1678

Mercure galant, octobre 1678

2014
Source : Mercure galant, Claude Blageart, octobre, 1678
Ont participé à cette édition électronique : Anne Piéjus (Responsable d’édition), Nathalie Berton-Blivet (Responsable d’édition), Alexandre De Craim (Édition numérique), Vincent Jolivet (Édition numérique) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

Mercure galant, octobre 1678 [tome 10]. §

À Monseigneur le Dauphin §

Mercure galant, octobre 1678 [tome 10], non paginé.
    Puis que Loüis finit la Guerre,
Et qu’il veut qu’aujourd’huy la Paix regne en tous lieux,
    Les Peuples doivent sur la Terre
S’applaudir à l’envy d’un don si prétieux
    Qui les sauve de son Tonnerre :
Il est vray que pour eux c’est un present bien doux ;
    Mais, Prince, cette Paix semble faite pour vous.
    Loüis tient à soy la Victoire,
Cette Divinité qui luy faisoit la cour,
    Vouloit que seule il la pust croire ;
Mais pour vous marquer mieux l’excès de son amour,
    Retranchant sur sa propre gloire,
Pouvant tout surmonter, il accorde la Paix,
Et borne pour vous seul ses augustes projets.
    Si Philippes parut bon Pere,
Si pour son Alexandre il se donna du soin,
    Le mal est que voulant tout faire,
Il ne laissoit ce Fils que le simple témoin
De sa conduite militaire.
Mais Loüis sçachant mieux vous montrer son amour,
Laisse à vostre Valeur où s’exercer un jour.
    Par son grand cœur, par sa vaillance,
Par les coups éclatans de tant d’exploits guerriers,
    Il vous a montré la Science
De moissonner par tout & Palmes & Lauriers.
    Enfin pour vostre expérience.
Que pouvoit-il rester à Loüis desormais,
Qu’à vous enseigner l’art de bien faire la Paix ?
    Ainsi c’est pour vostre avantage,
Grand Prince, qu’à l’Europe il la donne aujourd’huy ;
Et si nous luy devons hommage,
C’est moins de vouloir bien terminer nostre ennuy,
Que de donner un Prince sage,
Qui sçache comme luy faire un jour à propos
Trembler tout l’Univers, & causer son repos.

Le Blanc.

Les sentimens de toute la France, MONSEIGNEUR, vous sont marquez par ces Vers dont j’ay crû pouvoir me servir en faisant connoistre par le nom de leur Autheur, que je n’y ay aucune part que celle de vous les presenter. Il est certain que si les Peuples se réjoüissent de la Paix, c’est moins pour les avantages qu’ils en retirent, que pour l’interest qu’ils prennent à vostre gloire. Ils s’applaudissent déja par avance, MONSEIGNEUR, des Triomphes que la modération du Roy vous reserve ; & en mesme temps qu’ils reconnoissent devoir leur repos à sa bonté, ils envisagent avec un plaisir extrême les grandes Victoires qui vous doivent mettre au nombre des plus renommez Héros. Cet incomparable Monarque en laisse une ample matiere à vostre Valeur par les bornes qu’il a bien voulu donner à la sienne, & vous ne pouvez estre que Grand & Auguste, estant Fils du plus Grand & du plus Auguste de tous les Rois. Je suis avec un profond respect,

MONSEIGNEUR,

Vostre tres-humble & tres-obeïssant Serviteur, D.

[À ceux qui voudrait envoyer des Desseins pour l’Extraordinaire à venir] * §

Mercure galant, octobre 1678 [tome 10], non paginé.

QUoy que dans la derniere Lettre Extraordinaire mise en vente depuis quinze jours, on ait donné deux mois de temps pour travailler, à ceux qui voudront envoyer des Desseins d’Arcs de Triomphe, Pyramides, Medailles, & autres Monumens à la gloire du Roy, ces deux mois ne sont qu’en faveur de ceux qui demeurent dans les Provinces les plus reculées ; & si les autres n’envoyoient plutost leurs Desseins, on n’auroit pas le temps de les faire graver, ny mesme d’imprimer l’Extraordinaire qui paroistra le quinziéme de Janvier prochain. Ceux qui ont déja des idées pour ces sortes d’Ouvrages, & qui ont absolument résolu d’y travailler, sont priez d’en avertir dés à present. Cela fera prendre des mesures sur le nombre qu’on en doit avoir, & obligera à leur garder place, afin qu’ils ne travaillent pas inutilement.

[Avant propos] §

Mercure galant, octobre 1678 [tome 10], p. 1-20.

N’en doutez point Madame. Je ne vous parleray pas moins de Paix à l’avenir, que je vous ay parlé jusqu’icy de Guerre. Toute la diférence qu’il y aura, c’est que la Guerre m’obligeoit à faire de longs Articles séparez des Combats qui se donnoient, & des Sieges qu’on entreprenoit ; au lieu que presque toutes les matieres qui vont composer mes Lettres, seront de Paix sans que je vous la nomme. Ce que je vous diray de la satisfaction des Peuples, des Provinces abondantes en toutes choses, du progrés des Muses & des beaux Arts, des somptueux Edifices qu’on élevera, des Festes galantes qui se donneront, des magnificences & des libéralitez de Loüis le Grand ; tout cela ne fournira-t-il pas autant d’Articles de Paix, puisque ces diférentes choses en seront l’effet ? Jugez si cette matiere ne doit pas estre inépuisable, estant soûtenuë de ce qui se passera dans le plus galant, le plus tranquille, & le plus florissant Royaume du monde. Pour le voir toûjours augmenter en gloire, il suffit qu’il soit gouverné par le meilleur, le plus sage, & le plus grand Roy que le Ciel ait jamais donné à la Terre. La valeur & la prudence ne peuvent aller plus loin qu’il les a poussées pendant le cours d’une Guerre qu’il n’y avoir que luy seul qui fust capable de terminer. Il a eu la bonté de l’entreprendre, il en est venu à bout, & l’ont peut dire que la Paix est son Ouvrage. Vous en avez reçeu la nouvelle avec plaisir ; mais je ne sçay si vous avez assez examiné combien les circonstances qui ont accompagné cette Paix, la rendent glorieuse pour ce Grand Roy. La Victoire ne l’avoit point quitté depuis le commencement de la Guerre. Plusieurs Princes s’estoient alliez d’abord avec luy, & leurs Troupes jointes aux siennes avoient fait quelques Campagnes assez heureuses. Cependant ses Ennemis croyant l’accabler, firent agir de si puissantes Cabales, que non seulement ils engagerent tous ces Princes à rompre l’Alliance qu’il avoient avec Sa Majesté, mais mesme à se déclarer contre Elle. L’Espagne qui estoit en paix suivit leur exemple, & le Roy vit en peu de temps presque tous les Princes de l’Europe liguez contre luy. Il estoit à croire que n’ayant plus d’Alliez, & voyant le nombre de ses Ennemis augmenté, bien loin de songer à faire de nouvelles Conquestes, il auroit de la peine à conserver celles qu’il avoit faites. Le contraire est arrivé. Plus cet incomparable Monarque a eu d’Ennemis, plus il a remporté de Victoires. Il a suffy luy seul contre tous, & ce n’a esté que dans ce temps qu’il a pris des Places que l’on croyoit imprenables. Les choses estoient dans cet état. Toute l’Europe regardoit nos avantages avec un étonnement qui ne se peut exprimer. Les Conférences de Nimégue n’aboutissoient presque à rien, & les Peuples ne voyoient aucun lieu d’esperer la Paix, quand le Roy ayant résolu de la donner, & de la donner en Vainqueur qui pouvoit encor pousser ses Conquestes, jugea que le seul moyen d’en faciliter le succés, estoit d’aller prendre les Villes de Gand & d’Ypres. Il se rendit maistre de l’une & de l’autre, & l’on ne peut nier qu’il ne fust en pouvoir de le devenir de tout ce qu’il auroit voulu soûmettre. La prise de ces Places avoit jetté la terreur parmy les Peuples de celles qui restoient à prendre. L’Hyver estoit dans sa force. Il n’y avoit que le Roy qui fust armé, & qui eust des Magasins pour faire subsister de grandes Armées. Les Ennemis n’en pouvoient mettre en campagne qu’apres le retour du printemps. Ainsi il estoit en état de vaincre par tout, sans qu’il pust trouver aucun obstacle à ses entreprises. Sa bonté luy fait choisir ce temps pour donner la Paix ; mais il estoit bien juste qu’en la donnant, il fist connoistre qu’il faisoit grace, & qu’il marquast, comme il a fait, que c’estoit seulement aux conditions qu’il avoit trouvées raisonnables, qu’on pouvoit choisir la Paix ou la Guerre. Les Hollandois acceptent la Paix, apres avoir fait reflexion sur les redoutables forces de la France, contre laquelle presque toutes les Puissances de l’Europe avoient échoüé. Il y a deux temps à considérer dans celuy qui s’est passé depuis la Paix acceptée, jusqu’à son entiere conclusion. L’un regarde ce qui est arrivé depuis l’acceptation de cette paix jusqu’au jour de sa Signature, & l’autre nous mene jusqu’à celuy de la Ratification. Ces deux temps ont eu chacun leur étenduë, & on ne s’est que trop apperçeu que pendant l’un & l’autre, tout ce que le Cabinet renferme de Politique a esté mis en usage contre le Roy de la part des Princes liguez ; mais leur prudence ainsi ramassée n’a pas eu plus de succés que l’union de leurs armes. Mille interests diférens les faisoient agir. Les uns en avoient de particuliers pour eux-mesmes ; les autres, pour des Personnes qui les touchoient de fort pres, & c’estoient par tout des passions violentes qui détruisoient tout ce qui auroit pû avancer la conclusion de la Paix. On fait naistre des Incidens. On donne sujet au Roy de se plaindre, afin qu’il se plaigne. On tâche d’irriter sa bonté, & on veut adroitement le forcer à rompre. Mais tous ces artifices ne servent qu’à mieux faire voir qu’il est autant au dessus de ses Ennemis par sa sagesse, qu’il l’a esté pendant la Guerre par sa valeur. Ce grand Prince dédaigne de leur faire connoistre qu’il voit leurs brigues. Il est persuadé que ceux avec qui il traite, & qui ont seuls pouvoir de traiter, agissent de bonne foy. Il en est content. Ils se sont soûmis, & c’est assez pour luy faire toûjours aimer une Paix qui les sauve des périls dont ils auroient peine à se garantir dans la continuation de la Guerre. Il a paru moderé comme Vainqueur, il le veut paroistre encor comme Roy. On donne un Combat dans le temps que la Paix vient d’estre signée. Ceux qui attaquent manquent leur Coup. Mons n’est point secouru, & par conséquent il ne tient qu’au Roy que Mons ne soit perdu pour les Ennemis. Ils ne peuvent plus subsister aupres de notre Camp. Il n’a qu’à prendre la Place qu’ils ont inutilement voulu secourir. On ne pourra dire qu’il rompe la Paix, puis qu’on l’est venu attaquer. Tout luy rit. Les Ennemis avoient fondé toute leur espérance sur les Troupes d’une Nation brave & intrépide. Elles sont batuës, & les nostres n’ont qu’à entreprendre pour réüssir. Ces avantages ne diminuënt rien des bontez de ce grand Prince. Il sçait que les véritables Hollandois qui aiment leur Patrie, n’ont point de part au dessein de la Bataille qui s’est donnée. Il veut que la Paix qu’il fait avec eux soit un commencement de celle qu’il souhaite à toute l’Europe, & il ne se sert d’aucun des justes prétextes qu’on luy a donnez, pour la rompre. On luy en donne de nouveaux apres la Bataille. On fait aux Etats des Ofres qui paroissent fort avantageuses, & on les fait en pleine Assemblée ; mais les Hollandois aussi fermes de leur costé, que Sa Majesté l’est du sien, rejettent ces Ofres, & sont convaincus des avantages que peut leur produire l’amitié du Roy, par ceux qu’ils en ont déja tant de fois reçeus. L’Espagne qui ne fait rien sans l’avoir meûrement examiné, reconnoit elle-mesme la grandeur de cet auguste Monarque, en se résolvant enfin d’accepter la Paix qu’il luy ofre. Elle n’attend plus rien de ces retours de Fortune & de ces coups inopinez qui ont toûjours flaté la Maison d’Autriche. Tout est dans la main du Roy ; & s’il est fâcheux à un Peuple, qui croit estre né pour donner des Loix, d’en recevoir du Vainqueur, ce Peuple qui se soûmet, s’en trouve récompensé par l’avantage de recouvrer des Places dont il ne se seroit jamais veu maistre, si ce Vainqueur l’eust voulu laisser dans la necessité de les conquérir. Il reste quelques legeres difficultez pour les Villages, ou des Articles de cette nature ; & le Roy toûjours Grand, apres avoir fait les Etats Genéraux Arbitres de ces petits Démeslez, accorde tout de luy-mesme. On ne peut disconvenir que ce ne soit de son plein gré, puis que l’Arbitrage estoit signé par les Espagnols mesmes, & qu’il en pouvoit revenir quelque chose à Sa Majesté ; les Arbitres ne jugeant jamais avec une si entiere rigueur, qu’ils ne cherchent à satisfaire toûjours les deux Parties. Apres cette derniere liberalité du Roy, le Traité se signe entre la France & l’Espagne. Je vous ay mandé de quelle maniere. Voila, Madame, en fort peu de mots toute l’Histoire de la Guerre & de la Paix.

[Idylle de Messieurs de l’Académie de Soissons] §

Mercure galant, octobre 1678 [tome 10], p. 20-31.

Il y a déja longtemps que l’espérance de cette Paix a fait parler les sçavantes Muses de Soissons. Vous sçavez que l’Illustre Académie de la Ville que je viens de vous nommer, a esté reçeuë dans l’Alliance de celle que le Roy ne dédaigne pas de loger dans son Louvre, & dont il a bien voulu se faire le Protecteur. Elle luy envoye tous les ans quelque Ouvrage en reconnoissance de cette association ; & l’Idylle que vous allez voir, est celuy dont elle luy a fait présent cette année. Messieurs de l’Académie Françoise l’ont fort estimé, & je ne doute pas que leur approbation ne soit suivie de la vostre.

Idylle.

Le riche émail des Fleurs orne bien nos Prairies,
Le Fruit sied bien à nos Vergers,
Aux Ruisseaux les Rives fleuries,
Et la Musette aux amoureux Bergers.
Que ferois-je sans vous, ma fidelle Musette ?
Souvent vous faites mes plaisirs,
Sans vous mes plus tendres desirs
Seroient encor cachez à la jeune Lisette,
Lisette dont le teint est plus blanc que le Lait,
Dont le souffle est plus doux que l’odeur de l’Oeillet,
Et qui passe en beauté le reste des Bergeres,
Comme un Chesne s’éleve au dessus des Fougeres.
De l’ardeur de mes feux, des peines que je sens,
Souvent elle écoute la plainte,
Et si son ame est atteinte,
Je dois cet avantage à vos heureux accens.
Mais quoy qu’elle aime à vous entendre
Entonner un Air doux & tendre,
Elle veut aujourd’huy que vous changiez de ton.
Du Grand LOUIS les fameuses merveilles
Ont percé nos Forests, ont frapé nos oreilles,
Ces Monts, ces Bois & ce Vallon,
Et tout ne retentit que du bruit de son Nom.
Ne ferez vous rien pour sa gloire ?
Aidez à la placer au Temple de Memoire,
Du moins par quelque douce & charmante Chanson.
Laissez à Polymnie entonner la Trompette,
Celébrer ses beaux Faits, & ses Exploits guerriers,
Laissez-luy vanter ses Lauriers ;
Vous qui n’estes qu’une Musette,
Chantez-nous sa bonté, sa douceur, & la Paix
Qu’il va donner à ses Sujets.
Malgré vos foibles sons ne soyez point muette,
On n’est jamais blàmé quand on fait ce qu’on peut ;
Chantez, LOUIS est bon, & Lisette le veut.
Vous que le bruit & la fureur des armes
Ont forcé de quitter nos Champs & nos Hameaux,
Bergers, ne craignez plus Bellonne & ses alarmes.
Ramenez dans ces lieux vos paisibles Troupeaux.
Faites y revenir les Nymphes fugitives,
    Venez ensemble sur les Rives
    De nos agreables Ruisseaux.
    Là bientost la Divine Astrée
    Répondra de sa main sacrée
    Les biens, les plaisirs, & les jeux ;
    Nous touchons à ce calme heureux
    Si charmant apres la tempeste,
Nostre felicité surpassera nos voeux,
Et nos jours ne seront qu’une éternelle Feste.
    Il est vray que Mars en couroux
    Tonne encor assez pres de nous,
Son bruit s’entend jusque dans nos Campagnes,
Mais ce n’est plus comme autrefois,
Lors qu’il faisoit trembler nos plus hautes Montagnes,
Et retentir nos Rochers & nos Bois.
On sent bien qu’il est aux abois,
En qu’on va voir cesser les horreurs de la Guerre.
    Tels les derniers coups du Tonnerre,
    Quand l’orage est pres de finir,
    Leur bruit sourd annonce à la Terre
    Que le beau temps va revenir.
Et Le Grand LOUIS acheve son ouvrage,
Il va donner la Paix à ses fiers Ennemis ;
    Malgré leur fureur & leur rage,
    Nous les verrons bientost soûmis,
    L’accepter & luy rendre hommage.
    Alors cet Illustre Héros
Viendra prendre le frais, & goûter le repos
    Au doux ombrage de vos Hestres ;
Il aime vos Chansons, quoy qu’elles soient champestres,
Il vous assemble icy pour former des Concerts,
Et ne méprise point (bien qu’il offre à vos Airs
De ses beaux Faits la matiere éclatante)
    Vostre Muse foible & naissante.
Sage au Conseil, vaillant dans les Combats,
    Intrépide dans les alarmes,
    Il sçait affronter le trépas ;
    Mais délivré de l’embarras
    Du bruit, du fracas, des vacarmes
    Qui se trouvent parmy les armes,
Les paisibles Emplois sont ses plus grands plaisirs.
Il trouve son repos, il borne ses desirs
    À se servir de sa puissance
Pour reprimer la funeste licence,
Pour faire revérer la majesté des Loix,
Et ramener une heureuse abondance.
Le plus grand des Héros, le plus juste des Roys,
Apres avoir gagné Victoire sur Victoire,
    Se fait une nouvelle gloire
À répandre sur ses Sujets
Des Ruisseaux eternels de graces, de bienfaits.
Quitte de ces grandes fatigues
Qui consumoient les plus beaux de ses ans,
    Il donnera tous ses momens
    À réduire en poudre les Digues
Que le desordre opposoit aux Vertus ;
    Par luy des Vices abbatus,
Malgré l’impunité, malgré ses fortes brigues,
    Les testes ne renaistront plus.
Dans cet heureux loisir, en des temps si tranquilles,
    Que de Superbes Bastimens,
    Et que de riches ornemens
Pareront ses Palais, & la Reyne des Villes !
Je vois déja dans nos plus grands Hameaux
Les Bergers s’assembler, former des Chœurs nouveaux,
    Pour rendre sa gloire immortelle,
Et s’immortaliser en travaillant pour elle.
    Mille graces, mille douceurs,
S’avancent pour chercher les neuf sçavantes Sœurs.
On va voir les Muses rustiques
    Habiter des Maisons publiques,
Et partager ses Royales faveurs.
La nostre errante encor au milieu des Campagnes,
    Aura le sort de ses Compagnes,
Et trouvera de quoy se retirer ;
    Nostre attente n’est pas injuste,
Appuyé d’un Mécene, écouté d’un Auguste,
    Ne doit-on pas tout espérer ?
Mais pour de si grands biens, pour ces rares merveilles,
Nymphes, cherchez dans ces beaux lieux
    Ce qu’ils ont de plus précieux ;
Pour luy comblez de Fleurs vos plus riches Corbeilles,
Joignez-y des Festons du plus vert Olivier,
Il l’aime autant que le Laurier.
Vous, Bergers, donnez-luy vos travaux & vos veilles,
    Que vos Rochers manquent d’échos.
Que les rapides eaux remontent vers leur source,
Que le Flambeau du jour interrompe sa course,
Avant que vous cessiez de chanter ce Héros.

Air nouveau §

Mercure galant, octobre 1678 [tome 10], p. 31-36.Voir aussi l'article précédent

S’il y avoit beaucoup de Musetes aussi douces que doit estre celle dont il est parlé dans cet IdylleI, avoüez qu’il est peu de plaisirs qu’on préferast à celuy de les écouter. Je ne sçay mesme si elles ne seroient pas propres à faire cesser les chagrins, contre le sentiment de l’Amant infortuné qu’on fait parler dans ces Vers que Mr Goüet a depuis peu mis en Air.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Lors que j’estois aimé de la jeune Lizete, doit regarder la page 32.
Lors que j’estois aimé de la jeune Lysete,
Par vos charmans concerts, vous sçaviez, ma Musette,
Dans mille doux plaisirs tous deux nous engager ;
Mais depuis que son cœur est devenu leger,
Aupres de vous je languis, je soûpire,
Et vous ne pouvez plus soulager mon martyre.

Vous m’avez paru si contente des Airs de Mr Goüet, que j’ay crû ne pouvoir mieux commencer que par celuy-cy à vous en envoyer de nouveaux. Comme il est Maistre de la Musique des Dames Religieuses de Lonchamp, on ne doit pas s’étonner si on y trouve dequoy satisfaire les oreilles les plus difficiles. En effet, on n’y entend pas seulement tout ce que le beau Chant a d’aimable, on y remarque encor une façon de chanter qui n’est pas commune, tant l’Autheur s’étudie à faire toûjours quelque chose qui ne se chante point ailleurs. Les belles Voix qui entrent dans ces Concerts se font admirer & par leur diversité & par leur justesse. La Symphonie qui les accompagne est merveilleuse. Elle est executée avec une délicatesse qui répond à la recherche des beaux Accords, & l’on diroit que ce sont autant de maistresses mains qui touchent ou les Violes, ou les Clavessins qui la composent. Je n’avance rien qui ne soit connu. Le mêlange des Voix & des Instrumens qui forment cette charmante Musique, est si doctement ménagé, que les meilleurs Connoisseurs demeurent d’accord qu’on ne peut rien entendre de plus beau dans aucun Monastere de Filles.

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[Mort du celebre M. Nicole] §

Mercure galant, octobre 1678 [tome 10], p. 39-44.

J’ay aussi à vous apprendre celle [la mort] de Mr Nicole que la Ville de Chartres avoit choisy pour son Avocat. C’est une perte considérable pour les Gens de Lettres. Quoy qu’il fust dans un âge fort avancé, il soûtenoit avec autant de fermeté que de politesse, la haute réputation que ses Pieces d’éloquence luy avoient acquise. Il s’estoit attiré l’estime de quantité de Personnes de la Naissance la plus relevée. Il les complimentoit au nom de la Ville, lors qu’elles passoient par Chartres, & toûjours avec un applaudissement general. Il estoit Pere de l’Illustre Mr Nicole, connu de tout le monde par les excellens Ouvrages d’érudition & de pieté qu’il met au jour depuis pres de trente années ; entr’autres par la Perpetuité de la Foy & nouvellement par les Essais de Morale. Quelques mois avant sa mort, il avoit choisy Mr Noel, Controlleur des Domaines de Son A.R. à Chartres, pour luy succeder dans le pénible & honorable Employ d’Avocat de cette Ville. Il en remplit admirablement les Fonctions, & suit de pres ce grand Homme. Il commença d’en donner d’éclatantes marques par un Compliment fort juste qu’il fit sur le champ à Madame la Duchesse de Toscane, qui se rendit à Chartres il y a trois mois pour signaler la pieté qui luy est ordinaire dans le Temple le plus ancien de toute la Chrestienté. Entre les Actions qu’il a esté déja obligé de faire, il n’y en a point de plus remarquable que le Panégyrique du Roy qu’il prononça le second de ce Mois, à l’occasion de deux Echevins qu’on avoit éleus. Tout ce qu’il y a de Personnes considérables dans la Province s’y trouva, aussi bien que tous les Corps de la Ville. Quoy qu’une si auguste matiere soit en quelque sorte au dessus de l’expression, il la traita d’une maniere si délicate, qu’il eut tout le succés qu’il en pouvoit esperer. Je ne vous parle point de la Famille des Nicoles. Tout le monde vous dira qu’elle est tres-ancienne à Chartres, & qu’il y a plus de deux cens ans qu’elle y fournit des Magistrats. Elle a presentement pour digne Chef le Lieutenant General de cette Ville.

[Galanterie en Prose & en Vers sur des Paroles de l’Opéra d’Atis] §

Mercure galant, octobre 1678 [tome 10], p. 44-55.

Vous allez juger du soin que je prens de vous chercher d’agreables choses, par celuy que j’ay eu de recouvrer une Copie de la Lettre que je vous envoye. Elle est de Mr de Lamathe Avocat au Parlement. De grandes & fâcheuses affaires l’ont obligé jusqu’icy d’étoufer de fort jolies Pieces dont j’espere que je vous feray part à l’avenir. Celle-cy vous fera connoistre combien vous pouvez attendre d’un Génie aussi galant que le sien.

À Madame

La Comtesse de ***

Sur ces Paroles de l’Opéra d’Atis.

D’une constance extréme
Un Ruisseau suit son cours,
Il en fera de mesme
Du choix de mes amours ;
Et du moment que j’aime,
C’est pour aimer toûjours.

Vous avez donc crû, Madame, que la comparaison d’un Ruisseau estoit la plus juste & la plus heureuse du monde, pour exprimer une amitié fidelle & constante ? Cependant il me semble que c’est tout le contraire, & je crois que vous en demeurerez d’accord, quand vous y aurez fait refléxion. Pour moy, je vay vous dire ce que j’en pense.

    Un Ruisseau ne suit point son cours,
Comme vous diriez bien, d’une constance extréme ;
    Et si quelqu’un ainsi vous aime,
Défiez-vous de pareilles amours.
S’il ést vray qu’un Ruisseau ne puisse estre infidelle,
Il cesse de couler tout au moins quand il gele,
Et vous n’ignorez pas qu’il gele tous les ans.
    Ah ! quel modele à des Amants.

Je pourrois mesme vous prouver, Madame, si je voulois, que les Ruisseaux sont infidelles comme nous. Vous diriez à leur petit air tranquille & modeste, qu’ils ne cherchent qu’à se joindre à quelque honneste Riviere, pour s’en tenir là tout-à-fait ; mais les Galans n’y sont pas si-tost parvenus, qu’ils veulent aller plus loin, & ils ne sont jamais contens, qu’ils n’ayent traîné leur eaux ambitieuses jusques à la Mer. L’honneur en est grand pour eux ; mais vous m’avoüerez qu’avant que de luy porter leurs hommages, ils font certaines infidelitez en chemin, qui ne sont nullement de bon exemple. Vous les voyez qui se débordent tantost sur une belle Prairie, & tantost sur une Plaine agreable. Ils sont tous de ce caractere, & je gage que cet aimable Ruisseau qui passe au pied de votre charmante Maison de .·.·.· ne manque pas de faire de mesme. Je me souviens qu’un jour que je resvois pres de luy à mes tristes aventures, je le vis qui faisoit semblant de dormir à l’ombre des Saules qui sont sur ses bords. Il estoit couché sur le plus beau sablon du monde ; & le voyant dans cet état, j’aurois juré qu’il estoit dans une parfaite indolence. Mais je fus bien surpris, apres l’avoir regardé plus curieusement qu’à l’ordinaire, de luy voir carresser fort tendrement une Fontaine naissante qui s’estoit venuë joindre à luy. Je poussay plus loin ma curiosité, & les ayant suivis deux ou trois cens pas, je vis qu’ils couroient ensemble, sans se quitter d’un moment ; ce qui me fit juger qu’ils alloient achever les mysteres de leur amour, à quelque Rendez-vous qu’ils s’estoient donné, apparamment à l’entrée de la Riviere de .·.·.· qui passe à une lieuë de là.

    Lors que quelque jeune Fontaine,
Par ses petits boüillons exprimant son tourment,
Se jette entre les bras d’un Ruisseau son Amant,
    Croyant y soulager sa peine,
    Le Fripon sans façon l’emmeine ;
Chemin faisant, c’est un amusement.

Mais, Madame, ce seroit peu si ces Messieurs les Ruisseaux estoient seulement coquets. La Coqueterie peut avoir ses raisons & ses excuses. Les Ruisseaux font bien pis que de coqueter. Ce sont des libertins & des débordez. Il y a des temps qu’ils ne peuvent se tenir chez eux, & qu’ils ne font point de scrupule de recevoir dans leur lit tout ce qu’il y a de plus vilaines eaux sur leur passage. Je ne vous dis rien, Madame, du peu de chaleur naturelle de ces Amans, parce que vous ne voulez pas sans doute qu’on pousse la chose si loin. Mais voyez, s’il vous plaist, quel tort vous faisiez à la constante & solide amitié, de luy donner un simbole si défectueux. Je ne prétens pas néantmoins critiquer icy les Paroles de Mr Quinault. Elle sont tres-naturelles, & nostre Siecle luy a trop d’obligation de mille tendres & douces expressions qui ont beaucoup contribué à l’agréement du Théatre François, & qui luy sont si propres, qu’on peut dire sans le flater, qu’il est inimitable dans son talent. Si j’avois plus de temps pour vous exprimer les pensées qui me viennent sur cette matiere à mesure que je vous écris, je vous ferois voir qu’il y a peu de comparaisons qui ne clochent, comme je vous le dis dés le moment que vous vous recriastes sur la justesse & la beauté de celle-cy. Mais, Madame, vostre Laquais me presse, & me laisse à peine le temps de vous assurer que je suis vostre, etc.

Bouquet pour une Belle §

Mercure galant, octobre 1678 [tome 10], p. 64-66.

Comme cet Article parle encor de Guerre, vous voulez bien que je fasse entrer icy un Madrigal donné à une Belle au jour de sa Feste avant qu’on eust fait aucune proposition de Paix. Vous pourriez ne le pas trouver de saison, si j’attendois plus tard à vous l’envoyer.

Bouquet

pour une Belle.

    À Present qu’une Guerre juste
    Occupe le plus grand des Roys,
    Et que ce Conquerant auguste
Contraint ses Ennemis à recevoir ses Loix ;
Nous croyions de l’Amour éviter les allarmes,
    Et ne redouter plus ses coups,
Et qu’au milieu de la Guerre & des Armes
Ses traits ne pourroient pas atteindre jusqu’à nous.
Ce Dieu mesme tremblant pour plus d’une Conqueste
    Croyoit son Empire abbatu ;
Mais il reprend, Philis, au jour de vostre Feste
    Toute sa force & sa vertu.
Vos charmes aujourd’huy l’assurent de sa gloire.
    On le sçait en bien des endroits ;
Et vos beaux yeux qui sont sa plus seûre victoire,
Sont d’illustres garands de ses plus nobles droits.
    Il fonde sur vous sa puissance,
Comme Mars sur LOUIS établit son pouvoir.
De ce grand Roy pour vaincre il luy faut la présence,
Et l’Amour, pour charmer, n’a qu’à vous faire voir.

[Nouveau Livres de Genealogie] §

Mercure galant, octobre 1678 [tome 10], p. 70-74.

Je croy vous donner une agreable nouvelle, à vous qui estes curieuse de Genealogies, en vous disant que nous verrons bien-tost un Livre de celle de plusieurs Illustres Familles. Le Roy a demandé à Mr le Comte d’Armagnac Grand Ecuyer de France, le Catalogue de tous ceux qui depuis l’année 1667. jusqu’à aujourd’huy ont eu l’honneur d’estre Pages sous son commandement ; & Monsieur d’Armagnac a ordonné à Mr d’Hozier, Genealogiste des Ecuries de Sa Majesté, de rassembler incessamment les cinq degrez de Genealogie, que chaque Particulier est obligé de fournir pour prouver sa Noblesse, avant que d’y pouvoir estre reçeu. Ainsi tous ceux qui ont joüy de cet avantage, ont eu ordre d’envoyer à Mr d’Hozier leurs noms de Baptesme & de Famille ; l’Employ & la Charge qu’ils ont eu chez le Roy, à la Guerre, ou ailleurs, depuis qu’ils ne servent plus Sa Majesté comme Pages ; les Noms, Qualitez & Seigneuries de leurs Peres, Ayeuls, Bisayeuls & Trisayeuls, & de chacune de leurs Femmes, avec les Extraits & les dates qui justifient leurs Mariages, leurs Charges & leurs Emplois. On les oblige d’y ajoûter les Noms, Surnoms, Qualitez, & Seigneuries de chacune des Femmes, & un Memoire de l’ancienneté de leur Race ; de quelle Province elle est originaire ; les Branches qu’elle a produites ; où elles sont habituées ; les Terres, & les Charges qu’elle a euës ; les services qu’elle a rendus, & les occasions où elle s’est signalée. Comme ce recueil de Genealogies regarde un tres-grand nombre des plus considérables Familles du Royaume, il ne se peut qu’il ne soit tres-curieux. Vous devez estre fort persuadée de l’ordre, de la netteté, & de la verité qu’on y trouvera, apres que je vous ay dit qu’on en laisse le soin à Mr d’Hozier. La profonde capacité qu’il a pour ces fortes de choses est connuë de tout le monde.

[Le Roy donne deux Abbayes, l’une au Fils de M. de Cordémoy Lecteur de Monseigneur le Dauphin, & l’autre à M. de Mouchy] §

Mercure galant, octobre 1678 [tome 10], p. 75-77.

Le Roy a donné l’Abbaye de Fenieres au Fils aîné de Mr de Cordemoy, Lecteur de Monseigneur le Dauphin. Elle est dans le Diocese de Clermont. Le Pere & le Fils sont fort estimez. Le Pere est de l’Académie Françoise. Il a composé beaucoup de fort beaux Ouvrages, & travaille à l’Histoire Generale. Le Fils s’est rendu digne de la Profession qu’il embrasse par une forte application à l’étude. Il eut le Prix de l’Eloquence la derniere fois que Mrs de l’Académie distribuerent ceux qu’ils donnent tous les deux ans le jour de Saint Loüis.

Mr de Mouchy a esté aussi qualifié d’une Abbaye. Sa Majesté luy a donné celle de S. Cyran au Diocese de Bourges. Cette récompense est une marque de son merite. On ne pouvoit douter qu’il n’en eust beaucoup, en voyant l’employ qu’il a aupres de Mr le Duc de Vermandois. On ne confie ces sortes de Postes qu’à des Gens d’un esprit fort éclairé.

[L’Ombre de l’Empereur Charles-quint en Vers, par M. l’Abbé de la Chaise] §

Mercure galant, octobre 1678 [tome 10], p. 77-91.

Vous avez tellement estimé quelques Ouvrages que je vous ay déja envoyez de Mr l’Abbé de la Chaise, que vous ne serez pas fâchée de voir ce qu’il a fait sur la consternation où la prise de Gand avoit mis les Espagnols. La Fiction est ingénieuse, & vous ne pouvez attendre que beaucoup de plaisir de cette lecture.

L’Ombre

de l’Empereur

Charles-Quint.

L’invinsible LOUIS avoit mis aux abois
Les Etats de Holande en l’espace d’un mois.
Tout le monde jaloux de ses progrés s’étonne,
Chacun de ses Amis tour-à-tour l’abandonne,
L’Empire réünit tous ses Membres divers,
Et contre Luy l’Espagne arme tous l’Univers.
Mais malgré l’Univers il remet en campagne ;
Au lieu de la Holande, il attaque l’Espagne ;
Ce Héros satisfait de voir que son grand cœur
Trouve des Ennemis dignes de sa valeur,
Bien loin d’estre abbatu, prend des forces nouvelles,
Et jamais il ne fit d’entreprises plus belles.
La Comté de Bourgogne, Aire, Condé, Bouchain,
Valenciennes, Limbourg, Dinan, & Saint Guilain,
Saint Omer & Cambray, deviennent ses Conquestes,
Et cet Hercule seul contre une Hydre à cent testes,
Lors que son Bras réduit les Flamans sous ses Loix,
Fait sur terre & sur mer, ailleurs cent beaux Exploits.
Il gagne tous les jours des Victoires nouvelles.
Enfin Gand assiegé fait craindre pour Bruxelles,
Rien ne le peut sauver, & Villermose a peur,
Qu’apres Gand, à l’envy, tout ne cede au Vainqueur.
Il voit de son costé toute l’Europe ensemble,
Mais il sçait qu’avec luy toute l’Europe tremble,
Et n’esperant plus rien de ses foibles efforts,
Au defaut des Mortels, il a recours aux Morts.
Une insigne Sorciere, une autre Pytonisse,
Que dans d’obscurs Cachots retenoit la Justice,
Par son ordre élargie, & conduite au Palais,
Luy promet de forcer, avec ses noirs Secrets,
Les Manes d’un Guerrier tel qu’il voudra prescrire,
À luy rendre raison de tout ce qu’il desire.
Il veut voir Charles-Quint ; des mots qui font horreur
Font paroistre aussitost ce fameux Empereur.
Il sçait ce qui se passe, & son Ombre interdite
Exprime par ces mots la douleur qui l’agite.
Pourquoy me contraint-on par un lâche attentat
D’estre témoin des maux que monPaïs s’attire ?
Faut il, dans nostre sombre Empire,
Que nous soyons encor des Victimes d’Etat ?
L’Espagne, des Champs Elisées
Trouve donc les routes aisées,
Et pour secourir Gand, croit tous les chemins clos ?
Dans l’état où se voit le lieu de ma naissance,
Pourquoy vous arrester à troubler mon repos ?
Que n’allez-vous troubler le repos de la France ?
Quoy, tant de Nations ; quoy, tant de Potentats
N’osent mesme tenter le secours d’une Ville ?
Malgré leur murmure inutile,
Un Prince se rend seul maistre de vos Etats ;
Il brave seul dans cette Guerre
Les forces de toute la Terre.
Tant d’Ennemis confus n’osent luy resister.
Autrefois j’attaquois les François par la Flandre,
Malgré leurs Alliez j’allois les insulter,
Et tous vos Alliez ne peuvent vous défendre ?
Mais dois-je m’étonner des Faits de ce grand Roy ?
Ce Sang qui m’inspiroit cette haute vaillance,
N’estoit-ce pas le Sang de France
Que mon Illustre Ayeule avoit porté chez moy ?
Annejointe à Loüisle Juste,
A réüny ce Sang auguste,
Leur Fils peut-il du Ciel n’estre pas Favory ?
De toutes nos vertus & de nostre courage,
De ce qu’eut de plus grand mesme le GrandHenry ,
En luy ne voit-on pas un heureux assemblage ?
Comme du plus Grand Roy que l’on ait maintenant,
L’Espagne sans raison à foy-mesme inhumaine
A voulu s’attirer la haine,
Vos disgraces pour moy n’ont rien de surprenant ;
Mais ce qui cause ma surprise,
C’est de voir que cette entreprise
Ne vous oblique pas à combatre aujourd’huy.
Que pouvez-vous risquer ? Si vous aimez la gloire,
Vous aurez plus d’honneur d’estre défaits par luy,
Que d’avoir sur un autre emporté la victoire.
Mais on court à sa perte avec temérité,
(Dites-vous) quand on cherche une gloire semblable
Contre un Héros si redoutable.
Combat-on pour l’honneur ? c’est pour la liberté.
Il s’agit donc de vous apprendre
Comment vous pourez vous défendre
Des fers dont la valeur semble vous menacer.
Vostre Etat est sans doute en un péril extréme,
Et vous verrez ce Prince un jour le renverser,
À moins que son grand cœur ne se borne luy mesme.
A-t-on veu quelquefois ce Héros s’engager
À tenter sans succés quelque grande entreprise ?
Dit-on pas qu’une Ville est prise
Aussi-tost que l’on sçait qu’il va pour l’assieger ?
Ce qu’il fait, l’auroit-on pû croire ?
A-t-il marché sans la Victoire ?
A-t-on pû d’un moment retarder ses progrés ?
Et quoy que vostre Espagne en Politique excelle,
A-t-elle découvert quelqu’un de ses secrets ?
Sçait-elle les desseins qu’il forme encor contr’elle ?
Qu’il entreprenne tout ; quels que soient ses projets,
Le Destin luy promet toûjours mesme avantage.
S’il veut, vous luy rendrez hommage,
Et tous vos Alliez deviendront ses Sujets.
S’il court à l’Empire du monde,
Sur la terre ainsi que sur l’onde,
La Victoire suivra toûjours ses Etendarts ;
Il joindra l’Aigle aux Lys, pourveu qu’il le desire ;
Et s’il veut abolir le grand Nom des Césars,
On donnera le sien aux Maistres de l’Empire.
Que le Tonnerre, gronde au dela de la Mer ;
Que comme en terre-ferme aux Isles d’Angleterre,
On luy déclare encor la guerre,
Ces nouveaux Ennemis ne pouront l’allarmer ;
Que dans un moment des Armées
Contre luy se trouvent formées ;
Que Cadmus dans les Champs seme encor des Guerriers,
Tous leurs efforts unis deviendront inutiles,
En son Bras, s’il le veut, cueillera des Lauriers
Dans les Champs en Soldats contre luy si fertiles.
Gand ne peut éviter d’estre bientost François,
Y pres suivra le sort de ce Chef de la Flandre,
Et tout le reste ira se rendre,
S’il n’est par une Paix affermy sous vos Loix.
Vos Grands entendront la tempeste
Bientost gronder pres de leur teste.
Puycerda de Madrid ouvrira les chemins,
Et vous n‘arresterez ce Monarque invincible,
Que quand l’ayant rendu maistre de vos destins,
À vos soûmissions il deviendra sensible.
Contre Luy voulez-vous avoir un ferme appuy ?
Laissez entre ses mains tout à-fait la Balance,
Et que par cette deférence
Il ait vos interests à garder contre Luy ;
Arbitre de tout, quoy qu’il fasse,
Il ne peut vous faire que grace.
Mais il vous donnera plus que vous n’espérez,
Et l’on mettra toûjours, quoy que vous puissiez dire,
Au nombre des présens que vous en recevrez,
Tous les lieux qu’il voudra laisser sous vostre Empire.
Icy cet Empereur acheve de parler.
Un bruit confus s’entend tout autour parmy l’air,
Comme de Vents meslez avecque le Tonnerre.
On voit plusieurs Eclairs, on sent trembler la Terre,
On est comme aveuglé d’un nuage qui naist,
Villermose s’enfuit, & l’Ombre disparoist.

[Festes galantes données sur les bords de la Marne] §

Mercure galant, octobre 1678 [tome 10], p. 91-112.

Je vous ay déja fait part de plusieurs Festes, mais je croy qu’il ne s’en est guére fait de plus agreablement diversifiée que celle dont je vay vous entretenir. Elle s’est donnée il y a peu de jours sur les bords de la Marne à douze lieuës de Paris. Sa magnificence vous persuadera aisément qu’il n’y a eu que des Personnes de qualité qui s’en sont meslées.

Six ou Sept Bergers, & autant de Bergeres, s’estant assemblez dans un Hameau, où ils avoient accoûtumé de venir faire Vendanges tous les ans, résolurent de faire parler d’eux dans le voisinage. Ils concerterent leurs divertissemens & chercherent sur-tout les moyens de les faire partager à deux aimables Personnes, dont le trop de beauté causoit le malheur. Cette beauté estoit soustenuë de beaucoup de bien ; & comme on avoit fait déja quelque entreprise pour les enlever, ceux dont elles dépendoient y avoient pourveu, en les enfermant dans un Chasteau dont on ne les laissoit jamais sortir. La prison se pouvoit nommer agreable, à considerer la promenande qui leur estoit permise dans un grand Parc ; mais elle estoit tellement prison à l’égard des visites qu’on leur rendoit, qu’elles n’en pouvoient recevoir aucune qu’à la maniere des Filles Cloistrées. Une Cloison grillée separoit deux Chambres. Elles estoient dans l’une, on les entretenoit dans l’autre, & toûjours en presence de témoins. Jamais Prisonniers d’Etat ne fut si soigneusement gardé à veuë. Ces précautions n’alloient pas jusqu’à les priver de ce qu’il y a d’innocens plaisirs. On soufroit qu’on amenast des Violons à leur Grille ; & comme cette sorte de divertissements & d’autres semblables leur estoient permis, il n’y avoit personne aux environs qui ne cherchast à leur en fournir. Ce fut par cette raison que la galante Troupe dont je vous parle, ayant medité une longue Feste, n’en voulut executer le dessein que dans ce Chasteau. Tous ceux qui la composoient vinrent rendre visite à ces deux belles Personnes le matin du Lundy 3. jour de ce Mois. Les Hommes estoient vestus partie en Vendangeurs & partie en Hoteurs. Il n’y avoit rien de plus propre que leur équipage. Les Femmes ne leur cedoient ny en galanterie ny en propreté. Elles avoient toutes des habits de Vendangeuses, avec des Chapeaux, des Paniers, & des Serpetes qui soûtenoient admirablement le Personnage qu’elles prenoient plaisir à joüer. Cette premiere entreveuë se passa toute en complimens. Les belles Cloistrées témoignerent beaucoup de joye de cette visite, & accorderent avec plaisir le rendez-vous qu’on leur demanda pour l’apresdinée. Il fit bruit dans toute la Noblesse des lieux voisins. On vint au Chasteau de toutes parts. L’Assemblée fut grande, & l’heure qu’on avoit marquée estant venuë, la mesme Troupe arriva au mesme équipage, mais ce fut au son des Violons, des Flutes-douces & des Hautbois . Les Hoteurs & les Vendangeuses commencerent à faire voir par une Danse fort plaisante qu’ils sçavoient autre chose que vendanger. Les Hotes qui se rencontroient avec les Paniers, marquoient la cadence, & ils ne faisoient aucun pas qu’avec la plus exacte justesse. Une fort agreable symphonie suivit la Danse. Elle estoit composée de six Violons, de quatre Flutes & de deux Hautbois. Un Concert de Voix toutes charmantes luy succeda. On chanta plusieurs Chansons sur la Vendange, & apres que ce Régal eut duré deux heures, on le finit avec une nouvelle Danse qui ne divertit pas moins que la premiere. Les belles Recluses trouverent ce temps si court, qu’elles ne pûrent s’empescher de le témoigner ; mais elles furent fort consolées, quand un des Vendangeurs les pria de faire dresser un Theatre pour une Comédie qu’ils viendroient representer le lendemain. Ils prirent congé apres cette Annonce (vous voudrez bien me soufrir ce mot) & apres avoir soupé tous ensemble dans le Hameau, ils donnerent un Bal en forme, où tout ce qui se presenta d’honnestes Gens fut reçeu.

Le lendemain qui estoit Mardy, ils tinrent parole sur la Comédie promise. Ils avoient preparé les Fâcheux de feu Moliere. Tous les Personnages en estoient si heureusement disposez, que de veritables Comédiens auroient eu peine à s’en mieux tirer. Vous jugez bien que l’Assemblée fut encor plus grande qu’on ne l’avoit veuë le jour précedent. Les trois Actes eurent chacun divers Instrumens pour les distinguer. Les Violons seuls joüerent d’abord l’ouverture. Apres le premier Acte les Flutes-douces se firent entendre ; les Hautbois apres le second ; une Voix avec un Thuorbe [sic.] apres le troisiéme ; & ensuite les Hautbois & les Flutes-douces se joignirent avec les Violons pour former ensemble la symphonie de l’adieu. On ne le dit aux Belles qu’apres les avoir priées d’empescher qu’on n’abatist le Theatre. C’estoit leur promettre un nouveau divertissement pour le Mercredy. Ce jour estant venu, on accourut en foule au Chasteau. La galante Troupe y representa une Pastorale avec le mesme succés qu’elle avoit fait les Fâcheux le jour précedent. Les habits des Bergers & de Bergeres qu’elle avoit pris rehaussoient la bonne mine des Acteurs, comme ils donnoient un nouvel éclat à la beauté des Actrices. Une Baccanade fut promise à la mesme heure pour le Jeudy. On tint parole. L’arrivée de Bacchus avec sa Troupe fut annoncée de loin, par un grand bruit de Timbales, de Fifres et de Trompetes. Bacchus chanta seul d’abord. Ensuite deux Bacchantes danserent au son de leurs Tambours de Basque dont elles joüerent divinement ; & Bacchus ayant recommencé de chanter, tous ceux de sa Troupe meslerent leurs voix avec la sienne, & on ne peut rien entendre de plus juste ny de plus melodieux que fut ce Concert. Pendant qu’il se fit, les Belles qu’on avoit déjà regalées de trois jours de Feste, firent apporter une Table sur laquelle il y avoit un Ambigu tout dressé. Elles connoissoient l’humeur de Bacchus, & ayant consenty à le recevoir, elles croyoient qu’il y alloit de leur honneur de le faire boire. Toute cette aimable Troupe se mit à table. Les Liqueurs ne luy furent pas épargnées. Ils chanterent tous les verre à la main, & le divertissement de cette journée finit par une harmonie admirable que firent ensemble les Tymbales, les Tambours de Basque, les Fifres, les Violons, les Flutes-douces & les Hautbois. On prépara les Belles à se laisser dire leur Bonne-avanture le lendemain Vendredy, par une Bande d’Egyptiens & d’Egyptiennes, qui devoient venir accompagnez d’un Opérateur. Vous jugez bien, Madame, que ce nouvel équipage fut tres-galant. On ne peut rien imaginer de plus agreable que l’Entrée que firent ces charmants Protées qui s’estoient faits Egyptiens & Egyptiennes. Leur langage n’estoit pas moins divertissant que leur danse qu’ils diversifioient par mille plaisantes postures. Ils demanderent la main aux belles Cloistrées, en examinerent toutes les lignes, & leur firent cent prédictions spirituelles & avantageuses sur le changement de fortune qui leur devoit rendre la liberté. Elles répondirent obligeamment, qu’elles ne se lasseroient jamais de leur prison, si elle devoit souvent leur attirer des Personnes aussi galantes que celles qui prenoient tant de soin d’en adoucir les chagrins. La conversation eust esté plus loin sans de grands éclats de rire que fit l’Assemblée. Ils furent causez par un Opérateur & un Arlequin qui monterent sur le Theatre. Ils estoient habilles tous deux de la maniere du monde la plus grotesque. La Scene qu’ils firent ensemble n’eut rien que de réjoüissant. Elle fut meslée de quantité de tours de Gobelets, de Gibeciere, & de Cartes, qui divertirent fort les Spectateurs. Apres que l’Opérateur eut joüé quelque temps son personnage, il dit qu’il n’estoit pas seulement le Maistre des Opérateurs, mais aussi Intendant des Poudres & des Salpestres, & qu’ainsi il convioit tous ceux qui l’écoutoient, de venir admirer un Feu d’Artifice qui se devoit faire le lendemain au soir pour prendre congé des Belles. Jamais journée ne leur fut plus longue. Elles se mirent aux Fenestres de bonne heure, & virent apprester le Feu, en attendant que la Galante Troupe arrivast. Elle ne vint qu’apres le Soupé, dans l’équipage du premier jour, c’est à dire qu’ils estoient tous habillez en Bergers & en Bergeres. Les bruit d’une douzaine de Boëtes qui furent tirées d’abord, fit connoistre qu’on alloit allumer le Feu d’Artifice. Il estoit composé avec beaucoup d’ordre, & donna un fort grand plaisir à tous ceux qui s’estoient assemblez pour joüir de ce Spectacle. Il finit par un tres-grand nombre de Fusées volantes, qui firent un effet merveilleux en s’élevant, & en se perdant dans l’air. Apres cet agreable divertissement on s’approcha des Fenestres pour donner une Serenade aux deux belles Enfermées. Elle commença par une Chanson Italienne, qu’un Berger & une Bergere chanterent ensemble avec le Thuorbe. Les Violons joüerent en suite les plus beaux Airs de l’Opéra. Si-tost qu’ils eurent cessé, les Belles furent régalées d’une Chansons Françoise par une seule Voix admirable. Elle ne charma pas moins l’Assemblée, que tout le Chœur des Bergers & des Bergeres qui se firent entendre apres elle. À ce Concert succeda celuy des Violons, des Flutes-douces & des Hautbois, qui en répondant au bruit des Tymbales, des Fifres, & des Trompetes, terminerent agreablement les plaisirs de cette journée & toutes les Festes des jours précedens.

[Réjoüissances faites en plusieurs endroits] §

Mercure galant, octobre 1678 [tome 10], p. 112-126.

Voila, Madame, le commencement des fruits de la Paix. La joye qu’elle a répanduë par tout, fait qu’on ne pense plus qu’aux plaisirs. Ma derniere Lettre Extraordinaire du 14. de ce Mois vous a fait connoistre les réjoüissances qui en ont esté faites icy. Je vous ay parlé du Feu d’Artifice qu’on dressa devant l’Hostel de Ville le jour qu’on chanta le Te-Deum. Je vous en ay mesme envoyé le Dessein gravé ; mais quoy que je vous aye marqué de la joye des Peuples, ce que j’apprens tous les jours des témoignages qu’ils en ont donnez, me fait voir que je ne vous en ay parlé qu’imparfaitement. On a allumé des Feux plus d’une fois dans toutes nos Ruës. On les commença dés le jour de la Publication de cette Paix, quoy qu’ils n’eussent point esté ordonnez ; & malgré la rigueur du temps qui n’estoit pas entierement favorable à ces sortes de divertissemens, on ne laissa pas en beaucoup d’endroits d’y passer la plus grande partie de la nuit. Vous jugez bien que les mesmes réjouissances ont esté faites avec beaucoup d’éclat dans toutes les Villes des Etats. On nous apprend qu’elle ont esté extraordinaires ; mais quelques grandes qu’on les ait veuës, elles n’ont pû estre proportionnées à l’excés de la joye des Peuples. Ils ont sujet d’en avoir une tres-sensible d’estre délivrez d’une guerre dont ils soûtenoient presque tout le faix ; ce qu’ils n’ont pû faire sans en avoir esté fort incommodez. Leur commerce estoit interrompu ; & ceux qui le faisoient pour eux depuis fort longtemps, avoient lieu de souhaiter que la Guerre ne finist point. Il semble mesme qu’ils ne leur ayent offert leur secours qu’afin de la faire toûjours durer. Il est naturel de songer à ses interests, mais on n’est pas toûjours assuré de venir à bout de ses entreprises, & depuis bien des Siecles nous n’avons veu que Loüis le Grand toûjours heureux dans toutes les siennes. Mais comment auroit-il pû manquer d’y réüssir, puis que sa justice & sa prudence ont toûjours égalé sa conduite & sa valeur ? Les loüanges qui sont deuës à la bonté de ce Grand Prince, n’ont pas esté oubliées dans les réjoüissances qui ont suivy à la Haye la Publication de la Paix. Une partie des Peuples des Villes voisines y est accouruë pour joindre ses acclamations à celles des Habitans de cette Ville. Ainsi rien ne pouvoit estre plus éclatant. Le bruit du Canon a esté sur tout si continuel, qu’il a fait mal à la teste à plusieurs Personnes qui n’en recevoient aucune incommodité dans le Camp. C’est peut-estre à cause que le bruit qui est renfermé dans une Ville porte un plus grand coup. Quelques Ministres qui résident à la Haye de la part des Princes qui font encor la guerre, auroient bien voulu s’exempter de faire allumer des Feux devant leurs Hostels. Il y en eut mesme qui s’absenterent dans ce dessein ; mais leur précaution fut inutile. Le Peuple voulut voir des Feu par tout ; & ceux qu’ils avoient laissez dans ces Hostels, furent obligez d’en faire, & de contribuer aux témoignages d’une joye que leurs Maistres ne sentoient pas. On ne peut rien ajoûter à ce que fit Mr le Comte d’Avaux dans ce rencontre. Il traita une partie des Etats. Il fit couler plusieurs Fontaines de Vin devant son Hostel, & les libéralitez qu’il fit au Peuple égalerent ses autres magnificences. J’espere vous envoyer un détail de tout ce que fit cet Ambassadeur pendant ce jour pour la gloire de son Maistre. Je vous ay déja entretenuë de quelques Festes galantes qu’il a données à Nimegue, & vous m’en avez paru si satisfaite, que j’ay lieu de croire que vous ne le serez pas moins de celle-cy. Cependant auriez-vous crû qu’avant que la Paix eust esté signée avec l’Espagne, on eust fait aussi des Feux de joye à Madrid ? Je vous en voy chercher le sujet. Vous aurez de a peine à le trouver, & vous en auriez encor davantage à croire qu’en vous l’apprenant je vous apprisse une verité, si je ne vous assurois que la Gazete de Bruxelles en a fait un de ses Articles. Je vous ay donné dans ma Lettre du dernier Mois une fort ample Relation de ce qui se passa le 14. d’Aoust entre l’Armée que commande Mr le Duc de Luxembourg, & celle des Alliez. Ils firent leurs derniers efforts pour secourir Mons, & ne pûrent executer leur dessein. C’est pour cela qu’on a chanté le Te-Deum en Espagne. Ce dehors ébloüit les Peuples. On a crû par là leur persuader que Mons avoit esté secouru. Comme nous n’estions pas encor en paix avec les Espagnols, nous n’avons pas sujet de nous en plaindre. Ils ont leur Politique dont ils se sont toûjours assez bien trouvez. Leurs Peuples sont de croyance facile, & on leur fait recevoir sans peine ce qu’on publie à leur avantage quand il s’est passé loin d’eux. Cette Nation, quoy que naturellement galante , spirituelle & politique, estant celle de toute l’Europe qui aime le moins voyager, sçait rarement l’état des Affaires au dehors, & la bonne opinion qu’elle a d’elle-mesme luy fait aisément croire ce qui la flate. C’est par là qu’on a souvent debité en Espagne des Relations de prises de Places par les Espagnols, & de levées de Sieges par nos Armées, quoy qu’ils n’eussent jamais attaqué ces Places, & que nous nous fussions rendus maistres de celles dont ils prétendoient nous avoir chassez. Ces Relations ont esté quelquefois accompagnées de circonstances si fortes, & de tant d’apparences de verité, que des François qui estoient dans le Païs s’y sont eux-mesmes laissez tromper, malgré toutes les lumieres qui leur faisoient voir que selon l’état des Affaires présentes qu’ils sçavoient, il estoit impossible que les choses eussent tourné de la maniere qu’on le publioit. Les Espagnols ne sont point à blâmer d’avoir recours à l’adresse, pour maintenir leurs Etats tranquilles. Ils servent les Peuples mesmes, en ce qu’ils ne leur donnent point le chagrin d’estre instruits d’un mal dont la connoissance en attireroit peut-estre de plus grands dans le cœur de leur Païs. La Paix que le Roy leur donne va mettre leur Politique en repos. Elle a esté publiée dans une Saison de joye, celle des Vendanges estant pour beaucoup de Gens une des plus agreables de toute l’année.

Air nouveau §

Mercure galant, octobre 1678 [tome 10], p. 126-128.

C’est là-dessusII qu’on a fait les Vers que vous allez voir. Ils ont esté mis en Air par Mr du Parc.

AIR NOUVEAU.Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Qu’on ne me parle plus d’Armes ny de Défaites, doit regarder la page 127.

Qu’on ne me parle plus d’Armes ny de Défaites,
Bacchus seul aujourd’huy doit remplir les Gazetes ;
Depuis que par la Paix les Guerres ont pris fin,
Partout on ne fait rien de nouveau que du Vin.
***
Laissons-la les Courriers de Flandre & d’Allemagne,
Ne recevons que ceux de Beaune & de Champagne.
J’aime tout ce qui vient de ce climat divin,
D’où l’on n’aporte rien de nouveau que du Vin,
***
Puissant Roy des Beuveurs, puis que tout est tranquile,
Et qu’on est en repos aux Champs & dans la Ville,
Pour conserver la Paix, par ton pouvoir divin,
Fay qu’il n’arrive rien de nouveau que du vin.
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[Dissertation sur la Question proposée dans le second Extraordinaire du Mercure] §

Mercure galant, octobre 1678 [tome 10], p. 133-150.

Vous me donnez bien de la joye, en m’apprenant que les agreables Ouvrages que j’ay fait entrer dans ma Lettre Extraordinaire du 14. de ce Mois ont esté de vostre goust. Vous m’avoüerez qu’elle contient des Réponses tres-spirituelles à la Question galante. Je vous ay mandé qu’il m’en estoit resté quelques unes. Il faut satisfaire la curiosité que vous avez de les voir. Celle qui suit est écrite avec méthode. Elle a un tour particulier qui en rend le raisonnement persuasif.

Sur la Question

proposée dans l’Extraordinaire du Quartier d’Avril, page 299. au sujet de la confidence que la Princesse de Cleves fait de sa Passion à son Mary.

À Juger si l’action a deû estre faite, ou non, par les suites qu’elle a euës dans l’affirmative (trouvez bon, Monsieur, que je me serve de ce terme pour abreger) on devroit décider en faveur du party contraire. La mort d’un aussi honneste Homme que le Prince de Cleves, la retraite d’une Personne aussi rare & aussi admirable que la Princesse, sont des évenemens trop funestes pour laisser lieu de douter, que les causes qui peuvent avoir de semblables effets, ne doivent estre soigneusement évitées.

À en juger par rapport à l’esprit de Madame de Cleves, & à son inimitable vertu, elle avoit lieu d’esperer que son Mary recevroit comme une marque de sa fidelité, plutost que de sa foiblesse, la priere qu’elle luy faisoit de souffrir qu’elle s’éloignast de la Cour.

On peut faire deux Parties de la Question, & considérer sur chacune le bien & le mal qui en peut revenir. Voyez si je m’y prens comme il faut.

À se taire 3

Les inconveniens sont

1. Que l’on hazarde par les combats, sa vertu. [ou] son repos.

2. Que l’on fournit à la passion d’un Amant les occasions de s’accroistre & de se rendre de plus en plus agreable.

3. Qu’enfin le commerce s’établissant insensiblement, il peut venir à éclater.

Les avantages seront

1. Vivre bien avec son Mary.

2. Conserver sa réputation de Femme de vertu.

3. Suivre un panchant le plus doux du monde.

4. Ne s’exposer point au hazard du jugement que peut faire un Mary d’une pareille confidence.

À parler

Les inconveniens seront

1. Se mettre mal avec un tres honneste Homme, & bon Mary.

2. Perdre aupres de luy l’estime de Femme de vertu.

3. Exposer un Amant [ou] soy-même à son juste ressentiment.

Les avantages seront

1. Mettre en seûreté une vertu fortement combatuë.

2. Prévenir les suites d’un commerce.

3. Donner à un bon Mary un rare témoignage de fidelité.

Si le dénombrement que je fais icy des Articles à consulter n’est pas assez parfait, & peut recevoir des additions qu’on évite, il faut pourtant que tout se raporte aux Chefs que j’ay marquez. Il ne suffit pas d’envisager distinctement tous ces inconveniens & ces avantages. Il faut encor raisonner sur deux Points qu’on doit également apliquer aux biens & aux maux ; je veux dire qu’il faut décider le plus précisement qu’il se peut,

De quel costé sont les plus grands biens. [ou] les moindres maux4 .

De quel costé se trouve la probabilité des uns & des autres.

Il faut donc par une derniere Reflexion chercher dans chaque party le plus du certain, & de l’infaillible ; car un grand bien, mais fort incertain & de peu de durée, ou qui n’est un bien que par accident, n’est pas tant à rechercher qu’un moindre bien qui sera infaillible, indépendant, & qui ne pourra estre alteré ; & au contraire, on doit éviter un grand mal & de longue durée, quoy qu’incertain, par un mal infaillible qui d’ailleurs seroit de peu de durée, & beaucoup moindre en soy & dans ses suites ; comme on évite, si nous en croyons les Medecins, une maladie par une saignée de précaution.

Il est seur que prenant le party du silence, une Femme s’expose à perdre le plus grand de tous les biens ; puis qu’elle hazarde sa vertu, qu’elle doit préferer à toutes choses. La certitude de cette circonstance est posée par l’état de la Question, qui par là se décide presque d’elle-mesme du costé des inconveniens qu’il y peut avoir à se taire ; car ils sont certains, en grand nombre, les plus grands qu’on se puisse imaginer, & ils seroient sans remede & sans fin pour une Femme de vertu telle que la Princesse de Cleves, qui n’a pû se consoler d’avoir eu seulement la pensée d’y pouvoir tomber, & qui s’en est voulu punir toute sa vie, en refusant d’épouser celuy qu’elle aimoit, quand elle l’a pû.

Les avantages que cette Femme peut esperer de ce dangereux silence, ne sont pas d’une égale certitude, car elle ne peut se répondre qu’en demeurant exposée à voir souvent son Amant, elle se rendra si bien maistresse de sa passion, qu’elle épargnera à son Mary la jalousie qu’elle craint de luy donner en luy faisant confidence de ses sentimens. Ses regards parleront en dépit d’elle. Le Mary s’en appercevra. Il examinera La conduite de sa Femme ; & comme les moindres choses font ombrage a un jaloux, il la jugera criminelle sur de simples complaisances de civilités. Ainsi tous les maux qu’elle voit à craindre en parlant, sont en quelque façon certains pour elle, en ne parlant pas ; puis qu’il est presque impossible que la veuë & la continuation des soins de son Amant, n’augmentent sa passion, & qu’elle n’ait enfin toutes les fâcheuses suites qu’ont la plûpart de celles de cette nature.

Si nous examinons les maux qui peuvent arriver de la confidence, nous n’en trouverons point un plus grand que la jalousie qu’elle peut donner au Mary ; mais cette jalousie n’est point infaillible. Il peut regarder les choses du bon costé, & quand il seroit inévitable qu’il devinst jaloux, la conduite de cette Femme qui n’entretiendra aucun commerce avec son Amant, qui n’entendra jamais parler de luy, & qui laissera insensiblement affoiblir l’amour qu’elle avoit pris malgré elle, luy donnera un si rare témoignage de fidelité & de vertu, qu’il est impossible qu’il ne perde bien-tost les injustes sentimens qu’il aura conceus, & qu’il ne redouble sa tendresse pour une Femme qui l’aura si fortement convaincu qu’elle ne veut vivre que pour luy.

Vous jugez-bien, Monsieur, que l’inconvenient de rendre un Mary jaloux, sans luy donner lieu de l’estre longtemps, estant beaucoup moindre pour une Femme, que celuy de hazarder sa vertu, dont la perte luy est presque infaillible, si elle continue à voir un Amant aimé, on doit conclure sur les Principes que j’ay établis, que cette Femme est obligée à la confidence. À dire vray, il est si difficile qu’on puisse prendre une forte passion pour un Amant, quand on a une parfaite estime pour un Mary, que je suis persuadé que peu de Femmes se rencontreront dans l’embarras où Madame de Cleves s’est trouvée. L’Autheur de son Histoire a eu le champ libre, pour luy donner tous les degrez de vertu qui pouvoient rendre compatibles des sentimens si contraires. Rien ne peut estre ny plus finement, ny plus délicatement traité ; & quoy qu’il nous ait fait une Heroïne, qui ne sera peut-estre jamais imitée de personne, on ne laisse pas de luy estre fort obligé de la charmante peinture qu’il nous en a faite.

Je croy, Madame, que vous serez du party de ceux qui se persuadent que les continuelles occasions de voir le Duc de de Nemours, ne pouvoient estre que fort dangereuses pour la Princesse de Cleves. Quand le cœur a esté une fois atteint, il est difficile de guérir d’une forte passion, si on n’a recours à la fuite. Les ouvrages mesme qu’on reçoit, sont rarement capables de nous donner l’indifférence que nous souhaitons, & on fait cent résolutions de ne plus aimer sans qu’on puisse en exécuter aucune. C’est ce que le Madrigal qui suit nous apprend.

[Madrigal] §

Mercure galant, octobre 1678 [tome 10], p. 151.

Madrigal.

IL est dangereux quand on aime,
De trop s’abandonner à son ressentiment.
On jure en vain de n’estre plus Amant ;
Le Cœur qui n’a jamais pris loy que de luy-mesme,
    S’embarasse peu d’un serment.
    Quoy que la Volonté promette
    Contre un Objet remply d’appas ;
Quoy qu’elle luy prépare une haine indiscrete,
    Ce Cœur souvent n’obeït pas.

[Autre Madrigal] §

Mercure galant, octobre 1678 [tome 10], p. 151-152.

Ces autres Vers vous feront connoistre qu’on n’a jamais regardé la necessité de cesser d’aimer, que comme un fort grand suplice.

Autre Madrigal.

AH, qu’on est malheureux d’avoir eu des desirs,
D’avoir fait de l’Amour ses plus charmans plaisirs,
Quand il faut renoncer à l’ardeur qui nous presse !
On ne peut oublier ce qui nous a charmé.
On ne gouverne pas comme on veut la tendresse.
Heureux qui peut haïr ce qu’il a bien aimé !

[Vers sur un Baiser dérobé] §

Mercure galant, octobre 1678 [tome 10], p. 152-153.

Il faut vous faire voir quelque chose de plus enjoüé.

Sur un Baiser

Derobé.

QUoy, pour vous avoir pris un baiser en secret,
    Vous me traitez de teméraire ?
Aupres de vous j’ay le nom d’indiscret ?
Ah voilà bien dequoy vous tant mettre en colere ?
    La faveur estant si legere,
    Falloit-il me la refuser ?
Ou plutost osez-vous vous plaindre davantage,
    Quand pour la perte d’un baiser
    Mon cœur vous est resté pour gage ?

[Deux Lettres touchant l’origine des Cadrans Solaire] * §

Mercure galant, octobre 1678 [tome 10], p. 153-185.

Je m’imaginois bien, Madame, que sur la lecture de la Lettre qui finit celle que je vous ay envoyée extraordinairement depuis quinze jours, vous me presseriez de vous tenir parole touchant les deux autres que je vous promettois. Il est juste de vous satisfaire. Vous vous souviendrez qu’elles me sont venuës de Lyon. Je ne puis vous dire à qui elles sont adressées ; mais je ne hazarde rien en vous assurant que l’explication de l’Enigme du Cadran qu’elles contiennent, est accompagnée de quantité de Remarques fort curieuses dont vous me sçaurez bon gré de vous avoir fait part.

Lettre I.

A. M. D. R

VOUS estes un étrange Homme. Vous demandez les choses d’une maniere si absoluë, qu’on ne vous peut refuser. Sçavez-vous que pour trop demander, il en couste souvent, & que si je me mets une fois en train de parler, vous n’en serez pas quitte à si bon marché que vous pensez ? Mais baste, si je vous dérobe quelques momens, c’est vostre faute. Il y a deux jours que revenant de chez Madame de T. nous parlâmes vous & moy du Mercure. Je vous dis ma pensée sur l’Enigme de la Statuë de Memnon. Nous eusmes mesme une assez longue conversation, & je croyois en estre quitte pour cela. Vous voulez, cependant, que je vous marque ma pensée dans les formes, & que j’y ajoûte, dites-vous, quelques traits pour l’embellir. On diroit à vous entendre parler, qu’il seroit aussi aisé de trouver de jolies choses, qu’il me l’a esté de deviner que l’Enigme est le Cadran. Pour le premier, il faut de cet Espit que Mademoiselle B. apelloit l’autre jour assez plaisamment de l’Esprit Mercurialisé, & ce n’est pas chez moy qu’on en trouve. Pour l’autre, il ne faut souvent qu’un peu de hazard ; mais soit hazard ou non, je croy avoir rencontré juste. Memnon estoit né dans ces Païs où le Soleil semble se lever. Il estoit de l’extrémité de l’Orient ; c’estoit assez aux Poëtes qui aimoient à couvrir l’Histoire mesme de voiles ingénieux pour dire qu’il estoit Fils de l’Aurore. Il estoit Prince des Ethiopiens & des Egyptiens. Ces deux Peuples estoient joints. Ils avoient les mesmes Dieux, & presque les mesmes Coûtumes. Les Ethiopiens s’estoient rendus maistres de l’Egypte. Ainsi ceux qui le font Ethiopien n’ont pas tort ; mais à parler juste, il estoit Egyptien, & né dans cette fameuses Thebes d’Egypte à cent Portes, qu’on pouvoit apeller une Ville de Miracles. Elle estoit presque toute bastie en l’air. Je vous en pourrois mander cent jolies choses, mais elles ne sont pas de mon sujet. Il me semble que c’est avec assez de raison qu’on a cherché l’Emblême du Cadran chez les Autheurs de l’Astrologie & des Mathematiques, & dans le Parentage de l’Aurore & du Soleil. On voit cette Statuë de Memnon à Thebes dans le fameux Temple de Serapis. Elle estoit de Marbre noir, tournée du costé du Soleil levant, & representoit un jeune Homme qui sembloit vouloir se lever. L’Autheur de l’Enigme en Figure ne nous l’a pas representée dans un Temple, mais dans une espece de Jardin, aparemment pour garder davantage la justesse de l’Enigme. J’avoüe que cette situation n’a pas peu contribué à me la faire deviner. Ce lieu champestre, ces Arbres, & ces fleurs, ne marquent pas mal que c’est d’ordinaire à la Campagne & dans les Jardins qu’on éleve & qu’on trouve les Cadrans. Vous sçavez qu’elle est leur utilité dans ces lieux aimables, où l’on vit d’une maniere si douce, & si innocente ; où l’on respire l’air tout pur ; où le soleil luy-mesme dispense tous les biens ; & où l’on ne connoist d’heures & de saisons que celles que marque ou sa lumiere, ou son ombre. Là ces Cadrans rendent des réponses plus seûres que celles des anciens Oracles. On les va consulter en foule. C’est ce que representent ces Gens qui sont autour de la Statuë. Tous les Oracles anciens avoient leur nuit. Je veux dire qu’ils ne parloient pas toûjours. Les Dieux se plaisoient souvent à se taire. Nul Oracle n’eut pourtant jamais une destinée si changeante que la Statuë de Memnon. Le Soleil sembloit luy donner la vie. La Nuit la condamnoit au silence ; les Cadrans ne parlent plus dés que le Soleil cesse de les éclairer. Autrefois ils estoient aussi fréquens dans les Villes qu’ils le sont presentement dans nos Jardins. C’estoit l’ornement des grandes Places. Le premier que l’on ait fait, au moins en Europe, fut dressé dans la Place publique de Lacedémone. Athenes & Rome n’en manquoient pas. On doit le premier qui fut dressé dans cette derniere Ville, au Consul Messala, ou à Papirius Cursor. On l’éleva en public proche de la Tribune aux Harangues. C’estoit où s’alloient promener les Gens de loisir. La Colomne où il estoit dressé me fait songer au Piedestal sur lequel est posée la Statuë de Memnon. Ne trouvez-vous pas que cela s’accorde extrémement bien ? Vous savez qu’on a encor cette coûtume de les élever sur quelque Base. Avant que les Romains eussent ce Cadran qui fut construit environ le temps de la premiere Guerre de Carthage, ils estoient furieusement ignorans dans la division du jour. Ils en sçavoient moins que nos plus grossiers Païsans. Ils ne connoissoient que le soir & le matin ; & ils crûrent leur science fort augmentée quand on y joignit le midy. Un Crieur public se tenoit au guet dans le lieu où l’on assembloit le Senat, & dés qu’il apercevoit le Soleil entre la Tribune aux Harangues, & le lieu qu’ils apelloient Station des Grecs, où s’arrestoient les Ambassadeurs qu’on envoyait au senat ; lors, dis-je, que le Soleil estoit là, il s’écrioit à haute voix qu’il estoit midy. Revenons à nostre Enigme. Prenez garde à toute la posture du corps de la Statuë, & vous verrez qu’elle ne vient pas mal à un Cadran au Soleil. Cette main avancée semble dépeindre assez naturellement l’Ombre. Cette teste a assez de l’air de l’aiguille, ou du style de Cadran que les Anciens appelloient Gnomon. Au reste leurs Cadrans n’estoient pas tout à fait comme les nostres. C’estoient des especes de Coquilles ou des Plats-creux faits en façon de demy cercles, marquez de lignes également distantes, avec une espece de baston au milieu. Vous pouvez en avoir veu de cette façon. Ce Globe qu’on a mis sous le pied de la Statuë n’est pas sans dessein. Vous avez pû remarquer qu’on en grave quelquefois la figure proche de ces Cadrans, & on a coûtume de les joindre, aparemment parce que qui que ce soit qui les ait inventez, on donne presque toûjours le mesme Autheur au Globe & à l’Horloge Solaire. Il me vient quelque chose en pensée sur la Statuë de Memnon que je pourray vous mander une autre fois. En voila plus qu’il n’en faut pour aujourd’huy.

Lettre II.

Quelques adoucissemens que le Mercure y donne, la gloire d’estre Autheur n’est pas sans poids. Il faut avoir les épaules bien fortes pour la porter. N’y pensons point, Monsieur. Joüissons sans peine du travail des autres. Vous attendez aussi-bien que moy avec une extréme impatience, ce qu’on nous promet sur les Enigmes en figure dans l’Extraordinaire du Mois d’Octobre. Que nous y aprendrons de jolies choses ! On n’écrit rien à present qui ne soit extrêmement rafiné. Ces Enigmes valent bien la peine qu’on travaille pour nous en découvrir l’origine. Ce n’est pas la moindre invention du Mercure. Je trouve qu’elle vaut presque celle des Hierogliphes des Egyptiens. Qu’on apercevoit chez ces Peuples de belle veritez pour peu qu’on fust initié dans leurs misteres ! Nous n’y connoissons presque plus rien, parce qu’on n’a pas continué à se servir de ces Nuances & de ces Ombres pour embellir la verité. Les Siecles suivans ont perdu la connoissance de leurs secrets. Ne vous en étonnez pas. Si nous faisions presentement un Volume d’Enigmes en Figure, sans en mettre l’explication, nostre Posterité travailleroit longtemps avant que de la trouver. Vous voyez mesme qu’à present peu de Gens percent le nüage. Quand je dis que nos Enigmes en Figure valent presque les Hierogliphes, je ne veux pas dire qu’ils soient absolument la mesme chose. Les nostres marquent par une Fable, ou par une autre action complete, une seule chose, ou une seule idée de nostre Esprit. Les leurs envelopoient souvent plusieurs mysteres sous un mesme voile. Un seul coup de crayon traçoit differentes choses. Tout leur estoit bon ; un Arbre, un Fleuve, un Animal. Nos Enigmes sont plus composez. Les peintures en sont moins serrées, il y a plus de perspectives & d’éloignemens. Les Egyptiens faisoient des leurs une chose fort serieuse. C’estoit presque leur maniere d’écrire, de parler, de faire connoistre leur pensée. Ils s’en servoient mesme pour les choses saintes. Nous n’en faisons qu’un jeu, de quelques momens que nous ne pousserons pas jusqu’à nos mysteres. Cependant je ne laisse pas d’y trouver du raport. Ces Peuples s’en sont servis quelquefois par divertissement ; & comme ils en empruntoient de tout, ils n’ont pas laissé d’en avoir d’aussi étenduës que les nostres ; surquoy je remarque en passant, que quelques Gens ont définy les Hierogliphes, en disant que c’estoient des Emblêmes des choses sacrêes. L’origine du Mot qui est Grec, les avoit aparemment trompez ; & il ne seroit pas difficile de faire voir que les Egyptiens ne couvroient peut-estre guére moins de ces rideaux, les choses naturelles ou artificielles, que les mysteres de leur Religion. Sans allez chercher ailleurs, prenons-en l’éxemple dans la Statuë de Memnon. Il m’est venu en pensée que ce pouvoir estre un Hierogliphe. Vous n’en croyriez peut-estre rien ; aussi ne voudrois-je pas vous répondre corps pour corps de la verité de ce que je dis. Il suffit d’y voir de la vraysemblance. Les Egyptiens ne faisoient presque rien sans mystere. Leurs Ceremonies, leurs façons d’agir, leurs Statuës, marquoient presque toûjours quelque chose de caché. Je soupçonne que la Statuë de Memnon estoit de ce nombre, & peut-estre ne devineroit-on pas mal de penser qu’elle representoit l’Horloge Solaire mesme. Vous direz qu’elle n’avoit pas cette invention du temps qu’on la dressa, & qu’Anaximandre en fut l’Inventeur : mais ne souvenez vous point de ce que nous avons dit quelque fois de la vanité de tous les Peuples à se vouloir attribuer la découverte des choses ; sur tout de l’adresse des Grecs à se faire Autheurs de ce dont souvent ils ne sont que les Copistes ? Par éxemple, si vous en voulez croire le mesme Laërce, qui nous dit qu’Anaximandre est l’Inventeur du Cadran, le sage Thalés aura le premier divisé l’Année en douze Mois, & en trois cens soixante & cinq jours. Cependant Josephe attribuë cette division aux Hebreux avant le Deluge, & les plus fidelles Ecrivains prophanes la donnent constamment aux Egyptiens. Thalés n’a donc esté l’Autheur de cette distinction que dans l’Europe tout au plus, & je croy la mesme chose de son Compatriote Anaximandre pour l’Horloge. Vous dire que j’ay pour moy la diversité des Autheurs qui ne s’accordent pas à luy attribuer la découverte des choses, & le silence de Vitruve, qui dans une énumeration assez exacte des Autheurs des Horloges ne parle point du Milesien ; que j’ay mesme leu en quelque lieu que le Cadran de Lacedémone qu’il construisit, avoit esté formé à l’imitation de ceux des Babiloniens, ce seroit trop dans une Lettre qui ne doit pas estre si sçavante. Il vaut quelquefois mieux relâcher de ses droits, & ne convaincre pas les Gens, que de les étourdir en affectant trop d’érudition. Croyez-m’en donc sur ma bonne foy. Vous pancherez peut-estre aussi-bien que moy, à croire que ces Philosophes de Milet avoient puisé leurs connoissances dans l’Egypte, lors que vous sçaurez que les Milesiens ont esté fameux sur Mer ; qu’ils avoients basty pres de quatre-vingts Villes sur divers Costes, une entre-autres, nommée Naucrate, dans l’Egypte, & qu’ils alloient tous les jours dans ce Païs pour le Commerce. Je pourrois vous parlez icy de toutes les découvertes que les Egyptiens ont faites dans l’Astronomie, & dans les Mathematiques ; vous dire qu’ils ont les premiers divisé les jours en heures ; que le Mot d’heure est Egyptien, & qu’il vient de celui d’Horus, qui signifie dans leur langue le Soleil ; Qu’ils sont les Inventeurs des Horloges d’Eau, qui semblent avoir esté plus difficiles à trouver que le Cadran ; qu’ainsi il y a quelque apparence qu’on leur doit aussi ce dernier. Mais pour trancher court, quelqu’un avant moy l’a donné formellement à leur Hermés Trismegiste. C’est ce mesme Hermés qui divisa, dit-on, le jour en douze heures, & la maniere dont il trouva cette division est assez plaisante pour meriter que je vous la conte. Il prit garde qu’un certain Animal consacré à leur Dieu Serapis, urinoit douze fois par jour à distance égale. Il trouva cette division commode, & prit de là occasion de partager le jour en autant de differens espaces. Voilà une belle raison pour un aussi grand Philosophe qu’on nous dépeint celuy-là ! Les Egyptiens ne nous auroient-ils point icy, selon leur coûtume, caché quelque verité sous ce voile ? Perçons un peu le nüage. Le Dieu Serapis est le Soleil ; l’Animal est l’Hierogliphe de l’Horloge ; & la verité cachée est que ce grand Mathematicien trouva la proportion des Ombres ; marqua sur le Cadran douze lignes, & trouva cette division commode du jour en douze parties. Ce n’est pas la premiere fois que les Egyptiens se sont servis d’un Animal pour figurer les Horloges. Ils employoient le mesme, & dans la mesme posture, pour representer les Clepsidres ou Horloges d’Eau, dont Ctefibius d’Alexandrie fut Inventeur. Si cela ne vous suffit pas, faites encor réflexion sur cecy. La Statuë de Memnon estoit dans le Temple de Serapis, c’est à dire, du Soleil. Vous sçavez la coûtume des Anciens, de mettre dans les Temples des Dieux la figure de ce qui leur appartenoit, de leurs offices, de leur suite. Le galant Ovide dans la belle description qu’il nous a donnée du Palais du Soleil chez les Ethiopiens, n’a pas manqué d’y placer les jours, les mois, les années, les siecles, & les heures, posées à distances égales. Le Temple de Serapis ne manquoit pas de belles Figures de toutes ces choses, & les Habitans de la Ville de Thebes, qui estoient les Autheurs de la division de l’Année en douze Mois, & de quantité de découvertes de l’Astronomie, n’avoient garde d’oublier d’y mettre des memoriaux de leurs Inventions. Vous tirerez aisément la conclusion que la Statuë de Memnon y estoit aussi tres à propos, pour marquer le Cadran, auquel elle se raportoit si juste.

J’attends vos sentimens sur ces Lettres. Je ne doute point qu’il ne soient conformes à ceux de quantité de Personnes tres-spirituelles qui les ont leuës plus d’une fois, & qui ont toûjours trouvé de justes sujets de les admirer.

Air nouveau §

Mercure galant, octobre 1678 [tome 10], p. 224-225.

L’Air nouveau que vous allez voir, est de la composition d’un excellent Musicien de la Cathedrale de Montpellier. Les Paroles sont de Mr Laussel, Avocat en la Cour des Aydes de la mesme Ville. Son mérite & son génie aisé & naturel pour la Poësie, sont connus de tout ce qu’il y a de Gens d’esprit dans la Province. Il a donné des marques du sien par plusieurs Ouvrages, dont il a fait part au Public.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Si pour avoir veu seulement, doit regarder la page 225.
Si pour avoir veu seulement
Le Portrait d’un Objet aimable ;
Mon cœur soûpire à tout moment
Du cruel tourment qui l’accable ;
Jugez, Iris, par tant de mal,
Si je dois estre miserable,
Quand j’auray veu l’Original.
images/1678-10_224.JPG

[L’Amant Batelier, Histoire] §

Mercure galant, octobre 1678 [tome 10], p. 225-253.

La pensée de cette Chanson5 peut n’estre qu’une imagination du Poëte ; mais ce que je vous vay apprendre vous fera connoistre qu’une belle Copie fait quelquefois de fortes impressions, quand on sçait que l’Original est effectif, Un Gentilhomme de Province étably depuis longtemps à la Cour, y avoit acquis tout ce que le commerce du beau monde peut donner de merite à une Personne qui ne néglige rien pour en profiter. Son Pere mort depuis fort longtemps, luy avoit laissé avec un autre Gentilhomme de ses voisins, un de ces sortes de Procés qui semblent estre immortels dans les Familles. Quoy que ses prétentions fussent plus justes que celles de sa Partie, les plaisirs de la Cour, & l’aversion naturelle qu’il avoit pour la chicane, l’obligeoient à se reposer sur un Procureur des poursuites de son Affaire. Le Procureur qui n’estoit pas fâché de la voir durer, faisoit ces poursuites assez lentement, & avoit mesme veu mourir le Gentilhomme contre qui le Procés estoit intenté, sans en tirer aucun avantage. Cependant le Cavalier qui s’inquiétoit peu du retardement de ses diligences, menoit toûjours une vie fort douce. Il estoit de toutes les Parties agreables, & il y avoit peu de Belles à qui il n’eust conté des douceurs, sans que son cœur se fust encor attaché. Il y a un moment fatal pour tout le monde. Le sien arriva. Il luy prit un jour envie d’aller voir des Tableaux chez un fameux Peintre. C’estoit son charme. Il en vit plusieurs qui luy plûrent fort, & il fut particulierement touché d’une Diane habillée en Chasseresse. Il sembloit que l’idée du Peintre se fust épuisée à ramasser dans un seul visage toutes les beautez qui peuvent le rendre parfait. Il n’avoit jamais rien veu de plus animé. Tout parloit dans cette merveilleuse Diane. Le Cavalier l’admira, & la regardant comme un Tableau qui avoit esté fait à plaisir, il demanda au Peintre à quel prix il consentiroit à s’en défaire. Jugez de sa surprise quand le Peintre luy eut dit que c’estoit un Portrait fait d’apres nature, dont il n’avoit pas le pouvoir de disposer. Vous croyez bien qu’il ne manqua pas de demander s’il estoit possible que l’Original approchast de tant de beautez. On luy répondit que s’il avoit veu l’aimable Personne que representoit cette peinture, il avoüeroit que la régularité & la délicatesse de ses traits estoient au dessus de toute l’adresse du Pinceau. On adjousta qu’elle estoit de Province, & Fille d’une Dame veuve que quelques affaires avoient amenée depuis un mois à Paris. Le Cavalier acheta quelques Tableaux, & sortit sans s’informer de rien davantage. Les choses n’auroient pas esté plus loin, si (comme je l’ay déja dit) l’instant fatal qui semble estre marqué pour tout le monde, n’eust esté venu pour luy. Il resva à cette belle Personne ; & comme il n’avoit jamais rien veu de si parfait qu’elle, il y resva si puissamment pendant quelques jours, qu’il ne pût resister à l’impatience ardeur de la voir. Il retourna chez le Peintre, demanda son nom, & eut un nouveau sujet de surprise quand ce nom luy fit connoistre qu’elle estoit Fille de son Ennemy. Les grands Procés rendent ordinairement les Parties irréconciliables, & celuy dont il s’agissoit estoit assez d’importance pour avoir divisé depuis longtemps la Famille du Cavalier, & celle de l’aimable Personne dont je vous parle. Sa Mere qui l’avoit amenée exprés avec elle, attendoit de sa beauté de fortes sollicitations aupres de ses Juges, & sur cette confiance elle s’estoit résoluë à sortir d’affaires. Le Cavalier se trouva fort embarassé. Dans l’état où estoient les choses, il n’y avoit pas lieu de chercher à rendre visite à la Mere, sans vouloir parler d’accommodement. La justice qui estoit de son costé, ne soufroit pas qu’il fist une si desavantageuse démarche. La voir par rencontre, ce n’estoit rien faire pour luy. Son nom qu’il luy auroit esté facile d’apprendre, luy auroit peut-estre fait quitter la place, & il eust esté bien-aise de ne se pas faire connoistre d’abord comme Ennemy. Apres mille pensées diférentes, rien ne luy parut plus à propos qu’un déguisement qu’il se résolut de hazarder. Les chaleurs ont esté excessives l’Eté dernier, & chacun sçait combien elles ont rendu les Bains fréquens. Le Cavalier qui s’informe avec soin de la Belle, apprend qu’elle les alloit prendre tous les jours dans la Riviere avec sa Mere, & quelques Amies. L’argent qu’il donne à un de ces rustiques Bateliers qui ont des Tentes commodes pour cette sorte de Bains, l’oblige à l’associer avec luy. Il prend l’habit d’un Bonhomme qu’il paye largement, & n’attend pas longtemps dans cet équipage sans voir arriver la Belle. Il la portoit peinte dans son cœur, & quand il n’en auroit pas veu le Portrait, c’estoit une beauté si achevée, qu’il eust esté difficile qu’il s’y fust mépris. Il la voit, il en est charmé. Elle mesle dans une conversation qui se fait dans le Bateau, & tout ce qu’il luy entend dire luy paroist si spirituel & si fin, que de son Ennemy involontaire, il devient son plus passionné Adorateur. Il la baigne une seconde fois, & elle se trouve régalée lors qu’elle s’y attend le moins. Elle est à peine dans l’eau, qu’une agreable Symphonie de Violons, & de Hautbois se fait entendre. Elle sort du Bain, & voit dans le Bateau une magnifique Collation, où les Fruits, les Confitures, & les Liqueurs sont en abondance. La Fleur d’Orange est semée par tout, & il ne se peut rien de plus propre. C’estoit un Bateau tout preparé, dont le Cavalier avoit fait faire l’échange avec celuy que son faux habit luy permettoit de conduire. Il ne luy avoit pas esté difficile d’en venir à bout pendant que les Dames estoient dans l’eau. Elles se regardent, admirent la magnificence du Régal, loüent à l’envy la galanterie de celuy qui le donne, sans s’imaginer en estre entenduës, & luy demandent à luy-mesme à qui elles doivent une Feste si bien ordonnée. Il affecte de répondre grossierement, parle peu pour ne pas faire remarquer qu’il sçait un autre langage ; & sur ce qu’il assure qu’il ne connoist point les Gens qui ont fait mettre la Collation dans son Bateau, il entend qu’on en fait honneur à un jeune Marquis qui rendoit des soins à la Belle. Ce Marquis qui joüoit chez elle quelquefois, y va le soir mesme. On luy parle du Régal. Il en est surpris, & plus on luy dit que ce qu’il a fait passe le galant, moins il comprend ce qu’on luy veut dire. Son ingenuité à se defendre fort serieusement d’une chose qui ne luy pouvoit estre qu’avantageuse, persuade qu’il n’y a aucune part. Embarras nouveau pour les Dames. Elles retournent au Bain. Autre Feste aussi galante que la premiere. Le faux Batelier toûjours plus charmé, n’oublie rien pour prevenir favorablement la Belle, sur la connoissance qu’il luy doit donner de ce qu’il est. Il s’entend loüer sans qu’on sçache que c’est luy qu’on loüe ; & apres cinq ou six jours de Feste, on le presse si fortement pour l’obliger d’en nommer l’Autheur, qu’enfin il s’engage à le mener le lendemain chez la Dame, si on veut bien consentir à le recevoir. Les Dames assurent toutes qu’on le verra avec joye, & sur quelques autres questions, elles commencent à s’appercevoir que le Batelier a trop d’esprit pour n’estre pas autre chose que ce qu’il paroist. Jugez de l’impatience de voir arriver l’heure où elles doivent estre éclaircies de tout. Elles félicitent la Belle de l’Amant que ses charmes luy ont donné, & ne peuvent que le croire tres-digne d’elle, apres une si longue suite de galanteries. Le lendemain le Cavalier prend un habit des plus magnifiques, instruit ses Gens de ce qu’ils doivent répondre à tout ce qu’on leur pourra demander, & avec cet air qui semble estre particuler aux Gens de Cour, il va chez la Dame où la Belle ne l’attendoit pas moins impatiemment que ses Amies. Il avoit esté trop examiné la derniere fois pour n’estre pas reconnu d’abord pour le Batelier. On s’écrie sur cette métamorphose. Il en fait le sujet de son compliment, & dit des choses si pleines d’esprit à la Belle, qu’elle commence dés ce moment à s’applaudir de cette conqueste. La Dame le prie de ne luy pas cacher plus longtemps à qui elle parle. La crainte d’avoir part à l’inimitié que leur Procés à mise entre leurs Familles, luy fait emprunter le nom d’un de ses particuliers Amis, de mesme Province que luy, & dont la Maison estoit connuë à la Dame. Ils estoient venus tous deux à la Cour dans le mesme temps, & elle ne pouvoit connoistre le visage de l’un ny de l’autre. Il est tres-favorablement reçeu sous ce nom. Il continuë ses visites. Plus il voit, plus il devient amoureux. Il s’explique. On l’écoute. Les propositions de Mariage plaisent pas moins à la Dame qu’à la Belle, mais on voudroit estre sans procés avant que d’en venir à l’effet. Il ne déguise point qu’il est tres particulier Amy du Cavalier qui plaide contre elles, & fait aller le pouvoir qu’il a sur luy, jusqu’à se répondre de le faire entrer dans un accommodement raisonnable. Mais comme cet accommodement ne pourra se faire sans se voir, il feint de craindre que son Amy ne devienne amoureux de sa Maistresse, & qu’estant beaucoup plus riche que luy, ne consente à le rendre heureux s’il demande à l’épouser. Il ajoûte qu’il a un pressentiment secret que la chose arrivera, & qu’il a sçeu que sur ce qu’on a dit à cet Amy du merite de sa Personne, il avoit déjà beaucoup d’estime pour elle. La Belle se fâche du tord qu’il luy fait en jugeant d’elle si peu favorablement ; luy proteste que puis que sa Mere luy permet de l’aimer, il n’y a aucune fortune capable de luy faire changer de sentiment ; & pour luy mettre l’esprit en repos, elle l’assure qu’elle ne verra point le Cavalier. Il répond à cette aimable Personne qu’il ne voudroit pas avoir à se reprocher d’estre cause de l’éternelle division de deux Familles ; & comme il ne doute point que le plaisir de la voir, ne soit un des plus pressans motifs qui porteront son Amy à vouloir entendre parler d’accommodement, il la prie de n’y mette point d’obstacle par la résolution qu’elle semble prendre de se cacher. Quelques jours se passent à dire à la Dame qu’il avoit commencé l’affaire, qu’il croyoit en venir à bout, & qu’il trembloit toûjours que cette négociation ne le rendist malheureux. Le plaisir d’entendre tous les jours sa belle Maistresse luy faire de nouvelles protestations de fidelité, le met dans des ravissemens inexprimables. Enfin il dit à la Mere qu’il a fait consentir sa Partie à venir traiter avec elle de bonne-foy. Le jour est pris pour cela. Il avertit son Amy qu’il avoit déjà informé de toute l’intrigue, & l’engage à venir faire le personnage de Plaideur interessé sous son nom, comme il avoit joüé jusque-là le rôle d’Amant sous le sien. Ils viennent ensemble. On parle d’accord. Quelques difficultez se forment ; & comme tout ce qu’on propose pour les résoudre n’accommode point le faux Plaideur, il déclare à la Mere que ce n’est qu’en épousant sa Fille qu’il peut renoncer avec honneur à ses droits. On répond qu’il s’agit de terminer un Procés, & non pas de conclure un Mariage. Il fait voir que l’inimitié des deux Familles a esté si loin, qu’il n’y a que ce seul moyen de prévenir les malheurs qu’elle peut causer. La Mere qui goûte les avantages de cette union, n’apporte que de faibles raisons pour la combatre. Le Cavalier fait paroistre sur son visage un entier accablement de douleur. Il dit qu’il l’avoit toûjours bien préveu, & feint de vouloir sortir pour n’entendre pas prononcer l’Arrest de sa mort. La Belle l’arreste. Ses regards qui luy marquent la constance de son amour, luy reprochent en mesme-temps le peu qu’il en a pour elle. Un Homme atteint d’une forte passion ne doit jamais ceder ce qu’il aime à son Rival, & c’est estre genereux à contretemps que de s’en montrer capable. Vous pouvez juger, Madame, combien ces reproches devoient estre doux au Cavalier. Il en auroit joüy plus longtemps, sans l’arrivée d’un Gentilhomme, fort proche Parent de la Dame. Il connoissoit les deux prétendus Rivaux, & il ne parla pas longtemps, sans tirer la Mere & la Fille de l’erreur où elles estoient. Tout fut éclaircy. On ne pût sçavoir mauvais gré au Cavalier d’avoir paru genereux, puis que c’estoit agir pour luy-mesme. La belle gronda de la peine où il l’avoit mise, & il l’appaisa en luy demandant s’il avoit eu tort de s’en rapporter au pressentiment qui luy avoit fait croire, qu’elle se résoudroit à faire un Heureux de celuy qui avoit passé jusque-là pour son Ennemy.

[Nouvelle Traduction d’Horace] §

Mercure galant, octobre 1678 [tome 10], p. 263-266.

Je vous apprens, à vous qui estes sçavante, & qui avez souvent plaint vos Amies de ce qu’Horace n’avoit point travaillé pour elles, que vous les pouvez inviter à la lecture des charmantes Poësies de cet Auteur, dont on a fait une nouvelle Traduction depuis quelques jours. On la trouve chez le Sr Coignard, ruë S. Jacques à la Bible d’or. Elle a les graces de l’élegance, & rend le sens du Texte avec une tres grande fidelité. Ce sont les deux principaux caracteres d’une bonne Traduction. Celle-cy est de Mr de Martignac. Outre le secours que les Gens de Lettres en pourront tirer par les sçavantes Remarques qu’il a mises au bas des pages, pour l’intelligence de tout ce qu’il y a d’endroits difficiles, les Dames ne sçauroient qu’attendre un fort grand plaisir de cette lecture, puis qu’Horace à toûjours passé pour le plus galant Poëte de la Vieille Rome, & que ses Ouvrages s’accommodent aux inclinations de tout le monde, par l’agreable varieté des belles choses qu’ils contiennent. Ils sont pour les Gens de Cour & de Guerre ; pour les Amans & les Solitaires ; & sur tout ceux qui font leur souverain bien de mener une vie tranquille, y trouveront des préceptes commodes pour la passer dans un plein repos.

[Avanture causée par la Question proposée dans le second Extraordinaire du Mercure] §

Mercure galant, octobre 1678 [tome 10], p. 316-326.

Je ne resiste point aux loüanges que vous donnez à la derniere6 que vous avez reçeuë de moy. Elle est remplie de tant d’agreables Ouvrages ausquels je n’ay point de part, que je croy pouvoir consentir au bien que vous m’en dites, sans me faire accuser de vanité. Les Fictions sur l’origine des Mouches, & les Réponses sur la confidence de Madame de Cleves, ont esté les deux matieres sur lesquelles on s’est particulierement exercé. Je ne me suis point étonné que la derniere ait tant fait écrire. Depuis la Princesse de Montpensier, nous n’avions eu aucun Livre de galanterie qui eust fait tant de bruit que la Princesse de Cleves, & il n’y a jamais eu un trait si nouveau que l’aveu qu’elle fait à son Mary de l’amour que luy a fait prendre le Duc de Nemours. Ce que je vous ay déjà envoyé sur ce sujet, vous fait connoitre ce que le Public en a pensé, chaque Piece diferente n’estant pas l’avis seul de celuy qui l’a composée, mais de plusieurs Societez assemblées pour s’expliquer sur une Question si délicate. Quoy que les raisons de ceux qu’elle a partagez doivent vous avoir déterminée à prendre party, je ne laisseray pas d’ajoûter à ce que vous avez déjà veu, une nouvelle contrarieté d’opinions à laquelle cette Question a donné lieu. La chose est arrivée en Province, & si je ne me trompe, en Bassigny. Voicy ce que c’est. Une jeune & fort aimable Personne qui avoit l’esprit vif, & qui faisoit des Vers si facilement, que les Impromptu ne luy coustoient rien, estoit sur le point d’estre mariée à un Homme qui ne se piquoit en aucune sorte d’avoir le mesme talent. Il estoit plus âgé & plus riche qu’elle, bon Homme, mais de ces Hommes francs & sans façon, qui disent nettement leurs pensées, & qui en seroient quelquefois blâmez, si leur franchise ne leur servoit pas d’excuse. Le jour ayant esté pris pour la Signature des Articles, la plus grande partie des Parens s’estoit déja renduë chez la Belle, quand un Homme de la Compagnie reçeut un Paquet qu’on luy envoyoit de Paris. C’estoit le second Extraordinaire du Mercure. On s’empressa pour le voir. On le parcourut, & on tomba presque aussitost sur la Question proposée touchant la declaration que la Princesse de Cleves fait à son Mary. Grande contestation d’abord. Les uns examinerent la Question par les regles du raisonnement. Les autres en jugerent selon leur goust, & enfin on consulta là-dessus les deux Amans. Ils se trouverent de sentimens oposez, & les appuyerent si fortement, que chacun d’eux crût en son particulier que l’autre avoit quelques puissantes raisons qu’il n’expliquoit pas pour prendre le party qu’il tenoit. Cette pensée les chagrina, & leur fit tirer des conséquences de leur humeur. Ils craignirent de n’estre pas si unis par le Mariage, que la défiance ne regnast d’un costé, & la coqueterie de l’autre. Le party de l’Amante qui ne pouvoit consentir à la déclaration, fut soûtenu par un jeune Abbé à qui peut-estre la Belle n’estoit pas indiférente. L’Amant n’en fut pas content, & voulut établir certaines Maximes qui firent dire à quelqu’un de la Compagnie qu’Arnolphe de l’Ecole des Femmes auroit bien fait son profit de cette conversation pour les salutaires avis qu’il donne a Agnés. On dit quelque chose de fort plaisant sur ces Maximes qu’un autre tourna sur le champ en Vers par l’Inpromptu que vous allez voir.

    Dangereuse est la politique
    D’un cœur qui sentant à regret
    Les traits d’un amour tyrannique,
    Embrasse un procedé discret ;
    La marque d’une ame pudique,
    C’est d’en réveler le secret.
    Quand on ne songe point au mal,
    En vain cache-t-on le mistere,
On peut confier tout à l’amour conjugal,
La confidence alors loin d’estre temeraire,
À l’honneur d’une Femme est aussi salutaire,
    Que le secret seroit fatal.

L’établissement de ces Maximes que flatoient l’Amant, fit entrer la Belle dans de sérieuses reflexions. Elle resva, & comme on luy en fit la guerre, elle dit qu’elle faisoit des Vers à son tour, & que c’estoit un Mestier qui demandoit de la resverie. On la crût, parce qu’elle avoit un talent aisé pour la Poësie. On la pressa de dire ses Vers, & apres s’estre fait prier, pour voir le temps de songer veritablement à en faire, elle dit le Quadrain qui suit.

C’est en user peu prudemment
D’oser à son Mary découvrir sa foiblesse,
Et je ne choisirois pour aller à confesse,
Ny mon Mary ny mon Amant.

Ces Vers firent rire toute l’Assemblée. L’Abbé qui avoit infiniment de l’esprit, declara qu’il vouloit aussi faire des Vers. Il se tira un peu à l’écart, resva quelque temps, & vint en suite régaler la Compagnie de ceux-cy, pour favoriser les sentimens de la Belle.

Quand une Femme veut guerir
D’un amour secret qui l’obsede ;
S’il s’agit de le découvrir,
Et vers l’Epoux crier à l’aide,
Je tiens pour moy qu’il faut périr
Plutost qu’user de ce remede.
Par un aveux si temeraire,
La Femme fait trois mauvais coups.
Elle rend son Mary jaloux,
À son Amant fait une affaire,
Et met l’Amour en grand couroux.

Ces Vers plûrent fort, & sur tout les trois derniers qui furent répetez vingt fois. L’Amant qui connut que les Rieurs n’estoient pas pour luy, déclara qu’il se rendoit ; & pour le faire connoistre, apres avoir prié sa Maitresse de l’aimer tant qu’il luy fust impossible d’en aimer un autre, il la conjura de luy en faire un secret, si elle ne pouvoit l’éviter, afin qu’il n’eust jamais le malheur d’estre jaloux. Tout le monde luy applaudit, & l’on demeura d’accord que si un Jaloux sur l’incertitude mesme d’avoir aucun lieu de l’estre, soufroit si cruellement, la jalousie ne pouvoit qu’este mortelle, comme elle l’avoit esté pour Mr de Cleves, quand on apprenoit de la bouche mesme d’une Femme qu’un Rival avoit place dans son cœur, & que suposé qu’on aimast veritablement, il n’estoit pas possible de vivre apres une si funeste confidence.

[Au Roy, Epigramme de Mademoiselle Certain-Huron] * §

Mercure galant, octobre 1678 [tome 10], p. 327-328.

Le beau Sexe ne se taist pas quand il s’agist de marquer l’admiration où l’on est des grandes Actions du Roy. Voyez les par ces Vers de Mademoiselle Certain-Huron.

Au Roy,

Epigramme.

On n’entendra plus tant parler
De vos fameux Exploits de guerre ;
Mais, Grand Roy, pour vous signaler,
Il est d’autres éclats que ces coups de tonnerre.
    Quoy que vos Triomphes passez,
Portent vostre grand Nom au comble de la gloire,
    Si ce n’est pas encore assez
Pour former tout le plan d’une pompeuse Histoire,
    Vostre justice, vos bienfaits,
    Vostre prudence sans exemple,
    Grand Roy, sont de rares sujets,
    De qui l’éclat n’est que trop ample
    Pour en tracer les derniers traits.

Air nouveau §

Mercure galant, octobre 1678 [tome 10], p. 328-329.

Vous avez déja veu quelques Airs de Mr Lesgu. En voicy encor un nouveau de sa façon. On ne m’a point dit de qui estoient les Paroles.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Affreux Rochers, Demeures sombres, doit regarder la page 329.
    Affreux Rochers, Demeures sombres,
Charmans séjour d’un malheureux Amant,
    Que j’aime l’horreur de vos ombres,
Où je resve en repos à mon cruel tourment !
    Que mon bonheur seroit extréme,
    Si l’ingrate Beauté que j’aime,
Me vouloit, comme vous, écouter un moment.
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[Divertissement de S. Cloud] §

Mercure galant, octobre 1678 [tome 10], p. 329-335.

Le sejour que le Roy avoit dessein de faire à S. Cloud, ayant esté résolu avant son depart pour Fontainebleau, Monsieur qui avoit donné ses ordres pour le logement de toute la Cour, s’y rendit le 6. de ce Mois, pour voir s’ils avoient esté bien executez. Il en visita les Appartemens, & ne pût que loüer l’exactitude du Sr Billon, à qui la direction de cette belle Maison a esté donnée. Son Altesse Royale alla en suite dans la Gallerie qu’il n’avoit point encor veuë depuis qu’elle est achevée & meublée. Elle en demeura si satisfaite, qu’elle souhaita impatiemment la venuë de Leurs Majestez. Elles arriverent le 10. dans le Carrosse du Roy, où il n’y avoit avec Elles que Monseigneur le Dauphin, Mademoiselle, & Madame la Comtesse de Bethune. Les autres Carrosses ne pûrent faire la mesme diligence à cause des mauvais chemins. Apres qu’on eut admiré les Ouvrages du fameux Mr Mignard, qui rendent la Gallerie de S. Cloud une des plus belles choses de l’Europe (je vous en feray une autre fois un Article particulier) on fit diverses Parties de jeu jusqu’à l’heure du Soupé, qui fut digne de la magnificence du Roy. La Table estoit ovale, de vingt cinq Couverts ; & comme elle estoit fort large, & que les Officiers n’auroient pû mettre de Plats dans le milieu, on l’avoit remply de Fleurs d’une maniere si propre, si galante, & si pompeuse tout à la fois, qu’il est difficile d’en bien concevoir toute la beauté. Le Service des Viandes de la bouche estoit de quatorze grands Plats qui formoient un Cordon. Il y en avoit vingt-quatre petits pour le tour, qui approchoient des Couverts. Le Fruit répondoit à ce Service. Outre Monseigneur le Dauphin, Monsieur, Madame, Mademoiselle, Mademoiselle de Valois, Mademoiselle d’Orleans, & Mademoiselle de Blois ; toutes les Duchesses, Mareschales de France, Dames, & Filles d’Honneur de la Reyne, de Madame, & de Mademoiselle d’Orleans, furent placées à la Table. La figure des Fleurs se changeoit à chaque Repas. Tantost elles estoient dans une Machine dorée d’une invention agreable, tantost dans des Corbeilles d’argent, puis dans des Vases ou des Caisses de mesme matiere, & quelquefois on les voyoit meslées les unes avec les autres. Toutes les autres Tables du Roy tinrent à leur ordinaire, & furent magnifiquement servies. Monsieur en fit aussi servir plusieurs dans le Bourg. Il y eut Bal tous les soirs avant le Soupé dans le Salon neuf qui est au bout de la Gallerie. Tout y estoit si bien ordonné, qu’on n’a jamais veu une Place si spatieuse pour danser, quoy qu’il y eust une infinité de monde. L’Assemblée ne pouvoit estre plus Illustre. J’aurois trop à vous dire, si je voulois vous parler de la grace merveilleuse de Monseigneur le Dauphin, de l’air galant de Messieurs les Princes de Conty, de la Roche sur Yon & de Vermandois, de Messieurs les Comtes d’Armagnac, de Marsan & de Brionne, de Mr le Marquis de Hautefort, & de Mr le Chevalier de Chastillon : mais si je me sens incapable de vous exprimer les avantages qu’ils ont à la danse, que pourrois-je vous dire qui répondit à l’admiration que causerent Mademoiselle, Mademoiselle de Valois, Mademoiselle de Blois, Mesdames les Duchesses de Vantadour, de la Ferté, & de Nevers, Madame la Comtesse de Maré, & Mesdemoiselles de Grancé, de Thiange, & de Beauvais ? Cette derniere est une des Filles de Madame. Quoy que la mort d’un de ses Parens l’oblige de paroistre en deüil à la Cour, sa beauté ne l’y fait pas briller avec moins d’éclat que si elle estoit accompagnée des ornemens qui sont recherchez par toutes les Belles. Le mauvais temps fut cause qu’on se promena peu dans les délicieux Jardins de S. Cloud, mais il n’empscha pas le Roy d’aller voir l’état de ses Bastimens de Versailles, & de visiter la Maison des Invalides7.

[Le Roy donne une Abbaye à M. Robert Maistre de Musique de sa Chapelle] §

Mercure galant, octobre 1678 [tome 10], p. 340.

Le Roy a donné une Abbaye à Mr Robert Maistre de Musique de sa Chapelle. Ses Ouvrages luy ont attiré souvent les applaudissemens de Sa Majesté, & ce n’est pas sans avoir bien connu son merite que ce Prince l’a récompensé.

[Explication en Vers de la premiere Enigme du Mois passé] §

Mercure galant, octobre 1678 [tome 10], p. 341-342.

Je passe à l’Explication des Enigmes. Celle de la premiere en Vers est renfermée dans ce Madrigal de Mr le Brun Segusien.

Lorsque l’on a passé les plus beaux de ses jours,
    Tant sur l’onde que sur la terre,
    À faire l’amour ou la guerre,
Qu’en l’un de ces mestiers on s’exerce toûjours,
Que l’on sçait ce que c’est d’estre pris & de prendre,
Que l’on s’est veu vaincu, que l’on s’est veu vainqueur,
    L’on ne peut guére se méprendre
    Sur la connoissance du Cœur.

[Noms de ceux qui l’ont expliquée] §

Mercure galant, octobre 1678 [tome 10], p. 342-343.

Voicy les noms de ceux qui l’ont aussi expliquée sur le Cœur, qui est le vray sens ; Messieurs de la Fondrie, Avocat au Parlement de Roüen ; Petit Chesne l’Anglois, Notaire à Pontoise ; Des Forges, Avocat du Roy à Guise ; Hiraut, Avocat ; Mesdames Vaslin ; Des Bereaux, Trésorier de France à Orleans ; Joüet, de la Ruë des Rosiers ; La Cadete d’Amiens ; & la petite Laide de la Ruë des deux Portes. Ceux que je vous vay nommer en ont envoyé l’Explication en Vers. Messieurs le Courrier, de Caën ; Rault, de Roüen ; Le Mary de jour ; & le Berger d’Arneville.

[Explication de la seconde Enigme en Vers] §

Mercure galant, octobre 1678 [tome 10], p. 343.

La seconde a esté ainsi expliquée dans son vray sens par Mr Brossard Conseiller au Presidial de Bourg en Bresse.

    Que vostre Enigme est difficile !
Depuis deux jours j’y resve en me rongeant les doigts ;
    Je me suis dépité vingt fois,
Sans trouver le vray mot j’en ay soupçonné mille.
J’ay pourtant à la fin donné dans le vray sens ;
Un peu de patience est toûjours fort utile,
La Nesfle, comme on dit, meurit avec le temps.

[Noms de ceux qui l’ont expliquée] §

Mercure galant, octobre 1678 [tome 10], p. 344-345.

Ce mesme Mot de la Nesfle a esté trouvé par Messieurs l’Abbé de l’Etang ; Guerin, Prieur de Sainte Marie Magdelaine de Bezillac ; Chappuis, Chesnon, Directeur general des Postes de la Souveraineté de Charleville ; Desgarabat de Nogarot, dans l’Armagnanc ; Du Bois-Quecquet ; Archambault, de Roüen ; De la Porte, d’Orleans ; Taisand, Avocat au Parlement de Dijon ; De Lattre, Avocat à Guise ; De la Madelaine ; Balamir amoureux ; Le Chevalier de la Gros-joue ; Tournées, du Village de Goux ; Thabaud des Ferrons, de Berry ; Des Bassins, Ecuyer de Mr  le Mareschal de Lorge ; Jean Bouche d’or ; Darcises, Gentilhomme Beaujolois ; Panthot ; Du Mesnil ; Mesdames de la Tuste ; Mademoiselle de Corcousson ; Reneusve, de Noyon ; Les Cotierres de Roüen ; Le Quatrain de Mondoubleau ; Le Jaloux de la gloire des Tourangeaux ; Le bon Clerc de Musique de Châlons sur Saône ; le Hollandois de Saumur ; Neptune, & le Secretaire des Vendangeuses de Courbevoye. Ceux qui l’ont expliquée en Vers sont Messieurs Hervilson S.D.V. de Troyes ; De la Coudre, de Caën ; Gardien ; L. Barré, de Chartres ; & Polymene.

Il y a eu beaucoup d’Explications de cette Enigme sur la Grenade.

[Noms de ceux qui ont trouvé le vray sens de toutes les deux Enigmes] §

Mercure galant, octobre 1678 [tome 10], p. 345-348.

Plusieurs ont trouvé le sens de toutes les deux, & ce sont Messieurs Jourdan de la Salle de Troyes ; Aymés, de Beziers ; De Vaënevar Sr de Retourne ; Merlin, de Beauvais ; Armand Chesnon, de Tours ; Luron le jeune, de Noyon ; Le Bourg, Medecin à Caën ; L’Abbé Ratteau ; Du Mesny, Abbé des Bons Enfans de Loches ; De Pruneville, Capitaine au Regiment de Champagne ; Le Philosophe naturel d’Orleans ; Jouffes Sr de la Chapeliere, de Charleville ; Le bon Clerc de la bonne Musique de Châlons ; De Goumiers ; Un Chanoine de S. Victor ; Mesdames le Pelletier, de Meaux ; Favereau, sur le Quay de la Tournelle ; Guerin, de la Citadelle de Stenay ; De Noyelle sur la Mer ; Leger, de Troyes ; Antonie ; L’Incomparable du Païs de Caux ; La Societé des trois Personnes enjoüées de Tours ; Les Piës des Tours de Nostre-Dame ; L’aimable Angelique de Pontoise ; La Veuve de la Ruë Chapon ; Le Chavalier, de la Porte de Paris ; L’Amnt desinteressé, de Noyon ; L’Opéra de la Rochelle ; Le Solitaire de Picardie ; Le Secretaire fidelle d’Amiens ; & le Triton. Mesdemoiselles de Penavaly de Brest & Clarice Genoise, les ont expliquées en Vers, aussi-bien que Messieurs du Mont Avocat de Chaumont, L’Abbé Rathier, Houppin le jeune, Hordé Secretaire de Mr le Comte de Parabere, Fueillet Avocat à Chartres, Geoffroy le jeune de Loches, Catel de la Ruë du Four, de Foresta Colonque, Le Solitaire de Pontoise, le petit Ascagne, Hugo de Gournay sur Epte, Baizé le jeune, Le Drüide du Bois de Levantin, & les Reformateurs de Bretagne.

[Deux nouvelles énigmes] * §

Mercure galant, octobre 1678 [tome 10], p. 348-351.

Les deux nouvelles Enigmes que je vous envoye sont, la premiere de Mr Saurin, & l’autre de Mr   Brossard Conseiller au Presidial de Bourg en Bresse.

Enigme.

On feroit mal sans moy toute importante affaire,
Et je puis à la Cour trancher du necessaire.
Je me mesle de tout, j’excelle en tout Employ.
Personne ne me voit, chacun croit me connoistre ;
    Je me pique assez de paroistre,
Et rien n’est plus obscur à moy mesme que moy.
    Vous me cherchez icy peut-estre,
Mais si je n’y suis pas, au moins j’y devrois estre :
Ne vous rebutez point, cherchez moy desormais ;
On me croit bien souvent où je ne sus jamais.

Autre Enigme.

Je suis en vogue en France, & je n’y suis pas rare ;
Mais quand je suis commun on ne m’estime pas.
Je suis habile, & par un sort bizare
Je fais souvent mon plus grand embarras.
Il n’est rien que je n’ose & ne puisse entreprendre.
Quand je parois oysif je travaille en effet,
Et mon travail finy je ne sçaurois comprendre
    La maniere dont je l’ay fait.
Je suis de tout mestier, dans la paix, dans la guerre.
    Sans moy l’on ne fait rien de bon.
Je puis facilement courir toute la terre,
    Et je suis toûjours en prison.
Par tout on me recherche, on m’estime & l’on m’aime.
Tout le monde à l’envy me trouve plein d’attraits.
Resvez, cherchez-moy bien, prenez un soin extréme.
    Si je ne me trouve moy-mesme,
    Vous ne me trouverez jamais.

[Explication en vers de l’énigme en figure du mois passé, nom de ceux qui l’ont expliquée, et nouvelle énigme en figure] * §

Mercure galant, octobre 1678 [tome 10], p. 351-352.

L’Enigme en figure qui represente Daphné fuyant Apollon, n’est autre chose que l’Ombre. Voicy l’Explication que Mr Rault de Roüen en a donnée.

Dans cette Forest verte & Sombre.
Allons, Daphné, nous mettre à l’ombre,
Le frais y cause un doux sommeil :
C’est dans ce lieu vert & sauvage,
Que nous reposans à l’ombrage,
Le Mercure nous dit qu’il faut fuir le Soleil.

Cette Enigme ne consiste que dans l’action. Apollon est cause de la fuite de Daphné, & l’Ombre est toûjours produite par le Soleil. Messieurs Andry, le Bourg Medecin à Caën, Bonnet de Vaux, & les Reformateurs de Bretagne, ont aussi trouvé ce mesme sens. En voicy d’autres donnez à cette Enigme par différentes Personnes.

Mr Gardien, un Flambeau allumé poursuivant l’obscurité ; Geoffroy le jeune, de Loches, le Jour chassant la Nuit, en Vers ; Le Hollandois de Blois, le Soleil poursuivant à son lever l’Etoille du Jour ; Messieurs Joseph Rey, Geographe de S. A. R de Savoye ; Darcises Gentilhomme Beaujollois ; De Lattre Avocat à Guise ; Chappuis, de Monbrison en Forest ; Le bon Clerc de Musique de Châlons sur Saône ; & le Triton, La Hollande & la Paix donnée par le Roy à cette Province ; Mr Eveillard Avocat en Parlement, La Paix qui arreste les Conquestes de Loüis le Grand ; L’Amant nocturne, Les Conquestes du Roy ; Le Jaloux de la gloire des Tourangeaux, La Gloire poursuivie par les Héros ; Messieurs Houppin le jeune, Merlin de Beauvais, & le Solitaire inconstant, La Chasteté ; Mr Panthot, La Paix victorieuse ; La Societé des trois Personnes enjoüées de Tours, Les Victoires du Roy sur les Peuples du Rhin ; Hervilson, S. D. V. de Troyes, La Grape de Verjus ; Du Mesnil, Le Abres & les Plantes ; Thibaud Medecin à Tours, Le Sucre, en Vers ; Le Solitaire de Pontoise, La Terre & le Soleil, en Vers ; L’Inconsolable du Païs de Caux, l’Aurore ; Mesdames le Pelletier, de Meaux, une Ravine d’eau ; Clarice Génoise, la diférence de la Prose & des Vers, en Vers ; Mr du Mesny Abbé des Bons Enfans de Loches, & le petit Ascagne, Le Printemps ; Messieurs Thabaux des Ferons en Berry, & Aymés de Beziers, La Nuée.

Méduse est la nouvelle Enigme que je vous propose. Sa teste que Persée Fils de Jupiter & de Danaé coupa, avoit le pouvoir de changer tous ceux qui la regardoient en pierre. Ainsi elle estoit l’effroy de tout le monde, & on avoit grand soin de fuïr pour s’empécher de la voir.

À Paris ce 31. Octobre 1678.