1678

Mercure galant, septembre 1678

2014
Source : Mercure galant, Claude Blageart, septembre, 1678
Ont participé à cette édition électronique : Anne Piéjus (Responsable d'édition), Nathalie Berton-Blivet (Responsable d'édition), Alexandre De Craim (Édition numérique), Vincent Jolivet (Édition numérique) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

Mercure galant, septembre 1678 [tome 9], 1678. §

À Monseigneur le Dauphin §

Mercure galant, septembre 1678 [tome 9], non paginé.

À
MONSEIGNEUR
LE
DAUPHIN

J’ay chanté vos vertus pendant plus de huit mois,
En attendant le temps de chanter vos Exploits.
Si je ne fournis point aujourd’huy ma Carriere
    Sur vos Prodiges éclatans,
    Ce n’est pas manque de matière,
    C’est manque seulement de temps.

En effet, Monseigneur , il m’en faudroit plus qu’il ne m’en reste, apres avoir parlé des surprenantes Actions du Roy, pour entrer un peu particulierement dans les choses qui vous regardent. Ce sont tous les jours de nouveaux sujets d’admiration pour ceux qui ont l’avantage d’en estre témoins. Leur bonheur est sans doute à envier ; mais au moins quelque zele que leur inspire l’honneur d’approcher de Vostre Personne, il ne sçauroit qu’égaler le profond respect avec lequel je suis,

MONSEIGNEUR,

Vostre tres-humble & tres-

obeissant Serviteur. D.

Avis pour toûjours §

Mercure galant, septembre 1678 [tome 9], non paginé.

Avis pour toûjours.

ON prie ceux qui envoyeront des Memoires où il y aura des Noms propres, d’écrire ces Noms en caracteres tres-bien formez & qui imitent l’Impression, s’il se peut, afin qu’on ne soit plus sujet à s’y tromper.

On prie aussi qu’on mette sur des papiers diférens des Lettres, toutes les Pieces qu’on envoyera.

On reçoit tout ce qu’on envoye, & l’on fait plaisir d’envoyer.

Ceux qui ne trouvent point leurs Ouvrages dans le Mercure, les doivent chercher dans l’Extraordinaire, & s’ils ne sont dans l’Un ny dans l’autre, ils ne se doivent pas croire oubliez pour cela. Chacun aura son tour, & les premiers envoyez seront les premiers mis, à moins que la nouvelle matiere qu’on recevra ne soit tellement du temps, qu’on ne puisse differer.

On ne fait réponse à personne, faute de temps.

On ne met point les Pieces trop difficiles à lire.

On recevra les Ouvrages de tous les Royaumes Etrangers, & on proposera leurs Questions.

Si les Etrangers envoyent quelques Relations de Festes ou de Galanteries qui se seront passées chez eux, on les mettra dans les Extraordinaires.

On avertit que le Sieur Blageart aura le 15. d’Octobre prochain une Boutique dans la Court Neuve du Palais, vis-à-vis la Place Dauphine, AU DAUPHIN, où l’on ne manquera jamais de trouver toute sorte de Volumes en telle Reliure qu’on les voudra.

Il donnera tous les Volumes de l’année 1678. & les Extraordinaires à Trente sols reliez en veau, & à vingt-cinq reliez en parchemin.

Les dix Volumes de l’année 1677. se donneront toûjours à Vingt sols en veau, & à Quinze en parchemin.

On donnera un Volume nouveau du Mercure Galant, le premier jour de chaque Mois sans aucun retardement.

L’Extraordinaire du Quartier de Juillet se distribuëra le 15. d’Octobre.

On prie qu’on affranchisse les Ports de Lettres, & qu’on les adresse toûjours chez ledit Sieur Blageart, Imprimeur-Libraire, Ruë S. Jacques, à l’entrée de la Rue du Plastre.

[Description en Prose et en Vers d’une Feste donnée par M. de Matignon] §

Mercure galant, septembre 1678 [tome 9], p. 8-37.Article dans Mercure

On peut dire que quand mesme la Guerre ne finiroit point, tout y demeuroit dans le mesme état, puis que tant qu’elle a duré, il s’est fait beaucoup de Festes, tant publiques que particulieres, dans toutes les Provinces du Royaume. Vous en avez veu les Descriptions dans la plûpart de mes Lettres, & vous en allez voir une nouvelle dans ce qui en a esté écrit par Mr des Avaris à une fort aimable Personne.

À MADEMOISELLE***

Si vous avez crû, Mademoiselle, qu’il ne se pouvoit rien voir de magnifique apres ce qui se fit il y a quelque temps pour la reception de Madame la Duchesse de Toscane, dans le voyage qu’elle fit à Caën, la Feste dont j’ay à vous entretenir aujourd’huy, vous va faire changer de sentimens. Je suis seûr que vous la trouverez digne de celuy qui l’a donnée, & que vous n’en pourrez apprendre les particularitez, sans avoüer que Monsieur de Matignon a toûjours de nouvelles manieres d’assaisonner les plaisirs de toute la pompe qu’ils sont capables de recevoir.

Ce qu’il fait répond bien à sa haute naissance,
        On ne peut mieux tenir son rang,
    Rien n’est égal à sa magnificence,
        Et peu de Gens sçavent en France,
Soûtenir comme luy tout l’éclat de leur Sang.

Le jour de sa naissance luy fournit tous les ans l’occasion d’une Feste, & il le celebra dernierement avec une somptuosité qui ne causa pas moins d’admiration que de surprise. La plûpart des Personnes de qualité de la Province qu’il avoit invitées, se trouverent deux jours avant celuy de la Feste, à son Chasteau de Thorigny, dont vous avez tant oüy vanter la beauté. Les Cavaliers n’avoient rien negligé de ce qui pouvoit leur donner le bel air, & les Dames ne parurent jamais avec plus d’éclat. Depuis l’arrivée de cette belle & nombreuse Assemblée, quatre Tables de douze Couverts chacune, furent servies tres-régulierement à tous les Repas. Le Jeu, la Danse, & la Promenade, furent des plaisirs si agreablement diversifiez, qu’il estoit difficile de dire ce qui plaisoit davantage. Le jour solemnel estant arrivé, toute la Bourgeoisie de Thorigny & des environs, qui s’estoit assemblée & avoit fait reveuë dés le soir, vint se mettre en bataille le matin dans la Court du Chasteau en tres-bel ordre ; en suite dequoy elle fut conduite par le Commandant à l’endroit du Parc qui estoit marqué pour disputer avec l’Arquebuse un Prix considérable que Monsieur de Matignon donne tous les ans à celuy qui l’a merité par son adresse. Peu de temps apres une Compagnie de Bergers habillez fort proprement à la maniere du Village, la Houlette à la main, entrerent dans la mesme Court à la cadence de plusieurs Flutes douces & Haut-bois qui joüoient des Airs tous charmans, quoy que champestres. Vous m’avoüerez, Mademoiselle, qu’ils estoient bien conduits, puis que l’Amour en estoit le Chef, & qu’on ne peut douter que l’Amour des Vergers & des Boccages ne vaille bien celuy de la Cour. C’est dans ces lieux paisibles où l’on gouste les plus innocentes douceurs, & les plus tranquilles plaisirs. C’est là le sejour de la Constance. Le fidelle berger content de sa fidelle Bergere, n’en va point inquieter un autre qui gouste la mesme tranquillité que luy. Le bien qu’il possede n’est jamais troublé par la jalouse envie d’une autre possession. Ce qu’il a, luy tient lieu de tout ce qu’il pourroit souhaiter ; & la Bergere également contente, fait de la tendresse & de la constance de son Berger, toute la felicité de sa vie. Cet Amour dont je vous parle, estoit un petit Garçon tres-beau, tenant un Arc en sa main, & ayant un Carquoi au dos. Il estoit placé sur un Trône fait d’une maniere galante, quoy que rustique. Il y avoit tout autour plusieurs Cages pleines de Faisans, Perdrix, Cailles, Levraux, Poules, & autres Animaux, qu’il venoit offrir à Monsieur de Matignon au nom de tous les Bergers de sa suite. Les Dames qui estoient en grand nombre dans le Chasteau, accoururent en foule pour admirer ce joly Spectacle. Ce petit Amour surpris de voir des Beautez si éclatantes, & se doutant bien, ou plutost sçachant que parmy elles il y en avoit d’insensibles à ses traits, leur fit connoistre par ces Vers recitez tout haut, ce qu’elles devoient craindre de leur insensibilité.

Belles, qui de mes traits voulez vous garentir,
Et qui jusqu’à present n’avez sçeu me connaistre,
    Apprestez-vous à les sentir,
    Tost ou tard je seray le maistre ;
Ne me rebutez plus si je viens à paraistre,
Ou je sçauray long-temps vous faire repentir.

>Cette menace faite d’un ton fier, pût bien trouver des timides, & les obliger à ne se plus défendre contre l’Amour. Du moins j’ay oüy dire que quelqu’une commença dés ce moment à soûpirer. Les Bergers apres avoir dancé quelque temps dans la Court, allerent dans le Parc chercher un endroit plus commode pour continuer leur dance. Les Bergeres qui s’y estoient renduës avant eux, les attendoient impatiemment. Elles avoient choisy le bas d’un Costeau, ombragé d’un Bois de haute-fustaye, qui y faisoit goûter une tres-agreable fraîcheur. Les Bergers les ayant apperçeuës de loin, coururent vers elles avec l’empressement qui est naturel à ceux qui aiment. Chacun prit la sienne, & la Dance recommença sur les cinq heures du soir. Toute la Compagnie vint se promener au Parc, & alla au lieu où estoit cette galante Troupe de Bergers. Le plus galant d’entr’eux fit une Harangue à Monsieur de Matignon, & s’en acquita avec autant d’esprit que de grace. On se divertit quelque temps de la maniere rustique & des postures plaisantes que faisoient en dançant les Bergeres & les Bergers. Ce plaisir fut suivy de celuy de la Course pour laquelle on avoit proposé un Prix. On mit des Levraux en liberté, & ils furent suivis avec une telle vitesse, que leur legereté ne pût les empescher d’estre pris. Apres ce violent exercice, les Bergers allerent se reposer sous l’ombrage d’un petit Bois qu’il sembloit que l’Amour leur eust preparé pour sa rafraîchir, & pour se remettre de leurs fatigues.

    Fut-il jamais rien de si beau
    Que cet agreable feüillage ?
    Sous la fraîcheur de son ombrage,
Chaque Berger exempt du soin de son Troupeau,
    Par un doux & tendre langage
Entretenoit sa charmante Isabeau.

La Course finie, les Dames & toute la Suite, prirent le chemin de la Ménagerie, qui sera des plus belles quand on y aura mis la derniere main. Sa situation est au pied d’un Costeau tres-agreable. Plusieurs Pavillons de brique, & couverts d’ardoise, liez ensemble par autant de petites Courts pleines d’Oyseaux des plus beaux & des plus rares, composent cette Ménagerie. Une Terrasse jointe à la plus grande des Courts, & qui fait face du costé des Prairies, des Eaux, des Bois, & des Vergers qui sont renfermez dans ce Parc, fait découvrir à ceux qui s’y promenent, ce que la veuë du plus beau Païsage de la Province peut avoir de satisfaisant. Dans le milieu de cette Terrasse, qui n’est fermée que par une petite Palissade d’ozier proprement faite, est un Bassin quarré, bordé d’un gazon vers, d’où sort un Jet d’eau de trente à quarante pieds. Son eau remplissant une grande Coquille, forme une belle Nappe, & retombe dans un autre Bassin plus grand, qui fait comme un demy Cercle. Des deux costez partent deux autres Jets, qui pour estre plus bas que le premier, ne laissent point d’en égaler la hauteur. C’estoit autour de ce Bassin, & sur cette Terrasse, que Monsieur de Matignon avoit marqué le lieu du Soupé. Ses ordres furent executez de cette maniere. Ce Bassin est justement placé entre deux des Pavillons qui semblent estre joints à ses costez. Depuis l’un jusqu’à l’autre on avoit dressé en rond une belle Gallerie de verdure qui n’avoit sa veuë que du costé des Jets d’eau, celle du Paisage dont je vous ay parlé ayant esté bouchée tout exprés à cause de l’air qui auroit esté trop grand pour les Dames pendant la nuit, qui fut aussi belle que l’apresdînée avoit esté agreable. Aux deux extrémitez de cette Gallerie estoient deux beaux Sallons de feüillages ornez d’une infinité de fleurs, où deux Tables de trente Couverts chacune furent dressées. Du milieu de celle qui estoit preparée pour les Dames, sortoit pompeusement un Oranger couvert d’une quantité de fleurs & de fruits admirables. La Table du Bufet estoit placée entre ces Sallons, & regardoit les Bassins. Plusieurs Arbres furent plantez avec symetrie en divers endroits de cette Terrasse, & on en fut d’autant plus surpris, qu’ils faisoient voir un Boccage divertissant dans un lieu, où un jour auparavant on ne découvroit qu’un champ uny & découvert. Depuis l’un de ces Sallons jusqu’à l’autre, trente Chandeliers à quatre branches, garnis de verdure, regnoient sur la voûte de la Gallerie. Les Dehors estoient ornez de quantité de Lanternes peintes dont les Arbres estoient couverts. Plusieurs gros Fanaux suspendus à costé des Jets d’eau vers le milieu du Bassin, faisoient un effet des plus surprenans. Enfin six cens Lanternes furent mises pour embellir ce Lieu, & pour servir à ce Régal. Tout fut allumé si tost qu’on vit aprocher les Dames, & il n’y eut jamais un plus beau jour. Ce riche Buffet de vermeil qui feroit honneur à un Prince, composé de plusieurs grands Bassins de vermeil doré, d’un ouvrage achevé & d’une pesanteur excessive ; de quantité d’autres Vases tres-bien travaillez ; de Flaccons & de Soûcoupes, ebloüissoit ceux qui s’attachoient trop à le regarder. Six belles Plaques de vermeil & d’argent placées au dessus, furent garnies de Bougies, dont la lumiere jointe à celle des Chandeliers & des Lanternes qui l’environnoient, le firent paroistre dans toute sa magnificence. Monsieur de Matignon donna ordre de servir. Les deux Tables furent couvertes dans le mesme temps de tout ce qui se pouvoit imaginer de rare & de délicat pour la saison. Les Soupes, les Viandes, les Entremets, les Confitures & les Fruits servis confusément, faisoient un agreable meslange sur l’une & sur l’autre, & on peut dire que si la profusion surprenoit, l’ordre & la politesse ne causoient pas moins d’étonnement.

    De ce Repas délicieux,
    Digne de la Table des Dieux,
On ne pouvoit assez admirer l’abondance ;
De tout ce qu’on y vit l’œil parut enchanté,
Et l’on pourroit douter de cette verité,
S’il n’estoit plus de Matignons en France.

Cette Illustre Assemblée soupa au bruit de dix Pieces de Canon, qui par leurs décharges continuelles interrompoient les Violons, & les Hautbois qui ne cessoient point de joüer. Les Dames se leverent de Table. Chacun les suivit, & on ne faisoit que commencer à sortir des Sallons pour aller gouster le frais des Jets d’eau, quand au milieu du Costeau, au bas duquel cette Ménagerie est située, on fut surpris de voir un Champ de lumieres si confus, qu’il estoit impossible de distinguer ce que c’estoit. Les Esprits furent longtemps incertains de l’effet que ces lumieres devoient produire, & enfin on aperçeut tout d’un coup un nombre tres-grand de Fuzées-volantes qui sortirent du milieu de ce Costeau. Elles remplirent l’air pendant une demy-heure d’une si prodigieuse quantité de feux, qu’il sembloit qu’il ne devoit plus paroistre de nuit.

Jamais de tant de feux nuit ne fut éclairée,
    Il sembloit que les Cieux ouvers
    Répandoient par tout l’Univers,
L’éclatante beauté dont leur voûte est parée.

Peut-on, Mademoiselle, ajoûter quelque chose à tant de beautez, & n’avoüerez-vous pas que peu de Gens sçavent comme Monsieur de Matignon donner de la nouveauté aux plaisirs ? Dés qu’on eut cessé de tirer ces Fusées, on commença un Bal régulier au bord du grand Bassin. Il dura une partie de la nuit, & le jour estoit déja prest à paroistre quand les Dames monterent en Carosse, & les Cavaliers à Cheval pour retourner au Château. Il n’y eut du malheur ce soir-là que pour les Bergers & les Bergeres. Ils s’estoient rassemblez pour venir chercher l’Amour, qui pendant toute la réjoüissance estoit demeuré assis sur son Trône au milieu de ce Boccage enchanté, mais ils ne le trouverent plus, & l’allerent inutilement demander à toutes les Belles. Il est à croire que quelqu’une d’entre-elles l’emporta dans son cœur, & que l’inquietude où elle laissa cette Troupe desolée la toucha moins que le plaisir de posseder un Dieu si charmant. J’ay sçeu depuis, que deux jours apres, un Zephir l’avoit rapporté dans le milieu de leur Boccage tres-fatigué & mesme sans flêches. Vous en jugerez ce qu’il vous plaira.

Avoüez, Madame, que cette Feste est bien digne d’un grand Seigneur. J’en ay veu une seconde Relation adressée à une Personne de qualité, où aucune des particularitez de cette premiere n’est oubliée. Celuy qui l’écrit, apres avoir fait connoistre que l’Article seul du Bal meriteroit une magnifique Description pour rendre justice à la beauté des Dames, & la propreté des Cavaliers, adjoûte ce que vous allez lire dans les mesmes termes dont il s’est servy. Je ne puis oublier icy une circonstance ; c’est que Mademoiselle de Matignon parut avec tant de graces & de charmes, que je quitte tout pour vous en parler. Il n’y a que trois mois que je l’avois laissée. Vous ne sçauriez vous imaginer combien en ce peu de temps elle est encor embellie. Ce sont les plus beaux yeux du monde. Sa taille est belle & fine, & ses traits doux & délicats. Je vous exagere encor moins cecy que le reste, & je croy que je ne sçaurois finir par un plus bel endroit.

Air nouveau §

Mercure galant, septembre 1678 [tome 9], p. 37-39.

On vous a trop parlé de Violons & de Hautbois, pour ne vous régaler pas d’un Air nouveau. En voicy un de Mr Labbé Maistre de Musique de S. Jacques à Dieppe. Je n’adjoûte rien à ce que je vous ay dit de luy dans mes autres Lettres. Ses Ouvrages font son éloge, & on ne les peut voir sans les approuver. Il a cherché à satisfaire le Public dans la composition de ce dernier touchant la Basse vocale, qu’on avoit demandée par plusieurs Lettres de l’Extraordinaire, plutost que la Continuë, parce que la Basse vocale se chante & peut servir aux Instrumens, au lieu que la Continuë n’a que la derniere de ces proprietez. Vous trouverez icy l’une & l’autre. C’est le moyen de contenter tout le monde. Les Paroles sont de Mr de Merville, dont je vous ay déja fait voir quelques Pieces.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, On soufre quand on aime bien, doit regarder la page 39.
On soufre quand on aime bien,
Et c’est pourquoy, jeune Bergere,
    Vous voulez plaire,
    Et n’aimer rien.
Pour vous contenter, Inhumaine,
Je cede à mon sort rigoureux ;
Je veux avoir toute la peine,
Mais au moins plaignons-la tous deux.
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[Régal donné à Madame la Comtesse de Soissons, par Madame la Duchesse de Savoye] §

Mercure galant, septembre 1678 [tome 9], p. 39-41.

Je viens de voir une Lettre qui parle d’un Divertissement de Chasse que Madame la Duchesse de Savoye donna il y a quelque temps à Madame la Comtesse de Soissons dans le Parc de la Vénerie. C‘est une Maison de plaisance des plus belles à deux lieuës de Turin. Ce plaisir fut suivy de celuy de la Comédie qu’on representa dans une Orangerie ornée de Verdures & de plusieurs Jets d’eau sur le Theatre. Ils luy servoient de décoration, & les ordres avoient esté si bien donnez pour tout ce qui pouvoit contribuer à la beauté du Spéctacle, qu’il sembloit que le Lieu fust enchanté. Un magnifique Repas accompagné d’une Synphonie admirable, succeda à la Comédie, & il n’y eut rien où l’on ne remarquast cet air de grandeur qui est inséparable de tout ce que fait Madame Royale.

[Histoire des Dents cruës fausses] §

Mercure galant, septembre 1678 [tome 9], p. 43-55.

Je croyois vous apprendre en mesme temps le Mariage de l’aimable Personne dont vous me demandez des nouvelles, mais il s’est rompu depuis quatre jours. Il n’y a rien de plus bizarre que ce qui en a esté la cause. Le Cavalier qui la devoit épouser, avoit trouvé en elle ce qu’il sera difficile qu’il rencontre ailleurs, c’est à dire une Personne exempte de tous les defauts qu’il appréhende. Il ne veut ny blanc ny rouge, & la moindre beauté empruntée est pour luy quelque chose d’insuportable. Il avoit fort examiné sa Maistresse ; & comme les Articles prests à dresser luy donnoient la liberté de la voir presque à toutes les heures, il estoit fort convaincu que l’artifice n’avoit aucune part à son teint, & que sa beauté estoit toute à elle. Il en faisoit un jour vanité en présence de trois ou quatre de ses Amis, quand l’un d’entr’eux qui sçavoit son foible, luy dit pour l’embarasser, que lquelque parfaite qu’il crust sa Maistresse, il n’avoit pas eu d’assez bons yeux pour découvrir qu’elle avoit de fausses dents. Ce prétendu defaut le déconcerta. On s’en apperçeut, & un autre ne manqua pas aussitost d’appuyer cette malice. Ils le laisserent partir dans cet embarras. Vous avez si souvent admiré les dents de la chamante Personne dont je vous parle, qu’il est impossible que vous ne vous souveniez de leur beauté. Notre Amant chagrin se figura qu’elle en avoit quelques-unes plus blanches que n’estoient les autres, & ce fut assez pour luy faire croire qu’elles estoient appliquées. Il alla chez elle, & malheureusement il la trouva seule avec le Sr Robinau, qui ayant esté autrefois de ses Voisins, estoit venu la congratuler sur le bruit de son Mariage, dans un temps où il avoit crû ne trouver personne. Cette rencontre ne le laissa plus douter qu’on ne luy eust dit vray. Le visage du Sr Robinau luy estoit connu. Il sçavoit qu’il estoit un des Hommes de France qui avoit le plus d’adresse à nettoyer & à bien accommoder les dents, & il n’ignoroit pas que Madame Royale l’avoit fait venir exprés à Turin sur sa réputation, & qu’il en estoit revenu depuis peu avec des présens fort considérables. Ainsi il se persuada qu’il avoit esté mandé par sa Maistresse, qui avant que de se marier estoit bien aise de luy faire reparer le desordre de ses dents. Il eut les yeux attachez dessus tant qu’elle parla, & quoy qu’il découvrist aucun artifice, il crût que ses lévres le cachoient. Les Articles devoient estre signez le lendemain. Il trouva un prétexte pour faire diférer de trois jours, & les employa inutilement à chercher ces fausses dents qui luy donnoient tant d’inquiétude. Il crût pourtant toûjours qu’il y avoit de l’inégalité dans leur blancheur, & enfin ne pouvant s’éclaircir par luy-mesme, il pria une Amie de sa Maistresse de luy faire voir clairement si ses soupçons estoient vrais ou non, parce qu’il connoissoit sa délicatesse, & qu’il craignoit de ne rendre pas une Femme heureuse, s’il estoit trompé. Cette Amie le traita de ridicule. Il s’obstina à vouloir estre éclaircy, & elle fut obligée de découvrir à son Amie le scrupule qui l’arrestoit. La Belle trouva tant d’extravagance dans cette bizarre délicatesse, que son Mariage estant plus de politique que d’amour, elle s’en representa toutes les suites, & les crût trop dangereuses pour s’y hazarder. Ainsi le Cavalier estant venu la voir le lendemain à son ordinaire, elle prit une humeur fort enjoüée, & luy dit en présence de son Amie, qu’il avoit eu tort d’avoir fait façon de s’expliquer avec elle sur l’Article qui l’embarrassoit. Elle sépara aussitost ses lévres sans luy donner le temps de répondre, luy fit voir des dents admirablement rangées, & le convainquit du soin que la Nature avoit pris de les appliquer tres proprement. Le Cavalier en témoigna une joye sensible, luy demanda pardon de l’injuste crainte qu’il avoit euë, & il commençoit déja à prier qu’on luy fist signer les Articles, quand la Belle adjoûta que c’estoit du moins autant pour elle-mesme que pour luy qu’elle avoit voulu luy faire voir que ses dents estoient & belles & bonnes ; mais que comme elle estoit fort résoluë à s’en faire appliquer de fausses, si elle ne pouvoit éviter les accidens qui en font presque toûjours perdre quelques-unes aux moins malheureux, elle se garderoit bien de s’exposer aux desordres que cette beauté empruntée ne manqueroit point de causer entr’eux ; qu’elle loüoit sa délicatesse, & qu’il pouvoit choisir ailleurs une Femme qui luy donnast toutes les assurances requises de n’avoir jamais rien que de naturel. Il n’y a point de surprise égale à celle où cette déclaration mit le Cavalier. Il crût d’abord que sa Maistresse cherchoit à se divertir, mais elle joignit à ce qu’elle venoit de luy dire des protestations si sérieuses de ne l’épouser jamais, qu’il n’eut plus d’espoir qu’en l’autorité de ceux dont elle dépend. Ce fut pourtant inutilement qu’il les fit parler. Ils trouveront de la justice dans la crainte que l’humeur d’un Mary si délicat causoit à cette aimable Personne, & ils luy laisserent l’entiere liberté de la rupture. Le Cavalier en paroist inconsolable. Ceux qui se réjoüissent de son malheur, publient qu’il a fait dire à sa Maistresse, que pour luy montrer qu’il estoit entierement guéry de ses caprices, il consentoit qu’elle se fist arracher toutes les dents pour en prendre de fausses, & qu’il ne laisseroit pas de l’épouser avec ce defaut.

[Prodige arrivé à Loches] §

Mercure galant, septembre 1678 [tome 9], p. 55-61.

La France qui est si abondante en toutes choses, l’est devenuë en Marbre depuis quelques mois. On en a trouvé de jaspé dans le Territoire de S. Maximin en Provence. Il y en a tout un Quartier, qui contient une lieuë de long, & autant de large. Ce Marbre est si bien diversifié que les plus habiles Peintres, abandonnant leur Pinceau à leur imagination, auroient peine à faire un plus agreable assortiment de couleurs. Ce sont de petites taches rouges, blanches, vertes, bleuës, jaunes, & couleur de Ciel, semées sur un fond noir. Il y en a d’autre dont le fond est tout aurore avec les mesmes couleurs. Ce vert & ce jaune me font souvenir de ce qui a esté veu à Loches le dix-huitiéme du dernier mois. La chose tient du prodige, & elle ne vous surprendra pas moins qu’elle a fait les plus habiles Gens de ce Païs-là. Une demoiselle ayant eu des soûlevemens de cœur assez violens, on crût que c’estoit quelque menace de fiévre, parce qu’il y en avoit quantité à Loches, & qu’elles estoient toutes accompagnées de ces accidens. Cependant elle sentit tout d’un coup je-ne-sçay-quoy de gros comme un peloton dans sa gorge, & apres plusieurs efforts, elle se déchargea de ce fardeau qui estoit sur le point de l’étoufer. Le bruit qu’il fit en tombant, joint à ce qu’elle avoit souffer pour s’en délivrer, donna lieu de croire qu’il y avoit quelque chose d’extraordinaire. La nuit commençoit. Le lieu estoit obscur de luy-mesme. Ainsi on eut besoin de lumiere pour examiner ce que c’estoit. Jugez de la surprise de ceux qui se trouverent présens. Ils virent une forme d’Animal toute monstrueuse. Il avoit la teste d’un Chien, à l’exception des oreilles qui ressembloient à celles d’un Chat. On luy voyoit deux petits bras, avec deux mains, dont les doigts estoient fort distincts. Ces bras & cette teste estoient de couleur verte & jaune. Il avoit le corps semblable à celuy d’une Grenoüille, mais de la couleur d’un Boüillon gelé, ou d’un Consommé, & tremblant de mesme. Ses pieds & ses cuisses estoient d’un Enfant, & de la mesme couleur que ses bras. On le toucha avec un baston, pour voir s’il ne donneroit point des marques de vie, mais on ne vit rien remuer. On ne se contenta point de cette épreuve. On fit chauffer un fer qu’on approcha du dos de cette Figure. Elle n’eut pas plutost senty le feu, qu’elle fit un mouvement de plus d’un grand pied ; apres quoy ces bras, cette teste, & ces jambes, se renfermerent, & ne firent plus qu’une Mole, composée de colle & de bile. Que ce soit un Monstre, un Prodige, ou une Extravagance de la Nature déreglée, c’est toûjours une production surprenante qui fournit de grands sujets de raisonner aux Philosophes & aux Medecins.

Pour mettre sous les Portraits des Ducs de Guyse §

Mercure galant, septembre 1678 [tome 9], p. 70-74.
Avis pour placer les Figures : le Mausolée de feu Monsieur le Mareschal du Plessis, doit regarder la page 69.

On travaille de toutes manieres pour la gloire des Grands Hommes. Ce qu’on a fait par un Mausolée pour Mr le Mareschal du Plessis, Mr du Perier l’a fait pour Messieurs de Guise par des Vers à mettre sous leurs Portraits. Je vous les envoye. Ils vous apprendront que Mr du Perier n’a pas moins de talent pour la Poësie Françoise, que vous sçavez il y a longtemps qu’il en a pour la Latine.

POUR METTRE
SOUS LES PORTRAITS
DES DUCS DE GUYSE

CLAUDE.

Six Princes dont le Nom fait par tout tant de bruit,
De mon illustre Hymen furent le digne fruit.
    En plus d’une haute entreprise,
        Ils apprirent de moy
À signaler leur bras, leur courage & leur foy,
    Pour leur Patrie & pour l’Eglise.

FRANÇOIS.

Devant Mets, dont mon bras défendoit les Ramparts,
Je bornay les Exploits du plus fier des Césars,
Et digne rejetton des grands Rois d’Austrasie,
    J‘eusse terrassé l’Heresie,
Si de ses Partisans Ennemis de l’Etat
    La détestable jalousie
Ne m’eust ravy le jour par un noir attentat.

HENRY.

L’Amour que tout Paris portoit à ce Héros,
D’un injuste soupçon vint troubler son repos,
Et termina ses jours d’une fin lamentable.
    S’il eust esté moins genereux,
    Moins libéral & moins affable,
    Il auroit esté plus heureux.

CHARLES.

Marseille te dira quelle fut ma conduite,
    Quels furent mes efforts,
Quand terrassant Casaux moy seul je mis en fuite
L’Espagne qui déja s’emparoit de nos Ports.

HENRY.

    Si mes Ancestres intrépides,
    Affrontant les plus grands hazars,
    Parurent jadis des Alcides,
    Dans Naples je parus un Mars.

LOUIS.

    Les Dieux n’ont fait que nous montrer
Ce Prince si charmant, si genereux, si sage.
    S’ils eussent prolongé son âge,
    Le Monde auroit pû l’adorer.

LE DUC D’ALENÇON,
dernier Duc de Guise.

    À Peine avois-je atteint un lustre,
Que je meurs seul resté de ce Nom dont le lustre
Par tant de grands Héros s’étendit jusqu’aux Cieux.
    Une Héroïne me succede,
    Qui toutes les vertus possede
    De nos magnanimes Ayeux.

Fable de la Pie et du Roitelet §

Mercure galant, septembre 1678 [tome 9], p. 99-102.

Je vous envoye une Fable de ce stile aisé que vous aimez tant, & dont je sçay que la Moralité vous plaira. Elle servira d’avis aux Médisans.

FABLE DE LA PIE
ET DU ROITELET.

Dans l’épaisseur d’un feüillage,
Une Pie en belle humeur,
Attira par son ramage
Les Oyseaux du voisinage.
Là, voyant maint Auditeur
Charmé de son beau langage,
Elle en jasa davantage.
C’estoit un esprit coquet,
Qui causoit en Perroquet,
Sans respect de parentage,
D’amitié, de compérage,
Chacun avoit son paquet.
Estant donc d’humeur à rire,
Elle fit une Satire
Contre l’Aigle & le Corbeau ;
Puis daubant sur l’Etourneau,
Sur le Geay, sur le Moineau,
Elle eut quelque chose à dire
Sur chaque espece d’Oyseau.
Selon elle la Linotte
N’avoit ny game ny note.
À son gré le Rossignol
N’avoit pas la voix fort belle.
L’Aloüette & l’Hirondelle
Ne sçavoient rien au prix d’elle
Dans becare & dans bemol.
À l’oüir, la Tourterelle
N’estoit chaste ny fidelle.
Le Perroquet sans raison,
Sans esprit & sans cervelle,
Estoit fait comme un Oyson.
Mesme un jour la Demoiselle
Soûtenoit sur son Ormeau,
Que le Pan n’estoit pas beau,
Quoy qu’en dist mainte femelle.
Elle jasoit sur ce ton,
Lors qu’un petit3 Berrichon
Qui sortoit de son buisson,
Entendit la babillarde,
Et se dressant sur l’ergot ;
Vrayment, luy dit-il, Margot,
Vous faites bien la gaillarde.
Sus donc, la Femme de bien,
Puis que vous n’épargnez rien
Dans vostre humeur libre & fraîche,
Tournons sur vous l’entretien.
Là, là, nous vous voyons bien,
Vous n’estes pas toute blanche.
    Aprens d’icy, Médisant,
Que le plus petit Plaisant
Te peut donner la revanche.

Air nouveau §

Mercure galant, septembre 1678 [tome 9], p. 103.

L’Air qui suit est de la composition de Mr Merieux. Voicy les Paroles.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Amis, puis que Bacchus nous assemble en ce jour, doit regarder la page 103.
Amis, puis que Bacchus nous assemble en ce jour,
    Chassons l’amoureuse folie.
Beuvons, c’est le moyen de passer nostre vie,
Sans estre assujettis aux rigueurs de l’Amour,
    Un bon Beuveur ne doit pas craindre
    Le foible pouvoir de ce Dieu ;
    Plus l’Amour allume son feu,
    Plus il doit boire pour l’éteindre.
images/1678-09_103.JPG

[Histoire de la Promesse de Mariage voilée] §

Mercure galant, septembre 1678 [tome 9], p. 103-125.

Sçavez-vous, Madame, que les Lettres que je vous écris, & qui courent toûjours le monde sous le titre de Mercure, ont pensé estre cause d’un Mariage fort mal assorty ? Voicy ce qu’on m’en apprend. Une aimable & jeune Personne, retirée dans une Maison de Campagne avec une de ces Meres qui veulent estre absoluës dans les choses mesmes où la Justice borne le plus leur autorité, vivoit sans aucun autre plaisir sensible que celuy de la Chasse, & de la Lecture. Un Juste-à-corps, une Cravate, & un Bonnet garny de Rubans en plumes, estoient l’équipage où elle se montroit le plus. Elle y estoit toute belle, & l’adresse qu’elle avoit à manier un Fusil, surprenoit tous ceux qu’elle en rendoit les témoins. Il en coustoit la vie à quelques Perdrix selon la saison. C‘estoit son divertissement d’exercice. Les Livres l’occupoient assez ordinairement dans son repos. On luy envoyoit toutes les Nouveautez qui s’imprimoient ; & le Mercure estant devenu à la mode, fut bientost entre ses mains. Elle en lisoit un jour un Volume qu’on luy venoit d’apporter, quand un bon Vieillard des environs, que sa Mere voyoit assez rarement, interrompit sa lecture par une visite qu’il luy rendit. Il pria cette belle personne de continuer. Elle ne se le fit pas dire deux fois. Le Mercure luy plaisoit plus que la conversation du bon Homme, & jamais priere ne luy fut faite plus à propos. Elle lisoit avec tant de grace, que le Vieillard commença de la regarder avec plus d’attention qu’il n’avoit fait jusque-là ; & comme elle ne pût achever à cause d’une Dame qui survint, il la pria de souffrir qu’il vinst écouter le reste le lendemain. Il n’y manqua point. Il sçeut qu’elle recevoit tous les mois un livre semblable. Grand soin de venir toûjours prendre part à cette lecture. Ses visites n’estant pas réjoüissantes pour la Belle, elle voulut se charger de luy envoyer son Livre ; mais il luy dit que quoy qu’il le trouvast fort divertissant, les nouveautez qui le composoient luy plairoient beaucoup moins dans une autre bouche. Cela estoit galant pour un Homme de son âge. Il avoit quatre-vingts ans ; & une Niéce, particuliere Amie de la Belle, estoit sa seule heritiere. Elle la prioit inutilement de la défaire des visites de son vieil Oncle. Il luy en rendoit de tres-régulieres au commencement de chaque Mois, & toûjurs avant qu’œn luy eust envoyé son Livre. Il faisoit plus. Apres en avoir entendu la lecture entiere, il venoit de temps en temps sçavoir si quelques Gens de sa connoissance estoient nommez dans les Articles de Guerre. Son âge excusoit son peu de mémoire. Il avoit assez vescu pour en manquer, & la Belle ne se chagrinoit que de ce qu’il n’oublioit point le chemin de sa maison ; mais elle apprit au bout de quatre ou cinq mois ce qui l’obligeoit à venir si souvent demander les mesmes choses. Il avoit encor plus regardé qu’écouté, & tout vieux qu’il estoit, la Belle luy avoit échaufé le cœur. Il se réoslut à s’expliquer. Il trouva la Mere seule, & apres s’estre informé où estoit sa Fille, il luy dit qu’il luy devoit beaucoup de lectures, & que luy & la moitié de son Bien estoient destinez pour l’acquiter. Il estoit fort riche. La proposition plût à la Mere. Quatre-vingts ans luy sembloient un âge admirable. Elle avoit de l’esprit, & tourna si bien le Vieillard, qu’il se montra prest à signer sur l’heure. Elle répondit du consentement de sa Fille, manda le Notaire du Village, le fit écrire, & il achevoit ce qui est du stile ordinaire, quand la Belle entra dans sa Chambre sans sçavoir qu’on marioit. Jugez de sa surprise. On luy donna la plume pour signer apres le Vieillard. Elle s’excusa, demanda du temps, voulut s’en aller, & entendit de sa Mere je-ne-sçay quelles paroles accompagnées de regards si menaçans, qu’intimidée, interdite, & sans trop sçavoir ce qu’elle faisoit, elle signa comme on le voulut. Le Vieillard qui crût que ce premier chagrin passeroit, luy promit tout le bonheur qu’elle pouvoit esperer ; & à l’entendre, l’âge luy avoit apporté si peu d’incommoditez, qu’elle ne le devoit regarder que comme un Homme de quarante ans. Il emporta le Contract signé. On prit jour pour le Mariage, & on n’en donna que quinze à la Belle pour s‘y résoudre. Elle pleura, se repentit mille fois de la complaisance qu’elle avoit euë pour sa Mere, & ne fut sensible à aucun des avantages qu’elle rencontroit dans ce Party. On eut beau luy dire que le bon Homme ne pouvoit vivre long-temps. Trois mois avec luy estoient pour elle un suplice epouvantable ; & comme il ne passoit plus aucun jour sans la venir voir, tout ce qu’il luy disoit redoubloit tellement son aversion, que si elle ne luy répondoit rien, de fâcheux par le respect qu’elle devoit à sa Mere, elle faisoit assez connoistre par sa sombre humeur combien ce Mariage luy déplaisoit. Le Vieillard estoit aveugle, & il se flatoit jusqu’à croire que quand il l’auroit épousée, il trouveroit le moyen de s’en faire aimer. Le temps fatal arriva. La Belle s’en montra desesperée, & fit si bien par ses pleurs, qu’elle obtint huit jours de retardement, au grand regret du bon Homme qui estoit tres-impatient dans ses amours. Cependant la Mere qui avoit quelque teinture de devotion, ne pût voir l’obeïssance forcée de sa Fille, sans avoir scrupule de la violence qu’elle luy faisoit. Un remords de conscience la prit. Elle voulut consulter les Casuites, & sous prétexte de quelques Amies qu’elle avoit à voir, elle quitta sa Fille pour quelques jours, & alla dans une Ville prochaine s’éclaircir de son scrupule. La Belle employa ce temps à chercher par où se défaire de son Vieillard. Elle en imagina un moyen. Il ne rompoit pas tout-à-fait l’affaire, mais il la mettoit en pouvoir de la reculer, & c’estoit beaucoup, que gagner du temps. Son Amie, heritiere du bon Homme ne pouvoit se consoler de son Mariage. La Belle l’alla voir dans son équipage de Chasseresse, l’assura qu’elle ne seroit jamais sa Tante, & l’ayant appaisée par cette promesse, elle la pria de luy donner un Habit de son Mary sans s’informer de ce qu’elle avoit dessein d’en faire. Cette Niéce estoit mariée depuis deux ans à un Officier du Roy qui servoit alors son Quartier. Elle consentit à tout ce que son Amie voulut, luy donna l’Habit d’Homme qu’elle demandoit, la conduisit jusqu’à une Porte de derriere qu’elle luy promit de tenir ouverte, & attendit son retour pour estre éclaircie de ce qu’elle avoit projetté. La Belle sortit avec une Fille à elle qui l’accompagnoit, gagna un petit Bois qui n’estoit pas éloigné de cette Maison, se travestit, & se mit au guet pour découvrir le Vieillard qui devoit necessairement passer par ce petit Bois. Elle luy avoit donné rendez-vous chez cette Niéce sous prétexte de luy faire signer le Contract, l’assurant qu’elle y estoit disposée, & que l’amitié qui les unissoit, l’avoit emporté sur le chagrin que ce Mariage luy devoit donner. Le bon Homme qui craignoit les plaintes d’une Heritiere trompée, avoit reçeu cette nouvelle avec joye, & venoit seul chez sa Niéce en se promenant, quand la Belle se cachant le visage avec un Loup, luy presenta le Fusil. Il crût qu’on n’en vouloit qu’à sa Bourse, & il se préparoit à la donner ; mais on luy fit quitter ses Habits, & il fallut qu’il se dépoüillast. Il ne les eut pas si-tost donnez, que la belle Voleuse s’enfonça dans le creux du Bois. Elle y reprit son premier équipage de Chasseresse, gagna la fausse Porte qu’elle avoit prié qu’on ne fermast point, & apres avoir conté à son Amie le tour qu’elle avoit joüé au bon Homme, elle songea à partager le butin. La Bourse, & une Montre qui se trouva dans sa poche, furent pour la Niéce. La Belle se contenta du Contract qu’elle emporta, fort resoluë de n’en point signer d’autre, quoy qu’on pust faire pour l’y obliger. Le Vieillard ne se vanta point de son avanture, & vint dés le lendemain chez sa Maistresse. Les reproches qu’elle luy fit de ne s’estre pas trouvé au Rendez-vous, l’obligerent à luy dire qu’il avoit si peu de mémoire, qu’il ne se souvenoit plus où il avoit mis le Contract, mais qu’il seroit aisé d’en refaire un autre. La Mere arriva dans ce mesme temps ; & comme les huit jours expiroient, l’amoureux Vieillard la pressa de vouloir conclure. Elle le laissa partir sans luy donner de réponse positive. Ceux qu’elle avoit consultez, luy avoient fait un si grand crime de l’injuste autorité qu’elle usurpoit, que les malheurs qu’elle en devoit craindre luy firent peur. Elle s’en expliqua avec sa Fille, dont elle cessa de contraindre les volontez. Le Contract estoit la seule chose qui l’embarassoit. Sa Fille luy dit avoir qu’elle n’avoit rien à craindre de ce costé-là. Il fut mis au feu, & quand le Vieillard vint demander jour pour terminer, la Mere l’ayant reçeu froidement, & la Belle luy ayant dit à l’oreille qu’on s’estoit contenté pour la premiere fois de le dépoüiller, mais qu’il luy pourroit arriver pis, s’il s’obstinoit à estre amoureux, il entendit ce qu’on luy disoit, & se retira sans faire bruit. Il apprit quelque temps apres que cette aimable Personne estoit le Voleur qui luy avoit fait quitter ses Habits. Comme il estoit revenu de sa passion, il ne pût luy vouloir de mal d’avoir tout fait pour rompre un engagement qui luy faisoit peine. Un coup si hardy la fit admirer. Sa Mere l’en gronda d’abord, & luy pardonna. Le Personnage qu’elle joüa dans le Bois est extraordinaire pour une Fille ; mais quel ragoust qu’un Mary de quatre-vingts ans, & que n’ose-t-on point pour trouver moyen de s’en garantir !

Contre la Chasse du Liévre. Sonnet §

Mercure galant, septembre 1678 [tome 9], p. 125-127.

La belle Chasseresse dont je viens de vous conter l’Avanture, n’estoit pas du sentiment de celuy qui a fait ces Vers.

CONTRE LA CHASSE
du Liévre.

SONNET.

Ce Liévre intimidé qui court dans cette Plaine,
Pressé de ton Levrier & poursuivy du mien,
Est un maigre ragoust où je ne trouve rien,
Soit qu’il puisse échaper, ou qu’enfin on le prenne.
***
J’ay pour ce passe temps une invincible haine,
Il nous cause toûjours plus de mal que de bien,
Et se fatiguer tant pour voir courir un Chien,
C’est un chien de plaisir qui n’en vaut pas la peine.
***
Cette Chasse en un mot a pour moy peu d’apas,
Je ne sçaurois me plaire à perdre tant de pas,
Et renonce aux douceurs où Diane préside.
***
D’un Liévre dans un plat je tire plus de fruit.
Il m’offre alors un bien & durable & solide,
Mais le voir quand il court, c’est un plaisir qui fuit.

À la belle Diseuse de bonne Avanture. Stances §

Mercure galant, septembre 1678 [tome 9], p. 127-132.

Ceux qui cherchent les plaisirs sans peines, feroient bien de ne s’embarquer jamais avec l’Amour, car c’est une Mer sujete à de grands orages. Les périls en sont agreablement representez dans ces Stances que je vous envoye. Je n’en connois l’Autheur que sous le nom d’Alcidon. Je ne sçay si elles ont déja couru, mais je sçay qu’elles méritent fort d’estre veuës.

À LA BELLE DISEUSE
de bonne Avanture.

Stances.

Pour Monsieur M. à Mademoiselle B.

Belle & sçavante Iris, dont l’esprit admirable
Perce par ses clartez la nuit de l’avenir,
Souffrez que sur un point assez considerable,
        Je puisse vous entretenir.
***
Vous avez veu ma main, & vous avez pû lire
La noble passion qui regne dans mon cœur ;
Ainsi vous connoissez l’objet de mon ardeur,
Sans qu’il soit là-dessus besoin de vous rien dire.
***
        Parlez-moy donc sincerement.
        Dois-je faire un heureux voyage
        Et dans ce doux embarquement,
    Ne suis-je point menacé du naufrage ?
***
Vous sçavez à quels vents un cœur est exposé,
Quand aux vagues d’amour il s’est osé commette.
        Helas ! me puis-je bien promettre
    Que mon Vaisseau n’en sera point brisé ?
***
Il est vray, la tempeste & les coups de l’orage,
        Ne sont pas les coups que je crains.
Je sers une Beauté qui n’est pas si sauvage,
Et qui n’a pas toûjours la foudre dans les mains.
***
Mais il est quelque chose encor de plus funeste,
        Pour un cœur qui sait bien aimer,
Quelque chose qui passe & la haine, & le reste
        De ce qu’on craint sur cette Mer.
***
Il est un certain calme aux Amans si contraire,
Que fait l’indiference & l’ingrate froideur,
Dont s’arme à contre temps une Beauté severe,
        Et c’est là ce qui me fait peur.
***
Des pleurs & des soûpirs en vain nous cherchons l’aide,
    Lors que ce calme arreste nos amours,
En vain de tous les Dieux nous briguons le secours,
    Il faut périr, le mal est sans remede.
***
Ah ! si de ce malheur, vous lisez dans les Cieux
        Qu’un Astre cruel me menace,
Au nom de cet éclat qui brille dans vos yeux,
Détournez, s’il se peut, une telle disgrace.
***
Que dis-je, s’il se peut ? helas ! vous sçavez bien
    Que de mon sort vous estre la maistresse,
Et que je compteray ces menaces pour rien,
    Si la pitié pour moy vous intéresse.
***
Belle Iris, je le dis avec tout le respect
Que l’on doit à cet Art où vous semblez vous plaire,
Pour deviner mon sort, il n’est pas necessaire
    De prendre un témoin si suspect.
***
Quelques traits qu’en ma main ait formez la Nature,
    Et quel que soit le cours des Cieux,
    On ne peut voir que dans vos yeux
    Ma bonne ou mauvaise avanture.

[Réjouissances faites à Thoüars] §

Mercure galant, septembre [tome 9], 1678, p. 145-146.

La Signature de la Paix a esté une nouvelle si agreable, qu’on n’a point voulu en attendre la Ratification pour en faire des réjoüissances à Thoüars. On s’assembla aussi-tost qu’elle fut sçeuë. Vous croyez déja voir le Corps de Ville en habit décent ? Ce ne fut point luy qui s’assembla. Les Dames seules eurent l’honneur de la Feste. Elles commanderent un magnifique Repas. La Table fut dressée sur le bord de l’eau aupres d’une Saussaye, & les Trompetes marines furent meslées aux divertissemens qu’elles se donnerent. Vous sçavez que c’est le veritable lieu de les entendre, & qu’elles en ont pris le nom de Marines.

[Académie établie à Cavaillon] §

Mercure galant, septembre 1678 [tome 9], p. 147-150.

Mr de Saporte y donne de temps en temps des marques de cette Etude galante qui perfectionne les honnestes Gens. C‘est un Gentilhomme de Languedoc qui vit en ce Païs là en veritable Sage, & en galant Philosophe, comme on y a veu vivre autrefois le fameux Petrarque.

Mr le Protonotaire de Grace y donne des Leçons tres-fructueuses, en qualité de sçavant Antiquaire. Il les soûtient par cette quantité de curieuses Medailles dont on sçait qu’il est richement muny.

Les Préceptes Chrestiens y sont insinuez avec beaucoup de succés, par Mr de Perussys, Gentilhomme d’une vertu consommée, & veritable imitateur de celles de Mr de Renty.

Mr de Malespine donne dans les Affaires de Palais, & fait des Raports tres-judicieux sur les Procés qu’on tâche en suite de terminer par les soins de Messieurs de l’Assemblée, au grand profit de ceux de la Ville. C’est un Gentilhomme d’un esprit tres-éclairé.

La Philosophie n’y est pas oubliée. Mr Reymond tres-sçavant Medecin, s’y distingue par ses Conférences sur les Opinions de Descartes, & par le plaisir qu’il donne à l’égard des expériences. Quelques jeunes Gentilshommes y viennent aussi pour écouter, & pour y faire voir des Pieces de galanterie.

[Hélene-Lucrece Piscopia Cornaro prend les Degrez de Doctorat à Padouë] §

Mercure galant, septembre 1678 [tome 9], p. 150-158.

Mais, Madame, puis que nous sommes sur les Terres du Pape, il ne faut pas nous en éloigner sans aller jusqu’à Padouë. Vous y apprendrez la chose du monde qui est la plus glorieuse à vostre Sexe. On ne dira plus que les Sciences sont reservées aux Hommes à l’exclusion des Dames, & l’égalité des deux Sexes se prouvera aujourd’huy par l’exemple, comme elle a esté prouvée depuis quelques temps par de solides raisons. Il n’est point besoin de vous dire que la Maison des Cornaro est une des plus puissantes de Venise. Il y a peu de Gens qui n’en soient instruits. Elle est divisée en plusieurs Branches, & par tout considerable ; j’entens en sagesse, en dignitez, en richesses, & en érudition. Mr Cornaro Piscopio, Procurateur de S. Marc (vous sçavez qu’il n’y a que la Charge de Doge qui soit au dessus de celle-cy) s’est toûjours fait une si agreable occupation des Sciences, qu’ayant eu deux Filles, il les a portées à l’Etude dés leur plus bas âge. Je ne vous diray rien de la Cadete, quoy que ses admirables qualitez la mettent au dessus de beaucoup d’éloges. Elle est mariée à l’Illustrissime Vendramino. Je vous diray seulement que son Aisnée qui s’appelle Helene-Lucrece Piscopia Cornara, sçait le François, l’Espagnol, le Latin, le Grec ancien & moderne, & l’Hébreu, aussi-bien que l’Italien. Elle a eu pour Maistre dans le Grec, le sçavant Abbé Gradenigo, Bibliotequaire de S. Marc. Ces diverses Langues ne luy ont servy que comme de Vaisseaux avec lesquels elle a penetré dans les vastes Mers des Sçavans. Elle y a fait de si surprenantes acquisitions, qu’elle s’est renduë aujourd’huy une des Merveilles de l’Europe. Mr Cornaro son Pere, surpris luy-mesme d’un Prodige si peu croyable, souhaita qu’elle prist les degrez de Doctorat dans l’ancienne & fameuse Académie de Padouë. Elle demandoit le doctorat de Theologie, mais Mr le Cardinal Barbarigo Evesque de cette Ville eut des raisons qui l’obligerent à ne luy accorder que celuy de Philosophie. Ce fut le 25. de Juin qu’elle fit paroistre publiquement combien elle estoit digne de le recevoir. Elle piqua deux fois dans Aristote, & en expliqua les Points qui luy vinrent à l’ouverture du Livre, avec une entiere satisfaction de son Auditoire, composé d’un grand nombre de Nobles Venitiens & de Terre-ferme, & de plus de cent Dames de qualité qui estoient venuës exprés à Padouë pour voir une si extraordinaire Cerémonie. Je croy que c’est la premiere Femme à qui la Couronne Doctorale ait jamais esté accordée. On n’argumentea point contr’elle. On apelle cette maniere de reception à la Nobiliste. Les Salles du College ne pouvant suffire à l’affluence du monde, on la reçeut dans le Dôme, ou Eglise Cathédrale. Le Docteur Rainaldini fut son Promoteur, & luy donna les ornemens du Doctorat. Elle s’attira l’applaudissement universel. N’en est ce pas assez, Madame, pour avoir aussi le vostre, & celuy de tout le beau Sexe ? Les Hommes mesmes qui pourroient avoir quelque jalousie secrete des avantages de cette admirable Fille, se sont fait honneur de contribuer à sa gloire, & le 15. de Juillet la fameuse Académie des Ricorrari s’assembla extraordinairement pour célébrer les merveilleuses qualitez d’une Personne si rare. Cela se fit dans la Salle des Geans, lieu ordinaire de leur Assemblée, où est la Biblioteque publique, par les soins de Mr Patin de Paris, aujourd’huy Prince de cette Académie, & Professeur en Medecine à Padouë. Mr le Podesta, & Mr le Capitaine Grand, s’y trouverent, avec tout ce qu’il y avoit dans le Païs de Cavaliers et de Dames de qualité. Le mesme Mr Patin avoit esté employé à faire l’Oraison funebre du Cavalier Orsati Professeur en Physique dans la mesme Ville, mort il n’y a pas longtemps. C’estoit un des plus sçavans Antiquaires de l’Europe.

Zephire à Flore §

Mercure galant, septembre 1678 [tome 9], p. 159-160.

Nous commençons d’entrer dans l’Automne. Si vous voulez voir les avantages que cette Saison a sur le Printemps, vous n’avez qu’à lire ces Vers de Mr de Breteüil de la Lane, Lieutenant general du Païs Bas Armagnac.

ZEPHIRE À FLORE.

Flore, contentez vous des Roses & des Lis,
    Dont vos beaux jours sont embellis,
    Tout le monde leur rend hommage,
Et sur les plus beaux fruits vos fleurs ont l’avantage.
Conservez cherement tant d’aimables couleurs,
    Qui rendent si belles vos fleurs,
Et laissez sans regret tous les fruits à Pomone.
Flore, vostre Printemps vaut mieux que son Automne.

Réponse de Pomone §

Mercure galant, septembre 1678 [tome 9], p. 160-161.

RÉPONSE DE POMONE.

Il est vray que ses fleurs embellissent nos Plaines,
Et que nous luy devons les tresors éclatans
Dont la terre se pare au retour du Printemps,
Mais vantez un peu moins des richesses si vaines.
On voit tomber le lis la plus belle des fleurs ;
À peine est-il tombé qu’on le foule sur l’herbe.
Ne vous fiez donc point à toutes vos couleurs,
Flore, & n’en soyez plus si fiere & si superbe.
Ce n’est que de mes fruits que l’on doit faire cas.
J’en charme comme vous l’odorat & la veuë,
Et de plus j’offre au goust des morceaux délicats,
Dont le Ciel par malheur ne vous a pas pourveuë.
Croyez-moy, belle Flore ; avecque moins de bruit,
Vantez nous la couleur du Lis & de la Rose.
N’avoir rien que des fleurs, c’est avoir peu de choses,
Si l’on ne sçait tirer de ces fleurs quelque fruit.

[Sonnets, et autres Pieces sur la Paix] §

Mercure galant, septembre 1678 [tome 9], p. 162-167.

L’impatience qu’on a de loüer le Roy sur la Paix, est si grande, qu’on n’attend point qu’on l’ait publiée, pour donner à sa modération les justes éloges qu’elle mérite. Je reserve beaucoup de Pieces sur cette matiere pour ma Lettre Extraordinaire que je vous promets le 15. d’Octobre. Je vous en envoye cependent quelques-unes. Le premier des deux Sonnets que vous allez voir, est de Mr le Coin de S. Charmond en Lyonnois.

SONNET
SUR LA PAIX.

Eclater en tous lieux comme un bruyant Tonnerre,
D’un intrépide cœur braver tous les hazards,
Voir pleuvoir sur sa teste un orage de dards,
Et seul soûtenir tout dans une longue guerre.
***
Assieger une Ville & la jetter par terre,
Rompre des Bataillons, forcer mille Ramparts,
Mettre en fuite une Armée, & comme un nouveau Mars,
Briser & foudroyer tout ce qu’un Camp resserre.
***
Asservir par son bras cent Peuples sous ses loix ;
Enfin dompter l’orgueil des plus superbes Rois,
C’est ce que d’Alexandre entreprit la vaillance.
***
Mais outre ces hauts faits, d’un Ennemy battu,
Relever par la Paix le cœur & l’espérance,
Ce de que de Loüis acheve la vertu.

SONNET.

Grand Roy, quand tu mettrois le monde sous ta loy,
Tu ferois ce que fit autrefois Alexandre,
Dont le vaste couroux réduisant tout en cendre,
Remplit le Ciel d’horreur, & la Terre d’effroy.
***
Si tes Exploits un jour doivent manquer de foy,
Si l’Histoire étonnée a peine à les répandre,
Si ceux qui les ont veus ne sçauroient les comprendre,
Plusieurs ont eu jadis ce sort là comme toy.
***
Les Cesars ont gagné de sanglantes Batailles,
Leur bras a renversé les plus fortes murailles,
Et vaincu mille fois les plus fiers Ennemis ;
***
Mais s’abstenir de vaincre au fort de la victoire,
Au bien de ses Sujets sacrifier sa gloire,
C’est où l’on reconnoist nostre Siecle & Loüis.

AU ROY,
SUR LA PAIX

En tout temps, en tout lieu, toûjours semblable à toy,
    Grand Roy, lors que tu fais la Guerre,
Tu soûmets à tes Loix les Princes de la Terre,
Et quand tu fais la Paix, tu leur donnez la Loy.

[Présent fait au Roy par M. l’Abbé du Montal] §

Mercure galant, septembre 1678 [tome 9], p. 179-192.
Avis pour placer les Figures : les Devises doivent regarder la page 179.

Puis que vous vous faites un plaisir des Devises, je vous en envoye quatre nouvelles qui estoient dans la Bordure de la These que Mr l’Abbé du Montal présenta au Roy il y a un mois, & dont je ne vous dis qu’un mot dans ma Lettre d’Aoust. Cette Bordure estoit magnifique, & voicy à peu pres quel en estoit le dessein. Elle representoit une Place fortifiée de quatre Bastions, sur chacun desquels il y avoit une Fleur de Lys, dont plusieurs Lys sortoient. De bastion en Bastion on voyoit des Ouvrages à jour en maniere de Filagrane, avec une Devise au milieu. Celle de dessus estoit un Soleil avec ces mots, Non quem regit orbe minor. Un Arc-en-Ciel dissipant des nuës, faisoit celle qu’on voyoit en bas. Ces Paroles luy servoient d’ame, Vincendo facit omina pacis. Celles-cy accompagnoient la Devise qui estoit à un des costez, formée d’un Lyon qui fuyoit, Gloria ejus terror. Il y avoit de l’autre costé un Foudre qui frapoit une Tour, avec ces mots Espagnols, Hiriendo à uno, amenaça à muchos. Au dessus de la Place, au bas du Soleil, on voyoit deux Branches de lys qui se joignoient, & qui enfermoient le Portrait du Roy. Il estoit couvert d’une Glace de Venise, aussi bien qu’une espece de Cartouche où estoient les Positions. Sur le dessus il y avoit un Trophée, avec toute sorte d’Armes, un Hercule qui terrassoit une Méduse, & dans le milieu une grand Renommée avec une Palme à la main. Aupres d’elle estoient un Lyon & une Aigle liez en quelque façon, avec ces mots sur un Cartouche, Victori Belgico. Des Festons de Fleurs faisoient l’ornement de chaque costé du Trophée ; & un peu plus bas, sur les costez de la Place, deux Joüeurs d’Instrumens accompagnoient le Triomphe. Cette Place estoit soûtenuë de deux Figures qui finissoient à demy en Fleurs, & qui suportoient les Armes du Roy, avec les deux Ordres autour. Je vous en dis assez pour vous faire concevoir la beauté de cet Ouvrage, qui fut tres-favorablement reçeu en Cour, ainsi que le Portrait de sa Majesté fait par le Sr Simon Graveur. Il avoit déja fait celuy de Monsieur le Prince, & cely de Monsieur l’Archevesque de Paris. Ces trois Portraits l’ont rendu fort recommandable. J’ay fait graver les quatre Devises. Vous les trouverez dans cette Planche. L’Epistre de la These faisoit connoistre que ce qu’on ne pouvoit dire de beaucoup de Souverains que par flaterie, qu’il estoient l’Image de la Divinité, la verité le faisoit dire au Roy, non seulement par cet air de grandeur & de majesté répandu sur sa Personne, mais par cette sagesse presque divine qui estoit née avec luy, sans qu’il eust eu besoin de la puiser dans les Livres des Philosophes ; Que si la Sagesse consistoit dans l’assemblage de toutes les Vertus, il n’y en avoit point qui pust égaler la sienne ; Qu’il estoit peut-estre le premier qui en eust montré dans la Guerre ; Qu’estant offencé, il n’avoit point précipité la satisfaction qui estoit deuë à sa gloire ; qu’il s’estoit plaint qu’il avoit menacé, & que par ce temps donné aux Ennemis pour se repentir, il les avoit fait convenir de l’équité de sa Cause. Je passe le reste de cette Epistre pour venir à la These que Mr l’Abbé du Montal a soûtenuë. Il ouvrit la Dispute par une courte harangue sur les Actions de sa Majesté, & apres avoir loüé cette mesme Sagesse qui mettoit le Roy autant au dessus des Sages, que les Sages sont au dessus du reste des Hommes, il s’étendit sur l’infatigable valeur qui luy avoit fait entreprendre la conqueste des Villes les mieux fortifiées, dans les plus rigoureuses Saisons. Il adjoûta que s’il y avoit beaucoup de force d’ame dans ces entreprises, celle de se vaincre soy-mesme en donnant la Paix, estoit quelque chose de si élevé, qu’il n’y avoit point d’éloges qui ne fussent infiniment au dessous d’un pareil triomphe ; Qu’il estoit proprement l’ouvrage de son grand cœur ; qu’il n’en partageoit la gloire ny avec ses genéraux, ny avec le nombre de ses Troupes ; que Loüis le Grand avoit vaincu la Victoire mesme, lors que voulant rendre le calme à toute l’Europe, il avoit remis genéreusement aux Ennemis vaincus, & ce que la Victoire luy avoit acquis, & ce qu’elle pouvoit encor luy acquerir. Il fit voir aussi la terreur que le seul Nom de ce Grand Monarque jettoit parmy eux, jusqu’à n’oser pas mesme le plus souvent attaquer ceux qui avoient l’avantage de combatre sous un si redoutable Nom. Il en donna pour exemple Mr le Comte du Montal son Pere, qui avoüoit que s’il avoit fait quelque chose qu’on pust croire digne du Commandement que Sa Majesté luy avoit confié, il en devoit toute la gloire à celuy qui luy avoit donné l’autorité de l’entreprendre, & communiqué la force de l’executer. La These fut ouverte par Mr l’Abbé de Bissy, qui fit aussi l’éloge du Roy, & n’oublia pas Mr du Montal, dont je ne vous marque point icy les Actions. Vous sçavez celles de sa rentrée dans Charleroy, de la levée du Siege de cette Place, de celle de Mastric, & de la Bataille de Senef. La gloire qu’il s’est acquise dans toutes ces occasions est connuë de tout le monde. Son nom est Montsaulnin. C‘est une tres-ancienne Maison qui descend d’Ecosse, & qui s’est alliée à tout ce qu’il y a de plus grand en Bourgogne. Il y a plus de trois ans qu’il est Lieutenant General. J’estois mal informé du temps, quand je vous ay dit qu’Il l’avoit esté fait depuis peu. Madame sa Mere est de la Maison de Bussy-Rabutin, & Madame du Montal sa Femme, de celle de Soulages en Roüergue, tres noble & tres ancienne, & alliée à celles de la Fare, de Lussan, & à plusieurs autres des plus considérables de Languedoc. Le Bonnet de Maistre és Arts fut donné au Soûtenant par le Chancelier. Cette Cerémonie finit l’Action.

[Portraits de M. l’Archevêque de Paris et de Leurs Majestés]* §

Mercure galant, septembre 1678 [tome 9], p. 192-193.

Si le talent de graver donne de la réputation aux Hommes, il faut dire à l’avantage de celles de vostre Sexe, qu’il n’y a point d’Art où elles ne réüssissent admirablement. Le Livre de Pastorales, & d’autres Ouvrages que nous avons de Mademoiselle Stella, luy avoient acquis déja beaucoup de gloire, mais elle a fort augmenté l’estime qu’on avoit pour elle, par le Portrait qu’elle a gravé depuis peu de monsieur l’Archevesque de Paris. Il est accopagné de Figures qui marquent les vertus de ce grand & zelé Prélat. On ne peut rien voir de plus achevé. Mademoiselle Masson la suit de pres dans ce merveilleux talent. Elle a gravé les Portraits de Leurs Majestez avec une si entiere ressemblance, qu’aucun trait n’y est oublié. J’ay appris qu’elle travailloit presentement à ceux de Leurs Altesses Royales.

[Madrigal sur le tremblement de terre arrivé à Avignon et en Provence]* §

Mercure galant, septembre 1678 [tome 9], p. 194-197.

On a esté fort effrayé à Avignon de ce que la Terre y a tremblé le second jour de ce Mois. Ce Prodige n’a esté suivy d’aucun desordre. C’est un bonheur que quelques-uns attribuent au Protecteur de la Ville S. Agricol, dont on celebroit ce jour là la Feste. Quoy que la Terre y ait tremblé jusqu’à trois fois, on pourroit se persuader qu’il y auroit eu de l’imagination dans cette croyance, si la mesme chose n’estoit arrivée le mesme jour à Arles & à Aix. On venoit de recevoir nouvelles dans cette derniere Ville, que le Roy devoit l’honorer de sa résence, & c’est à-dessus qu’on a fait ce Madrigal. Il est de la mesme veine dont est party le galant Ouvrage que je vous ay envoyé sur les Vers à soye.

MADRIGAL.

    Quelle joye en cette Province,
Le jour que l’on apprit que son Auguste Prince,
Qu’on peut mieux surnommer qu’un Empereur Romain,
    Les Delices du Genre humain,
Luy vouloit accorder l’honneur de sa presence !
    Quel transport ! quel ravissement !
    Je puis dire que la Provence
    N’eut point voulu dans ce moment
    Se changer pour l’Isle de France,
Tant ce bruit fut pour elle un bruit doux & charmant.
    Mesme les choses insensibles,
De tendresse & d’amour parurent susceptibles.
    On vit les rochers tressaillir,
La Terre tremoussa de joye & de plaisir,
Dans l’espoir de porter ce foudre de la Guerre.
    L’onde se sentit émouvoir.
Enfin tout se montra plein d’ardeur pour le voir ;
Et jusqu’aux Vents cachez dans le sein de la Terre,
    Sortirent pour le recevoir.

[Avanture arrivée aux bains d’Aix en Savoye] §

Mercure galant, septembre 1678 [tome 9], p. 197-221.

Il est difficile, Madame, que vous n’ayez entendu parler des Bains qu’on va prendre à Aix en Savoye. Madame Royale y a fait des dépenses qui les rendent si commodes, qu’avant qu’il soit peu, il n’y en aura point de plus fréquentez. Il y a eu cette année grande compagnie, dont la Promenade, le Jeu, & les Violons, ont esté les divertissemens. Un Gentilhomme d’une des plus considérables Maisons du Lyonnois, arrivé nouvellement e Paris, où il s’estoit mis en crédit parmy les Dames, fut bien aise d’y aller chercher quelque avanture. Son Pere, que quelque incommodité menoit à ces Bains, luy proposa de l’accompagner. Il se fit un plaisir de ce court voyage, & alla descendre avec luy dans une Maison qu’un Amy qui en estoit party depuis peu, avoit pris soin de luy arrester. Cet Amy luy avoit fait le détail de tout ce qu’il trouveroit d’aimable dans le Lieu qu’il venoit d’abandonner, & l’avoit sur tout averty qu’une fort jolie Personne de Lyon venuë avec sa Mere aux Bains, logeoit dans la Maison voisine de celle qu’il avoit choisie pour luy, avec tant de commodité, que comme elle prenoit le frais presque tous les soirs à sa fenestre, il pourroit l’entretenir de la sienne, & se servir de la liberté que l’usage avoit établie dans tous les lieux où l’on s’assemble ainsi de tous costez pour un temps ; mais qu’il prist bien garde à ne pas trop voir une jeune Blonde de Chamberry, parce qu’il n’y avoit rien de plus dangereux, soit pour l’esprit, soit pour la beauté. Comme il luy avoit nommé l’une & l’autre, le Cavalier connoissoit la Famille de la premiere, sans avoir pourtant jamais veu ny la Mere ny la Fille ; mais pour la belle de Chamberry, il n’en sçavoit rien autre chose sinon qu’elle estoit fort de qualité. Le danger que son Amy luy avoit dit qu’il pouroit courir en la voyant, fut ce qui luy donna plus d’empressement pour la voir. Il estoit bien fait, avoit une vivacité d’esprit admirable, & s’estoit fait estimer de tant de Belles, qu’il se mit en teste de n’ofrir pas ses vœux inutilement à celle-cy. Il vint donc aux Bains plein de son idée, & amorueux d’elle, si on le peut estre d’une Personne qu’on ne connoist pas. Dés le jour mesme qu’il fut arrivé, il regarda plusieurs fois dans la Ruë, & enfin sur les dix heures du soir, il vit une jeune Demoiselle à la Fenestre voisine. Quoy que l’obscrutié l’empeschât d’en bien distinguer les traits, elle n’estoit pas si grande, qu’il ne remarquast qu’elle avoit de la beauté. La galanterie qui luy estoit naturelle, luy fit chercher à l’entretenir. Il luy parla fort civilement. La Belle répondit avec la mesme civilité, & la conversation fut bien-tost noûée. Il la croyoit de Lyon. Il estoit de la Province, & cela devoit servir à établir entr’eux plus de liaison. Ils tomberent insensiblement sur le chapitre des Belles qui estoient aux Bains. Celle de Chamberry ne devoit pas tenir le dernier rang. Le cavalier étonné de ce que la Belle qu’il entretenoit ne la nommoit point, la pria de luy dire ce qu’elle en croyoit, & si on luy en avoit fait un portrait fidelle, en l’asseurant qu’il la trouveroit une des plus belles & des plus spirituelles Personnes qu’il esut jamais veuës. Elle répondit qu’on ne pouvoit pas dire qu’elle fust mal faite, ny qu’elle manquast tout-à-fait d’esprit, mais qu’on l’avoit fort flatée si on la faisoit passer pour une Personne qui se fist fort distinguer parmy les Belles. Cette réponse ne surprit point le Cavalier. La jalousie est presque toûjours inséparable de celles qui prétendent à la Beauté, & il crût qu’un peu d’envie luy avoit fait abaisser le mérite de l’aimable Personne dont il luy parloit. Il luy fit mesme paroistre quelque chose de ce qu’il croyoit, & il le fit d’un je-ne-sçay quel air interessé qui obligea la Belle à luy dire qu’il falloit qu’il fust quelque Amant caché qui venoit s’instruire par ses yeux si la Demoiselle de Chamberry estoit digne de ses hommages. Elle adjoûta mille choses agreables sur la béveuë qu’elle avoit faite sans y penser, en ne luy parlant pas assez avantageusement de cette Belle ; & tout ce qu’elle dit fut si fin, & si agreablement tourné, que le Cavalier qui se connoissoit en esprit, fut charmé de celuy qu’elle fit paroistre. Il l’éprouva sur diférente matieres. La Belle qui soûtenoit l’entretien admirablement, revenoit toûjours au panchant qu’il devoit avoir pour la Demoiselle de Chamberry, & elle luy en faisoit la guerre d’une maniere si galante, que le Cavalier qui prenoit feu insensiblement, luy dit avec la mesme galanterie, qu’il estoit vray qu’il n’estoit venu aux Bains que dans le dessein de s’attacher à la Personne qui estoit le sujet de leur diférent ; mais qu’apres l’avantage qu’il avoit eu de l’entretenir, il ne pouvoit croire qu’elle approchast d’elle, & que si elle vouloit agréer ses soins, il oublieroit avec grand plaisir ce qui l’avoit amené. On luy fit connoistre qu’une déclaration de cette force pour une Personne qu’il ne connoissoit pas, estoit un peu trop précipitée. Il la soûtint, en disant à la Belle qu’il estoit fort instruit & de sa naissance, & du mérite de sa Personne ; qu’il sçavoit qu’elle estoit de Lyon, & qu’il avoit des Parens qui avoient pris alliance dans sa Famille. La Belle qui s’estoit fait un fort grand plaisir de cette premiere conversation, se contenta de répondre qu’avant que d’aller plus loin dans les protestations qu’il commençoit à luy faire, elle vouloit qu’il vist sa Rivale ; que cette Rivale devoit estre le lendemain dans une Compagnie où il luy seroit facile de trouver accés ; qu’il l’examinast ; & que le soir, selon ce qui luy en auroit paru, il pourroit luy dire à sa fenestre dans quels sentimens il seroit pour l’une & pour l’autre. Elle se retira en mesme temps, & ne voulut point écouter la priere qu’il luy faisoit de le dispenser de l’épreuve qu’elle exigeoit de sa complaisance. En effet il luy avoit trouvé tant d’esprit, & ce que son Amy luy avoit dit de sa beauté luy en donnoit des idées si avantageuses, qu’il n’estoit plus en état de croire qu’aucune méritast mieux son attachement. Il croyoit juste. C’estoit la Belle mesme de Chamberry qui venoit de luy parler. La Lyonnoise estoit partie des Bains pour des affaires pressantes, deux jours apres son Amy, & cette premiere occupoit son Apartement depuis son départ. L’envie qu’elle avoit de se divertir de son erreur, luy fit épier l’occasion de le voir sans en estre veuë. Ainsi elle estoit au guet quand il sortit le lendemain au matin. Elle observa son visage, & si elle avoit esté satisfaite de son entretien, elle ne le fut pas moins de sa Personne. Dés qu’elle eut disné, elle se rendit où elle luy avoit dit qu’elle devoit estre. Il y vint quelque temps apres, & l’ayant entenduë nommer, il s’approcha d’elle. Il luy trouva beaucoup de beauté, mais moins qu’il n’auroit fait s’il n’eust pas esté préoccupé d’elle-mesme sous un autre nom. Il luy dit plusieurs choses assez galantes. Elle prit un air sérieux, comme on le prend d’ordinaire avec un nouveau venu. Elle parla peu, & tint presque toûjours en parlant son Eventail sur sa bouche. Vous jugez bien qu’elle le fit tout exprés pour déguiser sa parole. Elle y réüssit si bien, qu’il fut impossible au Cavalier de connoistre que c’estoit la mesme Personne qu’il avoit entretenuë le soir precédent. Il se retira, & toûjours charmé de la prétenduë Lyonnoise, il attendit impatiemment l’arrivée de la nuit. À peine fut-elle assez obscure pour ne laisser pas bien discerner ce que l’on voyoit, que la Belle vint à sa fenestre. Elle demanda d’abord, qui vive, & montra un enjoüement si spirituel dans la priere qu’elle luy fit de parler sincérement, qu’il ne balança point à se déclarer contre la Belle de Chamberry. Il avoüa qu’elle pouvoit avoir prétention à la Beauté ; mais pour l’Esprit elle luy sembloit si éloignée de pouvoir entrer en concurrence avec elle, qu’elle ne seroit jamais en droit de luy disputer son cœur. On le pria de se bien examiner. Il persista dans son premier choix, & dit qu’il admiroit quelquefois un beau Portrait, mais qu’il ne pouvoit en estre touché. Il brûloit de voir la spirituelle Personne qu’il entretenoit. La permission luy en fut donnée pour le jour suivant. La Belle chercha à l’embarasser de nouveau dans sa visite. La Mere avoit esté informée de tout ; & comme elle ne manquoit pas d’esprit non plus que sa Fille, elle donna ordre à ses Gens de faire entrer un Cavalier qui peut-estre la demanderoit sous le nom de la Lyonnoise dont elle occupoit l’Apartement. On suivit cet ordre. Le Cavalier vint. Il fit compliment à la Mere, chercha la Fille des yeux, & reconnoissant la Belle de Chamberry qui avoit les Coifes, il crût qu’elle n’estoit là qu’en visite. Comme elle écouta longtemps sans parler, l’erreur où il estoit ne s’éclaircit point. Il entretenoit toûjours la Mere, vantoit la bonté des Bains, contoit des nouvelles, & enfin s’ennuyant de ne point voir paroistre la Fille, il demanda s’il n’auroit point l’honneur de la salüer. La Belle qui se déclara son Amie, dit qu’il estoit incivil qu’elle demeurast plus longtemps dans son Cabinet. Elle entra sous prétexte de l’en faire sortir, & estant revenuë un moment apres sans Coifes, elle prit son ton naturel pour luy apprendre que son Amie l’avoit chargée de venir l’entretenir à son defaut ; qu’elle tâcheroit de trouver assez d’esprit pour fournir à la conversaiton, & qu’il pouvoit se hazarder à debiter aupres d’elle une partie des douceurs dont elle croyoit qu’il se fust muny. Cela fut dit de cette maniere libre & enjoüée qui donne du prix aux moindres choses. Le Cavalier regarda la Belle. Il ne sçavoit où il en estoit. Cette voix l’avoit frapé. Il la reconnoissoit pour celle qu’il avoit entenduë les deux derniers soirs ; mais le visage l’embarassoit, & tout accoûtumé qu’il estoit à ne se point déconcerter avec les Dames, il garda le silence quelques momens pour examiner le party qu’il avoit à prendre. On luy fit reproche du sacrifice qu’il avoit fait de la Demoiselle de Chamberry, & cette particularité luy auroit fait croire que les deux Belles, estant amies, se seroient entenduës pour luy faire piece, si trouvant le mesme esprit & la mesme voix de celle qu’il avoit cruë Lyonnoise, dans celle qui ne luy avoit fait paroistre que sa beauté le jour précedent, il n’eust connu avec certitude que la mesme Personne avoit joüé les deux Personnages. On tâcha de l’embarasser encor quelque temps, & enfin on luy avoüa la chose. Il dit plaisamment qu’il avoit toûjours crû qu’il fust nuit quand il n’y avoit point de jour, & que la plus spirituelle Personne qui affectoit de ne point parler, ne portoit pas écrit sur son front qu’elle eust de l’esprit. Il tourna mesme à son avantage les déclarations qu’il avoit faites contre la Belle, puis qu’il ne les avoit faites que pour elle mesme, & qu’il avoit soûtenu le mesme party qu’il paroissoit condamner. L’avanture fit dire cent jolies choses, & à la Belle, & au Cavalier. Il continua ses visites. Elles furent agreablement reçeuës, & peut-estre auront-elles de la suite. J’auray soin de vous apprendre ce que j’en sçauray.

Air nouveau §

Mercure galant, septembre 1678 [tome 9], p. 225-226.

Mr Goüet Maistre de Musique des Dames Religieuses de Longchamp, a fait un tres-agreable Air que vous trouverez icy noté avec ces Paroles.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Olimpe est de retour avec de nouveaux charmes, doit regarder la page 226.
Olympe est de retour avec de nouveaux charmes,
    Goustez bien en ce plaisir, mes yeux.
    La Belle pouvoit elle mieux
    Vous récompenser de vos larmes ?
    Helas ! que mon sort seroit si doux,
Si mon cœur en estoit aussi content que vous !
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[Annonce éditoriale]* §

Mercure galant, septembre [tome 9], 1678, p. 226-227.

J’ay toûjours oublié à vous dire que l’Air de ma Lettre du Mois de Juin, dont les Paroles commencent par ce Vers, Quand sur nos charmans rivages, &c. estoit de la façon de Mr de L. M. Il avoit crû ne se pouvoir mieux cacher qu’en me le faisant tomber entre les mains comme venant de Puyperlan en Xaintonge [voir 1678-06_170]. à dire vray, j’en avois esté la dupe, mais il n’a pû tenir contre les loüanges que luy a données une belle Personne qui le chantoit sans sçavoir qu’il fust de luy. Il s’est déclaré, & comme elle aime fort la Musique, cela n’a pas nuy à le mettre bien aupres d’elle.

À Sylvie, sur son mal de dents. Madrigal §

Mercure galant, septembre 1678 [tome 9], p. 242-243.

Si le mal de dents estoit aussi dangereux qu’il est cruel, on auroit souvent à trembler pour de fort aimables Personnes. Voyez ce qui m’a esté envoyé là-dessus.

A SYLVIE,
SUR SON MAL DE DENTS.
Madrigal.

Qoy, de si belles Dents ont esté si méchantes,
Que de faire sentir des douleurs si cuisantes
Au plus aimable Objet qui vive sous les Cieux ?
    J’en serois étonné, Sylvie,
    Si depuis que j’ay mis ma vie
    Sous l’empire de vos beaux yeux,
Vous ne m’aviez appris que pour estre cruelle,
    C‘est assez d’estre blanche & belle.

[Explication de la premiere Enigme en Vers du Mois dernier] §

Mercure galant, septembre [tome 9], 1678, p. 342-345.Pour l'énigme et pour l'explication de l'énigme dans Mercure

Les Enigmes sont toûjours expliquées dans leur vray sens par quantité de Personnes. Vous trouverez celuy de la premiere du dernier MoisI dans ces Vers de Mr le Courrier, de Caën.

Que vostre humeur est obligeante !
Vous fournissez à nos Concerts
Chaque Mois deux ou trois beaux Airs,
Dont l’harmonie est ravissante.
Si c’est trop de faveur pour nous,
Trouvant que c’est trop peu pour vous,
Vous ajoûtez grace sur grace,
Et pour nous obliger sans fin,
Par un bienfait nouveau qui tout autre surpasse,
Vous nous faites encor present d’un Clavessin.

Ceux qui ont expliqué cette Enigme sur le mesme Mot du Clavessin, sont [liste des noms].

[Divertissemens de Fontainebleau] §

Mercure galant, septembre 1678 [tome 9], p. 361-368.

Il est temps de vous apprendre les Divertissemens de Fontainebleau. Il s’y fit une Course de Bague un des premiers jours de ce mois, en presence du Roy, de la Reyne, & de toute la Cour. Ceux qui coururent, furent Monseigneur le Dauphin, Messieurs les Princes de Conty & de la Roche sur Yon, Mr le Comte de Brionne, Mr le Prince de Caumercy, Mr le Marquis de Bellefonds, Mr le Comte de Tonnerre, Mr de Bouligneux, & Mr le Chevalier de Mailly. Le Prix estoit une Escharpe magnifique que donnoit le Roy. Chacun courut trois Courses. Mr le Prince de la Roche sur-Yon emporta le Prix, ayant fait deux dedans & une atteinte. Ce jeune Prince n’a pas moins de vivacité d’esprit que d’adresse.

Le jour de la Naissance du Roy il y eut un grand Bal. Toute la Cour estoit parée de Pierreries, & il ne se pouvoit rien voir de plus éclatant.

Il y a eu treize Parties de Chasse au Cerf seulement. Il y en eut une entr’autres où on laissa courre le Cerf au lieu nommé Arcloffe. Le Roy eut toute la satisfaction possible de cette Chasse, à cause du beau Païs que ce Cerf prit, & de la maniere que les grands Chiens l’y poursuivirent. Apres plusieurs autres Chasses, on laissa courre un Cerf devant le Roy, dans le Buisson de la Boissiere, qui est un Buisson de deux lieuës. Ce Cerf ne fit que sortir dans la brande, & retourna dans le mesme Buisson, où il se fit chasser pendant deux grosses heures, & donna le plus grand plaisir du monde, malgré un orage & un tonnerre épouvantable. On peut dire que l’on n’a jamais chassé avec un si grand bruit, ny avec tant de régularité qu’on a fait dans toutes ces Chasses ; & cela, par les ordres de Sa Majesté.

Il y a eu plusieurs Chasses de Sanglier. Dans l’une, il le trouva deux gros Cerfs enfermez dans les Toilles au Buisson de la Boissiere. Le Roy eut le plaisir d’en tuer un à coups de Fusil, & Sa Majesté empescha par là qu’il ne fist un tres-grand desordre. Elle fit lever les Toilles pour donner la vie au second, apres qu’on eut tué quatre Sangliers qui estoient dedans. Comme Elle se promenoit un jour dans le chemin de Moret, un gros Sanglier qui estoit couché sous un Arbre, prés de la Portiere de son Carosse, partit. Plusieurs Personnes de Qualité qui accompagnoient le Roy, le pousserent sous la Futaye, & particulierement Mr le Comte de Marsan qui luy fit tourner la teste. Cela donna lieu à Mr le Chevalier de Loraine qui montoit un Cheval de Sa Majesté, d’y arriver avec Mr le Marquis d’Effiat, & un Ecuyer de Monsieur. Ils passerent sur le Sanglier, & luy donnerent quelques coups d’épée ; apres quoi le Sanglier choisit Mr le Chevalier de Loraine entre vingt Personnes qui y arriverent. Il blessa son Cheval, qui donna un si furieux coup de pied sur la teste du Sanglier, qu’il demeura tout étourdy. Ce coup fut cause qu’on eut moins de peine à le tuer.

Une autre Chasse de Sanglier qui se fit dans le Parquet cousta la vie à trois gros Sangliers. Dés que le second qui estoit beaucoup plus gros que les deux autres, parut dans le Parc, il fut poursuivy des Chiens, chacun voulut aller à luy l’épée à la main. Il se defendit avec tant de furie, qu’il se rendit redoutable. Il renversa Hommes et Chevaux, en blessa quelques uns, & tua ou estropia plus de quinze Chiens. Le Sieur Brecourt joüa une assez longue Scene avec luy. Il le blessa d’un coup d’épée en l’abordant. Ce coup ne servit qu’à l’irriter, & fut cause qu’il s’attacha à luy. Il vint plusieurs fois à la charge contre son Cheval, prit le Sieur Brecourt à la Botte, & le tint longtemps sans le blesser que legerement. Mais enfin il luy donna un coup d’épée jusqu’à la garde, qui le mit hors d’état de le faire craindre davantage. Il n’avoit jamais joué un Rôle plus grand ny plus honorable devant le Roy ; & si les plus fameux Acteurs que nous vante l’Antiquité revenoient au monde, il seroit difficile qu’ils se tirassent mieux d’une Scene où il y auroit du sang à verser. Celle-cy se passa toute aux yeux du Roy, qui eut la bonté de demander au Sieur Brecourt s’il n’estoit point blessé, & de dire qu’il n’avoit jamais vû donner un si furieux coup d’épée. Plusieurs Dames estoient ce jour-là à la Chasse, & fort magnifiquement habillées en Chasseresses. Celles qui courent ordinairement le Cerf avec le Roy & Madame, sont Madame de Boûillon, Madame la Princesse d’Epinoy, Mademoiselle de Grancé, & Mesmoiselles des Adrets & Poitiers.

On s’est souvent délassé de l’agreable fatigue de la Chasse, par le divertissement de la Comedie. La Troupe Italienne pour donner plus de plaisir au Roy pendant son sejour à Fontainebleau, avoit mandé un Acteur nouveau & une Actrice nouvelle. Ils sont venus d’Italie, & ont eu l’honneur de divertir plusieurs fois Leurs Majestez.

Air nouveau §

Mercure galant, septembre 1678 [tome 9], p. 371-372.

Il s’est fait plusieurs agreables Parties de Vendanges. Je n’ay point aujourd’huy le temps de vous en parler, & ne puis que vous faire voir ces Vers sur le retour d’une Saison souhaitée de tant de Gens. Ils ont esté mis en Air par Mr Bessant de Poitiers.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Amis, n’estes-vous pas étranges ?, doit regarder la page 372.
    Amis, n’estes-vous pas étranges ?
Hé quoy, toûjours l’Amour ? quoy, toûjours le Printemps ?
    N’entendray-je dans tous nos Champs
        Que chanter leurs loüanges ?
Croyez-moy ; laissez là le Printemps & l’Amour,
        Et chantons tour à tour
        Le retour des Vendanges,
    Il n’est point de si beau retour.
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[Publication de la Paix ratifiée entre la France & la Hollande] §

Mercure galant, septembre [tome 9], 1678, p. 375-381.

Comme on ne va parler dans vostre Province que de la Paix ratifiée avec la Hollande, il faut vous dire qu’elle fut hyer publiée icy, & qu’elle doit l’avoir esté aussi à la Haye, le mesme jour ayant esté choisy pour les deux Publications. On y observa les Cerémonies accoûtumées. Les Trompetes Tambours, & Hautbois de la Grande Ecurie du Roy, se firent entendre dans toute la Marche, mais ils firent beaucoup moins de bruit que les acclamations de Vive le Roy. Les Peuples estant justement persuadez que ce grand Prince ne fait rien que pour la gloire de la France, ont moins poussé ces acclamations par le besoin qu’ils ont crû avoir de la Paix, que par la justice qu’ils rendent à toutes les Actions de nostre incomparable Monarque. Quand il partit en 1671. pour la premiere Campagne de cette Guerre, les mesmes cris de joye se firent entendre, & on donnera toûjours les mesmes applaudissemens à tout ce qu’il luy plaira de faire. La Marche estoit composée des principaux Officiers de Mrs du Chastelet, & du Corps de Ville, tous en Robe de cerémonie, & cheval & en housses, accompagnez des 300. Archers de la Ville, & du Guet. Les Huissiers du Chastelet marchoient à pied. Les Trompetes, Tambours, & Hautbois, estoient à la teste de tout. Les Herauts les suivoient. Je ne vous parle point de leur habillement, il est connu de tout le monde. Le Sieur le Lievre, au titre de Touraine, representant le Roy d’Armes Montjoye S. Denys, à cause que cette Charge est vacante, commença la Publication de la Paix devant le Palais des Tuilleries. Elle fut faite en suite tour à tour dans tous les lieux accoûtumez par les cinq Herauts d’armes, qui sont les Sieurs de Chaume, au titre de Normandie ; le Blanc de Bornat, au titre de Xaintonge ; de Bellegarde, au titre de Picardie ; le Roy, au titre de Roussillon ; & d’Aubiny, au titre de Charrolois. Je ne doute point que la joye n’ait esté grande en Hollande. Les Peuples y doivent estre fort satisfaits de la fermeté de leurs Magistrats de ne s’estre point laissé ébloüir par des offres spétieuses, qui tendoient à les empescher d’accepter celles du Roy, & qui ne les eussent pas garantis de tous les maux que cause la Guerre. Cette Paix en enfantera beaucoup d’autres. Elle a déja produit celle d’Espagne, & nous avons tout lieu d’esperer qu’elles seront bientost suivies de celle de toute l’Allemagne & des Couronnes du Nort. Les Souverains qui sont en guerre de ce costé-là, meritent assurément de grandes loüanges. On les a veus tour à tour malheureux sans perdre courage ; mais la Victoire qui a volé successivement dans chaque Party, n’a esté constante ny pour les uns ny pour les autres, comme elle l’a esté pour Loüis le Grand, & c’est pas cette raison qu’ils doivent entendre à la Paix pour conserver le sang de leurs Peuples. Ainsi je veux croire que nous la verrons bientost generale. Ce fera alors qu’au lieu de Plans de Villes gravez, je vous envoyeray mille choses curieuses que me fourniront les beaux Arts qui fleurissent en France avec tant d’éclat. J’y joindray celles que j’espere recevoir de beaucoup de Royaumes Etrangers ; & mes Lettres estant plus diversifiées, ne vous plairont peut-estre pas moins avec ces agrémens nouveaux, qu’elles vous ont plû par les recits des Sieges & des Batailles. Cependant je croy ne pouvoir mieux finir celle-cy, qu’en vous parlant encor du grand Prince, dont je vous ay parlé en la commençant. J’emprunte pour cela les Vers que luy adresse Mr Brossard Conseiller de Bourg en Bresse.

Héros fameux, qui de tous les Guerriers
Effacez aujourd’huy la gloire,
Dormez à l’ombre des Lauriers,
Et goustez en repos les fruits de la Victoire.
Enfin vos Ennemis s’ajustent à vos Loix,
C’est assez pour vous satisfaire.
Pourquoy vous fatiguer par de nouveaux exploits ?
Quand on est le plus grand des Rois,
Que reste-t-il à faire ?

[Apostille sur le mot porfil] §

Mercure galant, septembre 1678 [tome 9], p. 382.

Par apostille, Madame, je vay vous éclaircir pleinement sur le mot de Porfil dont nous avons déja parlé. Vos Amis qui prétendent qu’il ait vieilly depuis Regnier & Balzac, n’ont pas veu ce qu’en écrit M. Ménage au 84. Chapitre de la premiere partie de ses Observations imprimée en 1672. Il dit, en parlant des noms qu’on doit prononcer en o, & non pas en ou, qu’il faut dire chose, & non pas chouse, Porfil, & non pas Pourfil. Cela fait voir qu’il n’a point crû qu’on pust recevoir Profil. Cependant il est certain que les Peintres & les Sculpteurs se servent toûjours de ce dernier mot soit en parlant, soit en écrivant ; & c’est sans doute par cette raison qu’une partie des Illustres qui composent l’Académie Françoise, prend ce party, se persuadant que c’est à ceux qui sont habiles dans les Arts à déterminer les mots qui leur sont propres. Les autres (car j’ay fait proposer la Question dans une de leurs Assemblées) tiennent obstinément pour Porfil, & ils conviennent tous ensemble qu’on peut employer indiféremment l’un & l’autre mot. Ainsi, Madame, vos Amis diront Profil, & me permettront de garder Porfil que je luy préfere, sans que je vous en puisse donner de raison.