1678

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'avril 1678 (tome II).

2014
Source : Extraordinaire du Mercure galant, Claude Blageart, quartier d'avril1678 (tome II).
Ont participé à cette édition électronique : Anne Piéjus (Responsable d'édition), Nathalie Berton-Blivet (Responsable d'édition), Alexandre De Craim (Édition numérique), Vincent Jolivet (Édition numérique) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II). §

Préface §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), non-paginé.

Preface.

Le premier Extraordinaire ayant esté donné depuis deux Mois, l’envie de mettre celuy-cy dans son Quartier l’a fait suivre de si prés, qu’on a esté obligé de differer jusqu’à celuy d’Octobre à tenir parole sur les Lettres qui doivent traiter des Enigmes en Figures, & sur beaucoup d’autres choses qu’on a fait attendre au Public. On est fâché de n’avoir pu faire entrer dans ce Second quantité d’Explications fort curieuses sur ces Enigmes en Figures ; mais il faut prescrire des regles en tout, on avertit qu’à cet égard, on mettra à l’avenir tout ce qui sera donné par ceux qui en auront trouvé le Mot, le nombre n’ayant pas encor passé trois ou quatre. Pour les Explications qui ne seront pas sur le vray sens, comme l’esprit n’y paroist pas moins, & qu’elles sont souvent pleines de recherches fort agreables, on en mettra une sur chaque Mot diferent, pourveu qu’elles ne soient pas trop longues, & que l’application en paroisse spirituelle. Pour les Enigmes en Vers, il est inutile de donner des Vers pour des Vers quand on n’a autre chose à dire que le vray Mot. On en a mis beaucoup dans le premier Extraordinaire afin de contenter tout le monde, mais on n’en fera plus imprimer qu’Il n’y ait un tour agreable & plein d’invention, comme on en verra dans quelques Explications de ce Volume, qui semblent estre plûtost des Recits d’Histoires galantes, par le mélange de Prose & de Vers, que de simples Explications. On mettra tout ce qu’il y en aura de ce genre sur les six Enigmes des trois Mois. Quelques spirituelles qu’elles puissent estre, on prie ceux qui en donneront de les faire courtes, afin que chacun puisse trouver place, & qu’outre ces Explications, on puisse mettre dans l’Extraordinaire quantité d’Ouvrages d’érudition, tels qu’on en trouvera dans celuy-cy, avec des Nouvelles Etrangeres. Il y aura toûjours quelques Figures, Un Article pour les Modes, Et Une Lettre en Chiffres. S’ils vouloient se donner la peine de les faire dessiner, on les feroit mieux comprendre au Graveur. De quelque façon qu’ils les envoyent, on les recevra avec plaisir. Comme l’on aura trois Mois pour toutes les choses qu’on souhaitera qui soient mises dans l’Extraordinaire, on avertit qu’on ne mettra rien de ce qui sera envoyé dans les dix derniers jours, & qu’on preferera toûjours ce qu’on recevra de bonne-heure, parce que le temps qu’il faut ménager pour l’Impression du Mercure, est cause qu’on a besoin de deux mois pour celle de l’Extraordinaire. Le premier dont on avoit fixé d’abord le prix à un Ecu, se donne presentement aussi bien que celuy-cy, à vingt-cinq sols relié en parchemin, & à trente sols relié en veau.

Le Mariage des Paroles avec les Effects §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 2-21.

La Gazette Galante & quelques autres Pieces pour Monseigneur le Dauphin, vous ont assez persuadée de l’esprit de Monsieur du Mat d’Emery. Il n’est pas le seul qui en ait dans sa Famille. Monsieur d’Emery de Boubes son Frere en partage avec luy les avantages, & vous en conviendrez quand vous aurez lû ce qu’il adresse à une belle Personne de sa Province. C’est une Morale ingénieuse qui a de l’utilité dans son agrément.

Le Mariage

des Paroles

avec les Effects.

À l’Illustre Mademoiselle S. M.

IL n’est rien de si commun que de se marier, & rien qui le soit si peu que d’estre heureux dans le Mariage. L’Amour qui y doit estre le premier des Invitez, ne s’y trouve presque jamais ; & l’Hymen qui est obligé d’y assister de gré ou de force, n’y mene que des reproches & des repentirs. L’Interest s’y fait de feste plus que tous les Conviez. Il en est le Conseiller & l’arbitre, le Solliciteur & le Juge tout ensemble ; & s’Il arrive qu’il se partage quelquefois entre le Merite & la Fortune, il se determine bien-tost en faveur de celle-cy ; & dans un Procez où la Raison sollicite pour le premier, il n’écoute que l’autre, & luy donne gain de Cause. Vous avez éprouvé cette injustice en plusieurs rencontres, & quoy que vostre Etoile n’ait point oublié de vous donnez beaucoup de bien avec beaucoup de beauté, dans les engagemens que plusieurs Personnes ont voulu prendre pour vous, il semble que le desir d’accommoder leurs affaires ait prévalu à celuy de se rendre heureux, & que cet air si charmant qui ne laisse échaper aucune liberté de ceux qui ont le bonheur de vous approcher, n’ait servy qu’à vous attirer des Avares & des Infidelles. On a songé à penetrer dans vos richesses, autant qu’à s’insinuer dans vostre cœur ; & quand des Magistrats souverains, & des Gentils-hommes qualifiez, vous ont recherchée, ils n’ont pas porté l’Amour tout seul avec eux ; ils ont fait marcher devant luy des Conventions & des Demandes. Dans la connoissance que vous avez euë de leurs veuës interessées, il n’est pas surprenant que tant de Partys ayent esté rejettez, & que vostre vertu, qui doit estre comparée pour beaucoup, n’ait pû souffrir de n’estre point employée en payement, & de ne point faire capital avec d’autres sommes. Il estoit injuste que ce fut pour rien que la Nature eust pris tant de soin à vous embellir ; & si les Graces du Corps & celles de l’Esprit ne sont pas faites pour grossir les Articles d’un Contract de Mariage, elles doivent au moins enfler le cœur d’un Prétendant, & l’obliger d’en faire des Clauses secretes pour sa gloire & pour son bonheur. Mais ce n’est plus l’air du Siecle. L’Interest se presente par tout le premier. La Beauté & les Graces ne paroissent qu’apres luy, & il prend le devant à tout ce que le vray Merite peut avoir de plus estimable. Ainsi il empesche les Propositions de cœur à cœur, il rompt les Traitez que commence l’Amour, & s’opose à toutes ces legitimes unions dont la Fortune ne fait pas le premier nœud. C’est pour cela qu’il met souvent des obstacles entre les Paroles & les effets, qu’il en éloigne les ajustemens, & qu’il n’y a point de Mariage bien formé, que celuy où ce Monstre ne se trouve point. À dire vray, toutes les Paroles ne sont pas de mesme espece. Voicy la difference qu’il en faut faire. Il y en a de belles qui se prostituent, & qui se donnent à tous les allans & venans ; il y en a aussi de chastes qui se retiennent, & qui se plaisent d’estre recherchées. Celles-cy sont Filles de la Sincerité, qui enfante avec peine, & qui seroit sterile, si elle n’estoit secouruë de l’abondance de cœur. Celles-là naissent de la Cajolerie, qui est extremement feconde, & qui ayant beaucoup de facilité à mettre ses Enfans au jour, ne laisse pas d’en suposer encore un assez grand nombre. Le Compliment, qui est un de ceux qu’elle aime le plus, ne garde point de mesures dans sa conduite. Il depense tout, & fait de si grandes profusions, qu’il accable ceux qui les reçoivent. La Dissimulation les épargne quelquefois. C’est une Mere qui ne se montre point, & qui au travers d’un grand voile produit des Filles qui ont un éclat assez capable d’ébloüir d’abord, mais dont les charmes estudiez & les beautez deguisées ne seduisent que les Credules. Quoy que la Feintise s’applique incessamment à ajuster ses Paroles, les ornemens qu’elle leur donne sont trop affectez pour exciter une veritable admiration. Tous les brillans & toutes les broderies dont elles se parent, ne sont que de fausses richesses qui surprennent pour quelques momens, mais qui estant examinées, se font mépriser par le peu de valeur qu’on y reconnoît. Ces Paroles que le seul artifice rend si pompeuses, ont un air de finesse qui trompe les oreilles les plus sçavantes & les plus exercées. Elles entrent dans le cœur par surprise, & ne voulant point s’y établir, elles ne se marient point aussi, parce qu’elles sont trop indifferentes & trop vagabondes, pour ne pas dire trop infidelles. Elles donnent des loüanges qui sont suspectes. Elles font des promesses qui sont douteuses. Elles sont douces & obligeantes sous un zele apparent, qui va loin & qui n’aboutit à rien. La Cour est proprement le Païs natal de ces belles Paroles. Elles s’y établissent de plein droit, & y font un commerce où il n’y a que mauvaise-foy & banqueroutes. Si elles passent dans les Provinces, c’est pour y dresser des Theatres, pour y joüer des tours de Saltinbanque, & y representer des Comedies. Il n’en est pas ainsi des belles Paroles de Ruelle. Elles ont un air languissant, & sont toûjours plaintives. Cependant leur modestie est étudiée. C’est un moyen dont elles se servent pour s’insinuer, & pour faire leurs affaires à petit bruit. Elles ne sont parées que d’un voile qui cache des détours & des perfidies concertées. Quoy qu’elles semlbent si foibles & si délicates, qu’à peine se peuvent-elles soûtenir, elles ne laissent pas d’avoir de la force, & cette force est d’autant plus dangereuse, qu’elle consiste toute en souplesse & en subtilitez. Ainsi il arrive souvent qu’elles causent de grands désordres, & font beaucoup d’éclat. C’est aussi pour cela qu’elles ne se mariënt point, & que les Effets s’en éloignent. Ils n’ont pas tant d’aversion pour les belles Paroles de la Chaire & du Barreau. Elles ont toutes un caractere qui les distingue des autres. Ce sont des parleuses & des emportées, & quoy qu’elles s’enflent assez ordinairement d’orgueil, pour se voir les Interpretes des Loix Divines & Humaines, elles se bornent souvent à émouvoir les Passions, & à troubler la Raison. Cette force, ou si vous voulez, cet esprit dont elles sont animées, les fait agir avec tant de vehémence, qu’on peut dire qu’elles tonnent, & qu’elles fulminent ; mais aussi qu’elles jettent presque toûjours plus d’éclairs que de foudres. C’est ce qui fait que ces belles Paroles rencontrent si rarement party qu’elles demandent. Tous ces superbes embellissements qui servent à leur magnificence, ne leur attirent souvent que des Censeurs & des Envieux. Elles sont pourtant nobles & hardies, & quand elles se presentent devant les Tribunaux du Ciel & de la Terre, elles reüssissent quelquefois, & viennent à bout de leurs desseins. Alors le mariage de ces Paroles avec les Effets qui en sont les Partys déclarez, se hastent toûjours de s’associer avec elles. Elles se ménagent d’une maniere bien léoignée de la conduite des autres que la corruption du Siecle autorise. Ces Paroles dont je parle icy, ne prennent point la qualité de belles ny de grandes Paroles. Elles sont humbles & negligées, & ont plus de bonté que de mine. Elles ne vont jamais en foule, & ne se plaisent point à faire grand bruit pour peu de chose. Elles ont une simplicité qui les fait estimer, & leur peu de suite leur fait plus d’honneur, & leur donne plus de créance, que ne feroit un riche appareil & un grand équipage. C’est par là qu’on ne peut leur refuser toute sorte de confiance. Quand l’amitié les met au monde, elles persuadent d’abord qu’elles viennent de plus loin que des levres. Ce sont les extrémitez du cœur où l’Esprit trouve la commodité de déguiser tout ce qu’il veut. Il y falsifie à souhait tout ce que ces levres produisent de leur chef. Ce n’est pas aussi l’origine des Paroles dont la Pureté est si recherchée ; c’est le bon cœur, le cœur simple & dévelopé, qui a des yeux pour voir les necessitez des Amis, & des oreilles pour entendre leurs demandes. Ce cœur n’a pas moins de fermeté que de diligence, & les Paroles qui en sortent sont fermes & diligentes comme luy. Elles ne sont ny galantes ny babillardes, & comme le mensonge ne gaste point leur veritable naïveté, leur beauté demeure dans son naturel, & n’est jamais alterée par aucun fard. Les parures étrangeres ne les corrompent point, & quand le jour de leur Mariage est venu, quelque pudeur qu’elles témoignent, elles ont assez de courage pour en repousser l’Interest qui fait ses efforts pour s’y mesler. Les menaces ny les difficultez ne les détournent point de l’execution, & leur gloire est ne point changer. La Sincerité qui les nourrit, leur donne des forces, & la Genérosité les appuye. Les Effets qui suivent ces Paroles paroissent devant elles lors qu’on y pense le moins. Ils sont agreables, inspirent de la joye, & ont l’air de plaire. Leur maniere est obligeante, & quoy qu’ils marchent teste baissée, ils sont plus grands que les Paroles, qui sont petites & de peu de montre. Quand l’heure de celebrer leur Mariage est venuë, l’assemblée des Parens des deux Partys se fait dans un des plus chauds & des plus commodes Appartemens du Cœur. Le Panchant & l’Amitié, qui sont les Pere & Mere des Paroles, y menent l’Affection, l’Attachement, la Bonne Volonté, l’Inclination, & l’Engagement, qui en sont les proches Parens. La Sympathie s’y trouve toûjours des premieres comme leur Ayeule, & est obligée d’y aller lentement, à cause qu’elle est aveugle. D’un autre costé, les Effets conduits par le pouvoir & la Liberalité, qui sont ses Pere & Mere, paroissent suivis de la Satisfaction, de la Commodité, du Profit, de l’Assurance, & de la Joye, qui sont leurs Alliez. La Joüissance ne s’en separe point, & se tient pres de la Sympathie. Les Mariées ne sont pas en grand nombre. Elles ne sont que quatre marchant à la file, ornées d’un innocente nonchalance, & accompagnées d’une fermeté que rien ne peut ébranler. Ces quatre Mariées sont, Je vous le promets. Les Effets leur donnent incontinent la main ; & les Graces qui sont derriere, répandent les présens & les bienfaits dont elles sont chargées. Le Mérite dresse le Contract, & un des principaux Articles est, que les Effets joüiront des acquests faits dans la Gloire apres la mort des Paroles. Cette solemnité achevée la Joye prend soin de divertir l’Assemblée. La Raison ne manque jamais d’y envoyer des Ambassadeurs pour féliciter les Mariez, & les assurer qu’elle donne son approbation à une Alliance si bien assortie. Quand il se fait un Mariage de cette nature, la Reconnoissance se trouve toûjours à la fin de la Cerémonie. C’est pour protester aux Mariez qu’elle veut s’attacher à eux, & donner ses soins à élever leurs Enfants, qui ne peuvent estre que les Remercîmens & les Rétributions.

Avoüez que tout en iroit beaucoup mieux, si ces Mariages estoient fréquens. Les Grandes Villes, non plus que la Cour, ne sont pas les lieux où ils se font facilement. Vous me ferez sçavoir s’il s’en fait souvent de semblables où vous estes.

À Bordeaux le 14. d’Avril 1678.

À Madame*** §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 21-43.

Cet Article de Mariage me fait souvenir de celuy qui vous a tant embarassée dans l’Histoire Enigmatique de l’Extraordinaire de Janvier. Vous me témoignez de l’impatience d’en avoir l’Explication, & je croy ne vous la pouvoir donner d’une maniere plus agreable, qu’en vous faisant part d’une Lettre qui m’est tombée entre les mains sur cette matiere. Celuy qui l’a écrite a beaucoup de délicatesse d’esprit, & il seroit difficile de tourner les choses plus finement. Il s’éloigne expres du but pour mieux fraper, & quand on s’aperçoit de la tromperie, on y trouve quelque chose de si bien imaginé, qu’on ne se peut croire en droit de s’en plaindre. Le nom d’un si galant Homme ne m’est point connu. Je sçay seulement que c’est à une Dame de ses Amies qu’il écrit, & qu’il date de Villars en Bourbonnois.

À Madame de ***

JE voudrois estre bel Esprit, Madame, pour soûtenir le rang que le Mercure me donne dans l’Extraordinaire que vous avez pris la peine de m’envoyer. J’ay mesme quelque chagrin de ne l’estre pas, ne sçachant comment faire pour témoigner ma reconnoissance à l’Autheur ’un si galant Livre, qu’une de nos campagnardes appelle le Tombeau des Romans. Je crains d’estre dégradé si j’entreprens de luy faire un compliment dans les formes, car c’est un étrange Homme. Il n’y a pas moyen de l’approcher avec des loüanges, luy qui en a un fond inépuisable, & qui donne si judicieusement aux autres ce qu’il mérite si bien luy mesme. Cependant, comme je ne suis pas naturellement ingrat, je voudrois bien satisfaire mon inclination reconnoissante. Je suis d’avis d’user pour cela du privilege de nous autres pauvres Provinciaux, qui avons accoustumé de nous vanger en Chansons quand les forces nous manquent. J’ay fait des Paroles propres à estre mises en chant, & qui seront de saison pour quelqu’un des Mercures d’Esté. Je les envoye à un Maistre de mes amis, qui vous les donnera dés qu’il les aura notées. Je vous prie de les envoyer à l’Autheur du Mercure, & de l’assurer que l’Air est de la main de Maistre, & d’un Maistre qi a puisé ses connoissances dans la bonne source. Au reste, Madame, dequoy vous avisez vous de me demander la décision de la Question galante ? C’est une fâcheuse alternative que celle qu’on y propose. Pour bien juger de la grandeur des maux d’un Amant trahy & tormpé sous de fausses apparences d’amitié, & pour en faire une comparaison juste avec les peines d’un Amant méprisé & abandonné ouvertement, il faudroit, ce me semble, estre tomb dans l’un & dans l’autre de ces deux malheurs. Gardez-vous bien, Madame, de me donner jamais une si cruelle experience. Laissez-moy ignorer toute ma vie la subtilité de cette Question. Que sa difficulté soit toûjours pour moy une difficulté impénetrable ; j’en laisse volontiers la décision à vos Ennemis. Il me sera plus facile de vous parler du Mariage de la Mere & de la Fille qui vous paroist si effroyable. N’en soyez point alarmée ; vous pouvez y consentir sans scrupule. On peut introduire en France cette sorte de Poligamie, sans craindre les censures de Rome. Le S. Siege y donnera les mains, & quoy que les deux Parties ne luy soient pas egalement soûmises, elles peuvent contracter sans dispence. Laissont le style Enigmatique, & parlons plus clairement. Le Mariage qu’on propose entre des Parties de mesme sexe & déja mariées, n’est autre chose que le Traité de Paix entre la France & la Hollande ; & l’Histoire Enigmatique n’est qu’un recit de ce qui se passe à Nimegue dans la Negociation de cette Paix. Voicy comme je prétens l’expliquer.

Une Dame de vostre connoissance, qui ne veut pas que je mette icy son nom, entra dans ma Chambre dans le temps que je vous écrivois ces mots, & que je pensois serieusement à l’explication de cette Enigme. J’avois l’esprit si occupé, qu’à peine m’estois-je apperçeu qu’elle estoit presente lors qu’elle me demanda à quoy je révois su profondement. Je luy répondis que je venois de m’engager à expliquer l’Histoire Enigmatique de l’Extraordinaire du Mercure ; mais que j’y trouvois des difficultez que je n’avois pas préveües d’abord, & qui me mettoient fort en peine. Où en estes-vous, me dit-elle ? J’en suis, luy répondis-je, à un certain Arabe, qui a fait le premier Mariage entre des Parties de mesme sexe qu’on propose de marier une seconde fois ; c’est à dire, selon mon sens, qui a fait la premiere Paix de la Hollande avec la France. Cet Arabe n’est point de ma connoissance, & il m’embarrasse étrangement. Il faut avoir recours à l’Histoire, dit cette spirituelle Personne, elle résoudra vostre difficulté. Il est vray, Madame, répondis-je ; mais ma memoire ne me fournit rien là-dessus, & je ne sçaurois consulter mes Livres, car, comme vous sçavez, je n’ay icy que le Mercure Galant pour toute Bibliotheque. Alors je luy leus le commencement de cette Histoire, & luy fis éxaminer le caractere des deux Parties qu’on avoit dessein de marier. Elle n’en tira pas plus de lumieres que moy pour les bien connoistre, & se trouvant arrestée par les mesmes difficultez ; Ne vous genez pas, me dit-elle, le beau temps nous invite à la promenade ; n’en perdons pas la plus belle heure. Vous travaillerez avec plus de liberté apres avoir pris l’air. N’oubliez pas cependant vostre Livre, nous lirons cette Histoire en nous promenant. Peut-estre trouverez vous sans y pensez ce que vous n’avez sçeu trouver en y songeant avec trop d’application. Nous sortîmes en mesme tems, &à peine fûmes nous dans le Jardin, que la Dame prenant la parole ; Que vous estes heureux, me dit-elle, d’avoir quelque connoissance des Langues ; On ne sçauroit lire deux pages sans trouver des difficultez faute de les sçavoir un peu. Je lisois ce matin la Relation d’un Voyage, & j’ay rencontré dés le commencement un mot qui m’a arrestée tout court. Quel mot ? luy dis-je. Le Détroit de Gibraltar, merépondit-elle. Gibraltar ! Que ce mot est barbare ! C’est, Madame, de l’Arabe pour tout le monde, luy repliquay-je : ce Détroit estant ainsi appelé du nom d’un Capitaine Arabe nomé Gibel Tarif, lequel , si je ne me trompe, fit passer le premier ses Vaisseaux de l’Ocean dans la Mediterranée ; car nous n’ignorez pas sans doute que ce Détroit joint les deux Mersensemble. Voila, dit-elle, un Mariage qui ressemble fort à celuy de vostre Enigme. Les deux Parties sont à peu prés du caractere de celles qu’on y marie, de mesme sexe, fieres, sujettes à l’emportement, & à qui la vie des Hommes ne couste rien quand elles sont une fois en colere. La plus tranquille peut encore estre considerée comme la Fille de l’autre, qui estant continuellement agitée par un flus & reflus, ne sçauroit passer un seul jour sans s’émouvoir, & sans sortir comme hors d’elle mesme, sans que les plus habiles Philosophes ayent jamais pû découvrir la cause de cette agitation. Mais, continua-t-elle, ces deux Mers ne sont-elles pas jointes en quelque autre endroit du monde ? Non, Madame, luy répondis-je. Il est vray qu’une grande Reyne a eu dessein d’en faire autrefois la jonction entre l’Asie & l’Afrique où elels s’approchent d’assez prés, car il n’y a qu’un Détroit de terre de dix-huit à vingt lieuës qui les separe, & que Cleopatre vouloit ouvrir, pour faire passer ses Vaisseaux de la Mediterranée dans l’Ocean par la Mer Rouge. Cette Reyne d’Egypte eust fait par là une Isle de toute l’Afrique qui est une des plus grandes Parties du Monde ; mais son dessein n’eut point de suite, parce qu’il fut jugé ou trop dangereux, ou tout-à-fait impossible. On a aussi essayé en vain dans la Grece une jonction de mesme nature, pour faire passer les Vaisseaux de l’Adriatique dans la Mer Egée. Demétrius fut le premier qui en forma le dessein. César, Caligula & Neron, l’ont inutielement tenté aprés luy, quoy que ces deux Mers ne soient separées que par un Istme ou Détroit de terre de deux lieües seulement. Si ce dessein avoit eu quelque succés, on eust fait du Peloponese, qu’on appelle aujourd’huy la Morée, une grande & belle Isle ; qui eust pû passer pour la Maistresse d’une infinité d’autres qui l’environnent & qui sont en grand nombre dans l’Archipel. Tout cela se rapporte admirablement bien à vostre Histoire Enigmatique, dit la Dame, & je croirois que le Mariage qui y est proposé seroit la jonction des Mers, si aujourd’huy on avoit formé le dessein de faire quelque chose de semblable. Non seulement on en a formé le dessein, luy dis-je, mais on travaille mesme depuis plusieurs années à l’éxecution d’une entreprise si surprenante. Ce grand Ouvrage, qui peut passer pour le plus beau de l’Europe, est presque achevé. Il estoit reservé pour le Regne de Loüis le Grand, qui ne trouve rien d’impossible, & il est digne de la grandeur & de la magnificence de ce Prince. La Posterité aura de la peine à croire qu’on ait pû fournir à de si grandes dépenses dans le temps que les Allemans, les Espagnols & les Hollandois estoient liguez contre nous, & que le Roy faisoit de si glorieuses Conquestes sur eux. Il est pourtant certain que pendant que la France estoit occupée à vaincre de si puissans Ennemis, on a travaillé sans relâche à faire un Canal en Languedoc, large & assez profond pour porter des Bateaux de charge, qui transporteront les Marchandises d’une Mer à l’autre, & enrichiront les Provinces voisines par ce nouveau commerce. Vous ne sçauriez croire, Madame, continuay-je, combien on a ramassé de Ruisseaux & de petites Rivieres ensemble, dont on a conduit les Eaux par des précipices & des Montagnes inaccessibles, pour en faire un Réservoir d’une grandeur surprenante, à qui on a donné le nom de Bon-amour, qui fournira de l’eau au Canal sans qu’il en pusise manquer dans les plus grandes secheresses. Voila bien des Mariages, dit la Dame en soûriant, qu’on a esté obligé de faire pour conclure celuy des deux Mers, & cela me persuaderoit quasi que leur jonction est le Mariage dont il est parlé dans l’Histoire Enigmatique du Mercure. Je ne m’étonne pas, luy dis-je, que vous en soyez persuadée, mais je suis surpris de la maniere dont vous me l’avez persuadé à moy-mesme, en me tirant adroitement de mon erreur. Vous pensez donc, répliqua-t-elle, que j’ay prétendu expliquer vostre Enigme, & que j’en ay trouvé le sens ? Ne nous vantons encor de rien. Lisons l’Histoire entiere, & voyons si nous y trouverons nostre conte. Elle prit le Livre que j’avois, & en lisant elle s’arrestoit à chaque période, pour me donner le temps d’en faire l’application. Mais ayant rencontré ces paroles, Elles ont souvent à parler des mesmes choses, mais elles ne se servent point de la mesme langue pour s’en expliquer, & les Alemans chez l’une sont Italiens chez l’autre. Voila, dit-elle, de la difficulté. Point du tout, Madame, luy répondis-je. La langue Italienne est aussi commune sur la Mediterranée, qui environne presque toute l’Italie, que l’Allemande l’est sur l’Ocean ; & les Allemans sont à l’égard de l’autre. Elle continua ensuite la lecture, que j’interrompis pour luy apprendre que ce Mariage qu’on avoit déja veu en France de la nature de celuy qu’on proposoit, & qui répondoit en quelque façon de son succés, quoy qu’il fust entre des Parties de moindre rang, n’estoit autre chose que le Canal de Briare, qui joint la Loire avec la Seine. Vous voyez donc bien, me dit-elle, apres avoir achevé de lire, que l’Histoire Enigmatique est veritablement la jonction des deux Mers ? J’en suis si persuadé, luy dis-je, que si l’Autheur de l’Enigme y donnoit un autre sens, je ne l’en croirois pas. Je me trouvay à Pesenas, où quelques affaires m’avoient obligé de me rendre auprés de Monsieur le Prince de Conty, lors qu’on fit les premieres propositions de ce dessein aux Etats de Languedoc qui y estoient assemblez, & je fus témoin des contestations qui se firent sur ce sujet, car chacun en disoit son sentiment. Il me souvient mesme qu’une Dame ayant demandé à un de ses Amis ce qu’il en pensoit, il luy répondit galamment.

        Que voulez-vous que je vous die
        Du dessein qu’on ose former,
        De joindre l’une & l’autre Mer ?
        L’entreprise est bien hardie.
        Iris, ce dessein me déplaist :
        Laissons le Monde comme il est,
        Et suivons les routes aisées.
Que si vous estimez que ce soit un grand bien
        D’unis les choses divisées,
        Unissez vostre cœur au mien.

Je dis en suite à la Dame que Monsieur Riquet avoit donné le projet d’une si extraordinaire entreprise, & qu’ayant esté chargé de l’éxecution, il y avoit travaillé jusqu’icy avec beaucoup d’application & de succés ; Qu’on admiroit la force de son génie dans les moyens qu’il avoit trouvez de surmonter tous les obstacles qui s’estoient rencontrez dans la suite de ce travail, & qui auroient jetté tout autre que luy dans le desespoir de le conduire à une heureuse fin ; Qu’on avoit bâty des Hôteleries sur le Canal, & étably des Coches d’eau qui alloient déja pour la commodité des Voyageurs ; & que les Carosses rouloient sur le bord de ce mesme Canal, dans ces lieux où les Gens de pied ne passoient autrefois qu’en tremblant. Voila, Madame, ce qui se passa à nostre promenade, & tout ce que j’avois à vous dire sur l’Enigme. Je ne doute pas que vous ne soyez lasse de lire ; mais si je vous ay fatiguée par la longueur de ma Lettre, j’en tireray au moins cet avantage, que vous aurez eu quelque impatience de voir que je suis, vostre tres-humble & tres-obéïssant Serviteur.

Festes de Turin §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 43-81.Planches gravées insérées entre les pages 44-45 et 80-81

Je ne vous ay fait part jusqu’icy que de quelques Festes de Particuliers. Il est bon de vous faire voir jusqu’où va la magnificence des Souverains quand ils en donnent. Les Réjoüissances qui ont esté faites cette année à Turin aux jours de la Naissance de Leurs Altesses Royales, en peuvent fournir une haute idée. La Cour de Savoye imite si parfaitement la politesse & la galanterie de celle de France, que vous ne serez point surprise de ce qu’on a veu de somptueux dans une occasion où la reconnaissance du Fils & la tendresse de la Mere ont disputé comme à l’envy à qui se signaleroit davantage. Ce fut l’11. d’Avril, jour de la Naissance de madame Royale, que la premiere de ces Réjoûissances commença. Le jeune Prince la voulut celebrer d’une maniere qui repondist à la passion qu’il a pour la gloire d’une si illustre Mere. Ses ordres furent donnez pour tenir prest un Feu d’artifice dans la Place où est le vieux Palais, & le Palais neuf de Leurs Altesse Royales. Vous en trouverez le Dessein dans cette Planche. Je l’ay fait graver expres, afin que vous puissiez entrer plus aisément dans la somptuosité de cette Feste. Rien ne manqua de ce qui la pouvoit rendre des plus éclatantes. Voicy ce que porte la Relation qui m’en a esté envoyée.

[Planche gravée insérée entre les pages 44 et 45.]

Festes

de Turin.

MAdame Royale fut salüée à son réveil par une décharge de l’Infanterie qui formoit divers Bataillons aux coins de la Place du Chasteau. Cent Mortiers & autant de Pieces de Canon continuerent, & augmenterent le bruit. Quoy qu’il eust quelque chose de terrible, il ne laissa pas d’exprimer agreablement la joye qui remplissoit tous les cœurs, & de la répandre par tout où il pût estre entendu. Cependant, les Trompetes, les Tambours, les Hautbois, les Fifres & les Musetes, se répondoient à diverses reprises dans la grande Salle du Chasteau, qui pour estre martial ne perdoit rien de son agrément. Les Violons & les Instrumens de Musique y tenoient aussi leur partie dans la chambre voisine, & faisoient entendre la plus agreable harmonie du monde, qui continua jusques à la sortie de madame Royale de son Appartement. Elle parut avecu n Habit extrémement riche dans sa simplicité, & avec cette maniere noble, qui releve ses actiosn les plus communes.

Son premier soin fut de satisfaire sa pieté, en allant entendre la Messe à la Chapelle du S. Suaire. Elle s’y rendit accompagnée de toute la Cour. Les Dames & les Cavaliers estoient si richement, & si galamment vêtus, qu’il seroit difficile de bien décrire leur parure. La galanterie, la propreté, & la mgnificence, leur sont ordinaires dans toutes les occasions, mais ils avoient enchery en celle-cy sur tout ce qui s’estoit fait par le passé. Le Regiment des Gardes estoit en Bataille à la Place de S. Jean. Les Arquebusiers estoient ragés en haye dans la Nef, & laissoient entre eux un espace vuide, qui estoit remply par cent pauvres Filles, à qui Madame Royale avoit donné un habit & une bourse. Les Gentilshommes Archers, & les Cuirassiers Gardes-du-corps, occupoient l’aile droite du Chœur, où toute la Noblesse estoit confusément.

La Messe finie, on retourna au Chasteau. Toute la Cour fit la reverence, & baisa la main à Madame Royale, qui répondit à chacun avec cet air de majesté & de douceur, qui luy attire l’admiration generale.

Cependant la Table fut couverte. On avoit assemblé tout ce que l’abondance, & la délicatesse peuvent fournir de plus exquis. Leurs Altesses Royales mangerent en public avec les Princes du Sang, servis par le Grand Maistre, & par les autres officiers qui ont accoustumé de servir dans ces sortes de fonctions.

Apres le Disné, Madame Royale reçeut dans son Cabinet le Conseil d’Etat, le Senat, la Chambre des Comptes, & le Corps de Ville, qui luy firent compliment par la bouche du Grand Chancelier, des Premiers Présidens, & du Premier Syndic ; qui estoient à la teste de ces Compagnies. Elle passa en suite sous le Dais de la Chambre de parade, où les Ambassadeurs vinrent se conjoüir avec elle, conduits par le Maistre des Cerémonies.

Apres cela, la Cour sortit en parade. Madame Royale estoit dans son Carrosse, avec quelques-unes de ses principales Dames. Les autres la suivoient en plusieurs autres Carrosses. Monsieur le Duc de Savoye estoit à cheval à costé, precedé des Princes du Sang, des Chevaliers de l’Ordre, & de toute la Noblesse, chacun en son rang superbement monté, avec des Housses d’une tres-riche broderie. Le Peuple qui estoit accouru en foule, bordoit toutes les Ruës par où ils passerent, & faisoit connoistre par ses acclamations l’amour qu’il a pour ses Souverains.

Au retour, Madame Royale vit les Dames de la Ville qui luy baiserent la main, & sortit en suite sur le Balcon du Chasteau pour voir le Feu d’artifice qu’on avoit preparé dans la Place. Le dessein en avoit esté donné par Mr le Comte de Castellamont Premier Ingénieur de S. A. R. & Mr le Comte de Piosaque Chevalier de l’Ordre, Grand-Maistre de l’Artillerie l’avoit fait executer avec beaucoup de succés par les Officiers qui dépendent de luy, & qui sont tres-habiles. C’estoit un grand Bâtiment representant le Temple des Vertus, de forme Octogone, haut d’environ neuf toises, & divisé en trois Ordres d’Architecture.

Le premier, qui servoit comme de base à tout l’Edifice, estoit Toscan, ouvert à chaque face par une Porte de Marbre jaspé, parfaitement imité. Une Balustrade de mesme matiere regnoit tout autour, & portoit sur ses Piedestaux huit Statuës.

Le second Ordre estoit Dorique, avec quatre Portes à ses quatre faces. Chaque Porte avoit un grand Ecu des Armes de Savoye pendant au haut en forme de couronnement, & aux costez deux Colomnes avec leurs ornemens ordinaires, distribuez avec beaucoup de simetrie, & enrichis de quatre Satuës assises sur les saillies de la Corniche.

Le troisiéme Ordre estoit Ionique, composé de divers Pilastres, qui soûtenoient une autre Corniche entourée aussi d’une Balustrade, sur les Piedestaux de laquelle s’élevoient aux angles huit Satuës, qui representoient, comme toutes les autres, diverses sortes de Vertus.

Le faiste du Temple estoit une espece de Dôme, qui servoit comme de base à un grand Piedestail, sur lequel on avoit placé une Statuë couronnée d’Etoiles, & vétuë d’un Manteau Royal, qui regnoit sur toutes les autres, & qui representoit Madame Royale.

Le Temple estoit environné d’une Barriere ovale, à plus de huit toises de distance. Quantité de Pins verdoyans en formoient l’enceinte, & sortoient d’autant de Vases de Marbre feint, qui ressembloient à des Piedestaux. Chaque Arbre estoit separé par un Fanal, & chaque Fanal avoit d’un costé le Chifre de Madame Royale, & une Girandole de l’autre.

L’espace vuide entre la Barriere & le Temple, estoit occupé par les Vices, que des Dragons, des Hydres, des Crocodiles, & divers autres Animaux monstrueux, representoient. Le tout estoit remply de Feux d’artifice.

Au premier signal des Trompetes & des Tambours, l’enceinte du Temple fut éclairée. La Porte la plus élevée du costé du Chasteau s’ouvrit, & le Messager des Vertus en sortit couronné de Lauriers & de Fleurs. Il vola vers le Balcon de Madame Royale, & apres avoir chanté quelques Vers à sa loüange, il luy presenta un Livre qui expliquoit le dessein du Feu d’artifice, & revola en suite avec la mesme hardiesse au lieu d’où il estoit party.

Apres ce vol, les Vices sous la forme des Monstres dont nous avons parlé, s’avancerent vers le Temple, vomissant des torrens de feu, mais tous leurs efforts s’en allerent en fumée. Les Vertus les terrasserent avec des traits enflâmez, & en remporterent une entiere victoire.

La Renommée & l’Abondance partirent alors du Temple, & prirent leur vol l’une vers l’Orient, & l’autre vers l’Occident. Elles estoient toutes éclatantes de Feux d’artifice, que la premiere jettoit principalement par sa Trompete, & la seconde par une Corne d’abondance, pour signifier que la gloire de Madame Royale se répand par tout, & que ses soins genéreux ont reparé cette année la sterilité de la terre.

L’Amour parut en suite en l’air avec tous ses attraits, portant d’une main une Couronne de Laurier, qu’il mit sur la teste de la Statuë qui estoit au faiste du Temple, & de l’autre un Flambeau avec lequel il alluma le Temple mesme. Cet Amour representoit S. A. R. plein de tendresse & de reconnoissance pour son auguste Mere. Toute la Machine fut illuminée en un moment, & parut ou transformée en une masse de crystal, ou enrichie par tout de diamans. Il s’en détacha de tous costez une infinité de Globes de feu, qui meslant la lumiere à l’épaisseur de la fumée, & les éclairs aux tonnerres, partageoient agreablement les Esprits entre la crainte & la joye. Les Fusées volntes emplissoient l’air de leurs longues traînées de feu, & s’élevoient d’abord si haut, qu’elles sembloient vouloir se confondre avec les Astres, puis formoient en retombant une si prodigieuse quantité d’Etoiles, qu’elles sembloient entraîner avec elles toutes celles du Ciel. Ce Spectacle dura pres d’une heure, & fut terminé par trois décharges de toute l’Infanterie.

La Feste neantmoins ne finit pas là, il y eut encor un grand Bal dans le Salon du Chasteau, richement tapissé, & éclairé de quantité de Plaques & de Lustres.

L’Assemblée ne pouvoit estre ny plus nombreuse, ny mieux rangée. L’Or, l’Argent, & les Pierreries, mesloient agreablement leur éclat à la beauté des Dames, & au bon air des Cavaliers, qui estoient presque tous venus avec des Habits plus riches que ceux du matin, pour plaire à S. A. R. qui ne pensoit luy-mesme qu’à plaire à Madame Royale. Ce jeune Prince dansa avec cette bonne grace qui est née & qui croist toûjours avec luy. La Danse fut interrompuë par une somptueuse Collation, & laissa en finissant à tous les Spectateurs un ardent desir de celebrer pendant une longue suite d’années la Naissance fortunée de leur Princesse pour sa gloire & pour leur bonheur.

Comme parmy les soins importans qui l’occupent presque toûjours, l’éducation de Son Altesse Royale tient le premier rang, elle en fait l’objet de toutes ses pensées, & le sujet de toutes ses applications, quoy qu’elle ne laisse pas de penser & de s’appliquer à tout le reste. Ce jeune Prince qui a reçeu d’elle avec la vie une élevation d’Esprit, & beauté de Corps qui surprennent, seroit assurément digne de régner, quand il ne seroit pas né avec une Couronne ; mais Madame Royale ne se contente pas de ces avantages. Elle croiroit manquer à ce qu’elle doit à un Fils qui luy est si cher, si elle ne joignoit le secours de l’Art aux dons de la Nature pour perfectionner les grandes qualitez par lesquelles il luy ressemble. C’est dans cette veuë qu’elle veut que ses Jeux mesme soient des Leçons capables de l’instruire en le divertissant, & de luy inspirer des sentimens dignes d’elle & de luy.

Cette noble maxime dont elle ne s’écarte jamais, a reglé la Feste qu’elle a voulu donner à Son Altesse Royale, le 14. de May, jour de la Naissance de Madame Royale.

Toute la Cour parut avec les mesmes transports de joye, & ne laissa remarquer de diférence que dans es Habits, qui ne ressembloient à ceux de l’autre Feste, qu’en ce qu’ils estoient également riches, & bien concertez.

La Cavalcate se fit aussi avec la mesme pompe, & se rendit dans la grande Allée du Cours, d’où elle descendit dans un Fond qui forme une espece d’Amphithéatre de verdure, où l’on avoit dressé la Barriere pour une Course à cheval. Les Cavaliers tous couverts de plumes & de Rubans de diférentes couleurs, & enrichis de broderie d’or, d’argent, & e fleurs au naturel, entrerent dans la Lice superbement montez, & signalerent leur adresse à fournir la Carriere, & à rompre plusieurs Lances pour disputer le Prix qui avoit esté proposé.

La Course estant finie, on se retira dans la grande Salle du Valentin, où l’on passa agreablement le reste du jour à entendre un Concert de Musique Françoise. L’Eglogue qui suit fut chantée avec beaucoup de succés.

Eglogue.

Tirsis, Arcas, Al-

candre, Eurilas.

Tirsis.

Que dites-vous, Bergers, des charmes que ces lieux
                Font briller à vos yeux ?
                Ne laissent-ils à vostre zele
                Former d’autres sentimens
        Que d’admirer une Feste si belle
                La pompe & les agrémens ?
                Et tandis que chacun s’empresse
                À témoigner son allégresse,
                Vos yeux d’un soin si doux
Sont-ils, comme les miens, & charmez & jaloux ?

Arcas.

C’est ce que je voulois apprendre de toy-mesme.
Cette Pompe, où chacun fait voir un zele extréme,
                Les Echos d’alentour
                Réveillez tour à tour
                Par le bruit des Trompetes,
Par les tendres Concerts des Voix & des Musetes,
Ces Feux, qui sur ces bords font l’office du jour,
Ne sçauroient contenter mes ardeurs inquietes ;
                Et je sens que cette fois
                La commune allégresse
Est pour mon cœur jaloux un sujet de tristesse,
Si je ne la partage en y meslant ma voix.

Alcandre.

Nous pouvons aisément sur ces Rives charmantes
                Contenter ce desir jaloux,
                Qui nous anime tous.
                Joignons à nos voix éclatantes
                Nos Musetes les plus touchantes.
Si pour un tel Concert c’est peu que de nous trois,
Les Echos de ces lieux multiplîront nos voix.
Tous trois ensemble.
                Joignons à nos voix éclatantes
                Nos Musetes les plus touchantes.
Que nos cœurs, que nos yeux, que nos plus doux accords
                De nostre joye expriment les transports.

Eurilas.

Animez-vous, Bergers, d’une nouvelle ardeur,
Et faites de vos chants admirer la douceur.
                Celuy qui d’une voix plus nette
Dans ses tendres Chansons sçaura mieux à son tour
                Celébrer cet heureux Jour,
                Aura de moy cette Musette,
Dont j’emportay le prix aux Festes de l’Amour.
                Sus donc élevez vos voix ;
Que vostre chant prenne un air moins rustique.
Vous chantez un Héros ; il doit estre héroïque,
Autant qu’il est possible à de foibles Hautbois.

Tirsis.

Beau Fleuve, si jadis un jeune Témeraire,
Pour avoir mal suivy la route de son Pere,
Dans le sein de tes eaux précipité des Cieux,
                Te donne un nom si glorieux ;
Que d’un bruit bien plus fier tu dois rouler ton onde,
D’estre l’heureux témoin de l’ardeur sans seconde
Dont nostre Prince suit les pas de ses Ayeux !

Arcas.

Tu le verras un jour de cent Lauriers
                Cueillis dans le Champ des Guerriers,
                Ombrager tes Rives fleuries,
                    Et tes Echos
Auront peine à répondre à tant de voix unies,
                Pour célébrer ce Héros.

Alcandre.

Quels présages certains du plus rare bonheur
Ne doit-on pas former de sa gloire naissante ?
                Il a de sa Mere charmante
                Le Visage & le Cœur.

Tirsis.

                Nous admirons dans nos Hameaux
Avec combien de grace, au son des Chalumeaux,
                Danse nostre blonde Jeunesse :
                Mais ces plaisirs n’ont rien que d’ennuyeux
Pour qui voit dans un Bal, & la grace, & l’adresse
Dont cet aimable Prince enchante tous les yeux.

Arcas.

                J’avois toûjours crû fabuleux
Le recit que l’on fait des attraits merveilleux
Du malheureux Berger dont Vénus fut charmée ;
Mais d’un Prince si beau les charmes inoüis
                Ont à mes yeux ébloüis
                Justifié la Renommée.

Alcandre.

    Ah que ne puis-je avoir assez de vie
Pour voir sa gloire un jour faire naistre l’Envie ?
Alors pour celébrer ses Exploits les plus beaux,
                    Le Chantre de la Thrace,
Le Dieu mesme du Chant jugé par le Parnasse
Pourroient céder le prix à mes doux Chalumeaux.

Tirsis.

Les Torrens couleront sans bruit, sans violence.

Arcas.

Il sera des Jardins sans Arbres & sans Fleurs.

Alcandre.

    Nos Bois perdront leur ombre, & leur silence,
Tous trois ensemble.
Quand je perdray le soin de chanter ses grandeurs.

Eurilas.

Bergers, je ne sçaurois juger auquel de vous
Je dois donner un prix que vous méritez tous ;
Une égale beauté brille en vos Chansonnettes.
J’y trouve plus d’appas qu’à celles des Oyseaux,
Qu’au bruit dont les Zéphirs agitent ces Ormeaux,
Qu’au murmure flateur que parmy ces herbettes
                Font ces coulans Ruisseaux.
Tous ensemble.
                Suivons un si beau projet,
Qu’à jamais de nos Chants ce Prince soit l’objet.
Sans nos Bois, dans nos Prez, sur les vertes Fougeres,
Chantons un si beau Nom, charmons-en nos Bergeres,
La Voix nous manquera plutost sur le Sujet.

Lors que la nuit fut venuë, on descendit sur le bord du Pô, où l’on avoit dressé un grand Salon de verdure pour leurs Altesses Royales, qui s’y placerent avec les Princes sur une espece de Balcon avancé. Le reste de la Cour se rangea derriere, & les Ambassadeurs à costé sur un petit Echafaut qu’on leur avoit preparé. L’on amdira d’abord le superbe appareil du Feu d’artifice, qui estoit de l’invention de Mr le Comte de Castellamont, si fertile en beaux desseins, & que le zele agissant de Mr le Comte de Piosasque avoit fait executer par les Officiers de l’Artillerie avec une promptitude & une magnificence extraordinaire.

Il s’élevoit sur la Rive du Pô opposée au Palais du Valentin, un Bâtiment quarré de trois gros Pavillons, & de plus de 18. toises en largeur, avec une grande Court au milieu bordée de trois costez par des Portiques soûtenus sur des Pilastres de Marbre, & ornez de Niches en forme de Medailles, où l’on voyoit le Buste des plus sçavans Hommes de la Grece. Cette Court avançoit quatre toises dans l’eau, & avoit au milieu de la Balustrade qui la fermoit par devant une grande ouverture, qui faisoit la principale entrée du Palais, & formoit une espece de port semblable au Pirée d’Athenes.

Il y avoit aux deux aîles deux Galeries qui s’étendant le long du Pô faisoiet avec tout le corps de l’Edifice une façade de quarante toises. Elles estoient terminées pr un Pavillon chacune, qui estoit divisé en trois rangs de Fenestres toutes enrichiers des plus beaux ornemens de l’Architecture.

Une Balustrade de Marbre posée sur une Corniche finement travaillée, servoit comme de couronnement à tout l’Edifice, & portoit sur ses Piedestaux les Satuës des plus illustres Héros des Siecles passez.

Tout l’ordre du Palais estoit Dorique, & ce n’est pas sans raison qu’on luy avoit donné le nom de Portiques d’Athènes : Car comme cette fameuse Ville a esté la Mere & la Nourrice des Sciences & des beaux Arts, on a voulu exprimer que Turin pourra prétendre à la mesme gloire par le soin que Madame Royale a eu d’établir les deux Académies des Lettres & des Exercices.

Tandis que tout le monde estoit attentif à considerer la grandeur & la beauté de ce Palais qu’on découvroit parfaitement bien à la faveur d’une infinité de Fanaux qui faisoient naistre un nouveau jour dans l’obscurité de la nuit, l’air ne retentissoit que du son des Trompetes, du bruit des Tambours, & de la symphonie de mille autres Instrumens qui avoient esté partagez en diférens Postes, afin qu’ils se répondissent alternativement, & que leur accord fust plus harmonieux.

Le Port d’Athènes s’ouvrit en mesme temps, & on en vit sortir un petit Navrie éclairé de quantité de Bougies, & enrichy de Trophées & de Figures de relief, où l’or & les couleurs les plus fines n’avoient point esté épargnées. Il avoit son Fanal & sa Banniere arborée en Pavillon. On y voyoit d’un costé une Teste de Meduse, & de l’autre un Olivier, avec ce mot Divina Palladis Arte, pour exprimer que comme cet Arbre est l’ouvrage de Minerve, la Paix aussi dont il est le symbole, est celuy de Madame Royale. Plusieurs autres Banderoles où l’on avoit peint des Devises fort ingénieuses estoient plantées sur des Globes posez sur les Piedestaux de la Balustrade qui bordoit le Navire. Minerve estoit assise à la Poupe, avec toute la majesté & la fierté que luy donne sa mine & sa parure guerriere. Une riche Coquille luy servoit de Trône. Les degrez par où l’on y montroit estoient remplis d’un grand nombre de Musiciens, qui representoient par leurs habillemens les Sciences & les Arts qui sont necessaires à l’éducation d’un Grand Prince. Les Violons estoient rangez autour d’eux vêtus en Citoyens d’Athenes.

Le Vaisseau traversa le Pô au son des Trompetes Marines, & vint moüiller l’anchre devant le Balcon de Madame Royale, où Minerve & le Chœur des Sciences chanterent à diverses reprises de tres-beaux Vers pour inspirer à S. A. R. les sentimens de vertu qui sont particuliers aux Personnes de sa naissance.

Apres le Chant, le Concert des Trompetes Marines recommença, & le Vaisseau remontant le Pô allaau devant d’un autre éclatant d’or & d’argent. C’estoit le Char de Neptune qui descendoit pour porter Leurs Altesses Royales à Athenes. Leurs Figures au naturel y paroissoient assises au plus haut avec un grand nombre de Nereïdes, & d’autres Divinitez de la Mer de mesme Sculpture, qui leur faisoient une pompeuse Cour. Deux Chevaux Marins le tiroient ; & Neptune luy-mesme debout, & le Trident la main, sembloit en estre le Conducteur, quoy que toute la Machine fust reglée par des Bateliers vêtus en Tritons.

Le Char passa devant les Portiques d’Athenes, comme pour y décharger Leurs Altesses Royales, qui y furent reçeuës au bruit de trois cens Mortiers. Il alla en suite se placer au milieu du Pô devant le Pavillon qui terminoit la Galerie de l’aîle droite ; & le Vaisseau de Minerve se posta vis-à-vis au bout de la Galerie de l’aîle gauche.

On avoit cependant veu descendre par le Pô des Girandoles & des Dauphins sur de petites Machines flotantes qui s’élevoient & se replongoient à mesure que les feux dont elles estoient remplies joüoient.

Son Altesse Royale donnant alors le feu à une petite Fusée preparée à ce dessein, il parut aussitost comme enlevé dans l’air ; & Castor & Pollux qui l’avoient toûjours accompagné, volerent sur le Palais pour y donner aussi le feu. À peine en eurent-ils touché le faiste, qu’on le vit illuminé par tout, & d’une maniere si rare, que toute la Façade parut semée d’Etoiles. On auroit dit que c’estoit le plus beau Palais du Monde, si celuy qu’on voyoit en mesme temps dans l’eau ne luy avoit disputé le prix. Apres qu’on eut quelque temps le plaisir de le considerer, on eut celuy de le voir réduire en cendre par les feux d’artifice dont il estoit remply.

Il sembloit que le Ciel, la Terre, & l’Eau, fussent tout en feu, & se fussent confondus en un mesme Element. La hauteur & le nombre des Fusées volantes, celles qui rouloient sur le rivage, & celles qui ressortoient du Pô apres s’y estre enfoncées, répandoient tant de lumiere, & éclatoient avec tant de bruit, que ce n’estoit qu’une longue suite d’éclairs & de tonnerres d’autant plus surprenans, qu’on avoit peine à distinguer s’ils se formoient dans l’air, ou dans le fonds de l’eau.

Ce Spectacle cessa enfin apres une durée extraordinaire, & les coups de Poëtes qui l’avoient commencé le finirent. Alors la Cour remonta dans la Salle du Valentin, où la beauté du Bal & la somptuosité de la Collation, prolongerent les plaisirs, & terminerent agreablement la journée, en faisant avoüer à tout le Monde que cette Feste pouvoit justement le disputer à toutes celles qu’on avoit veuës jusques alors, si elle ne les surpassoit.

Avoüez, Madame, que de pareilles Festes sont bien dignes de la grandeur de ceux qui les ont données. Vous avez déja veu le Temple des Vertus gravé ; vous auriez lieu de vous plaindre, si je ne vous faisois encor voir le Portique d’Athenes qui a servy de sujet à ce dernier Feu d’artifice. Vos yeux vous en peuvent representer la beauté dans la Planche.

Lettre I §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 81-87.

Je viens aux Lettres que j’ay reçeües & sur l’Extraordinaire, & sur les Mercures des trois derniers Mois. J’en ay fait le choix selon la diversité des matieres, & je ne doute point que vous ne trouviez de l’agrément dans chacune.

Lettre I.

IL est impossible, Monsieur de lire le Mercure Extraordinaire, sans luy donenr les loüanges qu’il mérite. J’avoüe qu’en le lisant j’y ay trouvé ce je-ne-sçay-quoy qui plaist par tout où il se rencontre. Il sollicite si puissamment dans cet Ouvrage l’approbation des Lecteurs mesme les plus critiques, que ma Muse a crû qu’elle ne pouvoit sans crime s’empescher de loüer, ce qu’elle admire avec justice.

                Non, non, je ne puis plus me taire ;
                Dûssay-je me faire une affaire,
                Je veux loüer publiquement
                Le Mercure Extraordinaire ;
        Mais je ne sçay ny par où, ny comment.
Si j’exalte l’Autheur, il hait trop les loüanges,
                Il ne les imprimera pas,
Et je verray périr dans ces malheureux Langes
L’Enfant de mon Esprit qui naist entre ses bras.

Vous pouvez juger, Monsieur, que cecy ne tend point à vous loüer, car ce seroit un peché contre les defenses que vous avez faites ; aussi ma Muse n’adresse les loüanges qu’elle est capable de donner, qu’à ces rares Esprits qui fournissent de matiere à la belle œconomie qui me ce Livre Extraordinaire au jour. De sorte qu’on peut dire,

        Qu’il est l’Enfant de plusieurs Peres,
        Et qu’il n’a jamais eu de Meres,
Car le Sexe n’est point divers dans les Esprits,
Ou le plus, ou le moins, en fait la diférence,
Dans l’Homme, dans la Femme, ils ont la mesme essence,
    Et la grandeur en fait le prix.

Il est vray que le Mercure Extraordinaire est un Ouvrage où tous les beaux Esprits ont part. C’est comme un lien qui fait l’union des belles Ames qui sont repanduës par toute la France, & que le Ciel ne semble avoir ornées de tant de belles qualitez, que pour servir de lumiere à tout le reste. Ces belles pointes d’esprit qui ne paroissent inventées que pour le divertissement, nous laissent facilement juger combien ces rares Personnes sont capables de servir au Public, quand elles se voudront employer à des choses plus sérieuses & plus utiles.

        C’est ainsi qu’un jeune Soldat
        Se façonne dans l’Exercice,
        Et pratique dans la Milice
Les Leçons qu’il apprend dedans un feint Combat :
    Ces grands Esprits, ces Esprits rares,
Avecque leur travail accordent leur plaisir,
Et de leurs beaux tales ils ne sont point avares,
Quand pour un digne Employ l’Etat les veut choisir.

Je n’entreprens pas de loüer le Mercure Extraordinaire autant qu’il est loüable, & que l’étenduë des sçavans Esprits qui contribuënt à ce bel uvrage, le demande. Je dis seulement que c’est un Tableau qui nous fait voir la diversité des beaux Génies dont la France abonde ; que c’est un superbe Palais où les Muses s’assemblent de toutes parts, ces Muses qui croissent de jour en jour sous la protection du Grand Loüis, qui comme un Mars redoutable fait trembler toute l’Europe à son aspect, & comme un autre Apollon fait découler les Eaux du Sacré Vallon dans les Climats les plus éloignez de son Empire. Mais je laisse le soin de donner les loüanges que méritent les Victoires d’un si grand Roy, à ces Esprits brillans, à ces Personnes éclairées, à qui ma Muse est tres-humble Servante, comme je suis vostre tres, &c.

Desnos.

Lettre III §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 95-104.

Lettre III.

OBian, Monsieu du Marcure, pis que ceux-là de Vildavray ont bian pris la hardiesse de vou zenvoyer une Lattre, je prandron aveuc vote parmission ste libertay la aussi bian qu’eux, & pourquoy non ? Sou zombre qui l’ont trouvé le Marcure d’un Monsieu qui passit par leu Village, y samble palsangué que l’en noseret lé regardé. Si sont su le chemin de la Mason du Roy, j’en éton pu pras qu’eux, & de ste façon-là je hanton pu volentiers le zonneste-Parsonne & ceux-là qui en disont du milleu.

J’avon don antandu parlé de vote Marcure, & si je le zavon tretous lus & relus depis le pu grand juqu’au pu ptit, car gueu marsy j’éton de zamis du Jardignié du Garçon de l’Ostal de la Reyne, & c’est un guiebe qui a toûjou queque Livre fiché dans lé mains ; & com la gueu grace, je savon luire, & écrire, & ancor bian que je ne sayon qu’un pauvre Bargé, j’avon pourtant esté Goujat, Soudart & Lanspesade dans le Regiman de Monpeza oüy, & si j’avon queuque foüas sarvy d’Aspion. Tatigué voyé si je n’éton pas habile en tou.

Or pou revenir à mon compte, j’avon don veu tou vo Zembleme & vo Renigme, & si j’avon ossi bian deviné que lé zautre ; mais margué j’éton tro honteux, & je n’érion jamais crû que vo zeussié voulu bouter du jargon de pauvre guiebes com nou qui ne savon de Latin que note patois, aveuc stila de tou cé cracheux de Latin à tou propos ; mais pis que tou vo zest bon, j’allon vou dire note ratelée.

Vou dite don par vote Astrordinaire qu’ou vlé qu’an vou dise troüas chose, & la prumiere cest vote guiébe de Bétail qui faut déchifrer. Que sar d’en mantir ? Ancor bian que je sayon pu da demy Sorciez, je n’avon jamais pu connastre tou cé Zoysiau-là. L’Aloüete est com le Marle, le Marle com le Sansonnet, le Sansonnet com le Serein, & qui guiebe devineret sla ? Si je lé zavas pu connastre, j’auras tou deviné, car j’avon fort bian deviné lé deu prumiez mots, & jel’croyon dea. Dite-zan la varité, n’essepas l’Amour, la Guerre ? Faute de connastre le Zoysiau, je n’avon pu deviné le reste ; mais si par cas fortuit parsonne nla deviné dans le Marcure de May, je vous zen diron note panseye, car je connoission un Osillié qui nou dira palsangué leu nom & leu sarnom ; & pour squiest de vote deuziame Question, j’ammerais tou fin tou frant mieux que l’an me disit tou d’un coup, margué je ne t’aime pu, pourvoy-toy ailleurs, que de m’amuser pandan bian du tams à me dire qu’an m’aime, & qui n’an sait rian. Je ne say pas la rason de sla, mais je va vou zan baillé une comparason pu juste que l’or.

Par exempe, quan j’arrivon le soüar dé Champs, que j’avon mis nos Brebis à l’Etable, si par malheur le Chian, le Chat, ou queuque autre Varmene, a répandu la Marmite san que j’an sachion ian, & que note Minagere nous disit tou d’un cou, ny a point de soupe, je nou consolon aveux du lar, du froumage, ou bian sque je trouvon de pras ; mais margué, si al s’avise de peu d’estre grondée, de remettre d’autre yau, & de nou bian faire attendre apres, disant tantost une rason, tantost l’autre, & qu’au bout du compte al ne mette rian dan note Ecuelle que de l’yau toute claire, n’esse pas pour anragé & pour anvoyé la Minagere au guiebe ? Cest justeman tou comme ; car si Marote au gros cu me dit, Vois-tu, Bartran ? Je t’aime, mais ces que lé Jans son bian médiran. Ancor bian que je te quite queuque foüas pou parler aveuc René, snest pas que jy aye bouté me namiquié, je t’aime trop, mais cest pour faire taire les médireux ; & margué que stanpandan au bout d’un moüas ou quatre ans que Marote vianne à épousé René, jarnigué n’en ay-je pas dans le cu ? Au lieu que si al me l’avet dit d’abord, je seras consolay asteure-là. Voyé-vou, Monsieu du Marcure, je vous dis la varité com à ma prope Tante, crayé zan tou squi vou plaira.

Mais, com dit l’autre, c’est le pire à écorché que la queuë. Voyon si j’avon bian devinay vote Histoire Animatique. Par squest de moy, je me donneras au guiebe que cest la jointeure dé deu Mars don vou vlé parlé, & sla est pu clar que de l’yau de Roche, car lé zinteras qui feson faire ce Mariage, cest lé zinteras du commarce qui se fra par ce Canar. Lé Partie qui son de masme Saxe, la Mere & la Fille de masme âge, tou sla son lé deu Mars. La Mar qui se mouve pu que l’autre, cest la Mar d’Almagne, à cause du flus & du reflus. Al zont déja esté mariée une foüas, cest par le Détroit de Gille Batar. Tou lé Mariage qui se devon faire auparavant, cest lé Laqs, le Zétans, & lé Rissiaux qui devon composé le Canar. Un Mariage tou de masme antre de pu ptite Jans, cest stila de la Loir & de la Saine par le Canar de Driare, stila qu’an vousit faire lia bian lontams ; sestet Naron qui vousit parcé le Stime de Corinte.

Je lasson bian d’autre sotise su vote Histoire dont je ne voulon pas parlé pour abregé, & je l’erion bian pu faire oüy, si vou ne nou zavié pas demandey tan de rasons ; & pour vou le montré, tené, vela com j’érion espliquey vote Histore.

Pour éclaircir en quatre Vars
Ce Mariage d’importance,
Cest la jointeure dé deu Mars
Qui fait tant de brit dan la France.

Vou n’an erez margué pas davantage pour ste foüas ; & si vou nou jugé digne d’astre capabe d’imprimé, faite nou placé dans vote Astrordinaire ; & si com je vou zon déja dit, parsonne n’a déchifray vote Lattre dans le Marcure de May, & que je pission zaprandre le nom de vo Zoysiaux, je vou l’anvoyeron toute antiare, & si peut-astre je vou bailleron pour vote Marcure une Lattre à déchifré qui sera belle & bonne & bian faite. Une autre foüas je vou fron dé complimans, mais pour asteure j’éton sans façon vote ptit Sarviteur,

Le Bargé de Porché-

Fontaine.

Lettre IV – Bouquet §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 105-109.

Lettre IV.

À Bordeaux.

DUssiez-vous, Monsieur, m’accuser de coqueterie, il faut que je vous fasse part d’un Bouquet qui me fut envoyé le jour de ma Feste. Je le trouve assez beau pour pouvoir vous estre montré ; & comme je ne manque jamais de reconnoissance à l’égard de ceux qui me veulent du bien, je croy ne pouvoir m’acquiter plus libéralement qu’en vous apprenant qu’il est du Fils aisné de Mr Bigos Receveur des Tailles aux Elections de Bordeaux & de Condom. J’espere, Monsieur, que vous ne l’oublierez pas dans vostre Mercure, puis que c’est par là que je prétens payer ce que je luy dois. Je veux bien vous dire encor que nous avons crû luy & moy que vos deux Enigmes du Mois de May parlent l’un de la Fuste, & l’autre du Soleil ; & que vous vostre Historie Enigmatique qui est dans vostre Extraordinaire, nous ne doutons point que ce ne soit un Mariage fait de la main de Mr de Riquet, par cette jonction surprenante de la Mer Oceane avec la Mer Mediterrannée qu’il a entreprise, & à laquelle il réüssit si heureusement. Vous verrez, Monsieur, si nos Explications sont justes, vous me ferez la grace de croire que je suis vostre très-humble Servante.

Bouquet

Envoyé à Mademoielle N*** le jour

de sa Feste.

        J’avois dessein, belle N***
        De vous presenter un Bouquet,
Et d’aller aujourd’huy vous offrir la fleurette,
    Mais ma foy je n’en ay rien fait,
J’ay pensé que les Lys, les Oeillets & la Rose,
    Estoient pour vous trop peu de chose,
Et que vous possediez ce qu’ils ont de plus beau,
        Puis qu’enfin sur vostre visage
        La Nature avec son pinceau
        A voulu pour vostre avantage
        Mettre les plus vives couleurs
        Qui nous paroissent dans les Fleurs.
Du Jasmin & des Lys la blancheur sans égale,
Aupres de vostre teint flétrit & devient pasle,
La Rose aupres de vous perd son plus bel éclat ;
        Et quoy que chacun nous en conte,
        Il est certain qu’en cet état
        Elle n’est rouge que de honte.
On ne sçauroit nier qu’en sa diversité,
        La Tulipe n’ait de la grace,
        Mais malgré sa vivacité,
        Dans un jour sa beauté s’efface,
        Et par un contraire ornement,
Ce qui fait qu’à nos yeux vous paroissez plus belle,
        C’est qu’on peut dire assurément
        Que N*** est une Immortelle.
    Pour former les plus belles Fleurs,
Nous voyons tous les jours au lever de l’Aurore,
Qu’un seul Soleil travaille à peindre leurs couleurs,
    Et suffit pour les faire éclore.
Mais quand je voy vos yeux, ces Astres sans pareils,
    Eclater sur vostre visage,
Je ne m’étonne plus qu’avec ces deux Soleils
    Vous remportiez tout l’avantage.
        Excusez donc, charmant objet,
        Pardonnez, divine N***
Si je n’ay pas dessein de vous faire un Bouquet,
    Ny de vous porter la fleurette.
Un tel present seroit indigne de tout deux ;
        Et si nostre Muse s’appreste
        À solemniser vostre Feste,
        Ce n’est qu’en vous offrant ses vœux.

Lettre V §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 110-117.

Lettre V.

POur peu qu’on ait d’Inclination pour les belles Connoissances, il semble, Monsieur, qu’on soit en droit de lier quelque commerce avec vous ; & c’est une chose si à la mode que de vous écrire, que je ne cherche point d’excuses de la confiance avec laquelle je vay vous parler du Mercure. Avant que vous vous meslassiez de donner ce contentement à la France, je languissois souvent de l’ennuy que j’avois d’estre si long-temps sans voir quelque Piece nouvelle, & les plus beaux Ouvrages à force de les lire me dégoûtoient quelquefois. On n’avoit pas découvert alors cette foule de beaux Esprits, dont les caracteres si divers font du Mercure le Livre le plus délicieux qui ait esté veu jusqu’icy. Et que sera-ce que l’Extraordinaire avec tous les agrémens & toute l’érudition que vous nous y promettez ? Pour tant de choses qui regardent la Science du monde, je me contentois d’étudier les meilleurs Romans, au lieu qu’à cette heure j’auray pour mes Maistres tous ces excellens Ecrivains dont le mérite paroist en tout ce que vous nous donnez. Il me semble, Monsieur, qu’il y a peu de sortes d’Ecrits, pourveu qu’ils ne soient pas de trop longue haleine, qui ne puissent trouver leur place dans le Mercure. Pour moy je voudrois que nous y pûssions voir tout ce qui peut servir à l’honnesteté & au bonheur. Souvent ceux qui ont le plus d’esprit, & mesme de cette étude qui rend habile, n’écrivent pas beaucoup, & peut-estre qu’Il n’est pas necessaire d’avoir inventé un grand nombre de choses pour mériter l’aprobaiton & les loüanges de son Siecle ; c’est bien assez qu’on soit l’Autheur de quelque invention agreable, ou de grand usage. Je voy que chacun se dispose à faire passer les siennes dans vos mains, afin qu’elles soient bientost répanduës, & en état de durer toûjours à la faveur du Mercure. Je connois une Dame qui n’écrit pas souvent, mais dont les Lettres me paroissent délicates, & mesme d’un sens assez rare. Si je croyois que vous jugeassiez que les Lettres comme les Vers fussent de bon air dans le Mercure sans y avoir de raport, j’employerois toute la créance que cette Dame peut avoir en moy, pour avoir la permission de vous envoyer quelques-uns de ses Billets. Je suis presque assuré qu’ils seroient de vostre goust, & je voudrois bien que ceux qui en font d’aussi bons vous les voulussent donner, & que nous en trouvassions souvent de pareils dans le Mercure, ce Livre en seroit encore plus agreablement diversifié. Ceux qui ne font pas mestier d’écrire, & qui selon les occasions essayent de s’en acquiter en honnestes Gens, ont d’ordinaire en leurs Ecrits quelque chose de plus vif & de plus noble que les autres, sur tout lors qu’ils ont du génie. Ce qui vient d’eux est souvent quelque Original qu’on fait bien de recueillir, & de ne pas laisser perdre. Mais à propos d’Ouvrages qu’on doit conserver, à qui peut on mieux s’adresser qu’à vous, Monsieur, pour solliciter ceux qui ont les Lettres, & tout ce qui reste de feu Monsieur Conrart, de mettre bientost au jour une chose si souhaitée de ceux qui ont connu cet excellent Homme, ou pour l’avoir vû, ou pour avoir lû quelque chose de sa façon ? Et qui pourroit par ses correspondances sçavoir plus aisément que vous où l’on trouveroit les Vers de Messieurs Belot & Patris, s’Ils ne sont pas encor imprimez ? Les plus fins Connoisseurs m’ont parlé de ces Poësies-là avec tant d’estime, qu’il seroit à souhaiter que tout le monde les pust lire, & qu’on les recherchast curieusement. Ceux qui se souciënt peu de semblables pertes, & uqi les négligent, ne connoissent pas ce que valent les choses bien faites, & n’acheteroient pas volontiers des Tableaux de Raphaël de ceux qui en sçauroient le prix. Ces Personnes n’ont guère de passion pour les bonnes manieres, & cependant il seroit bien difficile de parvenir à quelque chose de grand avec cette indiférence. J’ay l’avantage de me trouver tous les jours parmy des Gens qui sont fort sensibles à tout ce qui est de bon air, & je les entens décider quelquefois des diférentes beautez du Mercure, & mesme ils prennent plaisir & réüssissent souvent à expliquer les Enigmes. Deux Dames qui les ont devinées la plûpart, ont fait une gageure sur la premiere du dernier Volume. L’une veut que ce soit la Mode, & l’autre soûtient que ce ne l’est pas, & que ce Vers entr’autres, Fille de Roturier, ne ’y peut ajuster, parce, dit-elle, que ce ne sont pas toûjours les Ouvriers qui font les Modes. S’Il arrivoit, Monsieur, que vous vinssiez à témoigner que cette Lettre pust faire un bon effet, quelque pensée que vous eussiez en me faisant cet honneur, je ne sçay qui me rejoüiroit le plus, ou la justice d’un si bon Juge, ou la faveur d’un si galant Homme.

Lettre VI §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 117-119.

Lettre VI.

À Blois.

J’Ay reçeu, Monsieur, le Mercure Galant qu’il vous a plû de m’envoyer. Quoy que ce Livre ait toûjours esté de mon goust, le dernier Tome m’a plus donné de plaisir que les autres. À vous dire vray, je croy qu’il est entré un peu d’amour propre dans ce plaisir, car comme l’Autheur le soûtient toûjours également, je ne voy rien qui m’ait pû rendre plus sensible à sa dernière Lettre, que mon nom que j’ay trouvé parmy ceux des Personnes qui ont deviné les Enigmes. Croiriez-vous bien, Monsieur, que ce succés m’a enflé le courage, & que je me suis appliquée à deviner les deux qu’il propose ? Je suis si entestée de la Mode, que je n’ay pas eu beaucoup de peine à le trouve dans la premiere. Mais la seconde m’a plus embarassée, & si de bonne-foy je ne croy pas avoir réüssy. Apres y avoir donné cent Mots qui y venoient aussi mal les uns que les autres, je me suis enfin déterminée pour la Fusée, & me suis allée perdre dans les airs, d’où je reviens pour vous dire que je suis vostre tres-humble Servante,

De la Salle.

Lettre VII §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 119-122.Enigme et solution de l'énigme dans Mercure

Lettre VII.

À Rheims.

IL faut avoüer, Monsieur, que le Public vous est infiniment obligé de la bonté que vous avez de vouloir bien l’instruire en le divertissant. En effet, vostre Mercure produit tous les jours des biens merveilleux. Il est cause que les Convesvations ne languissent plus, que la médisance en est bannie, que ceux qui négligeoient la lecture s’y appliquent entierement, & sur tout que le beau Sexe commence à prendre goût à toutes les belles productions d’Esprit dont vostre Livre est remply ; aussi tous les Esprits si diférens qu’ils soient, y trouvent dequoy se satisfaire. Ceux qui aiment les nouvelles de la Guerre, s’y instruisent avec bien plus d’exactitude de tout le détail des Combats, des prises des Places, & des belles actions de nos Braves, que dans les Nouvelles particulieres. Ceux qui se plaisent à la Poësie, y rencontrent dequoy s’occuper agreablement. Ceux qui sont pour la Galanterie, se divertissent à la lecture de vos jolies Nouvelles. Ceux qui ont la Voix belle, & qui sçavent la Musique, chantent avec plaisir vos Chansons. Enfin ceux qui veulent attacher leurs esprits, s’empressent à vouloir tirer les Enigmes de l’obscurité dont elles sont entourées ; mais si on est quelquefois assez heureux pour en découvrir le vray Mot, ce n’est pas le plus souvent sans avoir passé de mauvaises heures, & mesme quelque nuit sans dormir. Si je juge des autres par moy-mesme, les Enigmes du Mois de May doivent voir causé de l’embarras à bien des Gens ; mais il peut arriver que ce qui m’a semblé bien difficile, aura paru fort aisé aux autres. Quoy qu’il en soit, Monsieur, apres y avoir bien songé, j’ay trouvé que la Fluste pouvoit bien estre le Mot de la premiere, & que le Jour avoit du raport avec la seconde. Je suis vostre, &c.

Lettre VIII §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 122-129.

Lettre VIII.

À Flamenville,

Pays de Caux.

CE n’est pas merveille, Monsieur, que vostre Mercure fasse tant de bruit dans presque toutes les Provinces de l’Europe ; il y a dans tous les Païs étrangers une infinité de Personnes qui cherchent à s’instruire, sans s’éloigner de leur foyer ; mais il y a lieu d’estre étonné que vos Livre ayent passé mesme jusques dans les Villages de ce florissant Etat. Les diférens Volumes que vous nous donnez n’ont pas le mesme sort que les Ouvrages de nos Sçavans ; ils sont au goust & à l’usage de tout le monde, & à peine sont-ils tirez de dessous la Presse, qu’ils sont portez dans tous les coins du Royaume pour donner avis aux plus retirez de ce qui se passe dans ce vaste Corps. Nous autres Provinciaux qui autrefois estions plus particulierement instruits des avantures du Japon ou de l’Amerique, que de ce qui se passoit dans le lieu où nous avons pris naissance, nous vous sommes plus particulierement obligez que les autres, & bien que nous soyons des derniers à vous remercier de vos soins, il faut cependant juger de nos ressentimens suivant le plaisir que chacun trouve à lire toutes les charmantes Pieces dont vous nous faites part. Pour moy, Monsieur, qui me suis senty infiniment vostre redevable dés le premier moment que je les ay leuës, j’ay aussi cherché tous les moyens de vous en marquer ma reconnoissance. Il est vray que mes travaux ont esté infructueux lors que j’ay tâché de vous faire une belle Lettre : aussi nestîl pas aisé de venir à bout d’un pareil Ouvrage. Il faut dire mille belles choses en peu de mots, & les dire d’une maniere qui divertisse agreablement l’esprit, sans qu’on s’éloigne pourtant de ce caractere aisé qui fait seul les belles Lettres. Il faut sur tout que la politesse de la Langue, qui n’est pas le moindre ornement des Ouvrages de nos jours, y paroisse dans tout son lustre. Apres cela, Monsieur, vous ne sçauriez raisonnablement vous dispenser de rendre justice à ma négligence ; & de bonne-foy j’aurois absolument pris le party de me taire, si je n’avois crû qu’il estoit moins honteux à un honneste Homme d’estre reconnoissant, au hazard de faire connoistre son peu de merite, que d’estre ingrat par son trop de discretion. Souvenez-vous au moins, je vous prie, que cette Lettre vient d’une des extrémitez de la France, où les Sciences ne se connoissent quasi point. C’est pour cela que toutes les autres Provinces ont travaillé avec succés à l’embellissement de vos Livres, pendant qu’elle seule s’est donnée toute entiere à les admirer. À vous parler franchement, Monsieur, elle est un peu trop soigneuse de sa réputation, pour se vouloir exposer mal à propos. Nous attendons à nous glisser parmy les autres Sçavans, que nos soins nous ayent rendu assez hardis pour oser vous écrire, ou pour mieux dire que nous ayons acquis quelque lumiere aux espens des autres. Vous voyez que nous sommes de fins Normands, & que nous prenons bien nos mesures : aussi n’est-il permis de n’en point prendre qu’à ceux qui ont une parfaite connoissance de leurs forces ; & ceux-là, à mon sens, méritent bien d’estre joüez, qui sans avoir fait aucun apprentissage, s’érigent en Sçavans, & sont assez effrontez pour oser esperer la mesme fortune que les plumes les plus délicates. Nous tâcherons d’éviter ces sortes d’emportemens, & pour moy je vay profiter agreablement des instructions qu’on nous donne dans vostre Extraordinaire que je viens de recevoir : au moins si je suis assez heureux que de réüssir en quelque chose, ce sera par vostre seul moyen, & par un pur effet de vos soins. Il se passa quelquefois de plaisantes Avantures sur le bord de nos Mers, & mesme dans cette petite Province d’où je vous écris ; & bien que le hazard qui se mesle presque de toutes choses, leur donne naissance, & en conduise les intrigues, je vous jure qu’il fait quelquefois plus que les efforts de l’Esprit qui se donne tout entier à l’embellissement de beaucoup d’autres. Je pouray, Monsieur, vous donner le détail de quelques unes dans la suite. Je finis cependant cette Lettre qui m’a tant donné d’embarras, & il ne faut pas s’en étonner, puis qu’elle doit tomber sous vostre examen.

Le Berger sans Moutons.

On dit icy que l’Amour est le sens de la premiere Enigme du Mercure d’Avril, & que la Canne est celuy de la derniere. On se peut tromper en cela, & ce Païs-cy n’est pas celuy de Normandie, qu’on croit tout plein de Sorciers.

Lettre IX. Le Galant Pelerinage §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 130-140.Enigme, solution de l'énigme et lettre à propos de cette énigme dans Mercure

Lettre IX.

Le Galant Pelerinage.

                Nous sommes trois jeunes Bergeres,
                Toutes trois charmantes & fieres,
Dans les Prez de Limiel nous menons nos Moutons,
Les Echos de Cachamp redisent nos Chansons
                Quelquefois à l’ombre d’un Chesne
        Nous entendons sans nous en mettre en peine
                Nos Bergers soûpirer d’amour.
Cependant, il le faut avoüer, l’autre jour
Le Mercure Galant dans nostre Solitude
                Nous donna de l’inquietude.

Nous nous piquons de bel Esprit, Monsieur, & les Enigmes si bien tournées dont vous diversifiez vostre Ouvrage, privent nostre esprit de la tranquilité que les soûpirs de nos Bergers n’ont pû encor bannir de nostre cœur.

Chacune de nous trois desirant la premiere
    En déveloper le mistere,
Nous allâmes au Bois avant le point du jour,
Nous dérober aux yeux des Bergers d’alentour.

Mais ce fut bien inutilement ; nostre marche ne pût estre si secrete, que des Bergers que l’Amour rendoit vigilans n’en eussent vent. Nous avions passé prés d’une demy-heure dans une tres-profonde rêverie, tres-mal satisfaites de nous-mesmes, quand nous entendîmes à quelques pas de nous un Concert de Flustes douces qui nous auroit parut tres-agreable, s’il n’eust point troublé nostre silence. Nostre Aînée qui se faisoit un point-d’honneur de deviner la premiere Enigme où elle s’estoit particulierement attachée, n’en fut nullement interrompuë ; son esprit au contraire ranimé par la gayeté de ces Instrumens, crût faire une juste application de ce qu’elle entendoit, avec ce qu’elle lisoit.

Falloit-il tant resver, s’écria cette Belle ?
Une Flute pour moy, c’est donc chose nouvelle ?
    Ne voyons-nous pas des Roseaux,
Tantost pres des Marais, tantost pres des Ruisseaux ?
Comme un Cameleon dont la froide nature
Se contente de vent pour toute nourriture,
        L’air ne sert-il pas d’aliment
        À cet agreable Instrument,
        Qui par sa douceur sans pareille,
En fermant tour à tour quelques-uns de ses yeux,
    Nous charme beaucoup mieux
Qu’une bouche en s’ouvrant ne flate nostre oreille ?

Elle nous vint joindre en mesme temps ; mais d’aussi loin que nous la vîmes, nous luy criâmes plusieurs fois ce qu’elle se faisoit un plaisir de nous dire. Les Bergers qui nous virent fort gayes, se hazarderent à nous aborder, s’imaginant devoir estre mieux reçeus de nous qu’ils n’avoient accoûtumé de l’estre. Aussi ne se tromperent-ils pas. La Bergere Catin nostre aînée, parla la premiere à son Amant, & luy dit qu’elle mettroit fin à sa peine, si par le mot de la Fluste elle avoit trouvé le véritable sens de l’Enigme qui l’avoit tant fait rêver, parce qu’elle luy en auroit toute l’obligation. Voyez, Monsieur, le pouvoir de vostre Mercure qui s’étend sur les cœurs. Mirtil (c’est le nom de son Berger) la conjura de luy éclaircir ce mystere. Il fut le plus satisfait de tous les Hommes, quand il vit les applaudissemens que les autres Bergers donnoient à sa Maistresse touchant l’Explication de l’Enigme ; & la joye dont il transporté luy donnant de la hardiesse, il remontra à la belle Catin que le temps de recevoir des nouvelles du Mercure Galant estoit trop long, & qu’elle pouvoit le rendre heureux plutost sans rien hazarder. Les autres Bergers qui croyoient par là avancer leurs affaires, meslerent leurs preires aux siennes pour obtenir de la charmante Catin un consentement qu’elle ne crût pas luy pouvoir refuser en conscience apres tant de témoignages d’amour. Nous sortîmes du Bois, & l’on peut dire qu’il n’y eut jamais tant de galanterie dans un Lieu aussi sauvage que celuy que nous avosn choisy. Mirtil en reconduisant la belle Catin, luy proposa d’aller prendre un Repas le soir mesme dans une Grote à Montreüil qui appartenoit à un de ses Parens. Elle eust de la peine à y consentir, mais sa Sœur la Bergere Margoton qui aime ces sortes de Parties, acheva de la résoudre. Le Berger Mirtil qui sçait son monde, ne trouva pas à propos de me laisser seule dans mon Village avec mon Troupeau & mon Chien, outre que la chose me touchoit assez, puis que la Bergere Catin est ma Parente, & que c’estoit elle qu’il avoit dessein de régaler. Aussi m’en pria-t-il ; & je pouray, Monsieur, vous donner une fidelle Relation de cette feste. Le mot de Cadeau, de Feste, & autres semblables, déplûrent à la belle Catin, Bergere fort scrupuleuse en amour. Il falut user du terme de Pelerinage, qui luy sembloit plus doux. Pour cette raison, elle fit graversa Houelte comme celle de osn Berger qui avoit la forme d’une Coquille, & voulut que tous les Bergers & Bergeres de la Compagnie en usassent ainsi. Quand la grande chaleur du jour fut passée, nous nous mîmes en chemin, parées de Guirlandes faites de Fleurs nouvellement cüeillies. Nous arrivâmes enfin à Montreüil. On entra dans la Grotte, on l’admira, & pour ocntinuer le Pelerinage jusqu’au bout, on en détacha quelques Coquilles dont on se servit pour verser à boire pendant le Repas, qui fut sans contredit au dessus de la des Bergers ordinaires. Pour comble de divertissement, trois gros rejoüis de Bergers bien moins sensibles à l’amour qu’aux faveurs de Bacchus, se distinguerent fort plaisamment par des Couronnes de feûilles de Vignes ; de sorte que la douceur des Partisans de l’Amour, & la confusion que causoient ceux de Bacchus, faisoient un si agreable mélange, que les uns & les autres estoient pleinement satisfaits. Il n’y eut que la Bergere Margoton qui ne pût s’empescher d’accuser ces gros Bergers couronnez de peu de complaisance ; mais ses plaintes, quoy qu’elle soit toute charmante, ne faisoient aucun effet sur des Gens qui ne considéroient ses charmes que par le trou d’une Bouteille. L’un d’eux, mesme offencé de la liberté qu’elle prenoit de faire le Procés à Bacchus dans la personne de ses Partisans, l’honora du nom de Lieutenant Criminel, & par vengeance ils commencerent tout de nouveau à boire à sa santé sous ce nouveau titre. Quand ils eurent cessé d’abreuver leurs Coquilles d’une liqueur bien diférente de celle où elles avoient pris naissance, nous fismes quelques tours de promenade, pendant laquelle nos deux Amants prirent jour pour se rendre heureux par un Mariage proposé déja depuis quelque temps.

Quant à moy, Monsieur, j’ay pris le party de me divertir de tout, & n’ay rien négligé de ce qui pouvoit contribuer à vostre satisfaction, estant plus parfaitement à vous que je ne connois point, qu’à bien des Gens que je connois fort, très-humble Servante,

La Bergere Manete.

Lettre X §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 140-149.

Lettre X.

À Rheims.

JE partage d’autant plus, Monsieur, l’obligation que nostre Ville vous a d’avoir publié nostre Monument comme vous avez fait, que le soin qu’on m’a donné de le faire graver, & d’en faire sçavoir mon sentiment, m’oblige d’avoir de la reconnoissance pour ceux qui s’intéressent à le faire valoir. Et comme je voy que vous en pouvez parler encor dans vostre premier Volume, quoy que je sois persuadé que vous estes pelienment instruit de tout ce qui se peut dire là-dessus, j’ay crû que vous voudriez bien me permettre de vous proposer quelques refléxions que j’ay faites, dont vous vous servirez autant que vous le jugerez à propos.

Il n’est pas si seûr que cet Arc de Triomphe soit de Jules césar, quoy qu’en die Mr Bergier, qu’on ne puisse avoir raison d’en douter. On ne voit point de Bâtiment de cet Empereur mesme dans Rome ; les Arcs de Triomphe n’estoient point encor communs alors, ils n’avoient pas mesme de nom en Latin. C’est pourtant une coûtume triviale & vulgaire d’attribuer à Jules César une partie des antiquitez de Provinces, parce que c’est le Peuple qui est auteur de cela, plutost que les habiles Gens. Des là vient qu’on entend autre chose par tout que Camp de César, Chemin de César, Palais de César, & peut-estre ne se trompe-t-on pas à prendre le nom de César en general pour Empereur Romain, pusi qu’ils se sont tous appellez Césars. Mais si l’on considere nostre Architecture, pour peu qu’on s’y entende, on demeurera d’accord qu’elle n’est pas du goust des premiers temps de l’Empire Romain. C’est sur quoy il n’y a point de difficulté. Elle n’est pas aussi de la mauvaise manire des bas-temps ; & si l’on veut se donner la peine de rechercher qui des Empereurs l’auroit pu faire construire, je ne croy pas qu’on en trouve d’autres que Julien. Il est le seul des Empereurs de son siecle qui ait passé par Rheims, apres avoir obtenu des Victoires considérables sur les Peuples de Germanie, qui sont les Allemans. L’historie de ses Conquestes est dans Ammian Marcellin. Il fit un accord avec eux, puis retourna par nostre Ville, pour s’aller faire déclarer Empereur à Paris 361. an apres la venuë de Nostre Seigneur, & 1112. apres la fondation de rome. L’Architecture de nostre Monument paroit estre de ce temps-là ; on y voit des Trophées dont les armes sont toutes semblables à celles des anciens Peuples de Germanie, qui sont tres-connuës par les Medailles de Drusus Pere de Germanicus, de Marc-Aurele, & d’autres. On y voit les Caducées qui marquent la Paix. Tout cela convient parfaitement à Julien, qui voyant le Grand-chemin de l’Empire qui passoit par Rheims, le mérite de la Ville, l’honneur que Jules César avoit fait aux Rhémois de leur donner le premier rang apres ceux d’Autun, & mesme sur ceux-cy, qui ne pûrent conserver cet avantage, come César le dit luy-mesme dans le sixiéme de ses Cmmentaires. Julien, dis-je, ayant consideré tout cela, & l’inviolable fidelité de nos Peuples, auroit choisy nostre Ville pour y faire ériger un Monument eternel à sa gloire.

Vous pouriez dire icy quelque chose de Julien, & le vanger de la mauvaise réputation qu’on luy a donnée. Il estoit petit, mais il avoit bonne mine. Il s’avisa de se laisser croître la barbe, & cela donna lieu à ceux d’Antioche, Peuple moqueur & abandonné au luxe, de le railler ; à quoy il ne répondit que par une autre raillerie qui se voit parmy ses Ouvrages, & que la force du mot Grec rend si difficile à traduire en nostre Langue. On disoit que de corps & d’esprit il ressembloit à Titus, qu’on appelloit les delices du Genre humain ; on adjoûtoit à cela qu’il avoit la valeur de Trajan, & la modération de Marc-Aurele.

Les Guerres qu’il eut en Allemagne furent contre ceux de Francfort. Il défit leurs Troupes avec le peu de Gens qu’il avoit, & fit prisonnier leur Roy Chronodomarius. Il défit aussi Badomarius Roy des Allemans. Tout cela méritoit bien un Arc de Triomphe, en un lieu qui ne fust pas trop éloigné de l’Allemagne, qui fust un grand passage, & qui fust assez pres de Paris, où il s’alloit faire déclarer Empereur.

Vous pouvez dire quelque chose des Figures de Victoires qui sont aux quatre coins de la Voûte de Romulus parmy les Trophées. Elles gravent les hauts faits de l’Empereur, afin que la memoire en soit eternelle. Elles sont aîlées, pour marquer la promptitude des Conquestes, & la vîtesse avec laquelle le bruit s’en est répandu dans le monde. On ne mettoit pas toûjours des aîles à la Victoire ; elle estoit adorée sans-aîles dans Athenes. Les Romains mesme l’ont quelque fois figurée sans aîles, prétendant l’arrester chez eux par ce moyen. Il y auroit quelque chose de galant à dire sur ce qu’on luy a donné le personnage de Femme, aussi-bien qu’à la Renommée, & à la Félicité de l’Empire, qui est aussi exprimée par une Femme dans la Voûte des Saisons. Remarquez les quatre Enfants qui désignent les quatre Saisons de l’année. Celuy qui tient un Panier de Fleurs, est le Printemps ; L’Eté tient une Faucille ; L’Automne a un Panier de Fruits ; L’Hyver seul est habillé, & porte un Fleau. Les Medailles luy donnent aussi un Livre, parce que c’est la saison la plus propre pour la Chasse. Mais voicy déja trop de choses pour une fois. Je les ay ramassées avec confusion, & selon qu’elles me sont venuës à l’esprit, estant assuré que si vous jugez à propos de vous en servir, vous les sçaurez bien mettre en leur place. Pour moy j’ay mieux aimé vous faire une Lettre moins reguliere, que de diférer à vous remercier, & à vous donner ces avis, moins pour faire valoir mes pensées, que pour vous donner des marques de mon estime, & du desir que j’ay d’estre vostre, &c.

Rainssant , Docteur &

Professeur en Medecine,

& Cons. De Rheims.

Lettre XI §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 150-156.

Lettre XI.

IL semble, monsieur, que dans vostre Préface de l’Extraordinaire vous avez fait dessein de surprendre nostre modestie par toutes les loüanges que vous luy donnez ; mais quelque douce que soit la tentation, nous voulons bien, quoy qu’en confirmant ce que vous avez dit à nostre avantage, vous assurer qu’estant trop persuadez de ce que nous sommes à l’égard de Paris nostre grande & commune Maistresse, nous ne pouvons tirer gloire du peu que nous valons, au moins moy en mon particulier. Ainsi laissant à part ce que vous dites d’obligeant pour nous, je vous avoüeray librement que la quatriéme Lettre ne me semble pas définir fort juste la nature de l’Enigme, en concluant qu’elle doit ne pouvoir estre expliquée qu’avec peine ; car pour moy, ou d’abord ma premiere idée m’en fournit le Mot, ou il m’est en suite impossible de le trouver. Vous le croirez aisément, sivous vous souvenez que depuis que je m’en suis meslée, je n’ay réüssy qu’aux premieres, comme si je m’y estois entierement épuisée. La raison que j’ay à vous en donner me paroist assez recevable. Celuy qui veut trouver le veritable sens d’une Enigme, doit avoir l’esprit libre à la lecture & à l’examen de toutes les parties qui la composent, pour estre en état de la concevoir autant qu’il le faut, & il est certain qu’on ne le peut avoir plus libre qu’avant qu’on y ait resvé, puis que la resverie n’est qu’une confusion de diférentes pensées qui ne fait qu’embarasser, au lieu d’éclaircir. Quoy que prouve ce raisonnement, je ne prétens pas qu’il diminuë rien de l’estime qui est deuë aux huit Lettres qui traitent de la nature de l’Enigme. Elles sont si sçavantes & si spirituelles, que je me feray toûjours gloire de les admirer, pourveu qu’elles me laissent la liberté d’expliquer comme je puis vostre Histoire Enigmatique, qui ne parle que du dessein de Mr Riquet, & de la grande entreprise du Canal de Narbonne pour la communication des deux Mers. Voila ce mystérieux Mariage de Parties du mesme Sexe, duquel il ne poura naistre une troisiéme Mer, & dont neantmoins on attend une grande fécondité. On sçait que le Détroit de Gibraltar est leur premier Mariage. On sçait la régularité de l’inconstance de celle qui semble la Mere de l’autre, qui ne remuë pas tant. Personne n’ignore qu’il seroit dangereux pour l’Egypte, mais profitable à tout le reste du monde, de couper ce qui sépare la Mediterrannée de la Mer rouge, & que la jonction qui est aisée de la Mer de Sala & de la Magiore par les Fleuves Tanais & Volga, donneroit à la Mediterrannée les Richesses de toute l’Asie. Nous pouvons encor aisément nous souvenir d’un pareil Mariage en France, autant que la jonction de la Seine & de la Loire par le Canal de Briare peut estre comparée à celle des deux Mers : Et qui ne sçait que si ce grand Mariage se sait, ce ne sera qu’apres de fort grands travaux ? Je finirois volontiers, si je n’avois à décider vostre Question, laquelle, suposé (comme il l’est) qu’on soit persuadé de l’infidelité d’une Maistresse malgré ses fausses caresses, peut moins donner de peine à résoudre, que de douleur à un Amant qui se trouveroit dans cette peine. Une infidelité déclarée, & une infidelité dissimulée, estant toûjours infidelité pour luy, il luy est beaucoup plus cruel de reconnoistre que sa Maistresse s’étudie à luy cacher sa perfidie, que non pas de souffrir une infidelité déclarée. Tout le ménagement qu’elle apporte, aigrit plutost son mal, qu’il ne l’adoucit, puis que ce ménagement dégenere en trahison ; & que si apres une infidelité il peut rester quelque espoir, c’est plutôst apres une infidelité declarée avec franchise, qu’apres une lâche tromperie. Cependant tres-malheureux qui s’y trouvera pris d’une ou d’autre maniere. Il faut que la pluralité de voix l’emporte sur une chose si problématique, ou plutost je m’en veux bien remettre à vostre discernement, & vous avoüer en mesme temps que je suis trop prompte pour pouvoir déchiffrer la Lettre en Figures. Vous connoissez le besoin que nous avions de vostre Extraordinaire pour les Modes, & cela seul, sans que je vous en témoigne rien, poura vous faire assez juger quelles obligations vous ont toutes les Provinces, & particulierement

La Ville de Ham.

Lettre XII §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 157-159.

Lettre XII.

À Lyon.

VOus allez estre surpris, Monsieur, & encore plus l’Ecole de Medecine, quand je vous auray dit que vostre dernier Mercure Galant guérit les Infirmes, & rend la santé aux Malades. Quand on me l’a apporté, il y avoit trois semaines que je n’estois sensible qu’aux maux & aux chagrins ; & depuis que j’en ay fait la lecture, j’ay commencé à l’estre au plaisir, & à me porter beaucoup mieux, graces à tous les diférens agrémens que vous y sçavez si bien mesler avec vostre adresse ordinaire. Je suis assuré qu’on ne s’estoit pas encor avisé de loüer vostre Mercure par cet endroit, & que vous-mesme qui l’instruisez, & qui le faites ce qu’il est, vous ne sçaviez pas, ny toute l’Antiquité aussi, qu’il fust aussi grand Docteur en Medecine qu’Apollon. Jugez de ce qu’il peut faire à l’avenir, si vous continuez à luy donner vos soins. Il ne faut pas douter qu’l ne fasse de plus grandes merveilles. Cependant faites en sortes, je vous prie, qu’il nous apprenne par quelles raisons on a voulu que l’Enigme de Marsye signifiait à mesme temps, une Vigne, la Goute, un Luth, un Fagot, un Baston de Cire d’Espagne, un Echo, une Trompete Marine, la Ville de Gand, & les Victoires du Roy. Les raisons qui ont fait prendre des chemins si diférens & si écartez, pour aller au mesme but, doivent assurément estre curieuses. Ne refusez pas au Public ce que vous demande avec le dernier empressement, vostre, &c.

Bouchet.

Lettre XIII §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 159-163.

Lettre XIII.

À Bourges.

LE plaisir de lire les Ouvrages galans que vous donnez tous les Mois au Public, est trop considérable pour pouvoir estre negligé d’aucune Province : Aussi, Monsieur, puis-je bien avoüer, apres les avoir tous lûs jusqu’à present, qu’il n’y a point d’endroit de la France si éloigné, qui n’ait contribué à faire connoistre le génie & le caractere galant de son Païs. Les uns nous ont fait voir avec admiration ce que la Terre avoit reservé pendant plusieurs siecles à la gloire du plus grand de tous ses Monarques. Les autres nous ont chanté ses Victoires ; d’autres nous ont publié les qualitez surprenantes du jeune Héros dont le Nom honore si fort vostre Ouvrage. Les autres ont sçeu nous décrire agreablement une Intrigue ; & les autres enfin se sont exercez à inventer & à deviner des Enigmes. Toutes ces marques d’esprit ne me font que trop voir les obligations que toute la France vous a de luy découvrir tant de Personnes qui demeuroient souvent dans la poussiere, & dont les Ouvrages, quoy que beaux, ne sortoient pas de la Province. Vous avez sçeu, Monsieur, les tirer de cet oubly par vos soins. Nostre Sexe ne vous est pas moins redevable de la peine que vous prenez en sa faveur de luy faire sçavoir les nouvelles Modes, & tout ce qui peut contribuer le plus à son embellissement. Vous estes trop sçavant dans l’art de plaire aux Belles, pour manquer de leur apprendre une chose dont elles sont si soigneuses, sur tout en ce Païs où elles tâchent de faire voir par leur politesse qu’elles ne sont pas fort éloignées du commerce du beau monde. C’est ce que vous a pû apprendre l’illustre Abbé qui fournit quelquefois de matiere à vos Ouvrages. Je ne doute point que l’applaudissement qu’il reçoit de la part qu’il a au Belissaire ne vous oblige à le faire connoistre plus particulierement. Ne vous étonnez pas, Monsieur, que je loüe si hautement un Compatriote qui fait honneur à une Ville aussi considérable qu’est la nostre, qui a toûjours fourny des grands Hommes pour leurs Sciences. Il est vray qu’il y est plus obligé qu’un autre, sortant du sang d’une de ses lumieres. C’est la mesme raison qui me donne la liberté, en vous envoyant l’Explication des Enigmes de ce Mois, de vous assurer que je suis vostre, &c.

G. A. P. de la Coudre.

Lettre XIV §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 163-165.

Lettre XIV.

À la Rochelle.

UN remercîment du plaisir & de l’utilité qu’on reçoit également de vos Ouvrages, n’est pas une chose fort ragoûtante pour vous. Je croy que vous en estes accablé, & que dans cette multitude le plus beau ne laisse pas de vous importuner un peu. Aussi, Monsieur, je vous épargneray la peine de lire ce que bien des Gens voudroient que vous apprissiez pour marque de leur reconnoissance. Comme je vous crois plus sensible aux avantures qui arrivent à vos Ouvrages (car enfin ce sont vos Enfans & des Enfans dignes de n’estre pas desavoüez) je veux vous apprendre que ne se contentant pas de courir toute la Terre, ils ont entrepris des Voyages sur Mer. Quatorze de compagnie s’embarquerent il n’y a que huit jours pour les Isles de l’Amérique, & quatre pour le Canada, autant pour la Cayenne, & autant pour le Portugal. C’est moy qui leur ay fait entreprendre ce Voyage, & qui les ay assurez qu’ils seroient bien reçeus. S’il leur arrive quelque chose de particulier dans ces Voyages, je vous le feray sçavoir. Un de mes Amis m’a dit que le Voyage du Mercure Galant à l’Amérique seroit un beau sujet pour une Piece de Vers, & qu’il y penseroit.

L’Abbé d’Arteval.

Lettre XV §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 165-170.

Lettre XV.

QUe chacun explique à sa mode l’Historie Enigmatique de vostre Mercure Extraordinaire. Pour moy, Monsieur, qui veux ménager vostre temps, je soûtiens en mon pâtois Picart, qu’elle n’est rien autre chose que l’entreprise qui s’est faite depuis quelques années dans le Languedoc, pour joindre ensemble les deux Mers. Ceux du Païs en pouront parler plus juste, que celle qui en est éloignée de plus de deux cens lieuës, & voicy en peu de mots comme je l’explique.

Les interests du Commerce ont formé ce grand dessein. L’Occean par sa vaste étenduë peut passer pour la Mere de la Mediteranée, quoy que toutes deux elles ayent esté creées avec le monde ; leur fierté paroist dans les flots que les vents y élevent ; la tempeste y fait périr des Armées entieres, & détruit plus d’Hommes en une heure, que le Canon n’en fait mourir en plusieurs Sieges. La Mediterranée est la plus tranquille, le flux & le reflux de l’Occean qui fait son mouvement continuel & journalier est un secret si caché, que personne n’en a pû jusqu’à present découvrir la cause. Ces deux Mers sont déja jointes ensemble par le Détroit de Cadix, & elles le sont elles-mesmes en particulier à d’autres, dont le Détail seroit long. Elles possedent chacune dans leur sein, leurs Rivages & leurs Isles, des Richesses, & se peuvent aisément passer d’un secours mutuel. Il n’y a rien de plus froid ny de plus insensible que l’eau. On ne peut se persuader que l’Occean & la Mediterranée puissent ensemble former une nouvelle Mer au pied des Pyrennées du meslange de leurs eauës : mais ce grand ouvrage ne laissera pas d’apporter une grande abondance & un profit considérable aux Provinces voisines. Cette union ne se peut faire que par l’union de plusieurs petits Ruisseaux, qui tombans de la montagne noire joignent ensemble leurs eauës par une Rigole qui les conduit en un mesme endroit pour les distribuer d’un côté & d’autre, car les deux Mers sont si éloignées, que l’on ne peut sans ce secours les faire approcher plus prés que de soixante lieuës. Ce qu’elles portent, change de noms suivant la diversité des Peuples. L’on sçait les difficultez que Mr Ricquet, Entrepreneur de ce dessein, a trouvées d’abord par l’impossibilité de la chose, puis qu’il a esté plus heureux que les Romains, que l’Histoire rapporte avoir tenté le mesme ouvrage ; que les Egyptiens qui ont voulu joindre la Mer Rouge à la Mediterranée ; & que les Lacédomoniens qui s’estoient efforcez de separer leur Païs d’avec le reste de la Grece, par la rupture de l’Istme de Corinte. Le Mariage dont il est parlé, est la jonction qui s’est faite de la Loire & de la Seine par le Canal de Briare, laquelle quoy que de moindre considération, a eu ses difficultez, & sa perfection. Le lieu de sûreté étably pour la communication est le grand Bassin de Navrouse, situé entre Toulouse & Narbonne, qui reçoit les eauës, les distribuë, & est le point de division. Le dessein n’est pas entierement achevé, & les deux Mers ne s’en tourmentent pas davantage. Elles s’en reposent sur le soin de leurs Médiateurs. En voila assez pour un coup d’essay, & pour vous faire connoistre, Monsieur, que le Mercure a icy des Gens qui en font autant d’estime que pas une Ville du Royaume.

La Ville de Beauvais.

Lettre XVI §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 171-177.

Lettre XVI.

À Mons en Hainaut.

VOus nous demandez nôtre estime, Monsieur ; nous vous la promettons, mais il est inutile de vous témoigner l’empressement dans lequel nu sommes de vous voir, puis que nous ne sommes pas en état d’éxecuter les résolutions que nous pourrions faire pour contenter nostre envie. Vous prenez trop l’interest de nostre Sexe pour ne le pas engager dans les vôtres ; & l’estime que vous en faites si publiquement, autorise encor la justice que luy a rendu l’Auteur de l’Egalité des deux Sexes qui a esté critiqué mal à propos. Cecy est un peu libre, Monsieur pour des Dames qui ne se sont pas encor donné l’honneur de vous écrire, ny de qui peut-estre vous n’avez pas encor oüy parler en France, où les Chanoinesses sont plus rares qu’en ce Païs-cy. Nous ne nous serions pas si facilement fait connoistre à vous, si la civilité avec laquelle vous traitez les Etrangers, n’avoit donné place dans vostre Extraordinaire de Janvier à trois Lettres qu’un Courtisan de Bruxelles vous avoit écrites. Nous ne résidions pas si fort à Mons, que nous n’en sortions quelquefois pour aller à la Cour de Bruxelles, avec laquelle nous entretenons une grande correspondance par les avantages que nostre naissance nous y a donnez ; outre que le rang que nous tenons dans l’Eglise, ne nous fait rien perdre de celuy que nostre qualité nous a acquis dans le monde. Nous sommes Dames sans Maris, & quoy que nous soyons sous un Chef qui a engagé sa liberté, nous conservons toûjours la nôtre sans estre susceptibles d’aucun reproche. C’est à la verité un de nos plus beaux appanages, & vous jugez bien de là, Monsieur, que de quelque Nation que nous soyons ; nous sommes tres-capables non seulement de contribuer au debit de vostre Mercure, mais aussi de le favoriser de nostre protection dans les Païs. Etrangers par l’estime que nous en prétendons faire. Nosu l’entreprenons d’autant plus volontiers, que nous sommes persuadées que la gravité Espagnole, la franchise Allemande, & la sincerité Flamande, ne se rebutent point de la gentillesse & de la politesse de vôtre France. Nous doutons mesme si les Esprits qui n’ont ny sexe, ny âge, ny condition, changent d’espece chez les Nations. Jugez-en, Monsieur, par l’explication que nous donnons à vôtre Histoire Enigmatique, que nous croyons estre la jonction de la Mer Occeane avec la Mediterranée. La France y est intéressée pour plusieurs raisons ; c’est pourquoi elle en a formé le projet. L’on sçait assez qu’elles sont d’un mesme sexe, & d’un mesme âge : que l’Océan pourroit mesme passer pour Mere de la Mediterranée, que la mort des hommes ne leur coûte rien dans leurs tempestes, & que l’esprit de l’Homme n’a pas encor pû connoistre la cause du flux & du reflux de l’Ocean. Le Détroit de Gibraltar est leur premier Mariage ou leur premiere Jonction, qui a pû estre faite par un Arabe, & elles s’interessent fort peu à contracter une seconde union. Enfin, Monsieur, nous pacourerions facilement tout vostre Histoire, si un Flageolet dont on joüe agreablement à nostre porte, ne nous interrompoit pour nous dire qu’il est celuy que vous dites estre né dans les Forests, tantost prés des Ruisseaux, tantost prés des Marais. Il ne nous charme effectivement qu’en fermant la pluspart de ses yeux. Vous nous ferez donc la grace de nous apprendre le veritable sens de ces deux Enigmes. La troisiéme de nous donne pas assez de lumiere pour nous convaincre, qu’elle est le Jour même. Quelque apparence de jour qu’elle ait, nous déclarons néantmoins autant pour le Soleil que pour le Jour. Il y a grande dispute entre nous sur cette enigme. Le plus fort party se déclare pour le dernier Mot, et sept autres pour le premier. Prononcez, Monsieur, & nous croyez-vos tres-humbles servantes,

Les Dames de Mons.

Lettre XVII §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 177-182.

Lettre XVII.

À Troyes.

VOstre Mercure produit tous les jours des effets extraordinaires & surprenans, & je croy, Monsieur, que quelques soins que l’on prenne de vous en instruire, vous n’en sçavez qu’une tres-petite partie. Entre les plus considerables qu’il ait esté capable de faire naistre jusqu’à present, celuy que je me suis chargé de vous apprendre, doit ce me semble tenir un des premiers rangs. En effet, Monsieur, donner lieu à la naissance d’une Académie, est une chose qui n’est pas commune. Ce mot d’Académie vous surprendra sans-doute, car je ne croy pas que vous ayez encor appris qu’il y en a une en cette Ville qui porte le titre d’Académie de Beaux Esprits de la Ruë de la Monnoye. Elle vous est redevable de ce qu’elle est, & je suis chargé de vous témoigner en son nom sa reconnoissance. Plusieurs Personnes de l’un & de l’autre Sexe, d’un esprit fin & délicat, s’assembloient depuis longtemps chez une belle Dame dont le mérite attire chez elle tout ce qu’il y a d’honnestes Gens en cette Ville. Le jeu, les promenades, & les autres divertissemens qui soûtiennent les bonnes Compagnies, ont entretenu celle-cy pendant plusieurs années dans une union qui a peu d’exemples. Mais comme toutes les Personnes qui forment cet Illustre Corps, estoient capables de s’occuper à quelque chose de plus solide & de plus sérieux, elles ont quitté insensiblement ces amusemens steriles pour s’apliquer aux belles Lettres & à l’examen des Ouvrages d’esprit que vous leur donnez dans vostre Mercure. Il est attendu tous les Mois avec impatience, & on le lit publiquement dans l’Assemblée. Il seroit inutile, Monsieur, de faire icy l’éloge de toutes les Pieces dont vous avez composé le dernier Volume ; nostre Académie se contente de vous dire aujourd’huy qu’elle les admire avec tout le reste de la France. J’ay ordre de vous faire sçavoir ce qu’elle a pensé des deux Enigmes que vous proposez dans le Mois de May. Elle croit que la premiere est la Fluste, dont elle a fait une application tres juste. Elle a seulement jugé d’abord que le mot d’yeux estoit impropre pour cet Instrument, & plusieurs eussent mieux aimé que l’on se fust servy de celuy de bouches, parce qu’à proprement parler, la Fluste se fait entendre, & ne voit pas. Mais une Belle de la Compagnie, aussi habile dans le langage des yeux, que dans celuy de la parole, nous tira sur le champ de la difficulté qui nous arrestoit, & nous fit demeurer d’accord que la Fluste n’est pas la seule chose dont les yeux se fassent entendre. Nostre propre expérience nous auroit convaincus sans peine, car il est vray qu’il en est peu parmy nous qui ne se soient servis de ce langage pour exprimer à cette charmante Personne ce que son mérite joint à un enjouëment extraordinaire, peut inspirer. Pour la seconde de vos Enigmes, le sentiment general a esté que ce ne pouvoit estre autre chose que le Soleil. Voila, Monsieur, ce que nostre Académie m’a ordonné de vous mander, comme à celuy qui l’a fait naistre. Tout le Corps a une estime toute particuliere pour vous. Ceux qui le composent vous témoigneroient dans les occasions beaucoup de zele pour vostre service, & je me trouve en mon particulier tres-glorieux d’avoir eu la commission de vous mander leurs sentimens, puis qu’elle me donne l’occasion de vous assurer que je suis vostre, &c.

De Villeprouvee de Normé,

Secretaire de l’Académie des

Beaux Esprits de la Ruë de la

Monnoye.

Lettre XVIII §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 183-186.

Lettre XVIII.

VOus fiates les choses, Monsieur, de la maniere du monde la plus engageante, & vous obligez les Gens au point de ne pouvoir vous témoigner assez de reconnoissance. La place que vous m’avez accordée Pour Mr l’Abbé de… dans le dernier Tome de vostre Mercure, m’a esté une agreable occasion de le faire voir à Mr l’Archevesque d…. Ce Livre ne luy estoit pas tout à fait inconnu. Il avoit entendu plusieurs Personnes d’esprit en parler avec avantage, mais il m’avoüa qu’Il ne s’estoit jamais pû persuader qu’il fust du prix que je le faisois. Ce que je luy dis de vostre stile & de ces heureuses qualitez que vous possedez pour décrire parfaitement bien une Histoire, luy fit souhaiter de le lire. Il s’arresta particulierement au détail de la prise de Leuve, qu’il trouva estre l’ouvrage d’une Main maistresse, & d’un parfait Historien. Peu s’en fallut mesme qu’il ne pensast de nostre Monarque, ce qu’Aléxandre dit autrefois d’Achile lors qu’il admiroit le bonheur de ce Héros d’avoir eu Homere pour Trompete de ses Actions. Il m’a laissé le soin de luy faire venir vostre Mercure tous les Mois, & deux belles Personnes m’ont donné la mesme commission. L’estime que tout le monde a de cet Illustre Prélat, m’a fait croire que je devois vous écrire ces particularitez, & je me suis aisément persuadé qu’un Inconnu comme moy ne pouvoit mieux vous assurer du ressentiment qu’il a de vos honnestetez, qu’en vous faisant sçavoir les progrés considérables que fait tous les jours le Mercure Galant parmy le beau monde.

Je m’imagine avoir encor trouvé le sens de vos Enigmes. La premiere nous décrit fort agreablement la Fluste ; La seconde est un peu plus difficile, mais le nüage n’est pas assez épais pour nous cacher le Soleil. Je ne doute point que le Mot de l’Enigme d’Ino ne soit la Cascade. Il n’y a rien dans le Tableau qui n’y convienne ; mais si vous me demandiez un sens moral, il me seroit fort aisé de l’expliquer sur l’inconstance de la Fortune. Je suis vostre, &c.

Celisandre.

Lettre XIX §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 186-188.

Lettre XIX.

Au Mans.

IL faut, Monsieur, que je m’acquite de la commission que quelques Belles de nostre Ville m’ont donnée, & que je vous témoigne de leur part l’estime qu’elles font de vos Ouvrages. Elles lisent toutes vostre Mercure, & elles admirent continuellement la maniere fine dont vous sçavez tourner les choses, l’ordre que vous leur donnez, & le juste discernement qui paroist dans le choix que vous en faites. Elles publient qu’on ne peut trop dire de bien de vous, & qu’enfin tout le monde doit aimer celuy qui travaille pour le divertissement de tout le monde. Cela vous fera voir, Monsieur, que le Mans n’est pas seulement recommandable par ses Chapons & par ses belles Bougies ; qu’il ne faut pas en juger par l’idée qu’en donne le plaisant Autheur du Roman Comique, mais que l’Esprit & la belle Galanterie y regnent autant qu’en aucune Ville de France. On y voit beaucoup de Sçavans, des Medecins admirables, des Chanoines polis, & des Dames extrémement bien faites. Il y en a une qui croit avoir deviné vos deux dernieres Enigmes. Vous nous obligerez fort, Monsieur, de nous faire sçavoir si ses conjectures sont bonnes. Elle dit que la premiere est une Fluste, & la seconde le Soleil. Come cette Demoiselle a beaucoup de délicatesse & de pénetration d’esprit, je ne craindray point de vous dire qu’elle s’appelle Mademoiselle Pezé la Cadette, du Mans. Je suis, Monsieur, vostre tres, &c.

S. D.

Lettre XX §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 189-192.

Lettre XX.

À Neuhausel en Hongrie.

C’Est assez mal débuter pour estre bien reçeu de vous, Monsieur, de vous faire connoistre que ce Billet vient d’un Païs où la Galanterie est peu en usage, & où l’air infecté du voisinage des Tures inspire plus de rudesse que de douceur.

    Il me sera bien mal aisé
De vous persuader qu’en ce Païs barbare
        (Où la délicatesse est rare)
        On se soit jamais avisé
        De prendre goust à la lecture
        De vostre agreable Mercure ;
Cependant depuis peu je prens soin que toûjours
    Parmy nos Dames il ait cours.

Quoy qu’il fasse quelques centaines de lieuës de chemin pour arriver jusqu’icy, la fatigue d’un si long voyage ne luy fait perdre aucun de ses agrémens. Je luy en trouve mesme tant, que pour vous obliger de continuer cet Ouvrage, je voudrois que tout le monde vous apprist toutes les Historietes galantes qui se passent par tout ; car enfin il me semble que

Puis que pour le Public vous voulez bien écrire,
                Et qu’on profite jusqu’icy
        De ce talent qui vous fait si bien dire,
Tout le Public pour vous devroit écrire aussi.

Je ne me hazarderay pourtant point à vous conter aucunes de nos avantures, que je ne sçache si la délicatesse de vos Esprits en peut souffrir le recit. L’Amour estant de tout Païs, il se trouve icy comme ailleurs.

Je sçay que nostre nom fait peur aux Etrangers,
Que l’on croit nos façons trop rudes & torp severes ;
On trouve icy pourtant fort peu de cœur legers,
Nous nous en rapportions à nos belles Bergeres.

Si vous me faites connoistre que ma correspondance ne vous est pas desagreable, vous pourrez en juger vous-mesme, car il est arrivé depuis peu dans une de nos Villes une chose qui marque la plus grande constance qui se soit peut-estre jamais veuë. Je vous l’apprendray, si vous le voulez. Dites-le moy en deux mots dans un petit coin de vostre Mercure Galant, sans vous informer qui je suis, ny moy qui vous estes ; rien ne peut nous empescher de nous estimer, & sans vous faire tort, vous pouvez me compter parmy le nombre de vos tres-humbles Serviteurs.

Lettre XXI §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 192-194.

Lettre XXI.

Je ne sçay pas, Monsieur, de quel Démon vous vous servez pour tenter les Gens ; mais je puis vous assurer que dans le fonds de mon Heritage j’ay mis en usage tout ce que la Morale m’a pû inspirer pour me défaire de celuy qui vouloit m’engager à lire vostre Mercure, & qui à la fin m’y a obligé. Il est vray, Monsieur, que je l’avois regardé d’un autre œil que je ne devois. Le titre de Galant que vous luy faites porter, avoit tellement gendarmé ma devotion, que je n’avois osé jusques à présent jetter seulement les yeux dessus ; mais j’ay bien connu depuis par ma propre expérience que c’estoit quelque de si innocent, que l’on s’en pouvoit faire un amusement à la Grille & dans le Cloistre, aussi-bien que dans le fonds d’un Hermitage. Je souhaiterois pouvoir reconnoistre le plaisir que j’ay eu en le lisant, par quelque nouvelle de cette Province, dont je ne manqueray point de vous faire part dans l’occasion, pour avoir celle de vous protester que je suis vostre tres, &c.

Le Solitaire de la

Charité sur Loire.

Lettre XXII §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 194-197.

Lettre XXII.

À Roüen.

VOus sçavez, Monsieur, que l’on a étably une Académie de Beaux Esprits à Coûtance. Vous l’apprenez à toute la Terre, puis que vostre Mercure va par tout ; mais il n’est pas juste que vous ignoriez plus longtemps le mérite d’une belle Dame de ce voisinage. C’est Madame la Marquise des Biards, de l’Illustre Maison de Mongommery. Elle a le discernement si fin pour toutes les jolies choses, qu’elle en connoist le juste prix. Elle nous fait remarquer celuy de vostre Mercure, & je suis persuadé que son approbation luy est un nouvel orenement. Aussi son sentiment passe icy pour une Loy. Elle fait des Vers le plus galamment du monde. Je voudrois qu’elle consentist que je vous en envoyasse de sa façon. Je m’assure que vous leur donneriez place parmy les plus agreables Pieces dont vous diversifiez vostre Ouvrage. Je feray ce que je pourray pour obtenir d’elle ce consentement. Ce ne sera pas un petit effort qu’elle se fera, puis qu’elle a peine à soufrir que l’on sçache qu’elle trouve le sens de la plûpart de vos Enigmes, & que la premiere du Mois passé ne signifie autre chose que la Fluste ; la seconde, l’Aurore ; & l’Histoire Enigmatique, le Canal de Toulouse pour la jonction des deux Mers. Je meurs d’impatience de sçavoir si elle ne se trompe jamais. Donnez des aîles à vostre Mercure, Monsieur c’est tout ce qui luy manque. Et pourquoy le faites-vous marcher à pas de Tortuë, & luy donnez-vous un mois pour un voyage de vingt-huit lieuës ? C’est faire languir dans une agreable attente celuy qui est, Monsieur, avec une estime toute particuliere, vostre, &c.

Queville d’Engles.

Lettre XXIII §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 197-204.

Lettre XXIII.

À Grenoble.

CEtte Ville est si charmante, & les Dames y sont si bien tournées, que tout Etranger que je suis, je ne puis m’empescher d’estre enchanté de leurs manieres. Ne trouvez pas mauvais, Monsieur, que je me plaigne au nom des Belles, de ce qu’elles n’ont point de place dans le Mercure. Il se passe icy des Avantures, qui en rempliroient assez agreablement quelques pages. Je veux bien en jetter la faute sur ceux qui y ont part, & je me persuade que leur discretion dérobe au Public mille jolies choses qui se passent. Pour moy qui en suis témoin, & qui y entre assez pour en avoir le plaisir, mais trop peu pour y prendre interest, je regarde tout d’un œil tranquille, je recueille de toutes parts des circonstances, & prenant part aux intrigues tantost sur le pied de Confident, tantost sur le pied d’Amant, je m’attire des uns une grande ouverture de cœur, & je cause aux autres des chagrins & des dépits amoureux. Ainsi me fourant par tout, & joüant plus d’un personnage dans les diférentes conjonctures, peu de choses échapent à ma veuë. Il est certain mystere que je n’ay pas encor bien démeslé, & c’est ce qui fait que je difére à vous faire tenir mes Mémoires. Cependant je vous envoye le Mot de la premiere Enigme que vous proposez. C’est une Belle qui l’a trouvé. Hyer au matin ayant reçeu le Mercure du Mois d’Avril, je courus en grande haste le porter à cette Dame. Elle sortoit du Lit, & une de ses Femmes luy donnoit sa Chemise. Je luy lûs les Vers de l’Enigme, & estant au dernier où il y a, Quand on n’a que moy seule on est sans ornemens. Si les autres Vers, dit-elle, s’appliquent aussi juste à la Chemise que ce dernier, nous avons deviné l’Enigme. Je ne voulus pas convenir de la chose, prétendant que dans l’état où elle se trouvoit, elle n’estoit pas sans ornemens, quoy qu’en Chemise ; & que si l’on appelloit ornemens ce qui faisoit paroistre une Personne avec plus d’éclat, elle avoit tous les ornemens qu’on pouvoit souhaiter. Cela me fournit matiere à mille douceurs que je luy dis, ausquelles elle répondit fort galamment. Elle prit le Livre, & ayant mis son Mot sur chaque Vers, elle en fit une application fort juste, & je fus contraint d’avoüer que le Mot estoit la Chemise. Elle passa à la seconde. Sa vivacité naturelle ne luy permettant pas de resver longtemps sur une chose, & son imagination ne luy fournissant rien sur l’Enigme. Il la faut laisser, dit-elle, à epxliquer à Messieurs les Mareschaux de Camp. J’apperçois dans celle qui est gravée, deux petits Amours qui tiennent des Masques. Cela est de nostre compétence. Elle examina chaque Figure, & apres un moment de refléxion, elle trouva que le Vers Satyrique, ou la Satyre, pouvoient assez heureusement d’appliquer au Tableau ; qu’un Homme entre les mains de la Satyre estoit dans un état plus déplorable que le pauvre Marysas ; qu’Apollon figuroit l’Autheur de la Satyre ; que celuy qui écorche Marysas, estoit la Satyre mesme ; que les Amours qui tenoient les Masques, estoient les traits les plus perçans de la Satyre, qui alloient démasquer le Vice ; & que Marysas estoit le malheureux sur qui tomboit toute la colere de la Satyre. Cette pensée donna lieu à une conversation de belles Lettres dont la Dame se tira fort juste. Horace & Juvenal ne manquerent pas d’y entrer, & il estoit difficile de parler de ces grands Génies de l’Antiquité, sans faire justice à ceux de nostre Siecle. Vous jugez bien qu’on n’oublia pas Mr Despreaux. La Dame sçait ses Ouvrages par cœur, & j’eus un plaisir extréme d’entendre de sa bouche les traits les plus délicats de ses inimitables Pieces. Je vous l’engager à vous envoyer en Vers l’Explication de vos Enigmes. Sa veuë est tendre & délicate. Le Suplice de Marysas ne vous fait-il point peur, me repliqua-t-elle en plaisantant ? Ne soyons pas si sots, ny vous ny moy, de nous ériger en Poëtes ; on ne les épargne pas aujourd’huy, on les écorche vifs. Je convins que sa peau estoit trop belle, & qu’il falloit la conserver. Nous rîmes quelques momens de cette idée, & la lecture de vos Nouvelles nous fit tomber insensiblement sur les Ouvrages d’esprit. La Dame s’en expliqua d’une maniere qui me fit connoistre que c’estoit ce qui la touchoit davantage. Je ne mesleray point mes loüanges à celles qui sortirent alors pour vous de la bouche de la plus charmante & de la plus spirituelle Personne de Grenoble. Je me contenteray de vous assurer de mon estime, & que je suis vostre, &c.

L. C. D.

Lettre XXIV §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 204-207.

Lettre XXIV.

À Châlons en Champagne.

J’Ay leû, Monsieur, vostre Mercure du Mois de May avec le mesme plaisir que m’ont donné tous les autres. La Fluste doit estre le Mot de vostre premiere Enigme. Ce sens m’a paru facile à déveloper, mais je vous avouë que j’ay leû la seconde plus de six fois sans trouver de Mot qui me satisfit. Le Soleil, le Point du Jour, le Temps, & le Feu, tout cela m’est venu en pensée, mais rien ne m’a contenté. Pour l’Enigme d’Ino, j’avoue mon foible. Je ne suis point capable d’un assez grand attachement pour en percer les obscuritez. J’ay crû pourtant que ce pouvoit estre la Glace. Ces Jeux d’esprit en son d’agreables amusemens ; mais comme ils ne seroient pas incompatibles dans vostre Mercure avec des choses plus sérieuses, pouruqouy, Monsieur, n’y parlez-vous point de Science, & particulierement de Physique, dans un temps où elle est devenuë si claire & si familiere, depuis que ces grands Hommes Descartes & Gassendi y ont travaillé avec tant d’applaudissement & de succés ? De bonne-foy, pensez-vous que vostre belle Dame & ses illustres Amies dont vous estimez tant l’esprit & la vivacité, ne prissent pas un fort grand plaisir à ce que vous diriez des Ouvrages de ces fameux Philosophes ? Doutez-vous qu’elle n’apprissent avec joye ce qui se passe dans ces fameuses Conférences qui se font tous les jours à Paris sur ces matieres ? Doutez-vous mesme que le Public ne vous eust une fort grande obligation, si vous le desabusez par là des pensées injustes qu’il peut avoir du mérite excessif de l’Antiquité, au préjudice de la Divine & sçavante Nouveauté ? Si je ne craignois d’abuser de vostre loisir, je vous envoyerois un petit Traité que je feray peut-estre imprimer un jour. C’est un Ouvrage purement Physique & mécanique. Tout y est expliqué par les Regles seules du mouvement, & je me promets qu’on n’y trouvera rien que de clair & d’intelligible, & qu’il ne faudra qu’un peu de bon sens pour entrer dans tous mes sentimens sans scrupule Je suis, Monsieur, vostre, &c.

Lassonle jeune, Medecin.

Lettre XXVI §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 216-221.

Lettre XXVI.

Au Pays du Maine.

J’Ay veu, Monsieur, vostre Mercure Extraordinaire, qui m’a causé beaucoup de satsifaction, en me donnant lieu de remarquer le diférent tour que peut recevori une mesme chose. Parmy tant de Lettres dont il est remply, j’en ay trouvé de tres-bien écrites ; mais avec cette satisfaction, je n’ay pas esté peu surprise du choix que vous avez fait des miennes pour les insérer au nombre des autres. Je vous les avois écrites sans aucune pensée que vous les dûssiez rendre publiques. Au moins si vous nous voulez dire vostre sentiment sur chacune, pour nous aider à reconnoistre nos défauts, vous nous donneriez la facilité de faire d’éloquentes Rétoriciennes, comme on a déja donné à nostre Sexe le moyen de devenir Philosophes.

Les premieres Lettres qui traitent de la nature de l’Enigme & de l’Apologue, sont belles & sçavantes ; mais il me semble qu’elles n’expliquent point encor assez. Celle que vous nous avez proposée en Chifre, commence indubitablement par l’Amour. Je n’ay pas esté plus loin. Pour vostre Question galante, il semble d’abord que des deux Maistresses, celle qui trahit fait plus soufrir un Amant, parce que les paroles & les fausses tendresses sont autant de coups de poignard qui percent le cœur de ce pauvre Amant, & qui luy donnent la mort autant de fois qu’on le trompe, au lieu que l’autre ne le fait soufrir que dans le moment de la rupture. Cependant je suis persuadée que cette derniere qui quite ouvertement, est celle qui fait soufrir davantage, parce que nous avons du soulagement tant qu’il nous demeure quelque espérance. Or tant que celle qui trahit donne des paroles, l’Amant espere la pouvoir gagner. Les paroles en amour, quoy que fausses, ne laissent pas d’avoir leurs agrémens ; mais lors qu’un Amant est quité, & qu’il voit sa Maîtresse en la possession de son Rival, il n’a plus de retour d’esperance. Il sera donc vray de dire que celle qui quite ouvertement, fait plus endurer, puis que l’Amant soufre sans soulagement & sans espérance de guérison.

L’Histoire Enigmatique n’est autre chose que la jonction qu’on veut faire de la Mer Oceane avec la Mediterranée par la Riviere de Garonne, & par quelque autre, si je ne me trompe, qui se décharge dans cette derniere Mer. Je ne vous en écriray point le détail, je vous diray seulement que le pareil Mariage qui a esté fait en France, est le Canal de Briare.

Les Mots des deux Enigmes en Vers de vostre Mercure de May, doivent estre la Fluste & le Soleil.

Le Mot de l’Enigme Ino me paroist estre l’Imprimerie, parce que comme le Papier reçoit tout ce qu’on veut, l’eau dans laquelle Ino se précipite, ne refuse rien. Ino est la Presse. Ses Suivantes sont les Lettres, qui demeurent dans l’état où on les met, & dans le rang qu’on leur donne. Athamas qu’on doit suposer, est l’Imprimeur qui fait mouvoir la Presse. Le Rocher est le soûtien de cette Presse ; & les diférentes choses qui servent d’ornement au Tableau, signifient les diférentes Matieres qu’on veut imprimer.

Sans vous je n’aime rien.

Lettre XXVII §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 221-226.

Lettre XXVII.

QUoy que vous éprouviez assez, Monsieur, combien vos Livres sont agreablement reçeus en tous lieux, on ne peut s’empécher de joindre son sentiment à celuy de tous les beaux Esprits, qui font paroistre par leurs Eloges la satisfaction qu’ils en reçoivent. Mon compliment n’ira pas plus loin, ayant seulement le dessein de vous faire connoistre ceux qui par modestie negligent de vus apprendre qu’ils ont dévelopé la plus grande partie de vos Enigmes. Je vous parle de Mr & de Madame de Cerisy. Cette aimable Dame avoit trouvé vostre Secret de Pandore, & elle explique la premiere de vos Enigmes du mois d’Avril sur la Chemise. Vous nous apprendrez si elle a deviné juste. On a crû que l’Enigme suivante estoit une Canne, & Marysas échorché, la fausse Monnoye. Je ne sçay si on s’est trompé : mais je sçay qu’il est difficile de trouver en Normandie une Famille entiere plus generalement estimée que celle de Cerisy. La qualité, le bien & le mérite, ne furent plus jamais ensemble dans une plus juste proportion pour donner sujet de vivre heureux, qu’on les rencontre dans cette Famille. Si on y considere les Personnes, il y en a sept qui par différens Esprits, composent la plus souhaitable harmonie du monde. On y connoist tous les beaux endroits de la Prose & des Vers, & on écrit également bien dans l’un & dans l’autre genre, quand on s’en veut donenr la peine. On y sçait la Musique assez pour profiter de vos Chansons, mesme de celle qui est Italienne, On y parle Anglois, Latin, Grec, Hebreu ; la probité, la gayeté, l’honnesteté, la complaisance & la civilité, y regnent dans tous les Esprits. Si on ajoûte à cela la demeure dans une parfaitement belle Terre, à trois lieües de COutance, magnifiquement bâtie, accompagnée de Parterres, Terrasses, Canaux, Jets d’eau, Orangerie, Allées de diverses sortes, beau Mail, Jeu de Longuepaume, nombre d’Espaliers, Garene, Riviere, Foires & Marchez ; je croy que vous avoüerez qu’on y peut passer la vie sans chagrin, avec une tres-bonne & propre Table qu’on y trouve en tout temps, & par dessus tout cela, deux belles, jeunes & charmantes Dames, dont la premiere qui est Femme de l’aisné, est une riche heritiere de la Maison de Bertreville dans le Pays de Caux, où elle a deux Terre Nobles, de plus de dix mille liv. de rente, outre la Terre de l’Isle fort-bien bâtie, aux Portes d’Orleans. La Femme du jeune est Fille de Monsieur de la Bazoge, Conseiller au Parlement de Roüen. Les Personnes de ce caractere sont aimées des Grandes & du Peuple, & Mr de Cerisy l’est particulierement de Mr le Mareschal de Bellefond aupres duquel il a servy le Roy quelque temps. Il faudroit, Monsieur, que vous vous fussiez vous mesme trouvé en ce Lieu pour juger combien j’oublie de choses à leur avantage, tant sur le sujet de Madame de Cerisy la Douairiere qui a eu une Sœur mariée au Milord Holis, que nous avons veu Ambassadeur en France, que sur le chapitre de Mesdemoiselles de Cerisy dont les belles qualitez demanderoient une Lettre entiere ; mais celle-cy me paroist déja trop longue. Ainsi, Monsieur, je finis en vous assurant que je suis du nombre de ceux qui approuvent beaucoup vos Mercure, comme estant d’un tres-bon usage dans la societé civile. Ils valent bien sans doute une Compagnie de Gendarmes dans l’Armée du Roy, & meritent d’autant mieux le Quartier d’hyver, que vous ne faites point de Soldats par force.

Lettre XXVIII §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 226-228.

Lettre XXVIII.

À Auxerre.

VOs Ouvrages, Monsieur, font tant de bruit dans le monde, qu’il faudroit n’en estre pas pour ne les point lire. Toutes les Lettres qui composent vostre Extraordinaire, nous ont donné beaucoup de plaisir ; & apres avoir bien resvé sur l’Histoire Enigmatique, nous avons crû l’entendre dans son vray sens, en l’expliquant sur le Canal de Languedoc, qui doit faire la jonction des deux Mers. Nous n’avons pas eu moins de satisfaction à lire vostre Mercure du Mois de May ; & ce qui nous l’en renduë plus sensible, a esté la Fluste, que nous avons trouvée dans vostre premiere Enigme ; & comme la Fluste s’accomode fort bien avec le Tambour, nous n’avions point douté d’abord que ce mot de Tambour ne fust celuy de vostre Enigme ; mais apres un peu de refléxion, nous avons connu que nous nous estions trompées. Nous ne sçavons si le Croissant de la Lune vous satisfera davantage. Vous nous l’apprendrez, Monsieur, par vostre Mercure de Juin, qu’attendent avec impatience vos tres-humbles Servantes,

Mercesl’aisnée, Odinet.

Lettre XXIX §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 228-232.

Lettre XXIX.

Du Village de Villedavray.

SI je vous récrivon ancore un coup, Monsieur, ne vou zen ébaïssé pas. A qui pargué voudriens vou que j’alission dire nostre surprinse de quand cest que je nou somme veu dans vostre Mercure ? En nou zy voyant couchez de la sorte, javons failly tretous à choüar de noste aust. Vraman samon, dision-je à part nou, j’on bian afaire qui nous boute-là. A gardé, la belle chanse ! Se li est pargué avis que je ne sachion pas qui se moque ; & dan ce pansement je nou zimaginion déja d’estre la risée de zautre Village ; mais javon apprins depis qui ne lisient pas com nou voste biau esprit. Javon apprins aussi dun de nos Voisins qui est un bon Homme, que jestion butor de nou choquer d’un ofancement qui est favorisement ; mais palsangué toufran ce favorisement-la ne nous plaisoit pas. Asteure pourtan que je somme pu clare-voyant, je vou zen avon de l’obligation, & je vou zen remarcion de bian bon cœur ; & à cel fin qie je nayon pu tant de onte, je tâchon de nou parfectioner à parler. Jestudions pour sla voste Marcure. Je ne le lison pus apres Vaspres comme je faision dans le tems des semailles, car je voyons bian que cest trop peu, mais vraman je le lison bian autrement. Cest tou vou dire, Monsieu, qui ne sort point d’antre nos mains. Jen oublion jusquà daller au chams, & jen pardon le boire & le manger. Hé bian, nespas une marveille ? Je voudrion que vous vissias déja comant cest que nostre Lieutenant écry, vous prendriens sé Laitres pour un Monsieur de Paris, tant qual sont bian dite. Je nou somme aussi avisez de ce Mariage de vostre Marcure. Javon pensé si ne pouroit point estre queuque Prince que vous vouliais marier ; mais l’un de nous zautre qui pourtant n’a jamais esté Matelot, a adviné que c’estoit ces deux Mars qu’on veut qui antre l’une dan l’autre. Mais à propos de devination, Rolin la Fosse me bailly l’autre jour un Chapiau, ayant com vous savé pardu la gageure. Si ly a queuque chause dan tou nostre Lieu qui vous duise, vou n’avais qu’à parlé, car palsangué je somme plains de bonne volontay, & je ne demandon pas mieux que de vou rendre sarvice, com estant toûjours & à jamais, Monsieu,

Vos tras-humbles & tras obeïssans

Sarviteurs, Les Païsans, Habi-

tans & Manans de Villedavray,

qui n’oson pas prandre la ar-

diesse que de vous dire com l’au-

te, que

Sans vou je naimon rian.

Lettre XXX §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 232-235.

Lettre XXX.

De l’Isle de Ré.

ENtre une infinité de choses qui m’ont plû en lisant (pour ne pas dire en devorant) vostre Extraordinaire du Quartier de Janvier, je me suis attaché particulierement à l’Histoire Enigmatique. Je ne sçay si le bonheur que j’ay eu de trouver les Mots de plusieurs Enigmes de vostre ordinaire, a eu autant de part à mon choix que la beauté de l’Ouvrage ; mais je sçay bien que j’y ay pris un fort grand plaisir, & que peu de choses me paroissent mieux imaginées. Aussi convenoit-il à la merveille qui en fait le sujet d’estre traitée d’une maniere aussi peu commune. Cependant quelque insensibilité que l’on donne aux Parties qui contractent dans cette Histoire un Mariage si extraordinaire, pourquoy veut-on que l’Amour dont la pusisance est infinie, & qui fait sentir ses jeux jusques dans l’onde dans les climats les plus glacez, n’y ait point de part ? Ne sçait-on pas que sa Mere a pris naissance dans le sein de l’une de ces deux Parties, & qu’elles ont chacune leur panchant comme toutes les autres choses ? C’est par ce panchant mesme que leur Mariage s’accomplira dés qu’on aura levé toutes les difficultez qui traversent leur union, qui fait une des Merveilles de nostre Auguste Monarque, de ce Prince né pour la gloire & pour la félicité des Peuples. À peine est-il hors du Champ de Mars, qu’on le voit s’Inquiéter avec une bonté surprenante du soin de leur soulagement. Il prévient leurs souhaits. Sa gloire qui a fait taire l’Envie, cette gloire qui efface toutes celles des Siecles passez, & qui servira de modelle aux Héros qui viendront apres luy, semble luy devenir insuportable, si elle ne procure à ses Sujets un parfait repos. Il ne peut estre heureux en un mot, qu’ils ne le soient avec luy. Aussi est-on embarassé à trouver des termes qui puissent exprimer leur admiration, leur amour, & leur gratitude, comme à discerner laquelle de ces choses tient la premiere place dans leurs esprits. Le Mariage, ou la jonction des deux Mers, qui fait à mon sens le sujet de l’Histoire Enigmatique, n’a jamais esté si difficile, qu’il l’est de donner aux vertus de Loüis le Grand les loüanges qu’elles méritent.

[Quatrains sur l’énigme de la flûte parue dans le Mercure du mois de mai 1678] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 238-239.Voir cet article, cet article, cet article, et cet article dans Mercure

J’adjouste icy, Madame, quelques autres Explications sur ces Enigmes. Voicy un Quadrain de Mr d'Hermilly fort agréablement tourné sur toutes les deux.

Si par une fine methode
L'Autheur du Mercure Galant
Habille une Enigme à la Mode,
Il en tire une autre en Volant

AUTRE

Chaque Saison à sa methode
Les Ouvrages d'esprit n'en sont pas mesme exempts,
D'autres Pieces ont eu leur temps,
À present l'Enigme est la Mode

M. Charpentier

En voicy deux sur l’Enigme de la Fluste.

Peut-on avoir peine à comprendre
L’Enigme qu’on a mise au jour ?
Voyez que sans parole elle se fait entendre,
Et se nourrit de l’air qui se trouve à l’entour.
C’est en vain que l’on en dispute ;
On dit en vain, c’est un Tambour,
Ce ne peut estre qu’une Fluste.
L’INDOLENT.

AUTRE.

On m’entend aux Ballets, je sers aux Ieux, aux Ris,
J’ay grand nombre d’Amans, & ne suis point farouche ;
Mais quoy que chacun d’eux & me baise & me touche,
Philbert & Descousteaux sont mes seuls Favoris.
Julie de la Place Royale.

Lettre XXXII §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 240-243.Voir cet article, cet article, cet article, et cet article dans Mercure

LETTRE XXXII.

À Arles.

[…] L'Agréable artifice, Monsieur, que vous avez trouvé pour nourrir les Esprits dans l'exercice des belles Lettres. Toutes vos manières de traiter les Sujets que vous mettez au jour, ont un certain goust que nul autre que vous ne peut jamais si bien assaisonner, & quelque avantage que nostre Siecle reçoive d'un nombre infini de rares Ecrivains, qui rendent le Regne de Loüis le Grand incomparablement plus celebre & plus glorieux que celuy d'Auguste, qui sembloit estre celuy des Génies les plus sublimes, du Sçavoir le plus éminent, & la plus fine Galanterie, on doit tomber d'accord qu'il en est peu qui puissent vous imiter dans le prompt assemblage de toutes ces choses que vous nous faites admirer chaque Mois. Il n'est rien de mieux imaginé que vostre Histoire Enigmatique de l'Extraordinaire ; l'allégorie en est parfaitement suivie, & si propre à l'idée que j'en ay conçeuë, qu'il me semble que la chose ne peut estre entenduë que de la jonction des Mers. Pour vostre premiere Enigme du Mercure du Mois de May, je croy pouvoir dire,

Soufflez & remuez les doigts
Sur la Fluste, ou sur la Musete,
Et de l’Enigme de ce Mois
L’Explication sera nette.

[…] Voicy celle que je donne à vostre Enigme en figure

Ino montée sur le haut d'un Rocher d'où elle se précipite dans la Mer, représente la Hollade qu s'estoit élevée au faiste de l'ambition. Les Conquestes & la clemence de Louis le Grand, l'obligent à se precipiter dans la Mer comme dans son centre, puis qu'elle est confinée dans les eaux par son Commerce. Les trois Figures qui restent métamorphosées en Statuës, représentent la Triple Alliance, qui reste comme accablée & sans mouvement depuis que la Hollande a sçeu se soûmettre, sans que les soins se ces trois Filles ayent pû l'empescher de rendre cet hommage au plus grand des Roys. Je suis, Monsieur, vostre, &c.

Giffon, de l’Académie Royale d’Arles,

Lettre XXXIII §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 244-249.

Lettre XXXIII.

À Gennes.

VOstre Mercure, Monsieur, parle si bien, & de la grandeur Romaine, & de la Richesse de Venise au sujet de ses Opéra, que l’idée que vous m’en donnez, me tient lieu du plaisir que goûtent les Curieux par la representation. J’avois crû que vous tiendrez parole sur ceux qui ont paru cette année ; mais vous n’y avez point encore songé. Cependant il faut dire que Gennes à qui on donne le nom de Superbe, se croiroit ensevelie dans l’oubly, si elle ne trouvoit place au Mercure. Elle ne peut voir sans envie que ses Rivales y regnent avec tant de faste ; & moy qui ay de bons sentimens pour ma Patrie, je vais vous engager à parler d’elle par une avanture qui n’est pas moins nouvelle que plaisante.

À peine vostre Mercure estoit arrivé à Gennes, qu’une Illustre Dame, Femme d’un ancien Senateur, luy donna accés chez elle. Ce Livre faisoit ses délices & luy servoit de compagnie dans sa Chambre pendant le jour ; aucune Suivante n’ayant la liberté d’y entrer dans le consentement de son Mary. Il prenoit ombrage de tout, & il estoit jaloux, jusqu’à croire que la Magie métamorphosoit tout ce qui approchoit de sa Femme. Ainsi luy ayant un jour surpris vostre Livre, il n’eut pas si tost lû, Mercure Galant, qui en est le Titre, qu’il l’arracha de ses mains avec violence, l’enferma dans son Cabinet sous plusieurs clefs, & se posta en sentinelle à la porte, le Mousquet sur l’épaule & la Dague au costé. Il y demeura 24 heures, dans la pensée que le Mercure estoit quelque François métamorphosé en Livre par art magique, qui ne manqueroit point à prendre sa veritable figure pendant la nuit pour galantiser sa Femme d’une autre maniere qu’il n’avoit fait le jour.

Sa jalousie l’empéchoit de dormir & de manger, & il ne seroit pas si-tost sorty de son embuscade, s’il n’eust esté mandé par le Doge qui l’apelloit au Senat. Il n’y voulut pas aller sans s’éclaircir du prétendu Galant de sa Femme, qu’il croyoit avoir enfermé dans son Cabinet. Il le fit ouvrir, & tenoit ses armes toutes prestes pour tirer sur celuy qui sortiroit. Sa Femme curieuse de voir la fin de cette Comedie accourut, & le trouva dans la posture d’un Chasseur qui couche en joüe son gibier, pendant qu’un Domestique ouvroit la porte du Cabinet pour en faire sortir le Prisonnier. Jamais surprise ne fut plus grande que celle qui parut sur son visage, lors qu’il trouva vostre Livre au mesme lieu où il l’avoit mis. Honteux de l’emportement de sa jalousie, si peu digne de la gravité d’un Senateur, il remit le Mercure entre les mains de sa Femme, & depuis cette avanture que je tiens de la Dame à qui elle est arrivée, tous les Maris font gloire d’estre les Mercures de leurs Femmes, en leur introduisant des Galans pacifiques comme le vostre.

Apres cela je vous diray que vostre Poësie est devenuë icy à la mode. Nostre langue se néglige, & dans peu les Enfans n’aprendront que le Français. Pour moy, j’y trouve plus de charmes qu’à l’Italien. Vos Enigmes sont des jeux d’esprit qui occupent tous les honnestes Gens de la Republique. Vostre Histoire Enigmatique est admirable. Je vous envoye l’Explication des deux Mers, & vous envoyeray à l’avenir toutes les avantures qui se passeront à Gennes. Croyez-en une Fille qui fait gloire de tenir ce qu’elle promet, & qui est vostre tres-humble Servante,

Clarise, Génoise.

Lettre XXXIV §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 249-251.

Lettre XXXIV.

À Lyon.

CE n’est pas chose nouvelle pour vous, Monsieur, de recevoir des Lettres de toutes parts de Gens inconnus ; mais il est rare qu’on vous écrive de cent lieuës, sans vous donner matiere de grossir vostre Mercure. Je ne suis, grace à ma destinée, ny Poëte, ny Amoureux ; mais je vous avoüe que par tout où je trouve du mérite, je suis empressé de luy donenr des marques de mon estime. Ne desaprouvez donc pas que je fasse à vostre égard ce que vous sçavez si bien faire à l’égard des autres. Je ne loue pas seulement les soins continuels de vostre Esprit, à informer toute l’Europe de tout ce qui arrive de plus curieux & de plus galant dans le premier Empire du Monde ; mais j’admire son adresse à loüer toûjours agreablement. Il n’est pas difficile d’estre critique & de blâmer. Cette qualité est naturelle presque à tous les Hommes ; mais faire le contraire sans ennuyer & sans flater, c’est assurément le chef-d’œuvre de l’Eloquence, & l’action d’une exacte justice. Je vous prie de croire que j’obéïs à ses Loix, quand je publie que vous estes un parfaitement honneste Homme, & que je suis vostre, &c.

Bouchetde Grenoble.

Lettre XXXV §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 251-257.

Lettre XXXV.

À Montplaisant, pres

Bourg en Bresse.

CE n’est pas dans les Villes seulement, Monsieur, que vostre Mercure fait le plaisir des honnestes Gens ; nous le voyons regulierement tous les Mois dans nostre Campagne, & depuis qu’il y paroist, le soin de nos Troupeaux ne fait plus nostre principale occupation. Nous citons vos Vers à tous propos. Nous ne chantons plus que les Chansons du Mercure ; & quelques-unes de parmy nous que la lecture de vos Ouvrages a renduës plus habiles, s’avisent depuis peu de faire des Vers, & d’expliquer vos Enigmes. Nos Bergers se piquent aussi de bel Esprit à leur exemple. Leurs Flustes n’aprennent plus aux Echos que les Airs qu’ils ont appris de vous. Leur galanterie s’épure, & nous ne desesperons pas de vous envoyer bientost de leurs Ouvrages. Voyez, par là, Monsieur, combien nous vous sommes obligées, puis qu’outre tous les plaisirs que nous donne vostre Mercure, il polit l’esprit de nos Amans.

Ces Bergers dont l’amour fut autrefois bornéee
    À faire paistre nos Troupeaux,
Qui passoient uniment une longue journée
    Dans des emplois toûjours égaux,
Aujourd’huy mieux instruits s’attachent pour nous plaire,
        À mille petits soins nouveaux,
        Ils font parler leurs Chalumeaux
Du feu discret dont ils font un mistere.
    Ils se parent de nos couleurs,
Mille fleurs tous les jours entourant nos Houlettes,
    Et bien souvent dessous les fleurs,
Adroitement ils cachent les fleurettes.
Dans le besoin ils font parler les yeux,
        Par tout dessus l’écorce tendre
        On voit des Chiffres amoureux,
        Et leur amour ingénieux,
        En cent façons se fait entendre.
        Le discret & jeune Philandre,
        À deux Moineaux qu’il a nourris,
        Qui ne parlent que de Cloris.
Le Sansonnet d’Hylas sçait le nom de Climene,
        Le petit Chien de Céladon
        Ne saute que pour Celimene.
        Depuis peu le Chantre Philene,
Dont la fiere Daphné prend tous les jours leçon,
        Fait des Vers pour cette inhumaine,
        Et sous pretexte de Chanson,
        Ce Berger l’instruit de sa peine.
Tous les autres Bergers par de galans détours,
Marquent adroitement l’excés de leur tendresse.
        Vingt Beautez dont l’ame tygresse
        S’irritoit des tendres discours,
        Ont veu ceder leur humeur fiere,
        À l’ingenieuse maniere
        Dont ils expliquent leur amour.
        Enfin dans cet heureux séjour,
Grace au Galant Mercure, on ne voit pres des Belles,
Que des Amans polis, que des Bergers charmans,
        Dont les tendres empressemens
        Font esperer des ardeurs eternelles.
        Tout aime, il n’est plus de rebelles,
        Et tous les jours quelques Festes nouvelles
        Découvrent de nouveaux Amans.

Nostre Campagne est assurément un des lieux où vostre Mercure est le mieux reçeu. Il n’est personne parmy nous dont l’esprit ne se soit déterré, pour ainsi dire, depuis quelques mois. Vos dernieres Enigmes semblent estre particulierement proposées à des Bergeres. Le Soleil qu’elles voyent tous les jours, & la Fluste de leurs Bergers, sont l’un & l’autre de leur connoissance. Il nous estoit difficile de nous y tromper. Un Gentilhomme de nos Voisins nous assure fort, que nous avons rencontré juste. Il s’apelle Mr de Besserel, Neveu de Mr le Doyen des Comtes de Lyon. Il n’a manqué jusqu’icy aucune de vos Enigmes, & il ne se peut que son sentiment ne donne bonne opinion du nostre.

Nous souhaiterions, pour répondre aux obligations que vous a tout nostre Sexe, vous pouvoir faire des presens aussi agreables que le sont pour vous les Ouvrages delicats de Madame des Houlieres ; mais ce n’est plus sur le bord des eaux, ny dans les Forests, que naissent les meilleurs Fruits du Parnasse.

        On dit qu’Apollon autrefois
        Tint sa cour sur une Montagne ;
Mais il loge aujourd’huy chez le plus grand des Roys,
    Et ne vient plus à la Campagne.

Sans cela, Monsieur, vous recevriez d’autres marques de nostre reconnoissance que les assurances que nous vous donnons, qu’on ne peut avoir ny plus d’empressement pour vôtre Mercure, ny plus d’estime pour vous qu’en ont

Les Bergeres de Montplaisant.

Lettre XXXVI §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 258-264.

Lettre XXXVI.

QUoy que tout le Monde semble avoir la liberté de dire son sentiment sur la Question proposée, il semble que les froids, les insensibles, & les indiférens, devroient estre récurez comme incapables de prononcer sur cette matiere. Pour moy, j’avoüe que je suis sensiblement convaincu qu’une Bergere fait plus souffrir son Berger, lors que par de fausses protestations, & des tendresses affectées, elle tâche de luy cacher son infidelité qui ne luy est que trop connuë, que lors qu’elle rompt tout d’un coup avec luy, & le change pour un Rival ; car ne sçait-on pas que rien ne nous soûtient mieux en amour que l’esperance ? Nous avons beau voir qu’un Rival nous oste le cœur que nous avons crû tout à nous. Nous aimons à nous tromper nous-mesmes, nostre erreur nous plaist, nous sommes fâchez d’avoir trop de pénétration, & nous n’entrons jamais dans les éclaircissemens qu’avec peine. Dés le moment que nous avons donné toute nostre tendresse à une Bergere, nous pouvons dire que nous ne vivons que par elle, & si nous la regardons comme la seule personne qui soit digne de nostre attachement, comment prétend-on qu’elle ne nous persuade pas tout ce qu’elle veut ? Il est vray que son infidelité nous est connuë, & qu’elle nous a donné en mille rencontres des marques indubitables de son changement : nous l’aimons avec ardeur ; adieu, raison, il n’en faut pas davantage pour nous convaincre, car dés qu’elle nous proteste adroitement que ce n’est que pour nous éprouver, & pour nous engager plus fortement à son service, avons nous besoin d’un autre raisonnement, si nous sommes d’autant plus aveugles que nous sommes plus amoureux ? En effet, qui ne donneroit dans un piege tendu par une main qui nous est si chere ? Qui ne se laisseroit pas enchaîner par de si aimables liens ? On s’y laisse prendre pas une agreable surprise, on y demeure par une espece d’enchantement, & on s’y endort par necessité. Ce sont là les moyens dont se servent les Bergeres infidelles pour tromper avec plus d’apparence leurs Bergers passionnez ; & c’est aussi cette cruelle connoissance qui fait le plus affreux tourment d’un Berger. Il sçait trop bien que sa Bergere favorise son Rival, & qu’elle ne le conserve dans ses chaînes que pour le sacrifier à celuy qu’elle adore. En cet état pitoyable quelles pensées desespérantes n’a-t-il point ? quelles rages secretes ? quels chagrins mortels ? quels furieux assauts ? Il mene une vie languissante ; parlons juste, il meurt à tous momens. Peut on apres cela comparer son suplice à celuy d’un Berger à qui sa Bergere a déclaré son infidelité ? Cette surprise est un coup impréveu qui le tuë tout d’un coup, mais quand elle cache son changement par des protestations aparentes, qu’elle quitte son Berger, & qu’elle le retient avec adresse par des caresses simulées, ce tourment est d’autant plus cruel qu’il est differé. Le premier de ces Amans meurt sans se reconnoistre, & le dernier se voit brûler à petit feu. L’un est un coup de foudre qui luy donne le coup de grace, & l’autre est un poison qui se glisse peu à peu dans osn ame, & qui presse si fort son cœur, qu’il luy oste la chaleur avec la vie. Voia, Galant Mercure, le témoignage d’un cœur qui n’a que trop experimenté le malheur d’un Berger fidelle, qui se voit abandonné & retenu par une infidelle Bergere. Plus heureux s’il ne connoissoit un si grand malheur que sur la foy d’un autre.

Pour la Lettre en Chiffres, j’ay trouvé dans les deux premieres lignes, l’Amour, la Guerre & les Arts. Quand au reste, il est si difficile, & les divers Animaux aëriens, terrestres, & aquatiques, sont si mal differenciez, que je n’ay pas voulu rebuter davantage mon esprit, puis qu’il est vray de dire avec un Ancien,

Stultum est difficiles hebere nugas.

Soufrez que je finisse par un mot d’avis. Tout le monde tombe d’accord qu’on ne peut rien trouver de plus agreable que vos Lettres ; mais beaucoup de Personnes souhaiteroient que vous proposassiez dans chaque Mercure quelques doutes sur la Langue Françoise, qui se décideroient par la pluralité des voix dans le Mercure suivant, & cela sans entreprendre sur la Jurisdiction de Messieurs de l’Académie Françoise. Je suis &c.

Hebert de Rocmont.

Lettre XXXVII §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 265-270.

Lettre XXXVII.

À Richelieu.

LA beauté de cette Saison ayant obligé nos Dames de quiter Richelieu pour aller joüir à la Campagne des douceurs qui s’y rencontrent, nous estions assemblez chez une d’elles, quand un Laquais qu’on avoit envoyé à la Ville pour quelques Lettres qu’on attendoit de la Poste, nous apporta vostre Extraordinaire. On le lût avec l’empressement que vous pouvez vous imaginer, & apres y avoir passé plusieurs heures, toute la Compagnie demeura d’accord que vous aviez raison de nommer Extraordinaire, ces belles Lettres que vous nous promettez tous les trois Mois. Je ne veux pas m’étendre sur le merite de cette premiere ; mais je vous puis assurer, Monsieur, qu’elle nous a tous charmez en ces quartiers, & que si les autres qui la suivront répondent à la beauté de celle-cy, vous serez accablé de remercîmens qui vous viendront & des Païs Etrangers, & de tous les endroits de ce Royaume. Vostre Histoire Enigmatique nous occupa un peu, mais pourtant

ON n’a pas eu besoin dans ces aimables lieux,
Du secours d’Apollon, ny d’aucun Art magique,
Afin de découvrir le sens misterieux
Que vouloit nous cacher l’Histoire Enigmatique.
On sçait qu’un Mariage aussi prodigieux
Ne convient qu’aux deux Mers qu’un adroit Politique
Pretend ensemble unir par un Canal heureux.
Voila comment icy la belle Iris l’explique.
Ces deux Mers ne sont pas de Sexe different,
Hercule, cet illustre & fameux Conquerant,
Les joignit toutes deux, à ce que dit l’Histoire.
Artaxerxe & Neron l’entreprirent en vain.
Qu’on n’en soit pas surpris ; une semblable gloire
Se reservoit sans doute à nostre Souverain.

On vint en suite, Monsieur, à la Question que vous proposez. Il n’y eut personne qui ne convinst que l’Amant qu’une Maistresse abandonneroit sans ménagement pour un Rival heureux, devroit soufrir incomparablement davantage que s’il estoit abandonné d’une autre qui tâcheroit de l’ébloüir par de fausses marques de tendresse, pour le rendre compâtible avec ses Rivaux favorisez. L’illustre Personne que j’ay nommée Iris, fut seule d’un sentiment opposé. Je ne vous rapporteray point toutes les raisons dont on se servit contre elle. Je vous diray seulement, qu’y ayant de la lâcheté & de la perfidie dans cette derniere Maistresse, & l’autre agissant avec plus de sincerité, il nous paroissoit moins de crime dans celle-cy, que dans celle dont le cœur estoit si lâche, & l’amour si universel ; car enfin il n’est pas fort surprenant qu’une Femme sujette, dit-on, naturellement à changer, venant à trouver dans un autre des qualitez avantageuses que celuy à qui elle s’est engagée d’abord, n’a pas quite ce premier Amant, qui ne luy peut reprocher autre chose que son inconstance ; mais pour celle qui veut ménager, & celuy qu’elle quite, & ceux qu’elle prend, outre l’inconstance qui luy est commune avec la premiere, elle est encor fourbe, lâche & perfide, & ne mérite pas qu’on la regrete. Ainsi un Amant estant obligé de conserver plus d’estime pour la premiere que pour celle-cy, la perte qu’il en fait luy doit estre aussi infiniment plus sensible. Je vostre, &c.

De Gramont.

Lettre XXXVIII §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 270-273.

Lettre XXXVIII.

À Rennes.

ON ne peut, Monsieur, assez loüer vostre Mercure, où l’utile & l’agreable continuënt toûjours à se rencontrer. Si je ne vous croyois accablé de remercîmens, je m’étendrois fort à vous faire les miens, des agreables heures que vous me faites passer. Hyer encor estant allé voir une Parente Religieuse, j’y trouvay trois ou quatre Personnes fort spirituelles. Vostre Livre qui est l’ordinaire entretien des Compagnies, faisoit le sujet du leur. Sur tout chacun veut deviner les Enigmes. Apres que deux d’entr’elles eurent expliqué Medée sur la Jalousie & la Fortune, la Religieuse dont je vous parle dit que Medée representoit le Roy, son Chariot estant environné du Soleil, qui est la Devise de cet incomparable Monarque ; que les Serpens qui le traînoient, estoient les symboles de la Prudence, & marquoient celle qui regle toutes ses actions ; Que Jason qui quitte Medée pour épouser Créüse, figuroit les Alliez, qui l’ayant esté autrefois du Roy, avoient quitté cette illsutre Alliance pour en contracter une autre qui avoit esté suivie de toutes sortes de malheurs ; Que la surprise qu’eut Jason & ceux de sa Suite, lors que voulant punir Medée il luy vit fendre les airs & se dérober à sa veuë, ne fut pas si grande que celle des Ennemis, lors que voyant le Roy à Mets ils crûrent qu’il alloit étendre ses Conquestes du côté d’Allemagne, & qu’au mesme moment, sans qu’ils fussent informez de marche, ils apprirent qu’il estoit en Flandre, & que Gand avoit esté pris. Il me semble, Monsieur, que cette Explication-la est bonne & la plus juste. Celle qui l’a trouvée ne veut pas que je vous la nomme. Ainsi vous me la connoistrez que sous le nom de la Belle Solitaire Cloistrée de Rennes. C’est une jeune Personne fort spirituelle, & belle comme un Ange. C’est tout ce que vous en peut dire vostre, &c.

De G.

Lettre XXXIX §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 273-276.

Lettre XXXIX.

LA Question que vous nous proposez, Monsieur, nous fait remarquer deux sortes d’infidelitez. La premiere a cela de bon, qu’elle prépare doucement un Amant au malheur qui luy doit arriver. Elle luy fait avaler le poison dans un Vase d’or, & faisant agir sa Maistresse avec quelques mesures pour luy, il semble qu’il doit tirer de cette conduite concertée quelque sujet de consolation, parce que ces petits ménagemens marquent au moins qu’elle luy conserve un reste d’estime.

D’autre part quand il pense qu’il n’est rien de plus lâche que la trahison, & qu’il la découvre à travers ces ménagemens, ce luy est un redoublement de douleur d’estre l’objet de la perfidie de sa Maistresse, & de voir qu’on l’assassine sous une fausse apparence d’amitié.

La seconde sorte d’infidelité semble devoir estre moins sensible à un Amant. La raison est, que sa Maistresse ne luy fait pas goûter l’amertume à longs traits, & que la luy faisant avaler en un instant, elle luy épargne le chagrin que cause l’ennuy d’une passion éteinte, & qui ne se soûtient que par artifice. Elle empesche qu’il ne s’y consume en des assiduitez inutiles, qu’il ne perde son temps & ses soins. Il y a mesme quelque espece de bonne-foy à une Maistresse (quand elle est résoluë à estre infidelle à son Amant) de ne luy pas cacher son inconstance. En un mot, la brusque rupture garantit l’Amant du déplaisir de passer pour Dupe, & de voir à loisir introduire un Rival en sa place.

D’un autre costé une pareille rupture est un coup de foudre pour cet Amant. Elle luy fait voir que sa Maistresse n’a nulle estime pour luy, puis qu’elle le quitte sans ménagement, & il n’est rien de si insuportable que le mépris.

Ainsi, selon moy, la premiere sorte d’infidelité fait moins soufrir un Amant, parce qu’elle porte avec elle l’image de quelque honnesteté, & que l’honnesteté estant le charme de la vie, tout ce qui en a l’air choque moins, quelque desagreable d’ailleurs qu’il puisse estre ; au lieu que la seconde sorte d’infidelité marque une brusquerie rustique & sauvage qui déplaist à tout le monde.

T.D.D.

Lettre XL §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 277-281.

Lettre XL.

À Saumur.

Il n’y a point, Monsieur, de Provinciaux en France, qui soient plus enflez de bonne opinion d’eux-mesme que je le suis. Depuis que j’ay veu paroistre une de mes Lettres dans vostre Extraordinaire, j’ay commencé à regarder de haut en bas tous mes Confreres les Campagnards, me persuadant qu’on ne pouvoit passer pour Homme d’esprit dans le monde, si l’on n’estoit dans vos Ouvrages. Quand je me trouve à présent avec quelqu’un, je tiens ma gravité, & ne répons que par monosyllabes aux demandes que l’on me fait. Je pese sur mes paroles comme sur autant d’Oracles ; je compose mes gestes, & m’étudie soigneusement à bien soûtenir en tout le titre d’Autheur que je pretens porter à l’avenir. Cependant, quelque vanité que j’aye, je ne m’oublie pas entierement. Je reconnois toûjours celuy de qui j’ay reçeu ma gloire ; & si l’on me voit monté sur le Parnasse, j’avouë de bonne-foy que vous m’y avez porté. C’est une grace, Monsieur, qui mériteroit que je vous en fisse des remercîmens dignes de vostre honnesteté ; mais, tout Autheur que je suis, je me sens encor trop de foiblesse pour y bien réüssir. Ainsi de peur de vous faire perdre le temps à lire quelques meschans complimens, il vaut mieux vous parler de vostre dernier Mercure, qui a paru aussi charmant que tous les autres. Pour moy je n’admire rien tant dans vos Ouvrages, que vos Ouvrages mesmes ; & tout ce que le Mercure fait dire d’agreable à bien des Gens, ne me plaist jamais comme ce qu’il dit luy-mesme. Par exemple, Monsieur, peut-on rien voir de plus clair ny de mieux expliqué que le sujet des Trophées & des Arcs de Triomphes ? Vous renfermez agreablement en peu de paroles, tout ce que Lipse & les plus sçavans dans l’Antiquité ont dit sur cette matiere. Certes il seroit à desirer que vous voulussiez prendre la peine de traiter en tous les Livres que vous donnez au Public, quelques matieres semblables. Nous verrions bien tost les Pédans défaits, & le beau Sexe parfaitement instruit des choses les plus curieuses. Ce qui paroist de plus épineux deviendroit aussi facile aux Dames, que les Enigmes qui ne leur coûtent presque plus rien à deviner. Jugez-en par les Explications que je vous envoye, & me croyez vostre, &c.

De la Touche.

Quelques Maistres de musique assez experts, m’ont prié de vous mander qu’il seroit bon que ceux qui composent les Airs que vous faites graver, fissent une Basse vocale au lieu d’une continuë. Je crois, Monsieur, qu’ils ont raison, parce qu’on peut joüer une Basse vocale sur les Instrumens, & qu’on ne chante point de Basses continuës.

Lettre XLI §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 281-293.

Lettre XLI.

MAdame du Chastelier ne dédaigne pas de conférer avec les Bergers & les Bergeres de son Village, des Nouvelles de la Guerre & de la Cour, ny mesme de ces choses spirituelles qui sont contenuës dans le Mercure Galant. Celuy du Mois de May luy ayant esté envoyé, elle les fit assembler au Carrefour de la fontaine, & là s’estant assis en rond sous des Alisiers & d’autres arbres qui fournissent en ce endroit une agreable fraîcheur pour la saison, elle leur en fit faire la lecture.

        Ils attachoient toute leur ame
        À ces ingénieux discours ;
        Et quand le beau Dieu des Amours
Eust versé dans leurs cœurs cette adorable flame
    Qui part de son divin Flambeau,
Ou qu’il eust fait le chant de leur Epitalame,
Il les eust moins ravis que ce Livre nouveau.

Le silence fut grand, l’attention profonde, & l’admiration encor plus puissante.

Aussi n’ont ils point veu dans toutes leurs Prairies
        Qui sont charmantes & fleuries,
                Tant d’agreables Fleurs
Que ce Livre en contient comme un divin Parterre,
    Et qui n’aspirant qu’aux honneurs,
Se font pour la Victoire une innocente guerre.

Apres que la lecture en eut esté faite à diférentes reprises, Madame du Chastelier demanda à cette Troupe Pastorale ce qu’elle pensoit de ce qu’elle avoit entendu. Chacun fit des remarques fort judicieuses. Ils ne laisserent échaper aucun endroit fin & délicat, qu’ils n’en fissent connoistre la beauté. Ainsi Madame du Chastelier ne crût pas estre dans un des moindres Cercles de la Capitale. Il n’y eut que la d’Hermansé, qui estant d’un esprit plus libre que les autres, témoigna qu’il y avoit quelque chose dans cet Autheur & dans ses Livres, qui ostoit beaucoup à leur agrément. On la pressa de déclarer ce que c’estoit. C’est, répondit-elle, que l’Autheur est trop honneste Homme, & que sont Livre tient trop de son Maistre. Cette réponse impréveuë surprit la Compagnie ; & quand on la pria de s’expliquer, elle dit que l’un & l’autre ressembloient à des Gens d’une grande frugalité, qui n’usoient de sel, de poivre, ny d’aucun ragoust ; qu’elle aimoit dans son manger les choses piquantes pour exciter l’appétit ; dans la nourriture spirituelle, ce qui réveilloit l’Esprit ; & soûtenoit,

Que le plaisir, c’est la Satire,
Sans quoy nul assaisonnement ;
Et que celuy qui sçait mieux dire,
Sçait reprendre fort librement.

Ce n’est pas, continua-t-elle, que je trouvasse beau qu’il fit son application principale à médire, ny mesme à critiquer, ny aussi que je le blâme de ce qu’il a de la complaisance pour tout le monde. Mais j’estime qu’il ne se feroit pas de tort, s’il piquoit ce qui choque le bon sens ; & que ceux-mesmes qui se verroient ainsi traitez, ne s’en offenceroient pas, parce qu’ils en profiteroient. De bonne-foy, n’est-il pas vray que si nous avions eu les mesmes égards les uns pour les autres, nous parlerions encor le patois de nostre Village, & que Madame ne nous feroit pas aujourd’huy la faveur que nous recevons d’elle.

    Il est donc bon que la Critique
Reprenne ces endroits qui choquent le bon sens,
        Qu’elle les blâme & les explique,
        Ou bien en style allégorique,
        Ou bien en des discours pressans :
        Pourveu qu’on sçache sa pratique,
        (Qu’elle soit fiere ou politique)
Tous ses moyens seront toûjours tres-innocens.

Comme les autres n’avoient trouvé que des loüanges à donner, on la sollicita de toucher les endroits que l’on devoit critiquer. Je ne veux pas, dit-elle, m’ériger en Sçavante. Il y auroit trop de présomption qu’une Fille champestre osast censurer ce qui reçoit tant d’approbation. Mais quoy que je n’aye pour guide que la lumiere naturelle, je veux bien me hazarder de vous dire que je ne puis convenir que quand une Enigme nous est representée sous un nom masculin, on l’interprete par un mot feminin, comme plusieurs ont fait sur l’Enigme du Satyre Marsye. Il me semble aussi que c’est offenser la raison dans ces sortes de choses, de representer un Homme paru n Homme, parce qu’en ce cas, il n’y a point d’Enigme, & mon sentiment est que tout ce qui est de l’Enigme doit changer ; mais j’estime que tout changement dans ces rencontres, doit avoir sa bienséance, & qu’elle n’est pas gardée quand on fait une métamorphose d’un Sexe à l’autre. C’est pourtant ce que plusieurs ont fait dans le Mercure. L’Enigme ne doit pas estre traitée comme ces Tableaux qu’on a veus dans le Cyrus. Les Mots pour l’Enigme ; & quand on en propose de cette sorte, on fait égarer ceux qui vont à la droite Explication. Enfin ce qui en doit faire le sujet, doit avoir un Estre veritable & particulier, afin que les raports soient singuleirs. Voila mes observations, mais j’en dis trop pour une Bergere. Si ce que j’ay dit est raisonnable, il pourra servir à l’explication des trosi Enigmes dont on vient de faire la lecture, & dont on n’a ponit encor songé à deviner les Mots. Nous y resverons à loisir. Cependant, Daphnis, veux tu me faire un plaisir ? Par la permission de Madame, chante-nous sur ta Fluste quelque Air nouveau, & nous dancerons à l’ombre de ces Arbres. Helas, répondit Daphnis, j’ay perdu ma Fluste ; mais, Bergere, tu m’en fais trouver une qui vaut mieux que la mienne, car la premiere Enigme c’est la Fluste.

Voir cet article, cet article, cet article, et cet article dans Mercure
Tout y convient si clairement,
Que ce mot suffit & l’explique ;
Mais permettez qu’en ce moment
J’en fasse voir un sens mistique.
D’Hermensé vous nommez follet
Le beau feu qui me persecute ;
Que je sois vostre Flageolet,
Et vous aussi soyez ma Fluste.
Vous me baiserez en tous lieux,
Ainsi moy vous à qui mieux mieux,
Et dans ces baisers reciproques,
Si nous ne remplissons les airs
De cent simphoniques Concerts,
Nous joüirons des équivoques.

La Perte de ta Fluste, dit Linus à Daphnis, ne t’a guére causé d’amertume ; il te paroist un gosut trop bon pour en avoir esté malade. Aussi elle t’en fait recouvrer une qui te donne incomparablement plus de gloire que le jeu de l’autre n’eust fait. Ainsi souvent arrive-t-il qu’un malheur est avantageux. Tu le vois par expérience. Je ne sçay quel effet aura ton souhait ; mais comme le feu de ton amour te l’a inspiré, il me fait aussi découvrir le sens de la seconde Enigme. C’est le feu de la Chandelle.

Ces Bergers sont admirables, dit la jeune Scarron Mandiné. Ils tournent si bien toutes choses, qu’ils font tout raporter à l’Amour. Il se rencontre dans tous leurs discours, c’est son feu qui regne par tout, & je ne sçay ce qu’ils diroient, si l’on avoit trouvé le moyen de l’éteindre. Je pense que l’Autheur de l’Enigme d’Ino, plus sage que la plûpart des Hommes, prévoyant par un esprit prophétique, que plusieurs mesleroient ce feu dans l’explication des deux premieres Enigmes, a voulu leur préparer un rafraîchissement par celle-cy : car, Madame, cette Ino n’est autre chose qu’une Fontaine dont la Source ayant esté attirée pres de cette Pyramide, elle monte jusqu’au haut par la force des ressorts qui sont cachez dans ces trois figures de Filles qui les representent ; & cette Source retombe dans ce Bassin par ces deux Bras étendus, dont les doigts sont des Tuyaux.

        Cet Autheur est de la Touraine.
        Il a frequenté dans ces lieux,
        Car, Madame, pouvoit-il mieux
        Representer vostre Fontaine ?
Ces trois Filles qu’on voit tendre les mains en haut,
    Sont ces trois illustres Statuës,
Qui par de sours ressorts portant les eaux aux nuës,
        Les font par cette Ino retomber d’un grand saut.
        Elle est sur cette Pyramide,
        Taillée en forme de Rocher ;
        On croit qu’elle va trébucher,
Mais il n’en tombe rien que l’Element liquide.
Enfin d’Ino qu’on étale à nos yeux
        On ne doit point se mettre en peine,
        Elle n’est rien qu’un trait ingénieux,
        Qui signifie une Fontaine.

Question proposée §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 298-300.

Comme je ne doute point que les spirituelles Réponses qu’on a faites sur la Question galante ne vous ayent donné beaucou pde plaisir, j’en vay proposer une autre que la Princesse de Cleves a peut-estre déja fait agiter. Ce Livre continuë à faire bruit, & c’est avec beaucoup de justice. Madame de Cleves découvre à son Mary la passion qu’elle a pour Monsieur le Duc de Nemours. Le trait est singulier, & partage les Esprits. Les uns prétendent qu’elle ne devoit point faire une confidence si dangereuse, & les autres admirent la vertu qui la fait aller jusque-là ; mais on ne nous dit point les raisons sur lesquelles les uns & les autres se fondent pour soûtenir leur Opinion. Elles ne peuvent estre que belles & agreables à sçavoir. Ainsy

Question proposée

Je demande si une Femme de vertu, qui a toute l’estime possible pour un Mary parfaitement honneste Homme, & uqi ne laisse pas d’estre combatuë pour un Amant d’une tres-forte passion qu’elle tâche d’étoufer par toute sorte de moyens ; je demande, dis-je, si cette Femme voulait se retirer dans un lieu où elle ne soit point exposée à la veuë de cet Amant qu’elle sçait qui l’aime sans qu’il sçache qu’il soit aimé d’elle, & ne pouvant obliger son Mary de consentir à cette retraite sans luy découvrir ce qu’elle sent pour l’Amant qu’elle cherche à fuir, fait mieux de faire confidence de sa passion à ce Mary, que de la taire au péril des combats qu’elle sera continuellement obligée de rendre par les indispensables occasions de voir cet Amant, dont elle n’a aucun autre moyen de s’éloigner que celuy de la confidence dont il s’agit.

[Sur l’origine des mouches] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 300-302.

Le peu de temps que j’ay eu pour cet Extraordinaire qu’il m’a falu avancer d’un Mois pour le remettre dans son Quartier, me fait vous demander grace pour l’Histoire Enigmatique. Le Public n’a pas seulement l’esprit penétrant pour deviner ce qu’on luy propose ; mais il l’explique avec tant d’érudition, que je voy bien qu’il ne luy faut rien donner qui ne soit digne de l’application qu’il y fait paroistre. Vous concevez bien, Madame, que ces sortes d’Histoires ne se trouvent qu’apres de longues recherches. Comme je croy mes idées beaucoup moindres que celles des autres, si vos spirituelles Amies se veulent divertir à composer quelque Avanture en Enigme, dont le sujet puisse estre connu comme celuy de la jonction des deux Mers, je la proposeray avec plaisir dans le premier Extraordinaire. C’est un champ ouvert à tout le monde. Cependant si je ne leur donne pas aujourd’huy à expliquer, je vay du moins leur donner à inventer. Elles portent quelquefois des Mouches par agrément. Je les prie de m’apprendre par quelque petite Fable qu’elles bastiront comme il leur plaira, quelle peut avoir esté l’origine de ces Mouches. On peut faire entrer les Dieux dans cette Fable, & chacun inventant selon son génie, vous pouvez vous promettre beaucoup de plaisir de ce qui sera trouvé diversement sur la mesme chose. Ce dessein qui peut fournir à de tres-galantes fictions, selon les diférentes Matieres qu’on traitera, ne m’est point venu de moy-mesme.

Lettre XLII §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 302-315.

Lettre XLII.

À Nuis en Bourgogne.

LE grand nombre de Lettres que vous recevrez sur les Enigmes de vostre Mercure, vous fait assez connoistre, Monsieur, le plaisir qu’on se fait de découvrir un Mot renfermé dans un sens allégorique & mistérieux, & enveloppé dans des ombres & figures spirituelles & sçavantes. La vivacité d’un Esprit ne paroist jamais mieux que dans une prompte explication des Enigmes. Aussi chacun ramasse ce qu’il a de plus brillant pour y réüssir, & employe la force de son imagination pour trouver la verité cachée dans des nüages, obscurcie par des propositions opposées, & voilée sous des contradictions embarrassantes. Vous sçavez que ce jeu a fait l’occupation desp lus grands Hommes de l’Antiquité, que les Sages en ont le sujet de leur étude, & les Rois la matiere de leur divertissement. Les sçavantes observations envoyées à cet incomparable Duc qui a sçeu méler le bel Esprit avec la grande valeur, l’honneur qu’on reçoit des Lettres avec la gloire qu’on acquiert par l4Epée, & les douceurs du Cabinet avec les charmes de la Cour ; ces observations, dis-je, si curieusement recherchées, nous ont appris les differentes especes de l’Enigme, les moyens pour en faire de justes, les Autheurs qui en ont donné des regles, & tout ce qu’une profonde érudition peut apprendre de curieux sur une matiere si sterile. Ainsi il est bien difficile d’ajoûter quelque chose qui n’ait pas esté rapporté par ce sçavant Provençal : Neanmoins comme un champ dépoüillé de sa moisson conserve encor quelques épis de bled, & que les pauvres ont droit de glaner apres la recolte, j’ay entrepris d’y ajoûter quelques remarques qui ont échapé à la mémoire de ce jeu d’esprit renouvellé dans nos jours par vos soins, soit dans une estime plus considérable à l’avenir, & qu’il serve à établir commerce entre ceux qui n’ont que des Marchandises de l’esprit à trafiquer. Aristote dans le Chap. 21. de sa Poëtique, donne une définition fort juste de l’Enigme, & qui nous en fait tres-bien connoistre la nature. Il dit que c’est un Discours qui assemble diverses Propositions qui ont peu de rapport entre-elles, & qui ne pouvant pas estre expliquées par la composition naturelle de leurs paroles, le peuvent estre neanmoins par la transposition de leur sens. Il n’y a rien qui soit plus propre à éveiller un Esprit que cette ingénieuse façon de parler. Apres qu’il s’en est fait une habitude, il est certain qu’il est plus capable de comprendre la difficulté d’une Proposition ; & plus disposé a résoudre la subtilité d’ºn Argument. Le Chapitre 10. du 3. Livre des Rois, rapporte que cette fameuse Reyne de Saba qui vint des extrémitez de la Terre, pour estre témoin elle-mesme de la sagesse de Salomon, ne crût pas en avoir de témoignages plus convainquans, qu’en luy proposant des Enigmes ; & la facilité qu’elle trouva dans ce Prince à les résoudre, la confirma extrémement dans les sentimens d’estime que la renommée luy avoit fait prendre. Mais ce que l’Ecriture ne rapporte pas, & que Josephe assure neanmoins sur la foy de deux fameux Historiens, Ménandre & Dion, est que Salomon estant uny d’une étroite amitié avec Hiram roy de Tyr, ils s’envoyoient réciproquement des Enigmes, & celuy qui y donnoit la veritable explication, recevoit de la part de l’autre des présens magnifiques & des prix dignes de leur grandeur. Il ajoûte que Salomon fut toûjours le vainqueur dans cet exercice d’esprit, jusqu’à ce que Hiram eut fait rencontre d’un jeune Tyrien nommé abdemon qui rétablit la gloire de ce Monarque, par la grande subtilité de son esprit. Souffrez, Monsieur, que je vous expose dans ces circonstances une Enigme écrite dans le 14. Chapitre du Livre des Juges de Samson revestu des dépoüilles du Lyon furieux qu’il avoit tué, parut un jour en public, & y proposa une Enigme, avec promesse de donner à celuy qui en découvriroit le mistere, trente pieces d’argent & un pareil nombre d’habillemens. Il se fit promettre de mesme, que si dans sept jours le sens n’en estoit pas découvert, on luy payeroit le mesme tribut. Ces offres ayant esté acceptées, il proposa son Enigme en ces termes. La force a engendré la douceur, & la nourriture est sortie de la bouche. Il faisoit allusion au Cadavre de ce Lyon qu’il avoit terrassé, dans la gueule duquel il trouva quelques jours apres un Essain de Mouches, & un Rayon de Miel. Ceux qui s’estoient engagez à expliquer cette Enigme, n’en pouvant déveloper le sens, ils eurent recours dans leur embarras à la Femme de Samson, & leurs menaces firent tant d’effet sur son esprit, qu’elle promit de les satisfaire. Cette Femme se servit de tous les artifices de son Sexe pour penétrer dans le secret de son Mary. Les prieres furent employées, les caresses redoublées, & les larmes répanduës, mais toutes ces armes furent inutiles d’abord. Comme trop de panchant pour ce Sexe estoit le foible de ce Héros, il ne pût tenir longtemps contre l’opiniâtre fermeté de sa Femme, & luy ayant enfin révelé son secret, il vit ses interests trahis par la Personne qi luy estoit la plus chere. Cette particularité m’a paru trop propre à mon sujet pour la taire ; mais pour ne pas trop grossir ma Lettre j’en suprime quantité d’autres, & principalement une fort ingénieuse rapportée dans le Chapitre 17. d’Ezechiel. Salomon promet à celuy qui fera une sérieuse lecture de ses Proverbes, une esprit de sagesse, de prudence, & de discernement ; & le plus grand fruit qu’il en fait esperer, c’est l’intelligence dans le discours des Sages, la penétration dans les Paraboles, & les lumieres pour l’Explication des Enigmes.

Si l’autorité du Texte Sacré doit estre d’une grande considération pour nous obliger à faire état des manieres de parler renfermées dans les obscuritez ingénieuses, les Exemples prophanes nous engagent à ne les point mépriser ; au contraire ils nous invitent à nous en servir utilement pour ouvrir & recréer nos esprits. Lycerus Roy de Babylone, & Nectenabo roy d’Egypte, se sont fait longtemps une guerre innocente par le moyen de l’Enigme. Esope fut d’un grand secours à ce premier, & le profond génie de ce subtil Philosophe luy servit beaucoup à triompher de son Aversaire : mais les Lettre rapportées dans vostre Extraordinaire sont trop étenduës sur ce trait d’Histoire, pour le repéter. Les sept Sages de la Grece pour lesquels l’Antiquité a eu une si grande venération, faisoient des Enigmes le délassement de leurs esprits, l’entretien le plus commun de leur repas, & la conversation la plus ordinaire de leur promenade. Plutarque dans osn Banquet en fait proposer plusieurs par Thales à cette Illustre Societé, & c’estoit de cette maniere que s’occupoient ces fameux Personnages dans leurs heures perduës. Les intrigues du monde, les affaires de l’Etat & les démêlez de la Philosophie n’estoient point reçeus parmy eux dans ces heureux momens. Ils délaissoient par là leur esprit en l’exerçant ; ils animoient sa vigueur sans la fatiguer ; ils entretenoient sa vivacité sans luy faire aucune violence. Le Public ne vous a donc pas une mediocre obligation d’avoir fait renaître dans nos jours ces innocentes & spirituelles recreations : aussi chacun se fait un tres-grand plaisir de deviner le Mot de vos Enigmes, & ce plaisir seroit tres-pur, s’il n’estoit un peu troublé par l’impatience de sçavoir si l’on a rencontré le veritable. Je suis vostre, &c.

Taveault.

Lettre XLIII §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 315-345.

Je n’ay plus de place que pour deux Lettres que j’ay reçeuës de Sedan. Quoy qu’elles soient longues, je suis assuré que vous ne vous en plaindrez pas. Elles renferment tant d’érudition, & l’assaisonnement de choses si spirituellement tournées, qu’il est difficile que vous ne regrettiez d’en trouver trop tost la fin.

Lettre XLIII.

À Sedan.

JE vous l’ay déja écrit, Monsieur, vostre Mercure plaist à toute sorte de gens ; mais vous ne sçavez pas que c’est un embarras tout-à-fait étrange pour moy, car on ne se contente pas de se divertir à la lecture de ce Livre, on se croit encor obligé à vous témoigner sa reconnoissance avec quelque espece d’éclat ; & comme on a veu que les remercîmens que je vous ay faits au nom de quelques Docteurs, vous ont paru dignes d’avoir place dans l’Extraordinaire, on s’imagine qu’il n’y a qu’à s’adresser à moy pour se tirer d’affaire honorablement, & que c’est là le grand chemin de l’Impression, & dans cette veuë tout le monde me veut avoir icy pour son Secretaire. Je m’en defens de tout mon mieux. Je me tuë à imaginer des raisons pour cela, on y répond ; je replique, on me refute une seconde fois ; je suis seul contrep lusieurs, j’ay beau crier, on ne discerne point ma voix parmy tant d’autres plus fortes, & c’est tous les jours à recommencer. N’est-il pas vray, Monsieur, que c’est un des plus grands embarras du monde ? Je ne sçay si je feray cesser la persécution par la déclaration que je vais faire, au hazard, de m’atirer des Ennemis & des Ennemies, que je ne veux vous remercier que pour moy-mesme, & pour la Troupe des Sçavans qui m’a déja employé.

Je commence par moy-mesme, Monsieur, afin d’obeïr au Proverbe, & je vous avouë que je ne sçaurois jamais vous remercier dignement de l’honneur que vous m’avez fait en faisant imprimer ma Lettre, car dés là je suis Autheur en bonne & deuë forme. C’est un titre qu’n ne sçauroit plus me disputer raisonnablement. Or ce n’est pas peu de chose que d’estre Autheur, & il faut bien que le monde en soit persuadé, puis qu’on voit courir tant de Gens à ce glorieux titre à travers mille railleries & mille censures dont on les menace. Les Rieurs ont beau faire des plaisanteries sur la qualité d’Autheur en general. Je ne voy pas que la tentation de se faire imprimer en devienne moins insurmontable, & je remarque qu’Il ne sont pas fâchez eux-mesmes qu’on leur fasse courir les périls de l’Impression. Il ne faut pas s’en étonner, car enfin la pensée qu’on a mis au jour un Livre, ait naître les plus agreables visions du monde dans l’esprit. L’Autheur se figure que pendant qu’il dormira la grasse matinée, ou qu’il se divertira à relire les loüanges que ses Amis luy auront écrites de toutes parts, plusieurs Personnes en mille endroits de la Terre examineront son Livre, en feront des Recueils, & se prépareront à le citer avec éloge. Il y en a qui se representent plusieurs celebres Traducteurs un Dictionnaire à la main occupez à faire parler divers langages à leur Livre. Il s’en trouve qui perçent jusques dans les Siecles à venir les plus reculez, & y voyent à coup seûr que l’Antiquité rend leurs compositions venérables, & qu’elles servent de texte à mille sçavans Commentaires. D’autres peignent dans leur imagination cent Ruelles à beau monde où on lira leurs Ouvrages, où on les comblera d’éloges, & où l’on résoudra de faire connoissance avec l’Autheur. C’est selon la nature du Livre, que l’on se represente telle ou telle chose plutost qu’une autre, mais ce sont toûjours des idées qui remplissent de contentement. Il faut avoir passé par l’expérience pour comprendre toute l’étenduë de ces plaisirs. Cela va si loin, que la seule veuë d’un Papier imprimé où on reconnoit son ouvrage, répand par tout le corps un plaisir qui pénetre jusqu’aux moüelles, sur tout la premiere fois qu’on est régalé de ce spectacle : si-bien que je ne m’éotnen plus que l’on ait dit qu’il est aussi rare de trouver un Autheur qui se contente de faire seulement un Livre, que de voir une Femme qui en demeure à la premiere galanterie.

Il y auroit mille choses à dire sur tout cecy, mais il faut estre court : Ainsi, Monsieur, en deux mots, je vous remercie de la qualité d’Autheur dont il vous a plû de me donner l’investiture. Je vous promets de la relever toûjours de vous, & de vous en prester foy & hommage toutes les fois que besoin sera. J’ay des raisons toutes particulieres d’en user ainsi, car en me rendant Autheur vous m’avez procuré des avantages si réels, que l’embarras dont je vous ay parlé au commencement n’est rien en comparaison, & ne m’empesche pas de reconnoistre que je vous suis infiniment obligé. En effet, Monsieur, non seulement vous m’avez attiré les remercîmens de toute une Ville pour la gloire qu’elle trouve à paroistre dans vos Ouvrages, mais aussi vous m’avez associé à plusieurs beaux Esprits de l’un & de l’autre sexe, de telle sorte que nous courons le monde reliez ensemble. Ce qui me fait esperer que si je voyage quelque jour par les Provinces du Royaume, je trouveray par tout d’illustres Confreres qui me recevront chez eux à bras ouverts, car il est juste qu’il se forme une Confrairie des Autheurs de l’Extraordinaire avec le droit d’hospitalité réciproque, y comprenant aussi tous ceux qui devinant les Enigmes, ou qui font figure dans le Mercure par quelqu’autre endroit. Pour vous, Monsieur, cela ne souffre point de difficulté, vous n’avez que faire d’argent pour voyager par le monde. Vous avez des Creatures dans toutes les Provinces, il n’y a point de lieu où vous n’ayez fait de bons Amis & de belles Amies. Quelle apparence apres cela d’aller loger au Coabaret ? Je suis seûr qu’on se feroit par tout un devoir indispensable de ovus en tirer, & un plaisir extréme de vous préparer un Apartement avec grand’chere & grand feu. Mais tout bien compté, je trouve qu’il vaut mieux pour le bien general des Provinces, que vous ne voyagiez pas, car un voyage vous empescheroit de continuer le Mercure, & cette interruption desoleroit plusieurs Provinces ensemble, au lieu que vostre presence n’en satisferoit qu’une à la fois.

Je passe à nos vieux Docteurs. Ils vous remercient comme d’une chose qui leur tient extrémement au cœur, de ce que vous avez rendu public le bon goust qu’ils ont conservé pour les jolies choses. Vous sçavez, Monsieur, que les Gens de ce caractere ne font rien que pour l’eternité, si-bien que vous les avez pris justement par l’endroit le plus sensible, lors que vous avez fait imprimer la démarche qu’ils ont faite de vous remercier de l’avantage que vous procurez aux Sciences par le moyen de vostre Mercure Galant. Outre qu’ils sont bien aises que le Public puisse voir que les Sciences ne gastent pas le goust à l’égard de la délicatesse, comme on les en accuse ordinairement. Ils joignent à tout cela d’autres considérations qui les obligent à vous remercier tres-particulierement de l’Extraordinaire du Mercure. C’est, disent-ils, qu’on y apprendre à connoistre les Gens d’esprit de chaque Province, & qu’on y voit un Eloge fort bien entendu des Provinciaux.

Je crains bien, Monsieur, que tous les Parisiens ne vous en ayent pas avoüé, car plusieurs d’entr’eux tranchent tout court qu’hors de leur Ville il n’y a point de salut pour l’Esprit & poru la Galanterie. Ils traitent toutes les Provinces de Barbares, & sur tout, celles qui sont au dela de la Loire. Ils se relâchent quelquefois en faveur des autres, avoüant que les lumieres de Paris leur peuvent communiquer quelques rayons. Maisi ls prétendent que la Loire est une Barriere que tout Paris ne sçauroit passer, de sorte qu’au dela ce ne sont qu’épaisses tenebres, à peu pres comme les Italiens disent des Régions qui sont à leur égard au dela des Alpes. En tout cas je suis assuré que les bon Connoisseurs de Paris conviennent avec vous, Monsieur, que tout l’esprit & toute l’habileté & la délicatesse de France, ne sont pas renfermées dans leur Ville, car il est évidemment vray que les Provinces ont un tres-grand nombre d’habiles Gens. Je me ferois des affaires, si je mettois en exemple quelques-unes de ces Provinces, car les autres ne manqueroient pas de s’en fâcher. Elles n’entendent point raillerie là-dessus, & ne se veulent rien ceder les unes aux autres. Elles publient toutes des grands Catalogues d’Hommes Illustres. Il y en a peu à la verité qui trouvent un aussi bon Historien que le sçavant Mr Ménage, qui nous doit donenr la Vie des Illustres Angevins, mais enfin elles publient toutes de magnifiques Éloges des grands Hommes qu’elles ont produits, c’est pourquoy je n’oserois dire que la Normandie par exemple, la Provence & l’Auvergne, sont en possession de fournir quantité d’habiles Gens.

Mais comme il est probable que les bons Connoisseurs de Paris dont en cela juste aux Provinces, il est justice aussi que les Provinciaux avoüent à la gloire de cette incomparable Ville, qu’elle se pourroit passer du tribut que les Provinces luy font de tout ce qu’elles produisent de meilleur. J’avoûe qu’il y a un tres-grand nombre de Provinciaux dont les lumieres ont beaucoup d’honneur à la Ville de Paris ; mais encor un coup, elle s’en pourroit passer, parce qu’il naist dans son enceinte assez d’habiles Gens en toute sorte de Professions. On ne pouroit pas dire cela de l’ancienne Rome, car à peine nous reste-t-il quelque Ouvrage qui ait esté composé par un Enfant de cette Ville ; si-bien que tous ces beaux Livres où nous admirons sa grandeur & sa pusisance sont deûs à la plume des Provinciaux. Si nous admirons l’éloquence qui brille dans les Palidoyers de Cicéron ; le sublime qui éclate dans le Panégyrique de Pline ; la grandeur des pensées & des expressions qui regne dans l’Histoire de Tite-Live : Si nous admirons les Vers tendres & amoureux d’Ovide & de Catulle ; la magnificence des Odes d’Horace ; la majesté de l’Eneïde ; l’enjoüement des Comédies de Plaute ; le sel & le bon-sens de celles de Térence ; l’adresse satyrique d’Horace & de Juvenal : Si nous admirons tout cela, dis-je, & plusieurs autres Historiens, Poëtes & Orateurs, qu’il seroit trop long de nommer, ce sont tous Provinciaux que nous admirons. Au contraire il seroit facile de prouver que les Parisiens ont la meilleure part dans tous les Ouvrages de cette espece que nostre Siecle admire le plus, & c’est une marque incontestable que la bonne fortune & la gloire de Paris surpassent celle de Rome, puis que sans la plume des Etrangers nous ne connoistrions presque rien de ce que Rome a esté.

C’est pourtant une chose que je ne sçaurois faire entrer dans l’esprit de nos Docteurs. Ils prétendent que l’Antiquité, & particulierement l’Antiquité Romaine, leur chere Marote, doit avoir la préference en tut & par tout, excepté quand ils méditent sur la gloire de nostre Grand Monarque. En quoy ils imitent les Romains du temps d’Auguste, qui à la reserve de cet Empereur qu’ils mettoient au dessus de tous les anciens Capitaines Grecs & Romains, donnoient dans tout le reste la supériorité aux Siecles précedens, comme Horace le leur reproche. Avec tout cela je dois rendre ce témoignage à nos Sçavans, qu’ils sont bien éloignez de l’entestement d’un Docteur de Bezançon qui desaprouve vostre Mercure, sur ce meschant principe, que tout ce qui n’a pas esté en usage parmy les Romains, ne vaut rien. Il avouë que l’Autheur du Mercure a de l’esprit, & qu’il ménage fort les bonnes mœurs ; car, dit-il, quoy qu’il se fasse mille bons coups entre les deux Sexes, cependant les avantures du Mercure se terminent toûjours le plus honnestement du monde, soit que l’Autheur suprime les conclusions qui pourroient estre de mauvais exemple, soit qu’il ne choisisse que les Galanteries qui ont esté honnestes jusques au bout, sans se soucier du chagrin que cela fait aux Lecteurs libertins ; mais, poursuit-il, si cette sorte de Livre estoit loüable, les Romains n’auroient pas manqué d’en avoir.

Vois croirez peut-estre, Monsieur, que c’est un conte fait à plaisir. Mais pour vous convaincre que le Personnage est capable de ce raisonnement, il suffira de vous dire que c’est un Homme qui ne trouve rien de mieux pensé dans les Livres de ces derniers Siecles, que ce qu’on lit dans un dialogue de Speron Speroni, où un Sçavant d’italie proteste dés le début qu’il aimeroit mieux sçavoir parler comme Ciceron que d’estre Pape. Et parce qu’on ne manqua pas de le décrier suru n choix si extraordinaire, il ajoûte encor plus affirmativement qu’il avoit en plus grande estime la Langue de Ciceron que l’Empire d’Auguste. Bembus, autre sçavant d’Italie, qui est un des Interlocuteurs, n’en dit pas tout à fait autant. Il se contente de déclarer qu’il ne donneroit pas le peu qu’il sçait de cette Langue pour les Etats de Mantoüe. Nostre Docteur de Bezançon trouve aussi que jamais Scaliger n’a témoigné plus de jugement que quand il a voulu estre enterré, un Exemplaire de Virgile sur le cœur, & qu’il a protesté qu’il aimeroit mieux avoir fait une certaine Ode d’Horace, qu’estre Roy de Portugal. Avoüez moy, Monsieur, que ces Gens là n’aimoient guére à dominer, car quand on est touché de cette passion, on se résoudroit sans peine à estre muet, si on esperoit par là d’aller à la Souveraineté. Mais vous ne sçavez pas encor toute l’Histoire du discernement de ce mesme Docteur. Son plus grand Héros est un certain Pomponius Lœtus qui vivoit sur la fin du 15. Siecle. En voicy la raison. C’est qu’il s’opiniâtra toute sa vie à n’étudier point le Grec, de peur de s’exposer à corrompre la pureté de la Langue Latine par le mélange de quelque barbarie étrangere ; ce qui estoit bien éloigné de la conduite du P. Maffée, qui pour la mesme apprehension ne disoit jamais son Breviaire qu’en Grec ? Ce qui suit est encor plus étonnant ; Pomponius Lœtus se défit de son nom de Baptême, qui estoit Pierre, parce que ce n’étoit pas un nom Romain, comme celuy de Pomponius, qu’il prit en la place de l’autre. Ayant épargné dequoy acheter une petite Maison sur le Mont Quirinal, il y fit bâtir une Chapelle en l’honneur de Romulus, & ne manquoit pas tous les ans de chommer avec beaucoup de devotion la Feste de la Fondation de Rome, ; prest à imiter (s’il eut eu assez d’argent) les Habitans de la Ville d’Albande dans la Carie, qui bâtirent des Temples & des Autels à la Ville de ome, apres l’avoir mise au nombre des Dieux. Vous ne vous soucîrez guére, Monsieur, qu’un Docteur qui est capable de ces excés, ne soit pas pour le Mercure Galant.

Ceux que nous avons icy ne sont pas de cette troupe ; ils sçavent mépriser les vieilles choses avecp lus de retenuë, & sans mépriser les productions de nostre Siecle, ils donnent dans le Grec de tout leur cœur, & avoüent mesme qu’en fait de gentillesse il n’a point son semblable dans l’antiquité. Il est vray qu’ils préferent la Langue Latine à la Françoise, & qu’ils sont bien aises que celle-cy ait perdu son Procés pour ce qui regarde l’Inscription des Monumens publics, nonobstant les Livres & les Harangues de Messieurs de l’Académie. Ils disent que la Langue Latine a si bien réüssy à nous ocnserver la magnificence & la gloire des Césars, qu’ïl est de la justice & de la prudence de la maintenir dans sa possession, à présent qu’il s’agit d’élever des Monumens à la gloire d’un Prince qui vaut plus que tous les Césars ensemble.

Au reste, Monsieur, ils sont inconsolables de ce que l’ancienne Italie n’a sçeu produire un Homme comme vous, pour composer tous les Mois un Tome du Mercure Galant. Leurs regrets me semblent assez légitimes, car il est certain qu’un Ouvrage de cette nature seroit d’un grand secours pour connoistre pleinement le génie des Romains, & pour éclaircir mille points d’Histoire & de Literature. Cet Ouvrage feroit beaucoup d’honneur à la Langue Latine, car au lieu que nous ne la voyons qu’en habit de cerémonie, il nous la montreroit dans une parure aisée & naturelle, & je ne doute pas qu’en cet état elle n’eut des graces qui charmeroient plus nos beaux Esprits, que toutes les phrases pompeuses, & que toutes les périodes arrondies qui nous restent. Cet Ouvrage nous feroit connoistre la conversation des Romains, dont Mr de Balzac nous a fait concevoir une si haute idée. Nous y verrions le caractere de leur galanterie, nous verrions comment les Dames Romaines répondoient à une déclaration d’amour & quel tour elles donnoient à leurs Billets doux & à leur Vers, ce que nous ne pourons pas connoistre ny par la Clelie de Mademoiselle de Scudery, ny par la Cleopatre de Mr de la Calprenede, parce qu’au lieu de nous y donner des Portraits tirez apres l’Original Romain, on nous y donne les manieres de nostre Siecle toutes pures, excepté qu’on en oste les idées de libertinage. Outre cela nous verriosn dans ce Mercure l’Esprit Provincial de l’Italie, caro n nous rapporteroit souvent des Pieces galantes & en Vers & en Prose, composées à Mantouë, à Padouë, à Naples, à Tarente, &c. ce qui nous donneroit le moyen de remarquer s’il y avoit de la diférence entre l’Esprit composé du Romain & du Gaulois. Bon Dieu, que ce Mercure eut épargné tant de peine à tant de sçavans Critiques qui ont feüilleté des cent & deux cens mille Volumes pendant quarante ans pour déterrer comment on s’habilloit à Rome ! Mais d’autre costé il leur eut fourny un si vaste champ de Commentaires, qu’ils auroient bien eu dequoy exercer leur diligencee. Tel Billet eut esté écrit en badinant par une jeune Beauté, qui eut coûté dix ans de bonne étude aux Turnebes & aux Casaubons ; & je ne doute pas que si la Langue Françoise devenoit un jour ce que la Latine est devenuë, il n’y eut des Vers de Madame des Houlieres par exemple qui mettroient à quia tout le Parnasse, à force d’estre difficiles. Je serois bien fâché que cette considération l’empeschast de faire des Vers, car quand elle devroit

Aux Saumaises futurs préparer des tortures,

voire les obliger à se manger les poings, nostre Siecle doit souhaiter qu’une Muse aussi tendre & aussi délicate que la sienne, nous régale souvent de ses productions. Mais j’admire comme une chose en attire une autre. Je ne croyois vous écrire que deux mots de remercîment, & deux autres mots sur l’Histoire Enigmatique, & voicy presque un Livre sans avoir rien dit sur cette Histoire. Il n’est pas juste que nos Sçavans se dispensent de fournir leur écot pour le prochain Extraordinaire ; mais cette Lettre est déja si longue, qu’il faut renvoyer la partie à une autre fois. On a deviné icy les deux Enigmes du Mois de May, si le Mot de la premiere est une Fluste, & le Mot de la seconde, le Soleil. Il y a des parys de conséquence sur ces paroles,

    Ma Fille jamais ne me quite,
Si ce n’est dans les lieux où je suis trop puissant.

Les uns veulent que ce soit l’Ombre, d’autres la Lune, d’autres avec plus d’apparence, l’Aurore. Nous verrons au premier jour qui aura gagné. Cependant je vous prie de me croire vostre, &c.

Lettre XLIV §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 345-380.

Il est certain que l’Autheur de l’Enigme du Soleil a entendu l’Ombre par les deux Vers qui sont à la fin de cette Lettre.

Lettre XLIV.

À Sedan.

JE vous ay promis l’Explication de l’Histoire Enigmatique ; je vous tiens parole, Monsieur. J’ay fait tout ce que j’ay pû pour obliger nos Sçavans à s’exercer sur la Lettre en Chiffre ; mais comme ils ont craint de n’en venir pas à bout, ils ont jugé plus à propos de ne le point entreprendre, pour ne point commettre leur réputation. Ils vouloient d’abord me donner le change, & me raporter les diférens moyens dont les Anciens se servoient pour envoyer des ordres aux Genéraux d’Armée & aux Ambassadeurs, sans craindre que les Ennemis venant à intercepter les Dépesches, y connussent quelque chose. Ils me vouloient expliquer la Scytale des Lacédémoniens, me parler de l’Abbé Tritheme, & de ce que luy & d’autres ont écrit sur la Steganographie : à l’occasion dequoy ils vouloient examiner si Tritheme a esté effectivement Magicien, & venir à propos de cela, à discuter s’il y a des Sorciers ou non, & ce que la justice doit faire de ceux que l’on accuse de l’estre, d’où ils seroient passez apparemment à disputer sur le pouvoir des bons & des mauvais Anges, ce qui nous eust menez encor plus loin, tant ils ont d’adresse à enfiler les matieres ; mais je leur dis que ne s’agissant pas de cela, ils pourroient rengaîner pour le coup, que je n’en serois pas moins persuadé de leur lecture ; que je ne prétendois pas les forcer à avoüer qu’ils ne sçavoient pas l’art de déchiffrer, parce que cet aveu seroit contre le Decorum de leur Profession, mais qu’aussi ils me permettroient de croire qu’ils se rendoient. Je voulus en suite leur montrer quelques regles pour trouver la clef des Chiffres, telles que je les avois leuës dans un petit Roman de Mr de Vaumoriere. Ce secours fut refusé, & on me dit que c’estoit à des Commis de ** à s’exercer à cela. Ainsi nous passâmes à l’Histoire Enigmatique. Ils comprirent dés la seconde lecture, que c’est la jonction des deux Mers, à laquelle le Roy fait travailler le Languedoc. Mais comme l’application de tous les Articles semble plus difficile que la découverte du Mot mesme, & qu’on a besoin de quelque connoissance de l’Histoire & de la Géographie pour en venir à bout, je ne manquay pas de leur faire remarquer qu’ils estoient là dans leur élément, & que j’attendois des merveilles de leur memoire. Mais ils joüoient de malheur ce jour-là. Ils n’avoient rien de prêt. Leurs idées estoient confuses, de sorte qu’il leur falut passer par la mortification de demander du temps pour consulter leurs Livres & leurs Recueils. L’affaire fut donc remise à la huitaine.

Le jour venu, je fus les trouver pour leur prester une favorable audience. Je m’estois peparé à les voir batre bien du Païs, & faire mille digressions ; cependant ils me surprirent par l’effroyable quantité de choses qu’ils entasserent les unes sur les autres, & par les écarts qu’ils faisoient à tout propos. Une pensée en faisoit naître une autre, & celle-cy une troisiéme, de sorte qu’en un clin-d’œil on se toruvoit à mille lieuës du lieu d’où on estoit party. C’estoit une Forest d’érudition si épaisse que rien plus. Les noms Grecs & Romains tomboient dru comme la gresle, & je puis dire que jamais je n’ay esté si dépaïsé. Je tâche, Monsieur de vous envoyer le Résultat de cette Conférence déchargé de citations, & d’une partie des superfluitez qui penserent m’accabler.

L’Alliance dont il s’agit, est la jonction de la Mer Mediterranée & de la Mer Oceane. L’une est Fille de l’autre, parce que la Mediterranée est un Golfe de l’Ocean ; & elles sont de mesme âge, parce que dés le commencement du monde l’Ocean a formé ce Golfe. De la maniere que je vous ay caracterisé ces Messieurs, vous jugez bien qu’ils n’ont eu garde de laisser échaper l’occasion qui se presentoit icy d’étaler de la lecture. En effet ils m’ont parlé de l’opinion de quelques-uns qui s’imaginent que la Mer Mediterranée s’est faite par l’effort de quelque tourmente qui en ouvrant les terres aupres du Détroit de Gibraltar, a poussé les eaux de l’Ocean Atlantique le long des Côtes d’Affrique & d’Europe. Ce n’est pas le seul coup de cette nature qu’On attribuë à la Mer. On prétend, poursuivoient-ils, que le Pas de Calais & le Fare de Messine se sont faits de cette maniere, & qu’autrefois la France & l’Angleterre formoient un mesme Continent, comme aussi l’Italie & la Sicile. On prétend aussi que l’Isle de Negrepont estoit autrefois attachée à la terre ferme de Grece, & qu’une fureur des vagues rompant cette communication, forma le fameux Canal qu’on appelle Euripe ; & voila nos Docteurs sur un bel endroit, un flux & un reflux extraordinaire ; un Aristote, le premier Génie du monde, contemplant ce grand mystere, & parce qu’il ne pouvoit le comprendre, s’y précipitant dedans. On a traité cela de Fable. Le lieu commun des erreurs populaires n’a pas esté épargné. On a fait des remarques sur le changement du nom d’Eubæe en celuy de Negrepont, qui auroient bien plû aux Femmes Sçavantes de la Comédie de Moliere, car il y entroit bien du Grec, & on s’est trouvé insensiblement sur les moyens de faire la guerre aux Turcs, dans un Livre où il s’estoit proposé de censurer le stile Latin d’un sçavant Homme du Païs-Bas.

Apres cela, rien ne nous a arrestez jusques à l’endroit où il est parlé d’un Arabe, qui a marié les Parties pour la premiere fois. Je vous assure, Monsieur, que nos Docteurs n’ont jamais pû sortir de ce mauvais pas. Ils soûtiennent que le premier Mariage doit estre attribué à la Nature, & qu’il consiste dans la communication qui est entre les deux Mers au Détroit de Gibraltar. Ils ne trouvent pas dans leurs Livres qu’on ait réüssy à faire d’autres jonctions de cette importance, & leurs Cartes Geographiques n’en marquent aucune entre l’Ocean & la Mer Mediterranée. Ils sçavent bien que des Soudans d’Egypte, originairement Arabes, ont fait travailler à la jonction de la Mer Rouge & de la Mediterranée par le moyen du Nil, mais ils ne sçavent pas que cela leur ait réüssy. Quoy qu’ils ne soient pas dans une petite mortification de se voir accrochez sur un Fait qui est aparemment fort connu, ils ne laisseront pas d’apprendre avec plaisir qui est cet Arabe. Ils n’ont pas eu le temps de parcourir toute l’Histoire Sarrazine, & la Vie de tous les Califes, autrement ils auroient pû trouver l’affaire. Nous verrons au prochain Extraordinaire ce que les autres Devineurs en auront dit.

Pour ces Allemans chez l’une des Parties, qui sont Italiens chez l’autre, ils disent que ce sont les Vents ; en effet on leur donne des noms Italiens sur la Mediterranée, & des noms Allemans sur l’Ocean. Par exemple, le Vent de Septentrion s’appelle Vent de Nord sur l’Ocean, & Tramontana sur la Mer Mediterranée. Le premier est un mot Allemand, le dernier un mot Italien qui marque que le Vent de Septentrion souffle au dela des Alpes à l’égard de l’Italie. Comme nos Docteurs sont bien aises de mettre tout à profit, ils ont pris de là occasion de dire que le Proverbe, perdre la Tramontane, a pris son origine de l’étonnement où seroit un Pilote qui ne pourroit plus regler sa course par la situation du Pôle Septentrional ; & de là, Monsieur, ils ont passé à une digression trop judicieuse, pour ne vous estre pas communiquée.

Ils ont dit que c’estoit une opinion assez bien établie, que les Vents ont reçeu, sous le Regne de Charlemagne, les noms qu’ils portent encor sur l’Ocean ; qu’il y a mesme des Autheurs qui disent que Charlemagne leur imposa ces noms, ce grand Prince n’estant pas si occupé de ses vastes Conquestes, qu’il ne se dérobât quelques momens pour la culture des Arts & des Sciences, jusques là qu’on le fait Autheur d’un Traité de Grammaire tres-achevé : ce qu’il fit peut-estre à l’imitation de César qui a composé divers Traitez de cette nature, un de l’Analogie, un autre du moyen d’écrire élégamment, &c. Ces noms de César & de Charlemagne nous ont fait penser à nostre Invincible Loüis, dont l’ame grande & heroïque incessamment appliquée aux fonctions de la Royauté, & environnée de toutes parts des triomphes qu’il luy a falu remporter par le concours d’une prudence consommée & d’une valeur sans égale, ne l’empesche pas de composer. Mais ce sont bien d’autres compositions que des Traitez de Grammaire : Il suffit au Roy de parler si juste, qu’Il n’y a point de regles qui fournissent un meilleur modele. Quant au reste, sa Plume Royale ne doit avoir qu’un Objet tout à fait héroïque, comme sont les Actions mesmes de Loüis le Grand, sur lesquelles Sa Majesté compose des Memoires qui pourront estre à l’avenir les Loix fondamentales de l’Empire François, & en soûtenir le bonheur & la gloire mieux que toutes les Loix Saliques. C’est là que tous les Successeurs de Sa Majesté apprendront l’Art de Regner d’une maniere glorieuse au Nom François, & formidable à ses Ennemis. À l’égard de Monseigneur le Dauphin, la chose est plus qu’infaillible, pusi que le Roy luy-mesme luy mettra en main les Maximes de son Regne ; pusi que Sa Majesté luy montre par des exemples glorieusement executez, l’application qu’il faut faire de ses Maximes ; puis qu’il a joint à une heureuse Naissance une si belle Education, que nous le voyons déja tout brillant de gloire par cent qualitez heroïques. Nos Docteurs ont dit sur cela les plus belles choses du monde, mais je tâche d’estre court, me souvenant de vostre Préface.

Tout ce qui suit dans le Discours Enigmatique, regarde les Cabales qui se sont faites contre le celebre Mr Riquet. On sçait que la Cour est le Païs des mebuscades, & qu’encor que sous un Roy comme le nostre qui se sçait faire craindre & aimer également, on n’ose pas sacrifier la gloire publique à ses passions particulieres, les Hommes neantmoins sont otûjours indisciplinables du costé de l’envie. Je pourrois finir icy, mais les deux Tentatives qui ont esté faites inutilement pour joindre des Mers, ont fourny tant de choses à nos Docteurs, qu’il n’y a pas moyen de les passer toutes sous silence.

La premiere de ces Tentatives est celle de joindre la Mer Rouge à la Mer Mediterranée. Le premier qui en forma le dessein fut un Roy d’Egypte nommé Nécus, il y a environ 2280 ans. Le Canal estoit déja moitié fait lors qu’il en abandonna l’entreprise, sur l’avis que luy donna l’Oracle que c’estoit travailler pour u nEtranger. Cet Etranger estoit Darius Roy de Perse, qui se trouvant maistre de l’Egypte par la ocnqueste que Cambyses en avoit faite, fit approfondir le Canal ; mais cela n’aboutit à rien. Quant au Roy d’Egypte, il trouva mieux son compte à équiper des Flotes, car au lieu qu’il avoit perdu vingt mille Hommes à creuser un Canal qui ne luy réüssit pas, les Vaisseaux qu’il équipa pour la Mer Rouge & qui furent montez par des Phæniciens, les meilleurs Hommes de Mer de ce temps-là, firent tout le tour de l’Afrique, & retournerent en Egypte par la Mer Mediterranée. D’où on peut convaincre de faux ceux qui disent que le premier qui a doublé le Cap de Bonne Espérance, est le fameux Vasco de Gama l’an 1497. Outre ces Phæniciens, plusieurs autres ont aussi doublé le mesme Cap, entr’autres Hannon Capitaine Carthaginois, qui estant parti de Cadis, fit voile jusques à l’extrémité de l’Arabie, & un certain Eudoxe qui fuyant la persécution de Ptolomée Lathyrus Roy d’Egypte, s’embarqua sur la Mer Rouge, & s’en alla à Cadis. Plusieurs coryent que les Flotes de Salomon qui alloient chercher de l’or d’Ophir, s’équipoient sur la Mer Rouge, & retournoient à Joppe, qui estoit un Port de la Mediterranée. Alexandre avoit si bien oüy parler de cette route, qu’il avoit résolu de s’embarquer à l’embouchure de l’Euphrate, & en côtoyant l’Arabie & l’Affrique, d’aller voir les fameuses Colomnes d’Hercule, & d’entrer par le Détroit dans la Mediterranée. Je m’arreste icy, Monsieur, car si je voulois suivre nos Sçavans, il me faudroti aller jusques aux P……. sur lesquels ils disputerent plus d’une heure, apres avoir longtemps parlé de l’invention de la Boussole, & avoir examiné si les Anciens ont eu quelque connoissance de l’Amérique.

Le troisiéme qui a fait travailler à la jocntion de ces mesmes Mers, est un Roy d’Egypte d’une autre race, à sçavoir de celle qui s’y établit apres la mort d’Alexandre le Grand en la personne de Ptolomée, l’un des Capitaines d’Aléxandre. Le Fils de ce Ptolomée, nommé Ptolomée Philadelphe, ne se contentant pas d’avoir fait construire la Tour du Phare l’une des sept Merveilles du monde, fit aussi travailelr au Canal du Roy Nécus, il y a environ 2000 ans. Il y en a qui disent qu’il le conduisit à sa perfection ; mais nos Docteurs tiennent cela pour aprocryphe, & pour n’avoir autre fondement que les loüanges de quelque Poëte, car il y en avoit bon nombre dans la Cour de ce Prince ; une partie de ceux qui composent la fameuse Pleïade des Grecs vivoit sous son regne ; il leur faisoit de grosses pensions ; la Nation Grecque ne gardoit aucune mesure ny dans la loüange ny dans le blâme, & dés là on doit aller bride en main pour juger de la glorie de ce Ptolomée. Les Poëtes font une tres-meschante caution du merite des Souverains ; l’hyperbole leur est necessaire de necessité de précepte (car les regles de la Poësie le veulent ainsi ;) ils n’ont garde de l’oublier quand elle est bien payée, de sorte que sur la foy de leurs loüanges on ne peut tout au plus répondre que de la liberalité des Gens.

Presque tous nos Geographes lors qu’ils parlent de l’Isthme de Suez, nous content qu’apres la perte de la Bataille d’Actium, la Reyne Cleopatre fit travailler à le rompre, afin de se sauver avec sa Flote dans quelque endroit de l’Ocean. Mr de la Mothe le Vayer, qui estoit si sçavant, nous le debite ainsi dans sa Geographie du Prince, & se reclame de l’autorité de Plutarque. Cependant il est certain que Plutarque dit toute autre chose ; c’est que Cleopatre s’estoit mis dans l’esprit de faire transporter ses Vaisseaux par terre à force de bras & de machines, jusques dans la Mer rouge, à peu pres comme Mahomet II. le pratiqua pour se rendre maistre de Constantinople. Il est plus certain que les Soudans d’Egypte ont voulu tirer un Canal du Nil jusques à la Mer Rouge, pour faciliter le commerce de l’Europe dans le Levant, & pour augmenter leurs revenus en faisant payer de gros imposts aux marchandises. On dit que le fameux Alfonse d’Albuquerque apres la découverte des Indes, eut la mesme pensée. D’autres disent qu’il voulut faire un Traité avec le Roy des BAyssins pour détourner le Nil & ruiner par là l’Egypte ; à quoy on adjoûte que le Grand Seigneur, pour éviter cet inconvenient, paye tribut au Roy des Abyssins. Cependant la Relation du P. Telles Jesuite Portugais, qu’on estime beaucoup, traite tout cela de Fables, & soûtient qu’il est impossible d’en venir à bout, & que le Nil est éloigné de la Mer rouge de plus de cent lieuës, au lieu où il l’approche davantage. Mr du Val doit avoir d’autres Memoires, puisqu’il nous assure dans des Livres imprimez depuis deux ans, que le Canal du Nil le plus proche de la Mer Rouge n’en est éloigné que d’environ neuf lieuës. Qu’il y a des Gens qui se trompent parmy les Autheurs, & qui en trompent d’autres ! On convient assez genéralement que l’on a craint l’inondation de l’Egypte par es eaux de la Mer Rouge, parce qu’elles sont beaucoup plus hautes que l’Egypte, & que c’est la raison pourquoy on ne s’est pas opiniâtré à achever le Canal de communication. On a touché cela dans l’Histoire Enigmatique. Pour cette Partie considérable du Monde qui eut changé de nom, il faut dire que c’est l’Affrique, car de Presqu’Isle qu’elle est à present, elle seroit devenuë une Isle, si on eut une fois joint les deux Mers.

La seconde Tentative est celle d’isoler la Morée, en perçant l’Isthme de Corinthe si celebre par la tenuë des Etats Generaux de la Grece, qu’on appelloit le Conseil des Amphictions, & par les Jeux qu’on celébroit en l’honneur de Neptune. Demétrius Roy de Macédoine, Jules César, Caligula, & Néron, ont eu ce dessein. Néron l’avoit pris tellement à cœur, qu’il harangua dans les formes son Regiment des Gardes pour l’animer davantage à ce travail. Ce fut luy qui ouvrit la Tranchée le premier, & qui chargea sur ses épaules la premiere hottée de terre. Si ce dessein eut reüssy, la navigation de la Mer d’Ionie dans la Mer Egée eut esté incomparablement plus courte : le Peloponnese se fut veu la maistresse Isle de toutes ces Mers qui sont toutes couvertes de petits Isles : on eut évité mille incommoditez qu’il falloit essuyer necessairement pour faire le tour du Peloponnese, dont le circuit est de plus de 300 lieuës, à parcourir l’enfoncement de tous ses Golfes, comme il faloti faire anciennement, car faute de Bossole il faloit toujours ranger les Côtes. Cette entreprise passa enfin pour impossible, comme il paroit par le vieux Proverbe Latin, creuser l’Isthme, qui signifioit la mesme chose que parmy nous vouloir prendre la Lune avec les dents. On s’imagina mesme qu’il entroit de la Religion dans tout cela, & on conte que Néron, tout Néron qu’il estoit, se déporta de son entreprise, de peur de se faire des affaires avec les Dieux. On allegue des Oracles, & entr’autres celuy qui fut rendu aux Gridiens qui avoient voulu convertir en Isle leur Territoire situé dans la Doride. Les Travailleurs ne frapoient pas un seul coup sans estre incommodez par les éclats de pierre qui leurs sautoient aux yeux principalement. Ils crûrent qu’il y avoit du mystere là-dedans, on courut viste à l’Oracle, qui répondit qu’on eut à laisser les choses comme elles estoient, & que si Jupiter eut voulu là une Isle, il auroit bien sçeu l’y mettre. J’ay oüy dire qu’on a attaqué l’entreprise de Mr Riquet par cet endroit-là, comme si c’estoit une temérité à l’Homme de vouloir reformer les œuvres de la Creation. C’est icy que nos Docteurs se sont donnez l’essor d’une étrange maniere, comme il est facile de le figurer. Je me reposay cependant, & interrompis mon attention.

Apres qu’ils furent revenus de leurs longues courses, je crûs que pour les délasser, il faloit leur proposer la Question galante. Ils prirent cela pour une raillerie, & me dirent qu’il ne faloit pas insulter ainsi aux Gens de Lettres, & qu’apres tout on avoit tort dans le monde de les croire fort ignorans de la Galanterie. Ils reclamerent l’autorité de Platon & d’Aristote, citerent des Vers Grecs du premier qu’ils garantirent pour aussi passionnez & délicats qu’aucune Scene du Pastor Fido : & à l’égard d’Aristote, ils dirent qu’il avoit fait au pied de la lettre, ce que les Gens du monde ne font qu’en figure. Les Galans de profession disent bien qu’ils offrent de l’encens à leur Maistresse, qu’ils luy font des sacrifices, qu’ils la regardent comme leur Divinité, mais ce n’est que par métaphore. C’est Aristote qui a fait cela réellement & de fait, avec toutes les Cerémonies qui se pratiquoient pour les Déesses. On ne voit guére de vos AMorueux, poursuivirent-ils en me regardant, dans les Prisons de l’Inquisition pour les excés de leur tendresse ; mais si Aristote ne se fut sauvé, on luy eut fait rendre un rude compte de son Idolâtrie galante.

Apres cette petite Apologie de la galanterie des Sçavans, ils ne firent pas difficulté de m’avoüer que pour eux ils ne connoissoient pas assez l’Amour pour décider la Question ; qu’ils n’avoient jamais aimé d’autres Femmes que les leurs, encor estoit-ce seulement depuis qu’ils les avoient épousées ; qu’ils sçavoient bien que cela passoit pour ridicule dans le grand monde, où fort souvent on n’a point d’autre raison de n’aimer pas une Personne, si ce n’est qu’on se trouve marié avec elle ; mais qu’ils ne se piquoient pas de tant de délicatesse. Enfin je n’ay pû arracher d’eux autre chose que ce qui suit.

Qu’il vaut mieux estre trahy par une Maistresse qui ne garde nulles mesures avec nous, que par une Maistresse qui nous veut tenir le bec en l’eau, parce que quand on voit une perfidie accompagnée de froideur, on prend son party, & on se dégage, au lieu qu’une Maistresse infidelle, & que vous auriez mesme surprise en flagrant delit, peut avoir assez de forces par ses flateries & par ses détours, pour vous retenir dans ses filets. Or c’est la plus grande lâcheté du monde, que d’estre pris pour Dupe comme cela, témoin ce Roy de Tamaram dont on nous a donné l’Historiette ces années dernieres ; la foiblesse qu’il a de se laisser persuader par sa Maistresse déloyale tout ce qu’elle veut contre le témoignage de ses sens, l’expose au mépris de tous les Lecteurs. Si elle l’eut trahy sans le ménager aucunement, il eut évité cette honte. Ils ont conclu par un passage de Térence, où il est dit que le moindre semblant de pleurer d’une Coquete infidelle, est capable d’abuser misérablement un honneste Homme, éclairé d’ailleurs sur les infidelitez, & armé de mille bonnes résolutions. Ces bons Docteurs n’ont pas bien compris l’état de la Question, car il s’agit proprement de sçavoir lequel des deux Partis fait le plus souffrir un Homme. Il semble que ce soit quand on est méprisé & trahy tout à la fois ouvertement, car les peines que l’on voit qu’une Maistresse se donne pour se justifier aupres de nous, doivent apporter quelque consolation, estant une marque de son estime. Mais ces Messieurs n’y regardent pas de si pres, ils vont au solide ; le meilleur, dans leur opinion, est tout ce qui nous expose au mépris de moins de Gens, & qui nous aide à recouvrer nostre liberté. Je suis vostre, &c.

Lettre XLV §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 386-389.

Lettre XLV.

À Paris.

VOstre Extraordinaire, Monsieur, m’a causé un plaisir qui n’est pas commun. La diversité du stile dans la quantité de Lettres qui le composent m’a surpris. Je me suis souvenu en le lisant de la pensée d’un Ancien qui s’étonnoit qu’il ne se trouvât pas deux Hommes qui se ressemblassent parfaitement, quoy que formez des mesmes parties. Les Lettres dont vous nous avez donné le Recueil, ont presque toutes un mesme sujet, & la difference du stile ne laisse pas d’y mettre une fort grande varieté.

Pour vostre Histoire Enigmatique, je vous avouë qu’elle m’a paru fort aisée, & qu’à peine j’en avois lû les premieres pages, que douze Vers de Mr de Corneille l’aîné, que je vous envoye, m’ont fait connoistre que vous nous parliez de la jonction des deux Mers. Je ne doute pas que vous n’ayez déja veu ces Vers, puis qu’il y a quelque temps qu’ils sont composez : mais ils viennent tellement au sujet, que j’ay crû vous en devoir faire souvenir.

La Garonne & l’Atax dans leurs Grotes profondes
Soûpiroient de tout temps pour marier leurs Ondes,
Et faire ainsi passer par un heureux panchant
Les Tresors de l’Aurore aux Rives du Couchant ;
Mais à des œux si doux, à des flâmes si belles,
La Nature attachée à des Loix éternelles,
Pour obstacle invincible opposoit fierement
Des Monts & des Rochers l’affreux enchaînement.
France, ton Grand Roy parle & ces Rochers se fendent,
La Terre ouvre son sein ; les plus hauts Monts descendent,
Tout cede, & l’Eau qui voit ses passages ouverts
Le Fait voir tout puissant sur la Terre & les Mers.

Je me vois obligé de vous avertir que dans plusieurs Cartes de France, on trouve Aude au lieu d’Atax qui est dans le premier de ces Vers, ais on en trouve aussi qui marquent Atax et non pas Aude. Je serois trop long, Monsieur, si j’entreprenois d’expliquer chaque partie de cette Histoire. Il suffit que je vous aye dit le vray Mot, & qu’il m’ait procuré l’occasion de vous assurer que je suis vostre, &c.

C.P.R.A.D.C.

[Discussion sur les réponses à la question proposée] §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 390-391.

Ces huit autres Vers m’ont esté envoyez sur cette mesme jonction des Mers. Ils sont trop agreables pour les oublier.

        Dans vostre Histoire Enigmatique,
        (Puis que vous voulez qu’on l’explique,
        Et mesme que ce soit en Vers)
Je trouve le Canal qui doit joindre les Mers ;
    Mais je prévoy que dans ce Mariage
Que nous verrons conclu par le secours de l’Art,
Si les futurs Conjoints ne font mauvais ménage,
    Ils feront au moins lit à part.

Mr Douvrier, si fameux par les Devises, a fait une Inscription merveilleuse pour ce Canal qui doit faire la communication des deux Mers. Elle est Latine, & c’est quelque chose de bien extraordinaire pour moy que de vous rien envoyer dans cette Langue ; mais outre qu’on ne sçauroit mieux loüer le Roy qui fait cette Inscription en peu de mots, je croy pouvoir dans une Lettre extraordinaire, ce que je ne me croirois pas permis dans une autre.

Æternum hoc publicæ utilitatis opus,
Immortalis gloriæ monumentum,
Omnibus retro sæculis, nec tentatum,
Quondamventuris, miraculo futurum,
LODOVICUS AUGUSTUS,
Rex Christianissimus,
Paris major ;
Disjoncta fatorum lege, Maria, jungens,
Authore gloria, Duce prudentia, Comite fortuna,
Audacter inchoavit, fæliciter perfecit.

Sonnet sur la Question des deux Amans, proposée dans le premier Extraordinaire §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 391-395.

Si je ne puis mettre icy tout ce qui m’a esté écrit sur l’Histoire Enigmatique, il ne m’est pas moins impossible de vous envoyer les sentimens de chaque Particulier sur la Question proposée. Celuy qui signe Nicolaif Nippuoh de Maristel, a dit que l’Amant quité tout d’un coup soufre le plus, & il le prouve par l’Histoire d’un Amant mort de duleur dans le moment qu’il apprit de sa Maistresse qu’elle le quitoit pour un Rival. C’est une Avanture dont je vous entretiendray quelque jour. Mr de Seguiniere dont je vous viens de parler, est d’un sentiment contraire, & fait une tres-judicieuse peinture des peines de l’Amant à qui une Infidelle veut faire croire qu’elle ne cesse point de l’aimer. Les Dames de Saumur sont de ce mesme sentimens, aussi bien que la plûpart de ceux qui ont écrit sur la Question. Ils conviennent tous que l’Amant abandonné tout d’un coup soufre plus violemment dans le temps qu’il soufre ; mais comme la necessité de son malheur luy doit faire prendre de fortes résolutions pour se guerir, ils soûtiennent que ses peines ne sçauroient estre longues, & selon eux c’est tout en amour que gagner du temps. Je finis cette matiere par ce Sonnet que j’ay reçeu de Chaumont en Bassigny.

Sonnet

Sur la Question des deux Amans,

proposée dans le premier

Extraordinaire

        CLoris usant de stratagême,
        Pour déguiser son changement,
        Croit qu’avec ce tempérament,
L’Injure pour Daphné n’en devient pas extréme.
        Iris qui n’en fait pas de mesme,
        Croiroit outrager son Amant,
        De n’avoüer pas nettement
Que c’est de tout son cœur qu’en d’autres lieux elle aime.
        Si vous demandez qui des deux
        Rend son Amant moins malheureux ?
Je ne vois pas, hélas ! quelle est la plus discrete.
Car l’infidelité, parlant selon mon goust,
        À quelque sauce qu’on la mette,
        Est toûjours un mauvais ragoût.

Lettre XLVI §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 404-407.

Je croyois finir icy, mais une Lettre qu’on m’apporte presentement de Venise merite bien que vous la voyiez. Vous la trouverez accompagnée d’une autre que Monsieur le Duc de S. Aignan m’a fait l’honneur de m’écrire sur les Enigmes d’un des derniers Mois.

Lettre XLVI.

UN Gentilhomme François qui a passé le Carnaval à Venise, m’ayant fait present d’un de vos Mercures, je l’ay lû, Monsieur, avec beaucoup de plaisir, & l’ay fait voir à des Personnes assez éclairées qui l’ont trouvé extrémement bien tourné. Cet Ouvrage est remply de galanteries qui répondent à la délicatesse des François, & les expressions m’en ont paru si justes & aisées, que je ne crains point de vous dire que j’y ay remarqué plus de lumiere encor que de brillant.

        Mas luz aun que resplendor.
        Chaque feüillet a sa beauté
        Que cens traits brillans font connoistre,
        Mais malgré toute sa clarté
Il en cache beaucoup plus qu’il n’en fait paroistre.

Les Nouvelles de la Guerre, les Intrigues d’Amour, les Compositions galantes & heroïques en Prose & en Vers, les Airs passionnez, les Enigmes sont un composé admirable.

C’est un champ émaillé de cent mille fleurettes
Dont la diversité charme & ravit les yeux,
On y voit des Bergers tendres, ingénieux
Qui chantent leurs Amours sur leurs douces Musetes.
        Les Fiffres, Hautbois & Tambours
        S’accordent avec les Trompettes.
Les Muses en ce Champ paroissent satisfaites
De l’Empire de Mars, des Ris & des Amours.

Jugez, Monsieur, de la satisfaction que m’a donné cette lecture par le panchant que j’ay à vous rendre justice : vous ne devez point vous en étonner.

Piega Onde piu Rigevé.
Je panche du costé dont je reçois le plus.

Je ne serois pas Venitien, si j’avois d’autres sentimens pour un François de vostre caractere : ainsi vous devez croire que si j’estime vos Ouvrages, j’estime encor plus l’Auteur à qui j’ay fait vœu d’estre toute ma vie &c.

Fredino.

Lettre XLVII §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’avril 1678 (tome II), p. 407-411.

Lettre XLVII.

Du Havre le 24. de May.

PLus vous continuez vostre Mercure Galant, plus je continuë à l’admirer. Il m’instruit en me divertissant, & le seul defaut que j’y remarque, c’est qu’il attache à un tel point, qu’on pourroit en avoir moins d’application au service du Roy dans les employs où l’on y doit estre occupé. Vous qui témoignez avec tant de justice de l’admiration pour les incomparables vertus de ce grand Monarque, ne craignez-vous point d’apporter de la distraction à ceux qui le servent ? Vous me répondrez sans doute, Monsieur, que comme ce n’est pas pour longtemps, cela ne peut pas estre de dangereuse consequence. Quand j’en conviendray avec vous, il n’en sera pas de mesme pour l’explication des Enigmes ; aussi n’en ay-je osé entreprendre aucune depuis celle de l’Armée des Conféderez, hors les deux que je vous envoye aujourd’huy, je confesse qu’elles m’ont tenté, & que pour les avoir trouvé faciles à deviner, elles ne m’en ont pas moins semblé moins ingénieuses. Voicy, Monsieur, ce que je diray sur la premiere.

        Je ne sçay si j’ay frappé
        Bien droit au but où je vise,
        Ou si dans cette entreprise
        Je suis en vain occupé ;
        Mais je serai fort trompé
        Si ce n’est une Chemise.
Sans resver un moment j’eus l’affaire achevée,
Regardant un Bâton que j’avois à la main,
Sa teste vaut le mieux, pour ce qu’elle est d’or fin,
Il est sec, droit, leger, il se fait craindre ; Enfin,
C’est une Canne d’Inde, & l’Enigme est trouvée.

Il ne se peut pas faire qu’un Premier Gentilhomme de la Chambre du Roy méconnoisse une Chemise qui à l’honneur d’approcher de si prés, comme dit l’Enigme, de la Sacrée Personne de Sa Majesté ; ny qu’un Lieutenant General en ses Armées se puisse tromper facilement en la description d’une Canne. Mais quand je le serois dans toutes les deux (ce que j’ay peine à croire) je m’en consolerois bien, puis que je voy par les noms de plusieurs Personnes de beaucoup d’esprit & de mérite, que l’on ne rencontre pas toûjours absolument, & qu’il suffit d’approcher du dessein qu’ont eu les Autheurs de ces galans Ouvrages. Les grandes apparences de la Paix avec la Hollande m’empeschent de dire mes sentimens touchant la troisiéme. Vous jugez bien, Monsieur, quels ils auroient pû estre sans cela. Quoy qu’Il en soit, je souhaite bien moins d’avoir réüssy à deviner ces trois Enigmes, qu’à trouver une occasion de vous faire bien connoistre avec combien d’estime je suis toûjours vostre, &c.

Le Duc de S. Aignan.