraient ci-devant fait faire ouverture de la porte de l'Auditoire où se rend la justice audit lieu de Bourbon ; et par force et violence dresser un Théâtre, et sur icelui représenter des Comédies ledit jour et autres suivants, ce qui ne doit être toléré. A ces causes requérait que Commission lui fût délivrée adressant au plus prochain Juge Royal des lieux, pour informer des faits ci-dessus, circonstances et dépendances, pour l'information rapportée, et communiquée au Suppliant, prendre telles Conclusions que de raison. Cependant que défenses fussent faites à toutes personnes de s'ingérer de faire dresser Théâtres, et à tous Comédiens et autres, de représenter sur iceux en l'Auditoire dudit Bourbon, des Comédies, à peine de punition corporelle, et de deux mille livres d'amende, avec injonction aux Officiers, et au Substitut du Suppliant, de tenir la main à l'exécution de l'Arrêt qui interviendrait sur ladite Requête, à peine d'en répondre en leur propre et privé nom. Et en cas de contravention, faire et parfaire le procès aux contrevenants, nonobstant oppositions ou appellations quelconques. Vu aussi les pièces attachées à ladite Requête, et tout considéré : Ladite Cour a ordonné et ordonne que ledit Suppliant aura Commission adressant au plus prochain Juge Royal desdits lieux pour informer des faits contenus en ladite Requête, circonstances, et dépendances, pour l'information faite, et rapportée, communiquée audit Suppliant, être ordonné ce qu'il appartiendra. Cependant fait défenses à toutes personnes de s'ingérer de faire dresser Théâtres, et à tous Comédiens, et autres de représenter sur iceux en l'Auditoire dudit Bourbon des Comédies à peine de punition corporelle et de deux mille livres d'amende. Enjoint aux Officiers, et au Substitut dudit Suppliant en ladite Châtellenie de Bourbon tenir la main à l'exécution du prescrit Arrêt, à peine d'en répondre en leur propre et privé nom. Et en cas de contravention permet faire et parfaire le procès aux contrevenants, nonobstant oppositions ou appellations quelconques, et sans préjudice d'icelles, et sera le présent Arrêt exécuté en vertu de l'extrait d'icelui. Fait en Parlement le 1. jour du mois de Juin 1652. Pour Monsieur le Procureur Général.Du Tillet. Mais pour revenir à la Conclusion de l'Auteur de la Dissertation, qui prétend qu'il ne faut pas abolir la Comédie, quoique son institution, et son origine soit mauvaise ; mais qu'il suffit de la réformer, et d'en retrancher le désordre, et le dérèglement ; Je lui oppose un décret du 1. Concile de Milan, qui détruit entièrement sa prétention. Ce Concile ordonne qu'encore que les représentations des Mystères de notre Religion, et des actions des Saints aient été pieusement introduites ; néanmoins qu'à cause des abus, et des dérèglements qui s'y sont glissés, elles soient entièrement abolies. « La coutume, dit ce Concile, qui a été pieusement introduite de représenter devant le peuple la vénérable Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ, et les glorieux combats des Martyrs, et les actions des autres Saints, a été tellement corrompue par la malice des hommes, qu'elle est devenue à plusieurs, un sujet de scandale, et aux autres un objet de risée, et de mépris. C'est pourquoi nous ordonnons que désormais on ne représente plus par des Acteurs, la Passion de notre Sauveur, ni dans des lieux sacrés, ni dans des profanes, mais que les Prédicateurs l'exposent avec tant de doctrine, et de gravité, qu'ils impriment la piété dans les cœurs des Auditeurs, et qu'ils tirent des larmes de leurs yeux. Ils pourront pour cet effet montrer au peuple l'image de notre Sauveur attaché à la Croix, et faire d'autres actions extérieures de piété, qui sont approuvées par l'Eglise ; Sur quoi ils consulteront l'Evêque. Nous ordonnons aussi qu'on ne représente plus par des Acteurs le martyre et les actions des Saints, mais qu'on en fasse le récit si pieusement, que les Auditeurs soient excités à les imiter, à les honorer, et à les invoquer. » Ce Décret ne doit pas être considéré seulement comme un règlement d'une Eglise particulière ; mais comme une ordonnance de l'Eglise Universelle, puisque ces sortes de représentations par des Acteurs, ont été bannies de tous les lieux sacrés de la Chrétienté. Dissertation pag. 242. « Quand on renouvela ce divertissement dans l'Europe, il commença par des satires aigres et mordantes qui tirèrent bientôt après elles le libertinage ; et cela fut corrigé par les Histoires saintes que l'on y fit représenter : et les personnes de piété en prenaient tant de soin, que l'on forma cette Confrérie de la Passion, qui possède encore l'hôtel de Bourgogne, où l'on représentait des Histoires saintes, et où maintenant on en représente encore de toutes sortes. » VIII. Réfutation. L'Auteur de la Dissertation prend si peu de soin de s'instruire des choses qu'il emploie pour prouver ses propositions, qu'il arrive souvent qu'elles détruisent au contraire ce qu'il prétend prouver. Ainsi voulant montrer qu'on ne doit pas condamner les Tragédies, ni les Comédies, lorsqu'elles représentent des choses honnêtes ; il allègue l'exemple des représentations de la Passion de Notre Sauveur, des Actes des Apôtres, et des Histoires du Vieux Testament, « dont les personnes de piété, dit-il, prirent tant de soin, que l'on forma cette Confrérie de la Passion, qui possède encore l'hôtel de Bourgogne ». Pouvait-il alléguer un exemple qui détruisît plus formellement ce qu'il prétendait prouver ? Car il est constant que ces représentations ont été rejetées dès leur origine, et condamnées par un Arrêt célèbre du Parlement de Paris. Du Vendredi 9. Décembre l'an 1541.Monsieur de S. André Président. Entre le Procureur Général du Roi prenant le fait en main pour les pauvres de Paris demandeur et requérant l'entérinement d'une Requête par lui présentée à la Cour d'une part. Et Maître François Hamelin Notaire au Châtelet de Paris, François Pouldrain, Léonard Choblets, Jean Louvet, Maîtres Entrepreneurs du Jeu, et Mystère des Actes des Apôtres, naguères exécuté en cette Ville de Paris, défendeurs à l'entérinement de ladite Requête, d'autre. Le Maître pour le Procureur général du Roi, dit qu'anciennement les Romains instituèrent plusieurs jeux publics, de la plupart desquels parle Tite-Live, et les récite tous Flavius qui a écrit de Roma triumphante. Mais quelques jeux que ce fussent, il n'y en avait aucuns qui fussent ordinaires ; ains ne se faisaient sinon les occasions occurrentes et pour quelques causes notables et insignes, comme pour quelque victoire ou triomphe, ou pour quelque pompe funèbre ou autre notable cause. Vrai est que Festus Pompeïus récite une manière de jeux qui se faisaient sans occasions, et dicebantur ludi sæculares ; mais ils ne se faisaient, nisi centesimo quoque anno. Et encore après que les Romains furent attédiés de tels jeux publics et qu'ils connurent qu'ils tournaient en lasciveté, et in perniciem de la République, ils les laissèrent : et y eut loi expresse que les frais et impenses qui se faisaient de jeux publics, seraient employés ès réparations de la ville de Rome : Et encore est aujourd'hui cette loi écrite, l. unica c. de Expensis ludorum lib. II. Et pour le fait, dit que puis trois ou quatre ans en ça les Maîtres de la Passion ont entrepris de faire jouer et représenter le Mystère de la Passion qui a été fait, et parce qu'il s'est trouvé qu'ils y ont fait gros gain, sont venus aucuns particuliers gens non lettrés, ni entendus en telles affaires, et gens de condition infâme, comme un Menuiser, un Sergent à Verge, et un Tapissier et autres qui ont fait jouer les Actes des Apôtres, en iceux commis plusieurs fautes, tant aux feintes qu'au jeu, et pour allonger le temps ont fait composer, dicter et ajouter plusieurs choses apocryphes, quoique soient non contenues ès Actes des Apôtres, et fait durer trois ou quatre journées, afin d'exiger plus d'argent du peuple, en entremettant à la fin ou au commencement du jeu, farces lascives et de moqueries, en ont fait durer leur jeu l'espace de six ou sept mois, d'où sont advenus, et adviennent cessations de service divin, refroidissement de charités et aumônes, adultères et fornications infinies, scandales, dérisions et moqueries. Et pour les déclarer en premier lieu par le menu, dit que pendant lesdits jeux, et tant qu'ils ont duré, le commun peuple dès huit à neuf heures du matin ès jours de Fêtes délaissait sa Messe Paroissiale, Sermon et Vêpres pour aller èsdits jeux garder sa place, et y être jusqu'à cinq heures du soir : ont cessé les Prédications, car n'eussent eu les Prédicateurs qui les eût écoutés. Et retournant desdits jeux, se moquaient hautement et publiquement par les rues desdits jeux et des joueurs, contrefaisant quelque langage impropre qu'ils avaient ouï desdits jeux ou autre chose mal faite, criant par dérision que le S. Esprit n'avait point voulu descendre, et par d'autres moqueries. Et le plus souvent les Prêtres des Paroisses pour avoir leur passetemps d'aller èsdits jeux, ont délaissé dire Vêpres les jours de Fêtes, ou les ont dites tout seuls dès l'heure de Midi, heure non accoutumée : et même les Chantres ou Chapelains de la Sainte Chapelle de ce Palais tant que lesdits jeux ont duré, ont dit Vêpres les jours de Fêtes à l'heure de midi, et encore les disaient en poste et à la légère pour aller èsdits jeux, chose indécente, non accoutumée et de mauvais exemple, et contre les saints Conciles de l'Eglise, même contre le Concile de Carthage, in c. qui die de consecrat, dist. 1. où est dit : « Qui die solemni prætermissio Ecclesiæ conventu ad Spectacula vadit, excommunicetur. » Secundo, les Prédications sont plus décentes pour l'instruction du peuple, attendu qu'elles se font par Théologiens gens doctes et de savoir, que ne sont les Actes ou représentations qu'on appelle jeux que font gens ignorants et indoctes qui n'entendent ce qu'ils font ne ce qu'ils disent, représentant les Actes des Apôtres, le vieux Testament et autres semblables Histoires qu'ils s'efforcent de représenter. Tertio, il est certain et indubitable par jugement naturel que fiction d'une chose n'est possible sans préalable intelligence de la vérité. Car fiction n'est autre chose qu'une approche que l'on s'efforce faire au plus près que l'on peut de la vérité. Et tant les Entrepreneurs que les joueurs sont gens ignares et non lettrés qui ne savent ni A. ni B. qui n'ont intelligence non seulement de la Sainte Écriture, immò ni d'Écritures profanes. Sont les joueurs artisans mécaniques, comme Cordonniers, Savetiers, Crocheteurs de Grève, de tous états et arts mécaniques, qui ne savent lire ni écrire, et qui onques ne furent instruits ni exercés en Théâtres et lieux publics à faire tels actes, et davantage n'ont langue diserte ni langage propre, ni les accents de prononciation décente, ni aucune intelligence de ce qu'ils disent : tellement que le plus souvent advient que d'un mot ils en font trois : font point ou pause au milieu d'une proposition, sens ou oraison imparfaite ; font d'un interrogeant un admirant, ou autre geste, prolation ou accents contraires à ce qu'ils disent, dont souvent advient dérision et clameur publique dedans le Théâtre même, tellement qu'au lieu de tourner à édification, leur jeu tourne à scandale et dérision. Quarto, ils mêlent le plus souvent des farces, et autres jeux impudiques, lascifs ou dérisoires qu'ils jouent à la fin ou au commencement, pour attirer le commun peuple à y retourner, qui ne demande que telles voluptés et folies, qui sont choses défendues par tous les Saints Conciles de l'Eglise, de mêler Farces et Comédies dérisoires avec les Mystères Ecclésiastiques, ainsi qu'il est traité par tous les Docteurs in c. cum decorem. de vita et honestate Clericorum, et per hoc in summa eοdem titulo. Item ludi Theatrales. Et par le Concile de Bâle au décret de Spectaculis in Ecclesia non faciendis. Quinto, l'on reconnaît oculairement que tout ce qu'ils en font, est seulement pour le quête et pour le gain, comme ils feraient d'une Taverne ou négociation, et qu'ils veulent devenir Histrions, Joculateurs ou Bateleurs ; car comme dit Parnorm. in tit. cum decorem, un personnage est réputé Histrion, Bateleur et Joculateur quand par deux fois il retourne causa quæstus à faire jeux ou spectacles publics… et ainsi en propres termes le déclare Parnorm. in dicto tit. cum decorem. C'y l'on voit que jà par deux fois ils y sont venus pour le quête et profit seulement, et d'an en an, ils haussent le prix ; car la première année ils faisaient payer vingt et cinq écus pour chacune loge, et la seconde ils en ont fait payer trente et trente-six écus ; et maintenant ils les mettent à quarante et cinquante écus sol. Ainsi l'on connaît oculairement qu'il n'y a que le quête et profit particulier qui les mène, et ne sont qu'inventions pour tirer subtilement argent du peuple. Sexto, il advient mille inconvénients et maux ; car sous couleur de ces jeux, se font plusieurs parties et assignations, infinies fornications, adultères, maquerellages. Et pour cette cause est eadem rubrica seu titulus in lib. II. c. de Spectaculis, et Scenicis, et Lenonibus. Septimo, si sont èsdits jeux commessations et dépenses extraordinaires par le commun peuple ; tellement que ce qu'un pauvre artisan aura gagné toute la semaine, il l'ira dépendre en un jour èsdits jeux tant pour payer à l'entrée, qu'en commessation et ivrognesse ; et faudra que sa femme et enfants en endurent toute la semaine. Octavo, l'on a connu par expérience que lesdits jeux ont grandement diminué les charités et aumônes, tellement qu'en six mois qu'ont duré lesdits jeux, les aumônes ont diminué de la somme de trois mille livres, et en appert par certification signée des Commissaires sur le fait des pauvres. Ce néanmoins un nommé le Royer et vendeur de poisson, un Tapissier, un Menuiser et quelques autres leurs compagnons ont de nouveau entrepris de faire jouer l'année prochaine le vieil Testament, et veulent faire désormais un ordinaire desdits jeux pour exiger argent du peuple. Dont averti le Procureur Général du Roi, a présenté sa Requête pour leur faire inhibitions et défenses de non passer outre à leur entreprise. Ils lui ont apporté une lettre de Privilège qu'ils disent avoir obtenu du Roi, qu'ils ont présentée avec une Requête au Lieutenant Criminel qui ne leur a voulu répondre. Au moyen de quoi ils se sont retirés au Lieutenant Civil, qui leur a répondu leur Requête, et pour ce que par lesdites lettres ils ont donné à entendre au Roi qu'ils le font par zèle de dévotion, et pour l'édification du peuple, qui est chose non véritable, et y répugne leur qualité et encore plus leurs facultés : mais le font seulement par une négociation ou marchandise et pour le quête, gain et profit qu'ils en espèrent, et autrement ne le feraient. Davantage y a plusieurs choses au Vieil Testament qu'il n'est expédient déclarer au peuple, comme gens ignorants et imbéciles, qui pourrait prendre occasion de Judaïsme à faute d'intelligence.  Pour ces causes et autres considérations qui seraient de long récit, conclut à l'entérinement de sa Requête ; et en ce faisant que défenses leur soient faites de non passer outre à leur entreprise desdits Jeux du vieil Testament, jusqu'au bon plaisir, vouloir et intention du Roi, les choses susdites par lui entendues. A aussi ledit Procureur Général présenté autre Requête, à ce que pour les causes susdites, les anciens Entrepreneurs soient tenus mettre, et délivrer de leur gain et deniers procédant desdits jeux des Actes des Apôtres, la somme de huit cents livres parisis en la boîte aux pauvres par provision, et sauf après avoir vu par la Cour l'état de leurs frais et de leur gain, en ordonner plus grande somme, si faire se doit. Ainsi en fut en pareil cas ordonné contre les Maîtres de la Passion. Et requiert qu'à ce faire ils soient contraints chacun d'eux seul, et pour le tout, par vente et exploitation de leurs biens, et même par emprisonnement de leurs personnes, et conclut. Ryant dit qu'il n'a charge de défendre à la Requête du Procureur Général du Roi pour le regard des Maîtres Entrepreneurs du mystère des Actes des Apôtres ; mais seulement à charge pour les nouveaux Maîtres Entrepreneurs du mystère de l'ancien Testament, remontre à la Cour les causes qui les ont mus à entreprendre faire exécuter le mystère de l'ancien Testament. Est que le Roi ayant vu jouer quelquefois le mystère de la Passion y a deux ans, et pour le rapport qui lui a été fait de l'exécution du mystère des Actes des Apôtres, et averti qu'il serait bon voir la représentation de l'ancien Testament, un nommé le Royer s'était retiré vers lui, et lui aurait donné à entendre, que sous son bon plaisir il entreprendrait volontiers à faire représenter cet ancien Testament par mystère : à quoi volontiers le Roi avait incliné, tellement qu'il avait permis audit le Royer faire représenter ledit ancien Testament par mystère ; et à cette cause lui avait fait expédier ses lettres patentes adressantes au Prévôt de Paris Juge ordinaire. Le Royer ayant lesdites lettres, en demande en Chatelet la vérification appelés les gens du Roi. De leur consentement ledit Prévôt de Paris ou son Lieutenant en entérinant lesdites lettres, permet audit le Royer qu'il commence à faire faire quelques préparations pour l'exécution. Et connaissant que lui seul ne pouvait subvenir aux frais nécessaires pour la grandeur de l'acte et magnificence qu'il y fallait garder, associe avec lui quatre ou cinq honnêtes Marchands de cette ville. Et pour autant que tous étaient ignorants des frais que l'on pourrait faire, prennent avec eux un des Maîtres entrepreneurs des Actes des Apôtres pour les instruire de ce qui leur conviendrait faire. Et eux se pensant assurés au moyen de la permission du Roi, et de la vérification faite du consentement des Gens du Roi, marchandent aux Marchands de Draps de soie et autres pour les fournir des étoffes qu'il leur fallait ; et ont avancé grande somme de deniers, aux uns deux mille livres, aux autres sept cents, tellement qu'il y a obligation sur eux de plus de sept mille livres. Ont fait dresser le livre de l'ancien Testament, icelui communiqué au Théologien Picard pour ôter ce qu'il verrait n'être à dire : Ont choisi gens experts et entendus pour exécuter le mystère. Et sont quasi tous les rôles faits, et jà partout publiés que l'on doit jouer. Néanmoins le Procureur Général du Roi par une Requête présentée à la Cour les avait inhibé de passer outre. Dit qu'ils ne veulent être désobéissants à la Cour ; mais attendu les Lettres Patentes du Roi, la vérification du consentement des Gens du Roi, la Cour sous correction, doit lever les défenses. Joint qu'il n'est question de ludis pertinentibus tantum ad ornatum urbis, vel lætitiam populi, qui encore ne seraient prohibés ; mais de l'édification du peuple en notre foi. Il est vrai que les Entrepreneurs ne sont gens pour faire l'édification ; mais que par l'Histoire jouée sera représenté l'Ancien Testament ; et le pourront les rudes, et non savants mieux comprendre à le voir à l'œil, que par la seule parole qui en pourrait être faite. Et de dire qu'il y a des scandales, et des assemblées mauvaises, et que les aumônes des pauvres en pourront être refroidies ; cela n'est considérable ; car ne s'est point trouvé qu'il y ait eu de scandales, ni mauvaises assemblées aux mystères de la Passion, et Actes des Apôtres. Et quant aux aumônes elles se refroidissent tous les jours pour autre cause que chacun ne sait pas. A cette cause supplie la Cour, vu la permission du Roi, la vérification d'icelle ; et considéré les préparatifs que les Entrepreneurs ont faits, et que res non est amplius integra, il plaise à la Cour lever lesdites défenses ; autrement perdraient les pauvres gens beaucoup. Et néanmoins offre du gain qu'ils pourront faire, que la Cour en ordonne telle somme qu'elle verra pour les pauvres. Le Maître dit qu'il n'y a point permission du Prévôt de Paris ; ains au contraire ledit Prévôt a ordonné qu'aucuns seraient appelés, pour ouïr après ordonner ce que de raison. A dit Ryant que s'y est : a lu la Requête présentée audit Prévôt, répondue, et signée De Mesme. A dit le Maître qu'il y avait objection : Car premièrement s'étaient adressés au Lieutenant Criminel qui les avait refusés. Et pour ce requiert les défenses tenir jusques à ce que le Procureur Général aura averti le Roi ; et que sur ce il aura entendu son intention, et vouloir. Interpellé Ryant s'il voulait rien dire pour les Maîtres des Actes des Apôtres, a dit qu'il y en a un, ou deux présents, qui lui font dire qu'ils sont prêts de rendre compte. La Cour dit qu'en ayant égard à la requête faite par ledit Procureur Général du Roi, elle a ordonné, et ordonne que les Anciens Maîtres bailleront la somme de 800. liv. parisis par provision, pour employer à l'aliment et nourriture des pauvres de cette Ville de Paris : et semblablement mettront par-devers ladite Cour leur état, et compte ; pour icelui veut leur être pourvu ainsi qu'il appartiendra par raison : et à ce faire ils seront contraints par prise de corps, un seul pour le tout. Et quant à la seconde requête dudit Procureur Général, tendant à ce que défenses fussent faites aux nouveaux Maîtres Entrepreneurs du mystère de l'Ancien Testament, ladite Cour a fait et fait inhibitions et défenses auxdits nouveaux Maîtres de procéder à l'exécution de leur entreprise, jusqu'à ce qu'elle ait su sur ce le bon plaisir et vouloir du Roi, pour icelui ouïe, leur faire telle permission, qu'il plaira audit Seigneur ordonner. Après lequel prononcé a requis Ryant délai être donné auxdits Maîtres Anciens pour bailler ladite somme de huit cents livres, car ils n'avaient præsentem pecuniam. Α dit Brulart Procureur Général qu'il leur accorde quinzaine. Ladite Cour a ordonné que lesdits Anciens Maîtres payeront la moitié de ladite somme dedans quinzaine, et l'autre moitié la quinzaine ensuivant. Dissertation pag. 243. « Mais comme ils furent corrompus par la licence des Poètes, et par la mauvaise conduite des Acteurs, les Rois jetaient l'infamie sur ceux qui montaient sur le Théâtre, où l'on avait porté tant de dissolution. Mais Monsieur le Cardinal de Richelieu, qui faisait toutes ses actions avec un grand discernement du bien, et du mal, remit en crédit les Comédies, et les Tragédies, en n'y laissant rien de ce qui les avait exposées à l'indignation des personnes d'honneur, et à la peine des lois. » IX. Réfutation. L'Auteur de la Dissertation entend parler de la Déclaration que le Roi Louis XIII. fit sur le sujet des Comédiens, par le conseil de Monsieur le Cardinal de Richelieu. Mais tant s'en faut que l'Auteur de la Dissertation en puisse tirer quelque avantage ; qu'elle détruit au contraire tout ce qu'il a prétendu prouver dans son livre ; car dans cette Déclaration il est marqué en termes exprès, que les Comédiens avaient été notés d'infamie jusqu'au temps de cette Déclaration, c'est-à-dire jusqu'à l'an 1641. Ce qui renverse la proposition fondamentale de la Dissertation ; « Que les Poèmes Dramatiques, ni leurs Acteurs n'ont point été condamnés. » Voici la Déclaration du Roi. Louis par la Grâce de Dieu Roi de France et de Navarre, à tous présents, et à venir, Salut. Les continuelles bénédictions qu'il plaît à Dieu répandre sur notre Règne, nous oblige de plus en plus à faire tout ce qui dépend de nous, pour retrancher tous les dérèglements par lesquels il peut être offensé. La crainte que nous avons que les Comédies qui se représentent utilement pour le divertissement des peuples, soient quelquefois accompagnées de représentations peu honnêtes, qui laissent de mauvaises impressions dans les esprits, fait que nous nous sommes résolus de donner les ordres requis pour éviter tels inconvénients. A ces causes nous avons fait, et faisons très expresses inhibitions et défenses à tous Comédiens, de représenter aucunes actions malhonnêtes, ni d'user d'aucunes paroles lascives, ni à double entente, qui puissent blesser l'honnêteté publique : Et ce sur peine d'être déclarés infâmes, et autres peines qu'il y écherra. Enjoignons à nos Juges, chacun en son détroit, tenir la main à ce que notre volonté soit religieusement exécutée. Et en cas que lesdits Comédiens contreviennent à notre présente Déclaration, nous voulons que nosdits Juges leur interdisent le Théâtre, selon la qualité de l'action ; sans néanmoins qu'ils puissent ordonner plus grande peine que l'amende, ou le bannissement. Et au cas que lesdits Comédiens règlent tellement les actions du Théâtre, qu'elles soient du tout exemptes d'impureté ; nous voulons que leur exercice, qui peut divertir nos peuples de diverses occupations mauvaises, ne puisse leur être imputé à blâme, ni préjudicier à leur réputation dans le commerce public. Ce que nous faisons afin que le désir qu'ils auront d'éviter le reproche que l'on leur a fait jusqu'ici, leur donne autant de sujet de se contenir dans les termes de leur devoir aux représentations publiques qu'ils feront, que la crainte des peines qui leur seraient inévitables, s'ils contrevenaient à la présente Déclaration. Si donnons en mandement aux Gens de notre Cour de Parlement de Paris, etc. Donné à saint Germain le 6 Avril, l'an de Grâce 1641. Registrées, ouï le Procureur Général, pour être exécutées selon leur forme, et teneur. A Paris en Parlement le 14. Avril 1641. Il paraît donc par cette Déclaration que les Comédiens ont toujours été notés d'infamie jusqu'à l'an 1641. et qu'ils n'en sont relevés que pour l'avenir, et sous cette condition, que dans les Comédies qu'ils joueront, il n'y ait rien qui blesse l'honnêteté publique ; non pas même par un mot à double entente : De sorte que si je fais voir que les Comédiens depuis cette Déclaration, c'est-à-dire depuis l'an 1641. n'ont jamais observé cette condition ; il est indubitable qu'ils sont encore aujourd'hui infâmes, comme ils l'ont toujours été. C'est ce que je vais montrer évidemment par les Pièces de Théâtre qui ont été représentées et imprimées en ce temps-là. Le Mausolée est une Tragi-Comédie de l'an 1641. où nous voyons Doralie fille de la Reine Artémise devenir amoureuse de Cénomant Roi de Candie, qui l'assiégeait, et lui donner entrée de sa chambre par une fausse porte, à l'insu de sa mère, pendant que les gens de Cénomant donnaient l'assaut à la place. Voici comme elle-même en parle. « C'est un effet d'amour sous un voile de haine Il le fait pour me plaire, il ne livre l'assaut, Que pour me visiter et monter ici haut, Moi-même en ce dessein je lui donne l'entrée Par une fausse porte en ce lieu rencontrée : » Et enfin sur ce qu'elle croit que sa confidente a révélé à son amant la passion qu'elle avait pour lui, voici comme elle parle. « Elle a donc révélé mon amoureux martyre, Tant mieux : c'est m'épargner la honte de le dire : » Et elle-même découvre à son amant le transport de son amour en ces termes :  «Tous objets près de vous me sont indifférents, Je perds avec mon cœur le soin de mes parents. » Cela ne blesse-t-il point l'honnêteté publique et le respect que les filles doivent à leurs parents ? Clarice est une Comédie de l'an 1642. Nous y voyons une fille de quinze à seize ans, parler en secret avec un jeune homme par l'ouverture d'une muraille, où ils se donnent une promesse de Mariage à l'insu de leurs parents : La narration que cette fille en fait elle-même, n'est pas moins honteuse que l'action. « Nos maisons se touchaient, et par une ouverture, Qui dans le mur commun se trouva d'aventure, L'amour trouva moyen de nous blesser tous deux, Et de nous apporter, et rapporter nos vœux : Ces vœux furent suivis d'une foi mutuelle, De garder l'un pour l'autre une ardeur éternelle : De nous tenir dès lors pour femme et pour époux Et n'avoir jamais d'yeux pour d'autre objet que nous… Hélas, si comme nous, tu savais par usage, La peine de parer les traits d'un beau visage, Et combien tout obstacle et tout effort est vain, Tu me confesserais qu'Amour n'a point de frein. Une fille à quinze ans, un jeune homme de seize En la première ardeur de l'amoureuse braise, Pouvaient-ils témoigner un jugement plus sain, Et former un plus mûr et plus sage dessein. ? » Voilà un bel exemple que cette Comédie propose aux jeunes filles et aux jeunes hommes : mais elle nous en propose encore un autre bien dangereux, représentant un homme qui donne un serviteur à un de ses amis, pour suborner sa fille : cet homme parle ainsi à ce serviteur qu'il a introduit chez son ami. « Je ne t'ai fait entrer au service d'Horace, Que pour y voir Clarice et m'obtenir sa grâce. » La Comédie des fausses vérités, qui est de l'an 1642. et 1643. nous représente une fille qui donne et reçoit des rendez-vous à l'insu de ses parents, comme elle-même le déclare. « Je le vois cependant toujours aux Tuileries, Et là nous nous donnons rendez-vous tous les jours, C'est dans ce lieu charmant que sont nés nos amours : Et cette passion est si grande et si forte, Que c'est, chère Nérine, un torrent qui m'emporte : » Mais ce discours de la servante Julie qui introduit un amant dans la chambre de sa Maîtresse à l'insu de son père, est-il fort honnête ? « Si vous étiez secret, je pourrais entreprendre De vous mener chez elle, et de vous faire entendre, Mais j'appréhende trop, Je te jure, et promets De tenir ma parole, et n'en parler jamais. Faisant cela pour moi tu me donnes la vie. Je puis bien contenter votre amoureuse envie : Je crains ; mais je vous veux servir en ce besoin : Surtout dissimulez, et me suivez de loin : Attendez à la porte, et je vous ferai signe Si son père est sorti. Oui j'ai joué mon rôle assez adroitement, Léandre m'a suivie, il attend à la porte, Madame entrera-t-il ? Mais que ce soit en sorte Qu'il ne soupçonne pas... Je vous entends fort bien, Ai-je si peu d'esprit ? N'ayez crainte de rien, Je sais fort bien conduire une amoureuse ruse. » Dans la Comédie du Menteur, qui est une pièce de l'an 1644. ce discours d'un jeune débauché avec son valet, sur le sujet des femmes, est-il bien honnête ? « Vous tenez celles-là trop indignes de vous, Que le son d'un écu rend traitables à tous. Aussi que vous cherchiez de ces sages coquettes Qui bornent au babil leurs faveurs plus secrètes, Sans qu'il vous soit permis de jouer que des yeux, Vous êtes d'encolure, à vouloir un peu mieux : Loin de passer son temps, chacun le perd chez elles ; Et le jeu, comme on dit, n'en vaut pas les chandelles. Mais ce serait pour vous un bonheur sans égal, Que ces femmes de bien qui se gouvernent mal, Et de qui la vertu, quand on leur fait service, N'est pas incompatible avec un peu de vice. Vous en verrez ici de toutes les façons ; Ne me demandez point cependant de leçons ; Ou je me connais mal à voir votre visage, Ou vous n'en êtes pas à votre apprentissage. Etes-vous libéral ? Je ne suis point avare. C'est un secret d'amour, et bien grand, et bien rare ; Mais il faut de l'adresse à le bien débiter, Autrement on s'y perd, au lieu d'en profiter : Tel donne à pleines mains qui n'oblige personne : La façon de donner vaut mieux que ce qu'on donne. L'un perd exprès au jeu son présent déguisé. L'autre oublie un bijou qu'on aurait refusé. Un lourdaud libéral auprès d'une maîtresse, Semble donner l'aumône, alors qu'il fait largesse, Et d'un tel contretemps il fait tout ce qu'il fait, Que quand il tâche à plaire, il offense en effet. » Et ce discours d'une fille et d'un cavalier inconnu qui lui donna la main pour la relever d'un faux pas, est-il conforme aux bonnes mœurs ? « La faveur qu'on mérite est toujours achetée, L'heur en croît d'autant plus, moins elle est méritée : Et le bien où sans peine elle fait parvenir, Par le mérite à peine aurait pu l'obtenir. Un amant a fort peu de quoi se satisfaire Des faveurs qu'on lui fait sans dessein de les faire. Comme l'intention seule en forme le prix, Assez souvent sans elle on les joint au mépris. Jugez par là quel bien peut recevoir ma flamme D'une main qu'on me donne, en me refusant l'âme. Je la tiens, je la touche, et je la touche en vain, Si je ne puis toucher le cœur avec la main. Cette flamme, Monsieur, est pour moi fort nouvelle Puisque j'en viens de voir la première étincelle : Si votre cœur ainsi s'embrase en un moment, Le mien ne brûle pas du moins si promptement. Mais peut-être à présent que j'en suis avertie. Le temps donnera place à plus de sympathie. Confessez cependant qu'à tort vous murmurez Du mépris de vos feux que j'avais ignorés. » « Cependant accordez à mes feux innocents La licence d'aimer des charmes si puissants. Un cœur qui veut aimer, et qui sait comme on aime, N'en demande jamais licence qu'à soi-même. » On voit ensuite dans cette même Comédie un fils de famille qui ne se moque pas seulement de son père, en lui faisant accroire qu'il est marié, pour ne pas épouser le parti qu'il lui voulait donner ; mais qui fait gloire encore de son impudence, parlant ainsi à son valet. « Que dis-tu de l'histoire, et de mon artifice ? Le bonhomme en tient-il ? m'en suis-je bien tiré. » Et rencontrant son père qui le cherchait, écoutez ce qu'il dit. « Je ne vous cherchais pas moi ; Que mal à propos Son abord importun vient troubler mon repos, Et qu'un père incommode un homme de mon âge ! » Enfin l'honnêteté permet-elle qu'une jeune fille trouve bon que sa suivante prenne l'argent que lui offre un jeune homme, afin qu'elle lui rende de bons offices auprès de sa maîtresse, qu'il cajolait à l'insu de son père, et qu'elle lui dise : « Je ne m'oppose pas à ta bonne fortune : Mais comme en l'acceptant tu sors de ton devoir. Du moins une autre fois ne m'en fais rien savoir. » Dans la suite du Menteur, qui est une Comédie de l'an 1645. nous voyons une fille devenir si amoureuse d'un homme qu'elle voit mener en prison, qu'elle lui envoie de l'argent, et même son portrait, et qu'elle-même déguisée en servante le va visiter dans la prison. Voici la lettre qu'elle lui écrit : «  Au bruit du monde qui vous conduisait prisonnier, j'ai mis les yeux à la fenêtre, et vous ai trouvé de si bonne mine, que mon cœur est allé dans la même prison que vous, et n'en veut point sortir tant que vous y serez. Je ferai mon possible pour vous en tirer au plus tôt. Cependant obligez-moi de vous servir de ces cent pistoles que je vous envoie : vous en pouvez avoir besoin en l'état où vous êtes, et il m'en demeure assez d'autres à votre service . » Ensuite elle lui envoie son portrait par sa servante qu'elle instruit ainsi. « Porte-lui mon portrait, et comme sans dessein, Fais qu'il puisse aisément le surprendre en ton sein. Feins lors pour le ravoir un déplaisir extrême ; S'il le rend, s'en est fait : s'il le retient, il m'aime. A vous dire le vrai, vous en savez beaucoup. L'Amour est un grand maître, il instruit tout d'un coup. Il vient de vous donner de belles tablatures. Viens quérir mon portrait avec des confitures. Comme pourra Dorante en user bien, ou mal, Nous résoudrons après touchant l'original. » Cet artifice ayant réussi selon son souhait, et Dorante ayant retenu son portrait ; elle lui renvoie sa servante, feignant de vouloir ravoir ce portrait qu'elle lui avait laissé prendre comme à l'insu de la maîtresse : et elle-même accompagne la servante feignant d'être sa sœur, et ayant le voile abattu sur le visage, comme sa servante pressait fort Dorante de lui rendre ce portrait, un transport d'amour la fait ainsi parler. « Mais sans mentir, ma sœur vous presse un peu de près… Souvent tout cet effort à ravoir un portrait, N'est que pour voir l'amour par l'état qu'on en fait ; Que sait-on si c'est point le dessein de Madame ? Ma sœur non plus que moi ne lit pas dans son âme. Si j'étais que de vous je voudrais hasarder. Et de force, ou de gré je le saurais garder. Si vous l'aimez, Monsieur, croyez qu'en son courage, Elle vous aime assez pour vous laisser ce gage. » Sur cela levant son voile, et se découvrant, Dorante lui dit : « Mes yeux que vois-je ? où suis-je ? êtes-vous des flatteurs ? Si le portrait dit vrai, les habits sont menteurs : Madame, c'est ainsi que vous savez surprendre, » Voici la réponse qu'elle lui fait : « C'est ainsi que je tâche à ne me point méprendre, A voir si vous m'aimez, et savez mériter Cette parfaite amour que je vous veux porter. Ce portrait est à vous, vous l'avez su défendre, Et sur l'original vous pouvez tout prétendre. » L'entretien du valet et de la servante est-il plus honnête ? « Donc sans plus de langage Tu veux bien m'en donner quelques baisers pour gage. Pour l'âme et pour le cœur autant que tu voudras ; Mais pour le bout du doigt ne le demande pas... J'ai le goût fort grossier en matière de flamme, Je sais que c'est beaucoup d'avoir le cœur et l'âme ; Mais je ne sais pas moins qu'on a fort peu de fruit Et de l'âme, et du cœur, si le reste ne suit. » La Comédie des Innocents coupables est encore une pièce de l'an 1645. qui représente une fille de qualité quittant la maison de son père pour suivre son amant, qui l'avait abandonnée par un transport de jalousie, après avoir tué son rival : Voici comme elle-même raconte cette honteuse histoire. « J'aimais un Chevalier, et nos flammes communes, Ainsi que nos désirs égalaient nos fortunes. Tout secondait nos vœux, et nous passions les jours A nous entretenir de nos chastes amours. Quelquefois mêmement durant les nuits plus sombres, Nous discourions ensemble à la faveur des ombres. Tant que sur l'horizon le Soleil de retour Rendait à l'Univers les couleurs, et le jour. Le jardin de mon père était une retraite, Où le Ciel fut témoin de notre ardeur discrète ; Ce vertueux amant n'eut jamais le penser De faire une action qui me pût offenser. Jusqu'ici vos destins sont bien dignes d'envie. Vous allez voir bientôt un changement de vie. Cet unique sujet de mon affection N'aspira pas tout seul à ma possession : Un autre Chevalier, contre toute apparence, Avec moins de mérite eut autant d'espérance. Il employa ses soins, son pouvoir, ses amis, Pour me ranger au point où l'amour l'avait mis. Mais plus il soupirait, plus il souffrait de peine, Plus je rendis visible, et sa honte, et ma haine. Ce traître m'éprouvant si contraire à ses vœux, De rage, et de douleur éteignit tous ses feux. Mais son âme perfide, et son cœur téméraire, Ne brûlant plus d'amour, brûlaient plus de colère : Il s'était aperçu que ma sévérité Ne maltraitait pas tous avec égalité : Que je voyais d'un œil plus doux, et plus propice, Un autre qui souffrait pour moi-même supplice : Et que pour discourir de nos secrets ennuis, Il passait avec moi souventesfois les nuits. Ce fut sur ce sujet qu'il fonda sa vengeance, Un soir que tout était dans un profond silence, Et que l'obscurité qui succède au Soleil Accablait l'Univers sous le faix du sommeil Ce traître qui causa ma honte, et ma misère, Se rendit sans témoin au jardin de mon père, Où j'attendais pour lors mon véritable amant, Qui devait près de moi soupirer son tourment : Il contrefit sa voix qui trompa mon oreille. Artifice inouï, trahison sans pareille. Je vins ouvrir la porte, il entra tout joyeux ; Le voile de la nuit avait bandé mes yeux : Je ne le connus pas, et dans cette ignorance   Un favorable accueil flatta son espérance. Le vrai contentement dont il était surpris, Et le feint sentiment qui charmait mes esprits. Le transportait si fort, et me troublait de sorte, Qu'aucun ne s'avisa de repousser la porte. Son espoir s'accroissait, et se plaignant de moi Il obtint un baiser pour gage de ma foi, Au malheureux moment qu'un astre inexorable, Me rendit tout ensemble innocente, et coupable. Et que le Chevalier à qui j'offrais mes vœux Entra dans le jardin, et nous surprit tous deux ; Lors outré de douleur, et transporté de rage, Son bras exécuta l'avis de son courage : Il pressa son rival, et lui perçant le flanc, Il fit choir à ses pieds son corps avec son sang. Puis s'adressant à moi ; qui l'aurait cru, Madame, Me dit-il, que la feinte eût logé dans votre âme. Hélas ! qui l'eût pensé que ma maîtresse eût eu Tant d'appas, tant d'attraits, et si peu de vertu. Ces reproches finis il se dit à soi-même, De l'extrême amitié, passe à la haine extrême. Abandonne ces lieux, et sors de la prison Où ton aveuglement avait mis ta raison. Il sortit du jardin avecque ces paroles : Mes regrets furent vains, et mes plaintes frivoles : Je courus après lui, je l'appelai cent fois ; Mais le dépit ferma son oreille à ma voix. Je tremble à ce récit d'une frayeur secrète. La colère du Ciel ne fut pas satisfaite. Au bruit de mes soupirs, et des derniers sanglots Qu'exhalait en mourant l'auteur de mes travaux, Mon père s'éveilla troublé de mille craintes, Il reconnut ma voix ayant ouï mes plaintes. Alors en s'écriant qu'on me vint assister. Il avança ma perte, au lieu de l'éviter. Comment doncque. La honte, ainsi que l'épouvante Me fit fuir au logis d'une mienne parente, Où j'ai toujours été depuis l'instant fatal Que la haine du Ciel me causa tant de mal. Dedans cette maison qui me servait d'asile, J'appris que mon amant avait quitté la ville ; Et que pour éviter ma vue et son trépas, Du côté de la France il adressait ses pas. Je ne sus pas plutôt cette triste nouvelle, Que je sentis l'effet d'une douleur mortelle : Et que le juste excès de mon pressant ennui M'inspira le dessein de courir après lui. La nuit favorisa ma secrète entreprise, Sans bruit et sans témoins je sortis par surprise ; Et sans considérer le travail du chemin, Dedans mon désespoir j'accomplis mon dessein. » Mais y a-t-il rien de plus infâme que ce qui est représenté dans la Comédie de la Sœur qui est une pièce de l'an 1646. Un fils nommé Lélie étant envoyé par son père à Constantinople pour racheter sa mère et sa sœur, qu'un Corsaire avait enlevées ; comme il fut arrivé à Venise, il y devint si amoureux d'une esclave nommée Sophie, qui servait dans l'hostellerie où il était logé, qu'il la racheta, et l'épousa. Et au lieu d'aller à Constantinople il s'en retourna chez son père, et lui fit accroire que Sophie était sa sœur Aurélie ; et que pour sa mère, il avait appris qu'elle était morte. Quelque temps après son père étant sur le point de le marier avec une fille nommée Eroxène ; et Aurélie qu'il croyait être sa fille, avec un vieillard nommé Polydore. Eraste qui était ami de Lélie, et amant d'Eroxène, lui témoigna le regret qu'il avait de perdre sa maîtresse, Lélie lui découvrit toute l'histoire ; et concertant avec lui des moyens qui lui pouvaient servir pour rompre ces mariages, ils résolurent par l'avis du valet de Lélie nommé Ergaste, qu'il fallait qu'Eraste demandât Aurélie en mariage au père de Lélie, qui le préférerait sans doute au vieillard Polydore, à qui il l'avait promise : et que Lélie feignant d'obéir à son père ferait semblant d'épouser Eroxène. Que pour cela il fallait avoir un homme travesti en Prêtre qui feignît de les épouser. Et qu'ensuite ils logeraient ensemble dans une même maison, où la nuit Lélie reprendrait sa femme Sophie, et Eraste prendrait Eroxène. Voilà des exemples horribles de sacrilège, d'impureté, et d'imposture, que cette Comédie représente en ces termes. « Quand de la Reine Bonne, et d'effet, et de nom, En Pologne mon père eut l'heur d'être Echanson, Assez considéré, par l'honneur de lui plaire. Pour vous le faire court, il y manda ma mère, Et nous voulant à tous partager son crédit, Souhaita que ma sœur encore s'y rendit. Elles partirent donc, et croyant la fortune Avoir trop fait pour nous, pour leur être importune, L'une en quête d'un père, et l'autre d'un mari, Vinrent pour nous trouver s'embarquer en Bari, Mais le Pilote à peine eut laissé choir les voiles, Qu'un vent impétueux en déchirant les toiles, Les écarta si loin, que l'on crut leurs vaisseaux Le débris d'un écueil, ou le butin des eaux. Quinze ans s'étaient coulés sans qu'aucunes nouvelles, En Pologne, ou dans Nole, eussent rien appris d'elles ; Et comme après des soins si longs et superflus Mon père n'en cherchait ni n'en espérait plus ; Depuis deux ans enfin il a su que ma mère, Tombée avec ma sœur au pouvoir d'un Corsaire ; Près d'une île écartée où le vent les poussa, Avait été vendue aux agents d'un Bassa ; Qu'à l'égard de ma sœur, elle en fut séparée, Et suivit un marchand de quelqu'autre contrée. Mon père à ce bonheur se sentit transporter Et ne jugeant que moi qui les pût racheter ; Outre six cents ducats, me fit pour ce voyage Ordonner l'appareil d'un honnête équipage. Venise où j'arrivai pour mon embarquement, Vit finir mon voyage, et naître mon tourment : A l'heure du souper la table fut couverte Par des mains dont amour avait juré ma perte ; Les mains d'une beauté dont l'abord me ravit, Et qui m'asservit plus, qu'elle ne me servit. Sophie était le nom de ce charme visible ; Qui surprenant un cœur jusqu'alors insensible, En fit en ce repas par ses regards vainqueurs, Un mets à ce Tyran qui ne vit que de cœurs. Et mon feu me pressant, je découvre à Sophie, Et le cœur, et les vœux que je lui sacrifie : Mais en vain mon adresse avec tout son effort Tente de son honneur l'inexpugnable fort ; Et j'apprends à la fin de mes poursuites vaines, Que je ne puis prétendre autre fruit de mes peines, Que la confusion d'un frivole séjour, Ou le pudique fruit et un légitime amour. Qu'elle était de naissance assez considérable, Pour aspirer au joug d'un hymen honorable : Mais que son mauvais sort infidèle à son sang, En l'état d'une esclave avait changé son rang. L'amour qui me rendit ma franchise importune, Fit en moi ce qu'en elle avait fait la fortune, Me mit d'un état libre, en un rang où je sers ; Je délivrai l'objet qui me tenait aux fers ; Je rachetai Sophie ; et la prenant pour femme, En délivrant son corps, m'assujettis son âme. Si de ce long récit vous n'abrégez le cours, Le jour achèvera plutôt que ce discours. Laissez-le-moi finir avec une parole. Cinq ou six mois après, nous nous rendons à Nole, Où de Constantinople on crut notre retour : Et là par mon avis et par celui d'Amour, Nous étant concertés je fis croire à son père Le rachat de la sœur, et la mort de la mère. De Sophie, à présent Aurélie est le nom. Le père en cette erreur la souffre en sa maison, Où d'une chaste amour satisfaisant la flamme, Elle est fille le jour, et la nuit elle est femme. Jugez par ce récit si vraisemblablement Votre jaloux soupçon a quelque fondement, Et si quoiqu'on propose, il peut souffrir sans peine, La proposition qu'on leur fait d'Eroxène. Dieu! jamais Comédie, en sa narration N'excita tant de joie, et tant d'attention. Et l'éclaircissement, qui dissipe ma crainte, M'interdit toute excuse, et condamne ma plainte. Mais de quelle arme enfin espérez-vous parer L'Hymen. Nous vous cherchions pour en délibérer J'ai fait mon personnage en cette Comédie ; Pour ce qui reste, il faut qu'Ergaste y remédie. J'ai pendant ce récit eu le temps d'y rêver ; Voyez si ce moyen se pourrait approuver. Au vieillard Polydore Anselme offre Sophie Ou plutôt pour ses biens il la lui sacrifie, Voyant qu'il s'est offert de la prendre sans dot. Il est vrai. Mon avis est, qu'Eraste en un mot Lui faisant la même offre, obtienne sa parole, Et rende du vieillard l'espérance frivole. L'honneur qu'il recevra d'un si puissant appui, Et le peu de rapport de Polydore à lui, Lui feront trop des deux faire la différence, Pour devoir hésiter en cette préférence. Vous, Lélie, il faudra que vous feigniez aussi Qu'Eroxène causant votre plus doux souci, Votre plus grand bonheur est qu'Hymen vous assemble. Et lors il est aisé de vous loger ensemble, Et que par cet intrigue adroitement conduit. Et bien ? La sœur du jour, soit femme de la nuit, Tant que de vos vieillards, qui n'ont plus guère à vivre La mort qui change tout, de ces soins vous délivre. Comment sans épouser posséder leurs appas, Ou comment épousant ne les posséder pas ? N'est-ce pas te confondre, ou d'un double adultère De ce lien sacré profaner le mystère ? Un ami travesti, vos parents assemblés, Vous peut-il pas unir de ces nœuds simulés ? Puis leur mort arrivant, un Hymen légitime Des faveurs d'Eroxène effacera le crime. Un plus rare moyen ne se peut concevoir : Et tu me rends la vie en me rendant l'espoir. Par cet heureux avis, qui nous tire de peine, Je conserve Aurélie. Et j'épouse Eroxène. Moi peut-être un gibet, si l'art est éventé ; Mais n'en consultons plus, le sort en est jeté. » Les Comédies des années suivantes sont beaucoup plus déréglées : je n'ai garde de rapporter ici des paroles malhonnêtes qui se lisent dans la Comédie de l'Aveugle clairvoyant ; ni l'insolence d'un fils et d'une fille qui se jouent de leur père qu'ils croyaient être aveugle, je me contenterai de rapporter la lettre que la fille écrit à son amant, pour le porter à l'enlever. « Seul et doux espoir de mes yeux, Puisque le désespoir vous bannit de ces lieux, Apprenez que je vous veux suivre, Méditez mon enlèvement : Comme sans vous je ne puis vivre, J'y souscris volontairement ; Mélice votre acquise, et très fidèle amante. » Dans la Comédie du feint Astrologue, on voit une fille si transportée d'amour, qu'elle veut même employer des charmes pour voir son amant. « Enfin voulez-vous voir Cet amant si chéri ? S'il se peut dès ce soir : De ce désir mon âme est si fort possédée. Il me faut faire un pacte avecque son idée ; Ce charme est innocent ; mais pour un tel dessein J'ai besoin d'un billet écrit de votre main. Puis-je rien refuser à ce que je souhaite ? Je le déchirerai ma figure étant faite ; Dépêche, Philippin, de l'encre, et du papier. Jacinte. Madame il est sorcier, Et si vous écrivez, c'est chose indubitable Qu'il portera soudain votre billet au diable ; On parlera de vous ce soir dans le sabbat. Je l'en refuserais. Ton cœur trop tôt s'abat, Et pour mon intérêt tu te mets trop en peine. Je m'en vais vous dicter, écrivez... D. Juan, je sais bien où vous êtes, Venez me voir dès cette nuit. Nous y voyons une autre fille qui méprise le respect qu'elle doit à son père, pour s'attacher à son amant. « Mais quoiqu'il entreprenne, et quoiqu'il puisse faire, Mon âme craindra peu l'autorité d'un père, Mon cœur est à D. Juan, rien ne le peut forcer. Et son espoir est vain s'il prétend l'en chasser. » Dans la Comédie de la Jalouse d'elle-même, cet entretien d'un maître et d'un valet dans une Eglise n'est-il pas honteux, et sacrilège ? « Entrons dans ce beau Temple... Dieux ! Que viens-je de voir, quelle main adorable. Ah ! c'est la main d'un Ange, elle est incomparable. Qu'ai-je vu, Philippin ? qu'ai-je vu, justes Dieux ! Hé, quoi donc ? Une main qui m'a charmé les yeux, C'est une main de lis, ce sont des doigts de rose : Et mon œil ébloui n'a pu voir autre chose ; La belle était masquée. Une main a pouvoir… Tais-toi, pour en parler il l'aurait fallu voir ; Je jure que la neige, et l'ivoire, et l'albâtre, Ne pourraient de blancheur avec elle débattre. Elle m'a pris d'abord le cœur en ce saint lieu : Je crois qu'elle aurait pris le cœur même d'un Dieu. Qui s'en pourrait défendre ! Ah c'est chose impossible : Cette belle sans doute, est un Ange visible. » Et ce rendez-vous qu'une fille donne dans une Eglise à un amant inconnu, est-il bien honnête ? « Comment est-ce, Monsieur, que vous me connaissez ? Je n'ai connu de vous que cette main d'albâtre, A qui d'abord mon cœur s'est rendu sans combattre ; Et je veux bien gager, qu'à ses divins appas Répond divinement ce que je ne vois pas. Quoi me parler d'amour ?... Je ne vous verrai peut-être de ma vie. Demain au même lieu, s'il vous en prend envie. Quoi, dans les Augustins ? Vous m'y verrez plutôt, Α deux heures j'y viens. » Peut-on concevoir rien de plus détestable que cette maxime impie de la Tragédie intitulée Le jugement équitable de Charles le Hardy dernier Duc de Bourgogne. « Ne craignez rien, suivez vos désirs enflammés, Tout, tout vous est permis, puisqu'enfin vous aimez. Tout crime est beau qui gagne, et donne une maîtresse. » Et peut-on proposer un exemple plus opposé aux bonnes mœurs, que celui d'un mariage politique sans amour pour un mari, et plein d'amour pour un amant ? « Jamais à ce qu'on aime on n'impute d'offense : Quelque doux souvenir prend toujours sa défense : L'amant excuse, oublie, et son ressentiment A toujours malgré lui quelque chose d'amant. Je sais qu'il peut s'aigrir quand il voit qu'on le quitte, Par l'estime qu'on prend pour un autre mérite. Mais lorsqu'on lui préfère un Prince à cheveux gris ; Ce choix fait sans amour, est pour lui sans mépris, Et l'ordre ambitieux d'un Hymen politique, N'a rien que ne pardonne un courage héroïque. Lui-même il s'en console, et trompe sa douleur A croire que la main n'a point donné le cœur. » Je pourrais rapporter une infinité d'autres exemples semblables ; mais j'ai honte de m'arrêter si longtemps dans ces ordures. Ce que j'en ai représenté suffit pour faire voir que les Comédiens n'ont jamais satisfait à la Déclaration du Roi, de sorte qu'ils en ont encouru les peines. Les Comédies les plus honnêtes profanent la sainteté de notre Religion, la représentation d'un amour légitime, et celle d'un amour illégitime font presque le même effet, et n'excitent qu'une même passion, qui agit ensuite diversement, selon les différentes dispositions qu'elle rencontre ; et souvent même la représentation couverte de ce voile d'honnêteté, est plus dangereuse, parce que l'esprit la regarde d'autant plus sûrement, qu'elle y est reçue avec moins d'horreur, et que le cœur s'y laisse aller avec moins de résistance. Y voit-on jamais représenter un mariage Chrétien dégagé de passion de part, et d'autre ? Il faut toujours qu'il y ait quelque transport, il faut que la jalousie y entre, que la volonté des parents se trouve contraire, et qu'on se serve d'intrigue pour le faire réussir, et l'on montre ainsi le chemin à celles qui seront possédées de la même passion, de se servir des mêmes adresses pour arriver à la même fin. Lors même que les Comédiens représentent les actions, et les souffrances des Saints, ils ne peuvent s'empêcher d'y mêler des fictions amoureuses. Ainsi dans la représentation du Martyre de sainte Théodore, il faut que ce soit une intrigue d'amour qui la fasse mourir. Ils la font même parler des mouvements d'une amour déréglée, comme «                                  impressions Que forment en naissant les belles passions. » Si les plus honnêtes Comédies sont si vicieuses, jugez quelles doivent être les autres, où l'impudicité est appelée chasteté, et passe pour telle dans une fille qui n'a qu'un amant, et qui lui abandonne son cœur et son corps, sans lui donner de rival ; où l'opiniâtreté dans le vice, et l'impénitence prennent le nom d'une constance invincible, et en usurpent le mérite, et la couronne. Mais il ne faut pas s'imaginer qu'il n'y ait que l'impureté qui rende les Comédies criminelles ; il y a tant d'autres vices qui les rendent infâmes et indignes des Chrétiens, comme sont les passions d'orgueil, d'ambition, de haine, de vengeance, de désespoir, que les Comédies colorent d'une image de grandeur, et de générosité ; faisant ainsi revivre les vices, et renouvelant les maladies des âmes que la vérité de l'Evangile, et la charité chrétienne ont guéries. La Tragédie du Dictateur Romain représente une fille, qui regarde comme une action généreuse et louable, la mort qu'elle propose de se donner de sa propre main par un transport de désespoir. « Si mon père en vient là, quoique je le révère, S'il faut qu'il vous immole à son courroux sévère ; Autant pour vous venger, qu'afin de le punir, Ma généreuse mort nous pourra réunir : Il faut pour réparer cette rigueur étrange, Si le père nous perd, que la fille nous venge. Je sais que je l'offense en ce haut sentiment, Qui ne peut séparer l'ennemi de l'amant : Que cruelle à mon père, et pour vous pitoyable, Je fais contre un devoir une faute louable ; Pour elle aussi ma mort, comme pour son courroux, Me punit envers lui, le punit envers vous : Elle suivra la vôtre, et l'exemple d'un père, On doutera des deux qui fut le plus sévère, Lui pour garder les lois, moi pour sauver ma foi. Ce qu'il fera sur vous, je le ferais sur moi : La mort nous rejoindra, si la mort nous sépare. » La Morale même des Païens nous apprend qu'il faut suivre la vertu, et rejeter l'ambition, qui cause la ruine des Etats, et de ceux mêmes qui se laissent emporter au dérèglement de cette passion. « Qui poussa, dit Sénèque, César à se perdre, et à perdre la République, que la gloire, et l'ambition, et cet insatiable désir de se voir élevé au-dessus des autres ? il n'en pût souffrir un seul au-dessus de lui, quoique Rome en souffrît deux au-dessus d'elle ? Quoi pensez-vous que Marius qui ne fut qu'une fois Consul, (car il n'obtint qu'un Consulat, et emporta les autres de force.) Pensez-vous, dis-je qu'il se soit exposé à de si grands périls par un mouvement de vertu, lorsqu'il taillait en pièces les Teutons, et les Cimbres, et qu'il poursuivait Jugurthe par les déserts de l'Afrique ? Marius conduisait l'armée, et l'ambition conduisait Marius. Cependant que ces ambitieux ébranlaient tout le monde, ils étaient eux-mêmes ébranlés, et ressemblaient à des tourbillons, qui agitent çà et là ce qu'ils emportent, mais qui sont auparavant agités eux-mêmes, et qui s'emportent avec plus d'impétuosité, parce qu'il n'y a rien en eux qui soit capable de les arrêter : C'est pourquoi ayant causé tant de maux à beaucoup de monde, ils ressentent eux-mêmes les traits de cette funeste violence qui les a rendus les fléaux de tant de personnes. Il ne faut pas que vous vous imaginiez qu'un homme puisse devenir heureux par le malheur des autres. Nous devons rejeter tous ces exemples que l'on nous met devant les yeux, et dont on frappe nos oreilles. Nous devons purger notre cœur de tous les mauvais discours que l'on y a fait entrer. Il y faut rétablir la vertu dans la place qu'on lui avait ravie, afin qu'elle en arrache les mensonges qui avaient paru plus agréables que les vérités ; qu'elle nous sépare du peuple, à qui nous donnons trop de croyance, et qu'elle fasse rentrer dans notre âme les bons et les véritables sentiments. » Voilà quelles sont les instructions de la Philosophie ; et la Comédie au contraire apprend à rejeter la vertu, et à s'abandonner à l'ambition. Ecoutez ces paroles de Marcia, dans la Tragédie de la mort de l'Empereur Commode. « Vous faites vanité d'une vertu sévère ; Mais pour vous jusqu'ici quelqu'appas qu'elle ait eu, C'est un crime à la Cour d'avoir trop de vertu. Ces actions par elle exactement guidées, N'y semblent tenir lieu que de belles idées : Quelque sentier qu'elle offre, on prend le moins douteux, Et qui peut s'élever ne croit rien de honteux. Votre haine, ma sœur, pousse un peu loin le vôtre ; Mais le destin d'autrui ne règle pas le nôtre ; Et fût le précipice ouvert de toutes parts, Il est beau de périr au trône des Césars. » Ecoutez encore ces paroles d'Aufide dans la Tragédie de Sertorius. « Quel honteux contretemps de vertu délicate, S'oppose au beau succès de l'espoir qui nous flate ; Et depuis quand, Seigneur, la soif du premier rang, Craint-elle de répandre un peu de mauvais sang ? L'honneur et la vertu sont des noms ridicules ; Marius, ni Carbon n'eurent point de scrupules. » La Morale des Païens nous apprend que la vengeance est une passion d'inhumanité : qu'il n'y a rien de plus glorieux que de convertir la colère en amitié : que la colère et la haine violent la loi de la nature, et que la vengeance est un aveu de notre ressentiment, et de notre faiblesse ; en un mot, que nous devons être maîtres de nos passions. « Mais la colère est accompagnée de quelque plaisir, et il est doux de rendre le mal qu'on a reçu. Non, dit Sénèque, car il n'est pas honnête de rendre une injure pour une injure, comme il l'est de rendre un bienfait pour un bienfait : il est honteux de se laisser vaincre dans les bienfaits ; et il est glorieux dans les injures : Ce qu'on appelle vengeance, n'est qu'une inhumanité, qu'on couvre néanmoins du nom de Justice. Et ne diffère point de l'outrage, qu'en ce que celui qui outrage offense le premier, et celui qui se venge ne fait que rendre le mal qu'il a reçu, c'est pourquoi son péché est plus excusable... « Toutes les fois que nous aurons peine à pardonner, considérons s'il nous serait avantageux que tout le monde fût inexorable pour nous. Combien de fois celui qui a refusé le pardon, a-t-il été contraint de le demander lui-même ? Combien de fois s'est-il jeté aux pieds de celui qu'il avait repoussé des siens ? Y a-t-il rien de plus glorieux, que changer sa colère en amitié ? « Soyons persuadés que les plus sains, et les plus forts mouvements de notre âme, sont ceux qui suivent la règle de notre volonté, et non pas la promptitude de leur impétuosité. « Pour ne rien dire des maux qui suivent la colère de près, des embuches, et de l'inquiétude perpétuelle pour les événements des combats particuliers ; elle souffre toujours le châtiment qu'elle fait souffrir aux autres. Elle corrompt la nature même : la nature nous exhorte, et nous inviter à l'amour ; et la colère nous porte à la haine ; la nature nous commande de faire du bien à tous les hommes, et la colère nous pousse à leur nuire. Ajoutez encore que l'indignation procède d'une trop bonne opinion de soi-même ; et qu'elle semble courageuse ; néanmoins elle est toujours basse, et n'a pas le cœur si grand qu'elle le veut faire paraître; car celui qui croit avoir été méprisé de quelqu'un, se reconnaît moindre que lui. Mais un cœur véritablement courageux, et qui se connaît bien soi-même, ne se venge pas des injures, parce qu'il n'en ressent point de mal ; comme les traits qu'on a jetés contre des marbres, retournent contre ceux qui les ont jetés, et comme on ne peut frapper sur ce qui est dur, et solide, qu'on ne se fasse mal à soi-même. Ainsi il n'y a point d'injure qui puisse obliger un grand courage d'en avoir du ressentiment, parce qu'elle est trop faible pour offenser celui qu'elle attaque. Combien est-il plus glorieux de mépriser les injures, et les outrages, comme des traits dont on ne peut être blessé ? La vengeance, est un aveu du mal, et de la douleur qu'on ressent. L'esprit que les injures font plier, n'est pas bien fort. Celui qui vous a outragé est-il plus grand, ou moindre que vous ? s'il est moindre ; pardonnez-lui ? S'il est plus grand épargnez-vous vous-même. Il n'y a point de plus grande marque de la grandeur de courage, que de faire paraître qu'il ne peut rien arriver qui soit capable de vous émouvoir. « Il ne faut donc pas se laisser emporter à la colère, ni contre un adversaire, qui vous soit égal, ni contre un moindre, ni contre un plus grand que vous. Il y a du danger à combattre contre son égal. C'est une folie de s'en prendre à un plus grand que soi : et il est honteux de se commettre avec un moindre. » La Comédie détruit toutes ces belles maximes de la Philosophie par les dangereux exemples qu'elle propose des passions, auxquelles elle donne toute leur étendue sans mesure, et sans bornes. Elle représente les transports de colère, de haine, et de vengeance, comme des justes mouvements d'un grand courage : et par la naïveté de ces représentations, elle fait d'étranges impressions dans les esprits des spectateurs, qui n'ont d'eux-mêmes que trop de pente à ces emportements. Peut-on pousser la haine plus avant que fait Emilie dans la Tragédie de Cinna. « Quoi ? je le haïrai sans tâcher de lui nuire ? J'attendrai du hasard qu'il ose le détruire ? Et je satisferai des devoirs si pressants, Par une haine obscure, et des vœux impuissants ? Sa perte que je veux me deviendrait amère, Si quelqu'un l'immolait à d'autres qu'à mon père, Et tu verrais mes pleurs couler pour son trépas, Qui le faisant périr ne me vengerait pas. » Et dans la Tragédie de Sertorius Aristie prend sa haine pour un devoir d'honneur, et de générosité. « Oui, Seigneur, il est vrai que j'ai le cœur sensible, Suivant qu'on m'aime, ou hait, j'aime, ou hais à mon tour, Et ma gloire soutient ma haine, et mon amour. Mais si de mon amour elle est la souveraine, Elle n'est pas toujours maîtresse de ma haine, Je ne la suis pas même, et je hais quelquefois, Et moins que je ne veux, et moins que je ne dois... Rentrez dans mon esprit, jaloux ressentiments, Fiers enfants de l'honneur, nobles emportements, C'est vous que je veux croire, et Pompée infidèle, Ne saurait plus souffrir que ma haine chancelle. » Peut-on voir un plus grand transport de vengeance, que celui de Marcia dans la Tragédie de la mort de l'Empereur Commode ! « L'on me brave, Electus, et ma triste disgrâce D'un orgueilleux mépris enfle l'indigne audace De mon jaloux destin il suit la trahison ; Tu la sais, tu la vois, m'en feras-tu raison ? Je l'attends de toi seul d'un trône qu'on me vole, De sa possession tu m'as porté parole. Et si toujours la gloire est dans ton souvenir, Par son seul intérêt tu me la dois tenir. Madame, plût au Ciel que mon sang, que ma vie Fût le prix des grandeurs que le sort vous envie, Vous le verriez sur l'heure à vos pieds répandu Vous assurer l'éclat du rang qui vous est dû ; Et par ce sacrifice offert à Votre gloire, Mon cœur de mon amour consacrer la mémoire. Mais puisque l'Empereur s'est voulu déclarer, Il n'est plus rien pour vous qu'on en puisse espérer. Malgré le fier refus qui dût aigrir sa flamme, Il n'adore qu'Helvie, elle règne en son âme ; Et j'emploierais en vain tout ce que je vous dois, À forcer sa raison de vous rendre sa foi. Ta parole par là ne saurait être quitte : Non que d'un plein effet mon cœur te sollicite ; Mais puisqu'en mon injure elle doit t'engager, N'y pouvant mettre obstacle, aspire à la venger : Par une belle audace empêche qu'on ne pense Qu'avecque l'Empereur tu fus d'intelligence, Et d'une indignité que je méritais peu. Va dans son lâche sang signer le désaveu. Ta honte est attachée à celle qu'il m'apprête ; Pour te justifier apporte-moi sa tête ; Et d'un noble courroux te laissant enflammer, Parais digne aujourd'hui, d'avoir osé m'aimer, Pour moi contre un tyran c'est lui que tu dois croire, Je te l'ai déjà dit, il y va de ta gloire : Et s'il faut t'exciter, où t'excite l'honneur, J'oserai te le dire, il y va de mon cœur. Dans les doux sentiments que ma vertu te cache, C'est à toi qu'il est dû quand il sera sans tache, Et que ton bras vengeur prompt à me secourir M'aura mise en état de te l'oser offrir. …… Des deux côtés mon cœur trop combattu, Voulant tout par amour n'ose rien par vertu. Quoi ? la tienne en ton cœur souffre tant de faiblesse, Que lui-même il te porte à trahir ta maîtresse ? Tu préfères par elle un tyran à ta foi. S'il l'est pour tout le monde, il ne l'est pas pour moi ; Et lorsqu'en ma faveur chaque jour il s'explique, Pourrais-je prendre part à la haine publique. De tout ce que je suis son bras est le soutien, Pour élever mon sort, il ne réserve rien : Et l'oubli qui suivrait tant de marques d'estime Des plus noires couleurs peindrait partout mon crime. Jugez dans cet oubli quelle en serait l'horreur, Si j'y pouvais encore ajouter la fureur, Et portant un poignard dans le sein de mon maître, Joindre au titre d'ingrat, l'infâme nom de traître. Je sais qu'à ton destin il abaissa le sien : Que tu lui dois beaucoup ; mais ne me dois-tu rien ? Tout où son intérêt ne combat point le vôtre. Et bien il t'est aisé d'accorder l'un et l'autre, Et le Ciel aujourd'hui te laisse le pouvoir De contenter l'amour, et remplir ton devoir. Ne vois que mon injure, et non pas qui m'affronte, Sans songer dans quel sang, cours en laver la honte. Et si pour moi ton bras avec justice armé, Par la mort d'un tyran, croit s'être diffamé ; Soudain pour satisfaire à ta gloire outragée, Venge-le sur moi-même après m'avoir vengée Et de ce même fer qui bornera son sort, Ote-moi la douceur de jouir de sa mort ; Ainsi tu donneras sans être ingrat, ni traître, Sa vie à ta maîtresse, et la mienne à ton maître : Ainsi vers lui vers moi tu seras dégagé, Si m'ayant satisfaite il meurt sur moi vengé... Tu perds temps, il me faut ou son trône ou sa tête. » Voilà des plus noirs, et des plus cruels transports de vengeance qu'on puisse concevoir, qu'on colore néanmoins du nom de justice, de générosité, de gloire, et d'honneur. Les sages Païens ont condamné ces dérèglements dans les Tragédies, et dans les Comédies de leur temps, comme nous l'avons montré dans la 3. partie de la 5. Observation du Chapitre 2. Et des Chrétiens n'ont pas de honte de les faire revivre, en profanant la sainteté de notre Religion ?   Quoiqu'en dise l'Auteur de la Dissertation, il n'est pas vrai que depuis la Déclaration du Roi de l'an 1641. « on n'ait rien laissé dans les Comédies, et les Tragédies de ce qui les avait exposées justement à l'indignation des personnes d'honneur, et à la peine des lois » : Car les exemples des Comédies, et des Tragédies que je viens de rapporter sont des preuves certaines, et incontestables du contraire ; et nous font voir que les Comédiens n'ont jamais gardé ce qui leur est enjoint par cette Déclaration, de sorte qu'ils en ont encouru les peines. En effet on ne les a point considérés depuis moins infâmes qu'auparavant ; comme il est aisé de le montrer. Ils sont exclus comme auparavant de toutes dignités, et de toutes charges publiques. Ils sont tenus pour excommuniés comme auparavant ; on leur refuse encore aujourd'hui l'absolution dans leurs Paroisses, s'ils ne promettent de quitter ce métier. Et cela est si notoire dans Paris, qu'il n'est pas besoin de l'éprouver. Dissertation pag. 243. et 244. « Il y a cinquante ans qu'une honnête femme n'osait aller au Théâtre, ou bien il fallait qu'elle fût voilée, et tout à fait invisible ; et ce plaisir était comme réservé aux débauchées, qui se donnaient la liberté de le regarder à visage découvert. Mais aujourd'hui les femmes d'honneur et de qualité s'y trouvent en foule avec toute liberté, au lieu que celles dont le désordre a signalé la vie, et le nom, n'osent plus y paraître que sous le masque, et dans un déguisement qui les condamne. « Il est certain néanmoins que depuis quelques années notre Théâtre se laisse retomber peu à peu dans sa vieille corruption, et que les farces impudentes, et les Comédies libertines, où l'on mêle bien des choses contraires au sentiment de la piété, et aux bonnes mœurs, ranimeront bientôt la justice de nos Rois, et y rappelleront la honte et les châtiments. » X. Réfutation. L'Auteur de la Dissertation reconnaît que le Théâtre il y a cinquante ans était si peu honnête, qu'une honnête femme n'osait y aller ; et il avoue que depuis quelques années il se laisse retomber dans sa vieille corruption, et que l'on y représente des choses si contraires au sentiment de la piété, et aux bonnes mœurs ; que ces excès ranimeront la justice de nos Rois, et y rappelleront la honte, et les châtiments ; Il devait ajouter, et que le zèle de nos Prélats les portera à déployer contre ces dérèglements la force des armes spirituelles que Dieu leur a mises en main. Cependant l'Auteur de la Dissertation sans faire réflexion sur ces désordres des Comédies qu'on joue aujourd'hui, ne laisse pas de dire, qu'aujourd'hui les femmes d'honneur se trouvent en foule à la Comédie avec toute liberté. Quelle autre conclusion peut-on tirer de ce discours, sinon que quelques déréglées que soient les Comédies, les femmes d'honneur s'y sont apprivoisées, de sorte qu'elles se plaisent aujourd'hui à voir, et à écouter des choses qui les eussent fait rougir il y a cinquante ans. Vraiment les femmes d'honneur lui ont bien de l'obligation, et elles lui en doivent des remerciements. Mais en attendant qu'on s'acquitte envers lui, de ce devoir, voyons si les gens d'esprit, et de piété approuvent que les femmes se plaisent à la Comédie. Comme la passion de l'amour, disent-ils, est la plus forte impression que le péché ait fait dans nos âmes, ainsi qu'il paraît assez par les désordres horribles qu'elle produit dans le monde ; il n'y a rien de plus dangereux que de l'exciter, de la nourrir, et de détruire ce qui la retient. Or le principal frein, qui sert à l'arrêter, est une certaine horreur que la coutume, et la bonne éducation en impriment, et rien ne diminue davantage cette horreur que la Comédie, parce que cette passion y paraît avec honneur, et d'une manière qui au lieu de la rendre horrible, est capable au contraire de la rendre aimable : Elle y paraît sans honte ; on y fait gloire d'en être touché. Ainsi l'esprit s'apprivoise peu à peu : on apprend à la souffrir, et à en parler, et l'âme s'y laisse ensuite doucement aller, suivant la pente de la nature. Les femmes voyant sur le théâtre les adorations qu'on y rend à celles de leur sexe, dont elles voient l'image, et la pratique dans les compagnies de divertissement, où de jeunes gens leur débitent ce qu'ils ont appris dans les Comédies, et les traitent en Nymphes, et en Déesses, s'impriment tellement dans la fantaisie cette sorte de vie, qu'elles sont bien aises de tenir dans le cœur des hommes une place qui n'appartient qu'à Dieu seul, en prenant plaisir d'être l'objet de leurs passions : Elles sont bien aises qu'on s'attache à elles, qu'on les regarde avec des sentiments non seulement d'estime, mais de tendresse : et elles souffrent sans peine qu'on le leur témoigne par ce langage profane que l'on appelle cajolerie, qui est l'interprète des passions, et qui dans la vérité, est une sacrilège idolâtrie. Et comme elles ne s'occupent que de ces galanteries, elles prennent insensiblement une disposition d'esprit toute Romanesque, qui les dégoûte tellement de toutes les actions sérieuses, que les petites affaires de leur ménage leur deviennent insupportables : et quand elles reviennent dans leurs maisons avec cet esprit évaporé, et tout plein de ces folies, elles y trouvent tout désagréable, et surtout leurs maris, qui étant occupés de leurs affaires, ne sont pas toujours en humeur de leur rendre des complaisances ridicules, qu'on rend aux femmes dans les Comédies. C'est ce que l'expérience fait voir tous les jours ; de sorte que ce n'est pas sans raison que le peuple même estime qu'une femme est d'autant plus vertueuse, que plus elle s'éloigne du Théâtre. Ce sentiment est si commun que les Comédies même en rendent témoignage. Ainsi l'on voit Dans celle des soupçons sur les apparences, un mari qui décrivant les vertus de sa femme, n'oublie pas le détachement des spectacles du Théâtre. « Elle sort peu de jour, et point du tout de nuit, Quoique belle, que jeune, et que Parisienne, L'on trouve peu d'humeurs semblables à la sienne : Elle aime la retraite, et fait son entretien D'un livre dont l'Auteur à son gré parle bien,   Elle ne fut jamais jusqu'à ce point hardie, De voir sans mon aveu, ni bal, ni Comédie. » Dissertation pag. 245. « Et j'estime que tous les honnêtes gens ont intérêt de s'opposer à ce désordre renaissant, qui met en péril, et qui sans doute ruinera le plus ordinaire, et le plus beau des divertissements publics ; Car l'opinion des doctes Chrétiens, est que la représentation des Poèmes Dramatiques ne peut être condamnée quand elle est innocente, quand elle est honnête. » XI. Réfutation. Il n'y a point de doute que si les Comédies sont innocentes, et honnêtes, tant en elles-mêmes, que dans leurs circonstances, et dans leurs effets, on ne les peut condamner ; Mais la question est si celles qu'on représente sur le Théâtre sont telles. C'est ce qu'il fallait prouver : Il fallait produire des exemples des Comédies que les doctes Chrétiens eussent jugées innocentes. S'il y en a quelques-unes, je suis assuré que l'Auteur de la Dissertation demeurera d'accord que ce sont celles que l'Abbé d'Aubignac a composées, ou dont il a donné la disposition. J'ai trouvé une Tragédie intitulée la vraie Didon, que l'Abbé Boisrobert a fait représenter sur une disposition que l'Abbé d'Aubignac lui avait donnée, comme le sieur Corneille le témoigne dans la Préfacé de sa Sophonisbe, « Le grand éclat, dit-il, que M. de Scudéry a donné à sa Didon, n'a point empêché que M. Boisrobert n'en ait fait voir une autre trois ou quatre ans après, sur une disposition qui lui en avait été donnée, à ce qu'il disait, par M. l'abbé d' Aubignac. » Examinons donc cette pièce, et voyons si elle est innocente, voici ce qu'elle représente : Didon Reine de Carthage étant assiégée dans cette ville par Hyarbas Roi de Gétulie ; Pygmalion Prince de Tyr et frère de Didon, la vient secourir avec une armée si puissante, que le Roi de Gétulie demande une entrevue pour traiter de la Paix : où dans l'entretien qu'il a avec le Prince de Tyr, il lui déclare qu'il ne prétend autre chose que d'épouser la Reine sa sœur. Le Prince de Tyr fait tous ses efforts pour porter sa sœur à ce mariage, mais cette Reine n'y veut point consentir, parce, dit-elle, qu'elle aimerait mieux mourir que de manquer à la fidélité qu'elle avait promise par un vœu solennel aux cendres de feu son mari Sichée. Ce Prince voyant qu'il ne peut vaincre la résolution de sa sœur, promet au Roi de Gétulie de réduire Didon dans un tel état qu'il lui sera facile de l'enlever. Et pour cet effet il retire ses troupes dans Carthage, et s'en rend le maître. Didon se voyant abandonnée, et prête à tomber, entre les mains d'Hyarbas par la trahison de son frère, se perce le sein d'un coup de poignard, et se tue. Et à son exemple Hyarbas se donne aussi la mort. Voilà de grands crimes que cette Tragédie représente, la trahison d'un frère qui se rend complice de l'enlèvement de sa sœur ; et la mort que Didon, et Hyarbas se donnent de leur propre main. Or selon les règles de la Religion Chrétienne, si la trahison, le rapt, et la mort qu'on se donne à soi-même, sont des crimes ; c'est un crime aussi que de les représenter. « Et c'est pour cela même, dit S. Chrysostome, que les Acteurs de ces représentations sont dignes de mille morts, d'exposer aux yeux de tout le monde des désordres qui sont défendus par toutes les lois. » « Si les Tragédies, dit Tertullien , et les Comédies sont des représentations de crimes ; elles sont sanglantes, et impies ; car la représentation d'un crime énorme n'est point meilleur que ce qu'elle représente : Comme il n'est point permis de commettre un crime ; il n'est point aussi permis de le représenter. » Ainsi il n'y a point de Chrétien qui puisse avec raison justifier la disposition de cette Tragédie de Didon ; et moins encore l'expression de ses vers. Peut-on exprimer une passion de haine avec plus d'impiété, qu'en faisant dire à Didon ? « Mais quand je me verrais capable dans ce jour De la tentation d'une seconde amour, De celle d'Hyarbas je serais incapable, Je ne saurais le voir, il m'est insupportable. …… Enfin je pourrais perdre et la crainte des Dieux, Et l'amour de Sichée, et le respect des cieux, Que je ne perdrais pas la haine insatiable, Que j'ai pour ce tyran qui m'est insupportable. » En un autre endroit, Didon ayant dit à Hyarbas qui la recherchait en mariage, qu'elle ne pouvait disposer de soi ; parce qu'elle avait fait un vœu solennel de ne se point marier, voici ce que ce Roi lui répond « Amour est le plus grand, il vous fera connaître Qu'on ne doit qu'à lui seul, qui des Dieux est le maître ; Il vous dispensera, comme il fait les amants, De tous vos vœux, Madame, et de tous vos serments. » Qu'eût dit Cicéron s'il eut ouï réciter ces vers sur les Théâtres des Païens, lui qui ne pouvait pas même souffrir qu'on mit l'amour au rang des Dieux ? et qui s'écriait : « O que la Poétique est une admirable réformatrice des mœurs, laquelle place dans l'assemblée des Dieux, l'amour qui est l'auteur du vice, de l'extravagance et de la légèreté. » Dans la 3. Scène du 2. Acte, Hyarbas ayant proposé à Pygmalion Prince de Tyr, et frère de Didon, de tirer cette Reine hors de sa tente sous prétexte d'une entrevue, afin de la pouvoir enlever, voici comme ce Prince se rend complice de cet enlèvement. « Je puis sur ce projet seconder votre attente, Oui je la puis tirer encore de sa tente. …… J'approuve cet avis, et m'en vais de ce pas, Tandis que vous irez disposer cette affaire, Travailler de ma part à ce qu'il faudra faire. …… » Et n'ayant pu tirer sa sœur Didon hors de sa tente, il prend résolution de se retirer avec ses troupes dans Carthage, et d'exposer sa sœur a la passion d'Hyarbas Roi de Gétulie, à qui il donne avis de son dessein en ces termes : « Vous pouvez dire au Roi qu'il ne tiendra qu'à lui Qu'en amour, et qu'en guerre il ne vainc aujourd'hui, Qu'il vienne à force ouverte en notre camp paraître ; Qu'il attaque la Reine, et qu'il s'en rende maître : Dans Carthage pour moi je me vais retirer, Et ravir à Didon tout sujet d'espérer, Afin que si le Roi veut contre elle entreprendre, Elle n'ait aucun lieu de se pouvoir défendre. » Ce frère traître, et inhumain ne se contente pas de trahir sa sœur, et de l'abandonner à la passion de son ennemi, il s'empare encore de sa ville, et de son Palais ; il lui ravit ses trésors ; voici la nouvelle qu'un Officier de la ville de Carthage en apporte à Didon : « Je vous viens avertir Que Carthage a reçu tous les soldats de Tyr, Et que Pygmalion qui passe pour un traître, Sans peine du Palais se vient de rendre maître, Car nous n'avions pas lieu de craindre ses efforts : Il passe bien plus outre, il pille vos trésors. » Faut-il donc pour divertir des Chrétiens, représenter tant de crimes qui font même horreur aux Païens ? Et notre Religion permet-elle d'exposer aux yeux des fidèles la mort que Didon se donne par un transport de haine, et de désespoir, comme une mort généreuse ? Car voici comme cette Reine parle dans cette Tragédie, en se perçant le sein d'un coup de poignard. « Traître Pygmalion frère dénaturé, Et toi cruel tyran contre moi conjuré, Voyez où vos fureurs dans leur rage inhumaine Ont réduit le dessein d'une si grande Reine. C'est vous qui m'avez mis ce poignard à la main, Et qui levez mon bras, et qui percez mon sein, Et vous urne sacrée où repose la cendre De celui qui m'a fait tant de larmes répandre, Restes inanimés de mon fidèle Epoux, Je vous prends à témoins que ce juste courroux, Ce noble désespoir, et cette hardiesse, Ne tendent qu'à l'effet de ma sainte promesse. Je vous conjure au moins voyant ma pureté, D'apprendre mon histoire à la postérité, Et tous les vrais motifs de ma mort généreuse. » Si l'on me dit que l'Auteur de cette Tragédie fait parler une Reine Païenne selon les sentiments de sa Religion ; Je réponds que cela ne suffit pas pour justifier un Chrétien, qui ne doit jamais publier des maximes Païennes qui ne peuvent servir qu'à corrompre les mœurs, et à violer les lois. Car il arrive souvent que le peuple qui apprend ces sentiments pernicieux, et ceux mêmes qui s'appliquent à les débiter, en remplissent tellement leur esprit, qu'ils en deviennent insensiblement infectés. C'est ce qui est arrivé à l'Auteur de cette Tragédie de la vraie Didon ; car il ne propose pas seulement cette détestable maxime, que la mort d'une personne qui se tue, est une action de vertu, et de générosité, comme un sentiment de Didon ; mais il témoigne aussi dans l'Epître qu'il a mise à la tête de cette pièce, et qu'il adresse à une Dame de grande qualité, que c'est son propre sentiment : « C'est, dit-il, Madame, la véritable Didon que je vous présente, cette Didon chaste et généreuse, qui dans les violentes recherches du plus puissant Roi d'Afrique, aima mieux se donner la mort, que de manquer à la fidélité qu'elle avait promise aux cendres de son époux. C'est en un mot la vertu que je présente à la vertu même. » Est-il croyable que cet Abbé ait ignoré combien l'Eglise estime criminelle l'action de ceux qui se tuent eux-mêmes ? Ne savait-il pas qu'elle met ce crime au rang des péchés qui vont à la mort ; et qu'elle défend de faire des prières pour ceux qui l'ont commis ? N'avait-il point lu dans S. Augustin que se tuer soi-même, est une action de faiblesse, et de désespoir, et non pas de générosité ? Et s'il avait au moins consulté Aristote, il lui aurait appris, « que se tuer soi-même pour éviter la pauvreté, l'amour, ou quelque chose fâcheuse, n'est point une action d'un homme généreux, mais plutôt d'un homme lâche, et timide, car c'est, dit-il, le propre de la lâcheté de fuir ce qui est pénible : Et celui qui se donne la mort, ne se propose pas cette action comme une chose honnête ; mais comme le seul moyen qu'il a de se délivrer d'un mal qu'il appréhende. » Certes je ne crois pas que M. Boisrobert ait ignoré ces choses : j'ai sujet même de ne pas douter qu'il ne sût bien que puisque les Canons déclarent que c'est un crime aux Ecclésiastiques de lire les Comédies, et les Tragédies pour le plaisir qu'ils prennent dans cette lecture ; c'en est encore un plus grand de composer des pièces de Théâtre, ou d'en donner la disposition pour son divertissement, et pour celui du peuple : Car dans l'Epître d'une de ses Comédies intitulée La jalouse d'elle-même, qu'il dédie à M. le Marquis de Richelieu, il avoue en termes exprès que les ouvrages Comiques sont indignes de la profession des personnes qui sont consacrées au service de Dieu et de son Eglise… « Ne trouvez pas étrange, dit-il à ce Seigneur, si j'ose vous dédier ce petit ouvrage Comique, qui semble être aussi peu digne de ce nom illustre, qu'il paraît peu convenable à ma profession. Je confesse, Monsieur, que l'un et l'autre devaient attendre de ma Muse un début plus noble et plus sérieux.  » Mais puisque cet Abbé reconnaissait que les Comédies étaient indignes de sa profession ; pourquoi donc s'y occupait-il, pourquoi autorisait-il les sentiments pernicieux qu'il y publiait ? C'est que la passion qu'il avait pour tout ce qu'il estimait capable de plaire aux Grands, et de leur donner du divertissement, lui faisait oublier ce qu'il devait à sa profession. Il le déclare lui-même naïvement, et ne le dissimule point, « Mais, dit-il, après avoir consulté quelques amis sages, j'ai trouvé par leur avis que je pouvais sans blesser la bienséance, chercher en l'âge où vous êtes quelque matière à votre divertissement, en attendant que vous m'en fournissiez vous-même pour votre gloire. Ce petit début ne me sera point inutile, si par lui je trouve l'art de vous plaire, que je cherche avec passion il y a longtemps. » En vérité cet Abbé ne se justifie pas bien ; mais il est au moins plus sincère que l'Auteur de la Dissertation ; car s'il s'occupe à composer des pièces de Théâtre ; il reconnaît de bonne foi qu'il ne suit pas en cela les Règles de la discipline Ecclésiastique ; l'Auteur de la Dissertation au contraire soutient que ces sortes d'ouvrages sont des innocents plaisirs de ses études : il prétend que la représentation des Poèmes Dramatiques sur le Théâtre, est digne des Chrétiens, que c'est le plus beau des divertissements publics, que les Papes, et les Princes Chrétiens l'ont approuvé ; qu'il n'a point été condamné, et que c'est enfin l'opinion des doctes Chrétiens qu'il ne le peut être. J'ai réfuté ci-dessus toutes ces propositions de l'Auteur de la Dissertation ; il ne reste ici qu'à faire voir qu'il n'a pas bien consulté les doctes Chrétiens ; ce qui n'est pas difficile à montrer. Car s'il les eût bien consultés, il aurait trouvé qu'ils condamnent la Comédie et les défenseurs de la Comédie. « Il y a , dit le Père Guzman Jésuite , des défenseurs, et des protecteurs des Théâtres, et des Comédies : et ils ne sont pas en petit nombre, ni de petite autorité. C'est de ces personnes que parle le Prophète Isaïe avec assez de ressentiment. Isaïe 5. v. 20. “Malheur à vous qui appelez bon, ce qui est mauvais : et mauvais, ce qui est bon : qui donnez le nom de lumières aux ténèbres, et le nom de ténèbres à la lumière : qui dites, que ce qui est amer est doux ; et que ce qui est doux est amer.” Ils confondent sans doute les choses, ils en changent les noms ; ils couvrent du voile d'honnêteté, ce qui est mauvais et nuisible, ils s'aveuglent eux-mêmes, et tâchent d'aveugler les autres afin qu'ils ne le voient pas. » « La mauvaise coutume , dit Mariana , aveugle les esprits, et la licence trouve des protecteurs, qui tâchent de défendre ce que nous voyons faire tous les jours. Il y a même de grands Théologiens, qui faisant un mauvais usage leur loisirs et de leur science, osent soutenir, que les représentations des Comédies sont conformes au droit et à l'équité. Il est fort aisé de les réfuter, et de les convaincre par le témoignage, et par l'autorité des Anciens Théologiens, qui sont tous d'un même sentiment sur ce point : Et je ne crois pas que les Docteurs de notre siècle veuillent s'en éloigner. Il n'est pas difficile de découvrir ces illusions qui déguisent la vérité, mais il est très difficile de détourner le peuple de ces folies, si les Magistrats qui en doivent prendre le soin, n'y emploient l'autorité publique. » Ces Jésuites étaient de doctes Chrétiens, et ils n'étaient pas néanmoins de l'opinion de l'Auteur de la Dissertation. Mais ils étaient persuadés au contraire, qu'il fallait entièrement abolir les représentations des Poèmes Dramatiques que les Comédiens font sur le Théâtre ; parce que ces pièces ne pouvaient être innocentes, ni entièrement honnêtes : « Après avoir considéré, dit le Père Guzman, tout ce que nous avons dit, et l'expérience de tant de siècles nous ayant fait connaître qu'il est impossible de modérer, de réformer, et d'ajuster les Comédies avec des règles de la raison, en ôtant tout ce qu'il y a de sale, et de déshonnête, et qu'en l'état où elles sont maintenant pour l'ordinaire et où elles ont toujours été, elles sont comme l'Hydre de Lerne, à qui lorsqu'on coupait une tête, il en renaissait une autre ; ou comme un bras si gâté de gangrène, qu'il est plus facile et plus salutaire de le couper tout à fait, que d'en retrancher ce qui est pourri, qui en est la plus grande partie ; j'estime qu'il vaut mieux bannir ces Comédies de la République Chrétienne, que de les réformer et de les tolérer. » « J'estime, dit le Père Mariana , comme font aussi plusieurs autres, qu'il serait utile à l'Etat, que les Comédiens qui ne montent sur le Théâtre que pour le gain, fussent entièrement rejetés : car ils tentent toutes les voies d'où ils peuvent tirer de l'argent : il n'y a point d'impureté dont ils ne se souillent, et qu'ils n'inspirent aux autres pour cet effet, etc. « C'est pourquoi, s'il en fallait faire le choix, j'aimerais mieux que les Comédiens représentassent des fables profanes, que des histoires sacrées ; parce que je suis persuadé qu'ils ne les sauraient représenter avec la décence, et l'honnêteté qu'elles demandent, tant à cause de l'infamie de leurs personnes, que de la corruption, et du dérèglement de leur vie, et de leurs mœurs. » « Il faut regarder , disent d'autres doctes Chrétiens, quelle est la vie d'un Comédien et d'une Comédienne, quelle est la matière, et le but des Comédies, et quels effets elles produisent d'ordinaire dans les esprits de ceux qui les représentent, ou qui les voient représenter, quelles impressions elles leur laissent ; et examiner ensuite si tout cela a quelque rapport avec la vie, les sentiments, et les devoirs d'un véritable Chrétien. « Il est impossible qu'on considère le métier de Comédien, et qu'on le compare avec la profession Chrétienne, qu'on ne reconnaisse qu'il n'y a rien de plus indigne d'un enfant de Dieu, et d'un membre de Jésus-Christ que cet emploi. On ne parle pas seulement des dérèglements grossiers, et de la manière dissolue dont les femmes y paraissent (parce que ceux qui prétendent justifier la Comédie, en séparent toujours ces sortes de désordres par l'imagination, quoique on ne les sépare jamais effectivement.) On ne parle que de ce qui en est entièrement inséparable, C'est un métier qui a pour but le divertissement des autres ; où des hommes et des femmes paraissent sur un Théâtre pour y représenter des passions de haine, de colère, d'ambition, de vengeance, et principalement d'amour. Il faut qu'ils les expriment le plus naturellement, et le plus vivement qu'il leur est possible ; et ils ne le sauraient faire, s'ils ne les excitent en quelque sorte en eux-mêmes, et si leur âme ne prend tous les plis que l'on voit sur le visage. Il faut donc que ceux qui représentent une passion d'amour, en soient en quelque sorte touchés, pendant qu'ils la représentent. Et il ne faut pas s'imaginer que l'on puisse effacer de son esprit cette impression qu'on y a excitée volontairement, et qu'elle ne laisse pas en nous une grande disposition à cette même passion que l'on a bien voulu ressentir. Ainsi la Comédie par sa nature même est une école et un exercice de vice, puisque c'est un art, où il faut nécessairement exciter en soi-même des passions vicieuses. Que si l'on considère que toute la vie des Comédiens est occupée dans cet exercice, qu'ils la passent toute entière à apprendre en particulier, ou à répéter entre eux, ou à représenter devant des spectateurs l'image de quelque vice, qu'ils n'ont presque autre chose dans l'esprit, que ces folies ; on verra facilement qu'il est impossible d'allier ce métier avec la pureté de notre Religion : et ainsi il faut avouer que c'est un métier profane, et indigne d'un Chrétien ; que ceux qui l'exercent, sont obligés de le quitter, comme tous les Conciles le leur ordonnent, et par conséquent qu'il n'est point permis aux autres de contribuer à les entretenir dans une profession contraire au Christianisme, ni de l'autoriser par leur présence. » Et ce qui doit faire rougir les Chrétiens qui se déclarent pour la défense des Comédies ; les Païens mêmes ont reconnu que les Comédies ne peuvent être innocentes ni honnêtes : « La Comédie, dit Cicéron, ne pourrait subsister, et serait il y a longtemps exterminée si nous n'approuvions tous ces crimes. » Et la raison en est, parce que l'unique but de la Comédie est de plaire au peuple, dont le plus grand nombre étant vicieux, il faut nécessairement que la Comédie ait quelque chose de vicieux pour lui être agréable. Cela est si certain qu'un des plus célèbres Auteurs de Comédies est obligé de reconnaître que la fin de leur art n'est point d'avoir égard aux bonnes mœurs. « Pourvu, dit le sieur Corneille, que les Auteurs de Comédie aient trouvé le moyen de plaire, ils sont quittes envers leur art ; et s'ils pèchent, ce n'est pas contre lui, c'est contre les bonnes mœurs.… Celui qui joint l'utile à l'agréable, fait plus qu'il n'était obligé de faire... « Aristote ne tient point du tout nécessaire la partie qui regarde les mœurs, puisqu'il permet de la retrancher entièrement ; et demeure d'accord qu'on peut faire une Tragédie sans mœurs. » Et sur l'objection qu'il se fait, qu'il semble qu'il ait péché contre les bonnes mœurs dans la Comédie du Menteur ; en représentant de mauvaises actions qui ont été heureusement récompensées ; « Car il est certain que les actions de Dorante ne sont pas bonnes moralement, n'étant que fourbes, et menteries ; et néanmoins il obtient enfin ce qu'il souhaite ». Il répond en ces termes : « Quant à la maxime touchant la récompense des bonnes actions, et la punition des mauvaises ; c'est une règle imaginaire, qui est entièrement contre la pratique des Anciens. » Dissertation pag. 245. « Je ne prétends point ici néanmoins traiter les questions qui pourraient naître de ce discours, et dont il est plus facile de s'instruire que des curiosités enveloppées des ténèbres du vieux temps. Je me contente d'avoir expliqué ce qui s'est fait parmi les anciens, et ce que nous avons fait ensuite des pensées raisonnables qu'ils ont eues, ou en réformant ce qu'ils avaient mal introduit. » AVERTISSEMENT. La lecture de ces Observations, et de ces Réfutations fera voir que l'Auteur de la Dissertation aurait mieux fait pour son honneur, et pour sa conscience de n'avoir jamais rien écrit sur cette matière. Dissertation pag. 246. etc. « Et pour ne pas abandonner entièrement cette dernière pensée favorable à la représentation des Poèmes Dramatiques, je l'appuierai seulement du témoignage de saint Thomas, qui par sa profession, par la sainteté de sa vie, et par l'excellence de sa  doctrine, est tenu partout pour l'Ange de l'Ecole, et pour le plus célèbre de tous nos Docteurs. Il propose comme une grande difficulté dans l'instruction qu'il nous donne touchant la modestie  ; “Que les Histrions semblent pécher contre cette vertu par l'excès de divertissement, en ce qu'ils n'ont point d'autre pensée en toute leur vie que de jouer : de sorte que si cet excès est un péché ; les Histrions devraient être toujours dans un état de péché mortel, comme aussi tous ceux qui se divertiraient par leur entremise, ou qui soutiendraient cet art par leurs libéralités : ce qui n'est pas véritable ; au contraire nous lisons dans la vie des Pères que saint Paphnuce apprit par révélation, qu'un certain Acteur de son temps lui serait quelque jour égal en la possession de la gloire du Ciel.” Et pour réponse à cette objection cet illustre Théologien dit : “Que le divertissement est nécessaire à l'entretien de sa vie humaine, et que pour y parvenir on peut établir quelques emplois licites, comme l'art et le ministère des Histrions ; que quand on le fait pour cette fin, on ne peut pas dire que leur exercice soit défendu, ni qu'ils soient en état de péché, quand ils le font avec quelque modération, c'est-à-dire, sans y mêler des paroles malhonnêtes, et des actions impudentes, pourvu que ce soit en des temps, et parmi des affaires qui n'y répugnent pas. Et bien qu'à l'égard de la vie civile ils n'aient point d'occupation sérieuse, ils en peuvent avoir de bonnes à leur égard, et devant Dieu, comme faire des prières, retenir leurs passions, régler leurs œuvres, et donner aux pauvres. D'où il s'ensuit que ceux qui leur font des libéralités, ne pèchent point, et qu'au contraire ils font justice en les payant du service qu'ils en reçoivent, si ce n'est qu'ils y consument leur bien en des vaines profusions, ou qu'ils le donnent à des bouffons qui ne s'emploient qu'à des divertissements illicites ; parce que c'est entretenir et favoriser leur péché.” « Je veux bien qu'en cet endroit S. Thomas parle des Histrions au sens des derniers siècles, et qu'il comprenne sous ce nom les Acteurs des Poèmes Dramatiques. Car si l'on n'entendait par ce terme que les Mimes, et les Farceurs, son autorité serait encore plus avantageuse aux autres, que l'on ne pourrait pas condamner contre la résolution de ce grand Théologien, qui serait favorable à ceux-là même que les Grecs méprisaient, que les Romains tenaient infâmes, et que jamais on ne leur doit comparer. « C'est par où je finis cette Dissertation ; car après l'autorité d'un personnage si célèbre, je n'ai rien d'assez considérable pour donner quelque lumière à sa doctrine, ni pour ajouter quelque ornement à mon discours. » XII. Réfutation. L'Auteur de la Dissertation a mal traduit, et encore plus mal entendu ce passage de S. Thomas. C'est pourquoi je suis obligé d'en faire une fidèle traduction, et d'en donner une véritable explication. La question qui est agitée dans cet article, est : « Si dans l'excès du jeu et du divertissement, il peut y avoir quelque péché. » Saint Thomas selon sa coutume propose les raisons de part et d'autre ; et entre celles qu'il rapporte pour prouver qu'il n'y a point de péché, il allègue celle-ci ; « Il semble qu'il y ait de l'excès principalement dans le divertissement des Histrions qui passent toute leur vie à jouer. Si l'excès donc du divertissement était un péché, il s'ensuivrait que tous les Histrions seraient dans un état de péché ; et que tous ceux qui se serviraient de leur ministère, ou qui leur donneraient quelque chose, pècheraient aussi, comme favorisant leur péché : ce qui semble être faux ; Car nous lisons dans la vie des Pères, que S. Paphnuce apprit par révélation qu'un Jongleur ou Joueur de flûtes lui serait égal dans la vie future. » Voici la réponse de S. Thomas : « Le divertissement étant nécessaire à la conversation des hommes, on peut établir quelques métiers licites pour tout ce qui peut servir à la conversation. C'est pourquoi le métier des Histrions, qui tend à soulager et à délasser les hommes, n'est pas de soi-même illicite ; et ils ne sont pas dans un état de péché, pourvu qu'ils en usent avec modération ; c'est-à-dire, pourvu qu'ils ne mêlent point dans leurs jeux aucunes paroles, ni aucunes actions illicites ; et qu'ils ne les fassent point ni en des rencontres, ni en des temps qu'on ne les doit pas faire. Et quoique dans la vie civile ils n'aient point d'autre occupation à l'égard des autres hommes ; néanmoins à leur égard, et à l'égard de Dieu, ils font des actions sérieuses, et vertueuses, par exemple lorsqu'ils font des prières, qu'ils règlent leurs passions, et leurs actions, et qu'ils font quelques aumônes aux pauvres. C'est pourquoi ceux qui les assistent avec modération, ne pèchent point ; mais ils font justice, en les payant du service qu'ils en reçoivent. Quant à ceux qui consument leur bien en de vaines profusions qu'ils leur font, ou qui assistent ces Histrions qui font des Jeux illicites ; Ils pêchent, comme les entretenant dans leur péché. “Donner son bien aux Histrions, dit saint Augustin, c'est un crime énorme, si ce n'est que quelqu'un d'eux fût dans une extrême nécessité : auquel cas on est obligé de l'assister." "Donnez à manger, dit S. Ambroise, à celui qui meurt de faim ; car lorsque vous pouvez sauver la vie à un homme, en lui donnant à manger ; si vous ne le faites pas, vous vous rendez coupable de sa mort.” » I. EXPLICATION DE CE PASSAGE de saint Thomas. La première explication de ce passage, est, que saint Thomas en cet endroit ne parle que des Jongleurs, ou des Joueurs de flûtes, comme il paraît par l'exemple tiré de la vie des Pères, qu'il allègue, et que nous rapporterons ci-après. Il semble même qu'Astesan, qui a écrit quelque temps après S. Thomas, l'ait ainsi entendu dans sa Somme : « On appelle, Histrion, dit-il, celui qui par quelque instrument, ou par des gestes, et des postures de son corps tâche de faire rire les hommes, et de les porter à une folle réjouissance : Or celui qui lui donne pour cela, sacrifie au Diable ; c'est-à-dire, il pèche : Car, selon saint Jérôme, donner aux Mimes, et aux Histrions, n'est autre chose que sacrifier aux démons. Que si l'on donne à un Histrion à cause qu'il est dans l'indigence ; on fait une bonne œuvre ; comme aussi si on lui donne à cause qu'il sait jouer des instruments pour soulager et délasser la nature infirme, et désolée, on ne pèche point. » Si l'on entend le passage de saint Thomas selon cette explication ; l'Auteur de la Dissertation n'en peut rien inférer pour ce qui regarde les Acteurs des Poèmes Dramatiques, puisqu'il n'en est point parlé dans ce passage, selon cette explication. Et si l'on en pouvait inférer quelque chose à leur égard, cela même détruirait ce que l'Auteur de la Dissertation prétend en inférer : savoir, que puisque ce métier n'est pas mauvais de lui-même, et que ceux qui l'exercent ne sont pas dans un état de péché, pourvu qu'ils n'y mêlent rien d'illicite ; on ne doit pas abolir ce métier, ni obliger ceux qui l'exercent, à le quitter ; car il paraît au contraire par l'exemple qu'allègue saint Thomas, qu'on doit obliger ceux qui exercent ce métier, de le quitter afin qu'ils puissent obtenir leur salut. Voici cet exemple tel qu'il est rapporté dans la vie des Pères. « Nous apprîmes , dit Ruffin , par le rapport très fidèle que ces bons Pères nous en firent, que le saint homme Paphnuce, qui menait sur la terre une vie toute angélique, ayant un jour prié Dieu de lui faire connaître auquel de ses saints il ressemblait, un Ange lui répondit qu'il était semblable à un certain joueur de flûtes, qui gagnait sa vie à chanter dans un bourg proche de là. Ce qui ne l'ayant pas moins surpris qu'étonné, il s'en alla en grand hâte dans le bourg y chercher cet homme, et l'ayant trouvé, il s'enquit de lui de ce qu'il avait fait de saint, et de bon, et l'interrogea très particulièrement de toutes ses actions : à quoi il lui répondit, selon la vérité, qu'il était un grand pécheur, qu'il avait fait une vie infâme, et que de voleur qu'il était auparavant, il était passé dans le métier honteux qu'il lui voyait exercer alors. « Plus il lui parlait de la sorte, et plus Paphnuce le pressait de lui dire, si au milieu de ses voleries, il n'avait point fait par hasard quelque bonne œuvre. Je ne le crois pas, lui répondit-il ; et tout ce dont je me souviens est, qu'étant avec d'autres voleurs nous prîmes un jour une Vierge consacrée à Dieu, laquelle mes compagnons voulant violer, je m'y opposai, et l'arrachai d'entre leurs mains, et l'ayant conduite de nuit dans le bourg d'où elle était, je la ramenai en sa maison aussi chaste qu'elle en était sortie. « Une autre fois je rencontrai une belle femme errante dans le désert ; et lui ayant demandé le sujet qui l'y avait ainsi amenée ; elle me répondit : “Ne vous informez point des malheurs d'une pauvre misérable, et n'ayez point de curiosité d'en savoir la cause ; mais si vous me voulez prendre pour servante, menez-moi où vous voudrez. Car la fortune m'a réduite en tel état, que mon mari après avoir enduré mille tourments pour s'être trouvé redevable des deniers publics, est toujours retenu en prison, d'où on ne le tire que pour lui faire souffrir de nouvelles peines. Nous avons trois fils qui ont aussi été arrêtés pour cette dette et d'autant que l'on me cherche, afin de me traiter de la même sorte, je fuis d'un lieu en un autre, et j'erre pour me cacher dans les endroits les plus écartés de ce désert, où je me trouve accablée de nécessité, et de misère, y ayant déjà trois jours que je n'ai mangé.” Je fus si touché de compassion de ces paroles, que je la menai dans ma caverne, où après qu'elle fut revenue de cette extrême faiblesse où elle était réduite faute de manger, je lui donnai trois cents pièces d'argent, pour lesquelles elle disait que son mari, ses enfants, et elle, non seulement avaient perdu la liberté, mais se trouvaient engagés dans les tourments. Et ainsi s'en étant retournée dans la ville, et ayant payé cette somme, ils furent tous délivrés d'une si extrême misère. Alors Paphnuce lui dit : “En vérité je n'ai rien fait de semblable ; et j'estime toutefois que vous n'ignorez pas que le nom de Paphnuce est assez connu parmi les Solitaires, à cause du grand désir que j'ai eu de m'instruire, et de m'exercer en leur sainte manière de vivre : et Dieu m'a relevé sur votre sujet, qu'il ne vous considère pas moins que moi. C'est pourquoi, mon frère, puisque vous voyez que vous ne tenez pas l'une des moindres places auprès de sa divine Majesté, ne négligez point de prendre soin de votre âme.” Cet homme n'eut pas plutôt entendu ces paroles, qu'il jeta les flûtes qu'il avait entre les mains, et le suivit dans le désert où il changea l'art de la Musique dont il faisait profession, en une harmonie spirituelle, par laquelle il régla de telle sorte tous les mouvements de son âme, et toutes les actions de sa vie, qu'après avoir durant trois années entières vécu dans une très étroite abstinence, passant les jours, et les nuits à chanter des Psaumes, et à prier, et marchant dans le chemin du Paradis par ses vertus, et par ses mérites, il rendit l'esprit au milieu des bienheureux Chœurs des Anges. » II. EXPLICATION DU PASSAGE de S. Thomas allégué ci-dessus. L'autre explication de ce passage est, que saint Thomas parle en cet endroit de toutes sortes d'Histrions, afin que sa réponse ait du rapport avec tout ce qui est compris dans l'objection, où il est parlé de tous les Histrions ; et par conséquent S. Thomas parle aussi des Comédiens, comme l'Auteur de la Dissertation en demeure d'accord. Il faut donc voir comment ce grand Saint dit que le métier de Comédien n'est pas mauvais de lui-même. Il est constant que cela ne se peut entendre, qu'en tant qu'on le considère dans une spéculation métaphysique, et par une abstraction d'esprit, en le séparant de toutes ses circonstances ; Et quand S. Thomas ajoute que les Histrions, c'est-à-dire les Comédiens, ne sont pas dans un état de péché, pourvu qu'ils ne mêlent point dans leurs jeux aucunes paroles, n'y aucunes actions illicites ; il ne considère pas la Comédie dans la pratique commune, et ordinaire : il ne dit pas qu'effectivement les Comédiens ne sont pas dans un état de péché, parce qu'ils ne mêlent pas dans leurs jeux aucunes paroles, ni aucunes actions illicites, de sorte qu'ils sont innocents, et bons dans toutes leurs circonstances ; mais il le dit seulement, supposé que cela soit ainsi. Ce qui n'est point effectivement, ni n'a jamais été. C'est pourquoi dans la pratique commune, et ordinaire le métier des Comédiens tel qu'ils l'exercent, et qu'ils l'ont toujours exercé est vicieux ; et ils sont obligés de le quitter, s'ils ont soin de leur salut. Aussi les lois civiles les notent d'infamie, et les lois de l'Eglise les déclarent excommuniés tant qu'ils font ce métier, comme nous l'avons montré ci-dessus, et comme il paraît par le Rituel de Paris. Et pour faire voir clairement que c'est le sentiment de S. Thomas, il ne faut que faire l'application de la réponse de ce grand Docteur, à ce qu'il propose dans l'objection. Si l'excès du divertissement est un péché ; tous les Histrions sont dans un état de péché. Cela est vrai s'ils jouent avec excès et sans modération, mais non pas s'ils jouent avec modération. Cet Histrion dont il est parlé dans la vie de Saint Paphnuce jouait avec excès ; et néanmoins il a été un grand Saint. Il n'a pas été saint dans l'exercice de son métier d'Histrion ; mais en le quittant, et en passant le reste de ses jours dans une grande pénitence. D'où nous voyons que dans la pratique commune et ordinaire le métier d'Histrion est vicieux, et qu'on le doit quitter. Quant à ce que dit S. Thomas que ce métier considéré en lui-même n'est point illicite, c'est une idée métaphysique, dont on ne saurait trouver aucun exemple dans la pratique. Cela est si certain, que le Roi S. Louis qui suivait dans sa conduite, les sentiments de S. Thomas, jugeant qu'il était impossible de réformer tellement le métier des Comédiens, et des Histrions, qu'il pût répondre à cette idée métaphysique, il bannit de son Royaume toutes ces sortes de gens. « Je dis , dit le P. Guzman Jésuite , qu'encore qu'en parlant dans la rigueur de l'Ecole, et selon l'expression même de saint Thomas, le métier de représenter des Comédies, ne soit pas de lui-même mauvais, et qu'il n'y ait que les circonstances qui l'accompagnent, avec lesquelles il a une étroite liaison, qui le corrompent, et le rendent vicieux ; néanmoins il est si difficile qu'il en soit dépouillé ; et au contraire il est si facile qu'il en soit souillé, que le plus sûr et le plus sage conseil qu'on puisse suivre, est de rejeter tout à fait ce divertissement. Mais écoutons le Docteur Angélique : exposons clairement et distinctement sa doctrine, qui est à son ordinaire toute divine. Ce saint dans la question 168. de la 2. 2. art. 3. demande “si dans l'excès du jeu, et du divertissement il y peut avoir de péché”. Et parmi les arguments qu'il propose au commencement selon sa coutume, pour prouver qu'il n'y a point de péché dans cet excès, il dit : “Il semble qu'il n'y ait point de plus grand excès que celui des Comédiens, qui passent toute leur vie dans le divertissement, de sorte que si l'excès du jeu, et du divertissement était un péché, il s'ensuivrait que tous les Comédiens, et tous les Histrions seraient dans un état de péché : et que ceux qui les écouteraient, et qui leur donneraient quelque chose pècheraient aussi, comme les favorisant, et les entretenant dans leur débauche. Or il semble que cela est faux.” Ce que ce saint Docteur prouve par l'exemple de la révélation qui fut faite à l'Abbé Paphnuce, qu'un Jongleur lui devait être égal dans la gloire de la vie bienheureuse. Ensuite dans l'argument, sed contra , que saint Thomas a toujours accoutumé de proposer : c'est-à-dire, après avoir rapporté les raisons qu'on allègue pour prouver qu'il n'y a point de péché dans l'excès du divertissement ; il rapporte ensuite celles dont on se sert pour prouver le contraire ; et il allègue sur ce sujet ce passage du chapitre 14 des Proverbes v. 13. “Le ris sera mêlé de douleur, et les pleurs termineront la joie.” “Ces pleurs, dit la Glose, seront éternels.” Or dans l'excès du jeu, il y a un dérèglement de ris, et de joie ; on y commet donc un péché mortel, puisqu'il n'y a point de pleurs éternels, que pour des péchés mortels. Voilà les raisons qu'on allègue de part et d'autre sur cette question, si l'excès du jeu et du divertissement est un péché. Après cela saint Thomas expose son sentiment dans le corps de l'article, et dit qu'il y a des jeux licites qui se peuvent régler selon les lois de la raison, pour une bonne et louable fin, savoir pour entretenir une honnête conversation parmi les hommes. Et répondant à l'argument qu'il a proposé au commencement, il dit qu'il y a des jeux, qui s'éloignent des règles de la raison selon leur objet, et selon leur matière lorsqu'ils sont déshonnêtes dans les paroles, ou dans les actions, ou qu'ils nuisent au prochain : C'est une malice intrinsèque qu'ont ces jeux par eux-mêmes ; c'est pourquoi ils ne se peuvent faire sans péché. Il y peut avoir encore de l'excès, et du dérèglement dans les jeux d'une autre manière ; non pas qu'ils soient mauvais d'eux-mêmes ; mais à cause des circonstances du temps du lieu, ou à cause des personnes qui les font, à qui ces jeux ne conviennent point ; car il est constant que si un Religieux, ou un Ecclésiastique montait sur le théâtre pour y jouer le personnage même d'un saint, il commettrait un péché. Le scandale aussi, et la passion désordonnée qu'on a pour ces jeux, les peut rendre mauvais. Ensuite saint Thomas venant à traiter après en particulier des jeux du Théâtre, ou des représentations, et des Comédies, “Le métier, dit-il, des Comédiens, qui a pour but de délasser l'esprit des hommes, n'est pas de lui-même illicite, et ceux qui l'exercent, ne sont pas dans un état de péché.” Il semble que cela favorise les Comédiens ; mais qu'ils considèrent la condition qu'y met saint Thomas. “Pourvu , dit-il, que l'usage qu'ils font de ces divertissements, soit dans la modération, c'est-à-dire, pourvu qu'ils n'y emploient point des paroles, ni des actions illicites ; et qu'ils ne fassent point ces Jeux dans les occasions, et dans les temps qu'il n'est point permis de les faire” : De sorte que leur action soit bonne tant en sa substance, qu'en ses circonstances, ils me diront : c'est ainsi que nous agissons. A la bonne heure : plût à Dieu que cela fût toujours vrai ; mais c'est un point dont nous ne demeurons pas d'accord : c'est le sujet de notre dispute, et de tout ce que nous avons écrit dans ce discours. Voyons encore ce qu'ajoute saint Thomas ; Et quoique les Comédiens n'aient point d'autre occupation que de divertir les hommes ; toutefois à l'égard de Dieu, ils peuvent faire d'autres bonnes œuvres, et ils en font même souvent : ils prient Dieu, ils donnent l'aumône, etc. « Le même Saint dans ses Commentaires sur le Maître des Sentences, In 4. dist. 16. q. 4. art. 2. “Il y a , dit-il, trois sortes de jeux et de divertissement : les uns sont déshonnêtes d'eux-mêmes ; et tout le monde les doit fuir : telles étaient les représentations de Théâtre, qui portaient à l'impureté.” Il fait allusion aux jeux de Flore. Quant aux autres jeux il y peut avoir du dérèglement, soit à l'égard des circonstances du temps et du lieu ; soit à l'égard des personnes, comme nous l'avons marqué ci-dessus. « C'est la doctrine de S. Thomas que j'ai expliquée le plus clairement qu'il m'a été possible. Revenons à cette condition qu'ajoute ce S. Docteur : «  Pourvu  ; Comme dans une sentence donnée en faveur d'un ainé, à condition qu'il paie une certaine somme, il arrive quelquefois que cette somme qu'on l'oblige de donner, est si grande, qu'il se rend appelant de cette sentence qui a été donnée en sa faveur, disant que ce qu'on l'oblige de donner surpasse ce qui lui reste ; ce qui lui est une charge insupportable : qu'enfin ce qu'on lui ordonne de payer, monte plus que le principal. De même S. Thomas permet aux Comédiens d'exercer leur métier à la bonne heure, pourvu , qu'ils ne s'écartent pas d'un seul point de la raison, soit dans les actions ; soit dans les paroles indécentes. Je crois que s'ils ne se rendent pas appelants de cette sentence, ils y contreviennent d'ordinaire. Car je les prie de me dire comment ils accomplissent cette condition, Pourvu etc. : dans la Comédie de Méduse, de Médée, de Persée, de Thésée, de Mars, et de Vénus ? ou lorsqu'ils représentent des galanteries, des amours, des jalousies, des folies de jeunesse, la noce de deux maris ? Enfin dans les Comédies qui n'ont que des intrigues d'amour, tout de sang, et de chair, et qui depuis le commencement jusqu'à la fin sont pleines de paroles, et d'actions peu honnêtes, et peu modestes, de raisonnement, et d'adresses, ou ouvertement impudiques, ou, comme on dit, tellement colorés qu'ils peuvent faire changer de couleur et faire rougir de honte ? Je ne parle point des autres choses qui accompagnent les Comédies, des Entractes, des Ballets, et de leurs vers, des airs, et des chansons, et des bouffonneries extravagantes qu'on y ajoute, comme des ragoûts, et des assaisonnements, qui corrompent d'autant plus les bonnes mœurs, que plus ils sont agréables. Et quoique ces choses ne soient pas du corps des Comédies, on ne laisse pas de les y joindre, même à celles dont les sujets sont les plus saints. « Après avoir considéré tout ce que je viens de dire ; et l'expérience de tant de siècles nous ayant fait connaître, qu'il est impossible de modérer, de réformer, et d'ajuster les Comédies avec les règles de la raison, en ôtant tout ce qu'il y a de sale, et de déshonnête, et qu'en l'état où elles sont maintenant pour l'ordinaire, et où elles ont toujours été. Elles sont comme l'Hydre de Lerne, à qui lorsqu'on coupait une tête, il en renaissait une autre. Ou comme un bras si gâté de gangrène, qu'il est plus facile, et plus salutaire de le couper tout à fait, que d'en retrancher ce qui en est la plus grande partie. J'estime qu'il vaut mieux bannir les Comédiens de la république chrétienne, que de les réformer, et de les tolérer. C'est ce que fit le Roi Catholique Philippe II de glorieuse mémoire à la fin de sa vie. » Je pouvais finir ici mes Réfutations, puisque c'est ici la fin de la Dissertation sur la condamnation des Théâtres. Mais j'ai cru ne devoir pas m'arrêter au treizième siècle qui est le siècle de de S. Thomas : Jugeant qu'il était à propos de représenter la suite de la tradition de l'Eglise sur ce sujet jusqu'à notre siècle. PREUVES DU XIV. SIECLE CONTRE la Comédie. Dans le Synode de Troyes en Champagne tenu environ l'an 1400. « Il est défendu aux Prêtres, et aux autres Ecclésiastiques, d'assister aux spectacles des Mimes, des Farceurs ou Jongleurs, et des Comédiens. » Pierre de la Palu Patriarche de Jérusalem, dit dans ses Commentaires sur le Maître des Sentences que « l'Apôtre S. Barnabé a maudit les jeux que les hommes font avec les femmes ». C'est un crime inséparable des Comédies, et qui souille la pureté de notre Religion. L'Apôtre ordonne « que les femmes portent un voile sur leur tête même dans l'Eglise, à cause des Anges » ; c'est-à-dire, selon S. Thomas, « à cause des Prêtres à qui l'Ecriture donne le nom d'Ange, de peur que la vue des femmes qui n'ont point de voile sur leur tête, ne leur donne des pensées d'impureté ». Et nous voyons au contraire par un mépris visible des règlements Apostoliques, des femmes paraître sur le Théâtre de telle sorte, que la nudité de leur sein, leur visage couvert de peinture, et de mouches, leurs œillades lascives, leurs paroles amoureuses, leurs ornements affétés, et tout cet attirail de lubricité, sont des filets, où les plus résolus se trouvent pris : ce sont des pièges où tombent les âmes les plus innocentes : ce sont des machines qui font entrer la mort par les yeux, par les oreilles, et par tous les sens du corps de ceux qui s'y exposent. Voilà les fruits que remportent les spectateurs : Ils y reçoivent des leçons de péché ; ils l'y trouvent avec des attraits qui le font aimer : ils y apprennent des adresses pour le commettre : ils y entrent chastes, et en sortent impudiques : et souvent ce qu'ils y voient, et ce qu'ils y entendent leur fait commettre au même moment le péché dans le cœur, auparavant que le corps en soit souillé. Ajoutez que les Comédies se jouent au flambeau, et le soir, ce qui ne contribue pas peu à favoriser le vice, et à lui faire jeter dans l'âme de ceux qui y assistent, de très profondes racines, par les impressions de ces œuvres de ténèbres qu'ils emportent dans leurs lits. Ce n'est pas sans raison que S. Chrysostome déplore ce désordre, et le juge digne d'excommunication. « On me dira , dit-il , le péché que les personnes commettent, est-il si grand qu'il mérite qu'on leur interdise l'entrée de ces lieux sacrées ? Mais y a-t-il de crime plus énorme, que le leur ? Ils se sont souillés du crime d'adultère, et après cela ils se jettent comme des chiens enragés sur la sainte Table. Que si vous voulez savoir comment ils sont capables d'adultère ; je ne vous le déclarerai point par mes discours, mais par les propres paroles de celui qui doit juger de toutes les actions des hommes : “Celui, dit-il, qui verra une femme pour la désirer, a déjà commis l'adultère dans son Cœur.” Math. II. 28. Si une femme négligemment parée qui passe par hasard dans la place publique, blesse souvent par la seule vue de son visage celui qui la regarde avec trop de curiosité ; ceux qui vont aux spectacles, non par hasard, mais de propos délibéré, et avec tant d'ardeur qu'ils abandonnent l'Eglise par un mépris insupportable pour y aller ; et y passent tout le jour à regarder ces femmes infâmes ; auront-ils l'impudence de dire, qu'ils ne les voient pas pour les désirer, lorsque leurs paroles dissolues, et lascives, les voix et les chants impudiques les portent à la volupté ?.... « Car si en ce lieu où l'on chante les Psaumes, où l'on explique la parole de Dieu, et où l'on craint et respecte sa divine Majesté, la concupiscence ne laisse pas souvent de se glisser secrètement dans les cœurs, comme un subtil larron ; ceux qui sont toujours à la Comédie, où ils ne voient et n'entendent rien de bon, où tout est plein d'infamie, et d'iniquité, dont leurs oreilles et leurs yeux sont investis de toutes parts, comment pourront-ils surmonter la concupiscence : Et s'ils ne la peuvent pas surmonter, comment pourront-ils être exempts du crime d'adultère. Et étant souillés de ce crime, comment pourront-ils entrer dans l'Eglise, et être reçus dans la communion de cette Sainte Assemblée ; sans en avoir fait pénitence ? « C'est pourquoi je conjure et je prie ces personnes de se purifier par la confession, par la pénitence, et par tous les autres remèdes salutaires, des péchés qu'ils ont contractés à la Comédie, afin qu'ils puissent être admis à entendre la parole de Dieu ; car ces péchés ne sont point médiocres. » PREUVES DU XV. SIECLE CONTRE la Comédie. Saint Antonin Archevêque de Florence enseigne qu'encore que le métier de Comédien ne soit pas illicite de lui-même, selon saint Thomas, c'est-à-dire dans la spéculation, en le considérant séparé de ses circonstances, néanmoins il est illicite dans l'usage ordinaire et commun que les Comédiens en font, jouant indifféremment toutes sortes de pièces, même des plus déshonnêtes. « Le métier, dit-il, des Histrions, c'est-à-dire, des Comédiens, comme l'Auteur de la Dissertation en demeure d'accord, servant à la recréation, dont la vie des hommes a besoin, n'est pas illicite de lui-même selon Saint Thomas 2. 2. quæst. 168. art. 3. in r. ad 3. C'est pourquoi il n'est pas défendu de vivre de ce métier, pourvu qu'on y observe les circonstances requises, des lieux, des temps, et des personnes ; car il est indécent à un Ecclésiastique d'exercer les jeux, selon le Canon Non oportet, de consecr. dist. 5. lequel est tiré du Concile de Laodicée. Il est aussi défendu d'exercer ce métier dans l'Eglise ; et dans le temps de pénitence, comme durant le Carême. Mais lorsque les Comédiens se servent de ce métier, pour représenter indifféremment même des choses déshonnêtes ; ce métier est illicite, et ils le doivent quitter. » C'est de ces Comédiens qu'il faut entendre le Canon pro dilectione, De consecrat. dist. 2. lequel est tiré de l'Epître de Saint Cyprien à Euchratius : « Et c'est un péché de regarder ces représentations, comme aussi de donner aux Comédiens quelque chose pour ces actions, ainsi que saint Augustin le déclare dans ses Commentaires sur Saint Jean, et sur le Psaume 102. d'où l'on a tiré le Canon Donare, dist. 86. » Ces paroles de saint Antonin condamnent les principales propositions de la Dissertation, comme je le vais montrer. Il est constant que ce saint Prélat prend le mot d'Histrions dans le même sens, que le prend saint Thomas, rapportant ses paroles, et suivant sa doctrine. Or saint Thomas comprend les Comédiens sous le nom d'Histrions, comme l'Auteur même de la Dissertation en demeure d'accord. « Je veux bien, dit-il, qu'en cet endroit saint Thomas parle des Histrions au sens des derniers siècles, et qu'il comprenne sous ce nom les Acteurs des Poèmes Dramatiques. » Et par conséquent saint Antonin comprend aussi les Comédiens sous le nom d'Histrions. Et ainsi il parle du métier des Comédiens, quand il dit, qu'il est indécent aux Ecclésiastiques d'exercer le métier des Histrions, selon le Canon, Non oportet. De consecrat. dist. 5. lequel est tiré du Concile de Laodicée. D'où il s'ensuit que le Concile de Laodicée, et le droit canonique, ont déclaré que les Comédies, et les Tragédies étaient illicites aux Ecclésiastiques. Ce qui détruit entièrement cette proposition fondamentale de la Dissertation : « Que les Conciles, et le droit des Souverains Pontifes en condamnant la scène de l'antiquité, n'ont condamné que les Mimes, chansons, danses, et bouffonneries, sans avoir parlé de Tragédies, ni de Comédies. » Voyez la 10. Réfutation du Chapitre 10. 2. Nous voyons encore, selon saint Antonin, que quelques honnêtes et innocentes que peuvent être les Comédies, elles seraient toujours indécentes, et illicites aux Ecclésiastiques, et qu'il ne serait pas permis de les jouer dans les lieux sacrés ; ni dans les temps de pénitence comme dans le Carême. 3. Saint Antonin nous apprend que le métier des Comédiens, qui représentent indifféremment des Comédies, soit que leur sujet soit honnête, ou déshonnête, est illicite. D'où il s'ensuit que le métier des Comédiens de ce temps est illicite, et qu'ils sont obligés de le quitter, puisqu'ils jouent indifféremment de ces Comédies ; et que c'est des Comédiens même de ce temps qu'on doit entendre le Canon pro dilect. de cons. dist. 2. lequel est tiré de l'Epître de saint Cyprien à Euchratius. Ce qui détruit cette proposition de la Dissertation : « Lorsque saint Cyprien (dans l'Epître 37. à Euchratius) interdit la Communion à ceux qui jouaient sur le Théâtre, il ne parle que des Histrions et montre assez clairement qu'il n'entend par là que ces bouffons infâmes, que les paroles, et les postures rendaient odieux à tous ceux qui conservaient les moindres restes de l'honnêteté. » Voyez la 3. Réfutation du chapitre 10. Enfin selon saint Antonin, c'est aussi des Comédiens qu'on doit entendre le Canon Donare, dist. 86. lequel est tiré de S. Augustin. Ce qui renverse cette proposition de la Dissertation : « Et quand on a mis entre les règles du droit Ecclésiastique la défense que saint Augustin fait de donner aux Histrions, on n'a regardé que les Mimes, et Farceurs. » Voyez la 11. Réfutation du chapitre 10. François Patrice de Sienne, Evêque de Gaïète représente au Pape Sixte quatrième, combien les Tragédies et les Comédies sont opposées à la pureté des mœurs, et à la sainteté de notre Religion, de sorte qu'elles doivent être bannies de la Chrétienté. « Il n'y a presque point de Tragédie, dit-il, qui ne doive être bannie d'une ville bien réglée. Solon défendit à Thespis l'exercice de cet art, comme étant inutile, et ne servant qu'à apprendre à mentir. Et les Lacédémoniens ne purent souffrir dans leur ville les livres du Poète Eschyle, les jugeant impertinents, et capables plutôt de corrompre les mœurs, que de porter les hommes à quelque honnête exercice. Ce n'est pas sans raison qu'on doit bannir entièrement des villes les spectacles des Tragédies ; car elles ont des excès de transports si violents, et si pleins de désespoir, qu'elles peuvent aisément rendre des fous, insensés, et jeter dans la fureur des esprits faibles, et légers... « Je n'approuve point aussi qu'on récite sur les Théâtres des Comédies, qu'on dit avoir été inventées dans la Sicile : car elles corrompent les mœurs, et rendent les hommes efféminés, les portant à l'oisiveté, et à l'impureté ; c'est pourquoi les anciens Citoyens de Marseille gardaient si exactement la sévérité de leur discipline, qu'ils ne recevaient point dans leur ville de Comédies dont la plupart ne représentent que des adultères, et des amours impudiques ; de sorte qu'en s'accoutumant à voir les représentations de ces crimes, on prend aussi la liberté de les imiter. Et comme dit Scipion dans les livres que Cicéron a écrits de la République, “on n'eût jamais approuvé les Comédies, et les crimes qu'elles exposaient sur le Théâtre, si les mœurs des hommes, qui étaient souillés des mêmes vices, ne l'eussent souffert”.… les Acteurs de ces fables, et tous ceux qui exerçaient l'art de divertissement, c'est-à-dire l'art des Histrions, et des Acteurs de la Scène, étaient si odieux aux anciens Romains, qu'il y avait une loi parmi eux, qui défendait à ces sortes de gens de s'asseoir dans les sièges des quatorze premiers rangs. C'est ce que témoigne Scipion dans ces livres que Cicéron a écrits de la République en ces termes : “Les Romains estimant que l'art de divertissement, et tous les jeux de la Scène, étaient des choses honteuses, et infâmes, non seulement ils ont privé ces sortes de gens qui en sont les Acteurs, des honneurs, et des dignités dont la porte était ouverte aux autres Citoyens ; mais ils les ont même jugés dignes d'être notés par les Censeurs, pour être exclus de leurs tribus. Il faut donc bannir les Comédies des Théâtres.”. » Et dans le Livre 8. titre 14. «  "Il n'est point , dit-il, nécessaire de parler des Théâtres dans le temps où nous sommes ; car la sévérité de nos mœurs ; et la sainteté de notre Religion ont rejeté, et banni des villes toutes ces fables de l'antiquité ; et il serait inutile de traiter plus au long de la structure des Théâtres, puisqu'on les a démolis, et qu'on n'en bâtit point de nouveaux.” » Nous voyons par là que dans le quinzième siècle les Tragédies, et les Comédies étaient condamnées. Ce qui détruit cette proposition fondamentale de la Dissertation : « Que les Poèmes Dramatiques n'ont point été condamnés. » Voyez la première Réfutation du chapitre 11. et du chapitre 12. 2. Nous voyons que ce docte Prélat comprend dans la condamnation de ceux qui exercent l'art de divertissement artem ludicram, les Acteurs des Comédies et des Tragédies, aussi bien que les autres Acteurs de la Scène : étant tous compris sous le nom d'Histrions ; et de Scéniques que les lois civiles, et Ecclésiastiques condamnent sans exception. Ce qui renverse de fond en comble tout ce que l'Auteur a dit dans les chapitres 5. 6. 7. 8. touchant la distinction des différents Acteurs de la Scène. Voyez l'avertissement sur ces chapitres, et les Réfutations 1. 2. 3. et 4. du chapitre 9. Enfin ce grand Evêque nous fait voir que l'Eglise ayant fait démolir partout les Théâtres publics, elle nous apprend que les Tragédies, les Comédies, et les autres représentations des Théâtres, sont incompatibles avec la sévérité de nos mœurs, et la pureté de notre Religion. Ce qui détruit l'idée chimérique de la réformation des Comédies, dont l'Auteur de la Dissertation a rempli son esprit. Voyez la cinquième Réfutation du chapitre 12. PREUVES DU XVI. SIECLE contre la Comédie. Le 1. Concile de Milan tenu l'an 1565. interdit aux Ecclésiastiques les spectacles des Comédies ; et ordonne que les Princes, et les Magistrats seront exhortés de chasser de leurs Provinces les Comédiens, les Mimes, et toutes sortes de Bateleurs, et Farceurs : « Les Ecclésiastiques, dit ce Concile, n'assisteront point aux Fables, ni aux Comédies, ni aux joutes, et tournois, ni à aucun autre vain, et profane spectacle, de peur que leurs oreilles, et leurs yeux, qui sont consacrés au service divin, ne soient souillés par des actions et par des paroles d'impureté, et de badineries. » Et en un autre endroit parlant des Comédiens, et des autres Acteurs de la Scène. « Quant aux Histrions, dit-il, c'est-à-dire quant aux Comédiens, et aux autres Acteurs de la Scène, nous avons trouvé à propos d'exhorter les Princes, et les Magistrats, de chasser de leurs Provinces les Comédiens, les Mimes, et les autres Bateleurs, et semblables personnes de mauvaise vie, et de défendre aux Hôteliers, et à tous autres, de les recevoir chez eux sous peine d'être sévèrement punis. » Le troisième Concile de Milan tenu l'an 1573. « défend de représenter aux jours de Fêtes des Comédies, des jeux de la Scène ou du Théâtre, des joutes, et quelques autres spectacles que ce soit ». Saint Charles Borromée Archevêque de Milan dans le troisième Synode Diocésain de Milan, tenu l'an 1573. fit ce règlement sur l'obligation qu'ont les Prédicateurs de prêcher contre les Comédies, et les autres pernicieuses coutumes, qui sont la source des péchés ; et de persuader de les abolir. « Que les Prédicateurs, dit-il, reprennent continuellement les plaisirs publics qui portent aux péchés, auxquels les personnes qui suivent le dérèglement d'une coutume dépravée se laissent emporter si facilement, sans en considérer le mal ; Que les Prédicateurs s'efforcent de rendre ces choses odieuses, qu'ils représentent au peuple, combien est grande l'offense, qu'on commet par là contre Dieu : que c'est de là que viennent tant de maux, que c'est ce qui cause les calamités, et les misères publiques, et une infinité de malheurs. Qu'ils représentent sans cesse combien les spectacles, les jeux, et les autres divertissements semblables, qui sont des restes du Paganisme, sont contraires à la discipline Chrétienne ; combien ils sont exécrables, et détestables, combien de maux et d'afflictions publiques ils attirent sur le peuple Chrétien. « Et pour en persuader leurs auditeurs, ils emploieront les raisons dont se sont servis ces grands personnages, Tertullien, S. Cyprien Martyr, Salvien, et saint Chrysostome : ils n'omettront rien sur ce sujet de ce qui peut contribuer à détruire entièrement ces dérèglements, et ces débauches. Ils prêcheront souvent avec force contre les Danses, et le Bal, par lequel sont excitées les passions les plus dangereuses. « Enfin ils emploieront tous leurs soins à représenter avec un zèle pieux, et avec autant de véhémence qu'il leur sera possible, combien les Comédies,. et les Mascarades, qui sont la source et la base presque de tous les maux, et de tous les crimes, sont opposées aux devoirs de la discipline Chrétienne, et combien elles sont conformes aux dérèglements des Païens, et que comme elles sont une pure invention de la malice du démon, le peuple Chrétien les doit entièrement abolir » Ce règlement enjoignant aux Prédicateurs d'employer contre la Comédie les raisons dont Tertullien, S. Cyprien, Salvien, et S. Chrysostome se sont servis ; condamne formellement cette proposition fondamentale de la Dissertation « Que la représentation des Poèmes Dramatiques ne peut être défendue par la raison des Anciens Pères de l'Eglise. » Voyez la 1. Réfutation du chapitre 4. et la 1. Réfutation du chap. 11. et la 9. du chap. 12. Et lorsque ce Règlement ordonne aux Prédicateurs de représenter au peuple chrétien que les Comédies étant un reste du Paganisme, et une pure invention du Démon ; il les doit abolir ; il condamne cette proposition, qui fait la conclusion de la Dissertation, où sous un prétexte de réformation l'Auteur dit, « qu'il faut conserver un art qui peut plaire ». Voyez la 5. Réfutation du chap. 12. Ce S. Prélat dans son traité contre les danses, et les Comédies, nous apprend que le Canon Non oportet, qui est tiré du Concile de Laodicée comprend les Comédies sous le nom de spectacles du Théâtre. « Il ne faut pas que les Ministres de l'Autel, ni aucun autre Ecclésiastique assistent aux spectacles qu'on représente aux noces, ou sur les Théâtres. » Ce Canon du Concile de Laodicée, dit S. Charles Borromée, « défend les exercices de la danse, et de la Comédie à tous les Ecclésiastiques sans distinction, ni restriction ». Ce qui détruit cette proposition de la Dissertation ; « les Conciles, et le droit des Souverains Pontifes en condamnant la Scène de l'Antiquité, n'ont condamné que les Mimes, chansons, danses, et bouffonneries, sans avoir parlé de Tragédies, ni de Comédies ». Voyez la 10. Réfutation du chap. 10. Ce S. Cardinal montre encore comme les Comédies sont illicites aux Chrétiens, parce qu'elles sont mauvaises, et qu'elles sont défendues. « Nous avons, dit-il, jusques à maintenant parlé des danses, et des Comédies, comme des choses qui sont illicites parce qu'elles sont mauvaises, au moins à cause des circonstances qui les accompagnent, et de leurs effets ; il faut maintenant parler de la prohibition qui en a été faite ; et conclure qu'elles sont encore illicites parce qu'elles sont défendues. » Il fait voir qu'il est défendu aux Chrétiens d'aller à la Comédie, principalement dans les temps de pénitence, parce que dans ces temps-là les Chrétiens doivent suivant l'ordre, et la discipline de l'Eglise, s'exercer dans la mortification : et après avoir rapporté le 1. Canon De pœnit. dist.  5. lequel est tiré du traité de la véritable, et de la fausse pénitence, qui est parmi les ouvrages de S. Augustin chap. 15. « Celui qui veut obtenir l'entière, et parfaite grâce de la rémission de ses péchés, doit s'abstenir des jeux, et des spectacles mondains : tels que sont les spectacles des Comédies. En effet, dit-il, comment peut-on accorder ces actions séculières qui flattent les sens, et donnent du plaisir à la chair, avec les larmes d'une âme vraiment pénitente, qui s'afflige pour rendre honneur à la Justice de Dieu, par la haine qu'elle a conçue contre le péché, et contre elle-même ? « Or le temps marqué pour la pénitence comprend les jours des Litanies, et des Quatre temps, et tous les autres jours, dans lesquels les fidèles sont tenus de jeûner... « Concluons donc que ceux qui dansent, ou qui assistent aux Comédies dans le temps destiné par l'Eglise à l'exercice de la mortification, pèchent grièvement, parce qu'ils s'opposent directement au dessein, et aux ordres de cette même Eglise, puisqu'ils cherchent leurs plaisirs sensuels, lorsqu'elle veut que ses enfants gémissent devant Dieu, et entrent dans les afflictions salutaires de la pénitence. » S. Charles Borromée montre ensuite que ceux qui vont à la Comédie les Dimanches, et les jours de Fêtes, commettent un crime énorme. Il commence par la considération de l'institution du Dimanche, et des Fêtes, et des exercices qui sont propres à la sainteté de ces jours, afin de faire connaître par là que les Comédies sont incompatibles avec ces dévotions, et avec ces solennités. « La fin principale, dit-il, pour laquelle les Fêtes ont été instituées, comme l'Ecriture même nous enseigne ; c'est pour honorer le repos ineffable de Dieu après l'ouvrage de six jours : “Dieu a fait, est-il dit dans l'Exode, le ciel, la terre, la mer, et toutes les autres choses qui y sont contenues ; et il s'est reposé le septième jour ; c'est pour cela qu'il a ordonné un jour de repos, qu'il l'a béni, et qu'il l'a sanctifié.” « Nous devons donc en ces jours nous séparer des occupations temporelles, et qui regardent le siècle, pour nous occuper en Dieu, et aux choses spirituelles : Et c'est ce qu'on appelle sanctifier les Fêtes. Ce qui est encore expressément marqué dans les livres des constitutions Apostoliques, qui nous apprennent que les jours de Fêtes ne sont établis que pour le culte de Dieu  ; et afin que nous nous souvenions de sa naissance dans la chair, de sa mort, et de sa résurrection, et qu'étant remplis d'une joie toute spirituelle dans la vue de ses inestimables bienfaits, nous l'honorions par des actions de grâces, et par des œuvres de vertu. « Outre le Dimanche nous célébrons encore des Fêtes en l'honneur des Saints ; mais ce culte revient à la gloire du Fils de Dieu, qui en est le Chef ; parce que c'est lui qui les a sanctifiés, et qui les ayant fait ses membres, leur a fait part de la plénitude de son esprit, par laquelle ils sont devenus saints, et parfaits. Nous célébrons encore ces mêmes Fêtes des Saints, afin que nous remettant dans l'esprit la vie qu'ils ont menée, et les vertus qu'ils ont pratiquées avec tant de fidélité, et de perfection, nous concevions des désirs solides de les imiter, et nous résolvions à suivre leur exemple. « C'est ce que S. Paul veut dire, lorsqu'il écrit aux Hébreux  : “Souvenez-vous de vos Conducteurs qui vous ont prêché la parole de Dieu ; et considérant quelle a été la fin de leur sainte vie, imitez leur foi.” Car suivant l'interprétation de Théodoret, l'Apôtre parle en cet endroit de ceux qui étaient déjà morts, comme S. Jacques qu'il appelle ailleurs, le frère du Seigneur ; et qui avait été tué par le commandement d'Hérode. » Il confirme cette vérité touchant les devoirs des Chrétiens les jours de Fêtes, par les autorités de S. Basile, du Pape Nicolas I. du Pape Alexandre III. du Concile de Fréjus, du Concile de Mâcon. Après cela il rapporte les lois des Empereurs qui défendent toutes sortes de spectacles les Dimanches, et les Fêtes. Comme nous les avons rapportées ci-dessus dans la 7. Réfutation du chapitre 4. de la Dissertation. Il montre ensuite la conformité des constitutions, et des ordonnances de l'Eglise, avec les lois des Empereurs : « Elles, dit-il, ne défendent pas avec moins de rigueur ces usages sensuels, et profanes, comme l'on voit dans un Canon du Concile de Carthage, qui fut célébré presque en même temps que ces lois que nous avons citées de l'Empereur Valentinien, et des autres, furent faites : Et ce Canon est inséré dans le Droit. » Celui qui les jours de Fêtes, quitte l'assemblée de l'Eglise, pour aller aux Spectacles ; qu'il soit excommunié. Et comme il y a des Casuistes qui sont descendus dans un relâchement si étrange, que de réduire l'obligation de ne point danser, et de ne point assister aux spectacles les jours de Fêtes, au seul temps de la Messe ; ou bien des Offices Divins ; S. Charles les reprend avec une force et un zèle tout Apostolique : « C'est, dit-il, ce qui a donné fondement aux abus déplorables, et aux désordres qu'on voit partout sur ce sujet, en ces saints jours. Ces Casuistes eussent bien mieux fait de suivre constamment et de soutenir généreusement la doctrine des Anciens, appuyée sur la discipline de l'Eglise et animée de son esprit, et de réprimer par la force de la vérité, la licence effrénée des Chrétiens relâchés, et vicieux, que de leur apprendre une voie large, qui favorise leurs convoitises, et qui par conséquent ne peut que les conduire au précipice, par des opinions nouvelles, qui n'ont aucun fondement dans la doctrine de l'Eglise, ni dans celle des Saints... « Ces Casuistes ont fait tort à la vérité , et ils ont été trop hardis de vouloir limiter ainsi par leurs interprétations particulières, l'obligation que les Canons imposent sans restriction aux fidèles. Ces Auteurs ont eu sans doute plus d'égard dans cette occasion à l'usage commun de leur temps, qu'à la vérité et à l'esprit de l'Eglise. « Je dis donc que lorsque les Conciles ont défendu la danse et les spectacles dans le temps des Divins Offices, ils ont jugé qu'on ne pouvait pas dans un même jour, vaquer aux Divins Offices, et s'adonner aux divertissements du monde. Car encore bien que par le refroidissement de la charité, et de la piété Chrétienne, les fidèles commencent maintenant, à donner moins de temps à ces actions saintes, et à demeurer moins assemblés dans les lieux Saints ; Il est néanmoins constant que suivant l'usage des siècles passés, et suivant la discipline ancienne de l'Eglise, les jours de Fêtes étaient presque entièrement occupés par les exercices spirituels qui se faisaient dans les Eglises. En effet ne voit-on pas dans la lecture des Pères, que les Messes solennelles, les lectures saintes, les psalmodies, les exhortations, et les sermons, ne donnaient point le loisir aux Chrétiens de vaquer à quelque autre chose, mais les obligeaient d'être continuellement dans les lieux Saints ? « C'est ce que nous font comprendre ces admirables paroles du Concile de Mâcon  : “Que le Dimanche vos yeux, et vos mains soient élevés vers Dieu durant tout le jour.” « Je dis bien davantage, il est impossible que cette occupation continuelle aux choses de Dieu, pendant les jours de Fêtes, ne se trouve par tous les lieux où l'on travaille sérieusement à rétablir le culte Divin : car les Heures Canoniales, la solennité des Messes, la doctrine chrétienne commandée par le Concile de Trente, et les sermons remplissent toute la journée. « Et quand même les Offices Divins, et les exercices pour lesquels les fidèles s'assemblent ne rempliraient pas entièrement le temps ; les constitutions de l'Eglise ne permettraient pas néanmoins, qu'on l'employât aux jeux, et à la danse ; parce que la raison principale, et fondamentale, pour laquelle on doit retrancher ces divertissements subsiste toujours, qui est l'obligation de sanctifier les Fêtes, établies dans la Loi de Dieu même. Car quoique les assemblées des Chrétiens dans les Eglises, soient des moyens qui servent excellemment à cette sanctification, s'il arrive toutefois qu'elles aient cessé en partie en quelques lieux, par le relâchement de la piété ; les fidèles ne laissent pas d'être tenus de renoncer à ces vaines, et profanes recréations, en ces saints jours, afin de les passer saintement. Et il n'y a point de défense qui ne soit fondée sur cette raison importante ; puisque la cessation même des œuvres extérieures, et serviles, n'est ordonnée que pour cela. Ce que le Pape Nicolas a déclaré dans sa réponse aux Bulgares : "Il faut s'abstenir , dit ce souverain Pontife , les jours de Fêtes de toutes les affaires séculières, afin que les Chrétiens puissent plus librement se trouver aux Eglises, et passer les saints jours en prières, et dans le chant des Psaumes, des Hymnes, et des Cantiques spirituels." « Il est donc évident par l'autorité de ce Pape, et de plusieurs autres, que le fondement général de toutes les prohibitions qui regardent la solennité des Fêtes, est l'obligation de les sanctifier, laquelle nous est imposée dans l'Ecriture sainte, et par le Commandement de Dieu même. « Ce qui est invinciblement confirmé par les lois des Empereurs que nous avons citées, dans lesquelles les Princes zélés pour la gloire de Dieu, défendent comme un crime, de s'adonner les jours de Fêtes aux exercices qui servent à la volupté, et au plaisir par la considération de cette même obligation que les Chrétiens ont de s'appliquer uniquement au culte de Dieu, et de travailler à leur propre sanctification. "Nous défendons , disent-ils , au peuple de toutes les villes de notre Empire, tous les divertissements du Théâtre et du Cirque, les jours de Fêtes, afin que les Fidèles occupent tout leur cœur et tout leur esprit au service de Dieu....et qu'ils reconnaissent que le temps des prières est bien différent du temps des divertissements et des plaisirs. Nous ne voulons point que les jours de Fêtes, qui sont dédiés à la souveraine majesté de Dieu, soient employés aux voluptés, et aux divertissements en aucune manière." « Puis donc que les Empereurs ont si absolument défendu toute sorte de jeux, de divertissements séculiers, et de plaisirs sensuels, afin que le peuple fidèle sanctifiât les Fêtes, et vaquât de tout son cœur aux choses de Dieu ; ce serait faire injure à l'autorité sacerdotale, et à la puissance Ecclésiastique, de penser que des saints Evêques eussent été moins exacts qu'eux dans leurs Ordonnances sur ce sujet, principalement lorsque nous voyons qu'ils ne parlent jamais dans leurs écrits des jeux, et des spectacles, qu'avec horreur, et avec exécration... « Il paraît donc clairement que les spectacles, les jeux, et les danses sont illicites, au moins en ces saints jours ; et que l'opinion de ceux qui restreignent la prohibition, de ces choses au temps des divins offices doit être rejetée, comme une invention de l'esprit humain, et particulier… Il est constant que le bal et les danses sont incompatibles avec la sanctification des Fêtes : et que toutes sortes de jeux, et spectacles sont défendus en ces mêmes jours par les lois Ecclésiastiques, et civiles. D'où il s'ensuit sur le principe commun, et reçu de tout le monde, que celui-là pèche mortellement, qui en ces saints jours emploie injustement le temps en ces sortes d'exercices ; si ce n'est que l'ignorance et le sentiment relâché de ceux qui lui donnent conseil, et qui le conduisent, puisse diminuer sa faute : ce que Dieu n'a jamais promis. » Après il montre que les raisons qui rendent les Danses, et les Comédies criminelles, se rencontrent dans celles d'aujourd'hui ; de sorte qu'on peut dire avec vérité que c'est une invention du diable, pour perdre les âmes, et pour corrompre les mœurs des Fidèles. Que les assemblées qui se font pour ces divertissements, sont si dangereuses, qu'il n'y a point de doute qu'un Chrétien ne soit obligé de les fuir. « C'est, dit-il, un principe incontestable qu'on ne peut se mettre dans le danger de pécher, sans blesser sa conscience ; et qu'on est indispensablement obligé de fuir toutes les occasions qui peuvent porter au mal. C'est la doctrine de l'Evangile, et la parole du Fils de Dieu même. "Si votre œil, dit-il, vous est un sujet de scandale, arrachez-le, et jetez-le loin de vous." » « Ajoutez à cela ce que Notre Seigneur dit lui-même  : "Que quiconque regardera une femme avec un mauvais désir pour elle, a déjà commis l'adultère dans son cœur." « Ces principes étant ainsi établis, considérons le mélange qui se fait dans le Bal, et à la Comédie, d'hommes et de femmes : ils y sont assis les uns auprès des autres, et n'y sont que pour se satisfaire ; ils se regardent réciproquement ; et les yeux qui ne sont animés que de la curiosité, n'y trouvent que trop d'attraits malins pour éveiller les sentiments de la chair corrompue : tout ce qu'on y voit, et qu'on y entend, est tout propre pour émouvoir, et pour attendrir. On s'y entretient familièrement ; on y vient fort ajusté et avec pompe ; les femmes et les filles y sont parées comme des temples ; et il n'y a point d'ornement, ni d'invention qu'elles n'emploient pour paraître belles, et pour se rendre agréables… Ceux qui vont en ces lieux sont des personnes qui suivent le grand chemin, c'est-à-dire, le train ordinaire, et l'esprit du monde ; comment pourraient-ils donc être dans ces assemblées sans danger ? Après toutes ces considérations n'avouera-t-on pas que nous avons sujet de dire, qu'on ne peut point se trouver dans ces assemblées avec sûreté de conscience; et que le danger d'offenser Dieu y est évident, non seulement pour ceux qui mènent une vie plus libre, et suivant le cours du monde ; mais encore pour les plus chastes, et pour les mieux réglés... « N'est-ce pas une chose étonnante et digne de larmes, de voir que les Chrétiens qui sont obligés à une vie si pure et si sainte, se jettent eux-mêmes dans les lacets du diable, et du monde ; et s'exposent hardiment, et sans aucune crainte dans les périls effroyables du péché, sans faire aucun cas ni des avertissements du saint Esprit, ni de la gloire de Dieu, ni de leur propre salut ! Qu'on ne nous croie donc point trop sévères, si dans un siècle si corrompu, et dans l'état où sont les Bals, les Danses et les Comédies de ce temps, nous n'osons point excuser de péché, ceux qui les fréquentent, puisqu'Alexandre de Halès auteur célèbre, et recommandable par sa doctrine, et par sa piété, n'ose point exempter de péché mortel , ceux qui n'étant venus que comme forcés, ou par rencontre dans ces assemblés, s'y arrêtent avec danger d'y concevoir quelque mauvais désir, et d'être touchés de quelque affection dangereuse. Et il n'y a point d'hommes raisonnables qui n'entrent dans ce sentiment, s'ils considèrent sans préoccupation, et devant Dieu, avec quelle facilité les hommes et les femmes du monde tombent dans des péchés intérieurs, c'est-à-dire de pensée et d'affection, et combien peu d'attention ils font à eux-mêmes, pour n'y tomber pas, ou même pour les remarquer lorsqu'ils y sont tombés. Le mal va si avant par une négligence criminelle, qu'il s'en trouve plusieurs, qui ne font aucun scrupule des pensées déréglées, que leur esprit reçoit avec agrément, ni des délectations sensuelles, et honteuses, dans lesquelles ils s'entretiennent... « Il n'est pas à propos de nous en expliquer davantage, ni encore de nous étendre sur cet abus déplorable, qui n'est que trop connu, et qui fait gémir toutes les bonnes âmes ; Je veux dire sur cette coutume malheureuse de perdre le temps le plus saint, et les jours qui sont consacrés à la piété, dans les divertissements mondains, et profanes. Hélas n'est-ce pas une chose lamentable, de voir qu'un si grand nombre de Chrétiens emploient les Fêtes, et les Dimanches, surtout depuis la Septuagésime, jusqu'à Carême, au jeu, au Bal, à la Danse, et à la Comédie, ou à voir ou donner d'autres semblables spectacles, d'une manière très indigne, et pour ne pas dire avec impiété, ou au moins avec un mépris intolérable des Canons de l'Eglise, des Ordonnances des Princes, et de la loi de Dieu même, qui nous oblige de passer les Fêtes saintement ? « Est-il possible que l'on tolère dans l'Eglise de Dieu un libertinage si horrible , et que l'on voie des écoles publiques de lubricité, et des assemblés, où se font des trafics infâmes, et où se concluent les desseins des impuretés les plus abominables, et des adultères mêmes, les jours de Dimanches, et de Fêtes ; et encore plus particulièrement dans le temps que l'Eglise a destiné pour remercier Dieu du bienfait inestimable de la naissance de son fils, et depuis la Septuagésime jusqu'au Carême ; c'est-à-dire, lorsque suivant l'intention de cette même Eglise nous devrions être occupés à pleurer nos péchés, et à nous disposer à obtenir la grâce d'une parfaite pénitence. » Et sur ce que quelques-uns disent que les assemblées du Bal, et de la Comédie donnent souvent occasion à beaucoup de mariages, qui ne se contracteraient jamais autrement ; d'où ils concluent que ces assemblées non seulement ne sont pas mauvaises, et illicites ; mais qu'elles sont même quelquefois utiles ; voici ce que répond ce grand Saint. « O aveuglement des hommes ! ô étranges mariages, dont le dessein n'est conçu que dans la recherche de la volupté, et ne peut naître que des sentiments de la chair, puisque ce qu'on voit et qu'on entend dans la Danse et dans la Comédie en inspire les pensées ? Craindra-t-on bien que ces hommes, et ces filles ne trouvent point des occasions de se marier, s'ils ne se servent des moyens vicieux, ou dangereux pour rencontrer un parti ? Mais peut-on espérer que Dieu donnera bénédiction à des alliances qui prennent leur naissance des principes si corrompus, et si opposés à son esprit ? O aveuglement des hommes ! « Hélas pourquoi ne fait-on mention que des mariages qui se contractent sur le fondement des affections sensuelles qui ont été conçues dans le Bal, et à la Comédie ? N'est-il pas juste qu'on compare avec ce bien imaginaire, qui traîne presque toujours après soi une longue fuite de maux de toute espèce, les desseins si abominables de tant d'impuretés et de tant d'adultères qui se forment dans ces mêmes lieux ? Ne compte-t-on pour rien tant de pensées impures, et tant de mauvais désirs, dont les âmes qui étaient peut-être venues pures au Bal, et à la Comédie, se trouvent toutes salies et noircies lorsqu'elles en sortent ? Comment peut-on donc excuser une pratique si remplie de véritables maux, sous prétexte d'un bien apparent ? « Mais il est temps de finir ce Traité, et de ne penser plus qu'à gémir, et à prier la bonté toute puissante de Dieu, de donner en ceux qui sont constitués en dignités, et en charge pour régir les peuples, et la lumière pour donner les remèdes convenables, afin d'ôter un abus si insupportable, et néanmoins si commun ; et le zèle de la gloire de Dieu, et du salut des âmes, afin d'en bien faire l'application, avec grâces, et avec fruit. « Ceux qui sont en autorité pour gouverner les peuples ne sont pas moins coupables , lorsqu'ils ne travaillent point à détruire cet abus, et qu'ils ne donnent aucun secours aux âmes qui leur sont commises, pour les retirer de ces pratiques dangereuses, et de ces engagements, dans lesquels ils voient qu'elles périssent malheureusement. Et ce que nous disons ici, regarde les puissances séculières aussi bien que les personnes Ecclésiastiques qui sont en charge. Et la négligence des Magistrats séculiers, qui voient le mal, et n'y remédient pas, oblige encore plus étroitement les Prélats de mettre les mains à l'œuvre , et de suppléer à leur défaut par leur zèle et par leur autorité. » On a joint au Traité de saint Charles Borromée contre les Danses, et les Comédies, une lettre que l'Evêque d'Agnani écrivit au Pape Paul V. le 18. Mai, l'an 1600. pour la défense d'une Ordonnance synodale, par laquelle il avait défendu les Danses, et les Spectacles les jours de Fêtes. Voyez l'extrait que j'en ai fait ci-dessus dans la 10. Réfutation du chapitre 4. de la Dissertation, sur la traduction Française qu'en a fait faire Monsieur l'Evêque de Montpellier. Le Synode de Paris tenu l'an 1557. déclare, « Que l'Eglise a joint aux Dimanches d'autres jours de Fêtes, afin de conserver le souvenir des bienfaits que nous avons reçus de Dieu, et de ses saints, afin de suivre leurs exemples, afin d'implorer tous les ans leur protection, et de vaquer à la prière en honorant leur mémoire et non pas afin de passer ces saints jours dans l'oisiveté, dans les jeux, et dans les divertissements... « Que les Recteurs donc, et les Pasteurs des Eglises exhortent les peuples qui leur sont commis, d'être assidus à l'Eglise, pour y entendre dévotement le service divin, et les prédications, pour y adorer Dieu, et honorer les Saints dont on célèbre la Fête, d'un cœur plein de piété, et de dévotion : C'est pourquoi qu'il n'y ait point en ces jours de discours vains, et profanes, ni d'autres choses qui puissent offenser la Majesté de Dieu. » Le Concile de Reims tenu l'an 1583. ordonne que « les fidèles s'assemblent dans leurs Paroisses les Dimanches, et les Fêtes, pour assister à la Messe, au Sermon, et aux Vêpres : et qu'en ces jours personne ne s'occupe aux jeux, aux divertissements, ni aux danses ; principalement lorsqu'on célèbre l'office Divin. Que l'Ordinaire, ou le Curé avertisse les Magistrats de ne pas souffrir ce désordre. » « Nous défendons absolument , dit ce même Concile , de représenter les jours des Fêtes de Jésus-Christ, et des Saints, les jeux de Théâtre, sous prétexte de quelque coutume que ce soit, comme aussi toutes sortes de badineries, et de divertissements qui souillent l'honnêteté et la sainteté de l'Eglise. Que ceux qui contreviendront à ce Décret, soient punis par ceux qui en ont l'autorité. » Le Décret du Concile de Tours tenu l'an 1583. approuvé par le Saint Siège, est très considérable. « Ce Synode , dit ce Concile , défend sous peine d'anathème, de représenter les Dimanches, et les autres jours de Fête, des Comédies, des jeux de la Scène, ou de Théâtre, et quelque autre Spectacle semblable que ce soit, qui blesse la Religion, et enjoint à tous les Curés de déférer à leur Evêque ceux qui n'obéiront pas à ce décret, afin que par son ordre ils soient en leur propre nom déclarés excommuniés : Car il est très absurde qu'aux jours qui sont destinés pour obtenir les effets de la Miséricorde de Dieu, les fidèles soient détournés des offices Divins, des saintes prières, et des sacrées prédications, par les charmes, dont le Diable se sert pour séduire les âmes. » Nous voyons que ce Concile condamne les Comédies, comme des choses qui blessent la religion, comme des charmes, dont le Diable se sert pour séduire les âmes. C'est donc avec raison que l'Eglise les interdit aux fidèles, et principalement aux Ecclésiastiques. « Que les Ecclésiastiques , dit le Concile de Bordeaux tenu l'an 1583 , ne se masquent jamais ; qu'ils ne soient ni acteurs, ni spectateurs des Comédies, des fables, des danses ; ni d'aucun autre de ces jeux que les Comédiens, et les Farceurs ont accoutumé de représenter, afin que des yeux consacrés aux mystères sacrés, ne soient point infectés de la contagion de ces infâmes spectacles. » « Que les Ecclésiastiques , dit le Concile de Bourges tenu l'an 1584 . ne se masquent jamais : et qu'ils ne soient ni les acteurs, ni les spectateurs des Comédies, des Farces, des danses, ni des sauts des Bateleurs. » « Que les Ecclésiastiques , dit le Concile d'Aix tenu l'an 1585 . ne se masquent jamais : et ne soient ni acteurs, ni spectateurs des Comédies, ni des danses, ni d'aucun autre Spectacle profane. » « Les Ecclésiastiques , dit le Concile d'Aquilée tenu l'an 1596 . qui doivent se rendre l'exemple, et le modèle des autres dans la prudence, et dans la gravité de leur conduite, ne doivent point aller, ni assister aux spectacles des Comédies. » Le Concile de Bourges tenu l'an 1584. exhorte les Laïques de ne point aller à la Comédie, ni à d'autres spectacles semblables. « Ce Concile exhorte tous les Chrétiens, de se conduire de telle sorte, que leur vie réponde à la dignité, et à l'honneur du nom de Jésus-Christ ; et de fuir autant qu'il leur sera possible, les danses, les jeux publics, les Comédies, les farces, les masques, et les jeux de hasard. » Le Père Ribera dans ses Commentaires sur le Prophète Michée, a fait un excellent discours contre les Romans, et les Comédies de ce siècle : sur ces paroles du Prophète : « Il donnera des Emissaires contre l'héritage de Geth » " « Ceux qui donnent des Emissaires au Roi des Assyriens, c'est-à-dire au Diable, ne sont-ce pas ces Poètes qui faisant un mauvais usage de leur esprit et de leur loisir, et faisant gloire, comme Sodome, de publier leurs crimes, et leurs ordures, composent des vers d'amour, et d'impureté, comme s'ils étaient des Païens ? Aussi leur étant assez semblables dans leurs sentiments, et dans leurs passions, ils se plaisent encore à les imiter dans leurs paroles. Combien y a-t-il de ces Poètes dans l'Espagne, dans l'Italie, et dans la France ? Les faiseurs de Romans sont une même espèce de gens ; qui ne composent que des livres vains, et profanes, dont la lecture ne peut servir qu'à corrompre les bonnes mœurs des Enfants, des jeunes hommes, des jeunes filles, et même des honnêtes femmes qui les ont d'ordinaire entre les mains. Que dirai-je de ces imposteurs qui y séduisent les autres, étant séduits eux-mêmes, qui dans les contes qu'ils écrivent des Héros fabuleux, décrivent les transports de leurs amours, leurs entretiens lascifs, et leurs actions honteuses ; et par ces fictions criminelles allument un feu infernal dans les âmes des jeunes hommes, et de ceux même qui sont d'un âge plus avancé ? Nous avons une infinité de ces livres en Espagne, et il n'y a presque que nous qui en ayons, ou du moins nous en avons plus que toutes les autres nations. Et cependant ils ne sont point défendus ; et toutes sortes de personnes de quelque âge, et de quelque condition qu'ils soient les lisent impunément, par une étrange corruption des bonnes mœurs. Combien d'Emissaires croirons-nous que ces gens-là donnent au Roi d'Assyrie, c'est-à-dire, au diable, pour détruire l'honnêteté, et la pureté de la vie chrétienne ? « Mais ces dérèglements paraîtront légers, si nous les comparons avec ceux dont je vais parler. On nous apprenait autrefois les crimes par la lecture des livres ; mais aujourd'hui on nous les apprend en nous les faisant voir. Ce fin ouvrier d'iniquité sachant bien que ce qui n'entre dans l'esprit que par les oreilles touche moins les hommes, que ce qu'ils voient, et regardent de leurs propres yeux, a introduit de nouveau des Comédies, afin que ce qui n'était connu que par une lecture honteuse, fût exposé sur le Théâtre aux yeux de tout le monde, par des représentations beaucoup plus honteuses. C'est ce que saint Cyprien déplorait dans son temps, en ces termes : "Les hommes de quelque âge, et de quelque sexe qu'ils soient, apprennent qu'un crime se peut faire, en apprenant qu'il s'est fait. Les péchés ne meurent point par la vieillesse du temps, les années ne couvrent point les crimes, et on ne perd jamais le souvenir des mauvaises actions : elles ont cessé d'être des crimes ; et elles deviennent des exemples. On prend plaisir à voir représenter dans la Comédie ce qu'on a fait en sa maison, ou à entendre ce qu'on y peut faire : on apprend l'adultère en le voyant représenter ; et le mal qui est autorisé publiquement, a tant de charmes, qu'il arrive que des femmes qui étaient peut-être chastes lorsqu'elles sont allées aux Spectacles, en sortent impudiques. Les Farceurs avec leurs actions déshonnêtes ne corrompent-ils pas les mœurs ? Ne portent-ils pas à la débauche ? N'entretiennent-ils pas les vices ? On y voit violer l'alliance, et le droit de la naissance par des infâmes incestes qu'on y représente. On fait changer de sexe aux garçons, on les accoutume à des gestes honteux, et à des postures efféminées, qui énervent, et abattent toute la majesté et la vigueur de leur sexe : et un homme ne plaît qu'à proportion qu'il fait paraître la délicatesse, et la mollesse d'une fille.   « "Il tire sa louange de son crime ; et plus il est impudique, plus il est estimé habile : Voilà celui que tout le monde regarde ; et ce qui est honteux, qu'on regarde avec plaisir. Y a-t-il de crime qu'un homme tel que celui-là ne puisse persuader ? Il émeut les sens, il flatte les passions, il abat l'âme la plus vigoureuse, et la plus forte vertu. Ces corrupteurs agréables ne manquent pas d'exemples de personnes illustres, dont les crimes les autorisent, et leur servent à insinuer plus doucement leur poison dans les cœurs de ceux qui les écoutent." « Voilà une partie de ce que dit saint Cyprien, dans l'Epitre qu'il écrit à Donat sur le sujet des dérèglements de son temps. Que dirait-il s'il voyait aujourd'hui les Théâtres des Chrétiens, et les Comédies qui y sont jouées ? On ne fait point aujourd'hui changer de sexe aux garçons ; mais des femmes deviennent hommes. Un homme ne se déguise plus en femme ; mais une femme se déguise en homme. L'ennemi du genre humain ne s'est pas contenté de représenter des ordures feintes ; il en représente de véritables. Des femmes montent maintenant sur le Théâtre ; et font les personnages de femmes que les hommes avaient anciennement accoutumé de faire. Ce qui n'émouvait pas tant les spectateurs. Une belle Comédienne, mais d'une vie infâme paraît bien parée devant des spectateurs pour augmenter leurs flammes. Elle fait encore elle-même le personnage d'un homme, ou d'un jeune amoureux, pleurant, et se perdant par des transports d'amour, et découvrant ce que les femmes doivent cacher, elles donnent lieu de penser à des choses honteuses, que l'honnêteté ne permet pas de dire : elles dansent avec des postures lascives ; et pendant que les pères, et les maris avares souffrent ces choses ou d'autres, qui sont peut-être pires, les cœurs de ceux qui les voient, et qui les écoutent, brûlent d'un feu, qui n'est pas moins violent, que celui du mont Etna. «  Et ce ne sont pas seulement des yeux impudiques qui regardent ces spectacles, mais ce sont quelquefois des yeux même consacrés à Dieu. Ajoutez à cela qu'on voit ces dérèglements dans le temps principalement que le diable est chassé des cœurs des hommes, par les soins des Prédicateurs, et des autres Ministres de Dieu ; c'est-à-dire aussitôt après les Fêtes de Noël, et de Pâques, afin que l'esprit impur retournant en ses maisons d'où il était sorti, et les trouvant nettoyées il s'en aille prendre sept autres Esprits avec lui plus méchants que lui, pour y rentrer ; et qu'ainsi le dernier état en ces hommes qui sont retombés dans le péché devienne pire que le premier. Luc. 1. v. 24. et 25. "Ecoutez donc Rois de la terre, et entendez : Juges du monde apprenez : Prêtez l'oreille vous qui gouvernez les peuples, et qui vous plaisez à dominer sur beaucoup de nations ; sachez que le pouvoir que vous avez, vous a été donné de Dieu, et que le Très haut qui vous a mis cette autorité en main, examinera toutes vos actions, et pénètrera toutes vos pensées", Sapientiae. 6. Et parce que vous êtes ses ministres, comme le saint Esprit le déclare, réprimez ces Emissaires du diable, dont je viens de parler. Je vous en conjure, vous qui en avez le pouvoir, "Par notre Seigneur Jésus-Christ, qui jugera les vivants et les morts dans son avènement glorieux ; qui s'est livré lui-même pour nous, afin de nous racheter de toute iniquité, et de nous purifier pour se faire un peuple particulièrement consacré à son service, et fervent dans les bonnes œuvres." Tit. 2. « Je conjure aussi par le même Seigneur Jésus-Christ, tous ceux qui liront ce discours, s'ils veulent prendre la peine de le lire, d'avertir dans leurs sermons, ou dans les sacrées confessions, ou dans les entretiens particuliers, et dans toutes les occasions qui si présenteront, les Rois, les Princes, les Conseillers des Rois, et les Chefs de la Justice des villes ; et je les prie non seulement de les avertir, mais de les conjurer par Notre Seigneur Jésus-Christ de punir sévèrement ces corrupteurs des mœurs des Chrétiens ; de supprimer les Romans, de bannir les infâmes auteurs des Comédies, et les Comédiens, et les Comédiennes : et de vider cette sale sentine de la République. » Le Père Ribera condamne dans ce discours toutes les propositions fondamentales de la Dissertation. Car lorsque après avoir rapporté ce que dit saint Cyprien contre les Comédies de son temps, il ajoute : « Que dirait saint Cyprien, s'il voyait aujourd'hui les Théâtres des Chrétiens, et les Comédies qui y sont jouées ? » Il condamne cette proposition de la Dissertation pag. 89. « Que la représentation des Poèmes Dramatiques ne peut être défendue par la raison des anciens Pères de l'Eglise. » Il détruit encore cette autre proposition pag. 229. « Que les Poèmes Dramatiques n'ont point été condamnés. » Et en condamnant les Comédies, aussi bien que les Mimes, et les Farces, il fait voir que c'est inutilement que l'Auteur de la Dissertation s'étend sur la différence qu'il y a entre les Comédiens, et les autres Histrions, et Acteurs de la Scène ; parce que la morale n'a point d'égard à cette distinction ; mais qu'il lui suffit pour condamner les uns et les autres ; qu'ils corrompent tous les bonnes mœurs, quoique les uns soient plus criminels que les autres. Enfin en conjurant les Princes, et les Magistrats de bannir les Comédiens ; il condamne cette proposition de la Dissertation pag. 239. « Il faut conserver un art qui peut plaire. » Bodin dans le 6. livre de la République chap. 1. n'est pas moins opposé à l'Auteur de la Dissertation. « Je tais , dit-il, l'abus qui se commet en souffrant les Comiques, et Jongleurs, qui est une autre peste de la République des plus pernicieuses qu'on saurait imaginer ; car il n'y a rien qui gâte plus les bonnes mœurs, et la simplicité, et bonté naturelle d'un peuple : ce qui a d'autant plus d'effet, et de puissance, que les paroles, les accents, les gestes, les mouvement, et actions conduites avec tous les artifices qu'on puisse imaginer, et d'un sujet le plus ord, et le plus déshonnête qu'on pût choisir, laissent une impression vive en l'âme de ceux qui tendent là tous leurs sens. Bref on peut dire que le Théâtre des Joueurs est un théâtre et un apprentissage de toute impudicité, lubricité, paillardise, ruse, finesse, méchanceté. Et non sans cause, disait Aristote , qu'il faut bien garder les sujets d'aller aux Jeux Comiques. Il eût encore mieux dit, qu'il faut raser les Théâtres, et fermer les portes de la ville aux joueurs, "Quia, dit Sénèque, nihil tam moribus alienum, quam in spectaculis desidere." Et pour cette cause Philippe Auguste Roi de France, par Edit exprès, chassa hors du Royaume tous les Bateleurs. Si on dit que les Grecs et Romains permettaient les jeux, je réponds que c'était pour une superstition qu'ils avaient à leurs Dieux ; mais les plus sages les ont toujours blâmés ; car combien que la Tragédie a je ne sais quoi de plus héroïque, et qui moins effémine les cœurs des hommes ; si est-ce toutefois que Solon ayant vu une Tragédie de Thespis, le trouva fort mauvais : de quoi s'excusant Thespis, disait que ce n'était que jeu. "Non, dit Solon, mais le jeu tourne en chose sérieuse." Beaucoup plus eût-il blâmé les Comédies qui étaient encore inconnues. Et maintenant on met toujours à la fin des Tragédies comme un poison ès viandes, la Farce, ou Comédie. Et quand ores les jeux seraient tolérables aux peuples Méridionaux pour être d'un naturel plus pesant, et mélancolique, et pour leur constance naturelle moins sujets à se changer ; si est-ce que cela doit  être défendu aux peuples tirant plus vers le Septentrion, pour être de leur nature sanguins, légers, et volages, et qui ont presque toute la force de leur âme en l'imagination du sens commun, et brutal ; mais il ne faut pas espérer que les jeux soient défendus, ou empêchés par les Magistrats ; car ordinairement on voit qu'ils sont les premiers aux jeux. » PREUVES DU XVII. SIECLE CONTRE la Comédie. Le Concile de Bordeaux tenu l'an 1624. renouvelle les défenses faites aux Ecclésiastiques d'assister à la Comédie, par le Concile précédent tenu l'an 1583. Le Père Comitolus montre par cinq preuves, « que tant ceux qui jouent des Comédies impudiques que ceux qui les écoutent, commettent un péché mortel. « La première preuve est tirée des sacrés Canons, et des lois civiles. Quant à ce qui regarde les sacrés Canons et les Décrets de l'Eglise, il y en a deux qui sont assez exprès ; si l'un est le Canon pro dilectione , l'autre est le Canon suivant Scenicis, atque Histrionibus  ; le premier prive ces sortes de gens de la Communion Ecclésiastique, ce qui est une peine qui n'est imposée que pour des crimes, et pour des péchés mortels. Dans l'autre Canon les Acteurs sont appelés apostats : le premier canon est tiré de l'Epitre 10. de saint Cyprien à Euchratius : l'autre est pris du chapitre 31. du 3. Concile de Carthage ; et l'un l'autre sont insérés dans le Droit Canonique, de consecrat. dist. 2.  » D'où il s'ensuit que selon Comitolus les Poèmes Dramatiques ont été condamnés, et que par conséquent la proposition de l'Auteur de la Dissertation pag. 229. n'est pas véritable selon Comitolus. II. Il paraît que le Canon pro dilectione. qui est tiré de S. Cyprien, se doit entendre des Comédiens, et par conséquent ce que dit l'Auteur de la Dissertation pag. 220. et 225. est faux. « Quant à ce qui regarde les lois civiles , dit Comitolus , les lois Romaines notent d'infamie ces mêmes acteurs de Comédies. Voyez la Loi 2. du Digeste de his qui notantur infamia §. Ait Pretor . » Par là Comitolus détruit la proposition de la Dissertation pag. 187. « Que les Acteurs des Poèmes Dramatiques n'étaient point infâmes parmi les Romains. » Comme aussi ce qui est dit touchant cette Loi du Digeste pag. 194. « En quoi le Préteur, et le Jurisconsulte n'ont jamais prétendu comprendre les Comédiens, et les Tragédiens. » Voyez la 1. et la 4. Réfutation du chapitre 9. La 2. preuve de Comitolus est tirée de l'autorité « des Saints Docteurs, et des plus anciens Ecrivains qui ont défendu notre religion. S. Cyprien dans l'Epitre à Donat, condamne comme coupables d'un crime énorme, ceux qui favorisent les Acteurs de Comédies déshonnêtes, en les voyant représenter, et en les entendant réciter. » Ce passage de S. Cyprien est rapporté ci-dessus dans la 3. Réfutation du chap. 10. et dans le traité de la Comédie, et des Spectacles de Monseigneur le Prince de Conti. « S. Jérôme les condamne aussi de même expliquant ces paroles du Prophète Ezéchiel : Et le Seigneur leur a dit : "Que chacun rejette ce qui est un sujet de scandale à ses yeux." Détournons , dit-il, nos yeux des spectacles, de ces scandales de l'Egypte, de l'Arène, du Cirque, et des Théâtres, et de tout ce qui souille la pureté de l'âme, et qui entre dans l'esprit par les sens ; de sorte que ce qui est écrit dans le Prophète Jérémie chap. 9. v. 20. arrive : "la mort est entrée par vos fenêtres.". » Comitolus rapporte ensuite plusieurs passages de S. Augustin, de S. Chrysostome, de Tertullien, etc., qui sont rapportés dans le traité de la Comédie, et des Spectacles de Monseigneur le Prince de Conti, et nous en avons rapporté aussi une grande partie dans nos Réfutations. Ainsi par cette 2. preuve Comitolus condamne cette proposition de la Dissertation pag. 89. « Que la représentation des Poèmes Dramatiques ne peut être défendue par la raison des Anciens Pères de l'Eglise. » Il condamne aussi tout ce que l'Auteur de la Dissertation dit dans les 10. et 11. chapitres, « que la juste censure des premiers Docteurs de l'Eglise, ne regardait point les Acteurs des Comédies, et des Tragédies ». La 3. preuve de Comitolus est tirée des plus célèbres Théologiens, et de ceux qui ont écrit des devoirs des Chrétiens. « Les Théologiens, dit-il, et les Auteurs des sommes des cas de conscience n'ont point sur ce point d'autres sentiments, que ceux des Pères : Voyez S. Thomas dans la 2. 2. q. 167. art. 2. ad 2. et q. 168. art. 3. et q. 87. art. 2. ad 2. Alexandre de Halès in 2. p. q. 132. memb. 3 dit que ces Comédies sont pernicieuses aux Acteurs, et aux Spectateurs, et au membr. 4. il confirme par l'autorité de S. Augustin dans son 100. Traité sur S. Jean, que c'est un crime énorme d'entretenir en quelque manière que ce soit l'art vicieux, et lascive de ces Acteurs. "C'est un vice énorme, dit S. Augustin, de donner son bien aux Comédiens." Ceux qui donnent de l'argent pour l'entrée, et pour leurs places, afin de voir les représentations des Comédies sont souillés de ce crime. Voyez Pierre de la Pallu sur le 4 livre du Maître des sentences, dist. 16. q. 2. art. 3. concl. 1. » Nous voyons par ces paroles de Comitolus, comme l'Auteur de la Dissertation a falsifié le texte de S. Thomas en traduisant pag. 249. le mot Histriones des bouffons pour dire que S. Thomas ne parle pas en cet endroit des Comédiens. Ce qui n'est pas vrai selon Comitolus, et comme nous l'avons prouvé ci-dessus dans la 12. Réfutation du dernier chapitre de la Dissertation. Nous voyons encore que selon Comitolus le passage de S. Augustin, « Donner son bien aux Histrions, est un vice énorme », s'entend des Comédiens. Ce qui détruit ce que l'Auteur de la Dissertation avance dans le chap. 10. pag. 225. et 226. que la défense « que S. Augustin fait de donner aux Histrions ne regarde que les Mimes, et les Bateleurs ». « Voyez encore Durand , ajoute Comitolus , et S. Antonin lequel dit que ceux qui représentent des choses fort sales, et lascives, commettent des péchés mortels : comme font aussi ceux qui regardent volontairement ces représentations, parce que ce n'est autre chose que se plaire à des impuretés ; et parce qu'ils s'exposent au danger de la tentation. Gabriel sur le livre 4. du Maître des Sentences, est aussi de ce sentiment, alléguant cette maxime, que celui qui se plaît à un péché mortel, pèche mortellement. Le Cardinal Caïetan condamne de même ces acteurs, et ces spectateurs de Comédies déshonnêtes, comme coupables de péché mortel, dans ses Commentaires sur le 2.2. de S. Thomas q. 167. art. 2. ad 2. et dans sa somme où il parle des Spectacles. Comitolus cite encore plusieurs autres Casuistes ; et dit ensuite que ce crime est beaucoup plus grand lorsqu'on le commet les jours de Fêtes, contre la défense de la dernière loi du titre des Fêtes dans le Code en ces termes : "Nous ne voulons point que ces jours de Fêtes qui sont dédiés à la souveraine Majesté de Dieu, soient employés aux voluptés, et aux divertissements en aucune manière. Et parlant du Dimanche ; nous ne souffrons pas qu'aucun se relâchant des occupations de ce S. Jour s'applique à des plaisirs déshonnêtes. Que la Scène donc du Théâtre, les combats du Cirque, et les tristes spectacles des bêtes cessent entièrement en ce saint Jour. Que si la solennité qu'on célèbre au jour de notre naissance, se rencontre en quelqu'une de ces Fêtes, qu'elle soit remise à un autre jour. " « Et parce que cette loi est juste, pour un sujet aussi important qu'est celui qui regarde l'établissement du culte de Dieu, qu'elle a été faite par un Empereur légitime, et qu'elle a été reçue par toutes les Provinces de l'Empire, on ne la peut mépriser sans commettre un crime. Richard dans ses Commentaires sur le 4. livre du Maître des Sentences, infère de cette loi que selon les Docteurs, c'est un péché mortel, de danser, et de faire des joutes les Dimanches.  « La quatrième preuve (de Comitolus) comprend les raisons tirées des principes de la Théologie, et de la philosophie morale... « Et premièrement il faut prouver que ceux qui jouent des Comédies déshonnêtes, commettent un crime. Et ensuite il faut prouver que ceux qui les vont écouter commettent aussi un péché mortel. « Voici les raisons qui regardent les Acteurs des Comédies. « 1. Se priver soi-même, et les autres de la vertu, sans laquelle nul ne peut obtenir de Dieu le salut éternel ; est un grand péché ; car il éteint la charité. Or celui qui représente publiquement des choses déshonnêtes, se prive volontairement soi-même, et les autres de la pureté de cœur, sans laquelle nul ne verra jamais Dieu. Il commet donc un grand péché. « 2. Celui qui détruit les fondements des villes, et des états bien réglés, commet un très grand crime. Or les Acteurs des Comédies s'efforcent de le faire, en bannissant des villes la pudeur, la modestie, la tempérance, et la chasteté. Ils commettent donc un très grand crime. « 3. Ceux qui corrompent la bonne éducation de la jeunesse, et qui l'empêchent de se conduire avec l'honnêteté, et la décence que demande la vie civile ; commettent un grand péché. « C'est ce que font ces infâmes Acteurs de Comédies déshonnêtes. Ils commettent donc un grand péché. 4. Il faut que ceux qui corrompent la véritable fin des Villes, et des Etats ; aient les mœurs bien corrompues, et l'esprit bien vicieux. « Or c'est ce que tâchent de faire les Mimes, les Comédiens, et les Bateleurs, qui en foulant aux pieds la vertu, laquelle seule conduit à la félicité, introduisent dans les Villes, le vice, l'oisiveté, et l'impureté. Car la fin de toutes les justes Lois, de tous les sages Législateurs, et de tous les Etats, est de rendre les Citoyens vertueux, afin que par la vertu ils puissent être heureux. « 5. Celui qui dans son action se propose quelque chose criminelle, commet un crime. Or ceux qui divertissent et flattent les oreilles et les yeux des spectateurs, et des auditeurs, par des Comédies, et des représentations déshonnêtes, se proposent un plaisir criminel soit dans toute la Comédie, soit dans quelque partie ; ils commettent donc un crime : et un crime de scandale actif comme parlent les Théologiens, ou d'homicide spirituel. « 6. Nul n'est privé par l'Eglise Chrétienne de la participation des Sacrements, que pour un crime digne de la damnation éternelle. Or ces Mimes, ces Comédiens, et ces Bateleurs sont privés par l'Eglise de la participation des Sacrements, ils commettent donc un crime digne de l'éternelle damnation. « 7. Celui qui composerait un Poème, ou des vers d'amour, sans craindre d'allumer dans les cœurs des Lecteurs le feu de l'impureté, commettrait un crime qui blesserait grièvement l'amour qu'on doit à Dieu. Combien plus donc le blessent ceux qui embrasent les cœurs des spectateurs des flammes des vices, non par un livre inanimé qu'ils présentent à leurs yeux ; mais par leurs postures, par leurs gestes, par leur visage et par leur voix qui ne respire que l'impureté, et qui brûle leurs cœurs par des feux impudiques et honteux. « 8. Les Acteurs de Comédies déshonnêtes, méprisent grandement Dieu, et ses augustes lois : ils nuisent extrêmement aux spectateurs, et à eux-mêmes : ils commettent donc un péché mortel. « Enfin tant d'illustres Prélats, tant de doctes interprètes de notre Religion. Tant de célèbres Théologiens ont condamné les Comédies déshonnêtes, et leurs Acteurs, comme des choses très pernicieuses, et comme des objets de la haine de Dieu. Il n'est pas donc permis de douter de l'énormité de leur crime. « Quant aux spectateurs voici les raisons qui font voir combien ils sont coupables. Premièrement, c'est un péché mortel, d'être cause que les autres commettent un péché mortel. Or les spectateurs en assistant aux Comédies déshonnêtes, sont cause que les Comédiens les représentent ; ils commettent donc un péché mortel. « 2. Donner de l'argent à ces sortes de Comédiens, est un vice énorme selon saint Augustin, et c'est sacrifier aux démons selon Jérôme. Or ceux qui vont à la Comédie, font cela ; ils s'engagent donc dans un vice aussi énorme que s'ils sacrifiaient aux démons. « 3. C'est un péché mortel, de trouver son plaisir dans un péché mortel, ou dans une chose qui n'est point sans péché mortel. Or les spectateurs des Comédies déshonnêtes trouvent leur plaisir dans l'action criminelle des Acteurs de ces Comédies. Les spectateurs donc se rendent coupables du même crime. « 4. C'est le commun sentiment des Docteurs de l'Eglise Chrétienne, et des Théologiens touchant le péché des spectateurs, il n'est donc pas permis de nous en éloigner. » La cinquième preuve de Comitolus est tirée des Philosophes qui n'ont pas été éclairés de la lumière de la sagesse chrétienne. Il rapporte premièrement l'autorité de Platon, qui dans le troisième livre de la République « ne veut point qu'on reçoive dans la Ville ni les Comédies qui représentent des choses mauvaises, et déshonnêtes, ni les Comédiens et les Bateleurs ». Ensuite il rapporte les passages d'Aristote que nous avons rapportés ci-dessus dans la sixième Réfutation du chapitre 11. de la Dissertation. Enfin il conclut non pas comme fait l'Auteur de la Dissertation : « Qu'il faut chasser des Comédies le vice qui se doit faire haïr partout, et conserver un art qui peut plaire. » Mais il dit : « Si les Messéniens chassèrent les Epicuriens de leur pays ; et si les Romains les bannirent de leur Ville, parce que leur exemple, leur discipline, et leurs discours corrompaient les mœurs de leur jeunesse, et la portaient à la débauche, et aux sales voluptés comme Elien le témoigne ; qui ne jugera qu'on doit bannir non seulement de la Ville, mais de toute la terre habitable, ces infâmes sectateurs d'Epicure, ces débauchés, ces impudiques, ces ennemis capitaux de toute décence, et de toute vertu, qui éteignent presque toute la lumière de la raison dans les esprits des enfants, des jeunes gens, des hommes, des vieillards, des jeunes filles, des femmes mariées, et des veuves, et qui chassent des âmes des hommes tout ce qui a quelque apparence de prudence, et d'honnêteté ? » Le Père Guzman a composé un livre en Espagnol des biens de l'honnête travail, où il prouve par des raisons très fortes que les Comédies sont pernicieuses, et qu'étant impossible de les réformer, on les doit entièrement abolir. Il dit premièrement que la Comédie est une tête qui a resté de l'Hydre du Paganisme, que les Chrétiens doivent couper, et brûler tout à fait. Nous avons rapporté ci-dessus ses paroles dans la 1. Réfutation du chapitre 4. de la Dissertation. 2. Il montre que la Comédie tire son origine de l'Idolâtrie. 3. Il parle des Théâtres, et représente que les peuples ayant embrassé la Religion Chrétienne, les abattirent ; et que par conséquent la Religion Chrétienne ne permet point qu'on dresse de nouveau des Théâtres : il rapporte ensuite les diverses descriptions que les Pères de l'Eglise ont fait des Théâtres. « Les uns, dit-il, appellent les Théâtres les écoles des vices : D'autres les appellent des Chaires de pestilence, et d'erreur : Quelques-uns les nomment les temples et les Eglises du diable : les sanctuaires de Vénus : les pompes du monde, et sa plus grande vanité. D'autres disent que ce sont les solennités du diable, et les fêtes de Satan. Il y en a qui les appellent, les boutiques du péché, de la débauche, et de la méchanceté : les cours de l'oisiveté : les consistoires de l'impureté : D'autres les appellent les fournaises de Babylone : la peste de la République ; les sources de plusieurs maux. Tertullien dit que les Comédies sont des représentations qui entretiennent l'impudicité, la cruauté, la débauche, l'impiété, et la prodigalité. D'autres enfin disent que c'est un art infâme de bouffonnerie, et de fourberie, et d'effronterie, une profession publique de toute méchanceté. « Les Théâtres , ajoute-t-il, et les représentations sont les écoles des vices qui y sont représentés, comme on les y représentait anciennement ; et comme on y représente encore aujourd'hui très souvent, des adultères, des incestes, des sacrilèges, des homicides, des vengeances, des excès d'ambition, et des prétentions d'honneur contre la raison, et le droit : Des tromperies, et des fourberies que les valets, et les serviteurs font à leurs Maîtres : Des tours des femmes débauchées, des ruses, et des artifices de maquerellage. Ceux qui voient et qui entendent ces choses, se retirent ou passionnés pour ces choses, ou instruits à les faire. » 4. Le Père Guzman rapporte ensuite plusieurs passages des anciens Pères qui condamnent les Comédies, et les autres spectacles : On les peut voir ci-dessus dans nos Réfutations et dans le Traité de la Comédie, et des Spectacles de Monseigneur le Prince de Conti. 5. Il représente les dangers auxquels s'exposent ceux qui vont à la Comédie. 1. De la part des choses qui y sont représentées. 2. De la part des femmes qui paraissent sur le Théâtre. 3. De la part des assemblées. Quant au danger qui vient des choses qui sont représentées : « Je dis, dit-il, qu'on ne saurait mieux faire entendre combien les Théâtres sont nuisibles, qu'en disant que ce sont des lieux dangereux, des précipices glissants de consciences, des pièges des âmes. Certes il faudrait être bien aveuglé par sa passion pour ne pas apercevoir le danger qu'il y a dans ces mauvais passages ; et il faudrait n'avoir aucune appréhension de sa perte, pour ne pas se garder de passer par là. Qu'un homme sans passion, et qui juge bien des choses me dise s'il y a rien de plus dangereux, que de représenter aux yeux, des objets qui ont tant de force, et tant de pouvoir sur l'âme, et qui obtiennent d'elle si promptement ce qu'ils veulent : des intrigues d'amour, des prétentions déshonnêtes ou de vengeance ou d'ambition, qu'on commence, qu'on continue, et qu'on achève avec beaucoup d'artifice, d'adresse, et d'esprit, qu'on accompagne de belles paroles, qu'on représente avec des actions vives, avec une prononciation agréable, et avec gravité. "Un Chrétien, dit S. Cyprien, à qui il n'est pas même permis d'avoir une pensée des vices ? que fait-il là, où il les voit d'une manière vive, et tels qu'ils sont en eux-mêmes.". » Quant au danger qui vient de la part des femmes qui paraissent sut le Théâtre : « Ajoutons à cela, dit-il, qu'il y a une autre chose qui est d'elle-même nuisible, et qui enferme un danger particulier, le plus grand qu'il y ait en ce sujet, est de voir une femme paraître sur le Théâtre, qui fait son personnage, qui joue des instruments, qui chante, qui danse, qui est bien parée, avec tous les ornements du fard, de l'afféterie, et de la lubricité ; qui est adroite, et de bonne mine, et qui ayant perdu la honte qui est si naturelle aux femmes, parle hardiment en public, chante, danse, représente tantôt une Reine, tantôt une femme débauchée ; joue tantôt dans l'Episode, tantôt dans la Comédie ; paraît tantôt en bon ordre, tantôt en désordre ; et toujours avec trop de liberté, et peu souvent avec honnêteté, qui fait la dédaigneuse, puis l'affable ; qui se rend quelquefois rigoureuse ; quelquefois douce et traitable, et qui dans toutes ces actions n'a point d'autre fin que de plaire, et de paraître belle. Si les seules sandales de Judith furent capables de ravir les yeux d'un fier Général d'armée, comme sa beauté ravit son âme ; que fera le visage, les bras, les pieds, la taille, la bonne grâce, la danse d'une femme qui dans la représentation d'une Comédie se présente aux yeux d'un jeune homme, qui se tient peu sur ses gardes, et dont le cœur n'est point occupé des exercices de la guerre : comme était celui d'Holopherne ; mais qui est en butte aux flèches de l'amour déshonnête ? » Guzman allègue à ce propos les paroles de Saint Chrysostome que j'ai rapportées ci-dessus dans le XIV. Siècle. Il cite ensuite ces passages de l'Ecclésiastique : « Ne jetez pas les yeux sur une femme débauchée, de peur de tomber dans ses pièges. « Ne fréquentez point ces femmes qui font profession de danser, et de bien chanter, de peur que leurs attraits ne vous perdent. « Ne regardez point une jeune fille, de peur que sa beauté ne vous soit un sujet de scandale, et de chute. « Détournez vos yeux d'une femme bien parée, la beauté d'une femme a fait périr plusieurs hommes. C'est ce qui allume le feu de la concupiscence. »   Et après avoir allégué plusieurs autres endroits de l'Ecriture, et des Pères sur ce sujet, il adresse aux curieux ces paroles de S. Chrysostome : « Que les Curieux qui regardent les beautés étrangères, que ces fous qui sont passionnés pour les Spectacles des Théâtres, écoutent ce qu'ils disent pour chercher des excuses dans leurs péchés : Nous regardons bien ces choses ; mais nous n'en sommes point touchés. « Puisque David qui était un si grand personnage un si saint homme en fut blessé ; pensez-vous que ces objets ne vous puissent faire aucun mal ? David était sur le haut de sa maison ; et vous êtes dans le Théâtre ; qui est un lieu, où un homme sage ne se peut trouver sans se rendre coupable . David était éloigné de la femme qu'il aperçut, et vous en êtes si proche : Il ne pensait point à sa perte ; et vous l'allez chercher, où il y a tant de dangers, tant de précipices, tant de sujets de chute. Comment pourrais-je présumer que vous en sortiez sans péché ? Etes-vous de pierre, ou de fer, pour vous jeter dans le feu sans vous bruler ? Et quand bien vous le seriez : ne savez-vous pas que le feu consume les pierres, et le fer ?  « L'Abbé S. Nil dit qu'un des meilleurs remèdes dont on peut se servir contre la luxure, est de fuir les spectacles, quand ce serait, dit-il, pour célébrer les Fêtes des Saints ; parce qu'il vaut mieux que vous demeuriez en votre maison, que de tomber entre les mains de vos ennemis, en pensant honorer les Fêtes des Saints. « Orat. 2. de luxuria . Et ce qui est certain en cette matière, c'est que le S. Esprit nous déclare : Ecclésiastique 3. v. 27. "Que celui qui aime le danger, périra dans le danger." Sur quoi un célèbre Docteur, dit (ce que tous les autres doivent aussi dire) que celui qui sait probablement par le témoignage de sa conscience, qu'en allant à un lieu dangereux il tombera dans le péché, pèche mortellement en y allant, devant même qu'il tombe dans le péché ; parce qu'il s'expose au danger, et le cherche. Or on ne peut dire ni s'imaginer sans ignorance, ou sans une témérité présomptueuse, que le Théâtre où l'on voit des femmes qui jouent des Comédies, et d'autres qui y assistent, n'est point un lieu dangereux. « Il est indubitable qu'une Comédienne galante, et de bonne mine ressemble le serpent nommé Scitale qui selon Solin, et S. Isidore, est si beau, et a des écailles emmaillées d'or, et de diverses couleurs si vives, et si reluisantes, qu'il ravit le cœur et l'affection de celui qui le regarde… Et il me semble que non seulement toutes les Comédiennes bien parées, et richement vêtues, mais encore toutes les Comédies ressemblent ce serpent, si nous considérons leur artifice, leurs intrigues fabuleuses, la justesse de leurs incidents, leur appareil, leurs ornements, leurs entractes, leurs danses, leurs galanteries, et leurs actions bien étudiées : et pour me servir des paroles de S. Chrysostome : "Tout ce qui se fait dans ces représentations malheureuses, ne porte qu'au mal : les paroles, les habits, la frisure des cheveux, le marcher, la voix, les chants, les regards des yeux, les mouvements du corps, le son des instruments, les sujets mêmes, et les intrigues des Comédies, tout y est plein de poison, tout y respire l'impureté.". » 3. Quant au danger qui vient des assemblées du Théâtre ; « un autre mal, dit-il, est, l'occasion, et la licence que donne le Théâtre, ce lieu où s'assemblent tant de gens, et où comme disait un Ancien parlant d'Athènes, tout passe pour honnête, quelque déshonnête qu'il soit : les regards, les discours, les ris, les signes, les présents, les lettres d'amour, les collations. « 4. L'autre mal est la perte du temps, que les Comédiens et leurs Spectateurs passent dans un divertissement, qui serait mauvais, quand il n'aurait d'autre vice que celui de l'oisiveté... « O temps, qui es si précieux, et qui es la mesure de notre vie, qui nous es donné pour acquérir la gloire éternelle, pour nous appliquer à l'étude de la sagesse, et pour vaquer aux exercices de la vertu, que les hommes sont aveuglés de te perdre inutilement avec tant de profusion. » Ensuite le Père Guzman rapporte les Lois civiles, et Ecclésiastiques qui ont condamné les Comédies, et leurs Acteurs, comme nous les avons rapportées ci-dessus dans nos Réfutations. Il déplore l'état de ces malheureux Chrétiens qui n'ont point de honte d'entreprendre la défense de la Comédie : Nous avons rapporté ses paroles ci-dessus dans la 11. Réfutation du chap. 12 de la Dissertation. Après cela il répond aux objections que ces sortes de gens ont accoutumé de faire. Premièrement, sur ce qu'ils disent, qu'il est nécessaire qu'il y ait quelque divertissement dans la vie civile ; il répond « qu'il est nécessaire qu'il y ait quelque divertissement agréable, pour se délasser des soins et des travaux, non seulement dans le public ; mais aussi dans les maisons en particulier. Mais il ne s'ensuit pas pour cela qu'il faille établir ce divertissement dans les Comédies ; Car, comme dit Clément d'Alexandrie, "il ne faut jamais acheter une oisiveté par une vaine, et inutile occupation". Et selon saint Bernard, ces sortes de divertissements ne sont que de pures niaiseries, que Cicéron estime indignes d'un homme de bien. "Il y a, dit-il, un genre de divertissement qui est servile, indigne d'un honnête homme, impudent, criminel, déshonnête." Tel est sans doute le divertissement du Théâtre : que saint Grégoire appelle une sotte réjouissance : et saint Augustin, des badineries sacrilèges. Ce qui est très véritable ; car si on ne dit, ou si on ne fait mille impertinences sur le Théâtre ; on n'y prend point de plaisir. Saint Jean Chrysostome raconte que des Barbares, ou des Etrangers (que les Grecs appellent Barbares) voyant l'affluence du peuple, et la réjouissance publique des Théâtres de Rome, dirent des paroles dignes des plus sages d'entre les Philosophes, il semble, dirent-ils, que les Romains n'aient ni femmes, ni enfants, et qu'ainsi ils se soient adonnés à ces divertissements. O Dieu ! est-ce que nous ne pouvons-nous divertir sans faire des péchés de nos divertissements ? Et n'y aurait-il point de plaisir à rire, si l'on n'offensait Dieu ? les hommes n'ont-ils pas beaucoup d'autres divertissements honnêtes dans leurs maisons, ou hors de chez eux ? N'y a-t-il point d'autres jeux licites, ni d'autres exercices utiles pour l'âme, et pour le corps ? » Ajoutons ces paroles de l'Empereur Justinien. « Peut-on donner le nom de jeu et de divertissement à ce qui cause des crimes ? » 2. Et sur ce que les défenseurs, de la Comédie ont accoutumé de dire ; qu'on apprend dans les représentations beaucoup de choses qui sont utiles à la vie civile : qu'on y découvre beaucoup de fourberies : ce qui sert à rendre les jeunes gens avisés dans les diverses rencontres qui se présentent. Le Père Guzman répond, que l'expérience nous fait voir le contraire : « Notre nature corrompue, et vicieuse a d'elle-même plus de pente à tomber qu'à s'élever ; si elle est donc poussée en bas avec effort comme elle l'est à la Comédie ; comment ne tombera-t-elle pas, quand même elle serait dans le plus haut état de la vertu ? « La vue des Spectacles dit saint Thomas (2. 2. q. 167. art. 2. ad 2.) est vicieuse en ce qu'en regardant les choses qui y sont représentées, on devient enclin aux vices, ou de l'impureté, ou de la cruauté ! Ainsi saint Chrysostome dit (Homil. 6. in Matth.) que la vue de ces fictions fait beaucoup d'adultères véritables : on apprend l'adultère, en le voyant représenter, dit saint Cyprien, et le mal qui est autorisé publiquement a tant de charmes, qu'il arrive que des femmes qui étaient peut-être chastes lorsqu'elles sont allées aux spectacles, en sortent impudiques. Un jeune homme en s'accoutumant à voir la représentation des crimes, apprend à les commettre ; et il n'en apprend que trop. Mais afin qu'il ne semble que ce soit seulement le sentiment des saints Pères, écoutons ce qu'en dit un Païen. « "Nous avons vu dans les spectacles , dit-il, la pudicité souvent abattue ; et toujours ébranlée. Plusieurs femmes y ont perdu leur réputation, et leur pudeur : et s'en retournent chez elles impudiques : la plupart suspectes de l'être, et pas une n'en revient plus chaste.". » 3. La 3. objection est, que les Comédies ne sont pas si pernicieuses, comme on le fait accroire. Le Père Guzman répond à cela : « Premièrement, qu'il emploie la réponse que saint Jean Chrysostome a faite autrefois à cette objection, qu'il propose, et réfute en ces termes :· "Je vous montrerais, me direz-vous, des personnes à qui ces jeux n'ont fait aucun mal ? Mais n'est-ce pas un assez grand mal que d'employer si inutilement un si long temps, et d'être aux autres un sujet de scandale ?" «  Et pour faire entendre encore qu'il y a plus de mal qu'on ne pense, dans les Comédies, il suffit d'ajouter ce que dit ce même Saint en un autre endroit : "Les Théâtres causent de grands maux aux Villes. Oui ces maux sont grands ; et cependant nous ne le comprenons pas.... «  "Les jeunes filles y apprennent à avoir moins de pudeur : les jeunes hommes deviennent impudents, et effrontés : les vieillards retombent dans la débauche" : de là viennent les malheurs, et les désordres des mariages, les larcins, les péculats , et une infinité d'autres crimes inconnus aux siècles passés. « Je dis en second lieu, ce que dit Pierre Grégoire de Toulouse dans son recueil du Droit ; et ce qu'un Conseiller de Conseil Royal, personnage grave, et zélé pour le bien de l'Etat, docte et pieux, quoique homme d'épée, remontra au Roi Philippe second, de glorieuse mémoire, dans le mémorial qu'il lui présenta, qu'il n'y a rien de plus nuisible à l'Etat, que de dissimuler le mal qui vient de l'usage des Comédies ; et qu'il n'y a rien de plus nécessaire que d'y remédier. J'ajouterai ce que dit Salvien Evêque de Marseille Ecrivain très ancien, et très considérable ; que Dieu punit le monde à cause des abominations des Théâtres, et des Comédies. Saint Cyprien prie Donat de l'aider à déplorer les grands maux que les spectacles font aux âmes. Le Père Ribera homme de grande doctrine, exhorte les Rois, les Princes, les Gouverneurs, les Juges, les Prédicateurs, les Confesseurs, ceux qui ont la conduite des âmes, les Inquisiteurs du saint Office, et enfin tous ceux qui ont l'autorité, et le pouvoir en main, pour remédier à ce mal ; et les conjure par les entrailles de Jésus-Christ, et par le Sang qu'il a répandu pour le salut des âmes, de faire en sorte par leurs soins dans toutes les occasions qui se présenteront de bannir de l'État ce mal, cette peste, et cette ruine des âmes : et de brûler tous les livres de Comédies, dont les boutiques des Libraires sont pleines. C'est le sentiment de ces savants, et de ces Saints hommes ; c'est ce qu'ils publient. C'est donc un signe que le mal est extrême, et que le péril est grand. "Que si, dit saint Chrysostome, parlant à ce présomptueux qui ne trouvait pas tant de mal en cela, vous avez l'esprit assez fort pour n'être point blessé de ces représentations infâmes, n'est-ce rien que vous y ayez attiré des esprits plus faibles par votre exemple. Comment donc êtes-vous innocent, puis que vous êtes coupable du crime des autres !" Et en un autre endroit : "Que si vous avez pu voir ces choses sans en recevoir de l'impression ; vous ne laissez pas néanmoins d'en être coupable, parce que vous êtes devenu un sujet de scandale, et de chute aux autres." Ce grand Saint représente encore ailleurs un autre grand mal que commettent ceux qui font jouer les Comédiens, et qui les animent par leur présence, et par le goût qu'ils y prennent. » Car si tout le monde s'accordait à ne vouloir point regarder leurs sottises ; Ils cesseraient bientôt de les faire. «  Mais lorsqu'ils nous voient quitter toutes nos autres occupations, tous nos exercices nécessaires, nos affaires mêmes domestiques, nos travaux, et l'argent qui nous en revient, en un mot renoncer à tout pour assister à ces spectacles. Ils redoublent leur ardeur, et ils s'appliquent bien davantage à ces niaiseries. Que dirait ce Saint si zélé, s'il voyait ou s'il savait combien les grands donnent aux Comédiens, soit dans le Théâtre, soit ailleurs, pour les récompenser de leurs actions ? Il dirait sans doute, ce que saint Augustin dit quelque temps après, dont on a composé un Canon dans le droit Ecclésiastique : donner aux Comédiens est un vice énorme de prodigalité, en donnant lorsqu'il ne faut point donner. Se voyant donc honorés, enrichis, comment ne se plairaient-ils pas à faire ce métier ? comment le changeraient-ils pour un autre ? comment le quitteraient-ils ? » 4. La quatrième objection est : Que les Comédies apportent une grande utilité à la langue vulgaire, l'enrichissant par la beauté de leur style, et par leur galante manière de parler. J'ai rapporté ci-dessus dans la 2. Réfutation du chapitre 12. de la Dissertation la réponse du Père Guzman. 5. La cinquième objection est : Que les Comédies ne sont pas toujours mauvaises : qu'il y en a quelques-unes de bonnes, comme sont celles qui représentent la vie d'un Saint, ou quelque histoire de la sainte Écriture. J'ai rapporté ci-dessus dans la 3. Réfutation du chapitre 12. de la Dissertation la réponse du Père Guzman. Enfin il répond généralement à toutes les objections qu'on propose pour la défense des Comédies ; que ce n'est que chercher de vieilles raisons, pour autoriser le vice ; lesquelles ont été réfutées dès les premiers Siècles du Christianisme. « S. Cyprien, dit-il, rejette avec indignation ces excuses frivoles qu'alléguaient de son temps quelques Ecclésiastiques. Ce n'est donc plus, dit-il, chercher des excuses dans les vices, c'est tâcher de les autoriser. » Et après cela le Père Guzman conclut : Que l'expérience de tant de Siècles ayant fait voir qu'il n'y a point de réformation, ni de règlement qui puisse remédier aux désordres des Comédies, et que quand il y en aurait quelqu'un, les Comédiens ne seraient pas capables de le recevoir, et le peuple même ne le trouverait pas à son goût ; Il s'ensuit qu'il faut bannir les Comédies de la République Chrétienne, J'ai rapporté ci-dessus dans la 5. Réfutation du chapitre 12. de la Dissertation les paroles du Père Guzman. Il finit par l'explication du passage de S. Thomas 2. 2. quæst. 168. art. 3. ad 3. que nous avons rapporté ci-dessus dans la 12. Réfutation du chap. 12. de la Dissertation. Le Père Mariana a composé un Traité contre les Comédies, dont il a fait lui-même l'abrégé dans le chap. 16. du 3. livre du Roi, et de son instruction. Où après avoir montré combien les Comédies sont pernicieuses, il déplore l'aveuglement du peuple qui a tant de passion pour ces folies ; et l'erreur de ceux qui pour le flatter, cherchent de fausses raisons, et n'ont point de honte d'entreprendre la défense d'un dérèglement qui est si opposé aux lois de l'Evangile, et aux règles de l'Eglise. J'ai rapporté ses paroles ci-dessus dans la 11. Réfutation du chapitre 12. de la Dissertation. Il dit ensuite que la Comédie est si vicieuse que, quand on la réformerait de telle sorte qu'on n'y représentât que des Histoires Saintes ; elle ne serait pas moins opposée à la sainteté de notre Religion, parce qu'il ne convient point à des personnes infâmes de représenter les actions des Saints. J'ai rapporté ses paroles dans la 3. Réfutation du chap. 12. Enfin il conclut qu'il est utile à l'Etat que les Comédiens qui ne montent sur le Théâtre que pour le gain, soient entièrement rejetés. Que si la corruption des mœurs est si grande qu'on ne puisse pas obtenir l'entière abolition des Comédies, et qu'on soit contraint de les tolérer ; il propose la manière la plus propre selon son avis pour les réformer ; Puis il avertit de ne pas s'imaginer que quelques réformées que puissent être les Comédies ; elles fussent bonnes, et innocentes, parce que tout ce que la réformation la plus exacte peut faire, c'est de les rendre seulement moins mauvaises. C'est pourquoi il ajoute aussitôt ces paroles par lesquelles il finit son traité : « Mais enfin il faut faire comprendre au peuple que la République n'approuve point les Comédiens ; mais que si elle accorde aux peuples le divertissement de la Comédie ; c'est qu'elle ne le peut refuser à l'importunité de leurs demandes : et que ne pouvant pas obtenir d'eux, qu'ils se portent à ce qui est meilleur, elle a accoutumé de tolérer quelquefois de moindres maux, et de donner quelque chose à la légèreté de la multitude. » J'ai rapporté ci-dessus dans la 5. Réfutation du chapitre 12. de la Dissertation le discours entier du Père Mariana. Monsieur l'Evêque de Vence condamne en peu de paroles l'idée chimérique de la réformation des Comédies, que l'Auteur de la Dissertation propose, afin, dit-il, « de conserver un Art qui peut plaire » ; car ce savant et pieux Prélat estime que c'est un Art si dangereux, qu'il ne peut plaire justement·qu'à des Idolâtres, mais non pas à de véritables Chrétiens : il dit que quelques réformées que puissent être les Comédies, elles sont toujours empoisonnées : de sorte que les Chrétiens qui doivent régler leurs mœurs sur les vérités de l'Evangile, et non pas sur les maximes des Païens, doivent fréquenter l'Eglise, et non pas le Théâtre, qui est un reste du Paganisme. « Le Théâtre jamais ne fut si glorieux, Le jugement s'y joint à la magnificence : Une règle sévère en bannit la licence : Et rien n'y blesse plus ni l'esprit, ni les yeux. On y voit condamner les Actes vicieux, Malgré les vains efforts d'une injuste puissance, On y voit à la fin couronner l'innocence, Et luire en sa faveur la justice des Cieux. Mais en cette leçon si pompeuse et si vaine, Le profit est douteux et la perte certaine, Le remède y plaît moins que ne fait le poison. Elle peut réformer un esprit idolâtre : Mais pour changer leurs mœurs, et régler leur raison. Les Chrétiens ont l'Eglise, et non pas le Théâtre. » Le Révérend Père Sénault Supérieur général de la Congrégation de l'Oratoire dans le 7. discours du livre qu'il a composé du Monarque, ou des devoirs du Souverain, fait voir que la Comédie est si dangereuse, que plus elle semble honnête, plus elle est criminelle. « Comme les Théâtres , dit-il, font une partie des réjouissances publiques, je me vois contraint d'examiner en ce lieu-ci la Comédie, et de rechercher si ce plaisir est aussi permis, qu'il est devenu commun. « Ceux qui le veulent excuser disent que c'est une instruction agréable, une morale divertissante, une peinture de la vie, une image des passions, et de leurs désordres, une Apologie de la vertu, et une condamnation du vice, puisque celui-ci, est toujours méprisé, et que celle-là y est toujours couronnée. Voilà, ce me semble, en peu de paroles la défense du Théâtre, et le Panégyrique même de la Comédie. « Mais si nous en voulons juger sans prévention, nous avouerons que plus elle est charmante, plus elle est dangereuse ; et j'ajouterais même que plus elle semble honnête, plus je la tiens criminelle. Le plaisir fait entrer insensiblement toutes les choses du monde dans notre esprit ; Et il n'y a rien de si mauvais qui n'y soit fort bien reçu, quand il est accompagné de ce poison agréable. C'est l'appât qui couvre l'hameçon auquel il est attaché ; Et l'expérience nous apprend que les hommes ne se perdent que par l'amour de la volupté : "Si rien d'illicite ne leur plaisait , dit S. Augustin , ils ne pêcheraient jamais" ; et si le mal ne se glissait sous l'apparence du plaisir, il n'entrerait jamais dans leurs âmes. « Or la Comédie est le plus charmant de tous les divertissements : Elle ne cherche qu'à plaire à ceux qui l'écoutent : Elle se sert de la douceur des vers, de la beauté des expressions, de la richesse des figures, de la pompe du Théâtre, des habits, des gestes, et de la voix des Acteurs ; elle enchante tout à la fois les yeux, et les oreilles ; et pour enlever l'homme tout entier, elle essaie de séduire son esprit, après qu'elle a charmé tous ses sens. Il faut être de bronze, ou de marbre pour résister à tant d'appas ; et j'avoue que les plus grands Saints auraient peine à conserver leur liberté, au milieu de tant d'agréables tentations. « Mais on me dira que ce plaisir est innocent : que si l'on y est satisfait, c'est de voir que la vertu y triomphe de son ennemi, et que la patience, après y avoir été exercée, reçoit la récompense qui lui est due ; que les plus nobles sentiments y sont toujours les mieux écoutés, et que les plus justes passions y sont toujours les mieux reçues. « C'est de quoi je ne tombe pas d'accord : et pour produire la pièce qui a reçu le plus de louanges, et qui a été l'admiration de toute la France ; N'est-il pas vrai que Chimène exprime mieux son amour que sa piété : que son inclination est plus éloquente que sa raison ; qu'elle excuse mieux le parricide qu'elle ne le condamne ; que sous ce désir de vengeance qu'elle découvre, on y remarque aisément une autre passion qui la retient ; et qu'elle paraît incomparablement plus amoureuse, qu'irritée ? Disons donc que l'on voit, et que l'on sent que cette fille est préparée à épouser le meurtrier de son Père, et que l'amour qui triomphe de la nature, la va rendre coupable du crime que son amant vient de commettre. Disons encore que si les filles sont assez sincères pour nous découvrir leur sentiment, elles avoueront que l'amour de Chimène fait bien plus d'impression sur leur esprit, que sa piété ; qu'elles sont bien plus touchées de la perte qu'elle a faite de son Amant, que de celle qu'elle a faite de son Père, et qu'elles sont bien plus disposées à imiter son injustice, qu'a la condamner. « L'homme est entièrement perverti depuis le péché : les mauvais exemples lui plaisent plus que les bons, parce qu'ils sont plus conformes à son humeur ; et quand on lui représente sur le Théâtre le vice avec ses laideurs ; et la vertu avec ses beautés, il a bien plus d'inclination pour celui-là que pour celle-ci. « Et comme les Poètes ne sont pas exempts de ce désordre qui n'épargne aucune personne, ils expriment beaucoup mieux les passions violentes que les modérées, les injustes, que les raisonnables, et les criminelles, que les innocentes : si bien que contre leur intention même, ils favorisent le péché qu'ils veulent détruire, et ils lui prêtent des armes pour combattre la vertu qu'ils veulent défendre. C'est pourquoi je détournerai toujours les Chrétiens de la Comédie : Je leur conseillerai d'éviter un écueil qui étant plus dangereux qu'agréable, fait faire souvent un triste naufrage à la chasteté ; Et me retranchant dans la raison de saint Cyprien , je leur dirai que le Fils de Dieu leur a défendu de regarder ce qu'il leur a défendu de commettre. » Monseigneur le Prince de Conti avait eu en sa jeunesse tant de passion pour la Comédie, qu'il entretint longtemps à sa suite une troupe de Comédiens, afin de goûter avec plus de douceur le plaisir de ce divertissement : Et ne se contentant pas de voir les représentations du Théâtre, il conférait souvent avec le chef de leur troupe, qui est le plus habile Comédien de France, de ce que leur Art a de plus excellent, et de plus charmant. Et lisant souvent avec lui les plus beaux endroits, et les plus délicats des Comédies tant anciennes, que modernes, il prenait plaisir à les lui faire exprimer naïvement : de sorte qu'il y avait peu de personnes qui pussent mieux juger d'une pièce de Théâtre que ce Prince. Mais après s'être donné tout entier à Dieu, il eut un si grand regret du temps qu'il avait perdu dans ces divertissements criminels ; que pour réparer le mal qu'il avait fait, et qu'il pouvait avoir causé par son exemple ; il se crut obligé de donner aux peuples quelques avertissements qui pussent leur faire connaître le danger où s'exposent ceux qui fréquentent les Comédies : et comme ce divertissement n'est autorisé que par la coutume, qui le fait passer pour une chose indifférente, dans l'esprit de la plupart du monde ; il jugea que pour détruire cette erreur, il ne fallait qu'opposer à cette coutume vicieuse, la tradition perpétuelle de l'Eglise, qui a toujours condamné la Comédie, comme une chose tout à fait opposée aux règles de l'Evangile, et à la pureté de la Religion Chrétienne. Cet illustre Prince acheva cet ouvrage un an devant sa mort ; et on l'a donné au public quelque temps après. Toute l'Europe a eu la curiosité de le voir, et il ne parut pas plutôt à Rome que le plus célèbre Prédicateur d'Italie, le Révérend Père Oliva Général des Jésuites s'en servit pour donner dans un de ses Sermons un avis au peuple Romain qu'il estimait des plus importants pour son salut ; comme il paraît par la lettre suivante qu'un Ecclésiastique a écrite de Rome à un de ses amis à Paris. Avant-hier Dimanche de la Passion, le Révérend Père Oliva Général des Jésuites prêcha dans l'Eglise neuve des Pères de l'Oratoire de saint Philippe de Néri, où il prêche ordinairement deux fois l'année. Il s'y trouva quinze ou seize Cardinaux, et un auditoire tel que vous vous le pouvez imaginer à proportion ; car plusieurs jours devant les avis en coururent par Rome. Nous y fûmes placés avantageusement. Il prit pour thème, Propterea vos non auditis, quia ex Deo non estis, Joan. 8. v. 47. Il prit pour sa division deux Points : le premier, que les commencements du mal, quoique petit, mènent, et aboutissent aux maux les plus extrêmes. Le second, qu'il n'en est pas de même du petit bien, ni des vertus médiocres, ou commencés, qui souvent, et le plus ordinairement ne conduisent pas, et ne finissent pas dans la vertu parfaite et consommée. Il dit que pour ne point ennuyer son Auditoire, il laissait son second point pour une autre occasion ; mais qu'il s'arrêterait à traiter le premier amplement. Ce qu'il fit : et après avoir fini les preuves de son premier point, il reprit haleine, et renouvela l'attention de son Auditoire et dit, qu'ayant des obligations très particulières à la ville de Rome, il lui voulait donner un avis des plus importants, etc., qui était d'éviter les Spectacles et les Comédies, montra les grands maux que ces divertissements causaient, fit voir que l'Eglise par les Canons ; les Pères de l'Eglise dans leurs écrits, et prédications ; les Empereurs, et les Rois par leurs lois, et ordonnances civiles les avaient défendus, déclaré les Comédiens infâmes, excommuniés, etc. Et on peut dire qu'il s'acquitta dignement du devoir d'un bon, et grand Prédicateur sur ce sujet. Un homme de condition Français dit en ma présence que son Altesse défunte de Conti avait aussi traité cette matière dans un ouvrage nouveau, et qui à peine avait pu paraître à Rome. Nous sortîmes ensemble, allâmes chez lui, où était le livre, nous l'ouvrîmes, en contemplâmes l'ordre, les preuves, etc. Et nous trouvâmes toute la Morale du R. Père Oliva sur les Comédies : et prîmes même le loisir de voir saint Cyprien, Minucius Felix, saint Chrysostome, qu'il avait cités ; et trouvâmes dans ce livre les passages cités par le R. Père Oliva, qui finit aussi par saint Bernard, comme fait le livre. C'est par un saint zèle de l'honneur de Dieu, et du salut des âmes, que le Général des Jésuites a voulu se déclarer ainsi publiquement, et donner une approbation authentique à l'ouvrage de ce pieux Prince qu'il avait sans doute vu, puisqu'il en exprima dans la morale de son Sermon le dessein, l'ordre, et le suc. Quelque temps après on publia un Livre excellent de l'Education Chrétienne des Enfants selon les Maximes de l'Ecriture sainte, et les instructions des saints Pères de l'Eglise. Dans le chapitre 10. il y a un Avis touchant les Comédies, ou l'Auteur de ce Livre fait voit clairement combien est imaginaire la différence que l'on prétend mettre entre les Comédies de ce temps, et les Spectacles des Anciens. Cet avis est si important qu'il est nécessaire de le rapporter ici tout entier. Si la crainte de faire naître dans le cœur de vos enfants des passions qui leur seraient funestes, vous oblige de les éloigner de ces assemblées dont nous venons de parler ; cette même crainte vous engage indispensablement à ne jamais permettre qu'ils fréquentent les Comédies. Il n'y a point de désordre que les Pères de l'Eglise aient combattu plus souvent et avec plus de zèle, que l'amour des spectacles. On voit en une infinité d'endroits de leurs écrits les marques de leur zèle contre cette pernicieuse inclination, qui commençait dès leur temps à corrompre l'innocence et la chasteté des fidèles. Ils les considèrent comme une invention du diable, qui a fait bâtir des Théâtres dans les villes pour amollir le cœur des soldats de Jésus-Christ, et leur faire perdre leur force et leur générosité. Ils déplorent l'aveuglement de ceux qui criaient qu'il n'y a pas de mal à assister avec plaisir et avec applaudissement à des représentations, d'où ils ne peuvent remporter que des imaginations honteuses, et des desseins criminels. Ils font voir l'obligation indispensable que l'on a de quitter ces occasions prochaines d'incontinence. Ils appellent ces assemblées des écoles et des sources publiques d'impureté ; ils les décrient comme des fêtes du Diable ; ils obligent ceux qui y ont assisté à se purifier par la pénitence avant que d'entrer dans l'Eglise ; enfin ils font des peintures si tristes et si horribles de l'état où l'on se trouve au sortir de ces divertissements, qu'on ne les peut voit sans frémir, et sans s'étonner de l'effroyable aveuglement des hommes, à qui les plus grands crimes ne font horreur, que quand ils ne sont plus communs, et qui non seulement cessent d'en être choqués, mais souvent même les font passer pour des actions innocentes. Car enfin quelques efforts que ces grands Saints, et ceux qui les ont suivis, aient faits pour étouffer ce désordre ; il s'est tellement accru dans ces derniers siècles, par la corruption générale qui s'est répandue parmi les fidèles, qu'il passe maintenant pour un divertissement honnête, et que les Comédies, qui sont la honte et la confusion du Christianisme, sont devenues la plus sérieuse occupation de la plupart des Chrétiens. « Ce qui m'afflige davantage, disait autrefois S. Chrysostome en parlant de ce désordre, c'est que ce mal étant si grand on ne le regarde pas même comme un mal.  » Et c'est ce qui vous oblige, ma Sœur, à veiller encore avec plus de soin pour empêcher vos enfants de s'affectionner à ces malheureux spectacles. Je sais bien que l'on prétend qu'il faut faire beaucoup de distinction entre les Comédies de ce temps-ci, et celles que les saints Pères ont condamnées dans le leur ; et que si celles contre lesquelles ils ont fait paraître tant de zèle méritaient le blâme qu'ils leur ont donné, celles qui se représentent aujourd'hui sur les Théâtres ne sauraient assez recevoir de louange, parce qu'elles ne contiennent pour l'ordinaire que des exemples d'innocence, de vertu, et de piété. Mais quelque spécieux que soit le prétexte dont les Auteurs de ces pièces veuillent se couvrir, et quelque pures et saintes que puissent être leurs intentions ; il y a néanmoins tant de mélange dans leurs ouvrages, et les Saints qu'ils font paraître sur le Théâtre y témoignent tant de faible touchant l'amour, qui est la passion dominante des Comédies, qu'il est bien difficile qu'on ne prenne pas le change, et qu'au lieu de sanctifier le Théâtre par les actions des martyrs que l'on y représente, on ne profane la sainteté de leurs souffrances par les fictions amoureuses que l'on y mêle. Et en effet, si l'on y représente le martyre d'une Sainte, ne faut-il pas que ce soit une intrigue d'amour qui la fasse mourir ? Et n'est-on pas contraint de supposer qu'une autre fille aime éperdument le jeune Prince qui a une passion violente pour la Sainte ; et qu'une mère furieuse n'épargne pas le sang de cette Sainte pour satisfaire la passion de cette pauvre malheureuse ? La sainte même dans la suite de la pièce vient enfin à découvrir la passion secrète qu'elle a pour un jeune homme : et quoique l'Auteur la lui fasse combattre, elle ne laisse pas néanmoins de donner lieu à ceux qui l'entendent de justifier en eux-mêmes par son exemple la passion qu'ils ressentent, et de l'entretenir sous prétexte de n'y vouloir point consentir. Ils apprennent d'elle à regarder les mouvements d'un amour déréglé comme des « ..........impressions, Que forment en naissant les belles passions. » Et le jeune homme qu'elle aime ; tout chrétien qu'il est, et prêt de souffrir la mort pour la défense de la foi et de la pureté même de cette Sainte, ne laisse pas de lui persuader d'épouser ce jeune Prince païen qui l'aime, et de la faire assurer de sa part que, « ........C'est tout ce que veut d'elle Le souvenir mourant d'une flamme si belle. » De sorte que si l'on voit dans cette pièce en la personne d'une Sainte, la foi triomphante des supplices les plus honteux ; on y voit en même temps l'amour profane triompher de plusieurs misérables qu'il s'est assujettis, et poursuivre jusqu'à la mort une Sainte Vierge, et un généreux martyr. On y voit le mouvement de la charité chrétienne, qui oblige cet illustre Saint à exposer sa vie pour la défense de la pureté de cette Sainte, tellement obscurci par la passion feinte que l'Auteur met dans ses paroles et dans celles de la Sainte, qu'on ne sait non plus que les Acteurs qu'il introduit sur le Théâtre « Si c'est zèle d'amant ou fureur de Chrétien. » Et quoique le Saint déclare lui-même ensuite qu'il n'a agi dans cette occasion que par un motif de générosité chrétienne, cela paraît mêlé de tant de paroles tendres et passionnées, et de tant de circonstances qui tendent à détourner l'esprit de cet égard, et à le porter vers l'amour profane, que tout ce qui reste dans l'esprit des spectateurs est une haute idée pour la forte passion que cet Amant a eue pour la personne qu'il aimait. On demeure même d'accord que « dans l'endroit, où le zèle pour Dieu, qui occupe l'âme de Théodore, devrait éclater le plus, c'est-à-dire dans sa contestation avec Didyme pour le martyre, on lui a donné si peu de chaleur, que cette Scène, bien que très courte, ne laisse pas d'être ennuyeuse ». Et l'on dit pour s'en justifier qu'à « parler sainement une vierge et martyre sur un Théâtre n'est autre chose qu'un terme qui n'a ni jambes ni bras, et par conséquent point d'action ». Ce qui est reconnaître d'assez bonne foi, qu'une vierge véritable fait un très méchant personnage sur un Théâtre ; qu'il demande plus de galanterie et plus de chaleur, qu'il n'y en a dans une vierge chrétienne ; et que si les autres Scènes de cette pièce ne sont pas si ennuyeuses, c'est qu'en effet Théodore n'y parle ni en vierge, ni en martyre. Voilà quels sont ces exemples d'innocence, de vertu, et de piété, que l'on vante tant. Mais plutôt voilà comme on fait servir dans les Comédies la générosité et la charité chrétienne, que les Saints ont fait paraître dans leurs actions, à relever l'éclat de l'amour profane, à en donner de l'estime, et à en exciter les flammes dans le cœur des spectateurs. Mais, ma Sœur, pour vous faire voir encore plus clairement combien est imaginaire la différence que l'on prétend mettre entre les Comédies de ce temps-ci, et les spectacles des Anciens, et que ce n'est ni le scrupule ni le caprice, mais un véritable zèle, qui les fait blâmer à ceux qui les blâment ; il faut remarquer que les Pères de l'Eglise n'ont presque rien dit contre l'attachement que l'on avait de leur temps aux spectacles, qui ne se puisse appliquer avec beaucoup de justice aux Comédies de notre temps. Tertullien, dans le livre qu'il a fait des spectacles, entreprend de montrer que ces divertissements ne peuvent s'accommoder à l'esprit de la Religion que nous professons, et aux devoirs d'un Chrétien : Que ce qui fait qu'ils ont tant de défenseurs, est la crainte que l'homme a qu'on ne diminue le nombre de ses plaisirs : Que c'est en vain qu'on se figure que les Chrétiens ne s'en abstiennent, que parce que étant résolus de souffrir la mort pour la foi, ils renoncent à toutes les voluptés de la vie, afin de l'aimer moins, et de n'être point retenus par les plaisirs, qui sont comme les liens qui nous y attachent ; mais qu'ils s'en abstiennent, parce que encore que ces divertissements ne soient pas défendus en termes exprès dans l'Ecriture sainte, néanmoins ils ne laissent pas d'y être suffisamment condamnés. 1. Dans les passages qui nous défendent de suivre les désirs déréglés de la convoitise, et de satisfaire nos passions. « Car il est certain, dit ce savant homme, que la recherche des plaisirs est une des plus violentes passions de l'homme, et qu'entre les plaisirs celui des spectacles est un de ceux qui le transportent davantage. » 2. Dans les passages qui nous obligent de tendre toujours à la perfection, laquelle consiste dans l'assujettissement des passions à la grâce : ce qui ne se peut acquérir qu'en éloignant de l'esprit tout ce qui peut servir à les fortifier et à les y entretenir. « Cependant, dit-il, les spectacles au contraire font revivre les passions dans les cœurs les plus mortifiés, ils les y raniment, ils les y fortifient, et après avoir mis ceux qui les regardent comme hors d'eux-mêmes, ils excitent en eux des mouvements de haine, d'amour, de joie, de tristesse, qui sont d'autant plus déréglés, qu'on aime bien souvent ce qu'on devrait haïr ou ce qui ne mérite aucune estime, et qu'on hait au contraire ce qu'il n'est pas permis de haïr. » 3. Dans les passages de l'Ecriture sainte, qui nous défendent les moindres impuretés, et les moindres paroles déshonnêtes ou frivoles. « Car pourquoi dit ce grand homme, serait-il permis à un Chrétien de voir représenter sur un Théâtre des choses auxquelles il ne lui est pas seulement permis de penser, et d'entendre parler de ce qui ne doit pas même être nommé devant lui ? » Enfin Tertullien montre que les spectacles ne peuvent être permis aux Chrétiens, 1. par le jugement que les hommes font de ceux qui les représentent, et qui passent dans leur esprit pour des gens infâmes ; 2. par celui que Dieu même en porte, n'y ayant rien dans les spectacles qu'il ne condamne ; 3. parce que les spectacles sont du nombre des pompes du Diable auxquelles nous avons renoncé par le baptême ; 4. parce que les Païens mêmes jugeaient qu'un homme était devenu Chrétien à cause qu'il s'en absentait, reconnaissant que l'instinct de la piété chrétienne éloignait du Théâtre ceux qui en faisaient profession ; 5. parce qu'il est impossible d'y conserver les sentiments de piété qu'un Chrétien doit toujours avoir dans le cœur ; 6. parce que tous les objets qui s'y présentent à lui ne sont propres qu'à le détourner de Dieu, et à l'attacher à la créature ; 7. parce qu'il est ridicule de prétendre en pouvoir faire un bon usage et les rapporter à Dieu : 8. parce que supposé qu'il y en eût d'honnêtes, les Chrétiens ne doivent toujours les regarder que comme un miel envenimé, dont ils ne peuvent goûter sans danger de se donner la mort ; enfin parce que l'état d'un Chrétien en cette vie est de fuir toutes sortes de plaisirs, et de faire consister toute sa joie dans les larmes de la pénitence, dans le pardon de ses péchés, dans la connaissance de la vérité, et dans le mépris même des plaisirs les plus innocents et les plus légitimes. Qu'y a-t-il, ma Sœur, dans tout ce que ce grand homme allègue contre les spectacles des Anciens, qui ne se puisse dire des Comédies d'aujourd'hui ? Les Chrétiens de ce temps-ci sont-ils moins obligés que ceux du temps de Tertullien, à quitter les passions du siècle, et à mortifier en eux les désirs que les portent à la recherche des plaisirs et des divertissements ? Sont-ils moins obligés que ceux des premiers siècles à travailler pour atteindre à la perfection de l'Evangile, à affaiblir et à mortifier en eux les passions de la chair, et à éviter les objets qui les excitent, qui les entretiennent, et qui les fortifient ? Sont-ils moins obligés que ceux des premiers siècles à fuir tout ce qui peut blesser la pureté que Dieu demande d'eux ? Et leurs yeux et leurs oreilles doivent-elles être moins chastes que leurs langues, auxquelles il n'est pas permis de proférer aucune parole vaine et qui ne convienne point, comme dit S. Paul, à leur vocation ? De plus, les Comédiens de ce temps-ci sont-ils d'une autre considération dans le monde, que ceux de ce temps-là ? « Quelle est, dit Tertullien, cette corruption qui fait que l'on aime ceux que les lois publiques condamnent ; qu'on approuve ceux qu'elles méprisent ; qu'on relève un art et un emploi, en même temps qu'on note d'infamie ceux qui s'y adonnent ? Quel est le jugement par lequel on couvre de confusion des gens pour une profession qui les rend recommandables ? ou plutôt quel aveu ne fait-οn pas par ce jugement de la corruption qui est inséparable de ce divertissement ; puisque quelque agréables que soient ceux qui le donnent, ils ne laissent pas néanmoins de demeurer dans l'infamie dont on les a notés ? » Qu'y a-t-il dans les Comédies qui puisse être agréable aux yeux de Dieu ? Est-ce la pompe et la magnificence des habits ? Est-ce l'adresse des Comédiens à exciter en eux-mêmes et dans les autres des passions criminelles ? Est-ce l'industrie avec laquelle les airs sont accommodés aux sujets, et rendus propres à fortifier ces mêmes passions ? Est-ce l'artifice avec lequel le Poète y a su déguiser la vérité, en y mêlant des fictions fabuleuses, et des incidents assez heureusement imaginés ? « L'auteur de la vérité, dit Tertullien, n'aime point le mensonge : et tout qui tient de la fiction passe devant lui pour une espèce d'adultère. » Ceux qui renoncent au monde, et qui sont vraiment touchés du désir d'être à Dieu, ne fuient-ils pas les Comédies comme des écueils très dangereux ? Et ne reconnaît-on pas qu'ils ont changé de vie, et qu'ils sont pour ainsi dire, devenus Chrétiens une seconde fois, en ce qu'ils refusent de se trouver dans ces lieux, qu'ils ne savent que trop leur avoir été funestes ? Un Chrétien conservera-t-il dans la Comédie les sentiments qu'il doit toujours avoir dans le cœur ; et aura-t-il l'esprit élevé vers Dieu dans une assemblée, « où, comme dit Tertullien, il n'y a rien de Dieu », et dans un temps où tous ses sens sont occupés à se repaître du vain plaisir qui se présente à eux, et où ses pensées sont appliquées aux gestes, aux paroles, et aux mouvements des Acteurs ? Ce que Tertullien a estimé être le plus grand scandale qui se trouvait dans les Spectacles des Païens, ne se rencontre-t-il pas dans les Comédies ? Les hommes et les femmes, les jeunes gens et les jeunes filles, ne s'y trouvent-ils pas ensemble ; et n'y vont-ils pas avec tout l'ajustement et l'agrément qu'il leur est possible ? « N'y vont-ils pas, comme dit ce grand homme, avec cette seule disposition d'y voir, et d'y être vus ? » Et l'approbation qu'ils donnent d'une commune voix aux Comédiens ; et la joie qu'ils ont de se rencontrer dans les mêmes sentiments, ne sont-ce pas comme autant d'étincelles, qui augmentent le feu secret qui brûle dans leurs cœurs ? De sorte que l'on peut dire que chacun en sa manière y joue son personnage, et que bien souvent les Acteurs ne font que représenter ce qui se passe secrètement entre les personnes qui les regardent. Tertullien ne dit donc rien contre les Spectacles des Anciens, qui ne se puisse appliquer avec justice aux Comédies de notre temps. Et c'est ainsi, ma Sœur, que si je ne craignais de m'étendre trop (n'ayant point entrepris d'écrire contre les Comédies, mais seulement de vous montrer l'obligation que vous avez d'en détourner vos enfants) je vous ferais voir que tout ce que saint Cyprien, ou l'Auteur du traité des Spectacles, qui est entre ses ouvrages ; tout ce que Salvien, et tout ce que les autres Pères de l'Eglise ont dit contre les Spectacles des Anciens, retombe naturellement sur les Comédies de notre temps. Je vous ferais voir qu'on ne fait pas aujourd'hui une moindre profanation des saints Mystères, en allant à la Comédie les jours que l'on a communié, et « en y portant, pour ainsi dire, l'Eucharistie encore présente dans son sein » : qu'on ne doit pas moins craindre aujourd'hui « d'apprendre à pratiquer ce qu'on s'accoutume à voir représenter » : et que quand les Comédies d'aujourd'hui n'auraient rien de criminel, elles ne laisseraient pas néanmoins « d'emporter avec elles une vanité et une inutilité qui est aussi incompatible avec les devoirs des Chrétiens » de notre temps, qu'avec ceux des premiers Chrétiens. Je sais bien que les Pères ont insisté particulièrement sur ce qu'il n'y avait point de Spectacle, qui ne fût dédié à quelque fausse divinité, et qui ne tînt dans son origine ou dans son exécution quelque chose de l'idolâtrie. Mais aussi je sais, que si selon S. Paul l'attachement que l'on a aux richesses est une espèce d'idolâtrie ; celui que l'on a au plaisir, en est une d'autant plus dangereuse, qu'elle engage l'homme à se sacrifier lui-même à la volupté, qui est la plus infâme de toutes les idoles. Je sais que S. Augustin a dit, sur ce qu'on l'avait exercé en sa jeunesse à réciter les fables des Poètes, « qu'il y a plusieurs manières différentes de sacrifier aux Anges rebelles » ; et que si les Comédies de notre temps ne se représentent pas en l'honneur d'un Mars, d'un Jupiter, et d'un Neptune, elles sont pourtant uniquement consacrées à l'amour profane, au plaisir de ceux qui les regardent, et à l'avarice et à la cupidité de ceux qui les représentent. Ainsi ceux qui ont voulu rendre chrétienne la Comédie, en y mêlant les actions des Saints et des Saintes, ont fait à peu près comme Pompée, qui, au rapport de Tertullien, voyant que les Censeurs Romains avaient fait abattre plusieurs fois les Théâtres, parce qu'ils corrompaient les mœurs du peuple, et voulant empêcher qu'ils ne détruisissent celui qu'il avait fait élever dans Rome, y fit dresser un autel qu'il dédia à Vénus, et appela cet édifice, non pas le théâtre, mais le temple de Vénus. « De sorte, dit Tertullien, qu'en donnant ce titre spécieux à cet ouvrage qui ne méritait que d'être condamné, il éluda par cette superstition les règlements que les Censeurs eussent pu faire pour le faire abattre. » Mais supposé qu'il n'y ait rien dans les Comédies qui puisse blesser l'innocence des jeunes gens, ni exciter en eux des passions dangereuses : supposé que de trente pièces de Théâtre il y en ait une qui ne blesse point ouvertement la pureté, et 1'innocence : supposé qu'il n'y ait rien dans les ajustements, dans la nudité, et dans les gestes des Comédiennes, qui blesse la modestie, et qui ne réponde à la pureté et à la piété des vierges qu'elles représentent : supposé que les personnes qui y assistent ne puissent inspirer aux jeunes gens l'esprit du monde, et de la vanité qui éclate dans leur manière de s'habiller, dans tous leurs gestes, et dans toutes leurs actions : supposé que tout ce qui se passe dans ces représentations malheureuses ne porte point au mal ; que les paroles, les habits, le marcher, la voix, les chants, les regards, les mouvements du corps, le son des instruments, les sujets mêmes et les intrigues des Comédies, enfin que tout n'y soit point plein de poison, et n'y respire point l'impureté : Vous ne devez pourtant pas laisser d'empêcher vos enfants de s'y trouver, « parce, dit S. Chrysostome, que ce n'est point à nous à passer le temps dans les ris, dans les divertissements, et dans les délices. Ce n'est point là l'esprit de ceux qui sont appelés à une vie céleste, dont les noms sont déjà écrits dans cette éternelle Cité, et qui font profession d'une milice toute spirituelle : mais c'est l'esprit de ceux qui combattent sous les enseignes du démon. « Oui, mes frères, ajoute ce Saint, c'est le démon qui a fait un art de ces divertissements et de ces jeux, pour attirer à lui les soldats de Jésus-Christ, et pour relâcher toute la vigueur, et comme les nerfs de leur vertu. C'est pour ce sujet qu'il a fait dresser des Théâtres dans les places publiques ; et qu'exerçant et formant lui-même ces bouffons, il s'en sert comme d'une peste dont il infecte toute la ville. Saint Paul nous a défendu les paroles impertinentes, et celles qui ne tendent qu'à un vain divertissement : mais le démon nous persuade d'aimer les unes et les autres. « Ce qui est encore plus dangereux est le sujet pour lequel on s'emporte dans ces ris immodérés. Car aussitôt que ces bouffons ridicules ont proféré quelque blasphème, ou quelque parole déshonnête, on voit que les plus fous sont ravis de joie, et s'emportent dans des éclats de rire. Ils leur applaudissent pour des choses pour lesquelles on les devrait lapider : et ils s'attirent ainsi sur eux-mêmes, par ce détestable plaisir, le supplice d'un feu éternel. Car en les louant de ces folies, on leur persuade de les faire, et on se rend encore plus digne qu'eux de la condamnation qu'ils ont méritée. Si tout le monde s'accordait à ne vouloir point regarder leurs sottises, ils cesseraient bientôt de les faire. Mais lorsqu'ils vous voient tous les jours quitter vos occupations, vos travaux, et l'argent qui vous en revient, en un mot renoncer à tout pour assister à ces spectacles, ils redoublent leur ardeur, et ils s'appliquent bien davantage à ces niaiseries. » Vous voyez, ma Sœur, que S. Chrysostome, aussi bien que Tertullien, ne condamne pas seulement les Comédies à cause de leur dissolution et de leur impureté, mais encore à cause qu'il n'est pas permis aux Chrétiens de passer le temps dans les ris, dans les divertissements, et dans les délices qui sont inséparables de ces spectacles ; qu'il les condamne, parce qu'on ne peut s'empêcher d'y donner de l'approbation et de l'applaudissement à des choses pour lesquelles les fidèles doivent avoir une souveraine horreur, et comme il ajoute ensuite, « parce que ce sont ceux qui assistent à ces spectacles qui entretiennent la vie libertine de ceux qui les représentent, qui les animent par leurs ravissements, par leurs éclats, et par leurs louanges, et qui travaillent en toute manière à embellir et à relever cet ouvrage du démon ». C'est sans doute ce qui a fait dire à Salvien, « que c'est comme une espèce ce d'apostasie de la foi, et une prévarication mortelle de ses Sacrements, que d'aller à la Comédie. Car quelle est, dit-il, la première profession que font les Chrétiens dans le Baptême ? N'est-ce pas de renoncer au diable, à ses pompes, à ses spectacles, et à ses œuvres ? Donc les spectacles et les pompes sont selon notre propre confession les œuvres du diable. Et comment, ô Chrétien ! peux-tu aller aux spectacles depuis ton Baptême, toi qui confesses qu'ils sont l'ouvrage du démon ? Tu as renoncé une fois au diable et à ses spectacles : et par conséquent il est nécessaire, que lorsque tu retournes volontairement aux spectacles, tu confesses que tu retournes sous l'obéissance du démon. » Et il est si vrai qu'on ne peut aller à la Comédie sans s'engager volontairement sous la tyrannie du démon, que Tertullien rapporte, « qu'une femme Chrétienne étant allée au Théâtre et à la Comédie, en revint possédée du diable, et que les Exorcistes lui demandant comment il avait osé attaquer une Chrétienne, il répondit qu'il l'avait fait sans crainte, parce qu'il l'avait trouvée dans un lieu qui lui appartenait. » Il faut donc, ma Sœur, inspirer à vos enfants de l'horreur de la Comédie ; parce qu'elle est un divertissement dangereux, et indigne d'un Chrétien. Il le faut, pare qu'il est bien difficile qu'ils n'y souillent en même temps leurs yeux, leurs oreilles, et leur âme. Il le faut, parce que les spectacles sont du nombre de ces pompes du siècle, et de ces œuvres du diable, auxquelles ils ont solennellement renoncé par leur Baptême. Il le faut, parce qu'encore qu'il n'y ait rien que de feint dans ces représentations, « l'on ne laisse pas, comme remarque S. Augustin, de prendre part à la joie de ces amants de Théâtre, lorsque par leurs artifices ils font réussir leurs impudiques désirs, et de se rendre criminel en se laissant toucher d'une compassion folle pour celui qui s'afflige dans la perte qu'il a faite d'une volupté pernicieuse, et d'une félicité misérable. Enfin il le faut, parce qu'on ne prend point de plaisir, comme remarque le même Saint, dans les Comédies, si l'on n'y est touché de ces aventures poétiques qui y sont représentées, et dont cependant on est d'autant plus touché, que l'on est moins guéri de ses passions. » De sorte que plus vos enfants témoigneront d'ardeur pour les Comédies, moins leur devez-vous permettre d'y aller ; parce que cet empressement même est une marque de l'inclination qu'ils ont au luxe, à la pompe, à la sensualité, à la délicatesse, à l'oisiveté, à la mollesse, aux artifices, et aux déguisements, qui éclatent sur les Théâtres, et que vous devez vous efforcer de bannir de leur cœur. Je ne doute point qu'ils n'aient des inclinations toutes contraires à ces pratiques. Mais c'est pour cela même que vous devez être ferme, et ne vous point éloigner de cette discipline et de cette crainte du Seigneur, dans laquelle S. Paul vous ordonne de les élever, de peur qu'ils ne s'engagent insensiblement dans ces désordres, et qu'ils ne viennent enfin à rechercher ces divertissements criminels. Et je puis dire en cette rencontre ce que S. Augustin a dit à l'égard des prières que l'on présente à Dieu pour obtenir des biens qu'il prévoit devoir être cause de notre perte, et que pour ce sujet-là il nous refuse : « Qu'ils pleurent tant qu'ils voudront, qu'ils se lamentent tout le long du jour ; vous avez de la bonté pour eux si vous ne les écoutez pas, et vous leur êtes cruelle si vous les exaucez. » Enfin dans l'année 1667. on a donné au public un traité contre la Comédie, qu'on ne saurait assez louer pour la force de ses raisonnements, et pour la beauté de son éloquence ; comme ce livre est assez rare, j'ai cru obliger les Lecteurs, de le joindre tout entier à mes Réfutations. Une des grandes marques de la corruption de ce siècle est le soin que l'on a pris de justifier la Comédie, et de la faire passer pour un divertissement qui se pouvait allier avec la dévotion. Les autres siècles étaient plus simples dans le bien et dans le mal : ceux qui y faisaient profession de piété témoignaient par leurs actions et par leurs paroles l'horreur qu'ils avaient de ces spectacles profanes. Ceux qui étaient possédés de la passion du Théâtre, reconnaissaient au moins qu'ils ne suivaient pas en cela les règles de la religion Chrétienne, mais le caractère de ce siècle est de prétendre allier ensemble la piété et l'esprit du monde. On ne se contente pas de suivre le vice, on veut encore qu'il soit honoré, et qu'il ne soit pas flétri par le nom honteux de vice, qui trouble toujours un peu les plaisirs que l'on y prend par l'horreur qui l'accompagne. On tâche donc de faire en sorte que la conscience s'accommode avec la passion, et ne la vienne point inquiéter par ses importuns remords. C'est à quoi on a beaucoup travaillé sur le sujet de la Comédie. Car comme il n'y a guère de divertissements plus agréables aux gens du monde que celui-là, il leur était fort important de s'en assurer une jouissance douce, tranquille, et consciencieuse, qui est ce qu'ils désirent le plus. Le moyen qu'emploient pour cela ceux qui sont les plus subtils, est de se former une certaine idée métaphysique de Comédie, et de purger cette idée de toute sorte de péché. La Comédie, disent-ils, est une représentation d'actions et de paroles comme présentes, quel mal y a-t-il en cela ? Et après avoir ainsi justifié leur idée centrale de Comédie, ils croient avoir prouvé qu'il n'y a donc point de péché aux Comédies ordinaires, et ils y assistent ensuite sans scrupule. Mais le moyen de se défendre de cette illusion, est de considérer au contraire la Comédie non dans une spéculation chimérique, mais dans la pratique commune et ordinaire dont nous sommes témoins. Il faut regarder quelle est la vie d'un Comédien, et d'une Comédienne ; quelle est la matière et le but de nos Comédies : et quels effets elles produisent d'ordinaire dans les esprits de ceux qui les représentent, ou qui les voient représenter ; quelles impressions elles leur laissent ; et examiner ensuite si tout cela a quelque rapport avec la vie, les sentiments, et les devoirs d'un véritable chrétien. Et c'est ce qu'on a dessein de faire dans cet écrit. I. Il est impossible qu'on considère le métier de Comédien, et qu'on le compare avec la profession chrétienne, qu'on ne reconnaisse qu'il n'y a rien de plus indigne d'un enfant de Dieu et d'un membre de Jésus-Christ que cet emploi. On ne parle pas seulement des dérèglements grossiers et de la manière dissolue dont les femmes y paraissent, parce que ceux qui justifient la Comédie, en séparent toujours ces sortes de désordres par l'imagination, quoique on ne les en sépare jamais effectivement. On ne parle que de ce qui en est entièrement inséparable. C'est un métier qui a pour but le divertissement des autres ; où des hommes et des femmes paraissent sur un Théâtre pour y représenter des passions de haine, de colère, d'ambition, de vengeance, et principalement d'amour. Il faut qu'ils les expriment le plus naturellement, et le plus vivement qu'il leur est possible ; et ils ne le sauraient faire, s'ils ne les excitent en quelque sorte en eux-mêmes, et si leur âme ne prend tous les plis que l'on voit sur leur visage. Il faut donc que ceux qui représentent une passion d'amour en soient en quelque sorte touchés pendant qu'ils la représentent ; et il ne faut pas s'imaginer que l'on puisse effacer de son esprit cette impression qu'on y a excitée volontairement, et qu'elle ne laisse pas en nous une grande disposition à cette même passion qu'on a bien voulu ressentir. Ainsi la Comédie par sa nature même est une école et un exercice de vice, puisque c'est un art où il faut nécessairement exciter en soi-même des passions vicieuses. Que si l'on considère que toute la vie des Comédiens est occupée dans cet exercice ; qu'ils la passent toute entière à apprendre en particulier ou à répéter entre eux, ou à représenter devant des spectateurs l'image de quelque vice ; qu'ils n'ont presque autre chose dans l'esprit que ces folies : on verra facilement qu'il est impossible d'allier ce métier avec la pureté de notre religion : et ainsi il faut avouer que c'est un métier profane et indigne d'un Chrétien ; que ceux qui l'exercent sont obligés de le quitter comme tous les Conciles le leur ordonnent ; et par conséquent qu'il n'est point permis aux autres de contribuer à les entretenir dans une profession contraire au Christianisme, ni de l'autoriser par leur présence. II. Comme la passion de l'amour est la plus forte impression que le péché ait fait dans nos âmes, ainsi qu'il paraît assez par les désordres horribles qu'elle produit dans le monde ; il n'y a rien de plus dangereux que de l'exciter, de la nourrir et de détruire ce qui la retient. Or le principal frein qui sert à l'arrêter, est une certaine horreur que la coutume et la bonne éducation en impriment ; et rien ne diminue davantage cette horreur que la Comédie ; parce que cette passion y paraît avec honneur, et d'une manière qui au lieu de la rendre horrible, est capable au contraire de la rendre aimable. Elle y paraît sans honte et sans infamie : On y fait gloire d'en être touché. Ainsi l'esprit s'apprivoise peu à peu. On apprend à la souffrir, et à en parler, et l'âme s'y laisse ensuite doucement aller en suivant la pente de la nature. III. Il est inutile de dire pour justifier les Comédies, et les Romans qu'on n'y représente que des passions légitimes ; car encore que le mariage fasse un bon usage de la concupiscence, elle est néanmoins en soi toujours mauvaise et déréglée, et il n'est pas permis de l'exciter en soi ni dans les autres. On doit toujours la regarder comme le honteux effet du péché ; comme une source de poison capable de nous infecter à tous moments, si Dieu n'en arrêtait les mauvaises suites. On ne peut donc nier que les Comédies et les Romans ne soient contraires aux bonnes mœurs, puisqu'ils impriment une idée aimable d'une passion vicieuse, et qu'ils en font une qualité héroïque, n'y en ayant point qui paraissent davantage dans ces Héros de Théâtre et de Roman. IV. Le mariage règle la concupiscence, mais il ne la rend pas réglée ; elle est toujours déréglée en elle-même, et ce n'est que par force qu'elle se contient dans les bornes que la raison lui prescrit. Or en excitant par les Comédies cette passion, on n'imprime pas en même temps l'amour de ce qui la règle, les Spectateurs ne reçoivent l'impression que de la passion, et peu ou point de la règle de la passion : l'Auteur l'atteste où il veut dans ses personnages par un trait de plume ; mais il ne l'atteste pas de même dans ceux en qui il l'excite. La représentation d'un amour légitime, et celle d'un amour illégitime font presque le même effet, et n'excitent qu'un même mouvement qui agit ensuite diversement selon les différentes dispositions qu'il rencontre : et souvent même la représentation d'une passion couverte de ce voile d'honneur est plus dangereuse ; parce que l'esprit la regarde plus sûrement, qu'elle y est reçue avec moins d'horreur, et que le cœur s'y laisse aller avec moins de résistance. V. Ce qui rend le danger de la Comédie plus grand, est qu'elle éloigne tous les remèdes qui peuvent empêcher la mauvaise impression qu'elle fait. Le cœur y est amolli par le plaisir. L'esprit y est tout occupé des objets extérieurs, et entièrement enivré des folies que l'on y voit représenter, et par conséquent hors de l'état de la vigilance chrétienne, nécessaire pour éviter les tentations, et comme un roseau capable d'être emporté de toutes sortes de vents. Il y a bien de l'apparence que personne n'a jamais songé de s'y préparer par la prière, puisque l'Esprit de Dieu porterait bien plutôt à éviter ce divertissement dangereux, qu'à lui demander la grâce d'être préservé de la corruption qui s'y rencontre. Que si les personnes qui vivent dans la retraite et dans l'éloignement du monde, ne laissent pas de trouver de grandes difficultés dans la vie Chrétienne au fond même des Monastères ; s'ils reçoivent les atteintes du commerce du monde, lors même que c'est la charité et la nécessité qui les y engage, et qu'ils se tiennent sur leurs gardes autant qu'ils peuvent pour y résister ; quelles peuvent être les plaies et les chutes de ceux, qui menant une vie toute sensuelle, s'exposent à des tentations, auxquelles les plus forts ne pourraient pas résister ? Ne doit-on pas dire d'eux, en les comparant avec les personnes spirituelles de l'Eglise, ce que Job dit de l'homme en le comparant avec les Anges : « Ecce qui serviunt ei non sunt stabiles, et in Angelis suis reperit pravitatem : quantο magis hi qui habitant domos luteas consumentur velut a tinea ? » Ces esprits qui servent à Dieu de ministres ne sont pas stables, et il trouve des défauts dans ses Anges mêmes, à combien plus forte raison des âmes enfermées dans des corps, comme dans des maisons de boue, seront-elles sujettes à la corruption et au péché ? Ou ce que dit Isaïe : « Super humum populi mei spina et vepres ascenderunt, quanto magis super omnen domum gaudii civitatis exultantis ? » Si la terre de mon peuple, dit le Seigneur, est couverte de ronces et d'épines ; c'est-à-dire, si les âmes qui soupirent après leur patrie céleste sont quelquefois percées par les pointes du péché, à quels désordres ne s'emporteront point ceux qui vivent dans les plaisirs, et qui ont le cœur rempli de toutes les folles joies du monde ? « Quanto magis super omnem domum gaudii civitatis exultantis ? » VI. On doit considérer que la Comédie est une tentation recherchée de gaieté de cœur, ce qui éloigne bien plus la grâce de Dieu, et le porte davantage à nous abandonner à notre propre corruption, que celles où l'on tombe sans les prévoir. Il y a de la témérité, de l'orgueil, et de l'impiété à se croire capable de résister sans la Grâce aux tentations que l'on rencontre dans la Comédie, et il y a de la présomption et de la folie, à croire que Dieu nous délivrera toujours par la grâce d'un danger où nous nous serons exposés volontairement et sans nécessite. VII. On se trompe fort en croyant que la Comédie ne fait aucune mauvaise impression sur soi, parce qu'on ne sent point qu'elle excite aucun mauvais désir formé. Il y a bien des degrés avant que d'en venir à une entière corruption d'esprit, et c'est toujours beaucoup nuire à l'âme, que de ruiner les remparts qui la mettaient à couvert des tentations. C'est beaucoup lui nuire que de l'accoutumer à regarder ces sortes d'objets sans horreur, et avec quelque sorte de complaisance, et de lui faire croire qu'il y a du plaisir à aimer et à être aimé. L'aversion qu'elle en avait était comme des dehors qui fermaient l'entrée au diable ; et quand ils sont ruinés par la Comédie, il y entre ensuite facilement. L'on ne commence pas à tomber quand on tombe sensiblement, les chutes de l'âme sont longues, elles ont des progrès et des préparations ; et il arrive souvent qu'on ne succombe à des tentations, que parce qu'on s'est affaibli en des occasions qui ont paru de nulle importance ; étant certain que celui qui méprise les petites choses, s'engage peu à peu à tomber : «  qui spernit modica, paulatim decidet ». C'est un des sens de cette parole de Job, « Qui habitant domos luteas consumentur velut a tinea. » Ce qui marque que ceux qui vivent de la vie des sens, et dans les plaisirs du monde, sont souvent consumés par des passions, dont l'effet est insensible au commencement, comme celui de la tigne l'est sur les habits, et qu'ils attirent, comme dit un Prophète, l'iniquité dans leurs cœurs par ces vains amusements : « Væ qui trahitis iniquitatem in funiculis vanitatis. » VIII. Que ceux et celles qui ne sentent point que les Romans et les Comédies excitent dans leur esprit aucune de ces passions que l'on en appréhende d'ordinaire, ne se croient donc pas pour cela en sûreté, et qu'ils ne s'imaginent pas que ces lectures et ces spectacles ne leur aient fait aucun mal. La parole de Dieu, qui est la semence de la vie, et la parole du diable qui est la semence de la mort, ont cela de commun, qu'elles demeurent souvent longtemps cachées dans le cœur sans produire aucun effet sensible. Dieu attache quelquefois le salut de certaines personnes à des paroles de vérité qu'il a semées dans leur âme vingt ans auparavant, et qu'il réveille quand il lui plaît pour leur faire produire des fruits de vie : et le Diable de même se contente quelquefois de remplir la mémoire de ses images sans passer plus avant, et sans en former encore aucune tentation sensible ; et ensuite après un long temps il les excite et les réveille, sans même qu'on se souvienne comment elles y sont entrées, afin de leur faire porter les fruits de la mort ut fructificent morti, qui est l'unique but qu'il se propose en tout ce qu'il fait à l'égard des hommes. L'on peut donc dire à ceux qui se vantent que la Comédie et les Romans n'excitent pas en eux la moindre mauvaise pensée, qu'ils attendent un peu, que le Diable saura bien prendre son temps quand il en trouvera l'occasion favorable. Peut-être que les tenant à soi par d'autres liens, il néglige maintenant de se servir de ceux-là qui sont plus visibles ; mais s'il en a besoin pour les perdre, il ne manquera pas de les employer. IX. Quand il serait vrai que la Comédie ne ferait aucun mauvais effet sur de certains esprits, ils ne la pourraient pas néanmoins prendre pour un divertissement innocent, ni croire qu'ils ne sont point coupables en y assistant. On ne joue point la Comédie pour une seule personne : c'est un Spectacle que l'on expose à toutes sortes d'esprits, dont la plupart sont faibles et corrompus, et à qui par conséquent il est extrêmement dangereux. C'est leur faute, dira-t-on, d'y assister en cet état. Il est vrai ; mais vous les autorisez par votre exemple ; vous contribuez à leur faire regarder la Comédie comme une chose indifférente ; plus vous êtes réglé dans vos autres actions, plus ils sont hardis à vous imiter dans celle-là. Pourquoi, disent-ils, ferons-nous scrupule d'aller à la Comédie ; puisque les gens qui font profession de piété y vont bien ? Vous participez donc à leur péché : et si la Comédie ne vous fait point de plaies par elle-même, vous vous en faites à vous-même par celle que les autres reçoivent de votre exemple ; et ainsi vous êtes le plus coupable de tous. Les personnes du monde ne faisant point d'exemple, ne sont presque coupables que de leurs propres péchés : mais ceux qui veulent passer pour vertueux, et qui pratiquent en effet quelques bonnes œuvres, sont coupables de leurs propres péchés : et de ceux des autres ; et non seulement ils perdent le mérite de leurs bonnes actions, mais ils les empoisonnent en quelque sorte, en les faisant servir à engager les autres dans le péché. X. Dieu ne demande proprement des hommes que leur amour ; mais aussi il le demande tout entier. Il n'y veut point de partage. Et comme il est leur souverain bien, il ne veut pas qu'ils s'attachent ailleurs, ni qu'ils trouvent leur repos dans aucune autre créature, parce que nulle créature n'est leur fin. La plénitude de la charité que nous devons à Dieu, dit S. Augustin, ne permet pas que l'on en laisse couler au dehors aucun ruisseau, « nullum rivum duci extra patitur ». C'est pourquoi quelque honnêteté qu'on se puisse imaginer dans l'amour d'une créature mortelle, cet amour est toujours vicieux et illégitime, lorsqu'il ne naît pas de l'amour de Dieu, et il n'en peut naître lorsque c'est un amour de passion et d'attache, qui nous fait trouver notre joie et notre plaisir dans cette créature. Un Chrétien qui sait ce qu'il doit à Dieu, ne doit point souffrir dans son cœur aucun mouvement, ni aucune attache de cette sorte, sans la condamner, sans en gémir, et sans demander à Dieu d'en être délivré : et il doit avoir une extrême horreur, d'être lui-même l'objet de l'attache et de la passion de quelque autre personne, et d'être ainsi en quelque façon son idole, puisque l'amour est un culte qui n'est dû qu'à Dieu, comme il ne peut être honoré que par l'amour. Nec colitur nisi amando. C'est ce qui fait voir qu'il y a une infinité de femmes qui se croient innocentes, parce qu'elles ont en effet quelque horreur des vices grossiers, et qui ne laissent pas d'être très criminelles devant Dieu, parce qu'elles sont bien aises de tenir dans le cœur des hommes une place qui n'appartient qu'à Dieu seul, en prenant plaisir d'être l'objet de leurs passions. Elles sont bien aises qu'on s'attache à elles, qu'on les regarde avec des sentiments, non seulement d'estime, mais de tendresse ; et elles souffrent sans peine qu'on le leur témoigne par ce langage profane, que l'on appelle cajolerie, qui est l'interprète des passions, et qui dans la vérité est une sacrilège idolâtrie. C'est pourquoi quelque soin que l'on prenne de séparer de la Comédie et des Romans ces images de dérèglement honteux, l'on n'en ôtera jamais le danger, puisque l'on y voit toujours une vive représentation de cette attache passionnée des hommes envers les femmes, qui ne peut être innocente ; et que l'on n'empêchera jamais que les femmes ne se remplissent de l'objet du plaisir qu'il y a d'être aimées, et d'être adorées d'un homme, ce qui n'est pas moins dangereux, ni moins contagieux pour elles, que les images des désordres visibles, et criminels. XI. Les Comédies et les Romans n'excitent pas seulement des passions, mais elles enseignent aussi le langage des passions, c'est-à-dire l'art de les exprimer et de les faire paraître d'une manière agréable et ingénieuse, ce qui n'est pas un petit mal. Plusieurs personnes étouffent de mauvais desseins, parce qu'ils manquent d'adresse pour s'en ouvrir. Et il arrive aussi quelquefois que des personnes sans être touchées de passion, et voulant simplement faire paraître leur esprit, s'y trouvent ensuite insensiblement engagés. XII. Le plaisir de la Comédie est un mauvais plaisir, parce qu'il ne vient ordinairement que d'un fond de corruption, qui est excité en nous par ce qu'on y voit. Et pour en être convaincu il ne faut que considérer, que lorsque nous avons une extrême horreur pour une action, on ne prend point de plaisir à la voir représenter : et c'est ce qui oblige les Poètes de dérober à la vue des spectateurs tout ce qui leur peut causer cette horreur désagréable. Quand on ne sent donc pas la même aversion pour les folles amours et les autres dérèglements que l'on représente dans les Comédies, et qu'on prend plaisir à les envisager, c'est une marque qu'on ne les hait pas, et qu'il s'excite en nous je ne sais quelle inclination pour ces vices, qui naît de la corruption de notre cœur. Si nous avions l'idée du vice selon sa naturelle difformité, nous ne pourrions pas en souffrir l'image. C'est pourquoi un des plus grands Poètes de ce temps remarque qu'une de ses plus belles pièces n'a pas été agréable sur le Théâtre, parce qu'elle frappait l'esprit des spectateurs d'une idée horrible d'une prostitution, à laquelle une sainte Martyre avait été condamnée. Mais ce qu'il tire de là pour justifier la Comédie, qui est que le Théâtre est maintenant si chaste, que l'on n'y saurait souffrir les objets déshonnêtes, est ce qui la condamne manifestement. Car on peut apprendre de cet exemple, que l'on approuve en quelque sorte tout ce que l'on souffre, et ce que l'on voit avec plaisir sur le Théâtre puisque l'on ne peut souffrir ce que l'on a en horreur. Et par conséquent y ayant encore tant de corruptions et de passions vicieuses dans les Comédies qui paraissent les plus innocentes, c'est une marque qu'on ne hait pas ces dérèglements, puis qu'on prend plaisir à les voir représenter. XIII. C'est encore un très grand abus ; et qui trompe beaucoup de monde, que de ne considérer point d'autres mauvais effets dans ces représentations, que celui de donner des pensées contraires à la pureté, et de croire ainsi qu'elles ne nous nuisent point, lorsqu'elles ne nous nuisent point en cette manière ; comme s'il n'y avait point d'autres vices que celui-là, et que nous n'en fussions pas aussi susceptibles. Cependant si l'on considère les Comédies de ceux qui ont le plus affecté cette honnêteté apparente, on trouvera qu'ils n'ont évité de représenter des objets entièrement déshonnêtes, que pour en prendre d'autres aussi criminels, et qui ne sont guère moins contagieux. Toutes les pièces de M. de Corneille, qui est sans doute le plus honnête de tous les Poètes de Théâtre, ne sont que de vives représentations de passions d'orgueil, d'ambition, de jalousie, de vengeance, et principalement de cette vertu Romaine, qui n'est autre chose qu'un furieux amour de soi-même. Plus il colore ces vices d'une image de grandeur et de générosité, plus il les rend dangereux, et capables d'entrer dans les âmes les mieux nées ; et l'imitation de ces passions ne nous plaît, que parce que le fond de notre corruption excite en même temps un mouvement semblable, qui nous transforme en quelque sorte, et nous fait entrer dans la passion qui nous est représentée. XIV. Il est si vrai que la Comédie est presque toujours une représentation de passions vicieuses, que la plupart des vertus chrétiennes sont incapables de paraître sur le Théâtre. Le silence, la patience, la modération, la sagesse, la pauvreté, la pénitence ne sont pas des vertus dont la représentation puisse divertir des spectateurs, et surtout on n'y entend jamais parler d'humilité, ni de la souffrance des injures. Ce serait un pauvre personnage de Comédie qu'un Religieux modeste et silencieux. Il faut quelque chose de grand et d'élevé selon les hommes, et au moins quelque chose de vif et d'animé, ce qui ne se rencontre point dans la gravité et la sagesse chrétienne. Et c'est pourquoi ceux qui ont voulu introduire des Saints et des Saintes sur le Théâtre, ont été contraints de les faire paraître orgueilleux, et de leur mettre dans la bouche des discours plus propres à ces Héros de l'ancienne Rome, qu'à des Saints et à des Martyrs. Il faut que la dévotion de ces Saints de Théâtre soit toujours un peu galante : c'est pourquoi la disposition au martyre n'empêche pas la Théodore de M.  Corneille de parler en ces termes : « Si mon âme à mes sens était abandonnée, Et se laissait conduire à ces impressions Que forment en naissant les belles passions. » Et l'humilité de Théâtre souffre qu'elle réponde de cette sorte en un autre endroit : « Cette haute puissance à ses vertus rendue L'égale presque aux Rois dont je suis descendue ; Et si Rome et le temps m'en ont ôté le rang, Il m'en demeure encor le courage et le sang. Dans mon sort ravalé je sais vivre en Princesse, Je suis l'ambition, mais je hais la faiblesse. » XV. Les affections même communes ne sont pas propres pour donner le plaisir qu'on recherche dans les Comédies, et il n'y aurait rien de plus froid qu'un mariage chrétien dégagé de passion de part et d'autre. Il faut toujours qu'il y ait du transport. Il faut que la jalousie y entre, que la volonté des parents se trouve contraire, et qu'on se serve d'intrigue pour la faire réussir. Ainsi l'on montre le chemin à celles qui seront possédées de la même passion, de se servir des mêmes adresses pour arriver à la même fin. XVI. Le but même de la Comédie engage les Poètes à ne représenter que des passions vicieuses ; Car la fin qu'ils se proposent est de plaire aux spectateurs, et ils ne le sauraient faire, qu'en mettant dans la bouche de leurs Acteurs des paroles et des sentiments conformes à ceux des personnes qu'ils font parler et à ceux des personnes devant qui ils parlent. Or on ne représente guère que des méchants et on ne parle que devant des personnes du monde, qui ont le cœur et l'esprit corrompu par de mauvaises passions et de mauvaises maximes. XVII. Les gens du monde spectateurs ordinaires des Comédies, ont trois principales pentes. Ils sont pleins de concupiscence, pleins d'orgueil, et pleins de l'estime de la générosité humaine ; qui n'est autre chose qu'un orgueil déguisé. Ainsi les Poètes qui doivent s'accommoder à ces inclinations pour leur plaire, sont obligés de faire en sorte que leurs pièces roulent toujours sur ces trois passions ; et de les remplir d'amour, de sentiments d'orgueil, et des maximes de l'honneur humain. C'est ce qui fait qu'il n'y a rien de plus pernicieux que la morale poétique et romanesque, parce que ce n'est qu'un amas de fausses opinions qui naissent de ces trois sources, et qui ne sont agréables qu'en ce qu'elles flattent les inclinations corrompues des Lecteurs, ou des Spectateurs. C'est la source du plaisir que l'on prend à ces vers, que M. de Corneille met en la bouche d'un Seigneur, qui avait tué en duel celui qui avait outragé son père. « Car enfin n'attends pas de mon affection Un lâche repentir d'une bonne action... Tu sais comme un soufflet touche un homme de cœur J'avais part à l'affront, j'en ai cherché l'auteur, Je l'ai vu, j'ai vengé mon honneur, et mon père ; Je le ferais encor si j'avais à le faire. » C'est par la même corruption d'esprit qu'on entend sans peine ces horribles sentiments d'une personne qui veut se battre en duel contre son ami, parce qu'on le croyait auteur d'une chose dont il le jugeait lui-même innocent. « C'est peu pour négliger un devoir si puissant Que mon cœur en secret vous déclare innocent. A l'erreur du public c'est peu qu'il se refuse, Vous êtes criminel tant que l'on vous accuse. Et mon honneur blessé sait trop ce qu'il se doit Pour ne vous pas punir de ce que l'on en croit... Telle est de mon honneur l'impitoyable loi, Lorsqu'un ami l'arrête il n'a d'yeux que pour soi ; Et dans ses intérêts toujours inexorable Veut le sang le plus cher au défaut du coupable. » Personne aussi ne s'est jamais blessé de ces paroles barbares d'un père à un fils, à qui il donne charge de le venger : « Va contre un arrogant éprouver ton courage ; Ce n'est que dans le sang qu'on lave un tel outrage ; Meurs ou tue. » Et cependant en les considérant selon la raison, il n'y a rien de plus détestable ; mais on croit qu'il est permis aux Poètes de proposer les plus damnables maximes, pourvu qu'elles soient conformes au caractère de leurs personnages. XVIII. Il ne faut pas s'imaginer que ces méchantes maximes dont les Comédies sont pleines ne nuisent point, parce qu'on n'y va pas pour former ses sentiments, mais pour se divertir : Car elles ne laissent pas de faire leurs impressions sans qu'on s'en aperçoive ; et un Gentilhomme ressentira plus vivement un affront, et se portera plus facilement à s'en venger par la voie criminelle qui est ordinaire en France, lorsqu'il aura ouï réciter ces vers : « Mourir sans tirer ma raison, Rechercher un trépas si mortel à ma gloire, Endurer que l'Espagne impute à ma mémoire D'avoir mal soutenu l'honneur de ma maison…  N'écoutons plus ce penser suborneur. » Et la raison en est, que les passions s'excitent par les objets et par les fausses opinions dont l'esprit est prévenu. L'opinion que la chimère de l'honneur est un si grand bien, qu'il le faut conserver aux dépens même de la vie, est ce qui produit la rage brutale des Gentilshommes de France. Si l'on ne parlait jamais de ceux qui se battent en duel, que comme de gens insensés et ridicules, comme ils le sont en effet ; si l'on ne représentait jamais ce fantôme d'honneur qui est leur idole, que comme une chimère et une folie ; si l'on avait soin de ne former jamais d'image de la vengeance, que comme d'une action basse et pleine de lâcheté ; les mouvements que sentirait une personne offensée seraient infiniment plus lents : mais ce qui les aigrit et les rend plus vifs, c'est l'impression fausse qu'il y a de la lâcheté à souffrir une injure. Or on ne peut nier que les Comédies, qui sont toutes pleines de ces mauvaises maximes, ne contribuent beaucoup à fortifier cette impression ; parce que l'esprit y étant transporté et tout hors de soi, au lieu de corriger ces sentiments, s'y abandonne sans résistance, et met son plaisir à sentir les mouvements qu'ils inspirent ; ce qui le dispose à en produire de semblables dans l'occasion. XIX. Ce qui rend l'image des passions que les Comédies nous proposent, plus dangereuse, c'est que les Poètes pour les rendre agréables sont obligés, non seulement de les représenter d'une manière fort vive, mais aussi de les dépouiller de ce qu'elles ont de plus horrible, et de les farder tellement, par l'adressé de leur esprit, qu'au lieu d'attirer la haine et l'aversion des spectateurs, elles attirent au contraire leur affection ; de sorte qu'une passion qui ne pourrait causer que de l'horreur, si elle était représentée telle qu'elle est, devient aimable par la manière ingénieuse dont elle est exprimée. C'est ce qu'on peut voir dans les vers, où M. de Corneille représente la rage de la Sœur d'Horace : Car voici ce qu'il lui fait dire en parlant de son père. « Oui je lui ferai voir par d'infaillibles marques Qu'un véritable amour brave la main des Parques, Et ne prend point de loi de ces cruels tyrans Qu'un sort injurieux nous donne pour parents : Tu blâmes ma douleur, tu l'oses nommer lâche ; Je l'aime d'autant plus, que plus elle te fâche, Impitoyable père, et par un juste effort, Je la veux rendre égale aux rigueurs de mon sort. » Et ensuite parlant à son frère, elle fait cette horrible imprécation contre sa patrie : « Rome l'unique objet de mon ressentiment, Rome à qui vient ton bras d'immoler mon Amant ; Rome qui t'a vu naître, et que ton cœur adore, Rome enfin que je hais, parce qu'elle t'honore. Puissent tous ses voisins, ensemble conjurés, Saper ses fondements encor mal assurés ; Et si ce n'est assez de toute l'Italie, Que l'Orient contre elle à l'Occident s'allie. Que cent peuples unis, du bout de l'univers Passent pour la détruire, et les monts et les mers, Qu'elle-même sur soi renverse ses murailles, Et de ses propres mains déchire ses entrailles. Que le courroux du Ciel allumé par mes vœux Fasse pleuvoir sur elle un déluge de feux : Puissé-je de mes yeux voir tomber cette foudre, Voir tes mains en cendre, et tes lauriers en poudre ; Voir le dernier Romain en son dernier soupir, Moi seule en être cause, et mourir de plaisir. » Si l'on dépouille l'image de cette passion de tout le fard que le Poète y prête, et qu'on la considère par la raison, on ne saurait rien s'imaginer de plus détestable que la furie de cette fille insensée, à qui une folle passion fait violer toutes les lois de la nature. Cependant cette même disposition d'esprit si criminelle en soi, n'a rien d'horrible lorsqu'elle est revêtue de ces ornements ; et les spectateurs sont plus portés à aimer cette furieuse qu'à la haïr. On s'est servi à dessein de ces exemples, parce qu'ils sont moins dangereux à rapporter : mais il est vrai que les Poètes pratiquent cet artifice de farder les vices en des sujets beaucoup plus pernicieux que celui-là ; et si l'on considère presque toutes les Comédies et tous les Romans, on n'y trouvera guère autre chose que des passions vicieuses embellies et colorées d'un certain fard, qui les rend agréables aux gens du monde. Que s'il n'est pas permis d'aimer les vices, peut-on prendre plaisir à se divertir dans des choses qui nous apprennent à les aimer ? XX. Le Chrétien ayant renoncé au monde, à ses pompes, et à ses plaisirs, ne peut pas rechercher le plaisir pour le plaisir, ni le divertissement pour le divertissement. Il faut, afin qu'il en puisse user sans péché, qu'il lui soit nécessaire en quelque manière, et que l'on puisse dire véritablement qu'il s'en sert avec la modération de celui qui en use, et non avec la passion de celui qui l'aime : « Utensis modestia, non amantis affectu. » Or comme la seule utilité du divertissement, est de renouveler les forces de l'esprit et du corps, lorsqu'elles sont abattues par le travail ; il est clair qu'il n'est permis de se divertir tout au plus, que comme il est permis de manger. Il est aisé de conclure de là, que ce n'est point une vie chrétienne, mais une vie brutale et païenne, de passer la plus grande partie de son temps dans le divertissement, puisque le divertissement n'est pas permis pour soi-même ; mais seulement pour rendre l'âme plus capable de travail. Car si personne ne doute que ce ne fût une vie très criminelle que celle d'un homme qui ne ferait que manger, et qui serait à table depuis le matin jusques au soir ; ce que le Prophète condamne par ces paroles : « Væ qui consurgitis mane ad ebrietatem sectandam, et potandum usque ad vesperam » ; il est facile de voir, que ce n'est pas moins abuser de la vie que Dieu nous a donnée pour le servir, que de la passer toute dans ce qu'on appelle divertissement ; puisque le mot même nous avertit, qu'on ne le doit rechercher que pour nous divertir, et nous distraire des pensées et des occupations laborieuses, qui causent dans l'âme une espèce de lassitude qui a besoin d'être réparée. Cela suffit pour condamner la plupart de ceux qui vont à la Comédie. Car il est visible qu'ils n'y vont pas pour se délasser l'esprit des occupations sérieuses, puisque ces personnes, et particulièrement les femmes du monde, ne s'occupent presque jamais sérieusement. Leur vie n'est qu'une vicissitude de divertissements. Elles la passent toute dans des visites, dans le jeu, dans les bals, dans les promenades, dans les festins, dans les Comédies. Que si elles ne laissent pas de s'ennuyer, comme elles font souvent, c'est parce qu'elles ont trop de divertissement, et trop peu d'occupation sérieuse. Leur ennui est un dégoût de satiété, pareil à celui de ceux qui ont trop mangé ; et il doit être guéri par l'abstinence, et non par le changement des plaisirs. Elles se doivent divertir en s'occupant, puisque la fainéantise et l'oisiveté est la principale cause de leurs ennuis. XXI. Il s'ensuit de là que tous ceux qui n'ont point besoin de divertissement, c'est-à-dire, que la plupart de ceux qui vont à la Comédie, ne le peuvent faire sans péché, quand il n'y aurait point d'autre raison qui rendît la Comédie défendue. Mais il ne s'ensuit pas que ceux qui ont véritablement besoin de se délasser l'esprit, puissent y aller sans péché ; parce que la Comédie ne peut passer pour un divertissement, ne pouvant avoir l'effet qu'il est permis de chercher dans le divertissement : car le Chrétien n'y peut rechercher qu'un simple délassement d'esprit, qui le rende plus capable d'agir chrétiennement, et dans les dispositions chrétiennes. Or tant s'en faut que la Comédie y puisse servir, qu'il n'y a rien qui indispose l'âme davantage, non seulement aux principales actions chrétiennes, comme la prière ; mais aux actions même les plus communes, lorsqu'on les veut faire dans un esprit de Chrétien, c'est-à-dire, recueilli et attentif à Dieu, qu'il faut tâcher autant que l'on peut de conserver dans les actions extérieures. Ainsi comme le besoin que nous avons de manger, ne fait pas qu'il nous soit permis de manger des viandes qui ne servent qu'à affaiblir le corps ; de même le besoin de se divertir ne peut excuser ceux qui recherchent des divertissements, qui ne font que rendre leur esprit moins propre à agir chrétiennement. XXII. Non seulement la Comédie et les Romans rendent l'esprit mal disposé pour toutes les actions de Religion et de Piété ; mais ils le dégoûtent en quelque manière de toutes les actions sérieuses et ordinaires. Comme on n'y représente que des galanteries ou des aventures extraordinaires, et que les discours de ceux qui y parlent sont assez éloignés de ceux dont on use dans les affaires sérieuses ; on y prend insensiblement une disposition d'esprit toute romanesque ; on se remplit la tête de Héros et d'Héroïnes ; et les femmes principalement y voyant les adorations qu'on y rend à celles de leur sexe, dont elles voient l'image et la pratique dans les compagnies de divertissement, où de jeunes gens leur débitent ce qu'ils ont appris dans les Romans, et les traitent en Nymphes et en Déesses, s'impriment tellement dans la fantaisie cette sorte de vie, que les petites affaires de leur ménage leur deviennent insupportables ; et quand elles reviennent dans leurs maisons avec cet esprit évaporé et tout plein de ces folies, elles y trouvent tout désagréable, et surtout leurs maris, qui étant occupés de leurs affaires, ne sont pas toujours en humeur de leur rendre ces complaisances ridicules, qu'on rend aux femmes dans les Comédies, dans les Romans, et dans la vie romanesque. XXIII. La nécessité que nous avons de réparer la défaillance de nos corps par la nourriture, ne peut pas servir d'excuse à ceux qui mangeraient volontairement des viandes qui imprimeraient une qualité venimeuse ; qui troubleraient les humeurs, et y causeraient une intempérie : parce que cette sorte de nourriture serait contraire à la fin du manger, qui est de conserver la vie du corps. Ainsi le besoin que l'on a de se délasser quelquefois, ne peut pas excuser ceux qui prennent la Comédie pour un divertissement ; puisqu'elle imprime, comme nous avons dit, des qualités venimeuses dans l'esprit, qu'elle excite les passions, et dérègle toute l'âme. XXIV. Le besoin que les hommes ont de se divertir n'est pas de beaucoup si grand que l'on croit, et il consiste plus en imagination, ou en accoutumance, qu'en une nécessite réelle. Ceux qui sont occupés aux travaux extérieurs, n'ont besoin que d'une simple cessation de leur travail. Ceux qui sont employés dans des affaires pénibles à l'esprit, et peu laborieuses au corps, ont besoin de se recueillir de la dissipation qui naît naturellement de ces sortes d'emplois, et non pas de se dissiper encore davantage par des divertissements qui attachent fortement l'esprit : C'est une moquerie de croire qu'on ait besoin de passer trois heures dans une Comédie à se remplir l'esprit de folies. Les hommes de ce temps-ci n'ont pas l'esprit autrement fait que ceux du temps de S. Louis, qui s'en passaient bien, puisqu'il chassa les Comédiens de son Royaume. Ceux qui sentent en eux ce besoin, le doivent considérer, non comme une faiblesse naturelle ; mais comme un vice d'accoutumance, qu'il faut guérir en s'occupant sérieusement. Un homme qui a bien travaillé, est satisfait quand il cessé de travailler, et il se divertit à ce qui le désoccupe. La Comédie n'est nécessaire qu'à ceux qui se divertissent toujours, et qui tâchent de remédier au dégoût qui accompagne naturellement l'excès des plaisirs ; et comme cette nécessité ne vient que de leur mauvaise disposition, qu'ils sont obligés de corriger, on peut dire qu'elle n'est nécessaire à personne, et qu'elle est dangereuse à tout le monde. XXV. Mais il n'y a rien qui fasse mieux voir le danger de la Comédie, et combien elle est défendue aux Chrétiens, que l'opposition qu'elle a avec les principales dispositions dans lesquelles ils doivent tâcher de s'établir ; et auxquelles ils doivent tendre, si la faiblesse de leur vertu les en éloigne. La première est l'esprit de prière, dont l'Apôtre fait un commandement exprès par ces paroles : « Sine intermissione orate. » Priez Dieu sans discontinuation. Et Jésus-Christ par celles-ci. « Vigilate et orate, ne intretis in tentationem. » Veillez et priez, afin que vous ne succombiez pas à la tentation. Car les tentations étant en quelque sorte continuelles ; la prière qui en est le remède, le doit être aussi. Il est vrai que cette continuité de la prière ne peut consister dans une attention perpétuelle de l'esprit à Dieu, et qu'il suffit qu'il demeure quelquefois dans un simple désir que Dieu y connaît ; mais il est certain que ce désir s'éteint facilement, si l'on n'a soin de le nourrir par les prières actuelles, et par la méditation des choses divines. C'est pourquoi les Chrétiens ne pouvant pas passer toute leur vie dans l'acte de la prière, sont obligés au moins de se renouveler de temps en temps devant Dieu : et comme c'est par ces prières actuelles qu'ils entretiennent celle qui doit être toujours dans le fond de leur cœur, ils doivent éviter avec un grand soin tout ce qui peut rendre leurs prières indignes d'être présentées devant la majesté divine, ce qui les oblige non seulement d'éviter les distractions qui leur surviennent dans la prière, mais beaucoup plus les sources des distractions qui remplissant l'âme de folles pensées, la rendent incapable de s'appliquer à Dieu. Cela suffit pour obliger tous ceux qui ont quelque soin de leur salut de fuir les Comédies, le Bal, et les Romans, n'y ayant rien au monde qui fasse sortir davantage l'âme hors de soi, qui la rende plus incapable de l'application à Dieu, et qui la remplisse davantage de vains fantômes. Ce sont d'étranges prières que celles que l'on fait en sortant de ces spectacles, ayant la tête pleine de toutes les folies qu'on y a vues. L'on ne se peut pas procurer à soi-même l'esprit de prière, ni cette sainte ardeur qui s'excite quand il plaît à Dieu par la méditation : « Et in meditatione mea exardescet ignis. » Mais le moins que l'on puisse faire, est de n'y mettre pas d'obstacle et d'empêchement, en faisant volontairement ce qui est directement contraire à cet esprit. XXVI. Dieu pardonne aisément les distractions qui naissent de la fragilité de la nature, mais il ne fait pas le même de celles qui sont volontaires dans leur source, telles que sont celles que la Comédie produit. C'est pourquoi il y a sujet de craindre, que toutes les prières des gens du monde qui sont pleines de ces sortes de distractions, ne soient plus capables d'irriter Dieu, que de l'apaiser ; et qu'elles ne soient du nombre de celles dont le Prophète dit : « Et oratio eius fiat in peccatum. » Que si la prière qui doit attirer l'esprit de Dieu sur tout le corps de nos œuvres est elle-même souillée, que doit-on juger de tout le reste des actions ? « Si lumen quod in te est tenebræ sunt, ipse tenebræ quantæ erunt ? » XXVII. Une des principales parties de la piété, et un des principaux moyens de la conserver, est d'aimer la parole de Dieu, et d'y trouver sa consolation. C'est par le sentiment de la douceur, que le Prophète avait éprouvée dans cette nourriture spirituelle qu'il dit à Dieu : « Inventi sunt sermones tui, et comedi eos, et factum est verbum tuum in gaudium et in lætitiam cordis mei. » J'ai trouvé vos paroles, et je m'en suis nourri, et elles ont rempli mon cœur de joie et d'allégresse. C'est cette consolation divine, selon S. Paul, qui entretient notre espérance, et qui nous soutient dans les traverses de cette vie. Ce sont ces saintes délices qui font monter les âmes chrétiennes du désert de ce monde jusqu'à Dieu, selon cette parole du Cantique : « Quæ est ista quæ ascendit de deserto deliciis affluens ? » Or l'expérience peut faire connaître à tout le monde, que rien n'éteint davantage la joie spirituelle que l'on ressent dans la lecture de la parole de Dieu, que les joies séculières ; et sensuelles, et principalement celles de la Comédie. Ces deux joies sont entièrement incompatibles. Ceux qui se plaisent dans la Comédie, ne se peuvent plaire dans la vérité ; et ceux qui trouvent leur plaisir dans la vérité, n'ont que du dégoût pour ces sortes de plaisirs. C'est pourquoi ce même Prophète à qui Dieu avait donné ce goût spirituel pour sa parole, témoigne incontinent après qu'il ne pouvait souffrir les assemblées de jeux et de divertissement, et qu'il mettait toute sa gloire, et toute sa joie à considérer les merveilles des œuvres de Dieu : « Non sedi cum concilio ludentium, et gloriatus sum a facie manus tuæ. » Et le saint Roi David qui avait aussi goûté la douceur de la Loi divine, témoigne de même le mépris qu'elle lui fait concevoir de tous les vains discours, et de tous les vains amusements de ce monde. « Narraverunt mihi iniqui fabulationes suas, sed non ut lex tua. » C'est le sentiment que le S. Esprit inspire à tous ceux à qui il donne de l'amour pour sa sainte parole. Tous ces divertissements qui sont si agréables aux gens du monde leur sont une viande fade dont ils ne sauraient manger, parce qu'ils n'y voient que du vide, du néant, de la vanité et de la folie ; et qu'ils n'y trouvent point le sel de la vérité et de la sagesse. Ce qui leur fait dire avec Job, qu'ils n'en sauraient goûter : « An poterit comedi insulsum quod non est sale conditum ? » Qui pourrait manger de cette viande qui n'a point de sel ? Mais si l'âme au contraire s'abandonne à ces faux plaisirs, elle perd incontinent le goût des spirituels, et ne trouve que du dégoût dans la parole de Dieu. Ce sont ces raisins verts, dont le Prophète dit, qu'ils agacent et engourdissent les dents de ceux qui en mangent : « Omnis homo qui comedit uvam acerbam, obstupescent dentes ejus. » C'est-à-dire, selon l'explication de S. Grégoire, que lorsqu'on se repaît des vaines joies du monde, les sens spirituels deviennent engourdis et incapables de goûter et d'entendre les choses du Dieu. « Qui præsentis mundi delectatione pascitur, interim ejus sensus ligantur, ut jam spiritualia mandere et intelligere non valeant.  » Or entre les joies du monde qui éteignent l'amour de la parole de Dieu, on peut dire que la Comédie, et les Romans tiennent le premier rang ; parce qu'il n'y a rien de plus opposé à la vérité ; et que l'esprit de Dieu, comme dit S. Bernard, étant un esprit de vérité, ne peut avoir de part avec la vanité du monde : « Sed nec erit ei unquam pars cum mundi vanitate, cum veritatis sit spiritus. » XXVIII. Dieu ne nous impute pas les froideurs qui viennent de la soustraction de ses lumières, ou simplement de la pesanteur du corps ; mais il nous impute sans doute celles auxquelles nous avons contribué pas notre négligence et nos vains divertissements. Il veut que nous n'estimions rien tant que le don précieux qu'il nous a fait de son amour, et que nous ayons soin de l'entretenir en lui donnant de la nourriture. C'est le commandement qu'il a fait à tous les Chrétiens en la personne des Prêtres de l'ancienne loi, auxquels il ordonne d'entretenir toujours le feu sur l'autel, et d'avoir soin d'y mettre tous les jours du bois le matin : « Ignis in altari semper ardebit, quem nutriet sacerdos subjiciens mane ligna per singulos dies. » Cet autel est le cœur de l'homme, et chaque Chrétien est le Prêtre qui doit avoir soin de nourrir sur l'autel de son cœur le feu de la charité, en y mettant tous les jours du bois, c'est-à-dire en l'entretenant par la méditation des choses de Dieu et par les exercices de piété. Or si ceux qui vont à la Comédie ont encore quelque sentiment de piété, ils ne peuvent désavouer qu'elle n'éteigne et n'amortisse entièrement la dévotion : et ainsi ils ne doivent point douter que Dieu ne les juge très coupables, d'avoir fait si peu d'état de son amour ; et qu'au lieu de le nourrir et de tâcher à l'augmenter, ils n'aient point craint de l'éteindre par leurs vains divertissements, et qu'il ne leur impute comme un grand péché le refroidissement, ou la perte de leur charité. Car si la dissipation des biens du monde et de l'or terrestre par le jeu, et par le luxe n'est pas un petit péché, que doit-on juger de la dissipation des biens de la Grâce, et de cet or enflammé, dont parle l'Ecriture, que nous devrions racheter par la perte de tous les biens et de tous les plaisirs de la vie. XXIX. Les Pères blâment comme une témérité dangereuse, la conduite de ceux, qui n'étant pas encore bien affermis dans l'amour de Dieu, s'emploient avec trop d'ardeur dans les bonnes œuvres extérieures, sous prétexte de charité ; parce qu'il est difficile que l'esprit ne se dissipe beaucoup dans ces exercices : « In terrenis quippe actibus, dit S. Grégoire, valde frigescit animus, si necdum fuerit per intima dona solidatus  » ; Si l'âme n'est fortifiée et affermie dans la vie intérieure par la Grâce, elle se refroidit beaucoup dans les occupations terrestres et séculiers. Quel jugement auraient-ils donc fait de ceux qui étant encore faibles, ne font pas néanmoins difficulté d'aller à la Comédie, qui dissipe plus l'esprit, que les plus grandes occupations, et ne peut être excusée, ni par la charité, ni par le zèle, puisqu'on n'y recherche que le plaisir ?   XXX. Personne n'approuverait sans doute qu'un Chartreux allât à la Comédie, parce que tout le monde voit assez l'extrême disproportion qu'a ce divertissement avec la vie sainte dont il fait profession : mais on n'est pas choqué de même de ce que plusieurs Chrétiens ne font pas difficulté d'y aller parce qu'on ne connaît pas la sainteté à laquelle ils sont obligés par le vœu de leur baptême ? On ne considère pas, comme dit S. Paulin, que par la grâce de ce Sacrement ils ont été ensevelis avec Jésus-Christ ; qu'ils ont fait vœu d'embrasser sa Croix, de n'être plus vivants à eux-mêmes ni au monde ; mais de faire vivre Jésus-Christ en eux. On ne considère pas que la vie chrétienne doit être non seulement une imitation, mais une continuation de la vie de Jésus-Christ ; puisque c'est son esprit qui doit agir en eux, et par eux, et imprimer dans leurs cœurs les mêmes sentiments qu'il a imprimés dans le cœur de Jésus-Christ. Si on regardait la vie chrétienne par cette vue, on connaîtrait aussitôt combien la Comédie y est opposée ; et il ne faudrait point de raisons pour en convaincre ceux qui seraient persuadés de ces vérités capitales de notre Religion ; comme il n'en faut point pour convaincre un Chartreux instruit dans sa Règle ; que les divertissements profanes lui sont défendus. XXXI. Toutes nos actions sont dues à Jésus-Christ, non seulement comme à notre Dieu ; mais comme à celui qui nous a rachetés d'un grand prix, pour nous obliger de le glorifier dans toutes nos œuvres, selon S. Paul. Il faut donc que toutes nos actions soient rapportées à sa gloire, et qu'elles témoignent que nous sommes amateurs de Jésus crucifié ; que nous aimons ce qu'il a aimé, et que nous haïssons ce qu'il a haï. Il faut enfin que nous puissions dire véritablement que nous les faisons pour lui, et pour son amour. Or ne serait-ce pas se moquer de Dieu et des hommes, que de dire que l'on va à la Comédie pour l'amour de Jésus-Christ ? Que si cette disposition est essentielle au christianisme, comme on n'en peut douter, il est visible que ceux qui fréquentent les Comédies ne sont pas, et ne vivent pas dans l'esprit du christianisme. XXXII. Si le Chrétien se considère comme pécheur, il doit reconnaître qu'il n'y a rien de plus contraire à cet état, qui l'oblige à la pénitence, aux larmes, et à la fuite des plaisirs inutiles, que la recherche d'un divertissement aussi vain et aussi dangereux que la Comédie : et s'il se considère comme enfant de Dieu, comme membre de Jésus-Christ, illumine par sa vérité, enrichi de ses grâces, nourri de son Corps, héritier de son Royaume ; il doit juger qu'il n'y a rien de plus indigne d'une si haute qualité, que de prendre part à ces folles joies des enfants du siècle. XXXIII. La véritable piété ne peut subsister sans une crainte salutaire, que l'âme conçoit à la vue des dangers dont elle est environnée. Elle peut ignorer la puissance et la malice de ses ennemis, qui font la ronde à l'entour d'elle pour la dévorer, comme parle l'Ecriture. Elle sait comme dit S. Paulin, que toute la figure du monde passe, et que toutes les créatures corporelles qui attirent nos cœurs par l'entremise de nos yeux, sont autant de rets dont le diable se sert pour nous prendre, autant d'épées dont il tâche de nous percer le cœur. Elle sait qu'elle marche au milieu de mille ennemis et de mille pièges, et qu'elle y marche sans lumière et sans force ; parce qu'elle ne voit que ténèbres dans son entendement, que faiblesse dans sa volonté, que révolte dans ses sens. L'expérience de tant d'âmes qui se perdent à ses yeux, et le dérèglement général qui règne partout, lui fait connaître qu'il n'y a rien de plus rare que la vertu chrétienne ; rien de plus facile, que de se perdre, rien de plus difficile que de se sauver. Comment pourrait-elle donc allier avec une crainte si juste de maux effroyables qui la menacent, les vaines réjouissances du monde, et repaître son esprit de vains fantômes dont les Comédies le remplissent ? N'est-il pas visible que comme l'effet naturel de la Comédie est d'étouffer cette crainte si salutaire ; aussi l'effet de cette crainte doit être d'étouffer le désir des divertissements inutiles ; et de faire conclure à l'âme qu'elle a bien d'autres choses à penser et à faire dans ce monde, que d'aller à la Comédie : que le temps que Dieu lui donne est trop précieux pour le perdre malheureusement dans ces vains amusements ? De sorte que lorsqu'elle s'y abandonne il faut que ce soit en s'aveuglant soi-même, en perdant le souvenir de ces dangers, et en étouffant aussi cette disposition, par laquelle le S. Esprit entre dans le cœur, et qu'il y entretient tant qu'il y demeure. XXXIV. Un des premiers effets de la lumière de la Grâce, est de découvrir à l'âme le vide, le néant, et l'instabilité de toutes les choses du monde, qui s'écoulent et s'évanouissent comme des fantômes, et de lui faire voir en même temps la grandeur et la solidité des biens éternels : et cette même disposition produit dans toutes les âmes chrétiennes une aversion particulière pour les Comédies ; parce qu'elles y voient un vide et un néant tout particulier. Car si toutes les choses temporelles ne sont que des figures et des ombres, et les figures des figures ; puisque ce ne sont que de vaines images des choses temporelles, et souvent de choses fausses. XXXV. Le péché a ouvert les yeux aux hommes pour leur faire voir les vanités du monde avec plaisir : et la Grâce du christianisme en ouvrant les yeux de l'âme pour les choses de Dieu, les ferme pour les choses séculières, par un aveuglement beaucoup plus heureux, que la vue malheureuse que le péché nous a procurée. C'est cet aveuglement salutaire, dit saint Paulin, que le Prophète demandait à Dieu, lorsqu'il dit : « Empêchez mes yeux de voir la vanité  » : et que le Seigneur préfère aux yeux clairvoyants des Juifs, lorsqu'il leur dit : « Si cæci essetis, non haberetis peccatum  » : Si vous étiez aveugles vous n'auriez point de péché. Si nous sommes donc obligés en qualité de Chrétiens de demander à Dieu qu'il nous ôte les yeux pour toutes les folies du monde, dont la Comédie est comme l'abrégé ; et qu'il nous en imprime la haine et l'aversion dans le cœur : comment pourrons-nous croire que nous puissions repaître nos yeux de ces vains spectacles, et mettre notre contentement en ce qui doit être l'objet de notre aversion et de notre horreur. Il ne me reste plus qu'à satisfaire quelques esprits touchant le sentiment de S. François de Sales Evêque de Genève sur le sujet du bal, et de la Comédie, dont il parle en deux endroits de son Introduction à la Vie dévote : savoir dans le chapitre 23. de la 1. Partie ; et dans le 33. de la 3. partie. Voici ses paroles : Les Jeux, les Bals, les Festins, les Pompes, les Comédies en leur substance ne sont nullement choses mauvaises, ains indifférentes, pouvant être bien et mal exercées ; toujours néanmoins ces choses-là sont dangereuses, et de s'y affectionner, cela est encore plus dangereux. Je dis donc, Philothée, qu'encore qu'il soit loisible de jouer, danser, se parer, ouïr d'honnêtes Comédies, banqueter ; si est-ce que d'avoir de l'affection à cela, c'est chose contraire à la dévotion, et extrêmement nuisible et périlleuse. Ce n'est pas mal de le faire, mais oui bien de s'y affectionner. C'est dommage de semer en la terre de notre cœur des affections si vaines et sottes ; cela occupe le lieu des bonnes impressions, et empêche que le suc de notre âme ne soit employé ès bonnes inclinations. Ainsi les anciens Nazaréens s'abstenaient non seulement de tout ce qui pouvait enivrer ; mais aussi des raisins et du verjus ; non point que le raisin et le verjus enivre ; mais parce qu'il y avait danger en mangeant du verjus, d'exciter le désir de manger des raisins, et en mangeant des raisins, de provoquer l'appétit à boire du moût, et du vin. Or je ne dis pas que nous ne puissions user de ces choses dangereuses ; mais je dis bien pourtant que nous ne pouvons jamais y mettre de l'affection sans intéresser la dévotion. Les cerfs ayant pris trop de venaison, s'écartent, et retirent dans leurs buissons, connaissant que leur graisse les charge, en sorte qu'ils ne sont pas habiles à courir, si davanture ils étaient attaqués. Le cœur de l'homme se chargeant de ces affections inutiles, superflues et dangereuses, ne peut sans doute aisément, promptement, et facilement courir après son Dieu, qui est le vrai point de la dévotion. Les petits enfants s'affectionnent, et s'échauffent après les papillons, nul ne le trouve mauvais, parce qu'ils sont enfants. Mais n'est-ce pas une chose ridicule, ains plutôt lamentable, de voir des hommes faits s'empresser, et s'affectionner après des bagatelles si indignes, comme sont les choses que j'ai nommées, lesquelles outre leur inutilité, nous mettent en péril de nous dérégler, et désordonner à leur poursuite ? C'est pourquoi, ma chère Philothée, je vous dis qu'il se faut purger de ces affections ; et bien que les actes ne soient pas toujours contraires à la dévotion, les affections néanmoins lui sont toujours dommageables. Dans le chapitre 31. de la 3. Partie, ce saint Prélat explique ce que c'est que mettre son cœur, et son affection à tout cela : « Pour honnête que soit une recréation, dit-il, c'est vice d'y mettre son cœur et son affection. Je ne dis pas qu'il ne faille prendre plaisir à jouer pendant que l'on joue ; (car autrement on ne se recréerait pas) mais je dis qu'il ne faut pas y mettre son affection, pour le désirer, pour s'y amuser, et s'en empresser. » Les Danses et Bals sont choses indifférentes de leur nature ; mais selon l'ordinaire façon, avec laquelle cet exercice se fait, il est fort penchant et incliné du côté du mal, et par conséquent plein de danger et de péril. On les fait de nuit, et parmi les ténèbres et obscurités il est aisé de faire glisser plusieurs accidents ténébreux, et vicieux en un sujet qui de soi-même est fort susceptible du mal. On y fait de grandes veilles, après lesquelles on perd les matinées des jours suivants, et par conséquent le moyen de servir Dieu en icelles. En un mot c'est toujours folie de changer le jour à la nuit, la lumière aux ténèbres, les bonnes œuvres à des folâtreries. Chacun porte au Bal de la vanité à l'envie ; et la vanité est une si grande disposition aux mauvaises affections, et aux amours dangereux et blâmables, qu'aisément tout cela s'engendre ès Danses. Je vous dis des Danses, Philothée, comme les Médecins disent des potirons, et champignons : les meilleurs n'en valent rien, disent-ils ; et je vous dis que les meilleurs Bals ne sont guère bons. Si néanmoins il faut manger des potirons, prenez garde qu'ils soient bien apprêtés. Si par quelque occasion, de laquelle vous ne puissiez pas vous bien excuser, il faut aller au Bal, prenez garde que votre Danse soit bien apprêtée. Mais comme faut-il qu'elle soit accommodée ? de modestie, de dignité, et de bonne intention. Mangez-en peu, et peu souvent, disent les Médecins, parlant des champignons ; car pour bien apprêtés qu'ils soient, la quantité leur sert de venin. Dansez peu, et peu souvent, Philothée ; car faisant autrement vous vous mettez en danger de vous y affectionner. Les champignons, selon Pline, étant spongieux, et poreux comme ils sont, attirent aisément toute l'infection qui leur est autour : si qu'étant près des serpents, ils en reçoivent le venin. Les Bals, les Danses, et telles assemblées ténébreuses attirent ordinairement les vices, et péchés qui règnent en un lieu, les querelles, les envies, les moqueries, les folles amours. Et comme ces exercices ouvrent les pores du corps de ceux qui les font ; aussi ouvrent-ils les pores du cœur. Au moyen de quoi, si quelque serpent sur cela vient souffler aux oreilles quelques paroles lascives, quelque mugueterie, quelque cajolerie ; ou que quelque basilic vienne jeter des regards impudiques, des œillades d'amour, les cœurs sont fort aisés à se laisser saisir, et empoisonner. O Philothée, ces impertinentes récréations sont ordinairement dangereuses : elles dissipent l'esprit de dévotion, alanguissent les forces, refroidissent la charité, et réveillent en l'âme mille sortes de mauvaises affections. C'est pourquoi il en faut user avec une grande prudence. Mais surtout on dit qu'après les champignons il faut boire du vin précieux. Et je dis qu'après les danses il faut user de quelques saintes et bonnes considérations, qui empêchent les dangereuses impressions que le vain plaisir qu'on a reçu pouvait donner à nos esprits. Mais quelles considérations ? A même temps que vous étiez au Bal, plusieurs âmes brûlaient au feu d'Enfer pour les péchés commis à la danse. 2. Plusieurs Religieux, et gens de dévotion étaient à même heure devant Dieu, chantaient ses louanges, et contemplaient sa beauté. O que leur temps a été bien plus heureusement employé que le vôtre. 3. Tandis que vous avez dansé, plusieurs âmes sont décédées en grande angoisse, mille milliers d'hommes, et femmes ont souffert de grands travaux en leurs lits, dans les Hôpitaux, et ès rues, la goutte, la gravelle, la fièvre ardente. Hélas, ils n'ont eu nul repos : Aurez-vous point compassion d'eux, et pensez-vous point qu'un jour vous gémirez comme eux, tandis que d'autres danseront comme vous avez fait. 4. Notre Seigneur, Notre Dame, les Anges, et les Saints vous ont vu au bal ; ha ! que vous leur avez fait grand pitié, voyant votre cœur amusé à une si grande niaiserie, et attentif à cette fadaise. 5. Hélas ! tandis que vous étiez là, le temps s'est passé, la mort s'est approchée, voyez qu'elle se moque de vous, et qu'elle vous appelle à sa danse, en laquelle les gémissements de vos proches serviront de violon, et où vous ne ferez qu'un seul passage de la vie à la mort. Cette danse est le vrai passetemps des mortels, puisqu'on y passe en un moment, du temps à l'éternité, ou des biens, ou des peines. Je vous remarque ces petites considérations, mais Dieu vous en suggérera bien d'autres à même effet, si vous avez sa crainte. Voilà ce que dit ce saint Evêque sur le sujet du Bal, et de la Comédie. Quelques-uns de ceux qui lisent les Auteurs sans l'attention, et le discernement qu'on y doit apporter, ou qui sont préoccupés de la passion qu'ils ont pour les Bals, et pour les Comédies, s'imaginent que le sentiment de saint François de Sales est, que ces sortes de divertissements sont absolument indifférents, et qu'ainsi on les peut prendre sans aucun scrupule. Mais si l'on considère comme il faut tout ce que dit ce saint Prélat, on verra qu'il n'y a rien de plus éloigné de son véritable sentiment. Car premièrement il ne dit pas absolument que ces divertissements soient indifférents ; mais il dit que de leur nature, et en leur substance ils sont indifférents, pouvant être bien et mal exercés, mais que selon l'ordinaire façon avec laquelle ils sont exercés, ils penchent du côté du mal ; et sont toujours dangereux. Il est évident que cela ne se peut entendre qu'en considérant les Bals, et les Comédies dans une spéculation métaphysique, et par une abstraction d'esprit, les séparant de toutes leurs circonstances. D'où il s'ensuit qu'on ne peut pas dire, en parlant des Bals, et des Comédies selon la pratique commune, et ordinaire, que ce soient des choses indifférentes. Et saint François de Sales le marque en termes exprès quand il dit, que « selon l'ordinaire façon avec laquelle cet exercice se fait, il est fort penchant, et incliné du côté du mal, et par conséquent plein de danger, et de péril, et que toujours néanmoins ces choses-là sont dangereuses ». 2. Quand ce saint Evêque dit ensuite, qu'il est loisible « de jouer, danser, se parer, ouïr des Comédies honnêtes  » ; il ne parle pas de ces divertissements selon la pratique commune, et ordinaire, puisqu'il déclare au même endroit que ces choses selon l'ordinaire façon avec laquelle on les exerce, penchent du côté du mal ; de sorte qu'il n'est pas permis de les pratiquer, selon ces paroles de l'Apôtre 1. Thessal. 5. v. 22. « Abstenez-vous de tout ce qui a quelque apparence de mal. » Il ne parle donc de ces divertissements que par supposition ; c'est-à-dire, en supposant qu'il n'y ait rien en cela contre les bonnes mœurs, et qui ne soit honnête. Et supposé même qu'il y eût des bals, et des Comédies honnêtes, et qui ne blessassent en aucune manière les bonnes mœurs, ni les règles du Christianisme ; il dit que ces choses ne laisseraient pas pour cela d'être dangereuses : qu'il en est de même que des champignons dont les meilleurs ne valent rien. Ainsi selon saint François de Sales, afin qu'il soit loisible d'aller au Bal et à la Comédie, il faut premièrement que le Bal, et la Comédie soient honnêtes : 2. Il ne faut pas y avoir d'affection, ni les désirer : 3. Il ne faut y aller que lorsqu'on ne peut s'en dispenser sans intéresser la charité ; dont le propre, dit-il, est d'ôter le venin aux choses empoisonnées, et de rendre permises celles qui sont défendues pour le péril qu'il y a d'en user : par exemple ; il se peut faire que quelques-uns iront au bal, et à la Comédie sans y avoir d'affection, ou parce qu'une puissance absolue, à laquelle ils ne pourront résister, comme d'une mère sur sa fille, ou d'un mari sur sa femme, les y engagera contre leur inclination : ou parce qu'ils seront dans une dignité qui les obligera de s'y trouver, pour empêcher les troubles, et les querelles, qui accompagnent ordinairement ces actions. 4. Il faut avoir une vertu qui ait la force de surmonter les tentations, et les dangers du Bal, et de la Comédie. 5. Il faut pratiquer les avis que donne ce S. Prélat. C'est prendre plaisir à s'aveugler, et à se tromper soi-même, de tirer de ce Saint Evêque, une licence pour tout le monde d'aller au Bal, et à la Comédie indifféremment ; encore qu'il ne la donne, que supposé qu'il y ait des Bals, et des Comédies honnêtes, c'est-à-dire où il n'y ait rien qui blesse les bonnes mœurs, et la pureté de notre Religion ; et qu'il ne l'accorde qu'à ceux-là seulement qui ne peuvent résister à une puissance absolue qui les y mène : qu'il n'use de cette condescendance que pour des personnes dévotes, qui comme des flambeaux bien allumés, dont la flamme croît par le souffle des vents, redoublent les ardeurs de l'amour sacré qu'ils ont dans le cœur, au milieu des tentations ; et qu'enfin il ne donne son contentement qu'à ceux qui suivent exactement les instructions qu'il prescrit dans son introduction, qui ne peuvent être pratiquées sans jeter dans l'âme un extrême dégoût de tous ces divertissements, et sans les rendre très pénibles à ceux qui sont contraints d'y assister. Il n'y a point d'esprit raisonnable qui considérant avec attention tout ce que nous venons de dire, n'avoue qu'on ne peut conclure autre chose de tout le discours de S. François de Sales, à l'égard de la pratique commune, et ordinaire des Bals, et des Comédies ; sinon qu'il les faut éviter. C'est aussi tout ce qu'en a conclu le Père Dagonel Jésuite ; dans les Avis Chrétiens, et importants à toutes sortes de personnes ; tirés fidèlement des écrits, et de la vie de S. François de Sales Evêque de Genève, ou dans l'extrait qu'il a fait des chapitres de l'Introduction à la vie dévote, que nous venons de rapporter, il exprime le sentiment de ce saint Evêque touchant les Bals, et les Comédies en ces termes : « Que les jeunes gens évitent les Bals, Danses, Comédies, et autres impertinentes récréations, tant que faire se pourra : car en icelles il y a toujours du danger, de vices, de péchés, de querelles, d'envie, de moqueries, et de folles amours. Car chacun en tels exercices y apporte la vanité, laquelle naît presque en la jeunesse, et nommément avec le sexe féminin, et sert de disposition aux mauvaises impressions. Quelque serpent ou basilic sur cela viendra souffler aux oreilles, quelques paroles lascives, ou jeter des regards impudiques ; ces cœurs tendrelets par semblables amorces aisément se laisseront saisir, et empoisonner. Ah que la vanité a fait de tort aux faibles esprits, les exposant à mille hasards ; et les faisant estimer par trop leur infortunée beauté, ou autre bonne grâce, qu'ils s'imaginent avoir : d'où vient qu'ils se donnent misérablement en proie, et perdent ainsi pauvrement leur honneur, s'amusant à l'ornement, et contentement du corps et de la chair, et perdant cependant le soin de l'âme, et de l'esprit. » Voilà l'extrait du véritable sentiment de S. François de Sales sur les Bals, et les Comédies, selon le Père Dagonel. Je rapporterai encore ici deux lettres imprimées qui confirment l'explication que j'ai donnée ci-dessus des paroles de M. de Genève. La première est une Lettre d'un Ecclésiastique à un de ses amis, où il lui explique les sentiments qu'il a de la Comédie, et de ceux qui y vont, et montre comment on doit entendre ce que Monsieur de Genève a écrit sur ce sujet. Il n'y a personne qui ne prît la Lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, pour une raillerie, et je croirais la même chose si je ne connaissais votre sincérité, et si je n'étais assuré que vous en avez fait profession, vous engageant dans la piété. Je sais bien que vous avez beaucoup de lumière pour juger solidement de toutes choses, et qu'en vous servant de celles que vous avez reçues de Dieu dans l'Oraison, et que vous avez acquises par la lecture des bons Livres, vous pouvez vous satisfaire pleinement sur la question que vous me proposez. Mais comme vous ne m'interrogez pas seulement pour devenir plus savant, mais pour marcher plus sûrement dans la voie du Ciel, qui oblige les hommes de se faire Enfants, et les Maîtres de se réduire dans le rang de Disciples, vous désirez de recevoir de la bouche d'un Prêtre la résolution d'un doute que je crois que vous avez déjà prise ; C'est pourquoi vous ne vous mettez pas beaucoup en peine de vous adresser à un Savant, qui ne vous pourrait rien apprendre sur cette matière, mais à une personne à qui vous avez de la confiance, pour vous affermir en vous humiliant dans la charité et dans la vérité. Vous désirez donc savoir mes pensées touchant la Comédie, et s'il est permis à un Chrétien d'y aller. Il me semble que cette question est vidée il y a longtemps, et qu'il n'y a personne dans le Christianisme qui ait besoin d'autre Casuiste que celui qu'il porte en soi-même, pour juger que ce divertissement est périlleux et contraire à la piété : Qu'il interroge sa propre conscience, quelque artifice dont il se serve pour la tromper, en lui représentant cette action avec toute l'innocence qu'il pourra, si la syndérèse n'est tout à fait étouffée, elle lui donnera toujours de la crainte de le prendre, et de l'inquiétude de l'avoir pris. D'où il est facile de conclure qu'on ne peut s'y engager sans péché, suivant cette maxime fondamentale de la Morale Chrétienne Quidquid ex fide non est, peccatum est. Ce qui n'est point réglé sur les sentiments de la conscience, et contre la Loi de Dieu. Il est vrai que plusieurs de ceux qui assistent à ces actions de Théâtre, n'ont pas ces remords intérieurs, mais il ne faut pas juger de leur insensibilité, que ceux qui en sont inquiétés aient une conscience erronée ou scrupuleuse, mettant du péché où il n'y en a pas : Car outre qu'en ressentant ces reproches contre leur propre volonté, et qu'ils font ce qu'ils peuvent pour les étouffer, il est constant que c'est la seule lumière des vérités chrétiennes qui les produit, et que la crainte de faire mal allant à la Comédie, est un effet, non d'une conscience erronée, mais plutôt de cette grâce qui la rend timorée, qui reste dans l'âme après qu'elle est tombée dans le péché, comme une semence de conversion. Il ne faut pas s'étonner que la grâce produise cet effet dans l'âme d'un Chrétien : car toutes les vérités qui lui donnent le pouvoir d'être enfant de Dieu, sont tellement combattues par les idées que ces spectacles jettent dans l'esprit, qu'il est impossible à ceux qui s'y amusent, de jouir d'une véritable paix. La vanité qui occupe l'entendement obscurcit la vérité, et la chair se révolte contre l'esprit ; et ce qui est de plus fâcheux, la victoire est presque toujours pour le plus mauvais parti. Qu'y a-t-il de plus contraire à la Loi qui nous fait adorer un Jésus-Christ crucifié, et qui veut que nous élevions ses anéantissements au-dessus de toute la gloire du monde, que des représentations où la vanité triomphe avec un applaudissement général de tous les spectateurs ? Représentez-vous d'un côté le Calvaire, et de l'autre le Théâtre, et vous avouerez qu'il n'y a personne qui puisse assembler l'amour de l'un et de l'autre, qui sont dans un éloignement infini, dans un même cœur, et qui ne tourne le dos au Calvaire au même temps qu'il regarde le Théâtre avec complaisance. Consultons l'expérience, elle nous apprend que ceux qui aiment ces divertissements ont fort peu de foi, s'ils en ont, et qu'elle est fort infirme. Je dis ceux qui les aiment ; parce qu'il se peut faire que quelques-uns y iront sans y avait d'affection, ou parce qu'une puissance absolue, à laquelle ils ne pourront résister, comme d'une mère sur sa fille, ou d'un mari sur sa femme, les y engagera contre leur inclination : ou parce qu'ils seront dans une dignité qui les obligera de s'y trouver, pour empêcher les troubles et les querelles qui accompagnent ordinairement ces actions. Ce sont là les personnes que le B. François Evêque de Genève permet d'aller au Bal, il faut dire le même de la Comédie, qui ne peuvent s'en dépenser sans intéresser la charité, donc le propre, dit ce S. Docteur, est d'ôter le venin aux choses empoisonnées, et de rendre permises celles qui sont défendues, pour le péril qu'il y a d'en user. C'est prendre plaisir à s'aveugler et à se tromper soi-même, de tirer de ce S. Homme une licence pour tout le monde d'aller à la Comédie, encore qu'il ne la donne qu'à ceux-là seulement qui ne peuvent résister à une puissance Souveraine qui les y mène : qu'il n'use de cette condescendance que pour des personnes dévotes, qui comme des flambeaux bien allumés, dont la flamme croît par le souffle des vents, redoublent les ardeurs de l'amour sacré qu'ils ont dans le cœur au milieu des tentations. Enfin qu'il ne donne son consentement qu'à ceux qui suivent exactement les instructions qu'il prescrit dans son Introduction, qui ne peuvent être pratiquées sans jeter dans l'âme un extrême dégoût de toutes ces niaiseries : et sans les rendre très pénibles à ceux qui sont contraints de s'y amuser. Si la Comédie détruit la Foi en ruinant la Croix de Jésus-Christ, elle renverse encore les bonnes mœurs, qui doivent accompagner la foi si elle est vivante, et telle qu'elle doit être pour nous conduite au salut. On peut considérer quatre choses dans la Comédie : la matière, qui est ce que l'on représente. La manière qui consiste dans les termes, et les actions avec lesquelles les Acteurs expriment les pensées et les desseins convenables aux personnages qu'ils font. La qualité des personnes qui jouent la Comédie. Et l'effet qu'elle produit ordinairement dans l'esprit des spectateurs. On représente sur le Théâtre des Histoires, dont les unes sont inventées à plaisir, et tirées des Romans : les autres sont prises dans les livres de ceux qui ont écrit ce qui s'est passé de plus mémorable dans le cours des siècles. Mais que ces Histoires soient feintes ou véritables, il est constant que les Auteurs de ces pièces ne cherchent pas, comme les Historiographes, à faire connaître la vérité, mais ils ne songent qu'à mettre devant les yeux des spectateurs ce qui peut plus agréablement occuper leur esprit, flatter plus doucement leurs sens, et émouvoir plus fortement leurs passions, et ils étudient tellement à cela, qu'ils n'épargnent rien de ce qui peut y contribuer, préférant le plus souvent le mensonge à la vérité. He ! quelle honte à des Chrétiens d'aimer la vanité, et de rechercher l'erreur. Bienheureux celui qui n'a point abusé de ses yeux à regarder ces objets imaginaires, et qui ne s'est point occupé de ces fausses folies. La forme que les Auteurs donnent à ces ouvrages profanes pour les mettre dans leur plus beau jour, les rende encore plus dangereux que la matière. Il n'y a artifice dans la Rhétorique, ni licence dans la Poésie, dont ils ne se servent pour exprimer les passions des personnages qu'ils font parler, et pour les faire paraître dans la dernière extrémité. S'il faut montrer de l'amour, ou de la haine : de l'espérance ou du désespoir : de la joie, ou de la tristesse : ils recueillent ce qu'il y a de plus emporté dans les Auteurs les plus lascifs et les plus éloquents, et y ajoutant ce que leur invention leur peut fournir, vous diriez que vous voyez et que vous entendez parler ces démons qu'adoraient les Païens sous les noms des Dieux de l'Amour ou de la Fureur ; et des autres passions dont ils voulaient autoriser le dérèglement. C'est dans ces pièces où l'on reconnaît le destin et la fortune, comme donnant le branle à tous les mouvements du monde, et qu'on leur attribue le gouvernement qui n'appartient qu'à Dieu seul Roi des siècles. C'est dans ces pièces que les vices qui ont de l'éclat, et qui ont déshonoré les Princes qui les ont eus, sont élevés au-dessus des vertus abattues sous leurs pieds : que l'impudicité est appelée chasteté, et qu'elle passe pour telle dans une fille qui n'a qu'un amant, et qui lui abandonne son cœur et son corps sans lui donner de rival. L'opiniâtreté dans le vice et l'impénitence y prennent le nom d'une constance invincible, et en usurpent le mérite et la couronne. Le désespoir qui se sert de la propre main de celui qu'il possède pour se plonger le poignard en son sein, est un coup digne de la mémoire des plus illustres personnages, et d'être le modèle d'une glorieuse mort. Enfin ces pièces infâmes font revivre les serpents que l'Evangile a écrasés : elles renouvellent les maladies des âmes que la vérité Chrétienne et la charité ont guéries : elles rétablissent l'idolâtrie, qui est l'origine du Théâtre, selon Tertullien, et renversent le Royaume de Jésus-Christ autant qu'elles le peuvent faire. Des hommes et des femmes déclarés infâmes par le Concile 7. de Carthage, et excommuniés, selon le témoignage de saint Cyprien, en la première lettre du septième livre de ses Epîtres, sont les instruments funestes dont le démon se sert pour remporter ces victoires sur la piété chrétienne, et se mettre en possession de ces triomphes, trouvant ces misérables parfaitement dociles à tous les mouvements qu'il lui plaît de leur imprimer dans le cœur et dans le corps. Qui peut douter qu'ils ne soient des membres principaux du corps mystique de Satan, appelé proprement dans les saintes pages, le monde, et dont il se sert pour faire une guerre cruelle et pernicieuse à celui dont les fidèles qui vivent selon la Loi de l'Evangile, sont les membres, et Jésus-Christ le Chef ? Qui peut douter que ce monstre ne les anime de sa présence et de son esprit dans ces actions scandaleuses, où il peut faire encore ce qu'il a fait autrefois, tournant dans les Comédies la Religion Chrétienne en ridicule, et faisant de nos plus redoutables mystères des jeux d'enfant, des délires d'un furieux, et des extravagances d'un fol ? Il dispose si absolument de ces esclaves, qu'il y a peu d'hommes et de femmes dans leur troupe qui ne fissent les mêmes impiétés si elles attiraient plus de monde à leurs infâmes spectacles, et s'ils en tiraient plus de profit. Il leur est indifférent de représenter un Saint, ou un démon ; une Vierge Martyre, ou une prostituée. Ils sont comme la matière première des Philosophes, qui se revêt indifféremment de toutes sortes de formes. Depuis qu'une femme a perdu la pudeur, quelle a banni la modestie, qu'elle a mis sous ses pieds l'honneur de son sexe, c'est un serpent rempli de poison, qui met sa gloire et son étude à donner de l'amour et à en recevoir. Ceux donc qui au lieu de la fuir, suivant le conseil du Sage, la recherchent pour se divertir, peuvent-ils passer pour innocents devant Dieu et devant le Tribunal de leur propre conscience ? Lisez tout ce que Salomon prononce d'une débauchée, et le soin qu'on doit avoir d'en éviter la présence, et vous serez très persuadé qu'il faut faire le même jugement d'une Comédienne : car encore qu'il y en ait peut-être quelqu'une qui ne soit pas tombée dans la dernière extrémité du vice ; il faut pourtant avouer que faisant profession d'en avoir tout l'extérieur, elle n'est pas moins à craindre. La nudité de son sein, son visage couvert de peinture et de mouches, ses œillades lascives, ses paroles amoureuses, ses ornements affectés, et tout cet attirail de lubricité, sont des filets où les plus résolus se trouvent pris ; Ce sont des pièges ou tombent les âmes les plus innocentes ? Ce sont des machines qui font entrer la mort par les yeux, par les oreilles, et par tous les sens du corps de ceux qui s'y exposent. Voilà les fruits que remportent les Spectateurs : ils y reçoivent des leçons de péché : Ils l'y trouvent avec des attraits qui le fait aimer : Ils y apprennent des adresses pour le commettre : ils y entrent chastes, et en sortent impudiques :·et souvent ce qu'ils y voient et ce qu'ils y entendent leur fait commettre au même moment le péché dans le cœur, auparavant que le corps en soit souillé. Ajoutez que ces Comédies se jouent aux flambeaux, et de soir, ce qui ne contribue pas peu à favoriser le vice, et à lui faire jeter dans l'âme de ceux qui y assistent, de très profondes racines : les impressions que ces œuvres de ténèbres, revêtues d'une fausse lumière, leur font, leur servent d'entretien tout le reste du jour, et forment les dernières pensées qu'ils ont dans leurs lits, qui sont des semences de péché, que le démon fait germer par ses illusions, et qu'il conduit jusques à son dernier effet, à la faveur de la concupiscence. On peut représenter, Monsieur, que ces désordres n'arrivent pas toujours, et que les Comédiennes sont quelquefois si mal faites, et ceux qui les voient si peu disposés au péché, qu'ils peuvent se regarder les uns les autres sans aucun péril. Les exemples des Saintes Écritures nous apprennent qu'il faut peu de chose pour faite tomber l'homme dans le vice, il n'a besoin que de sa propre pesanteur, pour s'y précipiter soi-même. La chaussure de Judith ne gagna-t-elle pas le cœur d'Holopherne, et ne fut-elle pas la cause de son crime et de sa mort ? C'est une horrible présomption, de se persuader que le secours de la Grâce (sans lequel nous ne pouvons éviter le mal, ou faire le bien, et qui ne nous manque jamais, tant que nous marchons dans la voie où Dieu nous a mis pour aller à lui) nous suive jusques dans ces lieux où l'on ne se peut trouver avec affection, qu'en se détournant de Dieu, et transgressant toute sa Loi. On tombe dans le même crime que les Enfants d'Israël, lorsqu'ils adorèrent le Veau d'or, et on met en pièces les deux Tables du Décalogue : On brise la première, qui regarde l'Amour et le culte de Dieu, lorsqu'on partage son cœur, qu'il veut tout entier, entre lui et ces divertissements ; encore avec cette injustice, que l'on leur en donne la meilleure part : Qu'on dresse deux Autels au-dedans de soi-même, où l'on offre plus de sacrifices et avec plus d'affection au Prince usurpateur du monde, qu'à celui qui l'a créé, et à qui en appartient la souveraineté ; Se donnant à peine le loisir d'entendre une basse Messe aux jours où elle est d'obligation, et consacrant le reste à ce cruel Tyran. Ils se joignent à ces malheureux dont parle le Prophète, et te rendent exécuteurs de leur mauvaise volonté, « Quiescere faciamus omnes dies festos Dei. » Ce qui est si sensible à l'Eglise, qu'elle veut qu'on les retranche de son Corps, dans le quatrième Concile de Carthage, comme des membres pourris, avec le glaive de l'excommunication. La seconde Table du Décalogue, qui nous ordonne l'amour du Prochain, est renversée allant à la Comédie, par le scandale que l'on donne à son Prochain, voire à toute l'Eglise. Quand il n'y aurait que les enfants les plus faibles de cette divine Mère, qui s'en mal édifieraient, les autres qui sont plus forts, suivant la règle de la Charité, ne seraient-ils pas très étroitement obligés et sous peine de péché, de s'en abstenir, leur devant cette condescendance avec plus de justice, que celui dont parle S. Paul, ne devait se priver de manger de la chair immolée aux Idoles, en la présence de celui qui ne croyait pas qu'il le pût faire légitimement. S'il y a de la différence dans ces sujets de condescendance, celle qui oblige les forts de ne prendre pas le divertissement de la Comédie, pour ôter le scandale qu'en prennent les autres fidèles, est plus pressante et moins excusable, que celle que le Corinthien était obligé de pratiquer, s'abstenant de manger de la chair immolée aux Idoles, pour ne blesser pas la conscience de son Frère infirme en la Foi, la nécessite de manger étant plus capable d'excuser celui qui lui obéit, que la volonté de se divertir, et qu'il était moins périlleux d'user de ces viandes, que de voir la Comédie. Secondement, il suffit que ces divertissements soient périlleux, pour engager les Chrétiens de s'en détourner, et s'ils ne le sont pas pour tous, au moins ceux qui ont la conduite des autres, et dont on suit les exemples, ne sauraient se trouver à ces Spectacles, sans être cause de la ruine de plusieurs, et sans perdre pour eux-mêmes la charité chrétienne, suivant cette parole du S. Esprit, Dieu a chargé un chacun de la garde de son prochain. On ne doit pas s'étonner que les enfants du monde combattent avec tant de chaleur ces sentiments, qui étant des suites nécessaires de la Religion, et inséparables de la vraie piété, sont aussi anciens dans l'Eglise, que les vérités chrétiennes qui les produisent : Car renversant le Théâtre, et ruinant la Comédie, on détruit tout d'un coup le royaume de Satan, qui ne subsiste, selon l'Apôtre S. Jean, que sur la concupiscence de la chair, la concupiscence des yeux, et la superbe de la vie. L'horreur que l'on conçoit de ces Spectacles, ferme les yeux à la vanité (ce que le Prophète demandait à Dieu avec instance :) Elle ôte à la chair ce qui entretient ses flammes impures, et conserve son intégrité : Elle empêche la superbe de glisser son poison dans l'esprit, et de le surprendre en le détournant de ces jeux, où l'on donne l'honneur et la gloire à ceux qui ont porté plus haut ses mouvements déréglés C'est pourquoi depuis l'établissement du Christianisme, et que Jésus-Christ crucifié a été proposé aux hommes comme la voie, la vérité, et la vie, qui conduisent à la béatitude, les partisans de l'idolâtrie ont toujours attaqué ces sentiments catholiques, comme les plus opposés à la superstition : Et les Pères ont été obligés de prendre leur défense, comme un des points principaux de notre créance, et de composer des livres entiers pour les soutenir. Tertullien ne s'est pas contenté dans son Apologétique, de repousser le reproche que l'on faisait aux Chrétiens de fuir les Spectacles, comme un crime qui méritait d'être sévèrement puni, en soutenant qu'il n'y en avait point, et qu'il n'y avait aucun sujet de les en reprendre, puisqu'en cela ils usaient de leur liberté, sans offenser ni le public, ni le particulier : Ce Docteur en a fait un Livre tout entier. S. Cyprien en a composé un sur le même sujet, et il n'y a point de Pères qui n'aient les mêmes sentiments que je vous propose, et qui ne tâchent de donner une extrême aversion de ces actions de Théâtre, comme contraires à la religion et à la dévotion. Si vous voulez faire réflexion sur le livre de Tertullien, vous m'avouerez qu'il suffirait de le transcrire et de le traduire, sans y rien ajouter, pour former la bouche à tous ceux qui trouvent mauvais qu'on blâme le Bal et la Comédie, et qui soutiennent qu'on y peut aller sans intéresser l'innocence et la piété. Je me contenterais de vous faire remarquer qu'il ne proscrit pas ces Spectacles du Christianisme, seulement comme ayant leur source dans idolâtrie, qui faisait de ces actions profanes des sacrifices à leurs fausses divinités : où comme s'il ne s'y passait rien qui ne fût contraire à l'humanité naturelle, à l'homme qui abhorre le sang : Mais comme des pompes du Diable, auxquelles nous avons renoncé entrant dans l'Eglise par le Baptême, et devenant membres de Jésus-Christ, qui a fait profession au nom de tous ses enfants de n'être point du monde : et comme des nourrices des mauvais désirs qui sont les sources fécondes de tous les péchés. C'est ce qu'il explique dans le 14. chap. Dans le 17. il appelle le Théâtre le consistoire de l'impudicité ; et les Tragédies et les Comédies les mères des crimes et des passions dérèglées. Dans le 14. il se propose l'objection que font encore aujourd'hui les protecteurs de ces divertissements, qu'il n'y a point de commandement de Dieu dans les Écritures Saintes qui le défende expressément, et qui oblige de les fuir ; A quoi il répond qu'il ne faut lire que le premier vers, du 1. Psaume, pour reconnaître sur ce sujet la volonté de Dieu ? Bienheureux est l'homme qui ne s'est point trouvé dans l'assemblée des impies, qui ne s'est point atteste dans le chemin des pécheurs, et qui m'a point pris séance dans la chaire de pestilence : Soutenant que ces paroles dans leur véritable sens, condamnent ces actions et ceux qui y prennent part. On peut ajouter à ce passage plusieurs autres, qui renferment le même sens ; On en trouve autant qu'il y a de versets dans le 25. Psaume du même Prophète : Je ne me suis point trouvé dans le conseil de la vanité, et j'ai fait toujours profession de m'éloigner de ceux qui se portaient au mal : J'ai haï l'assemblée des méchants, et je n'ay point voulu m'asseoir avec les impies. Si je voulais suivre l'ouverture que me donne ce sujet pour vous entretenir, j'aurais de la peine à conclure cette lettre et vous seriez plutôt ennuyé, que je ne manquerais de pensées. Contentez-vous, s'il vous plaît, de ce petit essai, que j'ai fait plutôt pour satisfaire votre pieuse inclination, que pour vous persuader une vérité constante parmi les vrais Chrétiens, et que ceux-là seulement veulent rendre douteuse, qui s'aveuglent volontairement eux-mêmes, et qui ressemblent à celui qui renonce à la lumière pour se porter au mal avec plus de liberté. Prions notre Seigneur d'éclairer leurs yeux, et qu'il ne permette pas qu'ils s'endorment en la mort, et qu'ils tombent en ce déplorable état entre les mains de l'ennemi. Pour nous, jouissons de la vraie liberté des enfants de Dieu, élevant notre esprit à la contemplation de ce que notre Seigneur a opéré sur la terre pour notre salut, de la majesté foudroyante avec laquelle il paraîtra à la fin des siècles, pour juger nos justices et nos péchés, et pour rendre à un chacun selon ses œuvres : et des récompenses éternelles qu'il a préparées dans le ciel à ceux qui auront consommé leur course, combattu le bon combat, et conservé jusques à la mort la fidélité qu'ils doivent à leur souverain Maître. Souvenez-vous que c'est là l'exercice d'un homme qui a renoncé de tout son cœur au siècle, et qui se veut parfaitement convertir à Dieu. Si quelque tentation rappelant dans votre esprit ces fausses délices que vous avez goûtées dans votre conversation mondaine, vous sollicitait de retourner en arriéré, opposez lui ces paroles de S. Augustin, « Cohibeat se à ludis et a spectaculis qui perfectam vult consequi remissionis gratiam » : Que celui-là renonce aux jeux et aux spectacles du siècle, qui désire obtenir de Dieu une rémission parfaite de ses crimes. L'autre lettre est d'un Ecclésiastique à une Dame de condition, où il lui propose ses avis touchant la conduite de ses filles, et fait voir que c'est une chose dans le dernier ridicule de prétendre que la Comédie soit indifférente dans son usage, qui a toujours été criminel dans le sentiment de tous les Pères de l'Eglise. La très sensible douleur qui me presse, ne me permet pas de vous dissimuler plus longtemps l'extrême déplaisir que m'a causé la condescendance que vous avez eue pour Madame la Marquise de… et le consentement que vous lui avez donné de mener Mesdemoiselles vos filles à la Comédie. La faute que vous avez faite en cette fâcheuse rencontre, est à la vérité de pure faiblesse, et un de ces péchés qui se pardonnent facilement à votre sexe : mais elle ne laisse pas d'être grande devant Dieu, et vous l'avouerez vous-même, quand vous considérerez en sa présence, que vous avez plutôt écouté le monde, et obéi à sa voix, qu'à celle de Jésus-Christ notre Maître et notre Guide. Vous aviez un très juste sujet de refuser à cette Dame ce qu'elle vous demandait, sans qu'elle y trouvât à redire, en lui représentant que vous ne pouviez le lui accorder qu'en agissant contre les lumières dont Dieu vous avait éclairée, et contre votre propre conscience : ce qui n'est jamais permis à une âme Chrétienne. J'ai une opinion si avantageuse de sa probité, que je suis assuré qu'elle n'aurait pas souhaité cela, si elle eût reconnu aussi clairement que vous, que ce qu'elle vous proposait était criminel. Vous deviez, Madame, ménager cette grâce plus fidèlement, puisqu'elle est des plus précieuses que la divine Miséricorde tire de ses trésors. Dieu punit souvent les enfants du siècle, en permettant qu'ils tombent dans l'aveuglement, pour les châtier du mépris qu'ils font des vérités que sa Bonté souveraine fait briller dans le fond du cœur des Chrétiens, pour régler leurs pensées, et former leurs actions : et aussi il arrive ordinairement, que comme ils ne secondent pas les desseins de Dieu sur eux, et qu'ils se jettent dans la tentation (où ils ne demandent que du bout des lèvres, de n'être pas engagés en récitant l'Oraison Dominicale) ils tombent par un sévère, mais très juste jugement de Dieu, sous la conduite d'un Directeur aveugle, qui les fait descendre tous vivants et sans y penser, dans les Enfers. L'avis salutaire que le saint Esprit nous donne, de ne pas croire à tout esprit, et que Satan se transfigure quelquefois en Ange de lumière, nous oblige très étroitement de veiller, et de prier sans cesse, pour éviter par le secours de la Grâce ce qui est contraire à notre salut : sans cette diligence il est impossible d'entrer dans le Ciel, et nous en devons être persuadés, après l'assurance que notre souverain Maître nous donne dans son Evangile, que tous les paresseux périront. Et même, ce qui est encore de plus terrible, que plusieurs voudront entrer par la porte étroite, qui mène à la vie, et ne pourront, leur volonté n'étant pas forte, et n'employant pas tous leurs efforts à cela. N'appuyons donc pas notre lâcheté sur le caractère de Prêtre, ni sur la condition de Religieux, d'un Directeur, et ne prenons pas nos mesures de ces qualités, qui, quoique augustes et dignes de vénération, se trouvent dans les méchants comme dans les bons, pour approuver leurs conseils : mais que la vérité puisée dans les saintes Écritures et dans les ouvrages des saints Pères, nous serve de bouclier contre les sentiments corrompus de ces Prophètes de Baal, qui sous une peau de brebis dévorent les vraies brebis du souverain Pasteur. Ils leur sifflent aux oreilles ce que le serpent dit à notre première mère, étouffant ainsi la crainte qui les retient dans leur devoir : ils leur présentent l'occasion de suivre le poids de leurs inclinations libertines, et de se porter à ce qui est contraire à la loi de Dieu, sous le prétexte que probablement ils jugent qu'il n'est point défendu, et qu'ils les assurent sur leur faux raisonnement que leur âme ne mourra pas. Lorsqu'ils vous montrent un chemin large, favorable aux sens, et qui flatte la chair pour aller à Dieu, souvenez-vous qu'il est plein de précipices. S'ils vous y veulent engager, en vous représentant que tout le beau monde y marche en foule ; répondez-leur que c'est une seconde marque que notre divin Maître nous donne pour nous en détourner, comme d'un écueil, où notre perte est assurée. S'ils vous le font voir, comme s'il était droit, que la divine Parole vous apprenne que c'est une véritable illusion. Ces éclatantes lumières qui font les Chrétiens, condamnent si absolument toutes les vanités du siècle ennemi de la Croix de Jésus-Christ, et notent tous ces divertissements (dont la Comédie fait aujourd'hui le principal) d'une si grande infamie dans le Christianisme, qu'il n'y a point d'homme sur la terre, quelque rang qu'il tienne, quelque habit qu'il porte, et quelque suffisance qu'il ait ; qui les puisse faire passer pour innocents, et leur donner une juste bienséance. L'indifférence donc qu'on veut attribuer à la Comédie, n'est qu'un masque de paroles artificieuses, composé par les enchanteurs partisans de la sensualité, pour en faire couler plus doucement le poison dans le cœur des spectateurs, et empêcher que leurs satisfactions ne soient traversées par des scrupules importuns, quoique légitimes. Pour en juger sainement, il la faut regarder avec les mêmes yeux (qui sont ceux de la Foi) que les saints Pères l'ont considérée, et en cette manière la Comédie ne paraîtra jamais indifférente. En vérité, Madame, n'est-ce pas une chose dans le dernier ridicule, que pour trouver au Théâtre un visage spécieux qu'un Chrétien puisse regarder avec une juste et innocente complaisance, on ait inventé en nos jours le moyen de séparer la Comédie d'elle-même, (la laissant pourtant en vérité telle qu'elle est) pour la rendre indifférente, prise spéculativement, et ensuite faire descendre cette indifférence imaginaire dans son usage, qui a toujours été criminel, dans le sentiment de tous les Pères de l'Eglise. Et même quelqu'un s'est porté à ce comble d'extravagances que de soutenir impudemment qu'en offrant à Dieu cette convoitise des yeux, qui se nourrit de ces spectacles infâmes et lubriques, on peut lui imprimer le mérite des plus belles vertus du Christianisme. Donc, s'écrirait ici saint Jérôme, la soie et le cilice auront une même récompense ; donc les délices de la chair et les douleurs de la pénitence seront également couronnées ; donc le mauvais Riche et le Lazare si différents dans leurs vies, se trouveront après leur mort dans un même Paradis. Ceci vous doit imprimer assez d'horreur, Madame, pour me donner la liberté de vous conjurer de suivre constamment la résolution que vous avez prise, de ne vous plus laisser aller à la persuasion des enfants du monde, et de ne plus permettre à ce corrupteur, après avoir si généreusement combattu ses mensonges, et témoigné un si grand rebut de ses douceurs empoisonnées, de vous surmonter par ses terreurs imaginaires, et par la crainte de lui déplaire. Prenez plus de soin d'élever Mesdemoiselles vos filles pour le service de Dieu, que pour la vanité du monde, et Dieu prendra le soin de les établir dans le monde même, et de les y conserver avec leur innocence. N'est-ce pas un sujet digne de la risée publique, de voir des femmes, à qui le nombre des années, aussi bien que celui des enfants, acquiert le vénérable titre de mère, s'ériger en Casuistes ; décider que la Comédie est indifférente ; et ne pouvant y aller sans se rendre ridicules, mettre leurs filles sous la conduite de jeunes gens, (bons répondants du trésor de leur chasteté, dont ils savent le prix mieux que personne) pour les mener à ces Spectacles, attendant leur retour avec impatience, pour en être entretenues. Mais ces pauvres inconsidérées ne sont-elles pas aussi très dignes de la compassion des gens de bien : car elles sont comme des malades qui aiment les melons, et à qui les Médecins ont défendu d'en manger, qui se plaisent à les tenir en leur main, et à sentir leur odeur. Si ces folles, dont l'esprit est aussi faible que le corps, avaient encore une étincelle de raison, je voudrais bien qu'elles me disent quel profit retirent leurs filles de ces dangereux divertissements, qui coulent leur poison par les yeux et par les oreilles, et les portent jusques au cœur ? mais il ne faut point attendre leur réponse, puisque l'expérience ne nous la fait qu'avec trop d'éclat : leur esprit s'éveille : la pudeur s'évanouit, et fait place à l'effronterie ? l'honnête liberté dégénère en libertinage ; enfin elles deviennent Comédiennes, et se rendent si savantes en cet Art, qu'elles surpassent celles qui jouent sur le Théâtre. Et cependant qu'elles réduisent leurs mères à se tenir cachées, leur persuadant que ce serait aller contre la mode du temps d'être ensemble, elles font des personnages, pratiquent des intrigues, et jouent des pièces qui remplissent leurs maisons de scandales, leurs familles d'opprobres, et toute une ville de la mauvaise odeur de leurs déportements. Sainte Thérèse disait qu'on trouvait dans le monde, qui est un assemblage de toutes sortes de vices, une règle très juste pour pratiquer toutes les vertus, en prenant le contrepied de ses abominables maximes. Ainsi nous formerons une mère chrétienne sur ces marâtres écervelées, en renversent leurs dispositions, et leur manière d'agir, et lui en faisant prendre de toutes contraires. Qu'elle conçoive une grande horreur de ces spectacles : qu'elle l'inspire efficacement à ses Filles : qu'elle les retienne auprès d'elle : qu'elle ne les souffre point en la compagnie des jeunes gens, qu'elle ne voie leurs actions, et n'entende leurs discours : qu'elle leur défende la lecture des Romans et des Comédies : qu'elle leur ôte la liberté d'écrire des lettres et d'en recevoir, sans en être informée : qu'elle règle leurs habits et leur coiffure sur les avis du Prince des Apôtres, qui rejette la frisure et les entortillements de cheveux, avec de l'or et des perles. Sur les enseignements du Docteur des Gentils, qui veut que la modestie et la pudicité éclatent sur leurs habits, et en soient le principal ornement. Sur les intentions du Sauveur, qui ôte l'usage de la soie à ses Disciples, disant que ceux qui en sont vêtus sont à la cour des Grands : et qui fait le procès au mauvais riche, et le condamne aux enfers ; pour le punir de s'être habillé de pourpre et de lin. Enfin sur l'ancienne discipline de l'Eglise, qui, bien éloignée de souffrir aux filles et aux femmes des nudités d'épaules, de sein, et de bras, leur commandait de porter des voiles, n'ignorant pas l'épouvantable malédiction que Dieu a fulminée par la bouche du plus illustre de ses Prophètes, sur toutes ces infâmes nudités, et sur les ornements des femmes, inventés des démons, selon le témoignage de Tertullien pour ruiner la pureté du corps, et la sainteté de l'âme. Ces règles sont si constantes, et si solidement établies sur les Saintes Écritures, qu'elles demeureront inviolables, quelque artifice qu'on emploie pour les détruire, et elles condamneront devant le Tribunal de Dieu comme criminels, ceux qui s'en écarteront. Voilà, Madame, quelle doit être la disposition d'une mère chrétienne, et sa conduite sur ses filles. Comme je sais que vous la tenez, et que vous y assujettissez les vôtres, je ne crains point de vous assurer qu'elles seront votre joie, votre gloire, et votre couronne, avec autant de vérité que je suis... Et pour ne rien omettre sur cette matière j'ai encore à détromper certaines personnes, qui reconnaissent de bonne foi, qu'il y a du mal à aller à la Comédie ; mais qui ne s'en mettent pas beaucoup en peine, parce qu'ils s'imaginent que ce n'est qu'un péché véniel. Je leur dis donc premièrement avec Gaugericus Hispanus, que « c'est agir envers Dieu d'une manière servile, de rechercher trop curieusement si une action est un péché mortel, ou véniel, afin de ne pas craindre de la faire, si ce n'est qu'un péché véniel ; et de s'en abstenir si c'est un péché mortel, de peur d'être privé de la félicité éternelle. Il en faut laisser la pleine, et parfaite discussion à Dieu qui pénètre ce qui est caché dans les ténèbres, et découvre les plus secrètes pensées des cœurs. » Car, comme dit S. Augustin, il est très difficile de savoir, et très dangereux de définir, quels sont les péchés qui nous empêchent d'entrer dans le Royaume de Dieu ; de telle sorte néanmoins que par les mérites des Saints nous en puissions obtenir le pardon. Pour moi j'avoue que jusques aujourd'hui, quelque diligence que j'y aie apportée, je ne l'ai pu découvrir. Et peut-être que Dieu nous l'a voulu cacher, afin que nous eussions plus de soin d'éviter toutes sortes de péchés, et de nous avancer dans la vertu. Secondement je dis que c'est une erreur, de dire absolument, que ce n'est qu'un péché véniel d'aller à la Comédie : car il est indubitable qu'il y a beaucoup de cas où c'est un péché mortel. S. Charles Borromée Archevêque de Milan, nous apprend que c'est un péché mortel d'y aller les Dimanches, et les jours de Fêtes. Voyez ce qu'il dit ci-dessus pag. 385. Comitolus après Saint Antonin, et plusieurs autres célèbres Théologiens, dit que ceux qui représentent des Comédies déshonnêtes, et leurs spectateurs commettent des péchés mortels, parce qu'ils se plaisent à des impuretés, et qu'ils s'exposent au danger de la tentation. Voyez ci-dessus pag. 400. Escobar après Hurtado de Mendoza dit que ceux qui donnent aux Comédiens de quoi s'entretenir, pèchent mortellement. Voici ses termes. « Ceux qui entretiennent les Comédiens, qui donnent des sujets de scandale à tant de jeunes hommes, et qui donnent des leçons d'impureté à tant de jeunes filles, pèchent-ils mortellement ? Hurtado de Mendoza soutient qu'ils pêchent mortellement parce qu'ils entretiennent un scandale public ; Car s'ils ne donnaient rien aux Comédiens, ils n'exerceraient pas un métier si infâme, et si pernicieux à l'État. » Il y a une infinité d'autres cas particuliers où l'on ne peut pas douter, qu'il n'y ait péché mortel ; et dans les cas où l'on doute, s'il y a péché mortel, ou véniel ; ceux qui ont soin de leur salut, doivent estimer qu'il y a péché mortel, pour la sûreté de leur conscience, selon cette règle du droit Canonique. « Chacun à son égard doit interpréter en mauvaise partie qui est douteux, selon ces paroles de Job : "Je me défiais de toutes mes œuvres." » Les Confesseurs, et ceux qui conduisent les âmes, en doivent user de même à l'égard de leurs pénitents, selon S. Thomas : « Lorsque nous devons, dit-il, apporter quelque remède à nos maux, ou à ceux des autres ; il faut pour y remédier plus sûrement, supposer que le mal est plus grand ; car le remède qui est efficace pour un grand mal ; l'est encore davantage pour en guérir un moindre. » CONCLUSION. Nous avons représenté la Tradition perpétuelle de l'Eglise sur le sujet de la Comédie, depuis les premiers siècles du Christianisme, jusqu'au nôtre ; où nous voyons que les Comédies ont toujours été condamnées comme des restes du Paganisme, comme des choses pernicieuses, et très dangereuses, qui corrompent les bonnes mœurs, qui sont opposées aux règles de l'Evangile, et à la pureté de notre Religion ; et que les Acteurs de ces Poèmes Dramatiques ont toujours été notés d'infamie par les lois civiles, et déclarés excommuniés par les lois Ecclésiastiques. Ceux qui liront dans ce Traité ces vérités si constantes, auront sujet de s'étonner qu'un Chrétien ait eu la hardiesse de soutenir par écrit, que les Poèmes Dramatiques n'ont point été condamnés. Que l'on considère la conformité des Décrets du 1. et du 2. Concile d'Arles : « Quant aux Acteurs du Théâtre qui sont du nombre des fidèles, Nous ordonnons qu'ils soient excommuniés, tant qu'ils feront ce métier. » Avec cette ordonnance du Rituel de l'Eglise de Paris : « Tous les fidèles doivent être admis à la sacrée communion, excepté ceux auxquels pour quelque juste cause il n'est pas permis de la recevoir. Et il en faut exclure ceux qui en sont publiquement indignes : tels que sont ceux qui sont notoirement excommuniés, interdits, et manifestement infâmes, savoir les femmes débauchées, les Concubinaires, les Comédiens, les Usuriers, les Magiciens, les Sorciers, les Blasphémateurs, et autres semblables pécheurs ; si ce n'est qu'il soit constant qu'ils aient fait pénitence de leurs péchés ; qu'ils aient donné des preuves de leur amendement ; et qu'ils aient auparavant réparé le scandale public, par une digne satisfaction. » Il n'y a point d'homme raisonnable, qui ne reconnaisse que l'Eglise condamne encore aujourd'hui les Comédies, et leurs Acteurs, de même qu'elle les condamnait dans les premiers siècles. Je conjure l'Auteur de la Dissertation, de faire attention à ces paroles de Jean de Salisbury Evêque de Chartres, qui font la Conclusion du Traité que Monseigneur le Prince de Conti a composé de la Comédie et des Spectacles. « Vous ne pouvez pas douter que l'autorité des Pères de l'Eglise n'ait interdit la sacrée communion aux Comédiens, et aux Farceurs : d'où vous pouvez juger quelle peine méritent ceux qui les favorisent, si vous vous représentez que les coupables des crimes, et leurs complices doivent être également punis. » APPROBATION DES DOCTEURS Comme il n'est rien qui contribue plus efficacement à établir, ou à maintenir la piété dans le cœur des fidèles que de la voir pratiquer par des Personnes que la Providence a élevées au-dessus des autres hommes, soit par la noblesse de leur Race, soit par la dignité de leur ministère dans l'Etat, ou dans l'Eglise. On ne saurait assez louer le zèle incomparable de Monseigneur le Prince de Conti qui menant une vie toute chrétienne, a voulu prendre le soin de s'opposer aux abus criminels, qui se sont introduits par les Comédies, et de composer lui-même un Livre plein d'érudition, contre ces sortes de divertissements, qu'on va chercher si follement sur le Théâtre. Si bien qu'il y a lieu de trouver étrange, l'entreprise de ceux qui ont voulu attaquer un si excellent ouvrage. Mais outre que ces protecteurs de l'iniquité se condamnent assez eux-mêmes, puisqu'ils n'ont pas osé se déclarer ouvertement dans leur Dissertation sur la condamnation des Théâtres ; car ils ont en cela imité ceux qui se cachent derrière la Scène, pour s'épargner la honte du reproche qu'on aurait droit de leur faire, s'ils paraissaient sur le Théâtre. On trouvera encore dans cette Défense du Traité de Monseigneur le Prince de Conti touchant les Comédies et les Spectacles, des armes propres à renverser, et à défaire toutes les machines par lesquelles on a voulu saper les fondements d'une doctrine qui n'est tirée que des saintes maximes de l'Ecriture ;  du consentement unanime des Pères, et de la discipline constante de toute l'Eglise : tellement qu'on a lieu d'espérer un grand fruit de la lecture de ce livre, dans lequel Monsieur de Voisin continue aussi bien que dans tant d'autres ouvrages, de rendre service à l'Eglise : Car nous certifions qu'il n'y a rien dans celui-ci qui ne soit très Orthodoxe. A Paris ce 3. de Février 1668. Extrait du Privilège du Roi. Par Grâce et Privilège du Roi, donné à S. Germain en Laye le Février 1668. Signé Par le Roi en son Conseil Dalencé. Il est permis à Rolin de la Haye Marchand Libraire à Paris, de faire imprimer la Réfutation de la Dissertation sur la condamnation des Théâtres, pendant le temps et espace de cinq ans. Et défenses sont faites à tous Imprimeurs, Libraires, et autres de faire imprimer ledit Livre, sous quelque prétexte que ce soit, à peine de quinze cents livres d'amende, de confiscation des Exemplaires contrefaits, et de tous dépens, dommages, et intérêts, comme il est plus amplement porté à l'original. Et ledit de la Haye a transporté ledit Privilège à Pierre Promé Marchand Libraire à Paris ; lequel l'a cédé à Louis Billaine et Jean Baptiste Coignard aussi Marchands Libraires, suivant l'accord fait entre eux. Registré sur le Livre de la Communauté le 10. Mars 1668.D. Thierry, Adjoint du Syndic.