1678

Mercure galant, juillet 1678

2014
Source : Mercure galant, Claude Blageart, juillet, 1678
Ont participé à cette édition électronique : Anne Piéjus (Responsable d'édition), Nathalie Berton-Blivet (Responsable d'édition), Alexandre De Craim (Édition numérique), Vincent Jolivet (Édition numérique), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Anaïs Masson (Relecture).

Mercure galant, juillet 1678 [tome 7]. §

À Monseigneur le Dauphin §

Mercure galant, juillet 1678 [tome 7], non paginé.

À MONSEIGNEUR LE DAUPHIN

MONSEIGNEUR,

Vous avez tant de part aux Vers qui suivent, que quoyque ce ne soit pas à Vous qu’ils s’adressent, je puis les regarder comme un Ouvrage qui vous est particulierement dedié. Comme Autheur du Mercure, je suis chargé de le faire voir à toute l’Europe. Il contient des veritez qui vous sont trop glorieuses pour ne me pas faire une joye d’estre employé à le publier. Agréez, MONSEIGNEUR, l’empressement que je vous en témoigne, & me pardonnez la liberté que je prens de vous assurer en mesme temps que de tous ceux qui admireront la peinture qui s’y trouve de vos grandes qualitez, aucun n’en sera jamais si charmé que moy, qui suis avec la plus profonde soûmission,

MONSEIGNEUR,

     Vostre tres-humble & tres-

        obeïssant Serviteur, D.

Grand Roy, lors que le bruit qui résonne en tous lieux,
Sur ton auguste front me fit porter les yeux,
Sans suspendre mon choix par d’infaillibles marques,
Je distinguay d’abord le plus grand des Monarques,
Et sans voir ton visage ombragé de Lauriers,
J’y reconnus les traits du plus grand des Guerriers ;
Mais surpris de l’éclat de ta grandeur suprême,
Je tournay mes regards sur un autre toy-mesme,
Et j’achevay de voir sous des traits adoucis,
La majesté du Pere au visage du Fils.
Comme dans son midy l’Astre qui nous éclaire,
D’un prompt aveuglement punit un teméraire,
Qui se laissant conduire à des yeux indiscrets,
De ses rayons perçans croit soûtenir les traits,
Au lieu que sur le point de commencer sa course,
Il nous laisse admirer ses beautez dans leur source,
Où par l’éloignement leur éclat temperé
Abandonne à nos yeux un plaisir assuré.
Ainsi t’envisageant au grand jour de ta gloire,
D’une foule d’Exploits rappellant la memoire,
Mon esprit & mes sens également troublez,
Du poids de ta grandeur alloient estre accablez,
Quand ton charmant Dauphin par sa seule presence,
À mes regards tremblans redonna l’assurance,
Et parmy les éclairs de tant de majesté,
Me permit d’entrevoir les traits de ta bonté.
J’apperçeus sur son front formé des mains des Graces,
L’impatient desir de marcher sur tes traces.
Je crûs voir dans ses yeux une certaine ardeur,
Qui découvroit aux miens sa future Grandeur.
De mille autres attraits le parfait assemblage,
D’un Héros accomply l’infaillible présage,
Me montra dans le cours d’un heureux avenir,
Parce qu’il est déja, ce qu’il doit devenir.
 1Glorieux Rejettons du cette tige Illustre,
D’où les Lys ont tiré tant de force & de lustre,
Ornemens précieux de sa nouvelle Cour,
Dont les charmes naissans croissent de jour en jour,
Qui brûlez comme luy de ces heureuses flâmes,
Que le Ciel liberal inspire aux grandes Ames,
Et qui dés le berceau partageant ses plaisir,
Penetrez de son cœur les plus secrets desirs.
 Dites-nous ces transports dont l’ardeur inconnuë,
Découvrant à vos yeux son ame toute nuë,
Vous y fit voir cent fois les plus beaux mouvemens,
Que la Gloire fait naistre au cœur de ses Amans,
Impétueux desirs d’une ardente jeunesse,
Qui des ans trop tardifs accusez la paresse,
Sans réveiller l’ardeur qui l’anime aux Combats,
Laissez du moins former la vigueur de son Bras,
LOUIS vous laisse encor dequoy vous satisfaire,
Des Peuples à dompter, des Conquestes à faire,
De mille autres Lauriers pouvant se couronner,
Par les mains de son Fils il les veut moissonner.
 Dans le préssentiment d’une si douce attente,
Il retient de son Bras la force triomphante,
Et content des honneurs qu’il s’assure aujourd’huy,
Interrompt des Exploits qu’il reserve pour luy.
 O Toy, de ce tresor heureux dépositaire,
Montausier, fais qu’un jour il égale son Pere,
Et que sans s’arrester aux Exemples anciens,
Pour les surmonter tous, il imite les siens.
 Fais que jusqu’à la fin, conduit par ta prudence,
De tes soins assidus couronnant la constance,
Les fruits qu’il nous promet par tes mains cultivez,
À leur maturité soient bientost arrivez.
Fasse le juste Ciel qu’achevant ton ouvrage,
Dans les premiers essais de son jeune courage,
Tes genereux conseils secondant sa Valeur,
Tu conduises son Bras aussi-bien que son Cœur.
   DU JARRY.

Preface §

Mercure galant, juillet 1678 [tome 7], non paginé.

PREFACE.

Comme le premier Extraordinaire donné un mois apres qu’on l’avoit promis, a pû faire croire que la mesme chose arriveroit dans la suite, on avertit qu’on a tenu parole pour le second qui a commencé à estre distribué dés le 20. de Juillet. On n’a rien épargné pour l’embellir, & ceux qui l’ont veu avoüent que depuis long temps on n’a mis d’aussi belles Planches dans un Livre. On a fait une faute dans l’Article des Modes. On a mis que les Hommes s’habilloient d’Etamine couleur de Prince, au lieu de dire que la plûpart des doublures de leurs Habits sont couleur de Princes. À l’égard des Ouvrages d’esprit, on prie qu’on n’envoye rien que de court tant pour le Mercure que pour l’Extraordinaire. Outre que la diversité plaist, on est bien aise qu’il se trouve place pour tout ce qu’on reçoit de bon. Ce n’est pas qu’on ne soit obligé à Messieurs les Docteurs de Sedan. Leurs Lettres qui sont dans le dernier Extraordinaire estant admirables, ne pouvoient estre trop longues. Le Mercure est aussi fort redevable à ceux qui n’ayant jamais rien fait, mettent la main à la plume tout expres pour luy ; mais on les prie de considerer qu’il luy faut autre chose que des coups d’essay. Il va dans toutes les Cours, & pour estre bien reçeu, il n’y sçauroit porter des Ouvrages trop achevez. Ceux qui veulent bien se donner la peine d’écrire pour l’Extraordinaire, peuvent choisir telle matiere qu’il leur plaira. Plus elle sera particuliere, plus on la recevra agreablement. Ils sont priez de mettre cette matiere pour titre de leurs Ouvrages, sans commencer par des loüanges ou par des congratulations à l’Autheur sur le succés de son Livre. Ces loüanges ne peuvent qu’importuner le Public quand on y en laisse un partie, & on ne les peut retrancher entierement sans qu’il en couste du temps, qui sera beaucoup mieux employé à faire un corps de ces diferentes Parties, comme on en fait un des Nouvelles du Mois qui composent chaque Mercure. Il y en a eu tant pour celuy-cy, qu’on n’a pû mesme les mettre toutes ; & comme elles sont préferables aux Ouvrages qui peuvent y paroistre en tout temps, on a crû que ceux qui en ont envoyé ne se fâcheroient point d’attendre. On a déja dit que tout ce qui est bon aura son tour, & on n’en avertira point davantage. Ceux qui se plaisent à expliquer les Enigmes en Figures, sont priez de se fixer sur un seul Mot, sans en donner plusieurs sur la mesme Enigme ; c’est ne rien dire que dire trop. On est obligé à l’honnesteté de ceux qui affranchissent le Port de leurs Lettres, ou qui les font rendre par leurs Amis. On n’en auroit jamais rien dit, sans le grand nombre qu’on en reçoit. Elles font une somme considerable quand le Port de toutes se paye par un seul, & ce n’est rien pour chaque particulier.

[Madrigal de Mademoiselle de Scudery] §

Mercure galant, juillet 1678 [tome 7], p. 25-26.

Vous avez eu raison d’approuver le Quatrain qui finit ma derniere Lettre. Je vous l’ay envoyé comme je l’avois confusément entendu, mais j’ay sçeu depuis que c’estoit la fin d’un Madrigal de Mademoiselle de Scudery. Je vous l’envoye aujourd’huy entier, tout ce qui vient de cette illustre Personne estant trop considérable pour en rien perdre.

MADRIGAL
SUR LA PAIX.

 Jamais on n’avoit tant vanté
Ny Campagne d’Hyver, ny Campagne d’Esté,
Quand Loüis revenoit suivy de la Victoire.
 Quelle est cette nouvelle gloire ?
Sur ses propres Exploits a-t-il pû rencherir,
Apres tant de succés sur la Terre & sur l’Onde ?
 Oüy, car donner la Paix au Monde,
 C’est plus que de le conquerir.

Sur la Campagne du Roy, Faite avant le Printemps, Madrigal §

Mercure galant, juillet 1678 [tome 7], p. 26-28.

Les belles choses ne viennent jamais trop tard. Quoyqu’il y ait déja plus de quatre mois que la prise de Gand & d’Ypres a terminé la Campagne de Sa Majesté, vous ne serez pas fâchée de voir les Vers qui suivent.

SUR LA CAMPAGNE
du Roy,
Faite avant le Printemps.
Madrigal.

Vous revenez bien tard, Oyseaux, dans ce Bocage,
Loüis a déja fait de glorieux Exploits.
Que ne vous pressiez vous pour avoir l’avantage
De mesler à nos Chants vostre charmante voix,
 En l’honneur du plus grand des Rois ?
Autrefois le Printemps, & vous, & la Victoire,
 Vous paroissiez tous à la fois ;
Maintenant Loüis a la gloire
De ranger en tout temps la Victoire à ses Loix.

[Sonnet de M. l’Abbé Cottin] §

Mercure galant, juillet 1678 [tome 7], p. 28-32.

Ce Madrigal est de Mademoiselle de la Charce, Fille de feu Mr le Marquis de la Charce de Dauphiné, de l’Illustre Maison de la Tour d’Auvergne, & digne Sœur du brave & spirituel Comte de la Charce qui mourut dans nos premieres Campagnes contre les Hollandois.

SUR LA PAIX OFERTE
par le Roy aux Hollandois.
SONNET.

Les Eclairs dans les yeux & la foudre à la main,
Loüis le Grand paroist au milieu d’une Armée
Fatale aux Ennemis, à vaincre accoustumée,
À qui tout l’Univers s’opposeroit en vain.
***
Nos plus vaillans Guerriers suivent leur Souverain,
Sur son exemple seul leur conduite est formée,
À chaque pas qu’il fait la Flandre est allarmée,
Tout tremble sur l’Escaut, sur la Meuse & le Rhin,
***
Miracle de Valeur ! mais, ô bonté plus grande !
Loüis calme l’orage, & sauve la Holande
D’un deluge de maux qui l’alloient inonder.
***
Quand l’orgueil des Titans tomba sous le Tonnerre,
Ainsi le Roy des Dieux fit gloire d’accorder
Le retour de la Paix aux besoins de la Terre.

Mr l’Abbé Cotin a fait ce Sonnet. Il fut tres-bien reçeu du Roy, quand il eut l’honneur de le presenter. Je ne vous dis point, Madame, que Mr Cotin a fait quantité de beaux Ouvrages, comme l’Immortalité de l’Ame, le Recüeil des Enigmes, les Lettres Galantes aux Dames de la Cour, la Pastorale Sacrée, ou le Cantique des Cantiques, que les Hebreux ne lisoient qu’à quarante ans, à cause de son stile mal entendu par les sensuels du monde ; je vous dis plus que tout cela, en vous disant qu’il est de l’Illustre Corps de l’Académie Françoise.

[Autre Sonnet] §

Mercure galant, juillet 1678 [tome 7], p. 32-33.

Voicy un Sonnet de Mr Perry de S. Quentin, sur la Remise que sa Majesté a faite à son Peuple sur les Tailles.

SONNET.
AU ROY.

Tu travailles sans cesse au repos de la France,
Grand Roy, soit dans ton Louvre, ou soit au champ de Mars ;
Et Rome qui par tout étendoit sa puissance,
Devoit moins de bonheur au premier des Cesars.
***
Quand les Peuples soûmis admirent ta clemence,
Et qu’on voit ta grandeur briller de toutes parts,
Tu nous remets tes droits, tu nous rends ta presence,
Et ton Estat ressent l’effet de tes regards.
***
Il est vray qu’à nos cœurs ta gloire est toûjours chere ;
Mais aussi nous montrant la tendresse d’un Pere,
Pourrois-tu mieux payer nostre fidelité ?
***
Non, Grand Roy, cet exemple est trop doux à la terre,
Pour luy donner tes Loix il ne faut plus de Guerre,
C’est assez desormais de ta seule bonté.

Air nouveau §

Mercure galant, juillet 1678 [tome 7], p. 34-35.

Les Paroles de la Chanson que vous allez voir, sont du Solitaire de Pontoise, & l’Air, de Mr de Montigny du Havre.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : la Chanson qui commence par, Amour, cruel Amour, laisse-moy vivre en paix, doit regarder la page 34.
Amour, cruel Amour, laisse-moy vivre en paix,
Amour ne trouble plus les beaux jours de ma vie.
 Ne me parle plus d’Uranie,
 Je l’abandonne pour jamais,
Amour, cruel Amour, laisse-moy vivre en paix.
Je renonce aux langueurs, à la melancolie,
 La tendresse est une folie,
L’indiference seule a pour moy des attraits,
Amour, cruel Amour, laisse-moy vivre en paix.
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[Nouvel Etablissement de l’Ordre des chevaliers du Bon temps] §

Mercure galant, juillet 1678 [tome 7], p. 35-75.

Il y a plusieurs Ordres de Chevalerie en France, ils vous sont connus, mais je doute que vous ayez jamais entendu parler de celuy dont ce qui suit vous va apprendre l’Institution & les Statuts. Tout y est galant, & vous conviendrez qu’il n’y avoit que des Personnes de Qualité capables de renfermer la joye dans des bornes aussi honnestes que celles que vous allez trouver. Cette Galanterie est de la Noblesse de Champagne.

L’ORDRE DES
CHEVALIERS
DU BON-TEMPS,

Etably à P. le 22. de Fevrier, jour
du Mardy gras de l’année 1678.
& mis sous la protection de
Cupidon & de Bacchus, Divinitez
de l’Ordre.

PAR MESSIEURS

Le Comte Dar. son Eminentissime Grand-Maistre.

Le Vicomte Dup. son Grand Seneschal.

De V. son Grand Commandeur.

Le Comte Des. son Grand Mareschal.

Le Baron d’E. son Grand Admiral.

Le Gr. son Grand Chancelier.

De. Grand-Croix.

De M. Secretaire de son commun Tresor.

De G. son Vice-Chancelier.

Du. son Historiographe.

D’O. de M. Grand Prieur de son Temple.

Invocation à l’Amour & à
Bacchus, Divinitez de
l’Ordre.

C‘est avec transport, Dieux Tutelaires de nostre Ordre, qu’on vous reclame icy ; venez échauffer nos imaginations, & réjoüir nos esprits par les entousiasmes dont vous avez accoustumé de favoriser ceux qui vous honorent. Nous, Chevaliers cy-dessous nommez, reconnoissons que vous n’estes pas moins necessaires à la vie, que les Elemens qui l’entretiennent, & que vous sçavez mesme temperer les combats que nous livrent ceux dont nous sommes composez. Oüy, petit Cupidon, aimable Enfant, nous serions tous terrestes, si vostre feu ne nous subtilisoit ; mais aussi le trop grand feu de l’Amour pouroit nous abatre, si nous n’avions recours à vous, divin Bacchus, pour conserver nos forces par la communication de cette incomparable liqueur qui nous releve & nous anime à de nouvelles entreprises. Permettez donc que nous nous unissions toûjours, & que dans tous les hommages qui vous seront rendus, il y ait une si grande égalité, que nous ne donnions jamais plus à Bacchus qu’à l’Amour, ny plus à l’Amour, que nous donnerons à Bacchus.

Regles des Chevaliers de
l’Ordre du Bon-temps.

 

I. Les Chevaliers seront si étroitement unis d’amitié entr’eux, qu’ils employeront dans l’occasion leurs personnes, leur honneur, leurs biens, & tout ce qu’ils ont de plus cher au monde, pour le service de leurs Confreres.

II. Les Chevaliers ne souffriront point qu’on parle mal de quelqu’un de leurs Confreres en son absence, mais ils prendront fortement son party contre tous ceux qui oseront l’attaquer.

III. Si quelque Chevalier de l’Ordre reçoit une insulte, & se trouve embarassé dans quelque affaire, tous les Chevaliers en seront la leur propre, & se déclareront hautement pour luy.

IV. Les Chevaliers seront obligez en toute occasion d’honorer les Dames, de défendre leurs interests, & de leur marquer leur zele par toutes sortes de services.

V. Les Chevaliers apostropheront à chaque repas Cupidon & Bacchus, les deux Divinitez de leur Ordre, & ils le feront en ces termes,

Sans un peu de Vin dans le verre,
Sans un peu d’amour dans le cœur,
Que peut-on faire sur la terre,
Que passer sa vie en langueur ?

 

VI. S’il arrive que dans la conversation les Chevaliers se sentent avoir leur petit quart-d’heure de resverie, ils se retireront à l’écart pour le passer, afin que leurs Confreres n’en souffrent point, & que rien ne diminuë leur gayeté.

VII. Les Chevaliers se régaleront une fois à leur tour pour entretenir commerce, & pour conferer ensemble de leurs affaires, & des desseins de plaisirs qu’ils auront imaginez.

VIII. Dans les Repas qui se donneront, les Chevaliers ne se contenteront pas de presenter du Vin de leur crû, mais ils seront obligez d’en chercher du meilleur, qu’ils feront accompagner des Liqueurs les plus exquises & les plus délicates qui se boiront dans la saison ; & si c’est l’Esté, on aura soin que la Glace & les Melons s’y trouvent en abondance.

IX. Les Chevaliers auront à table une honneste liberté de boire & de manger, chantant & riant sans contrainte, & faisant éclater la joye à qui mieux mieux. Comme leur Institution les rend partisans de Cupidon & de Bacchus, ils auront dans leurs Repas la Musique & le Concert des Instrumens qui serviront à divertir les Dames, qu’on ne prétend point qui soient bannies de la Societé de l’Ordre.

X. Les Chevaliers seront obligez de donner quelquefois des Festes aux Dames, & d’accompagner presque toûjours leurs Cadeaux de Violons pour joüer de temps en temps pendant le Repas & pour les faire danser apres la Collation.

XI. Il y aura un jour marqué pour celebrer tous les ans la Feste. Les Chevaliers feront des Chevalieres dans ce jour, à la maniere des Valentins & des Valentines de Loraine. Le sort décidera de la destinée des unes & des autres par le plus jeune des Chevaliers qui mettra dans une Boëte les Noms des Officiers & des Chevaliers de l’Ordre. Les Dames auront la bonté d’en tirer un les unes apres les autres, & chaque Chevalier sera obligé de servir la Dame que le sort luy aura donnée, à laquelle il rendra mille petits soins galans, sans que personne y puisse trouver à redire. Si par hazard, une Dame tiroit son Parent, il luy sera permis de changer sous le bon plaisir du Chevalier, avec une autre qui auroit eu la mesme fortune, pour en estre plus galamment servie ; ce qui ne se poura faire qu’une fois, & avec un seulement.

XII. Les Chevaliers s’assembleront tous les ans, le Mardy gras, chez l’Eminentissime Grand-Maistre, pour celébrer la Feste de l’Institution de l’Ordre qui arrive ce jour-là. Le lendemain matin, comme il sera jeusne, on tiendra Chapitre avant le Disner, pour voir si les Officiers & les Chevaliers auront bien fait les choses pendant le Carnaval, & s’il y a eu rien à dire à leur maniere de traiter avec le beau Sexe ; & en cas que l’on s’en plaigne, ils seront condamnez de satisfaire la Dame sur tout ce qu’elle desirera, & de donner quelque suplément pendant le Caresme, c’est à dire, une bonne Collation pour les mettre à couvert du reproche. En suite on déliberera sur les moyens de passer doucement le Caresme, & d’écouler sans ennuy ce temps de rabajoye, & apres le Disner chacun s’en retournera chez luy.

XIII. Les Chevaliers rendront dans leurs Assemblées tous les honneurs & les déferences possibles à l’Eminnentissime Grand-Maistre, laissant toûjours à table deux ou trois places entre luy & eux. Les Chevaliers ne s’y mettront point, que les Officiers ne soient placez, & leur rendront aussi en toutes sortes d’occasions l’honnesteté qu’ils leur doivent.

XIV. Les Chevaliers n’admettront dans leur Ordre que des gentilshommes ou autres Personnes vivant noblement.

XV. Les Chevaliers qui voudront estre reçeus dans l’Ordre, s’adresseront à l’Eminentissime Grand-Maistre, lequel fera une information de leur vie & mœurs ; sçavoir, s’ils ont toutes les qualitez necessaires ; comme s’ils sont braves, discrets, libéraux, honnestes, galans, spirituels, aimant la bonne chere, sans estre goinfres ; & ces qualitez se rencontrant en la personne du Postulant, la reception s’en fera à ses despens le plus honorablement qu’il sera possible, & tout le Chapitre s’assemblera dans sa Maison pour ce sujet.

XVI. Les Chevaliers seront indispensablement obligez d’écrire aux Dames, & de leur envoyer des Billets doux quand ils ne pouront les aller voir en personne. Il auront aussi le soin d’entretenir parmy eux un petit commerce de Lettres, sur l’envelope desquelles ils mettront Bon-temps, afin que cette Lettre soit la premiere leuë, pour partager plutost la joye ou le chagrin du Confrere, & faire sans retardement ce qu’il pourroit exiger des Chevaliers.

XVII. Quand quelqu’un des Officiers de l’Ordre, ou des Chevaliers, se mariëra, on envoyera complimenter sa nouvelle Epouse par un Ambassadeur ; si c’est un Officier, & si c’est un Chevalier, par un Envoyé extraordinaire ; & le nouveau Marié pour reconnoistre la civilité de Messieurs de l’Ordre, les priëra tous de luy faire l’honneur de venir chez luy prendre le plus magnifique Repas qu’il pourra donner, comme aussi d’assister au Baptesme de son premier Enfant sous les mesmes conditions.

XVIII. Quand il surviendra quelque division parmy les Chevaliers, l’Eminentissime Grand-Maistre députera des Officiers de l’Ordre pour terminer leurs diférens ; & si quelqu’un refusoit l’accommodement, il le privera de porter la Médaille pendant tout le temps qu’il jugera à propos.

XIX. Quand il surviendra quelques affaires dans l’Ordre, le Secretaire du commun Trésor sera obligé d’en écrire au Chancelier, pour en communiquer à l’Eminentissime Grand-Maistre.

XX. Les Officiers de l’Ordre porteront un large Ruban jaune, à la maniere des Chevaliers du S. Esprit, au bout duquel pendra la Médaille de l’Ordre, où seront gravez deux petits Dieux, dont l’un representera le Dieu de l’Amour, & l’autre le Dieu Bacchus. L’un & l’autre aura les marques de sa Divinité pour ornement, c’est à dire, Cupidon, une Couronne de Myrthe, son Arc, & ses Fléches ; & Bacchus, une Couronne & une Ceinture de Pampre, avec une bouteille à la main. Ils s’embrasseront pour marque de leur étroite union, avec cette Devise gravée autour de la Médaille en maniere de Cartouche, Nous unissons les Plaisirs, & au dessus à la Banderolle, Bon-temps.

XXI. Ces mesmes Officiers porteront leur Médaille d’or, à la diférence des Chevaliers, qui ne l’auront que d’argent ; avec défenses de paroistre dans les Assemblées de l’Ordre, ou chez un des Officiers, & mesme un de leurs Confreres, qu’ils n’ayent cette Médaille, à peine d’estre interdits.

XXII. Quand les Officiers de l’Ordre iront rendre visite à l’Eminentissime Grand-Maistre, ou à quelques autres Officiers leurs Confreres, ils seront obligez à l’imitation du Grand-Maistre, de porter une Médaille en Bandoliere ; ce qu’ils pourront ne point faire lors qu’ils iront voir les simples Chevaliers, mais seulement la porteront comme eux attachée au Juste-à-corps avec un Ruban satiné jaune, large de quatre doigts.

Exercices de la Journée pour
les Chevaliers du Bon temps

 

Celuy des Chevaliers qui se levera le premier, aura soin de faire faire silence dans toutes les avenuës des Apartemens des Dames, pour les laisser reposer la grasse matinée.

Quand les Chevaliers seront habillez, ils iront se donner le bonjour les uns aux autres, & s’embrasser dans leur Chambre.

Les Chevaliers apres s’estre entretenus quelque demy-heure ensemble, iront faire un tour de Jardin, pour chercher de l’appétit, & de là s’en retourneront déjeuner à l’Office.

L’heure du lever des Dames estant venuë, les Chevaliers iront grater à la Porte, & leur donneront le bon jour, si elles leur veulent permettre d’entrer ; autrement ils attendront qu’elles soient habillées pour leur rendre ce devoir.

Les Chevaliers iront ofrir tous les matins leurs services aux Dames, quand elles seront en état de paroistre, & leur apporteront à déjeuner dans leurs Chambres.

Le Déjeuner estant finy, les Chevaliers presenteront la main aux Dames pour faire quelques tours de promenade, au retour de laquelle ils s’appliqueront à diférens exercices, les uns au Billard, aux Cartes, ou à la Paume ; & les autres à la Chasse, à la Danse, ou à la Conqueste du beau Sexe, suivant l’inclination de chaque particulier.

L’heure du Disner estant venuë, les Chevaliers feront placer les Dames à table, & se placeront apres sans aucunes cerémonies, chacun suivant son rang. Ils s’appliqueront de leurs mieux à défaire les viandes, & à servir leurs Voisines. La belle humeur & la gayeté feront l’assaisonnement du Repas, & tous les Chevaliers donneront des preuves de la bonté & de la délicatesse du Vin de leur Hoste, par les heureuses rencontres & les pointes d’Esprit qu’il leur fournira.

Le Disner estant achevé, les Chevaliers reprendront les mesmes exercices du matin, chacun suivant son inclination & son humeur.

Les Chevaliers feront Collation entre quatre & cinq heures, & s’amuseront à plaisanter en suite, & à joüer à de petits jeux galans jusques au Souper.

Les Chevaliers souperont l’Hyver à sept heures, & l’Eté à six & demie ; & feront ce Repas un peu plus long que les autres, à cause que la soirée est ordinairement à nous, & que l’on peut disposer de soy-mesme en ce temps plus qu’en aucun autre. Les Chevaliers se souviendront de faire pendant le Souper un perpétuel carillon de Verres & d’agreables symphonies de Chansons.

Les Chevaliers iront apres le Souper goûter le frais avec les Dames, & chercheront autant que faire se poura le teste-à-teste, pour avoir le moyen de pousser des sentimens tendres. Si c’est l’Hyver, ils causeront chacun aupres de leur chacune, & inventeront des jeux en commun pour se divertir.

L’heure du Coucher arrivant, les Chevaliers iront conduire les Dames dans leur Chambre, & leur chanteront mille petits Airs galans, apres quoy ils se retireront sans aucun bruit, & iront chercher leur Lit avec toute l’honnesteté possible, se souhaitant les uns aux autres un repos qui ne soit troublé d’aucun mauvais songe.

Vœux des Chevaliers quand
ils sont reçeus.

 

Je fais vœu de conserver toûjours la belle humeur & la gayeté ; d’avoir toute ma vie un grand fond d’honnesteté pour les Dames ; & de faire à l’égard de mes Confreres & de mes Amis, tout ce que l’honneur, l’amitié, & la conscience, pouront exiger de moy.

Noms des Chevaliers.

 

Mr de… Ch. Ardant.

Mr D… Ch. De mille fleurs.

Mr le Comte d… Ch. Sans reproche.

Mr le Ch. d… Ch. Brillant.

Mr de… Ch. Loyal.

Mr de M… Ch. Preux.

Mr de Lat… Ch. Réjoüissant.

Mr de… Ch. Fidelle.

Mr de… Ch. Tenébreux.

Mr de M… Ch. Galant.

Mr le Ch. de V… Ch. De belle Teste.

Mr D… Ch. Fendant.

Mr de la… Ch. Roger.

Mr de… Ch. Sans peur.

Mr d’I… Ch. Taillant.

Mr de… Ch. Honneste.

Mr de L… Ch. De l’Avanture.

Mr d’Ob… Ch. Du Soleil.

Mr le Ch. des… Ch. Pimpant.

Mr l’Abbé de B… Ch. Fortuné.

Mr de M… Ch. De l’Etoile.

Mr de… Ch. Frétillant.

Mr Dosb. Ch. Bon-vouloir.

MrCh. Poly.

Mr Di… Ch. Foudroyant.

Mr de… Ch. Entreprenant.

Mr de… Ch. Libéral.

Mr de M… Ch. Pressant.

Mr de… Ch. Courtois.

Mr de L… Ch. Pensif.

MrCh. Conquérant.

Mr de… Ch. De Reverence.

 

  Licences & Privileges des

   Chevaliers de l’ordre

    du Bon-temps.

    À tous passez, présens, & à venir ; De la part de Monsieur l’Eminentissime Grand-Maistre, Comte D. Amy de la Liberté & de la Joye, Protecteur des Dames, & Amateur de la Bonne Chere : À nos amez & feaux bons Amis, Officiers & Chevaliers de nostre Ordre du Bon-temps, Gens de belle humeur, donnans Cadeaux, Violons, & autres divertissemens aux Dames ; Salut en celuy qui se plaist d’estre parmy les Enfans des Hommes. Nous vous mandons & commandons tres-expressement par ces Présentes, qu’aussitost incontinent, & sans aucun delay, vous receviez & introduisiez en nostre Compagnie nostre cher & bien-aimé N… du mérite & de la galanterie duquel nous avons fait preuves suivant les Statuts de nostre Ordre ; & apres avoir reconnu qu’il est fort enjoüé aupres des Dames, prest à rendre service à ses Amis, & d’une tres-bonne humeur à table, voulons qu’il joüisse des honnestes plaisirs que l’on gouste dans ces trois occasions ; faisons défenses d’autrement le traiter, sur les peines reservées en nostre Chapitre, & d’amende arbitraire : Car tel est nostre vouloir, le souhaitant & desirant ainsy. En foy dequoy nous avons signé ces Présentes, & à icelles fait apposer le Scel de nostre Ordre. Donné à P.… en nostre Cercle d’Union & de Franchise, le.… de l’année.….

Signé D........ Grand-Maistre de l’Ordre du Bon-temps, Protecteur des Dames, & Amy de la Liberté.

   Collationné à l’Original par

        moy Secretaire du commun

        Trésor de l’Ordre, De M…

        Seigneur de Belle-humeur,

        & Ennemy capital du Chagrin.

Une pareille Institution d’Ordre donneroit lieu à une agreable vie, si les Statuts en estoient inviolablement gardez ; mais il n’y a rien de si bien étably qui ne dégenere avec le temps, comme il n’y a rien de si extraordinaire, sans en excepter le Prodige, que ce mesme temps ne fasse paroistre.

[Enfant porté vingt-six ans par sa Mère] §

Mercure galant, juillet 1678 [tome 7], p. 75-91.

Nous en venons d’avoir un exemple dans cet Enfant que sa Mere a porté vingt-six ans sans qu’il se soit poury dans son ventre. La chose est arrivée à Toulouse, & elle fait tant de bruit par tout, qu’il est impossible que vous n’en ayez déja entendu parler. Je m’imagine que vous l’aurez traitée de Fable. J’ay crû d’abord que ç’en estoit une, mais on a tant de certitude de la verité du fait, qu’il ne m’est plus permis d’en douter. Le voicy en peu de mots.

Marguerite Mathieu, Femme de Jean Puget, Tondeur de Draps, devint grosse en l’année 1652. & sentit sur la fin du neuviéme mois toutes les douleurs qui sont ordinaires aux Femmes quand elles sont prestes d’accoucher. Ce qui précede l’enfantement, & qui en est une marque indubitable, luy arriva. Elle fit les efforts ordinaires pour se décharger de son fardeau, & l’Enfant ne sortit point. Le temps de le mettre au monde estant passé, & cette Femme soûtenant toûjours qu’elle estoit grosse, on la traita de Visionnaire, quoy qu’avec quelque scrupule, parce que c’estoit une Femme de bon sens pour une Artisane, de pieté mesme, & qu’on ne pouvoit accuser d’ignorance en ces matieres, puis qu’elle avoit eu plusieurs Enfans, & qu’enfin sa grossesse, avec les marques les plus visibles qui l’accompagnent, avoit esté connuë de tout le monde. Elle se plaignit, pendant vingt ans ou environ, de sentir quelques mouvemens de cet Enfant, avec de si fâcheuses incommoditez, qu’elle pria plusieurs fois son Chirurgien de luy ouvrir le ventre pour l’en tirer. Apres avoir passé quelques années sans que ces mouvemens continuassent, elle tomba dans une maladie mortelle, & mourut le Vendredy 17. Juin dernier, protestant toûjours qu’apres sa mort on trouveroit l’Enfant qu’elle portoit depuis si longtemps. Elle fut ouverte le lendemain, & cette ouverture fit connoistre qu’il n’y avoit point eu de vision dans ce qu’elle avoit toûjours dit de sa grossesse. L’Enfant fut trouvé tel que les Enfans ont accoûtumé d’estre quand ils sont sur le point de leur terme. Il est vray qu’il avoit cela de particulier & d’extraordinaire, qu’il estoit presque endurcy en la plûpart de ses membres, comme de la corne ou comme une pierre, mais au reste tres-distinctement formé. Il n’estoit point où les Enfans doivent estre naturellement. La Nature ayant fait un effort, il avoit percé cette Partie avec laquelle il ne conservoit aucune liaison, & par un second prodige de la Nature, il s’estoit formé comme une espece de Coquille à cette ouverture, qui recevoit toutes les eaux & autres impuretez qui l’auroient pourry, si elles luy estoient tombées dessus, & les rejettoit dans leur canal ordinaire. Il avoit la teste en bas, l’extrémité du derriere panchant vers le costé gauche, les bras l’un sur une cuisse, & l’autre sur la teste, les jambes croisées, & tout le derriere couvert de l’Epiploon. (Pardonnez-moy ce terme, vostre Chirurgien vous l’expliquera.) Cet Epiploon estoit épais de deux doigts, & si fortement attaché à ce Corps en divers endroits, qu’on ne l’en pût séparer qu’en se servant de quelque Instrument de Chirurgie qui en fit couler un peu de sang. La Figure que j’ay jointe icy, & vous pouvez examiner à loisir, vous fera mieux connoistre la posture où cet Enfant fut trouvé. Ce petit Corps pesoit huit livres de seize onces chacune. Le crane estoit fracassé en plusieurs pieces ; le cerveau, de la consistance & couleur de l’Onguent rosat ; les chairs rougeâtres en certains endroits, & jaunes ou un peu livides en quelques autres ; la langue avoit la mollesse & la couleur naturelle. Toutes les parties internes estoient flétries, de couleur noirâtre, & sans aucune trace de sang, à l’exception du cœur, où quelque rougeur s’estoit conservée. Le front, les oreilles, les yeux, le nez, la bouche, tout cela estoit couvert d’une matiere calleuse de l’épaisseur d’un travers de doigt, laquelle estant ostée, ces parties parurent, ainsi que les dents apres qu’on eut coupé les gencives. Ces dents qui estoient aussi grandes que les peuvent avoir les Adultes, appuyent particulierement l’opinion des Medecins qui ont veu faire l’anatomie de cet Enfant, & qui assurent que quoy qu’à demy pétrifié, pour parler ainsy, il doit avoir vescu autant que sa Mere. Elle est morte dans la 64. année de son âge, & voicy ce qu’elle a toûjours dit qui luy estoit arrivé.

Lors qu’elle se sentit pres de son terme, elle alla aux Minimes pour quelque devotion. Les douleurs la surprirent au retour. Son visage en donna des marques, & alors ayant esté abordée dans la Ruë par une Personne qui luy offrit son secours en qualité de Femme-Sage (car on ne dit pas Sage-Femme en ce Païs-là) elle la remercia, n’en voulant point d’autre que celle dont elle avoit accoûtumé de se servir. Ce refus obligea la Personne qui s’offroit à la quiter, & elle crût luy avoir entendu dire en se retirant, que ny sa Femme-Sage ordinaire, ny quelque autre que ce fust, ne l’accoucheroit jamais. Cette menace fut suivie de l’effet. Quelques efforts qu’on pust faire, il fut impossible de faire venir son Enfant. On chercha cette prétenduë Femme-Sage, qui ayant esté enfin trouvée, dit à ceux qui luy parlerent, qu’il falloit s’adresser à un Homme de Beauselle, à une lieuë de Toulouse. Cet Homme qu’on ne manqua pas d’aller consulter, répondit qu’il n’estoit pas en son pouvoir de délivrer cette Femme ; mais qu’elle seroit soulagée, si elle portoit une Ceinture qu’il leur donna. Elle en sentit en effet ses douleurs fort adoucies, mais en ayant eu quelque scrupule, ses Directeurs à qui elle découvrit la chose, & mesme quelques Evesques, l’obligerent à quiter cette Ceinture ; ce qui la remit dans ses premieres incommoditez, sans qu’elles ayent cessé que par sa mort. On ne doute point qu’il n’y ait du sortilege dans cette avanture. Ceux qui ne croyent point de Sorciers, raisonneront comme il leur plaira. Cette impossibilité d’accoucher me fait souvenir de ce qu’Ovide nous conte d’Alcmene. Junon voulant empescher qu’Hercule ne vinst au monde, pria Lucine d’entrer dans ses interests. Lucine qui préside aux enfantemens, se déguisa en Vieille, s’assit aupres de la porte du Logis d’Alcmene, mit un genoüil sur l’autre, avec ses doigts entrelassez ; & cette espece d’enchantement laissoit Alcmene dans de continuelles douleurs ; mais pour le rompre, il ne s’agissoit que de faire quiter cette posture à Lucine ; & Galantis, l’une des Suivantes d’Alcmene, eut l’adresse d’en venir à bout. Laissons la Fable. Pasquier nous apprend dans ses Recherches que le Prodige dont je viens de vous parler n’est pas sans exemple. Une Femme nommée Colombe Chatri, demeurant à Sens, eut toutes les marques d’une veritable grossesse, sentit les douleurs qui précedent l’enfantement, & passa vingt-huit années dans cet état. On crût qu’il y avoit de l’imagination dans ce qu’on luy entendoit dire, & apres qu’elle fut morte, on tira de son ventre le Corps d’une petite Fille tout formé, mais pétrifié. Pasquier assure qu’il avoit appris cette Histoire de Jean d’Alibour, alors Medecin tres-fameux de Sens, & depuis premier Medecin de Henry IV. qui en avoit esté témoin oculaire. Elle est dans le 6. Livre de ses Recherches, Chap. 40.

Stances à Iris, sur le Prodige de l’Enfant pétrifié §

Mercure galant, juillet 1678 [tome 7], p. 91-94.

Vous jugez bien, Madame, que ce qui vient d’arriver à Toulouse a fait d’abord l’entretien de toute la Ville. On ne s’est pas contenté d’en parler. Un fort galant Homme de ce Païs-là en a pris occasion de se plaindre par ces Vers du trop de rigueur d’une belle Dame.

STANCES À IRIS,
Sur le Prodige de l’Enfant
pétrifié.

Endurcir un tendre Enfant
Dans le ventre de sa Mere,
N’est pas un Charme si grand
Comme on voudroit nous le faire.
J’en suis beaucoup moins surpris
Que de voir, aimable Iris,
Qu’à vos yeux tout rend les armes,
Et que s’ils veulent toucher,
Ces beaux yeux ont mille charmes
Qui rendroient tendre un Rocher.
***
Qu’à jamais puissent les Dieux
Punir la Vieille cruelle
Qui fit les maux en ces lieux
D’une Méduse nouvelle !
J’avois longtemps consulté
Pourquoy vostre dureté
S’opposoit à ma tendresse,
Il faut que pour mon malheur
Un jour cette Enchanteresse
Ait endurcy vostre cœur.
***
Pour soulager le tourment
Qui me couste tant de larmes,
Rompez cet Enchantement,
Opposez Charmes à Charmes.
D’abord que vous le voudrez,
Belle Iris, vous le pourrez.
Aux accords de ma Musete,
Cruelle, attendrissez-vous,
Le cœur d’une Anaxarete
Sied mal à des yeux si doux.
***
Je le prédis bien un jour,
Voyant vostre tyrannie,
Que du mépris de l’Amour
Vous seriez enfin punie.
Cet Enfant des Dieux vainqueur,
S’est vangé sur vostre cœur,
Des honneurs que luy derobe
Ce cœur qui luy fut si cher,
Et comme un autre Niobe
Vous a changée en Rocher.
***
Vous pouvez encore aimer,
Si vous faites des conquestes,
Et nous sçavez enflamer,
Toute Rocher que vous estes.
Pourrez-vous vous empescher,
Fussiez-vous cent fois Rocher,
Sensible à mes longs services,
D’y répondre quelquefois ?
Les Rochers, des Précipices
Répondent bien à ma voix.

[Reception faite à Dieppe à Madame la Duchesse de Cleveland à son retour d’Angleterre] §

Mercure galant, juillet 1678 [tome 7], p. 94-98.

Madame la Duchesse de Cleveland est de retour d’Angleterre dés les derniers jours de l’autre Mois. Elle fit le trajet dans un Hœus fort doré & fort ajusté, qui ayant paru à la Rade de Dieppe, fut aussi-tost reconnu pour estre celuy qui la portoit. Il n’estoit que quatre heures de matin quand l’avis en fut donné à Mr de Tiergeville. Vous sçavez qu’il est Gouverneur de Dieppe. Il se rendit en mesme temps sur le Port, & comme le Hœus de cette belle Duchesse estoit à l’anchre attendant la marée, qui ne devoit estre ce jour-là qu’à deux heures apres midy, il envoya un Officier à son Bord pour la complimenter de sa part, & sçavoir d’elle si elle attendroit la marée, ou si elle souhaitoit venir à terre dans une Chaloupe. Elle prit ce dernier party, & fut reçeuë au bruit du Canon, auquel celuy du Hœus répondit. Elle trouva sur la gréve des Carrosses qui l’attendoient, & fut conduite par ce galant & sprirituel Gouverneur dans l’Apartement qu’il luy avoit fait préparer. Elle se mit au Lit, accablée de la fatigue de cinq jours de gros temps dont elle avoit esté fort incommodée dans son trajet. Le Corps de Ville luy vint faire compliment, & luy presenta des Confitures. On chantoit ce jour-là mesme le Te Deum pour la prise de Puycerda ; & comme il devoit estre suivy le soir de Feux d’artifice, Mr de Tiergeville en voulut donner le plaisir à Madame de Cleveland. Il avoit fait éclairer tout le Jardin du Chasteau, où il la mena avec ses Filles. Ce fut là qu’elle joüit du divertissement de ces Feux ; apres quoy on luy servit la Collation dans la Salle de ce Jardin. Les Violons ne furent pas oubliez, avec tout ce qu’on pût ramasser de Symphonie. Cette charmante Duchesse partit de Dieppe le lendemain, & laissa toute la Ville dans l’admiration des rares qualitez qui luy acquierent l’estime de tous ceux qui la connoissent.

[Vers sur le voyage de la duchesse de Toscane à Caen]* §

Mercure galant, juillet 1678 [tome 7], p. 108-135.

Vous avez sçeu sans doute que Madame la Duchesse de Toscane a fait un voyage à Caën dans les premiers jours de ce Mois. Il faut vous en apprendre les particularitez. Ce que je vous en vay dire n’est pas de moy. Il est tiré d’une tres-agreable Relation écrite en Vers & en Prose par Mr de Berigny Conseiller au Présidial de la Ville dont je vous parle.

Si-tost que cette Princesse eut fait sçavoir le dessein de ce Voyage à Monsieur de Matignon,

Dont la Galanterie égale la Naissance,
 Et qui dans son Gouvernement
Fait avec tant d’éclat les honneurs de la France,
Qu’on ne fait rien en Cour plus magnifiquement ;

Les ordres furent donnez pour la Reception qui estoit deuë à une petite-Fille de Henry IV. Mr de Matignon se rendit à Caën, d’où il alla plus de trois lieuës au devant d’elle, accompagné de toutes les Personnes de qualité du Païs, apres luy avoir envoyé son Capitaine des Gardes jusqu’à Falaise, pour la complimenter de sa part. Madame de Meliand Intendante de Caën, alla aussi fort loin à sa rencontre pour luy rendre ses premiers devoirs, avec un fort grand nombre de Dames & de la Ville & des environs. La maniere dont cette Princesse les reçeut, ne leur marqua pas moins de considération pour leurs Personnes, que d’estime pour leur mérite & pour leur beauté.

On sçait que ce Climat est le Climat des Belles,
Qu’elles ont toutes l’air aussi doux que brillant,
Qu’il n’est rien de plus beau, ny rien de plus galant,
Et qu’enfin on ne voit aucun defaut en elles,
 Que celuy d’estre trop cruelles.

Mr de Matignon avoit ordonné à tous les Capitaines de la Ville de se rendre dans la Plaine à la teste de leurs Compagnies, & on devoit mettre des Flambeaux à toutes les Fenestres pour éclairer l’Entrée de S. A. R. que l’excessive chaleur obligeoit à ne partir de Falaise que fort tard ; mais ayant voulu s’épargner cette sorte de cerémonie, elle arriva beaucoup plutost qu’on ne l’avoit crû, suivie de plusieurs Carrosses à six Chevaux, & fut seulement reçeuë au bruit du Canon. Si-tost qu’elle se fut renduë à l’Hostel que la Ville luy avoit fait préparer, Mr de la Mote Lieutenant General luy vint faire compliment à la teste des Echevins. Elle en témoigna une satisfaction extraordinaire, & trouva dans tout ce qu’il luy dit tant de politesse & d’éloquence, qu’elle avoüa que c’estoit avec beaucoup de justice qu’on luy avoit toûjours vanté les beaux Esprits de Caën. Apres cette Harangue, les Présens de la Ville luy furent offerts. Elle les reçeut tres-obligeamment, & fit paroistre toute la bonté possible aux Dames qui vinrent l’assurer de leurs respects, & dont la conversation ne luy plût pas moins que la beauté. Elle demeura un peu de temps dans le Jardin à prendre le frais, soupa en particulier, & se retira de bonne heure, dans le dessein de partir le lendemain de grand matin pour son voyage de la Délivrande. C’est une Chapelle des plus celebres de toute l’Europe, par les continuels Miracles qui s’y font depuis plus de six cens ans. Elle est à trois lieües de Caën, & à un quart de lieüe de la Mer. Madame de Toscane qui avoit veu la Mediterranée en allant en Italie, fut bien-aise de voir l’Ocean. Mr de Matignon ayant appris son dessein, envoya toute la nuit retenir des Matelots, afin de luy donner le plaisir de la Pesche, & en suite un grand Régal. Cette Princesse partit de Caën suivie de plusieurs Carrosses. Elle fit ses devotions à la Délivrande avec une pieté exemplaire, & apres y avoir laissé des marques de sa libéralité, elle se rendit à la Coste de Bernieres, où non seulement toutes les Personnes de qualité de la Ville estoient venües en foule, mais mesme les plus considérables de cinq à six lieües aux environs. D’abord Mr de Matignon luy donna le divertissement de la Pesche sans qu’elle descendist de Carrosse ; en suite dequoy elle monta dans la Galere qui luy avoit esté préparée. Le temps s’estoit tenu couvert tout le matin, & il s’estoit mesme élevé un vent qui sembloit s’opposer au plaisir de la promenade qu’on avoit crû luy faire prendre sur Mer.

 Mais si-tost que cette Princesse
 Eut mis le pied dans son Bateau,
On eust-dit que Neptune & tous les Dieux de l’Eau
Se fussent empressez à luy faire carresse.
À l’envy l’un de l’autre & Tritons & Zéphirs
Voulurent tour-à-tour servir à ses plaisirs.
Les Tritons appaisant les vagues mutinées,
Ne laisserent plus voir qu’un paisible crystal,
 Et de ce calme general
 Les Néreïdes étonnées
Par mille & mille bonds s’élançant sur les flots,
Voulurent voir l’Objet qui causoit ce repos.
***
 Lors que Vénus sortit de l’onde
Pour venir recevoir les vœux de tout le monde,
 Si Neptune & ses Deïtez
Adorerent l’éclat de ses rares beautez,
 On peut dire que cette Reyne,
 (Quoy que la Mere de l’Amour)
 Ne reçeut pas dans ce beau jour
Un hommage si grand, une gloire si pleine.
 Les Tritons ravis de la voir,
 Luy rendirent quelque devoir,
 Et pour honorer sa naissance,
Luy marquerent leur joye & leur obeïssance.
***
Mais si-tost que le Dieu qui préside à la Mer
Vit briller cette Illustre & Royale Princesse,
 Les Cieux, les Vents, les Flots, & l’Air,
Firent gloire de rendre hommage à son Altesse.
L’Astre mesme du Jour dont un nuage obscur
Avoit tout le matin offusqué la lumiere,
Et tenu jusqu’alors la clarté prisonniere,
Rendit en ce moment le Ciel calme, & l’Air pur,
Et pour mieux signaler cette pompeuse Feste,
De ses plus beaux rayons il couronna sa teste.

La Galere où Son A. R. entra avoit esté préparée avec trop de précipitation, pour estre aussi superbe que Mr de Matignon l’auroit souhaitée. Elle estoit neantmoins fort propre. Les Roses, le Jasmin, & la Fleur d’Orange, dont on avoit eu soin de l’orner, reparant en quelque sorte le defaut des dorures, y faisoient par leur odeur & par leur agreable confusion, l’effet du monde le plus galant. Quatre petits Cupidons luy servoient de Guides, & trente Matelots vestus à l’Indienne en estoient les Rameurs, aussi-bien que de la Barque à laquelle cette Galere estoit attachée, & qu’on avoit pareillement enrichie de Festons, de Couronnes de Fleurs & d’Armoiries. Toutes les autres estoient moins ornées, mais la beauté des Dames qu’elles portoient supléoit agreablement à ce defaut. On alla plus d’une lieüe en Mer, & il ne se peut rien de mieux concerté que le fut cette petite Flote de trente-cinq à quarante Vaisseaux. L’ordre en estoit aussi juste que galant. On y chanta, on y soûpira mesme (car l’Amour est de toutes les parties) & parmy les Voix & les soûpirs, les Violons, les Hautbois & plusieurs autres Instrumens trouverent leur place. Quand on se seroit embarqué pour un Voyage de long cours, les Matelots n’eussent pas fait plus de vœux. Leurs Chansons, toutes grotesques & champestres qu’elles estoient, furent un sujet de plaisir pour la Princesse. On fit une espece de petit Combat naval, & on tira tant de coups de Mousquet en la salüant quand elle passoit devant quelque Barque, que leur bruit attira deux Capres d’Ostende qui estoient en Mer, & qui depuis deux jours avoient fait quelque brigandage sur la Coste. On craignoit que Son A. R. n’en fut alarmée ; mais cette genéreuse Amazone loin de rien appréhender, donna ordre qu’on s’avançast pour reconnoistre un de ces Capres qui avoit gagné le vent, & qui s’estoit approché de cette petite Flote. Il estoit monté de quatre Pieces de Canon ; mais soit que le nombre des Vaisseaux, ou celuy des Cavaliers & des Carrosses qui estoient sur la gréve luy fist peur, soit que le respect qu’impriment les Personnes du premier rang l’obligeast à se retirer, il s’éloigna aussitost, & laissa la Princesse en liberté de se venir délasser dans la Maison où Mr de Matignon luy avoit fait préparer un Régal aussi délicat que galant & magnifique. L’Apartement destiné pour ce Repas estoit un Sallon

 Où le Jasmin, la Fleur d’Orange ;
 Et mille sortes d’autres Fleurs,
Par la diversité de leurs douces odeurs,
En faisaient admirer l’agreable mélange.
***
Quoy qu’au bord de la Mer, on n’en voit point ailleurs
 Une si charmante abondance,
 Et les Parterres de Provence
Ne sont point émaillez de si vives couleurs.

Ce Sallon, pour avoir esté préparé fort à la haste, ne laissoit pas d’estre enrichy des Meubles les plus prétieux que l’on puisse voir chez les Princes mesmes. Pour en marquer la somptuosité, c’est assez de dire que le Buffet estoit garny d’une infinité de Bassins, de Lustres, de Flambeaux, & de Vases de vermeil doré. Quoy qu’ils fussent d’une pesanteur incroyable, le travail en surpassoit encor la richesse, tant ils estoient cizelez délicatement. La Tapisserie representoit l’embarquement d’une Reyne, & avoit un agreable raport avec celuy que la Princesse venoit de faire. Les Festons & les Couronnes de Lys suspenduës au lambris, achevoient d’embellir ce Lieu, dont les Echos retentirent pendant tout le Repas du bruit des Violons & d’autres Instrumens, qui par leur éloignement proportionné ne faisoient qu’autant de bruit qu’il en falloit pour charmer doucement les oreilles ; & afin qu’il ne manquast rien de tout ce qui peut flater les sens. Madame la Duchesse de Toscane estoit assise entre deux Orangers & devant la principale Allée du Jardin, dont les deux costez estoient pareillement garnis d’Orangers tous chargez de Fleurs & de Fruits. Cette Allée aboutissoit à une Perspective, au devant de laquelle estoit une Vénus tirée sur celle de Praxitele qui est à Florence dans le Palais du Grand Duc, & des deux costez il y avoit de petits Dédales où l’on pourroit se perdre plus agreablement que dans celuy d’où Ariane tira Thesée. Mais si la beauté de ce Jardin avoit dequoy arrester les yeux, vingt-quatre Bassins de Gibier en Pyramides, les Melons, les Poires, les Abricots, & dix-huit autres Bassins de Confitures & de Fruits les plus rares, servis avec autant d’abondance que de propreté, surprirent tellement l’Illustre Princesse à qui Mr de Matignon donnoit ce Régal, qu’elle avoüa qu’à l’exception de la Table de Sa Majesté, elle n’en avoit jamais veu aucune servie ny si magnifiquement, ny avec tant de délicatesse. Apres ce Repas, Son A. R. alla goûter le frais du Jardin. On prit ce temps pour faire manger la Compagnie, & l’on peut dire que cette seconde Table qui estoit de quarante couverts, ne fut pas servie avec moins de magnificence que la premiere. Mr de Matignon qui en faisoit les honneurs, n’oublia rien pour régaler à son ordinaire ceux qui y prirent place, c’est à dire avec une profusion surprenante des mets les plus délicats, de Vins, de Liqueurs, & de rafraîchissemens de toutes sortes. Cependant Madame de Toscane accompagnée de ses Dames, de Monsieur de Bayeux, & de Mr de Mehand Intendant de la Genéralité de Caën, se promenoit dans les Allées du Jardin dont elle admira les Parterres, les Plaissades, les Orangers, les Compartimens, les Dédales & les Statuës, & voyant qu’il se faisoit tard, elle remonta en Carrosse, & revint à Caën. On tira le soir quantité de Fusées volantes sous ses Fenestres, & elle en reçeut d’autant plus de satisfaction, que la Lune qui estoit alors dans son plein, commença à se cacher sous un nuage, d’où elle ne sortit qu’apres tout ce divertissement.

 Si le Soleil officieux,
Voulant favoriser Son Altesse Royale,
 Dans cette Feste sans égale,
De ses plus purs rayons avoit doré les Cieux ;
La Lune se cachant sous un obscur nuage,
Voulut par ce respect luy rendre cet hommage.
 Cette Déesse de la Nuit,
Favorisant l’éclat & l’agreable bruit
Que mille Serpenteaux répandoient dans la nuë,
Aima mieux se priver du plaisir de la voir,
 Que de troubler un si beau soir,
 Et que d’en empescher la veuë.
***
  Se servant de l’occasion,
Je ne sçay si pour lors cette Reyne de l’Ombre
Alla trouver son cher Endimion ;
Mais enfin il est vray que l’air parut tres-sombre,
  Que pendant cette obscurité,
Mille Feux d’artifice ayant porté la guerre
Aux Astres dont la nuit emprunte la clarté,
 Ces Feux sembloient ne retomber en terre,
Que pour y rencontrer un trépas glorieux
Aux pieds de Son Altesse, & mourir à ses yeux.

Le lendemain cette grande Princesse ayant eu la bonté d’aller rendre visite à Madame de Caën, elle y fut reçeuë & régalée avec toute l’abondance de Gibier, de Fruits, & de Confitures que l’on peut s’imaginer. Quoy que cette Illustre Abbesse fust malade, elle ne laissa pas de donner ses ordres si à propos, que rien ne manqua de tout ce qui pouvoit contribuer à rendre ce Repas des plus magnifiques.

Voila, Madame, de quelle maniere on a tâché de divertir Madame la Duchesse de Toscane pendant le peu de sejour qu’elle a fait à Caën.

Air nouveau §

Mercure galant, juillet 1678 [tome 7], p. 136-137.

Quelques charmes que puissent avoir les plus beaux Lieux, ils ne sont particulierement agreables que par la présence de ce qui plaist. Ces Paroles que Mr des Fontaines a mises en Air, en font foy.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Agreables Ruisseaux, & vous sombres Forests, doit regarder la page 137.
Agreables Ruisseaux, & vous sombres Forests,
Cessez de m’étaler vostre charme ordinaire,
Iris n’est point icy, vous estes sans attraits,
Est-il rien qui loin d’elle à mes yeux puisse plaire ?
Sous vos ombrages verts si j’aime à m’égarer,
Ce n’est que pour cacher mes soûpirs & mes larmes.
Helas ! si ses beaux yeux vous pouvoient éclairer,
Que je serois heureux ! que vous auriez de charmes !
images/1678-07_136.JPG

[Suite de la Feste du Perroquet de Montpellier] §

Mercure galant, juillet 1678 [tome 7], p. 144-153.

J’ay commencé à vous parler dans ma Lettre du Mois de May d’une Feste qui se fait tous les ans à Montpellier pour un Perroquet qui s’y doit abatre à coups de Fléches. Je vous en ay marqué les cerémonies, & je puis vous apprendre aujourd’huy la suite que ce galant Combat d’adresse a euë cette année. Je ne sçay si je vous ay dit que pour en emporter le prix, il n’est pas necessaire de jetter le Perroquet tout entier par terre. Il faut seulement en faire tomber la derniere piece qui reste au bout de la perche, & celuy qui en peut venir à bout est le Roy, quoy qu’il n’ait pas fait tomber toutes les autres. Ce fut par cette derniere piece abatuë qu’un nouveau Roy termina la Feste il y a deux mois. Apres qu’il eut reçeu les complimens de ses Amis & de toute la Troupe des Archers, il donna à chaque Officier des Echarpes garnies d’une Dentelle or & argent, & deux autres pour les faire tirer au blanc. Cela fait, tous les Archers l’accompagnerent chez luy, & on remit au Dimanche suivant les honneurs qui luy estoient deûs. Cependant on dressa un grand & superbe Arc de Triomphe devant sa Maison. Les admirables effets de l’Amour, Dieu de cette Feste, y estoient representez aux quatre coins par autant d’Emblêmes. D’un costé on voyoit un Amour frapant sur deux Cœurs qu’il tâchoit de joindre. Ces paroles Italiennes luy servoient d’ame, Co’l tempo. De l’autre on voyoit ce mesme Dieu frapant sur un Fer tout rouge qui sortoit d’une Forge, avec ces autres paroles, Se non arde, non si piega. Dans l’un des deux autres coins estoit representé un Soleil dardant ses rayons sur un Miroir ardent qui les reflechissoit sur un Tourne-sol, avec ces mots Espagnols, Muero porque me miras ; & dans le dernier on remarquoit un Cupidon décochant une Fléche contre un Cœur élevé sur une perche. Ces paroles estoient au dessous, Je t’auray tost ou tard. Les Armes de France avec un nombre infiny de grandes Fleurs de Lys dorées, faisoient l’ornement du haut de cet Arc. Enfin le jour destiné au Triomphe du nouveau Roy estant venu, tous les Archers se rendirent au Fossé. Les Dames y furent régalées d’une magnifique Collation dans une Chambre voûtée qui est au bout, & apres qu’elles se furent retirées, le nouveau Roy sortit du Fossé, & s’alla promener par toute la Ville au bruit des Instrumens que je vous marquay la derniere fois. Il estoit au milieu du Capitaine & du Lieutenant, & avoit à sa suite le Roy de l’année derniere. Le beau Sexe qui s’estoit placé aux Fenestres pour le voir passer plus commodement, ne fut pas moins satisfait de sa bonne mine, que de la richesse de son Habit. On n’en avoit point encor veu ny de plus magnifique ny de plus galant. Il portoit une Toque de velours noir bordée de Perles. Le Cordon estoit de deux tours, aussi de Perles, mais fines & grosses, entre lesquelles il y avoit de tres-belles Emeraudes d’espace en espace. Le revers de la Toque estoit enrichy d’une grande Rose de Diamans, avec une grosse Perle en poire ; le tout ombragé d’une Aigrete blanche, & de quantité de Plumes de mesme couleur. Il avoit ajoûté à ces ornemens une Chaîne d’or qui luy pendoit en écharpe. Une Canne d’Inde garnie d’une grosse Pomme d’argent doré, luy servoit d’appuy. Le Perroquet, comme le principal ornement du Triomphe, estoit porté devant luy sur une perche à laquelle on avoit attaché l’Arc & la Fléche du Roy qui l’avoit abatu. Les Archers suivoient dans le mesme ordre qui avoit esté observé au commencement de la Feste. Apres qu’ils se furent ainsi promenez, ils se rendirent dans la Salle de l’Hostel de Ville, où l’on a accoûtumé de tenir les Etats de la Province. On y avoit préparé un magnifique Festin par les ordres du nouveau Roy qui donna en suite le Bal aux Dames. Les plus belles Personnes de Montpellier en furent priées. On dansa longtemps, et le Bal estant finy, tous les Archers allerent conduire le Roy dans sa Maison. Le reste de la nuit se passa en Serénades que les Archers Amans eurent soin de donner à leurs Maîtresses.

Stances à Sylvie, sur ses Vers à soye §

Mercure galant, juillet 1678 [tome 7], p. 156-162.

Les divers changemens qui arrivent aux Vers à soye, ne seroient pas regardez avec moins d’étonnement, si la chose estoit plus rare pour nous. Ils ont fourny le sujet des Vers qui suivent, & je ne doute point qu’ils ne soient de vostre goust, par le juste raport que vous y trouverez entre les peines que soufre un Amant, & le travail de ces industrieux Insectes. Ce galant Ouvrage qui est tombé entre mes mains à l’insçeu de son Autheur est de Mr de Templery. C’est un Gentilhomme de la Ville d’Aix, qui passe pour un des plus honnestes Hommes de sa Province. Je ne vous dis rien de son Esprit, vous en pouvez juger par vous-mesme.

STANCES
À SYLVIE,
SUR SES VERS À SOYE.

Lorsque les derniers Vers, adorable Sylvie,
Que je fis sur mes maux, ne vous toucherent pas,
Je juray de ne faire aucuns Vers de ma vie ;
Mais les vostres-à-soye ont pour moy des appas
 Qui m’en font revenir l’envie.
***
Ils ont avecque moy tant de conformité,
 Que je puis dire en verité,
Qu’ils sont de mon amour la vivante peinture.
 On voit muer ces Animaux,
 Qui prennent de nouvelles peaux ;
 Les cruels tourmens que j’endure,
Par vous à tous momens changez en de nouveaux,
 Sont d’une semblable nature.
***
Comme ces petits Vers je grimpe dans les Bois,
 Je me roule sur la verdure,
 Je passe le jour quelquefois
 Autour d’une broussaille obscure ;
 Et là pour faire un Vers entier,
 Comme eux je barboüille un papier
Sans pouvoir rencontrer ny rime ny mesure ;
Enfin moins que vos Vers je prens de nourriture,
Mais helas ! si pour moy vous ne voulez changer,
 Comme eux je perdray le manger.
***
Ils filent de la soye, & je file une vie
Plus digne mille fois de pitié que d’envie,
Mon mal est tel, que je n’en puis guérir.
Comme ces Vers aislez je m’en vais disparaître ;
 Mais si la chaleur les fait naître
 Vostre froideur me fait mourir.
***
Lors que l’on s’est soûmis aux fers d’une inhumaine,
 Ces petits Insectes rampans,
 Enseignent à tous les Amans,
Qu’on ne doit point rompre sa chaine.
Si-tost qu’ils ont basty leur plaisante maison,
 Ils y passent leur triste vie,
Et m’apprennent par là, trop charmante Sylvie,
 Qu’il faut mourir dans ma prison.
***
Quoy que pour voir ma peine terminée,
 Reglant sur eux ma destinée,
Dans le Tombeau je doive m’enfermer,
 À vos yeux ravy de paraistre,
 Je reviendrois pour vous aimer,
 Si comme eux je pouvois renaistre.
***
 C’en est trop, prenez les plaisirs
Dont un heureux Hymen peut combler vos desirs,
 Et n’attendez pas davantage.
 Le temps d’aimer passe toûjours,
 Et tandis que dans un jeune âge,
 De vos Vers vous filez l’ouvrage,
 La Parque file vos beaux jours.

Air nouveau §

Mercure galant, juillet 1678 [tome 7], p. 162.

Autres Vers sur la rigueur d’une Belle. Je vous les envoye notez, afin que le plaisir de les lire puisse estre suivy pour vous de celuy de les chanter.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Le Soleil sur nos champs trop longtemps arresté, doit regarder la page 162.
Le Soleil sur nos Champs trop longtemps arresté,
 Seche nos Fleurs, met en cendre nos Plaines,
Fait languir nos Ruisseaux & tarir nos Fontaines ;
  Mais malgré les feux de l’Esté,
 Et ceux qu’Amour allume dans mon ame ;
L’Hyver est dans le cœur de celle qui m’enflame.
images/1678-07_162.JPG

[Avanture arrivée aux Tuileries] §

Mercure galant, juillet 1678 [tome 7], p. 169-180.

Il y a longtemps que je vous arreste dans les Forges. Vous vous accommoderiez mieux sans-doute d’une promenade aux Tuileries. C’est un lieu de rencontres agreables, s’il ne l’est pas toûjours d’Avantures concertées. Une Dame tres-considérable par son rang, mais beaucoup plus par le mérite de sa Personne, s’y promenoit ces derniers jours avec une seule Demoiselle qui estoit à elle, & déja avancée en âge. Son Habit negligé, quoy que propre, ne marquoit rien d’extraordinaire dans sa qualité ; mais sa beauté, sa jeunesse, l’agrément de sa taille, & un je-ne-sçay-quel air fin & spirituel qui passe encor les charmes de sa beauté, estoient bien capables de la faire distinguer parmy toutes celles de son Sexe. Elle avoit quité les grandes Allées où elle auroit eu à rendre trop de saluts, & en avoit choisy une écartée pour y prendre l’air en solitude. Sa Demoiselle qu’elle avoit prise sous le bras, luy aidoit à marcher ; & soit que l’inégalité de l’âge en deux Personnes, dont l’une ne marquoit pas le respect qu’elle devoit à l’autre en se promenant de cette sorte, pust donner lieu à des pensées teméraires, soit que cette retraite eust l’aparence d’un rendez vous, deux jeunes Abbez qui les virent entrer dans cette Allée, les observerent quelque temps, & se hazarderent enfin à les aborder. Ils avoient beaucoup d’esprit, & de cet esprit qui ne s’acquiert qu’en voyant les Femmes ; mais apparemment ils n’avoient pas une fort grande connoissance de la Cour, puis que la Dame qui les attira fut pour eux une Dame tres-inconnuë. Quoy que leur compliment fut fort civil, elle s’apperçeut bien à cette liberté d’entrer ainsi de plein pied en conversation avec elle, qu’ils ne savoient pas à qui ils parloient, & comme elle estoit venuë aux Tuileries pour se divertir, elle résolut de n’en pas laisser échaper l’occasion. Il ne luy fut pas difficile de soûtenir l’entretien. Elle a l’esprit vif & enjoüé, & tourne les choses d’une maniere si aisée & si délicate, qu’il luy suffiroit de cet avantage pour meriter l’admiration qu’elle s’attire. Jugez de l’impression qu’elle fit sur les Abbez, en leur faisant connoistre que sa jeunesse & sa beauté n’estoient pas ses plus grands charmes. L’envie de sçavoir qui elle estoit, leur fit faire quelques demandes, ausquelles elle feignit de satisfaire, en leur disant que son Mary l’avoit amenée à Paris pour solliciter un Procés qui luy estoit d’importance, dans la pensée que les Femmes se faisoient toûjours plus favorablement écouter des Juges ; qu’il l’avoit laissée en Auberge, & qu’elle venoit quelquefois respirer l’air des Tuileries pour se délasser de la chicane. Les Abbez ne manquerent pas à se récrier sur le péril de ses Parties contre une pareille Solliciteuse. Grandes offres de luy donner tout le Parlement, & mesme des Amis en Cour, où ils ne doutoient point qu’elle n’effaçast les plus belles, si elle y vouloit recevoir des connoissances. La Dame ne refusa rien, & leur dir en riant que sa Suivante leur aprendroit dans quelle Auberge ils pouvoient la venir chercher, parce qu’elle n’en avoit encor pû retenir le nom. Cette permission de la voir leur fit proposer des Parties de Jeu, d’Opéra, & de Promenade, avec assurance qu’ils regarderoient l’avantage de pouvoir contribuer à la divertir, comme un des plus grands que leur bonne fortune leur pust procurer. La réponse de la Dame fut que son Procés estoit la seule chose qu’elle eust en teste, & qu’apres qu’on l’auroit jugé, elle ne seroit pas ennemie des plaisirs. La conversation dura plus d’une heure, avec beaucoup d’esprit de part & d’autre, & il fut enfin question de se séparer. Comme on ne peut estre plus civil que le sont ordinairement les Abbez, ceux-cy voulurent donner la main à la Dame. Elle s’en défendit sur ce que n’ayant point d’équipage, elle estoit bien-aise de s’épargner la confusion qu’elle auroit, s’ils estoient témoins de sa voiture. L’un d’eux s’ofrit aussitost à la remener dans son Carrosse, & la conjura de s’en servir pour toutes ses Sollicitaitons. Il fut remercié de ses ofres ; La Dame les pria encor quelque temps de la laisser aller seule, mais ce fut d’une maniere qui les engageoit à n’en rien faire, & enfin feignant de se résoudre à rougir de sa voiture, puis qu’ils le vouloient, elle accepta la main que le plus empressé luy présentoit. À peine eut-elle paru sur la Porte des Tuileries, que quatre grands Laquais coururent faire avancer un Carrosse fort magnifique. Un Page luy vint prendre la queuë, & les Livrées & les Armes du Carrosse ayant fait connoistre aux Abbez que la fausse Plaideuse estoit une Personne du plus haut rang, ils demeurerent dans une surprise qui ne leur permit point de parler. La Dame les regarda, se mit à rire, & montant dans son Carrosse apres leur avoir rendu graces de toutes leurs honnestetez, elle leur cria qu’elle auroit soin de leur envoyer des Placets, afin qu’ils appuyassent la justice de sa Cause aupres de ses Juges.

[Reception faite à Madame La Princesse d’Epinoy par M. Bigot en sa Maison de Pincour.] §

Mercure galant, juillet 1678 [tome 7], p. 186-189.

Il est difficile que vous n’ayez entendu parler de Mr Bigot de S. Pierre, si estimé pour son obligeante maniere de faire les choses. Madame la Princesse d’Epinoy l’alla voir dernierement dans sa belle Maison de Pincourt, toute agreable par la régularité de ses Jardins. Elle y rencontra plusieurs Personnes de qualité qui y resterent à souper comme elle. Mr Bigot donna ses ordres pour ce Repas, qui fut servy dans une grande Salle bien éclairée, avec une délicatesse & une propreté dignes de luy. À peine commençoit-on à manger, qu’on entendit dans un Sallon à costé, une Symphonie de Violons, de Hautbois, & de Flustes douces, qui joüerent pendant tous le Repas. On descendit en suite au Jardin pour s’y promener ; & si on avoit esté surpris du commencement de cette Feste, on ne le fut pas moins de voir ce Jardin éclairé d’un grand nombre de lumieres mises à toutes les croisées de la Maison ; ce qui faisoit une tres-agreable illumination dans tout le Parterre. Apres quelques tours d’Allée, on s’assit sur des Gradins de gazon. On y causa, on y rit. Quelques Personnes de la Compagnie danserent, & une partie de la nuit se passa de cette sorte, pendant que les instrumens joüoient par reprises.

Monument d’Amarante §

Mercure galant, juillet 1678 [tome 7], p. 189-194.

S’ils [les instruments] n’estoient employez dans cette belle Maison que pour la joye, on s’en doit servir avant qu’il soit peu pour marquer le sensible déplaisir qu’on a de la mort de Mademoiselle de Maisons. Vous le verrez par les Vers que je vous envoye. C’est une espece de petit Opéra lugubre qui se prépare. L’Autheur qui ne se fait connoistre que sous le nom du Solitaire de Pontoise, l’intitule,

MONUMENT
D’AMARANTE,
Le Theatre represente le Chasteau de
Maisons en éloignement, & un
superbe Tombeau sur le bord de la Seine.

1. SIMPHONIE TRISTE.

DIALOGUE DE L’AMOUR
& de la Nymphe de la Seine.

 

L’AMOUR pleurant sur le Tombeau
d’Amarante.

Amarante n’est plus, & la Parque cruelle,
Sans respecter son rang, son âge, & ses appas,
  A voulu l’immoler.

LA NYMPHE.

                                  Helas !
Amarante n’est plus. O funeste nouvelle !

L’AMOUR.

En vain j’ay prétendu préserver cette Belle
De l’extréme rigueur d’un injuste trépas,
Amarante n’est plus, & la Parque cruelle,
Sans respecter son rang, son âge & ses appas,
  A voulu l’immoler.

LA NYMPHE & L’AMOUR
ensemble.

                                  Helas !
Amarante n’est plus, & la Parque cruelle,
Sans respecter son rang, son âge, & ses appas,
L’a soûmise aux rigueurs d’un injuste trépas.

LA NYMPHE.

Quand la Belle venoit resver sur mon rivage,
Mille petits Amours la suivoient pas à pas ;
L’un se jettoit dans l’eau, l’autre à force de bras
  Traversoit le Fleuve à la nage.
L’un luy donnoit des fruits, l’autre apportoit des fleurs,
  Tout cela charmoit Amarante.
Ces plaisirs sont passez, cette Nymphe obligeante
  Ne demande plus que des pleurs.

2. SIMPHONIE PLUS TRISTE.

Mercure descend du Ciel, & s’estant placé entre l’Amour & la Nymphe de la Seine aupres du Tombeau d’Amarante, il leur dit.

Cessez, cessez vos pleurs, vostre chere Amarante
 Partage les plaisirs des Dieux.
Ah ! si dans ce Tombeau son Corps frape vos yeux,
Son ame dans le Ciel vit heureuse & contente.
J’ay placé cette Belle au rang des Immortels,
Et viens graver son nom au Temple de Memoire,
  Nymphe, travaillez à sa gloire,
  Amour, dressez luy des Autels.

L’AMOUR & LA NYMPHE.

Rendons à son merite un éclatant hommage,
  Faisons qu’en cent Climats divers,
 La Renommée instruite par nos Vers,
  Parle d’elle avec avantage.

LA NYMPHE.

 Que mon Rivage & les Echos,
Pour charmer mes ennuis, & soulager mes maux,
Répetent tour à tour le beau nom d’Amarante.

L’AMOUR.

Qu’Amarante en dépit de la rigueur du Sort,
 Trouve dans le sein de la Mort
 La glorie la plus éclatante.

L’AMOUR, LA NYMPHE, &
MERCURE ensemble.

Qu’Amarante en dépit de la rigueur du Sort,
 Trouve dans le sein de la Mort
 La gloire la plus éclatante.

3. SYMPHONIE.

Requête à l’Amour §

Mercure galant, juillet 1678 [tome 7], p. 198-201.

L’aimable Blonde dont vous me demandez des nouvelles, demeure toûjours dans sa fierté ordinaire. Elle n’est sensible qu’aux carresses de son Perroquet, & c’est ce qui a donné lieu à ces Vers. Ils sont d’un Homme qui ne manque point d’accés au Parnasse. Vous le connoistrez en les lisant.

REQUESTE
À L’AMOUR.

Amour, dont les faveurs sont toûjours surprenantes,
 Et qui rends mille Amans heureux ;
 O toy, qui te mets quand tu veux
 Sous mille formes diferentes,
Exauce ma priere, & seconde mes vœux.
Du Perroquet d’Iris emprunte la figure,
 Deviens le Perroquet d’Iris,
 Pour estre de ses Favoris ;
Tu ne le peux, Amour, qu’en changeant de figure.
 Lors que tu seras Perroquet,
 Elle t’écoutera peut-estre,
 Et quand tu luy feras connoistre
 Dans ton ingénieux caquet,
 Les doux plaisirs que tu fais naistre,
Ton jargon dans son cœur produira quelque effet.
 Tu luy diras que la tendresse
 Doit toújours suivre la beauté,
 Et qu’il n’est point de liberté
Qui vaille prix pour prix l’amoureuse foiblesse.
 Sur tout dépeins luy la fierté
Comme un Monstre qui perd la riante Jeunesse.
 Tost ou tard il faut faire un choix.
 Que luy sert-il d’estre cruelle ?
C’est ce que tu ne peux luy dire trop de fois,
 Quand tu te verras aupres d’elle.
D’un amour Perroquet elle aimera la voix.
Cependant, si tu peux adoucir cette Belle,
Entre tous les Bergers qui vivent sous ses loix,
Souviens-toy que je suis, Amour, le plus fidelle.

[Régale donné aupres du Fort de la Quenoque] §

Mercure galant, juillet 1678 [tome 7], p. 213-216.

Mr le Marquis de la Trousse Gouverneur d’Ypres, accompagné de Mr de Vauban, Directeur & Commissaire des Fortification de France, & de Mr le Boistel de Chastignonville, Intendant de Donkerque & d’Ypres, & Pere de Mr le Boistel, l’un des premiers Commis de Mr le Marquis de Louvois, alla dernierement visiter le Fort de la Quenoque qu’on bastit à la fourche du Canal de Dixmude à Furnes ; & de celuy d’Ypres à ces deux Places. Comme ils se mirent dans une Barque pour observer la situation du Païs, il s’y fit une petite Feste que Mr le Duc d’Esbeuf honora de sa presence. Cette Barque s’avançoit au son d’une bande de Violons qui faisoient un tres-agreable accord avec les Hautbois, Flustes douces, & Musetes de Mr de Barbezieres Colonel des Dragons. Ils furent reçeus au bruit du Canon de la Place, & de celuy des Galiotes de Mr Martin, par Mr du Hamel Gouverneur du Fort suivy des Officiers de sa Garnison. Apres qu’ils eurent visité les Travaux faits & à faire, dont la conduite est entre les mains de Mr de la Halle fameux Ingénieur, ils rentrerent dans leur Barque où ils se mirent à table, n’y ayant point encor de lieu dans le Fort assez propre pour les faire joüir commodement de la grande chere qui leur fut faite. Elle fut assaisonnée de tout ce qui peut augmenter la joye, & le bruit en fut porté jusqu’à Nieuport & Dixmude par cinquante colées de Canon. Cette derniere Place n’est est éloignée que d’une lieuë.

[Lettre en Prose et en Vers à Mad. D. L. S.] §

Mercure galant, juillet 1678 [tome 7], p. 216-235.

Il s’est donné une autre Feste aux environs de Paris, dont je ne vous puis apprendre les particularitez, parce qu’elles ne sont pas venuës à ma connoissance ; mais si vostre curiosité n’est point satisfaite de ce costé-là, je croy que vous vous en consolerez aisément, par l’agreable & spirituelle nouveauté à laquelle cette Feste a donné lieu, & que vous trouverez dans cette Lettre.

À MADAME D. L. S.

Il ne suffit pas, Madame, de vous rendre compte de mes actions durant vostre absence, il faut que je vous aprenne jusqu’à mes Songes. J’en eus un il y a quelques jours assez particulier, & où je croy que vous avez grande part. Un de mes Amis m’avoit prié d’une Feste qu’il donnoit à trois ou quatre belles Dames dans une des plus agreables Maisons qui soit autour de Paris. Je ne vous diray rien de la galanterie de mon Amy. Tout le monde fut extrémement satisfait de luy. On eut tous les plaisirs qu’on pouvoit souhaiter dans un lieu où l’on ne manque de rien. Mais il ne s’agit pas de vous faire une Relation de cette petite Feste. J’aurois peut-estre bien de la peine à m’en acquiter. Quoy que je fusse de tout, je ne vis presque rien.

De vostre aimable & chere idée
Mon ame toûjours possedée,
Parmy les plaisirs les plus doux,
Ne vit & n’entretint que vous.

La Compagnie ne fut pas plûtost arrivée dans le lieu où elle estoit attenduë, qu’il me prit envie de voir le Jardin. Je remarquay au bout d’une grande Allée de Charmes qui regne le long d’un beau Parterre, une espece de Labirinthe. J’y allay. La beauté & la fraîcheur du Lieu où je pense qu’on n’a jamais veu le Soleil, m’obligerent de m’y asseoir. Il y avoit de petits Lits de gazon les plus commodes du monde. Je ne fus pas plutost sur un de ces Lits,

 Qu’une amoureuse resverie
Remplissant mon Esprit des plaisirs innocens
Qui faisoient autrefois le bonheur de ma vie,
 Me ravit l’usage des sens.
 Mon corps tout à coup immobile,
Et mes yeux sur la terre attachez sans la voir,
Faisoient assez juger qu’au dedans peu tranquille,
Mon cœur sur ses transports n’avoit plus de pouvoir.

Un Sommeil fort inquiet succeda à cette profonde resverie, & un Songe mistérieux occupa mon esprit tandis que je dormois.

Je vis ce jeune Enfant que je tiens à mes gages,
Et qui, tant que pour vous je n’ay point soûpiré,
 Me servoit de Guide assuré
En cent lieux differens où j’offrois mes hommages.

Cet Enfant est un de ces petits Amours que le Dieu Cupidon envoye auprés de ces Hommes tendres, qui semblent n’estre faits que pour aimer, qui font profession de n’estre jamais sans quelque affaire amoureuse, & qui sacrifient toutes choses à l’Amour. Ce Dieu pour reconnoistre leur attachement à son service, leur donne un Amour de sa suite qui a soin de conduire toutes leurs intrigues, en eussent-ils quatre tout à la fois. Il y a déja quelque temps que celuy dont je viens de vous parler est à mon service. Je suis fort content de luy, & je croy qu’il ne se plaint point de moy.

Si mille petits soins me témoignent son zele,
Mille feux dans mon cœur allumez tour à tour
 N’ont que trop fait voir qu’à l’Amour
 Je n’ay jamais esté rebelle.
Il me vient voir souvent ; nous nous parlons tous deux,
 Mais c’est toûjours avec mistere.
 Il dit qu’aux desseins amoureux,
  Trop d’éclat est contraire.
Il ne se montre aussi qu’à moy seul & la nuit,
Ou bien quand dans un Bois loin du monde & du bruit,
Le sommeil à mes yeux dérobant la lumiere
 M’oblige à fermer la paupiere.
 Alors paroissant sans effroy,
 Il parle & s’explique avec moy.

Ne vous étonnez point, Madame, des fréquentes apparitions de cet Amour. Il n’est pas nouveau que les Hommes trouvent moyen de faire connoissance avec les Dieux. Il ne faut pour cela qu’avoir quelque habitude au Parnasse, on noüe commerce avec eux en moins de rien.

Les Divinitez des Fables
S’aprivoisent aisément ;
Mais quoy qu’elles soient traitables,
On ne les voit qu’en dormant.

Je ne vous saurois dire bien précisément les discours que me tint mon petit Confident, pendant que j’estois sur le gazon. Je me souviens seulement que je me mis en colere contre luy, & que je le gronday fort. C’est un petit libertin, il a toûjours aimé le changement, & comme j’approuvois son libertinage avant que je vous eusse donné mon cœur, il s’imagina peut-estre que j’estois toûjours dans les mesmes sentimens, & crût que le meilleur conseil qu’il me pût offrir dans l’accablement où il me voyoit pour l’amour de vous, estoit d’essayer à me guerir de ma passion, & de tâcher à vous oublier en m’attachant à quelque autre Belle. C’est assurément ce qui m’irrita si fort, mais je n’ay de tout cela qu’une idée fort confuse. Ce que je sçay bien certainement, c’est que,

 Le pauvre Enfant honteux & dans l’effroy
  D’estre banny d’aupres de moy,
  Par un torrent de larmes
Me faisoit voir sa peine & ses allarmes ;

Lors qu’une Dame que je pris pour vous, vint s’asseoir entre luy & moy. Elle estoit d’une taille médiocre, mais aisée & tout à fait proportionnée. Elle avoit des cheveux d’un blond cendré le plus beau qu’on se puisse imaginer ; les yeux bleus, doux, fins, & brillans, quoy qu’il ne fussent pas des plus grands ; le tour du visage ovale ; le teint vif & uny ; la peau d’une blancheur à ébloüir ; les plus belles mains & la plus belle gorge du monde ; joignez à cela un certain air touchant de douceur & d’enjoüement répandu sur toute sa Personne. Je remarquay mesme dans ce qu’elle dit & dans tout ce qu’elle fit, ce tour aisé, ce caractere d’esprit sans embarras, cette humeur bonne & honneste, & ces manieres obligeantes qui sont si fort de vous, qu’il seroit difficile aux autres de les imiter. Enfin tout autre que moy, moins remply de vostre idée, en voyant ce que je vis, n’eust pas laissé de dire, c’est Madame D. L. S.

D’abord aupres de moy vous prîtes vostre place,
Et mon petit Amour pour fléchir mon couroux
 Vint se jetter à vos genoux,
 Seur par vous d’obtenir sa grace.
Sensible à ses soûpirs vous les reçeustes bien,
 Vous luy fistes quelques caresses.
 Je ne fus point de tout vostre entretien,
Mais il vous dit pour moy mille & mille tendresses.
 Enfin je me laissay toucher,
Et ne pûs contre luy plus long-temps me fâcher.
Je luy pardonnay donc, & ce fut pour vous plaire.
Quoy que le Ciel m’ait fait un esprit assez doux,
S’il se fut appuyé d’une autre que de vous,
Il n’auroit pas si tost appaisé ma colere.
 Apres cela devenu familier
 Ce petit Dieu dont l’humeur enfantine
 Est toûjours folastre & badine,
S’assit sur vos genoux sans se faire prier.
Il vous baisa, vous le laissâtes faire,
Et tout cela n’estoit pas sans mistere.
Enfin ayant longtemps admiré vos appas,
 Il s’endormit entre vos bras.

Pour moy j’estois tout surpris de la bonté qui vous faisoit luy permettre ces petites libertez-là, mais vous aviez vos raisons. Vous ne le vistes pas plûtost endormy que vous eustes la malice de luy arracher toutes les plumes de ses aisles. Je vous regarday faire, & n’eus pas la force de vous en empécher. Le pauvre petit Amour ne s’éveilla que lors qu’il fut entierement déplumé. Sa surprise & sa douleur furent sans égales.

Ainsi donc, me dit-il, je ne puis plus voler,
Ainsi cette Beauté qui me laisse sans aisles
 Des peines les plus cruelles
 N’aura qu’à nous accabler.
Nous gémirons tous deux dans un long esclavage
Sans pouvoir de ses mains enlever vostre cœur,
Si joignant contre nous l’injustice à l’outrage
Elle nous traite un jour avec trop de rigueur.

Je voyois aussi-bien que luy les suites dangereuses de la malice que vous veniez de luy faire, mais il n’estoit pas en mon pouvoir de m’en fâcher, & luy-mesme, tout irrité qu’il estoit, ne laissa pas de recevoir avec plaisir quelques petites caresses que vous luy fistes pour le consoler. Il ne faut rien pour appaiser les Enfans, & en un moment on les fait passer de l’extréme tristesse à l’extréme joye. C’est ce qui arriva à mon petit Amour. Quelques bijoux dont vous l’amusastes dissiperent son chagrin, & luy firent oublier sa disgrace.

Le bruit que firent pour lors deux de mes Amis qui me cherchoient, m’éveilla, & fit à mon grand regret disparoistre la Dame & l’Amour. Il est inutile, Madame, de vous expliquer ce Songe qui est trop suivy pour ne signifier rien. Vous voyez bien qu’il veut dire que la passion que j’ay pour vous m’a guery de toutes mes inconstances, & que vous m’avez si bien pris que j’en ay pour le reste de ma vie.

[Benediction de Madame l’Abbesse de Farmontier faite aux Feüillans] §

Mercure galant, juillet 1678 [tome 7], p. 242-246.

Celle [la pompe] qui accompagna il y a quelques jours la Benediction de Madame l’Abbesse de Farmontier, ne fut pas de cette nature. Je vous ay parlé d’elle dans ma Lettre du mois de Novembre, qui vous fit connoistre qu’elle est de la Maison d’Uxelles, & Bellesœur de Mr le Comte de Beringhen. La Ceremonie se fit dans l’Eglise des Peres Feüillans, où l’on avoit dressé quelques Echafauts pour la commodité de l’Assemblée qui ne pouvoit manquer d’estre fort nombreuse. Cette précaution ne se trouva pas inutile. Le dehors du Balustre estoit tout remply de Gens de la premiere Qualité, Parens & autres. On avoit reservé le dedans pour les Evesques & pour ceux de la Cerémonie, qui fut tres-celebre. Monsieur l’Archevesque de Rheims officia avec la pompe ordinaire à ce grand Prelat. L’air majestueux de sa Personne, la richesse de ses ornemens, & une excellente Musique composée de symphonie & de voix, attiroient tour à tour & les yeux & l’attention de l’Assemblée. Mr l’Archevesque de Rheims fit asseoir Madame l’Abbesse dans un Fauteüil aupres de l’Autel. Elle y fut salüée par ses deux Assistantes, qui estoient Madame de S. Antoine & Madame de Hieres, & en suite par Mesdames de Beringhen. Leurs Reverences furent graves, & ce qu’elles avoient de concerté estoit digne & de la majesté du lieu & de l’occasion qui les faisoit faire. Au sortir de l’Eglise, on vint chez Mr de Beringhen, où l’on trouva un magnifique Repas servy avec une abondance & une délicatesse qui surpassent toute la profusion des autres Tables. Messieurs les Archevesques de Rheims & de Bourges, & Messieurs les Evesques d’Orleans, d’Angoulesme, de Meaux, de Montauban, de Marseille, de la Rochelle & d’Autun, en estoient, ainsi que Me l’Abbesse de Hieres, avec les Dames de sa Maison qui l’avoient accompagnée. Madame de S. Antoine ne s’y trouva point. On n’eut pas lieu d’en estre surpris, puisqu’elle ne mange jamais hors de chez elle.

Air nouveau §

Mercure galant, juillet 1678 [tome 7], p. 250-251.

Encor un Air nouveau, & je passe à un Article qui fait l’entretien de tout Paris. Les Vers d’une petite Piece que je vous envoyay il y a quelque temps, ont tellement plû à M. l’Abbé Brossard, qu’il en a mis le premier Quatrain en Air.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Vous demandez, Iris, pourquoy je vous évite, & celuy qui le suit, doivent regarder la page 251.
Vous demandez, Iris, pourquoy je vous évite ?
 Cessez de vous en étonner,
Vous avez des appas, & mon cœur va trop viste
 Quand il s’agit de se donner.
images/1678-07_250.JPG

[Autre air nouveau] §

Mercure galant, juillet 1678 [tome 7], p. 251-252.

Ces autres Paroles m’ont esté envoyées de Montpellier avec les Notes. Vous les trouverez en suite de celles qui vous aprendront l’Air du Quatrain.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l'’Air qui commence par, Vous demandez, Iris, pourquoy je vous évite, & celuy qui le suit, doivent regarder la page 251.
 Pour boire avec plus de plaisir
 Cette liqueur qui nous enchante,
 Meslons-y le doux souvenir
 De quelque amourette naissante.
Que ce mélange heureux fait passer de beaux jours !
Amans Beuveurs, vous pouvez bien m’en croire,
Si vous trouvez si doux, vous d’aimer, vous de boire,
Quel plaisir n’est ce point de boire à ses amours !

[Procés touchant la cessation du Testament de Madame du Puis.] §

Mercure galant, juillet 1678 [tome 7], p. 252-260.Article dans Mercure

Vous avez veu dans quelqu’une de mes Lettres plusieurs Articles du Testament de Madame Du Puis, celebre Joüeuse de Harpe. Ce Testement a fait grand bruit depuis peu. On a plaidé pour le faire casser ; & Mrs Maurice, Vautier & de Feriere, fameux Avocats, on fait paroistre leur esprit, le premier en le defendant, & les deux autres en l’attaquant. La Pension que la Defunte laisse à son Chat, & les Visites qu’elle ordonne qu’on luy rende toutes les Semaines, ont esté les endroits contre lesquels on s’est le plus récrié. Ces Articles n’auroient rien eu d’extraordinaire en Turquie, où l’on a étably des Hospitaux, & mesme une Rotisserie pour les Chats. Baudier dans son Livre de la Religion des Turcs, rapporte qu’un Particulier ayant acheté à cette Rotisserie des Chats dequoy régaler ceux de l’Hospital, le Directeur qui regardoit comme un grand avantage celuy de leur distribuer leur portion, voulut jouïr seul de cet honneur. Le charitable Turc prétendit que c’estoit à luy à servir les Chats, puis qu’ils devoient manger ce jour-là à ses despens. Il y eut debat, & l’affaire ayant esté discutée en présence du Grand Seigneur, il ordonna que les Directeurs des Hospitaux distribuëroient ce qu’on apporteroit à manger aux Chats, à la reserve d’un jour qu’il marqua dans chaque Semaine, auquel jour il seroit permis aux Particuliers de distribuer eux-mesmes leurs charitez. Il se trouve des Animaux qui rendent de si grands services à leurs Maistres, qu’ils ne sont pas indignes de récompense. J’ay leû dans une Histoire d’Angleterre, qu’un nommé Lotainton devint par son Chat un des plus riches Hommes de son Siecle. Il voyoit charger un jour des marchandises à Londres, & quelqu’un luy ayant demandé s’il ne vouloit rien mettre sur le Vaisseau pour trafiquer comme les autres Marchands, il répondit qu’il n’avoit rien à donner, si on ne vouloit recevoir son Chat. On le reçeut. Il s’embarqua, & ce fut avec tant de bonheur, qu’on descendit chez un Roy qui depuis quelque temps estoit accablé de Rats, sans qu’il pust trouver moyen de s’en délivrer. On luy proposa le Chat de l’Anglois. Il fut amené, & ce Chat fit une si cruelle guerre à ces Animaux, qu’il en purgea le Palais du Roy. Lotainton en fut récompensé par de grands trésors qu’il luy donna, & qui le mirent en état d’estre fait Maire de Londres. Si le hazard fut cause que ce Chat fit la fortune de son Maistre, on a veu d’autres Animaux mériter d’estre aimez des leurs, par leur fidelité, par l’amitié qu’ils ont euë pour eux, & par les services qu’ils leur ont rendus. Mr Maurice raporta dans son Plaidoyer l’exemple d’un Lyon qui avoit eu tant d’amour pour un Maistre Turc, qu’apres sa mort il en fit voir un chagrin qui ne cessa point. La chose fut sçeuë du Grand Seigneur, qui ordonna la paye d’un Janissaire au Lyon ; & quand ce Lyon fut mort, les Janissaires l’enterrerent, comme ayant esté leur Camarade. Tout cela n’approche point de ce que je vous vay dire. Quand les Espagnols conquirent les Indes, ils avoient dans leur Armée un Chien nommé Leoncille. Ce Chien avoit appris à connoistre les Indiens, & il les haïssoit si mortellement, qu’il n’y avoit plus de vie pour tous ceux qu’il attaquoit. Le carnage qu’il en fit, luy valut une double paye de Cavalier, avec double part au butin, & aux trésors des Roys Indiens qu’on partageoit. Apparemment cette double paye tournoit à l’avantage du Maistre du Chien. Caligula fit encor plus, puis qu’il alla jusqu’à faire son Cheval Consul. Il n’y a rien sans-doute qui soit plus extravagant ; mais les Animaux n’ayant besoin que de nourriture, peut-estre n’y a-t-il pas tant de folie qu’on le croit, à en laisser à ceux dont on a reçeu quelques services. Cependant le Chat n’a pas laissé de perdre son Procés.

[Mort de M. Esprit, de l’Académie Françoise] §

Mercure galant, juillet 1678 [tome 7], p. 272-274.

Mr Esprit, Frere du Premier Medecin de Monsieur, & de l’Abbé qui porte ce nom, vient de laisser une place vacante dans l’Académie Françoise. Il est mort à Beziers, où il s’estoit retiré depuis fort longtemps. Quoy qu’il eust un fort grand mérite, la France abonde si fort aujourd’huy en beaux Esprits, que l’embarras de ceux qui composent cet Illustre Corps, ne sera pas à luy trouver un Successeur capable de remplir sa place, mais à choisir le plus digne de ceux qui ont quelque droit de l’esperer ; car vous sçavez, Madame, que la brigue n’y peut rien, & qu’il n’y a que le seul mérite consideré dans l’élection qui s’en fait par le Scrutin le plus rigoureux.

[Avanture d’un Cavalier saigné par une Belle] §

Mercure galant, juillet 1678 [tome 7], p. 285-295.

J’ay encor tant de choses à vous apprendre, que je vay trancher court sur une petite Avanture qui s’est passé depuis un mois dans une Ville où il y a Parlement. Deux des plus considérables Officiers de cette Ville estant à la promenade dans le Carrosse d’une Dame qui ne cede à aucune ny en naissance ny en mérite, cette Dame s’apperçeut qu’un des deux devenoit rouge, & qu’il pâlissoit un moment apres. Elle crût que le devant du Carrosse où il estoit, l’avoit étourdy ; & comme elle voulut luy donner sa place, une Demoiselle parfaitement belle qui estoit de la partie, prévint la Dame, & fit prendre à l’Officier celle qu’elle occupoit aupres d’elle. Sa foiblesse ayant continué encor quelque temps, on baissa deux Glaces qui estoient levées, parce que l’Officier estant d’une compléxion tres-délicate, & sujet à estre incommodé de peu de chose, on craignit que le vent ou la poudre ne fussent la cause du mal auquel on tâchoit de remédier. Ces précautions le soulagerent. On luy fit la guerre de cet accident, & il prit son temps pour en apprendre le sujet à la belle Personne qui luy avoit cedé sa place. Il luy avoüa qu’il estoit né avec une antipathie si forte pour la Saignée, qu’en ayant apperçeu une petite marque au bras de la Dame, vis-à-vis de laquelle il s’estoit d’abord placé, cette veuë l’avoit pensé faire évanoüir, & qu’il avoit eu bien de la peine à se remettre. La Dame dont l’humeur est fort enjoüée, ayant appris de la Demoiselle ce que l’Officier luy venoit de dire, répondit en riant que ce n’estoit pas la marque d’une Saignée qui avoit causé son mal, mais que la beauté de son bras l’avoit si fort transporté, qu’il en avoit esté hors de luy-mesme. Cette petite raillerie qu’elle tourna finement, donna lieu à quantité d’agreables choses qui furent dites. Chacun se tira d’affaires avec esprit. L’Officier n’en manque pas, je veux dire de celuy qui est le plus en usage parmy le beau monde. C‘est un Homme de fort bon goust sur le chapitre des Dames. Il ne se laisse charmer que par la veritable Beauté. Les habits magnifiques, & l’éclat de la naissance, ne sont pas les qualitez essentielles qu’il faut avoir pour luy plaire. Une Beauté populaire l’attache, s’il y trouve ce qu’on doit avoir pour estre belle, & on peut dire qu’une Femme est vrayement aimable, quand il la croit digne d’estre aimée. Cette Avanture s’estant répanduë le lendemain par toute la Ville, un Cavalier aussi bien fait que galant, l’entendit conter dans une Assemblée de Dames où il se trouva. Les raisonnemens qui furent faits là-dessus, luy firent dire qu’il se tiendroit bien malheureux, s’il avoit la mesme appréhension pour la Saignée, parce qu’il en avoit un tres-grand besoin, & que son Chirurgien estoit déja averty pour le jour suivant. Une belle Personne qui estoit présente, & dont on ne doute point que le Cavalier ne soit fort épris, s’ofrit à luy épargner la dépense de cette Saignée, & dit en riant que les choses valant mieux faites qu’à faire, elle luy conseilloit de luy confier son bras, & de n’attendre point au lendemain. Le Cavalier tourna la chose en galanterie, fort persuadé que c’en estoit une. Il cria luy-mesme qu’on allast chercher une Lancete, & se laissa retrousser sa chemise par dessus le coude. La Belle luy frota le bras, le lia, & fit apporter deux petits Vases de porcelaine, pour y recevoir le sang. Le Cavalier regarda la cerémonie sans s’étonner. Il plaisanta des apprests, en prit occasion de debiter des douceurs, & il n’y eut rien que de réjoüissant jusques-là pour luy ; mais quand on eut apporté une Lancete, & qu’il la vit ouvrir à la Belle, d’une maniere qui faisoit connoistre qu’elle avoit dessein de s’en servir, il commença d’avoir peur. Il pâlit, & il n’y eut personne qui ne remarquast qu’il changeoit de visage à chaque instant. La verité est qu’il n’avoit pas crû que ce dust estre tout de bon. Cependant il estoit entre les mains d’une trop belle Personne pour ne pousser pas l’affaire à bout. Il ne voulut point retirer son bras, & soufrit le coup de Lancete, qu’elle luy donna avec autant d’adresse qu’eust pû faire le plus habile Chirurgien. On rit de sa crainte, & il ne la justifia qu’en disant que n’ayant point esté instruit du talent que la Belle avoit pour la Saignée, il avoit eu lieu d’appréhender, apres les blessures qu’elle faisoit tous les jours, qu’elle n’eust la main aussi dangereuse que les yeux.

[Explication en vers de la première Enigme du mois de juin]* §

Mercure galant, juillet 1678 [tome 7], p. 356-360.

Monsieur le Duc de Saint Aignan est Autheur de la premiere des Enigmes du dernier Mois. Le vray Mot en a esté trouvé par Mr Giffon, de l’Académie Royale d’Arles, qui en a donné l’Explication qui suit. Il estoit bien juste qu’un Membre de cet Illustre Corps refléchist sur l’Ouvrage de son Protecteur.

À la corde d’un puits deux Seaux qui sont pendus,
Sont ces Voisins qui se font niche.
Le Seau vuide est le pauvre, & le plein est le riche.
Par tout le monde ils sont & pleins & répandus,
Aux Sceaux de la Chancellerie,
Par un destin fortuné,
Le mesme nom est donné ;
Mais ceux de la Mènagerie
Au fonds d’un Puits sombrement sont nichez,
Et n’en sont jamais arrachez
Que force eau n'en degoute, & c’est leur pleurerie.
Sans faire aucun naufrage ils plongent dans le Puits.
Ils n’ont ny pieds, ny bras, ny teste,
Et dans le Puits sur tout de l’Hostel où je suis,
Dés qu’un Voisin a fait, l’autre à puiser s’apreste.

Ceux qui ont trouvé ce mesme Mot du Seau, sont Mrs le Comte de la Cosiere ; Du Breüil, de Paris ; De Chantoiseau ; Aubin ; Tesmier, Substitut du Procureur du Roy à la Rochelle ; Cohon ; Foyneau, Sous-Chantre de Vannes ; L'Ultramontin ; L'Anonyme, de Roüen ; Drosny ; Fontenay ; Madame la Marquise de Chabrillan ; Madame du Clos-le-Roy, de Sens ; Mesdemoiselles Ursule, de Mante ; Ragueneau, de Bordeaux ; & Penavaly, de Brest en Bretagne ; Le beau Tenébreux ; L'Invisible ; L'Italien, de la rue Quinquempoix ; Mon humeur plaist, mais elle enteste ; Sans vous je n'aime rien ; Les Fauvetes à teste noire de Clignancour ; La jeune Blanchisseuse du Pot de Neüilly ; La Societé Cloistrée de Paris ; La Belle mélancolique ; L'Enjoüée ; La belle N. P. de la Rüe Grenier S. Lazare ; & Mrs l'Abbé Desgres proche Caën, & de Bollain Capitaine dans Picardie. Ces trois derniers en ont envoyé l'Explication en Vers.

[Explication en vers de la deuxième Enigme du mois de juin]* §

Mercure galant, juillet 1678 [tome 7], p. 360-364.

Vous trouverez celle de la seconde Enigme dans ce Madrigal.

Sacré Lit où naissent nos Loix
Autel au pied de qui tremble toute la Terre,
D’où contre les Méchans se lance le Tonnerre,
Trône où l’on voit briller le plus grand de nos Roys,
Que vous estes auguste, estant remply par un Prince si juste,
Et qui, par sa sagesse, & ses travaux divers
Mérite de remplir celuy de l’univers.

Cette mesme Enigme a esté expliquée sur le Trône, qui est le vray Mot, par Mrs Neveu Desbourrée, du Carfour S. Barthelemy ; Forest, de Beauvais ; Lasson le jeune, Medecin de Châlons en Champagne ; Mr Jourdan de la Salle, Chanoine de Troyes ; Geoffroy le jeune ; Berthon, Chanoine de la Cathédrale de Rhelounac en Velay ; de la Barre, de Roüen ; Beroult, Medecin de Conches ; Lescarde ; Voisvenel ; de Vaudrival, Bailly de S. Valery ; Bonnet de Vaux & de Silvecane Fils (ces deux derniers en Vers ;) Madame la Comtesse de S. Pol ; Mademoiselle de Quenet ; Méleagre ; Le Celeste Allobroge ; & l'Amante des-intéressée, de Montauban. Ceux qui ont expliqué les deux, sont Mrs Giffon ; Germain, Prestre de Caën, en Vers ; Roussel, Aumosnier ordinaire du Roy ; De la Barre, Sr du Plessis, Conseiller à Chinon ; Miconer, Avocat à Châlons sur Saône ; Nicolaif Nippuoh ; Le Chevalier de Marles ; Roland, Avocat à Rheims ; De la Croisiere, de Chauny en Picardie ; Lagrené de Vrilly ; Mesdemoiselles Laurens la jeune, de Roüen ; Andry de l'Isle ; De la Fosse, de Chinon ; La Salamandre en liberté ; Un Chanoine de S. Victor ; La belle Voix du Quartier S. Sauveur ; & les trois Matadors. Plusieurs ont expliqué le Trône sur la Monnoye, l'Hermine, le Carreau à s'agenoüiller, L'Or, le Sceptre, & la Couronne. Les divers Mots qui ont esté donnez au Seau, sont, un Vaisseau, une Ligne à pescher, un Glaçon, l'Huistre à l'Ecaille, un Tonneau, une Bouteille de Vin, un Flacon, le Jonc, un Gouvernail, la Boule, & la Lampe.

[Deux nouvelles énigmes]* §

Mercure galant, juillet 1678 [tome 7], p. 364-367.

Voicy deux nouvelles Enigmes. Mr Gardien Secretaire du Roy, a fait la premiere. L’autre est d’une Personne de qualité.

Enigme.

Avec une teste assez grosse
D’un pied je me tiens sans effort.
Bien que petit de taille, & rien moins qu’un Colosse,
J’ay quelquefois terrassé le plus fort.
***
Quoy que je sois dans l’impuissance
De faire un seul pas pour marcher,
Je viens pourtant toûjours en grande diligence ;
Mais qui me veut, peut me venir chercher.
***
De tels dont j’estois les delices
Et qui m’avoient ouvert leur cœur,
Je n’ay que trop souvent fait de grands sacrifices,
Pour m’avoir pris dans ma mauvaise humeur.
***
Cherchez ; tachez de me comprendre ;
Mais quand vous m’aurez deviné,
À mes Freres bastards gardez de vous méprendre,
C’est un coup seûr d’en estre assassiné.

AUTRE ENIGME.

On me voit mille fois renaistre pour mourir ;
Mais admirez mon sort, celuy que je fais vivre
Est celuy qui me fait périr ;
Et celuy qui me livre
À ce Dénaturé qui me prive du jour,
À sa Philis sans moy feroit fort mal sa cour.
Chez quelques Gens pourtant je deviens grande & belle,
Et je profite à tout moment.
Il n’en est pas ainsi quand je suis en Ruelle,
Ma grandeur en ce lieu déplaist infiniment.

[Explication de l’Enigme en figure]* §

Mercure galant, juillet 1678 [tome 7], p. 367-373.

Ces diférentes Explications ont esté données à l'Enigme d'Antée & d'Hercule. Messieurs Giffon, & Poulain Armateur de la Ciutat, la Paix Generale ; Desnots, Roussel, & l'Abbé Desgres, les Victoires du Roy sur les Ennemis ; Miconet, & Geoffroy le jeune, la Guere étoufée par Sa Majesté ; De Chantoiseau, la Hollande se jettant dans les bras du Roy ; De la Gueriniere, & le Brun, de Lyon, la Poudre ; Betuland, de Rasens ; De Villefroy, de Soissons ; Mademoiselle de la Salle, de Blois ; & Mr de C.N.T.N.I. la Mine ; L'Abbé Planeau, & le Chevalier de Clairville, la Fusée ; Cohon, le Tonnerre ; De la Barre, Sr du Plessis ; Nicolaif Nippuoch ; Le Chevalier de la Heronne, & la Salamandre en liberté, le Jet d'Eau ; Boudet, Conseiller du Roy, & Commissaire pour les Dépesches ; un Chanoine de S. Victor, & la Belle Solitaire de l'Istme, le Soleil & la Nuée ; Charmoluë, Doyen de S. Clement de Compiegne ; De Venval ; Le Brave Ardennois ; La spirituelle Mélancolique ; & l'Anonime de Roüen, l'exhalaison ou vapeur de la Terre dissipée par le Soleil ; Beroult & Roland, un Arbre arraché de terre par le vent ; Garreau, le Poisson sortant de l'eau ; Pantot, Medecin à Lyon, le Triomphe de la Raison sur les Passions humaines ; Bonnet de Vaux, le Poëme Epique ; De l'Arbrisseau & le faux Crisante, le Balon ; Neveu Desbourrée, l'Alambic ; Des Bois, la Greffe ; Robert, de Châlons en Champagne, un Pressoir ; La Croisiere, une Fleur cueillie ; Derard, une Pompe à tirer de l'eau ; Berthon Chanoine, la Fontaine ; Ralut, de Roüen, le Malcaduc, en Vers ; Mesdemoiselles Mercés l'aisnée, & Odinet, l'Air ; Veronneau, de Blois, l'Eau forte ; Ursule, de Mante, le Carcan ; Le Contemplatif, & le Solitaire de l'Oratoire, la Vertu tromphante du Vice ; Le Solitaire de Pontoise, la Grace victorieuse, en Vers ; Juvenal le Cadet, le Chardon qui suffoque le Bled ; Linus, Berger de Loches, un Joüeur de Musète ; Le beau Tenébreux ; Le petit bon de la Bonne ; & Mon humeur plaist, mais elle enteste, le Feu, ou la Bombe ; Lisandre, le Cachet, en Vers ; La belle Voix du Quartier S. Sauveur, le Paveur, ou le Bucheron. Mrs Lasson le Jeune, & du Mont Avocat à Chaumont en ont trouvé le vray sens, en l’expliquant sur l’Ayman. Hercule eut la force d’enlever Antée en l’air, malgré ses quarante coudées de hauteur. Rien ne represente mieux celle de l’Ayman qui attire le Fer, quoy que lourd. Le fer naist dans les entrailles de la Terre, & Antée en estoit le Fils. La victoire d’Hercule qui l’étoufa n’est point icy à considérer, mais la seule action représentée dans le Tableau, qui est, d’Antée tenu en l’air par Hercule.

[Nouvelle Enigme en figure]* §

Mercure galant, juillet 1678 [tome 7], p. 373-375.

Il s’agit presentement de sçavoir ce que veut dire le Serpent d’Epidaure que je vous envoye [La figure est placée entre la page 372 et la page 373]. Les Romains estant affligés de Peste, députerent à Epidaure pour implorer le secours d’Esculape, honoré singuliérement dans un Temple de cette Ville. Les Ambassadeurs y ayant esté conduits, Esculape parut sous la figure d’un Serpent qui se glissa dans leur Vaisseau. Il fut mené & reçeu à Rome avec une pompe & une joye extraordinaire, allant par les Ruës et guérissant par tout les Malades. Tout cela est représenté dans ce Tableau. Les Magistrats qui lui jettent des fleurs marquent la pompe de la reception. Les Mimes, Pantomimes et autres Jouëurs d’Instrumens font connoistre la joye qu’on eut de son arrivée & les Malades vous sont figurez par ces Languissans couchez par terre.