1679

Mercure galant, février 1679 [tome 2].

2015
Source : Mercure galant, février 1679 [tome 2].
Ont participé à cette édition électronique : Anne Piéjus (Responsable d'édition), Nathalie Berton-Blivet (Responsable d'édition) et Vincent Jolivet (Édition numérique).

[Nouvelle Devise pour le Roy] §

Mercure galant, février 1679 [tome 2], p. 1-5.

Il y a longtemps, Madame, que les premiers Articles de mes Lettres sont des Nouvelles de Paix concluës, ou de Ratifications. Si vous n’en trouvez point de cette nature dans le commencement de celle-cy, j’espere au moins que je ne la finiray pas sans avoir quelque chose d’assuré à vous dire sur ce qui regarde la Paix d’Allemagne. Tous les Souverains qui ont éprouvé la force des Armes de la France dans la Ligue qu’ils ont faite contre le Roy, n’ayant qu’un Traité à faire, n’ont à parler qu’une fois de Paix ; mais Loüis le Grand qui a veu presque toute l’Europe unie contre luy, a tous les jours de nouveaux Traitez à conclure, & cela fait voir qu’il n’y eut jamais une Devise plus juste que celle qu’on fit autrefois pour luy sur le Soleil, avec des Paroles qui marquoient qu’il suffisoit seul à tous, puis que cet Invincible Monarque s’est toûjours veu en état de soûtenir seul les efforts de tant d’Ennemis liguez, & que rien n’eust esté capable d’arrester le cours rapide de ses Conquestes, s’il n’eust trouvé de la gloire à joindre le titre de Pacifique à celuy de Triomphant. Cette pensée a donné occasion à une nouvelle Devise dont le corps est un Soleil, qui change une nüée brillante d’éclairs, & grosse de foudres, en une rosée qui ne peut que fortifier la terre. Elle a ces Paroles pour ame.

Fulgura in pluviam fecit.

Les Vers qui suivent en font l’application.

Ainsi Loüis le Grand étonnoit l’Univers
    Par le brillant de ses éclairs,
    Et par le bruit de son tonnerre,
Quand faisant à son tour triompher sa bonté,
    Il a changé les frayeurs de la Guerre
En douceurs d’abondance & de tranquillité,
Et de ces deux Soleils d’égale autorité,
    D’égal éclat, d’égale majesté,
Ce que l’un fait en l’air, l’autre le fait en terre.

[Opéra representé à Montpellier] §

Mercure galant, février [tome 2], 1679, p. 5-39.Cet article indique que M. Broy est l'auteur du livret.

Je vous ay parlé dans ma Lettre du dernier Mois des réjoüissances particulieres qui se sont faites en divers lieux du Royaume à l’occasion de la Paix d’Espagne. On ne s’est pas contenté à Montpellier d’allumer des Feux, & d’y faire éclater toute la joye que font paroistre les Peuples dans ces sortes de rencontres. On y a preparé une maniere d’Opéra tres agreable, & Mr de Sablieres qui en est l’Autheur, en a donné le divertissement pendant la tenuë des Etats de Languedoc, à Monsieur le Cardinal de Bonzi, qui comme vous sçavez est Président né de ceux qui s’y tiennent, en qualité d’Archevesque & de Primat de Narbonne. Le Theatre representoit les Palais de la Renommée, de la Gloire, & de Flore. Celuy de la Renommée estoit dans le fond. De hautes Tours le distinguoient des deux autres. On voyoit le Palais de la Gloire du costé droit, & celuy de Flore du costé gauche, l’un figuré par des Trophées d’armes & par des Arcs de triomphe ; & l’autre, par des Guirlandes de Fleurs & par des Vases d’Orangers. Des Palmes & des Lauriers entremeslez de Mirtes & de rameaux d’Oliviers, faisoient l’ornement des intervales de ces trois Palais. Dans le frontispice du Theatre estoient les Armes du Roy, celles de la Province de Languedoc, & un Trophée d’Instrumens de Musique.

Apres une grande Ouverture, on entendoit les fanfares de plusieurs Trompetes ; apres quoy on voyoit la Renommée qui descendoit en volant d’une des Tours de son Palais. La Gloire & Flore paroissoient dans le mesme temps, suivies de Clio & d’Erato. La premiere de ces Muses est dévoüée à la Gloire, & l’autre préside aux Amours, qui ne regnent ordinairement que pendant la Paix. Les Déesses chantoient les Vers suivans, qui servoient de Prologue à cet Opéra

la renommee.

    Moy qui n’anonçois sur la Terre
Que des Combats Sanglans, que des Faits inoüis ;
Moy qui semois par tout les horreurs de la Guerre,
    Et les exploits du Grand louis ;
Je m’en vay maintenant aux quatre coins du Monde,
    Faire entendre que desormais
On ne verra regner sur la Terre & sur l’Onde
    Que les doux plaisirs de la Paix.

flore.

Verray je donc finir les cruelles alarmes
Qui troubloient les douceurs de mes plus beaux Printemps ?
Un Héros triomphant quitera-t-il les armes ?
Déesse, n’est-ce-pas en vain que je l’attens ?
Ce bonheur est si grand, que j’ay peine à le croire,
    Tu viens de m’en avertir ;
    Mais avec toy je voy la Gloire,
    Y voudra t’elle consentir ?

la gloire.

Quelque brillant que soit le cours de la Victoire,
Il faut bien l’arrester lors qu’on a tout soûmis.
Il n’est point de plus grande gloire,
Que de voir à ses pieds ses plus fiers Ennemis.
Le Héros que je sers ne voit rien sur la Terre
Qui puisse à sa valeur s’opposer desormais ;
    Qu'il fasse la Paix ou la Guerre,
    Je ne quitteray jamais.

clio.

    Que tous les Peuples de la Terre
    Se viennent joindre à nos souhaits.

erato.

    Puisse partout finir la Guerre,
    Puisse toûjours durer la Paix.

Ces quatre derniers Vers estoient repétez par toutes ensemble, & en suite on voyoit les quatre Nations sortir des quatre coins du Theatre, & se mesler parmy les Déesses & les Muses, en repétant plusieurs fois,

    Puisse partout finir la Guerre,
    Puisse toûjours durer la Paix.

Deux troupes de Prisonniers de guerre, les uns Hollandois, & les autres Espagnols, au bruit que la Renommée avoit répandu par tout, venoient s’informer d’une nouvelle qui leur estoit si avantageuse, & un Héraut d’armes leur annonçoit la Paix & leur liberté à la veuë des Nations. Cela donnoit lieu à trois diférentes Entrées, l’une du Héraut d’armes, l’autre des Prisonniers Hollandois, & l’autre des Prisonniers Espagnols. Ces Entrées ne pouvoient estre que fort agreables, puis qu’elles se faisoient en réjoüissance d’un bien si ardemment souhaité. La Renommée, la Gloire, & Flore, chantoient en suite les Vers suivans, qui estoient répetez de la maniere que vous l’allez voir marqué.

les trois deesses ensemble.

ensemble.
Celebrons, celebrons cette Paix triomphante ;
    Que Mars, que Bacchus, que l’Amour,
    Donnent des Concerts tour à tour,
        Qu'on dance, qu’on chante
        En l’honneur de ce jour.

choeur des nations.

Celebrons, celebrons cette Paix triomphante.

la gloire.

Que Mars

la renommee.

    Que Bacchus.

flore.

        Que l’Amour,

les trois deesses.

Donnent des Concerts tour à tour ;
    Qu'on dance, qu’on chante
    En l’honneur de ce jour.

une nation.

Qu'on chante,

autre nation.

        Qu'on dance,

choeurs des nations.

Qu'on dance, qu’on chante
En l’honneur de ce jour.

Apres ce commandement, la Renommée, la Gloire, & Flore, se retiroient pour aller préparer les Dances & les Concerts, & les Nations alloient se placer sur les Balcons de leur Palais. Le reste de ce Divertissement estoit divisé en trois Parties. Dans la premiere, la Gloire venoit inviter les Guerriers à se réjoüir de la Paix. Voicy ce qu’elle chantoit.

    Venez, venez, braves Guerriers,
    Venez mesler à vos Lauriers
Les Mirtes & les Fleurs que la Paix vous prépare.
C'est assez combattu sous les Drapeaux de Mars ;
L'Amour a des douceurs dont il n’est plus avare,
    Rangez-vous sous les Etendars.

Cinq Guerriers sortoient à ce commandement, & l’un d’eux faisoit cette réponse à la Gloire.

Nous te suivrons par tout, flateuse & douce Gloire,
    Nous sommes soûmis à tes Loix.
    Pour avoir place dans l’Histoire,
Dans les plus grands périls tu nous as veus cent fois,
    Aux yeux du plus puissant des Roys.
    Aujourd’hui ta voix nous ordonne
De quitter le Dieu Mars, & de suivre l’Amour ;
Ne pouvant faire mieux, chantons à nostre tour,
Chers Compagnons, meritons la Couronne
    Que l’Amour donne.

Les Guerriers faisoient icy une Entrée avec l’Epée au costé. Elle estoit suivie d’une autre de quatre petits Amours qui venoient en volant du Palais de Flore, & qui s’y retiroient apres avoir desarmé les Guerriers. L'injure estant sensible à des Braves, la Gloire prenoit soin de les en consoler par ces Vers.

la gloire.

    On a beau faire, il faut se rendre
    Au puissant Dieu qui fait aimer ;
    Personne ne peut s’en défendre,
Il faut, quand il luy plaist, se laisser desarmer.
    A ses douceurs soyez sensibles,
    C'est le moyen de passer de beaux jours ;
Je vous avois promis de vous rendre invincibles,
    Mais non pas contre les Amours.

un guerrier.

    Déesse, il faut suivre tes Loix,
    Tes ordres ont pour nous des charmes ;
    Mais que dira le plus puissant des Roys,
Que nous, que l’on connoist par mille beaux exploits,
    Ayons ainsi rendu les armes ?

la gloire.

Pour estre desarmez, ne vous rebutez pas,
    Aimez, aimez, que rien ne vous arreste,
La Victoire par tout suivra toûjours vos pas,
Le Triomphe en amour vient apres la défaite.

Les Guerriers consolez dançoient une Entrée de Joye ; & les quatre petits Amours sortant une seconde fois du Palais de Flore, leur venoient donner un Bouquet à chacun, & tandis qu’ils les emmenoient dans le Palais de la Déesse, les Nations qui estoient sur les Balcons repétoient plusieurs fois,

    On a beau faire, il faut se rendre
    Au puissant Dieu qui fait aimer ;
    Personne ne peut s’en défendre,
Il faut, quand il luy plaist, se laisser desarmer.

Dans la seconde Partie, Flore sortoit à son tour de son Palais, & invitoit les Bergers à venir prendre à la Feste qui se celebroit. Elle commençoit par ces Vers.

Sortez, Bergers, sortez de vos Villages.
Venez dancer sous ces feüillages,
    Il en est temps ;
    Et puis que les Armes
    Par leurs allarmes,
Chargeoient en Hyver les Printemps
En y meslant les fureurs de la Guerre,
Ne faut-il pas, par un heureux revers,
Que la Paix à son tour ramener sur la Terre
Les Plaisirs des Printemps, au milieu des Hyvers ?

Une Troupe de Bergers & de Bergeres paroissoit en mesme temps, dançant & chantant les Vers qui suivent.

Courons, courons à nos Musettes ;
Allons dancer sous nos Ormeaux.
Ny les Tambours, ny les Trompetes,
N'allarmeront plus nos Hameaux ;
Courons, courons à nos Musetes ;
Allons dancer sous nos Ormeaux.

un berger.

À quoy nous sert que desormais
Tout soit calme sur nos Fougeres ?
Il est bien seûr que nos Bergeres
Ne nous laisseront guere en paix.

autre berger.

Heureux Bergers, sautez, chantez, dancez,
Tout ira bien, que rien ne vous étonne.
À la Paix que le Ciel nous donne,
Nous avons interest plus que vous ne pensez.
Les Soldats furieux qui fouloient nos Fougeres,
Y donnoient souvent malgré nous
À nos Troupeaux, à nos Bergeres,
Bien plus d’alarmes que les Loups.

Il se faisoit icy une Entrée des Bergers & des Bergeres. Elle estoit suivie d’une autre de Païsans qui venoient se réjoüir de la Paix ; & pendant qu’ils se retiroient tous, deux Bergeres qui n’avoient eu aucune part à la Feste, & dont l’une cherchoit la solitude pour se plaindre de son Amant, faisoient ensemble le Dialogue qui suit.

I. bergere

La douleur que je sens de ta cruelle absence,
Volage Amant, s’augmente chaque jour.
J'ay beau me reprocher ta perfide inconstance,
J'ay beau dire à mon cœur que tu n’as plus d’amour ;
Malgré tous mes efforts, il est plus fidelle & tendre.
Helas ! Berger ingrat, quand feras-tu cesser
Tant de cruels soûpirs que tu me fais répandre ?

II. bergere

Arreste le cours de tes larmes,
Il n’est plus temps de s’affliger.
Tu verras bientost ton Berger.
La Paix luy fait quiter les armes.
L'éloignement n’a point changé son cœur,
Je t’en répons, tu peux m’en croire.
Un Amant qui cherche la gloire,
N'est jamais un Amant trompeur.

I. bergere

    Quoy mon Berger
    Ne seroit point volage ?
Quoy, mon Berger ne seroit point leger ?
Ah ! qu’à l’aimer ce doux espoir m’engage !
    Quoy, mon Berger
    Ne seroit point volage ?
Quoy, mon Berger ne seroit point leger ?

II. bergere

    S'il te reste encor quelque ombrage
    Sur le sujet de ton Amant,
    Pour le dissiper promptement,
Viens dancer avec nous dans ce charmant Boccage,
    S'il te reste encor quelque ombrage
    Sur le sujet de ton Amant.

I. bergere

Allons, allons, Amour semble me dire
    Qu'on doit croire ce qu’on desire.

Cette Bergere revenuë de sa profonde tristesse, sortoit la premiere pour aller joindre la Troupe des Bergers, & dans le temps que l’autre Bergere vouloit la suivre, elle estoit arrestée par un Berger qui épiant l’occasion de l’entretenir, luy expliquoit sa passion par ces Vers.

le berger.

Profitons du moment que le Ciel nous envoye ;
Et tandis que les Bois & les lieux d’alentour
    Vont retentir de mille cris de joye,
        Donnons un moment à l’Amour

la bergere.

Que diroient les Bergers, que diroient les Bergeres,
Si j’osois m’arrester ainsi seule avec toy ?
    Laisse-moy, Tircis, laisse-moy,
    Nous pourrions gaster nos affaires

le berger.

    Chaque Bergere a son Amant,
Et tu sçais que les cœurs épris comme les nostres,
    Ont bien d’autres soins en aimant,
    Que d’observer les affaires des autres.

la bergere.

    Que fais je icy ? quittons ces lieux ?
    Je voy les Bergers qui reviennent.

le berger.

    Et moy je voy dans tes beaux yeux
    Certains charmes qui me retiennent.

la bergere.

Considere, Berger, à quoy tu me réduis.

le berger.

Considere toy-mesme en quel état je suis.
Demeure.

la bergere.

    Sortons.

le berger.

        Je ne puis.

Ces deux Amans estoient interrompus & emmenez par la Troupe des Bergers qui revenoient en dansant, & en chantant encor une fois.

Courons, courons à nos Musettes,
Allons dancer sous nos Ormeaux ;
Ny les Tambours, ny les Trompetes,
N'alarmeront plus nos Hameaux.
Courons, courons à nos Musetes,
Allons dancer sous nos Ormeaux.

La Renommée qui se mesle de tout, paroissoit dans la troisiéme Partie, & cherchant à rendre la Feste plus agreable par la varieté des divertissemens, elle invitoit les Partisans de Bacchus à y prendre part. Voicy ce qu’elle chantoit.

Partisans de Bacchus, venez à vostre tour,
Vous inspirez par tout le plaisir & la joye ;
La Gloire & Flore en ce beau jour
Veulent bien que je vous employe.
Secondez les Guerriers, secondez les Amans,
Le Dieu que vous servez est connu sur la terre
Pour avoir des secrets charmans,
Et pour l’Amour, & pour la Guerre.

En mesme-temps on voyoit paroistre une Troupe de Soldats François & Suisses. Un François chantoit ce qui suit.

C'est assez respiré le sang & le carnage,
C'est assez traversé de Fleuves à la nage ;
Puis que les Hollandois reduits à leur devoir
Sont enfin retranchez derriere leur Comptoir,
Nous devons les laisser dans le coin de leur terre
Déplorer les malheurs que leur a faits la Guerre,
Pour chanter en repos dans les bras de Bacchus
Le solide plaisir, l’agreable victoire,
    Que l’on remporte à boire
À la santé des Ennemis vaincus.

Apres que toute la Troupe de Soldats François & Suisses avoit repeté en chœur les trois derniers de ces Vers, quatre Suisses prenoient occasion de dancer sur le mesme Air, & chantoient en mesme temps ces paroles.

La France afecque nous
Estre pons camarades,
Nous dancer en cambades
    Chantera vous,
Nous dancerons tritous

soldat francois.

Puis qu’enfin nous voicy dans une Paix profonde,
Maintenant que tout est soûmis ;
Ayant vaincu nos Ennemis
Sur la terre & sur l’onde,
Il ne nous reste plus qu’à leur faire sçavoir
Que nous faisons par tout nostre devoir,
Et que nous remportons également la gloire
De bien combattre, & de bien boire.

soldat suisse.

Que j’avre de contentement
De voir esti Feste jolie !
Camarade, il faut vitement
Chassir toute malincolie.
Li Francis estre pon carçons,
Quand il faillit qu’il s’alit patre,
Il y courir comme un Temon,
Et savre poire come quatre.

Les quatre Suisses faisoient alors une entrée, pendant laquelle les Bergers dont le caractere amoureux est entierement opposé à celuy des Soldats buveurs, revenoient pour tâcher à leur faire quiter la place, ce qui donnoit lieu au dialogue suivant.

berger.

Retirez-vous, Troupe incommode,
On ne veut point chaumer la Feste à vostre mode,
Et pour la celebrer, Amour ne veut que nous,
    Retirez-vous.

soldat.

C'est bien à vous, Troupe volage,
Qui ne se plaist qu’au badinage,
D'oser venir troubler nos Concerts les plus doux,
    C'est bien à vous ?

berger.

On n’a que faire icy de vos Concerts bachiques.

soldat.

On n’y demande pas vos Airs mélancoliques.

berger.

Sans Amour, tout est sans appas.

soldat.

Et sans Bacchus on ne rit pas.

berger.

Il n’est point de Mortel que l’Amour ne soûmette ;
Et les Héros de Guerre, & les Héros de Paix,
Reverent ses charmants attraits ;
Du Spectre jusqu’à la Houlete,
Tout le monde ressent la pointe de ses traits.

soldat.

Bacchus est renommé par tout dans l’Univers,
Les Peuples & les Roys se plaisent à ses brindes ;
Et depuis qu’il mêla parmy ses Pampres verds
Les Lauriers qu’il cueillit aux conquestes des Indes,
Tous les Braves luy font la cour ;
Dans le monde tout boit.

berger.

        Dans le monde tout aime.

soldat.

C'est un plaisir charmant.

berger.

        C'est un plaisir extréme.

soldat.

Buvons.

berger.

    Aimons.

soldat.

        Buvons.

berger.

            Faisons l’amour.

Les Guerriers accouroient pendant cette contestation, & tâchoient à les mettre tous d’accord, en leur disant.

Serez-vous toûjours en querelle,
Et ne pourroit-on pas vous rendre amis un jour ?
Pour vous mettre d’accord, souffrez que Mars s’en mêle,
Luy qui boit, & qui fait l’amour.

Toute la Troupe des Soldats & des Bergers répondoit en chœur.

Accordons-nous, finissons cette Guerre,
Tout doit estre en Paix sur la terre,
    Et chantons tour à tour,
Vive Bacchus, vive l’Amour.

Apres qu’ils s'estoient tous retirez, les quatre Nations qui avoient esté témoins de la Feste dans les Balcons des Palais de la Renommée, de la Gloire, & de Flore, chantoient ce qui suit pour épilogue.

[premiere nation.]

Que du Couchant jusqu’à l’Aurore,
Que des Climats glacez jusqu’au rivage More,
Le Nsom du grand louis soit à jamais chanté.
Qu'on chante sa valeur en tous lieux triomphante ;
Mais que sur tout, toute la Terre chante
    Et sa clemence, & sa bonté.

deuxieme nation.

Il marchoit armé de la Foudre ;
Ses Ennemis de toutes parts défaits
Alloient estre réduits en poudre,
Quand il leur a donné la Paix.

choeur des nations.

Qu'on chante sa valeur en tous lieux triomphants ;
Mais que surtout, toute la Terre chante
    Et sa clemence, & sa bonté.

troisieme nation.

En vain mille Peuples divers
S'opposoient aux progrés de sa valeur supréme ;
La Fortune pour luy n’avoit point de revers ;
    Mais pour le bien de l’Univers,
    Il a sçeu se vaincre Luy-mesme.

choeur des nations.

    O la grande Victoire !
    O le Triomphe glorieux !
Les Siecles à venir pourront-ils bien le croire ?
Luy seul a desarmé son Bras victorieux.
    O la grande Victoire !
    O le Triomphe glorieux !

Vous jugez bien, Madame, que cet assemblage de voix, & de dances, n’a pû que produire un tres-agreable effet. Joignez à cela que tous ceux qui avoient bien voulu estre des Entrées, estoient des Personnes de qualité, à qui la naissance donnoit un je ne sçay quel air plus noble & moins étudié, qu’il ne se trouve ordinairement dans ceux qui dancent de profession.

[Réjouïssances faites pour la Paix à Saumur] §

Mercure galant, février [tome 2], 1679, p. 39-45.

Saumur ne s’est pas moins fait distinguer dans les Réjoüissances qu’on y a faites pour la Paix d’Espagne, que les autres Villes dont je vous ay parlé. Elles commencerent par une Marche à pied que firent ceux du Fauxbourg des Ponts, ayant un Capitaine à leur teste, & un Rameau à la main. Une Fontaine de Vin coula tout le jour, & les cris de Vive le Roy y retentirent de tous costez. Le lendemain les plus considérables Habitans du Fauxbourg de Fenet, fameux à cause de Nostre-Dame des Ardilliers, monterent à cheval en assez grand nombre & merveilleusement bien en ordre. Ils avoient leurs Officiers, & faisoient marcher devant eux un Chariot chargé de Vin qu’ils distribuoient au Peuple. La Cavalcade se fit au son des Trompetes, des Timballes, & des Hautbois. Ils allerent d’abord au Chasteau, où la Compagnie ayant esté mise en Escadron sur le Donjon, ils rendirent leurs respects au Lieutenant de Roy par une décharge qu’ils y firent. Ils vinrent de là chez le premier Echevin qui les régala d’un fort grand nombre de Bouteilles d’excellent Vin, & de tout ce qui les pouvoit exciter à boire à la santé du Roy, sans que les Officiers, ny les Cavaliers, missent pied à terre. Apres avoir fait une autre décharge pour marquer leur reconnoissance aux Echevins, ils retournerent dans leur Fauxbourg, où un grand Feu fut allumé, au bruit des Trompetes, & de l’Artillerie du Château. On chanta le Te-Deum. On fit joüer les Feux d’artifice, & ensuite toute la Compagnie se mit en marche pour aller chez le Cornete où il y eut un fort grand Festin. Il fut suivy du bal, & d’une magnifique Collation pour les Dames.

Quelques jours apres, Messieurs de la Ville ne voulant pas ceder aux Habitans des Fauxbourgs, se diviserent en quatre Brigades, avec quatre Cornetes, & quatre Devises. Chaque Brigade avoit sa couleur. Ils estoient tous bien montez, & en tres-bel ordre. Un Char de Triomphe des mieux ornez augmentoit la pompe de leur marche. La Renommée estoit au devant, representée par un des Habitans de la Ville. Il y eut un Feu d’artifice merveilleux, grand Soupé, & le Bal en suite. Le lendemain ils partirent au mesme équipage pour aller à l’Abbaye Royale de Fontevraut, où ils complimenterent Madame l’Abbesse. Je ne vous dis rien de son merite ny de son esprit. L’un & l’autre vous est connu. Ils furent reçeus avec toute la civilité qu’ils pouvoient attendre d’une Personne de sa naissance, & s’en retournerent fort satisfaits, & de ses honnestetez, & de la Collation qui leur fut servie.

[Le Roy fait bastir une Eglise aux Jesuites de Vienne en Dauphiné] §

Mercure galant, février [tome 2], 1679, p. 45-47.

    Le Roy, que sa pieté & sa magnificence ne rendent pas moins le plus grand Prince du Monde, que les autres rares qualitez qui éclatent dans son Auguste Personne, ayant assigné un Fonds depuis quelques temps pour bâtir une Eglise aux Jesuites de Vienne en Dauphiné ; le seiziéme jour de Novembre dernier fut choisi pour benir la premiere Pierre de ce superbe Edifice. Comme le jour estoit tres-beau, Mr l’Archevesque de Vienne accompagné d’une partie de son Clergé, se rendit au College sur les neuf heures. Les avenuës en estoient occupées par quelques Compagnies d’Habitans qui s’estoient mis sous les armes. Les Habitans suivis d’un concours universel de toute la Ville, ne tarderent pas longtemps à s’y rendre avec leurs habits de Magistrature. Ce Prélat s’estant revétu de ses habits Pontificaux, fit la Cerémonie au bruit des Fanfares, & de toute la Mousqueterie qui fit plusieurs décharges. La Feste fut terminée par le recit de plusieurs Vers Latins, dont je ne pourrois vous faire part sans donner occasion de murmurer à vos Amies.

Air nouveau §

Mercure galant, février 1679 [tome 2], p. 47-48.

Ainsi il vaut mieux que je vous en fasse voir de François, que Mr Merieux a mis depuis peu en Air.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Si mes rigueurs te font mourir, doit regarder la page 48.
    Si mes rigueurs te font mourir,
    Helas ! Tircis, que ton absence
    Tire une cruelle vengeance
    Des maux que je te fais soufrir !
    Quand tu me déclaras ta flame,
J'écoutay mon devoir, & je trahis mon ame,
    Pour me résoudre à te chasser ;
Mais depuis ton depart, nuit & jour je soûpire.
Si tu ne pouvois pas m’aimer sans m’offencer,
Que ne m’offençois-tu du moins sans me le dire !
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[La Ridicule Prévention, Histoire] §

Mercure galant, février 1679 [tome 2], p. 48-94.

Nous sommes dans un Siecle où l’on trouve rarement de ces Scrupuleuses qui se font une offense d’une déclaration d’amour. Tout ce qui flate est reçeu avec plaisir, & les Belles ne sont jamais fâchées qu’on leur en conte. Les douceurs qu’elles entendent sont toûjours des marques de leur merite, & elles seroient excusables quand mesme elles auroient un peu trop de crédulité. Mais ce qui leur est permis, ne peut jamais l’estre aux Hommes, & il n’y a rien de moins suportable que de voir des Gens assez entestez d’eux-mesmes, pour croire qu’il n’y a point de cœur à l’épreuve de leurs belles qualitez. C’est une ridicule prévention dont ils sont souvent les dupes. L’Histoire qui suit en est un exemple.

Un jeune Gentilhomme que l’ardeur de voyager avoit enlevé de Paris depuis cinq ou six années dans un âge peu avancé, y revint joüir d’une grande succession, que la mort de son Pere luy avoit laissée avant son départ. Il la trouva considérablement augmentée par celle d’un Oncle, que ses Tuteurs avoient recueïllie pour luy pendant son absence ; & comme il aimoit naturellement l’éclat, & que le grand bien dont il se vit maistre à son retour, luy donnoit moyen de satisfaire cette inclination, il se mit d’abord en équipage, prit un train des plus lestes, avec la qualité de Marquis, & fit une dépense qui ne le laissa pas long temps inconnu. Il estoit bien fait, & ne manquoit pas d’esprit ; mais il paroissoit toûjours si content de sa personne, qu’à le voir ainsi remply de luy-mesme, il estoit impossible de ne pas diminüer de l’estime qu’on auroit eüe pour luy sans ce defaut. Il avoit de certaines manieres d’agréement étudiées qui détruisoient en quelque façon les avantages qu’il avoit reçeus de la Nature. Il concertoit jusqu’au son de sa parole, & s’imaginant sotement qu’il n’y avoit point de Femme qui le pust voir sans estre touchée de son merite, il croyoit en donner aussi bonne opinion qu’il l’avoit conçeuë luy-mesme, en ne parlant jamais d’aucune Cour Etrangere où il se fust arresté, sans assaisonner son conte d’intrigues secretes avec quelques Dames du plus haut rang. La qualité le touchoit sur tout. C’estoit son charme ; & comme il faisoit une tres-belle dépense, il ne luy fut pas difficile de trouver accés chez plusieurs Femmes de Cour, qui se faisant un plaisir de sa vanité, n’estoient pas fâchées d’avoir un Homme toûjours prest pour toutes les parties qui les pouvoient divertir. Il estoit magnifique en toutes choses, & jusqu’aux Bijoux les plus communs, on ne luy voyoit rien qui ne fust de prix. Il se mesla parmy les jeunes Gens de son âge qui se distinguoient, ou par leur rang, ou par leur dépense. C’estoit là qu’il debitoit ouvertement les bonnes fortunes qu’il prétendoit avoir euës dans ses Voyages ; & pour peu qu’on le poussast sur le chapitre des Belles qu’il voyoit depuis son retour, il ne manquoit jamais d’en parler d’un air à faire croire qu’il n’estoit pas mal avec celles qui avoient le plus de merite. Un jour qu’il soupoit avec cinq ou six de ses Amis, une maniere de Laquais sans livrée luy apporta un Billet ; & sortit aussi-tost sans en attendre la réponse, ny luy dire de quelle part il venoit. Le Marquis l’ouvrit, & apres l’avoir lû tout bas, il dit avec un soûrire qui marquoit un Homme content, qu’il n’estoit pas plus malheureux à Paris qu’il l’avoit esté ailleurs. C’estoit dire assez pour faire comprendre que le Billet venoit d’une Belle. Il fit le discret, & ne voulut point le montrer d’abord ; mais enfin si-tost qu’on eut achevé de souper, la tentation de parler le prit, & il n’y eut aucun de la Compagnie qu’il ne tirast à quartier tour à tour, pour luy faire confidence de son bonheur. Le Billet estoit conçeu en ces termes.

Vous avez tant de merite, Monsieur, qu’on ne peut s’empescher de vous dire qu’il fait plus d’effet que vous ne pensez sur l’esprit des Gens qui ont le bien de vous voir. Je ne suis pas la seule qui s’en est aperçeuë, mais je puis vous dire que je suis celle qui en est la plus penetrée. Il ne tiendra qu’à vous de recevoir des marques de cette verité, mais il est assez à propos de sçavoir auparavant si vous agréerez les avances qu’on vous fait. On ira demain chez vous pour avoir la rêponse, suivant laquelle on prendra les mesures necessaires.

Chacun le congratula sur la bonne fortune qui l’attendoit ; & les applaudissemens qu’il reçeut, enflerent tellement sa vanité, qu’il ne se figura rien moins qu’une Duchesse dans la Personne qui vouloit noüer commerce avec luy. Les Amis qu’il régaloit estant sortis, il passa une partie de la nuit à se regarder, admira cent fois sa bonne mine, & ne douta point qu’il ne vinst à bout de toutes les conquestes qu’il voudroit faire. Le lendemain le mesme Laquais revint d’assez bon matin. Il luy apportoit un second Billet, qui faisant connoistre que l’impatience qu’on avoit de l’entretenir, ne permettoit point qu’on attendist sa réponce, luy marquoit l’heure & le lieu d’un rendez-vous pour le soir. Il le reçeut avec un transport de joye incroyable ; & apres avoir écrit de la maniere la plus tendre pour remercier sa belle Inconnuë, il renvoya le Laquais qu’il tâcha inutilement de faire parler. En même temps il se fit apporter l’Habit le plus riche & le plus galant qu’il eust, & se mit dans une propreté achevée. En cet équipage il alla trouver ces mesmes Amis à qui il avoit fait confidence du premier Billet, & eut le plaisir de se faire dire qu’il estoit aisé de connoistre les Gens à bonne fortune. Il leur avoüa le rendez-vous sans leur en vouloir dire le lieu, & ne manqua point de s’y rendre à l’heure marquée. Mais il n’y vit paroistre aucune Femme d’assez bon air pour luy en vouloir ; & apres avoir attendu fort longtemps, il apperçeut le Laquais accourant de toute sa force pour luy donner un nouveau Billet. Quoy qu’il fust déja assez tard, il eut d’assez bons yeux pour le lire. Il estoit remply d’excuses de ce qu’un tres-grand monde survenu mal à propos empeschoit qu’on ne tinst parole. On en témoignoit tout le déplaisir possible, avec assurance d’en venir dire davantage le lendemain, quelque obstacle qui pust arriver. Ce Billet consola fort le Marquis. Il jugea par ce grand monde dont on luy parloit, que son Inconnuë devoit estre quelque Personne du plus haut rang ; & cette pensée qui flatoit si agreablement son ambition, l’empescha de regreter le temps qu’il avoit inutilement passé à l’attendre. Enfin le moment fortuné arriva. Le Marquis estoit dans une partie de Jeu qu’il quita au grand murmure de quelques Perdans, pour courir au lieu assigné : mais quelque diligence qu’il fist, il fut prévenu par la Belle qui l’attendoit à son tour depuis un quart d’heure, accompagnée d’une seule Demoiselle. Elle luy reprocha d’abord son peu d’empressement pour une Dame qui par le rang qu’elle tenoit dans le monde, & par les avances qu’elle avoit bien voulu faire pour luy, méritoit peut-estre qu’il se trouvast le premier au rendez-vous. Elle adjoûta galamment, qu’il s’estoit voulu vanger de ce qu’elle luy avoit manqué de parole le jour précedent, & soûtint la conversation avec tant d’esprit, que dés ce moment le Marquis devint le plus amoureux de tous les Hommes. Il la conjura par tout le respect qui estoit deû à son Sexe, & par celuy qu’il avoit particulierement pour sa personne, de ne luy point cacher son visage ; mais elle luy opposa qu’elle avoit trop à risquer en se découvrant avant qu’elle fust assurée, & de sa discretion, & des veritables sentimens de son cœur. Ainsi il fut contraint de se contenter d’admirer en elle une taille fine & aisée, des cheveux blons, & les plus beaux yeux du monde. La Dame luy fit fort valoir la peine qu’elle avoit euë à se dérober de sa suite pour le venir chercher en Chaise de Ruë ; & les assurances qu’ils se donnerent l’un à l’autre d’une amitié aussi secrete que tendre, finirent par une galanterie qui surprit extraordinairement le Marquis. Il avoit des Gands dont la frange estoit de couleurs tres-agreablement assorties. La Dame en prit un qu’elle fit emporter à sa Suivante, dans le dessein de se faire faire une Garniture des mesmes couleurs qu’elle vouloit porter pour l’amour de luy. Il fit ce qu’il pût pour obtenir qu’on le chargeast de ce soin, se tenant assez obligé de la grace qu’on luy faisoit de luy vouloir ressembler en quelque chose ; mais la Dame s’obstina à garder son Gand, & osta ensuite un des siens, en disant qu’elle avoit un gage d’amitié à luy donner. Le Marquis fut charmé de luy voir le bras & la main d’une beauté admirable ; & croyant que le gage d’amitié dont on luy parloit, devoit estre la permission de baiser cette belle main, il se pancha dessus avec beaucoup de respect. La Dame la retira doucement, & osta un Diamant de son doigt, qu’elle pria le Marquis de vouloir porter pour un souvenir eternel des sentimens que son mérite luy avoit inspirez pour luy. Un Présent de cette nature laissa le Marquis tout interdit. Le Diamant luy parut de prix. Il estoit brillant, & il crût qu’il pouvoit le refuser sans estre incivil ; mais la Dame voulut si absolument qu’il l’acceptast, qu’il fut contraint de le mettre au bout de son doigt. La conversation dura encor quelque temps. La Dame luy fit paroistre toûjours un feu d’esprit qui eust engagé le plus insensible ; & afin qu’il ne se figurast pas qu’elle eust besoin d’autre chose que d’elle-mesme pour toucher son cœur, elle luy permit de rompre avec elle s’il la trouvoit laide, quand elle le connoistroit assez pour oser luy découvrir qui elle estoit. Enfin ils se séparerent sans que le Marquis pust obtenir une seconde entrevuë qu’à trois jours là. Outre les mesures que la Dame avoit à garder, elle estoit pour tout ce temps-là de parties de Jeu & de Repas, qui ne luy permettoient point de disposer d’elle-mesme. Il luy presenta la main pour la mener jusqu’à une Chaise de Ruë qui l’attendoit à cent pas de là. Elle le soufrit, mais avec de si expresses défenses de la faire suivre, s’il ne la vouloit perdre pour toûjours, qu’il n’osa s’y hazarder. Ces trois jours sans voir sa belle Inconnuë, furent un siecle pour luy. Il en reçeut un Billet, qui en augmentant son amour, augmenta l’impatience qu’il avoit de luy exagerer la force de sa passion. Cependant il ne pût s’empescher de satisfaire sa vanité, en faisant paroistre aux yeux des Dames avec qui il avoit le plus d’habitude, le Diamant qu’il portoit au bout du doigt. On prenoit plaisir à luy dire que c’estoit une faveur de Belle, & il ne s’en défendoit que d’une maniere à faire connoistre qu’il n’estoit pas fâché qu’on le crust. Ce qui le charmoit davantage, c’est qu’un Joüaillier qui luy avoit fourny plusieurs Bijoux, luy en voulut donner cent cinquante Loüis, pour accommoder une Personne qui luy en demandoit un de cette valeur. Il fut convaincu par là que la Dame qui luy avoit fait ce Présent, estoit une Femme d’une qualité fort relevée ; & ne voulant pas avoir la honte de recevoir sans donner, il chercha un Collier de Perles de quatre ou cinq mille livres, pour répondre à la galanterie de son Inconnuë. Le jour du second rendez-vous estant arrivé, il s’y trouva de si bonne heure, qu’il reçeut de la Belle toutes les loüanges qui sont deuës à un Amant empressé. Il luy jura cent fois qu’il mouroit d’amour pour elle ; & en attendant qu’il pust mériter son entiere confiance, il la conjura de vouloir accepter à son tour un foible gage de l’inviolable attachement qu’il luy voüoit. La Dame eut à peine regardé le Collier de Perles, qu’elle se montra fort offencée de son Présent. Elle vouloit remonter sur l’heure en Carrosse, mais enfin il luy dit des choses si tendres sur le desespoir où le mettoient ses refus, qu’il n’eut plus à combatre que le scrupule qu’elle luy opposa d’un Mary jaloux. C’estoit un Homme à prendre ombrage de ce Collier, & à luy en faire l’affaire du monde la plus cruelle, si elle s’engageoit à le porter, comme le Marquis le souhaitoit. Il y a remede en tout, & il y en eut en cela. On prit le party de chercher une de ces Femmes à qui l’on confie de pareils Bijoux, qui l’apporteroit pendant le disner, & qui sur le bon marché qu’elle en feroit, engageroit le Mary à trouver bon que sa Femme l’achetast. On ne douta point que cet expédient ne réüssist ; & la Dame qui promit de faire de son mieux là-dessus pour contenter le Marquis, revint parée de ce Collier au troisiéme rendez-vous qu’elle luy donna. Le Marquis pressoit toûjours pour voir son visage, mais c’estoit une faveur qu’on vouloit luy rendre plus chere en la diférant ; & dans l’envie qu’on luy témoignoit d’établir avec luy l’amitié la plus parfaite & la plus constante, il ne pouvoit se plaindre qu’on cherchast à s’assurer entierement s’il seroit discret. Les deux Amans se firent les plus fortes protestations, & la suite en fut remise au lendemain, si pourtant le Marquis estoit en pouvoir de venir au rendez vous. Ce qui en faisoit douter la Dame, estoit qu’on venoit de l’avertir qu’il avoit fait une partie de Jeu avec des Femmes, à l’une desquelles il destinoit de fort magnifiques Tabletes qu’il avoit fait faire. Il avoüa la partie de Jeu, mais pour les Tabletes, il dit que toutes belles qu’estoient les siennes, il n’avoit songé qu’à luy seul en faisant la dépense qu’il y avoit faite. La Dame prétendit toûjours estre fort bien avertie, & il ne la pût guerir de ses soupçons qu’en luy remettant les Tabletes entre les mains. Comme il estoit grand amateur de Bijoux, il avoit fait mettre force petits Diamans aux quatre coins, avec un autre de prix au bout du Poinçon qui estoit d’or. La Dame se montra charmée de ce sacrifice ; & en l’assurant qu’elle luy en tiendroit compte, elle luy promit de les luy rapporter le lendemain remplies de choses qui apparemment n’auroient rien qui luy déplairoit. Elle tint parole ; & ce qu’elle y avoit écrit demandant réponce, les Tabletes passerent d’une main à l’autre pendant trois ou quatre rendez-vous. Un soir qu’il les luy avoit données pour lire des Vers que l’Amour luy avoit dictez (car il ne faut qu’estre Amant pour devenir Poëte) la Dame qui estoit fort enjoüée, luy dit plaisamment qu’elle invoqueroit toutes les Muses pour le payer en mesme monnoye ; & que la Poësie autorisant les fortes expressions, il auroit lieu d’estre content de ce qu’il trouveroit dans ses Tabletes. Il tâcha de profiter de sa belle humeur, & apres mille assurances de tendresse & de fidelité reïtérées, il la conjura si fortement de ne le point priver davantage du plaisir de voir la seule Personne pour qui il aimoit la vie, qu’enfin elle luy promit d’estre le lendemain sans masque sur les onze heures dans une Eglise qu’elle luy marqua, où il luy seroit aisé de la connoistre, & par sa taille, & par la Garniture qu’elle devoit mettre pour la premiere fois, des mesmes couleurs dont la frange de ses Gands estoit assortie. Elle adjoûta, qu’il ne s’ennuyast point de l’attendre, parce que demeurant dans un Quartier où l’on n’entendoit aucune Horloge, & ayant donné sa Montre à raccommoder, elle pourroit se tromper à l’heure, comme elle avoit fait ce soir-là mesme en venant au rendez-vous beaucoup plus tard qu’à son ordinaire. Le Marquis à qui l’impatience de connoistre ce qu’il aimoit, faisoit compter le moindre retardement pour un siecle, la pria de prendre sa Montre qui outre les Diamans dont la Boëte brilloit de tous costez, estoit d’elle-mesme d’un prix tres-considérable. Ainsi il ne fut plus question que de regler la conduite du Marquis, qui devoit se contenter de luy faire un compliment des plus courts, s’il la vouloit aborder, & de la remener à son Carrosse, pour ne pas faire soupçonner à ses Gens qu’il y eust rien de concerté entr’eux. Elle luy ordonna les mesmes précautions pour les visites qu’elle s’imagina bien qu’il luy rendroit, & qu’il luy seroit facile de recevoir, puis que sa Maison estoit ouverte à toutes les Personnes de qualité. C’estoit toûjours avoir la satisfaction de se voir, en attendant que l’Amour leur fist prendre des mesures justes pour des teste-à-teste où il n’y eust rien à risquer. Le Marquis l’assura qu’elle n’auroit jamais à se plaindre de son manque de discretion, & luy pressant les mains entre les siennes, il luy dit les choses les plus tendres & les plus passionnées. Elle y répondit d’une maniere fort obligeante, & prenant le Diamant du Marquis qui luy sembloit mal placé, elle voulut le mettre à un autre doigt, mais l’Anneau ne se trouva pas assez grand, & apres l’avoir froté quelque temps pour le faire briller davantage, elle le remit au mesme doigt d’où elle venoit de le tirer. Ils se quiterent le plus tard qu’ils pûrent, & toûjours plus résolus à ne cesser jamais de s’aimer. Le Marquis flaté de la joye de voir enfin sa chere Inconnuë, passa la plus grande partie de la nuit à resver à son bonheur, & l’heure du rendez-vous approchant, il se fit mener au lieu marqué dans une parure qui tenoit du magnifique. Elle le fit regarder de toutes les Belles, sans qu’il en découvrist aucune qui eust apparence d’estre celle qu’il cherchoit. Il estoit pres de midy, & déja il commençoit à desesperer qu’on luy tinst parole, quand il vit entrer une Dame menée par un Ecuyer, & suivie de quatre Laquais. Elle avoit la taille de son Inconnuë, & une Garniture des mesmes couleurs qu’on luy avoit promis de porter. Il n’y eut point de joye pareille à la sienne. Les Livrées luy estoient connuës, & il n’eut pas besoin d’examiner le visage de la Dame, pour sçavoir que c’estoit une fort belle Personne, & qui faisoit une tres-grande figure dans le monde. Il luy fit un profond salut, qu’elle luy rendit fort civilement ; & si-tost qu’elle se leva pour sortir, il s’avança vers elle d’un air riant qui la mit dans un fort grand sérieux. Il crût d’abord qu’elle en usoit de cette maniere, ou pour l’éprouver, ou par la considération de ses Gens ; mais luy ayant dit tout-bas quelque chose qui regardoit leur commerce, il en reçeut une si rude réponse, qu’ayant remarqué qu’il manquoit quelques couleurs à la Garniture, & que la Dame n’avoit point le Collier de Perles, dont elle s’estoit parée jusque-là, il demeura convaincu qu’il s’estoit mépris, & se retira sans oser luy ofrir la main. L’avanture luy donna un fort grand chagrin. Il crût le voir terminé par le rendez-vous du soir, ne doutant point que si quelque affaire indispensable empeschoit la Dame de s’y trouver, elle ne luy envoyast un Billet, mais il attendit inutilement jusqu’à la nuit. Il ne vit paroistre personne, & s’en retourna dans un desespoir inconcevable. Le lendemain au matin il passa encor plus de deux heures dans le mesme lieu que la Dame luy avoit marqué, & ne fut pas plus heureux qu’il l’avoit esté le jour précedent. Quelques Amis qu’il rencontra au sortir de là, l’emmenerent disner avec eux. Il déguisa son chagrin, fit quelques contes à son ordinaire, & la galanterie du Diamant qu’il portoit au bout du doigt ayant donné occasion de parler, un Cavalier qui le regarda, luy dit qu’il ne pouvoit consentir qu’un Homme aussi magnifique qu’il estoit en tout, voulust se servir d’une fausse Pierre. Le Marquis luy répondit froidement qu’il estoit fâché qu’il ne se connust pas mieux en Diamans. Le Cavalier l’ayant consideré de plus pres, soûtint ce qu’il avoit dit, & proposa une gageure de cent Loüis. Le pary fut accepté au jugement de tel Connoisseur de profession que le Marquis choisiroit. Ils allerent ensemble chez le Joüaillier, qui ne balança point à décider pour le Cavalier. Le Marquis qui ne s’attendoit à rien moins qu’à estre ainsi condamné, luy demanda pourquoy il luy en avoit voulu donner cent cinquante Loüis, il n’y avoit que dix jours. Le Joüaillier répondit qu’il estoit vray qu’il luy avoit fait voir une bonne Pierre taillée de la mesme sorte ; mais que si c’estoit la mesme Bague, il falloit qu’il l’eust confiée à quelque Personne de mauvaise foy qui en eust changé le Diamant. Le Marquis fit alors reflexion que la Dame l’avoit tenu long-temps entre ses mains, sous prétexte de le luy vouloir mettre à un autre doigt ; & joignant à cela qu’elle n’avoit point paru depuis, il ne douta plus que ce ne fust une de ces Demoiselles peu scrupuleuses, qui employent toute sorte d’artifices pour faire tomber les Dupes dans le panneau. En effet toute l’intrigue cessa, sans que les Billets qu’il fit courir luy donnassent aucune connoissance de ce que l’adroite amorce du vray Diamant luy avoit fait hazarder. Ainsi il en eut pour ses Perles, pour sa Montre, & pour ses Tabletes ; & ce qui le fâcha le plus, il fut obligé de payer les cent Loüis de la gageure.

[Réjouïssances faites à Noyon le jour de la Publication de la Paix] §

Mercure galant, février 1679 [tome 2], p. 101-107.

Vous leur ferez part en mesme temps des réjoüissances que la Publication de la Paix d’Espagne a fait faire à Noyon en Picardie. Elles ont esté si particulieres, qu’elles meritent d’estre distinguées de toutes les autres. C’est peu de vous dire que les Feux de joye ont esté suivis de trois jours de Feste, passez dans les Festins, & dans les plus agreables divertissemens. Les Femmes qui dans l’ordinaire haïssent le bruit des Armes, voulurent se signaler par une action d’éclat. Tout ce qu’il y a de belles Personnes dans la Ville, s’assembla avec la Bandolliere sur le corps, & le Pistolet à la main. Dans cet équipage elles partirent en fort bon ordre pour se rendre à la porte du Majeur, dont la Fille les vint recevoir. On la salüa de trois décharges de tous les Pistolets. Elle en prit un à son tour qu’elle tira avec une fermeté & une grace surprenante. Toute la Troupe en fut si charmée qu’on luy défera sur l’heure le Commandement, qui ne luy estoit pas moins deû par son adresse à bien manier les Armes, que par son rang de Fille de Maire. L’élection du Capitaine estant faite, on donna des noms de guerre à toutes les Belles qui formoient cette Compagnie, & on choisit particulierement ceux qui avoient quelque raport à leur humeur. Lors qu’elle fut preste à se mettre en marche, on luy apporta son Drapeau fait exprés. On y avoit peint des Amazones au lieu d’Armes. Ces mots estoient écrits tout au tour. L’Esprit, le Courage, & la Vertu n’ont point de sexe. Le milieu de ce Drapeau estoit occupé par de jeunes Aiglons tenans des Foudres qui servoient de corps à une Devise, avec ces paroles pour ame. Ferimus, non timemus. On leur donna une double explication. L’une fut, Nous les portons sans les craindre, & l’autre, Nous blessons, & demeurons intrépides. Le Drapeau arrivé, elles prirent toutes leur rang, & s’avancerent vers la grande Place au son des Tambours, des Flutes douces, & des Hautbois. Le Maire & les Echevins qui s’estoient rendus à l’Hôtel de Ville, en sortirent pour venir au devant d’elles. On se salüa de part & d’autre. Les Dames tirerent leurs Pistolets, & le Corps de Ville les ayant comptées, leur donna des Billets pour aller loger par Estape chez les principaux Officiers. Personne ne chercha à se faire décharger de ce logement ; & au lieu que les Hostes n’ont jamais plus de joye que quand ils voyent déloger leurs Gens de guerre, ce ne furent icy que regrets à s’en separer. On leur servit par tout de magnifiques Collations ; mais quelque soin qu’on prist de bien traiter ces belles Guerrieres, il fut impossible de les arrêter à coucher, & toutes ces aimables Personnes se retirerent, malgré les plaintes que firent leurs Hostes de ce qu’elles ne se servoient point chez eux du Privilege que la qualité de Soldat leur y donnoit.

La suite de la description se trouve dans le Mercure du mois de mars 1679

Fable de la Tourterelle et du Ramier §

Mercure galant, février 1679 [tome 2], p. 107-113.

Les glorieuses Campagnes de Loüis le Grand, semblent avoir inspiré en France un cœur d’Amazone à toutes les Femmes, & ainsi on ne doit pas estre surpris d’y voir tant de Braves de l’autre sexe. La Guerre nous en a emporté beaucoup, & je ne doute point que leur mort n’ait cousté des larmes à de beaux yeux, mais il n’y a point de douleurs qui ne finissent. La Fable qui suit vous l’apprendra.

Fable

de la Tourterelle

et du Ramier.

QU’on ne me parle plus d’amour, ny de plaisirs,
    (Disoit un jour la triste Tourterelle.)
Consacrez-vous, mon ame, à d’éternels soûpirs,
        J’ay perdu mon Amant fidelle.
    Arbres, Ruisseaux, Gazons délicieux,
    Vous n’avez plus de charmes pour mes yeux,
        Mon Epoux a cessé de vivre.
Qu’attendons-nous, mon cœur ? hâtons-nous de le suivre.

***
Comme on l’eust dit, autrefois on l’eust fait.
Quand nos Peres vouloient peindre un Amant parfait,
    La Tourterelle en estoit le simbole.
Elle suivit toújours son Epoux au trépas ;
        Mais la mode change icy-bas
        De cette constance frivole.
    Le desespoir a perdu son crédit,
        La Tourterelle se console,
S’il faut tenir pour vray ce que la Fable en dit.

***
    Elle prétend que cette Desolée
À sa juste douleur voulant estre immolée,
Choisit un vieux Palais, vray sejour des Hiboux,
Où sans chercher aucune nourriture,
Un prompt trépas estoit son espoir le plus doux.
    Mais qui ne sçait qu’en telle conjoncture
Souvent nostre destin ne dépend pas de nous ?

***
        Dans cette Demeure sauvage
        Habitoit un jeune Ramier,
        Houpé, pattu, de beau plumage,
        Et quoy que jeune, vieux routier
En l’art de soulager les douleurs du Veuvage.
Pour nostre Tourterelle il met courtoisement
        Ses plus beaux secrets en usage.
        La pauvrette au commencement,
        Loin de prester l’oreille à son langage,
    Ne vouloit pas se montrer seulement ;
Mais le Ramier parlant de defunt son Amant,
        Insensiblement il l’engage
        À recevoir son compliment.

***
Ce compliment fut d’une grande force.
Il disoit du Defunt toute sorte de bien,
        Ne blâmoit la Veuve de rien ;
        Bref ce fut une douce amorce
    Pour attirer un plus long entretien.

***
        Voila donc la belle Affligée
        En tendres propos engagée ;
        Elle tombe sur le discours
        De l’histoire de ses amours ;
        Dépeint, non sans cris & sans larmes,
Du pauvre Trépassé les vertus & les charmes,
Et ne croyant par là qu’étouffer sa douleur,
Elle apprit au Ramier le chemin de son cœur.

***
Sur ce que le Defunt avoit fait pour luy plaire,
        Il comprit ce qu’il falloit faire ;
        Il estoit Copiste entendu,
Et sçeut si dextrement imiter son modelle,
        Que dans peu nostre Tourterelle
Crût retrouver en luy ce qu’elle avoit perdu.

[Réjoüissances faites à Parme pour la naissance d’un second Prince] §

Mercure galant, février 1679 [tome 2], p. 113-120.

La naissance d’un second Prince que Dieu a donné à la Maison de Parme depuis six mois, causa tant de joye au Duc de ce nom, qu’il fit préparer des Opéra en Musique, qui devoient estre représentez ce Carnaval sur le Theatre du College des Nobles de cette fameuse Ville. Ce Theatre est superbe par ses Machines, & par une quantité de Décorations qui forment des changemens surprenans, & des Scenes magnifiques. Plus de trois cens Gentilshommes des meilleures Maisons de l’Europe sont élevez & instruits dans ce College par les soins de Monsieur le Duc de Parme, qui a esté bien aise de leur donner les Divertissemens dont je vous parle, pour leur servir de relâche dans une saison qui semble n’estre destinée qu’aux plaisirs. Rien n’est mieux reglé que les Exercices de ces jeunes Gentilshommes. Ce Duc leur envoye deux fois la semaine les Chevaux de son Ecurie, & mesme ses Ecuyers, pour leur apprendre à monter à cheval, & à voltiger. Outre cela, il y a pres de cinquante Maistres gagez tant pour les Jeux de la Pique & du Drapeau, pour la Peinture, la Musique, & toute sorte d’Instrumens, que pour les Langues Etrangeres, les Fortifications, l’Arithmétique, & la Poësie Françoise & Italienne, sans que ces Exercices les détournent de l’application qu’on leur fait avoir pour les belles Lettres. Tous ceux qui voyent cette Maison, ne peuvent se lasser d’en admirer le bon ordre. Messieurs les Comtes de Fustemberg, qui sont partis de France si estimez de Monseigneur le Dauphin, avoient esté conduits dans ce College pour y achever leurs Etudes ; mais leur indisposition continuelle ayant fait craindre à Monsieur l’Evesque de Strasbourg leur Oncle, qu’elle n’eust des suites fâcheuses, les a obligez d’en sortir, pour aller à Vienne où ils respirent un air qui leur est plus naturel.

Madame la Duchesse Doüairiere de Parme ayant appris les particularitez du Mariage de Monsieur le Duc Sforce Romain, en a fait part à Dom Aléxandre Sforce, Cousin germain du Marié, & ancien Pensionnaire de ce College. Il en a montré d’autant plus de joye, qu’il a l’inclination toute Françoise. Aussi se fait-il enseigner cette Langue avec grand soin, pour s’en servir à recevoir sa nouvelle & charmante Parente, qu’on croit qui prendra la route de Parme en allant à Rome. Parmy les singularitez de cette Ville, on vante fort le Theatre du Palais Ducal. Il passe pour estre l’unique en Europe qui mérite la curiosité des Etrangers, soit pour les Peintures & les Sculptures des meilleures Mains anciennes & modernes, soit pour sa grandeur extraordinaire. La Salle où il est contient jusqu’à douze mille personnes ; & ce qui est surprenant, c’est que sans trop élever la voix, tout ce qui se dit sur ce Theatre est entendu aussi clairement de tous costez, que si on estoit aupres de ceux qui recitent. On m’en promet la description. Si on y adjoûte le Dessein, vous aurez la satisfaction de le voir gravé.

[Avanture de la Dame volée] §

Mercure galant, février 1679 [tome 2], p. 120-128.

Il faut cependant vous apprendre une Avanture aussi rare dans ses circonstances, qu’elle est ordinaire dans sa fin. Une Dame qui aime le jeu plus que toute chose, & qui alloit trois ou quatre fois la semaine satisfaire cette passion chez une Amie dans un Quartier assez éloigné, revenant un soir sur les huit heures, passa devant l’Opéra, où il y avoit une fort grande quantité de Carrosses. Le sien ne laissoit pas de trouver passage, quand une Chaise roulante vint mal-à-propos à la traverse, & forma un embarras. Un Homme assez propre, vestu de noir, avec un Manteau & un Colet de Point de France, se rencontra là, appellant son Cocher qu’il ne pouvoit découvrir. Un Laquais appella aussitost ce mesme Cocher au nom de son Maistre, qu’il qualifia de Conseiller ; & comme le Cocher ne répondit point, il dit qu’il l’alloit chercher dans la Place. Le remercîment que luy en fit l’Homme sans Carrosse, fit connoistre que le Laquais n’estoit point à luy. En mesme temps il vit avancer deux autres Carrosses qui sembloient le mettre en péril d’en estre blessé. Il s’adressa alors à la Dame, qui estoit seule, & la suplia de luy vouloir donner une place dans le sien, jusqu’à ce que l’embarras fust passé. Le nom de Conseiller qu’elle avoit oüy, ne luy laissant rien à craindre d’un Homme de Magistrature, elle ne luy accorda pas seulement ce qu’il demandoit, mais elle offrit de le remettre chez luy, puis qu’il estoit sans voiture. Il accepta le party, en luy nommant son Quartier, pourveu qu’on la remenast d’abord chez elle. Elle n’y pouvoit presque aller sans qu’elle passast par sa Ruë, & ainsi elle donna ordre qu’on y arrestast. L’embarras cessa, & on commença de marcher. La civilité de la Dame engagea le Conseiller à de grands témoignages de reconnoissance. Il luy dit qu’il estoit sorty de l’Opéra au cinquiéme Acte, & qu’il falloit qu’on ne luy eust point encor amené son Carrosse, puis qu’il avoit marqué l’endroit où il devoit le trouver. Celuy de la Dame ayant alors détourné par une Ruë assez longue & fort deserte, le prétendu Conseiller changea de langage, & luy demanda la Bource. Jugez de sa surprise. Elle voulut crier, mais la déplaisante vision d’un Pistolet luy ferma la bouche. Il luy fut inutile de dire d’abord qu’elle n’avoit point d’argent. L’adroit Filou luy fit connoistre en peu de paroles, qu’il sçavoit qu’elle venoit de joüer chez son Amie qu’il luy nomma. Il adjoûta mesme qu’il y avoit quinze jours qu’il épioit l’occasion qu’il avoit enfin rencontrée ; que des Gens associez avec luy avoient formé tout exprés l’embarras qui l’avoit arrestée devant l’Opéra ; que le Laquais qui l’avoit fait passer pour Conseiller, estoit de l’intelligence, & qu’il y avoit dix de ses Camarades qui le suivoient pour luy prester main forte en cas qu’il en eust besoin. Il parloit & voloit dans le mesme temps. Sa Harangue ne se termina pas à la Bource. Il obligea la Dame de se défaire d’un Collier de Perles, qu’il s’apropria par la vertu du mesme Pistolet qu’il luy faisoit toûjours voir. Le vol fait, il cria qu’on le descendist. Ses officieux Camarades accoururent aussitost à la portiere, & laisserent la Dame à demy-morte de frayeur. Ce qui la fâcha le plus quand elle se trouva un peu remise, c’est qu’outre quarante ou cinquante Loüis qu’elle avoit portez, elle en avoit gagné encor autant, & sembloit ne s’estre trouvée en fortune que pour faire les affaires du Filou.

Madrigal §

Mercure galant, février 1679 [tome 2], p. 128-129.

Un galant Homme qu’un compliment semblable à celuy que reçeut la Dame, obligea aussi un jour de rendre la Bource, s’en consola par ces Vers envoyez à une Belle.

Madrigal.

Philis, plaignez mon sort, je n’ay point de resource,
J’ay perdu mon bien quand on a pris ma Bource,
    Et ce malheur me cause mille ennuis.
L’espoir s’enfuit de moy, le bonheur m’abandonne,
Je n’ay plus que mon cœur, Philis, je vous le donne,
Je ne puis rien de plus en l’état où je suis.

Madrigal §

Mercure galant, février 1679 [tome 2], p. 129-131.

On croit quelquefois ne donner son cœur qu’en riant. Il est reçeu de la mesme sorte. On s’accoûtume à se voir, & l’habitude estant une fois formée, il n’y a plus moyen de s’en dédire. C’est ce que vous trouverez fort spirituellement décrit dans ce Madrigal. Il est de Mr le Chevalier de la Terrie, Capitaine au Regiment du Roy, & fait voir que le commerce des Muses n’est pas incompatible avec la profession des Armes.

Madrigal.

    Une simple inclination
Dans ses commencemens est toûjours peu de chose.
Un cœur sur sa fierté bien souvent se repose,
    Sans crainte & sans précaution.
    Mais ce panchant si doux en apparence,
    Va bientost plus loin qu’on ne pense,
Sans qu’on s’en apperçoive, on se laisse enflâmer,
On soufre avec plaisir un mouvement si tendre,
Et quand ce cœur surpris commence à s’alarmer,
    Il n’est plus temps de se défendre.

Theses galantes. Adamante à Pirope §

Mercure galant, février 1679 [tome 2], p. 131-141.

Personne n’ignore que l’Amour est un grand Maistre ; mais quoy qu’il ait eu de tout temps beaucoup de Disciples, les Theses galantes que je vous envoye sont les premieres qu’on ait entrepris de soûtenir par Acte public. Ceux qui les voudront attaquer, seront reçeus, pourveu qu’ils ne fassent pas de longs discours. Il suffiroit d’un Madrigal sur tel Article qu’on voudra choisir pour entrer dans la Dispute. Vous en avertirez vos Amis.

Theses

galantes.

Adamante à Pirope.

VOs beaux yeux sous lesquels j’ay fait toute mon étude, m’obligent à vous offrir ces Theses galantes. L’Amour ne s’est servy que de luy-mesme pour en faire naistre les Propositions en mon esprit. Il n’a point foüillé de Bibliotheques, ny feüilleté d’autres Livres que celuy de mon cœur, pour luy en donner l’intelligence. Il n’a rien emprunté d’Aristote, ny des anciens Autheurs. Il eust crû offencer vostre Beauté, qui est le vray Professeur en cette Science, s’il n’eust tiré d’elle-mesme les raisons dont il prétend se servir. C‘est la seule Université où s’apprennent les plus délicates pensées ; c’est où les Graces, les Douceurs, les Mignardises, & les Gentillesses, régentent ; c’est où jamais Disciple ne se crût assez sçavant pour avoir des Degrez de Licence ; c’est où les Leçons ont tant de delices, qu’on voudroit estre en étude perpetuelle ; enfin c’est où il semble que soit l’état de perfection, & la plus grande douceur de la vie. Mon dessein, belle Pirope, est de maintenir pour vostre gloire les Conclusions suivantes, & faire voir à ceux qui paroistront en la Dispute, qu’il s'est trouvé autrefois des Bacheliers Erophiles, & que je suis Erophile sans avoir esté Bachelier.

CONCLUSIONS.

I.

Qu’on ne sçauroit parler d’un parfait amour apres sa fin, parce que sa perfection présupose l’infinité.

II.

Que l’on peint l’Amour enfant, à cause qu’estant délicat & sensible, il ne peut souffrir la moindre douleur, ny la moindre amertume, sans se plaindre, & sans pleurer.

III.

Qu’on ne luy met point des aisles, pour marque d’inconstance, mais à cause de sa vîtesse incomparable.

IV.

Qu’on luy donne un Arc & des Fleches, plutost que d’autres armes, parce que les blessures d’amour se font sans bruit.

V.

Que Vénus sa Mere ne luy attacha point un Bandeau pour luy oster entierement la lumiere, mais à dessein de l’empescher de trop voir.

VI.

Qu’on le dépeint nud, pour faire connoistre qu’il doit estre toûjours accompagné de sincérité.

VII.

Que les Amans ne se peuvent sauver des mains de l’Amour, parce que leur fuite ne sçauroit égaler la promptitude & la vîtesse de ses aisles.

VIII.

Que c’est une marque que l’amour n’est point parfait, lors que nostre esprit nous peut proposer quelque moyen d’en guérir.

IX.

Qu’en amour le desir croist toûjours avec l’espérance.

X.

Qu’à mesure que l’amour augmente en nous, toutes les autres passions diminuënt.

XI.

Que l’amour attire toûjours la Personne aimée, pourveu qu’elle ne soit point prévenuë d’une autre passion, ou qu’il n’y ait point d’antipatie formée.

XII.

Qu’on ne peut disputer contre son amour, & estre d’accord avec soy-mesme.

XIII.

Que toutes les choses se maintiennent par l’amour, & se détruisent par la haine.

XIV.

Que pendant l’absence, nos ames sont si sensibles à la douleur, si tendres & si craintives pour ce que nous aimons, qu’elles devinent & pensent sans cesse à ce qui luy peut arriver de plus fâcheux.

XV.

Qu’il n’est rien qui s’accommode au sentiment d’un Amant pendant l’éloignement de sa Maistresse, ny qui soit agreable à ses yeux, que l’arrivée de l’Aurore, le coucher du Soleil, la naissance des Fleurs, le courant d’un Ruisseau, l’ombre d’une Forest, & la sterilité d’une Roche.

XVI.

Que bien souvent les Amans souhaitent des imperfections dans ce qu’ils aiment, afin que l’envie ne trouble point leur bonheur.

XVIII.

Qu’on excuse toûjours la Personne aimée, & qu’on en prend ordinairement le party contre soy-mesme.

XIX.

Que les Amans se consolent des plus grands malheurs qui leur arrivent, quand ces malheurs leur fournissent quelque moyen de témoigner leur amour à la Personne qu’ils aiment.

A Philis. Sur la Paix §

Mercure galant, février 1679 [tome 2], p. 152-154.

La Paix si solemnellement publiée depuis quelques mois, n’a pas éteint la guerre par tout, s’il en faut croire les reproches que Mr Vuaubert de Noyon, fait par ces Vers à une Belle insensible.

A PHILIS,
SUR LA PAIX.

Pourquoy vous opposer au repos de la Terre ?
    Apres que Louis a soûmis
    Les plus fiers de ses Ennemis,
Osez-vous bien encor entretenir la Guerre ?
***
Nos Voisins en tous lieux mettant les armes bas,
    Ont eu recours à sa clemence ;
Vos yeux seuls plus hardis, dans le sein de la France,
    Troublent la paix de ses Etats.
***
    Que nous peut servir que l’Empire
    Se montre prest à se desarmer ?
Si vostre cœur, Philis, ne se laisse enflâmer,
Les nostres accablez de leur cruel martyre,
Toûjours pleins de leurs maux, goûteront jamais
De repos assuré, ny de solide Paix.

Récit de basse §

Mercure galant, février 1679 [tome 2], p. 154-155.

Cet Amant plaintif seroit bien tost delivré de ses chagrins, s’il estoit d’humeur à profiter du conseil que l’Autheur de ces autres Vers luy donne. Ils ont esté mis en Air par Mr Labbé, Maistre de Musique de S. Jacques de Dieppe.

RECIT DE BASSE.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Amans quand finiront vos peines, doit regarder la page 155.
    Amans, quand finiront vos peines ?
Que vous m’importunez par vos tristes accens !
Vos charmantes Philis sont toújours inhumaines,
    Et vous n’estes jamais contens.
Renoncez à l’Amour en faveur de la Treille,
Son jus est plein d’appas, ses plaisirs sont parfaits.
    Un Buveur ne se plaint jamais,
    Quand il est pres de sa Bouteille.
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[Opéra representé à Turin] §

Mercure galant, février 1679 [tome 2], p. 155-159.

La Musique est en regne plus que jamais ; & dans un temps où les plus fameuses Villes d’Italie attirent les Etrangers de toutes parts par la beauté des Opéra qui s’y representent, il y auroit lieu de s’étonner si cette sorte de divertissement avoit manqué à Turin. En effet la Cour de Savoye estant une des plus galantes Cours de l’Europe, on peut dire qu’on y trouve abondamment tout ce qui marque le plus la grandeur des autres. Il y a une Troupe de Comédiens François entretenüe ; & dans toutes les occasions de Festes telles que sont le Sapate, & les jours de la Naissance de Leurs Altesses Royales, on y fait des magnificences si achevées, que peut-estre vous auriez peine vous-mesme à les croire, si je ne vous en avois convaincuë par ce que je vous ai envoyé gravé des Divertissemens de cette Cour dans ma seconde Lettre Extraordinaire. L'Opéra qu’on y a presenté ce Carnaval, estoit un Opéra Italien, & avoit pour sujet la mort d’Heliogabale. Les desordres de la vie de cet abominable Empereur sont connus à tous ceux qui ont la moindre teinture de l’Histoire. Son plaisir estoit de renverser l’ordre de la Nature. Il vouloit qu’on employast la nuit au travail, & qu’on se reposast pendant le jour. C'est pour cela que parmy les diférens changemens de Theatre qu’on a veus dans cet Opéra, il y en avoit un qui faisoit paroistre Rome illuminée. Les Representations qu’on en a faites onte esté meslées de diférentes Entrées de Ballet, de Tritons & de Faunes, de Mariniers, de Combatans, de Jardiniers, d’Esclaves & de Mores, d’Egyptiens & d’Egyptiennes. Je ne vous dis rien de l’intrigue de la Piece. Elle finissoit par la justice qu’on rendoit à la vertu d’Aléxandre, proclamé Empereur par les mesmes Soldats qui venoient de tuer Heliogabale. Il estoit son Cousin germain, & avoit esté associé à l’Empire de son vivant.

[Le double Déguisement, Histoire] §

Mercure galant, février 1679 [tome 2], p. 159-170.

Le Carnaval s’est passé icy, comme ailleurs, dans les divertissemens ordinaires de cette Saison. Vous sçavez que celuy de se déguiser pour courir le Bal, en est un fort grand pour beaucoup de monde. Ces déguisemens sont assez souvent suivis d’Avantures. En voicy une en peu de mots. Je ne vous diray que le fait, sans aucun embellissement de paroles, parce que je ne vous veux rien dire que de veritable, & que je ne prête jamais de faux incidens à toutes les Historietes que je vous raconte.

Un Homme de qualité propose à sa Femme de se déguiser avec luy pour voir les Assemblées sans estre connus. Elle y consent. Un Amy du Mary, qui avoit pour la Dame autant de respect que sa vertu & la sagesse de sa conduite le méritoient, est mis de cette partie. Ils prennent des habits diférens, & le masque change si bien leur parole, que loin d’estre reconnus de ceux à qui ils parlent par tout où ils vont, ils ne se reconnoissent eux-mesme qu’à leur équipage. Ils sçavent qu’il y a Assemblée chez un de leurs plus particuliers Amis. Ils s’y font mener, & apres que la Dame a longtemps embarassé la Maistresse de Maison par les nouvelles qu’elle luy demande de beaucoup de choses qu’elle croit secretes, elle la tire de peine en se découvrant. Les deux Masques qui l’accompagnent se donnent le mesme plaisir avec le Mary, qui les ayant à la fin connus, les oblige de le suivre dans un autre Apartement, où il veut les régaler de Liqueurs. La Dame demeure aupres de la Maistresse du Bal, qui la fait dancer plusieurs fois, & enfin elle voit revenir l’Amy, à qui elle demande en ton déguisé de Masque, ce que son Mary estoit devenu. Il répond tout bas qu’il a lieu de souhaiter qu’il ne revienne pas si-tost, puis que son éloignement luy laisse la liberté de luy dire qu’on n’a jamais eu tant d’amour qu’il en a pour elle. La Dame surprise d’un emportement si peu attendu luy demande s’il la connoist, ou s’il a perdu l’esprit. Ce sont encor de plus ardentes protestations d’amour. La Dame le repousse avec une fierté mélée de la plus forte colere, le menace de se plaindre de son insolence à son Mary, soûtient ces menaces de toutes les paroles d’aigreur qui luy peuvent estre permises, & tout ce qu’elle peut dire ne rend point le Protestant moins hardy à faire éclater sa passion. Le Mary revient. La Dame le prie de la remener, & comme elle a besoin qu’on luy aide à percer la foule, elle ne peut refuser la main de ce teméraire Amy, qui serre la sienne sans aucun respect, & luy jure que quoy qu’elle fasse, il ne cessera jamais de l’aimer. La Dame ne répond rien, remonte en Carrosse, & résiste longtemps à son Mary qui veut encor aller à une Assemblée, mais enfin elle est obligée d’avoir la complaisance qu’il luy demande. Elle y va, & pour ne s’exposer pas davantage à des déclarations dont elle se trouve mortellement offencée, elle luy fait promettre qu’il demeurera toûjours aupres d’elle dans ce dernier Bal. Quelques précautions qu’elle prenne pour le retenir, à peine est-il dans la Salle, qu’il se perd parmy le grand nombre de Masques qui y sont de tous costez. L’Amy recommence à debiter ses folies, & la Dame au desespoir perd patience. Les reproches qu’elle luy fait ayant cessé par le retour du Mary, il fut question de la remettre chez elle. On s’estoit servy du Carrosse de l’Amy pour cette partie. On arrive chez la Dame. Le dépit la fait descendre d’abord sans attendre que personne luy donne la main. L’Amy descend apres elle, & le Mary leur ayant dit qu’il vouloit encor voir un Bal où devoient estre de fort aimables Personnes, se sert du Carrosse pour y aller, malgré les cris de sa Femme qu’il laisse seule avec son Amy. La Dame le jugeant indigne qu’elle garde avec luy aucunes mesures d’honnesteté, luy dit que puis qu’il a laissé partir son Carrosse, il peut s’en aller à pied, parce qu’elle n’a aucun dessein de luy tenir compagnie. Il répond qu’assurément il passera la nuit dans sa Chambre, & la prend par la main pour l’y conduire. Elle entre dans une colere inconcevable, & se seroit portée au plus violent éclat, si enfin il n’eust osté son masque pour l’appaiser. Jugez quelle fut la surprise de la Dame. Elle trouva son Mary dans celuy qui luy venoit de faire de si injurieuses protestations d’amour. Elle ne sçavoit que penser de luy voir l’habit qu’avoit son Amy quand ils estoient sortis ensemble pour courir le Bal. Il luy conta que comme ils estoient tous deux de mesme taille, ils en avoient changé dans la Maison où elle s’estoit fait connoistre aussi-bien qu’eux, & qu’il avoit voulu joüir de l’embarras où il jugeoit bien que tout ce qu’il luy avoit dit, devoit mettre une Femme de son caractere. Il y eut un peu de gronderie, la Dame prenant cette épreuve pour une défiance qu’on avoit euë de sa vertu. Mais elle aimoit son Mary, & il est difficile d’avoir de longs diférens avec ce qu’on aime.

[La Rupture, Histoire] §

Mercure galant, février 1679 [tome 2], p. 184-195.

Il n’y a rien de plus commun que les ruptures, mais on en voit peu arriver pour une occasion aussi foible que celle que j’ay à vous conter. Un Cavalier qui voyoit une Dame d’une fort grande laideur, mais dont l’esprit luy plaisoit, se trouvant il y a dix ou douze jours avec cinq ou six de ses Amis, l’un d’eux chanta le Menuet de l’Opéra de Bellérophon, dont ces paroles font un Couplet.

Que sert la fierté dans les Belles ?
    Tout aime enfin à son tour ;
    Voit-on des rigueurs éternelles ?
Non, non, non, rien n’échappe à l’Amour.

Un de ces Languissans de profession qui veulent qu’on devine ce qu’ils ont dans le cœur, & qui croiroient manquer de respect s’il s’en expliquoient, prit l’interest du beau Sexe, & dit qu’il connoissoit des Dames toûjours rigoureuses, ausquelles il seroit dangereux de faire des déclarations, & qui ne se laissoient attendrir ny par les soins, ny par les services. Le cavalier qui estoit naturellement enjoüé, répondit que c’estoit peut-estre qu’on s’y prenoit mal, qu’il estoit inoüy que la plus Scrupuleuse eust jamais pris de chagrin d’entendre dire qu’elle fust aimée, & qu’il estoit mesme persuadé qu’il y avoit certaines faveurs innocentes, que les Belles n’estoient pas fâchées qu’on leur dérobast, parce que tout transport, quand il n’alloit point trop loin, estoit une marque de passion au lieu que le respect trop exact faisoit voir une tranquilité d’ame qui sembloit incompatible avec l’amour. On ne trouva rien dans ce sentiment qui pust estre injurieux au beau Sexe ; & comme il donna lieu à de fort agreables choses qui furent dites, le Cavalier qui se méloit de faire des Vers, envoya le lendemain ceux qui suivent à ses Amis, comme ayant esté faits sur leurs pensées.

    AMans, dont la longue constance
Ne peut fléchir un Objet rigoureux,
    Faute d’un peu d’expérience,
    Souvent vous estes malheureux.

***
On trouve mal son compte aupres d’une Maistresse,
Quand le respect toûjours veut regner sur les sens
Croyez moy, la tranquille & trop froide sagesse
    Est une vertu du vieux temps.

***
    Aujourd’huy pour se rendre aimable,
Il faut en oublier les scrupuleuses Loix.
Sied-il bien à l’Amour d’estre si raisonnable,
Quand il a pû se faire écouter une fois ?

***
    Pour mettre en bon train ses affaires,
On doit se pardonner un peu de liberté.
S’il faut parler sans fard, mesme aupres des plus fieres,
Un transport amoureux n’a jamais rien gasté.

***
    Il porte avec luy son excuse.
    Si la Prude semble en gronder,
Ne vous y trompez pas, souvent elle refuse
    Ce qu’elle brûle d’accorder.

***
La querelle d’ailleurs est assez tost finie,
    C’est un vieux jargon de l’honneur,
Et tout ce vain dehors d’une fausse pudeur
Ne se donne jamais qu’à la cerémonie.

***
Pour sauver l’apparence, il est quelquefois bon
Qu’une faveur surprise irrite un peu la Belle.
Mais quoy que la fierté prenne d’abord son ton,
Comme aussitost cette fierté chancelle,
On fait moins un larcin, qu’on ne reçoit un don.

***
    Le Sexe ne fait point d’avance.
Mille Tyrans fâcheux contraignant ses desirs ;
Un Amant n’obtient rien par la persevérance,
    Quand il se retranche aux soûpirs.

***
Ces muets Truchemens marquent trop de contrainte ;
Et comme on n’aime pas un air si retenu,
Le langage des yeux, la langueur, & la plainte,
Sont toûjours pour l’Amour d’un méchant revenu.

***
À quoy bon tant gémir ? pour soulager la peine,
    Il vaut mieux tenter le hazard.
Fust-on prest d’expirer, il est telle Inhumaine
    Qui pourroit s’attendrir trop tard.

***
    Sur un vain prétexte de gloire,
Ses yeux avec plaisir verroient nostre trépas ;
Un Mort de leur façon, dans l’amoureuse histoire,
    Feroit honneur à leurs appas.

***
O vous, qui soûpirez apres plus d’une année,
    Sans qu’on réponde à vostre ardeur,
    Vous changeriez de destinée,
Si vous connoissiez mieux tout le foible d’un cœur.

***
    De luy-mesme il cherche à se rendre,
Mais il veut qu’un Amant fasse les premiers pas.
Quand on l’attaque mal, il aime à se défendre,
Et prest à se donner, il ne se donne pas.

***
Rien n’est plus délicat, un scrupule l’arreste,
    Il se refroidit aisément,
    Et pour meriter sa conqueste,
Vous ne sçauriez marquer assez d’empressement.

Ces Vers estant d’une veine aisée n’ont pas manqué de courir. La Laide spirituelle les a vûs, & a crû se faire honneur d’en prendre le prétexte de rompre avec le Cavalier qui les a faits. Quand on luy en a demandé la raison, elle a répondu qu’elle ne croyoit pas qu’une Femme raisonnable pust recevoir aucune visite d’un Homme qui établissoit pour maxime, qu’il ne falloit qu’être un peu hardy pour se mettre en commerce de faveurs avec les Dames. Une jeune & fort aimable Marquise, qui ne garde aucunes mesures avec elle, luy ayant entendu faire ce raisonnement, n’a pû résister à la tentation de luy dire qu’elle estoit bonne de prendre ainsi l’interest du Sexe, puis que ces Vers n’avoient rien qui la regardast. Comme elle a beaucoup d’esprit, elle n’a pas voulu se faire expliquer qu’elle estoit trop laide pour faire soupçonner que personne prétendist à ses faveurs. Elle s’est contentée de demeurer ferme dans la rupture, & quoy qu’on luy ait pû dire, elle n’a plus voulu voir le Cavalier.

[Présens faits par le Roy] §

Mercure galant, février 1679 [tome 2], p. 200-206.

Le Roy, semblable à cet Empereur qui croyoit avoir perdu un jour quand il n’avoit rien donné, n’est pas seulement le plus grand des Conquérans, mais le plus libéral des Princes. Il ne faut pas s’étonner qu’il fasse des présens pendant la Paix, puis que les excessives dépenses de la guerre, & d’une guerre qui luy donnoit presque tous les Princes de l’Europe à combatre, ne l’ont jamais mis hors d’état d’en faire. Mademoiselle de Theobon, que nous avons veuë Fille d’honneur de la Reyne, & qui est presentement aupres de Madame sans aucune fonction, a reçeu depuis quelques jours une glorieuse marque de l’estime que ce grand Prince a pour elle, par une Garniture de Diamans d’un prix fort considérable qui luy a esté apportée de sa part. Quand le merite de cette belle Personne ne seroit pas aussi solidement étably qu’il l’est, la justice que Sa Majesté luy vient de rendre par ce présent, en seroit une preuve incontestable.

(Vous aurez sans-doute entendu parler de la Mascarade dont Monseigneur le Dauphin a honoré Monsieur de Strasbourg, & du grand Bal qui a esté donné trois jours apres à S. Germain dans la Salle des Opéra, où personne n’entra sans estre masqué. Mademoiselle de Beauvais, & Mademoiselle de Fontange, Filles d’honneur de Madame, estoient de la Mascarade ; & comme elles devoient faire de la dépense pour y paroistre avec Monseigneur le Dauphin, le Roy leur envoya à l’une & à l’autre une Bource, dans laquelle elles trouverent de quoy y fournir.) Il usa de la mesme libéralité dans l’occasion du Bal, envers Mademoiselle des Adraits & Mademoiselle Potiers, pareillement Filles d’honneur de Madame. Je vous parleray de ces deux grands Divertissemens, & de tout ce qui s’y est passé, avant que de finir cette Lettre. Il y a quelque temps que je vous fis la peinture de Mademoiselle de Fontange. Elle estoit juste sur ce que je vous fis sçavoir de son mérite & de sa beauté, mais je me trompay en vous disant que les yeux de cette admirable Personne estoient bleus. J’avouë que je ne l’avois pas assez bien considerée, & que m’estant laissé ébloüir à un éclat que peu de Belles ont aussi brillant, ses cheveux chastain clair qui estoient fort poudrez, me parurent blonds, & me firent croire en mesme temps qu’il y avoit du bleu dans ses yeux. Cependant elle les a noirs, doux, perçans, & pleins de feu. Ne vous étonnez pas, Madame, si je me retracte. On a quelque croyance aux Lettres que je vous écris, quand elles sont devenuës publiques. Les Articles que j’y employe font assez souvent faire des gageures, & je suis obligé par là d’estre fort exact, jusque dans les moindres circonstances des choses dont je vous parle.

[Nouvelle Medaille presentée au Roy] §

Mercure galant, février 1679 [tome 2], p. 206-208.

On a presenté une nouvelle Medaille au Roy. Elle est de Mr Brun Avocat au Parlement. On voit le Portrait de Sa Majesté dans la face droite. Le Soleil est dans le Revers, avec ces paroles tirées des Métamophoses d’Ovide, Videt omnia primus.

C’est luy qui le premier apperçoit toutes choses.

L’application en est fort juste, rien ne pouvant mieux marquer l’activité, la penétration, & l’extréme prudence de nostre incomparable Monarque, qui a cela de commun avec le Soleil, qu’il découvre & qu’il sçait le premier ce qui se passe dans ses Etats. Il n’est pas moins bien informé des affaires des autres Cours, & on peut dire que rien n’échape à ses yeux. Ce fut ainsi que les Egyptiens consacrerent la memoire d’Osiris, qu’ils representerent par un œil dépeint sur un Sceptre, afin de faire connoistre la sagesse de ce Prince.

[Réjoüissances faites à Pezenas] §

Mercure galant, février 1679 [tome 2], p. 208-219.

Comme vous avez pû prendre méchante impression de ceux qui naissent à Pezenas, sur quelques peintures publiques qui en ont esté faites, il est bon de vous faire connoistre par la maniere dont on y a publié la Paix d’Espagne, que quoy que cette Ville soit une des plus éloignées de la Cour, la Noblesse qui s’y trouve en assez grand nombre, n’y manque ny de galanterie, ny de politesse. En effet, les jeunes Gentilshommes qui ont esté presque tous élevez dans les Armées du Roy, y ont acquis un air ouvert, aisé, & tout-à-fait diférent de celuy que le Baron de la Crasse prend sur le Theatre. Les Dames y sont belles, honnestes, & spirituelles, & on n’y en connoit aucune d’assez mauvais goust, pour courir fortement après un Mary du mérite de Mr de Pourceaugnac. Voicy les particularitez de la Feste. Le 22. de Janvier, qui estoit le jour que les Consuls de Pezenas avoient choisy, estant arrivé, on entendit dans toute la Ville un bruit guerrier de Hautbois, de Trompetes, de Fifres, & de Tambours. Tous les Artisans sous les armes, se mirent en haye dans les principales Ruës. La Noblesse monta à cheval, & alla se ranger en haste sous son Etendart. Cet agreable desordre qui dura jusqu’à midy, estoit si bien concerté, que Pezenas ressembloit plutost à une place de guerre qu’on alloit assieger, qu’à une Ville où l’on devoit publier la Paix. Le Chastelain & les Consuls, accompagnez de leur Assesseur & de leur Greffier, monterent ensuite à cheval, & allerent faire le tour de la Ville. Ils estoient précedez par deux bataillons d’Artisans, & suivis d’un escadron de jeunes Gens, la plûpart Personnes de qualité. On fit alte dans les principales Ruës. Le Greffier y publia la Paix. En mesme temps cette petite Troupe fit une décharge aussi juste que si elle avoit esté instruite de tout temps dans le mestier de la Guerre. Leur Cavalcade estant finie, les Armes disparurent & on n’entendit plus par tout que des Violons, des Musetes, & des Flustes douces. Les Gentilshommes voulant plaire aux Dames qui s’estoient déguisées en Bergeres, furent assez galans pour changer leur Epée en Houlete. Le Chastelain régala les Belles d’un Bal, qui fut suivy d’un Soupé aussi propre que magnifique. Le Dessert fut assez particulier. Il y eut cinq grands Bassins, quatre de Fruit & de Confitures, & un cinquiéme au milieu, dans lequel estoient autant de Couronnes d’Olivier, qu’il y avoit d’Hommes à table, avec un Bouquet de Fleurs pour chaque Dame. Le Chastelain leur distribua ces Bouquets, & elles furent fort surprises d’y voir toutes un petit Billet attaché. Chacun ouvrit promptement le sien, & trouva des Vers. J’en ay recouvré quelques-uns que je vous envoye.

Pour Madame de N. T. S.

    L’Amour Tyran est incommode ;
    Iris, aimez moins vostre Epoux ;
    Cachez vos sentimens jaloux,
    Et laissez le vivre à sa mode.
    Servez vous de cette méthode,
Il n’est point de party qui soit meilleur pour vous.

Pour Mademoiselle

de S. N. T. M. R. T. N.

    La Feste qu’on fait en ce jour,
    Climene, vous doit estre chere,
    Puis qu’elle annonce le retour
    D’un Amant, d’un Frere, & d’un Pere.
Le desir de servir le plus puissant des Roys,
        Les obligea tous trois
    De courir hazarder leur vie
Dans ces Champs où d’honneur la bravoure est suivie.
Mais ce Roy favorable à vostre attachement,
Ne voulant pas troubler une amitié si belle,
Croit qu’il ne sçauroit mieux récompenser le zele
    Et de vous, & de vostre Amant,
    Qu’en vous le renvoyant fidele.

Pour Mademoiselle

de L… R G N.

Je crois estre obligé, Philis, de vous apprendre
    Que Cupidon se plaint de vous.
    Ce petit Enfant est fort tendre,
Et pour la moindre chose il se met en couroux.
    Tâchez d’éviter sa colere ;
    Si quelquefois l’Amour est doux,
    Le plus souvent il est severe.
Il veut vous obliger de vivre sous sa Loy,
Et se plaint hautement de vostre indiference.
    Obeïssez-luy, croyez-moy,
    Il est fâcheux d’éprouver sa vengeance.

Pour Mademoiselle

de L. G. N. C.

Vous avez de l’esprit, vous estes jeune & belle,
    Pour engager vous avez ce qu’il faut,
    Et si vous n’estiez pas cruelle,
    Vous seriez sans defaut.
Comme il ne tient qu’à vous de devenir parfaite,
    Si vostre œil a trop de douceur,
    Faites en sorte qu’il en preste
    Une partie à vostre cœur,
    C’est le plus seûr moyen pour plaire.
    Si vous voulez conserver un Amant,
        Traitez le doucement ;
    Si vous voulez vous en défaire,
    Affectez une humeur severe,
    Vous le perdrez facilement.

Vous jugez bien, Madame, que les autres Billets qui ne me sont pas tombez entre les mains, avoient comme ceux-cy quelque rapport à l’inclination & à l’état du cœur des Belles à qui ils estoient adressez. On recommença le Bal dés qu’on eut achevé de souper, & cette charmante Assemblée ne se sépara qu’apres avoir employé à dancer la plus grande partie de la nuit.

L’Empire de Mars §

Mercure galant, février 1679 [tome 2], p. 219-252.

La plûpart des Actions des Hommes estant examinées par des Gens sans occupation, il ne faut pas s’étonner si on leur donne quelquefois des motifs tout autres que ceux qui les ont produites. Ces honnestes Faineans qui n’ont que les affaires d’autruy dans la teste, faute d’en avoir pour eux-mesmes, ont leurs lieux d’assemblée où ils raisonnent à fond de toutes choses. Il n’arrive rien qui ne soit la matiere de leurs réflexions, & ils vont souvent jusqu’à vouloir deviner les plus secretes pensées de ceux qu’ils s’attachent à connoistre. Un peu apres qu’on eut publié la Paix d’Espagne, ils se trouverent assemblez en assez grand nombre. Ils parlerent d’abord de l’interest qu’avoient tous les princes de l’Empire à la faire genérale ; & s’estant entretenus en suite de la gloire que beaucoup de Braves s’estoient acquise pendant la derniere Guerre, ils tomberent sur certaines Gens qui avoient fait plusieurs Campagnes, quoy que par bien des raisons ils ne dûssent pas aller à l’Armée, les uns estant trop avares pour soûtenir la dépense qu’il y faut faire, & les autres ayant fait voir en plusieurs occasions qu’ils manquoient de cœur. Un de ces Piliers de conversation dont je viens de vous parler, & qui sçavent assez ce qui se passe à force de lire tous les jours dans le grand Livre du monde, dit que ce qui venoit de causer tant de surprise, ne devoit pas estre un sujet d’étonnement, & qu’il prétendoit le prouver, en faisant connoistre ce que c’estoit que l’Empire de Mars ; que bien que la Paix commençast à régner en France, la Guerre ne laisseroit pas d’estre toûjours dans quelque Partie du Monde ; que ce qu’il prétendoit établir devoit estre bon en tout temps, & qu’il osoit mesme soûtenir qu’il seroit plus de saison que jamais, puis qu’en parlant genéralement des choses qui regardent la Guerre, & des motifs qui y font aller, ce qu’il diroit pourroit donner lieu à des refléxions, qui par l’aplication qui les suivroit, feroient estimer davantage une partie de ceux qui s’estoient trouvez dans les dernieres Campagnes. Chacun se montra disposé à l’écouter. Il demanda du temps, & dit que son dessein estoit de donner par écrit une Description de l’Empire de Mars, & d’en faire mesme une Carte. Son dessein fut approuvé. On parla d’autre chose. Dix ou douze jours se passerent, & enfin il tint parole. Il fit voir d’abord la Carte que je vous envoye, & pria la Compagnie de l’examiner. Vous ferez, s’il vous plaist, la mesme chose, afin que par le raport du Chifre que vous y trouverez marqué, & de celuy qui est dans l’ouvrage qu’il leur apporta, vous puissiez plus aisément distinguer les divers Articles qui le composent. Le plus empressé prit cet ouvrage, & le lût tout haut. Voicy ce qu’il contenoit.

L’Empire

de Mars.

Quelques Cartes qu’on ait données jusqu’à aujourd’huy d’Empires veritables & feints, on n’en a point encor veu qui ressemble en aucune sorte à celuy dont je vous vay faire la description. Vous n’avez point jusqu’icy entendu parler d’Empire qui eust des Portes, & nous n’en avons jamais veu qu’aux Maisons, Chasteaux, Ville & Bourgs. Cependant l’Empire de Mars en a huit, qui sont,

1. La Porte de l’amour que chaque Nation a pour son Prince ; d’où l’on peut juger que celle qui regarde la France doit estre appellée la Porte de Loüis le Grand. Il a toûjours fait la guerre d’une maniere à ne pas manquer de Soldats ; & comme tout leur a esté fourny en abondance dans ses Armées, & qu’on n’a point laissé de services sans récompense, on l’a toûjours suivy avec empressement, comme un de ces Maistres infaillibles sous qui on estoit assuré qu’on apprendroit l’Art de vaincre. Cette Porte, depuis quelques années la premiere de l’Empire de Mars, & dont le chemin est le plus batu, est ornée de plusieurs bas Reliefs qui representent les Batailles que ce Conquérant a gagnées, & les Villes qu’il a prises. Cet invincible Monarque paroît à cheval au dessus de ce superbe Edifice.

2. La seconde Porte est appellée Porte du zele de la Patrie. Le chemin en estoit beaucoup plus batu du temps des Romains, la plûpart de ceux qui vouloient aller dans l’Empire de Mars, y entrant par cette Porte. Elle est remplie des Statuës de ceux qui se sont sacrifiez pour la gloire, le repos, & le bien de la Patrie. On y voit celles des Curtius, des Décius, des Codrus, des deux Freres Cartaginois, surnommez Philenes, & de beaucoup d’autres.

3. La troisiéme Porte est celle de la belle Ambition. La Statuë de la Gloire est au dessus, & l’on y voit celles de plusieurs Héros qui invitent à suivre l’exemple qu’ils ont donné. L’ambition de ceux qui passent par cette Porte pour entrer dans l’Empire de Mars, n’est pas du nombre de ces passions déreglées, qui n’ont que la fureur pour guide, & qui n’inspirent que de violens desirs de s’agrandir à ceux qui en sont maîtrisez. Celle-cy est une passion honneste, qui n’a que la gloire pour objet. Ceux qu’elle anime n’ont aucune pensée pour leur fortune. Ils ne cherchent que cette belle réputation dont il y a peu de Gens qui se rendent dignes, & qu’on croit pourtant que plusieurs possedent, parce qu’elle est souvent confonduë avec la fausse réputation dont l’éclat est encor plus brillant.

4. La Fortune, le Dieu des Richesses, & les Statuës de ceux qui ont fait leurs affaires à la Guerre, servent d’ornement à la quatriéme Porte, appellée la Porte de la Fortune. Ceux qui entrent par là dans l’Empire de Mars, ont des sentimens aussi interessez que ceux qui entrent par la Porte de la belle Ambition en ont de remplis d’honneur. Ils ne cherchent qu’à faire fortune. S’ils font quelque dépense, c’est dans le dessein de se faciliter les occasions d’en estre largement récompensez. Ils ne sont jamais contens, se plaignent sans cesse de la Fortune, & disent toûjours qu’elle ne fait rien pour eux lors qu’il se sont ruinez pour elle.

5. La cinquiéme Porte est celle de l’Inclination naturelle. Elle est remplie de Trophées d’armes, & de toutes sortes d’Instrumens de guerre. Rien ne fait prendre ce chemin, qu’une inclination qu’on a naturellement pour les armes. Ceux qui entrent par cette Porte dans l’Empire de Mars, ne sont jamais rebutez de la peine ny des périls, & y font souvent plus de fortune que ceux qui n’entrent dans cet Empire que par un mouvement d’interest.

6. Comme l’Amour se mesle de tout, & qu’il a souvent part à ce qui luy paroist de plus opposé, on ne doit pas s’êtonner s’il a une Porte dans l’Empire de Mars. La sixiéme est sous son nom. Une infinité de petits Amours luy servent d’ornemens, & semblent inviter à choisir plutost cette Porte qu’une autre pour entrer dans l’Empire de Mars. Tous les Amans dont les Maîtresses aiment la solide gloire, prennent ce chemin, parce qu’ils sont seûrs de leur plaire, en acquérant de la réputation par les armes. De pareils Guerriers se signalent dans toutes les occasions où ils se rencontrent. Rien n’êgale leur valeur, parce qu’ils sont toûjours animez du veritable feu qui fait les Braves.

7. La Sculpture de la septiéme Porte n’est que de pillage de Villes, de Villages, & de Convois, de partages de Butin fait entre les Soldats, & de paye qu’on leur donne. Aussi n’entre-t-il quasi que des soldats par cette Porte. Elle est appellée Porte de l’espoir du Gain, & leur tient lieu de celle de la Fortune, qui n’est que pour les Personnes relevées ou par leurs emplois dans cet Empire, ou par leur naissance, qui ne leur doit rien faire attendre que de grand.

8. La huitiéme & derniere Porte est appellée Porte du Libertinage, de la Faineantise, & de l’Oisiveté. Bacchus, le Jeu, & la Joye, y servent d’ornemens. Ceux qui entrent par cette Porte, ne regardent point la fatigue, parce qu’elle n’est pas continuelle, & ne se soucient pas d’avoir quelques jours de peine, dans l’esperance d’en avoir beaucoup de plaisir. Si cette amorce ne les attiroit, quantité de Gens oisifs, & mesme plusieurs Ouvriers qui n’aiment pas le travail, ne renonceroient pas à ce qu’ils doivent avoir de plus cher, pour aller prendre du bon temps à l’Armée. Toutes ces Portes ne ferment point, parce qu’il est permis à tout le monde d’entrer dans cet Empire en quelque temps que ce soit. On y est toûjours bien reçeu. On n’y paye rien pour le droit de Bourgeoisie ; au contraire ceux qui veulent y venir demeurer reçoivent de l’argent en y entrant. On les nourit, on les récompense, & on va mesme jusqu’à les solliciter d’y prendre party. A-t-on jamais entendu parler qu’il y ait aucun autre Empire dans le Monde où l’on en use de cette sorte ? & n’est-on pas bien heureux, de n’avoir rien à faire qu’à montrer quelquefois qu’on a du courage, dont on est d’ailleurs doublement récompensé par la gloire qu’on en reçoit ?

Quoy que cet Empire ait des Portes, il n’a aucunes Murailles. L’on y peut aisément entrer par les endroits vuides qui sont d’une Porte à l’autre. Peu de Gens pourtant prennent ce chemin, quoy qu’il soit fort aisé, & chacun entre par les diférentes Portes que je vous viens de marquer, selon ses diférentes inclinations.

9. Le Palais de Mars est au milieu de l’Empire. Ne vous imaginez pas que le Bâtiment en soit superbe, & que le Porphyre, le Marbre, & le Jaspe, y soient employez. Ce Dieu n’aime le plus souvent à coucher que sous des Tentes. Ce n’est pas que les dedans n’en soient d’une fort grande somptuosité, & qu’ils ne renferment quelquefois des Meubles aussi précieux que ceux qui sont dans les plus magnifiques Palais. Il faut toûjours que les Souverains soient marquez par des choses qui fassent connoistre leur grandeur, & qui impriment les sentimens de soûmission & d’obéïssance qui leur sont deûs. Sans cela il n’y auroit que tumulte & que desordre. Qui manque de respect, manque de crainte ; & qui ne craint point, fait mal son devoir.

10. La plûpart des Villes de cet Empire sont bonnes & bien fortifiées. Elles sont toûjours ou assiegées, ou menacées de l’estre. Vous en voyez d’assiegées, & d’autres pressées, où l’on commence de monter à l’assaut.

11. On y donne fréquemment des Batailles comme vous pouvez remarquer dans cette Carte. On ne s’en étonne point. Plusieurs s’en font un plaisir, n’ayant esté élevez que pour cela, & n’estant venus dans cet Empire que pour en voir.

12. On y marche fort rarement sans Escorte, à cause des embuscades dont on entend parler à tous momens. Ceux qui passent aupres des Forests, ou dedans, ont de la peine à les éviter.

13. On y voit des Villages en feu.

14. Les Villages pillez y sont en grand nombre.

15. Il y a de méchans Marais, qui sont appellez Marais des Malheureux, dont pendant les mauvais temps, de misérables Soldats peuvent quelquefois se tirer.

16. On y découvre plusieurs Montagnes, & entr’autres celle de Gloire, qui est la plus élevée. Il en sort un Torrent qui forme 17. une Riviere appellée d’Ambition. Cette Riviere en produit trois autres qui serpentent dans tout l’Empire de Mars. Ces trois Rivieres sont, 18. la Riviere de Temerité, 19. la Riviere de Fierté, 20. & la Riviere d’Intrépidité. Cette dernière roule avec une vîtesse incroyable.

Les Villages les plus considérables de cet Empire sont, 21. Vigilance, 22. Abondance, 23. Cruauté, 24. Victoire, 25. Clemence, 26. Brutalité, 27. Fatigue, 28. Repentir, 29. Crainte, 30. Terreur panique, 31. Grand cœur.

32. 33. Les Villages les plus proches des Troupes qui sont en campagne, sont toûjours choisis pour les Hôpitaux des Armées.

34. Il y a un Lac dans cet Empire appellé Lac d’Inconstance. On passe souvent d’un bout à l’autre lors qu’on y pense le moins, & qu’on n’en a pas mesme dessein, & l’on est souvent renvoyé peu de temps apres au mesme endroit d’où l’on est party. Les Vents du Sort journalier des Armes qui souflent ordinairement sur ce Lac, sont cause de tous ces changemens précipitez.

35. De tous costez hors de cet Empire, on voit des Deserteurs qui s’échapent.

Il y a des Habitans, qui quoy qu’enfermez dans ce qui s’en peut appeller l’enclos, ne sont point Sujets de Mars, & qui souvent mesme ne portent point d’armes. Tels sont les Bourgeois des Places assiegées, qui ne se meslent de rien, & qui laissant à leur Garnison, & aux Armée qui les assiegent, le soin de démesler leurs diférens, ne sont que spectateurs inquiets des coups qui se donnent.

La plûpart des Villes de cet Empire fournissent aux Troupes de bons Quartiers d’Hyver, qui mériteroient plutost d’estre appelez Quartiers de Divertissement. Ce ne sont que Bals & Réjoüissances. Les Braves qui sçavent l’Art de vaincre, n’ont point à craindre d’y perdre leur temps, & d’oublier leur mestier. Ils attaquent des cœurs, & en triomphent souvent. Il ne faut pas s’en étonner. Il est peu de cœurs bien faits qui puissent longtemps resister à des Amans couverts de Lauriers, & tout brillans de cette belle gloire dont les Conquérans sont revestus.

Je ne vous ay point fait remarquer dans cet Empire de certains endroits où il y a des Goufres appellez Abîmes de lacheté. Ils sont dans des coins si détournez, qu’on ne les peut voir que lors qu’on est sur le bord. Ainsi l’on ne s’en apperçoit pas davantage que de ceux qui pendant un Combat se retirent de la mélée, & trouvent moyen de se joindre à leurs Compagnies lors qu’il est question de faire retraite.

Fort loin des Portes de cet Empire, il y a de grands Palais appellez de Récompense, où se viennent quelquefois reposer ceux qui ont eu l’avantage de se signaler souvent, & de faire des actions extraordinaires.

On doit remarquer que ce Païs est tout diférent des autres, où il y a des routes qui sont toûjours les mesmes pour les Voyageurs, & qui les conduisent où ils ont destiné d’aller. Cet Empire n’a rien de semblable. On ne peut le diviser. Point de routes, point de chemins, dêtours par tout. C’est comme un labyrinthe, où l’on passe d’un endroit à l’autre sans sçavoir où l’on va. Le terrain est semblable aux affaires de la Guerre, qui sont pleines de dêtours. Les uns logent d’abord à Victoire, & les autres n’y logent jamais. Ceux-cy vont à Repentir dés la premiere journée. D’autres font deux gistes en mesme jour, & passent de Brutalité à Cruauté. Quelques-uns vont tout d’un coup à ce dernier. Il y en a qui arrivent à Intrépidité sans passer par Crainte ; & d’autres logent toújours à Crainte sans qu’ils en osent sortir. Tout change dans cet Empire. Une Ville y devient Village, & un Village fortifié y devient Ville. Le cours des Rivieres y est mesme souvent dêtourné. Du reste c’est un bon Païs. Si les vivres y sont rares quelquefois, il y a souvent des temps où ils s’y trouvent en abondance. On ne s’y voit jamais sans argent, parce que ceux qui en ont en prêtent toûjours volontiers à ceux qui en manquent. Il n’est point besoin de Notaires pour en passer l’Obligation, ny de Sergens pour obliger à le rendre. Le plus avare change là d’humeur, & offre sa Bource sans qu’on la luy demande, à ceux-mesmes qui hors de cet Empire luy auroient fait inutilement le moindre emprunt sur de bons Contracts. Aussi ces sortes de debtes sont toújours privilégiées, & un Homme qui négligeroit de rendre ce qu’on luy a presté, ne seroit pas moins noté d’infamie, que ceux qui ne se mettent point en peine de payer l’argent qu’ils perdent au jeu sur leur parole. Les Tables y sont toújours bonnes, & les veritables Braves qui n’en ont point y sont bien reçeus. Enfin c’est un Païs de joye, de bonne chere, & de plaisirs, & ce qu’on ne croiroit pas, de sincerité.

Toute l’Assemblée fut assez contente de cette Piece. L’invention en parut fort agreable. On dit qu’à la bien examiner, on y trouveroit tout ce qui se passe dans la Guerre, qu’elle estoit morale & utile, & qu’on ne s’étonnoit plus si certaines Gens s’estoient fait un point-d’honneur d’aller à l’Armée.

[Air de M. du Pré]* §

Mercure galant, février 1679 [tome 2], p. 253. Peut-être s'agit-il de Laurent Dupré (1642-1709) ?

La liberté est un bien si doux, qu’on ne se lasse jamais d’en chanter les avantages. L'Air qui suit vous le fera voir. Il est de Mr du Pré.

Ah, qu’il est doux de vivre en liberté !Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Ah qu’il est doux de vivre en liberté, doit regarder la page 253.
        Quand on s’engage,
        On est peu sage,
Et le repos n’est plus en seûreté.
    Vit-on jamais aimer sans peine ?
    Et jamais aima-t on sa chaîne ?
Ah, qu’il est doux de vivre en liberté !
images/1679-02_253.JPG

[Il est quelque fois dangereux d’estre obligeant] §

Mercure galant, février 1679 [tome 2], p. 267-287.

Il est souvent dangereux d’estre obligeant. Vous l’avez veu par ce qu’il en a cousté à la Dame qui eut l’honnesteté de donner place dans son Carrosse au prétendu Conseiller qu’elle trouva à pied dans un embarras ; & vous l’allez encore mieux voir par les circonstances d’une autre Avanture qui a fait icy tant de bruit, que vous en aurez peut-estre déjà entendu parler dans votre Province. L'Opéra venoit de finir. La foule y estoit grande, comme elle l’a toûjours esté depuis les Représentations de Bellérophon. Une Dame qui apparemment estoit sortie des premieres, apelloit tout haut son Cocher & personne ne lui répondoit. Elle n’avoit qu’une Demoiselle avec elle, & un Laquais qui portoit sa queuë. Les plaintes qu’elle faisoit de se trouver ainsi sans voiture au milieu d’un grand monde qui abondoit de tous costez, furent entenduës d’un Cavalier qui étant naturellement fort civil, luy offrit d’abord ses Gens pour aller chercher son Carrosse. Elle répondit qu’elle venoit d’envoyer un de ses Laquais pour le découvrir ; mais que comme il ne revenoit point, il y avoit apparence que son Cocher n’avoit pas esté si diligent qu’elle luy en avoit donné l’ordre. Elle tourna alors la teste pour voir si elle ne se pourroit point tirer de la foule, & s’échaper dans quelque Maison, où elle pust attendre sans embarras qu’on luy amenast ce qui ne pouvoit manquer d’arriver bientost. Le Cavalier qui vit une Dame aussi propre que bien faite, crût devoir pousser sa civilité plus loin, en luy offrant de la remener chez elle, ou en tel lieu qu’elle voudroit luy marquer. Ces paroles luy faisoient connoistre qu’elle estoit en toute seûreté avec luy, & que la seule considération qu’un galant Homme doit avoir pour le beau Sexe, l’engageoit à luy faire les offres qu’elle recevoit. Aussi ne songeoit-il guére à chercher ce qu’on appelle mal-à-propos occasion de bonne fortune. Son mérite le met à couvert de ce soupçon ; & comme peu d’Hommes en France sont aussi bien faits que luy, il n’a point besoin, pour estre heureux, que le hazard se mesle de ses Affaires. La Dame ne pût consentir d’abord à luy donner la peine qu’il vouloit prendre pour elle ; & enfin apres quelques refus où elle ne fit pas moins paroistre d‘esprit que d’honnesteté, elle accepta le party, & monta dans le Carrosse du Cavalier. Son équipage, sa mine, & un certain air qui parle toûjours de ce qu’on est, luy firent juger qu’elle avoit affaire à une Personne de naissance, mais elle ne le connut point pour un Homme distingué par sa qualité & par ses emplois. On prit la route du Quartier où logeoit la Dame. La Maison estoit assez d’apparence. Le Cavalier luy donna la main, & la conduisit dans un Apartement où il y avoit quelque chose de plus que de la propreté dans les meubles. La Dame ne pouvoit luy faire assez de remerciemens de la grace qu’elle avoit reçeuë ; & comme elle avoit beaucoup de vivacité d’esprit, elle l’engagea dans une longue conversation qu’elle interrompit pour le prier de vouloir souper avec elle. Il commençoit à se faire tard, & on l’en pria de si bonne grace, qu’il crût ne pouvoir passer plus agreablement le reste du jour. Il demeura. On couvrit la Table, & on parloit de servir, quand il vit entrer deux Hommes d’épée. Ils firent connoistre qu’ils arrivoient de S. Germain. La Dame leur dit que s’ils n’avoient point soupé, il ne tiendroit qu’à eux de prendre place. Ils n’en firent point de façon, & en attendant qu’on servist, ils commencerent à debiter des Nouvelles. Le Cavalier les écouta en les regardant. Ils avoient une physionomie qui luy déplût, & il n’en jugea pas mal, en les croyant de ces Braves sans bravoure, qui sont toûjours prests à tirer l’épée par tout où ils sçavent qu’ils sont les plus forts, & qui mettent les crimes utiles au rang des plus belles actions. Il rêvoit aux mesures qu’il avoit à prendre quand il en parut trois autres de mesme figure que les premiers. Ils firent compliment à la Dame, furent retenus à souper, & lierent tous conversation, comme Gens qui se connoissent. Le Cavalier accoûstumé à ne voir que des Personnes de Cour, fut fort surpris de se trouver dans une Feste de cette nature. Le pas estoit dangereux. Il connut qu’on ne s’assembloit pas pour rien, & il y avoit du péril à faire paroistre qu’il le connoissoit. Il fit bonne mine, ne s’ébranla point, & pria seulement qu’on fist monter un de ses Laquais pour le servir. À dire vray, Madame, il faut une présence d’esprit admirable, & une intrépidité qui passe tout ce qu’on en peut concevoir, pour se posseder de cette sorte. Ce sont des occasions où les plus fermes s’étonneroient. Il ne s’agit point de six contre un seul. Un Brave ne les craindroit peut-estre pas en pleine campagne ; mais quand on se voit sans armes, qu’on est assuré de n’estre point attaqué par les formes, & qu’on peut périr par des ressorts qu’il est impossible de prévoir, le jugement le plus assuré se trouble, & il est difficile de ne laisser pas échaper quelques marques d’agitation qui découvrent l’embarras d’esprit où l’on est. On se mit à table, & il n’y eut rien que d’honneste dans le commencement du Repas. La Dame en fit les honneurs au Cavalier, & les Braves se montrerent d’abord tous pleins de zele pour luy ; mais peu à peu ils vinrent à de certaines libertez qui luy firent assez voir le dessein qu’ils avoient de prendre querelle. Ils luy jettoient de petites boules de Pain au visage, & témoignoient avoir grande envie qu’il se fâchast. Il leur en jetta de son costé, en disant que tout estoit permis dans la joye ; mais il ne laissoit pas de garder toûjours beaucoup de précaution, parce qu’il avoit à se ménager. Enfin le plus effronté d’entr’eux luy parla d’un fort beau Diamant qu’il avoit au doigt. Il l’en tira aussitost, afin qu’il pust le voir de plus pres, & luy dit, en le mettant entre ses mains, qu’il estoit à son service. Le Brave fit d’abord l’honneste, & répondit qu’une chose de cette importance ne s’acceptoit point ; mais enfin le Cavalier luy repeta tant de fois, que puis qu’il le trouvoit beau, il le desobligeoit de le refuser, qu’il le garda malgré les feintes prieres que luy fit la Dame de ne se point prevaloir d’une generosité si peu commune. Les quatre autres qui s’attendoient à partager le butin, se porterent de nouveau la santé du Cavalier. Il leur fit raison, & feignant de prendre plaisir à ce redoublement de débauche, il leur dit que si la Dame n’estoit point incommodée de leur voir tenir table si longtemps, il sçavoit d’excellent Vin qu’il luy estoit facile de faire apporter. Il en obtint aisément la permission, puis qu’apparemment on ne cherchoit qu’à laisser avancer la nuit pour l’exécution du dessein qu’on pouvoit avoir fait de le voler, & peut-estre de l’assassiner. En mesme temps il donna ordre tout haut à son laquais de courir chez une Personne qu’il luy nomma, & d’en apporter douze Bouteilles du mesme Vin qu’il luy avoit envoyé depuis six jours. Le Laquais qui estoit intelligent, & qui avoit remarqué ce qui se passoit, comprit ce que son Maistre souhaitoit de luy. Il l’envoyoit chez un Officier qui prenoit ses ordres, & c’estoit assez luy faire connoistre qu’il avoit besoin de secours. Le Laquais sortoit quand le Cavalier le rappella, pour luy dire qu’il luy apportast en mesme temps quatre Bouteilles de Liqueur qu’il trouveroit à l’entrée de son Cabinet. Il luy serra fortement la main en luy donnant la clef, & adjoûta tout bas, douze Gardes. Le Laquais fit toute la diligence possible. Cependant on continua le Repas, & les Amis de la Dame furent d’autant plus civils, que le Cavalier estant de fort bonne humeur, ils crûrent qu’il se préparoit à boire, & qu’ils en viendroient plus facilement à bout de leur entreprise. Le Laquais revint. Si-tost qu’il parut, son Maistre luy demanda si les Bouteilles venoient. Il répondit qu’on les apportoit, & dans le mesme moment douze Gardes entrerent avec le Mousqueton tout prest à tirer. La Livrée fut connuë des Braves. Ils se regarderent l’un l’autre, & demeurerent dans une surprise qui ne se peut exprimer. Le Cavalier leur dit d’abord en riant, que dans la crainte qu’ils ne le voulussent pas croire sur sa parole, s’il leur déclaroit ce qu‘il estoit, il avoit envoyé chercher des Témoins qui leur donneroient là dessus toute sorte d’éclaircissement. La Dame qui se vit perduë eut recours aux larmes & aux suplications. Les Gardes la vouloient jetter par les Fenestres, mais le Cavalier les en empescha, & apres avoir repris son Diamant, il se contenta de la faire mettre en lieu seûr jusqu’à nouvel ordre. Les Braves qui luy tinrent compagnie, furent un peu mal-traitez en allant où les Gardes les conduisirent. Comme ils ne méritoient pas qu’on les épargnast, on les fit marcher plus viste qu’ils ne vouloient, & jamais ils ne se trouverent plus desagreablement escortez.

[Tout ce qui s’est passé chez M. de Strasbourg le jour de la Mascarade de Monseigneur le Dauphin.] §

Mercure galant, février 1679 [tome 2], p. 287-317.

Il est temps que je m’acquite des Articles que je vous ay promis. Je commence par celuy de Monsieur le Prince & Evesque de Strasbourg. Vous sçavez qu’Il y a déja plusieurs années qu’il est hors de ses Etats, qu’on l’a privé presque de tous ses Revenus, les Biens qu’il a dans l’Empire ayant esté confisquez, & qu’il n’a trouvé d’azile qu’en France contre les puissans Adversaires qu’il a eus depuis le commencement de la Guerre. Cet azile luy estoit bien seûr dans la Cour d’un Roy qui sçait également protéger ses Alliez, & triompher de ses Ennemis. Cette grande verité est trop connuë pour avoir besoin de preuve, quand mesme elle ne se rencontreroit pas en la personne de Mr le Prince de Strasbourg. Sa conduite & toutes les choses qu’on luy a veu faire depuis qu’il est à Paris, font assez connoistre combien il est satisfait du party qu’il a pris. Ceux qui ont l’honneur de l’approcher, assurent qu’il est tellement persuadé de la grandeur & de la générosité du Roy, qu’il jouït d’un calme & d’un repos d’esprit qui ne se peuvent imaginer, & nous en voyons des marques dans le superbe & galant Régal qu’il donna à Monseigneur le Dauphin dans la nuit du Samedy au dernier Dimanche du Carnaval, que ce jeune Prince vint masqué à l’Hostel de Strasbourg. Le Roi avoit nommé tous ceux qui devoient estre de la Mascarade. Les Dames qui eurent l’avantage d’estre de ce nombre, furent Mesdames les Duchesses de Vantadour, de la Ferté & de Foix ; Madame la Marquise de Louvois, & Mesdemoiselles de Beauvais & de Fontange, ces deux dernieres, Filles d’honneur de Madame. Le jour de ce Divertissement estant arrivé, Monseigneur le Dauphin se rendit au Palais-Royal, accompagné de Messieurs les Princes de Conty & de la Roche-sur-Yon, & de Monsieur le Duc de Montausier ; & apres avoir esté à la Foire de S. Germain, il alla voir l’Opéra de Bellérophon. Au sortir de ce Spéctacle, Son Altesse Royale donna à souper à Monseigneur le Dauphin, & aux Princes qui estoient avec luy. Madame, Mademoiselle, Mademoiselle de Valois, Mesdames la Maréchale & la Marquise de Clerambaut, Mesdames les Comtesses de Brégy & de Fiennes, & les Filles d’honneur de Madame, furent de ce magnifique Repas. Il estoit Samedy ; & comme les Monstres en poisson ne font point de peur, on en servit qui surprirent, estant d’une grandeur extraordinaire, & occupant presque toute la longueur de la Table. Comme on estoit encore remply des beautez de l’Opéra, on en parla fort pendant le Soupé. On loüa séparément toutes les belles parties qui le composent. Mr de Lully qui arriva pendant ce temps, reçeut de la bouche de Monseigneur le Dauphin les loüanges qu’il méritoit, & les plus habiles Connoisseurs dirent tout haut qu’il y avoit beaucoup de conduite dans la Piece. Apres le Soupé, chacun alla s’habiller, & sur les dix heures du soir Monsieur de Vendosme, Monsieur le Grand, Monsieur le Duc de Villeroy, & Mr le Chevalier Colbert, se rendirent au Palais Royal dans un déguisement d’une magnificence & d’une invention toute extraordinaire. Peu de temps apres, les Dames dont je vous ay parlé, arriverent avec des Habits qui n’estoient pas moins riches que bien entendus, & en suite cette illustre & belle Troupe partit du Palais Royal. Monseigneur le Dauphin menoit Madame la Duchesse de Vantadour ; Mr le Prince de Conty, Madame la Duchesse de la Ferté, Mr le Prince de la Roche-sur-Yon, Madame la Duchesse de Foix ; Mr le duc de Vendosme, Madame la Marquise de Louvois ; Mr le Grand, Mademoiselle de Fontange. Mr le Chevalier Colbert, qui estoit habillé en Esclave More, mais avec une magnificence qui surprenoit, n’ayant point de Dame, s’attacha à cette aimable Personne, & fit l’office de son Esclave, en portant la queuë de sa Robe. Mr le Duc de Villeroy menoit Mademoiselle de Beauvais. Toute cette belle Troupe estant montée en Carrosse, s’avança vers l’Hostel de Strasbourg. Dés qu’on la vit approcher, le bruit des Boëtes annonça son arrivée à tout Paris, & mille Fusées partirent d’un Feu d’artifice qui estoit sur le bord de l’eau. Plusieurs Bandes de Masques tres-magnifiques suivirent la Troupe de Monseigneur le Dauphin, parce qu’on n’en laissa entrer aucune avant que ce Prince fust arrivé. Il entra environ sur les onze heures dans l’Hostel de Strasbourg, éclairé par dehors, aussi-bien que par dedans, d’un nombre infiny de lumieres. Monsieur de Strasbourg, accompagné de Mr le Comte de Levestein son Neveu, suivy de ses Gentilhommes & des Officiers de sa Maison, tous tres-lestement habillez, reçeut Monseigneur le Dauphin à son Carrosse. Ce jeune Prince descendit au pied d’un grand Escalier par où il monta avec toute sa suite dans un tres superbe Apartement, orné de dorures, & de riches Tapisseries, & éclairé par quantité de Lustres, de Girandolles & de Plaques d’une grande richesse ; Monseigneur le Dauphin entra d’abord dans une tres-grande Salle à la porte de laquelle il fut reçeu par Madame la Comtesse de Soissons, & par Mesdames les Princesses de Baden & de Furstenberg. À un des bouts de cette Salle, dans un endroit exhaussé & fait exprés, estoient un grand nombre des meilleurs Violons de Paris. Aux deux costez de la Salle il y avoit des especes d’Amphiteatre par degrez, pour placer sans confusion & sans desordre plus de mille Personnes masquées ou autres, pour lesquelles on avoit distribué des Billets. Ces places furent remplies aussi-tost que Monseigneur le Dauphin fut entré avec sa Troupe. Monsieur arriva un peu apres, avec Madame, Mademoiselle, Madame la Duchesse de Gramont, Madame la Mareschale, & Madame la Marquise de Clerambaut, Madame la Comtesse de Maré, Mademoiselle de Grancé, Mademoiselle Potiers, & Mrs les Chevaliers de Lorraine & de Chastillon. Madame, dont l’enjoüement est si naturel & si agreable, se divertit quelque temps à se cacher à tout le monde. Monseigneur le Dauphin fut le premier qui la reconnut. Leurs Altesses Royales s’en retournerent vers la my-nuit. Je pourrois vous faire icy la description des Habits non seulement de Monseigneur le Dauphin, mais encor de toutes les Personnes de la premiere qualité qui se trouverent à cette superbe Feste. J’en ay de tres-fidelles memoires ; mais tous ces Habits estant extraordinaires, soit pour la magnificence, soit pour estre bien entendus, & n’ayant point encor paru devant le Roy, servirent encor au grand Bal que sa Majesté donna à S. Germain le jour du Mardy-Gras, & je me reserve à vous en parler sur cet Article. J'acheve celuy de la Mascarade. L'ouverture de Bal se fit par Monseigneur le Dauphin, qui prit Madame la Princesse de Furstenberg, Niéce de Mr le Prince de Strasbourg. Elle n’estoit point masquée, parce qu’elle estoit chez elle, & qu’elle en faisoit les honneurs, mais elle ne laissoit pas pour cela d’estre magnifiquement habillée, & d’attirer les regards de tout le monde plus par elle-mesme, que par l’éclat des Pierreries, qui brilloient sur elle de tous costez. Les Personnes les plus considérables par leur naissance ayant dancé d’abord ; chacun fut pris indiféremment, suivant la liberté que donne le Bal. L'affluence des Masques qui entra ayant remply toute cette grande Salle, Monseigneur le Dauphin passa dans une grande Chambre qui estoit à costez, & continua de dancer jusqu’à deux heures apres minuit, au son des meilleurs Hautbois de France ; en suite de quoy ce Prince passa dans une troisiéme Chambre qui estoit de plein-pied, & plus richement parée que les deux premieres. Il s’y fit deshabiller sous un dais qui avoit esté preparé pour les recevoir, & apres qu’il eut pris un Habit à la Françoise, il descendit, avec tous ceux qui l’avoient accompagné dans un Apartement bas où l’on devoit faire media noche. On avoit mis le Couvert dans une des Chambres de cet Apartement. Les Meubles y estoient superbes, & outre les riches Tapisseries dont elle estoit tenduë, les Girandoles, les Plaques, & les Miroirs tous rares dans leur maniere, on voyoit encor à l'un des bouts un tres-grand Bufet en forme d'Amphiteatre à plusieurs degrez. Ce Bufet estoit composé de vingt-quatre grands Bassins de vermeil doré, de huit grands Bures aussi vermeil, de dix-sept Figures portant chacune des Devises, de douze Soûcoupes d'un pied & demy de haut, de douze ovales d'or, de deux grandes Figures d'or cizelées sur chaque coin du Bufet & de douze Plaques de vermeil & cizelées, autour du mesme Bufet, portant trois Flambeaux chacune. Il y avoit plus bas sur la Nape plusieurs Figures avec de grands Bures, & de grandes Coupes couvertes de Pierreries, & plus bas encor cinq grandes Cuvettes de vermeil doré, de huit seaux d'eau chacune, entremeslées de grands Guéridons de quatre pieds de haut, sur chacun desquels il y avoit une Girandole de sept Flambeaux. Tout ce Bufet estoit garny de Festons de Fleurs, sans celles qu'on y voyoit semées par tout. Il y avoit sur la droite & sur la gauche, deux autres moindres Bufets pour servir de décharge, sur lesquels on avoit mis plusieurs Flambeaux de vermeil doré, & cizelez. Sur celuy de la droite estoient plusieurs Eguieres, & Bures, de grands Carafons or & argent cizelez, & quinze douzaines d'Assietes de vermeil doré. Celuy de la gauche estoit couvert de Vaisselle d'argent, & garny de quantité de Verres exquis la plûpart couverts de Coupes d'or. Dans le milieu de cette Chambre, dont ce superbe Bufet faisoit l'enfoncement, on avoit dressé une Table à pans de dix-huit Couverts. Monseigneur le Dauphin se plaça au haut de cette Table sous un Dais. Il y avoit à ses costez une distance de deux Places, apres lesquelles se mirent du costé droit Mesdames les Duchesses de Vantadour & de Foix, avec Madame la Marquise de Louvois, & à la gauche Mesdemoiselles de Beauvais, & de Fontange, avec Madame la Princesse de Furstemberg, & Mrs les Princes de Conty, & de la Roche-sur-Yon. Vous remarquerez s'il vous plaist qu'on estoit fort à l'aise à cette Table, & que quoy qu'elle fust assez grande pour contenir les dix-huit Couverts, il n'y avoit neanmoins que le nombre de Personnes que je vous viens de marquer.

Voicy de quelle maniere elle fut servie. Le premier Service fut de Potages & d'Entrées. Il y avoit cinq grands Plats, quatre seconds, six moyens, dix petits, & huit Assietes, le tout en Vaisselle de vermeil doré. On fit en mesme temps un Service hors d'œuvre, en petits Plats d'or couverts, devant Monseigneur le Dauphin. Il fut relevé jusqu'à trois fois, pendant que le grand Service resta sur la Table. Ainsi on peut dire qu'il n'y en eut aucun qui n'en continst quatre.

En mesme temps qu'on releva ce premier Service, on releva le troisieme qui estoit devant Monseigneur le Dauphin, & l'on servit le Rosty dans le mesme ordre, & dans un aussi grand nombre de Plats qu'on avoit servy l'Entrée, c'est à dire toûjours trois Services en Plats d'or pour Monseigneur le Dauphin, & dans un aussi-grand nombre de Plats qu'on avoit servy l'Entrée, c'est à dire toûjours trois Services en Plats d'or pour Monseigneur le Dauphin, & un grand pour ceux qui estoient à table.

Ensuite les Salades furent relevées ainsi que le dernier Service qui estoit devant Monseigneur le Dauphin, en la place duquel on servit plusieurs Ragousts, qui tant froids que chauds, estoient portez par des Couronnes de Palmes & de Laurier. On servit en mesme temps à la place du grand Service, trente-deux autres Assietes de divers Ragousts, qui formerent une maniere de Galerie en quarré. La Table estoit éclairée de vingt-quatre Flambeaux & Girandoles, & ces Girandoles garnies de plusieurs Bougies. On fit une salve de cent Boëtes à chaque Service.

Les Ragousts etant relevez, on servit le Fruit. Il faut remarquer que les Plats estoient diferemment dressez, que chacun avoit son dessein particulier, & que le nombre égaloit celuy des autres Services. Le Plat du milieu estoit un Dôme avec quatre Tours, & une Couronne au-dessus. Il y avoit des Dauphins dans les defauts ; & au- dessous du Dôme, un petit Feu, qui dura jusqu'à ce que Monseigneur le Dauphin se leva de table. On lisoit au dehors quelques Vers à la gloire de ce jeune Prince. Autour de ce Dôme estoient quatre Forts bastis de Fruits de toutes sortes de couleurs, & faisant la mesme figure que des Forts qui défendent une Place. Douze Soûcoupes estoient aussi autour, chacune remplie de neuf Cristaux de diverses Crêmes. Les autres grands Plats estoient en triangles, en serpenteaux, & en parterres garnis de feüillages, de festons, & de plusieurs autres figures. Il y en avoit qui representoient le Mont Parnasse, & d'autres, des Pyramides. On fit aussi trois petits Services de Fruit devant Monseigneur le Dauphin. Le premier qui fut sec, estoit composé de Fruits & de Confitures exquises. Le second fut d'un Parterre de petits Fruits diférens, dans le defaut desquels il y avoit des Glaces de toutes sortes de couleurs. Les Plats estoient au nombre de vingt-quatre, & formoient une petite Galerie en quarré. Le dernier fut d'une autre petite Galerie de Compotes, & de vingt-quatre Assietes de liquide, ornées de Fleurs, & representant des Allées de Jardin. Mr le Comte de Levestein dont je vous ay déja parlé, servit Monseigneur le Dauphin. Ce jeune Seigneur n'a pas encor vingt-deux ans. Quelques avantages qu'il ait du costé de la Naissance, il n'en a pas moins reçu de la Nature. Il estoit aidé dans ce glorieux employ par Mr le Baron de Rosevuorme, que vous avez veu icy avec admiration, & qui avec les traits du visage les plus réguliers, a l'esprit, le cœur, & les sentimens d'un tres-galant Homme. Les Dames estoient servies par des Personnes du premier rang, & derriere ceux qui les servoient, il y avoit un Cercle de Masques regardans. Cela produisoit un tres-bel effet, les lumieres de la Table faisant briller les pierreries de leurs Habits. Il y eut une seconde Table tenuë par Mr de Strasbourg, & qui fut presque aussi bien servie que la premiere. Les plus grands Seigneurs qui avoient accompagné Monseigneur le Dauphin, y mangerent. Pendant qu'on fut à table, on fit profusion de toutes choses à ceux de dehors qui voulurent bien y prendre part. Tout parloit de la joye parfaite que ressentoit Mr de Strasbourg de l'honneur que lui faisoit Monseigneur le Dauphin. Il estoit d'autant plus considérable, que ce jeune Prince ne l'avoit encor fait à personne. Ce qui se trouve de remarquable dans cette Feste, c'est qu'ayant esté préparée depuis plusieurs jours, elle se soit donnée le lendemain qu'on eut reçeu le Traité de Paix avec l'Empereur, dans lequel Sa Majesté a fait stipuler si avantageusement les interests de Mr le Prince de Strasbourg, & la liberté du Prince Guillaume son Frere. Monseigneur le Dauphin se leva de table environ sur les quatre heures du matin, & remonta en Carrosse une demy-heure apres, pour s'en retourner à S.Germain. Mr de Strasbourg le vit partir avec tous ceux qui l'avoient accompagné, au bruit d'un second Feu d'artifice.

[Ce qui s’est passé à S. Germain le dernier jour du Carnaval] §

Mercure galant, février 1679 [tome 2], p. 327-345.

Les grands Bals dont je vous ay déja entretenuë, & que le Roy a donnez chaque semaine du Carnaval dans la Salle des Balets du Château de S. Germain, ont continué le Dimanche & le Lundy gras. Le Mardy toute l’Assemblée y estoit masquée. Le Roy y parut, plus paré de sa bonne mine & de son grand air, que des Habits qu’il avoit ce jour là, quoy qu’ils fussent fort magnifiques. Sa veste estoit de Drap d'or, la Mante de Point d'Espagne or & argent toute d'une piece, & tout son ajustement, si extraordinaire & si bien entendu, qu'on auroit eu peine à dire qui l'emportoit de la magnificence, ou de la galanterie. Ce Prince qui a une parfaite intelligence de toutes choses en avoit lui-mesme donné le dessein. Jamais on n'a rien vu de si riche sans Pierreries. Sa Coëffure estoit admirable. On voyoit sortir du haut d'un grand nombre de Plumes couleur de feu, une Aigrette noire qui coûtoit plus de quatre cens Loüis d'or. Quoy qu'il ne fust point en Habit à la Françoise, il parut neanmoins dans l'Assemblée sans avoir de Masque. La Reyne estoit vétuë en Persane. Il n'y avoit rien de plus riche que l'Etofe de son Habit. Il sembloit qu'elle eust esté fabriquée en Perse, tant on avoit si bien imité les dessein des Etofes de ce Païs-là. La plus grande partie des Pierreries de la Couronne relevoit encor l'éclat de cet Habit. Monseigneur le Dauphin avoit un Corcelet Africain couleur de feu, sur lequelle estoit un enchaînement de Velours noir large d'un poulce, qui enchaînoit le Corps, & formoit un dessein de Rabesque à jour qui laissoit voir le fonds couleur de feu. Tous les ornemens de Velours noir estoient brodez de petits Fleurons d'or trait, qui enchassoient des Diamans de diférente grosseur ; ces Diamans faisoient un ornement continu. Les Manches estoient serrées. Le premier Tonnelet avoit les mesmes ornemens que le Corps. Dans les vuides de ces ornemens de Velours, estoient des Fleurons brodez d'argent trait. De petits Diamans en formoient les tiges. Ces Rabesques & ces Fleurons estoient à jour sans estre attachez sur le fonds couleur de feu. Les Manches pendantes avoient quelque chose de fort extraordinaire, & par leur maniere, & par l'ouvrage. Il estoit d'or à jour, & fort leger. Les Bas de soye couleur de feu brodez d'or paroissoient au travers des Souliers qui estoient aussi à jour, & faits d'une Rabesque de Velours noir, ornée de Diamans, & de la mesme broderie que l'Habit. Le second Tonneler estoit bleu brodé d'or, ouvert par le devant & fermé par des Boutonnieres de Diamans coupez en pointes, au bout desquels pendoient des Pandeloques de Diamans. La Mante, faite de Point de France or & argent, estoit attachée sur l'épaule gauche, & sur la hanche droite avec des attaches de Diamans. Comme on l'avoit laissée sans doublure on voyoit au travers, le derrier de l'Habit qui n'estoit pas moins riche que le devant. Un demy Tulban Africain de mesme dessein que le Corps, faisoit la Coëffure. Les Plumes estoient couleur de feu, & blanc, & montées d'une maniere toute nouvelle. L'Habit de Monsieur le Duc, qu'il avoit fort ingénieusement imaginé luy-mesme, estoit aussi extraordinaire que riche, & avoit quelque chose de la maniere Grecque. Il estoit d'un riche Brocart, & d'un Velours noir tout couvert de diférens Points de France, & brodé de Pierreries de toutes couleurs, avec la Mante d'un Point de France or & argent à jour, sans doublure, bordé tout autour d'un Velours noir, au bord duquel on ne voyoit que Pierreries. La Coëffure avoit le mesme ornement que l'Habit. Celuy de Mr le Prince de Conty, estoit d'une Etofe à la Persane à fonds d'or meslé de couleur, avec une premiere Veste bordée d'une broderie d'or, sur un fonds noir enrichie de Boutonnieres de Pierreries. La seconde Veste estoit bleuë, toute couverte de Point-d'Espagne d'argent ; la Coëffure, d'un petit Tulban lassé de riches Tissus d'or & couleur de feu, & orné de chaînes de Diamans ; la Mante, de Point d'Aurillac or & argent, doublée d'une gaze bleuë brochée d'or ; les Bas de soye, & les Souliers brodez. L'Habit de Mr le Prince de la Roche-sur-Yon estoit une Veste fermée par devant, separée en quatre Basques fermées aussi par des bandes de Velours couleur de feu, larges de deux doigts, qui faisoient des compartimens. Il y avoit sur le bord de ces Velours de petits ornemens d'argent, de chacun desquels sortoit une Rose de Diamans, de maniere que ce n'estoient que Roses fermées par tout, mais sans aucune confusion. Entre ces compartimens, on voyoit des Fleurons brodez d'or & d'argent, découpez à jour, au travers desquels paroissoit la doublure de l'Habit qui estoit vert ; la Coëffure & la Chaussure estoient de mesme que celles de Mr le Prince de Conty son Frere. Mr le Comte de Verman dois avoir un Habit Persan d'une Etofe or & argent, & couleur de feu. Toute la Veste estoit bordée d'une petite chaîne de Diamans mise entre deux Points de France or & argent avec le devant & toutes les ouvertures garnies de Boutonnieres de Pierreries enchassées dans une Broderie d'or. Il avoit un Mante de Point d'Espagne or & argent à jour, & pour Coëffure, un petit Tulban de mesme Etofe que l'Habit, enchaîné de Pierreries, & couvert de Plumes couleur de feu & blanc.

Mademoiselle de Blois se fit voir en Amazone. Son Habit tout héroïque, répondoit à la grande mine de cette Princesse Le Corcelet estoit de Velours noir brodé d'or & bordé d'une chaîne de Diamans. Une Draperie couleur de feu, brodée d'argent, sortoit de dessous ce Corcelet. Les Lambrequins de la ceinture, & des épaules estoient de Velours noir orné de mesme que le Corps, & la Demy veste de dessas, d'une Etofe violet & or, chamarée de Point d'Espagne or & argent. La Jupe de dessous esoit couleur de feu, avec une Broderie or & argent. Un Casque de Velours noir, brodé de mesme que le Corcelet & monté de Plumes fort élevées, faisoit la Coëffure. Des Voiles de Point d'Aurillac d'argent, pendeoient derriere le Casque, & se retroussoient sur les deux épaules, puis tomboient en Festons sur la Jupe.

Mr le Duc du Maine estoit habillé en Berger. Il n'en fut jamais de si richement mis, ny d'une maniere si bien imaginée. Aussi son Habit ne cédoit-il à aucun des autres pour la magnificence des Etofes, garnies de Dentelles or & argent en Point de France, avec des agrémens de Pierreries.

Mademoiselle de Nantes parut en Païsane. Elle avoit un Corps de Brocard d'or, tres-riche, chamaré d'un galon à jour sur des bandes de Velours noir. La Piece de devant le Corps estoit de Velours noir, lassée d'or & d'argent ; sa Jupe tres-riche d'une couleur diférente de celle du Corps, avec des Dentelles sur une Etofe d'une autre couleur, & des Nœuds serrez de Pierreries par tout où les Païsanes mettent des Rubans ; un Tablier de toille jaune, avec des entretoilles de Point de France ; ses Manches, & sa Gorgerete, de mesme.

Madame la Duchesse de Nevers d'habilla en Moresse. Son Habit estoit de Velours noir, & d'autres Etofes couleur de feu, avec un enchaînement de Pierreries, & de Perles. Son Voile pendoit d'une maniere fort agreable. Elle avoit un demy Tulban tout couvert de Plumes, & garny de Perles & de Diamans.

Madame la Duchesse Sforce estoit en Nymphe, d'une maniere la plus singuliere, la plus galante, & la plus riche qu'on air encor veuë. Les Pierreries brilloient sur tout son Ajustement, dont les Dentelles de Point-d'Espagne or & argent faisoient l'ornement le moins remarquable, le tout de l'invention de Madame de Thiange, & executé par ses ordres.

Madame la Duchesse de Montemar avoit pris l'équipage d'une Persane. Sa Veste de dessous estoit d'une Etofe d'or, & couleur de Cerise, toute garnie de Point-d'Espagne or & argent, & de Boutonnieres de Velours noir brodées d'or, dans lesquelles on avoit enchassé des Diamans. L'Habit de dessous estoit verd, & tout brillant de la plus riche broderie. On voyoit dessous ses Plumes un Voile de Point-d'Aurillac or & argent, qui tomboit sur ses épaules, & qui estant attaché avec des Nœuds de Pierreries, faisoit une maniere de Mante tres-agreable.

Monsieur le Duc de Vendosme estoit tres-richement vestu en Bohémienne. Le fond de l'Habit de Mr de Soissons, qui s'habilla en Persan, estoit de couchure d'or brodé d'argent, lizeré de noir, avec des Boutonnieres de Diamans, les Mantes d'Etofe d'or traînantes à la Persane. Mr le Chevalier de Savoye estoit à peu pres de la mesme sorte. Son grand air & sa belle chevelure le paroient extrémement. Mr le Grand avoit un Habit Polonnois, avec une Veste de dessus d'une Etofe or & noir, bordée de Marte. Sa Coëffure de mesme. Sa Veste de dessous estoit de Velours couleur de feu, chamarée de grands agrémens en forme de Boutonnieres d'argent. Ses grandes Manches pendantes, & son Echarpe, estoient de rezeau d'argent. Il avoit des Bas & des Souliers noirs tout lizerez d'or, & des Plumes blanches avec une Héronniere. Mr le Duc de Villeroy estoit vestu comme luy. Ces habillemens repondoient à leur bonne mine, & l'on avoit peine à les distinguer. Mr le Chevalier Colbert avoit un Habit Africain. Sa Veste estoit d'une Etofe violete & or, avec des agrémens de Diamans ; des Manches pendantes de Point-d'Aurillac or & argent, & des entretoilles de Point de France, au travers desquelles on voyoit un Bas noir. Ses jambes estoient noires. Il avoit un Masque de More, de grosses Perles à ses oreilles, un Colier, & une Perruque de More, avec un petit Tulban lassé de tissu or & argent, qui passoit dans des taillades de Velours noir, garnies de Pierreries. Ses Plumes estoient couleur de feu & noir, & sa Mante de Point de France à jour or & argent. Mr le Marquis de Gesvres estoit aussi habillé en Africain. Mr le Comte de Castres l'estoit en Persan, & Mr le Comte de Brionne, Messieurs les Marquis d'Estrées, de Créquy & d'Alincourt, & Mr le Chevalier de Chastillon en Solimes. Tous ces Habits, à l’exception de quelques-uns que j’ay marquez, avoient esté dessignez par Mr Berin Dessignateur du Cabinet du Roy, & executez par le Sr Baraillon, Tailleur des Balets de Sa Majesté. On n’en a veu aucun dans les superbes Opéra qui ont paru depuis quelques années à la Cour, où l’un & l’autre n’y ont esté employez pour le dessein & pour l’execution. Tout le reste de la Cour estoit dans un ajustement magnifique ; mais outre que la description de leurs Habits seroit trop longue, il seroit difficile de décrire ceux qui n'ont point esté faits sur des desseins, & qui ne consistoient qu'en riches Etofes & en Dentelles, quoy qu'ils ayent cousté autant que les autres, & peut-estre davantage. Tout ce que je vous puis dire, c'est que l'Habit de Madame de Louvois fut trouvé tres-beau, & bien entendu, & que toute sa personne plût infiniment. L'Habit de Mademoiselle de Beauvais reçeut aussi beaucoup de loüanges. Quant à la Colation qui fut servie au milieu du Bal, elle estoit digne du grand Prince qui la donnoit. C'estoient cent grandes Corbeilles aussi galamment que richement accommodées, remplies de tout ce que l'on peut s'imaginer de Fruits & de Confitures seches des plus rares, de tout ce que la Patisserie peut faire de plus délicat, de quantité de petites Boëtes de toute sorte de Cotignac, & d'un fort grand nombre de Paquets noüez de Nompareille de toutes couleurs, & remplis de Conserves & de Confitures à demy seches, que par ce moyen on peut faire passer de main en main, de mesme que les Citrons & les Oranges. C'est ainsi que le Carnaval a finy à S. Germain, pendant que Paris, & toute les Villes de France, avoient leurs divertissemens particuliers. Il me reste encor à vous parler de plusieurs Bals, & mesme de quelques histoires qui regardent le Carnaval ; mais ma Lettre est déja si longue, que je suis obligé de vous les reserver pour le Mois prochain, avec vingt autres articles. Celuy des Enigmes ne se peut remettre. J’acheve par là.

[Explication de la premiere Enigme en Vers] §

Mercure galant, février 1679 [tome 2], p. 345-346.L'enigme se trouve dans cet article du Mercure du mois de janvier 1679.

La premiereII expliquée sur l’Opéra par Mr Bachelon, l’a esté sur le vray sens. Ce Madrigal est de luy.

Vous voulez, aimable Angélique,
Que sur le champ je vous explique
Cette Enigme qu’on lit au Mercure Galant.
Quoy que je sois pas habile,
Je n’ay pas si peu de talent,
Que le sens à trouver n’en soit pour moy facile,
Quand de nos cœurs l’union se feray
Pour cet effet il faut un Opéra.

         

Mr de Montigny du Quay des Celestins, & Polymene l’ont expliquée sur le mesme Mot. Plusieurs en ont fort approché, en l’expliquant sur la Comédie, mais ils n’ont pas songé à ce Vers qui en fait la diférence.

Je ne rends visite à personne.

On donne la Comédie en visite, & on n’y sauroit donner l’Opera. Les autres Explications ont esté sur le Bal, le Jeu de Cartes, la Montre sonnante, un Temple, & un Navire.

Air par algèbre §

Mercure galant, février 1679 [tome 2], p. 357-358.

J'adjoûte icy un quatriéme Air, fait d’une maniere qui vous surprendra. Il est d’un tres-habile Homme qui ne sçait point la Musique. Il compose par Algebre, ou progression harmonique, & sçachant les Paroles d’un Opéra, il viendroit aisément à bout de le copier entier dans une demy-feüille de papier avec toutes ses parties.

AIR PAR ALGEBRE.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Une langueur extréme occupe tous mes sens, doit regarder la page 358.
Une langueur extréme
Occupe tous mes sens.
Helas ! quand on aime,
Qu'on souffre de tourmens !
Il seroit impossible
D'éviter tous leurs coups.
Mon cœur est trop sensible,
Mais ce n’est que pour vous.
images/1679-02_357.JPG

[Le Triomphe de la Paix] §

Mercure galant, février 1679 [tome 2], p. 360.

On a donné au Public depuis trois jours un Ouvrage meslé de Prose & de Vers, dont ceux qui l’ont leû parlent fort avantageusement. Il a pour titre, Le Triomphe de la Paix. Mr du Jarry en est l’Autheur. Il se debite chez le Sieur de Sercy dans la Salle du Palais.