1677

Le Nouveau Mercure galant, décembre 1677, tome X

2014
Source : Le Nouveau Mercure galant, Theodore Girard, décembre, 1677
Ont participé à cette édition électronique : Anne Piéjus (Responsable d'édition), Nathalie Berton-Blivet (Responsable d'édition), Alexandre De Craim (Édition numérique), Vincent Jolivet (Édition numérique) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

Le Nouveau Mercure galant, décembre 1677 (tome X). §

Au Lecteur §

Le Nouveau Mercure galant, décembre 1677 (tome X), non paginé.

AU LECTEUR.

Voicy le dixiéme Volume du Mercure, & le dernier de l’Année 1677. car quoy qu’il paroisse en Janvier, il ne contient que les Nouvelles du Mois de Decembre, & on ne donnera que le premier jour de Fevrier celuy qui commencera l’année 1678. Le succés de ce Livre a esté extraordinaire. Je ne doute point qu’il ne soit deû aux prodiges de cette Campagne, aux Vers galans & sérieux, & aux Pieces d’Eloquence qu’on m’a fait la grace de me donner de toutes parts, & c’est peut-estre le seul Livre dont un Autheur puisse publier le succés sans paroistre vain, puis qu’en cela il ne loüe que les Ouvrages d’autruy. Je me trouve mesme dans quelque obligation de ne pas taire l’approbation qu’on donnée au Mercure, afin que ceux qui m’ont envoyé les agreables Pieces qui le composent, connoissent qu’elle ont plû par tout ; ce qu’il me seroit aisé de justifier par plus de quatre cens Lettres qui m’ont esté écrites sur le plaisir que sa lecture a causé. Il est certain que pour s’en déclarer l’ennemy, il faudroit vouloir qu’il n’y eust ny Braves ny beaux Esprits en France, & condamner en mesme temps toutes les Actions de valeur, & tous les galans Ouvrages de ceux qui écrivent.

Je sçay que le Titre a fait croire d’abord que le Mercure estoit simplement galant, & qu’il ne devoit tenir place que dans la Bibliotheque des Femmes, mais on est sorty de cette erreur quand on y a veu des Pieces d’éloquence, des Harangues, des Relations fidelles & exactes, des Sieges & des Batailles, des Evenemens remarquables, des morceaux d’Histoire, & des Memoires glorieux à des Familles. Alors il est devenu le Livre des Sçavans & des Braves, apres avoir esté le divertissement du beau Sexe ; & une marque incontestable de son succés, c’est qu’il a esté assez heureux pour plaire à Monseigneur le Dauphin , & que ce grand Prince veut bien soufrir qu’il paroisse toûjours à l’avenir sous son Nom. Ainsi vous verrez ce Nom auguste à la teste de celuy qui contiendra les Nouvelles de Janvier ; & pour le rendre moins indigne d’un si grand honneur, il commencera en ce temps-là à paroistre avec tous les ornemens dont un Livre de cette nature puisse estre embelly. On fera graver dans chaque Volume trois ou quatre Planches, suivant les Sujets dont le Mercure parlera ; & comme les Enigmes sont devenuës un Jeu d’esprit qui plaist, comme on le voit par un nombre infiny de Gens qui cherchent à y donner des Explications, outre celles qui seront en Vers à l’ordinaire, on en mettra tous les Mois une autre en Figures, dont on laissera le mot à deviner. On y trouvera trois ou quatre Chansons dont les Notes seront gravées. Elles seront composées par les meilleurs Maistres, & notées exprés pour le Mercure, de sorte qu’on peut s’assurer qu’elles auront toute la grace de la nouveauté, puis que personne ne les aura veuës avant que le Volume où elles seront, soit en vente. Ceux qui voudront envoyer des Paroles, le pourront faire, on aura soin de les faire noter, si elles se trouvent propres à estre chantées. Il y aura des Cartes de galanterie, & la premiere qui paroistra, sera l’Empire de la Poësie, de Mr de Fontenelle. On peut croire sur ce nom qu’elle ne manquera pas d’agrément. On donnera aussi chaque Mois des Desseins gravez des Modes nouvelles, & quand on aura commencé, on ne discontinuëra plus, mais il faut établir beaucoup de choses pour cela, & lier commerce avec bien des Gens. Ce sera une commodité pour ceux qui auront inventé quelque chose de nouveau, dans l’envie de contribuer au plaisir de Monseigneur le Dauphin, ou qui auront quelque chef-d’œuvre d’Art à proposer au Public. Ils pourront en apporter les Desseins, & on les fera graver, s’ils meritent cette dépense. Elle sera grande pour tous ces embellissemens, & devroit faire rencherir le Mercure de beaucoup ; cependant comme on s’attache plus à la gloire qu’à l’interest, l’augmentation du prix sera tres-peu considérable, puis qu’il ne se vendra chez l’Imprimeur que seize sols en blanc, & au Palais vingt sols en parchemin, & vingt-cinq sols en veau. Le Public a reçeu ce Livre si favorablement, qu’il est juste de luy en marquer de la reconnoissance par les nouvelles beautez qu’on luy prestera. Mais pour estre assuré d’en joüir, il doit prendre garde si on ne luy vend point de Mercures contrefaits. Il ne suffit pas de voir au bas qu’ils ont esté imprimez à Paris ; c’est ce qu’on ne manque jamais d’y mettre pour empescher qu’on ne les rejette comme faux. Il faudra examiner s’ils auront les Lettres fleuronnées & figurées, les Vignetes, le Frontispice, & generalement toutes les Planches que je viens de dire, qui seront à l’avenir dans les veritables. Ceux qui se hazarderont à les contrefaire dans les Provinces, s’il s’en trouve qui s’y veüillent exposer, comme ils les debiteront sans Figures, seront obligez d’oster beaucoup de la matiere qui aura relation avec les Planches, & tout le reste demeurant sans liaison, sera un pur galimatias ; outre qu’un Livre contrefait est toûjours remply de fautes, & qu’un Libraire qui songe à l’épargne, en retranche beaucoup de choses pour y employer moins de feüilles. Il ne faut pas s’étonner si des Livres si défigurez se donnent à meilleur marché que les veritables, & c’est cette mediocrité de prix qui peut encor faire voir qu’ils ne le sont pas. On prie ceux qui auront des Memoires à donner, de les adresser au Sieur Blageart Imprimeur & Libraire, demeurant à Paris Ruë S. Jacques, à l’entrée de la Ruë du Plâtre, & de faire sçavoir en quel lieu on pourra estre éclaircy des circonstances dans le temps que les Articles seront employez. Pour les Histoires envoyées par des Particuliers, on croit devoir avertir une fois pour toutes, que si on y retouche, c’est seulement pour les mettre dans le stile serré du Mercure, qui doit estre le mesme par tout, ou pour oster quelquefois des choses qui sont trop libres, ou qui satirisant trop, pourroient chagriner les Intéressez. S’il arrive qu’on difére à mettre dans le Mois les choses qu’on donne, ce n’est qu’à l’égard des Galanteries, qui n’ont aucun besoin de l’ordre du temps ; mais tost ou tard on y met tout ce qui est bon, ou quand on ne le met point, ce n’est pas qu’on y trouve beaucoup d’esprit, mais il y a des choses tres-spirituelles & tres-bien tournées qui ne sont pas bonnes à imprimer. On ne sçauroit avoir trop de circonspection à rendre le Mercure digne d’estre toûjours lû dans des lieux d’où la moindre liberté le banniroit. Comme beaucoup de Personnes font la grace d’écrire à l’Autheur, il les prie de ne point trouver mauvais s’il se dispense de leur répondre. Outre qu’il a besoin de son temps pour travailler & pour s’informer des Nouvelles de chaque Mois, il croit répondre assez quand il met les Ouvrages qu’on luy envoye. Les Libraires de Province son avertis qu’on leur fera bon marché à proportion de l’éloignement des lieux, & de ce qu’il leur pourra couster pour le port. Chacun n’aura qu’à envoyer son Correspondant chez ledit Sieur Blageart, & on y fera les Paquets tant pour les Libraires que pour les Particuliers. Le prix des dix Volumes de l’Année 1677 ne sera point augmenté. Ils contiennent les Nouvelles des douze Mois, parce qu’on a ramassé dans le premier celles de Janvier, de Fevrier & de Mars, jamais Conquérant n’ayant fait de si grandes Conquestes que Louis le Grand dans le cours d’une seule Année. Il n’y a point d’Histoire qui en fasse voir de pareilles, si on a égard à la force des Places qui ne manquoient ny d’Hommes ny de Munitions. Elles auroient esté imprénables autrefois. Tant d’Actions surprenantes rendent ces dix Tomes considérables. On y rend la gloire qui est deuë à ceux qui ont fait les Conquestes, & à ceux qui les ont chantées, & on y ramasse mille choses curieuses qu’on n’auroit pû trouver ensemble, si le Mercure n’avoit jamais esté fait. Les unes auroient esté separées ; les autres n’estant qu’en feüilles volantes, se seroient perduës, & il y en auroit eu beaucoup que la négligence de les recueillir auroit empesché de conserver.

[Reponse de la Prairie au Ruisseau] §

Le Nouveau Mercure galant, décembre 1677 (tome X), p. 1-11.

Je vous sçay bon gré, Madame, de l’amitié que vous témoignez avoir prise pour le Ruisseau. Elle ne me surprend point. Vous avez l’esprit délicat, & j’estois persuadé en vous l’envoyant, qu’il seroit favorablement reçeu. Comme le mérite fait effet par tout, ce Ruisseau que vous appellez le plus galant des Ruisseaux, avoit fait un si grand bruit par les avantages que promettoit l’égalité de son cours, que toutes les Prairies qui pouvoient prétendre à ses complaisances, estoient charmées de sa réputation. Ainsi, quoy que ce soit quelque chose d’assez singulier qu’un Ruisseau Amant, celle qui eut la gloire de s’attirer son hommage, avoit déja entendu parler de ce qu’il valoit, & vous pouvez croire que l’ofre de ses soins ne luy déplût pas. Vous en jugerez par cette Réponse qu’elle luy fit, apres l’avoir écouté sans l’interrompre.

LA PRAIRIE
AU RUISSEAU.

Que vostre éloignement m’a fait souffrir de peine !
Je sechois sur le pied de me voir loin de vous,
Je n’avois plus de Fleurs, & j’estois entre nous
Semblable à ces guérets que l’on voit dans les Plaines ;
Mais puis que je vous voy, je m’en vay refleurir,
Et seûre de vos Eaux, je ne sçaurois périr.
***
Mais puis-je me flater que ces Eaux si chéries
Ne coulent que pour moy ? n’est il point de Prairies
Dont l’émail éclatant puisse arrester vos pas ?
Je crains tout, mais enfin je ne le pense pas.
***
Vous estes descendu d’une Source trop pure,
  Pour ternir par cette action
  Vostre crystal & vostre nom ;
  Et si j’en croy vostre murmure,
Vous ne serez jamais inconstant ny parjure.
***
  Cependant la rapidité
Dont je vous voy courir le long de ce rivage,
  Est de vostre infidelité
  Un assez funeste présage.
Ah, si pour mon malheur, comme un Ruisseau volage,
  Apres avoir sçeu m’engager,
Je voyois vostre cours ailleurs se partager,
De combien de soucis me verrois-je remplie ?
Mais quand on va si viste, il faut qu’on soit leger ;
Et si je m’en rapporte à ce qu’on en publie,
  Vous estes sujet à changer.
***
Je suis jalouse enfin, & quand l’Ocean mesme,
Riche de tant de flots qu’il reçoit dans son sein,
  Auroit pour moy quelque dessein,
  Si son amour n’estoit extréme,
J’aimerois cent fois mieux un fidelle Ruisseau
 Qui pour Thétis, ny pour son Diadéme,
Ne voudroit pas ailleurs puiser deux goutes d’eau ;
Voila comme je suis, & c’est ainsi que j’aime.
***
Ne me voir qu’en courant ! ah je n’ose y penser,
Je sens à ce discours mes Fleurs se hérisser,
Et le cruel Hyver me donne moins d’alarmes :
Helas, où courez-vous ? coulez plus lentement,
Le Lit que je vous offre a-t-il si peu de charmes,
Qu’il ne puisse fixer la course d’un Amant ?
***
Venez vous égayer au bord de nos Fontaines,
  Leurs ondes par vostre moyen
  Se trouveront en moins de rien
  Des Hélicons, des Hippocrenes,
Car je n’ignore pas au bruit que vous menez
  Que vous boüillez de vous y rendre ;
  C’est vainement que vous tournez,
  Je sçay que c’est là vostre tendre.
Que vous diray-je de plus ? j’ay des tapis de Fleurs
  Sur qui vous pourez vous étendre,
L’Aurore chaque jour les baigne de ses pleurs,
  Qui composent un doux mélange
  Qui fait honte à le fleur d’Orange.
***
Ah laissez-vous tenter ! au nom de nos amours
  Faites sur vous quelques retours,
Et coulez tout au moins avec plus de paresse :
  Si vous n’arrestez vostre cours,
Vous allez dans la Mer vous perdre pour toûjours,
Et je ne seray plus qu’un objet de tristesse ;
  Mais c’est en vain que je vous presse
De retarder un peu vostre extréme vistesse,
Et qu’un vent opposé seconde mes souhaits ;
L’Amour & les Ruisseaux ne remontent jamais.
***
Je ne demande point que vous veniez sans cesse
M’aroser nuit & jour ; non, quelque secheresse
Qui puisse me brûler, je ne m’en plaindray pas,
Pourveu qu’en d’autres lieux, toûjours fidelle & tendre,
Vos Eaux, vos cheres Eaux, n’aillent point se répandre ;
Je ne me fonde point sur mes foibles appas,
Quoy qu’un Fleuve pompeux suivy de cent Rivieres,
  Qui sont ses humbles Tributaires,
En superbe appareil me vienne tous les ans
Apporter sur mes bords cent liquides presens.
***
Mais il faut dire tout, c’est un Fleuve volage
Dont les débordemens sans mesure ny choix
S’étendent dans les Champs ainsi que dans les Bois.
Qui peut s’accommoder d’un semblable partage,
Ne me ressemble pas : Eussiez-vous plus d’attraits
Que l’on ne voit d’Epis chez la blonde Cerés,
Si vous alliez ainsi de rivage en rivage,
Je vous prefererois le moindre Marécage,
Et deussay-je en mourir, je romprois pour jamais.

La netteté de ces Vers vous fait assez voir qu’ils viennent de Source. Ils sont d’un Gentilhomme qui cherche la Nature dans tout ce qu’il fait, & qui par là ne fait jamais rien que d’agreable. Cet Ouvrage n’estant pas le seul que vous ayez veu de luy, le stile vous en doit faire deviner le nom. Il a des expressions heureuses qui le distinguent assez pour ne vous donner aucune peine à le reconnoistre.

[Histoire des deux Maris jaloux] §

Le Nouveau Mercure galant, décembre 1677 (tome X), p. 11-41.

Deux Marys que vous voulez bien que je me dispense de vous nommer, en prennent souvent d’inutiles sur des soupçons mal fondez qui leur font passer de méchantes heures. Ils sont tous deux dans les Charges, tous deux impitoyablement délicats sur le Point-d’honneur, & par conséquent tous deux jaloux, jusqu’à trouver du crime dans les plus innocentes conversations. La Femme de l’un est une Blonde bien faite, d’une taille fine & dégagée, l’œil bleu, bien fendu, & un visage qu’on peut dire avoir esté fait au tour. L’autre a pour Femme une grande Brune, qui a la douceur mesme peinte dans les yeux, le teint uny, le nez bien taillé, la bouche agreable, & des dents à se récrier. Ces deux Dames qui n’ont pas moins d’esprit que de beauté, ont encor plus de vertu que d’esprit, mais cette vertu n’est point farouche ; & comme elles sont fort éloignées de l’âge où il semble qu’il y ait quelque obligaiton de renoncer aux plaisirs, le Jeu, la Comédie, l’Opéra, & les Promenades, sont des divertissemens qu’elles ne se refusent point dans l’occasion. Il y a une étroite amitié entre elles, & cette amitié a peut-estre fait la liaison des Marys qui se sont gastez l’un l’autre, en se découvrant leur jalousie. Vous jugez bien, Madame, que cette conformité de sentimens les a fait agir de concert pour le remede d’un mal qui les tient dans une continuelle inquiétude. C’est ce qui embarasse ces deux aimables Personnes, qui ne sçauroient presque plus faire aucune agreable Partie sans qu’un des Marys soit leur surveillant. À dire vray, la trop exacte vigilance n’est pas moins incommode qu’injurieuse. Quelque tendresse qu’une Femme puisse avoir pour celuy à qui le Sacrement la tient attachée, elle n’aime point à luy voir faire le personnage d’Argus. Tout ce qui marque de la défiance luy tient lieu d’outrage ; & les Marys ayant leurs heures de reserve dont personne ne vient troubler la douceur, il est juste qu’ils abandonnent les inutiles à ceux qui n’en profitent jamais sans témoins. Les Dames dont je vous parle devenuës inséparables & par leur veritable amitié, & par le fâcheux raport de leur fortune, n’oublioient rien pour se dérober, quand elles pouvoient, aux yeux de leurs importuns Espions. Ce n’est pas, comme je vous l’ay déja dit, qu’elles eussent aucune intrigue qui pût mettre leur vertu en péril, mais il suffisoit qu’on se défiast de leur conduite pour leur faire prendre plaisir à se débarasser de leurs Jaloux, & c’estoit pour elles un sujet de joye incroyable qu’une Partie d’Opéra ou de Promenade faite en secret. Parmy ceux dont le Jeu leur avoit donné la connoissance (car si elles ne pouvoient s’empescher d’estre observées, elles s’estoient mises sur le pied de faire une partie de ce qu’elles vouloient) deux Cavaliers aussi civils que galants, leur avoient fait connoistre par quelques assiduitez que le plaisir de contribuer à les divertir estoit un plaisir sensible pour eux. Elles meritoient bien leurs complaisances, & l’agrément de leur humeur joint à leur beauté qui n’estoit pas médiocre, pouvoit ne pas borner entierement à l’estime les sentimens qu’ils tâchoient quelquefois de leur découvrir. Ils estoient Amis, & quand ces Belles trouvoient l’occasion de quelque divertissement à prendre sans leur garde accoûtumée, elles n’estoient point fâchées d’en faire la Partie avec eux. Dans cette disposition, voicy ce qui leur arriva pendant que les jours estoient les plus longs ; car, Madame, je croy que le temps ne fait rien aupres de vous à la chose, & qu’une avanture du Mois de Juillet que vous ignorez ne vous plaira pas moins à écouter qu’une Avanture du Mois de Decembre. On m’en apprend de tous les costez, & ne vous les pouvant écrire toutes à la fois, j’en garde les Memoires pour vous en faire un Article selon l’ordre de leur ancienneté.

Le Jeu servant toûjours de prétexte aux Dames à recevoir les visites des Cavaliers, tantost chez l’une, tantost chez l’autre, la Feste d’un des deux arrive. Elles luy envoyent chacune un Bouquet. Cela se pratique dans le monde. Il leur en marque sa reconnoissance par des Vers galans, & par une très-instante priere de prendre jour pour venir souper dans une fort belle Maison qu’il a aupres d’une des Portes de la Ville, où il les attendra avec son Amy. Le Party est accepté, mais l’importance est de venir à bout de la défiance des Marys qu’on ne veut point mettre de la Feste. Heureusement pour elles, ils se trouvent tous deux chargez d’affaires en mesme temps. On choisit ce jour. Le Cavalier est averty. Les ordres sont donnez, & il ne s’agit plus que d’executer. Les Dames feignent de vouloir aller surprendre une de leurs Amies qui est à une lieuë de Paris, & d’où elles ne doivent revenir qu’au frais. Un des Marys les veut obliger à remettre au lendemain, afin de leur tenir compagnie, & de se délasser un peu de l’accablement des affaires. Il n’en peut rien obtenir, & sur cette contestation arriva un Laquais de la Dame qui les avertit de son retour, & qu’elle viendra joüer l’apresdînée avec elles. Leurs mesures sont rompuës par ce contretemps. Les deux Amies dissimulent. Refuser une Partie de Jeu pour en proposer une autre qui les laisse disparoistre pour tout le reste du jour, ce seroit donenr de legitimes soupçons. Elles joüent, demeurent à souper ensemble apres que le Jeu est finy, & feignent d’y avoir gagné un mal de teste qui leur oste l’appétit, & qui ne peut estre soulagé que par une Promenade aux Thuilleries. On met les Chevaux au Carosse. Le Mary que leur empressement à vouloir faire une Partie de Campagne sans luy, avoit déja commencé d’inquieter, les fait suivre par un petit Homme inconnu qui entre avec elles aux Thuilleries, & les en voyant sortir incontinent par la Porte qui est du costé de l’eau, & monter dans une Chaise Roulante qu’elles avoient donné ordre qu’on fist venir, découvre le lieu du Rendez-vous, & en vient donner avis au Mary. Le coup estoit rude pour un Jaloux. Il court chez son Associé en jalousie, luy conte leur commun desastre, & luy faisant quitter les Affaires qu’il n’avoit pas encor achevé de terminer, le mene où la Feste se donnoit. Ils trouvent moyen d’entrer dans la Court sans estre veus, & se glissent de là dans le Jardin, d’où ils peuvent aisément découvrir tout ce qui se passe dans la Salle. Elle estoit éclairée d’un fort grand nombre de Bougies. Ils s’approchent des Fenestres à la faveur de quelques Arbres faits en Buissons ; & quoy qu’ils ne remarquent rien qui sente l’intrigue dans les respectueuses manieres dont les Cavaliers en usent avec leurs Femmes, elles leur paroissent de trop bonne humeur en leur absence, & ils voudroient qu’elles ne se montrassent aimables que pour eux. Le Soupé s’acheve au son des Hautbois qui prennent le chemin du Jardin où la Compagnie les suit. Les Marys qui veulent voir à quoy l’Avanture aboutira, se retirent dans un Cabinet de verdure où ils demeurent cachez. Les Dames ont à peine fait un tour d’Allée, qu’elles voyent l’air tout couvert de Fusées volantes, qui sortent du fonds du Jardin ; les Etoilles & les Serpentaux qu’elles font paroistre tout-à-coup, les divertissent plus agreablement que leurs Marys, qui ne sont pas en estat de gouster le plaisir de cette surprise. L’aimable Brune dont je vous ay fait le Portrait prend une de ces Fusées, & la veut tirer elle-mesme. Celuy qui donne la Feste s’y estant inutilement opposé, luy met un Mouchoir sur le cou, dans la crainte qu’elle ne se brûle. Le Mary perd patience, il veut s’échaper. Celuy qui est avec luy dans le Cabinet l’arreste, & luy-mesme besoin d’estre arresté au moindre mot qu’il voit qu’on dit tout bas à sa Femme. Jamais Jaloux ne souffrirent tant. Ils frapent des pieds contre terre, arrachent des feüilles, les mangent de rage, & on pretend qu’un des deux pensa crever d’une Chenille qu’il avala. Apres quelques Menuets dansez dans la grande Allée, on vient dire aux Dames qu’un Bassin de Fruit les attendoit dans la Salle pour les rafraischir. Elles y retournent & n’y tardent qu’un moment, parce que minuit qui sonne leur fait une necessité de se retirer. Les Cavaliers les accompagnent jusqu’à leur Chaise roulante qu’elles quittent pour aller reprendre leur Carosse qu’elles ont laissé à l’autre Porte des Thuilleries, & cependant les Hautbois qui ne sont point avertis de leur départ continuënt à jouer dans le Jardin. Leur presence est un obstacle fâcheux à l’impatience des Réclus du Cabinet de verdure qui brûlent d’en sortir pour s’approcher des Fenestres comme ils ont fait pendant le Soupé. Il est vray qu’ils ne demeurent pas longtemps dans cette contrainte, mais ils n’en sont affranchis que pour souffrir encor plus cruellement. Un de ces Messieurs de la Musique champestre estant entré dans la Salle pour demander quelque chose à celuy qui les employoit, revient dire à ses Compagnons qu’il n’y avoit plus trouvé personne, & qu’il n’avoit pû sçavoir ce que la Compagnie estoit devenuë. Les Marys l’entendent, & c’est un coup de foudre pour eux. Leur jalousie ne leur laisse rien imaginer que de funeste pour leur honneur. Ils pestent contre eux-mesmes de leur lâche patience à demeurer si longtemps témoins de leur honte, & ne doutant point que leurs Femmes ne soient dans quelque Cabinet avec leurs Amans, ils sortent du Jardin, montent en haut, vont de Chambre en Chambre, & trouvant une Porte fermée, ils font tous leurs efforts pour l’enfoncer. Un Domestique accourt à ce bruit. Il a beau leur demander à qui ils en veulent. Point de réponse. Ils continuent à donner des pieds contre la Porte, & le Domestique qui n’est point assez fort pour les retenir, commence à crier aux Voleurs de toute sa force. Ces cris mettent toute la Maison en rumeur. On vient au secours. Chacun est armé de ce qu’il a pû trouver à la haste, & le Maistre-d’Hostel tient un Mousqueton qu’il n’y a pas plaisir d’essuyer. Nos Desesperez le craignent. Ils moderent leur emportement, & on ne voit plus que deux Hommes interdits, qui sans s’expliquer enragent de ce qu’on met obstacle à leur entreprise. Comme ils ne sont connus de personne, & qu’ils n’ont point leurs Habits de Magistrature, on prend leur silence pour une conviction de quelque dessein criminel ; & afin de les faire parler malgré eux, le Maistre-d’Hostel envoye chercher un Commissaire sans leur en rien dire, & les fait garder fort soigneusement jusqu’à ce qu’il soit arrivé. Cependant les Cavaliers qui ont remené les Dames aux Thuilleries, reviennent au lieu où s’est donné le Repas, & sont surpris de voir en entrant qu’on amene un Commissaire. Ils en demandent la cause. On leur dit que pendant que tout le monde estoit occupé en bas à mettre la Vaisselle d’argent en seûreté, deux Voleurs s’estoient coulez dans les Chambres, & avoient voulu enfoncer un Cabinet. Ils y courent avec le Commissaire qui les livre pendus dans trois jours. Jugez de l’étonnement où ils se trouvent quand on leur montre les pretendus Criminels. Le Commissaire qui les reconnoist se tire d’affaire en habile Homme, & feignant de croire que ce sont eux qui l’ont envoyé chercher, il leur demande en quoy ils ont besoin de son ministere. Ils l’obligent à s’en retourner chez luy, sans s’éclaircir de la béveuë qui l’a fait appeller inutilement ; & les Cavaliers qui devinent une partie de la verité, ayant fait retirer leurs Gens, leur ofrent telle réparation qu’ils voudront de l’insulte qu’on leur a faite sans les connoistre. C’est là que le mystere de la Feste se dévelope. Celuy qui l’a donnée leur découvre qu’elle est la suite d’un Bouquet reçeu, & qu’ayant prié les Dames d’obtenir d’eux qu’ils luy fissent l’honneur d’en venir partager le divertissement avec elles, il avoit eu le chagrin d’apprendre qu’un embarras impréveu d’affaires n’avoit pas permis qu’ils les pûssent accompagner ; qu’il venoit de les remener chez elles, & qu’il esperoit trouver une occasion plus favorable de lier avec eux une Partie de plaisir. Tandis qu’il ajoûte à ces excuses des civilitez qui adoucissent peu à peu la colere de nos Jaloux, son Amy envoye promptement avertir les Dames de ce qui vient d’arriver, afin qu’elles prennent leurs mesures sur ce qu’elles auront à dire à leurs Marys. Ils quitent les Cavaliers satisfaits en apparence de cette défaite, & fort résolus de faire un grand chapitre à leurs Femmes. Elles préviennent leur méchante humeur, & les voyant retourner chagrins, elles leur content en riant la malice qu’elles leur ont faite de ne les mettre pas d’une Partie dont on avoit souhaité qu’ils fussent ; ce qui devoit leur faire connoistre que quand les Femmes ont quelque dessein en teste, elles trouvent toûjours moyen de l’executer. Les Marys se le tinrent pour dit ; & ceux qui ont sçeu les circonstances de l’Histoire, assurent que depuis ce temps-là ils ont donné à leurs Femmes beaucoup plus de liberté qu’il ne leur en laissoient auparavant. C’estoit le meilleur party à prendre pour eux. Le beau Sexe est ennemy de la contrainte, & telle n’auroit jamais la moindre tentation de galanterie, qui n’en refuse pas quelquefois l’occasion pour punir un Mary de sa défiance.

L’Amant Trompé. §

Le Nouveau Mercure galant, décembre 1677 (tome X), p. 46-56.

Apres ces tristes Nouvelles, voudrez-vous bien, Madame, écoutez les Plaintes d’un Malheureux, que plus d’une infidelité soufferte n’a pû guérir de la foiblesse d’engager toûjours son cœur ? Il les fait avec assez d’esprit pour meriter que vous perdiez un peu de temps à l’entendre ; & quoy que vous vous soyez renduë insensible aux maux de l’Amour, la maniere dont il exprime les siens vous pourra toucher.

L’AMANT
TROMPÉ.

Degoûté pour toûjours des Beautez de la Cour,
Je pestois hautement contre leur inconstance,
Et d’un Homme, ennemy declaré de l’Amour,
J’affectois en tous lieux l’heureuse Indiférence.
***
La Chasse me plaisoit, & toûjours dans les Bois,
Pour mieux me garantir des surprises des Belles,
J’évitois avec soin le piege des Ruelles,
 Et la Retraite estoit mon dernier choix.
***
Si mes traits poursuivoient quelque Beste sauvage,
Je n’appréhendois point d’en estre mal-traité,
Et des Oyseaux, d’accord dans leur tendre ramage,
  J’enviois la fidelité.
***
De leur commerce heureux le tranquille avantage
  Me faisoit plaindre le malheur
D’un Amant qui surpris d’une douce langueur,
Sur la foy d’un bel œil imprudemment s’engage
À risquer en aimant, le repos de son cœur.
***
Le mien que les dehors d’une belle apparence
À s’en laisser duper avoient cent fois réduit,
  En retiroit au moins ce fruit
  Qu’une assez longue expérience
Le mettoit en état de n’estre plus séduit.
***
Mais pour ne pas aimer quand le panchant y pousse,
  En vain nous employons nos soins ;
  C’est une habitude si douce,
 Qu’on la reprend lors qu’on le croit le moins.
***
  Un jour assis sur la Fougere,
Je prenois des Zéphirs le frais délicieux,
 Quand j’aperçeus une jeune Bergere
  Dont l’éclat ébloüit mes yeux.
***
L’art ne luy prestoit rien ; sa beauté naturelle
  Brilloit avec tant d’agrément,
  Que plein d’un doux saisissement,
Au péril ne de faire encor qu’une Infidelle,
Je courus rendre hommage à cet Objet charmant.
***
Quel bonheur fut le mien ! nos cœurs d’intelligence
Se trouverent tous deux en mesme temps charmez ;
Il sembloit que l’Amour jaloux de sa puissance,
  L’un pour l’autre les eust formez.
***
Depuis ce temps, unis par les plus belles chaînes,
 Nous ignorions l’usage des soûpirs ;
Et dans leur pureté, sans mélange de peines,
  Nous goustions les plus doux plaisirs.
***
Nos flâmes chaque jour devenoient plus ardentes,
Tout nous rendoit heureux dans ce charmant sejour ;
  Et des passions violentes,
 Nous n’y sentions que celle de l’Amour.
***
  L’ame pleinement satisfaite,
Je n’enviois le sort ny des Rois ny des Dieux,
  Et je préferois la Houlete
  Au Destin le plus glorieux.
***
Un Habit de Berger m’en donnoit l’innocence,
Je ne dédaignois point de garder des Troupeaux,
  Et d’accorder des Chalumeaux,
 Favorisé de l’Ombre & du Silence,
  Au doux mumure des Ruisseaux.
***
 Tel Jupiter descendu sur la Terre,
Quitta l’éclat pompeux de sa Divinité,
  Et fit hommage du Tonnerre
  Aux pieds d’une jeune Beauté.
***
 L’Amour causa cette métamorphose,
  D’Apollon il fit un Pasteur,
Et sur ce grand Exemple il n’est rien que l’on n’ose
  Pour se rendre maistre d’un cœur.
***
J’aurois plus fait encor pour toucher ma Bergere.
Falloit il qu’un Rival vinst corrompre sa foy,
  Ou devoit-il assez luy plaire
Pour partager des vœux qui n’estoient deûs qu’à moy ?
***
L’Ingrate me trahit ; Dieux, qui l’auroit pû croire ?
Mon feu se reposoit sur sa simplicité ;
Cent sermens m’assuroient, elle en perd la mémoire,
  Et court à l’infidelité.
***
  Pour me vanger de l’Inhumaine,
En vain d’un vif dépit j’écoute le transport.
J’ay beau m’abandonner tout entier à la haine,
  L’Amour est toûjours le plus fort.
***
Mon sort a bien changé, je pers tout ce que j’aime,
La douceur d’estre aimé remplissoit mes desirs ;
On me l’oste, & le Ciel dans mon malheur extréme
Me condamne peut-estre à d’eternels soûpirs.
***
Amour, toy qui d’abord me fus si favorable,
  Dans cette triste extremité,
  Rens-moy cette belle Coupable,
  Ou ma premiere liberté.

Cette Piece a quelque chose de champestre, & je l’ay choisie exprés de ce caractere parmy beaucoup d’autres que j’ay à vous faire voir, pour donner à ma Lettre une plus agreable diversité.

[Fragment du Testament de Mad. du Puy, celebre Joüeuse de Harpe] §

Le Nouveau Mercure galant, décembre 1677 (tome X), p. 56-61.Procès à propos de la cessation du testament de Mlle Dupuy

On ne m’en a point nommé l’Autheur. J’ay sçeu seulement qu’il n’avoit pas un Génie moins heureux dans les matieres badines, que dans celles qui sont éloignées de l’enjoüement, & qu’il achevoit de mettre en Vers libres le Testament de Mademoiselle du Puy. Il n’en fut jamais un plus extraordinaire. Il fait grand bruit icy. Tout le monde en parle, tout le monde souhaite l’avoir, & je n’en ay pû encor recouvrer de Copie entiere à vous envoyer. Mademoiselle du Puy est cette celebre Joüeuse de Harpe qui mourut il y a deux ou trois mois, & voicy entr’autres Articles ce que j’ay entendu debiter du Testament dont il s’agit. Il porte qu’il n’y auroit à son Enterrement ny Bossus, ny Boiteux, ny Borgnes, & on y trouve marqué le nombre d’Hommes mariez, de Femmes & de Filles qu’elle souhaitoit qu’on en priast. Elle ordonne que sa Maison ne sera loüée pendant vingt ans qu’à des Personnes qui feront Preuve de Noblesse, & donne une Place pour faire un Jardin, à condition que celuy à qui elle la laisse n’y fera point planter d’Arbres nains. Vous jugez bien par là, Madame, que la Demoiselle estoit raisonnablement visionnaire. Vous en serez encor mieux persuadée quand je vous auray appris, que comme il n’y a presque personne qui n’ait son Animal favory, elle avoit des Chats qu’elle n’a pû oublier en mourant. Ainsi elle a étably une Rente pour leur nourriture, & un Revenu considérable dont doit joüir celuy à qui elle en confie le soin. Vous direz que cette Rente luy assurant dequoy vivre, il y a du moins quelqu’un qui profite de sa folie. La chose ne recevroit point de difficulté, si c’estoit pour ce quelqu’un que la Rente eust esté faite viagere, mais elle ne l’est que pour ses Chats ; & comme elle s’éteint par leur mort, il faut qu’il meure avant eux, s’il veut empescher qu’elle ne luy manque. Elle avoit leu sans-doute que quelques Peuples avoient autrefois étably des Hospitaux pour les Chiens, & qu’il y en a encor aujourd’huy en Turquie, quoy que les Mahometans aiment moins les Chiens que les Chats, pour lesquels ils ont une grande venération. Pour sa Harpe qui luy avoit fait gagner tant de Bien, elle la laisse à un Aveugle des Quinze-vints, qu’elle avoit entendu dire qui joüoit admirablement des Instrumens.

[Paroles du dernier Air de feu Monsieur le Camus] §

Le Nouveau Mercure galant, décembre 1677 (tome X), p. 61-64.

Comme vous aimez la Musique, je vous souhaitay fort dernierement dans une Assemblée où il y eut un tres-grand Concert. J’y recouvray les Paroles du dernier Air que feu Mr le Camus a composé. Vous me les avez demandées, & je vous les envoye. La belle Mademoiselle de Villeneuve les chanta avec une justesse à laquelle on ne peut rien ajoûter ; tout le monde en fut charmé, & jamais il n’y eut tant de loüanges, ny si justement données.

AIR.

N’estes-vous point resveuse & triste quelquefois ?
 De vos Rochers & de vos Bois
N’allez-vous point chercher les plus sombres demeures,
Et dans ces Lieux charmans, sensible à mon amour,
 Ne passez-vous point quelques heures,
 Comme j’y passe tout le jour ?

Mr de Frontiniere a fait ces Paroles. Elles sont touchantes d’elles-mesmes. Jugez ce qu’elles me parurent dans la bouche d’une Personne qui est si propre à toucher. À vous dire vray, Madame, il y a un peu de risque à courir, & la beauté de Mademoiselle de Villeneuve jointe à celle de sa voix, est quelque chose de si dangereux, que pour le repos de bien des Gens, il seroit à souhaiter qu’elle ne se laissast point voir quand elle chante.

[Autre Air de M. de Moliere] §

Le Nouveau Mercure galant, décembre 1677 (tome X), p. 64.

Voicy d’autres Paroles sur un sujet tout diférent. Mr Moliere en a fait l’Air depuis peu avec son succés ordinaire.

AIR.

J’aime l’Eau pour l’amour du Vin ;
 Elle fringue mon Verre,
 Elle arrose la Terre,
 Et nourrit le Raisin.
J’aime l’Eau pour l’amour du Vin.

[Vers envoyez avec un Bouquet de Tubereuses au mois de Decembre] §

Le Nouveau Mercure galant, décembre 1677 (tome X), p. 64-66.

Vous voulez bien, Madame, que j’ajoûte quatre Vers à ces Paroles. Une Dame qui est encor fort belle, quoy que dans un âge où il semble qu’il ne soit plus permis de prétendre à la Beauté, disoit agreablement ces derniers jours, sur le sujet de sa Feste qui approchoit, que sa belle saison estoit passée, & que ce n’estoit plus pour elle que naissoient les Fleurs. Un Cavalier aussi galant que spirituel, l’entendit, & le jour de cette Feste estant venu, il luy envoya un Bouquet de Tubéreuses, qui sont assez rares au Mois de Decembre. Le Bouquet estoit accompagné de ce Quadrain.

La Beauté que le temps croit avoir effacée
 Ne vous doit point couster de pleurs ;
De ces Fleurs, belle Iris, la saison est passée,
 Ce sont pourtant de belles Fleurs.

[Les Avantures d’Armide et de Renaud, composées par M. le C. de Meré] §

Le Nouveau Mercure galant, décembre 1677 (tome X), p. 66-67.

C’estoit quelque chose d’admirable que les Jardins enchantez du Palais d’Armide, où il en naissoit en tout temps & de toutes les façons. Quoy que vous soyez instruite de tout ce qui est arrivé à cette belle Princesse par la lecture du Tasse, lisez je vous prie ce qui en a esté imprimé depuis peu sous le titre des Avantures d’Armide & de Renaud. Vous en serez satisfaite. Ce Livre est fort agreable, & vous dire qu’il est de Mr de Chevalier de Meré, c’est vous dire que vous y trouverez autant de pureté de langage, que de délicatesse d’expression.

Compliment à Monsieur le Chancelier §

Le Nouveau Mercure galant, décembre 1677 (tome X), p. 67-82.

Vous ne serez pas moins contente du Compliment que Mr Doujat eut l’honneur de faire à Monsieur le Chancelier, lors qu’il le fut salüer pour la Faculté de Droit de l’Université de Paris, dont il est le plus ancien Docteur Régent. Il estoit accompagné de ses Collégues, & fut presenté par Monsieur Pelletier Conseiller d’Etat, comme il l’avoit esté en pareille rencontre par Mr de Lamoignon à feu Monsieur Daligre.

COMPLIMENT
À MONSIEUR
LE CHANCELIER.

Monseigneur,

Le juste choix que le Roy a fait de vostre Personne, pour l’élever à la plus haute Dignité de la Robe, est sans doute la plus infaillible marque d’un merite achevé. Mais c’est encore une preuve bien convainquante, que ce merite est generalement reconnu, de voir que les Loix, qui ordinairement sont muettes au milieu des Armes, prennent d’abord un tel éclat entre vos mains, qu’on n’entend de tous costez que des acclamations & des applaudissemens, pour une action pacifique, dans un temps où les Triomphes de nostre invincible Monarque font tant de bruit en tous lieux, par des miracles de guerre si continuels & si surprenans.

On peut bien, Monseigneur, les appeller suprenans, puis qu’ils n’ont point d’exemple dans toute l’Antiquité, & que l’on n’a gueres moins de peine à les croire apres qu’ils sont arrivez, qu’à les imaginer avant qu’ils arrivent. En effet, il n’y a personne qui soit capable de les concevoir, que cet incomparable Génie qui seul les sçait executer. Car enfin peut-on comprendre cette sage conduite qui pourvoit à tout ; cette activité qui est par tout ; cette intrépidité heroïque qui anime tout ; & enfin cette auguste presence qui vient à bout de tout ?

Mais peut-on assez admirer les prodiges que ces grands ressorts ont produit dans le cours de cette seule Année, qui n’est pas encore finie ? une Campagne qui en vaut plusieurs, si hautement achevée, en la Saison qu’on l’ouvroit à peine autrefois ; & recommencée avec un pareil succés, aussitost que les Ennemis ont finy les marches & les contremarches qu’ils ont appellées leur Campagne : plusieurs Places qu’on n’avoit osé attaquer, ou qu’on avoit attaquées inutilement en divers temps, emportées dans peu de jours : une Bataille gagnée par un autre Soy-mesme pendant deux Sieges ; ces Braves de toutes Nations forcez en un moment derriere leurs plus forts Remparts, aussi-bien qu’en rase Campagne ; & leurs prodigieuses Armées également défaites en combatant & sans combatre ?

Vostre zele pour le service & pour la gloire du Roy, me fait esperer, Monseigneur, que vous excuserez facilement cette digression sur un Sujet si agreable, & où Vous & les Vostres avez toûjours eu tant de part.

Nous voyons, Monseigneur, dans vos sages Conseils, dans vos soins vigilans & fideles, & dans toute vostre Vie, de grandes matieres de plusieurs Panegyriques ; & nous voudrions bien nous pouvoir acquiter de ce qui vous est deû en cette occasion. Mais le temps d’un Compliment, dont je vois bien que j’ay déja passé les bornes, ne me permet pas de suivre cette juste inclination ; & je connois trop ma foiblesse, pour me hazarder à une si difficile entreprise. Il me suffira de dire, en passant, ce qui est connu de tout le monde, que vous sçavez joindre admirablement bien des choses qui ne se trouvent gueres d’accord que dans les Hommes extraordinaires : un Esprit penétrant, avec un jugement solide ; une modération sans exemple, avec une éminente fortune ; & une probité infléxible, qui ne considere personne quand il faut juger, avec une affablité obligeante qui ne rebute personne, quand il faut écouter.

Ainsi, Monseigneur, la justice que le Roy vient de faire à vostre vertu, & à vos longs & importans Services, est un moyen assuré pour la rendre par une seule action, au reste de ses Sujets ; & la connoissance que l’on a de cette verité, dont on voit déja les effets, répand dans tous les Cœurs une joye qui n’est pas concevable.

Cependant, Monseigneur, la Faculté de Droit ose se flater de l’espérance que dans cette commune allégresse vous aurez la bonté de distinguer son zele parmy celuy des autres Corps, qui ont eu déja, ou qui auront en suite l’honneur de rendre de semblables devoirs à Vostre Grandeur.

Pour nous attirer cet avantage, il suffiroit de l’attachement particulier qu’exige de nous la profession des Loix, dont vous estes l’Oracle & l’appuy tout ensemble.

Mais outre cette dépendance aussi glorieuse que necessaire, aux obligations de laquelle nous tâchons de répondre par une profonde véneration, & par des vœux ardens & sinceres ; que ne devons-nous pas à V. G. pour l’inclination qu’elle a toûjours témoignée de voir rétablir l’Etude de la Jurisprudence ; qui vous est chere, parce que vous la possedez parfaitement, & parce que vous en connoissez mieux que personne l’importance & la necessité ? Vous sçavez, Monseigneur, combien elle est décheuë de sa premiere splendeur dans ce Royaume où on l’a veuë si florissante pendant plusieurs Siecles.

Maintenant que vous estes en état de la vanger du mépris injurieux qu’en font ceux à qui elle est inconnuë ; que pouvons-nous souhaiter de plus honorable pour V. G. & de plus utile pour le Public, si ce n’est l’entier accomplissement de vos grands & loüables desseins ; & que pour en voir l’effet, vous puissiez servir le Roy & l’Etat dans les nobles fonctions d’une Dignité si éminente aussi longuement que dans celles de tous les autres Emplois que vous avez si dignement remplis ?

Monsieur le Chancelier reçeut cette Députation d’une maniere toute obligeante. Le merite particulier de Mr Doujat luy estoit connu, & il sçavoit la reputation qu’il a parmy tous ceux qui estiment les belles Lettres. La place qu’on luy a donnée dans l’Académie Françoise en est une marque. Il est originaire de Toulouse, descendu d’un Loüis Doujat, qui fut pourveu le premier il y a environ 160 ans de la Charge d’Avocat General du Grand Conseil, cette Compagnie n’en ayant point eu avant luy. Un de ses Fils se fit Conseiller au Parlement de Toulouse, l’autre demeura à Paris, & depuis ce temps-là il y a toûjours eu des Officiers de ce nom dans quelqu’une des Cours Souveraines de ces deux Villes.

[Madrigaux & Quatrains à Monsieur le Chancelier] §

Le Nouveau Mercure galant, décembre 1677 (tome X), p. 85-89.

Dans le temps que tous les Corps se sont empressez à venir faire leurs Complimens à Monsieur le Chancelier, sur le nouveau rang où le Roy l’a élevé, les Muses ne sont pas demeurées muetes ; & voicy des Vers qui ont esté adressez à Mr Calpatri, Maistre des Comptes.

POUR MONSIEUR
LE CHANCELIER.

Loüis le Grand, & le plus grand des Rois,
  Ne peut faire que de grands choix,
Et celuy-cy n’a rien, Calpatri, qui m’étonne.
  C’est un grand Monarque qui donne,
Et c’est un grand Sujet par soy, par ses Emplois
Qui reçoit, dés longtemps fidele à la Couronne,
  Capable aussi plus que personne
Par les soins qu’il a pris des Armes & des Loix,
De soûtenir l’éclat dont Thémis l’environne.
Enfin c’est leTellier, tout utile à la fois
Au Public, à l’Etat, ce Ministre d’élite
Dont le Prince aujourd’huy couronne le merite.

Il est certain que le choix que le Roy a fait de Monsieur le Tellier pour la plus importante Charge de l’Etat, a esté reçeu avec les acclamations de toute la France, & c’est ce qui a donné lieu aux deux Quatrains suivans. La Justice parle dans le premier.

QUATRAIN.

Je ne veux plus songer qu’à gouster le repos
Que vient de me donner le plus grand des Héros :
Ainsi si je paroîs n’estre plus occupée,
Le Pere a ma Balance, & le Fils mon Epée.

AUTRE.

 Loüis par sa rare prudence
En soulageant Thémis, montre que par son choix,
Il veut que le Tellier en tienne la Balance,
Quand son Fer est tenu par l’Illustre Louvois.

[Dispute d’Apollon & de l’Amour sur des Vers d’Iris] §

Le Nouveau Mercure galant, décembre 1677 (tome X), p. 89-119.

Je sçay, Madame, que ces témoignages de joye & de respect rendus à ce grand Ministre, n’auront rien de surprenant pour vous à qui tout son merite est connu ; mais il vous le sera sans doute d’apprendre la Conversation de l’Indifferent à qui vous avez tant de fois reprochés l’air tranquille qui paroist dans toutes ses actions, & cette Philosophie soit naturelle, soit artificielle dont il se pique, quoy que la plûpart des Gens la regardent en luy comme un defaut. Le croirez-vous, Madame ? Il aime, & apparemment il ne cessera pas si-tost d’aimer, car quand l’Amour s’est une fois rendu maistre de ces cœurs Philosophes qui luy ont long-temps resisté, comme il ne seroit pas assuré d’y rentrer quand il voudroit, il n’abandonne pas aisément la place. Voicy ce que j’en ay pû découvrir. Il voyoit souvent une jeune & fort aimable Personne, & n’avoit commencé à la voir que parce qu’elle aime les Livres & qu’elle a l’esprit tres-éclairé. Apres luy avoir donné ses avis sur les lectures qu’elle devoit faire pour ne rien apprendre confusément, il s’offrit à luy servir de Maistre pour l’Italien ; & à force de luy faire dire, j’aime, dans une autre langue que la sienne, il souhaita d’en estre veritablement aimé. Ses regards parlerent, & comme c’estoit un langage que la Belle n’entendoit pas, ou qu’elle feignoit de ne point entendre, il ne put s’empescher un jour de luy reprocher son peu de sensibilité. Elle se defendit de ce reproche sur l’estime particuliere qu’elle avoit pour luy. Vous sçavez, Madame, que l’estime ne satisfait point un Amant. Il luy declara qu’il en vouloit à son cœur, & qu’il se tiendroit malheureux tant qu’elle luy en refuseroit la tendresse. La Belle détourna ce discours, & fit si-bien pendant quelque temps, qu’il ne pût trouver aucune occasion favorable de le poursuivre. Il devint chagrin, & resvoit aux moyens de faire expliquer celle qu’il aimoit, quand on le vint consulter sur des Vers écrits d’une main qui lui estoit inconnuë. Il est du mestier, & ceux que vous avez veus de sa façon, vous donnent assez lieu de croire qu’on s’en pouvoit rapporter à luy. Il prit le papier qu’on luy donna, & leut ce qui suit sans s’attacher qu’à la netteté de la Poësie.

 Pourquoy m’avoir fait confidence
 Que vous en vouliez à mon cœur ?
Il faut que contre vous il se mette en defense,
Je dois vous empescher d’en estre le vainqueur.
***
 Je ne m’estois point apperçeuë
Que tous vos petits soins deussent m’estre suspects,
 Et quand j’en faisois la reveuë,
 Je les prenois pour des respects.
***
 Ah, que ne m’avez-vous laissée,
Cruel Tircis, dans cette douce erreur !
 Vous me voyez embarrassée.
On l’est toûjours quand il s’agit du cœur.
***
Il faut prendre party, je ne dois plus attendre,
Mais si vous m’attaquez, comment vous repousser ?
Quand on sent le besoin qu’on a de se defendre,
 Il est déja bien tard de commencer.

Ces Vers luy parurent d’un caractere doux & aisé. Il le dit d’abord à celuy qui luy en demandoit sa pensée, & vous pouvez juger de sa surprise quand on l’assura que c’estoit le début d’une Fille qu’il approuvoit. Ce mot le frapa. Il se souvint de la conversation qu’il avoit euë avec sa belle Ecoliere. Tout ce qu’il venoit de lire s’y appliquoit, & cette pensée le fit entrer dans des transports de joye incroyables ; mais il cessoit de se les permettre, si-tost qu’il faisoit reflexion que ces Vers estoient trop bien tournez pour estre le coup d’essay d’une Personne qui n’en avoit jamais fait, & qui ne se piquoit point du tout de s’y connoistre. L’incertitude luy faisant peine, il resolut d’en sortir. Il rendit visite à la Belle, luy parla d’une nouveauté qui faisoit bruit, leut ces Vers dont il avoit pris une copie, l’observa en les lisant, & l’en ayant veu soûrire, il l’embarassa si fort, qu’il luy fit enfin avoüer que c’estoit elle qui les avoit faits. Elle ne luy fit cet aveu qu’en rougissant, & en luy ordonnant de les regarder comme un simple divertissement que sa Muse naissante s’estoit permis, & dont elle avoit voulu le rendre Juge des-interessé, en luy cachant qu’elle s’estoit meslée de rimer. La reserve ne l’étonna point, il comprit sans peine ce qu’on vouloit bien qu’il crust, & abandonna son cœur à sa passion. Celle qui la cause en est fort digne. Vous estes déja convaincuë de son esprit par ses Vers, & je ne la flate point en adjoûtant qu’elle est assez belle pour se pouvoir passer d’esprit, quoy qu’il semble que ce soit estre belle & spirituelle contre les regles, que d’estre l’un & l’autre en mesme temps. Si vous la voulez connoistre plus particulierement, imaginez-vous une Brune qui a la taille tres bien prise, quoy que mediocre ; le plus bel œil qu’on ait jamais veu, la bouche également belle, le teint & la gorge admirables, & outre tout cela un air doux & modeste qui ne vous la rendra nullement suspecte de faire des Vers. Voila son veritable Portrait. Tout ce qu’on luy reproche pour defaut, c’est un peu trop de mélancolie, une défiance perpetuelle d’elle-mesme, & une timidité qu’elle a peine à vaincre, mesme avec ceux dont elle ne doit rien apprehender. Les Vers d’une si aimable Personne n’estoient pas de nature à demeurer sans réponse, & quand nostre Amant Philosophe n’auroit pas esté Poëte il y avoit déja longtemps, c’estoit là une occasion à le devenir. À peine deux ou trois jours s’estoient-ils passez, que la Belle reçeut un Pacquet, dans lequel elle ne trouva que cette Lettre. Elle estoit datée du Parnasse & avoit pour Titre

APOLLON,
À LA JEUNE IRIS.

Vos Vers, aimable Iris, ont fait du bruit icy,
On vous nomme au Parnasse une petite Muse.
Puis que vostre début a si bien réüssy,
 Vous irez loin, ou je m’abuse.
Nos Poëtes galans l’ont beaucoup admiré,
Les Femmes Beaux Esprits, telles que fut la Suze,
 Pour dire tout, l’ont un peu censuré.
***
 Je suis ravy que vous soyez des nostres.
Estre le Dieu des Vers seroit un sort bien doux,
Si parmy les Autheurs il n’en estoit point d’autres
  Que des Autheurs faits comme vous.
***
J’ay sur les beaux Esprits une puissance entiere,
Ils reconnoissent tous ma Jurisdiction.
À vous dire le vray c’est une Nation
Dont je suis dégoûté d’une étrange maniere.
***
Et mesme quelquefois dans mes brusques transports,
Peut s’en faut qu’à jamais je ne les abandonne ;
Mais si les beaux Esprits estoient de jolis Corps,
 Je me plairois à l’employ qu’on me donne.
***
Dés que vous me ferez l’honneur de m’invoquer,
Fiez-vous-en à moy, je ne tarderay guere,
Et lors que mon secours vous sera necessaire,
 Assurez-vous qu’il ne vous peut manquer.
***
Je vous diray pourtant un point qui m’embarasse ;
  Un certain petit Dieu fripon
(Je ne sçay seulement si vous sçavez son nom,
Il s’appelle l’Amour) a poussé son audace
  Jusqu’à me soûtenir en face,
  Que vos Vers sont de sa façon,
Et pour vous, m’a-t-il dit, consolez vous de grace,
 Ce n’est pas vous dont elle a pris leçon.
***
Quoy qu’il se pare en vain de ce faux avantage,
Il a quelque sujet de dire ce qu’il dit ;
Vous parlez dans vos Vers un assez doux langage,
Et peut-estre apres tout l’Amant dont il s’agit
Jugeroit que du cœur ces Vers seroient l’ouvrage,
Si par malheur pour luy vous n’aviez trop d’esprit.
***
N’allez pas de l’Amour devenir l’Ecoliere,
Ce Maistre dangereux conduit tout de travers,
Vous ne feriez jamais de Piece réguliere
Si ce petit Broüillon vous inspiroit vos Vers.
***
Adieu, charmante Iris, j’auray soin que la Rime,
Quand vous composerez, ne vous refuse rien.
Mais que ce soit moy seul au moins qui vous anime,
  Autrement tout n’iroit pas bien.

La Belle n’eut pas de peine à deviner qui estoit l’Apollon de la Lettre, mais elle resva quelque temps sur un petit scrupule délicat qui luy vint. Elle n’eust pas esté bien-aise qu’on luy eust fait l’injustice de donner à l’Amour tout l’honneur des Vers qu’elle avoit faits, mais elle ne pouvoit d’ailleurs penetrer par quel interest son Amant avoit tant de peur qu’on ne les attribuât à l’Amour ; & si elle luy avoit defendu de croire qu’ils fussent autre chose qu’un jeu d’esprit où son cœur n’avoit point de part, elle trouvoit qu’il eust pû se dispenser de luy conseiller aussi fortement qu’il faisoit de ne se servir jamais que des Leçons d’Apollon. C’estoit luy faire connoistre qu’il n’avoit souhaité que foiblement d’estre aimé ; & le dépit d’avoir répondu trop favorablement à sa premiere declaration, luy faisoit relire sa Lettre, pour voir si elle n’y découvriroit point quelque sens caché qui pût affoiblir le reproche qu’elle s’en faisoit, quand on luy en apporta une seconde d’une autre main. Elle l’ouvrit avec précipitation, & y lût ces Vers.

L’AMOUR,
À LA BELLE IRIS

Avez-vous lù mon nom sans changer de couleur ?
Vostre surprise, Iris, n’est-elle pas extrême ?
Rassurez-vous ; mon nom fait toûjours plus de peur
  Que je n’en aurois fait moy-même.
***
Vostre Ouvrage galant, début assez heureux,
Entre Apollon & moy met de la jalousie.
Il s’agit de sçavoir lequel est de nous deux
  Vostre Maistre de Poësie.
***
Franchement, Apollon n’est pas d’un grand secours,
En matiere de Vers je ne le craindrois guere,
 Et je le défierois de faire
D’aussi bons Ecoliers que j’en fais tous les jours.
***
Quels travaux assidus pour former un Poëte,
  Et quel temps ne luy faut-il pas ?
On est quite avec moy de tout cet embarras ;
  Qu’on aime un peu, l’affaire est faite.
***
  Cherchez-vous à vous épargner
Cent preceptes de l’Art, qu’il seroit long d’apprendre ?
  Une resverie un peu tendre
 En un moment vous va tout enseigner.
***
J’instruis d’une maniere assez courte & facile ;
Commencer par l’Esprit c’est un soin inutile,
 Fort long du moins, quand mesme il réüssit.
Je vais tout droit au Cœur, & fais plus de profit,
 Car quand le Cœur est une fois docile,
  On fait ce qu’on veut de l’Esprit.
***
Quand vous fistes vos Vers, dites-le moy sans feinte,
Les sentiez-vous couler de source & sans contrainte ?
Je vous les inspirois, Iris, n’en doutez pas.
Si sortant lentement & d’une froide veine,
Sillabe apres sillabe ils marchoient avec peine,
  C’estoit Apollon en ce cas.
***
Lequel avoüez-vous, Iris, pour vostre Maistre ?
Je m’inquiete un peu pour qui vous prononciez ;
  Car enfin je le pourrois estre
  Sans que vous-mesme le sçeussiez.
***
Je ne penserois pas avoir perdu ma cause,
Quand vous décideriez en faveur d’un Rival ;
Et mesme incognito si j’avois fait la chose,
Mes affaires chez vous n’en iroient pas plus mal.
***
Mais quand je n’aurois point d’autre part à l’Ouvrage,
Sans contestation j’ay donné le sujet.
  C’est toûjours un grand avantage,
  Belle Iris, j’en suis satisfait.

Cette seconde Lettre éclaircit entierement le doute de la Belle. Elle ne fut pas fâchée de voir que celuy qui avoit si bien parlé pour Apollon, n’eust pas laissé le pauvre Amour indéfendu, & elle vit bien qu’il ne luy avoit proposé les raisons de part & d’autre, que pour l’engager à décider lequel des deux avoit plus de part à ses Vers, ou de l’Esprit, ou du Cœur. La Question estoit délicate. On la pressa longtemps de donner un Jugement. Elle se récusoit toûjours elle-mesme, & s’estant enfin resoluë à prononcer, voicy un Billet qu’elle fit rendre à son Amant pour Apollon.

 Sire Apollon, ce n’est pas une affaire
Que deux ou trois Quatrains que j’ay faits par hazard,
Et je croy qu’apres tout vous n’y perdriez guere
 Quand l’Amour seul y devroit avoir part.
***
Ne vous alarmez point ; s’il faut nommer mon Maistre,
Je jureray tout haut que mes Vers sont de vous.
 Ils couloient pourtant, entre nous,
 Comme Amour dit qu’il les fait naistre.

Je croy, Madame, que sans en excepter Petrarque, & Laure d’amoureuse memoire, voila l’intrigue la plus poëtique dont on ait jamais entendu parler, car elle l’est des deux costez. Nous ne trouvons point les Vers que la belle Laure a faits pour répondre à ceux de Pétrarque ; mais cette Laure-cy paye son Petrarque en mesme monnoye, & l’attachement qu’ils ont l’un pour l’autre s’est tellement augmenté par cet agreable commerce de Poësie, qu’ils semblent n’avoir plus de joye qu’en se voyant. Je les attens au Sacrement, s’il vont jamais jusques-là ; car il n’y a guere de passions qu’il n’affoiblisse, & l’Amour dans l’ordinaire, demeure tellement déconcerté par le Mariage, qu’on a quelque raison d’assurer qu’il n’a point de plus irréconciliable Ennemy.

Ce n’est pas pourtant une regle absolument generale, & ce que je vay vous dire d’une jeune Personne de la plus haute Qualité, vous en fera voir l’exception. Il y a peu de temps qu’elle est mariée, & les belles qualitez de l’Epoux qu’elle a fait heureux le rendent si digne de posseder tout son cœur, qu’elle n’a point mis de bornes à sa tendresse. Elle voudroit le voir dans tous les momens du jour, & vous pouvez juger du plaisir qu’elle s’en fait par le genre de consolation qu’elle choisit dernierement pendant un Voyage qu’il fut obligé de faire sans elle à la Cour. Elle se souvint d’avoir veu son Portrait dans un lieu où elle avoit tout pouvoir. Elle y courut, le détacha elle-mesme de l’endroit où il avoit esté placé, le fit porter à sa Chambre, passa la plus grande partie de la nuit à le regarder, & je ne sçay si elle ne luy fit point de tendres caresses. Si toutes les Femmes aimoient avec une aussi forte passion, il n’y auroit pas un si grand nombre de Marys Coquets, & on seroit ravy de trouver chez soy l’Amour Complaisant que le chagrin engage quelquefois à chercher ailleurs. Quelque estat de vie qu’on ait embrassé, il est toûjours bon d’avoir une grande exactitude à s’aquiter des devoirs qu’il nous en impose.

[Elegie de M. Ferier Autheur de l’Adieu aux Muses] §

Le Nouveau Mercure galant, décembre 1677 (tome X), p. 122-131.

Ils l’ont fait connoistre, & j’ay à vous apprendre qu’il s’appelle Mr Ferrier. Les loüanges qu’il a reçeuës sur le tour aisé qu’il donne à ses Vers, l’ont engagé à faire un Ouvrage Galant qu’on croit déja sous la Presse. On ne m’en a pû dire le Titre, mais vous pouvez juger de quelle beauté il sera par cette Elegie qui en doit faire le commencement. Elle donne lieu de conjecturer que cet Ouvrage contiendra les manieres qui peuvent faire acquerir l’estime du beau Sexe aux honnestes Gens, & on ne peut douter que cette matiere ne soit traitée delicatement par un Homme qui pense juste, & qui écrit avec une fort grande netteté.

ELEGIE.

Maistre de tous les Dieux dont les subtiles flâmes
Ne brûlent point les cœurs sans éclairer les ames,
Amour, c’est à toy seul que consacrant mes Vers,
Je vay de tes secrets instruire l’Unîvers.
Ainsi, dans mes écrits revelant la science,
De tes droits sur les cœurs j’étendray la puissance,
Et ma Muse à ton Temple appellant les Mortels,
Fera de toutes parts encenser tes Autels ;
Ces Vers dont je te fais un heureux sacrifice,
À m’en récompenser engagent ta justice.
Quoy, pourrois-tu me voir Esclave rebuté,
D’une ingrate Maistresse essuyer la fierté,
Moy, qui par des avis aussi seurs que fidelles,
Montre l’art de toucher les Maistresse cruelles ?
Non, Amour, tu le vois, qu’il est de ton honneur
D’employer tous tes soins au soin de mon bonheur.
Je ne demande pas qu’à mes vœux favorable,
À toutes les Beautez tu me rendes aimable,
Je n’étens pas si loin mes projets amoureux,
Et ce n’est que Philis que demandent mes vœux,
Philis que j’aime en vain, & dont l’indifference
Par de longues froideurs éprouve ma constance.
Mais cette ame insensible aux preuves de ma foy,
Le sera-t-elle encor si tu combats pour moy ?
Si j’obtiens sur son cœur une entiere victoire,
Le fruit que j’en auray t’en assure la gloire.
Pour toy plus que pour moy sois jaloux de tes droits,
Aux cœurs indifferens fais réverer tes Loix,
Et soûmettant l’orgueil d’une beauté rebelle,
Fay luy sentir pour moy ce que je sens pour elle.
Pendant que je poussois ces regrets amoureux,
L’Amour vint me promettre un destin plus heureux.
Toy qu’un zele si fort attache à mon service,
Espere tout, dit-il, quand je te suis propice :
Tu m’as fait une offrande à n’oublier jamais.
Et mes graces pour toy préviendront tes souhaits.
Des Dieux pour les Mortels la bonté sans mesure,
D’un peu d’encens brûlé les paye avec usure ;
Mais en est-il aucun de ces Dieux bienfaisans,
Qui puisse par ses dons égaler mes presens ?
Helene, de Paris fut le digne salaire
Dés qu’on l’eut veu juger en faveur de ma Mere.
Julie, aux yeux de Rome, au milieu de la Cour,
D’Ovide, par mes soins favorisa l’amour.
Crois-tu que maintenant à tes vœux moins propices,
Je manque de puissance, ou manque de justice,
Moy qui sans borne juste, & puissant en tous lieux,
Au rang de mes Sujets compte mesme les Dieux ?
Ainsi, que ta Philis s’arme d’indiference,
Elle doit sa tendresse à ta perseverance.
Ne crains rien, & fidelle aux yeux qui t’ont charmé,
Aime, le Dieu d’Amour t’assure d’estre aimé.
Ah, Philis, voudrois-tu démentir ses Oracles ?
Aux biens qu’il me promet oposer des obstacles ?
Non, sans doute, & ton cœur moins rebelle à ses loix,
Suivra l’avis d’un Dieu qui parle par ma voix.
Si tu n’écoutes point son fidelle Interprete,
Au moins de ta raison entens la voix secrete,
Qui te sollicitant de te laisser charmer,
Te dit tout bas qu’un cœur n’est fait que pour aimer.
Aux douceurs de l’amour ne sois donc plus contraire,
On ne peut en joüir qu’autant que l’on sçait plaire,
Et le Soleil, d’ailleurs si juste dans son cours,
D’un plus rapide pas mesure nos beaux jours.
La Nature, que regle une haute Prudence,
En joignant de si pres la mort à la naissance,
Semble nous avertir qu’il nous faut ménager
Jusqu’au moindre moment d’un temps si passager.
Quelque courte en effet que puisse estre la vie,
Elle pourroit suffire à remplir nostre envie,
Si donnant libre essor à nos jeunes desirs,
Dés que l’on peut les prendre on prenoit les plaisirs.
Mais loin que la raison regle nos destinées,
Nous perdons sans aimer nos plus belles années,
Et lors que la vieillesse efface nos appas,
Nous cherchons les Amours & ne les trouvons pas.
Ne croy point que des ans l’injurieux outrage
Epargne par respect les lis de ton visage.
Non, Philis, la beauté doit un jour te quiter.
Avant qu’elle te quite il en faut profiter.

Réponse des Fleurs à Madame Des-Houlieres §

Le Nouveau Mercure galant, décembre 1677 (tome X), p. 140-145.

Cette indispensable necessité de mourir doit avoir quelque chose de bien rigoureux, puis que les Fleurs qui ne meurent que pour renaistre, ne sont pas satisfaites de leur destin. La réponse qu’elles font à l’illustre & belle Madame Des-Houlieres qui les avoit consolées là-dessus avec tant d’esprit, en est une preuve. Celuy qui les fait parler est d’Aix en Provence, & je croy que ce qu’elles ont à dire ne vous déplaira pas à écouter.

REPONSE
DES FLEURS
À MADAME
DES-HOULIERES.

Si nous naissons souvent, c’est pour mourir de mesme,
  Et pour mourir d’abord.
Un matin passager nous voit changer de sort,
Plaignez, Amarillis, nostre malheur extréme.
En est-il un plus grand pour de jeunes appas,
Que d’estre le butin d’un si soudain trépas ?
La Loy de mourir tost est une Loy trop dure,
Où nous assujettit l’inégale Nature.
On fait plus de pitié qu’on ne fait de jaloux,
  Quand on dure aussi peu que nous.
Il faut que nous mourions à la fleur de nostre âge
 En attendant le retour du Printemps.
On se console peu d’un futur avantage,
Quand on peut se passer d’attendre un autre temps.
  Que nous sert-il que le Zephire
Si délicatement aupres de nous soûpire,
Qu’il soit insinuant, que son esprit soit doux,
  Si dans le temps qu’il nous caresse,
  Et nous marque de la tendresse,
La mort vient, & finit tout commerce entre nous ?
Vous dites cependant ; Jonquilles, Tubéreuses,
Vous vivez peu de jours, mais vous vivez heureuses,
  Quand on a de beaux jours,
 Il n’est pas bon qu’ils soient si courts.
Nulle de nous pourtant ne conserve l’envie
  De se voir prolonger la vie,
Quand il s’en faut priver pour parer vos Moutons
  De Guirlandes & de Festons.
Sans peine & sans regret chacune alors se donne
  Avec ses plus vives couleurs.
Pour qui peut en mourant leur servir de Couronne,
Mourir bientost n’est pas le plus grand des malheurs.

Voyez, Madame, comme je me laisse insensiblement emporter à l’enchaînement de la matiere.

[Tout ce qui s’est passé de remarquable au Parlement le lendemain de la S. Martin, le jour des Harangues & celuy des Mercuriales] §

Le Nouveau Mercure galant, décembre 1677 (tome X), p. 148-172.

Le mesme jour de cette Ouverture, Messieurs de la Cour des Aydes font des Harangues entr’eux qu’on peut appeller Mercuriales, puis qu’elles n’ont pour but que de faire voir en quoy les Juges manquent, & ce qu’ils doivent faire pour répondre dignement aux obligations de leurs Charges. Messieurs les Presidens & Conseillers de cette Cour s’estant assemblez cette année à leur ordinaire, Monsieur le Camus qui en est le Chef prit la parole, & apres s’estre long-temps étendu sur la difference qu’il y avoit de l’integrité & de la pureté de vie des Siecles passez, à la corruption qui s’est glissée dans celuy-cy, & avoir montré par un discours fort net & fort éloquent, que nous estions tres-éloignez de cette candeur qui estoit inséparable de tout ce qui se faisoit dans ces temps heureux, il fit voir les desordres qui naissent des Jugemens trop précipitez, & marqua fortement que les Juges ne pouvoient apporter trop de précaution avant que de prononcer sur l’interest des Parties. Voicy une comparaison dont il se servit. Souvenez-vous, Madame, que tout ce que je vous dis est fort imparfait, & que les pensées que je vous explique perdent beaucoup de leur grace, dénüées des vives expressions qui les mettoient dans leur jour.

De mesme, dit-il, que les Eaux qui se répandent dans les Campagnes par divers détours, y portent la fertilité & l’abondance, ainsi quand les Magistrats accompagnent leurs Jugemens de toutes les reflexions necessaires pour déveloper avec soin les differens interests des Particuliers, leurs Arrests se trouvent soûtenus de cette équité dont Dieu recommande aux Hommes de ne s’éloigner jamais. Au contraire lors que ces Eaux se débordent avec l’impétuosité d’un Torrent, elles les gastent, elles y mettent la sterilité ; ce qui est en quelque façon l’image des Juges, qui se laissant emporter au premier feu de leur génie, & ne prenant pour regle de leurs Décisions que leur entestement, & leur opiniâtreté, confondent le bon droit avec le mauvais, & font injustement des malheureux.

Le sujet que Mr du Boismenillet, Avocat General de la Cour des Aydes, prit pour son Discours, fut la connoisance de la Verité. Il montra qu’elle estoit si necessaire aux Juges, que sans elle ils ne pouvoient goûter de veritable plaisir dans le monde, ny joüir d’une fortune assurée. Il fit voir que ce que l’Homme appelle Fortune, consistoit dans la seule élevation, que nous cherchions cette élevation par tout, & que nous tâchions de nous la procurer à nous-mesme, en abaissant ceux en qui nous découvrions plus de merite qu’en nous, ce qui estoit cause qu’il nous fâchoit naturellement d’entendre loüer, au lieu que la Satyre nous donnoit toûjours de la joye, parce qu’elle a l’adresse de changer les vertus en defauts, & que nous ne trouvons point d’abaissement pour les autres qui ne nous semble une espece d’élevation pour nous ; mais qu’enfin cette Fortune estoit injuste sans la connoissance de la Verité. Il adjoûta que la Fortune & les Plaisirs estoient les deux principaux motifs qui nous faisoient agir dans la vie, que c’estoit sur eux que tous les autres rouloient, & que nous estions obligez de prendre party. Ce raisonnement fut suivy d’un grand Eloge de Monsieur le Chancelier, qui attira un applaudissement general.

Le Lundy que le Parlement recommence ses Seances, qui est le jour où les Audiances sont ouvertes, & qu’on appelle Jour des Harangues, Mr le Premier President parle aux Avocats, & apres leur avoir fait connoistre leur devoir, il finit en adressant la parole aux Procureurs. C’est ce qui s’est toûjours pratiqué, & ce qui se pratiqua encor la derniere fois. Monsieur de Lamoignon, avec cette gravité de Magistrat si digne de celuy qui tient le premier rang dans ce grand Corps, dit d’abord que c’estoit pour la vingtiéme fois qu’il voyoit renouveller l’ancienne Ceremonie depuis que la Justice s’expliquoit par sa bouche sur toutes les obligations que les Avocats avoient contractées avec elle par le Serment de fidelité qu’ils luy avoient solemnellement juré ; que dans cette longue révolution d’années qui avoit passé comme un songe, il avoit veu changer presque tout le Barreau, & qu’à peine y restoit-il encor quelques-uns de ceux qui estoient alors dans une si haute reputation, & que l’âge ou l’infirmité avoient contraints d’abandonner un employ si laborieux. Il exagera fort le merite de ces Avocats celebres, & dit qu’il sembloit qu’ils n’eussent pas eu plus de durée que ces Etoilles élementaires qu’on voit se détacher du Ciel dans un temps calme, qui marquent par une trace de lumiere leur chute précipitée & qui se perdent pour jamais dans l’obscurité de la nuit. Il les compara en suite à des Torches ardentes qui jettent une fort grande lueur, qu’on ne voit paroistre que pour la voir s’évanoüir dans le mesme temps. Il adjoûta que leur memoire vivroit toûjours dans le Parlement, où l’idée en estoit si forte, & le souvenir si agreable, qu’il estoit comme impossible de ne pas croire qu’ils fussent encor presens, & qu’on entendit leur voix parmy cette multitude d’Avocats qui venoient en foule pour écouter. Il les exhorta tous à se rendre infatigables dans leur employ comme avoient fait ceux dont il leur parloit, & leur fit voir qu’ils estoient d’autant plus obligez de s’en acquiter dignement, que nostre grand Monarque, au milieu des soins qui demandoient toute son application pour ce qui regardoit la Guerre, ne perdoit jamais celuy de conserver l’éclat de la Justice & de maintenir ses interests, ce qu’il avoit encor fait paroistre depuis peu de jours en luy donnant pour Chef un grand Homme dont le choix avoit esté prévenu par les vœux de toute la France, & suivy de ses plus sinceres acclamations.

Mr l’Avocat General Lamoignon son Fils parla apres luy, Mr Talon estant tout couvert de la gloire que ces sortes de Harangues font acquerir. Son Exorde fut que si les Discours que la coustume veut qu’on fasse en de pareils temps n’estoient considerez que comme des Essais d’Eloquence semblables à ces Concerts de Musique qui flatent l’oreille sans penetrer le cœur, ce seroit un abus de porter la parole dans un si Auguste Parlement pour maintenir les interests de la Justice, en representant aux Avocats à quoy les oblige le Serment qu’ils renouvellent tous les ans. Il poursuivit en faisant connoistre que la perfection de ce Serment consistoit dans la verité, la justice & le jugement ; Que sans ces trois conditions tous les Sermens estoient des Parjures, & les Parjures, la source de tous les malheurs ; Qu’ainsi les Payens avoient dévoüé à la colere du Ciel, & à l’execration de la Terre, ceux qui se trouvoient coupables des deux plus grands crimes qu’on puisse commettre dans le monde, l’un d’avoir méprisé la Divinité qui préside aux Sermens, & l’autre d’avoir violé la Verité, sans laquelle les plus sages Legislateurs marquoient qu’il n’y avoit point de religion parmy les Hommes, ny de fidelité parmy les Dieux. Il finit par une peinture de l’honneste Homme qu’il exhorta les Avocats de se proposer pour modelle, afin que s’appliquant avec plus d’ardeur à rendre justice qu’à chercher les occasions de s’enrichir, ils eussent un zele parfait à defendre la verité.

Le Mercredy suivant on tient la Mercuriale. Mr le Premier President parle à Messieurs les Gens du Roy, qui luy ayant adressé la parole en suite, continuent en l’adressant aux Juges en general. Mr de Lamoignon, Chef de ce grand Corps, tourna son Discours la derniere fois sur la Verité. Il dit que les Juges estoient dans une obligation indispensable de la chercher sans se metre en peine de la calomnie, ny de ce qu’on pourroit dire contre eux quand ils feroient leur devoir ; Qu’ils estoient dans un rang élevé, mais exposé à tout ; Qu’en cherchant cette Verité, ils devoient craindre qu’on ne les persuadât trop aisément ; Que chacun croyant avoir droit, croyoit en mesme temps que la Verité estoit pour luy, & que cependant elle ne pouvoit estre que d’un costé ; Que pour la bien découvrir au travers des voiles qui l’envelopent, ils devoient tout entendre, ne rebuter personne, & si cela se peut dire, écouter jusqu’à l’injustice mesme, pour n’avoir aucune negligence à se reprocher ; Que tout leur devant estre suspect, ils le devoient estre à eux-mesmes ; Que les Amis se laissant aveugler par leurs Amis, tâchoient à persuader des injustices aux Juges, dans la pensée qu’ils ne leur demandoient rien que de juste, & qu’ainsi ils avoient sujet de se défier de tout, & particulierement d’un Sexe qui ayant des privileges particuliers, vouloit toûjours estre creu, & ne prioit jamais qu’avec quelque sorte d’autorité. Il finit par quantité de belles choses qu’il dit sur la grandeur du Roy, & sur la fidelité que les Juges doivent à leur conscience, à Sa Majesté, & à leur ministere.

Monsieur de Harlay Procureur General parla en suite. Il dit que le repos faisoit subsister toute la Nature ; Que Dieu mesme en avoit étably un jour dans chaque Semaine ; Que les Corps apres avoir travaillé tout le jour, estoient obligez de se délasser la nuit pour reprendre de nouvelles forces, & qu’ainsi on avoit ordonné les Vacations afin que l’Esprit se reposast des fatigues de l’année, & pust s’appliquer aux Affaires avec une nouvelle vigueur ; mais qu’au lieu d’employer ce relâchement à l’usage auquel on l’a destiné, beaucoup de Juges rentroient aussi crus qu’auparavant, il explique ce terme, adjoûtant qu’ils n’avoient point assez digeré les pressans devoirs qui leur sont imposez par leurs Charges, & qu’ils ne s’estoient point mis dans l’estat où il faut estre pour s’en acquiter ; Qu’il les conjuroit de mieux profiter du temps, & que ce fust pour la derniere fois, s’ils remarquoient qu’ils en eussent jamais abusé. Apres cela il entra dans le détail de ce que doit sçavoir un Juge, & ayant parlé des Ordonnances, du Droit Civil, & de quelques autres dont la connoissance luy estoit absolument necessaire, il tomba sur la foiblesse des Hommes si sujets à se tromper eux-mesmes, ou à se laisser tromper. Il leur fit connoistre que la prévention estoit la chose du monde la plus dangereuse, pusique l’Innocence en pouvoit souffrir ; & leur ayant marqué ce defaut comme un des plus grands & des plus préjudiciables qu’ils pussent avoir, il les exhorta à songer sérieusement à s’en défendre, & à ne donner jamais de Jugemens sans avoir examiné jusqu’aux moindres circonstances des Affaires sur lesquelles ils avoient à prononcer.

Je vous ay déja priée, Madame, de ne regarder ce que j’avois à vous dire sur cette matiere, que comme une ébauche qui a esté faite confusément sur des Portraits achevez. Ce sont moins en effet les pensées de ces grands Hommes, que quelque chose de leurs pensées. Ils leur ont donné un tour qu’il ne m’est pas possible de trouver, & j’en laisse beaucoup que la memoire de ceux qui les ont entenduës avec admiration ne m’a pû fournir.

[Sonnets au Roy] §

Le Nouveau Mercure galant, décembre 1677 (tome X), p. 181-185.

Voyez, Madame, ce que fait le Nom du Roy. Il se declare, & la Victoire devient infaillible ; mais si ses Armes se font redouter par tout, ses Triomphes sont en mesme temps l’inépuisable matiere des Eloges de tout le monde, & ceux que l’embarras des Affaires du Public oblige à rompre commerce avec les Muses, cherchent à le renoüer pour ne demeurer pas muets quand il s’agit de la gloire de ce grand Monarque. Vous n’en douterez point quand vous aurez leu ce Sonnet de Mr de Brion Conseiller au Parlement.

SONNET
POUR LE ROY.

Destins, veillez toûjours pour conserver ce Roy,
De vos soins assidus le plus parfait ouvrage.
Ne l’abandonnez point, lors que son grand courage
Luy fait porter par tout la terreur & l’effroy.
***
Quoy qu’il traisne toûjours la Victoire apres soy,
Comme il court sans rien craindre où la Gloire l’engage,
Dans les divers périls que son grand Cœur partage,
Du soin de le garder faites-vous une Loy.
***
Vous avez employé plus de cinq mille années
À former de Loüis les nobles destinées ;
Vostre plus grand effort nous paroist aujourd’huy.
***
Ne livrez donc jamais à la fureur des Parques
Ce Roy victorieux, la gloire des Monarques,
Vous ne sçauriez donner un plus grand Roy que luy.

Cette verité est si constante, que le plaisir d’admirer ses grandes Actions adoucit les maux de ceux qui souffrent ; & cet autre Sonnet de Mr l’Abbé Flanc arresté dans la Conciergerie par ses malheurs, en est une marque.

AU ROY.
Sonnet.

Roy seul de tous les Roys digne d’estre imité,
Ta grandeur m’ébloüt, & ma Muse tremblante
S’égare & se confond de voir, lors qu’on te vante,
Ton merite plus grand que ta felicité.
***
Tu portes tous les traits de la Divinité,
Au seul bruit de ton Nom l’Europe s’épouvante,
Et les Faits inoüis de ta main si puissante
Feront l’étonnement de la Postérité.
***
Mais lors que tu parois environné de gloire,
Qu’en tout temps tes Drapeaux devancent la Victoire,
Qu’un seul de tes desseins suspend tout l’Univers ;
***
Que du fier Espagnol les Villes sont conquises,
Qu’à l’éclat de tes Lys les Aigles sont soûmises,
À t’admirer, Grand Roy, j’adoucis tous mes fers.

[M. l’Abbé de Boistel soûtient des Theses de Philosophies dediées à M. le Marquis de Louvoys, où plusieurs Dames se trouverent] §

Le Nouveau Mercure galant, décembre 1677 (tome X), p. 193-198.

Je sçay que la matiere des Theses est peu galante, & que ce n’est pas un Article qui doive estre employé souvent dans mes Lettres ; mais quand les choses ordinaires, & dont je n’ay pas accoûtumé de vous parler, sont accompagnées de circonstances extraordinaires, elles meritent bien que vous les sçachiez. Ce qu’il y eut de nouveau dans cet Acte soûtenu, c’est qu’on donna en François à toutes les Dames le Compliment Latin qui est au dessous du Portrait de Monsieur de Louvois. Sans cela elles auroient esté privées du plaisir que leur causa l’éloge de ce grand Minsitre. Je vous ay parlé de luy dans toutes mes Lettres, & quoy que je ne l’aye pas toûjours nommé, il y a si peu de Personnes qui luy ressemblent, qu’il ne vous a pas dû estre difficile de le reconnoistre. Apres les glorieuses veritez que je vous en ay dites, il est bon que vous les entendiez d’une autre bouche, & que je vous explique au moins en peu de mots le sujet du Compliment de Mr l’Abbé le Boistel. Il commence par l’élevation de Monsieur le Tellier à la Charge de Chancelier de France, qu’il regarde comme une preuve éclatante que le Roy a voulu donner à toute l’Europe de l’amour qu’il a pour ses Peuples. Il vient de là au merite de Mr le Marquis de Louvois, que des travaux sans relâche ont entierement dévoüé à la gloire de son Maistre. Il dit que jamais Prince n’ayant couru à l’Immortalité à si grands pas, jamais Ministre n’avoit si promptement applany les difficultez qui auroient pû l’arrester ; Qu’il venoit plutost à bout luy seul de fournir aux besoins de quatre Armées, que plusieurs ensemble ne fournissoient autrefois aux necessitez d’une seule ; Que quelques desseins qu’on eust formez, les choses se trouvoient toûjours executées avant qu’on eust sçeu qu’elles se devoient entreprendre ; Que par les soins qu’il prenoit à maintenir la Discipline militaire dans toute son exactitude, le passage des Gens de guerre ne sembloit estre par tout que celuy d’une Colonie d’Amis ; & que le somptueux Bastiment des Invalides, rendroit un eternel témoignage de sa bonté pour les Soldats ausquels il avoit procuré un azile glorieux pour le reste de leurs jours, quand l’âge ou les blessures les rendoient incapables de continuer leurs services.

[Lettre de M. Petit à Monsieur le Duc de S. Aignan] §

Le Nouveau Mercure galant, décembre 1677 (tome X), p. 198-208.

Ces pensées sont beaucoup mieux tournées dans une Langue à laquelle la force de l’expression est particuliere. Vous y supléerez, s’il vous plaist, Madame, & pour marque de la reconnoissance que j’en auray, je vous envoye une seconde Lettre de Mr Petit, écrite comme la premiere à Monsieur le Duc de S. Aignan. Vous aimez tout ce qui regarde la gloire du Roy, & son stile qu’il appelle badin, ne des-honore peut-estre pas la matiere qui luy fait peur. Lisez, je vous prie, & m’en dites vostre pensée.

De Roüen le 9. Decembre 1677.

Monseigneur,

Ce n’a pas esté sans surprise que j’ay veu dans le dernier Tome du Mercure les Vers badins qu’il y a deux ou trois mois que je pris la liberté de vous envoyer. Ce m’est, Monseigneur, une marque bien glorieuse & bien obligeante de l’honneur de vostre souvenir ; & comme ce n’a pû estre que par vos ordres qu’ils ayent eu place dans ce Recüeil de Pieces Galantes, je ne vous suis pas mediocrement obligé de la bonté que vous avez de vouloir déterrer mon nom ensevely en Province depuis une assez longue suite d’années ; Mais, Monseigneur, je suis si accoustumé à recevoir de vous des graces que je ne merite point, que je dois peu m’étonner de cette derniere, qui m’engage plus que jamais à vous honorer, & à pousser jusqu’où elle peut aller la passion toute pleine de respect avec laquelle je suis,

  MONSEIGNEUR,

      Vostre tres-humble, tres-obeïssant & tres-obligé Serviteur, Petit.

Cher Duc, apres ce Compliment
Et cet humble Remerciment
Un peu serieux pour ma Plume,
Dont (vous le sçavez) la coûtume
Est d’écrire en style badin,
Sans se piquer de rien de fin ;
Trouvez bon qu’elle s’y remette,
Et que ma Muse, humble Soubrette
De celle dont les chants si doux
Vous font faire mille Jaloux,
Vous entretienne à l’ordinaire,
Songeant que je suis vostre Frere
En Apollon, l’aimable Dieu,
Qui de cent plaisirs me tient lieu.
Et certes, j’aurois peine à dire
Si le feu badin qui m’inspire,
Me touche ou plus, ou moins au cœur,
Que celuy du Dieu dont l’ardeur
Fait desesperer l’Idolâtre
D’une Coquette acariâtre,
Qui rit des traits du Dieu fripon ;
Mais il n’en est plus, ce dit-on.
Les Coquettes sont fort dociles,
Comme en huit jours on prend des Villes
(Secret de nostre Mars François,
Plus Roy luy seul que trente Roys)
En huit jours, sans autre remise,
La plus fine Coquette est prise.
 Quoy qu’il en soit, j’aime à rimer,
Et ma Muse sçait s’animer,
Quand à vous s’adresse sa rime ;
Mais n’est-ce point commetre un crime
Que de vous dérober du temps
Au milieu des Plaisirs charmans
Dont la plus belle Cour du monde
Pour l’un & l’autre Sexe abonde ?
 Dans cette Cour où le Soleil
Brille en son superbe appareil,
Où des Beautez faites à plaire,
Où des Héros hors du vulgaire
Forment un éclat qui surprend,
Je sçay qu’il faut que tout soit grand,
Et d’une splendeur sans pareille.
Ainsi donc ce n’est pas merveille
Si par tout où paroist Loüis,
On voit des brillans inoüis.
 Vous tenez bien là vostre place,
Et, sans que rien vous embarrasse,
Vostre plus ordinaire employ
Est d’admirer nostre grand Roy,
Dont le Bras, secondant la Teste,
Ajoûte Conqueste à Conqueste.
Tout le monde en est étonné ;
Dés que son Canon a tonné,
Les Villes en craignent la foudre,
Et de peur qu’on les mette en poudre,
Surprises de ses grands Exploits,
Viennent se ranger sous ses Loix.
 Si l’on voyoit des Faits semblables
Dans l’Histoire ; ce sont des fables,
Et des fictions, diroit-on :
Mais, certes, le pauvre Lion,
Et l’Aigle, battus de l’orage,
Connoissent trop, à leur dommage,
Que ces Exploits par tout vantez
Sont de seûres réalitez.
Nos muses fort embarassées
Vont au silence estre forcées.
Ayant dit que ce nouveau Mars
Passe de bien loin les Césars,
Les Aléxandres, les Achilles,
Et les plus grands Preneurs de Villes,
Elles pensent avoir tout dit ;
C’est jusqu’où va leur bel esprit.
Puis se trouvant loin de leur compte,
Elles confessent, avec honte,
Qu’elles n’en ont pas dit assez,
Et que trop de Faits entassez
De leur éclat les ébloüissent,
Et font que leurs Rimes tarissent.
 Mais, digne Duc, permettez moy
De dire icy, que ce grand Roy
N’a rien qui luy soit comparable
Dans l’Histoire, ny dans la Fable.
 Quelques-uns veulent qu’il soit né
Sous un Astre bien fortuné,
Et sous une Etoille invincible ;
Mais c’est à ce héros terrible
Oster de sa Gloire un fleuron.
Son Astre est, son cœur de Lion ;
Et son Etoille, sa prudence,
Son grand sens, & sa vigilance.
C’est luy qui monte les Ressorts
Qui font mouvoir tout ce grand Corps
De Combatans, sous qui tout tremble ;
Et mesme dans le temps qu’il semble
Que ce Héros se divertit,
Sa Teste incessamment agit.
Ses Ordres si juste se donnent,
Que les Ennemis s’en étonnent,
Et la mesme peur il leur fait
Quand il est dans le Cabinet,
Où la Gloire avec luy raisonne,
Que quand il commande en personne.
Enfin, pour finir ce Discours,
C’est le Miracle de nos jours.
 Mais ma Muse est bien teméraire,
Ne le trouvez vous pas, cher Frere ?
Toûjours en Apollon, s’entend,
Car il est assez important,
Pour le respect que je vous porte,
D’adoucir l’endroit de la sorte.
C’est trop que d’élever mes Vers
Au plus grand Roy de l’Univers ;
Mais si je manque de prudence,
J’attens de vous quelque indulgence,
Sçachant que de ce Demy-Dieu
La haute Gloire vous tient lieu
D’un plaisir si grand, qu’il surpasse
Tous ceux de la premiere Classe,
Et que lors que le juste Encens
Qu’on doit à ses rares talens,
Fume pour ce Prince adorable,
Rien ne vous est plus agréable.
Ah ! que n’en ay-je du meilleur !
Et que je me plairois, Seigneur,
À faire le Panégyrique
De ce Grand Roy tout héroïque !
 Je m’en trouve l’esprit si plein,
Que j’ay laissé là le dessein
De faire une Lettre badine ;
Mais, apres tout, je m’imagine
Que vous me le pardonnerez,
Et que mesme vous m’en loüerez.

Quoy qu’il semble que ce stile soit trop simple pour estre propre aux grandes matieres, il ne laisse pas d’avoir de la grace.

[Avanture de Musique] §

Le Nouveau Mercure galant, décembre 1677 (tome X), p. 208-231.

Je voudrois en avoir autant à vous conter dans le mien une Avanture de Musique qui a causé depuis peu de grands embarras à bien des Gens. Un Homme considerable & par son bien & par l’employ qu’il a dans la Robe, estant demeuré veuf depuis quelque temps, avec une Fille unique, n’avoit point de plus forte passion que celle de la marier. La garde luy en sembloit dangereuse, & il croyoit ne pouvoir s’en défaire jamais assez tost. Ce n’est pas qu’elle n’eust beaucoup de vertu, & qu’ayant esté toûjours élevée dans une fort grande modestie, elle ne fust incapable de manquer à rien de ce qu’elle se devoit à elle-mesme ; mais une Fille qui a vingt ans, de l’esprit & de la beauté, n’est point faite pour estre cachée, il y a des mesures de bienseance à garder, & un Pere que les Affaires du Public occupent continuellement, ne sçauroit mieux faire que de remettre en d’autres mains ce qui court toûjours quelque péril entre les siennes. Tant de vertu qu’il vous plaira, une jeune Personne a un cœur, ce cœur peut estre sensible, & on a d’autant plus à craindre qu’il ne le devienne, que l’Esprit se joignant à la Beauté, attire toûjours force Adorateurs. La Demoiselle dont je vous parle estoit faite d’une maniere à n’en pas manquer si les scrupules du Pere n’y eussent mis ordre. On la voyoit, on l’admiroit dans les Lieux de devotion où il ne luy pouvoit estre defendu de se montrer, mais elle ne recevoit chez elle aucune Visite, si vous exceptez celles de cinq ou six Parentes ou Voisines qui luy tenoient compagnie avec assez d’assiduité. Ce qu’elle regrettoit le plus des Divertissemens Publics dont elle ne joüissoit que par le raport d’autruy, c’estoit l’Opéra. Elle avoit la voix fort belle, sçavoit parfaitement la Musique, & n’aimoit rien tant que d’entendre bien chanter. Deux ou trois de ses Amies avoient le mesme talent & la mesme inclination, & la plus grande partie du temps qu’elles se plaisoient à passer ensemble, estoit employé à de petits Concerts de leur façon. L’une d’elles avoit un Frere grand Musicien, & c’estoit sur ses Leçons qu’elle apprenoit aux autres ce qu’il y avoit de plus agreable & de plus touchant dans les Opéra. La Belle brûloit d’envie de le mettre de leurs Concerts, on luy disoit mille biens de luy, & il n’en entendoit pas moins dire d’elle à sa Sœur. Ainsi ils furent prévenus d’estime l’un pour l’autre avant qu’il leur fust permis de se connoistre, & la difficulté qu’ils y trouverent leur en augmenta le desir. On parla au Pere, qui se montra plus traitable qu’on ne l’esperoit. Le prétexte de la Musique fut le seul dont on se servit pour obtenir la permission qu’on luy demandoit. Il ne voulut point envier à sa Fille l’unique plaisir qu’il sçavoit estre capable de la toucher ; & le Cavalier ne luy paroissant point d’une fortune à former des pretentions d’alliance, il consentit à la priere que sa Sœur luy avoit faite, de trouver bon qu’elle l’amenast. Ils se virent donc, ils se parlerent, ils chanterent, & sans s’estre apperçeus qu’ils eussent commencé à s’aimer, ils sentirent en peu de temps qu’ils s’aimoient. Il n’y avoit rien que de tendre dans les Airs que le Cavalier venoit apprendre à la Belle ; il les chantoit tendrement, & à force de les luy faire chanter de mesme, il mit dans son ame des dispositions favorables à bien recevoir la declaration qu’il se hazarda enfin à luy faire. Ses regards avoient parlé avant luy, & ils avoient esté entendus sans que les Amies de la Belle en eussent penetré le secret. Elles imputoient au seul dessein d’animer les paroles qu’il chantoit, ce qui estoit une explication passionnée des sentimens de son cœur. Il trouva enfin l’occasion d’un teste-à-teste. Il ne la laissa pas échaper, & il employa des termes si touchans, à faire connoistre toute la force de son amour à la charmante Personne qui le causoit, qu’elle ne pût se defendre de luy dire qu’il remarqueroit par la promptitude de son obeïssance, l’estime particuliere qu’elle avoit pour luy, s’il pouvoit trouver moyen de luy faire ordonner par son Pere de le regarder comme un Homme qu’il luy vouloit donner pour Mary. Que de joye pour le Cavalier ! Il avoit des Alliances fort considerables, & ménageoit une Personne d’autorité pour l’engager à venir faire la proposition pour luy, quand il apprend de la Belle que son Pere la marioit à un Gentilhomme fort riche qu’il luy avoit déja amené ; que les Articles estoient arrestez, & qu’il s’en estoit expliqué avec elle d’une maniere si impérieuse, qu’elle ne voyoit pas de jour à se pouvoir dispenser de luy obeïr. Sa douleur est aussi grande que sa surprise. Il la conjure d’apporter à son malheur tous les retardemens qu’elle pourroit, tandis que de son costé il mettroit tout en usage pour l’empescher. Les témoignages qu’ils se donnent de leur déplaisir sont interrompus par l’arrivée de l’Amant choisy. Comme il estoit naturellement jaloux, il observe le Cavalier, & trouve dans son chagrin je ne sçay quoy de suspect qui l’oblige à se faire l’Espion de sa Maistresse. Il la suit par tout, & se rend chez elle tous les jours de si bonne heure, que le Cavalier aimé ne peut plus trouver moyen de l’entretenir. Il cache le desespoir où cet embarras le met, & la Musique estant le pretexte de ses visites, il tâche d’ébloüir son Rival, en continuant à luy faire chanter à elle & à ses Amies, tous les endroits qu’elles sçavent des Opéra. Quelques jours apres ne pouvant venir à bout de trouver un moment de teste-à-teste pour sçavoir ses sentimens, il essaye un stratagême pareil à celuy de l’Amant du Malade Imaginaire. Il feint que le fameux Lambert a fait un Air à deux Parties que peu de Personnes ont encor veu, & parle sur tout d’un Helas qui a quelque chose de fort touchant quand la Basse & le Dessus sont meslez ensemble. L’Air & les Paroles estoient de luy, & le tout se rapportoit à l’estat present de sa fortune. La Belle qui comme je vous ay déja dit avoit une parfaite connoissance de la Musique, demande à voir cet Air si touchant, & s’offre en mesme temps à le chanter avec luy. Il estoit fait sur ces Paroles.

Je vous l’ay dit cent fois, belle Iris, je vous aime ;
Comme vostre beauté, mon amour est extréme :
Mais je crains un Rival charmé de vos appas.
Vous pâlissez, Iris ; l’aimeriez-vous ? helas !

L’Amant Musicien avoit trouvé des cheutes si heureuses dans la repétition de cet Helas, que la Belle qui avoit commencé à chanter sans s’appercevoir du mistere, comprit bientost à la maniere tendre & languissante dont il attachoit ses regards sur elle, qu’il la conujuroit de luy apprendre ce qu’elle luy permettoit d’esperer. La douleur de se voir contrainte de sacrifier son amour à son devoir, la saisit tout-à-coup si fortement, qu’elle perd la voix, tombe évanoüye, & luy fait connoistre par cet accident que son malheur ne luy est pas moins sensible qu’à luy. C’est alors qu’il ne peut plus garder de mesures. L’envie de secourir sa belle Maistresse, le fait agir en Amant passionné. Il court, il va, revient, se met à genoux devant elle, la prie de l’entendre, & semble mourir de l’apprehension qu’il a de sa mort. Son Rival qui ne peut plus douter de son amour, en est jaloux dans l’excés, & le devient encor davantage, quand la belle commençant à ouvrir les yeux, prononce son nom, & demande tristement s’il est party. Il se plaint au Pere, en obtient le bannissement du Musicien, le fait signifier à sa Maistresse, & croit le triomphe assuré pour luy ; mais le Pere employe inutilement son autorité. La Fille se révolte, prend pour outrage les défiances de l’Amant qu’elle veut qu’il épouse, & sous pretexte de luy laisser plus de temps à examiner sa conduite, elle recule son Mariage d’un mois entier, pendant lequel elle veut qu’il la voye vivre avec celuy qui luy fait ombrage, afin qu’il se guerisse de ses injustes soupçons, ou qu’il rompe avec elle, s’il la croit incapable de le rendre heureux. Ainsi les visites continuent ; & comme les deux Amans ne cherchent qu’à dégoûter l’Ennemy de leur bonheur, ils ne ménagent plus sa jalousie, & se vangent de l’inquietude qu’il leur donne par les méchantes heures qu’ils luy font passer. Le hazard contribuë à leur en fournir les occasions. Le Musicien qui venoit toûjours chanter avec la Belle, luy avoit recité des Vers assez agreables. Elle en demande une copie. L’Amour est industrieux, il se fait apporter dequoy écrire, change les Vers en bonne Prose bien significative, luy explique de la maniere du monde la plus touchante ce que sa passion luy fait souffrir, luy met ce qu’il a écrit entre les mains, & la conjure de luy dire sans déguisement si ce qui a eu quelque grace dans sa bouche, luy en paroist conserver sur le papier. Elle lit, soûrit, montre de la joye, & ne peut assez exagerer les nouvelles beautez que la lecture luy a fait découvrir dans cet ouvrage. L’Amant jaloux, qui estoit veritablement amoureux & gardien perpetuel de sa Maistresse, ne s’accommode point de cette écriture. Il demande à lire les Vers, on le refuse. Il y soupçonne du mistere, & ce qui le convainc qu’il y en a, c’est que son Rival s’estant servy le lendemain du mesme artifice, & n’ayant à donner que la copie d’un Sonnet, il luy voit écrire plus de vingt lignes, & remarque qu’elles sont toutes continuées, au lieu que les Vers sont ou plus courts ou plus longs selon le nombre des lettres qui entrent dans les mots qui les composent. Il acheve de perdre patience en voyant prendre la plume à sa Maistresse. Elle écrit un assez long Billet, le cachete, le donne à son Rival, comme devant estre rendu à quelqu’une de ses Amies, & le prie de luy en apporter la réponse le lendemain. Jugez de la joye de l’un, & du desespoir de l’autre. L’Amant aimé qui ne doute pas que la Belle n’ait répondu par ce Billet à son Sonnet metamorphosé, brûle d’impatience de le lire. Il sort. Son Rival sort dans le mesme temps, le suit, & l’ayant joint dans une Ruë où il passoit fort peu de monde, il luy demande fierement à voir le Billet. Ces gages de l’amour d’une Maistresse ne s’abandonnent jamais qu’avec la vie. Ils mettent l’Epée à la main. La fureur qui anime le Jaloux, ne luy permet point de se ménager. Il tombe d’une large blessure qu’il reçoit. On la tient mortelle, & cet accident oblige son Rival à se cacher. Voila, Madame, l’état où sont à present les choses. Le Pere fulmine, la Fille proteste qu’elle ne forcera point son inclination pour épouser un Jaloux qui ne peut que la rendre malheureuse ; & ce que je trouve de fâcheux dans cette Avanture, c’est que je ne voy personne qui ait lieu d’en estre content.

[Plusieurs Explications qui ont esté données par divers Particuliers à l’Enigme du 9. T. du Merc. Galant] §

Le Nouveau Mercure galant, décembre 1677 (tome X), p. 231-233.

Nous en sçaurons les suites avec le temps, c’est un Avenir un peu plus obscur que mon Enigme du Mois passé. Vos Amies qui croyent que ce soit les Orgues, n’en ont pas découvert le vray sens, quoy que l’Explication que vous m’en donnez pour elles soit toute pleine d’esprit. On m’en a envoyé une autre de Roüen qui convient à tous les Articles sur ce mesme mot. Un bel Esprit de Paris les a expliquez sur une Riviere glacée ; un autre de Noyon, sur la Neige ; & il ne se peut rien de mieux tourné qu’une Lettre que j’ay reçeuë de Lyon des spirituelles Ecolieres d’Apollonius, qui m’avoient déja fait la grace de m’écrire sur l’Enigme de la lettre U, & qui veulent que le veste Corps de celle-cy cache le Nuage qui ayant plus de Bras que le fabuleux Briarée, s’en sert à couvrir plusieurs Provinces. Tous ces divers sens y sont appliquez si juste, qu’il semble que chacun ait deviné.

Lettre de Monsieur le Duc de S. Aignan à l’Autheur du Mercure §

Le Nouveau Mercure galant, décembre 1677 (tome X), p. 234-242.

Je tenois le veritable assez difficile à trouver, pour croire que vous ne l’apprendriez que de moy ; cependant vous l’apprendrez de Monsieur le Duc de S. Aignan, qui connut ce que je cachois, incontinent apres que ma derniere Lettre eut paru. Ce qu’il m’a fait l’honneur de m’en écrire, vous dévelopera les obscuritez qui ont embarassé vos Amies.

LETTRE DE MONSIEUR
LE DUC DE S. AIGNAN
À l’autheur du Mercure.

Je ne sçay, Monsieur, si j’ay trouvé le veritable sens de vostre Enigme, mais je ne puis estre le maistre d’un premier mouvement qui me porte d’abord à vous annoncer une Victoire que je ne tiens pas encor trop assurée. S’il est vray que j’aye effectivement deviné cette Enigme, je dois en estre plus fier que vous ne pensez, car je crois avoir découvert qu’elle est de vous, & par conséquent qu’elle ne pouvoit estre que fort subtile. Enfin, Monsieur, c’est à mon sens non seulement l’Armée, mais celle des Confederez, puis que je trouve tant de choses qui conviennent à cela, qu’il ne se peut pas davantage.

Ce Corps est composé de plusieurs Princes inégaux en pouvoir. Avant que les Troupes de chacun d’eux fussent jointes, elles avoient esté levées separément. Il n’est animé que de ces mesmes Troupes qui ne laissoient pas d’estre avant que leur jonction formast un Corps.

Il n’a point de Teste, c’est à dire point de Chef entierement absolu. Les Bras sont aisez à trouver dans le grand nombre de Soldats qui sont dans ces Troupes, & qui estant d’une naissance fort éloignée de celle des Commandans, font l’illustre & basse Famille dont il est parlé.

Quelque grand que soit ce Corps, au lieu de se rendre formidable par le nombre, il a fait voir quelquefois qu’il n’estoit pas sans appréhension de nos armes.

Les nouveaux Membres qui luy viennent, sont les nouvelles Troupes des Alliez, qu’on separe bien souvent pour les faire agir en divers lieux ; & l’heure du repos estant venuë, c’est à dire le temps des Quartiers d’Hyver, ces Troupes sont obligées quelquefois en les cherchant, d’en venir aux mains avec ceux de leur Party qui ne les veulent pas recevoir, parce qu’elles sont mal disciplinées.

Ce grand Corps doit assurément expirer un jour, l’Alliance des Princes qui le composent n’estant que pour un temps ; mais s’ils la renouvellent avant qu’elle vienne à expirer tout-à-fait, ils le font revivre.

Quelques soins que prennent tant d’Alliez pour maintenir cette Union, ils se broüillent quelquefois, & blâment la conduite les uns des autres, comme ont fait depuis peu deux des plus considerables d’entr’eux.

Enfin le grand éclat qui blesse ce Corps, vient du Roy, & ce vaillant Monarque est le Soleil dont les brillans rayons se dardant contre luy, le font tant souffrir.

Confessez, Monsieur, que j’ay deviné, ou tout au moins que vostre Enigme a tant de raport avec ce sens, que difficilement en pourroit on trouver un autre qui y convinst mieux. Mais si ce n’est pas une chose facile, ç’en est une impossible de trouver personne qui soit plus que moy vostre, &c.

Vous n’avez presque reçeu aucune Lettre de moy cette année, qui ne vous ait parlé de Monsieur de S. Aignan ; je vous ay entretenuë de sa valeur, de sa conduite, & de tout ce que cet illustre Duc a fait dans son Gouvernement. Je vous ay fait part de sa Prose & de ses Vers. Le feu de son esprit vous a paru dans ses Inpromptus, mais je ne vous avois point encor fait voir combien il est penétrant. Vous le pouvez connoistre par l’Explication de cette Enigme.

[Explication d’Enigme]* §

Le Nouveau Mercure galant, décembre 1677 (tome X), p. 242-243.

Depuis que je l’ay reçeuë, le mesme sens a esté trouvé par un tres-illustre & spirituel Abbé, par Mr du Ry de Chamdoré qui avoit deviné le Trictrac, par un Inconnu de Roüen, par un autre de Blois, & par un Homme de qualité, d’esprit & de merite, qui a fait plusieurs Campagnes. Ce dernier m’en a envoyé l’Explication en Vers, mais comme elle est presque la meme, article par article, que celle que vous venez de lire en Prose, je la suprime pour éviter la repétition.

Il me reste beaucoup d’Enigmes qui auront leur tour. J’en ay dont on ne m’a point dit le mot, & ne le devinant pas, je ne puis les mettre sans sçavoir si elles sont justes.

[Enigmes] §

Le Nouveau Mercure galant, décembre 1677 (tome X), p. 243-246.

On m’en a envoyé de tres-spirituelles sur la lettre L ; mais comme vous trouvez que toutes les lettres de l’Alphabet ne peuvent faire qu’une seule Enigme, parce qu’elles roulent toutes sur le mesme tour, & que d’ailleurs on les devine dés le second Vers, je m’arresteray aujourd’huy à celle-cy, dont vous ferez part à vos Amies.

ENIGME.

Je suis aimé des uns, les autres me haïssent,
  Je fais & du bien & du mal ;
Et s’il en est à qui mon aspect soit fatal,
J’en sçay qui de me voir toûjours se réjoüissent.
***
  Les Avares & les Ingrats
 Avecque moy ne trouvent point leur compte ;
Ma presence leur est une secrete honte,
Quand de ce que j’attens ils ne s’acquitent pas.
***
 Avec plaisir les Amans me reçoivent,
 Il en est peu dont je ne sois content,
Et qui pour m’honorer ne cherchent à l’instant,
 Lors que j’arrive, à faire ce qu’ils doivent.
***
Si mon regne est d’éclat, il est prompt à finir,
Mon Cadet le termine, & mourant pour renaistre,
 Apres que j’ay sçeu disparoistre,
 Je suis longtemps sans revenir.
***
Je suis vieux, cependant mes heures sont bornées,
Et qui prendra le soin d’en mesurer le cours,
Trouvera que j’auray vescu fort peu de jours,
Quoy que je sois chargé d’un grand nombre d’années.

[Mort de M. Neuré & de M. Michel] §

Le Nouveau Mercure galant, décembre 1677 (tome X), p. 264.

Comme vous m'avez ordonné de vous parler de tous ceux qui ont quelque talent extraordinaire, je me crois obligé de vous dire que nous avons aussi perdu Mr Michel, qui touchait les Orgues à S. Leu. C'estoit un charme que de l'entendre, & on y venoit en foule de toutes parts.

[Recueil de Harangues faites à M. le Chancelier]* §

Le Nouveau Mercure galant, décembre 1677 (tome X), p. 267-268.

Vous auriez eu tout lieu de vous loüer de la mienne, à vous rendre compte des Harangues qui ont esté faites à Monsieur le Chancelier, outre celles dont je vous ay déja parlé, si je n’eusse appris qu’un Homme de beaucoup d’esprit qui s’est soigneusement trouvé à toutes, en fait un Recueil pour le Public. Il auroit déja paru, s’il n’avoit pas dessein d’y joindre les Discours qui se doivent encor faire à la gloire de ce grand Homme au Parlement & au Grand Conseil, le 20. du Mois prochain. Il n’y aura rien de plus curieux que ce Recueil, & celuy qui le fait ne pouvoit former une entreprise plus noble que de travailler à éterniser la memoire de ce digne Chef de la Justice.

[Vers de Mademoiselle de Racilly] §

Le Nouveau Mercure galant, décembre 1677 (tome X), p. 269-270.

Ces Prodiges donnent de l’occupation à tous ceux qui sçavent se distinguer par leur Esprit. Il n’y a pas jusqu’aux Dames qu’une si belle matiere n’engage à prendre la plume, & voicy ce qu’elle a fait écrire à Mademoiselle de Racilly.

AU ROY.

Grand Roy, quelle est la Destinée
Qui préside à tous vos Explois ?
Les quatre Saisons de l’Année
Reglent leur cours par vostre choix.
 La Campagne n’est plus bornée
Ainsi qu’elle estoit autrefois,
Toute la Terre est étonnée
De la voir durer douze Mois.

Si j’avois parlé toûjours aussi juste que celle qui a fait ces Vers, je ne serois pas obligé de me dédire aujourd’huy sur la Situation de Fribourg.

[Vers de M. de la Monnoye] §

Le Nouveau Mercure galant, décembre 1677 (tome X), p. 275-276.

Voicy des Vers sur celles [les Campagnes] de tant d’Alliez. Ils ont esté faits par Mr de la Monnoye Auditeur des Comptes à Dijon. Les Prix de l’Académie Françoise qu’il a tant de fois remportez, l’ont fait connoistre à toute la France.

Au milieu des Estez, au milieu des Hyvers,
Loüis de ses beaux faits étonne l’Univers,
Il déploye en tout temps ses Bannieres fatales.
 Mais confessons la verité,
Ses Ennemis plus fins, sans bruit & sans fierté,
Trouvent bien mieux que luy toutes Saisons égales,
Ils n’entreprennent rien ny l’Hyver, ny l’Esté.

[Siege & Prise de S. Guilain] §

Le Nouveau Mercure galant, décembre 1677 (tome X), p. 284-285.

Un Siege entrepris apres de si justes mesures, & qui devoit estre poussé par tant de Braves, ne pouvoit manquer de réüssir. C’est ce qui a fait dire à un bel Esprit de Lile, en s’adressant aux Ennemis,

Espagnols, Hollandois, courez à Saint Guilain,
Malgré les Elemens d’Humieres le va prendre,
 Et l’on ne croit pas que demain
 La Place puisse se defendre.
 Dépeschez, & venez au moins
 Voir de plus pres une Victoire
Que vous auriez peut-estre peine à croire,
 Si vous n’en estiez les Témoins.

[Vers sur la conquête de S. Guilain]* §

Le Nouveau Mercure galant, décembre 1677 (tome X), p. 304-305.

Le Roy a donné le Gouvernement de S. Guilain à Mr Catinal Capitaine aux Gardes, qui a fait la Campagne passée en qualité de Major des Gardes. Mr de Longpré Capitaine au Regiment de Picardie, en a esté fait Lieutenant de Roy ; & Mr de l’Apparat Capitaine dans Piémont, en a eu la Majorité. Jamais Campagne n’en fut plus glorieusement finie. Cette derniere Conqueste a donné lieu à ces Vers.

 C’est à ce coup qu’il se faut rendre,
   O Flandre,
Puis que contre Loüis tous tes efforts sont vains.
Saint Omer, Saint Guilain t’en donnant des exemples
   Tres-amples,
Tu ne peux faire mieux que d’imiter tes Saints.

Démosthène amoureux §

Le Nouveau Mercure galant, décembre 1677 (tome X), p. 311-314.

Si tant d’Articles d’Armée semblent trop sérieux à vos Amies, qui peuvent moins aimer la Guerre que vous, voicy un Conte d’un stile à leur délasser l’esprit. Il est d’un Gentilhomme de Provence, & je croy que vous demeurerez d’accord avec luy de sa Morale.

DEMOSTHENE
Amoureux.

  Jadis dans Corinthe une Dame
Etaloit des attraits que chacun admiroit,
  Attraits, dignes de toucher l’ame
  Des Dieux qu’alors on adoroit.
Qui ne croiroit d’abord qu’une Beauté pareille,
Pour ses Amans n’eust beaucoup de fierté ?
Cependant on feroit grand tort à sa bonté,
  À tous elle prestoit l’oreille,
  Ou si quelqu’un en estoit rebuté,
  Il ne devoit, de ce malheur extrême,
  Se prendre qu’à soy-méme,
S’accusant d’estre avare, ou bien d’estre indigent.
Láchons le mot enfin, la Belle aimoit l’argent.
  Le docte & fameux Démosthene
  Crût que sans un pareil secours
  Il s’en feroit aimer sans peine,
  Luy qui persuadoit toûjours ;
  Mais son éloquence fut vaine,
  On ne luy fait grace de rien,
  Et le traitant comme un autre Homme,
 On luy demande une assez grande somme
  Pour le prix d’un secret entretien.
  Surpris d’une telle demande,
  Il fuit, disant je ne puis consentir
  D’aller donner une somme si grande
Pour n’acheter au fonds qu’un repentir.
  Moralisons un moment sur ce Conte.
 Nostre Orateur n’avoit donc point de honte
  De contenter sa passion
  Et ce n’est qu’à son avarice
  Qu’il dùt sa moderation.
 Quand nous nous défaisons d’un vice
  Souvent nous ne faisons au fonds
Que changer seulement de genre de foiblesse,
  Et cependant nous en voulons
  Faire honneur à nostre sagesse.

[Nouvelles Pieces de Theatre, dont le Comte d’Essex de M. de Corneille le jeune doit paroistre la premiere] §

Le Nouveau Mercure galant, décembre 1677 (tome X), p. 314-316.

Comme nous allons entrer dans la Saison des Plaisirs, je croy que j’auray à vous parler le Mois prochain de plusieurs Divertissemens. On n’a veu que les anciens Opéra pendant celuy-cy, & rien n’a paru de nouveau sur le Théatre, à l’exception de l’Electre de Mr Pradon, qui a esté joüée par la Troupe du Fauxbourg S. Germain. Celle de l’Hostel de Bourgogne promet pour le lendemain des Rois sans remise la premiere Representation du Comte d’Essex de Mr de Corneille le jeune. Ce Sujet est grand, & de nostre Siecle, puis que sa disgrace arriva au commencement de l’Année 1601. On dit qu’il n’y a rien de plus touchant que cette Piece. Elle a fait du moins assez de bruit par quelques Lectures, pour obliger l’autre Troupe à promettre aussi un Comte d’Essex qu’elle luy doit opposer. S’il a autant de beautez qu’on assure qu’il y en a dans celuy dont je vous parle, on peut se promettre beaucoup de plaisir de cette opposition. Comme l’Autheur de ce dernier ne se nomme point, quelques-uns veulent que ce soit l’ancien Comte d’Essex de Mr de la Calprenede raccommodé. Il est vray qu’on n’a songé à remettre ce Sujet sur le Théatre de Guenegaud que depuis que les Affiches de l’Hostel ont fait connoistre que Mr de Corneille le jeune l’avoit traité ; mais il importe peu du temps, pourveu que l’Ouvrage soit assez bon pour satisfaire le Public.