1673

Mercure galant, tome III, 1673

2014
Source : Le Mercure galant, tome III [juillet-août 1672], Claude Barbin et Theodore Girard, 1673.
Ont participé à cette édition électronique : Anne Piéjus (Responsable d'édition), Nathalie Berton-Blivet (Responsable d'édition), Alexandre De Craim (Édition numérique), Vincent Jolivet (Édition numérique) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

Le Mercure galant, tome III [juillet-août 1672], 1673. §

Seconde Journée de la 10. Semaine. §

[Suite de la Comedie contre les Nouvellistes] §

Le Mercure galant, tome III [juillet-août 1672], 1673, p. 1-13.

J’estois dans la Ruë S. Honoré, lors que je rencontray le Nouvelliste Autheur. Il fut ravy de m’avoir trouvé seul, car il y avoit longtemps qu’il ne m’avoit recité de Vers de sa Piece contre les Nouvellistes. Il m’entraîna dans le Mail du Palais Royal, où l’on ne joüoit point encore, à cause qu’il avoit plu, ayant trouvé ce lieu plus propre à son dessein que les autres, parce que nous ne pouvions estre apperçeus des Nouvellistes qui estoient entre les deux Rondeaux. Il me dit qu’il avoit bien travaillé depuis qu’il ne m’avoit veu, & qu’il voulait me reciter plusieurs Scenes qu’il avoit faites. Ecoutez, me dit-il, en voicy une que vous devez trouver plaisante : elle est de deux Nouvellistes, dont l’un veut faire dire des Nouvelles à l’autre, encor qu’il n’en sçache pas.

Nouvelliste.

Mais, Monsieur, je ne sçay plus rien,
Je vous en ay dit plus de trente.

2. Nouvelliste.

Monsieur, souvenez-vous en bien,
Vous en sçavez plus de cinquante.

1. Nouvelliste.

Le Roy de Perse veut faire de grands Presens,
Et dedans ses Estats honorer toutes celles
Qui prouveront qu’elles sont bien pucelles
À l’age de quinze ou seize ans ;
Il l’a fait depuis peu crier à son de trompe.

2. Nouvelliste.

    Je crains fort que l’on ne le trompe.

1. Nouvelliste.

    Cette Muraille qui, dit-on,
    À cinq cens lieuës de long,
    Et qui depuis longtemps separe
    Le Chinois d’avec le Tartare,
S’est depuis quelques jours perduë en un moment,
    Par un grand Tremblement de terre,
Qui tout à coup luy déclara la guerre
Et qui n’en laissa pas un morceau seulement.
Le feu du Ciel encor par un coup bien tragique,
À brûlé toutes les Forests
Qui sont dans les Deserts d’Affrique.

2. Nouvelliste.

Les Oyseaux en feront entendre leurs regrets.

1. Nouvelliste.

Mais la Flame malgré sa fureur sans seconde,
N’a pas produit un trop méchant effet,
    Et sans y penser en a fait
Les plus belles Plaines du monde.

2. Nouvelliste.

J’en suis encor dans l’étonnement.

1. Nouvelliste.

    N’avez-vous pas contentement ?

2. Nouvelliste.

Oüy, mais raisonnons, je vous prie,
Sur ces Nouvelles un moment.

1. Nouv. en s’en allant.

Je suis fort Serviteur à vostre Seigneurie.

2. Nouv. en l’arrestant.

    Vous raisonnerez par ma foy,
    Ou vous me direz, je vous jure,
    Quelque Nouvelle bonne & seure.

1. Nouvelliste.

    Hé bien, j’y consens, laissez-moi.
Le Roy des Abyssins a marié sa fille
Au Prince de Congo, qui n’a pas quatorze ans ;
Cet himen plaist à tous ses Courtisans,
    Puis que dans sa riche Famille,
Avec un grand Païs l’Epouse porte encor
    Douze cens bons millions d’or,
Que son Pere gardoit dans quatre grandes Salles ;
    Sont-ce là de vilaines regalles ?
Elle porte de plus outre ses vestemens,
    Dont la richesse est sans égale,
    Des Perles & des Diamans,
Qui remplissoient une cinquiéme Salle.

2. Nouvelliste.

    Vous voulez vous rire de moy.

1. Nouvelliste.

    Je ne me moque pas ma foy.

2. Nouvelliste.

    Ne me raillez point je vous prie.

1. Nouvelliste.

Sanson dit tout cela dans sa Geographie ;
Et parlant de ce Roy qui n’est pas indigent :
On trouvera chez luy plus d’Hommes & d’argent
    Dit-il, & cela n’est point fable
Qu’un ne peut dans la Mer trouver de grains de sable,
    Et d’Etoiles dedans le Ciel.

2. Nouvelliste.

    Est-il un plus riche Mortel ?
Je le veux aller voir, car j’en doute & je gage…

1. Nouv. en le quittant.

Allez vous preparer à faire ce Voyage.

Quand il eust cessé de reciter ces Vers, je luy dis que je trouvois cette Scene fort divertissante. Il faut que je vous dise encor quelques Fragmens de Scenes, reprit-il aussi-tost, que vous ne trouverez peut-estre pas moins agreables. Voicy le sujet du premier, continua-t-il ; Un Nouvelliste vient en courant interrompre l’Assemblée, & dit,

On debite là-bas une bonne Nouvelle,
    Et que chacun estime telle.
    Cette Nouvelle qui ravit,
    Et que de bien loin l’on écrit,
Est de Madagascar, & mesme toute fraische ;
Car le Courier n’a pas délivré sa dépesche.

On luy répond,

Le courier sçait donc tout, & leur a rapporté ?

Le Nouvelliste empressé, replique,

Il ne sçait rien du tout, & c’est la verité,
C’est ce qui rend la Nouvelle plus belle,
    Et la fait trouver plus nouvelle.

On luy dit,

Et le Courier ne fait que d’arriver ?

Il replique,

    Non.

Et ils répondent presque tous à la fois.

        Allons donc viste le trouver.

Voilà, continua-t-il, comme font la plupart des Nouvellistes, ils sçavent les Nouvelles que les Couriers apportent, avant que ceux à qui les Dépesches sont adressées les ayent leuës. On en trouve beaucoup de pareils, luy repartis-je ; puis il continua en me recitant un Fragment d’une Scene du Mary de la Femme jalouse dont je vous ay déja parlé.

La Femme.

    Je devrois te chanter ta gamme,
Depuis longtemps icy je te cherche par tout,
Et j’ay couru dix fois de l’un à l’autre bout,
    Dans ce Parterre & ces Allées,
Où… Là… tu m’entends bien, tiennent leurs Assemblées.
    Quoy perdras-tu toûjours ton temps
    Dans ce Jardin avec cent faineans ?
    Tu n’as point soin de ton ménage,
    Chez toy tu laisses tout périr,
Sans cesse l’on te voit aux Nouvelles courir,
Et d’un Sot curieux joüer le personnage.
    Ton esprit devient de travers,
Ta folie est connuë & va jusqu’à l’extréme ;
Et cependant tu crois gouverner l’Univers,
Lors que tu ne peux pas te gouverner toy-mesme.

Vous poussez un peu les Nouvellistes, luy dis-je dés qu’il eut cessé de parler. Ce n’est pas, me répondit-il, qu’il n’y ait de fort honestes gens parmy eux, mais l’on doit un peu changer ces sortes de choses pour les rendre plaisantes. J’en connois, continua-t-il, parmy les Nouvellistes, qui s’appercevoient fort bien de leurs folies, & qui sont les premiers à s’en railler eux-mesmes.

[Remarque pleine d’esprit de celuy qui fait la Gazette de Hollande, à l’avantage du Roy] §

Le Mercure galant, tome III [juillet-août 1672], 1673, p. 47-48.

Je ne puis assez admirer, reprit celuy qui avoit commencé le raisonnement sur la vitesse des Conquestes de Sa Majesté, la bonne foy de celuy qui travaille à la Gazette d’Hollande, lorsqu’il dit que le Roy de France va si vite, qu’on ne sçait où il est. C’est assez rendre justice à la verité, continua-t-il ; & quand il ne parlera que de la sorte, il sera toûjours loüé de tout le Monde.

Lettres Patantes ou Reglement sur les Revenus du Parnasse, en faveur des Conquestes de l’Invincible Louis XIV §

Le Mercure galant, tome III [juillet-août 1672], 1673, p. 80-104.

Toutes ces nouvelles estant finies, la Compagnie fut un moment sans parler, ce qui ne luy estoit point arrivé depuis deux mois ; cela donna lieu à un de ces Nouvellistes qui sont toûjours chargez de Vers, & qui aiment mieux entendre la lecture d’une Piece galante que le récit d’un Siege, de tirer de sa poche la Piece Suivante, & de la lire à la Compagnie.

Lettres patentes

Ou

Reglement

Sur les revenus

Du Parnasse

En faveur des Conquestes de l’Invincible Louis XIV.

APollon par la grace du Destin, Seigneur du Parnasse & de l’Helicon, Souverain Distributeur des Eaux d’Hippocrene, &c. À nos amez & feaux Sujets les Gens tenans les Biliotheques & les Cabinets de la Societé des beaux Esprits, Intendans des jolis Vers, Tresoriers des Pieces galantes, & à tous autres qu’il appartiendra ; Salut. Pendant que tous les Potentats songent à leur seureté dans la conjoncture des affaires presentes de l’Europe, & que les Rois sont surpris des Conquestes surprenantes du Grand Loüis, Empereur des François, il fait que nous songions tous à nos propres interests.

    Pendant que ce puissant Heros
    Fait trembler plus d’une Couronne,
Qu’au bruit de sa Valeur tous l’Univers s’estonne,
    Il trouble aussi nostre repos

Nous courons aussi hazard de quelque chose, & c’est de nostre honneur ; car il y a lieu de craindre que nous ne nous tirions mal de l’embarras où nous vont mettre tant de belles actions qu’il nous faudra loüer : Et un de nos Sujets dans ce desespoir, peu satisfait de quelques Vers qui ont déjà paru, nous a adressé ce dépit dans un Sonnet.

    Ma foy, Messieurs les beaux Esprits,
Je vous conseille de vous taire ;
Laissez-moy là tous vos Escrits,
Cet Heros donne trop d’affaire.
    Croyez-moy, vous y serez pris,
L’entreprise en est témeraire ;
Ce que vous direz, prix pour prix
Ne voudra pas ce qu’il sçait faire.
    L’Esprit est promt, mais par ma foy
Le vostre l’est moins que ce Roy,
Vos efforts seront inutiles :
    Et pour moy dans mon Cabinet
Je n’ay pû faire qu’un Sonnet,
Dans le temps qu’il a pris vingt Villes.

Pour redonner le courage à ceux qui l’avoient perdu, Nous allons mettre un beau Reglement sur nos Tresors, afin qu’on n’abuse pas de nos enthousiasmes & de nos saintes fureurs. Et comme nous jugeons bien par la quantité de Sonnets, de Madrigaux, de Virelais, de Rondeaux, de Distiques, & mesme de Balades, qui commencent à se lire dans les Ruelles, qu’il se va faire une grande levée de Vers & de Pieces d’esprit sur nostre Domaine, Nous avons deliberé, resolu, statué & ordonné, & ce de l’avis de nos bonnes & cheres Sœurs les neuf muses, qu’on fera tréve de Billets doux, de Poulets, & jolis Vers sur l’Amour.

    Laissons-là les Jeux & les Ris,
Dans le temps que Louys reduit un grand Empire ;
    Deussent enrager les Cloris,
Il n’est pas question de joüer ny de rire.

Quelle infamie ! qu’il se trouve des gens, qui les bras croisez s’amusent dans un Fauteüil à faire assaut de complimens, pendant que ce Prince parmy des inquietudes toutes Royales est souvent luy-mesme dans la Tranchée à mediter de nouveaux Sieges, à mesurer des Lignes, à projetter & tracer des Fortifications.

Pendant que du plus grand des Rois
Le bras sur la Terre & sur l’Onde
Se signale par tant d’Exploits,
Seroit-il des Amans au Monde ?

On auroit de la peine à le croire, & cependant il n’est que trop vray qu’il y a encor des faineans de reste.

À ces causes ; Nous faisons tres-expresses inhibitions & défenses, sur peines de rimer pauvrement, à tous Poëtes de s’épuiser en leur faveur, de Sonnets ou de Madrigaux, de dissiper nos revenus mal à propos, & d’employer sottement, dans un temps comme celuy-ci, une chose si divine à des usages si profanes ; passe dans un temps de paix & de disette pour les beaux Esprits. Mais quelle apparence de penser à present à l’Amour, pendant qu’on ne doit s’occuper que de la belle Gloire !

    En faire sur une Cruelle,
    Sur des fers, sur un cœur rendu,
    Et sur l’œil charmant d’une Belle,
    C’est à mon gré du bien perdu :
    Quoy que pour peindre un beau visage
    On mette à la fois en usage
Or, ébeine, perles, roses & lys ;
On verra composer les Filles de Memoire,
    Mieux sur cet Amant de la Gloire,
    Que sur un Amant de Philis.

Il ne sera donc pas permis de parler d’autres Conquestes que des siennes, crainte d’appauvrir le docte sejour ; & par politique on fera diversion, à cause des Armes de ce Prince que nous allons avoir en teste.

De plus, afin d’empescher tous desordres dans nos ceremonies, & dans les loüanges que nous allons luy consacrer ; Faisons défenses à tous Pedans de faire des Vers, c’est bien assez pour eux de crier Vive le Roy avec le Peuple ; ce seront des Officiers reformez, qui prendront la peine de ne se mesler de rien : Et pour cet effet nous creérons & établirons un Parquet semblable à celuy de Lion, où les mauvais Poëtes estoient autrefois punis.

Ordonnons à nos Satyriques de faire suspension d’injures dans un si grand, si juste & si indispensable sujet de donner des loüanges ; & pour cela nous leur inspirerons toute la bonne humeur qu’il faudra pour faire belles Odes, des Vers heroïques, des Stances genereuses, & des Poëmes achevez : pendant qu’on fournira aux Hollandois des Elegies, des Desespoirs & des Caprices. Ils mettront la Hollande dans la derniere consternation, & la representeront comme une Nymphe, la coëffure en desordre, qui s’arracha les cheveux. Ils parleront de ce faisceau de fleches, dont les Estats des Provinces Unies se bravoient ; & n’oublieront point de faire forces pointes sur le lien qui en est rompu.

Ordre de faire bonne provision de rimes sur le Fort de Skein, sur Utrecht, Groeningue, & autres s’il se peut ; & parce que les termes en sont un peu barbares, on cherchera des adoucissemens par avance, afin de n’estre pas surpris dans le temps.

Les Poëtes feront parler les Nayades du Rhin, de la Meuse, & de l’Issel.

Il ne sera pas mesme mal à propos de faire écrire le Dieu du Rhin à la Deesse de la Seine ; il Nous a semblé qu’il pourra dire de belles choses sur les Conquestes du Monarque des Lys, quand il ne prendroit pour sujet de son Epistre que le fameux passage de Tolhuis, dont les Hollandois ont encor frayeur, comme si l’Ombre indignée du grand Longueville qui y est demeuré, les menaçoit encor ; & comme s’ils avoient toûjours devant les yeux ces Braves qui ont paru avec tant d’assurance & de fierté. Il y pourra rendre compte des grands coups dont il a esté le témoin, si ce n’est que de crainte luy-mesme il n’ait baissé la teste sous les eaux, ou ne se soit caché dans ses roseaux ou dans sa grotte. Il y pourra dire que le grand Gustave en a beaucoup moins fait sur ces bords, & en plus de temps que l’invincible Louis.

La petite Muse Burlesque inspirera tout ce qu’elle a de plus bouffon aux Rieurs, pour se mocquer de l’arrogance des Hollandois. Les Rebus & les Pasquins, qu’on peut appeler les Insectes du Parnasse, leur seront encor d’un grand secours, & trouveront place dans leurs grotesques. On les raillera sur ce qu’ils ne se pouvoient persuader leur malheur, & comptoient ce qu’ils voyent aujourd’huy, entre les choses impossibles.

    Negociateurs ambigus,
    Vous voyez bien que vos Rebus
Sont de ridicules Oracles ;
Voicy le point fatal de vostre accroissement,
Vostre orgueil se confond dans ce grand changement,
À genoux, fiers Esprits, & croyez les Miracles.

On n’oubliera pas de dire que par politique ils devoient estre un peu moins politiques ; qu’à force d’estre prudens ils l’ont esté plus qu’il ne falloit ; & qu’ils se seroient bien passez d’arrester un Soleil, qui les va bruler jusques au milieu de leurs Digues & de leurs eaux ; ils s’en sont vantez dans leurs Medailles.

    Mais tel, qui pour quelque moment
    Oppose un foible empeschement
Aux cours impetueux d’une onde triomphante,
En attire sur soy tout le débordement,
Et ce Torrent contraint qui retrouve sa pente,
N’en roule que plus viste & plus rapidement.

C’est ce qui a peut-estre rendu les Victoires de nostre Conquerant si promptes & si rapides ; & par malheur pour eux ce Torrent a trouvé sa pente de leur costé, a porté chez eux la sterilité & la faim, & tout leur manque jusques à la fuite ; & ces Avanturiers fanfarons qui tremblent à present derriere leurs murailles, se sont inutilement retranchez dans leurs Digues & parmy les eaux.

    Pour conserver les tristes restes
    De ces renversemens funestes,
À ce Torrent fougeux opposant un Torrent.
Ils cherchent leur Salut au milieu d’un naufrage,
Et pour se dérober à ce Grand Conquérant,
    Veulent dans ce commun orage,
    Par un stratageme nouveau,
Sauver leur liberté dans une prison d’eau.

Mais ils reculerent, & n’évitent pas leur malheur. Nous sçavons mesme que la plupart de ceux qui font contenance de resister, s’offrent en secret aux chaînes de leur Vainqueur.

    Quoy que vous puissiez attenter,
Loüis de vôtre sort sera toûjours l’Arbitre,
Et se donnant à vous sous cet illustre titre,
Il vous rendra bien plus qu’il ne vous peut oster ;
Et s’il faut appeler ce revers une perte,
    En vous soûmettant à sa Loy
Par la condition qui vous est offerte,
Vous perdez vingt Tyrans pour acquerir un Roy.

C’est perdre en verité bien-heureusement ; & sur cette raison nous ne doutons point que la clémence de ce Monarque n’ait part à sa conqueste, aussi-bien que son courage ; & ainsi ses Victoires estant plus diversifiées, les Poëtes en parleront bien plus aisément, que si toutes les prises de Villes se ressembloient, & qu’un se servot toûjours de Bombes & de Canons. Mais sans nous étendre plus loin à donners des instructions, il suffit d’ajoûter que nous inspirerons des desseins selon l’exigence des cas, & quand nous en serons humblement requis, & devotement invoquez. Et pour faire que nostre volonté soit pleinement executée, Nous ordonnons que ces Presentes soient registrées dans nos Archives, Cassettes & Porte-feüilles, & quelles soient lues & publiées dans tous les Cercles, Ruelles, Academies & Assemblées des Poëtes, afin que personne n’en pretende cause d’ignorance ; Car tel est nostre plaisir. Donné au Mont Parnasse lez-Hippocrene, l’an de Miracles de Loüis XIV. Signé Apollon. Et plus bas Mnémosyne Secretaire du Parnasse.

Cette Piece plut fort à l’Assemblée.

[Suite de la Comedie des Nouvellistes] §

Le Mercure galant, tome III [juillet-août 1672], 1673, p. 104-126.

Cette Piece plut fort à l’Assemblée ; & comme elle donna lieu de s’entretenir de Vers, on parla de la Comedie du Nouvelliste Autheur, & l’on fit tout ce qu’on pût pour l’engager d’en reciter quelque chose ; mais il n’osa jamais dire en pleine Assemblée aucuns Vers contre les Nouvellistes, tant il aprehendoit que quelques esprits mal-faits ne prissent les choses de travers. Il laissa sortir toute la Compagnie, & me fit signe de ne pas sortir avec les autres ; car il avoit travaillé à beaucoup d’endroits de sa Piece depuis qu’il m’en avoit des Vers la derniere fois, & je croy que s’il n’eut satisfait l’envie qu’il avoit de me les resiter, ce fardeau l’auroit fait crever, tant il souhaitoit de s’en décharger & de s’attirer des loüanges. Il prit donc la parole dés que nous fûmes seuls, & m’ayant dit qu’il ne vouloit faire part qu’à moy des Vers de sa Piece, il commença par ceux-cy qu’il faisoit dire à un Nouvelliste ridicule qu’il racontait des Nouvelles.

    La Mulle d’un grand Medecin,
    Beste que je pense assez rosse,
    Et qui mouroit je croy de faim,
D’un Page bien monté derriere un grand Carosse,
Vient d’emporter la jambe….

Je sçay ce que vous voulez dire, m’écriay-je en l’interrompant ; & vous voulez parler du Page de foin, que feu nostre Amy Chamb….. faisoit cloüer derriere son Carrosse, afin qu’on le crût Homme à Pages. Vous avez deviné, me dit-il en soûriant, puis il poursuivit ainsi.

    Des antipodes on asseure
    Qu’un Ambassadeur ces jours cy,
Avec un fort grand train doit arriver icy,
Et l’on tient la chose tres-seure.
Les Corsaires Maltois ont par un grand bonheur
Enlevé depuis peu trois cens Filles fort belles,
    Que l’on tient toutes tres-pucelles,
    Et qu’on emmenoit au Grand Seigneur.
Le Patron du Navire Homme prudent & sage,
Qui les tenoit de plusieurs Nations,
    Avoit des Atestations,
Qui prouvent que chacune a tous son pucelage.

Autre endroit.

Je viens de voir au milieu de la ruë
    Un Homme que vous connoissez,
    Que l’on appelle Montangruë,
Nouvelliste importun & des plus empressez :
    Un Courier de sa connoissance,
    Passoit avec diligence,
    Il s’est jetté sur luy d’abord,
Et toûjours a tenu sa botte avec constance,
Quoy que ses éperons le blessassent bien fort,
Tant qu’il ait sçeu, dit-il, un secret d’importance.

Autre Scene de plusieurs Nouvellistes. Apres qu’ils se sont entretenus de beaucoup de choses, il y en a un qui prend la parole & dit,

1. Nouvelliste.

    À propos de Rome, on nous mande
Que depuis peu Monsieur Pasquin est mort,
    Celuy qui médisoit si fort,
Et qu’on en montre une douleur fort grande.

2. Nouvelliste.

    Celuy qui le vous mande à tort,
Cela n’est point.

1. Nouvelliste.

    La chose est pourtant veritable.

2. Nouvelliste.

    Ah ! vous nous contez une fable.

1. Nouvelliste.

Je vous dis qu’il est mort, & je le sçais fort bien.

2. Nouvelliste.

Moy je vous dis qu’il n’en est rien.

3. Nouvelliste.

Mais Pasquin n’est qu’une Statuë.

4. Nouvelliste.

    Et cependant, Monsieur le tuë.

1. Nouv. à part.

    Si jamais j’invente plus rien…

2. Nouvelliste.

Oüy je soûtiens toûjours que Pasquin est un Homme
    Qui sçait l’art de médire bien,
    Et qui demeure dans Rome.

3. Nouvelliste.

    Pasquin me fait ressouvenir
Que j’ay de quoy vous bien entretenir.

4. Nouv. à part au 3.

    Est-ce que je sçais ?

3. Nouvelliste.

    Sans doute ;
Mais messieurs, que chacun écoute.

Lettre de Rome.

UN Seigneur Romain faisant jetter les fondemens d’une Maison de Campagne, les Ouvriers virent tout à coup un grand morceau de terre s’enfoncer ; & comme ils pensoient regarder par le trou qu’elle avoit fait, il en sortit un Vent furieux, qui les jetta tous par terre ; ce qu’ayant sçeu celuy qui vouloit faire bâtir, il vint aussi-tost accompagné de plus de deux cent Curieux.

2. Nouvelliste.

Nouvellistes s’entend, n’en soyez point surpris,
On en compte encor plus à Rome qu’à Paris.

3. Nouvelliste.

Ils firent descendre par un trou quantité de Flambeaux allumez, dont la clarté fit remarquer la couverture d’une maniere de Temple. Plusieurs voulurent aussi-tost y descendre, & les premiers trouverent un Edifice admirable dont les Portes estoient d’airain : Le dedans estoit orné de plusieurs Colomnes de Porphyre. Il y avoit vingt-quatre Lampes d’or, dans lesquelles brusloit du Feu inextinguible, dont le secret est mort avec les Romains. Au milieu de ce Temple s’élevoit un Autel où l’on montoit de quatre costez par des degrez de mesme matiere que les Colomnes. On trouva dessous l’Autel un Corps d’une grandeur prodigieuse, vestu à la Romaine, & l’Epée au costé. Il avoit une main appuyée sur un petit Aigle d’or, & tenoit dans l’autre une Medaille où estoit apparamment son Portrait. On travaille à déchiffrer qui c’estoit, car le Nom est en abregé au bas de la Medaille.

2. Nouvelliste.

Je sçais cette Nouvelle, & vous diray qui c’est.

4. Nouv. à part.

    Il est bon.

2. Nouvelliste.

        Cependant achevez s’il vous plaist.

3. Nouvelliste.

Ce grand Corps se remua, & apres un grand soûpir s’en alla tout en fumée. Ce soûpir est, dit-on, causé par un Vent renfermé, & le remuëment du Corps a esté produit par un mesme effet.

1. Nouvelliste.

    Doit-on croire cette Nouvelle ?

2. Nouvelliste.

Oüy de ce mouvement la cause est naturelle ;
Mais de ce grand Romain vous marque-t-on le Nom ?

3. Nouvelliste.

    Je vous ay déjà dit que non.

2. Nouvelliste.

    J’ay la Nouvelle & dans ma Lettre
On n’a pas manqué de le mettre.

4. Nouvelliste.

    Oüy sans doute que Monsieur l’a.

2. Nouvelliste.

    Je ne puis m’empescher de rire.

3. Nouvelliste.

    J’ay lieu de paroistre surpris ;
    Car seul, quoy que vous puissiez dire,
    J’ay cette Nouvelle à Paris.

2. Nouvelliste.

Et moy je l’ay, vous dis-je, & mesme bien plus ample.

3. Nouvelliste.

Je vais gager que non.

4. Nouvelliste.

        Je vais gager que si.

3. Nouvelliste.

Ton obstination est certes sans exemple.

4. Nouvelliste.

    Pour moy je veux gager aussi.

3. Nouvelliste.

N’ayant point aujourd’huy de Nouvelles à dire,
    J’ay fait cette Lettre à plaisir,
Voulant des Curieux contenter le desir.

4. Nouvelliste.

De son secret il venoit de m’instruire.

1. Nouvelliste.

Apres cela croyez aux Nouvelles d’icy. Je trouvay cette Scene assez divertissante ; & l’Autheur l’ayant remarqué. Voicy, me dit-il encor un endroit qui ne vous déplaira pas. C’est de deux Femmes qui font une Conversation sur les Nouvellistes : L’une s’en mocque, & l’autre en parle avec admiration. Voicy ce que dit celle qui soûtient leur party.

Ah ! je trouve pour moy qu’on les doit admirer.
    Un Homme seroit-il sans cesse
À faire le mourant aux pieds d’une Maistresse,
Et s’amuseroit-il toûjours à soûpirer ?
Les Modes, les Habits, l’Amour, les Bagatelles,
Sont l’entretien du Sexe & des effeminez ;
Mais des esprits sages & bien tournez,
La conversation doit estre de Nouvelles.
Ils font voyant que tout est dessous leur ressort,
Quelquefois le Procez du Destin & du Sort ;
Tel dont la rêverie est & longue & profonde,
Est bien souvent quand on n’y pense pas,
Dedans le Cabinet du Roy de Trebisonde,
    Ou bien dans celuy des Incas.

Ce n’est pas tout, continua l’Autheur de ces Vers dés qu’il eut achevé de les reciter, & voicy un endroit par où je vais finir pour vous laisser en goust, qui doit vous charmer, puisque de plus de cent Personnes l’ont admiré, & m’en demandent tous les jours des copies. Ecoutez bien, continua-t-il, car il n’y a pas un seul mot à perdre. Apres avoir parlé des Nouvellistes, un de ces Messieurs qui a l’air d’un Homme raisonnable, dit en continuant de parler de ces Confreres.

Leur grand empressement les fait assez connoistre
    Pour ce qu’ils ne croyent pas estre.
Il est bon de ne pas pas ignorer tout à fait
    Le train des Affaires du Monde ;
Mais c’est une folie à nulle autre seconde,
Que pretendre sçavoir à fonds tout ce qu’on fait.
Pourquoy s’embarasser encore la cervelle,
Et se faire un honneur de sçavoir les premiers
    Jusqu’à la moindre bagatelle ?
La chose qu’on apprend peut estre encor nouvelle,
    Quoy qu’on la sçache des derniers.
S’il arrive à quelqu’un quelque importante affaire,
Pourquoy se meslant trop de ce qui touche autruy,
    Pretendre sçavoir mieux que luy,
Et tout ce qu’il sçait seul, & tout ce qu’il doit faire ?
Pourquoy vouloir toûjours tout deviner ?
Pourquoy sur tout sans cesse raisonner ?
Pourquoy se plaire à conter des Nouvelles,
Aux gens qui ne sçauroient y trouver des appas,
Et vouloir sans raison que ceux qui n’en ont pas,
    En tirent de leurs cervelles ?
Il ne faut point se faire une occupation,
D’en demander & d’en compter sans cesse,
Ny soûtenir avec trop d’obstination
Ce qui point ne nous interesse.
Il ne faut pas non plus pour se faire berner,
    Donner de ridicules marques,
Qui font penser qu’on croit pouvoir mieux gouverner
Les Estats de quelques monarques,
Que ceux pour qui l’on voit les Princes incliner :
Il faut enfin songer pour estre raisonnable,
    Que tout excez est condamnable.

Hé bien, me dit cet Autheur, d’un ton plein de confiance, dés qu’il n’eut plus de Vers à me reciter, ne trouvez-vous pas cet endroit admirable ? Je luy dit que oüy. Vous n’en sçavez pas encor le plaisant, me repartit-il, & je fais faire dans la suite de la Scene à cet Homme qui parle si bien, tout ce qu’il vient de condamner. Ce n’est pas sans sujet, continua-t-il, j’ay tiré cet endroit d’apres Nature, & je vois tous les jours des gens qui font de mesme, qui ne s’apperçoivent jamais de leurs defauts, & qui reprenent souvent dans les autres les mesmes que tout le monde remarque en eux. Il alloit pousser plus avant sa Morale, lors que neuf heures sonnerent, & nous obligerent à sortir du Jardin qui estoit déjà remply de plusieurs Personnes qui y venoient promener apres souper.

XII. Semaine. Nouvelles du 16. de Juillet jusques au 23. §

[Particularitez de la prise de Grave] §

Le Mercure galant, tome III [juillet-août 1672], 1673, p. 151-154.

Si-tost que celuy qui avoit entrepris cette Narration eut cessé de parler : J’ay voulu, luy repartit un autre, vous écouter jusques au bout sans vous intérompre, pour voir si vous nous aprendriés quelque chose de nouveau. Mais vous ne nous avez rien dit qui ne soit tout au long dans l’Extraordinaire de la prise de Grave qui a esté donné au Public. J’en demeure d’accord, luy repartit l’autre, & l’Autheur de la Gazette a esté si bien instruit de tout le detail de cette action, qu’il ne nous a rien laissé de remarquable à dire apres luy, comme dans toutes les autres choses memorables qui se sont passées, & qu’il a esté obligé de faire imprimer avant d’en avoir receüilly toutes les particularitez pour satisfaire à l’impatience du public.

[La description & l’explication de la Medaille que les Hollandois firent en mil six cens soixante-huit] §

Le Mercure galant, tome III [juillet-août 1672], 1673, p. 161-193.

On eut dit beaucoup de choses là-dessus, & la conversation sur les bestes fut devenue curieuse, si un Ennemy declaré des Hollandois n’eut entrepris le Nouvelliste Tendre & Pitoyable, ce qu’il fit en luy parlant de la sorte. Je ne sçais pas Monsieur, s’il y a quelqu’un icy qui ait autant de compassion que vous des Ennemis de l’Estat ; mais je sçay bien qu’il faut avoir de la tendresse de reste pour les plaindre. Leur vanité a esté insuportable ; ils se sont mis au dessus de tous les Rois de la Terre, & leur orgueil a esté si grand, qu’ils ont crû pouvoir estre les Arbitres du Monde entier ; & s’estant confirmez dans la pensée qu’ils seroient bien-tost aussi puissans que la Republique Romaine l’estoit autrefois, ils se sont imaginez qu’ils donneroient bien-tost des Loix à toute la Terre. Je suis bon François, luy repliqua le Nouvelliste Pitoyable, & je suis bon serviteur du Roy, je hais ses Ennemis & ceux de l’Estat peut-estre autant que vous, je ne suis point pour les Hollandois, & je sçais qu’ils ont esté assez imprudens pour s’attirer la foudre qui gronde maintenant chez eux. Mais je ne vois pas en quoy ils ont fait paroistre cette vanité insuportable dont vous les accusez, & s’ils en ont eu plus qu’ils ne devoient ; je ne vois pas qu’ils en ayent eu tant que vous dites. C’est où je vous attendois, luy repartit l’autre, en le prenant par le bras, & en le luy serrant un peu fort ; & j’ay icy des preuves qui vont faire connoistre à toute la Compagnie que je n’ay rien avancé que de veritable, & que la vanité des Hollandois a esté beaucoup plus grande que je n’ay dit. Je ne sçay pas, poursuivit-il, en se tournant vers ceux qui composaient l’Assemblée, si quelqu’un de ces Messieurs a oüy parler de la Medaille qui courut en soixante & huit, & que par un orgueil d’autant plus insuportable, qu’ils avoient peu de sujet de paroistre si vains, les Hollandois firent faire. Plusieurs dirent qu’ils avoient oüy parler de cette Médaille ; mais qu’elle estoit si rare, qu’ils n’avoient seulement pû la voir. Il n’y en a que quatre à Paris, repliqua l’Ennemy declaré de la petite Republique de Hollande ; & c’est un Prince qui m’a presté celle que j’ay sur moy, & que je vous vais faire voir. En achevant ces paroles, il tira la Medaille de sa poche ; & comme la Compagnie ordinaire s’attachoit à la considerer, les Nouvellistes écoutans les serrerent de plus pres qu’ils n’avoient accoûtumé ; le nombre mesme en augmenta, & les moins curieux qui se promenoient sans songer aux Nouvelles, voyant tant de gens amassez, s’aprocherent d’eux pour voir ce que c’estoit. Ceux qui entrerent pendant ce temps, furent aussi portez par leur curiosité devers le gros ploton ; & la foule devint si grande, que celuy qui faisoit voir la Medaille ne pouvant plus respirer, fut contraint de la remettre dans sa poche, afin de pouvoir prendre haleine, ce qui fit retirer les moins curieux. Quelque temps apres que cette grande foule se fut un peu écartée, nous nous retirasmes à l’écart ; & comme nous n’estions plus que sept ou huit, nous y considerasmes à loisir cette belle Médaille. Je dis belle, parce que les faussetez qu’elle contenoit n’ostoient rien à la beauté de son ouvrage. Elle estoit deux fois aussi grande qu’un Escu blanc. On voyoit d’un costé un Mercure tenant une Pique, au bout de laquelle son chapeau se faisoit remarquer ; il avoit le dos apuyé contre un Trophée d’Armes, la Mer paroissoit derriere ce Trophée, & sur cette mesme Mer on voyoit quelques Vaisseaux en éloignement. Il avoit quantité d’Armes & de Canons à ses costez, & le Lion de Hollande estoit aupres de luy. Le revers de cette Medaille representoit les Sept Provinces Unies, elles en faisoient comme la Bordure ; Elles estoient enchaînées avec une branche de Laurier tournée en Couronne ; & sur la mesme branche il y avoit entre chaque Province un Faisceau de Fleches ; & dans le milieu de la Medaille on voyoit l’Inscription suivante que je vous envoye de la mesme maniere ; c’est à dire qu’elle ne contenoit ny plus ny moins de lignes.

ASSERTIS LEGIBUS. EMENDATIS SACRIS.

ADJUTIS DEFENSIS.

CONCILIATIS REGIBUS.

VINDICATA MARIUM LIBER.

TATE. PACE EGREGIA VIR.

TUTE ARMORUM PARTA.

NUMISMA HOC.

S. F. B. C. F. MDCLXVIII.

Dés qu’on eut lû cette inscription, les plus grands parleurs devinrent muets, parce que ne voulant point faire connoitre qu’ils ne sçavoient pas le Latin, ils ne sçavoient si cette Inscription estoit belle ou laide, & s’ils devoient l’admirer, ou la condamner. Leur silence fut d’abord remarqué, & l’on s’en apperceut d’autant plûtost, que dés qu’on debitoit une Nouvelle, ils raisonnoient des premiers, & ne laissoient jamais parler les autres. Ils ne furent pas longtemps sans connoistre qu’on prenoit garde à leur confusion ; & dés qu’ils s’en furent aperceus, l’un d’eux prit la Medaille, lût bas l’Inscription, soûrit en la lisant, fit quelques lignes de teste, & dit quelques mots entre ses dents que l’on n’entendit pas. Comme il avoit de l’esprit il fit toutes ces choses à dessein de les expliquer en bonne ou mauvaise part, selon les loüanges ou le blâme qu’on donneroit à l’Inscription. Celuy qui avoit aporté la Medaille estoit sur le point de l’expliquer, lors que le petit Periandre, qui parle plus souvent Latin que le plus vieux Regent de tous les Colleges de l’Université, survint pour faire plaisir aux uns & pour étourdir les autres. Ce n’est pas qu’il n’ait du merite ; mais il en parle tant qu’il fatigue toutes les Compagnies où il se rencontre. Il n’eut pas plûtost remarqué l’Inscription qui estoit sur la Medaille, que sans rien examiner davantage, il la lût plusieurs fois avec emphase, & l’apprit mesme par coeur. Vive le Latin, s’écria-t-il, dés qu’il l’eut bien mise dans sa memoire. C’est une Langue qu’on ne peut assez admirer, & qui dit beaucoup de choses en peu de paroles, comme on peut voir dans cette inimitable Inscription, qui dit plus de choses en six ou sept petites lignes, que vous n’en pourriez dire en trente de Prose Françoise. Je vais, continua-t-il, vous expliquer cette Inscription, pour vous faire voir la force du Latin, & que je n’ay rien avancé qui ne soit veritable.

Assertis Legibus ,

Dit-il alors,

AssertisLegibus,

Messieurs,

AssertisLegibus,

Cela veut dire, ayant affermy les Loix, les ayant asseurées, les ayant rétablies, fait revivre, & les ayant remises dans leur premier éclat ; en sorte que rien n’est plus capable de les détruire, ny mesme de les ébranler. Voila, continua-t-il, ce que veut dire

AssertisLegibus,

Passons à

Emendatis Sacris.

Emendatis Sacris ,

Ah ! Messieurs, que

Emendatis Sacris.

Est admirable !

Emendatis Sacris ,

Ayant épuré la Religion ; l’ayant corrigée ; l’ayant reformée. C’est le vray mot,

Messieurs, réformée ; la Religion reformée ; & c’est ce que

Emendatis Sacris

Signifie.

Adjutis Defensis.

Ah que cet

Adjutis Defensis

Est beau ! rien ne peut égaler

Adjutis Defensis. Adjutis Defensis .

Vaut un milion.

Defensis

Ayant donné du secours à ceux qui nous en ont autrefois donné ; les ayant défendus, ayant pris le party de nos Alliez,

Adjutis .

De nos Alliez ; de ceux qui estoient joints avec nous,

Adjutis.

Conciliatis Regibus.

Rien ne peut payer

Conciliatis Regibus.

Ah ! que ce

Conciliatis Regibus

A de force !

ConciliatisRegibus,

Ayant esté les Arbitres des Rois, les ayant par nos soins, nos avis, nos recours, nôtre prudence, remis bien ensemble, obligez à faire la Paix, accordez, réünis & tout ce qu’il vous plaira sur ce sujet. Car il n’est rien que pour l’union des Rois, ne signifient ces deux mots. Je dis deux mots, Messieurs ; car il n’y en a que deux, & c’est ce que vous devez bien remarquer.

Conciliatis Regibus .

Pour moy je ne me puis lasser d’admirer

Conciliatis Regibus.

Et je tiens que

Conciliatis Regibus.

Peut suffire seul pour faire l’Eloge de la Langue Latine. Mais passons au reste, poursuivit-il ; car je n’aurois jamais fait, si j’entreprenois d’expliquer tout ce que renferme cette Inscription.

Vendicata Marium Libertatè .

Ah ! que ces trois mots disent de choses,

Vendicata Marium Libertatè .

Car enfin

Vendicata Marium Libertatè

Veut dire, ayant recouvert la liberté des Mers, ayant puny ceux qui la vouloient troubler, ayant vangé cette Liberté, sur laquelle on vouloit entreprendre, sur laquelle on vouloit attenter. N’avoürez-vous pas que cet endroit a bien de la force, & que celuy-cy n’en a pas moins,

Pace Egregia Virtutè Armorum Parta,

Ayant fait la Paix par le pouvoir, par le merite, par la force de nos Armes, par la terreur qu’elles ont inspiré, non seulement à nos Ennemis, mais encor à toute la Terre,

Pace Egregia Virtutè Armorum Parta.

Numisma Hoc.

Numisma Hoc.

Ne signifiroit en François que cette Medaille, & cela ne voudroit rien dire, & ne seroit pas seulement entendu ; mais il signifie bien autre chose en Latin, & ce

Numisma Hoc ,

Veut dire, qu’en vertu, qu’en conséquence de tout ce qui est dans l’Inscription de la Medaille, que que je viens d’expliquer, les Hollandois l’ont donnée au Public, afin qu’il sçache dés à present toutes ces choses, & que la Posterité en soit instruite. Hé bien, Meilleurs, continua le petit Periandre, en nous regardant tous les uns apres les autres ; N’avoürez-vous pas avec moy que le Latin est admirable, & qu’il a bien de la force, quand on a l’esprit de choisir de ces mots expressifs, dont un seul veut quelque fois dire plus de choses que trente mots François n’en pourroient expliquer ? Nous en demeurasmes tous d’acord, & nous fismes bien ; car il ne nous auroit pas laissé en repos, & nous auroit fait malgré nous souscrire à tous ses sentimens. Ceux qui n’entendoient point le Latin, dirent les premiers qu’il avoit raison, croyant faire connoistre par là que les beautez de cette Langue leur estoient fort connuës. Il me semble, dis-je à Periandre, non pas quand il fut las de parler, car il n’auroit jamais cessé, s’il n’eut éternüé deux ou trois fois de suite. Il me semble, luy dis-je, pendant ce temps, que vous n’avez point expliqué ce que veulent dire ces Lettres.

S. F. B. C. F.

Qui sont au dessous du

Numisma Hoc.

Je croy, adjoûtay-je, que ces cinq Lettres veulent dire beaucoup de choses. Il n’en faut point douter, me repartit-il. Donnez-nous en donc l’explication, je vous prie, luy répondis-je car je ne croy pas que sçachant si bien le Latin, vous puissiez rien ignorer de tout ce que l’on a voulu dire en cette Langue. Je ne puis, me repliqua-t-il vous expliquer ce qui n’est pas assez marqué pour vous pouvoir satisfaire tout d’un coup ; ce n’est pas que je ne croye en venir à bout en y rêvant un peu. Il y réva en effet, & fut quelque temps sans nous rien dire, & je m’aplaudis en moy-mesme d’avoir trouvé le secret de le faire taire. Nous nous mismes tous à réver aussi-bien que luy, & nous fusmes assez longtemps sans rien trouver. Mais enfin je me resouvins tout d’un coup, que les Lettres qui estoient au bas des Medailles, ou d’autres Ouvrages semblables, vouloient toûjours parler de ceux au nom desquels ces choses estoient faites ; & cela me fit croire que celles dont il estoit question, regardoient la Republique de Hollande ; comme S.P.Q.R. regardoit la Republique Romaine. Je dis aussi-tost ma pensée à la Compagnie, & j’ajoûtay en méme temps que je croyois que la premiere Lettre qui estoit une S. vouloit dire STATUS. Vous avez raison, reprit Periandre. STATUS, Les Estats. Je tiens F. poursuivit-il, & cet F. veut dire FOEDERATI. FOEDERATI, Unis, Liguez. STATUS FOEDERATI, Les Estats Confédérez. Il faut donc, repliqua un troisiéme, que le B. veuille dire BELGII. BELGII, Les Estats-Unis de Hollande. Cette explication, leur dis-je, me paroist assez juste, & pourveu que nous expliquions aussi heureusement le C. & le F. qui restent, je croy qu’elle sera assez juste. Le C. nous arresta longtemps, & nous estions sur le point de nous rendre sans l’expliquer, lors qu’une Personne de la Compagnie, que nous en croyons la moins capable, s’écria. Je le tiens, & c’est assurement COMMUNES. C’est COMMUNES, sans doute, luy repartis-je, & l’on n’en doit point douter. STATUS FOEDERATI BELGII COMMUNES FECERUNT. Les Estats-Unis d’Hollande, d’un commun consentement, ont fait ou fait faire cette Médaille, Vous avez raison, nous dit Periandre, COMMUNES. Tous ensemble, d’une commune voix, d’un commun consentement. C’est bien expliquer COMMUNES ! Mais, poursuivit-il, en s’adressant à moy, vous avez plus fait que vous ne pensiez ; car vous avez en mesme temps expliqué la derniere F. qui nous auroit peut-estre arresté longtemps. Il faut donc demeurer d’accord apres cette explication, dis-je alors à la Compagnie, que les Estats de Hollande ont fait faire cette Médaille. Puis que chacun est de ce sentiment, reprit celuy qui avoit aporté la Medaille ; il faut que Monsieur, nous dit-il, en se retournant devers le Nouvelliste pitoyable, demeure d’accord, qu’on ne peut avoir plus de vanité qu’en ont eu les Hollandois, puis qu’ils se sont mis au dessus de tous les Rois du Monde ; comme l’on peut connoitre par la Medaille que nous venons de voir.

[Sur les proverbes] * §

Le Mercure galant, tome III [juillet-août 1672], 1673, p. 194-199.

Ceux qui ont fait les Proverbes, continua le mesme, avoient de grandes lumieres & une grand’pratique des affaires du Monde ; car depuis soixante ans que je vois le jour, je n’en ay pas veu un qui ait menty. Quel Proverbe, luy repartit-on, appliquez-vous à l’affaire de Monsieur le Prince d’Orange ? Celuy qui doit, nous repliqua-t-il aussi-tost, que Personne ne pert qu’un autre n’y gagne. Cette explication n’est-elle pas juste, poursuivit-il ? & quand les Hollandois perdent la plus grande partie de leurs Estats, Monsieur le Prince d’Orange ne gagne-t-il pas tout à coup ; ce qu’il n’a jamais pû obtenir pendant qu’ils se croyoient les Arbitres de tous les Rois du Monde ? Ce Prince doit à l’avenir ajoûter foy aux Proverbes, repartit un autre en soûriant, puis qu’ils luy ont esté si favorables. Je vois bien, reprit avec un air serieux, le défenseur des Proverbes, que vous voulez me railler d’avoir cité un Proverbe, & que vous ne trouvez pas que les gens d’esprit en doivent parler : Mais il y a une différence entre parler Proverbes, (comme ceux qui en disent à chaque mot) & en remarquer à propos la verité. Les premiers, le font pour dire des plaisanteries qui sont souvent tres-méchantes, & les autres parce qu’ils examinent avec application le train des Affaires du Monde. Et pour moy je tiens, continua-t-il, que les Proverbes sont plus utiles que tous les Livres imaginables ; & qu’un homme qui les sçaura bien, fera moins de faux pas dans la vie, & sçaura mieux se gouverner que ceux qui ont des Bibliotheques entieres dans la teste, & qui ne profitent pas de leur lecture. Oüy, je le dis encor, je tiens pour les Proverbes & pour les Fables ; & quiconque les aura bien dans l’esprit, pourra se vanter de ne rien ignorer. Il dit encor cent choses sur ce sujet qui surprirent beaucoup celuy qui avoit eu dessein de se moquer de luy ; de maniere qu’au lieu de luy repondre, il fit retourner la conversation sur le bonheur du Prince d’Orange.

Histoire des onze Esclaves François §

Le Mercure galant, tome III [juillet-août 1672], 1673, p. 205-220.

Je ne sçay, Messieurs, si vous avez oüy parler d’une aventure extraordinaire, arrivée sur Mer il y a déjà quelque temps. Cette Histoire est-elle nouvelle, luy repliquasmes-nous ? les choses qu’on ne sçait pas encor sont toûjours nouvelles pour ceux qui les aprennent, nous repartit-il ; c’est pourquoy ce que je vais vous raconter ne vous doit pas moins divertir que s’il venoit que d’arriver. Nous luy temoignasmes qu’il nous feroit plaisir de satisfaire nostre curiosité. Et sans se faire prier davantage, il commença aussi-tost de la sorte.

Histoire

Des onze

Esclaves

Francois.

LE Dey de Tunis, Patron d’onze Esclaves François, qui depuis douze années languissoient dans de cruelles chaînes, ayant armé au Port de la Ville de Sousse en Barbarie, un Vaisseau de course, commandé par un Grec Renié, sur lequel ils furent embarquez pour gouverner les Voilles, ayant fait voyage en Morée pour les affaires du Grand-Seigneur, & couru la Mer pendant quarante-cinq jours, fut obligé de retourner au Port de Sousse, où le Patron fit désagréer ce Navire. Un des Esclaves Chrestiens, que les Peres de la Mercy avoient racheté trois fois, ayant esté reconnu à Tunis par le Patron dont il avoit esté Esclave, lors qu’il alloit racheter un de ses Freres qui estoit aussi Esclave dudit Dey, fut prié de retourner avec luy au Port de Sousse, & mesme d’y emmener son Frere. Il luy fit cette priere, parce qu’il sçavoit qu’ils estoient tous deux bons Matelots. L’Esclave eut bien voulu s’exempter de ce Voyage ; mais il n’osa toutefois le faire connoistre, parce que les Turcs maltraitent fort les Chretiens, quoy qu’ils soient rachetez, lors qu’ils leur refusent quelque chose. Ce Patron n’en demeura pas là, & proposa encor à cet Esclave, quand il fut au Port de Sousse, de retourner aux Gerbis pour y prendre un Chaoux, & le mener à Tunis pour les affaires du Grand Seigneur. L’Esclave estoit fort embarassé, & ressentoit vivement le chagrin que cette proposition luy causoit, lors qu’il apperceut un Vaisseau sous la Forteresse de Sousse, appelé le S. Eloy, appartenant à Mehemet Cogy de Tunis ; Ce Vaisseau estoit bien équipé, & prest à faire voille à Bizerti. Ce genereux Esclave qui ne respiroit que de joüir de la liberté qui luy estoit deuë, resolut de l’enlever & de se sauver dedans ; & pour cet effet il communique son dessein à son Frere & à neuf autres Chrétiens. La chose fut résoluë entr’eux ; & comme ils débarquoient le l’Est du Navire dans lequel ils estoient revenus de Course ; un des Esclaves du S. Eloy, qui estoit Cousin de l’Esclave qui cherchoit à le sauver, le vint voir comme ils travailloient à débarquer ledit l’Est, & l’autre ayant proposé le sauvement à son Cousin, il l’accepta, & luy dit qu’il n’y avoit dans le Navire appellé le S. Eloy que sept Mores & trois Reniez. Le lendemain lesdits onze Esclaves Chrestiens remplirent leurs poches de cailloux, & sans avoir d’autres Armes que de petits Cousteaux fermans, ils monterent dans leur Esquif, sous pretexte d’aller oster la derniere Barcade de l’Est de leur Vaisseau. Apres avoir pris le large de la Mer, ils voguerent effectivement du costé de leur Navire ; mais au lieu d’y monter, ils passerent outre, & le Maistre leur ayant crié de monter, ils luy repartirent qu’ils alloient passer de l’autre costé. Mais ils firent le contraire, & furent à force de Rames au bord du S. Eloy. Le Contre-Maistre les ayant apperceus, leur cria de se retirer : mais l’Esclave entreprenant, luy fit réponse, qu’il alloit parler à son Cousin. Ils furent à peine à bord, qu’ils sauterent tous dans le S. Eloy, & qu’ils repousserent à coups de cailloux les sept Mores, qui à coup d’Espontons, qui sont des Armes en forme d’Azagayes, vouloient leur en défendre l’entrée. Mais comme ils virent que l’un des leurs (c’estoit le Cousin de l’Esclave) se mit du party contraire, & qu’ils ne pouvoient résister, ils se jetterent à la Mer aussi-bien que le Contre-Maistre, qui fut blessé dans ce Combat avec deux Renegats. Le troisiéme qui n’avoit esté fait Renegat que par force, & qui n’avoit point encor esté circoncis, se declara Chrestien, ne fit aucune résistance, & se mit du party des attaquans, qui se rendirent maistres du Vaisseau, & couperent avec leurs cousteaux les cables dont il estoit amarré sous la Forteresse de la Sousse. Ils furent à peine en pleine Mer, qu’ils essuyerent plusieurs coups de Mousquet, & de Canon qu’on tira du costé de la Ville, qui leur démontrerent deux Pieces de Canon qui estoient en batterie ; ce qui fut un malheur d’autant plus grand pour eux, qu’ils n’avoient que ces deux Pieces là de montées. Les Mousquets ne leur firent pas moins de mal que les Canons ; puis que l’Esclave Cousin de celuy qui avoit fait entreprendre cette belle action, fut tué d’un coup de Mousquet. Le pretendu Renegat, mais qui estoit veritablement Chrestien, fit descendre tous ses Compagnons au fonds de la Calle, où il leur montra six autres Pieces de Canon prestes à monter, avec quantité de Poudres. Ils en monterent aussi-tost une sur le Pont de leur Navire, dont ils tirerent huit coups sur un Bastiment appellé Sembequin, remorqué de cinq Lanches qu’on avoit armé à terre pour les venir prendre. Ils furent si heureux, qu’à portée de demy mousquetade, ils donnerent dans la Barque à dans les Lanches, & y firent un si grand desordre, qu’ils les obligerent de s’en tourner. Les deux Renegats voyant un secours qui leur venoit du Port, reprirent aussi-tost les Armes, à coups d’Espontons & d’Escarcines, tâcherent de chasser lesdits Esclaves. Mais comme ils n’estoient que deux, ils furent contraints de descendre au fonds de la Calle ; & comme le temps estoit fort calme, les Esclaves à force de Rames regagnerent aussi-tost le large de la Mer : mais peu de temps apres ils apperceurent le secours que ces Renegats avoient remarqué. C’estoit une Barque longue d’environ deux mille Quintaux, qui venoient sur ces braves Esclaves. Mais loin de perdre courage, ils monterent en diligence encor deux Pieces de Canon, & continuerent leur route à force de Rames. La Barque leur donna la chasse toute la journée, & se voyans le soir presque abordez, à cause du calme de la Mer, ils firent un vœu à Saint Joseph, & peu apres la nuit étant survenuë, & ayant perdu de veuë ladite Barque, il s’éleva un petit vent, à la faveur duquel ils prirent la route de France, & vinrent heureusement à la rade de Toulon. Depuis leur arrivée ils ont demandé au Roy la confiscation du Vaisseau qu’ils ont amené, ce qui leur a esté accordé sans difficulté. Cette avanture fit faire plusieurs raisonnemens à la Compagnie, & fut cause qu’elle s’entretient de la Navigation.

XIII. Semaine. Nouvelles du 23. Juillet jusques au 30. §

Lettre de Nimegue du 10 Juillet §

Le Mercure galant, tome III [juillet-août 1672], 1673, p. 265-279.

LA prise de Nimegue dont on avoit parlé la Semaine precedente, sans rien dire de ce qu’il s’esotit passé pendant le Siege de cette importante Place, fut l’entretien des Premiers jours de cette Semaine ; & lors que j’arrivay à l’Assemblée, je la trouvay qui se preparoit à écoûter une Lettre de Nimegue qu’un des pilliers du Bureau avoit apportée. Je pris aussi-tost place, sans donner les bon-jour à personne, & sans m’informer de la santé d’aucuns de ces Messieurs, je fis seulement quelques signes de teste à mes Amis particuliers qui me répondirent de mesme, de peur que nos complimens ne retardassent la lecture de la Lettre que nous étions sur le point d’entendre. Celuy qui l’avoit apportée, l’ayant ouverte, y lût aussi-tost ce qui suit.

Lettre de Nimegue du 10. Juillet.

LA Ville de Nimegue ayant par une vigoureuse résistance donné beaucoup de gloire aux Armes de sa Majesté, je croy vous devoir entretenir du Siege qu’elle a soûtenu, qui bien qu’il n’ait duré que six jours, n’a pas laissé d’estre un des plus furieux dont on ait parlé depuis longtemps ; & quand on considerera que cette Ville étoit pourveuë de toutes sortes de Munitions de Guerre & de Bouche ; qu’avec des Fortifications capables de soûtenir les attaques de l’Armée la plus nombreuse & la plus aguerrie, elle estoit défenduë par une Garnison de Chevaux & de plus de quatre mille Fantassins de Troupes bien réglées. Quand on considerera, dis-je, toutes ces choses, on connoistra que cette Place ne peut avoir esté prise en six jours que par les François, puis qu’il ne luy manquoit rien pour soûtenir un Siege de six mois. Toutes ces raisons sont causes qu’elle ne s’étonna point d’un nombre infiny de coups de Canon qui furent tirez par trois Batterie du Fort de Knotzembourg, & que tout ce qui avoit inspiré de la terreur aux autres Places, ne luy causa point d’allarmes ; & bien loin d’en avoir, ceux qui la défendoient crûrent qu’en apprenant le bon estat de la Place, & la résolution où ils estoient de se bien défendre, nous quitterions le dessein que nous avions eu de les assieger. Mais le Roy ayant résolu le Siege de cette Place dans un Conseil de Guerre ; Monsieur le Prince de Turenne, qui sert ce Grand Monarque avec toute l’ardeur imaginable, se mit en estat de joindre cette belle Conqueste à tous les Lauriers dont il s’estoit déjà couvert pendant la Campagne ; & ayant fait passer le Rhin à son Armée qui estoit dans l’Isle de Bleteau, il arriva devant Nimegue l’apres disnée du trois de ce mois ; Il en reconnut aussi-tost les dehors, distribua les Quartiers & fit faire les Logemens. Jamais Troupes n’agirent avec tant de vigeur, & vous n’en douterez pas, lors que vous sçaurez que quelques heures apres leur arrivée ils dresserent une Baterie sur une espece de demie-Lune dont ils s’emparerent, & qui couvroit la contr’escarpe. La nuit suivante quelques-uns des nostres furent blessez, & nous en eûmes mesme de tuez par le feu extraordinaire du Canon & de la Mousqueterie des Ennemis, qui voulurent témoigner par là qu’ils continüoit dans le dessein qu’ils avoient pris de se bien defendre. Ils n’eurent pas longtemps cet avantage sur nous, & les Bateries que nous avions dressées proche la contr’escarpe causerent une étrange consternation parmy eux. Elle fut encor augmentée par la mort du Colonel Bevéren, que sa valeur & son merite firent beaucoup regreter du Gouvernement qui se fioit en son courage. L’ardeur de nos Soldats fut telle, que dés cette même nuit nous nous logeasmes à la faveur du feu que nous fismes sur la demie-Lune dont je viens de parler ; ce qui jetta une telle épouvante parmy les Assiegez, que le jour suivant sur les neuf heures du matin, ils envoyerent un Trompette pour capituler. Les ostages furent bien-tost donnez de part & d’autre ; mais comme ils demanderent à sortir avec Armes & Bagages, & que Monsieur de Turenne vouloit qu’ils demeurassent prisonniers de guerre, les Assiegeans voyant qu’ils estoient trop longtemps à rendre réponse, se remirent à leurs Travaux. Les Assiegez en firent de mesme, & apres avoir retiré leurs Ostages se défendirent avec plus de vigueur qu’auparavant. Ils firent un feu extraordinaire pendant toute la nuit du quatre au cinq, & sortirent sur le Regiment de Navarre qu’ils chasserent de la demie-Lune, où il estoit en garde. Monsieur le Comte de Carman, Colonel de ce Regiment, fut tué en cette occasion avec quelques soldats. Leur mort fut vangée bien-tost apres, puis que nous reprismes cette demie-Lune aux Assiegez, & qu’ils y firent une perte beaucoup plus considerable que celle que nous avions faite lors qu’ils s’en estoient ressaisis. Monsieur le Marquis Destrades voulant animer les Soldats par son exemple, fut blessé d’un coup de Mousquet la mesme nuit, en portant des Fascines à la Tranchée. Ce brave Marquis est Fils de Monsieur Destrades, cy-devant Ambassadeur en Angleterre & en Hollande. Il est aujourd’huy Gouverneur de Vezel & de toutes les Places conquises sur le Rhin ; il est depuis vingt-cinq ans Capitaine General des Armées du Roy. Le Fils d’un si illustre Pere, ayant donné de grandes preuves de son courage, ainsi que je vous viens de marquer, Monsieur le Marquis de Foucaut fit un Logement sur la contr’escarpe, & receut en cette occasion deux contusions, l’une au haut de la teste & l’autre aux reins. Le sept nous poussâmes nos avantages avec beaucoup de chaleur ; nous fismes le huit encor un Logement sur une demie-Lune, avec une Place d’Armes dans le Fossé pour loger quatre cens Hommes couverts de Peaux contre le feu. Le soir du mesme jour on fit joüer une Mine qui fit une breche à la muraille des Assiegez. Ils demanderent aussi-tost à Capituler, & demeurerent tous prisonniers, à la reserve du Gouverneur & de quelques Officiers. Monsieur le Comte de Saux, qui s’est trouvé à toutes les occasions perilleuses qui se sont présentées depuis l’ouverture de la Campagne, a receu à ce Siege un coup de Cartouche, dont il n’a pas esté incommodé, & Monsieur le Chevalier de Champfleury son Escuyer a esté tué aupres de luy. Monsieur le Comte de Guiche s’étant aussi exposé aux plus grands dangers, a pareillement perdu un de ses Gentilhommes qui estoit à costé de luy. Je ne puis oublier que Monsieur le Marquis de la Ferté Senneterre, Colonel d’Infanterie, âgé seulement d’environ quinze à seize ans, a donné mille preuves d’une valeur extraordinaire tant qu’a duré ce Siege, & que marchant sur les traces de son Pere, qui peut avec justice passer pour un des plus hardis Capitaines de nos jours, il se mit à la teste de la Tranchée, & y demeura toute la nuit, tant que son Regiment y fut de garde, quoy qu’il fut incommodé d’une Fievre qui ne luy laissa point de repos. Monsieur de Valorge, âgé aussi d’environ quatorze ou quinze ans, voulant imiter ce brave Marquis, demeura douze heures aupres du Mineur, & rapporta l’état de la Mine à Monsieur de Turenne.

La Compagnie trouva cette Lettre d’autant plus belle, qu’elle avoit beaucoup de rapport avec plusieurs des particularitez de Nimegue qu’elle avoit sçeuës en détail.

XIV. Semaine. Nouvelles du 30. Juillet jusques au 6. d’Aoust. §

[Conversation sur toutes les Modes] §

Le Mercure galant, tome III [juillet-août 1672], 1673, p. 317-322.

[...] Cette conversation touchant les Modes me donna lieu de dire aux deux Belles, qui trouvoient cet entretien le plus agreable du Monde, que nos corps n'estoients pas moins sujets que nos habillemens à l'empire de la Mode, & que cette inconstante y avoit accoûtumé jusques à nostre apétit. Elles me demanderent l'explication de cette Enigme. Elle n'est pas difficile, leur repartis-je ; les Anciens Romains n'ont jamais sçeu ce que c'estoit que de disner, & nous voyons que pendant tout le Siecle d'Auguste ils n'ont jamais fait qu'un repas par jour, & qu'ils soupoient seulement & ne dinoient jamais. Les gens de qualité, continuay-je, qui tiennent presentement de grandes Tables ne font aussi qu'un repas, & je vis dernierement de fort grands Seigneurs, qui disoient que le Siecle d'Auguste & celuy de Loüis XIII. avoient toujours soupé, & que celüy de Louis XIV. s'estoit déclaré pour le disner. Toutes ces choses, poursuivis-je, font voir que la Mode a sçeu accoûtumer l'apetit à ses caprices, puis que l'on voit presentement beaucoup de gens, qui loin de ne faire qu'un repas par jour, comme les Anciens Romains, ont bien de la peine à se contenter de trois ou quatre. Il faut avouër, dirent alors ces deux Belles, que le pouvoir de la Mode est bien grand. Il l'est encore plus que vous ne pensez, leur repartis-je, & elle étend son empire jusques sur les Enterremens. Les Princes seuls autrefois avoient au lieu de Torches des Flambeaux à leurs Convois, & presentement tout le Monde s'en sert, & l'usage des Torches est entierement aboly. Ce n’est pas tout, continuay-je, on ne chante presque plus d’Airs à quatre parties dans les Temples, & les Menuets y sont devenus à la Mode. Et pourquoy n’y seroient-ils pas, reprit Lucresse, puis que le fameux Monsieur de Lully s’est bien servy de Violons dans un Miserere, & que ce Miserere a esté aplaudy de toute la Cour, & qu’il passe pour la plus belle chose qu’il aye faite ? Nous parlâmes encor quelque temps de Musique ; puis une Troupe de Coquetes & de Galands, qui pour avoir trop renchery sur les Modes courantes paroissoient ridicules, fit encor retourner la conversation sur les nouvelles manieres de s'habiller. Et l'on dit ensuite que les Modes passoient de la Cour aux Dames de la Ville, des Dames de la Ville aux riches Bourgeoises, des riches Bourgeoises aux Grizettes, qui les imitoient avec de moindres Estoffes ; & que lors que les Dames de la Cour & de la Ville mettoient des Pierreries fines, les Bourgeoises en mettoient de fausses, & les Grizettes des Boutons d'Orfévrerie ; & que lors que les Grizettes ne pouvoient pas en porter de fins, elles en mettoient de faux aux mesmes endroits. On ajoûta que de ces Grizettes les Modes passoient aux Dames de Province, des Dames de Province aux Bourgeoises des mesmes lieux ; & que de là elles passoient dans les Païs Estrangers ; de maniere que lors qu'elles y commençoient leurs cours, celles qu'on avoit depuis ce temps-là inventées à la Cour commençoient déja à devenir vieilles. Apres cette conversation qui fut assez longue, Lucresse & Clarice s'en retournerent, & je fus rejoindre le gros des Nouvellistes. Je fis réflexion en y retournant sur les choses dont nous venions de nous entretenir, & je demeuray surpris de toutes les bagatelles qui m'avoient servy d'entretien ; mais ma honte cessa bien-tost, lors que je me fus dit à moy-mesme, que la pluspart des Gens de qualité, & de ceux mesmes qui avoient donné des preuves de leur esprit, s'entretenoient souvent de Modes nouvelles, & que cette matiere entroit aussi naturellement dans la conversation que le froid & le chaud, la pluye & le beau temps ; & qu'il estoit aussi naturel de dire d'abord aux gens qu'on rencontroit, qu'ils estoient bien mis, que de leur demander l'estat de leur santé. En faisant ces réflexions, j'arivay au Bureau des Nouvelles. J'entendis d'abord ces paroles que le Nouvelliste Turlupin qui les croyoit admirables, proferoit assez haut pour les faire entendre de loin. Hé bien, Messieurs, disoit-il, n'avoürez-vous pas que les François ont eu beaucoup d'hônesteté pour les Hollandois, & qu'ils n'ont pas voulu leur laisser de creve-cœur à la fin de la Campagne. Hé quoy, luy repartis-je, en arrivant par derriere luy, ne vous déferez-vous jamais de vos méchantes plaisanteries ? car je vis bien qu'il vouloit parler de la prise de Crévecœur. Il demeura si confus qu'il ne me répondit rien. J'appris ensuite la Nouvelle que l'on venoit de debiter, qui estoit que Crévecœur s'estoit rendu apres deux jours de Tranchée ouverte, & que la Garnison, composée de plus de huit cens Hommes, ayant veu les Fossez de la Place comblez, encor qu'ils fussent doubles & remplis d'eau, avoit contraint le Gouverneur de se rendre à discretion. J'apris aussi ensuite par une Lettre qu'on me fit voir, que Monsieur de Turenne avoit assiegé Bomel, & qu'on ne croyoit pas que cette Place tint longtemps. La Compagnie se separa avec ces bonnes Nouvelles, parce qu'il estoit déja fort tard, & que le Medecin de l'Assemblée (car il y en avoit un qui s'y rendoit regulierement) nous dit que l'on ne se portoit jamais bien lors qu'on soupoit si tard. Les Nouvellistes le crûrent, plûtost parce qu'ils n'avoient plus rien de nouveau à dire, que pour aucune autre raison.

[Satyre des Nouvellistes contre eux-mesmes] §

Le Mercure galant, tome III [juillet-août 1672], 1673, p. 329-336.

LEs Nouvellistes ayant appris de tous costez qu’ils estoient devenus les objets de l’entretien public, que les uns les blâmoient, & que les autres les excusoient, mais qu’ils estoient souvent raillez de tous ceux qui venoient promener dans les lieux où ils tenoient leurs Assemblées, & que l’on condamnoit le trop grand empressement qu’ils avoient à debiter des Nouvelles, & l’impatiente & avide curiosité qu’ils montroient sans cesse. Ces Messieurs, dis-je, bien informez de toutes ces choses, résolurent de se rendre justice, & de s’entretenir à leurs propres dépens ; Ils firent donc eux-mesmes leur Satire en travaillant à leurs Portrait, & dirent des choses si plaisantes, qu’elles auroient pû servir de divertissement à ceux qui font profession de ne jamais rire. Quand ils eurent agreablement raillé d’eux-mesmes, il y en eut un de la Compagnie qui prit la parole. Il semble, dit-il, à nous entendre parle, qu’il n’y ait que nous de Nouvellistes sur la Terre ; cependant les Espagnols & les Italiens le font beaucoup plus que nous, & les derniers Artisans d’Espagne ne manqueroient pas un jour de se rendre dans les Places publiques, apres avoir cessé leur travail pour y decider du Destin de l’Univers. On fait la mesme chose à Venise, & l’empressement de dire des Nouvelles & de sçavoir l’avenir est si grand, qu’on y fait des gageures pour le choix d’un Magistrat longtemps avant que ce choix se doivent faire ; & nous avons mesme veu souvent que ces gageures ont esté défenduës à Venise, parce qu’on les jugeoit d’une tres-dangereuse consequence. On trouve aussi beaucoup de Nouvellistes à Rome, continua le mesme ; & comme les Estrangers viennent de toutes parts voir cette superbe Ville, on peut dire que les Nouvellistes s’y assemblent des quatre parties du Monde ; ils y font souvent des gageures pour les prises de Places assiegées, & pour la levée des Sieges ; & les divers partis de la gloire de leur Païs, & mesme souvent leurs propres interests les obligent de prendre, causent quelques fois des querelles entr’eux, qui produisent de sanglantes suites. Toutes ces choses qui sont constamment vrayes, ajoûta-t-il encor, doivent faire connoistre que si les François sont avides de Nouvelles & se plaisent à en débiter, il n’y a point de Nations qui n’ait ses Curieux impertinens, & que la France en a moins qu’aucune autre & de moins empressez. Je ne demeure pas d’accord de ce que vous dites, repartit le Nouvelliste Autheur, on ne peut trouver chez aucune Nation du Monde de si ardens Nouvellistes que les Français, & les Vers que je vais vous dire en font foy. Il eut à peine achevé ces paroles qu’ils nous dit les Vers suivans.

    Cesar dans la Guerre Gallique,
Au Livre quatrieme en parlant des François
    À fort bien écrit autrefois
    Ce qu’aujourd’huy l’on trouve sans replicque.
Il dit qu’ils arrestoient dessus les grands chemins
    Tous les Passans, afin d’en sçavoir des Nouvelles ;
Et mesme en plein Marché tous les Marchands Forins.

Ces vers firent resouvenir à quelques-uns de ce que Cesar avoit écrit touchant les Nouvellistes François, & l’on ne jugea pas la matiere indigne des plus beaux Esprits, puis que ce Grand Homme avoit bien voulu écrire luy-mesme contre les Nouvellistes.

[Conversation sur les Opera & sur la Musique. Remarques sur ce sujet] §

Le Mercure galant, tome III [juillet-août 1672], 1673, p. 337-354.

Cette conversation ne nous empécha point de reprendre nostre occupation ordinaire, & nous recommençâmes à nous entretenir de Nouvelles de la mesme maniere que si nous n'avions point parlé contre les Nouvellistes ; & apres quelques Nouvelles de Guerre qui n’estoient pas considerables, la conversation tourna sur l’Opera. Ne parlez point des Operas, dit alors un Ennemy declaré de la Musique, on s’ennuye d’entendre toûjours chanter, & je ne trouve rien de plus fatigant. On disoit cela, repartit un autre, avant que Monsieur le Marquis de Sourdeac & Messieurs ses Associez eurent fait representer les deux Opera qu’ils ont donnez au Public ; mais le succez a fait voir le contraire. Je le crois bien, repartit un troisiéme ; mais les inimitables Machines de Monsieur le Marquis de Sourdeac qui a fait autrefois la Toison d’Or pour son Divertissement s’y faisoient admirer ; & comme elles estoient executées avec toute la justesse imaginable, & que M. de Beauchamp, qui fait les Balets du Roy depuis vingt-un ans, & qui a eu l’honneur d’estre choisi autrefois pour montrer à dancer à Sa Majesté, comme un des plus illustres de son temps avoit travaillé pour l’Opera, on ne doit point s’estonner de son succez, qui n’est pas deu à la Musique, puis qu’elle n’en faisoit que la moindre partie. Les choses n’iront pas de mesme à l’avenir, reprit un quatriéme, & la Musique sera le plus bel ornement des Pieces qui seront representées dans l’Accademie de Monsieur de Lully. Qu'importe de Machines, continua-t-il, de Balets, & mesme de belles Comedies, puis que lors que la Musique est dans sa perfection, elle tient lieu de tout cela. Six Chansons composées par ce grand Genie feront courir tout Paris. Cela arriveroit, luy repartis-je, si chacun aimoit autant la Musique que vous ; mais tout le Monde n’est pas de vostre goust. On aime beaucoup la Comedie en France, l’esprit en demande quand les oreilles sont satisfaites ; & nous avons souvent veu que dans les grands Divertissemens on prestoit plus d’attention à la Comedie qu’à la Musique. Ce n’est pas que la Musique ne plaise, & qu’on ne l’écoute d’abord, mais elle ennuye dés qu’elle dure trop longtemps, quand mesme elle seroit bonne ; & la Comedie n’ennuye jamais à moins qu’elle ne soit méchante. Vous n’auriez pas esté fatigué du troisiéme Opera de Monsieur le Marquis de Sourdeac, reprit celuy qui prenoit son party ; il se preparoit à faire quelque chose de si beau, de si nouveau & de si surprenant pour les Machines, qu’on le fut venu admirer des quatre coins du Monde. Il n’en avoit presque pas mis dans les deux premieres Pieces qu’il avoit données au Public, & n’avoit fait que preparer son Theatre, pour la troisiéme. On n’y auroit point veu de ces Changemens de Theatre, de ces Chars ordinaires, & de ces Vols qui font que toutes les Machines se ressemblent ; Et... Mais pourquoy, luy repartirent plusieurs, ne l’a-t-on pas laissé continuer, puis qu’il a étably l’Opera avec tant de dépense, qu’il preparoit de si belles choses, & que sans luy & ses Associez, on ne se seroit point avisé d’en faire en France ; Vous avez trop de curiosité, leur répondit le Nouvelliste misterieux, à demy en colere ; on ne doit jamais penetrer dans les secrets des Rois, & l’on doit toûjours croire qu’ils ont raison. Je crois, reprit un autre, que Monsieur de Lully n’a eu son Privilege, qu’afin qu’il pût par le moyen de son Accademie former des Musiciens pour le Roy, qui fussent capables de remplir les Places qui vacqueroient dans la Musique de Sa Majesté. Nous trouvâmes cette pensée de bon sens, & nous fismes ensuite la guerre à l’un de nos Confreres qui n’avoit pas dit un mot pendant nostre conversation de l’Opera. Je n’ay pas laissé de faire réflexion sur ce que vous nous avez dit touchant la Musique, nous répondit-il, & j’ay beaucoup de choses à dire à son avantage pour faire voir que ceux qui la condamnent n’en connoissent pas le merite. Nous luy dismes que nous estions prests de luy donner audiance. Il nous remercia, & commença aussi-tost de la sorte.

La Musique est la plus ancienne de toutes les Sciences ; & les Grecs en faisoient une estime toute particuliere ; elle entretient nostre joye à flate également nostre tristesse, elle modere les esprits les plus échauffez par le Vin ; & c’est pourquoy les Anciens faisoient chanter apres le repas. Aristote a dit que nostre Ame ne subsistoit que par l’Harmonie ; & nous a fait voir dans ses Questions Problematiques, que de nos sens il n’y a que l’oüye qui serve aux choses Morales. Et Plutarque nous apprend que les Argiens établirent une peine contre ceux qui parleroient contre la Musique. Elle plaisoit beaucoup à Socrate, & ce grand Homme avoit appris à chanter & à joüer des Instrumens. Boëtius au Livre premier de sa Musique, dit que Ménias guerit une infinité de Boeotiens travaillez de la Sciatique, à qui il fit passer la douleur au son des Flûtes. Et Theophrastre, Athenée, Asclepiade & Democrite, disent tous que la Musique a le pouvoir de guerir beaucoup de Maladies. Apollonius remarque que les Thebins de son tems se servoient communément du son des Instrumens pour remedier à beaucoup de Maladies corporelles. Plutarque écrit que Thales le Candiot fit par le moyen de la Musique cesser la Peste dans Sparte. Dans l’Amerique on ne se sert pour guerir toutes sortes de Maladies que d’une Musique à la mode du Païs, qui ne laisse pas de produire d’aussi bons effets que si elle avoit la mesme douceur que la nostre. David se louë luy-mesme d’avoir bien chanté, & l’on dit que son Fils Salomon se fit par la mesme raison admirer de toute la Terre ; & que Saül possédé ne recevoit de soulagement que par la Harpe de David. Sçavez-vous bien, continua-t-il en passant tout à coup à des Remarques moins serieuses, que l’on ne pend des Sonnettes au col des Mulets, que parce que le bruit qu’elles font est une Musique pour eux qui adoucit leurs peines, & leur donne de la force. Et l’on dit que lors qu’on veut faire faire aux Chameaux de plus grandes journées que de coûtume, leurs Maistres se se servent au lieu du Foüet ou du Baton, de certaines Chansons qui les font aller beaucoup plus viste que tous les coups qu’on leur pourroit donner. Les Biches mesmes, ajoûta-t-il, sont si ravies du son d’une belle voix, qu’elles se couchent pour l’entendre, & se laissent ainsi prendre facilement ; Et c’est Antigonus Carystius qui dit l’avoir appris d’Aristote. Et tous ces merveilleux effets de la Musique, poursuivit-il, ont esté cause de tout ce que l’Antiquité nous a dit des Orphées, des Arions, & des Amphions. Vous avez si bien étably le pouvoir de la Musique, luy dismes-nous dés qu’il eut cessé de parler, que ceux qui l’aiment le moins, sçachans ces merveilleux effets, ne manqueront pas d’aller souvent à l’Opera, & ils aimeront sans doute mieux y loüer de bonnes places quand ils seront malades, que de donner leur argent à des Medecins, des Chirurgiens & des Apoticaires. Vous avez raison, nous répondit-il, & c’est une chose admirable que la Musique, lors qu’un grand Genie comme Monsieur de Lully s’en méle ; & je ne me puis lasser d’admirer l’Entrée des Forgerons que l’on voit dans Psiché ? car enfin c’est une chose admirable, & je crois qu’il n’y a que luy au monde qui puisse apprendre la Musique à des Marteaux. Il me souvient, luy repartis-je, d’avoir lû quelque chose d’assez curieux touchant ces Marteaux ; on dit que Henry III. à son retour de Pologne, passant pas Venise, admira longtemps dans l’Arcenal de cette belle Ville quatre Forgerons qui travailleroient sur une Euclume à un habillement de teste, avec une telle proportion, que Sa Majesté demeura ravie des coups qu’ils donnoient en cadance avec leurs quatre Marteaux. Le Defenseur de la Musique estoit prest de me repartir, lors qu’un Nouvelliste qui ne s’entretenoit jamais de bagatelles, & que nous appellions le Nouvelliste d’Estat, parce qu’il ne vouloit parler que des grandes affaires, vint intérompre nostre conversation.

[Conversation sur tous les Divertissemens de cet Hyver] §

Le Mercure galant, tome III [juillet-août 1672], 1673, p. 368-376.

Je crois qu’apres tant de Conquestes, dit alors une Personne de la Compagnie, on se divertira bien à Paris l’Hyver prochain ; & que l’on n’y verra que Festins, Jeux, Bals, Comedies, & Spectacles. Je ne sçais pas quelles réjoüissances on y fera, reprit le Nouvelliste Autheur ; mais à l’égard des Comedies & des Spectacles, je sçais bien ce qu’on representera sur tous les Theatres de Paris. Puis il continua de la sorte, sans attendre que la Compagnie le priat de dire ce qu’il sçavoit. On verra au commencement de l’Hyver le grand Spectacle de Psiché triompher encor sur le Theatre du Palais-Royal ; & dans le Carnaval on representera une Piece de Spectacle nouvelle, & toute Comique ; & comme cette Piece sera du fameux Moliere, & que les Balets en seront faits par M. De Beauchamp ; on n’en doit rien attendre que de beau. Les Comediens du Marais representeront la Pulcherie de Monsieur Corneille l’aisné. Je ne dis rien de cet Autheur, son nom seul fait son Eloge. On jouëra presque en mesme temps à l’Hostel de Bourgogne le Cleodat, de son Frere ; c’est l’Autheur de l’Ariane qui parut l’année passé, & l’on ne croit pas que cet Autheur qui a souvent eu des succez prodigieux, puisse rien faire qui n’ait de grandes beautez. En suite de cette Piece, on verra sur le mesme Theatre le Mithridate de Monsieur Racine : Cet Ouvrage reüssira sans doute, puisque les Pieces de cet Autheur ont toûjours eu beaucoup d’Amis. On parle aussi d’une Comedie de l’Autheur de la Femme Juge, mais on doute sur quel Theatre elle paroistra. Passons à l’Opera, continua-t-il ; Monsieur de Lully ne donnera d’abord que des morceaux des Balets du Roy, qu’il fera coudre ensemble pour faire une Piece ; & pendant qu’on la representera, on en preparera une nouvelle pour le Carnaval prochain, à laquelle le Tendre Monsieur Quinault travaille. Cet Autheur illustre, continua-t-il, estant presentement Auditeur des Comptes, ne nous fera pas voir si souvent de ses Ouvrages, à cause de l’occupation que cette belle Charge luy donne. J’oubliois, ajoûta le mesme, à vous dire que je me rencontray dernierement chez une Personne de la plus haute qualité dont le cercle estoit composé de deux Duchesses, & de dix ou douze personnes qui n’estoient que d’un rang au dessous, & que dans cette belle Assemblée j’entendis lire une Piece que l’on nomme les Maris Infideles, & dont les Comédiens du Palais Royal doivent commencer la premiere Representation au plus tard l’une des Festes de Noel. Elle plut à toute l’Assemblée, & il y eut une Personne qui dit qu’on devoit nommer cette Piece-là, le Train du Monde, parce qu’il ne s’y passe presque rien qui ne soit renfermé dans cet Ouvrage, & que dans l’opposition de six Caracteres differens on y voit tout ce que les grandes passions sont capables de produire dans les cœurs des Maris les moins violens, & de ceux qui sont les plus emportez ; des Femmes les plus douces & les plus promptes, & des Maistresses les plus raisonnables, & les plus ridicules. Tous ces Personnages, ajoûta-t-elle estans enchaînez par les liens de l’Himen ou de l’Amour, avec ceux qui sont entierement opposez à leur humeur, doivent beaucoup divertir les Assemblées qui les verront sur scène. Quand cette Piece, luy repartis-je, n’auroit pas de grandes beautez, elle peut manquer de plaire sans pouvoir estre condamnée ; puisque ceux qui s’attachent à critiquer tous les Ouvrages, soit par brigues ou par une pente naturelle qu’ils ont à dire du mal, ne pourront se declarer contre un caractere sans aimer celuy qui luy est opposé ; ainsi les plus Critiques y doivent trouver malgré eux quelque chose à leur goust. Nous en demeurâmes d’accord, & nous estions pres de changer de discours, lorsqu’une personne de la Compagnie dit qu’on promettoit aussi un Mary Infidele à l’Hotel de Bourgogne. De quoy nous parlez-vous là, repartit un jeune Nouvelliste, & devez-vous nous entretenir d’une pareille bagatelle ? Ne voyez-vous pas que Messieurs de l’Hostel de Bourgogne n’ont promis cette Piece que longtemps après le Palais-Royal ; mais on en revient toûjours aux Originaux, & la diversion qu’on fait ne dure que deux ou trois jours. Mais comment, continua-t-il, cette Piece pourroit-elle en faire puis que n’est qu’une Farce en trois Actes, qui n’a qu’un titre forcé, qu’elle ne represente point les Maris Infideles & qu’elle est d’un Autheur qui n’a jamais fait que de ces bagatelles ? La meilleure de ces sortes de Pieces, adjousta-t-il, n’est pas à comparer à des Ouvrages dont on peut tirer quelque profit ; & comme elles ne sont joüées qu’avec d’autres Pieces, on va souvent à la Comedie sans sçavoir qu’on les doit representer. Vous estes Amy de l’Autheur du Palais Royal, luy dirent plusieurs à la fois, & la chaleur avec laquelle vous prenez son party, nous fait assez voir…Je ne le connois pas, reprit-il aussitost, mais je suis partisan de ses Ouvrages que j’ay toûjours veu réüssir ; & vous n’en douterez pas, quand vous sçaurez que c’est…… Il alloit le nommer lorsqu’il en fut empéché par le désordre que causa la querelle de deux Nouvellistes qui se battirent à coups de poings à deux pas de nous, & qui nous obligerent à rompre notre peloton.