1677

Le Nouveau Mercure galant, octobre 1677, tome VIII

2014
Source : Le Nouveau Mercure galant, Etienne Loyson, octobre, 1677
Ont participé à cette édition électronique : Anne Piéjus (Responsable d'édition), Nathalie Berton-Blivet (Responsable d'édition), Alexandre De Craim (Édition numérique), Vincent Jolivet (Édition numérique) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

Le Nouveau Mercure galant, octobre 1677 (tome VIII). §

[Explication de l’Enigme du VII. Tome du Mercure Galant] §

Le Nouveau Mercure galant, octobre 1677 (tome VIII), p. 3-7.

Vous le voyez, Madame, qui devine une fois, ne devine pas toûjours. Vos Amies que vous m’avez mandé avoir eu si peu de peine à penétrer les obscuritez de l’Enigme de la Lettre R, n’ont pû déveloper celles de la derniere que je vous ay envoyée, & elles vous obligent à m’en demander l’explication. Vous dites que ce qui les a empeschées d’en venir à bout, a esté cette querelle finie par la culebute des restes d’un Squelete qui sortent brusquement de leur creux. Elles ne sont pas les seules à qui cet endroit ait paru difficile à débroüiller ; mais à cela pres, vous m’auriez fait plaisir de me mander ce qu’elles ont entendu par les premiers Vers, & quel sens elles ont crû pouvoir donner à ce sombre & double Parterre, éclairé de rayons diferens, où la guerre est allumée entre deux Amis, & soûtenüe à grand bruit par une troupe de Demoiselles. Puis que vous m’assurez qu’elles se rendent, il ne faut plus leur cacher que le mot qu’elles ont inutilement cherché, est le Trictrac. Il fournit ce double Parterre diversifié de rayons, & un assez bon nombre de Dames qui ne se peuvent remüer sans bruit. Quant aux restes du Squelete, il n’est pas besoin de vous dire que ce sont les Dez, qui estans faits d’os, sont poussez assez brusquement du fond des Cornets. Quoy que les Enigmes ne soient que des Jeux d’esprit, elles ne laissent pas de faire resver souvent les plus habiles, & il en est dont le sens à trouver causeroit de longs embarras, si on estoit aussi obstiné à le chercher, qu’un Amant l’est quelquefois à vouloir découvrir quels favorables sentimens sa passion a pû faire naistre au cœur d’une Belle.

Les Fleches d’Amour §

Le Nouveau Mercure galant, octobre 1677 (tome VIII), p. 7-10.

Si pourtant Mr de Fontenelle en est crû, il y a une voye aussi prompte qu’infaillible pour réüssir en amour. Voyez s’il a pensé juste quand il s’en est expliqué par ces Vers.

LES FLECHES
D’AMOUR.

L’Amour n’avoit jadis que des Fléches d’Acier,
 Ce n’estoit pas faire grande dépense,
Mais cela suffisoit pour un Siecle grossier,
 Où tous les cœurs se rendoient sans defence.
 Le temps changea ; plus de simplicité,
 Les traits d’Acier devinrent inutiles,
Et l’Amour eust à faire à des Gens plus habiles,
Qui de les repousser prenoient la liberté.
S’ils blessoient, la blessure estoit bientost guerie,
  Personne ne s’en trouvoit mal.
Quel remede ? Il fallut changer de baterie,
  Il les fit d’un autre Metal,
Ce fut d’Or ; à l’Amour la victoire estoit seure.
Quels Ennemis, Grands Dieux, n’auroit-il pas défaits ?
Aussi, quoy qu’il parust d’abord se mettre en frais,
 Il regagna ses frais avec usure.
  À chaque Fleche qui voloit
Une foule de Cœurs courait au devant d’elle.
 Quoy que la playe en fust mortelle,
  N’estoit pas blessé qui vouloit.
L’Amour ne lançoit plus ses Fleches que par grace,
Heureux les Cœurs sur qui tomboient des traits si doux,
Souvent de les percer sa main se trouvoit lasse,
Lors qu’ils ne l’estoient pas de recevoir ses coups.
Chacun d’eux eust reçeu vingt Fleches au lieu d’une,
Chacun eust volontiers épuisé le Carquois ;
  Se faire blesser plusieurs fois,
 C’estoit assez pour faire sa fortune.
  Cette mode n’a point changé,
 Les Fleches d’or sont toûjours en usage
Et pour peu qu’on s’en serve, il n’est Cœur si sauvage,
Qui sous les Loix d’Amour ne soit bientost rangé.

[Les Apparences Trompeuses, Histoire] §

Le Nouveau Mercure galant, octobre 1677 (tome VIII), p. 10-30.

Puis que l’Amour a esté de tous les Siecles, on ne peut disconvenir qu’il n’y ait de grandes douceurs à se voir aimé ; mais il ne faut pas quelquefois l’estre avec excés pour vivre heureux, & sur tout en Mariage. Ce qui est arrivé depuis quelques jours en est une preuve. Voicy l’Histoire en peu de mots. Un fort galant Homme, Mary d’une Dame d’un grand merite, sembloit n’avoir rien à souhaiter. Il avoit du bien, des Amis, un Employ considerable, & l’estime de tous ceux qui le connoissoient ; mais pour ses pechez il estoit si passionnément aimé de sa Femme, qu’ils en passoient tous deux de méchans momens. Une bagatelle luy faisoit ombrage. Il ne luy suffisoit point de connoistre son Mary incapable d’aucun attachement préjudiciable à la tendresse qu’il luy devoit, trois Visites à une mesme Personne blessoient sa délicatesse ; ce n’estoit pas la trahir, mais c’estoit se plaire ailleurs qu’avec elle, & ne luy pas donenr tout son cœur. Il estoit honneste, aimoit le repos, & pour éviter toute occasion de querelle, il ne luy parloit ny de ses parties de Divertissement, ny de ses plus agreables Connoissances. Il chercha sur tout à luy cacher les soins qu’il rendoit à une Dame toute charmante de sa personne. Il n’y avoit rien de plus touchant. Elle avoit infiniment d’esprit, & je ne sçay quoy de si engageant dans ses manieres, qu’il estoit difficile de s’en sauver. Cela estoit dangereux pour un Homme qui avoit le goust fin, & elle estoit propre à luy faire des affaires de plus d’une façon, mais à quelques périls qu’il s’exposât aupres d’elle, il craignoit moins l’embarras de son cœur en la voyant, que celuy de son Domestique, si ses Visites estoient découvertes. Il eut pourtant beau faire, sa Femme les sçeut, la Dame luy estoit connuë, & elle la trouvoit beaucoup plus redoutable qu’une autre. Reproches de ses assiduës complaisances à proportion du merite de la Belle. Grandes justifications pour avoir la paix. On gronde pendant quelques jours. On promet de ne plus voir, & enfin on se racommode. Le Mary tient parole en apparence. Il feint des Affaires qui ne le laissent à luy que dans des heures où l’on ne peut découvrir ce qu’il devient. Il les employe à voir la Dame, qui n’ayant aucune pretention sur luy, s’accommode sans peine de ce changement. Il avoit la conversation agreable, & c’estoit tout ce qu’elle cherchoit. Cependant sa précaution luy est inutile, & le hazard en décide d’une autre façon. Il estoit un jour chez Marchand pour quelques Etofes qu’il vouloit choisir, & il y estoit allé dans une Chaise de ses Chifres, avec des Porteurs de Livrée. On commençoit à luy en déveloper quelques-unes, quand il tourne la teste sur un grand tumulte qu’il entend. Deux Cavaliers se poussoient l’un l’autre l’Epée à la main avec beaucoup de vigueur. Il en reconnoit l’un qui estoit de ses plus particuliers Amis. Il y court, fait ce qu’il peut pour les separer, & en vient à bout aidé de quelques autres qui se joignent à luy. La Querelle pouvoit avoir des suites, il ne les veut point quiter qu’il ne les voye accommodez, & ils vont ensemble chez une Personne de haute considération, qu’ils prennent pour Arbitre de leur Diferent. Pendant ce temps-là il s’estoit passé bien des choses qu’il ne sçavoit pas. La Belle qu’il continuoit de voir en secret, passe malheureusement en Chaise dans l’instant mesme que les deux Cavaliers mettoient l’Epée à la main. La vision d’une Epée nuë fait de grands effets sur la Populace. On fuit, on s’écarte, & chacun se serre avec tant de précipitation qu’on renverse la Chaise & les Porteurs. La Dame s’écrie. Les Combatans estoient déja dans une autre Ruë. On vient à elle. Quelques goutes de sang font dire qu’elle est fort blessée. On la trouve évanoüye, & on l’emporte chez le Marchand devant la Boutique duquel les Porteurs de Livrée estoient arrestez. Autre incident qu’il eust esté difficile de prévoir. Tandis qu’on luy jette de l’eau sur le visage, la Dame qui en avoit esté jalouse, passe par le mesme endroit. Les Femmes sont curieuses. Elle voit du monde amassé, elle en demande la cause. On luy répond qu’on s’estoit batu, qu’il y avoit quelqu’un de blessé chez le Marchand, & on luy nomme en mesme temps son Mary. Elle apperçoit ses Porteurs, remarque sa Chaise, ne doute point qu’il ne soit le Blessé, & ayant crié trois ou quatre fois, Ah mon cher Mary, du ton le plus lamentable (car comme je vous ay déja dit, c’estoit une Femme tres-aimante) elle descend impétueusement de Carrosse, fend la presse qui environnoit la Belle, & en criant toûjours, Ah mon cher Mary, elle se préparoit à l’embrasser, quand elle connoit que c’est une Femme. Quel contretemps ! Elle croit venir au secours de son Mary, & c’est sa Rivale qu’elle rencontre. Elle la reconnoit, pousse un cry nouveau, mais ce n’est plus sur le mesme ton. Les circonstances de l’Avanture luy font penser cent choses qui la mettent hors d’elle-mesme. Elle s’imagine qu’il s’est batu pour cette Rivale, prend ses Porteurs qu’elle trouve au lieu mesme où on luy donne du secours pour une conviction de la chose, impute son évanoüissement au chagrin d’avoir causé un fort grand desordre, & dans cette pensée elle rougit, pâlit, remonte dans son Carrosse avec la mesme impétuosité qu’elle en estoit descenduë, & la promptitude de son depart ne cause pas moins de surprise à ceux qui examinent ce qu’elle fait, que leur en avoient causé d’abord ses conjugales exclamations où personne n’avoit rien compris. Elle s’éloigne, & la Belle Evanoüye commence à ouvrir les yeux sans avoir rien veu de tout ce qui vient d’arriver. Elle valoit bien qu’on s’intéressast pour elle. Quoy que sa blessure ne fust rien, on la fait voir à un Chirurgien qui passe, & apres qu’elle s’est servie de quelque précaution contre la frayeur qu’elle a euë, elle se fait remener chez elle. La Dame Jalouse n’en est pas quite à si bon marché. Son Mary qui s’est batu, & sa Rivale évanoüye, luy font présumer une intelligence secrete dont elle tire de fâcheuses conséquences. Elle en est dans une colere inconcevable. La pensée d’estre la Dupe d’un commerce qu’elle avoit eu lieu de croire finy, ne luy laisse point de repos. Elle soûpire, se plaint de la perfidie des Hommes ; & l’impatience de se vanger luy en faisoit examiner les moyens, quand un Tailleur que luy envoye une de ses Amies la vient demander de sa part. Il n’estoit pas à qui le vouloit avoir, & elle est contrainte de suspendre son chagrin pour ne pas perdre l’occasion. Il prend sa mesure, & voulant enveloper son Etofe avec une autre dont il s’estoit déja chargé, la Dame qui la trouve agreable, luy demande à qui elle est. Il répond qu’il la vient de lever chez le Marchand pour une Dame de Campagne ; & comme les Tailleurs aiment naturellement à raisonner, il ajoûte que dans la Boutique où il l’a choisie, il estoit arrivé depuis une heure ou deux la plus plaisante chose dont elle eust peut-estre jamais entendu parler. Là-dessus il luy nomme sa Rivale qu’il y avoit veuë, & luy veut conter malgré elle ce qu’elle sçavoit avant luy. Il n’en falloit pas davantage pour la mettre aux champs. Elle reprend son Etofe, la donne à garder à sa Suivante, & dit chagrinement qu’ellle ne veut plus se faire faire d’Habit. Le Tailleur prend la chose sur le point-d’honneur ; dit que si elle craint qu’il ne la vole, il veut bien couper l’Etofe en sa presence ; & plus la Dame s’obstine à ne vouloir point d’Habit, plus il s’obstine à vouloir travailler pour elle. Le Mary arrive, la Dame le regarde de travers, le Tailleur luy fait ses plaintes, soûtient qu’il est honneste Homme, qu’il n’a jamais passé pour Voleur, & que puis qu’on l’a appellé pour faire un Habit, il ne soufrira point qu’un autre le fasse. C’estoit un grand Procés à vuider pour le Mary. Il commence par se défaire du Tailleur, en luy donnant un Loüis pour ses pas perdus ; écoute les nouveaux reproches de sa Femme, dont il ne sçait que penser ; & apres luy avoir fait connoistre qu’il n’avoit aucune part à ce qui l’avoit chagrinée, il la remet peu à peu dans son ordinaire tranquillité. Voila, Madame, comme les choses les plus loüables produisent quelquefois de méchants effets ; & là-dessus, Dieu garde tout honneste Mary d’estre trop aimé de sa Femme.

À dire le vray, Madame, c’est une terrible affaire que de s’obliger d’aimer par Contract. Le cœur qui veut estre toûjours libre dans son choix, & qui se plaist quelquefois à choisir souvent, n’a pas de legeres contraintes à souffrir, quand le devoir luy rend l’amour necessaire.

Rupture §

Le Nouveau Mercure galant, octobre 1677 (tome VIII), p. 30-38.

Il faut se faire de grands efforts pour se soûmettre de bonne grace à sa tyrannie, & c’est une violence dont je doute que celuy qui a fait les Vers que je vous envoye s’accommodât aisément. Vous le connoissez. Il a plus d’esprit qu’il ne veut laisser croire qu’il en a, & ce que vous allez lire vous persuadera sans peine qu’il tourne les choses finement. C’est tout ce que vous sçaurez de luy. Il a tellement peur que cette petite Piece ne vous le fasse croire trop libertin en amour, qu’il ne me l’a donnée qu’en me faisant promettre que je vous cacherois son nom.

RUPTURE.

 Quoy qu’on ait dit jusqu’à ce jour,
Le changement, Iris, n’est pas un si grand crime,
On passe fort souvent de l’estime à l’amour,
 Passons de l’amour à l’estime.
***
 Comme il commence à nous lasser,
Rompons les nœuds secrets de nostre intelligence.
À quoy bon nous piquer d’une sote confiance,
 Qui ne sert plus qu’à nous embarasser ?
***
Quand le Cœur qui charmoit un panchant agreable,
 N’en fait plus sa felicité,
 Doit-on le croire si coupable,
Pour le voir s’affranchir du dégoust qui l’accable,
 En manquant de fidelité ?
***
 C’est une vertu chimérique
 Dont il faut reformer l’erreur ;
 L’usage en paroit tyrannique,
Et pour entretenir une amoureuse ardeur,
 Il faut je-ne-sçay-quoi qui pique.
***
 C’est là ce qui cause aux Amans
 Ce que pour la Personne aimée
 Ils ont de doux empressemens ;
 Et pour une Ame bien charmée,
Que l’amour a d’appas dans les commencemens !
***
Comme il ne fait que naistre, il est ardent, fidelle,
Tout luy plaist dans l’Objet qui cause ses desirs,
Et le premier éclat d’une ardeur mutuelle
Remplissant ses souhaits, le comble de plaisirs.
***
Mais on languit, Iris, sans cette douce amorce
 Que nous preste la nouveauté ;
Et de la passion le temps détruit la force,
Sans qu’on se soit fait mesme une infidelité.
***
Ne souhaitant plus rien, on ne sçait où se prendre,
La sympathie alors est d’un foible secours,
 L’Amour ne se fait plus entendre
Et par un changement difficile à comprendre,
On cesse d’estre heureux parce qu’on l’est toûjours.
***
Où sont ces doux transports où j’estois si sensible ?
 Vous les partagiez avec moy,
 Rien ne vous estoit impossible
Quand vous croyiez devoir reconnoistre ma foy.
***
Nous avions chaque jour cent choses à nous dire,
 Nous confondions tous nos desirs ;
S’il falloit nour quiter, Dieux, le cruel martyre,
 Et qu’il nous coûtoit de soûpirs !
***
Mais l’absence pour nous cesse d’estre une peine,
Je ne suis plus resveur éloigné de vos yeux,
Vous écoutez Damon, j’en conte à Celimene ;
Et comme enfin l’Amour l’un pour l’autre nous gesne,
 Nous quiter ce sera le mieux.
***
L’inconstance apres tout est un vice commode.
De quelque bel Objet qu’on puisse estre charmé,
 Il est bon de suivre la mode,
Qui soufre peu de temps que le cœur s’accommode
 De l’habitude d’estre aimé.
***
 À force de soins, l’Amour s’use,
On n’y sçauroit trouver toûjours le mesme appas,
Et l’Etoile au besoin nous peut servir d’excuse,
 S’il est encor des délicats
 Que cette vieille erreur abuse,
 Qu’on doit aimer jusqu’au trépas.
***
N’affectons point, Iris, d’avoir l’ame heroïque,
 Un peu de foiblesse sied bien,
C’est de tres-bonne foy qu’avec vous je m’explique,
Reprenez vostre cœur, je reprendray le mien.
***
Vous avec mille Amans, j’ay plus d’une Maistresse,
Un commerce nouveau nous doit paroistre doux.
Croyez-moy, quelque Objet où nostre choix s’adresse,
Nous le verrons tous deux sans en estre jaloux.

Si nostre Amy dont vous me demandez des nouvelles ne s’estoit pas fait une vertu d’aimer constamment, il se seroit épargné bien des chagrins, dont enfin il a esté récompensé. C’est une nouvelle à vous apprendre. La Belle qui sembloit avoir pour luy les froideurs dont il se plaignoit, n’affectoit cette fausse insensibilité, que pour l’engager à plus d’amour.

Imitation de la Galatée de Virgile §

Le Nouveau Mercure galant, octobre 1677 (tome VIII), p. 38-40.

Cela me fait souvenir de la Galatée de Virgile dont je croy vous avoir parlé. Elle fuyoit apres avoir jetté une Pomme à un Berger dont elle se connoissoit aimée, & se laissoit voir en fuyant pour le faire courir apres elle. Cette pensée a esté renduë fort agreablement par ces Vers dont on ne m’a point fait connoistre l’Autheur.

IMITATION DE LA GALATEE
de Virgile.

Mon Troupeau quelquefois, en paissant, me conduit
Sur les bords d’un Torrent dont la vague irrité,
Du frein qu’elle s’est fait d’une Roche emportée,
Vient d’un flot bondissant l’assaillir, mais sans fruit.
 La rage de se voir domptée
La ramene cent fois, & cent fois ne produit
 Que plus d’écume & plus de bruit.
Là resvant, l’ame triste, & la veuë arrestée ;
Ainsi, disois-je un jour, ma flame rebutée
 En vain jusqu’icy m’a réduit
À des soins obstinez de plaire à Galatée,
Quand sortant à pas lents d’une Roche écartée
Cette Belle me jette une Pomme, & s’enfuit
 D’une course précipitée.
Je me détourne, & vois qu’elle se laisse choir
Sous un Saule où d’abord sa fuite l’a portée.
Ah ! dis-je en y courant, reprenons quelque espoir,
 Ma flame en peut estre flatée,
 Puis que pour me faire sçavoir
Que c’est elle par qui la Pomme m’est jettée,
La Follete en tombant veut bien se laisser voir.

Sur la Campagne des Ennemis en Flandre. Sonnet irregulier. §

Le Nouveau Mercure galant, octobre 1677 (tome VIII), p. 43-46.

Monsieur le Duc de Luxembourg ne n’estoit avancé sur le Canal de Bruxelles que pour faire quiter la Sambre aux Ennemis ; ce qu’ils firent, dés qu’ils eurent appris qu’il estoit si proche d’eux. Leur Campagne n’a pas esté fort glorieuse. Voyez-en la peinture dans ce Sonnet.

SUR LA CAMPAGNE
des Ennemis en Flandre.
SONNET IRREGULIER.

Tenter au mois d’Avril le secours d’une Place,
 Et ne pouvoir la secourir ;
Chercher une Bataille, ardemment y courir,
Et s’y voir bien batus pour prix de leur audace.
***
S’aviser quatre mois apres cette disgrace,
 Pour essayer de s’aguerrir,
De former un grand Siege, & craignant d’y périr,
Le lever aussitost, & fuir de bonne grace.
***
Faire avorter par là tous les vastes projets
Qu’apres de longs Conseils vingt Ministres ont faits ;
Pour les en consoler, conquérir deux Chaumieres.
***
 Ceder par tout l’avantage aux François ;
C’est ainsi qu’on a veu réüssir les affaires
Et des fiers Espagnols, & des bons Hollandois.

On ne peut pas dire qu’ils n’ayent point réüssy dans leurs entreprises, si en venant assieger Charleroy, ils n’ont eu dessein que de chagriner Mr de Montal, qui comme je vous ay déja dit, eust esté bien-aise qu’ils luy eussent laissé l’occasion de les visiter.

Consolation à Mr de Montal, sur la Levée du Siege de Charleroy §

Le Nouveau Mercure galant, octobre 1677 (tome VIII), p. 46-57.

Voicy une Lettre de consolation que luy en a écrite une Personne fort spirituelle. Elle merite bien que vous la voyiez.

CONSOLATION
À Mr DE MONTAL,
Sur la Levée du Siege de Charleroy.

 Je croy que mon devoir m’oblige
 De n’attendre pas plus longtemps
À vous faire sçavoir l’interest que je prens
 À la perte qui vous afflige.
 Je viens d’aprendre avec douleur
Que des Conféderez la premiere chaleur
 S’est bientost convertie en glace,
Et que vous pestez fort contre vostre malheur,
De les voir décamper d’autour de vostre Place.
 La perte est grande assurément,
 Et plus grande qu’on ne peut croire,
Puis qu’enfin vous perdez dans ce décampement
 L’occasion d’augmenter vostre gloire.
  Sans examiner les motifs
Que l’on eut pour oser un tel Siege entreprendre,
 Vit-on jamais plus belle Armée en Flandre,
  Et de plus grands préparatifs ?
  Quelle noble Cavalerie !
Cent cinquante Escadrons, vingt mille Pionniers,
Cinquante Bataillons au moins d’Infanterie,
Trois Lignes qui par tout couvroient tous les Quartiers,
 Cent gros Canons & vingt Mortiers
 Tous prests à mettre en baterie ;
Tout cela promettoit matiere à vos Exploits,
 Et flatoit vostre Seigneurie,
Que c’estoit tout de bon, & non par raillerie,
 Ainsi que la premiere fois.
J’ay sçeu que sans pousser trop avant les affaires,
Ils se tenoient fort loin, craignant les vilains tours
 Qui vous sont assez ordinaires,
 Et ces diables de Mousquetaires
 Qui frapent plus fort que des sourds ;
Que dés le premier jour ils manquoient de Farine ;
  Que voyant déja la Famine,
Qui d’une grande Armée est le plus grand des maux,
Quoy que mal à leur aise, ils faisoient bonne mine,
 Et continuoient leur Travaux ;
 Mais qu’aussitost qu’il aperçeurent
Le brave Luxembourg marcher le long des Bois,
 Les plus hardis d’entre eux se teurent,
 Et bien plus encor, quand ils sçeurent
Nos Soldats animez par l’Illustre Louvois.
Alors leurs Generaux s’entr’envoyant la Plote,
(Au moins, à ce qu’on dit, car on peut bien penser
 Que ce Secours les dût embarasser)
Hermosa dit au Prince, & viste, qu’on se bote,
 Les laisserez-vous avancer ?
 Pour moy, je cours occuper cette mote
De peur que l’Ennemy ne s’y vienne placer.
L’honneur, luy dit le Prince, apartient à l’Eglise,
Que Monsieur d’Osnabruk entame l’action.
Si j’y vay, répond-il, que l’on me débaptise,
Dois-je aller le premier à la Procession ?
 Cherchez de grace une autrre dupe.
 Pendant leur contestation
 Le Vaillant Luxembourg occupe
 Quelques Postes avantageux.
Ainsi vuider le Camp, repasser la Riviere,
 Fut le meilleur party pour eux
 Qui ne laisserent rien derriere.
 O comme en jurant ferme alors
 Vous avanciez de vos Dehors
 Pour donner sur l’Arrieregarde !
 Je m’en raporte bien à vous,
 Sans un Ruisseau qui vous retarde
Ils eussent comme il faut senty vostre couroux.
Un de leurs Officiers paya pour tous les autres,
Et de ce que de loin on se tira de coups,
 Un Chien, dit-on, y demeura des Nostres.
Si vous m’en demandez la raison aujourd’huy,
Les Chiens se font la guerre entre toutes les Bestes,
De la Triple Union le Cerbere à trois testes
Décharge sa fureur sur un Chien comme luy.
C’est pour ce digne Exploit qu’ils venoient si grande erre,
 Pauvres Flamans, gardez-vous bien
De leur plus reprocher qu’ils sont payez pour rien.
Ces Troupes qui faisoient trembler toute la Terre,
 Tout ce grand apareil de guerre,
Et vostre argent enfin ont fait mourir un Chien.
Comme on doit des Heros conserver la memoire,
Ce Chien merite assez qu’on luy dresse un Tombeau,
Et qu’un bel Epitaphe éternise sa gloire.
Voyez si celuy-ci vous paroist assez beauI.
Leur Armée en sortit quite à trop bon marché,
 Et vous parustes bien fâché
 D’avoir fait si peu de carnage ;
 Mais quelque Personne soûtient
 Que vous le fustes davantage,
Parce qu’ils vous voloient, outre leur équipage,
 Un Baston qui vous appartient.
 Car ainsi que chacun le conte,
Il est tres-assuré que le vaillant Montal,
 Par leur évasion trop prompte,
 Perd un Baston de Mareschal.
 Vous en estiez inconsolable,
 Vous juriez, vous pestiez en diable,
Et l’on vous entendoit crier du mesme ton
Qu’un Aveugle en colere, & qui perd son Baston.
Que pourtant ce chagrin n’ait rien qui vous tourmente,
Vous verrez quelque jour tous vos desirs contens,
 Ce Baston viendra dans son temps,
 Et vous n’y perdrez que l’attente.
Ne vous suffit-il pas que le plus grand des Rois
Vous a veu triompher déja plus d’une fois,
Et que d’aucun service il ne perd la memoire ?
S’il vous donne plus tard ce prix de vos Exploits,
Vous le possederez avecque plus de gloire ;
C’est ce que je souhaite, & suis de ton mon cœur,
 Vostre tres-humble Serviteur.

[Epitaphe de Citron tué devant Charleroy]* §

Le Nouveau Mercure galant, octobre 1677 (tome VIII), p. 54-55.

EPITAPHE

Cy gît le grand Citron, Chien d’un gentil courage,
Qui d’un coup de Mousquet en la fleur de son âge,
Proche de Charleroy mourut au Lit d’honneur,
 Aboyant avec trop d’ardeur
Apres les Alliez lorsqu’ils ploient bagage.
Jamais Chien n’eut sur terre plus glorieux Sort,
Un monde d’Ennemis s’est armé pour sa mort.
L’avoir tué, c’est plus qu’abatre cent murailles ;
Trois Peuples assemblez ont fait ce grand effort,
Que l’on doit mettre au rang des celebres Batailles,
 Et les Estats de Flandre encor
Par avance ont payé deux cens mille escus d’or
 Pour les frais de ses funerailles.

Prerogatives de la Lettre L. §

Le Nouveau Mercure galant, octobre 1677 (tome VIII), p. 62-65.

On se fait une si haute felicité d’avoir part à la moindre chose qui touche l’incomparable Loüis, qu’on prétend que la lettre L. s’attribuë de grands privileges sur toutes les autres, parce qu’elle commence son Nom. Il est vray qu’on la fait déja un peu enflée de ce qu’elle commençoit ceux du Louvre & de Lutece, qui comme vous sçavez est l’ancien nom de Paris. Voyez ce qu’en dit cette Epigramme.

PREROGATIVES
de la Lettre L.

Parce que la Lettre L est la premiere en teste
De Lutece, du Louvre, & du nom deLoüis,
Elle s’enfle d’orgüeil, elle leve la creste,
Et demande à ses Sœurs des respects inoüis.
En vain vous pretendez garder vostre arrogance,
C’est à vous à fléchir sous mon obéïssance,
Leur dit-elle, & j’ay droit de vous faire la loy,
Car tout ce que le Monde a de plus admirable
Commençant par mon nom, le rend incomparable,
Et nulle parmy vous n’a tant d’honneurs que moy.

L’Adieu aux Muses. Dicours. §

Le Nouveau Mercure galant, octobre 1677 (tome VIII), p. 70-83.

Quand on dit adieu au monde par la mort, c’est sans resource. Il n’est est pas de mesme du spirituel Inconnu qui prétend l’avoir dit aux Muses. Il a un si beau talent pour la Poësie, qu’il se résoudra difficilement à tenir parole. Voyez si j’ay raison de le croire.

L’ADIEU
AUX MUSES.
DISCOURS.

Muses, c’est trop resver au bord de vos Fontaines,
Pour un foible plaisir vous causez mille peines ;
Vous n’avez plus pour moy vos premieres beautez,
Et je renonce aux biens que vous me prometez.
Jadis avec honneur vos charmantes retraites
Rententissoient du bruit des tranquiles Poëtes,
Quand les Maistres du Monde apres de grands exploits
Concertoient avec eux à l’ombre de vos Bois,
Et qu’un mesme Laurier cueilly sur le Parnasse
Couronnoit tout ensemble Auguste & son Horace.
Mais helas, dans ce Siecle un injuste mépris
Est de nos tristes Vers & le fruit & le prix !
Quoy, lors que sans rien faire il m’est permis de vivre,
Dois-je mal-à-propos secher à faire un Livre,
Quand je n’auray pour fruit de mes travaux ingrats
Que le mépris du Peuple, & la haine des Fats ?
Mais quand de vos attraits on a l’ame ravie,
Qui vous suit une fois, vous suit toute sa vie.
On a beau remontrer au Poëte Damon
Qu’on n’entendit jamais son barbare jargon ;
En vain pour le guerir de sa fureur d’écrire,
On méprise ses Vers que luy seul il admire,
À ses propres dépens il se fait imprimer,
Et toûjours malgré vous il s’obstine à rimer.
Moy-mesme mille fois à vos ardeurs rebelle,
J’ay tenté vainement de vous estre infidelle.
Tous les jours, dés que l’Aube anonce le Soleil,
Apollon par ces mots interrompt mon sommeil.
Quitte, quitte du Lit les delices vulgaires,
Ce n’est pas en dormant que se font les Homeres,
Debout. Il n’est pas jour, que faire si matin ?
Va d’Horace & de Perse éclaircir le Latin,
Lis & relis encore & Terence, & Virgile,
Et sur leur style heureux tâche à former ton style.
Je sçay tous ces Auteurs. Les peut-on trop sçavoir ?
Il t’y faut appliquer du matin jusqu’au soir
Te sevrer des plaisirs où l’âge te convie,
Et me sacrifier les beaux jours de ta vie.
C’est ainsi, doctes Sœurs, que vos chez Nourrissons
À leur tranquilité préferent vos Chansons.
On pourroit de vostre Art soufrir l’înquiétude,
Si le gain balançoit l’ennuy de son étude ;
Mais entre tous les Arts qui demandent nos soins,
Vostre Art couste le plus, & profite le moins.
Nocard qui tuë un Homme avec une Ordonnance,
De son assassinat reçoit la récompense ;
Et toy qui t’enrichis d’un argent si mal dû,
Paulin, je t’ay payé pour un Procés perdu.
Cependant qui ne sçait la réponse barbare
Que fit à l’Arioste un Mecenas avare,
Quand cet Auteur Comique autant qu’ingénieux,
Alla luy presenter son Roland Furieux ?
La Gloire, direz-vous, qui vous suit d’ordinaire,
Doit à vos Favoris tenir lieu de salaire.
O le digne loyer d’un pénible Métier,
Où sans compter le temps, on perd jusqu’au papier !
Cette Gloire qui dupe & le Sot & l’Habile,
Qu’est-elle que du vent quand elle est infertile ?
Et puis lors qu’apres elle on court en insensé,
Est-on seur de l’atteindre apres s’estre lassé ?
Licidas qui se tuë à grimper au Parnasse,
Est d’un tas de Laquais siflé de place en place ;
Et combien voyons-nous d’Auteurs infortunez,
Qu’à d’eternels affronts vous avez condamnez ?
Dans un Siecle où fleurit la pureté parfaite,
Il faut de grands talens pour former un Poëte ;
Il faut qu’au Berceau mesme Apollon nous ait ry,
Que des meilleurs Auteurs nostre esprit soit nourry,
Et que par le travail d’une longue lecture,
L’Art acheve les traits qu’ébauche la Nature.
Aujourd’huy que l’on voit d’assez fameux Auteurs
Apauvrir le Libraire, & manquer d’Acheteurs,
Iray-je follement pour prix de mon étude,
Des Livres inconnus grossir la multitude ?
En vain vous me flatez qu’un succés plus heureux
Dissiperoit ma crainte, & rempliroit mes vœux,
Et que Paris un jour à mes Œuvres propice
Forceroit la Province à me rendre justice.
Quand les sons de mon Lut presque usé sous mes doigts,
D’un Cygne agonisant surpasseroient la voix,
Et que mes Chants polis par de lassantes veilles
Auroient d’Apollon mesme enchanté les oreilles,
Pourrois-je m’assurer que le tour de mes Vers
Sçeut plaire également à mille Esprit divers ?
Mais si fermant les yeux aux périls où s’expose
La gloire ou le repos de quiconque compose,
Je suivois pour rimer un aveugle desir,
Quel genre de Poëme oserois-je choisir ?
Faut-il, Auteur nouveau d’une Piece tragique,
Faire plaindre un Héros sur un ton magnifique,
Et touchant le succés resveur, triste, inquiet,
D’un chagrin incertain m’affliger en effet ?
Non, mon ame au repos constamment attachée,
D’un sentiment pareil ne peut estre touchée.
Dois-je en style amoureux, pleurant, hors de saison,
Me plaindre des rigueurs d’Iris, ou de Lison ?
Helas ! les plus beaux Vers d’un cœur tendre & fidelle
Sont un foible secours pour vaincre une Cruelle.
Si dans une Satire abondante en bons mots
Je berne plaisamment une foule de Sots,
Toute la Ville en cris contre moy déchaînée
Traite mes jeux d’esprit de licence effrenée.
Mes Amis les plus chers n’osent qu’avec terreur
D’un torrent si rapide arrester la fureur,
Et sur le bruit qui court mes Parens en alarmes
À ma future mort donnent déja des larmes.
Ces Parens ennemis de vos vieilles Chansons
Me font à tout moment d’importunes leçons.
Quite, me disent-ils, une étude inutile,
Et va faire au Palais une moisson fertile.
Vital, tu le connois, chacun parle de luy ;
Voy ce qu’il fut jadis, ce qu’il est aujourd’huy.
Tu sçais le peu de bien qu’il eut pour son partage,
Ses debtes de beaucoup passoient son heritage.
Cependant qui l’a mis au rang où tu le vois ?
C’est le Barreau. Voila l’utilité des Loix.
Mets-toy devant les yeux un semblable modelle,
Des Vers qui te font tort débroüille ta cervelle ;
Ou si pour t’attirer, le Droit manque d’apas,
Quite-le, mais du moins dors, & ne rime pas.
C’est ainsi qu’oposez au panchant qui m’entraîne,
De mon cœur contre vous ils soûlevent la haine ;
Il faut leur plaire enfin, & faire un nouveau choix.
Adieu, Muses, adieu pour la derniere fois.

La resolution ne tiendra pas, Madame, & je croy que vous n’en estes pas moins persuadée que je le suis. Tant de Gens qui ne sont nullement nez Poëtes, s’obstinent tous les jours à fatiguer leurs Amis par de méchans Vers ; comment un Homme qui en fait de si bons, & qui les tourne d’une maniere si agreable, voudroit-il ensevelir un talent qui ne luy peut acquerir que de la gloire ?

[Le Bal de Campagne, ou les Illustres Vendangeuses, Histoire] §

Le Nouveau Mercure galant, octobre 1677 (tome VIII), p. 83-107.

Si vous avez esté satisfaite, comme je n’en doute pas, de cette ingénieuse Satire, vous ne le serez pas moins d’une Lettre qui m’est tombée depuis trois jours entre les mains. On ne me l’a donnée que pour m’y faire lire une Avanture de Vendanges qu’on me permettoit d’embellir, & j’en trouve le stile si pur, que je croirois la défigurer, si j’entreprenois d’y changer la moindre chose. Voyez-la telle qu’elle a esté écrite par un fort galant Homme qui a bien voulu que son Amy m’en ait fait part.

LETTRE DE Mr LE ***
À Mrs de ***

Si [je] ne sçavois que vous avez de l’amour, & que la belle Personne qui vous attache ne sçauroit quiter Paris, je ne vous pardonnerois pas de ne point venir goûter avec nous les plaisirs de la Campagne, dans une Saison où il y a de longues années que nous n’avons eu de si beaux jours. Il semble que le Soleil se leve exprés pour faire sa Cour à quantité de Gens choisis de l’un & de l’autre Sexe qui se trouvent presque dans tous nos Villages. Chacun rencontre ce qui luy est propre, & à la Houlete pres dont on ne s’est pas encor avisé de se servir, la vie qu’on mene icy me paroist si libre & si agreable, que je m’imagine voir quelquefois ce que Mr d’Urfé nous a peint des Bergeres de Lignon. On s’assemble dans les Prairies, on s’entretient au bord des Ruisseaux, & quand le temps de la Promenade est passé, les plus grandes Villes n’ont point de Divertissemens que nous ayons sujet de regreter. Le croirez-vous ? Le Bal, mais le Bal en forme, se donne par tout aux environs ; & comme ce n’est que beau Monde, on le court de Village en Village, comme on fait de Quartier en Quartier à Paris dans le Carnaval. Qu’auroit-on à ne se pas réjoüir ? Les Vendanges n’ont peut-estre jamais esté si belles, la France triomphe de toutes parts ; & si le Ciel nous favorise d’un Automne tout charmant, le Roy & ses Ministres travaillent à nous faire trouver agreables les plus vilains jours de la plus rude Saison, par les soins qu’ils prennent ou de nous procurer la Paix, ou de nous mettre en état de ne point sentir les incommoditez de la Guerre. Parmy les Bals de nostre Canton, il y en eut un dernierement dont la nouveauté ne vous surprendra peut-estre pas moins qu’elle nous surprit. Je soupois chez Mr de ***. Je ne sçay si vous le connoissez. C’est un petit Homme qui aime fort à voir ses Amis, & dont la Maison est un veritable Bijou. On la vient voir de tous les costez. Le Jardin en est fort proprement entretenu. Outre le Muscat qui couvre un Berceau, il y a des Espaliers qui raportent les plus excellens Fruits qu’on puisse manger, & je croy que le petit Homme en feroit part assez libéralement à ceux qui en admirent la beauté, si sa Femme qui est un peu la Maistresse, ne trouvoit qu’il est plus judicieux d’en accommoder certaines Femmes de la Halle qui la visitent de temps en temps. Apres que nous eûmes soupé, on apprestoit des Cartes pour une Partie d’Hombre, quand le Maistre de la Maison qui s’estoit approché des Fenestres, nous appella pour nous faire observer plusieurs flambeaux qui paroissoient dans la Campagne, & que nous vismes s’avancer peu à peu vers le Village. Ils y entrerent, & un peu apres nous entendismes grand bruit à la Porte, où trois Carrosses s’estoient arrestez. Ils avoient pour accompagnement, six Hommes à cheval vestus en Païsans, aussi-bien que les Cochers & les Laquais. Ceux qui descendirent du premier Carrosse, avoient des Habits un peu plus propres, mais pourtant de Païsans comme les autres. C’estoient des Violons, qui d’abord qu’ils furent entrez dans la Court, firent connoistre en joüant qu’on ne venoit là que pour danser. La Compagnie suivit. Elle consistoit en six Hommes & quatre Femmes vestus en Vendangeurs & Vendangeuses. Leurs Habits estoient de Satin & de Gaze d’argent. Les Hommes avoient de petites Hotes argentées, les Femmes des Paniers de mesme, & les unes & les autres des Serpetes de Vendangeurs. On ouvrit une grande Salle. Six Flambeaux portez par les six Hommes qui estoient venus à cheval, précederent les Violons qui furent suivis de cette galante Troupe de Vendangeurs. Les Laquais tirerent aussitost des Carrosses dequoy éclairer la Salle ; & comme ils ne manquoient de rien, & qu’ils estoient en assez grand nombre pour danser, on ne demeura pas long-temps à ne rien faire. Le Maistre & la Maistresse du Logis furent pris d’abord. Ils ne sçavoient que penser de cette impréveuë galanterie. Ils examinoient comme moy qui pouvoient estre les Gens qui se donnoient un semblable divertissement, & il ne nous fut pas possible de le deviner. Tout ce que nous sçeûmes par quelques mots qui leur échaperent, & qu’ils croyoient se dire bas, c’est qu’il y avoit un Duc parmy eux. On leur entendit mesme appeller un Page, & à l’air de leur danse & à toutes leurs manieres, il parut que c’estoient Personnes de la plus haute Qualité. Le bruit des Violons attira incontinent dans cette Salle tout ce qu’il y avoit de Gens raisonnables dans le Village. Les plus jolies Païsannes y vinrent. Elles estoient déja accoûtumées à se mesler parmy les Dames quand il se donnoit quelque Feste. Des Bourgeois curieux se masquerent le mieux qu’ils pûrent, & on peut dire que ce fut un Bal régulier, puis que les Masques en furent, & qu’il y avoit du Monde de toute espece. Apres qu’on eut dansé quelque temps, ceux qui avoient amené les Violons demanderent à entrer dans le Jardin, & dirent que puis qu’ils estoient venus pour vendanger, ils ne prétendoient pas qu’on les renvoyast sans les avoir mis en besogne. La Maistresse de la Maison trembla pour ses Fruits, & voulut trouver l’heure induë ; mais le petit Homme qui estoit galant, s’ofrit à estre leur Conducteur, & dit en riant, Que tout ce qu’il craignoit, c’estoit que des Vendangeuses d’un si grand merite ne voulussent vendre cherement leur temps, & qu’il ne fust difficile de les payer. Le Jardin fut ouvert, toute la Troupe y entra, le Muscat fut vendangé, & on n’épargna point les Espaliers. Les Hotes, les Paniers, tout fut remply de ce qu’il y avoit de plus beau Fruit, & on ne laissa presque rien. Le Jeu parut violent, les discours galans cesserent, le petit Homme devint froid, sa Femme encor davantage. Ils vouloient se plaindre, & se retenoient ; on ne sçait à qui on parle quand on parle à des Gens masquez. Ils avoient oüy les noms de Duc & de Page, & en ne voulant pas soufrir qu’on continuast la vendange, ils craignoient de n’estre pas Maistres chez eux. Les faux Vendangeurs s’empeschoient de rire autant qu’ils pouvoient, & en laissoient échaper quelques éclats qu’il leur estoit impossible de retenir. Les Interessez rioient du bout des dens. Le Jardinier & la Jardiniere, avec les Domestiques les plus grossiers, querelloient ceux qui dêpoüilloient les Arbres si hardiment, & alloient jusqu’à les accuser de vol. C’estoit assez foiblement que leurs Maistres leur ordonnoient de se taire. Les faux, mais pourtant trop veritables Vendangeurs, redoublerent leurs éclats de rire à mesure qu’ils voyoient quelque Espalier dêchargé.

Apres qu’ils eurent cüeilly tout ce qu’ils rencontrerent de plus beau, le Mary voyant que c’estoit un mal sans remede, voulut faire de necessité vertu ; & afin qu’on ne l’accusât pas d’avoir souffert une Galanterie de mauvaise grace, il les mena dans un endroit où il y avoit encor quelques Arbres à dépoüiller. On luy dit que ce seroit pour une autre fois, parce que des Vendangeurs de leur importance n’estoient pas accoustumez à travailler si longtemps ; & tandis qu’un d’entr’eux l’assura en termes fort étendus, qu’il n’auroit pas lieu de se repentir de l’honnesteté qu’il avoit euë, les autres monterent en Carrosse. Celuy-cy prit congé du petit Homme, rejoignit sa Compagnie, & tout disparut en mesme temps. Je trouvay l’Avanture aussi bizarre qu’il en fut jamais arrivé à personne. Le Mary qui faisoit le Rieur en enrageant, me demanda ce que je pensois des Vendangeurs ; sa Femme le querella d’avoir consenty à estre la Dupe de leur Mommerie, & ne sçachant tous trois quel jugement faire de leur procedé, nous rentrâmes dans la Salle, où nous eûmes un autre sujet de surprise. Elle estoit encor toute éclairée d’un assez grand nombre de Bougies qu’ils y avoient fait mettre pour le Bal, & cette lumiere nous fit appercevoir d’abord sur la Table une partie des Fruits que nous croyions emportez, & qu’ils y avoient fait laisser par leurs Gens. La Maîtresse du Logis n’en fut que mediocrement consolée. Ils avoient esté cüeillis hors de saison, & comme ils ne luy sembloient pas propres à ce qu’elle avoit resolu d’en faire, elle n’auroit de longtemps cessé de gronder, sans une Montre de Diamans qui luy sauta aux yeux le plus à propos du monde. Elle estoit sur cette mesme Table, avec de riches Tablettes que nous ouvrîmes, & où nous trouvâmes ces mots écrits. D’assez illustres Vendangeuses, qu’on ne dédaigne pas quelquefois de recevoir à la Cour, ayant eu envie de vos Muscats, ont crû qu’elles pouvoient se donner le plaisir d’exercer vostre patience en les vendangeant. N’en murmurez pas. Il y a peut-estre des Gens du plus haut rang qui souhaiteroient qu’elles ne les missent pas à de plus fâcheuses épreuves. Quelque rude que vous ait pû estre celle-cy, elles vous priënt de ne l’oublier jamais ; & afin de vous y engager, elles vous laissent cette Montre qui vous fera souvenir d’elles toutes les fois que vous y regarderez à l’heure qu’elles ont fait le dégast de vos plus beaux Fruits. Le petit Homme trouva les Vendangeuses fort honnestes, & cette Galanterie plût si fort à sa Femme, qu’elle souhaita qu’on revinst le lendemain vendanger aux mesmes conditions ce qui leur estoit demeuré de Fruits.

Je ne vous parleray point, mon Cher, de tous les autres Bals qui se sont donnez dans le voisinage. Je vous marque seulement celuy-cy à cause de l’Avanture. Elle réjoüira sans doute l’aimable Personne qui vous empesche de nous venir voir. Tâchez à l’en divertir, & si vous jugez qu’elle merite une place dans le Mercure Galant, faites la conter à l’Autheur, afin qu’il luy donne les embellissemens dont elle a besoin. Cependant envoyez-moy six Exemplaires du Volume du dernier Mois, on me le demande par tout où je vay, & ce n’est pas estre galant que de le refuser aux Belles. C’est par le Mercure qu’on apprend toutes les Nouvelles agreables ; & si Mr Miton a crû le pouvoir nommer la Consolation des Provinces, on peut adjoûter qu’il est le Plaisir des Compagnies à qui les Vendanges font quiter Paris. Je ne voy personne qui ne s’en fasse un fort grand de sa lecture. Tout le monde en est avide, & pendant que les Hommes s’attachent aux Articles serieux, les Dames rient des Historiettes, & s’empressent à chercher le sens des Enigmes.

Ce 7. d’Octobre 1677.

Voyez, Madame, si je n’ay pas eu raison de ne vouloir rien changer à la Lettre qui vous apprend l’Avanture des Vendangeurs.

[Lettre à l’Autheur du Mercure Galant touchant l’Explication de l’Enigme du VII. Volume] §

Le Nouveau Mercure galant, octobre 1677 (tome VIII), p. 107-113.

Mais à propos d’Enigmes, vous ne sçauriez croire combien j’ay reçeu de Billets sur celle du Trictrac, depuis que j’ay commencé à vous écrire. Les uns y ont fait venir un sens forcé je ne sçay comment ; les autres m’ont demandé si ce n’estoit point un plaisir que je me donnois sans avoir dessein de rien éclaircir, & voicy ce que m’écrivent presentement des Dames qui me feront l’honneur de se nommer quand il leur plaira. La Suscription est obligeante, ne l’attribuez pas à ma vanité

POUR
LE GALANT AUTHEUR
DU
MERCURE GALANT.

Il faut avoir autant d’esprit que vous en avez, Monsieur, pour tourner les Enigmes aussi bien que vous avez fait celle que nous avons veuë dans vostre Lettre du Mois passé. Quoy que tout y soit juste, il faut l’avoüer de bonne-foy, nous avons resvé inutilement pour en découvrir le sens, & apres nous estre adressées à plusieurs Personnes fort spirituelles qui n’y ont pas mieux réüssy que nous, nous avons enfin trouvé un jeune Architecte, qui a deviné que vos Vers nous désignoient le Trictrac. Cette marque de son esprit merite bien, Monsieur, que vous en veüillez rendre témoignage dans vostre premiere Lettre. Il n’est pas d’ailleurs indigne d’y avoir place. Il s’appelle M Dury de Chantdoré ; & c’est particulierement sous ce dernier nom qu’on parle de luy. Il est Architecte des Bastimens du Roy, fort connu, quoy que peu avancé en âge, mais d’un grand merite, & déja tres-consommé dans les Matématiques, dont l’étude fait une de ses principales occupations. Il entend parfaitement l’Architecture, & ses Avis sont recherchez dans les desseins les plus importans. S’il va chez vous comme il le doit faire, pour sçavoir de vous-mesme s’il a heureusement deviné, ne luy dites point, s’il vous plaist, que vous ayez reçeu cette Lettre. Il sera plus agreablement surpris de se trouver dans la vostre, quand il ne s’attendra point à la grace que nous vous demandons pour luy. Nous l’esperons de vostre honnesteté, & ne souhaitons d’estre promptement de retour de la Campagne, que pour vous aller assurer de bouche que nous sommes vos tres-humbles Servantes.

On me fait bien de l’honneur, Madame, comme vous le voyez par le commencement de ce Billet, & cela, grace à un Inconnu qui ne s’est point encor voulu declarer Autheur de l’Enigme, car je me sens obligé de vous dire qu’elle n’est pas de moy, & de refuser une gloire qui ne m’est point deuë.

Le Philosophe Amant. Sonnet §

Le Nouveau Mercure galant, octobre 1677 (tome VIII), p. 112-115.

Je croy qu’apres la sincerité de cet aveu, vous ne douterez pas que je n’aye toûjours beaucoup de joye à rendre justice aux Gens d’esprit, & que je ne me fasse un fort grand plaisir de les nommer quand je les connoy. J’ay enfin découvert que celuy qui a fait le Panégyrique des Alliez que vous avez tant estimé, s’appelloit Mr de Masseville. Il est de Normandie, & voicy un Sonnet de sa façon qui ne vous paroistra pas indigne de ce que vous avez déja veu de luy. Il a esté fait pour un Philosophe qui n’a sçeu si bien raisonner, qu’il n’ait senty que l’Amour estoit plus puissant que la Raison.

LE PHILOSOPHE
Amant.
Sonnet.

Pourquoy suis-je rongé de cette inquiétude ?
D’où vient qu’elle m’accable & me suit en tous lieux ?
D’où vient cette langueur qui paroist dans mes yeux ?
Et pourquoy me voit-on chercher la Solitude ?
***
Je me sens dégousté des Jeux & de l’Etude,
Je méprise & je hay ce que j’aimois le mieux.
Pour un rien quelquefois je deviens furieux,
Enfin tout me paroist insuportable & rude.
***
Qui cause, juste Ciel, un si grand changement ?
Ce déplorable état viendroit-il du moment
Où malgré ma raison j’allay voir Isabelle ?
***
Je ne sçay ; mais helas ! à mon cruel tourment
J’ay beau chercher par tout quelque soulagement,
Je ne puis l’adoucir qu’en voyant cette Belle.

L’Hypocrite. Sonnet. §

Le Nouveau Mercure galant, octobre 1677 (tome VIII), p. 116-118.

Encor un Sonnet, Madame. Il m’a esté envoyé de Poitou, & vous n’avez jamais rien veu de plus singulier. Il roule sur deux seules rimes, & vous ne le trouverez pas favorable à vos bons Amis les faux Devots.

L’HYPOCRITE,
Sonnet.

Le Bigot en ce temps, pour bien faire son compte,
Compte jusqu’à ses pas, & mesure le temps ;
Mais à le voir longtemps on n’en fait point de conte,
Et l’on compte pour rien tout l’employ de son temps.
Ce n’est pas pour ce temps, nous dit-il, que je compte,
Mon compte seroit faux, & bien à contretemps ;
Mais le temps à venir est le seul que je compte,
Et vivant bien, je fais mon compte pour ce temps.
Je garde tous les temps que l’Eglise nous compte,
Je compte un Chapelet à toute heure, en toute temps,
Et nul temps ne m’en peut faire oublier le compte.
Hypocrite, tu pers & ton compte & ton temps ;
Dieu connoit qu’en tout temps tu ne vas qu’à ton compte,
Et que c’est pour tromper que tu comptes le temps.

Vers irreguliers sur les mesmes Rimes de l’Idylle des Moutons §

Le Nouveau Mercure galant, octobre 1677 (tome VIII), p. 118-125.

Vous avez veu des Bouts-rimez. On les borne ordinairement aux quatorze Vers d’un Sonnet. En voicy de plus étendus, ils sont sur tous ceux du charmant Idylle que Madame Deshoulieres nous a donné contre la Raison. Vous les trouverez dans un sens tout opposé. Je n’en connois point l’Autheur. On m’a seulement assuré qu’ils avoient esté faits par un Homme de qualité de Lyon ; & vous serez aisément persuadée en les lisant, qu’il n’a pas moins d’esprit que de naissance.

VERS IRREGULIERS
sur les mesmes Rimes de
l’Idylle des Moutons.

Helas, petits Moutons, que vous seriez heureux,
Si paissant dans nos Champs, sans soucis, sans alarmes,
 Aussitost aimez qu’amoureux,
 Sans qu’il vous en couste des larmes,
Vostre cœur ressentoit la pointe des desirs,
Et si des mouvemens que donne la Nature
Assaisonnant les maux avecque les plaisirs,
Vous pouviez pénetrer cette heureuse imposture
Qui fait de ce mélange un grand bien parmy nous,
 Et ne se trouve point chez vous !
Il vous faudroit un peu de raison pour partage,
Vous en feriez sans-doute un tres-utile usage.
Innocens Animaux, vous en estes jaloux,
Et vous nous enviez cet heureux avantage ;
Mais si vous m’en croyez, n’en faites point de bruit,
 Ce mal pour vous est sans remede,
 Tout vous trompe & tout vous séduit
 Quand vous appellez à vostre aide
 L’aveugle instinct qui vous conduit.
 La Nature pour vous severe
 Ne vous comptant presque pour rien,
 Vous abandonne à vostre Chien,
 Pour vous garder de la colere
 Des Loups cruels & ravissans,
Et pour toute raison vous donne une chimere
 Qui suit l’appétit de vos sens.
 Si vous sçaviez ce que vous faites
 Dans cette indigne oisiveté,
 Si vous sçaviez ce que vous estes
 Dans cette triste obscurité,
Vous maudiriez cent fois cette tranquillité,
 Et les defauts de la naissance
Qui vous a refusé l’esprit & la beauté,
 Et ne feriez pas vanité
 De vostre funeste indolence.
Si par elle affranchis des soucis criminels,
Vous n’avez point de remords qui vous ronge,
 Vous perdez les biens éternels,
 Et passez icy comme un Songe.
 Tout est dans ce vaste Univers
 De la sainte Sagesse un ouvrage solide.
 De son destin elle décide
 Selon ses jugemens divers.
À l’Homme elle a donné l’esprit & la prudence,
Pour éviter du Sort le caprice & les coups ;
Et vous, petits moutons, qui vivez sans science,
D’une informe raison, vous avez l’apparence,
Mais vous estes soûmis à nostre dépendance,
 Et vous ne vivez que pour nous.

Ces Vers ont paru fort nets & fort aisez à tous ceux qui les ont veus, & c’est une loüange où la flaterie n’a point de part. Elle en a beaucoup à celles qui se donnent ordinairement aux Grands. Les diférentes manieres dont ils peuvent faire du bien, sont cause qu’on les encense de toutes parts. Il suffit qu’on ait des prétentions pour trouver matiere de loüer ; & pour venir à son but, il est des vertus generales qui s’accommodent sans peine à toute sorte de sujets. À dire vray, ces éloges vagues qui ne marquent rien de positif, devroient estre un peu suspects à ceux qui se font honneur de les recevoir ; mais lors qu’en loüant des choses de fait, on s’attache plus à rendre justice à l’honneste Homme, qu’à se soûmettre servilement à la faveur, il n’y a point d’envie assez noire pour oser blâmer ce qui se dit à l’avantage de ceux qui pouvant donner à leurs plaisirs les heures où les soins de l’Etat leur permettent de se relâcher, prennent une conduite toute opposée, & ne se servent du pouvoir qu’ils ont de faire tout ce qui leur plaist, que pour se rendre encor plus dignes de l’élevation où le veritable merite les a mis.

[Régal donné à Messieurs de l’Académie Françoise, par Monsieur Colbert] §

Le Nouveau Mercure galant, octobre 1677 (tome VIII), p. 125-146.

C’est par là qu’on a beau donner des loüanges à Monsieur Colbert, elles ne feront jamais éclater qu’imparfaitement les rares qualitez qui les luy attirent. Tout le monde sçait que les grandes Affaires l’occupent jour & nuit ; & son délassement estant dans l’Etude, on peut dire qu’il fait son plaisir, de ce qui feroit le travail des autres. Il aime tellement les Gens de Lettres, qu’il ne se dérobe aux soucis de son Ministere, que pour s’entretenir avec eux. Jugez par là, Madame, si ce n’est pas à son Esprit, plutost qu’à la considéraiton de son Rang, qu’il doit la Place que Messieurs de l’Académie Françoise le prierent il y a quelques années de vouloir accepter dans leur Corps. Il a pour eux une estime si particuliere, que leur en voulant donner d’autres marques que celles qu’ils en reçoivent lors qu’il peut assister à leurs Séances, il leur fit dernierement l’honneur à tous de les régaler dans sa belle Maison de Sceaux. Ils les avoit conviez le jour précedent par un Billet qu’ils trouverent chacun chez eux. Monsieur l’Archevesque de Paris, qui considere infiniment cette Illustre Compagnie dont il est, ne manqua pas à s’y rendre, & il faudroit amasser bien du monde pour fournir autant d’Esprit qu’il s’en trouva en peu de temps chez l’Illustre Ministre qui les attendoit. Mr l’Abbé Regnier luy presenta en arrivant, un tres-beau Livre qu’il a composé de la Perfection du Chrestien. On se mit à table. Il y en eut deux servies en mesme temps, & le Repas fut digne de celuy qui le donnoit. Il se dit mille choses agreables pendant le Disner, qui ne finit que pour mettre ces Messieurs dans une liberté plus entiere de faire paroistre qu’ils n’estoient qu’Esprit. Au sortir de table, toute la Compagnie fut dans une autre Salle, où il se fit une agreable Conversation. Mr Quinaut y lût un fort beau Sonnet qu’il avoit fait en venant à Sceaux, & Monsieur Colbert demanda à Mr l’Abbé Furetiere s’il n’avoit rien fait de nouveau. Il se trouva qu’il avoit sur luy quelques Vers sur les derniers Exploits du Roy. C’est un Fragment d’une Description de l’Arc de Triomphe, dans laquelle il parle des plus remarquables Actions que ce Prince a faites pendant la Paix & depuis la Guerre, suivant qu’elles pouront estre placées dans les Quadres de ce magnifique Edifice. Cet Illustre Abbé ayant esté invité de les lire, il commença de la sorte.

LA PRISE
DE VALENCIENNES.

 Dans un autre Quadre est tracé
 Le Siege de Valencienne ;
 C’est à ce coup qu’est effacé
Tout le miraculeux de l’Histoire ancienne.
Jamais ne fut chargé par Cizeau, ny Burin,
D’un plus digne Sujet, le Marbre, ny l’Airin ;
L’impétueux Vainqueur hait ces longueurs énormes
Qu’ont sous les autres Chefs les Sieges dans les formes,
Il veut mesme à la Guerre estre au dessus des Loix,
Qu’à des Héros futurs il serve de Modelle,
 Et pour varier ses Exploits,
Il invente un Assaut d’une façon nouvelle.
On voit encor debout les Tours & les Remparts ;
Les Ravelins, les Forts, les Digues sont entieres ;
Par des Fossez profonds, des Canaux, des Rivieres,
Les Chemins sont encor coupez de toutes parts ;
Et cependant pour prendre une Ville imprénable,
Un Guichet à peine s’ouvrant
 Est une Bréche raisonnable
 Qui suffit à ce Conquérant ;
 La trahison, ny la surprise,
 N’ont point de part à l’entreprise,
 Ny tout le guerrier appareil,
 Ny les troubles de la Nature,
La faveur d’un orage, ou d’une nuit obscure,
 Tout se passe aux yeux du Soleil ;
Mais le plus surprenant & le plus heroïque,
C’est qu’on y voit entrer Loüis en pacifique ;
 Et la Victoire à ses costez
 Avec éclat a beau paroistre
 À ces Peuples épouvantez,
À peine pas-un d’eux la peut-il reconnoistre,
Elle est trop déguisée, & n’a point dans les yeux
La rage & la fureur qu’elle porte en tous lieux ;
Elle ne traine point son funeste équipage ;
Le calme & la douceur qui regne sur son front,
Interdisent le feu, le meurtre, le pillage,
Et sauvant la Pudeur du plus cruel affront,
Ils sont surpris de voir en leur fier Adversaire,
Que le Ciel leur envoye un Ange tutelaire,
Qui leur donne un Secours plus prompt & plus certain
Que ceux qu’ils attendoient de Mons & de Louvain.

LE SIEGE
DE CAMBRAY.

Plus haut on voit Cambray, Ville dont le renom
Sembloit braver l’effort du Fer & du Canon.
On croit en admirant sa forte Citadelle,
 Qu’une Sémiramis nouvelle
En éleva les Murs si larges & si hauts,
Pour la mettre au dessus des plus ardans Assauts.
En vain par des Fossez qui semblent des Vallées,
Sont de ces Corps puissans les forces rassemblées ;
C’est assez que Loüis soit campé devant eux,
Son Bras en peu de temps rend leur chute commune,
Et le Ciel fit sans-doute une Place des deux,
Pour luy faire obtenir deux Victoires en une.
En vain les Aquillons pour nuire à ses travaux,
Redoublent le venin de leurs froides halaines,
Et l’Hyver sur un Trône enrichy de Cristaux
Y pense encor joüir de l’Empire des Plaines ;
Nostre infatigableLoüis,
Autheur de Campemens jusqu’alors inoüis,
 Renverse tous les privileges
Des Vents & des Broüillars, de la Pluye & des Neiges ;
Ses Guerriers sur ses pas, & suivant ses Leçons,
Vont à l’Assaut couverts de feux & de glaçons,
Et malgré les Frimats, les Neiges & les Glaces,
Ils domtent les Saisons aussi-bien que les Places.

S. OMER,
ET LA
BATAILLE DE CASSEL.

D’autre-part Saint Omer au milieu de ses Eaux,
Des plus nombreux Guerriers ne craint point les approches,
 Ses Pallissades de Roseaux
La defendent bien mieux que les plus dures Roches.
Eust-on jamais pensé qu’au centre d’un Marais,
 Où le terrain n’est point solide,
 Où l’eau mesme n’est pas liquide,
 On pust la serrer d’assez pres ?
Et cependant Philippe en obtient la Victoire,
Philippe, queLoüisassocie à sa gloire,
Qui partage son Sang, seconde sa Valeur,
Qui d’un double Laurier la Teste Couronnée
Par une Ville prise avec tant de chaleur,
Et pour une Bataille à mesme temps gagnée,
Montre à tout l’Univers combien de grands succés.
Doit attendre Loüis de ces heureux essais.
Des Montagnes de Morts sur des Plaines sanglantes
Paroissent en lointain encor toutes fumantes,
Veritables témoins des genéreux Exploits
Qu’il fit pres de Cassel contre un Prince Hollandois
Ardant à secourir l’agonisante Ville,
Qui luy-mesme est contraint de chercher un azile
En ce point malheureux qu’il eust pû la sauver,
S’il eust aussi-bien sçeu dans sa boüillante audace
L’Art de faire lever le Siege d’une Place,
Qu’il sçait parfaitement celuy de le lever.

Apres la lecture de ces Vers l’on passa de la Salle où l’on estoit ans un lieu apellé le Cabinet de l’Aurore. Ce fut là que Mr Quinaut recita cinq ou six cens Vers sur les Peintures de cette charmante Maison. Mr l’Abbé Tallemant le jeune en loüa les Eaux par un Poëme dont il fit part à l’Assemblée. Il est fort à la gloire de Mr le Jongleur, qui a trouvé le secret d’en faire venir où il n’y en a point, & où il n’y a pas mesme d’apparence qu’il y ait moyen de les conduire. Mr Perraut Intendant des Bastimens, parla le dernier. Il ne dit que peu de Stances, mais qui réveillerent les attentions. Les fréquens applaudissemens qu’elles reçeurent, sont une preuve incontestable de leur beauté. Il n’y a point lieu d’en estre surpris. Mr Perraut est ce qui s’appelle un Esprit de bon goust, qui ne donne jamais dans le faux brillant. Il écrit, & sçait comme on doit écrire. Il possede toutes les belles Connoissances, & ses Ouvrages ont toûjours eu un fort grand succés. Il seroit à souhaiter que nous en eussions davantage, mais ses occupations ne luy permettent pas de travailler. Au sortir du Cabinet, on alla voir les Appartemens, & on se promena en suite de tous côtez dans le Jardin. Ces Messieurs eurent par tout sujet d’admirer ; mais quelques beautez qu’ils découvrissent, rien ne leur parut si digne de leurs éloges, que celuy qui les avoit reçeus si obligeamment. Avoüez-le, Madame. Pour aimer ainsi les Gens d’esprit, il faut estre parfaitement honneste Homme. Il faut se détacher de la grandeur & du bien, pour se regarder en Philosophe, & chercher la veritable solidité dans les Sciences. Il est certain qu’on ne peut les aimer davantage que fait Monsieur Colbert. Il ne se contente pas d’estre de l’Académie Françoise, il y a un nombre de ces Messieurs qui compose une autre petite Académie qui s’assemble toutes les Semaines sous son Nom. C’est avec eux qu’il s’entretient fort souvent sur les plus hautes matieres. On a veu de tout temps la plûpart de ceux qui ont fait une figure considérable dans le monde, avoir de grandes Biblioteques, & donner mesme des Pensions à plusieurs Personnes d’esprit, mais c’estoient d’ignorans Ambitieux qui ne faisoient l’un & l’autre que par ostentation, & qui se mettoient peu en peine de voir les Livres & les Sçavans. Monsieur Colbert n’en use pas de cette sorte. Il ne dédaigne point de se familiariser avec les Gens de Lettres, de s’abaisser jusqu’à ceux qui sont fort éloignez de son Rang, & de se dépoüiller de la Grandeur qui l’environne, pour se rendre en quelque façon leur égal. Comme il a toutes les lumieres qui peuvent luy en faire aimer l’entretien, doit-on s’étonner si se rendant le Pere & le Protecteur des Sciences & des beaux Arts, il seconde si bien le Roy qui les fait fleurir, & qui n’a pas merité le Nom de Louis le Grand par sa seule valeur, mais encor par toutes les actions de sa vie ? Mr Boyer donna en sortant cet Inpromptu à Monsieur Colbert.

MADRIGAL.

Icy tout plaist, icy tout est charmant,
La Sagesse par tout, & la magnificence,
 Par tout la pompe & l’agrément,
 Par tout le choix & l’abondance.
 Mais n’en déplaise à ces beautez,
Dont les plus curieux se peuvent satisfaire,
Le plaisir le plus grand dont nous soyons tentez,
 Est d’avoir le bonheur de plaire
Au Maistre glorieux de ces Lieux enchantez.

[Deux Illustres Autheurs quittent leur occupation ordinaire pour travailler à l’Histoire] §

Le Nouveau Mercure galant, octobre 1677 (tome VIII), p. 146-150.

Le nom de Mr Boyer qui nous a donné tant de belles Tragédies, me fait souvenir que le Theatre est menacé d’une grande perte. On tient (& c’est un bruit qui se confirme de toutes parts) qu’un de nos plus Illustres Autheurs y renonce, pour s’appliquer entierement à travailler à l’Histoire. Il semble qu’il ne se soit attaché quelque temps à faire les Portraits de quelque Héros de l’Antiquité, que pour essayer son Pinceau, & préparer ses couleurs, dans le dessein de peindre ceux d’aujourd’huy avec une plus vive ressemblance. La gloire qu’ils ont de passer déja les Aléxandres & les Achilles, répond de l’admiration qui redoublera pour eux quand le temps aura fait vieillir leurs actions. Elles sont comme ces Tableaux des grands Maistres, qui deviennent plus considérables apres que de longues années en ont consacré le nom. On met parmy les Grands Hommes quantité de Princes dont, à les regarder de pres, on n’a sujet de parler que parce qu’ils ont vescu avant nous. Il n’en sera pas de mesme de nostre incomparable Monarque. Comme il merite les plus fortes loüanges de son vivant, la plus éloignée Posterité le regardera comme un Modele parfait de sagesse, de valeur, & de vertu. Jamais Regne n’ofrit ny de si grandes choses, ny en si grand nombre. Celuy qui en va écrire l’Histoire, est capable d’en soûtenir le merite. La matiere ne peut estre plus belle, ny le Conducteur plus éclairé, & on a tout sujet de n’en rien attendre que de merveilleux. Heureux celuy qui doit y travailler avec luy ! & heureux en mesme temps les froids Ecrivains, les méchans Poëtes, & les ridicules, dont ce redoutable & fameux Autheur n’aura plus le temps d’attaquer les defauts dans ses charmantes Satires !

Reproche amoureux §

Le Nouveau Mercure galant, octobre 1677 (tome VIII), p. 159-160.

Il faut choisir bien heureusement, pour se pouvoir assurer du dernier, car le cœur des Belles est quelquefois un peu fugitif, & telle qui assure un Amant de sa tendresse quand elle n’a que luy à qui parler, ne s’en souvient guére dans le temps qu’elle voit grossir sa Cour. Jugez-en par la Plainte qui a esté fait là-dessus.

REPROCHE
amoureux

Lors que nous sommes seuls, quelquefois ma soufrance
Rappelle dans ton cœur ta tendresse & ta foy ;
 Mais apres cela j’apperçoy,
 Infidelle, que ma présence
 Fait le mesme effet que l’absence
 Quand la foule est aupres de toy.

Resolution de ne plus aimer §

Le Nouveau Mercure galant, octobre 1677 (tome VIII), p. 160-162.

Cette conduite desespere souvent les Bergers fidelles, & c’est ce qui a fait dire à l’Autheur de ces premiers Vers.

RESOLUTION
de ne plus aimer.

Il faut, il faut enfin que mon cœur se dégage,
Puis que tant de Bergers peuvent prétendre au tien.
 Ton amour faisoit tout mon bien ;
 Mais dans un si cher avantage,
 On ne soufre point de partage ;
 Quand on n’a pas tout, on n’a rien.

Je ne doute point, Madame, que je ne vous oblige en vous envoyant ces Madrigaux. Ils marquent une veine aisée ; & quand j’en recevray de pareils, j’auray soin de vous en faire part. Le dernier nous fait connoistre qu’il n’y a qu’à se faire violence pour venir à bout de l’Amour. Il est certain qu’on en guérit en cessant de voir ; mais contre la mort, point de remede.

[Avanture des Thuilleries] §

Le Nouveau Mercure galant, octobre 1677 (tome VIII), p. 164-184.

Comme mes Lettres que vous avez bien voulu laisser devenir publiques, ont donné cours au Mercure, je croy vous devoir rendre compte d’un commencement d’Avanture qu’il a causé dans les premiers jours de ce Mois. Ils ont esté si beaux, que jamais on n’a veu tant de monde aux Thuilleries. Un Gentilhomme s’y promenoit seul un soir, resvant peut-estre à quelque affaire de cœur, quand il apperçeut ce qui estoit fort capable de luy en faire une. C’estoit une jeune Personne d’une beauté surprenante. Elle estoit avec un Homme de Robe qu’il luy entendit nommer son Cousin, en la suivant d’assez pres, comme il fit tant qu’elle marcha. Apres quelques tours d’Allée, elle alla s’asseoir sur un Banc ; & le Gentilhomme impatient de sçavoir si elle estoit aussi spirituelle que belle, se coula le plus promptement qu’il pût derriere une Palissade, qui luy donna moyen d’écouter sans estre apperçeu. Je vous l’avouë, disoit-elle quand il s’approcha, la lecture a tant de charmes pour moy, qu’on ne me sçauroit obliger plus sensiblement, que de me fournir dequoy lire. J’y passe trois & quatre heures de suite sans m’ennuyer, & les Livres sont mon entretien ordinaire au defaut de la Conversation. Et quels Livres, luy dit le Parent, vous divertissent le plus ? Tout m’est propre, reprit-elle. Histoires, Voyages, Romans, Comédies, je lis tout ; & je vous diray mesme, au hazard de passer pour ridicule aupres de vous, qu’il m’a pris fantaisie depuis peu de parcourir cette Philosophie nouvelle qui fait tant de bruit dans le monde. Je suis Femme, & par conséquent curieuse. Dés qu’on me parle d’une nouveauté, je brûle d’envie de la voir ; & tandis que mon Pere & ma Mere iront solliciter leur Procés, je prétens bien me satisfaire l’esprit sur toutes les agreables Bagatelles qui s’impriment tous les jours à Paris, car je ne croy pas que nous retournions en Bretagne avant le Caresme. Je m’imagine, ma belle Parente, luy dit le Cousin, que vous ne manquerez pas à commencer par le Mercure Galant. Il n’y a point de Livre qui soit plus en vogue, & il seroit honteux qu’il vous échapast, puis que vous faites profession de tout lire. Et dequoy traite ce Mercure, luy demanda-t-elle avec précipitation ? De toute sorte de matieres, répondit-il. Il parle de la Guerre, & il ne se passe rien en France, & particulierement à Paris, qui soit un peu remarquable, dont il n’informe le Public. L’Autheur y mesle ce qu’il apprend de petites Avantures causées par l’Amour ; le tout est diversifié par des Pieces galantes de Vers & de Prose, & ce mélange a quelque chose d’agreable qui fait que ceux qui approuvent le moins son Livre, ont toûjours la curiosité de le voir. Pour moy, j’en suis si satisfait, que je serois tres-fâché qu’il ne le continuast pas ; ce qui divertit, l’emporte de beaucoup sur ce qui seroit capable d’ennuyer ; & si j’y trouve quelque chose à redire, c’est qu’il louë avec profusion, & qu’il s’étend un peu trop sur les Articles de Guerre, car il perd plus de temps à décrire la prise des Villes, que le Roy n’en a employé à les conquérir. Vous allez loin, répondit l’aimable Cousine, & je ne sçay ce que vous entendez par ce terme de profusion. Est-ce qu’en loüant les Gens, l’Autheur du Mercure ne particularise rien, & que fondant le bien qu’il en dit sur des expressions generales, il assure seulement qu’ils sont tous d’une merite achevé, qu’aucune belle qualité ne leur manque, & qu’il s’y trouve un assemblage de vertus si parfait, qu’il est impossible d’aller au dela ? Voila, ce me semble, ce qui s’appelleroit loüer avec profusion, quoy qu’en effet ce ne fust point du tout loüer. Je ne suis point assez injuste, repliqua-t-il, pour accuser l’Autheur dont je vous parle de loüer indiféremment tout le monde. Il éleve plus ou moins ceux qu’il a occasion de nommer selon les choses par lesquelles ils meritent d’estre loüez ; il cite leurs Actions, fait connoistre les Emplois qui leur ont donné lieu de se rendre considérables : mais comme je n’ay aucun interest à ce qui les touche, j’aimerois mieux qu’il m’apprist quelque nouvelle agreable, que de me dire ce qu’il ne m’importe point de sçavoir. C’est à dire, mon cher Cousin, reprit la Belle en riant, que si vous ou vos Amis vous aviez de longs Articles dans le Mercure, vous ne trouveriez point qu’il loüast excessivement. Voila l’injustice de beaucoup de Gens. Ils voudroient qu’il ne se fist rien que pour eux, & ils ne considérent pas, quand on donne quelque chose au Public, que ce Public estant un Tout composé de diférentes parties, il faut s’il se peut, trouver le moyen de contenter toutes sortes d’Esprits. Je ne sçay ce que c’est que le Mercure, mais peut-estre n’a-t-il aucun Article qui ne rencontre ses Partisans, quand il auroit mesme quelque chose d’efféctivement ennuyeux. Les uns s’attacheront aux Nouvelles sérieuses ; les autres aux Avantures d’amour ; ceux-cy chercheront les vers, ceux-là quelqu’autre Galanterie ; & comme vous m’avez dit que c’est une Livre où tout cela est ramassé, j’ay peine à croire qu’on pust former un dessein plus capable de réüssir. Quant aux loüanges, vous pouvez passer par dessus, si vous en soufrez ; mais mille & mille honnestes Gens qui sont en France, ne meritent-ils pas qu’on parle d’eux ? & le desir de se rendre digne d’estre loüé, servant quelquefois d’aiguillon à la Vertu, doit-on envier à tant de Braves qui hazardent tous les jours leur vie pour servir l’Etat, une récompense si légitimement deuë à leurs grandes actions ? La Justice qu’aparemment leur rend le Mercure, redouble la curiosité que j’ay de le voir, & je ne crains point que le trop de Guerre m’importune. La prise de Valenciennes a cousté si peu de temps, que je ne m’étonne pas qu’il en faille employer davantage à la décrire ; mais outre que dans les Cassandres & les Cyrus j’ay tout lû jusqu’aux plus longues descriptions des Batailles, je suis persuadée que nous ne pouvons sçavoir trop exactement ce qui se fait de nos jours. Les Relations les plus fidelles oublient toûjours quelques circonstances, & nous n’en voyons aucune qui n’ait sa nouveauté, du moins par quelque endroit particulier qui n’a point esté touché dans les autres.

La nuit s’avançoit, la Belle se retira, & le Gentilhomme que son esprit n’avoit pas moins surpris que sa beauté, la fit suivre par une Laquais. Il luy envoya dés le lendemain les sept premiers Tomes du Mercure Galant, avec ces Vers.

LE MERCURE GALANT,
À LA BELLE INCONNUE
qui a de la curiosité pour luy.

Amy de cupidon, Galant de Renommée,
Je parle également & d’Amour & d’Armée,
Et viens, mais en tremblant, vous conter en ce jour
 Des Nouvelles d’amour.
***
Si vous me recevez sans vous mettre en couroux,
Si je suis par hazard le bien venu chez vous,
Rien ne peut égaler le bonheur & la joye
 De celuy qui m’envoye.
***
Vous l’avez avoüé, vous aimez la lecture,
Vous vous divertissez à lire une Avanture ;
Mesme dans les Romans, je sçay que les Combats
 Ne vous déplaisent pas.
***
Pourquoy vous déplairoy-je en ma sincerité ?
Je ne dis jamais rien contre la verité ;
Mais sur tout aujourd’huy, sans que l’on me renvoye,
 Je prétens qu’on le croye.

Cette impréveuë Galanterie embarassa un moment la Belle. Elle vit bien que la conversation qu’elle avoit euë le soir précedent aux Thuilleries, estoit cause du Présent qu’on luy faisoit. Il ne luy déplaisoit pas, puis qu’il satisfaisoit l’impatience où elle estoit de voir le Mercure. Je ne vous puis dire ce qu’elle pensa, ny par quel motif de curiosité ou d’intrigue elle fit la Réponse que vous allez voir, car je n’ay point sçeu quelle suite a eu l’Avanture, mais il est certain qu’elle ne reçeut point le Message en Provinciale façonniere, & qu’estant entrée dans son Cabinet, elle écrivit ces deux Vers qu’elle revint donner au Porteur.

Les Nouvelles d’amour de celuy qui t’envoye
Ne me déplairont pas, je prétens qu’il le croye.

Si j’apprens à quoy auront abouty ces premieres dispositions à faire une agreable connoissance, je vous le feray sçavoir.

[Extrait de la Lettre d’un Solitaire] §

Le Nouveau Mercure galant, octobre 1677 (tome VIII), p. 184-186.

Je sçay qu’il en est qui condamnent toutes les loüanges qui ne les regardent pas ; mais ce n’est pas un sentiment qui soit genéralement suivy ; & pour en estre persuadée, voyez je vous prie, ce commencement d’une Lettre qui m’a esté écrite de Saint Maixent par un Inconnu. Elle est de celuy qui a fait le Sonnet contre l’Hypocrite, que je vous ay dit qui m’avoit esté envoyé de Poitou.

Je fais ma demeure dans une Province où l’on sçait rarement des nouvelles du grand monde, & il y a longtemps que je vis dans une espece de solitude, mais je n’ay pû m’empescher de sçavoir qu’il y avoit un Mercure Galant. J’ay bien voulu le lire, & je ne me repens point de l’avoir lû. J’ay toûjours aimé la maniere aisée & naturelle dont il est écrit, & je suis bien aise, Monsieur, de vous voir dire du bien des Gens dont vous parlez, contre l’ordinaire de ceux qui se font imprimer. Cette honnesteté marque un bon cœur, & tost ou tard, &c.

Je suprime le reste, parce qu’il est trop à mon avantage ; mais enfin, Madame, vous voyez par là que tout le monde ne se chagrine pas de ce que je rens justice au merite.

[Vers envoyez dans un Tome du Mercure Galant] §

Le Nouveau Mercure galant, octobre 1677 (tome VIII), p. 186-189.

Si ce qu’il y a de plus honnestes Gens dans les Provinces, se fait un plaisir d’apprendre les Nouvelles du Mercure, je dois estre satisfait du soin qu’on prend de l’y envoyer. Une belle Dame à qui un Homme de qualité & d’un grand merite a donné le nom de Princesse, en fait tous les Mois un de ses divertissemens dans une Maison de Campagne où elle s’est retirée. Il est régulier à luy en faire tenir tous les Volumes à mesure qu’ils paroissent ; & comme il a esté un des Hommes de France le mieux fait, & que sa bonne mine rend encor témoignage de ce qu’il estoit dans sa jeunesse, l’habitude qu’il a prise à estre galant ne s’est pû perdre, & vous l’allez voir par ce Quatrain qu’il écrivit dans la premiere page du dernier Tome qu’il luy envoya.

Princesse, du Galant Mercure
Vous pouvez prendre la lecture ;
Je ne serois pas malheureux,
S’il parloit un jour de nous deux.

Ces quatre Vers d’un Homme considérable, qui ne se pique point d’en faire, ont je-ne-sçay-quoy d’aisé & de fin qui vaut mieux que de longues Pieces où la Nature n’a point de part.

[Tout ce qui s’est passé à Fontainebleau pendant le Séjour que Leurs Majestez y ont fait. Cet Article contient ceux des Comedies, Opéra, Bals, Plan d’une Collation, Chasses, & la maniere dont les Dames ont esté parées dans tous ces Divertissemens] §

Le Nouveau Mercure galant, octobre 1677 (tome VIII), p. 200-243.

Le premier des Divertissemens que Sa Majesté a voulu se donner à Fontainebleau, fut celuy de la Comédie. Elle y fut joüée tous les jours alternativement avec l’Opéra. Voicy les Pieces qu’y representa l’Hostel de Bourgogne.

Iphigénie, avec Crispin Medecin.

Le Menteur.

Mariane, avec l’Apres-Soupé des Auberges.

L’Avare.

Pompée, avec les Nicandres.

Mitridate.

Le Misantrope.

Horace, avec le Deüil.

Bajazet, avec les Fragmens de Moliere.

Phédre & Hippolyte.

Oedipe, avec les Plaideurs.

Jodelet Maistre.

Venceslas, avec le Baron de la Crasse.

Cinna, avec l’Ombre de Moliere.

L’Ecole des Femmes.

Nicomede, avec le Soupé mal-appresté.

Parmy tant de Comédies, on n’a representé que trois Opéra, à sçavoir, Alceste, Thésée, & Athis. Ils ont esté chantez par la seule Musique du Roy, augmentée exprés de plusieurs Personnes, & entr’autres de Mademoiselle de la Garde & de Mademoiselle Ferdinand. Elles ont fait connoistre en peu de jours, qu’on leur avoit rendu justice en les choisissant pour en estre, & on peut dire à leur avantage que c’est de plus d’une maniere qu’elles ont plû. On ne peut rien ajoûter aux applaudissemens qu’a reçeus Mr de Saint Christophle, non seulement pour avoir bien chanté, mais pour estre entrée dans la passion tantost de la plus forte maniere, & tantost de la plus touchante, selon que la diversité du sujet le demandoit. Le reste de la Musique du Roy a fait à son ordinaire. Il est impossible qu’elle le fasse mal. Elle est composée des meilleures Voix de France, & sous un Maistre tel que Mr de Lully, les moins habiles le deviennent en peu de temps. Les Danseurs qui s’y sont fait admirer, ont extraordinairement satisfait dans leurs Entrées ; & ce qui n’en laisse pas douter, c’est que les Sieurs Favier, Letang, Faure, Magny, & cinq autres, ont eu de grandes gratifications, outre leurs pensions ordinaires. De pareils Ecoliers à qui Mr de Beauchamp a donné & donne encor tous les jours des Leçons, quoy qu’ils soient déja grands Maistres, font voir qu’il est dans son Art un des plus habiles Hommes du monde. Aussi a-t-il eu l’honneur de montrer autrefois à Sa Majesté. Les trois Mascarades remplies d’Entrées crotesques qui ont paru parmy ces Divertissemens, estoient de son invention. Elles furent ajoûtées pour nouveau Plaisir aux Représentations des dernieres Comédies qu’on joüa ; & ceux qui en furent, ayant eu l’avantage de divertir le Roy d’une maniere aussi plaisante qu’agreable, reçeurent beaucoup de loüanges. Mr Philbert dans le Recit d’un Suisse qui veut parler François sans le sçavoir, fit fort rire les plus sérieux & par ses postures, & par son langage Suisse Francisé. Les Plaisirs n’ont pas esté bornez à tout ce que je viens de vous dire. Il y a eu deux Bals où toute la Cour a paru dans un éclat merveilleux. Les Pierreries ont brillé de toutes parts, & jamais on n’en a tant veu.

Le Roy s’y fit voir avec un Habit de lames d’or, sur lequel il y avoit une broderie or & argent ; l’arrangement de ses Pierreries estoit en boucles de Baudrier. Vous aurez de la peine à bien concevoir les brillans effets qu’elles produisent ainsi arrangées. La beauté en redouble d’autant plus, que cette maniere donne lieu de les mesler selon les grosseurs ; & quelque prix qu’ayent les choses elles-mesmes, vous sçavez que l’industrie des Hommes ne laisse pas quelquefois d’y contribuer. Outre toutes ces Pierreries, le Roy portoit une Epée sur laquelle il y en avoit pour plus de quinze cent mille livres.

La Reyne en sembloit estre toute couverte. Elle en avoit d’une grosseur extraordinaire. Son Habit estoit noir, & son Etofe ne servant qu’à en relever l’éclat, on peut dire qu’elle ébloüissoit.

L’ajustement de Monseigneur le Dauphin estoit d’une grande magnificence. Rien en pouvoit estre mieux imaginé ; & ce qu’il y avoit d’avantageux pour luy, c’est qu’il en effaçoit l’éclat par la vivacité de son teint, & par les autres charmes de sa Personne.

Monsieur, qui réüssit en toutes choses, & à qui la galanterie est naturelle, se met toûjours d’un si bon air, qu’il ne faut pas estre surpris s’il se fit admirer de tout le monde. Son Habit estoit tout couvert de Pierreries arrangées, comme le sont les longues Boutonnieres des Casaques à la Brandebourg.

On ne peut estre mieux qu’estoient Madame & Mademoiselle. Tout brilloit en elles, tout y estoit riche & bien entendu.

Je me suis servy jusqu’icy des termes de magnifique, de brillant, & d’éclatant, & j’en cherche inutilement quelqu’un qui signifie plus que tout cela pour exprimer ce qu’estoit Mademoiselle de Blois dans l’un & dans l’autre Bal. Jamais parure ne fit de si grands effets. Vous n’en douterez point, quand vous sçaurez que cette jeune Princesse, quoy qu’elle soit une des plus belles Personnes du monde, laissa perdre des regards qu’attiroient de temps en temps la richesse de son Habillement, & l’air tout particulier dont elle estoit mise. Ce fut un amas de Pierreries le premier jour, qui ne se peut concevoir qu’en le voyant ; & elle en estoit si couverte, que le bas de sa Robe en estoit chargé tout autour. Elle parut en gris de lin dans le second Bal, & toûjours avec avantage.

Vous pouvez juger que les Dames en genéral n’avoient rien épargné pour paroistre magnifiques. Elles estoient toutes coifées avec une grosse nate fort large, ou avec une corde, ayant les cheveux frisez jusqu'au milieu de la teste, qui paroissoit toute en boucles. Elles en avoient deux ou trois grandes inégales qui leur pendoient de chaque costé avec une autre extrémement longue. Toute la coifure estoit accompagnée de Poinçons de Pierreries, & d'autres faits de Perles. Des nœuds de toutes sortes de Pierreries & de Perles qui tenoient lieu de Rubans, en garnissoient les costez. D'autres y faisoient des Bouquets, & le Rond de quelques-unes estoit garny comme le devant. Celles dont les cheveux pouvoient s'accommoder de la poudre, en avoient beaucoup. Pour leurs Habits, comme en Campagne elles en peuvent porter de couleur à la Cour, elles en avoient presque toutes de gris, qui ne laissoient pourtant pas d'estre diférens. Les uns estoient d'un gris perlé, & les autres d'un gris cendré, avec de petites Broderies fines & des plus belles, ou de petits Bouquets de broderie appliquez par le Brodeur, ou brodez sur l'Etofe mesme. Ces Habits estoient tous chamarrez de Pierreries sur les Echarpes ou Tailles, & elles en avoient de gros nœuds devant. Des Attaches de Pierreries, des Chatons, & des Boutons, ornoient leurs manches de diférentes manieres. Tout le devant de leurs Jupes estoit aussi chamarré, & de grosses Attaches de Diamans les retroussoient en quelques endroits. Plusieurs Pierreries formoient le nœud de derriere, & il y avoit quelques Robes qui en estoient chamarrées par demy lez. Les manches de dessous estoient de Point de France, tailladées en long, & relevées par le bas avec un Point de France godronné. Il y avoit des Pierreries entre les godrons, & des nœuds de Pierreries dessous les manchetes. La plûpart en avoient des Bracelets tout autour, & toutes des Coleretes comme on en met quand on est en Habit gris. Si ce mot de Colerete n'est pas remis en usage, corrigez moy je vous prie. Je traite une matiere où vous devez estre plus sçavante que je ne suis, & je ne répons pas que ce soit le seul terme que j'aye mal appliqué. Les Dames n’ont pas esté seulement ainsi parées pour les deux grands Bals, qui ont fait paroistre avec tant d’éclat la magnificence & la galanterie de la premiere Cour du monde ; elles se sont trouvées tous les soirs à la Comédie, ou à l’Opéra, dans le mesme ajustement où je viens de vous les dépeindre, & il redoubla dans les jours de la Naissance du Roy & de la Reyne, qui se rencontrerent le mesme Mois, sur tout à l’égard des Pierreries. Le nombre en estoit presque infiny ; & comme il n’y en avoit que de fines, on peut juger du merveilleux effet qu’elles firent toutes ensemble, quand tous ceux qui s’estoient parez pour danser furent assemblez ; car vous remarquerez, Madame, que chez le Roy il n’y a personne de nommé pour le Bal, & qu’il suffit d’estre d’une Qualité considérable pour avoir la liberté d’y danser. Le Roy mena la Reyne ; Monseigneur le Dauphin, Mademoiselle ; Monsieur, Madame ; Monsieur le Prince de Conty, Mademoiselle de Blois ; Monsieur de Monmouth, Madame la Comtesse de Gramont ; Monsieur le Comte d'Armagnac, Madame la Princesse d'Elbeuf ; Monsieur le Comte de Brionne, Madame la Marquise de la Ferté ; Monsieur de Tilladet, Madame de Soubise ; Monsieur le Comte de Louvigny, Madame de Louvois ; Monsieur de Beaumont, Madame de Ventadour ; Monsieur le Chevalier de Chastillon, Madame de S. Valier ; & Monsieur le Comte de Fiesque, Mademoiselle de Grancé. Il seroit difficile de sçavoir les noms de tous ceux qui furent de ces deux Bals, & le rang qu'ils eurent à danser. Les uns se trouverent au premier, les autres au second, & beaucoup à tous les deux. On y vit Madame la Duchesse de Chevreuse, Mademoiselle de Thiange, Mademoiselle des Adrets, & Mademoiselle de Beauvais. Ces deux dernieres sont Filles d'Honneur de Madame. On y vit encor Monsieur le Duc de Vermandois, Monsieur le Chevalier de Lorraine, Monsieur le Chevalier de Vendosme, Monsieur le Marquis de Mirepoix, Monsieur le Marquis de Rhodes, & quelques autres. Vous serez aisément persuadée que le Roy s'y fit distinguer. Son grand air, & la grace qui l'accompagne en toutes choses, sont des avantages qui ne sont communs à personne ; & quand il ne seroit point ce qu'il est, je vous jure, Madame, que je ne m'empescherois point de vous dire qu'il donna sujet de l'admirer au dessus de tous les autres. La Colation du premier Bal fut superbe, la France augmente tous les jours en magnificence, & peut-estre ne s'est-il jamais rien veu de pareil. Comme je sçay que vous aimez tout ce qui marque de la grandeur, j'ay crû que vous me sçauriez bon gré du Plan que je vous ay fait graver de cette Royale Colation. Prenez la peine de jetter les yeux dessus, le voicy ; vous comprendrez plus aisément en le regardant, ce que j'ay à vous en dire. Les grands Quarrez qui sont marquez Gradins, portoient par le bas huit grandes Corbeilles de Fruit cru. Il y avoit de petits Ronds de Confitures seches dans les encognures. Le second rang portoit encor quatre Corbeilles, & les Encognures estoient remplies comme celles du premier. Un grand Quarré de fruit portant deux pieds de hauteur, faisoit le dessus. Tous les Ronds & Ovales marquez estoient de Fruit cru, & des Confitures seches remplissoient tous les Quarrez qui font le tour de la Table. Par tout où vous voyez de petits & de grands Ronds noirsII imaginez-vous des Flambeaux dans les premiers, & des Girandoles dans les autres. La mesme chose des petits & des grands Ronds qui sont blancsIII. Des Soucoupes de cristal garnies de quantité de Gobelets pleins d'Eaux glacées, tenoient la place des grands ; & les petits que vous remarquez dans tout le tour de la Table, estoient des Porcelaines fines en hors d'œuvre, remplies de toutes sortes de Compotes. Je puis abuser de quelques termes, pardonnez-le moy. Une Balustrade un peu éloignée de la Table, la tenoit comme enfermée, & il y avoit des Bufets au dela. Je voudrois bien sçavoir ce que vostre imagination vous represente de toutes ces choses. Les yeux en devoient estre charmez, & je ne sçay s'ils les pouvoient longtemps suporter. Peignez-vous bien cet ébloüissant amas de Lumieres qui s'aidoient les unes les autres, quand celles des Flambeaux donnant sur le cristal des Girandoles, & celles des Girandoles sur l'or des Flambeaux, elles trouvoient encor à s'augmenter par ce qui rejaillissoit d'éclat des Caramels déja brillans d'eux-mesmes, & du candy des Confitures perlées. Adjoûtez-y ce que les Fruits diversement colorez, les Rubans des Corbeilles, & le Cristal des Soucoupes, en pouvoient avoir, & à tout cela joignez l'effet que produisoient les Pierreries de Leurs Majestez, & celles de quarante Dames qui estoient à table, & qu'on en voyoit toutes couvertes, il est impossible que vous ne conceviez quelque chose au dela de tout ce qu'on a jamais veu de plus éclatant. Les Hommes qui s'estoient mis tous en Just-au-corps, ne brilloient pas moins de leur costé. On n'en pouvoit assez admirer la broderie, qui paroissoit d'autant plus, que ce n'estoit que lumiere par tout. Ils estoient derriere les Dames, & elles leur faisoient part de tout ce qu'il y avoit sur la Table. Il faut rendre justice à Mr Bigot Controlleur ordinaire de la Maison du Roy. Il n'y a point d'Homme plus intelligent, ny qui sçache mieux regler ces sortes de choses. Tout le temps qu’on a passé à Fontainebleau, a tellement esté donné aux Plaisirs, que les jours de Media noche, quand l’Opéra ou la Comédie finissoit trop tost, il y avoit de petits Bals particuliers jusqu’à minuit. Vous sçavez, Madame, ce que veut dire Media Noche, & que c'est une mode qui nous est venuë d'Espagne, où l'on attend à Souper en viande, que le Samedy ou un autre jour d'abstinence, s'il se rencontre dans quelque Semaine, soit expiré. Parmy tant de Divertissemens, la Chasse n'a pas esté oubliée. Il y en a eu tour à tour de plusieurs sortes. Un jour apres que le Roy fut arrivé à Fontainebleau, il les commença par celle du Lievre avec la Meute de Monseigneur le Dauphin, commandée par Mr de Selincourt. Sa Majesté témoigna estre fort satisfaite de l'équipage. Le lendemain Elle courut le Cerf avec une Meute nouvelle qu'Elle avoit faite Elle-mesme des trois meilleures qu'on luy avoit pû choisir. La Chasse du Sanglier suivit. Le Roy en tua trois à coups d'Epée, & ces diférentes Chasses succederent pendant quelques jours l'une à l'autre, tantost avec les Chiens de Monseigneur le Dauphin, tantost avec les Chiens de Monsieur, & quelquefois avec ceux de Mr l'Abbé de Sainte Croix. Ensuite il ne se passa point de jour où l'on ne courust pas le Cerf. Les Chiens de Sa Majesté ont eu l'avantage. Ils en ont pris quinze ; les Chiens de Monsieur, neuf ; et ceux de Monsieur de Vendosme, neuf ; & ceux de l'Abbé de Sainte Croix, dix. Le Roy a esté tirer des Faisans, & couru une fois le Chevreüil. Il arriva un jour aux Toiles dans le temps qu'un Cerf que les Chiens de Mr de Sainte Croix couroient fort loin de là, vint s'y mettre, comme s'il eust dessein de donner le plaisir de sa fin à Sa Majesté. C'estoit le plus grand qui eust esté pris à Fontainebleau. La teste en a esté trouvée si belle, que le Roy l'a fait mettre dans la Galerie des Cerfs. Je vous ay trop de fois nommé Mr l'Abbé de Sainte Croix, pour ne vous le faire pas connoistre. Il est le Fils de feu Mr le Premier President Molé, Garde des Sceaux, Frere de Mr le President de Champlastreux, & Maistre des Requestes. On ne peut voir un plus honneste Homme, ny un meilleur Amy. Toutes ses manieres sont engageantes, & ses dépenses d'un grand Seigneur. Dans la derniere Chasse le Roy laissa courre un Cerf à sa troisiéme teste, qui dura presque tout le jour. Il y en a eu de tres-méchans & qui ont tué bien des Chiens. Il s'est fait encor une Chasse extraordinaire à l'occasion de Monsieur de Verneüil, qui estant venu au Lever du Roy, eut l'honneur de luy donner sa Chemise. Sa Majesté s'estant divertie à luy parler de plusieurs choses, tomba sur la Chasse, & luy dit qu'Elle luy en vouloit donner le plaisir le lendemain. Monsieur de Soyecour Grand-Veneur de France, reçeut l'ordre, & fit préparer deux Cerfs au lieu d'un. La Reyne a veu une fois la Chasse en Carrosse, & Monseigneur le Dauphin les a fait toutes avec le Roy. Il n’y a rien de si surprenant que l’adresse & la vigueur qu’a fait paroistre ce jeune Prince au dela de ce que son âge luy devroit permettre. Madame s’est fait admirer à son ordinaire. C’est un Charme que de la voir à cheval. Rien ne l’étonne ; elle fait son plaisir de la fatigue ; & son Sexe ne luy permettant pas d’aller à la Guerre, elle en va voir les Images, comme je l’ay déja marqué. Ce n’est pas seulement par là qu’elle merite d’estre estimée. Tous les Ouvrages d’esprit la touchent. Elle carresse les Autheurs, & juge mieux que personne de tout ce qu’on voit de beau au Theatre. Madame la Duchesse de Toscane s'est aussi trouvée à ces Parties. On ne peut montrer plus d'esprit qu'elle en fait paroistre. Elle fait tout avec grace, est bonne, genéreuse, & fidelle Amie, & n'oublie jamais dans l'éloignement ceux qu'elle honore de sa bienveillance. Il n'est pas besoin de vous dire qu'elle est Fille de feu Monsieur le Duc d'Orleans, Oncle du Roy. Monsieur le Prince de Conty, quoy que jeune encor, n'a pas esté un des moins ardens pour cet Exercice. J'aurois peine à vous exprimer combien Monsieur le Duc de Monmouth y a montré de vigueur. C'estoit quelque chose de si boüillant, qu'on l'en a veu quelquefois emporté jusque parmy les Rochers. Il a beaucoup paru au Bal, & on luy a trouvé un air tout à fait digne de ce qu'il est. Vous pouvez croire que Madame la Duchesse de Boüillon aimant autant la Chasse qu'elle fait, laissa échaper peu d'occasions d'y suivre le Roy. Elle a une adresse merveilleuse en tout ce qu'elle veut faire, & jamais on n'a mieux tiré en volant. Vous avez esté charmée des agrémens de sa Personne, & de la vivacité de son teint ; mais vous le seriez encor davantage, si vous connoissiez parfaitement la force & la délicatesse de son Esprit. Elle l'a penétrant ; & comme il est capable de toutes les belles connoissances, elle a un attachement inconcevable pour les Livres, & va jusqu'à ce qui s'appelle sçavoir les choses profondement. Mademoiselle de Grancé a esté du nombre de ces illustres Chasseresses. Elle est belle, a de la bonté, & un Esprit qui répond à sa Naissance. Mademoiselle des Adrets a fait aussi voir que la fatigue qui suit ces sortes de Plaisirs, ne l'étonne pas. Je n'ay point sçeu le nom des autres. J'ay apris seulement que les Dames ont esté à la Chasse en Jupes, Just-au-corps de broderie, & Coifures de Plumes. Je ne puis m’empescher de vous dire encor que Mademoiselle dança tres-bien, & se fit admirer au Bal. Quelques autres, tant Hommes que Femmes, s’y firent aussi distinguer. Mais ma Lettre est déja si longue, que je passe au Te Deum de Mr Lully, qui peut estre compté parmy les Plaisirs de Fontainebleau. Il le fit chanter devant le Roy le jour que Sa Majesté luy fit l’honneur de nommer son Fils. Toutes sortes d’Instrumens l’accompagnerent ; les Tymbales & les Trompetes n’y furent point oubliez. Il estoit de Monsieur Lully, c’est tout dire. Ce qu’on y admira particulierement, c’est que chaque Couplet estoit de diférente Musique. Le Roy le trouva si beau, qu’il voulut l’entendre plus d’une fois.

[Reception faite à Essone à Monsieur le Duc de Vermandois, & à Mademoiselle de Blois, par M. du Pin] §

Le Nouveau Mercure galant, octobre 1677 (tome VIII), p. 250-254.

Enfin le Mois de Septembre s’écoula, & apres avoir gousté tant de diférens Plaisirs, & joüy de la Promenade dans quelques Maisons de plaisance des environs de Fontainebleau, la Cour en partit aussi grosse que si le Roy n’eust pas eu quatre Armées sur terre, & une cinquiéme sur mer. Monsieur le Duc de Vermandois, & Mademoiselle de Blois, qui retournoient à Versailles, s’arresterent à Essone, & disnerent dans la Maison de Mr du Pin. C’est cette belle Maison qui estoit à feu Mr Hesselin, & dont on ne peut trop admirer les Avenuës, les Cascades, & les Jets d’eau qui y sont presque infinis. Les Dames que les Vendanges y avoient attirées, se rendirent dans le Jardin, où elles salüerent ces deux jeunes & Illustres Personnes, qui furent reçeuës par Mr du Pin à la descente du Carrosse. Il avoit eu l’ordre de Monsieur Colbert, & il l’executa avec tout l’empressement & toute la joye que luy devoit causer un honneur aussi grand que celuy qu’il recevoit. On disna dans la Salle Italienne. Le Prince & la Princesse se mirent à table avec Madame Colbert ; & pendant le Repas, les Violons & les Hautbois de Paris joüerent les plus beaux Airs de l’Opéra. Apres qu’on eut disné, les Divertissemens ne manquerent pas. Le jeune Prince voulut prendre celuy d’aller à l’Escarpolete sur l’eau, & il en obtint la permission de Mr Gédoüin son Gouverneur, qui connoissant son adresse, fut assuré qu’il n’avoit aucun péril à courir. Tout le monde fut charmé de sa hardiesse, & de la grace avec laquelle il soûtint l’ébranlement de l’Escarpolete. D’autres qui crûrent la chose aisée, s’y hazarderent apres luy, & divertirent la Compagnie en tombant dans l’eau. L’heure du depart approchoit, & pour dernier Divertissement, Monsieur le Duc de Vermandois, & Mademoiselle de Blois, allerent voir la Court des Machines, d’où ils furent enlevez dans un Apartement surprenant. Ils n’en sortirent que pour se remettre en Carrosse, apres que Mr du Pin leur eut presenté de tres-beaux Fruits pour la Colation pendant le chemin.

[Mariage de M. le Marquis de Beringhen, & de Mademoiselle d’Aumont] §

Le Nouveau Mercure galant, octobre 1677 (tome VIII), p. 257-273.

Je quite la Cour pour la Cour. En effet, Madame, je croy ne m’en éloigner pas, en vous parlant d’un Mariage qui a donné lieu icy depuis peu à une Feste tres-magnifique. Monsieur le Marquis de Beringhen a épousé Mademoiselle d’Aumont. Je croy, Madame, que vous ne demanderez pas d’autres preuves de sa Noblesse, que celles qu’il a données en se faisant recevoir Chevalier de Malte ; elles sont assez rigoureuses pour tenir lieu de Titres de Noblesse. Peut-estre serez-vous surprise qu’un Chevalier de Malte se marie ; mais les Chevaliers de cet Ordre ne font leurs Vœux qu’à vingt-cinq ans, & il ne les avoit pas. Ce Marquis est d’une des plus anciennes Familles des Païs-Bas. Son Grand-Pere estoit fort consideré de Henry IV. qui l’employa en plusieurs Négotiations importantes aupres des Princes d’Allemagne. Monsieur le Comte de Beringhen son Pere est Premier Ecuyer du Roy (dont il a la survivance) Gouverneur des Citadelles de Marseille, & Chevalier des Ordres du Roy. C’est un parfaitement honneste Homme, à qui une grande modestie en toutes choses, une fidelité éprouvée, une exactitude de probité qui ne se rencontre pas en tout le monde, une prudence reconnuë, & une sagesse qu’on admire, ont acquis l’estime de toute la Cour. Madame de Beringhen sa Femme estoit Fille de feu Monsieur le Marquis d’Uxelles, Gouverneur du Châlons. Cette Famille originaire de Bourgogne, est assez connuë par ses services & son ancienneté. Le nom d’Uxelles a fait bruit dans les Armées. Plusieurs qui le portoient, en ont commandé, & plusieurs y sont morts l’Epée à la main pour le service de leur Prince. Le Marié est bien fait, de belle taille, il a de l’esprit & du merite ; & dans plusieurs rencontres qui ont fait paroistre son courage, il s’est montré digne Heritier de celuy de feu Monsieur le Marquis de Beringhen son Frere, qui fut tué devant Besançon. Comme il est demeuré Chef de sa Famille, le Roy qui le considere, luy a défendu de s’exposer davantage, & par cette marque d’estime il a voulu faire connoistre à Monsieur le Premier la bienveillance particuliere dont il l’honore. La Mariée est Fille de Monsieur le Duc d’Aumont, Premier Gentilhomme de la Chambre, Gouverneur de Boulogne & du Païs Boulonois. Il avoit épousé en premieres Nopces une Fille de Monsieur le Tellier, Chevalier & Trésorier des Ordres du Roy, Marquis de Louvois, Seigneur de Chaville, Ministre & Secretaire d’Etat ; & c’est de ce Mariage qu’est Mademoiselle d’Aumont dont je vous parle. Elle est bien faite, a une fort grande jeunesse, & c’est un Charme qu’elle soûtient par beaucoup d’autres qui la rendent toute aimable. J’aurois beaucoup à vous dire, Madame, sur ce qui regarde la Maison d’Aumont. Elle est remplie d’un nombre infiny de grands Personnages, Chevaliers des Ordres, Mareschaux de France, Gouverneurs de Provinces, & autres qui ont possedé les plus belles Charges de l’Etat. Avant l'an 1381. Pierre d'Aumont fut Chambellan des Roys Jean & Charles V. Et Pierre II. si renommé dans l'Histoire, le fut de Charles VI. & Garde de l'Oriflame de France. Jean Sire d'Aumont, qui vivoit avant l'an 1595. reçeut le Baston de Mareschal, qu'il merita par quantité de grandes Actions qu'il fit à une infinité de Sieges & de Batailles. Je ne vous diray rien de celles de feu Monsieur le Mareschal d'Aumont, Pere du Duc qui porte aujourd'huy ce nom. Comme il a vescu de nos jours, il n'y a personne qui ne les sçache. Il est mort Gouverneur de Paris, & l'estoit encor de Boulogne & du Païs Boulonois. C'est un Gouvernement attaché dés longtemps à leur Famille, qui est entrée dans les plus grandes Alliances. Vous n'en douterez pas, quand je vous auray dit que Jean VI. d'Aumont avoit épousé Antoinette Chabot seconde Fille de Philippe Chabot Comte de Charny & de Buzançois, Sieur de Brion, Admiral de France, & Gouverneur de Bougogne, & de Françoise Longuy Dame de Paigny, Sœur aisnée de Jaqueline de Longuy Duchesse de Montpensier, Trisayeule maternelle d'Anne-Marie-Loüise d'Orléans, Souveraine de Dombes, Princesse de la Roche-sur-Yon, & Duchesse de Montpensier. Le jour du Mariage estant arresté, on prit les ordres de Monsieur le Duc d'Aumont. Comme il s'entend admirablement à tout, c'est un des premiers Hommes du monde à n'en donner que de justes sur les grandes choses. Sa prévoyance en facilite l'execution, & il explique toûjours si bien ce qu'il pense, qu'on entre sans peine dans tout ce qu'il s'est imaginé. La Nopce se fit dans son Hostel. Il est d’une beauté surprenante ; rien n’égale celle des Apartemens, ils sont & diféremment construits, & diféremment ornez. Tout y est d’une magnificence achevée ; la propreté semble y disputer de prix avec la somptuosité des Meubles ; Raretez par tout, par tout Tableaux admirables & des plus grands Maistres ; & ce qui frape sur toutes choses, ce sont plusieurs Portraits antiques des Descendans de cette Maison, qui marquent je-ne-sçay-quoy de si noble & de si grand, qu'ils suffiroient presque pour en persuader l'ancienneté. Vous vous imaginez assez la joye qui éclata sur le visage de tous les Intéressez, sans que je m'arreste à vous la dépeindre. Le Marié parut l'air content, d'une parure magnifique, propre & bien entendüe, & soûtint cette grande Feste avec un agrement tout particulier. La Mariée qui demeuroit chez Monsieur le Tellier depuis qu'elle est sortie du Couvent, & qui a beaucoup profité de l'exemple de Madame le Tellier, dont chacun connoist le bon sens & la piété, arriva sur les huit heures du soir. Quoy qu'elle brillast d'une infinité de Pierreries, sa Personne la paroit encor plus que toute autre chose. Elle vint avec un petit air sérieux & nonchalant, qui luy donnoit une grace merveilleuse, & jamais à quatorze ans on ne s'est mieux tiré d'une illustre & grande Compagnie assemblée pour elle seule, & dans un jour où les Filles sont le plus severement critiquées. La Salle du Souper estoit éclairée d'un nombre infiny de Lustres. Il y en avoit sur la Table de toutes sortes de manieres, c'estoit comme au Theatre qui regnoit dans le milieu, mais dont la longueur ne causoit aucun embarras. Tout fut servy avec une propreté & une magnificence inconcevable. De chaque costé de la Table il y avoit deux rangs de vingt-cinq Plats chacun, qui faisoient cent Plats en tout, & ces cent Plats furent relevez quatre fois. Le Fruit, & tout ce qu'il y a de plus délicat & de plus délicieux pour composer le plus superbe Dessert, estoit servy au milieu de toute la longueur de la Table, dans des Bassins de vermeil cizelé de diférentes formes, & garnis en Pyramides tres-hautes de tout ce qu'on se peut imaginer de propre à satisfaire le goust ; le tout dans des Porcelaines fines qui estoient là de toutes les sortes. Cette espece de Montagne que formoit ce magnifique Dessert, & qui fut trouvé sur la Table en s'y mettant, ne satisfaisoit pas moins les yeux. Quoy su'il y eust de la simetrie, il y avoit des endroits irréguliers, la justesse se trouvoit dans leur inégalité, & on voyoit par tout une agreable diversité de couleurs. À chaque costé du Fruit il y avoit des Flambeaux de vermeil du haut de la Table jusqu'au bas ; & comme il estoit difficile qu'on pût servir sans confusion les quatre cens Plats qui furent mis à double rang des deux costez en quatre diférens Services, le Maistre-d'Hostel se servit de précaution. Il rangea tous ceux qui portoient leurs Plats, vis-à-vis des endroits où ils devoient estre placez, de sorte qu'en passant entre leurs rangs, il les posoit en un moment sur la Table sans aucun desordre. Cela fit dire agreablement à quelqu'un, à cause des rangs, qu'il croyoit voir un Exercice de Gens de Guerre. Si la suite n'en estoit pas plus dangereuse, les Recruës se feroient facilement. La richesse du Buffet surpasse l'imagination ; il estoit tout de vermeil, & on ne vit aussi grande quantité de Vases cizelez. Pendant le Souper, les Violons du Roy joüerent dans un grand Sallon qui répondoit à la Salle. Les Dames qui en furent estoient (souvenez-vous je vous prie que je ne leur donne aucun rang) Mesdames le Tellier, d’Aumont, de Louvois, de Flez, de la Mote, d’Uxelles, de Frontenac, de Soubise, de Foix, de Coaquin, de Chasteauneuf, de la Ferté, & Mademoiselle d’Aumont, Fille du feu Marquis de ce nom. Ces dernieres estoient magnifiquement parées. Au sortir de la Table, on monta dans les Apartemens enchantez. Les belles Voix de l’Opéra s’y trouverent ; la Symphonie les seconda, & à minuit le Mariage fut celebré.

[Airs sur la Danse nouvelle appellée la Desforges] §

Le Nouveau Mercure galant, octobre 1677 (tome VIII), p. 304-307.

Avoüez, Madame, qu’il ne se peut rien voir de plus hardy ; mais qui n’entreprendroit pas de grandes choses sur l’exemple d’un Roy qui n’en fait jamais que d’extraordinaires ? Si vous voulez voir ses Conquestes en racourcy (car on en parle de toutes manieres) lisez ce Couplet qui a esté fait sur l’Air d’une Danse nouvelle dediée à Madame la Grand’ Duchesse de Florence. On la nomme la Desforges, du nom de celuy qui l’a inventée. Toutes les Personnes de qualité qui l’ont veuë dancer en ont esté satisfaites. Elle a trois mouvemens diférens, estant composée de la Courante, du Passepied, & de la Bourée.

POUR LE ROY.

Courante.

 Grand Roy, quels rapides Exploits
De jour en jour augmentent vostre gloire ?
    La Victoire
  Obeït à vos Loix.     bis.

PASSE-PIED.

Dans le temps des Glaces,
Conquerir trois Places !
 Ce sont des coups
Qui n’estoient deus qu’à Vous.    bis.

BOUREE.

Et tout l’Univers
A les yeux ouverts
 Sur un Conquérant
    Si Grand.    bis.
À l’ombre de vos Palmes
Tous vos Etats sont calmes,
    Et jamais
      La Paix
 Ne peut plus à propos
 Couronner un Héros.    bis.

Enigme §

Le Nouveau Mercure galant, octobre 1677 (tome VIII), p. 330-332.

Mais quelque pressé que je sois de fermer ma Lettre, vous ne me pardonneriez pas si je ne vous envoyois une Enigme pour vos spirituelles Amies. Celle que vous allez lire a esté faite exprés pour elles, & doit les embarrasser, par une raison que je vous diray quand nous parlerons du Mot. Elle est d’une Personne du premier Rang.

ENIGME.

Je suis dans le travail sans estre en exercice,
Toûjours dans les vertus, & ne sors point du vice ;
On me trouve au Barreau sans entrer au Palais,
Fort avant dans la Cour & parmy les Valets.
Je m’érige en Vaillant, puis on me voit en fuite,
Je vis en etourdy sans manquer de conduite.
En Voleur, puis en Pauvre on me voit plusieurs fois,
Je suis toûjours en Gaule & ne suis point François.
Je ne suis point en perte & toûjours en ruine,
Et je fais le Devin sans que l’on me devine.

Si les Belles de vos Quartiers tombent dans l’embarras que je prévoy, elles n’auront qu’à consulter Apollon. Parmy ses qualitez qui sont en grand nombre, il a celle de Devin.

[Sonnet sur les Amours d’Apollon & de Daphné] §

Mercure galant, octobre, tome VIII, 1677, p. 332-334.

Elles sçavent sans-doute qu’il ne pût autrefois avoir l’avantage de toucher Daphné, mais je ne sçay si elles en sçavent la raison. Elles la trouveront dans ce Sonnet. Quoy qu’il soit badin, il ne laisse pas d’avoir sa beauté, & je ne doute point que vous n’en soyez satisfaite.

SONNET.

Je suis (crioit jadis Apollon à Daphné,
Lors que tout hors d’haleine il couroit apres elle,
Et luy contoit pourtant la longue Kirielle
Des rares qualitez dont il estoit orné.)
***
Je suis le Dieu des Vers. Je suis Bel-Esprit né,
(Mais les Vers n’estoient point le Charme de la Belle)
Je sçay joüer du Lut, arrestez Bagatelle,
Le Lut ne pouvoit rien sur ce cœur obstiné.
***
Je connoy la vertu de la moindre Racine,
Je suis, n’en doutez pas, Dieu de la Medecine.
Daphné couroit plus viste apres ce nom fatal.
***
Mais s’il eust dit, voyez quelle est vostre Conqueste,
Je suis un jeune Dieu, beau, galant, liberal,
Daphné sur ma parole auroit tourné la teste.

Air nouveau de Mr Lambert §

Mercure galant, octobre, tome VIII, 1677, p. 334-336.

Tous les Amans ne sont pas fortunez ; & l’Amour, pour mieux faire connoistre sa puissance, ne prend pas toûjours le party des Dieux. Apollon a lieu de s’en plaindre ; laissons-le dans son chagrin, & voyons ce que dit un Mortel plus heureux que luy. Sa Maistresse l’avoit prié de feindre pour tromper les Jaloux, & voicy ce qu’il luy répond.

AIR NOUVEAU
de Mr Lambert.

Philis, vous m’ordonnez de feindre
De l’indiférence pour vous,
Afin de tromper les Jaloux
Que sans cesse nous devons craindre :
Mais quand on joüit chaque jour
Des charmes de vostre présence,
Qu’il est mal-aisé que l’Amour
Paroisse de l’indiférence !

Quelle que soit la puissance de ce Dieu, il a trouvé des cœurs qui n’ont jamais reconnu son empire.