1673

Mercure galant, tome VI, 1673 [1674 sur la page de titre]

2014
Source : Le Mercure galant, tome VI, Henry Loison, 1673.
Ont participé à cette édition électronique : Anne Piéjus (Responsable d'édition), Nathalie Berton-Blivet (Responsable d'édition), Alexandre De Craim (Édition numérique), Vincent Jolivet (Édition numérique) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

Le Mercure galant, tome VI, 1673 [1674 sur la page de titre]. §

Le Mal de Mere. Nouvelle §

Le Mercure galant, 1673 (tome VI), p. 1-12.

Le Mal de Mere.

Nouvelle.

JE croy qu’il y a peu de Gens dans cette compagnie, qui ne connoissent Bursinius ; & je croy mesme qu’il est connu de tout Paris : C’est un de ces Esprits de bon goust, qui rafinent sur toutes choses. Il y a peu de Maisons en cette Ville plus agréables & mieux entenduës que la sienne, tant pour les Peintures, que pour les Meubles ; & sa Table qui fait par tout du bruit, est estimée avec justice par tous les costaux, & l’on n’y sert rien qui n’ait esté approuvé par les meilleurs gousts de France. Bursinius ayant tout ce qu’un Homme de qualité peut souhaiter, & ne manquant point de plaisirs, devint éperduëment amoureux de Floriane, quoy qu’il ne fut pas d’une taille à faire croire qu’il mouroit d’amour. On veut que les Amans soient maigres, & que les Rois de Theatre soient gros & gras ; & l’on ne peut s’imaginer qu’un Homme frais, bien nourry & bien potelé, souffre en aimant autant qu’un autre ; ou ses soûpirs du moins ne font pas tant de pitié à celles qui croyent que les gros Hommes peuvent estre amoureux. Je ne sçay si la jeune Floriane fut bien touchée de l’amour de Bursinius, & c’est ce que personne n’a jamais pû sçavoir au vray. Je ne la crois pas insensible, mais je doute qu’elle soit capable d’une grande passion. Elle est menuë & de fort belle taille ; elle a le teint beau, & le parler un peu gras. Tout cela plût à Bursinius, puis qu’il l’aima, & qu’il luy rendit autant de soins, & luy donna autant de marques d’amour, que l’Amant le plus passionné auroit pû faire à une personne beaucoup plus au dessus de sa qualité. Le Mal de Mere auquel elle estoit sujette, fit souvent passer à Bursinius de mechantes apresdinées. Jamais Femme ne fut si tourmentée, & ne fut si sujette aux caprices de ce mal : Il luy prenoit quelquefois des envies de rire si furieuses, qu’elle rioit des heures entieres avec une impétuosité qui ne se peut exprimer ; Elle pleuroit en suite de mesme, & rioit incontinent apres avec le mesme éclat qu’auparavant. Elle avoit souvent des envies bizares & ridicules, & il luy en prenoit de tant de fortes que Bursinius crut que celle de le baiser luy prendroit un jour, & qu’elle l’embrasseroit avec tant de chaleur qu’elle en montroit pour toutes les choses qu’elle souhaitoit dans la violence de son mal. Son Amant remply de cet espoir, luy disoit souvent qu’il attendoit ce bienheureux moment, afin de luy en faire naistre l’envie, & elle luy répondoit en riant qu’il pouvoit esperer, & que ce qu’il souhaitoit arriveroit peut-estre. Ce fut ce qui l’obligea d’estre souvent témoin de tous les caprices de son mal ; & voicy ceux qu’il a essuyé le dernier jour qu’il l’a veuë. Comme elle causoit avec luy aupres du feu, & qu’elle estoit dans un serieux le plus grand du monde, il luy prit tout d’un coup envie de foüetter sa Fille, quoy qu’elle n’eut rien fait qui meritât ce chastiment. Bursinius qui ne vouloit empescher aucune de ses envies, la laissa faire. Quand celle-là fut satisfaite, il luy en prit une autre ; & le Laquais de Bursinius estant venu rendre réponse à son Maistre d’un message où il l’avoit envoyé, elle dit qu’elle avoit un desir furieux de le batre. Bursinius luy commanda de souffrir les coups de Floriane, & elle le battit avec des éclats de rire qui se faisoient entendre par tout le Logis ; & le pauvre Garçon se seroit retiré fort mal satisfait, si son Maistre ne luy eust pas payé les coups que Floriane luy avoit donnez. Ne vous prendra-t-il point bien-tost envie de me baiser, dit-il à cette Belle dés que son Laquais fut sorty de sa Chambre ? Vous trouverez dequoy vous satisfaire, & j’ay des jouës assez fraisches & assez belles, qui pouront vous contenter. Cela n’est pas si éloigné que vous pensez, luy repartit-elle ; mais il faut qu’auparavant je contente une envie qui me vient de prendre, & que quelque chose de gras, de doüillet & de potelé s’en ressente. Comme elle regardoit ses mains en proferant ses paroles, il crût qu’elle les vouloit baiser ; mais ce n’estoit rien moins que cela. Un moment apres qu’elle fit rougir les Pincettes, sans témoigner qu’elle eut aucun dessein, & sans mesme que Bursinius s’en apperçeut ; puis regardant ses doigts blancs et potelez avec une attention extraordinaire, elle les pressa tout à coup avec les Pincettes. Il fit un cry épouvantable, & se leva avec tant de fureur, qu’il fit non seulement tomber son siege, mais encor une petite table qui estoit aupres de luy. Jamais Homme ne témoigna plus de colere, & ne jura avec plus de justice. Il ne fit pas un long séjour dans la Chambre de Floriane apres cette avanture, & depuis ce temps il ne l’a point reveuë, & n’a pas mesme parlé d’elle : Ce n’est pas qu’il l’ait oubliée, il s’en souviendra plus longtemps que s’il en avoit obtenu toutes les faveurs que son amour auroit pû desirer.

[Chanson nouvelle de M. de la Cornuliere, dont l’Air a esté fait par M. Lambert] §

Le Mercure galant, 1673 (tome VI), p. 18-19.

Pendant qu’ils se reposeront, parlons de Chansons nouvelles. Je suis seur que vos belles Provinciales seront ravies d’en avoir, puis qu’elles écrivent souvent à Paris pour ne demander. Voicy un Couplet de Monsieur la Corniliere qui reüssit tres-bien en ces sortes de choses.

Chanson.

Il n’est point d’amour sans peine,
Ny sans amour de plaisir,
Quelque soin qu’un Amant prenne
Pour estre heureux sans souffir.
Il n’est point d’amour sans peine,
Ny sans amour de plaisir.

[Impromptu de M. le Duc de R…. sur lequel Mes. Lambert & le Camus ont fait chacun un Air] §

Le Mercure galant, 1673 (tome VI), p. 20.

Monsieur Lambert a fait un air sur ces paroles. Je ne vous dit point qu’il est beau, Monsieur Lambert n’en sçauroit faire d’autres. Voicy un autre Couplet fait impromptu par Monsieur le Duc de *** sur une belle Personne qui venoit de chanter devant luy. Monsieur Lambert a fait un Air dessus, & Monsieur le Camus en a fait un aussi.

Chanson.

QUe ta Voix divine me touche,
Et que je serois fortuné
Si je pouvois rendre à ta bouche
La plaisir qu’elle m’a donné.

[Autres Paroles mises en chant par M. Lambert] §

Le Mercure galant, 1673 (tome VI), p. 21.

Je croy que les paroles suivantes ne vous déplairont pas, du moins m’ont elles paru tres-agreables dans la bouche de Monsieur Lambert qui les a mises en chant.

Chanson.

    AU doux bruit des ruisseaux,
    Pour soulager mes maux,
    Dans ces Bois je soûpire ;
C’est là que sur les fleurs je me viens reposer,
Je ne quitterois pas ces lieux pour un Empire ;
Mais je les quitterois, Philis, pour un baiser.

[Autre Chanson dont une Dame de Caën a fait l’Air & les Paroles] §

Le Mercure galant, 1673 (tome VI), p. 22.

Je croy que toutes les beautez de ces Chançons ne vous empescheront pas d’en trouver dans le Couplet que vous aller voir. Il est d’une Dame de Caën qui a de l’esprit infiniment, & qui en a elle-même fait l’Air.

Chanson.

QUittons nostre Houlette,
Brisons nos Chalumeaux,
J’ay vu l’ingrate Annette
    Dessus l’herbette,
    Dancer à la Muzette
    De mes Rivaux.

[Paroles sur l’Air d’Aimable Jeunesse, faites par un grand Prince, contre la Vieillesse] §

Le Mercure galant, 1673 (tome VI), p. 22-25.

Puis que nous sommes sur le chapitre des Chansons, je ne puis m’empescher de vous dire des Paroles qui furent faites il y a quelques temps sur un air de Psyché. Un jeune Prince estoit avec des Dames que vous connoissez, lors qu’une Vieille leur vint rendre visite : Elle y fut si longtemps que la jeunesse s’en ennuya beaucoup ; & dés qu’elle fut sortie le Prince fit sur le champ ces Paroles sur l’Air de Aimable Jeunesse.

Chanson.

    AFfreuse vieillesse,
    Fuyez la jeunesse,
    Car vos vilains jours
    Font frayeur aux Amours.
    La mort à vous prendre
    Nous fait trop attendre :
    Quittez, quittez les plaisirs
    Qui sont tous vos desirs,
    Hastez-vous de rendre
    Les derniers soupirs.

[Nouvelle Académie galante, qui s’assemble une fois la semaine, & dont chaque Assemblée n’est ouverte que par un Discours qui regarde l’Amour] §

Le Mercure galant, 1673 (tome VI), p. 24-26.

Comme l’Amour a beaucoup de part à toutes ces Chansons, je croy ne pouvoir mieux finir un chapitre qui le regarde, qu’en disant que huit ou dix Personnes des plus spirituelles de Paris, de l’un & l’autre Sexe, ont depuis peu formé une espece de petit Academie Galante, qu’ils s’assemblent une fois chaque Semaine, & que les jours qui sont choisis pour s’entretenir, l’Assemblée n’est ouverte que par un Discours qui regarde l’Amour. Comme chacun doit parler à son tour, on tira au sort lors que l’on crea cette nouvelle Academie, pour sçavoir qui parleroit le premier. Monsieur de *** eut cet avantage, & voicy le sujet sur lequel il fit son Discours.

Et l’Amour a son heure aussi bien que la mort.

[Plusieurs Sonnets de differents Autheurs sur la prise de Mastric] §

Le Mercure galant, 1673 (tome VI), p. 26-32.

C’est assez parler de Galanterie, voyons si Messieurs les beaux Esprits ont excercé leur veine sur la Prise de Mastric. Monsieur Boyer a travaillé des premiers. Il a trouvé la matiere si belle, qu’il a voulu faire les deux sonnets que voicy.

Sur la prise

De Mastric.

Sonnet.

PArle, Grand Roy, choisis ou Sieges, ou Combats,
La victoire pour toy prompte à tout entreprende,
Cherche dans tes regards le chemin qu’il faut prendre,
Marche sans balancer, elle suivra tes pas.
    S’il faut du dernier coup accabler des Ingrats,
Ton destin est de vaincre, & le leur de se rendre ;
Et le fameux Mastric n’a paru se defendre,
Que pour fournir encor un triomphe a ton bras.
    Ton Camp suivant toûjours l’exemple qui le guide,
Ou plutost entrainé par ta valeur rapide,
Ne connoist ny peril, ny sommeil, ny repos.
    Tout est plein du Monarque, & sa force suprême
Anime tous les siens, les transforme en luy-mesme,
Et de tous ses Soldats fait autant de Heros.

Autre sur le mesme Sujet.

ENfin, nos Ennemis ramassans leur puissance,
Ont voulu de Louis arrester les desseins,
Et rendre quelques jours ses succez incertains ;
Mais qu’a fait contre luy toute leur resistance ?
    L’air, la terre, l’Enfer armez pour leur defense,
Ces fiers deluges d’eau, ces orages soudains,
Cette gresle, ce plomb, ces foudres soûterains,
N’ont fait que du Vainqueur irriter la vaillance.
    Son courage & l’ardeur de ces braves Guerriers,
S’enflâme par le prix de ces fameux Lauriers
Qu’ils viennent de cüeillir au milieu des tempestes.
    Le Sort trop complaisant rebutoit ses souhaits,
Et l’on l’a veu tenté de nous donner la Paix,
Par l’importun dégoust des faciles Conquestes.

Je ne sçay, Madame, lequel vous plaira le plus, les Roy a mieux aimé le second, & je croy que vous serez de son goust. En voicy un d’un autre Autheur qui a trouvé des partisans.

Sur la prise

De Mastric

Sonnet.

LE Rhin fier d’avoir veu sur sa rive pompeuse
Planter les Etendars du Monarque François,
Et forcer à ses yeux cent remparts à la fois,
Bravoit insolemment le destin de la Meuse.
    Quand pour rendre leur gloire également fameuse,
Ce Monarque puissant, le modelle des Rois,
Sur les bords de ce Fleuve étendans ses Exploits,
Du superbe Mastric fit la conqueste heureuse.
    Ces deux Fleuves contens roulent en-orgueillis
De se voir couronnez de Palmes & de Lys ;
Et rassemblant enfin leur course vagabonde,
    S’en vont à l’Ocean dire aux Flots débordez,
Louis vient de triompher sur vos bords inondez :
Retirez-vous, Mutins, place au Vainqueur du Monde.

[Chanson sur la prise de Mastric] §

Le Mercure galant, 1673 (tome VI), p. 32-34.

On n’a pas seulement fait des Sonnets sur la Conqueste de Mastric ; & d’autres en voulant parler plus gayement, en ont veritablement chanté le Prise, puis qu’ils ont fait des Chansons. En voicy une qui a fait du bruit, & dont on a esté satisfait à la Cour.

Sur la prise

De Mastric

Chanson.

MAstric est pris, prenons le Verre,
Allons, allons, Amis buvons,
Et faisons ce que nous pouvons
Pour égaler les Gens de guerre.
Tout le monde n’a pas dequoy
        Servir le Roy
        Dans un employ
Tel que celuy du grand Louvoy :
Il faut que chacun se dispose
À faire ce qu’il peut de soy :
        Et c’est pourquoy
Moy, qui ne puis faire autre chose,
        Du moins je boy.
Si je ne suis pas assez brave
Pour grimper sur un Bastion,
Au moins en honneste Poltron,
Je veux m’enterrer dans ma Cave.
Quand j’aprends que sa Majesté
        N’a pas quité
        De tout l’Esté,
D’un pas son Camp ensanglanté,
Qu’il coure le peril & la gloire,
Avec cent Gens de Qualité,
        En vérité,
Que puis-je moins que d’aller boire
        À sa santé ?

[Dialogue d’un Berger & d’une Bergere, mise en musique par M. Vignon] §

Le Mercure galant, 1673 (tome VI), p. 35-37.

Cette Chanson me fait ressouvenir d’un Dialogue que vous serez peut-estre bien aise d’apprendre, quoy qu’il ne soit pas sur la prise de Mastric : Il a esté mis en Musique par un grand Maistre, & vous n’en douterez pas, quand vous sçaurez que c’est Monsieur Vignon.

Dialogue d’un

Berger & d’une Bergere.

Le Berger.

ENfin apres une cruelle absence,
Je revois les beaux yeux qui sçurent m’engager.

La Bergere.

Enfin apres une si longue absence,
Je retrouve en ces lieux mon fidele Berger.

Le Berger.

O l’heureux jour !

La Bergere.

        O le bonheur extreme !

Le Berger.

Ah qu’il est doux de revoir ce qu’on aime !

La Bergere.

Tirsis !

Le Berger.

    Philis !

La Bergere.

        Beaux yeux !

Le Berger.

    Adorables attraits !

Ensemble.

Puisqu’un sort si doux nous rassemble.

La Bergere.

Ne nous separons point.

Le Berger.

        Ne nous quittons jamais

Ensemble

Et vivons & mourons ensemble.

[Sonnet de M. de Corneille l’aisné, sur la prise de Mastric] §

Le Mercure galant, 1673 (tome VI), p. 37-39.

On vient de m’apporter encor un Sonnet sur la prise de Mastric, que je croy, Madame, que vous serez bien aise d’avoir, puis qu’il est du grand Corneille : Il a plû & à la Cour & à la Ville, & je ne doute point que votre Province ne soit du mesme sentiment.

Sur la prise

De Mastric

Sonnet.

GRand Roy, Mastric est pris, & pris en treize jours ;
Ce miracle estoit seur à ta haute conduite,
Et n’a rien d’étonnant que cette heureuse suite,
Qui de tes grands destins enfle le juste cours.
    La Holande qui voit du reste de ses Tours,
Ses Amis consternez & sa fortune en fuite,
N’aspire qu’à baiser la main qui l’a détruite,
Et fait de tes bontez son unique recours.
    Une Clef qu’on te rend t’ouvre quatre Provinces ;
Tu ne prens qu’une Place & fais trembler cens Princes,
De l’Escaut jusqu’à l’Ebre en rejaillit l’effroy.
    Tout s’allarme, & l’Empire à tel point se mènage,
Qu’à son Aigle luy-mesme il ferme le passage,
Dès que son vol jaloux ose tourner vers toy.

[Madrigal de Mad. De Scudery sur la prise de Mastric] §

Le Mercure galant, 1673 (tome VI), p. 42-43.

En vous parlant des Vers qui ont esté faits sur la Prise de Mastric, j’ay oublié de vous parler de ceux de Mademoiselle de Scudery. Comme il ne sort rien de sa Plume, qui ne soit confiderable, je croy que vous ne m’auriez pas pardonné. Elle a dit beaucoup en peu de paroles, & voicy le Madrigal qu’elle a fait.

Madrgial

De Mademoiselle de Scudéry, sur la prise de Mastric.

MAstric, quand de Louis vous recevez la loy,
    Soûmettez-vous avecque joye,
Vostre prise est un bien que le Ciel vous envoye :
Vous perdez cent Tyrans, & vous gagnez un Roy ;
Mais un Roy si puissant, si grand, si redoutable,
Que son Nom seulement vous va rendre imprenable.

[Regale donné à S. Oüen à S. Altesse Royale & toute sa Cour par M. de Boisfranc Surintendant des Finances de sa Maison] §

Le Mercure galant, 1673 (tome VI), p. 46-50.

Le lendemain Monsieur de Boisfranc, Sur-Intendant des Finances de la Maison de Monsieur, regala dans sa Maison de S. Oüen toute la compagnie. On se promena d’abord sur les Terrasses & dans les Jardins, où l’on entendit de tous costez des Violons, des Muzettes & des Hautbois qui estoient cachez derriere des Buissons. Apres que l’on se fut promené long-temps, & que l’on eut visité tous les Appartemens de cette belle Maison, on servit une Collation de viandes & de fruits pour Monsieur & Madame, & pour vingt Femmes de la plus haute Qualité. Les Violons divertirent d’autant plus pendant ce magnifique Repas, qu’ils estoient placez dans un Salon fort propre à bien faire entendre de pareils Instrumens, & qui en multiplioit les sons. On servit en suite plusieurs autres Tables pour les Personnes de Qualité qui se trouverent à cette Feste, & tous les Officiers de Monsieur furent parfaitement bien regalez. Chacun ne fut pas plutost levé de table, qu’on apperçeut au bout du Salon, un Theatre tout brillant, & dont la Décoration n’estoit que de Vazes garnis de fleurs, & de Gueridons dorez, remplis de Girandolles. On representa sur ce Theatre une Piece de Monsieur Racine ; le nom de l’Autheur doit faire juger de la beauté de l’Ouvrage ; & l’on eut ensuite le Crispin Medecin, Comedie en trois Actes du Sieur de Haute-Roche, que Monsieur avoit souhaité, parce qu’il l’avoit déja veu, & s’y estoit diverty, ainsi qu’à toutes celles de cet Autheur qui ont toûjours réüssy.

[Description d’une Feste surprenante pour la prise de Mastric, faite pas M. le Marquis de Castres, Lieutenant de Roy en Languedoc] §

Le Mercure galant, 1673 (tome VI), p. 52-56.

Les Réjoüissances qu’on a faites dans toutes les Villes de France pour la Prise de Mastric, ont esté extraordinaires, & l’on n’a jamais tant veu de Musique accompagner de superbes Repas. Monsieur le Marquis de Castres, Lieutenant de Roy en Languedoc, & Gouverneur de la Ville & Citadelle de Montpellier, a fait en cette occasion, tout ce qu’un grand Seigneur peut faire. La Feste commença par un magnifique Disner, qu’il donna à la Noblesse qui s’estoit renduë aupres de luy pour l’accompagner au Te Deum. La mesme compagnie fut encor regalée à Souper avec plus de soixante Dames qualifiées qui s’estoient renduës chez Madame la Marquise de Castres. Cette chere dura depuis sept heures du soir jusques à neuf, que le Corps de Ville, & les Sixains qu’on avoit mis sous les armes, vinrent prendre Monsieur le Marquis de Castres, pour le conduire en la Place de l’Hostel de Ville, dans laquelle on avoit dressé un Feu d’artifice. Je laisse tout ce qui s’y passa, pour vous dire que la compagnie l’ayant ramené en sa Maison, on la trouva éclairée d’un nombre infiny de lumieres dont les Portiques qui estoient aux deux bouts d’une Galerie estoient remplis, ainsi que le Frontispice de la Maison ; le dessus de la Ruë estot fermé d’un ciel, & plusieurs Fontaines de Vin couloient à chaque costé des Portiques. Le Pavé de la principale Court estoit couvert de gazon, & les places pour les Dames l’estoient aussi en forme d’Amphitheatre. Cette Court estoit pareillement contournée de Portiques de verdure, ainsi que son platfonds orné de quantité de Miroirs & de Lustres. Le Bal fut commencé dans cette Salle, par Monsieur le Marquis de Castres le jeune, & l’on y servit une Collation magnifique. Ce grand Divertissement finit par un Feu d’artifice qui estoit préparé dans une autre court. Le Peuple fut aussi regalé pendant toute la nuit sur des Tables dressées dans la Ruë couverte par laquelle on aborde en ce Logis.

[Distribution des Prix de l’Académie Françoise le jour de la S. Louis… ] §

Le Mercure galant, 1673 (tome VI), p. 61-65.

Pendant que les Troupes du Roy font de tous costez de si belles actions, voyons ce que font les Muzes ; elles ont plus de travail que jamais, & sont à l’abry des insultes dans le Palais du plus grand Roy du monde ; ce fut là où le jour de Saint Louïs on distribua les Prix de l’Academie, en presence de Monsieur l’Archevesque de Paris, de Monsieur Colbert, & de pres de deux cens Personnes de Qualité. Monsieur l’abbé de Maupertuys eut celuy de la Prose, & Monsieur de Genest celuy des Vers. Je ne vous parlerai point de leurs Ouvrages, vous devez croire qu’ils estoient tres-beaux, puis qu’ils ont emporté le Prix. Après la lecture de ces deux Pieces, Monsieur l’Abbé Tallemant le jeune fit un Discours à la gloire du Roy, qui charma toute l’Assemblée, & je ne croy pas que l’on ait jamais rien fait, ny qu’on puisse rien faire de plus beau sur cette matière, & les applaudissemens qu’il reçeut, furent si frequens, qu’à peine luy laissa-t-on le temps de parler. On lût en suite de ce Discours une Ode de Monsieur Desmarests, qui a fait autrefois la Comedie des Visionnaires, & le Grand Clovis, Poëme Heroïque. Ce dernier Ouvrage estoit contre le goust du Siecle, & contre ceux dont la cabale fait réüssir les Ouvrages. Le nombre en est grand, & les exemples les plus éclatans s’en voyent quelquefois au Theatre. La compagnie fut encore encor regalée d’une Ode de Monsieur Boyer sur la prise de Mastric : On y trouva de l’invention, de l’esprit, & du feu, & la compagnie se separa en donnant mille loüanges à ces illustres Auhteurs.

[Mort de M. l’Abbé d’Aubignac. Noms de ceux de son Academie qui en pouroient estre Directeurs] §

Le Mercure galant, 1673 (tome VI), p. 65-67.

En parlant des vivans, je ne doy pas oublier les morts qui avoient quelque merite, & je doy vous apprendre que Monsieur l’Abbé d’Aubignac est mort, & que son Académie cesse par son trépas ; ce n’est pas que Monsieur l’evesque de Senez, cy-devant Abbé de Villeserain, & Monsieur de Vaumorieres, ne fussent tres-capables de la soûtenir, s’ils s’en vouloient donner la peine mais celuy-cy aime son Divertissement, & l’autre est trop attaché à son Diocese, où il réüssit admirablement bien. Monsieur d’Aubignac s’estoit rendu celebre par une grand erudition, & par plusieurs Pieces d’Eloquence qu’il a données au Public, du nombre desquelles sont l’Oraison funebre de l’Admiral de Brezé, & celle du Mareschal de Rantzau, qui sont deux des plus beaux Ouvrages que nous ayons en ce genre. Il a de plus composé la Pratique du Theatre, où il y a des choses tres-doctes, & tres-recherchées, & qui peuvent servir de regle à ceux qui s’attachent à ces sortes d’Ouvrages, qui sont en regne depuis plusieurs Siecle. Il s’est veu plusieurs choses qui n’ont pas plû si long-temps, & vous n’en douterez point en lisant le chapitre de Modes, dont vous voulez que je vous entretienne chaque fois que j’ay l’honneur de vous écrire.

[Elegie sur une joüissance, en songe] §

Le Mercure galant, 1673 (tome VI), p. 78-88.

Vociy quelques Vers qui vous divertiront peut-estre davantage.

Elegie.

JE vous aime, Amarante, & l’ardeur qui me presse
Depuis assez long-temps vous fait voir ma tendresse,
Et mon cœur à vos pieds avec mille plaisirs,
Vous a sacrifié ses plus ardens soûpirs ;
Toûjours constant, toûjours & discret & fidelle,
Avec les mesmes feux, avec le mesme zele.
Il a bruslé malgré vos infidelitez,
Il a mesme adoré jusqu’à vos cruautez :
De sa tendresse, enfin, pleinement convaincuë,
Le voyant si constant, vous estes revenuë,
Et le votre charmé d’un si fidelle amour,
A sçeu flater le mien d’un aimable retour.
Hé bien nous nous aimons, mon cœur est tout au vostre,
Nos Lettres, nos soûpirs nous l’ont dit l’un à l’autre ;
Mais à quoy serviront nos Lettres, nos soûpirs,
Si nous n’avons tous deux d’autres pressans desirs ?
Que nous servira d’estre en la fleur de nostre age,
D’avoir de la tendresse, & n’en point faire usage ;
Et de ne point gouster les plaisirs innocens,
Dont un parfaict amour a charmé tous nos sens ?
Helas ! quand je vous voy, toute mon ame émeuë,
Se trouble & s’interdit à cette chere veuë,
Mille brûlans desirs assassinent mon cœur,
Il se coule en mes sens une aimable langueur,
Je ne sçay quoy de doux me saisit & me presse,
Mon cœur ne peut suffire à toute sa tendresse,
Nuit & jour il soûpire, & mesme loin de vous
Mon esprit n’est remply que d’un objet si doux,
Vous occupez toûjours mon cœur & ma pensée.
Helas ! il m’en souvient ; pendant la nuit passée
Je revois que j’estois tout seul à vos genoux,
N’ayant que nostre amour pour témoin avec nous.
Dans les premiers instans de nos langues muettes,
Nos yeux & nos soûpirs furent les interpretes,
Mon amour plus hardy s’expliqua la premier,
Le vostre plus timide éclata le dernier.
Cent promesses alors, tendres & mutuelles,
Mille & mille sermens de nous estre fidelles,
Mes larmes, mes soûpirs & mes empressements
Sembloient vous ébranler dans ces heureux momens ;
Vostre cœur me parut s’atendrir à ma veuë,
Et mon émotion rendit votre ame émeuë ;
Je vous pressay, vos mains repoussoient foiblement
L’impetueux transport d’un si beau mouvement.
La langueur de vos yeux qui sembloit les dédire,
Me disoit en secret, voy mon cœur qui soûpire,
Je l’entendois ; le mien si tendre & si discret,
Par ses brûlant transport vous pressoit en secret.
Voyant des yeux si doux, une bouche adorable,
J’estois dans un estat & tendre & pitoyable,
Une gorge charmante allumant mes desirs,
S’enfloit & repoussoit mes mains par vos soûpirs :
Enfin je m’enhardis, sur vostre aimable bouche
Un long baiser la sçeut rendre un peu moins farouche,
J’en appuye un second si charmant & si doux,
Qu’enyvrè de plaisirs & mourant pres de vous,
Sur nos levres alors nos deux ames unies,
Goustoient en se pasmant des douceurs infinies.
Je fis plus, & prenant de plus hardis desseins,
Je les exectutay par mes tremblantes mains.
Ah ! que j’eus de plaisirs, que de charmantes choses
S’offrirent à mes yeux, que de Lys & de Roses
Je pillay, je foulay dans mes plus beaux transports,
Ebloüy des beautez d’un adorable corps :
Transformé tout en vous ; & hors tout de moy-mesme,
Je tombe & je me pasme en ce desordre extréme,
Je m’agite, me tourne & dans ces doux efforts,
En croyant embrasser encor un si beau corps,
Je m’esveille, me trouve en mon lit triste & sombre,
Et vis évanoüir mesme jusqu’à vostre ombre.
Voilà de mon sommeil le succez & le fruit :
Que j’aurois immolé de jours pour cette nuit !
Nuit qui me fut si chere, & dont le doux mensonge
M’a tant fait en veillant souhaiter ce beau songe ;
Mais si ce songe enfin devenoit veritè,
Pourions-nous pas en faire une realitè ?
Je vous aime, ou plutost mon ame vous adore,
Vous m’aimez & brûlez du feu qui me devore ;
Je suis respectueux, ardent, tendre & discret,
Je sçais si bien me taire & garder le secret ;
Parlez, à quoy tient-il, ma divine Amarante,
Et que vous servira d’estre belle & charmante,
Moy fidelle, soûmis, discret, tendre, amoureux,
Si nous laissons languir le plus beau de nos feux ?
Si pour moy vostre cœur & languissant & tendre…..
Est-il assez cruel encor pour se defendre ?
Ayant donnè le cœur, que peut-on refuser ?
Ah ! si je vous croyois, il pouroit tout oser ;
Mais si le mien a fait cette illustre conqueste,
Que de charmans plaisirs dans un doux teste-à-teste !
Oüy, c’est là qu’il m’en faut expliquer avec vous :
Vous m’aimez, je vous aime, helas ! qu’attendons-nous ?

Ces Vers ont plû à beaucoup de Gens, & je croy que les Amans passionnez les doivent trouver à leur goust.

[Vers sur l’Histoire du Moineau du cinquième Tome du Mercure Galant] §

Le Mercure galant, 1673 (tome VI), p. 88-91.

En voicy d’autres qui ont esté faits sur l’anvanture du Moineau dont je vous ay déja parlé.

Le bruit coure qu’un petit Moineau,
Mais un franc masle à groge noire,
Cretè, barbè, galant & beau,
Qui sans doute avoit mis sa gloire
À faire des Moineaux Coucous,
Se voyant choisis pour Epoux
D’une tres-gentille Femelle,
Et mis en mesme Cage qu’elle,
Caressa tellement la belle,
Luy donnant mille petits coups,
Que la pauvrette en eut dans l’aisle,
Depuis ce tems la Demoiselle,
Toûjours fiere & toûjours rebelle,
Ne voulant souffrir le devoir,
Le fuyoit sans le vouloir voir.
La raison est qu’elle estoit Mere
De trois ou quatre petit Œufs,
Fruit de leurs larcins amoureux.
La Masle tout bouffy d’amour & de colere,
Alloit sans cesse la trouver,
Et l’empeschoit de les couver.
Elle trop prude & continente,
Qui vouloit estre Mere, & n’estoit plus Galante,
Songeant à generation,
Interdisoit son action.
Ce petit Tarquin jure & grogne
D’une tant austere vertu,
Rare en son Siecle si tortu,
Et veut aller droit en besogne.
Elle d’un modeste refu,
Baisse la teste & tient ses œufs reclus.
Et luy donne quelques coups d’ailes,
Luy transporte d’amour pour elle,
Dit ce qu’il peut en langue de Moineau,
Et tache de paroistre beau,
Pour s’attirer quelque caresse,
Disant, ma petite Maistresse,
Je suisse frais & si dodu,
Je vous fais si souvent ressentir ma tendresse,
Je suis comme un Pigeon patu,
Vous belle comme une Colombe,
À certain desir je succombe.
Helas ! vous m’entendez si bien.
Je ne puis, rèpond la Femelle,
Et ma foy je n’en feray rien.
Parbleu tu le feras, cruelle,
Rèpondit le Masle en couroux.
Alors luy donnant mille coups
De bec & d’argot sur la teste.
Et de rage ardamment épris,
Luy fait voler plume & cervelle,
Tant qu’enfin la pauvre Femelle
Perdit son sans & ses esprits,
Et par sa mort termina la querelle.
    O prodige rare & nouveau !
    O continence sans seconde !
    Est-il quelque Femelle au monde,
Qui quittât le plaisir & choisit le tombeau,
Aupres d’un Masle ardent & chaud comme un Moineau.

[Lettre à une Dame de Nimegue, touchant ce que l’Autheur pensoit de toutes les Femmes de Holande] §

Le Mercure galant, 1673 (tome VI), p. 91-100.

Je croy que ces Vers ne peuvent estre mieux accompagnez, que d’une Lettre qui m’est tombée entre les mains, Elle est d’un Homme qui peut avec justice passer pour bel esprit. Les Affaires du Roy l’ayant appelé à Zutphen, apres y avoir séjourné quelque temps, il fut voir Nimégue, & à son retour il écrivit cette Lettre à une Dame qu’il avoit veuë.

À Madame ***

À Nimégue.

Je vais enfin vous obéïr, Madame, quelque effort de memoire qu’il m’en couste ; & si vous lisez cette Lettre, vous verrez que j’ay rappellé les idées que je m’estoit formé en France, des Femmes de ce Pays. Pour vous avoüer ingenuëment toutes choses, je ne faisoit nulle difference du Duché de Gueldres & de la Comté de Hollande, & je croyois que toutes les Sujettes des Estats Generaux estoient grosses statuës paistries de beurre & de fromage, que le bon Dieu n’avoit animées que pour les faire croistre comme le Lierre, toûjours en s’élargissant. Je m’imaginois qu’un visage aussi boursoufflé qu’on nous dépeint les Vents, & aussi rond que la Lune en son plein, faisoit la moitié de leur taille, que le reste jusqu’à terre estoit une paire de gros Tétons, accablez de tant d’embonpoint qu’ils se laissoient tomber sur le ventre, & que ce ventre estoit assez bien entripaillé pour faire la simétrie avec un dos rond à proportion. Jugez, Madame, s’il vous plaist, ce que cette disposition me permettoit de croire de leur démarche, si j’estois peu en peine de sçavoir comment elles pouvoient traîner ce plantureux amas de graisse, & si apres cela je croyois qu’elles sçeussent danser, à moins de me representer des Potirons qu’on faisoit remuer par machines. Pour leur esprit, je ne puis donner aucun caractere à ce que j’en concevois. Je le croyois materiel, mais d’une matiere si épaisse, que rien ne pouvoit la pénetrer : leur entretien me paroissoit plus plein de confusion, que les pensées que j’en avois. Je me les representois composé d’un rire perpetuel, parce que je ne croyois pas que le tabac leur laissât de belles dents, ny que leur silence fut agreable, parce qu’il devoit leur inspirer une nonchalance qui panchoit trop vers l’affectation campagnarde[.] En un mot leur enjoûment me faisoit rire, & à mon gré rien ne leur siéoit bien. La fievre chaude n’a jamais donné de visions plus comiques que celles que j’avois de leur galanterie. Je m’imagninois que la Ruelle la plus en vogue, estoit la Cheminée sous laquelle on fumoit le plus ; que les Cadeaux les plus magnifiques estoient des Ambigus composez d’un bassin de Pipes, de deux assiettes de Tabac haché, d’un pot de Biere, & d’une mesure de bran de vin, le tout cantonné de quelques Plats pleins de saucroute, de beurre & de fromage ; que l’Amour qui inspire ordinairement du respect & de la crainte , ne faisoit naistre icy qu’une familiarité sans façon, & que les soûpirs qu’on jugeoit les plus passionnez estoient ceux qui sentoient une double doze de beurre fort, d’eau de vie bruslée, & de biere aigrie. Je ne me formois aucune idée du langage de leur amour, parce que je ne croyois pas que l’on fut capable icy de rien dire de tendre. Je croyois seulement que chacun avoit grand soin de son corps, & que la delicatesse de leur regime estoit bornée à prendre tous les matins en se réveillant une grande soupe au vin, dans laquelle on mettoit quantité de ce boüillon.

Voilà, Madame, une confession sincere de mes heresies, que je vous prie de pardonner à mon ignorance. Recevez, s’il vous plaist, le repentir que j’en ay, l’abjuration que j’en fais, & l’assurance que je vous donne que je croiray toute ma vie des Dames de ce Pays les belles veritez que mes yeux en ont veües. Je suis, Madame, &c.

L’Echange. Nouvelle §

Le Mercure galant, 1673 (tome VI), p. 100-109.

Voicy une Nouvelle que l’on me vient d’apprendre ; & comme on m’a assuré qu’elle estoit veritable, & mesme quelle estoit arrivée à Roüen, j’ay crû que je vous en devois faire part.

L’Echange.

Nouvelle.

DEux Amis qui n’estoient mariez que depuis un an, & dont l’un avoit épousé une belle Femme, & l’autre une laide, se promenoit un jour ensemble, se dirent l’un à l’autre qu’ils avoient de cruels chagrins qu’ils ne pouvoient plus suporter, & qui les feroient assurément mourir. Celuy qui avoit épousé la laide Femme, & qui se nommoit Cleon, dit à Ariste, (c’est ainsi que s’appelloit le Mary de la Belle) qu’il s’étonnoit de luy voir tant de chargin, puis qu’il avoit une si belle Femme, que tout le monde portoit envie à son bonheur. Il n’en demeura pas là, à pendant plus d’un quart d’heure il luy exagera tous les avantages qu’un Mary pouvoit tirer d’une belle Femme, & combien mesme sans rien faire qui blessat son honneur en aucune maniere, elle pouvoit estre utile au bien de ses affaires. Ariste l’écouta patiamment, & apres avoir combatu toutes ses raisons, il voulut luy persuader qu’un Mary ne pouvoit vivre heureux avec une Femme, à moins qu’elle ne fut laide. Ils ne persuaderent point l’un l’autre ; ce qui fut cause qu’apres une heure de conversation, & beaucoup de plaisantes repliques de part & d’autre, ils se proposerent d’en faire un Echange. Chacun en demeura d’accord, & apres s’estre juré plusieurs fois qu’ils se tiendroient parole, chacun eust si peur que son Amy n’en manquât, qu’ils furent chez un Notaire pour en passer un Acte. Ils ne trouverent qu’un jeune Clerc assez innocent, & qui estoit depuis peu dans l’Etude du Notaire ; de maniere que ces Messieurs qui sçavoient plus de pratiques que luy, luy dicterent eux-mesmes ce qu’ils vouloient. Celuy qui devoit prendre la laide Femme, demanda du retour de son Amy, qui ne souhaitant rien de plus que de s’en voir déchargé, luy donna un beau Cheval qu’il avoit, apres quoy ils signerent l’Acte. Le Notaire estant sorty pour quelques affaires pressées, ne revint que le soir : Il avoit un Maistre Clerc en qui il se fioit beaucoup, & qui estoit chez ses Parens. Il trouva en rentrant chez luy plusieurs Actes qu’ils avoient faits ; & celuy de l’Echange des Femmes d’Ariste & de Cleon s’estant trouvé parmy ceux que ce Maistre avoit dressez, le Notaire les signa tous, sans prendre garde qu’il y en avoit un de son jeune Clerc ; de sorte que cet Acte d’Echange de Femme fut en bonne forme passé par devant Notaire. Ces deux Maris estant ainsi d’accord, & croyant mesme ne pouvoir plus s’en dédire, porterent cette Nouvelle à leurs Femmes ; mais ils eurent l’esprit de ne leur en parler qu’apres les avoir querellez avec beaucoup d’emportement sur des sujets qu’ils eurent l’adresse de faire naistre sur le champ ; ce qui fut cause que sans balancer un moment, elles donnerent leur consentement à cet Echange, & que mesme elles executerent le Traité avec beaucoup de plaisir. Elles vescurent quelques temps assez bien avec ses nouveaux Marys, & ne leur donnerent aucuns sujets de se plaindre d’elles ; mais enfin elles s’en lasserent, ainsi qu’elles avoient fait des autres, & les firent enrager chacune à leur maniere ; de sorte que celuy qui avoit pris la laide, se plaignit & dit qu’au lieu d’une Femme, il avoit deux Bestes à nourrir, que cela luy coustoit trop, & qu’il ne vouloit plus tenir l’accord qu’il avoit fait. Quoy que celuy qui avoit la belle n’eut pas plus sujet d’estre satisfait que celuy qui avoit bien voulu se charger de la laide, il ne voulust point consentir à rompre le Traité, & dit pour ses raisons, que si c’estoit un mal necessaire que celuy de souffrir d’une Femme, il aimoit mieux vivre avec une belle & endurer d’elle, que passer ses jours avec une laide. Cette réponse ne satisfit pas son Amy, qui voulut plaider pour ravoir sa Femme. Le Procez est encor indécis, & cette Cause sans doute divertira bien les Juges, & leur poura tenir lieu de Comedie le jour qu’elle sera plaidée.

[Eglogue de Celimene et d’Amarillis] §

Le Mercure galant, 1673 (tome VI), p. 109-123.

Pour passer de la Prose au Vers, je vous envoye une Eglogue qui a esté icy estime de toutes les Personnes de bon goust, & par cette raison je ne doute pas qu’elle ne soit selon le vostre.

Eglogue.

Celimene.

LEvons-nous j’entrevoy quelque foible clarté,
Qui déjà de la nuit perce l’obscurité.

Amarillis.

Quel chagrin vous travaille ? il n’est pas le jour encore,
Vous me faites lever plus matin que l’Aurore.
Pourquoy toute la nuit vous plaindre, soûpirer ?
Avez-vous rien à craindre, ou rien à desirer ?
Vous ne paroissez plus cette Fille si sage,
Qui donniez des conseils à tout noste Village,
Que chacun reveroit, & de qui nos Bergers
Apprenoient les vertus aux Climats ètrangers ;
Vostre Cœur si reglé, si fort, si magnanime,
De quelque passion seroit-il la victime ?

Celimene.

Je souffre, Amarillis, les maux les plus cruels,
Qu’ayent inventé les Dieux pour punir les Mortels.
En attendant le jour, allons dans la Prairie,
Et laissons nos Troupeaux dans nostre Bergerie.
Allons, je t’apprendray par mes tristes discours,
Quel malheur a troublé le repos de mes jours.
Que j’aime les horreurs de cette nuit obscure !
Tout est calme en ce lieu, & toute la Nature
Attend paisiblement le retour du Soleil,
Et trouve le repos dans les bras du Sommeil.
O nuit couvre-toy bien de tes plus sombres voiles,
Cache nous la clarté de toutes les Estoilles,
Porte de toutes parts la terreur & l’effroy,
L’ame d’Alcidamis est plus noire que toy.
Que ce perfide en qui j’ay trouvé tant de charmes,
Ma chere Amarillis, me va couster de larmes !

Amarillis.

Pourquoy vous plaignez-vous de vos plus chers Amis ?
Dequoy soupçonnez-vous le jeune Alcidamis,
Qui méprise pour vous tant d’aimbales personnes,
Et de toutes nos fleurs vous offre des Couronnes ?

Celimene.

Hé bien, Amarillis, voy l’horreur de mon sort,
Le mesme Alcidamis me va donner la mort ;
De la simple amitié la trompeuse apparence,
Cache de nostre amour toute l’intelligence,
Et toy mesme qui crois me connoistre si bien,
Qui me voit tous les jours, tu n’en soupçonnes rien ?
Perisse ce secret pour vanger mon injure,
Et parlons d’un ingrat à toute la Nature.
D’un air indifferent, sous des climats heureux,
Je voyois à mes pieds cent Bergers amoureux,
Je fuyois l’Amour les dangereux caprices,
Du soin de mes Troupeaux, je faisois mes delices,
Et mon cœur ne formoit que d’innocens desirs,
Qui portoient avec eux de tranquiles plaisirs.
Je passois doucement mes premieres annees,
Lors que pour traverser mes douces destinées,
Il t’en peut souvenir mille maux differens
Vinrent tout à la fois accabler mes Parens :
Pour fuir nos ennemis, pour èviter leur rage,
Il nous fullut quitter nostre aimable rivage :
Nous partismes. Je crus suivre l’ordre des Dieux.
Sans prevoir mon malheur, j’arrivay dans ces lieux.
D’un visage serain, & d’un esprit tranquile,
Je courois à la mort en cherchant un azile.
Parmy tous vos Bergers, je vis Alcidamis,
Et le reçeus au rang de mes tendres Amis
D’abord pour me montrer une ardeur peu commune,
De mes tristes Parens il suivit la fortune.
Je vis avec plaisir qu’il s’exposa pour nous.
Entre tous mes Amis, je l’aimay plus que tous,
Nous meslions nos Troupeaux sur les vertes fougeres,
Et je le vis pour moy mépriser vos Bergeres.
Dans un estat si calme & si plein de douceur,
Certain poison secret s’empara de mon cœur.
Helas ! qu’il est bien vray qu’on a qu’un pas à faire
D’une amitié si tendre à l’amour volontaire !
Cent fois pour te tromper je l’ay dit autrement ;
Mais je sçais que ce pas se franchit aisément,
Et qu’un Berger aimable avec un peu d’adresse,
Fait de sa tendre Amie aisément sa Maistresse.
Le Dieu de qui le nom épouvante & fait peur,
N’a que ce seul moyen pour surprendre un grand cœur :
Souvent jusqu’à l’amour le seul destin entraisne,
Mais bien souvent aussi l’amitié nous y mene ;
Et mesme cet amour se cache mieux à tous,
Il a je ne sçay quoy de solide & de doux,
Et cet Enfant retient d’une si sage Mere,
Ce qu’elle a d’innocent, de reglé, de sincere.
Ce voile d’amitié luy donnans un faux jour,
Sous ce déguisement je mèconnus l’Amour,
Et sans m’épouvanter de l’ardeur qui m’enflame,
J’avoüay librement le trouble de mon ame.
L’ingrat de qui je vis hier èteindre tout le feu,
Sçait bien de quels plaisirs le combla cet aveu :
Je le vis à mes pieds me protester sans cesse,
Qu’il en croyoit mourir de joye & de tendresse.
Helas ! quand il se vit absolu sur mon cœur,
Il agit en Tyran, en lâche usurpateur
Mille fois chaque jour, il m’insulte, il me brave,
D’un sujet volontaire, il en fait son esclave ;
Mais quand le choix est fait, il faut jusqu’à la mort
Accomplir constamment tous les ordres du sort.
La raison qui s’oppose à notre ardeur naissante,
Soûtient quand il le faut nostre amour chancelante.
Vous avez mèprisé, dit-elle, mon secours,
Mais puis que vous aimez, il faut aimer toûjours.
Voit-on, Amarillis, un sort plus pitoyable ?
Aussi-tost que j’aimay, je parus moins aimable :
Cependant nostre amour dans ces funestes lieux,
N’est encore connu que de nous & des Dieux.
Le Ciel enfin lassé de nous faire la guerre,
Permet à mes Parens de quitter cette terre.
Tu sçais quels changements mettent fin à leurs pleurs.
Je vois finir leurs maux & croitre mes douleurs.
Je plains Alcidamis malgré ses injustices,
Son cœur, Amarillis, est tout plein d’artifices,
Et j’eus tort d’esperer que je verrois un jour
Renaistre dans ce cœur & l’estime & l’amour.
Que te diray-je plus dans mon malheur extrème ?
Cet ingrat que j’aimois cent fois plus que moy-mesme,
Me vit hier sans pitiè mourante sur ces bords,
Et malgrè mon desespoir, à mes yeux ce volage
Suit la jeune Philis en un autre rivage,
Où sans doute à toute heure à ses pieds il redit,
Tout ce qui m’enflama, tout ce qui me perdit.
Ton cœur estoit mon bien, ingrat tu me le voles :
Si ce cœur est changè, change aussi ses paroles,
Et ne prononce plus celles qui malgrè moy
T’ont acquis pour toûjours mon amour et ma foy.
Laisse-moy ce seul bien dans cet estat funeste,
D’un amour malheureux c’est tout ce qui me reste ;
Mais l’Aurore déjà va reblanchir les Cieux,
Ma chere Amarillis, il faut quitter ces lieux,
Ils ne me plaisent plus en cessant d’estre sombres,
Je cherche le repos, le silence & les ombres.
Allons nous retirer dans le fonds du Hameau,
Et prenne qui voudra le soin de mon Troupeau.

Le Divorce de l’Amour & de l’Hymenée §

Le Mercure galant, 1673 (tome VI), p. 123-139.

Puis que nous sommes sur le chapitre des Vers, je croy vous devoir faire part d’une Piece Galante, qui plaira sans doute à vos belles Provinciales. Si je vous disois le Nom de l’Autheur, vous donneriez par avance à cette Piece toutes les loüanges qui luy sont deües ; mais comme il méprise ces sortes d’Ouvrages, & qu’il est capable de plus grandes choses, il ne m’est pas permis de le nommer.

Le Divorce

De l’Amour

Et de l’Hymenée.

À Iris.

VOus de qui des loix de l’Hymenée,
Sçavez si bien tous les malheurs,
Et qui souvent parmy vos pleurs,
Avez maudit la Destinée
Qui sçeut vous choisir un Epoux
Malgré l’Amour & malgré vous,
Belle Iris, les malheurs de autres,
Doivent vous consoler des vostres ;
C’est un destin commun à tous,
Amour & l’Hymen en querelle,
Depuis un temps sont separez.
Lisez-en dans cette Nouvelle,
L’Histoire que vous ignorez.
    Jadis l’Amour & l’Hymenée
Estoient Freres & bons Amis.
Trop heureux dans leur destinée,
Ceux à qui le Ciel a permis
De voir la saison fortunée,
Où parmy les nœuds les plus doux,
Une ardeur toûjours mutuelle,
Toûjours tendre & toûjours fidelle,
Confondoit l’Amant & l’Epoux.
Si tost fait naistre quelque flame,
Hymen venoit la couronner.
Ces Dieux ainsi d’intelligence,
Entre deux cœurs faisaient regner
La paix, le joye & l’innocence ;
Mais l’union des deux Enfans
Egaux en attraits, en puissance,
Ne pouvoit pas durer long-temps.
    Ce fut aux Nopces d’Elisene,
Qu’épousoit l’amoureux Ismene,
Qu’on les vit la derniere fois
Unir leur pouvoir & leurs droits.
Cette Nopce fut d’importance,
Deux Roys Peres des deux Amans,
Pour montrer leur magnificence,
Celebrerent leur alliance
Par mille divertissemens.
Pour faire honneur à la Couronne,
L’Amour & l’Hymen en personne
Vinrent pour serrer les beaux nœuds
Qui lioient ces Amans heureux.
Jamais leur amitié fidelle,
Ne parut tant que dans ce jour,
Et jamais, la voyant si belle,
On n’eut crû qu’Hymen & l’Amour
Passent un jour estre en querelle.
Lors qu’on mena les deux Epoux
Pour assister au Sacrifice,
Dont l’effet heureux & propice
Aux vœux des Amans est si doux,
Ces jeunes Dieux pleins d’allegresse,
Charmerent par cent tours d’adresse,
Les yeux du Peuple & de la Cour
Tantost l’Hymen tenant Ismene,
Laissoit Elisene à l’Amour,
Et tantost luy-mesme à son tour,
Folatroit avec Elisene ;
Quelques fois tous deux embrassez,
Les bras l’un dans l’autre enlassez ;
Changeant d’armes & de flambeau,
Ils tromperent si bien le monde,
Par un Spectacle si nouveau,
Que cent fois dans cette journée,
On prit l’Amour pour l’Hymenée,
Et cent fois dans le mesme jour,
L’on crût qu’Hymen estoit l’Amour.
Le vieux Roy Pere d’Elisene,
Ravy de voir sa Fille Reyne,
Et que les Dieux si bien unis,
La combloient de bien infinis.
Songeant à sa derniere Fille,
Psyché, l’honneur de sa famille,
Le soir, quand on fut au Festin,
Ils les prit tous deux par la main,
Et fit entr’eux asseoir la Belle,
Croyant par ce presage heureux,
Les obliger d’estre pour elle
Encore mieux unis tous deux.
Psyché brilloit de mille charmes,
Tous les cœurs luy rendoient les armes ;
Et la voyant en un moment,
Chacun d’eux devint son Amant.
Amour sujet au badinage,
Falastroit, parloit, la baisoit ;
Hymen plus discret & plus sage,
La regardoit & se taisoit.
Leur flame commençoit à peine,
Que l’on en remarqua l’ardeur,
Et menant coucher Elisene,
On s’appreçeut de leur froideur.
L’Epouse marchant la premiere,
Ils regardoient toûjours derriere,
Pour trouver les yeux de Psyché,
Et laissant la Ceremonie,
Si-tost que l’Epoux fut couché,
Ils se fausserent compagnie :
Ainsi de deux Freres Amis,
La Beauté fit deux Ennemis ;
D’abord leur ame fut saisie,
Et de haine et de jalousie,
Et se voyant Rivaux tous deux,
Chacun songea, faisant mystere,
Aux moyens de se rendre heureux,
Sans en dire mot à son Frere.
    Hymen remply de bonne-foy,
Crüt s’adresser au parentage,
Que demandant Psyché, le Roy
Consentiroit au Mariage ;
Et l’Amour s’assurant du cœur,
Fier de ses traits & de ses armes,
Crût aussi que tout son bonheur
Ne dépendoit que de ses charmes.
    Hymen remply de son dessein,
Vit le Roy dés le lendemain,
Et demanda Psyché pour Femme.
Le Roy le voyant sans l’Amour,
Et craignant leur rivale flame,
Le remit à la fin du jour,
Afin qu’un Orcale fidelle,
Dans un estat si dangereux,
Luy pût montrer lequel des deux
Psyché devoit prendre pour elle,
Ou luy declarer que la Belle,
Pour remettre la paix entr’eux,
Ne seroit à pas-un des Dieux.
    Amour averty de l’affaire,
Vers Apollon se transporta,
Tant d’amitié luy prostesta,
Qu’il l’engagea dans le mistere ;
Et ce Dieu pour plaire à ces vœux,
Rendit cet Oracle fameux,
Que Psyché, cet objet aimable,
Conduite en un Desert affreux,
Attendroit un Monstre effroyable,
Que tous les Dieux dans leur couroux
Avoient choisi pour son Epoux.
    Le Roy comme pieux & sage,
Obeit, quoy qu’outré de rage.
Psyché, à la fleur de ses ans,
Fut conduite en un triste èquipage,
Dans les bras du Dieux des Amans.
Hymen affligé de l’Oracle,
Et du cruel decret des Dieux,
La perdant sans y faire obstacle,
La suivoit les larmes aux yeux,
Et l’Amour caché dans la presse,
Rioit des pleurs & des soûpirs
Qu’Hymen donnoit à la Princesse
Qu’il alloit combler de plaisirs.
Ah ! que ce Dieu trouva de charmes
À voir l’Hymen plein de douleur,
Qui donnoit à Psyché des larmes
Qu’il ne devoit voir à son malheur.
    La nuit vint, Psyché fut laissée,
Avec la cruelle pensée,
Qu’un Monstre l’alloit devorer ;
Mais l’Amour en des lieux si sombres,
Parmy le silence & les ombres,
Prit soin de la r’assurer.
    Dans une demeure enchantée,
Au milieu de tous les plaisirs,
Sur l’aisle des jeunes Zephirs.
Elle fut doucement portée ;
Et c’est dans cet heureux sejour,
Que sans Parens, sans Hymenée,
Seule, contente & fortunée,
Elle se rendit à l’Amour.
Ce Dieu dans ce lieu solitaire,
Goustant le plaisir du mystere,
S’apperceut de tout son pouvoir,
Et s’ètonna de sa foiblesse,
D’attacher toûjours la tendresse,
Aux loix d’Hymen & du devoir.
    La nuit leur seule confidente,
Cacha leurs feux d’un soin discret ;
Mais Psyché se voyant contente,
Ne pût pas garder son secret,
Voulans que sa sœur Elisene
Fut témoin de tant de grandeur.
Elle fit venir cette Reyne,
Et luy declara son bonheur,
Ignorant encor son vainqueur.
Hymenée à cette nouvelle,
Commença de voir son erreur,
Il fit tant enfin que par elle
Il fit découvrir que l’Amour
Voyoit Psyché dans ce séjour.
D’abord il avertit sa Mere,
Que son Frere s’estoit caché,
Venus instruite de l’affaire,
S’en prit à la seule Psyché,
Par plus d’un tourment effroyable,
Elle crût la faire mourir.
Le pauvre Amour inconsolable,
Gemissoit de la voir souffrir,
Et plein d’une juste colere,
Jura le Styx, serment des Dieux,
Qu’il n’iroit plus avec son Frere,
Et qu’il le fuiroit en tous lieux.
D’un autre costé l’Hymenée,
Et plus modeste & plus discret,
Voyant sa triste destinée,
Ne jura pas moins en secret,
Et se promit pour sa vangeance,
De tourmenter & desunir
Tous ceux qu’Amour par sa puissance
Pretendroit joindre à l’avenir.
Aussi tost la Troupe immortelle,
Instruite de cette querelle,
Mariant l’Amour à Psyché,
Croyoit raccomoder l’affaire ;
Mais les Dieux ne le pouvoient faire,
Le mot du Styx estoit laschè :
De ce serment inviolable,
Amour pretexta son couroux,
Et demeurant inebranlable,
Il ne voulut point estre Epoux,
Psyché demeura sa Maistresse,
Jamais Epoux, toûjours Amans
Unis par leur seule tendresse.
Ils eurent de si doux momens,
Qu’Amour pour tenir sa promesse,
N’eust plus besoin de ses Sermens.
Il commença lors de connoistre
Le doux plaisir d’estre seul maistre,
Et de regner seul sur les cœurs ;
Et flatté de tant de puissance,
Il ne gousta plus de douceurs,
Que celles de l’independance.
Hymen d’abord dans son couroux,
Crût se rendre bien redoutable,
Donnant de sa main un Epoux,
Pour rendre un Amant miserable,
Mais quand il vit ses plus beaux jours
Marquez de soûpirs & de larmes,
Et que l’Amour venoit toûjours
Y mesler de tristes allarmes,
Il connut que ses plus doux nœuds,
Lors que l’Amour ailleurs engage,
N’avoient au plus que l’avantage
De faire bien des malheureux.
N’osant lors montrer sa foiblesse,
Afin d’avoir toûjours la presse
À ses tristes Solemnitez,
Il sçeut adjouter par adresse
Ces folles inégalitez,
De rang, d’estat & de richesse,
Et mit encore à ses costez,
La raison, l’honneur, la sagesse ;
Mais l’Amour malgré tant d’apuy
Fut seul encor plus fort que luy.
Il rit de leur folles intrigues,
Dédaignant l’Hymen & ses brigues,
Et loin d’en estre plus soumis,
Il se flatte de plus de gloire,
À remporter seul la victoire
Sur tant de puissans ennemis.
    Voilà la source infortunée,
D’où naquit la division
Qui rompit la belle union
De l’Amour et de l’Hymenée,
Le temps n’a fait que l’augmenter.
Tous deux appliquez à se nuire,
Et travaillans à se detruire,
Se plaisent à se tourmenter,
On ne les voit jamais ensemble.
Les Epoux que l’Hymen assemble,
Sont à peine unis un seul jour,
Amour les quitte ou les separe,
Et l’Hymenée aussi barbare,
Si-tost qu’il peut avoir son tour,
Separe ce qu’unit l’Amour.
Que d’ennuis, de maux & de plaintes !
Que de tourmens & de contraintes,
Leur querelle nous couste à tous,
Et que ces Dieux par leurs caprices,
Causent de vigoureux suplices
Aux Amants ainsi qu’aux Epoux !
Mais l’Hymen, quoy qu’il puisse faire,
Est toûjours le plus malheureux,
Tout le monde maudit ses nœuds,
Parce qu’Amour leur est contraire ;
Sans ce Dieu les plus doux momens,
Sont plein de troubles et d’alarmes,
Et l’Amour seul avec ses charmes,
Suffit au bonheur des Amans.
    Profitez de cette querelle,
Vous que l’Hymen fit tant souffrir,
Que l’on vous vit preste à perir
Sous sa loi penible et cruelle ;
Et pour vous vanger dés ce jour,
Prenez le party de l’Amour.

La Folie. Nouvelle singulière §

Le Mercure galant, 1673 (tome VI), p. 139-164.

Je viens d’apprendre une Histoire dont les Incidens sont si nouveaux, que je ne croy pas que vous ayez jamais rien entendu de pareil. La voicy, vous en jugerez, & vous verrez qu’elle n’a rien de commun avec toutes celles qui grossissent tant de Volumes.

La Folie.

Nouvelle singuliere.

DAns une des plus considerables Villes de France, apres Paris, & où l’on se divertit le mieux, & avec le plus de liberté, deux Femmes mariées, & une Veuve, firent une partie de promenade avec deux Hommes mariez & un Garçon. Les deux Femmes estoient encor belles & un peu coquettes, & les deux Hommes ne leur cedoient pas en bonne humeur : la Veuve estoit agreable, spirituelle, enjoüée ; elle estoit l’ame de toutes les parties, & l’on croyoit n’en pouvoir faire d’agreables sans elle. Le Garçon estoit jeune, bien fait, il avoit de l’esprit & du bien, & devoit bientost partir pour aller à la Cour, où il s’estoit mis dans la teste de faire fortune. Toute cette compagnie enjoüée, estant dans un Village tres-agreable, où il ne manquoit rien, tant à cause de la beauté du lieu, que du nombre de toutes sortes de provisions que l’on y avoit fait porter, resolut de s’y bien divertir pendant quelques jours, & dés le mesme soir les liqueurs ayant échauffé l’esprit de toute cette belle troupe, l’une des Femmes dit qu’il falloit faire quelque chose d’extraordinaire, & qui fit parler de leur débauche. Chacun y consentit dans la chaleur du vin, & l’on examina ce que l’on pouvoit faire. On proposa un Combat entre les Femmes ; mais on dit que cela n’estoit pas nouveau, & que l’on avoit déja veu des Femmes Duelistes. On dit apres qu’il ne faloit sortir de table de trois jours, & que le premier qui en sortiroit, si c’estoit un Homme, payeroit dix mille livres, & que si c’estoit une Femme. [N.B.: texte vraisemblablement manquant]

La Débauche fait dire bien des folies ; mais quand on n’est plus à soy, quoy que l’on puisse dire, & quoy qu’on puisse faire on est toûjours excusable : La troisiéme proposition qui fut agitée, fut d’aller à l’Armée, & de faire habiller les Femmes en Hommes. Elle fut rejettée aussi bien que les autres, parce qu’il falloit trop de temps pour l’executer, & que l’on ne vouloit pas laisser passer la chaleur où l’on estoit ; ce qui fut cause qu’une Femme prit la parole, & dit que pour faire parler de leur compagnie, & mesme promptement, il falloit imiter celuy qui brûla le Temple d’Ephese, ou plutost Neron qui mit le feu à Rome, & la vit brûler avec plaisir. Que chacun, poursuivit-elle, s’imagine qu’il est Neron, & que la Maison où nous sommes est la Ville de Rome, mettons-y le feu, & voyons la brûler avec plaisir. Elle eut à peine cessé de parler, que plusieurs dirent qu’ils estoient de son sentiment ; & s’estant encor échauffez en buvant des liqueurs, ils resolurent de venir promptement à l’execution de ce beau dessein. Le Garçon qui devoit estre le plus fou, parut le plus sage, & s’y opposa fortement. Je suis jeune, leur dit-il, & j’ay des pretentions à la Cour, & si je fais ce coup d’étourdy, je n’auray jamais l’agrément d’aucune Charge. Vous autres, continua-t-il, dont les affaires sont établies & dont la fortune est faite, vous sçaurez bien vous tirer d’embarras, & l’on n’osera mesme vous nommer, & par cette raison, poursuivit-il, je ne pretends point m’embarasser dans une affaire dont j’ésuirois seul tous les inconveniens qui en pourroient arriver. Je feray toute autre chose, on n’a qu’à proposer ce que l’on veut faire, ou plutost à commencer, & l’on verra que je suis de bonne compagnie, & que je ne seray pas des derniers à suivre l’exemple des autres. On se mocqua de ce raisonnement qu’on n’écouta qu’à peine : On fut chercher force Fagots & force Cotrests : On en garnit le dessous & le tour de la porte, & l’on mit aussi tost le feu. Le Garçon fit tout ce qu’il pût pour l’empescher ; mais il luy fut impossible, jusqu’à ce que la fumée ayant écarté tous ces Incendiaires, il les enferma les uns dans une Salle, & les autres dans la Grange où ils s’estoient retirez. Il fit en suite éteindre le feu ; & comme ils s’en furent apperçeus, ils le querellerent, & luy dirent qu’il n’estoit pas Homme de compagnie. Il leur répondit qu’il ne vouloit rien faire qui eust déja esté fait ; que Néron, quoy qu’Empereur, n’estoit pas un Homme à imiter, qu’il estoit prest de faire tout ce que la compagnie voudroit, & que si l’on souhaitoit qu’il se jettât dans l’eau la teste la premiere, il alloit commencer. Cela remit un peu ses esprits qui estoient si indignez contre luy, qu’ils avoient arresté de luy joüer quelque mauvais tour. Puis, que vous avez resolu d’estre raisonnable, reprit la Femme la plus folle, nous verrons bientost si vous persevererez dans ce dessein : Nous voila trois Femmes & trois Hommes, continua-t-elle, il faut que nous nous marions, & que les trois Hommes tirent au sort, pour voir celles qui leur tomberont en partage. Toute la compagnie fut de cet avis ; les deux Femmes déja mariées écheurent aux deux Hommes qui l’estoient aussi, & le Garçon eust la Veuve dont elle ne fut pas fachée, ce qui fut cause qu’elle poursuivit avec chaleur l’execution d’un dessein si extraordinaire. Pour en venir plus facilement à bout, ils firent publier dans le Village qu’ils estoient venus pour se marier, & avant que le jour où leur Folie devoit éclater fut arrivé, ils mirent le Curé de tous leurs repas ; ils parlerent en suite des Permissions qu’ils avoient de se marier à la Campagne, & en ayant veu une entre les mains du Curé, qui avoit esté donnée pour d’autres, un de la compagnie la sçeut si bien contrefaire, que le Curé crut que celles qu’ils luy presenterent estoient veritables ; il ne souhaitoit pas qu’elles fussent fausses, car il n’avoit pas souvent de pareilles aubeines. Le jour qu’ils avoient pris pour se marier estant venu, ils eurent assez d’aveuglement pour faire ce qu’ils avoient résolu ; & comme ils avoient imposé de grosses peines contre celuy ou celle qui feroit manquer ce dessein, aucun n’oza s’en dédire. Leurs Laquais regarderent tout cela comme un jeu, & quoy qu’il fut poussé un peu trop avant, ils crûrent pendant toute la journée que cette Folie n’auroit point de suite ; mais quand ils virent le soir que l’on passoit à la consommation, il y en eust un plus zelé que les autres, qui fut toute la nuit le dire à son Maistre. Sa surprise fut grande, il n’éclata pas toutefois comme il sembloit qu’il le devoit faire : Il dit seulement à ce fidele Valet de retourner aupres de sa Maistresse, de ne pas témoigner qu’il s’estoit apperçeu de ce qui s’estoit passé, & de faire en sorte qu’on ne sçeut point qu’il estoit venu le trouver. Ce malheureux Mary (si de pareilles avantures peuvent rendre un honneste Homme malheureux) fut trouver celuy dont la Femme s’estoit remariée aussi bien que la sienne. Il n’eut pas plutost appris cette nouvelle, qu’outré de colere il fit éclater des transports furieux & qui n’alloient pas à moins qu’à tout tuer ; l’autre qui estoit plus pacifique, luy representa qu’il devoit les moderer, & par de fortes raisons il sçeut si bien l’en convaincre, que l’autre consentit à ce qu’il voulut, & ils demeurerent d’accord ensemble de ce qu’ils devoient faire. Le premier commanda à tous ses Gens de ne point laisser entrer sa Femme quand elle reviendroit de son Voyage, mais de la faire attendre à la porte, jusqu’à ce que l’on fut venu l'avertir qu’elle y estoit. Cet ordre fut ponctuellement executé, & ses Laquais eurent beau heurter lors qu’elle vint, le Portier fut inéxorable, & ne voulut jamais ouvrir pour laisser entrer le Carosse. Pendant le Dialogue des Laquais avec le Portier, & du Portier avec la Dame, le Mary descendit & s’estant avec un air froid & un visage de Juge, approché de la portiere du Carosse de sa Femme. Que vous plaist-il, Madame, luy dit-il ? Je veux entrer, s’il vous plaist, Monsieur, luy repartit-elle. Si vous me voulez parler de quelque affaire, poursuivit-il, nous pourons bien nous en entretenir icy. Je croy que vous ne songez pas à ce que vous dites, luy repliqua-t-elle. Vous m’excuserez, Madame, luy dit-il, en continuant de luy répondre avec beaucoup de sang froid. Mais, Monsieur, reprit-elle en haussant la voix, je pense que vous ne me reconnoissez pas, & que vous me prenez pour une autre ? Je vous connois fort bien, Madame, luy repliqua-t-il, en luy faisant une reverence accompagnée d’un soûrire qui la fit trembler. Vous estes une nouvelle Mariée, & vous avez épousé M*** Il luy nomma celuy que le sort luy avoit donné pour Mary dans leur Débauche. Cette repartie l’étonna, quoy qu’elle s’attendit à quelque chose de semblable. Elle cacha pourtant sa surprise du mieux qu’il luy fut possible, & se défendit en riant, croyant que c’estoit le seul & veritable moyen de l’empescher de croire cette verité. Elle eust beau dire, il luy tint toûjours le mesme discours ; & n’ayant pas voulu permettre que son Carosse entrât chez luy, ny qu’elle y entrât elle-mesme, elle fut contrainte de s’en retourner ; elle se fit mener chez une de ses Amies, & envoya son Carosse, ses Chevaux & ses Gens dans une Auberge, où la dépense n’est point payée par son second Mary, ce qui luy déplaist beaucoup, aussi bien que le bruit de son Histoire qui commence à se répandre, & dont on parlera sans doute par toute la terre, les évenemens de cette Histoire estant si singuliers, qu’il n’en arrive pas tous les jours de semblables. Passons à sa Compagne, & voyons ce que fit son Mary. Il donna les mesmes ordres à ses Gens que l’autre Mary avoit donnez ; mais il commanda qu’on les executât avec toute la civilité imaginable, & que dés que sa Femme seroit à la porte, on l’en vint avertir le plus promptement que l’on pouroit. Ses ordres furent ponctuellement suivis ; & dés qu’il fut averty de l’arrivée de sa Femme, il descendit le plus viste qu’il put, & avec un visage qui marquoit autant de joye qu’il avoit dans l’ame de chagrin & de colere ; il courut à la portiere du Carosse, & apres avoir embrassé sa Femme avec tous les témoignages d’une veritable tendresse : Ne descendez pas, Madame, luy dit-il en montant dans le Carosse, il n’est pas encor tard, & le jour est si beau que nous pourons faire un tour de promenade ensemble. La Dame qui ne cherchoit qu’à plaire à son Mary, & qui apprehendoit qu’il n’apprit tout ce qui s’estoit passé, eut pour luy toute la complaisance imaginable. Ils partirent donc ; Elle demanda où ils alloient, le Mary répondit qu’elle l’apprendroit bien-tost, & qu’il avoit donné ses ordres. Il estoit vray, & il avoit commandé à un de ses Laquais de monter derriere le Cocher, & de le conduire où il avoit resolu d’aller. C'estoit dans un Convent où sa Femme fut obligée d’entrer malgré ses prieres, ses larmes & ses cris, qui ne pûrent rien gagner sur l’esprit de cet équitable Mary. Quant à la Veuve, elle dit qu’elle est bien mariée, ce qui n’embarasse pas peu celuy qui n’a crû l’épouser que pour se divertir.

Apres une Histoire si extraordinaire, je croy ne vous pouvoir rien envoyer qui vous soit plus agreable que la Piece suivante. Comme elle est naturellement écrite, je croy que vous y trouverez beaucoup d’endroits qui vous plairont.

Articles d’Union entre Licidas & Arelise §

Le Mercure galant, 1673 (tome VI), p. 164-176.

Apres une Histoire si extraordinaire, je croy ne vous pouvoir rien envoyer qui vous soit plus agreable que la piece suivante. Comme elle est naturellement écrite, je croy que vous y trouverez beaucoup d’endroits qui vous plairont.

Articles d’Union,

Entre Licidas & Arelise.

DEux jeunes cœurs oisifs, lassez de ne rien faire,
Fort propres cependant à quelque doux mystere,
Et voulant de leur temps faire un heureux employ,
    Ont crû qu’il estoit necessaire
Qu’Amour fut leur arbitre & leur donnât la loy ;
    Mais l’un & l’autre est incapable
        De se gesner pour un moment,
        Et le destin le plus charmant,
        Le plaisir le plus delectable,
Leur paroistroit un suplice effroyable
S’il leur coustoit le prix de quelque engagement.
Ainsi pour prévenir l’Amour qui se déguise,
Et dont les coups trop forts troubleroient le repos
De Lycidas et d’Arelise,
    Ils ont jugé qu’ils estoit à propos
D’expliquer leurs desseins avec pleine franchise.
Les articles suivans le font en peu de mots,
Dont ils effaceront, de crainte de surprise,
Ceux qu’ils ne croiront pas de mise.

I.

La charmante Arelise aimera Lycidas
Avec tendresse & confiance ;
Et des que Lycidas en aura connoissance,
    Il tâchera d’avoir de la constance
Pour la sacrifier à ses divins appas :
    Mais si son cœur n’en trouve pas,
    L’aimable Arelise en ce cas
Se souviendra qu’à quoy qu’on soit sensible,
        Nul ne s’engage à l’impossible.

II.

Si donc de Lycidas l’étoile est plus puissante
        Que toute la beauté
Qui peut fixer une humeur inconstante
Il tâchera du moins d’avoir la volonté
De changer son humeur changeante,
Et d’un si grand effort sur sa legereté
        Arelise sera contente
Jusqu’à ce que des Dieux la suprême bonté
Aux vœux de Lycidas propice et bien faisante,
Ait changé de son cœur la constance apparente,
Et l’ait remply, secondant son attente
D’une réelle fermeté.

III.

Leur union sera l’union des delices,
Leurs entretiens pleins d’un doux agrément,
Et les mot de chagrins, de douleurs, de suplices,
Ne troubleront point l’enjoûment.

IV.

    Quand Lycidas pres d’une Belle,
    Debitera des fleurettes en l’air,
Arelise croira qu’il pense luy parler,
    Et prendra ses douceurs pour elle.

V.

        Mais elle n’écoutera pas
        Ce qu’un autre luy pourra dire ;
Et si quelque badin, autre que Licidas,
        Reüssit à la faire rire,
        Pour éviter les accidens
Où l’on l’exposerait par cet affront insigne,
        Arelise luy fera signe,
    Que ce n’est que du bout des dents.

VI.

Tous deux s’exposeront aux plus grandes fatigues :
Pour tenir bien secret le nœud de leurs amours,
        Un peu de mystere est toûjours
        L’Assaisonnement des intrigues.
Tromper des surveillans est un plaisir charmant,
Et les ardeurs qu’on couve en sont bien plus parfaites :
Une Belle qui suit ce doux rafinement,
N’accorde à son Amant que des faveurs secrettes.

VII.

    Comme Arelise a le cœur delicat,
Sa flame sera sans éclat,
Ses faveurs ne seront que de ce caractere.
Et Lycidas suivant un exemple si doux,
Et choississant à son tour le mystere,
En aimera bien mieux une particuliere,
Qu’une trentaine aux yeux de tous.

VIII.

    Comme leur douceur naturelle
Les attache tous deux à celles de la paix,
    L’on peut présumer que jamais
    Ils n’auront entr’eux de querelles ;
    Mais comme on se lasse de tout,
Ils croiront si la paix les lasse & les divise,
Qu’un peu de bruit est un friand ragoust,
Où l’appetit des cœurs se réveille & s’aiguise,
        Qu’il faut quelquefois se gronder
        Plutost sur la moinde chimere,
        Pour gouster apres la colere,
    Le doux plaisir de se raccommoder.

IX.

        Ainsi soit feinte ou veritable,
Il faut de temps en temps quelque division ;
        Mais en pareille occasion,
Tous deux auront l’humeur traitable,
Le couroux ne doit pas durer,
Ny venir si souvent qu’il se tourne en manie.
    Arelise comme ennemie
        De l’ombre et de la tyrannie,
    De Lycidas ménagera la vie ;
    Elle aura soin de la bien assurer,
Avant qu’il ait le temps de se desesperer,
        Ny mesme de jurer
    Qu’il en a quasi l’envie.

X.

    Que si cette Belle irritée,
Gardant trop longtemps ses froideurs,
Expose Lycidas à toutes ses fureurs
Dont l’ame d’un Amans peut estre transportée,
        Il la quittera tristement,
        Mais ne fera pas la sottise
        D’aller se pendre en ce moment ;
Car apres ce beau coup, sans doute qu’Arelise
Pleureroit, mais en vain, la mort de son Amant ;
        Et luy qui pour plaire à sa Belle,
        Ne doit jamais rien négliger,
    Aura grand soin de ne pas l’affliger
        D’une douleur si cruelle.

XI.

    Si quelque indispensable absence,
    Les separe pour quelques jours,
ils diront que les maux ne durent pas toûjours,
    Et prendront tous deux patience :
Sans se donner en proye à la douleur,
Ny se laisser secher à la triste langueur
Qui suit dans les Romans une telle avanture ;
        Le plaisir de se revoir,
        Qui flatera leur espoir,
    Leur en fera cherir la conjoncture ;
L’aise & l’empressement qui suivent un retour,
Ne sont pas les plaisirs les moindres de l’Amour.
La tristesse en ce poinct mesme la plus profonde,
Par la raison doit se laisser dompter :
Ainsi nos deux Amans pour la mieux surmonter,
    Diront que souvent dans le monde
    L’on recule pour mieux sauter.

XII.

    Leurs entretiens & leurs Billets,
Ne seront pas diferens dans leur stile ;
    Ny la Campagne, ny la Ville,
Ne verront rien de triste en leurs Poulets.
    Comme l’Amour ne les assemble
Que pour rire & gouster la douceur de ses feux,
Se voyant separez, ils conviendront tous deux ;
Jusques au jour qu’ils puissent rire ensemble,
    Que leurs plumes riront pour eux.

XIII.

Enfin leurs cœurs unis d’une si douce chaisne,
Ne se gesneront pas dans leurs moindres desirs,
    Ils gousteront de doux plaisirs,
    Sans aucun mèlange de peine,
    Et cette Union durera
Le plus longtemps que faire se poura.
    Lors mesme qu’elle finira
    La Belle s’en consolera ;
    Et Lycidas fort doucement dira
Que c’est le sort commun de toute chose humaine.

[L’Academie Françoise vient faire compliment au Roy sur son heureux retour, la parole portée par M. Talement, Prieur de Saint Albin] §

Le Mercure galant, 1673 (tome VI), p. 188-189.

L’Academie Françoise estant venuë complimenter le Roy sur son heureux retour, la parole fut porté par Monsieur Talemant, Prieur de S. Albin : Il s’en acquita avec son éloquence ordinaire. Vous sçavez qu’on ne peut avoir plus d’esprit & de feu qu’il en a, & que jamais personne n’a mieux loüé le Roy, ce que futur Abbé.

[Distribution de trois Jettons d’argent qui se fait trois fois la semaine en ladite compagnie par l’ordre de Sa Majesté] §

Le Mercure galant, 1673 (tome VI), p. 189-190.

J’ay oublié en vous parlant de l’Academie, de vous dire que par une magnificence toute Royale, Sa Majesté fait donner depuis un an à chacun des Academiciens un Jetton d’argent chaque jour qu’ils s’assemblent ; & comme ils sont quarante, & qu’ils tiennent Academie trois fois la semaine, on leur distribuë par mois deux cens quatre-vingts Jettons. Les absens n’ont point part à cette distribution, & chaque jour d’Assemblée on donne aux presens les quarante Jettons, quand mesme ils ne seroient que douze.

Avanture d’un bel Esprit §

Le Mercure galant, 1673 (tome VI), p. 195-202.

C’est assez parler de Nouvelles, parlons de quelque chose de plus divertissant, & voyons ce qui arriva dernierement à un Bel Esprit.

Avanture

D’un bel esprit.

UN de ses beaux esprits de bon goust, qui ne sont point guindez, qui sçavent beaucoup, & qui n’affectent point de se faire connoistre, s’estant un jour trouvé en débauche, toute la compagnie but si bien que le bel Esprit s’en ressentit aussi bien que les autres. Le Maistre du Logis le renvoya dans son Carosse, & le Cocher l’ayant arresté devant sa porte, demeura quelque temps sur son siege pour luy donner le loisir de sortir du Carosse ; & jugeant qu’il luy avoit donné plus de temps qu’il ne falloit pour en descendre, & n’en ayant toutefois entendu sortir personne, fut obligé, malgré la paresse qui l’avoit empesché de faire d’abord son devoir, de descendre de son siege pour voir s’il y avoit encor quelqu’un dans le Carosse, & n’y ayant veu personne, il s’en retourna chez luy, & remit son Carosse sous sa Remise ordinaire, & ses Chevaux dans l’Ecurie : Il fut ensuite oster les Vitres du Carosses, comme il avoit tous les soirs accoutumé de faire, & mit en leur place des grilles d’ozier, puis il se fut coucher. Le Maistre du Logis étant de Robe, un Homme de Qualité qui avoit un Procez qui luy estoit de la derniere conséquence, vint le lendemain de grand matin chez luy, à dessein de l’entretenir avant qu’il pût donner audiance à personne. Comme il passa aupres de la Remise, il entendit grand bruit, & il sembloit que l’on gratât contre les grilles d’ozier qui fermoient les portieres du Carosse, de peur que les Chats n’y entrassent. Le Cocher qui entendit ce bruit, crût qu’il y en avoit quelqu’un enfermé dans le Carosse, ce qu’il l’obligea de venir en diligence avec un baston, ne pouvant toutefois deviner par où les Chats y avoient pû entrer. Ce Cocher qui estoit accouru tout en colere, eut à peine ouvert la portiere du Carosse, qu’il fit un grand cry. L’Homme de Qualité qui se promenoit dans la court s’estant aussi-tost retourné, reconnut le Bel Esprit, & luy demanda par quelle avanture il estoit dans ce Carosse, & le Cocher lui demanda à quelle heure il estoit venu, & par où il estoit entré. La surprise de tous les trois fut grande, & l’on dit beaucoup de choses où chacun ne comprit rien ; mais enfin à force de parler on dévelopa que le Bel Esprit s’estant endormy pendant qu’on le reconduisoit chez luy, estoit tombé en dormant dans la portiere du Carosse où il estoit demeuré, parce qu’il estoit fort menu, & que le Cocher qui ne l’avoit point veu dans le Carosse, & qui avoit crû qu’il estoit rentré chez luy, l’avoit remené chez son Maistre où il avoit passé la nuit & dormy aussi tranquilement que s’il eust esté dans un bon lit.

Je vous écris cette avanture, parce que ce Bel Esprit vous est connu, & que ce qui luy est arrivé n’empesche pas qu’il ne soit estimé de tous les Honnestes Gens de Paris.

[Démarate de Claude Boyer] * §

Le Mercure galant, 1673 (tome VI), p. 202-206.

Puisque nous sommes sur le chapitre des beaux Esprits, je ne sçaurois trouver d’endroit plus propre à parler de Démarate que l’on vient de joüer à l’Hostel de Bourgogne. Cette Piece est de Monsieur Boyer ; & quoy qu’elle ait quantité de beautez, elle n’a pas eu tout le succez qu’elle meritoit. Vous en devinerez aisément la cause quand vous aurez lû la petite Histoire que je vais vous apprendre, si toutefois vous ne la sçavez pas, l’Antiquité vous estant parfaitement connuë. Plutarque remarque qu’un de ces Bâteleurs de l’Antiquité, que le vulgaire confond mal à propos avec les Comediens, & qui s’appelloit Parmenon, ayant appris à contrefaire le cry d’un Pourceau, le Peuple y prit un merveilleux plaisir ; de sorte que ses compagnons qui voyoient que cette sottise luy attiroit toute la liberalité des Auditeurs, se mirent tous à imiter la belle voix de cet Animal ; mais quelque soin qu’ils apportassent à cette étude ridicule, le Peuple cria toûjours que ce n’estoit pas Parmenon. Un de ces Gens piqué de la gloire & du profit de l’autre, jugeant qu’il y avoit de la préocupation en cela, porta un jour un Cochon en vie caché sous sa Robe, & le fit crier devant le Peuple, qui dit encor que ce n’estoit pas Parmenon, & lors laissa courir cet Animal parmy la place, il leur fit voir que l’opinion est un mauvais Juge, puis qu’elle leur avoit fait croire un Homme plus Pourceau qu’un Pourceau mesme.

Je croy Madame, que vous voyez bien que cette Histoire veut dire qu’il faudroit que Monsieur Boyer pour faire réüssir ces Ouvrages, prit le nom d’un de ces Autheurs heureux, en faveur desquels on est si préoccupé, qu’on ne croit pas qu’ils puissent jamais mal faire. Cette préoccupation qu’on a pour eux, fait qu’on en a une toute contraire à l’égard des autres Autheurs, & que l’on condamne leurs plus beaux Ouvrages sans les avoir esté voir, au lieu que l’on dit souvent du bien des Ouvrages des autres avant qu’ils ayent fait le premier Vers de leur Piece, & quelquefois mesme avant qu’ils en ayent trouvé le sujet.

Les Femmes sont souvent cause de la perte des Hommes. Nouvelle §

Le Mercure galant, 1673 (tome VI), p. 207-248.

M'estant dernierement rencontré dans une Ruelle assez bien remplie, il s’y trouva quatre Femmes moins jeunes que les autres, puis qu’elles quatre, elles pouvoient compter un Siecle. Une de ces vieilles Mignones voyant beaucoup de jeunes Gens dans la compagnie, & que l’on croyoit tous fort amoureux, leur demanda audiance, & leur dit qu’elle vouloit leur raconter une Histoire, qui non seulement les divertiroit, mais qui leur seroit mesme beaucoup profitable. Chacun demeura d’accord de l’entendre, & comme on luy eut presté silence, elle commença de la sorte.

Les Femmes sont souvent cause de la perte des Hommes.

Nouvelle.

UN jeune Homme, riche, bien fait, & porté à l’amour par un tempérament dont toute sa raison ne le pouvoit rendre maistre, apres avoir gousté tous les plaisirs de l’Amour, en souffrit aussi toutes les peines, & devint malade, pour avoir esté trop bien reçeu de quantite de Femmes un peu trop galantes. Comme il estoit à la Campagne, & qu’il se promenoit seul, accablé du chagrin que luy causoit sa maladie, il fut rencontré par un Homme de bonne mine, qui avoit quelque chose de venerable, & tout l’air d’un Honneste Homme. Cet inconnu s’estant approché de luy, & l’ayant salüé avec un je ne sçay quel air de bonté qui gagna le coeur de nostre infortuné malade, trouva un pretexte pour luy parler, & quelque temps apres qu’ils furent entrez en conversation, & qu’ils eurent discours de plusieurs choses, cet Inconnu luy demanda le sujet de son chagrin, & luy ayant fait insensiblement avoüer sa maladie, l’assura qu’il le gueriroit, sans que son mal pût jamais revenir, pourveu qu’il luy signa qu’il se soûmettoit à toutes les peines qu’il luy voudroit faire souffrir, en cas qu’il revit des Femmes. Que ne promet point un Malade qui souffre beaucoup, & qui souhaite ardamment de guerir ? Celuy-cy promit à l’Inconnu tout ce qu’il exigea de luy, & ne fit point de difficulté de le luy signer. Quand ce charitable Medecin eust serré la Promesse qu’il avoit souhaitée, le Malade luy demanda à qui il auroit obligation de sa guerison ; l’Inconnu luy répondit qu’il la devroit au Diable, & disparut dés qu’il eust achevé ces paroles. Le Malade s’en retourna chez luy tout effrayé, & mesmes sans oser tourner la teste, croyant avoir tout l’Enfer autour de luy, ou du moins une Legion de Diables. Il fut à peine entré dans sa Chambre, qu’il connut que son mal estoit beaucoup diminué, & quelques heures apres il sentit qu’il estoit tout à fait guery ; mais ce fut sans avoir la joye que les Malades ont d’ordinaire de leur guerison. Il estoit fâché de la devoir à un tel Medecin, & il en apprehendoit les suites ; de sorte qu’en cessant d’estre malade du corps, il le devint de l’esprit, & cette maladie luy fit beaucoup plus de peine que l’autre. Comme le temps est un grand Medecin, & qu’il guerit bien des maux, il luy fit peu à peu oublier son chagrin, & il l’oublia si bien, qu’il ne s’en ressouvint que lors qu’il fut redevenu amoureux. Il avoit fuy long-temps les grandes compagnies, parce qu’il apprehendoit de trouver des Femmes. Le Jeu, la Chasse & la bonne chere, luy avoient presque toûjours servy de divertissement, & quoy que son tempérament le portât à l’amour ; il en avoit sçeu dompter la violence, & il avoit presque oublié qu’il y eut des Femmes au monde, lors qu’estant retiré dans une Maison de campagne avec une de ses Sœurs, une jeune Veuve qui avoit du bien, dont l’humeur estoit agreable, qui avoit de l’esprit infiniment, & qui pouvoit passer pour une belle Personne, acheta une Maison de campagne proche de la sienne. Quelques jours apres qu’il en eut pris possession, elle vint rendre viste à la Soeur de l’infortuné Clitandre, (c’est sous ce nom, adjoûta la Vieille, que je vous cacheray celuy du malheureux Héros de cette Histoire,) puis elle poursuivit de la sorte. Clitandre s’estant trouvé dans la chambre de sa Sœur, le jour que la Veuve luy rendit visite, resolut puis qu’il y avoit esté surpris de demeurer quelque temps par civilité, & d’en sortir apres sous quelque pretexte. On ne sçait pas toûjours tout ce qu’on resout, & le sort en ordonne souvent autrement. Les yeux de la jeune Veuve, & son esprit qui se fit paroistre dans la conversation, arresterent Clitandre plus qu’il ne voulut. Il les admira, & devint amoureux sans penser qu’il prenoit de l’amour, & mesme dans le temps qu’il songeoit aux précautions qu’il devoit prendre pour s’en garantir, tant il apprehendoit que le sçavant Medecin qui l’avoit guery, ne luy joüât un mauvais tour. Quand la Veuve fut sortie, il entra dans un chagrin qui ne luy laissa point de repos : Il fit reflexion sur les charmes de sa personne & sur ceux de son esprit ; & s’estant representé le plaisir qu’il auroit de l’aimer & d’en estre aimé, il entra dans un desespoir inconcevable, en songeant à ce qu’il avoit promis à celuy qui l’avoit guery, qu’il ne pouvoit croire estre autre que le Diable : Il fit pourtant tout ce qu’il pût pour devenir esprit fort, & pour se persuader que tout ce qu’il avoit veu, n’estoit qu’une illusion. Quand il estoit sur le point de le croire & de s’en réjoüir, il se souvenoit aussi-tost qu’il avoit esté guery en un moment, & faisant une serieuse reflexion là dessus, il entroit dans des fureurs si grandes, qu’il s’en falloit peu qu’il n’attentât sur sa propre vie. Apres beaucoup de serieuses réflexions sur la maniere dont il avoit esté guery, & sur ce qu'il avoit promis pour le retour de sa santé, il resolut de ne jamais aller voir la jeune Veuve, & mesme de la fuir par tout où il la rencontreroit. Comme il avoit toujours passé pour un Homme fort galant, & qui n’avoit jamais esté ennemy du beau sexe, ce procedé surprit tout le monde, & sa Sœur & ses plus particuliers Amis ne sçeurent à quoy attribuer. Cependant les mépris qu’il sembloit avoir pour la jeune Veuve, n’empescherent pas qu’elle ne le trouvât aimable ; & comme on aime aisément ce qui plaist, elle sentit qu’elle l’aimoit, avant d’avoir resolu de l’aimer. Elle voulut d’abord combatre sa passion ; Elle se representa la fierté de Clitandre, & les mépris qu’elle croyoit qu’il eut pour elle; mais toutes ses raisons n’eurent pas assez de force pour l’obliger d’éteindre sa flame, tant il est vray que l’amour naissant a de pouvoir sur un cœur, & qu’il est difficile de l’en chasser. La jeune Veuve n’ayant pû triompher du sien, resolut de venir souvent chez la Sœur de Clitandre, croyant que par ce moyen elle verroit son Amant. Quand elle se fut bien affermie dans cette resolution, elle fit amitié avec elle, & elle sçeut si adroitement se rendre maistresse de son coeur, qu’elle devint en peu de temps son Amie, d’une maniere qu’elle ne se pouvoit plus passer d’elle. Les choses estant ainsi établies, elle fut presque tous les jours voir la Sœur de Clitandre, qui à son gré ne la pouvoit voir assez souvent & comme elle y venoit aux heures des repas, Clitandre ne pût s’empescher de la voir : Plus il la voyoit, & plus il l’aimoit ; & plus il en estoit charmé, & plus il faisoit de choses pour se rendre haïssable, de peur que s’il venoit à luy plaire autant quelle luy plaisoit, il n’oubliât ce qu’il avoit promis & mesme signé à celuy qui l’avoit guery. Comme rien n’est capable de faire changer de resolution à un cœur bien amoureux, celuy de la jeune Veuve ne se rebuta point ; Elle railla Clitandre le plus agreablement, du monde sur son peu d’enjoûment & de galanterie, & mesme sur son insensibilité, & luy dit que puis qu’il n’estoit point amoureux, elle vouloit comme à son Amy luy faire confidence de ses amours. Ce mot le fit trembler, il changea de visage, & il s’en falut peu qu’il n’oubliât sa resolution & qu’il ne luy découvrit tout l’amour qu’il avoit pour elle. Il n’en fit toutefois rien, & s’estant un peu remis, il crût qu’il devoit accepter le party qu’elle luy avoit offert d'estre son confident, & qu’il devoit par ce moyen tascher d’apprendre de sa bouche l’estat des affaires de son cœur, dont il apprehendoit qu’un autre ne fut le maistre, encore qu’il n'osât le demander, & qu’il craignit de l’obtenir comme un don qui le devoit conduire à la mort. La jeune Veuve ayant par ce moyen fait réüssir une partie de ce qu’elle souhaitoit puis qu’elle estoit venuë à bout de faire entrer Clitandre en conversation avec elle, luy fit une fausse confidence de l’estime qu’elle disoit qu’elle avait pour un jeune Homme bien fait, qui estoit éperduement amoureux d’elle. Il est impossible d’exprimer tout ce que Clitandre souffroit pendant de pareils entretiens. Il eut bien voulu que la Veuve n’eut aimé personne, & ses sentimens estoient pareils à ceux de la pluspart des Amans, qui ne sçauroient souffrir que d’autres possedent ce qu’ils aiment, quand mesme il ne pourroit estre à eux. La Veuve qui remarquoit de l’inquietude & du feu dans ses yeux, ne sçavoit à quoy en attribuer la cause ; & quand elle se vouloit flater que son chagrin venoit de l’amour qu’il avoit pour elle, tant d’autres choses luy faisoient croire le contraire, qu’elle ne demeuroit pas longtemps dans la mesme pensée. Clitandre de son costé pressé de l’amour qu’il avoit pour cette charmante beauté, estoit au desespoir de n’oser luy découvrir tout ce que son cœur sentoit. Si je ne me declare bien-tost, disoit-il en luy-mesme, l’estime qu’elle a pour mon Rival se changera en amour, & peut-estre mesme qu’elle l’aime déja : Cependant je croy avoir connu dans ses yeux que si je l’aimois elle me prefereroit à tout autre; mais elle n’a pas lieu de croire que je sente rien pour elle, & toutes mes actions luy ont jusques icy marqué le contraire, il faut donc que je luy découvre mon cœur, continuoit-il ; car si j’attens qu’elle ait donné tout le sien à un autre, toute ma tendresse, tout mon amour & tous mes soûpirs ne pouront le toucher, tant il est vray qu’il est impossible de gagner quelque chose sur un cœur déja préoccupé, quand mesme ce cœur auroit panché pour nous avant son engagement. Toutes ces raisons furent cause qu’il se resolut à demy de découvrir sa passion. Il persevera dans ce dessein pendant deux ou trois heures; mais quand il fut sur le poinct d’executer ce qu’il avoit resolu, la crainte s’empara de nouveau de son ame ; & comme elle combatit fortement la resolution qu’il avoit prise, il demeura incertain de ce qu’il devoit faire, & cette incertitude agitant puissamment son esprit, le faisoit quelquefois tomber dans des resveries si profondes, qu’il paroissoit immobile. Il ouvroit quelquefois la bouche pour se declarer, puis il la refermoit sans rien dire ; & ses yeux, son visage & sa langueur parloient d’autant plus, qu’il étouffoit ses soûpirs, & que sur le point de parler, il sentoit une crainte qui l’en empeschoit tout à coup. Apres avoir joüé ce personnage pendant plusieurs jours que la Veuve prit à bon augure, jugeant bien qu’il se declareroit bien-tost, il consulta encor en luy mesme ce qu’il devoit faire ; & apres avoir resvé avec une grande application à l’avanture qui luy estoit arrivée, il se souvint qu’il n’avoit ny promis, ny signé de ne point aimer de Femmes, & de ne s’en point faire aimer ; mais seulement de ne jamais coucher avec aucune. Ce souvenir le réjoüit d’autant plus qu’il crût que son amour n’estant point refroidy par la joüissance, dureroit eternellement. Les belles passions, dit-il en luy-mesme, ne consistent pas dans le plaisir des sens. On en a veu de grandes, qui n’avoient point pour but ces sortes de plaisirs, & quand on aime veritablement, on s’en fait de si grands de posseder le cœur de ce qu’on aime, que tous les autres plaisirs n’en peuvent approcher; & ceux qui s’attachent à ceux des sens, ne les cherchant que pour eux-mesmes, on peut dire qu’ils s’aiment plus qu’ils n’aiment les objets de leur ardeur, & on leur doit sçavoir moins de gré de leur passion, quelque violente qu’elle ait esté ; qu’à ceux qui n’aiment leurs Maistresses que pour l’amour d’elles-mesmes, & qui sacrifient à leur reputation & à leur honneur, tous les plaisirs qu’ils pourroient avoir, s’ils ne cherchoient qu’à satisfaire la plus honteuse partie de leur amour. Clitandre, estant content de luy mesme & de ce raisonnement qui avoit tiré son esprit du trouble & de la crainte qui le déchiroient, prit une forte resolution de declarer à la Veuve tout l’amour dont il brûloit pour elle. Il ne tarda pas long-temps ; & comme il la voyoit tous les jours, il luy fit sa declaration dés le jour mesme, & luy dit qu’ayant voulu la connoistre parfaitement avant de luy découvir sa passion, il avoit tardé si long-temps à la luy découvrir. La Veuve qui attendoit depuis longtemps cette declaration, & qui mesme la souhaitoit ardamment, y répondit d’abord, jugeant bien qu’il luy auroit esté inutile de tarder plus long-temps, puis que ses yeux avoient dit tres-souvent tout ce qu’elle se seroit en vain efforcée de cacher. Jamais cœurs ne furent mieux unis que le furent ceux de ces deux Amans. La Veuve avoüa à Clitandre qu'elle l’avoit aimé dés le premier moment qu’elle l’avoit veu, & elle luy declara tout ce qu’elle avoit fait pour avoir lieu de le voir souvent, & la fausse confidence qu'elle luy avoit faite, afin que s’il avoit un peu d’amour pour elle, la jalousie l’obligeât de se découvrir, de peur qu’elle n’en aimât un autre. Clitandre admira son adresse, il fut ravy d’apprendre, qu’il estoit tendrement aimé, & se sentant tous les jours de plus en plus charmé des beautez de son aimable Maistresse, il l’aima si éperduëment, qu’il oublia la Promesse qu’il avoit faite à celuy qui l’avoit guery, & la passion que cette charmante Personne eut pour luy, fut si violente, qu’ayant troublé sa raison, elle luy laissa trouver l’heure du Berger. Quoy qu’elle n’eut pas fait ce dessein, ce bonheur surprenant, & qu’un Amant ne laisse presque jamais échaper, aveugla tellement Clitandre, que ne se connoissant plus, il n’eut pas dans son égarement la force de resister à ce fatal moment. Dés que cet heureux moment fut passé, il rentra en luy-mesme, & fit mille cruelles reflexions qui penserent le faire mourir. Il s’imaginoit à tous momens avoir une armée de Démons autour de luy, & dans le desespoir où il estoit, rien n’estoit capable d’aleger sa douleur. Il ne pouvoit mesme souffrir sa Maistresse, qui malgré toute sa mauvaise humeur, l’aimoit avec une tendresse inconcevable, & faisoit tout ce qu’elle pouvoit pour apprendre d’où venoit la rage qui le possedoit ; mais il ne luy fut pas possible d’en rien sçavoir ; & loin de répondre à sa tendresse, il la maltraitoit quand il entroit dans les excez de fureur qui le prenoient de temps en temps ; & disoit que toutes les Femmes n’estoient au monde que pour perdre les Hommes. Il y avoit déja huit jours qu’il estoit dans ces agitations qui faisoient presque croire qu’il estoit possedé, quand apres avoir dans l’abatement où ses transports le laissoient, fait reflexion qu’il n’avoit point eu de nouvelles du Médecin qu’il avoit crû n’estre autre que le Diable, il commença de se persuader qu’il s’estoit trompé, & que ce n’estoit qu’une vision qu’il avoit euë dans son Jardin, & que s’il avoit esté guery, il ne devoit sa guerison qu’aux remedes. Il n’eut pas plutost adjoûté foy à tout ce qu’il tâcha de se persuader à luy mesme pour remettre son esprit, qu’il eut honte de tout ce qu’il avoit fait, & qu’il parut aussi soûmis & aussi confus qu’il avoit esté emporté. Il demanda pardon à sa Maistresse, il luy dit qu’il avoit eu raison d’éclater ainsi qu’il avoit fait, & qu’il la conjuroit de ne luy en jamais demander la cause. La Veuve qui ne souhaitoit rien tant que cette réunion, en fut fort satisfaite ; & comme elle témoignoit à Clitandre la joye qu’elle en avoit par des transports qui charmoient cet Amant, on luy vint dire qu’un Homme souhaitoit de parler à luy. Il demanda qui c’estoit, on luy répondit qu’on ne le sçavoit pas, mais que c’estoit un Homme de bonne mine, qui estoit entré dans le Jardin pour l’attendre, parce qu’il avoit quelque chose de particulier à luy dire, & qu’il desiroit luy parler sans témoins. Clitandre sentit aussi tost renaistre dans son ame tout le trouble qui l’avoit agité. Il sortit de la chambre où il estoit avec un visage épouvanté, & dés qu’il fut à quatre pas de l’Homme qui l’attendoit, il s’écria qu’il estoit perdu. Il avoit raison, puis que c’estoit le Medecin qui l’avoit guery, & à qui il avoit non seulement promis, mais encor signé sous toutes les conditions qu’il avoit exigées de luy qu’il ne verroit plus de Femmes. Cet honneste Homme l’aborda avec un visage severe, & apres luy avoir fait voir sa Promesse, il luy presenta le fer & le poison, & luy dit qu’il pouvoit choisir duquel de ces deux genres de mort il vouloit mourir. Clitandre choisit le poison, & le Diable luy en ayant donné de tres-bon, disparut aussi-tost. À peine ce malheureux que l’Amour avoit perdu, eut avalé ce qui le devoit faire mourir, qu’il devint furieux. Il courut par tout le Logis comme un desesperé, puis estant entré dans un Grenier, il monta sur la fenestre & se jetta dans un Puits, où quelque recherche que l’on ait faite, on n’a jamais pû le trouver; & ce qui n’est pas moins remarquable, est que l’eau de ce Puits est devenuë plus belle, plus claire, plus fraische et meilleure qu'elle n’estoit, & que plus d’une lieuë à la ronde tout le Pays en vient querir. Ce Puits, adjoûta la Vieille avec un ton d’admiration, a depuis ce temps porté le nom de l’homme qui s’est jetté dedans. Il y a plus de deux cens ans, continua-t-elle, que cette avanture est arrivée, & qu’on la sçait par tradition ; & comme les choses que l’on sçait de la sorte sont toûjours tres-veritables, on ne doit point douter de cette Histoire, qui doit faire connoistre à tout le monde, que les Femmes sont souvent cause de la perte des Hommes. Toute la compagnie n’applaudit à cette Histoire qu’en soûriant ; il y eut mesme quelques malicieux qui plaignirent la catastrophe du malheureux Clitandre, mais ce fut d’une maniere qui fit connoistre qu’ils n’adjoûtoient guere de foy à son avanture. Elle ne devoit pas avoir icy de place, puis que je ne vous dois envoyer que des Histoires nouvelles ; mais puisqu’elle est écrite, vous souffrirez, s’il vous plaist, Madame, qu’elle tienne son rang parmy les autres.

[La troupe du roy represente le Comedien Poëte, Comedie] §

Le Mercure galant, 1673 (tome VI), p. 248-250.

La Compagnie estoit sur le poinct de se separer, lors que la conversation tourna sur le chapitre des Comedies nouvelles. L’on parla aussi-tost du Comedien Poëte, parce que la Troupe du Roy n’avoit encor rien joüé de nouveau que cette Piece ; & apres qu’on eut dit qu’elle estoit fort divertissante, on s’entretint de la Mort d’Achille de Monsieur de Corneille le jeune, que la mesme Troupe devoit bientost representer ; & quelques Gens qui s’estoient trouvez à une lecture de ce Grand Ouvrage, où estoit Monsieur le Duc de Richelieu, dirent qu’ils n’avoient jamais rien veu de si beau que cette Tragedie, & que ce Duc qui s’y connoist parfaitement, avoit dit qu’elle surpassoit son Ariane dont vous sçavez que le succez a esté tres-grand, & mesme avec justice, puis que ce fameux Autheur n’a point d’autres Partisans que son merite. Apres avoir parlé de cette Piece, on s’entretint de la Troupe qui la devoit joüer, & l’on dit qu’elle réüssiroit admirablement bein dans tout ce qu’elle representeroit, & que les grandes Assemblées qui depuis son Etablissement avoient accompagné toutes ses Representations en estoient une marque infaillible.

Les Assassinats. Nouvelle §

Le Mercure galant, 1673 (tome VI), p. 250-267.

On dit encor plusieurs autres choses, puis la compagnie se separa ; & le soir de la mesme journée m’estant rencontré dans une autre, on y raconte l’Histoire suivante, & l’on dit quelle estoit arrivée depuis peu de jours. Vous la trouverez bien tragique ; mais comme elle est vraye, & que je vous ay promis de vous écrire tout ce qui se passeroit de nouveau, je ne puis m’empescher de luy donner icy une place.

Les

Assassinats.

Nouvelle.

UN jeune Homme bien fait, nommé Cleante, éperduëment amoureux d’une Fille majeure & joüissante de ses droits, appellée Clarice, apres six mois de protestations d’amour &, de services dans les formes, luy promit de l’epouser si-tost que quelques Procez qu’elle avoit seroient terminez. Clarice sous cet espoir luy souffrit plus qu’elle ne devoit ; de maniere qu’elle devint grosse, & qu’elle accoucha mesme avant que ses Procez furent vuidez : Elle n’en vit la fin que lorsque l’amour de Cleante commença à se refroidy ; & comme elle n’eust pas tout l’avantage qu’elle pretendoit, son Amant qui commençoit à se dégoûter d’elle, ne la vit plus si souvent qu’il avoit accoustumé, & luy fit assez connoistre par toutes ses manieres d’agir, qu’il n’estoit plus dans la resolution de luy tenir sa parole. Quand elle en fut si bien éclaircie, qu’elle n’en pût plus douter, elle plaida contre luy pour l’obliger à la tenir ; mais Cleante ne fut obligé qu’à prendre l’Enfant, & à luy payer mille écus. Elle en eut un tel dépit, qu’il luy échapa de dire un jour en presence d’un Homme qui avoit long-temps soûpiré pour elle, & qui n’avoit pû s’en faire aimer, qu’elle épouseroit celuy qui tuëroit son infidelle. Cet Amant, nommé Philiste, qui l’aimoit toûjours, & qui ne cherchoit qu’à luy plaire, luy dit qu’il la vangeroit de la maniere qu’elle le souhaitoit, pourveu qu’elle ne fit sçavoir à personne ce qu’il venoit de dire, parce que s’il l’épousoit apres la mort de Cleante, on ne manqueroit pas de les arrester & de leur faire leur Procez à l’un & 1'autre, comme Assassins. Clarice qui ne respiroit que la van geance, estant ravie de trouver un Homme qui entrât dans ses sentimens, luy promit que non seulement elle n’en parleroit pas ; mais mesme que pour mieux tromper tout le monde, elle feindroit de se raccommoder avec Cleante, ce qu’elle fit, elle luy dit qu’elle avoit tant d’amour pour luy, qu’elle ne pouvoit vivre sans le voir, qu’elle ne le presseroit plus de l’épouser, mais qu’elle esperoit que sans luy en parler, l’excez de sa passion & sa constance la fe roient un jour devenir sa Femme. Cleante estant fort satisfait de ce procedé, la fut souvent voir ; & comme il y alloit ordinairement le soir, Philiste l’attendit au coin d’une Ruë où il passa à minuit sonné ; & apres luy avoir d’assez loin tiré un coup de mousqueton, il s’enfuit, croyant qu’il n’en réchaperoit pas. On ne pût deviner d’où venoit ce coup ; quelques Gens soupçonnerent Clarice de l’avoir fait faire, mais quand on eust examiné qu’elle vi voit bien avec Cleante, & qu’il n’y avoit aucun indice contre elle, on ne s’arresta pas à ces soupçons. La blessure de Cleante ne se trouva point mortelle, il en guerit, mais son amour ne revint point avec sa santé, & sans croire que Clarice l’avoit fait assassiné, il ne voulut point la revoir, de crainte d’estre obligé de l’épouser. Ce mépris qu’il eust pour elle, donna lieu à Philiste de pousser sa fortune. Il y travailla si bien qu’il épousa enfin Clarice. Il vescut tres bien avec elle pendant les six premiers mois de leur Mariage, son amour l’ayant empesché de la regarder comme une méchante Femme ; mais si-tost que sa passion fut un peu diminuée & qu’il eust fait reflexion sur le coup qu’elle luy avoit fait faire, il ne pût plus la regarder qu’avec horreur ; & luy ayant peu à peu fait connoistre qu’il ne l’estimoit pas, & que l’excez d’une passion trop aveugle, & dont il n’avoit pû estre le maistre, l’avoit malgré luy engagé à l’épouser. Elle en eut un tel dépit, qu’elle prit pour luy une haine invincible ; de maniere qu’ils ne garderent plus de mesures, & que l’on ne vit jamais un si grand desordre dans aucun ménage, qu’il y en eut dans le leur, jusques là mesme qu’ils furent obligez de se separer. Clarice dont le coeur ne respiroit que vangeance, & qui resvoit incessamment aux moyens d’en faire sentir les effets à ceux qu’elle haïssoit, s’avisa pour se vanger de Philiste, d’un moyen qu’on aura peine à croire, mais qui pourtant estoit indubitable, & qui réüssit comme vous verrez par la suite. Elle chercha les occasions de voir Cleante & de renoüer avec luy : Elle eust bien de la peine, car il y resista long temps, mais rien n’estoit impossible à son esprit ; elle employa mille Gens, elle fit agir une fausse tendresse qu’il crut veritable, & se servit enfin de tant d’artifice qu’elle vint à bout de son dessein. Il y avoit déja un mois qu’ils estoient bien ensemble, lors que la politique de Clarice jugea qu’il estoit temps de travailler à ce qu’elle avoit resolu ; & pour cet effet apres avoir un jour témoigné à Cleante plus d’amour qu’à l’ordinaire, elle luy dit qu’elle ne pouvoit s’empescher de luy découvrir pour quelle raison elle avoit pris tant de haine pour son Mary. Vous sçaurez, luy dit-elle, que s’estant mis dans l’esprit que tant que vous seriez au monde, il ne pouroit jamais m’épouser, il resolut de vous assassiner, ce fut luy qui vous tira ce coup de mousqueton lors que vous fustes blesse en sortant de chez moy. Il se donna bien de garde de m’en rien dire, continua-t-elle, car j’aurois plutost poursuivy sa mort, que je ne me serois resolu à l’épouser. Depuis quelque temps, ajouta-t-elle, par un aveuglement que je ne conçois pas, il s’est resolu de me découvrir son crime, croyant que je luy en sçaurois gré ; mais il s’est trompé, & c’est d’où vient la haine que j’ay pour luy, & qui a fait naistre les desordres qui ont esté causes de nostre separation. Cleante adjoûta foy à tout cela, & resolut de se vanger de Philiste. C’estoit ce que Clarice souhaitoit, elle vouloit qu’il fut l’executer de sa vangeance, & n’auroit pas esté faschée qu’ils se fussent égorgez tous deux. Cleante dissimula son dessein, & toutes les fois qu’il rencontra Philiste avant que de faire son coup, il luy fit toutes les caresses imaginables, & prit si bien ses mesures qu’il ne le manqua pas ainsi que l’autre l’avoit manqué. Il ne mourut toutefois pas sur l’heure, il vescut assez de temps pour découvrir ce qu’il avoit fait à la sollicitation de Clarice, dont il estoit, disoit-il, justement puny. Cleante surpris d’aprendre que Clarice pour satisfaire à sa vangeance, les avoit tour à tour portez à s’assassiner, entra dans une si grande fureur contre elle, qu’il fut sur le champ la chercher, à dessein de la tuër. Lors qu’elle le vit entrer avec des yeux égarez & pleins de fureur, comme elle estoit criminelle, elle se douta de son dessein, & s’estant saisie de la premiere chose qui s’offrit à sa veuë, elle prit un Pistolet dont elle sçavoit fort bien tirer. Cleante estoit si transporté, qu’il ne s’en apperçût pas ; de maniere qu’elle le tira sur luy dans le temps qu’il la frapa avec son épée. Ils moururent peu de temps apres de leurs blessures, & l’histoire de tous ces desesperez finit ainsi. Je puis dire qu’elle finit, puis qu’il ne reste aucun des Personnages de l’histoire ; ce qui doit faire croire qu’elle ne peut avoir de suite.

[Les manteaux à la Sylvie] * §

Le Mercure galant, 1673 (tome VI), p. 270-272.

Tous les Manteaux de Femmes que l’ont fait presentement ne sont plus plissez, & sont tous uniz sur le corps, de maniere que la taille en paroist plus belle ; on les appelle des Manteaux à la Sylvie. Ils ont esté inventez par Mademoiselle de Moliere ; mais on dit à la Sylvie à cause d’un livre intitulé la Sylvie de Moliere. Cependant ceux qui ont lû cet ouvrage, ont bien connu que ce n’estoit pas son histoire. Les Habits des Femmes sont presentement presques autant remplis de Ferluches que celuy du nouveau Monsieur de Pourceaugnac l’est de Franges. J’en vis dernierment un noir tout couvert de Ferluches blanches, & il sembloit de loin qu’il fut tout remply de nége.

Stances §

Le Mercure galant, 1673 (tome VI), p. 272-277.

Passons à quelque chose de plus agreable, & parlons encor de Vers. Je vous envoye des Stances qui vous plairont sans doute plus que les Modes nouvelles, quand mesme elles ne seroient pas tout-à-fait belles. Les voicy, vous en jugerez ; peut-estre y trouverez-vous quelque chose qui ne vous déplaira pas.

Stances.

MOn cœur enfin, Silvie, à vos loix est soûmis,
Et j’en [faits ?] l’amitié, douce & paisible Reyne :
    Mais helas ! que l’on a de peine
    À n’estre que de vos amis !
Je me suis arraché, par un effort extrême,
Le desir obstiné de ceder à vos coups ;
    Et j’ay tout fait contre moy-méme,
    Pour ne rien faire contre vous.
Languissant, épuisé par cette violence,
On eut dit chaque instant que je devois perir ;
    Vous-méme eussiez mis en balance,
    Si je devois vivre, ou mourir.
On eut dit aux efforts que vostre ordre m’impose,
Que je souffrois des maux qu’on ne peut exprimer ;
    Et je ne faisois autre chose,
    Que m’empescher de vous aimer.
De quelques rudes traits dont l’amour perce une ame,
Alors qu’à force ouverte il en veut triompher,
    Je souffrirois moins de sa flâme,
    Que je ne souffre à l’étouffer.
Quand au cœur d’un Amant sa force s’est montrée,
On en feroit plutost sortir ce Dieu jaloux,
    Que s’opposer à son entrée,
    Lors qu’il se presente avec vous.
Cependant vous voulez qu’on s’en puisse defendre,
Et que pour vous un cœur s’en tienne à l’amitié ;
    Peut-on vous voir, & vous entendre,
    Et ne vous aimer qu’à moitié ?
À quels cruels tourmens faut-il que l’on s’apreste,
Pour estre peu touché d’un objet si touchant ?
    Comment voulez vous qu’on s’arreste
    Au milieu d’un si beau penchant ?
En me laissant mes maux, vous serez plus humaine ;
Celuy que vous m’ostez m’est plus cher que le jour.
    Dieux ! faut-il avoir vostre haine,
    Ou bien n’avoir plus mon amour ?
Il le faut couronner, en le faisans connoistre ;
Vous ne pouvez au fond d’un cœur infortuné
    Ny cesse de l’y faire naistre,
    Ny l’y souffrir quand il est né.
Mais avec l’amitié je ne le puis confondre ;
Soyez tiede, Sylvie, & laissez-moy brûler ;
    Si vous ne voulez luy répondre,
    Pour le moins laissez le parler.
Ou si pour vostre humeur s’est encor trop pretendre,
Si cet audacieux n’y doit pas aspirer,
    Au moins sans vous rien faire entendre,
    Qu’il puisse ne secret soûpirer.
Vous le punirez mieux sans vouloir qu’il périsse ;
Au lieu d’un court trépas, il mourra plus souvent ;
    Il n’est pas de plus grand suplice,
    Que d’ensevelir un vivant.

Je ne sçay si vous avez trouvé quelque chose de bon dans ces Vers.

[Vers sur le secret des affaires du Roy] §

Le Mercure galant, 1673 (tome VI), p. 277-279.

En voicy d’autres qui n’ont pas déplû ; mais je croy que la matiere dont ils traitent en est cause, puisqu’ils parlent du Secret impénetrable qui est dans toutes les affaires du Roy. On s’adresse à tous les Princes qui veulent meriter quelque estime par eux-mesmes, autant que par leur rang.

    Vous qui nez du sang des Heros,
    Voulez en meriter la gloire,
Venez du grand LOUIS, venez lire l’histoire,
Et faites la servir de regle à vos travaux ;
    Soit pour la Paix, soit pour la Guerre,
    Ce grand exemple vous suffit.
    Jamais Monarque sur la terre
    N’a tant fait & si peu dit :
    On regarde, on écoute, on pense,
    Dans le monde il ne fut jamais
    Tant de bruit & tant de silence ;
En vain le Politique en raisonne & rafine,
    Plus on resve, moins on devine ;
    Dans le grand & profond secret
    Telle est la constance divine,
Qui du vaste Univers fait joüer la machine ;
    On ne voit rien, & tout se fait.

Fable de la Jument & de l’Asne §

Le Mercure galant, 1673 (tome VI), p. 279-283.

Apres vous avoir envoyé des Sonnets, des Madrigaux, des Eglogues, des Elegies, des Chansons, & des Stances ; je croy vous devoir aussi envoyer des Fables, puis qu’elles sont à la mode : En voicy une de la Jument & de l’Asne, qui fait icy assez de bruit.

Fable

De la jument et de l’Asne.

UNe Jument de taille, & d’encolure fine,
    Fille de defunt Bucephal,
Voulant perpetuer l’espece Chevaline,
Afin d’y proceder, attendoit un Cheval,
    Mais un Cheval de belle taille,
    Propre pour un jour de Bataille,
Issu de Pere en Fils de l’illustre Bayard.
    Toutefois un Baudet infirme,
    La rencontrant seule à l’écart,
Eut la temerité de luy conter sa flâme :
    D’abord rebutant le Grizon,
Elle le menaça de cent coups de baston,
    Et luy fit mesme la ruade ;
Mais luy, sans s’étonner de cette petarade,
    La r’aproche fort humblement,
Et d’un ton enroüé luy faict son compliment.
    Si je n’ay pas si bonne mine
    Que l’Epoux que l’on vous destine,
Madame, luy dit-il, sçachez qu’en fait d’amour
    Je suis un vrai S….
    Et….. de tout le voisinage :
    Il n’en falut pas davantage,
Et par là le Baudet sçeut si bien l’engager,
    Qu’il trouva l’Heure du Berger[]
Maintes connois, qui trompent à la mine,
    Et sont du goust de la Jument,
    Il n’importe qui, ny comment,
Pourveu qu’il ait bon rable, & bonne échine :
Mais le Proverbe aussi chez elles doit changer ;
Car c’est l’Heure de l’Asne, & non du Berger.

On en trouve beaucoup qui la cherchent, mais chacun a son goust, & tout le monde n’est pas delicat en amour.