M. Petit

1765

Apologie du théâtre français

Édition de Doranne Lecercle
2018
Source : M. Petit, Apologie du théâtre français, dédiée à Messieurs les comédiens français ordinaires du Roi, Paris, Valleyre père, 1765.
Ont participé à cette édition électronique : François Lecercle (Responsable d’édition) et Clotilde Thouret (Responsable d’édition).

[EN-TETE] §

{p. 1}

Apologie du théâtre français §

APOLOGIE
DU THÉATRE FRANÇAIS,
Dédiée à Messieurs les Comédiens Français
ordinaires du Roi.
Par M. Petit.

J’entreprends de chanter une ample Apologie ;
N’est-ce pas trop tenter pour un petit génie ?
Trop heureux si je puis l’amener jusqu’au bout ;
La remplir dignement et satisfaire à tout !
***
 J’ai choisi pour sujet notre Scène française ;
Je n’ai pu choisir mieux pour atteindre aux Talents,
Pour attendrir les cœurs et captiver les sens ;
Elle ne produit rien qui n’instruise et ne plaise.
***
 O Théâtre savant ! ta Scène est accomplie.
Tu ne nous offres rien que de grand, de pompeux ;
Tu sais le présenter d’un air majestueux :
Et l’on sort de chez toi toujours l’âme attendrie.
***
 On goûte avec plaisir les beautés d’un Ouvrage
Où l’on voit de l’Auteur l’art, l’érudition ;
De la part de l’Acteur, le jeu, son action ;
On veut les imiter : au port on fait naufrage.
***
{p. 2}
 D’un côté c’est Racine et de l’autre un Voltaire :
L’un est tendre et touchant ; l’autre délicieux :
Il tonne dessus nous, et menace les cieux ;
Des hommes si profonds quittent trop tôt la Terre.
***
 C’est un Molière exquis plein de sages maximes,
Gai, badin, élégant, bon, moral, instructif ;
L’ornement de la Scène et de chez nous natif ;
Le soutien du Théâtre et le frondeur des crimes.
***
 Ici c’est un Renard, dont la plume savante,
Instruit en égayant ; et qui, par ses pinceaux,
En caressant les cœurs, reprend tous leurs défauts.
Le célèbre Ecrivain ! ô la bouche éloquente !
***
 Et là le grand Corneille (Auteur incomparable)
Pompeux dans ses écrits, sublime dans son art,
Doit ici trouver place et prendre aussi sa part ;
L’esprit ingénieux ! il est inimitable.
***
 Eh ! le bon Crébillon, d’éternelle mémoire,
A fait jusqu’à sa mort les plus doctes écrits ;
Qui n’est émerveillé d’entendre ses récits !
Ses Œuvres achevés éternisent sa gloire.
***
 Combien d’Auteurs connus, qu’on passe sous silence,
De leurs prédécesseurs parfaits imitateurs ;
Même de leurs défauts discrets admirateurs,
Etalent sous nos yeux de beautés, de science !
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 Poursuivons notre éloge et laissons ces grands hommes,
Ces modèles parfaits et ces Maîtres de l’art
Qui connaissent de tout, et qui dans tout ont part ;
Je les laisse à regret. Voyons où nous en sommes.
***
 Ici c’est un Acteur qui brille sur la Scène ;
Tendre dans son langage, attrayant par son jeu,
Et maître de son rôle, il le rend avec feu :
A l’aller écouter toujours il nous entraîne.
***
 Là, de cet autre bord, sont d’aimables Actrices,
Dont la seule présence assure nos plaisirs ;
Tous leurs propos décents retiennent nos désirs,
Et de tous les côtés, ce ne sont que délices.
***
 Ici vient se mêler un héros dans nos Scènes,
Qui, par son ton superbe, ébranle tous les cœurs,
Et nous fait, bien souvent, répandre bien des pleurs :
Il semble avoir en main de l’Empire les rênes.
***
 Et là de grands Danseurs formés dès leurs bas âges,
Viennent vous délasser, varier vos plaisirs ;
Et tous unis ensemble ont les mêmes désirs :
Tous veulent mériter l’honneur de vos suffrages.
***
 Cette belle union qu’on voit entre eux qui règne,
Est maintenue ici par des Supérieurs ;
Ils ne sont dirigés que par de grands Seigneurs
Qui les laissent pour vous à peine prendre haleine.
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 De nos anciens Acteurs la perte inexprimable
Se fait sentir encor ; en nous les rappelant,
Dans le jeu des nouveaux nous les voyons présents ;
Tous, à l’envi, font voir un zèle infatigable.
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 O spectacle charmant, où la Scène française
Paraît dans son éclat et dans son plus beau jour.
Je veux te maintenir et te faire ma cour,
Grossir tes revenus et les tripler en caisse.
***
 O Théâtre du monde et l’école savante !
Présente-nous tes mœurs ! Non, tu ne nous dis rien
Qui ne soit bien décent et qui ne mène au bien ;
Et tu nous donne ensuite une fête galante.
***
 C’est le temple des Grands, l’asile des Vénus,
L’école des Savants, le palais des Coquettes,
L’hôtel de nos Abbés parés de leurs lorgnettes ;
Et tous, pour leur argent, y sont tous bienvenus.