1677

Le Nouveau Mercure galant, juin 1677, tome IV

2014
Source : Le Nouveau Mercure galant, [Gabriel]? Quinet, juin, 1677.
Ont participé à cette édition électronique : Anne Piéjus (Responsable d'édition), Nathalie Berton-Blivet (Responsable d'édition), Alexandre De Craim (Édition numérique), Vincent Jolivet (Édition numérique) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

Le Nouveau Mercure galant, juin 1677 (tome IV)I. §

[Compliments au Cardinal d’Estrées]* §

Le Nouveau Mercure galant, juin 1677 (tome IV), p. 1-30II.

J’ay beau faire, Madame, c’est plûtost un Recueil de Nouvelles par mois, que les Nouvelles du Mois, que je vous envoye. Pour n’en reserver jamais aucune, il faudroit vous écrire tous les huit jours : la matiere me seroit plus facile à trouver que le temps. S. Omer me l’auroit fournie pour une Semaine, la Victoire de Monsieur le Comte d’Estrées pour une autre, & je n’aurois pas esté en peine de chercher par où supléer au reste. Ce que je vous dis, Madame, est assez glorieux pour la France ; il s’y passe tous les jours de si grandes Actions, & tant de Personnes d’un haut merite donnent tout à la fois occasion de les distinguer, qu’il est presque impossible d’embrasser tout. C’est comme un Champ fertile dont on a beau amasser les abondantes moissons, on y trouve toûjours quelque chose à recüeillir ; & je satisferois mal sans doute à l’engagement où je me suis mis avec vous de vous mander tout ce que je croirois digne de vostre curiosité, si m’arrestant précisement à ce qui arrive dans le mois où je vous écris, je ne rapelois pas quelquefois plusieurs choses dont je n’ay pü vous parler dans les précedens. Ce n’est point dans celuy-cy que l’Academie Françoise a fait complimenter Monsieur le Cardinal d’Estrées, qui comme vous sçavez est l’un des quarante qui composent cette Illustre Compagnie ; mais vous ne laisserez pas d’estre bien-aise d’apprendre que ces Messieurs qui ne l’avoient point veu depuis sa Promotion au Cardinalat, ne furent pas plutost avertis de son retour à Paris, qu’ils nommerent six Personnes de leur Corps pour l’en aller feliciter. Ces six furent Mrs Charpentier, Tallemant Premier Aumosnier de Madame, Testu Abbé de Belval, Tallemant Prieur de S. Albin, l’Abbé Regnier des Marais, & de Benserade. Monsieur le Duc de S. Aignan voulut les accompagner, & Monsieur le Cardinal d’Estrées qui les reçeut dans son Anti-chambre les ayans conduits dans sa Chambre, Mr Charpentier que la Compagnie avoit chargé de la parole, s’acquita de sa commission en ces termes,

 

Monseigneur,

En nous approchant de V. E. nous sentons une douce émotion qui n’est pas toutesfois sans quelque mélange d’amertume. Nous vous revoyons avec les marques de la plus haute Dignité de l’Eglise ; Quel plus agreable spectacle à nos yeux ! Quelle plus sensible joye à nostre cœur ! Mais quand nous nous representons que cette élevation vous separe de nous, & vous arrache de nos Exercices, qui ont autrefois partagé les heures de vostre loisir, nous ne sçaurions penser qu’avec douleur à une absence qui nous paroist irréparable. A vostre départ, Monseigneur, tous nos vœux vous accompagnerent ; Nous ne souhaitâmes rien avec plus d’ardeur que de vous voir bientost revestu de l’éclat dû à vostre merite, à votre naissance, & à la grandeur de vos Alliances Royales. A vostre retour nous voyons en V. E. l’accomplissement de nos vœux, mais nous ne vous trouvons plus à l’Academie. Hé bien, Monseigneur, n’en murmurons point ; Nous vous perdons d’une maniere trop noble pour nous en fâcher. Nous souhaitons mesme de vous perdre encore davantage, & que la Pourpre Romaine qui vous associe à la premiere Compagnie de l’Univers, vous place quelque jour, du consentement de toutes les Nations, dans ce Trône fondé sur la Pierre que toutes les Puissances de l’Enfer ne sçauroient ébranler. Mais pourquoy vous conter perdu pour nous, Monseigneur, dans l’augmentation de vostre gloire, puis que le plus Grand Roy du monde, LOÜIS le Vainqueur, mais le Vanqueur rapide, le Terrible, le Foudroyant, a bien trouvé des momens pour songer à nous parmy la pompe & le tumulte de ses Triomphes. Que dis-je pour songer à nous ? Ah c’est trop foiblement s’expliquer pour tant de graces extraordinaires. Disons plutost pour nous appeller à luy par une adoption glorieuse ; Disons pour nous établir un repos inébranlable à l’ombre de ses Palmes. V. E. Monseigneur, n’a-t-elle pas admiré cet évenement, & quoy que vous fussiez au Païs des grands Exemples, quoy que vous respirassiez le mesme air que Scipion & que Pompée, pútes-vous apprendre sans surprise qu’un si grand Monarque se declarât le Chef de l’Academie, & voulust mettre son Nom Auguste à la teste d’une Liste de Gens de Lettres ? Vostre Rome n’en fut-elle pas étonnée, & ne jugea-t-elle pas alors que le Ciel preparoit à la France la mesme prosperité dont l’Empire Romain avoit jouy sous les Augustes, sous les Adriens, & sous les Antonius ? Vous nous avez quittez, Monseigneur, dans l’Hostel Seguier, dans l’Hostel d’un Chancelier de France, Illustre veritablement par sa suprême Magistrature, plus illustre encore par ses grandes actions. V. E. nous retrouve dans le Louvre, dans la Maison sacrée de nos Rois, & nos Muses n’ont plus d’autre séjour que celuy de la Majesté. Il faut ne vous rien celer encore de tout ce qui peut tenir rang parmy nos heureuses avantures, puis que V. E. y prend quelque part. Un Archevesque de Paris qui honore sa Dignité par sa Vertu, par son Eloquence, & par la noblesse de sa conduite ; Un Evesque d’une érudition consommée, & que mille autres rares qualitez ont fait choisir pour cultiver les esperances d’un jeune Héros, de qui tout l’Univers attend de si grandes choses ; Un Duc & Pair également recommandable par son Esprit & par sa Valeur, & avec qui toutes les Graces ont fait une alliance eternelle ; des Gouverneurs de Province ; un President du Parlement ; plusieurs Personnages celebres en toutes sortes de Sciences, sont les nouveaux Confreres que nous vous avons donnez, sans parler de ce Grand Homme, que l’intime confiance du Prince, un zele infatigable pour le bien de l’Etat, & une passion ardente pour l’avancement des belles Lettres, distinguent assez pour n’avoir pas besoin d’estre nommé plus ouvertement. L’Academie a fait la plûpart de ces précieuses acquisitions, tandis que V. E. defendoit nos droits à Rome, & s’opposoit aux brigues de nos Ennemis. C’est sur vos soins & sur ceux de M. le Duc vostre Frere, que la France s’est reposée avec seureté de ses interests, en un Païs où déja depuis longtemps le courage, l’intrépidité, & l’amour de la Patrie, ont rendu fameux les Noms de Cœuvres & d’Estrées. C’est avec la mesme fermeté que V. E. a soûtenu l’honneur de la Couronne contre les injustes défiances que la prosperité des Armes du Roy faisoit naistre dans des Ames trop timides. Quels Eloges, quels applaudissemens n’a-t-elle point meritez encore au dernier Conclave, cette fermeté courageuse & salutaire, qui dans une occasion si importante n’a pas moins envisagé les avantages de la Republique Chrestienne, que suivy le plan des pieuses intentions de Sa Majesté ? Toute la Terre sçait combien ces grandes veuës ont donné de part à V. E. dans l’Exaltation de ce Pontife incomparable, à qui la pureté des mœurs, le mépris des richesses, la tendresse cordiale envers les Pauvres, l’humilité magnanime des anciens Evesques, & le parfait degagement des choses du monde, avoient acquis la reputation de Sainteté, avant que d’en obtenir le Titre attaché à la Chaire Apostolique. Il est mal-aisé apres cela, Monseigneur, que nous ne nous flations de quelque secrete complaisance, en voyant qu’il sort de l’Academie, des Princes du Sacré Senat, & que vostre suffrage que nous avons conté quelquefois parmy les nostres, concourt maintenant avec le S. Esprit au gouvernement de son Eglise. Avancez donc toûjours, Monseigneur, dans une si belle route, & permettez-nous de croire que V. E. conservera quelques sentimens d’affection pour une Compagnie sur qui Louis le Grand jette de si favorables regards : Pour une Compagnie, qui aprez la veneration toute singuliere qu’elle doit avoir pour son Royal Protecteur, n’aura point de mouvement plus fort que celuy du zele qui l’attache à V. E. & qui trouvera toûjours une des principales occasions de sa joye dans l’accomplissement de toutes vos glorieuses entreprises.

 

Il ne faut pas s’étonner si le Public a donné tant d’approbation à ce Compliment, puis qu’il a merité celle du Roy, qui se l’est fait lire à l’Armée par Mr de Breteüil, Lecteur de Sa Majesté. Aussi Monsieur le Cardinal d’Estrées le reçeut-il d’une maniere tres-obligeante. Il dit à Mr Charpentier qu’il n’entreprenoit point de répondre sur le champ à un Discours si plein d’éloquence, mais qu’il le prioit d’assurer la Compagnie qu’il ne perdroit jamais le souvenir des marques qu’elle luy donnoit du sien ; Qu’il s’en tenoit tellement obligé, qu’il ne luy suffisoit pas de l’en remercier comme il faisoit, & qu’il viendroit à l’Academie pour luy en témoigner plus fortement sa reconnoissance. Il s’étendit ensuite sur les Loüanges des Illustres qui la composent, & sur le travail du Dictionnaire dont il demanda particulierement des nouvelles. Il adjoûta qu’il esperoit beaucoup de la grandeur & de l’exactitude de cette entreprise, dont il avoit souvent entretenu des Gens d’esprit d’Italie qui en avoient admiré le Plan ; & apres quelque conversation il reconduisit les Deputez jusqu’à la porte de la Salle proche le Degré. Il leur tint parole quelques jours apres, & se trouve au Louvre à une de leurs Seances. Il est Protecteur de l’Academie de Soissons, où Mr Hebert Tresorïer de France luy avoit déja fait le Compliment qui suit au nom de cette Compagnie. Je trouveray l’occasion, Madame, de vous en faire connoistre une autre fois le merite & l’établissement.

 

Monseigneur,

Quelle joye ne doit pas répandre dans ces lieux l’honneur de vostre presence apres une absence si longue & si ennuyeuse ! Quelle joye pour une Compagnie qui vous doit tant, & qui vous honore à proportion de ce qu’elle vous doit, de vous y voir dans cet éclat qui frape aujourd’huy si agreablement nos yeux, & dont l’idée avoit remply si long-temps nostre imagination ! Nous sçavons bien, Monseigneur, que toutes les Grandeurs humaines estant au dessous de cette élevation d’esprit & de cette grandeur d’ame, qui distingue si excellemment Vostre Eminence des autres Hommes ; c’est vous rabaisser en quelque façon, que de vous loüer d’une Dignité, quelque grande, quelque élevée qu’elle soit. Mais vous nous permettrez de vous dire, que regardant celle-cy comme un pur effet de vostre merite, vous ne devez pas trouver mauvais que nous nous réjoüissions de vous en voir revestu, & que nous vous fassions ressouvenir qu’en augmentant vostre Gloire, elle acheve & consomme celle de vostre Maison. Cette grande, cette illustre Maison, Monseigneur, subsistoit depuis plusieurs Siecles dans une splendeur peu commune. Tout ce que la valeur unie à la conduite peut acquerir de Titres eclatans, tout ce que la fidelité jointe aux lumieres peut procurer d’importans Emplois, tout cela, Monseigneur, s’y voyoit en foule ; & de tout les honneurs de la Terre, on peut dire que la seule Pourpre luy manquoit ; mais le Ciel qui travailloit depuis si longtemps à son agrandissement, qui par la production continuelle de tant de Héros qu’il en faisoit sortir successivement, la disposoit pour ainsi dire à recevoir cet honneur, fit naistre enfin V. E. avec toutes les qualitez qui en pouvoient estre dignes. Vous le reçeutes donc, Monseigneur, non pas comme la pluspart des Etrangers, sur le seul raport de la Renommée, & sur la simple Nomination d’un Prince qui le demande pour son Sujet. Rome vit bien deux Royaumes se disputer l’avantage de vous le procurer ; mais avant qu’elle vous l’accordât, Rome vit aussi briller à l’envy ces belles, ces éclatantes qualitez. Elle connut vostre merite, & ce fut sans doute ce qui la détermina dans cette grande conjoncture. Quel honneur pour vous, Monseigneur, d’avoir acquis par une voye si belle une Dignité si sublime ! Quel honneur d’avoir mis le comble à la gloire d’une Maison des premieres & des plus fameuses de l’Univers ! Mais quel honneur pour l’Academie de Soissons, de se pouvoir glorifier d’un tel Protecteur ! Quel honneur pour nous, que V. E. ait bien voulu se charger de ce Titre, & n’ait pas dédaigné de le joindre à tant d’autres si glorieux ! Quelle joye encore un coup de voir ce Protecteur & de luy parler ! Mais quelle peine de le voir pour si peu de temps, & de luy parler sans pouvoir parler dignement de luy ! Quel embaras, quelle confusion de devoir tant & de pouvoir si peu rendre, de sentir une reconnoissance qu’on ne peut exprimer ! C’est pourtant principalement cette reconnoissance, Monseigneur, que vous voudrions pouvoir bien dépeindre à V. E. Plût à Dieu que vous pussiez voir quels mouvemens elle excite dans nos cœurs, quels Vœux, quels Souhaits elle y forme. Nous les continuërons, Monseigneur, ces Vœux & ces Souhaits ; & puis que nous ne pouvons autre chose, nous les ferons du moins avec tout le zele & toute l’ardeur dont nous sommes capables. Nous ne dirons pas icy à V. E. quel est presentement leur objet ; puis qu’il n’y a plus qu’un degré entre le Ciel & Vous, il n’est pas mal-aisé de le comprendre. Nous vous dirons seulement, Monseigneur, qu’il faut quelque chose de Supréme pour récompenser une supréme Vertu, qu’ainsi il n’y a rien de si grand, ny de si haut dans le Monde, où V. E. ne puisse pretendre avec justice, & où elle ne soit déja placée par les ardens & justes desirs de cette Compagnie.

Epistre au Roy §

Le Nouveau Mercure galant, juin 1677 (tome IV), p. 30-35III.

Pour passer de la Prose aux Vers, en voicy qui furent faits pour le Roy incontinent apres ses trois nouvelles Conquestes. Ils sont de Monsr. de la Citardie. C’est un Gentilhomme qui n’a pas besoin de parler longtemps pour faire connoistre qu’il a infiniment de l’esprit ; mais comme je ne tiens pas ces Vers de luy-mesme, & qu’il m’en est tombé entre les mains plusieurs copies differentes l’une de l’autre, je ne sçay si j’auray choisi la veritable.

EPISTRE AU ROY.

SIRE, je l’avouëray, la Gloire a bien des charmes :
Il est beau de vous voir au milieu des allarmes,
Voler à ses costez ; & triomphant toûjours,
Conter par vos Exploits le nombre de vos jours.
Il est beau de vous voir sacrifier pour elle
Tout ce qu’on peut jamais attendre d’un grand zele ;
Mais pardonnez-moy, SIRE, & ne murmurez pas
Si je crains pour mon Roy ses dangereux appas,
Quand je songe aux perils, où pour luy rendre hommage
Vostre-intrépide cœur à toute heure s’engage,
Car si j’ose aujourd’huy m’expliquer avec vous,
Le Sceptre ny les Lys n’exemptent point des coups.
Ce rang de Souverain qui vous met sur nos testes,
Ne met point vos beaux jours à l’abry des tempestes.
Le Canon si fatal aux plus braves Guerriers,
N’a jamais des Héros respecté les Lauriers,
Et ceux dont vostre front s’est fait une Couronne,
N’en garantissent point vostre Auguste Personne.
Il ne faut qu’un malheur… Dieux ! je n’ose y penser,
Je sens à ce discours tout mon sang se glacer.
Ah, SIRE, ç’en est trop, venez revoir la Seine,
Voulez vous à Madrid aller tout d’une haleine,
Et toûjours oublier, ce qu’éloigné d’icy,
A Therese, à l’Etat, vous causez de soucy ?
Vous avez en un mois mis trois Villes en poudre,
Vostre cœur au repos ne peut-il se résoudre ;
Et ces fruits que la Gloire a reservez pour vous,
Les goútant dans le calme, en seront-ils moins doux ?
Vous sçavez qu’autrefois un Héros dont l’Histoire
Conservera toûjours la pompeuse memoire,
Apres avoir finy de moins nobles travaux,
Fit voir qu’on peut donner des bornes aux Héros.
Que si la noble ardeur de vostre ame guerriere,
Ne peut se retenir qu’au bout de la carriere ;
Si pour pous arrester, vous voulez voir soûmis
Tout ce qui peut encor vous rester d’Ennemis,
Contentez-vous au moins de ces soins politiques,
Qui font plus que le fer fleurir les Republiques,
Instruisez vos Guerriers à marcher sur vos pas,
Marquez l’heure, le temps, disposez des Combats,
Et songez qu’un Grand Roy qui fut nommé le Sage,
Fit de son Cabinet trembler son voisinage,
Tandis qu’en seureté, paisible dans sa Cour,
Il donnoit quelquefois des heures à l’Amour.

Pour Monsieur. Sonnet §

Le Nouveau Mercure galant, juin 1677 (tome IV), p. 35-37IV.

Monsieur le Comte de Bregy dont je vous ay parlé dans ma Lettre precedente a fait le Sonnet qui suit pour Son Altesse Royale. Je croy que vous n’aurez pas de peine à luy donner la mesme approbation qu’il a reçeuë icy de tout le monde.

POUR MONSIEUR,
SONNET

Tu serviras d’exemple un jour à nos Neveux,
Digne Frere d’un Roy le plus grand Roy du monde ;
S’il passe les Cesars, ta Valeur le seconde,
Et soûtient ses Lauriers par des Exploits fameux.
A tes traits delicats, à ton air gracieux,
Tu sembles estre né pour une paix profonde ;
Et dans le Champ de Mars dés que le Canon gronde,
Ton cœur anime tout, ton bras frape en tous lieux.
A present qu’apres-toy tu fais marcher la Gloire,
Que tu ne combats point sans avoir la Victoire,
Louis n’est plus le seul qui triomphe de tous ;
Mais luy seul toute-fois des Princes de la Terre,
De ceux qui sont en paix, ou qui nous font la guerre,
Peut voir tes grands Exploits sans en estre jaloux.

Lettre de Madame la Comtesse de Bregy, à Monsieur l’Abbé Bourdelot §

Le Nouveau Mercure galant, juin 1677 (tome IV), p. 38-46V.

Rien ne sçauroit mieux suivre les Vers de Monsieur de Bregy, que la Prose de Madame la Comtesse de Bregy sa Femme. Jugez-en par cette Lettre. Elle est écrite à Mr l’Abbé Bourdelot, si connu par ce grand merite qui ayant fait bruit jusqu’en Suede, obligea la Reyne Christine de l’y appeller aupres d’elle, non seulement comme un tres habile Medecin, mais comme un Homme consommé en toute sorte de Sciences. Il n’y a personne qui ne sçache l’estime particuliere dont Monsieur le Prince l’honore, & la confiance qu’il prend en ses conseils sur le regime de vie qui luy est necessaire pour sa santé. Il fait des Vers fort agreables quand ses grandes occupations luy en peuvent laisser le temps, & nous en avons veu de luy sur differentes matieres, qui ont esté leus par tout avec plaisir.

LETTRE de MADAME
La Comtesse de Bregy,
A Monsieur l’Abbé Bourdelot.

Si vous me regardez du costé de la capacité, je demeure d’accord que mon droit n’est pas bien fondé à me plaindre de vous de ne m’avoir point montré vos Ouvrages. Mais s’il vous avoit plû, Monsieur, de considerer ceux qui vous aiment le mieux, par cette regle là j’aurois reçeu de vous les Vers que vous avez faits pour Monsieur Colbert, dont le seul hazard me fit hier present. Cela est beau que ce ne soit pas de vous que je les aye reçeues. Ne sçavez-vous pas bien que tout ce qui sert à vostre gloire, sert aussi à ma joye, & que d’ailleurs bien des choses ne m’en donnent pas tant qu’il soit necessaire de m’en retrancher ? Ce n’est pas là ce que les Amis doivent faire, au contraire il faut qu’ils songent à procurer à ceux qu’ils aiment tous les petits biens, n’estans pas en estat de leur en faire avoir de grands ; mais vous estes dans un embarras d’amour propre qui vous tient de trop pres pour vous laisser le temps de penser à ceux de qui vous estes aimé, & il vous fait sans cesse courir apres ceux que l’Envie empesche de convenir de vostre merite. Ne cherchez plus à les en convaincre. Estes-vous à sçavoir que la Verité s’établit par elle-mesme, & que c’est son privilege de percer tous les nuages pour se découvrir ? C’est une preuve du parfait merite, de vivre avec nonchalance sans briguer l’approbation, il faut qu’elle vienne à la fin payer tribut sans que l’on en prenne soin. Regardez le Héros aupres de qui vous estes attaché. Voyez comme il semble estre de loisir, il ne fait plus rien parce qu’il a tout fait, car il n’est point d’esprit qu’il n’ait parfaitement assujetty à croire qu’il est un des plus grands Hommes du monde, & pour peu qu’il commençât à s’ennuyer dans sa solitude, il se trouve un remede tout prest. Il n’a qu’à tourner les yeux du costé de sa gloire, pour voir le plus beau spectacle que jamais Mortel ait pû donner à l’Univers. Avec une telle sauvegarde il n’est point de chagrin qui le puisse attaquer. La mort mesme qui ose tout ne pourra rien contre luy, car lors qu’elle croira s’estre enrichie d’une si noble proye, elle n’aura fait que le débarasser de ce qu’il avoit de commun avec le reste des Dieux. Mais s’il trouvoit son compte à cela, nous n’y trouverions pas le nostre en le perdant ; c’est pourquoy, Monsieur l’Abbé, ne songez pas tant à écrire en beau langage, que vous ne resviez profondement à ce que l’Art de la Medecine peut fournir de Secrets pour prolonger sur la terre une si belle vie, & par là vostre Siecle vous sera beaucoup plus redevable que de toutes les choses que vous pourriez d’ailleurs faire pour son ornement. En mon particulier je ne vous quitte point à moins de me promettre pour ce Grand Homme encore une centaine d’années ; & pour vous en récompenser, je souhaite que tout le monde convienne avec moy que Monsieur l’Abbé Bourdelot est tout compté & rabattu, un des Hommes du monde de la plus agreable conversation.

[Histoire d’un Cavalier trompé par sa Débauche]* §

Le Nouveau Mercure galant, juin 1677 (tome IV), p. 46-61VI.

Je devrois estre déja devant S. Omer ; mais je ne puis me defendre de m’arrester encor un moment icy pour vous faire rire d’une Avanture dont un Cavallier que vous connoissez a toutes les peines du monde à se consoler : c’est celuy qui au dernier Voyage que vous fistes icy, vous dit tant d’agreables Bagatelles aux Thuilleries. Vous sçavez, Madame, combien sa conversation est enjoüée. C’est un talent merveilleux pour se faire souhaiter par tout. Il dit les choses finement, fait un Conte de bonne grace, & il seroit presque sans defaut s’il n’avoit pas celuy de se mettre quelquefois de trop bonne humeur quand il reçoit un Defy dans la Débauche. Il s’oublie pourtant assez rarement là dessus ; & s’il ne s’en corrige pas tout à fait, c’est parce qu’il n’a que ce qui s’appelle un Vin gay, & que se donnant seulement tout à la joye, il ne s’en est jamais fait d’affaires, que celle que je vous vais conter. On l’avoit mis d’un fort grand Repas chés Bergerat. Un Comte & un Marquis de ses plus particuliers Amis s’y trouverent : ils estoient tous deux de sa confidence, & ils avoient habitude l’un & l’autre chez une Dame qui ne montroit pas d’indifference pour luy. La Dame estoit digne de ses soins, jeune, aimable, mais d’une fierté à gronder long temps pour peu de chose. Toutes ces circonstances sont à sçavoir pour l’intelligence de l’Histoire. On se met à Table, on rit, on chante, on dit des folies, & le Cavalier porte si loin la joye, qu’il la fait aller jusqu’à l’excés. Il boit la santé des Belles, exagere leur merite, & laisse égarer sa raison à force de vouloir raisonner. Apres quelques rasades un peu trop largement reïterées, il se jette sur un Lit de repos, l’assoupissement l’y prend, & il est tel que l’heure de se separer arrive avant qu’il ait cessé de dormir. Ses Amis se croyent obligés d’en prendre soin. On le porte dans le Carrosse du Comte qui se fait mener chez luy. Ses Laquais le deshabillent, & on le couche sans qu’il fasse autre chose qu’ouvrir un peu les yeux & se rendormir. Ce long oubly de luy-mesme met le Comte en humeur de luy faire piece. Il oblige une de ses Amies d’aller chez la Dame dont je vous ay fait la peinture. Elle la met sur le chapitre du Cavalier, & luy demande si elle estoit broüillée avec luy, parce qu’il s’estoit trouvé en lieu où il n’avoit pas parlé d’elle comme il devoit. La Dame estoit fiere, elle prend feu, & lui prepare une froideur plus propre à le chagriner que ne pourroient faire ses plaintes. C’estoit là ce que le Comte vouloit. Il va trouver le Marquis leur Amy commun, & concerte avec luy le personnage qu’il doit joüer. La nuit se passe, le Cavalier s’éveile, & est fort surpris de se trouver chez le Comte, qui entre un moment apres dans sa Chambre. Il s’informe de l’enchantement qu’il a mis où il se voit. Le Comte soûrit, & luy demande s’il ne se souvient plus de toutes les folies qu’il a faites depuis le Repas de Bergerat. Il luy fait croire qu’il l’avoit trouvé chez une Duchesse d’où il l’avoit ramené chez luy, parce qu’il n’estoit pas dans son bon sens. Il adjoûte qu’il venoit de sçavoir qu’il avoit rendu visite à son Amie, à qui il avoit dit force impertinences ; qu’on ne luy avoit pû dire précisément ce que c’estoit, mais qu’elle en estoit fort indignée, & d’autant plus que c’estoit en presence du Marquis qu’il luy avoit dit toutes les choses desobligeantes dont elle se plaignoit. Le Chevalier ne sçait où il en est. Il se souvient du Repas de Bergerat, mais il ne se souvient de rien autre chose. Il ne laisse pas d’estre persuadé que comme il est venu coucher chez le Comte sans s’en estre apperçeu, il peut bien avoir fait toutes les extravagances dont on l’accuse. Il court chez le Marquis. Le Marquis qui estoit instruit débute avec luy par une grande Mercuriale. Il luy dit qu’il ne comprend point comment il a pû s’oublier au point qu’il a fait, qu’on ne traite point une Femme qu’on estime, comme il a traité son Amie, & qu’il meriteroit bien qu’elle ne renoüât jamais avec luy. Le Cavalier veut sçavoir son crime. Ce crime est qu’il a reproché à la Dame devant luy qu’elle avoit de fausses Dents, qu’il ne s’est pas contenté de le dire une fois, qu’il l’a repeté, & qu’elle en est dans une si grande colere, qu’il fera bien d’aller l’appaiser sur l’heure, afin qu’elle ne s’affermisse pas dans la resolution de ne luy pardonner jamais. Je ne vous puis dire, Madame, si le Marquis crut supposer ce defaut à la Belle, ou s’il sçavoit qu’il fust effectif ; mais la verité est que toutes ses Dents n’estoient point à elle. Le malheur de les perdre est inévitable à bien des gens, & on n’est point blamable d’y remedier ; mais les Dames qui le cachent avec soin, ne sont pas bien aises qu’on s’en apperçoive, & il faut toûjours avoir la discretion de n’en rien voir. Le Cavalier aimoit la Dame, il donne dans le panneau, va chez elle apres avoir quitté le Marquis ; & ne jugeant pas qu’une injure de fausses Dents reprochées soit difficile à oublier, parce qu’il ne croit pas qu’elle en ait de fausses, il commence par des excuses generales d’avoir laissé échaper quelque chose qui luy ait déplû. La Dame qu’on estoit venuë avertir du peu de consideration qu’il avoit montré pour elle, repond fierement qu’elle se mettoit fort peu en peine de ce qu’il avoit pû dire sur son chapitre, que c’estoit tant pis pour luy, & qu’elle se croyoit à couvert de toute sorte de censures si on ne disoit que des veritez. C’est par là que le Cavalier pretend qu’on luy doit aisément pardonner puis, qu’estant dans une estat à ne sçavoir pas trop bien ce qu’il disoit, il l’avoit accusée d’avoir de fausses Dents, elle qui les avoit si belles & si bien rangées par la Nature. La Dame qui se sent attaquée par son foible ne peut plus se retenir ; elle croit qu’apres avoir mal parlé d’elle, il a encor l’insolence de la venir insulter. Elle éclate ; & plus elle marque de colere, plus il demande ce qu’il y a de criminel dans l’article suposé des fausses Dents. Elle le chasse, il s’obstine à demeurer, revient encor à ses Dents, & la met dans une telle impatience qu’elle le quite, & va s’enfermer dans son Cabinet. Le Cavalier demeure dans une surprise inconcevable. Il s’adresse à sa Suivante, & veut l’employer à faire la paix. La Suivante l’entreprend, luy demande dequoy il s’est avisé de parler des Dents de sa Maistresse, & lui ayant dit qu’elle ne doit compte à personne si elle en a d’appliquées ou non, elle luy fait enfin soupçonner qu’il pourroit avoir dit vray en n’y pensant pas. Cependant il est obligé de sortir sans avoir pû faire satisfaction à la Dame. Il est retourné dix fois chez elle depuis ce temps-là, & elle ne l’a point encore voulu recevoir. Voila, Madame, en quel estat sont les choses. Le Cavalier a découvert depuis deux jours la piece que ses Amis luy avoient joüée, il en est fort piqué, & il y aura peut-estre de la suite que je ne manqueray pas à vous apprendre.

[Trois Rondeaux de Mr de S. Gilles Lenfant]* §

Le Nouveau Mercure galant, juin 1677 (tome IV), p. 75-81VII.

Il [Mr de S. Gilles Lenfant] a fait ce Carnaval une vingtaine de Rondeaux sur des Fables d’Esope, & les a presentés à Monsieur le Duc du Mayne d’une maniere toute singuliere. Ils ont esté fort bien reçeus, je vous en envoye trois, & vous feray part des autres, s’ils plaisent autant dans vostre Province qu’ils ont plû aux premieres Personnes de la Cour.

A MONSEIGNEUR
LE DUC DU MAYNE.
RONDEAU.

Qu’un tour de Page eust assez d’agrément
Pour vous servir de divertissement,
Prince où l’esprit avec la grace abonde,
N’est un bonheur où mon espoir se fonde,
Grand tort j’aurois d’y penser seulement.
Mes petits Vers n’ont point asseurement
Du tour poly l’agreable ornement,
Et l’on n’y voit, si l’on y fait la ronde,
  Qu’un tour de Page.
Ce n’est priser l’ouvrage aucunement,
Mais tel qu’il est, foy d’homme qui ne ment,
A vous l’offrir ma joye est sans seconde,
Il est remply de Morale profonde,
Quoy qu’il ne soit, à parler franchement,
  Qu’un tour de Page.

DE LA CIGALE,
ET DE LA FOURMY.
FABLE
RONDEAU.

Le temps n’est plus de la belle saison,
L’Hyver approche, & Neige à gros flocon
Tombe du Ciel, Cigale verdelette
Ne chante plus, autre soin l’inquiete,
C’est de disner dont il est question.
Mais où disner ? car de provision
Il n’en est ppoint, point de précaution,
D’aller aux Champs succer la tendre herbette,
  Le temps n’est plus.
Elle va droit à l’Habitation
De la Fourmy, belle reception,
Mais rien de plus, il faut faire diette ;
Quand on est vieux, c’est trop tard qu’on regrette
Les jours perdus, & de faire moisson
  Le temps n’est plus.

AU ROY,
RONDEAU
ACROSTICHEVIII.

A Vous, Grand Roy, seroit grande bonté
Vouloir souffrir qu’avecque liberté,
Où l’on gardât respect & reverence,
Un Page vinst dire tout ce qu’il pense
Sur vostre gloire ayant bien medité.
Grande en seroit certes la nouveauté,
Rieurs voudrois avoir de mon costé,
Avant qu’oser parler avec licence
  A Vous, Grand Roy.
Non, ce seroit à moy temerité,
D’autres bien mieux vostre les ont chanté.
Raison, respect, tout m’impose silence,
On ne pourroit malgrê ma suffisance,
Y trouver rien égal en majesté,
  A Vous, Grand Roy.

Avoüez, Madame, que l’assujettissement à tant de Rimes ne cause pas peu de peine dans ces sortes d’Ouvrages, & que lors que celuy qui les fait en vient agreablement à bout, il en merite plus de loüanges.

[Sur des Ouvrages d’esprit]* §

Le Nouveau Mercure galant, juin 1677 (tome IV), p. 81-84IX.

A propos d’Ouvrages d’Esprit, je me trouvay dernierement chez une Dame qui en juge admirablement bien, aussi voit-elle ce qu’il y a de plus beaux Esprits en France. Elle entend les Langues, fait des Vers qu’il seroit difficile de mieux tourner ; & la pluspart de nos Illustres de l’Academie Françoise, ne dédaignent pas de la consulter sur leurs Ouvrages avant que de les donner au Public. On mit sur le tapis les trois Traitez que Mr le Chevalier de Meré a fait imprimer depuis peu, & je fus ravy, Madame, de voir que tout le bien qu’on en dit se rapportât à l’estime particuliere que vous en faites. L’un fut pour le Traité de l’Esprit, l’autre pour celuy de l’Eloquence, & la Dame se declara pour les Agrémens ; mais il n’y eut personne qui ne convinst que tous les trois estoient écrits avec une facilité & une pureté de langage qui ne satisfaisoit pas moins les oreilles, que leurs solides raisonnemens remplissoient l’esprit. On parla en suite de l’Heroïne Mousquetaire qu’on loüa en bien des choses, mais qu’on prit pour une Histoire faite à plaisir, quoy qu’on nous la donne pour veritable. Quelqu’un pretendit que Christine qui tuë son Frere croyant tirer sur un Sanglier, n’estoit autre chose que la Fable de Procris & de Cephale ; & sur ce qu’une partie de l’Assemblée fut du mesme sentiment, un autre prit la parole, & dit qu’il arrivoit quelquefois des choses extraordinaires qui pour n’avoir rien de vray-semblable, ne laissoient pas d’estre vrayes, & qu’on luy en avoit mandé une de Hollande dont il ne doutoit point que toute la Compagnie ne fust surprise.

Stances §

Le Nouveau Mercure galant, juin 1677 (tome IV), p. 127-132X.

Pendant qu’on pressoit en mesme temps les Sieges de Cambray & de S. Omer, voicy des Vers qui furent faits à la gloire du Roy, & que je ne doute pas que vous ne lisiez avec plaisir. Je suis fâché de n’en connoistre pas l’Autheur pour vous le nommer. Il luy sera toûjours avantageux d’avoûer un Ouvrage de la force de celuy-cy. Il feint que Pallas presente Monseigneur le Dauphin aux Muses, & qu’elle leur parle ainsi sur le Parnasse.

STANCES.

Sous les deux Noms que l’on me donne,
Je joins aux dons de Mars vos aimables presens ;
Je préside aux Héros, je préside aux Sçavans,
Et ma main tour à tour de Lauriers les couronne ;
J’ay fait du Grand Loüis le plus grand des Guerriers,
J’ay remply pour vos Arts ce Prince de lumiere ;
Mais il faut que le Fils cherche icy des Lauriers,
J’ay cüeilly tous les miens pour couronner le Pere.
 Des Actions si surprenantes,
Obligent la Victoire à me les arracher ;
A peine pour ce Roy j’ay le temps d’en chercher ;
Qu’ils me sont enlevez par ses mains triomphantes ;
Son bras fait des Exploits qu’on n’eust osé penser,
Quand mesme ils sont publics, à peine ils sont croyables ;
Et ces Murs qu’en huit jours nous l’avons veu forcer,
Avant que d’estre pris estoient crus imprenables.
 Mais c’est encor peu pour sa gloire,
Ce Cambray si fameux qu’il réduit aux abois,
Auroit en moins de temps déja reçeu ses Loix,
S’il vouloit à demy remporter la victoire.
Saint Omer le va suivre, & mon plus grand employ,
C’est de tenir toûjours plusieurs Couronnes prestes ;
Ayez donc soin du Prince, & j’auray soin du Roy,
Travaillez pour l’Etude, & moy pour les Conquestes.
 Mais quoy ! vous marquez de la crainte
Depuis qu’un si beau Prince est dans vostre séjour ;
Muses, vous le prenez peut-estre pour l’Amour,
Et vostre liberté redoute quelque atteinte ?
Non, non, défaites-vous de cette injuste peur :
Quoy qu’il ait de l’Amour les traits & le visage,
L’Illustre Montausier estant son Gouverneur,
Quand il seroit l’Amour, auroit fait l’Amour sage.
 Mais vostre erreur est sans égale,
Si de ce Dieu volage il a les agrémens,
Son ame a des attraits mille fois plus charmans
Que ceux que vous voyez que son visage étale.
Elle est grande, elle est belle, & dans son jeune cœur
Naissent des sentimens d’un si beau caractere,
Qu’en y reconnoissant l’esprit du Gouverneur,
On y remarque aussi la majesté du Pere.
 Tous vos Emplois font ses delices,
Son esprit y penetre avec facilité,
Et dans sa Cour sçavante on voit à son costê
Ceux qui sont les premiers dans tous vos Exercices ;
Il vous rend bien l’éclat qu’il reçoit de vos Arts,
Donnez-luy donc au moins son rang sur le Parnasse :
Vous avez élevé les plus grands des Cesars,
Ce Prince avec raison doit occuper leur place.

Lettre en chansons §

Le Nouveau Mercure galant, juin 1677 (tome IV), p. 132-141XI.

J’adjoûteray à ces Stances une Lettre écrite à Madame la Marquise de Louvois par Monsieur Galand, Secretaire du Cabinet. Vous la trouverez d’une nouveauté singuliere. Elle est toute en differens Couplets de Chanson sur les Airs les plus connus. Madame de Louvois estoit allée passer quelques jours à la Campagne, & Mr Galand qui ne le cede à personne en délicatesse d’esprit, eust eu peine à luy marquer plus agreablement le chagrin qu’il avoit de son absence. La Lettre est en partie sur les grandes Actions du Roy, & c’est pour cela que j’ay crû la devoir placer icy.

LETTRE
EN CHANSONS,

Sur le Chant de Lancelot Turpin.

Flore dans nos Champs
Est enfin descenduë,
Les Oyseaux par leurs chants
Annoncent sa venuë ;
Mais que sert le Printemps,
Quand on vous a perduë ?

Sur le Chant de Réveillez-vous Belle endormie.

Du Zephir la douce influence
Change en vain nos Bois & nos Prez,
Nous ne sentirons sa presence,
Que du jour que vous reviendrez.

Sur l’Air du Traquenart.

Madame, que faites-vous
De vous éloigner de nous ?
 De ma propre main,
Si je croyois mon courage,
 De ma propre main
Je me percerois le sein.

Sur l’Air de la Bordeaux.

A qui connoist vostre beauté charmante,
 Comme nous faisons tous,
Toute saison est aimable & riante
 Qui se passe avec vous.
 Nul temps n’est doux
 Quand vous estes absente,
 Et c’est par le mesme esprit
 Que l’heureux Coulange rit,
 Et Galand lamente.

Sur le Chant de l’Echelle du Temple.

Je ne hay point les Espagnols,
Tant que Coulange & que Bagnols.
Ils ont eux-seuls tout l’avantage,
Tous les plaisirs, & tout l’honneur,
Et ne nous laissent en partage,
Que d’enrager de leur bonheur.

Sur le Chant de Landeriette.

Mais à quoy bon tant de douleurs ?
Nos cris, nos soûpirs & nos pleurs,
  Landeriette,
Ne vous ramenent pas icy,
  Landeriette.

Sur l’Air de Fichuë est toute preste.

A tous les gens de bon goust,
J’ay toûjours oüy dire
Que quand l’adresse est à bout,
Il faut benir Dieu de tout,
 Et rire, & rire, & rire.

Sur le Chant de l’Année est bonne.

Mais venons à nostre Grand'Roy,
A luy voir tout remplir d’effroy,
Il n’est bon François qui n’entonne,
  L’Année est bonne.

Sur le Chant de Puissant Roy.

Il n’est pas permis de s’affliger,
Sous ses Loix Loüis va tout ranger.
Celebrons les Miracles étranges,
Qu’ont fait pour nous son esprit & son cœur,
 A l’envy prodiguons nos loüanges,
C’est le seul bien qui flate le Vainqueur.

Sur l’Air Beuvons à nous quatre.

 Mais quoy qu’on l’adore,
 On a du dépit.
De voir qu’au bout du Recit
 Il en reste encore
 Plus qu’on n’en a dit.

Sur l’Air de Frere Frapart.

Nous cesserons enfin d’entendre
Comparer au plus grand des Roys,
Achille, Cesar, Alexandre,
Et tous les Héros d’autrefois :
Quel que soit l’éclat qu’on leur donne,
Ce qu’est Loüis nul n’a jamais esté,
Il n’imita jamais personne,
Et ne sera point imité.

Sur le Chant du Poulailler de Pontoise.

Quelque éloge qu’il nous coûte,
Ayons-en toûjours pour luy,
A cent ans comme aujourd’huy
Puisse-t-il estre sans goûte ;
Qu’à ses pieds il ait cent Rois,
Qu’à la Chine on le redoute ;
Et pour tout dire à la fois,
Qu’il ait encor son Louvois.

Sur l’Air des Sauts de Bordeaux.

Dans le mesme Sacrifice
Loüis est adoré,
Son Ministre avec justice
Se voit aussi réveré :
Toute médisance créve,
L’envieux tombe en defaut
Lors que la vertu s’éleve
Jusqu’au degré le plus haut.

Sur le Chant de Vous avez trois Filles.

 Cette grande Brune
 Dont il est Mary,
N’est pas la moindre fortune
 De ce sage Favory.

Sur le Chant des Feüillantines.

Finissons, car du Mestier
  De loüer,
Il ne faut pas se joüer ;
De tout ce que l’on révere
  Il fait bon
Il fait bon ne parler guere.

Sur l’Air de ****

Croyez donc que l’Autheur
Tres fatigué d’écrire ;
Croyez donc que l’Autheur
Est vostre Serviteur.
Je suis sans ceremonie
Le tres-fidele valet
De la noble Compagnie
Qui n’aura que ce Couplet.

[Prise de Saint-Omer]* §

Le Nouveau Mercure galant, juin 1677 (tome IV), p. 150-152XII.

Le 20 [mai]

Les Ennemis voyant que Monsieur estoit revenu depuis quelque temps à son Quartier de Blandec, & que ses Troupes estoient toutes sur la hauteur d’Arques, battirent la chamade sur les six heures du soir. On donna des Ostages de part & d’autre, & Monsieur envoya les Articles au Roy par Mr le Chevalier de Nantoüillet son Chambellan ordinaire. Sa Majesté ne les voulut point voir, & dit, Que Son Altesse Royale avoit trop bien commencé, pour ne pas achever de mesme. Monsieur accorda aux Assiegez de sortir avec armes & bagage, & deux Pieces de canon. Ils sortirent deux milles Hommes de pied, & plus de cinq cens Chevaux. Son A. Royale entra dans la Ville, & fit chanter le Te Deum. Elle fit en suite le tour des Remparts, & alla voir toute l’Innondation, & les Marais qui sont du costé du Haut-Pont.

[Compliments à Madame la Duchesse]* §

Le Nouveau Mercure galant, juin 1677 (tome IV), p. 155-167XIII.

Mais, Madame, il est temps que je vous ramene de Saint Omer à Paris, où je croy que vous ne serez pas fâchée d’accompagner la Duchesse au College de Clermont. Leurs Altesses Serenissimes Monsieur le Prince & Monsieur le Duc, qui ont bien voulu confier le jeune Duc de Bourbon aux Peres de ce College pour y faire ses Etudes, l’y avoient amené depuis six mois, & Madame la Duchesse fut bien aise il y a quelque temps de leur venir témoigner elle mesme, qu’elle se tenoit obligée de leurs soins. Plusieurs Dames de la premiere Qualité estoient avec elle ; & les Jesuites qui sçavent toûjours bien faire les choses, répondirent à l’honneur qu’elle leur faisoit par tous ceux qui sont deus à une Personne de son rang. Ils ne se contenterent pas de luy marquer eux-mesmes combien ils estimoient la grace qu’il luy plaisoit de leur faire. Ils choisirent deux de leurs plus considerables Pensionnaires, qui suivis de quantité d’autres des plus Illustres Maisons de France, luy vinrent faire compliment, & se servirent pour cela des Vers que je vous envoye. Mr le Prince de Tingry commença par ceux-cy, & vous ne sçauriez croire, Madame, avec combien de grace il les prononça. C’est le Fils aîné de Mr le Duc de Luxembourg, & son nom suffit pour vous faire concevoir à quels importans Emplois il est un jour destiné par sa naissance. Il a tout à fait de l’esprit aussi-bien que Mr le Marquis de la Chastre qui fut choisi comme luy pour cet Employ, & ils marquent l’un & l’autre, je ne sçay quoy de grand qui répond parfaitement à ce qu’ils sont nez.

Deux Princes, deux Héros fameux êgalement,
Nous ont depuis six mois fait un honneur semblable
A celuy que de vous, Princesse incomparable,
 Nous recevons presentement.
C’est un honneur pour nous trop remarquable
Pour ne pas en sçavoir le temps précisément :
Mais il n’est pas de fort grande importance
De vous dire les Noms de ces Héros fameux,
 Il n’est point de Héros en France
 Plus grands & plus illustres qu’eux.
En mille autres Païs on les connoit tous deux,
On les connoit en Flandre, en Allemagne ;
 Et mesme dans toute l’Espagne
On trouve peu de Noms plus fameux que le leur.
On doit l’avoir appris en plus d’une Campagne,
Car on sçait toujours bien le Nom de son Vainqueur.
Il n’en faut point de marques plus certaines,
Je dis assez leur Nom ne disant que cela,
 Et des Héros comme ceux-là
 Ne se trouvent pas par douzaines.
J’accourus pour les voir, & j’y serois venu
 De la plus lointaine Province.
Ils avoient avec eux un joly petit Prince,
 Qui vous est aussi fort connu.
 Déja dans toute sa maniere
Il fait d’un vray Héros paroistre l’ame fiere :
Il a les yeux brillans, pleins de feu, pleins d’esprit,
 Et c’est le Portrait en petit
 De son Ayeul & de son Pere.
 Ce n’est pas tout que la fierté ;
Je reconnus d’abord en voyant sa beauté,
Qu’il pouvoit bien aussi ressembler à sa Mere.
 Aussi tost pour tout Compliment
On reçita des Vers de chaque espece,
 Vous meritez, grande Princesse,
 Qu’on en fasse pour vous autant.
Mais nous sommes des Gens étranges,
Nous voyons peu de Princesses chez nous,
Et le College enfin n’apprend point de loüanges
 Pour dire aux Dames comme vous.
 Il nous seroit moins difficile
De loüer de Condé la force & les Exploits,
 Nous sommes icy plus de mille,
Prests à dire pour luy tous les Vers que Virgile
Pour de moindres Héros composoit autrefois.
Mais je ne pense pas que Virgile ou quelque autre
 Des mieux disans dans l’Empire Latin,
 Ait jamais fait un Eloge assez fin
Pour en pouvoir tirer le modele du vostre.
 Ainsi sçachant comme je fais,
Que le mieux quelquefois pour se tirer d’affaire,
 C’est d’admirer & de se taire,
 Princesse, j’admire & me tais.

Apres que Mr le Prince de Tingry eut fait ce Compliment à Madame la Duchesse, Mr le Marquis de la Chastre luy fit le sien par les Vers qui suivent, & reçeut beaucoup de loüanges de la maniere dont il les recita. Il est l’Aîné de la Maison de la Chastre, & petit-fils de Mr le Comte de la Chastre, Colonel General des Suisses.

 Quand le merite est veritable,
 On ne peut le desavoüer,
 Et l’on sçait toûjours bien loüer
 Ce qu’on trouve toûjours loüable.
 Ainsi moins nous sommes versez
 Dans l’Art que la Cour autorise,
 Dans cet Art flateur qui déguise
 Tous les defauts qu’on a pensez,
Plus, Princesse, pour vous nous avons d’éloquence ;
 Quand on peut dire ce qu’on pense,
 On peut toûjours en dire assez.
Ce n’est donc point en ces lieux que les Dames
Doivent attendre les douceurs,
Et tous les Eloges flateurs
Qui plaisent tant à la pluspart des Femmes.
Nous aimons trop la verité
Pour bien sçavoir l’art des fleurettes,
Nous ne traitons point de parfaites
Celles de qui la vanité
Met leur merite en leur seule beauté.
Nous cherchons la vertu, l’esprit & le courage ;
Et pour avoir des loüanges de nous,
Princesse, il faut avoir le solide avantage
Des grandes qualitez que l’on admire en vous.
 C’est en vain que par modestie
 Vous en cachez une partie,
La Renommée en parle, & malgré les Emplois
Que de vos deux Héros elle reçoit sans cesse,
 Quand l’infatigable Déesse
Et du Prince & du Duc a conté les Exploits,
 Elle trouve encor de la voix
 Pour nous parler de la Duchesse.
 Il ne faut donc point employer
 Les longs Préceptes de Sciences,
 Pour soûtenir les esperances
Que vous donne aujourd’huy vostre Illustre Ecolier.
Prince, luy dira-t-on, imitez votre Pere,
 Et vostre Ayeul, & vostre Mere,
Toûjours de leurs vertus regardez le Portrait.
 Voila, Prince, comme il faut faire
 Pour se rendre un Prince parfait.

On m’a dit que le Pere de Villiers estoit l’Autheur de ces Vers ; je n’ay pas de peine à le croire, car ils sont tres-agreablement tournez, & nous avons veu quelques Pieces de luy qui sont assez du caractere de celle-cy.

[Avanture de l’Opéra]* §

Le Nouveau Mercure galant, juin 1677 (tome IV), p. 167-186XIV.

Deux mots, s’il vous plaist, sur une Avanture de l’Opéra : car comme vous sçavez, Madame, l’Opera est fort propre à faire naistre des Avantures, & depuis que les troisiémes Loges qu’on a retranchées à la livrée, s’occupent sans honte par des Personnes de Qualité, la rencontre des Brancards de Scaron est moins divertissante que celles qu’on y fait tous les jours.

Une Marquise du plus haut rang (il en est de toutes les sortes) mariée depuis six ans à un des principaux Officiers d’un fort grand Prince, auroit d’assez méchantes heures à passer par les frequens sujets qu’il luy donne de jalousie, si elle n’avoit la prudence d’accomoder son cœur à la necessité de sa fortune. Ce n’est pas qu’il n’ait de la tendresse, & une consideration toute particuliere pour elle, mais il se laisse entraîner à un panchant coquet qu’il ne sçauroit vaincre, & quoy qu’il ne soit pas fort jeune, il est tellement né avec la Galanterie, qu’il n’a pû s’en défaire par le Sacrement. Il faut qu’il voye les Belles. Il les régale, les mene à la Comédie & à l’Opéra, leur donne des Festes ; & la sage Marquise qui sçait combien l’éclat est dangereux avec un Mary sur ces sortes de commerces, n’a point trouvé de meilleur party à prendre que celuy d’en plaisanter, & de se divertir de ses Rivales quand elle en peut découvrir l’Intrigue. Le Marquis qui commence déja à grisonner, a fait habitude depuis peu avec une aimable Bretonne qui est venuë icy poursuivre un Procés avec son Mary. La Belle est une de ces Femmes qui ne veulent point estre aimées à petit bruit, qui trouvent de la gloire dans le fracas, & qui aiment mieux entendre dire un peu de mal d’elles, que de n’en point faire parler. Elle n’est pas la seule de ce caractere, & nous en voyons tous les jours qui se mettent peu en peine du Qu’en dira-t-on, pourveu qu’elles se puissent justifier à elles-mesmes du costé de leur vertu. Les apparences sont contre elles tant qu’il vous plaira, l’innocence de leurs intrigues est un témoignage qui les satisfait, & n’ayant rien de honteux à se reprocher, elles pretendent que c’est une folie de s’assujettir à vivre selon le caprice des Sots, qui sans vouloir penetrer les choses, ne consultent que leur malignité dans le jugement qu’ils en font. Voila l’humeur de la belle Bretonne. Le faste luy plaist, & elle ne haït pas les Connoissances d’éclat. On a beau en médire, il suffit qu’elle soit contente d’elle-mesme, pour ne pas renoncer aux plaisirs qu’elle s’en fait. Une Visite du grand air la réjoüit ; & comme le Marquis fait assez bonne figure à la Cour, elle s’accomoderoit fort des siennes, si en les faisant trop longues, il ne rompoit pas les mesures qu’elle prend pour ménager trois ou quatre Protestans dont elle aime à se divertir. Elle en a un Conseiller, un autre de profession de Bel Esprit (car il luy faut de tout) & elle trouve moyen de rendre leurs pretentions compatibles avec les soins d’un Etranger, dont la finance & l’équipage luy sont quelquefois d’un fort grand secours. Le Mary n’y trouve rien à dire. Il a un Procés qui luy tient plus au cœur que sa Femme. Les fortes Sollicitations sont des abondances de Droit qui ne se doivent jamais negliger ; & de quelque maniere que ce puisse estre, quand on a des Juges à faire voir, il est bon de se faire des Amis. Le Marquis n’eut pas veu trois fois la belle Bretonne, que la Marquise sa Femme en fut avertie. Elle voulut voir si elle estoit digne des assiduitez de son Mary, se la fit montrer à l’Eglise, luy trouva de la beauté, & jugeant par les agrémens de sa personne que l’attachement du Marquis pourroit avoir de la suite, elle ne songea plus qu’à s’informer à fond de l’esprit & de la conduite de sa nouvelle Rivale. Elle n’eut pas de peine à découvrir ses habitudes. On luy nomma sur tout l’Etranger, qui luy estoit déja connu par la grande dépense qu’on luy voyoit faire. Cet éclaircissement ne luy suffit pas. Elle pratiqua des Espions qui la servirent si fidellement, qu’il ne se passoit plus rien chez la belle Bretonne, dont elle n’eust aussi-tost avis. Elle sçavoit toutes les Visites que luy rendoit son Mary, les heures qu’elle ménageoit pour le Conseiller, & les teste-à-teste que l’Etranger en obtenoit. Sur ces lumieres elle mouroit d’envie de trouver cette Rivale en lieu où feignant de ne la point connoistre, elle pust luy rendre une partie du chagrin qu’elle luy causoit. L’occasion s’en offrit par une rencontre fort inopinée. La Marquise sçavoit que son Mary avoit retenu la Loge du Roy à l’Opéra, quand ses Espions luy viennent dire que la belle Bretonne y alloit aussi, sans qu’ils eussent pû découvrir avec qui. La Loge loüée par le Marquis ne luy permet point de douter que ce ne soit elle qu’il y mene. Elle veut estre témoin de ses manieres avec elle pendant ce Divertissement. La chose ne luy est pas difficile. Elle prend un habit negligé ; & avec une seule Suivante, elle se fait ouvrir les troisiémes Loges opposées à celle où devoit estre son Mary. Elle y trouve un Laquais qui gardoit des Places, reconnoist la livrée ; & s’imaginant qu’il y avoit de l’avanture, parce que la précaution de les faire retenir au troisiéme rang, estoit une marque de Rendezvous, elle prend les siennes sur le mesme Banc, & observe avec grand soin ceux qui viennent un moment apres occuper les autres. C’estoit l’Etranger avec une Dame, qui ayant osté deux ou trois fois son Loup, tant à cause de l’obscurité du lieu, que dans la pensée qu’elle eut que rien ne luy devoit estre suspect aux troisiémes Loges, fit connoistre à la Marquise qu’elle avoit aupres d’elle cette mesme Bretonne pour qui elle croyoit que son Mary eust fait garder la Loge du Roy. L’occasion estoit trop favorable pour n’en pas profiter. La Marquise demeure masquée, les laisse joüir quelques momens du teste-à-teste, & se met enfin adroitement de la conversation sur des matieres indiferentes. On commence d’allumer les chandelles, on ouvre la Loge du Roy, le Marquis y entre avec des Dames qu’il fait placer, & l’Etranger l’ayant nommé d’abord, & adjoûté qu’il falloit qu’il fust toûjours avec les Belles, la Marquise prend la parole, & dit qu’il y auroit dequoy faire un Volume de ses diferentes intrigues d’amour, si on les sçavoit aussi particulierement qu’elle. En mesme temps elle commence l’Histoire de deux ou trois Femmes que la belle Bretonne n’estoit pas fâchée d’écouter, s’imaginant qu’elle ne viendroit pas jusqu’à elle, ou que du moins elle ne parleroit que de quelques Visites qui ne devoient pas avoir fait grand bruit dans le monde. Cependant la Marquise qui avoit son but, la voyant rire de quelque Avanture de son Mary : ce qu’il y a de plaisant, poursuit-elle, c’est que le bon Marquis qui donne à tout, a quité la Cour pour la Province ; c’est à dire qu’il fait presentement son quartier chez Madame de *** C’est une Bretonne qui a des Amans de toute espece, qui les ménage tous à la fois, & qui entr’autres fait sa Dupe d’un Etranger qu’on tient d’ailleurs honneste Homme, & qui meriteroit bien de ne pas mettre comme il fait sa tendresse à fond perdu avec une Belle, qui en aimant d’autres que luy, ne le considere que pour la dépense qu’il fait aupres d’elle. La Bretonne desesperée de ce commencement, interrompt la Marquise & tâche à tourner le discours sur l’Opéra. Mais elle a beau faire, l’Etranger qui est bien-aise de s’éclaircir de ce qui le regarde, la prie de continuer, & malgré les interruptions de sa Rivale, la Marquise informée de toute sa conduite par ses Espions, n’oublie rien de ce qui luy est arrivé. L’Etranger connoist par là que quand elle a quelquefois refusé de passer l’apresdînée avec luy, c’est parce qu’elle l’avoit déja promise à un autre, & qu’elle ne luy est venuë parler depuis huit jours dans son Anti-chambre, d’où elle avoit grand’haste de le congedier, que pour l’empescher de voir qu’elle disnoit teste-à-teste avec le Marquis en l’absence de son Mary. Toutes ces particularitez mettent la Bretonne dans la derniere surprise, elle croit que le lieu où ils sont donne l’esprit de Prophetie ou de Revelation ; & l’Opéra commençant, elle feint de l’écouter, mais apparemment elle n’estoit pas fort en estat de juger de la bonté de la Musique. La Marquise fort contente du rôle qu’elle avoit joüé, s’échapa avant la fin du cinquiéme Acte. Il est à croire que l’Etranger qui estoit demeuré fort resveur depuis l’instruction qu’il avoit reçeu, dit de bonnes choses à la Bretonne apres le départ de la Marquise. On a sçeu depuis, qu’ils avoient rompu ensemble, & voila comme quelquefois un Rendezvous de teste-à-teste produit des effets tous contraires à ce qu’on s’en promet.

[Clagny, A Monseigneur le Duc du Mayne, Sur son voyage de Barrege] §

Le Nouveau Mercure galant, juin 1677 (tome IV), p. 207-213XV.

Monsieur le Duc du Mayne partit ces jours passez pour aller prendre les Eaux de Barrege, par l’Avis de Mr Fagon, qui passe pour un des plus habiles Medecins que vous ayons, & qui connoist le mieux les Simples. Ces Eaux avoient commencé à soulager ce jeune Prince dés l’année derniere. On ne peut avoir plus d’esprit pour son âge. Il a du Jugement, de la vivacité, du feu & des reparties admirables. Voicy des Vers qui ont esté faits sur son départ par Mr le President Nicole, à qui les agreables Traductions qu’il a données au Public de nos Poëtes les plus Galans ont acquis tant d’estime & de reputation. Il fait parler Clagny, Maison de plaisance où Monsieur le Duc du Mayne va se divertir quelquefois.

CLAGNY,
A MONSEIGNEUR
LE DUC DU MAYNE,
Sur son Voyage de Barrege.

Quoy que vous m’abandonnez, & sans flater ma peine
Vous meditez, mon Prince, une absence inhumaine ?
Vous partez de Clagny quand la saison des fleurs
Vient émailler ces lieux de leurs vives couleurs :
Vous partez de Clagny, lors qu’avec le Zephire,
Flore y vient établir son agreable Empire,
Qui vous trouvant absent de ce charmant séjour,
Va faire luire ailleurs les pompes de sa Cour.
Déja mes Orangers retirez de leur serre,
Qui d’un vert d’émeraude enrichissoient la terre,
Tristes de ce départ qu’ils n’ont pû préssentir,
De leurs sombres Palais ont regret de sortir :
Leur couleur se dément, & leur feüille moins verte,
Marque assez la douleur de leur sensible perte ;
Leur odeur est sans force, & leurs fruits palissans
Demeurent sans éclat sur leurs troncs languissans.
Que Barrege est heureux ! que je luy porte envie !
Il me vole des jours de vostre illustre vie ;
Et quoy que ce larcin me donne de l’ennuy,
Je n’ose soûpirer, ny me plaidnre de luy,
Le sujet qui le cause, & qui fait cette absence,
Pour n’y pas consentir m’est de trop d’importance,
Et le dernier succés que ses eaux ont produit,
Avec trop de bonheur m’en ont fait voir le fruit.
Et bien résolvons-nous, donnons nostre suffrage,
Consentons sans chagrin à cet heureux voyage ;
Mais, mon Prince, du moins hastez vostre retour,
Rendez-moy promptement l’Objet de mon amour,
Rendez-moy mon Héros, & calmez ma tristesse ;
Ramenez à Clagny toute nostre allegresse,
Revenez pour me plaire, & pour plaire aux beaux yeux
De la Divinité qui préside en ces lieux.

[Sonnet par Echo]* §

Le Nouveau Mercure galant, juin 1677 (tome IV), p. 213-215XVI.

Je vous envoye le Sonnet par Echo dont on vous a parlé, & qu’on appelle le Sonnet des quatorze Autheurs. Il est adressé à quelque Absent qui doit estre de Gascogne, & apparemment la clef ne s’en peut trouver que dans le quartier de Clery.

Nul n’a depuis trois mois au quartier de Clery    Ry,
Chacun à s’exempter de frais & de despense    Pense,
Iris à ton ennuy prend depuis ton départ,    Part,
Peut-on voir un destin à qui pour toy soûpire,    Pire ?
Je sçay bien qu’il faudroit un semblable mistere    Taire,
Mais pour se retenir on feroit un effort    Fort ;
Et de plus un Gascon qui ne tient de vulgaire    Guere,
Aime ces bruits flateurs, & n’en prend de chagrin    Grain,
Amour sous d’autres Loix le Psalmiste Dorange    Range,
Phebus hors du Quartier va prendre fort souvent    Vent,
La Femme d’Alcidon estoit pour l’Hymenée    Née,
Le Tresorier Tirsis droit à l’argent comptant,    Tend,
On prend l’air à Viry pendant que la vendure,    Dure ;
Pour t’en apprendre plus, il faudroit te pouvoir    Voir.

Elégie §

Le Nouveau Mercure galant, juin 1677 (tome IV), p. 227-238XVII.

Les belles choses estant belles en tout temps, je ne veux pas differer à vous faire part d’une Elegie qui vient de m’estre remise entre les mains, quoy qu’il y ait déja trois ou quatre ans qu’elle soit faite. Je sçay que l’Academie l’a fort estimée. Elle est de Monsieur le Duc de S. Aignan, & je ne doute pas que ses Vers ne vous plaisent autant qu’a fait sa Prose dans les Lettres qu’il a écrites au Roy sur ses Conquestes. Il fit ceux-cy dans une Maison de Campagne proche du Havre, sur une affaire particuliere qui luy arriva. On a eu peine à les recouvrer, parce qu’ayant brûlé presque tous ses Ouvrages, on n’a pû conserver que ceux qu’on a trouvé moyen de luy dérober en les copiant.

ELEGIE.

Du grand monde & du bruit l’ame peu satisfaite,
Pour trouver du repos je cherche une retraite,
Et sortant de la Ville apres cent maux soufferts,
Je viens chercher du Bec les aimables Deserts.
Ce séjour agreable encor qu’il soit champestre,
Ne sert que rarement à son illustre Maistre,
Et l’obligeant Emire en tous lieux réveré
A ma Barque agitée offre un Port assuré.
Trompeuse ambition ! Grandeur imaginaire !
Qu’en vous le bien est rare & le mal ordinaire !
Que le plus insensible & le mieux preparé,
Boit chez vous de Poison dans un Vase doré !
Qu’une foule importune au seul gain attachée,
Sous un faste apparent tient de fraude cachée !
Que les fermes Amis se trouvent peu souvent !
Qu’on bâtit de projets sur un sable mouvant !
Et qu’heureux est celuy dont l’adroite Science
Sçait joindre le secret avec la défiance,
A peu de vrais Amis qui sçait se retrancher,
Qui garde bien le nombre & n’en va point chercher,
Et qui sur l’aparence enfin jamais ne fonde
La folle opinion de plaire à tout le monde !
On feroit un prodige en vertus achevé.
Qu’on seroit vicieux pour un goust dépravé,
L’on a veu comparer l’honneur à l’artifice,
Les liberalitez à l’infame avarice,
La douceur à l’aigreur, l’orgueil à la bonté,
Aux lasches actions la generosité,
Le modeste à celuy qui fait le necessaire,
Et l’ame la plus fourbe, au cœur le plus sincere.
Cependant du mensonge infames Artisans,
Un Monstre vous devore, & fait des Partisans,
Voit dans ses interests ceux qu’il rend miserables,
Et des plus opressez fait les plus favorables.
On vante sa conduite, on vante son esprit,
On n’ose contredire à tout ce qu’il écrit,
L’amour de l’interest fait par tout des Esclaves,
Et regne quelquefois dans les cœurs les plus braves.
A l’éclat de la gloire on préfere le bien,
Et pour en acquerir les Crimes ne sont rien.
Quels divers embarras ne m’a-t-on point fait naistre !
Combien où je commande ay-je veu plus d’un Maistre ?
D’un Roy victorieux la juste authorité,
A peine a pû fléchir un Sujet irrité ;
Ceux que j’aimois le mieux, emportez par la brigue,
Ont-ils à ce torrent oposé quelque digue ?
La Gloire qui m’a fait un grand Corps assembler
Contre les Ennemis qui voudroient nous troubler,
M’apreste des Lauriers dans une vaste Plaine,
Et je vois dans la Ville une palme incertaine.
Un indigne Ennemy qui sort de son devoir,
Songe à me faire teste & ne se fait pas voir,
Devient l’injuste Chef d’une infame Cabale,
Trouve des Courtisans sans partir de sa Salle,
Et dans ses noirs desseins doit estre satisfait
D’avoir osé combatre encor qu’il soit défait.
Il me force à rougir lors que je le surmonte,
Au plus fort de ma gloire il me couvre de honte,
Et donne par caprice en cette occasion,
A Vainqueur & Vaincu même confusion.
Ah ! que de mon dépit la juste violence....
Mais le Roy nous l’ordonne, imposons-nous silence,
Mon cœur, il faut donner en ces facheux momens,
Au plus grand des Mortels tous nos ressentimens.
O paisible retraite, aimable solitude,
Qui des plus Fortunez charmez l’inquietude,
M’arrachant aux plaisirs que vous pouvez donner,
Ah ! que j’ay de regret de vous abandonner,
De preferer au mien l’avantage des autres,
Et ne voir de longtemps des lieux comme les vostres !
Mais deux jours sans agir me sont à regretter,
Et ce temps, à mon gré ne se peut racheter.
Pourons-nous bien changer dans ma plainte inutile,
L’innoncence des Champs aux fracas de la Ville ?
De cent Beautez en vain on vante les appas,
Mon cœur ne peut aimer ce qu’il n’estime pas ;
Comme il ne fut jamais capable de foiblesse,
Un effort genereux rompt le trait qui le blesse,
Et panchant vers la Gloire, & n’estant plus qu’à luy,
Il peut haïr demain ce qu’il aime aujourd’huy ;
Mais pour vos beaux deserts, il n’en est pas de mesme,
Vostre repos flateur donne un plaisir extréme,
Sans Iris, sans mon Maistre, ô Séjour fortuné,
Vous auriez tout le cœur que je leur ay donné.
Je quite donc l’émail de vos vertes Prairies,
Et tout ce qui flatoit mes douces resveries.
Allons tendre les bras à nos illustres fers,
Allons nous redonner au Grand Roy que je sers,
Observer les projets d’une foule importune,
Et trouver des plaisirs dans ma noble infortune ;
Mais il faut bien penser à ce que nous ferons,
Regler nos sentiments par ce que nous sçaurons,
Et suivant les conseils que la raison inspire,
Voir, écouter beaucoup, agir & ne rien dire.

L’Illustre Duc qui a fait ces Vers, est retourné depuis peu dans son Gouvernement, pour appliquer ses soins à ce qui regarde le service du Roy avec le mesme zele qu’il a fait les années dernieres.

[Sur les Harangues] §

Le Nouveau Mercure galant, juin 1677 (tome IV), p. 241-253XVIII.

J’allois fermer ma Lettre, lors que j’ay reçeu la vostre. J’avouë qu’elle m’embarasse, & il vous sera aisé de le connoistre, puis que j’avois passé legerement sur l’Article que vous me demandez plus étendu. Je ne suis point surpris que les Harangues qui ont esté faites au Roy à son retour par Messieurs les Premiers Presidens, ayent fait assez de bruit pour vous inspirer la curiosité d’en sçavoir les principales pensées ; mais quand vous m’ordonnez de la satisfaire, je ne vous déguise point que je ne sçay par où m’y prendre : car que vous puis-je dire là-dessus qui approche de la beauté de ce que vous me demandez ? Vous sçavez, Madame, que les plus beaux endroits d’un Ouvrage paroissent toûjours moins en fragmens, que lors qu’ils sont placez où ils doivent estre ; ce qui les devance ou ce qui les suit, leur donne souvent des graces qu’il n’auroient pas sans cela, & tout ce que l’on en dit lors qu’on ne les fait pas voir de suite est toûjours infiniement au dessous de ce qu’il seroit dans le corps entier de l’Ouvrage. Je défere pourtanrt trop à vos sentimens, pour ne pas faire dés aujourd’huy une partie de ce que vous souhaitez. Je vay donc vous dire ce que je sçay de deux Harangues seulement, en attendant que je puisse m’informer plus particulierement des autres. Je commence celle de Monsieur le President Nicolaï ; & ce que je prétens vous en dire, n’est ny sa Harangue, ny un Extrait, ny mesme un fragment, c’est moins que tout cela, & il ne doit servir qu’à vous faire concevoir une legere idée de quelques-unes de ses pensées. Il a dit au Roy, en parlant de Valenciennes, qu’on ne pouvoit assez admirer qu’il eust pris en si peu de jours une des plus grandes Villes qui pût marquer la puissance de ses Ennemis ; une Ville vaste par son étenduë, fiere de ses Privileges, orgueilleuse par ses Boulevarts, forte par la valeur & le nombre de ses Citoyens, fameuse par son Commerce, & redoutable par nos pertes. Il a adjoûté à tout cela qu’on sçavoit assez de quelle sorte le Roy s’estoit rendu maistre de cette puissante Place, & que de la maniere que les choses s’estoient passées, on ne pouvoit trop loüer la grande bonté, & la prudence de Sa Majesté, qui par un seul mot de sa bouche avoit defendu cette Ville du plus grand malheur qu’elle pust craindre, & dont elle n’avoit pû estre garantie par un million de bras, & par tant de Princes interessez à sa defence. Il a fait voir encor qu’on avoit admiré sur tout, que dans un temps où l’on ne pouvoit faire un pas dans l’Europe sans trouver quelque Ennemy de la France, le Roy avoit conquis trois Places dont la force n’estoit que trop connuë, & que s’il avoit trouvé des Ennemis, il sembloit que ce n’eust esté que pour servir de matiere à son triomphe ; Qu’on luy avoit veu secourir par sa prudence & par une prévoyance merveilleuse, les lieux où il ne pouvoit se trouver en Personne, en y envoyant le puissant Secours qu’il leur fit recevoir, quand il sçeut que les Ennemis amassez en si grand nombre, venoient pour jetter de nouvelles forces dans S. Omer ; Que ses Armes avoient esté victorieuses sous la conduite d’un Prince qui ne voit rien dans le monde au dessus de luy, soit par sa naissance, soit par son merite & ses grandes vertus, que son seul Souverain. Il a dit encor d’une maniere qui a charmé tous ceux qui l’ont entendu, que pendant que toute l’Europe estoit ensevelie dans un profond sommeil, Sa Majesté seule veilloit, la gloire & le bien de son Royaume luy tenant les yeux ouverts, & que les Ennemis n’estoient revenus de ce profond assoupissement, que pour voir en mmesme temps leurs pertes, & servir à son triomphe.

Je croy, Madame, qu’au lieu de satisfaire vostre curiosité, ce que je vous envoye ne servira qu’à l’accroistre, & qu’apres avoir lû tant de beaux endroits de la Harangue de Monsieur Nicolaï, vous souhaiterez plus fortement que vous n’avez fait de l’avoir entiere. Je ne vous dis rien de ce President, je vous ay parlé de la grandeur de sa Maison & de son merite, lors que je vous écrivis dernierement la mort de Mr le Marquis de Cousainville son Fils.

Je passe au sujet de la Harangue de Mr le President Barentin. Il a dit que quoy qu’il eust esté bien difficile de pouvoir prévoir de plus grandes choses que celles que le Roy avoit faites dans les précedentes Campagnes, les entreprises de celle-cy ne laissoient pas d’estre infiniment plus grandes, puis qu’il avoit attaqué une Place comme Valenciennes qu’on croyoit imprenable par sa situation & par ses forces, & dans un temps qui rendoit cette entreprise presque impossible, & la Place inaccessible ; Que cependant par sa grande valeur & par son extréme prudence, en s’élevant au dessus de la Nature & de l’Art, il avoit surmonté tous les obstacles ; & au lieu de se donner du repos apres une si grande action & tant de fatigues, il avoit assiegé deux Places des plus fortes des Païs-Bas qui se defendoient par leur seule reputation, & principalement Cambray, dont le seul nom inspiroit de la crainte & de la terreur, laquelle prise estoit si importante à l’Estat, qu’elle disposoit toutes choses à la ruine de ceux du Roy d’Espagne, autant qu’elle contribuoit à mettre la France en seureté ; Que Saint Omer estoit tombé sous la pusisance du Roy par la valeur de Son Altesse Royale, apres un Combat glorieux ; Que les Actions du Roy & de Monsieur avoient trop de raport pour les pouvoir separer, Monsieur ayant trouvé l’art de s’élever au dessus des plus grands Héros, en imitant le plus parfait des Rois ; Qu’il ne falloit pas s’étonner de tant de grandes Actions, Sa Majesté estant soûtenuë de la protection visible de Dieu contre ses Ennemis qui refusoient la Paix qu’il leur offroit contre l’interest de sa propre gloire.

Voila à peu pres, Madame, ce qui fut prononcé avec une grace merveilleuse par Mr le President Barentin.