Alexandre-Louis Varet

1666

De l’éducation chrétienne des enfants

Édition de Doranne Lecercle
2018
Source : Alexandre-Louis Varet, De l’éducation chrétienne des enfants, Paris, Jean-Baptiste Coignard, 1666, rééd. 1672, Chap. X, p. 203-229
Ont participé à cette édition électronique : François Lecercle (Responsable d’édition) et Clotilde Thouret (Responsable d’édition).

[FRONTISPICE] §

DE
L'EDUCATION
CHRETIENNE
DES ENFANS,
selon
les maximes de l'ecriture
sainte et les instructions

des Saints Peres de l'Eglise.
Troisième Edition, revuë et augmentée.
chez jean baptiste coignard,
ruë S. Jacques à la Bible d'Or
M DC LXXII
Avec Privilege et Approbation

{p. 203}

V. AVIS.
Touchant les Comédies. §

Si la crainte de faire naître dans le cœur de vos enfants des passions qui leur seraient funestes, vous oblige de les éloigner de ces assemblées dont nous venons de parler ; cette même crainte vous engage indispensablement à ne jamais permettre qu’ils fréquentent les comédies.

Il n’y a point de désordre que les Pères de l’Eglise aient combattu plus souvent et avec plus de zèle, que l’amour des spectacles. On voit en une infinité d’endroits de leurs écrits les marques de leur zèle contre cette pernicieuse inclination, qui commençait dès leur temps à corrompre l’innocence et la chasteté des fidèles.

Ils les considèrent comme une invention du diable, qui a fait bâtir des théâtres dans les villes pour amollir le cœur des soldats de Jésus-Christ, et leur faire perdre leur force et leur générosité.

{p. 204}

Ils déplorent l’aveuglement de ceux qui croient qu’il n’y a pas de mal à assister avec plaisir et avec applaudissement à des représentations, d’où ils ne peuvent remporter que des imaginations honteuses et des desseins criminels.

Ils font voir l’obligation indispensable que l’on a de quitter ces occasions prochaines d’incontinence. Ils appellent ces assemblées des écoles et des sources publiques d’impureté ; ils les décrient comme des fêtes du diable ; ils obligent ceux qui y ont assisté à se purifier par la pénitence avant que d’entrer dans l’Eglise ; enfin ils font des peintures si tristes et si horribles de l'état où l’on se trouve au sortir de ces divertissements, qu’on ne les peut voir sans frémir, et sans s’étonner de l’effroyable aveuglement des hommes, à qui les plus grands crimes ne font horreur, que quand ils ne sont plus communs, et qui non seulement cessent d’en être choqués, mais souvent même les font passer pour des actions innocentes.

{p. 205}

Car enfin quelques efforts que ces grands Saints, et ceux qui les ont suivis, aient fait pour étouffer ce désordre ; il s’est tellement accru dans ces derniers siècles par la corruption générale, qui s’est répandue parmi les fidèles, qu’il passe maintenant pour un divertissement honnête, et que les comédies, qui sont la honte et la confusion du Christianisme, sont devenues la plus sérieuse occupation de la plupart des Chrétiens. « Ce qui m’afflige davantage, disait autrefois S. Chrysostome en parlant de ce désordre, c’est que ce mal étant si grand on ne le regarde pas même comme un malSerm. 8. sur saint Mat.. » Et c’est ce qui vous oblige, ma Sœur, à veiller encore avec plus de soin pour empêcher vos enfants de s’affectionner à ces malheureux spectacles.

Je sais bien que l’on prétend qu’il faut faire beaucoup de distinction entre les comédies de ce temps-ci, et celles que les saints Pères ont condamnées dans le leur ; et que si celles contre lesquelles ils ont fait paraître tant de zèle méritaient le blâme {p. 206}qu’ils leur ont donné, celles qui se représentent aujourd’hui sur les théâtres ne sauraient assez recevoir de louange, parce qu’elles ne contiennent pour l’ordinaire que des exemples d’innocence, de vertu, et de piété.

Mais quelque spécieux que soit le prétexte dont les auteurs de ces pièces veuillent se couvrir, et quelque pures et saintes que puissent être leurs intentions ; il y a néanmoins tant de mélange dans leurs ouvrages, et les Saints qu’ils font paraître sur le théâtre y témoignent tant de faible touchant l’amour, qui est la passion dominante des comédies, qu’il est bien difficile qu’on ne prenne pas le change, et qu’au lieu de sanctifier le théâtre par les actions des martyrs que l’on y représente, on ne profane la sainteté de leurs souffrances par les fictions amoureuses que l’on y mêle.

EtThéodoreI. en effet, si l’on y représente le martyre d’une Sainte, ne faut-il pas que ce soit une intrigue d’amour qui la fasse mourir ? Et n’est-on pas contraint de supposer qu’une autre fille aime éperdument le jeune Prince qui {p. 207}a une passion violente pour la Sainte ; et qu’une mère furieuse n’épargne pas le sang de cette Sainte pour satisfaire la passion de cette pauvre malheureuse ?

La Sainte même dans la suite de la pièce vient enfin à découvrir la passion secrète qu’elle a pour un jeune homme : et quoique l’auteur la lui fasse combattre, elle ne laisse pas néanmoins de donner lieu à ceux qui l’entendent de justifier en eux-mêmes par son exemple la passion qu’ils ressentent, et de l’entretenir sous prétexte de n’y vouloir point consentir. Ils apprennent d’elle à regarder les mouvements d’un amour déréglé comme des

«  … …impressions,
Que forment en naissant les belles passions ».

Et le jeune homme qu’elle aime, tout chrétien qu’il est, et prêt de souffrir la mort pour la défense de la foi et de la pureté même de cette Sainte, ne laisse pas de lui persuader d’épouser ce jeune Prince païen qui l’aime, et de la faire assurer de sa part que,

{p. 208}
« C’est tout ce que veut d’elle
Le souvenir mourant d’une flamme si belle. »

De sorte que si l’on voit dans cette pièce en la personne d’une Sainte, la foi triomphante des supplices les plus honteux ; on y voit en même temps l’amour profane triompher de plusieurs misérables qu’il s’est assujettis, et poursuivre jusqu’à la mort une Sainte Vierge, et un généreux martyr. On y voit le mouvement de la charité chrétienne, qui oblige cet illustre Saint à exposer sa vie pour la défense de la pureté de cette Sainte, tellement obscurci par la passion feinte, que l’auteur met dans ses paroles et dans celles de la Sainte, qu’on ne sait non plus que les Acteurs qu’il introduit sur le Théâtre.

« Si c’est zèle d’amant ou fureur de Chrétien. »

Et quoique le Saint déclare lui-même ensuite qu’il n’a agi dans cette occasion que par un motif de générosité chrétienne, cela paraît mêlé de tant de paroles tendres et passionnées, {p. 209}et de tant de circonstances qui tendent à détourner l’esprit de cet égard, et à le porter vers l’amour profane, que tout ce qui reste dans l’esprit des spectateurs est une haute idée pour la forte passion que cet Amant a eue pour la personne qu’il aimait.

On demeure même d’accord que dans l’endroit, où le zèle pour Dieu, qui occupe l’âme de Théodore, devrait éclater le plus, c’est-à-dire dans sa contestation avec Didyme pour le martyre, on lui a donné si peu de chaleur, que cette Scène, bien que tres courte, ne laisse pas d’être ennuyeuse. Et l’on dit pour s’en justifier qu’à parler sainement une vierge et martyre sur un théâtre n’est autre chose qu’un terme qui n’a ni jambes ni bras, et par conséquent point d’action. Ce qui est reconnaître d’assez bonne foi, qu’une vierge véritable fait un tres méchant personnage sur un théâtre ; qu’il demande plus de galanterie et plus de chaleur, qu’il n’y en a dans une vierge chrétienne ; et que si les autres Scènes de cette pièce ne sont pas si {p. 210}ennuyeuses, c’est qu’en effet Théodore n’y parle ni en vierge, ni en martyre.

Voilà quels sont ces exemples d’innocence, de vertu, et de piété, que l’on vante tant. Mais plutot voilà comme on fait servir dans les comédies la générosité et la charité chrétienne, que les Saints ont fait paraître dans leurs actions, à relever l’éclat de l’amour profane, à en donner de l’estime, et à en exciter les flammes dans le cœur des spectateurs.

Mais, ma Sœur, pour vous faire voir encore plus clairement combien est imaginaire la différence que l’on prétend mettre entre les comédies de ce temps-ci, et les spectacles des Anciens ; et que ce n’est ni le scrupule ni le caprice, mais un véritable zèle, qui les fait blâmer à ceux qui les blâment ; il faut remarquer que les Pères de l’Eglise n’ont presque rien dit contre l’attachement que l’on avait de leur temps aux spectacles, qui ne se puisse appliquer avec beaucoup de justice aux comédies de notre temps.

{p. 211}

Tertullien, dans le livre qu’il a fait des spectacles, entreprend de montrer que ces divertissements ne peuvent s’accommoder à l’esprit de la religion que nous professons, et aux devoirs d’un Chrétien : Que ce qui fait qu’ils ont tant de défenseurs, est la crainte que l’homme a qu’on ne diminue le nombre de ses plaisirs : Que c’est en vain qu’on se figure que les Chrétiens ne s’en abstiennent, que parce qu’étant résolus de souffrir la mort pour la foi, ils renoncent à toutes les voluptés de la vie, afin de l’aimer moins, et de n'être point retenus par les plaisirs, qui sont comme les liens qui nous y attachent ; mais qu’ils s’en abstiennent, parce qu’encore que ces divertissements ne soient pas défendus en termes exprès dans l’Ecriture sainte, néanmoins ils ne laissent pas d’y être suffisamment condamnés.

1. Dans les passages qui nous défendent de suivre les désirs déréglés de la convoitise, et de satisfaire nos passions. « Car il est certain, dit ce savant homme, que la recherche {p. 212}des plaisirs est une des plus violentes passions de l’homme, et qu’entre les plaisirs celui des spectacles est un de ceux qui le transportent davantageChap. 4.. »

2. Dans les passages qui nous obligent de tendre toujours à la perfection, laquelle consiste dans l’assujettissement des passions à la grâce : ce qui ne se peut acquérir qu’en éloignant de l’esprit tout ce qui peut servir à les fortifier et à les y entretenir. « Cependant, dit-il, les spectacles au contraire font revivre les passions dans les cœurs les plus mortifiés, ils les y raniment, ils les y fortifient, et après avoir mis ceux qui les regardent comme hors d’eux-mêmes ils excitent en eux des mouvements de haine, d’amour, de joie, de tristesse, qui sont d’autant plus déréglés, qu’on aime bien souvent ce qu’on devrait haïr ou ce qui ne mérite aucune estime, et qu’on hait au contraire ce qu’il n’est pas permis de haïrChap. 15. et 16.. »

3. Dans les passages de l’Ecriture sainte, qui nous défendent les moindres {p. 213}impuretés, et les moindres paroles déshonnêtes ou frivoles. « Car pourquoi dit ce grand homme, serait-il permis à un Chrétien de voir représenter sur un théâtre des choses auxquelles il ne lui est pas seulement permis de penser, et d’entendre parler de ce qui ne doit pas même être nommé devant luiCh. 17. ? »

Enfin Tertullien montre que les spectacles ne peuvent être permis aux ChrétiensChap. 22., 1. par le jugement que les hommes font de ceux qui les représentent, et qui passent dans leur esprit pour des gens infâmesChap. 23. ; 2. par celui que Dieu même en porte, n’y ayant rien dans les spectacles qu’il ne condamneChap. 24. ; 3. parce que les spectacles sont du nombre des pompes du diable auxquelles nous avons renoncé par le baptêmeIbid. ; 4. parce que les Païens mêmes jugeaient qu’un homme était devenu Chrétien à cause qu’il s’en absentait, reconnaissont que l’instinct de la piété chrétienne éloignait du théâtre ceux qui en faisaient professionChap. 25. ; 5. parce qu’il est impossible d’y conserver les sentiments {p. 214}de piété qu’un Chrétien doit toujours avoir dans le cœurIbid. ; 6. parce que tous les objets qui s’y présentent à lui ne sont propres qu’à le détourner de Dieu, et à l’attacher à la créatureIbid. ; 7. parce qu’il est ridicule de prétendre en pouvoir faire un bon usage, et les rapporter à DieuChap. 27. ; 8. parce que supposé qu’il y en eût d'honnêtes, les Chrétiens ne doivent toujours les regarder que comme un miel envenimé, dont ils ne peuvent goûter sans danger de se donner la mortChap. 29. ; enfin parce que l'état d’un Chrétien en cette vie est de fuir toutes sortes de plaisirs, et de faire consister toute sa joie dans les larmes de la pénitence, dans le pardon de ses péchés, dans la connaissance de la vérité, et dans le mépris même des plaisirs les plus innocents et les plus légitimes.

Qu’y a-t-il, ma Sœur, dans tout ce que ce grand homme allègue contre les spectacles des Anciens, qui ne se puisse dire des comédies d’aujourd’hui ? Les Chrétiens de ce temps-ci sont-ils moins obligés que ceux {p. 215}du temps de Tertullien, à quitter les passions du siècle, et à mortifier en eux les désirs qui les portent à la recherche des plaisirs et des divertissements ?

Sont-ils moins obligés que ceux des premiers siècles à travailler pour atteindre à la perfection de l’Evangile, à affaiblir et à mortifier en eux les passions de la chair, et à éviter les objets qui les excitent, qui les entretiennent, et qui les fortifient ?

Sont-ils moins obligés que ceux des premiers siècles à fuir tout ce qui peut blesser la pureté que Dieu demande d’eux ? Et leurs yeux et leurs oreilles doivent-elles être moins chastes que leurs langues, auxquelles il n’est pas permis de proférer aucune parole vaine et qui ne convienne point, comme dit S. Paul, à leur vocation ?

De plus, les Comédiens de ce temps-ci sont-ils d’une autre considération dans le monde, que ceux de ce temps-làChap. 22. ?« Quelle est, dit Tertullien, cette corruption qui fait que l’on aime ceux que les lois publiques {p. 216}condamnent ; qu’on approuve ceux qu’elles méprisent ; qu’on relève un art et un emploi, en même temps qu’on note d’infamie ceux qui s’y adonnent ? Quel est le jugement par lequel on couvre de confusion des gens pour une profession qui les rend recommandables ? ou plutôt quel aveu ne fait-on pas par ce jugement de la corruption qui est inséparable de ce divertissement ; puisque quelque agréables que soient ceux qui le donnent, ils ne laissent pas néanmoins de demeurer dans l’infamie dont on les a notés ? »

Qu’y a-t-il dans les comédies qui puisse être agréable aux yeux de Dieu ? Est-ce la pompe et la magnificence des habits ? Est-ce l’adresse des Comédiens à exciter en eux-mêmes et dans les autres des passions criminelles ? Est-ce l’industrie avec laquelle les airs sont accommodés aux sujets, et rendus propres à fortifier ces mêmes passions ? Est-ce l’artifice avec lequel le Poète y a su déguiser la vérité, en y mêlant des fictions fabuleuses, et des incidents {p. 217}assez heureusement imaginés Chap. 23. ? « L’auteur de la vérité, dit Tertullien, n’aime point le mensonge : et tout ce qui tient de la fiction passe devant lui pour une espèce d’adultère. »

Ceux qui renoncent au monde, et qui sont vraiment touchés du désir d’être à Dieu, ne fuient-ils pas les comédies comme des écueils tres-dangereux ? Et ne reconnaît-on pas qu’ils ont changé de vie, et qu’ils sont pour ainsi dire, devenus Chrétiens une seconde fois, en ce qu’ils refusent de se trouver dans ces lieux, qu’ils ne savent que trop leur avoir été funestes ?

Un Chrétien conservera-t-il dans la comédie les sentiments qu’il doit toujours avoir dans le cœur ; et aura-t-il l’esprit élevé vers Dieu dans une assemblée, où, comme dit TertullienChap. 25., il n’y a rien de Dieu, et dans un temps où tous ses sens sont occupés à se repaître du vain plaisir qui se présente à eux, et où ses pensées sont appliquées aux gestes, aux paroles, et aux mouvements des Acteurs ?

CeChap. 25. que Tertullien a estimé être le {p. 218}plus grand scandale qui se trouvait dans les spectacles des Païens, ne se rencontre-t-il pas dans les comédies ? Les hommes et les femmes, les jeunes gens et les jeunes filles, ne s’y trouvent-ils pas ensemble ; et n’y vont-ils pas avec tout l’ajustement et l’agrément qu’il leur est possibleIbid. ? N’y vont-ils pas, comme dit ce grand homme, avec cette seule disposition d’y voir et d’y être vus ? Et l’approbation qu’ils donnent d’une commune voix aux Comédiens ; et la joie qu’ils ont de se rencontrer dans les mêmes sentiments, ne sont-ce pas comme autant d’étincelles, qui augmentent le feu secret qui brûle dans leurs cœurs ? De sorte que l’on peut dire que chacun en sa manière y joue son personnage, et que bien souvent les Acteurs ne font que représenter ce qui se passe secrètement entre les personnes qui les regardent.

Tertullien ne dit donc rien contre les spectacles des anciens, qui ne se puisse appliquer avec justice aux comédies de notre temps. Et c’est ainsi, {p. 219}ma Sœur, que si je ne craignais de m’étendre trop (n’ayant point entrepris d’écrire contre les comédies, mais seulement de vous montrer l’obligation que vous avez d’en détourner vos enfants) je vous ferais voir que tout ce que S. Cyprien, ou l’auteur du traité des spectacles, qui est entre ses ouvrages ; tout ce que Salvien, et tout ce que les autres Pères de l’Eglise ont dit contre les spectacles des anciens, retombe naturellement sur les comédies de notre temps.

Je vous ferais voir qu’on ne fait pas aujourd’hui une moindre profanation des saints Mystères, en allant à la comédie les jours que l’on a communié, et en y portant, pour ainsi dire, l’EucharistieL’Aut. du Traité des spectacles parmi les œuvres de S. Cyprien. encore présente dans son sein : qu’on ne doit pas moins craindre aujourd’hui d’apprendre à pratiquer ce qu’on s’accoutume à voir représenter : et que quand les comédies d’aujourd’hui n’auraient rien de criminel, elles ne laisseraient pas néanmoins d’emporter avec elles une vanité et une inutilité qui {p. 220}est aussi incompatible avec les devoirs des Chrétiens de notre temps, qu’avec ceux des premiers Chrétiens.

Je sais bien que les Pères ont insisté particulièrement sur ce qu’il n’y avait point de spectacle, qui ne fût dédié à quelque fausse divinité, et qui ne tint dans son origine ou dans son exécution, quelque chose de l’idolâtrie.

MaisGal. 5. 2. aussi je sais, que si selon S. Paul, l’attachement que l’on a aux richesses est une espèce d’idolâtrie ; celui que l’on a au plaisir en est une d’autant plus dangereuse, qu’elle engage l’homme à se sacrifier lui-même à la volupté, qui est la plus infâme de toutes les idoles.

JeLiv. 1. de ses Conf. chap. 17. n. 2. sais que S. Augustin a dit, sur ce qu’on l’avait exercé en sa jeunesse à réciter les fables des Poètes, « qu’il y a plusieurs manières différentes de sacrifier aux Anges rebelles » ; et que si les comédies de notre temps ne se représentent pas en l’honneur d’un Mars, d’un Jupiter, et d’un Neptune, elles sont pourtant uniquement consacrées à l’amour profane, au plaisir {p. 221}de ceux qui les regardent, et à l’avarice et à la cupidité de ceux qui les représentent.

Ainsi ceux qui ont voulu rendre chrétienne la comédie, en y mêlant les actions des Saints et des Saintes, ont fait à peu prés comme Pompée,Chap. 10. des spect. qui, au rapport de Tertullien, voyant que les Censeurs Romains avoient fait abattre plusieurs fois les théâtres, parce qu’ils corrompaient les mœurs du peuple, et voulant empêcher qu’ils ne détruisissent celui qu’il avait fait élever dans Rome, y fit dresser un autel qu’il dédia à Vénus, et appela cet édifice, non pas le théâtre, mais le temple de Vénus. « De sorte dit Tertullien, qu’en donnant ce titre spécieux à cet ouvrage, qui ne méritait que d’être condamné, il éluda par cette superstition les règlements que les Censeurs eussent pu faire pour le faire abattre. »

Mais supposé qu’il n’y ait rien dans les comédies qui puisse blesser l’innocence des jeunes gens, ni exciter en eux des passions dangereuses : supposé que de trente pièces de théâtre {p. 222}il y en ait une qui ne blesse point ouvertement la pureté, et l’innocence : supposé qu’il n’y ait rien dans les ajustements, dans la nudité, et dans les gestes des Comédiennes, qui blesse la modestie, et qui ne réponde à la pureté et à la piété des vierges qu’elles représentent : supposé que les personnes qui y assistent ne puissent inspirer aux jeunes gens l’esprit du monde et de la vanité qui éclate dans leur manière de s’habiller, dans tous leurs gestes, et dans toutes leurs actions : supposé que tout ce qui se passe dans ces représentations malheureuses ne porte point au mal ; que les paroles, les habits, le marcher, la voix, les chants, les regards, les mouvements du corps, le son des instruments, les sujets mêmes et les intrigues des comédies, enfin que tout n’y soit point plein de poison, et n’y respire point l’impureté : Vous ne devez pourtant pas laisser d’empêcher vos enfants, de s’y trouver ; Hom. 6 sur Saint Matt.« parce, dit S. Chrysostome, que ce n’est point à nous à passer le temps dans les ris, dans les divertissements, et {p. 223}dans les délices. Ce n’est point à l’esprit de ceux, qui sont appelés à une vie céleste, dont les noms sont déjà écrits dans cette éternelle cité, et qui font profession d’une milice toute spirituelle : mais c’est l’esprit de ceux qui combattent sous les enseignes du démon.

« Oui, mes Frères, ajoute ce Saint, c’est le démon qui a fait un art de ces divertissements et de ces jeux, pour attirer à lui les soldats de Jésus-Christ, et pour relâcher toute la vigueur et comme les nerfs de leur vertu. C’est pour ce sujet qu’il a fait dresser des théâtres dans les places publiques ; et qu’exerçant et formant lui-même ces bouffons, il s’en sert comme d’une peste dont il infecte toute la ville. S. Paul nous a défendu les paroles impertinentes, et celles qui ne tendent qu’à un vain divertissement : mais le démon nous persuade d’aimer les unes et les autres.

« Ce qui est encore plus dangereux est le sujet pour lequel on s’emporte dans ces ris immodérés. Car aussitôt que ces bouffons ridicules ont {p. 224}proféré quelque blasphème, ou quelque parole déshonnête, on voit que les plus fous sont ravis de joie, et s’emportent dans des éclats de rire. Ils leur applaudissent pour des choses pour lesquelles on les devrait lapider : et ils s’attirent ainsi sur eux-mêmes, par ce détestable plaisir, le supplice d’un feu éternel. Car en les louant de ces folies, on leur persuade de les faire, et on se rend encore plus digne qu’eux de la condamnation qu’ils ont méritée. Si tout le monde s’accordait à ne vouloir point regarder leurs sottises, ils cesseraient bientôt de les faire. Mais lorsqu’ils vous voient tous les jours quitter vos occupations, vos travaux, et l’argent qui vous en revient, en un mot renoncer à tout pour assister à ces spectacles, ils redoublent leur ardeur, et ils s’appliquent bien davantage à ces niaiseries. »

Vous voyez, ma Sœur, que S. Chrysostome, aussi bien que Tertullien, ne condamne pas seulement les comédies à cause de leur dissolution et de leur impureté, mais encore à cause {p. 225}qu’il n’est pas permis aux Chrétiens de passer le temps dans les ris, dans les divertissements, et dans les délices qui sont inséparables de ces spectacles ; qu’il les condamne, parce qu’on ne peut s’empêcher d’y donner de l’approbation et de l’applaudissement à des choses pour lesquelles les fidèles doivent avoir une souveraine horreur, et comme il ajoute en suite, « parce que ce sont ceux qui assistent à ces spectacles qui entretiennent la vie libertine de ceux qui les représentent, qui les animent par leurs ravissements, par leurs éclats et par leurs louanges, et qui travaillent en toute manière à embellir et à relever cet ouvrage du démon ».

C’estDans le liv. 6. du gouvernement de Dieu. sans doute ce qui a fait dire à Salvien, que c’est comme une espèce d’apostasie de la foi, et une prévarication mortelle de ses sacrements, que d’aller à la comédie. « Car quelle est, dit-il, la première profession que font les Chrétiens dans le baptême ? N’est-ce pas de renoncer au diable, à ses pompes, à ses spectacles, et à ses œuvres ? Donc les spectacles {p. 226}et les pompes sont selon notre propre confession les œuvres du diable. Et comment, ô Chrétien ! peux-tu aller aux spectacles depuis ton baptême, toi qui confesses qu’ils sont l’ouvrage du démon ? Tu as renoncé une fois au diable et à ses spectacles : et par conséquent il est nécessaire, que lors que tu retournes volontairement aux spectacles, tu confesses que tu retournes sous l’obéissance du démon. Et il est si vrai qu’on ne peut aller à la comédie sans s’engager volontairement sous la tyrannie du démon, que TertullienChap. 26. des Spect. rapporte, qu’une femme Chrétienne étant allée au théâtre et à la comédie en revint possédée du diable, et que les Exorcistes lui demandant comment il avait osé attaquer une Chrétienne, il répondit qu’il l’avait fait sans crainte, parce qu’il l’avait trouvée dans un lieu qui lui appartenait. »

Il faut donc ma Sœur, inspirer à vos enfants de l’horreur de la comédie ; parce que elle est un divertissement dangereux, et indigne d’un {p. 227}Chrétien. Il le faut, parce qu’il est bien difficile qu’ils n’y souillent en même temps leurs yeux, leurs oreilles, et leur âme. Il le faut, parce que les spectacles sont du nombre de ces pompes du siècle, et de ces œuvres du diable, auxquelles ils ont solennellement renoncé par leur baptême. Il le faut, parce qu’encore qu’il n’y ait rien que de feint dans ces représentations, l’on ne laisse pas, comme remarque S. Augustin,Dans le liv. 3. de ses Conf. chap. 2.« de prendre part à la joie de ces amants de théâtre, lors que par leurs artifices ils font réussir leurs impudiques désirs, et de se rendre criminel en se laissant toucher d’une compassion folle pour celui qui s’afflige dans la perte qu’il a faite d’une volupté pernicieuse et d’une félicite misérable. Enfin il le faut, parce qu’on ne prend point de plaisir, comme remarque le même Saint, dans les comédies, si l’on n’y est touché de ces aventures poétiques qui y sont représentées, et dont cependant on est d’autant plus touché, que l’on est moins guéri de ses passions. » De sorte que plus vos {p. 228}enfants témoigneront d’ardeur pour les comédies, moins leur devez-vous permettre d’y aller ; parce que cet empressement même est une marque de l’inclination qu’ils ont au luxe, à la pompe, à la sensualité, à la délicatesse, à l’oisiveté, à la mollesse, aux artifices et aux déguisements, qui éclatent sur les théâtres, et que vous devez vous efforcer de bannir de leur cœur.

Je ne doute point qu’ils n’aient des inclinations toutes contraires à ces pratiques. Mais c’est pour cela même que vous devez être ferme, et ne vous point éloigner de cette discipline et de cette crainte du Seigneur, dans laquelle Saint Paul vous ordonne de les élever, de peur qu’ils ne s’engagent insensiblement dans ces désordres, et qu’ils ne viennent enfin à rechercher ces divertissements criminels. Et je puis dire en cette rencontre ce que Saint Augustin a dit à l’égard des prières que l’on présente à Dieu pour obtenir des biens qu’il prévoit devoir être cause de notre perte, et que pour ce sujet- {p. 229}la il nous refuse : « Qu’ils pleurent tant qu’ils voudront, qu’ils se lamentent tout le long du jour ; vous avez de la bonté pour eux si vous ne les écoutez pas, et vous leur êtes cruelle si vous les exaucez. »