1679

Mercure galant, août 1679 [tome 8]

2015
Source : Mercure galant, août 1679 [tome 8].
Ont participé à cette édition électronique : Anne Piéjus (Responsable d'édition), Nathalie Berton-Blivet (Responsable d'édition) et Vincent Jolivet (Édition numérique).

[Description d’un Navire fait en six heures & demie] §

Mercure galant, août 1679 [tome 8], p. 1-20.

Voilà ce que c’est, Madame, que de vous avoir accoûtumé aux miracles. Je vous ay promis la description d’un Vaisseau qui se fit en six heures & demie à Toulon le 15. ou 16. de l’autre Mois. Je croyois que vous regarderiez cela comme un prodige, & vous me mandez qu’apres les merveilles que je vous ay apprises de nos François sur toute sorte de sujets, vous n’entendez plus rien dire d’eux qui vous surprenne. Il faut pourtant que je vous tienne parole. Si ce que je vous ay dit dans ma Lettre du Mois de Decembre dernier, de la Galere de Marseille construite en un jour, diminuë de l’étonnement que vous doit causer un Vaisseau basty en moins de sept heures, je suis seûr au moins qu’il vous sera malaisé de n’en prendre pas une haute idée de l’ordre admirable que Monsieur Colbert & Monsieur le Marquis de Seignelay ont mis dans nos Ports, & du soin qu’ils prennent de choisir de bons Sujets pour en avoir la direction. Il est certain que la chose paroist presque incroyable à ceux-mesmes qui ont esté employez à ce travail, & que les Gens du Mestier qui sçavent combien il entre de pieces dans la construction d’un Navire, & avec quelle justesse il faut que toutes ces pieces soient jointes les unes avec les autres, ne peuvent comprendre comment un Vaisseau de cent trois pieds de longueur, avec deux Ponts & un Gaillard, qui peut porter jusqu’à quarante Pieces de Canon, & qui est d’une propreté achevée, a pû estre fait en si peu de temps. La gloire en est deuë à la vigilance de Mr Arnoul Intendant de Marine en ce Païs-là, qui en avoit formé le dessein, & qui donna des ordres si justes, que tout ce qui estoit necessaire pour le travail, se trouva dans l’endroit qui avoit esté marqué pour chaque chose, sans qu’on fust obligé d’aller rien chercher ailleurs. Il avoit fait faire une Halle au dessus de ce Vaisseau, sous prétexte de le mettre à couvert de l’ardeur du Soleil ; mais on fut surpris voyant que cette mesme Halle, & les Echafauts qui estoient autour, renfermoient les Pieces qui devoient servir à cette construction. Quoy qu’on en eust fait l’arrangement avec grand ordre, il ne laissoit pas d’y paroistre une je-ne-sçay-quelle confusion qui faisoit craindre à plusieurs de l’embarras dans le dénoüement, à cause de plus de deux mille cordages, & de plus de cinq cens poulies qu’on y voyoit. Les Maistres Charpentiers qui ont placé toutes choses, disent eux-mesmes qu’ils n’en pourroient donner qu’une foible idée ; & les Peintres qui ont voulu dessiner cet arrangement, n’en ont jamais pû venir à bout. Cependant tout se dévelopa avec une facilité merveilleuse ; l’accord se trouva par tout, & on ne perdit pas un seul moment à chercher les choses dont on eut besoin. Voicy l’ordre qui fut observé. On avoit partagé tous les Ouvriers & tout l’Ouvrage entre les quatre principaux Maistres Bastisseurs de Navire, qui faisoient quatre Divisions diférentes. Chacun d’eux avoit sous luy deux Sous-Maistres, l’un pour l’avant, l’autre pour l’arrivée, & chaque Division estoit séparée en huit Escoüades, commandées chacune par un Chef, & composées de seize Charpentiers & de quatre Perceurs. De ces huit Escoüades, il y en avoit deux qui devoient se reposer, afin de se relever successivement de deux en deux heures, si l’ardeur n’eût emporté les Ouvriers. Comme il devoit y avoir toûjours pres de cinq cens Hommes dans le travail, sans compter les Chefs, il eust esté difficile d’éviter la confusion dans un si grand nombre de Gens, si on ne les eust habillez diféremment. Le Sr Colomb Maître Bastisseur de Navire, qui est celuy qui a conduit le Vaisseau dont je vous parle, & qui dans cette occasion en devoit faire le costé droit, estoit habillé de bleu avec toute sa Division. Celle du Sr Chapelle qui devoit faire le costé gauche, estoit habillée de blanc. Celle du Sr Colomb le Fils, à qui le fond de cale estoit écheu en partage, avoit le calleçon bleu, & une chemise blanche ; & celle du Sr Audibert, qui estoit chargé des Ponts, avoit le calleçon blanc, avec la chemise bleuë. Les Escoüades de chaque Division se distinguoient de plus entr'elles par le moyen d’un Ruban de diférente couleur. Les Chefs avoient de mesme une marque particuliere ; & afin qu’on ne confondist pas les Charpentiers avec les Perceurs, ces derniers avoient chacun une Masse à la main, avec une Gibeciere à leur costé, pour tenir des clous & leurs outils. Tous les Ouvriers en cet équipage se trouverent à l’Arsenal avant le jour. Ils y entendirent la Messe, apres laquelle chacun alla de luy-mesme se ranger au poste qui luy avoit esté marqué le jour precédent, & y attendit le signal. Il fut donné à quatre heures, & alors au son des Trompetes & des Tambours, on vit pres de cinq cens Hommes se remuer en un moment, & tous à la fois, comme dans un Concert, faire chacun une maneuvre diférente avec un ordre & un silence qu’on ne sçauroit concevoir, à moins d’y avoir esté présent. C’estoit aussi ce qui leur avoit esté recommandé tres-expressément, & surquoy on avoit pris toutes les précautions imaginables. Il s’agissoit de bien placer d’abord les membres de ce Vaisseau, & c’est ce qui ne se pouvoit faire que par un accord genéral de tous les Ouvriers ensemble. L'ardeur avec laquelle chacun se mit à travailler sous son Chef, fut si grande, que les premiers qu’on employa, ne voulurent point entendre parler de repos. Ainsi ceux qui devoient prendre leur place, voyant que le Vaisseau s’élevoit de moment en moment à leurs yeux, pendant qu’ils ne faisoient rien, apres plusieurs instances pour obtenir la permission de travailler, allérent d’eux mesme à leur département, pour avoir du moins quelque part à la gloire de leurs Camarades. Tous les coups qui se donnoient, n’en paroissoient qu’un, & le travail s’avançoit d’une si grande vîtesse, qu’on voyoit l’Ouvrage finy, plustost que la main qui l’avoit fait. Ce qu’il y eut de plus surprenant, c’est que la plûpart, bien loin de consentir à se reposer, se firent un point-d’honneur de ne boire ny manger, qu’ils n’eussent veu le Vaisseau finy. Il le fut avant onze heures du matin, quoy qu’il n’eust esté commencé qu’à quatre, & cela, sans qu’il se rompist aucune Piece, ny qu’il y eust un seul Ouvrier blessé. Pendant ce travail, Mr l’Intendant avoit sous luy quatre Commisssaires de Marine, sçavoir, Mrs Hayet, Jonville, du Mairs, & Talon, qui firent tres-bien leur devoir, avec huit Ecrivains. Ces derniers, qui estoient Mrs Bailly, Sagier, Montaphilon, du Mas, Choiselas, du Plessis, Verdun, & Baudran, avoient chacun raport à l’un des quatre Maistres Charpentiers qui conduisoient l’Ouvrage, & Mr Arnoul se servoit d’eux pour sçavoir à tous momens l’état du travail dans les endroits où il n’estoit pas, afin d’y donner ses ordres, & de fournir au besoin, s’il eust manqué quelque chose qu’il n’eust pas préveu. C'est de cet habile Intendant qu’on peut dire que Monsieur Colbert l’a formé de ses mains, puis qu’il l’a fait voyager pendant quatre ans dans tous les Ports & Arsenaux de l’Europe ; qu’il l’a fait passer en suite par tous les Emplois de la Marine ; & qu’il l’a toûjours si bien conduit, qu’apres luy avoir fait exercer à l’âge de vingt-quatre ans pendant toute une année, les deux Intendances de Toulon & de Marseille, pour les Vaisseaux & pour les Galeres, il l’a rendu capable de tout. On n’en peut douter apres la maniere dont on luy a veu exécuter les diférens ordres qu’il a reçeus de Mr le Marquis de Seignelay. C'a esté avec tant de ponctualité & de prévoyance, que les Armemens, les Convois, & les passages des Troupes qui ont presque esté continuels pendant les quatre ans de la Guerre de Messine, se sont toûjours faits à point-nommé, sans que les Vaisseaux ayent jamais manqué de la moindre chose. C'est luy qui a fait le Dessin du magnifique Arsenal que le Roy va faire bastir à Toulon. L'illustre Mr de Vauban qui a un fond inépuisable de science dans ces sortes de travaux, & qui avoit esté envoyé en Provence pour régler toutes choses sur ce sujet, n’a rien trouvé à changer au Dessein de cet Arsenal, & en a écrit avec applaudissement à la Cour. Je ne doute point, Madame, que vous ne vissiez avec plaisir celuy du Vaisseau dont je viens de vous parler. S'il tombe en mes mains, je m’engage à vous l’envoyer gravé, ne pouvant trop faire pour conserver la mémoire d’une Merveille dont les siecles passez n’ont point eu d’exemple.

[La Devineresse, ou les faux Enchantemens] §

Mercure galant, août 1679 [tome 8], p. 20-51.

Si le grand nombre de témoins que cette Merveille a eus, empesche qu’on n’y soupçonne de l’enchantement, il y a tout lieu d’en croire dans ce qui est arrivé à un Cavalier qui tient un rang tres-considérable dans une des premieres Villes du Royaume. Ce n’est point un de ces Esprits crédules qui s’étonne de peu de chose, ou qui soient aisez à ébloüir. Il veut voir pour croire, & la curiosité qui luy a fait parcourir toute l’Italie, ne l’a pas seulement attaché aux choses qui sont singulieres au climat & à la température de l’air, mais elle luy a fait chercher à conférer avec ceux qu’on disoit avoir les connoissances les plus profondes. C'est par là qu’il s’est fait un plaisir d’entretenir plusieurs fois ce fameux Juif, qui apres le Siege de Candie osa soûtenir que Mr de Beaufort vivoit, & offrit de le faire voir dans une des Prisons des Infidelles, si on vouloit employer son Art. Les circonstances qu’il en débitoit, ont esté longtemps l’entretien de toute la France.

Le Cavalier dont j’ay à vous conter l’avanture, estant arrivé à Génes apres avoir veu ce que Rome, Vénise, & plusieurs autres Villes considérables ont de plus satisfaisant pour les Curieux, s’y arresta quelque temps pour en considérer à loisir les raretez. Il se promenoit un jour sur le Mole, cet Ouvrage merveilleux que ceux du Païs appellent le plus grand de la Crestienté, quand il apperçeut deux de ses Amis qui entreprenoient le voyage qu’il achevoit. Ils s’embrasserent avec toutes les marques de joye qui sont ordinaires en de semblables rencontres, & apres qu’il les eut préparez à recevoir beaucoup de plaisir des Antiquitez qu’il avoit veuës en beaucoup de lieu ils se mirent à luy exagerer à leur tour les beautez que quinze jour de séjour leur avoit fait remarquer à Génes ; & luy montrant un Gentilhomme qui les accompagnoit & qui n’avoit point encor parlé, ils firent valoir sur tout l’obligation qu’il luy avoient de leur avoir donné entrée chez les Gens les plus qualifiez de la Ville, parmy lesquels ils luy dirent qu’il estoit dans une extréme considération. Quoy que le Gentilhomme fust vétu à la Génoise, & grave comme un Espagnol, il parloit François tres-juste, & répondit avec tant d’honnesteté & d’esprit aux loüanges que luy donnerent ses Amis, que le Cavalier s’en trouva charmé, & se sentit prévenu pour luy dés ce moment d’un sentiment fort particulier d’estime. Le lendemain au matin il rendit visite à ses deux Amis qui partirent ce mesme jour pour Milan. Il trouva le Gentilhomme Génois avec eux, & fut si touché de ses manieres honnestes & obligeantes, qu’il se fit un fort grand plaisir d’une partie de promenade qu’il luy proposa pour l’apres-midy à S. Pierre d’Arennes, où il promit de luy faire voir quelques Jardins qui luy paroistroient des lieux enchantez. La partie s’exécuta. Le Cavalier avoüa qu’il n’avoit jamais rien veu de plus agreable que ces Jardins ; mais s’il fut satisfait de leur beauté, il le fut bien d’avantage de la conversation du Génois. Il luy trouva tant d’esprit, & un caractere si opposé à celuy de sa Nation, que comme il parloit tres bien nostre Langue, il ne pût s’empescher de luy dire qu’avec les sentimens qu’il luy remarquoit, il falloit qu’il fust un François métamorphosé. Le Genois luy dit que quelques affaires l’ayant obligé de passer les premieres années de sa vie en France, il en avoit toûjours aimé les manieres, & qu’il n’estoit pas surprenant qu’il eust profité de l’étude qu’il en avoit faite. Cette conformité d’inclinations & d’esprit fit son effet. Ils se donnerent les plus fortes assurances d’amitié, les confirmerent en s’embrassant, & commencerent à devenir presque inséparables. Comme le Cavalier estoit curieux, il n’y eut point de Cabinet un peu rare que le Génois ne luy fist ouvrir. Il le mena chez tous ceux qui avoient quelque secret particulier, & luy ayant entendu dire plusieurs fois qu’il avoit pratiqué quantité de Gens qu’on disoit qui avoient des Esprits familiers, sans qu’aucun d’eux luy eust jamais rien fait voir d’extraordinaire, il luy témoigna que si un Homme de ses Amis n’estoit pas absent, peut-estre verroit-il chez luy des choses qui mériteroient qu’on en fust surpris. Le Cavalier qui ne souhaitoit rien tant que de voir, & que mille tours d’adresse qui épouvantent les foibles, n’avoient jamais étonné, offrit de diférer son départ pour attendre le retour de ce prétendu Magicien ; mais le Génois ayant répondu qu’il avoit passé en Egypte, d’où peut-estre il ne reviendroit de plusieurs années, le Cavalier apres quinze jours de sejour fit prix avec quatre Napolitains que se trouverent sur le Port pour le mener à Toulon dans une Felouque. Le soir il alla dire adieu au Génois qui le retint à souper. Il estoit logé fort proprement, & avoit un Valet nommé Francisco qui joüoit admirablement de la Guitarre. C’estoit un régal qu’il luy avoit déja donné plusieurs fois, & que le Cavalier qui aimoit fort la Musique, luy demanda encor ce soir-là. Les protestations d’amitié se renouvellerent. Ils s’en promirent de fréquens témoignages par Lettres, & ils estoient prests de se séparer quand le Génois se souvint qu’il n’avoit point mené le Cavalier chez une Dame de son voisinage qui estoit riche en Statuës, en Médailles & en Tableaux. Francisco court demander à la Dame si elle voudroit recevoir son Maistre avec un Etranger qui devoit partir le lendemain. Il revient avec une réponse favorable. Le Génois conduit le Cavalier. Ils traversent une Ruë, arrivent à la Maison de la Dame, & tandis qu’on va l’avertir, ils sont introduits dans une Salle, dont les Tableaux sont la plus riche parure, quoy qu’il n’y ait que de l’or & de l’azur dans les bordures & dans les plafonds. La Maistresse du Logis suivie de deux de ses Filles, les vient recevoir dans cette Salle, & apres les premiers complimens du Cavalier, elle luy fait remarquer deux Tableaux qu’elle estime les plus beaux des siens, & qui sont d’une tres habile main. Le Cavalier qui se connoissoit assez en Peinture, en est fort content, & tandis que son Conducteur passe dans une Chambre voisine avec les deux jeunes Sœurs, la Dame le fait entrer dans une autre toute remplie de Statuës, tant en Marbre, qu’en Pierre, & en Bronze. Quoy qu’il ait peine à en découvrir toutes les beautez à la clarté des flambeaux, il ne laisse pas d’en estre charmé, tant le travail luy paroist finy dans chaque Figure. De cette Chambre ils passent dans une seconde, tapissée & meublée d’un Velours cramoisy, rehaussé d’une broderie d’or, aux quatre angles de laquelle il y avoit quatre Clavessins. Ils estoient posez sur des Pieds semez de diverses fleurs, mais d’une miniature si délicate qu’elles auroient fait honte aux fleurs naturelles. Un Jeune Homme d’environ quinze ans s’approche d’un des Clavessins, & à peine a-t il achevé un Air qu’il touche dessus, que le Clavessin qui est à l’extrémité de la Chambre luy répond, en sorte qu’on voit toutes les touches du Clavier se mouvoir sans qu’il y ait personne qui en approche. Un troisiéme Clavessin en fait autant, & ensuite tous les quatre joüant à la fois font entendre ce mesme Air avec toutes les parties de la plus fine Musique. Ce jeune Homme sans changer de place, commence un autre Air sur son Clavier, mais au lieu d’entendre des Clavessins, c’est une veritable Orgue qu’on entend. Des Flustes douces succedent à l’Orgue, & des Basses & des Dessus de Violes aux Flustes douces, sans qu’on touche pourtant autre chose que le Clavessin. Une nouveauté si peu commune ayant dû causer au Cavalier plus de surprise qu’il n’en témoigne, la Dame luy dit qu’elle voit bien que les Instrumens ne sont pas sa plus forte passion. Il l’assure que rien ne le touche davantage, & luy confesse que ce qu’il vient d’entendre luy auroit paru un enchantement, s’il n’avoit déja veu la mesme chose de cinq Clavessins chez celuy qui en avoit inventé le Secret à Rome. A ce mot de Rome, la Dame demande s’il y a veu ce celebre Juif dont elle entendoit si souvent parler. Il répond qu’il a eu de longues conférences avec luy, & qu’il a veu aussi plusieurs fois une Enchanteresse dont on faisoit bruit à Naples, mais qu’il a esté fort peu satisfait de l’un & de l’autre ; que la plûpart de ces Gens-là n’avoient du crédit que sur les Esprits simples, qui manquant de fermeté pour attendre ce qu’on promettoit de leur faire voir, se laissoient ébloüir aux premieres grimaces de quelques Figures bizarres qu’on avoit l’adresse de faire paroistre pour les amuser ; qu’il avoit cherché ces sortes de Sçavans dans toutes les Villes où il s’estoit rencontré ; mais qu’il n’en avoit jamais trouvé un qui pût rien apprendre à un habile Homme, & qu’ils n’estoient tous que des misérables qui mouroient de faim, & qui avoient l’effronterie de promettre aux autres ce qu’ils ne pouvoient avoir pour eux mesmes. Là-dessus la Dame s’informe si on luy a fait voir la Génoise, l’assurant qu’elle est dans une tres-haute réputation, & qu’elle fait des choses si extraordinaires, qu’il auroit sujet d’en estre content. Elle adjoûte qu’elle demeure dans la mesme Ruë à trois Maisons de la sienne, & que s’il veut qu’elle le mene chez elle, elle envoyera luy faire message, ne doutant point qu’elle ne les reçoive avec plaisir. Le Cavalier est ravy de l’offre, & dit qu’il s’étonne que son Amy qui le connoist pour le plus curieux de tous les Hommes, ne luy ait point parlé de cette Femme. On fait partir un Laquais, & cependant la Dame propose au Cavalier de voir son Cabinet de Bijoux. Ils y entrent. Quatre grands Miroirs, cinq Lustres de cristal au Plancher, & un Bufet de vermeil doré, luy frapent d’abord les yeux. On luy ouvre une Armoire d’où l’on tire deux ou trois Layetes pleines de Médailles de toutes façons, grandes & petites, d’or, d’argent, & de cuivre. On luy fait voir un Colier de Perles d’une grosseur prodigieuse, avec une infinité de Diamans, & de Pierreries en Bagues, en Roses, & en Bracelets. Apres qu’il a employé quelque temps à considérer toutes ces Richesses, on luy ouvre une autre Armoire. Il en sort un Coq, qui ayant volé sur la Table, éteint deux Flambeaux en batant des aisles, & chante deux fois. La Dame traite le Coq d’étourdy, & luy ordonne de r'allumer les deux Flambeaux. Cela est fait dans le mesme instant. Le Cavalier s’aproche du Coq, mais comme il croit le toucher, le Coq s’envole sur de grandes Armoires voisines, où deux autres Flambeaux s’allument aussi-bien que douze Bougies de cire blanche qui sont dans le Lustre attaché au milieu du Cabinet. Le Cavalier ne s’étonne point. Il dit à la Dame qu’il voyoit chez elle plus qu’il n’avoit veu dans tout son voyage, & la priant de vouloir déployer pour luy ses plus grands secrets, il suit le Coq. Le plumage luy en paroissoit extraordinaire. Voicy le prodige. Les Armoires sur lesquelles le Coq a volé, s’ouvrent d’elles-mesme, & laissent voir deux Cadavres à moitié décharnez, étendus tout de leur long sur des Coussins d’un velours qui semble estre tout de feu. Ils avoient le nez assez bien formé, mais une machoire sans peau & sans levres. Le reste du Corps, particulierement des cuisses en bas, n’estoit qu’un Squelete. Le Cavalier ne sçait que penser. Il fait l’esprit fort, quoy que la peur commence à le prendre. La Dame soûrit, & il ne luy a pas si-tost demandé si ce sont des Corps embaumez de quelques-uns de ses Parens qu’elle conserve avec tant de soin, qu’il voit remuer un de ces Cadavres. Cette nouveauté le met dans la derniere surprise. Le Mort se leve, sort de son Armoire, & d’un bras tout décharné tire l’autre Mort par la main. Les voila tous deux debout. Ils jettent des regards étincelans, & s’avancent lentement vers le Cavalier. Jugez de la frayeur où il est. Il recule, observe les deux Cadavres, & se souvenant que depuis la Salle des Tableaux son Conducteur ne l’a point suivy il ne doute point qu’il n’ait part à ce qui luy arrive. Les Cadavres luy tendent les mains, & continuënt de marcher vers luy avec la mesme lenteur. La Dame demande d’où vient qu’il les craint, & ce qu’est devenuë cette belle fermeté qu’il sembloit avoir, mais la teste acheve de luy tourner, & il se préparoit à fuir, lors qu’un des Squeletes, comme ennuyé de luy offrir inutilement la main, le pousse si rudement qu’il le fait tomber contre la Porte. Sa chûte la fait ouvrir. Il se sauve sans sçavoir où, & apres avoir traversé plusieurs Chambres, il gagne la Ruë, l’esprit si fort en désordre, qu’il a peine à retrouver son Logis. Il y arrive, passe la nuit dans des agitations inconcevables, & le jour ne paroist pas aussitost qu’il souhaite, pour aller se couper la gorge avec un Amy, qui luy a joüé un vilain tour sans l’en avertir. Il se leve dans la pensée qu’il le surprendra encor au Lit. Il frape à sa Porte. Un visage inconnu luy vient ouvrir. Il demande le Génois. On répond qu’il n’a jamais demeuré dans ce Logis. Il dit qu’on le fasse parler à son Valet Francisco. On appelle Francisco. Il vient à la Porte, mais ce n’est point le Francisco que le Cavalier connoist, & ce Francisco de son costé ne connoist ny le Génois, ny celuy qui le demande. Le Cavalier se met en colere, dit qu’on se moque de luy, tire l’épée, monte à la Chambre du Génois, & prétend qu’il n’aura pas de peine à le trouver. La Porte s’ouvre si tost qu’il y frape, & au lieu d’une Chambre tres-propre où il avoit soupé le soir precédent, il ne voit qu’un taudis tout remply de Vers à soye. Il descend aussi honteux, & aussi troublé qu’il estoit sorty de chez la Dame. Il donne la Ville, la Maison, & l’Amy au Diable, fait vœu de n’estre plus curieux, va sur le Port chercher sa Felouque, & se met en Mer deux heures apres, fort surpris d’avoir trouvé à Génes ce qu’il n’y estoit pas venu chercher, & d’avoir cherché tant de fois ailleurs ce qu’il n’avoit jamais pû trouver.

Quoy qu’il ne puisse comprendre ce qu’il a veu, il croit toûjours que ce n’a esté qu’un tour d’adresse, & que s’il eust eu la fermeté qu’il s’estoit promise, il eust découvert la tromperie.

[Annonce] * §

Mercure galant, août 1679 [tome 8], p. 51-52.

La Troupe du Roy, appellée de Guénegaud, annonce une comédie nouvelle sous le titre de la Devineresse, ou les faux Enchantemens. Je ne sçay pas bien encor ce que c’est ; mais de la maniere qu’on m’en a parlé, le spéctacle de cette Piece approche fort des choses surprenantes que je vous viens de conter. Si cela est, il vaudra bien les Machines ordinaires. Il aura du moins une nouveauté qu’elles ne peuvent plus avoir. Nous en sçaurons davantage avec le temps.

Le Temps Medecin. Fable, a Iris §

Mercure galant, août 1679 [tome 8], p. 52-59.

Heureux qui se peut servir de sonIsecours. Il guérit souvent les plus grands maux, & la Fable que je vous envoye vous va l’apprendre. Elle est de Mr du Livety.

Le Temps
Medecin.

Fable, a Iris.

        UNe Linote toute aimable,
        Et de qui les tendres accens
        Poussez d’un gozier agreable,
Endormoient la raison, & réveilloient les sens ;
Sur les autres Oyseaux prit un si grand empire,
Qu'à l’envy chacun d’eux pour elle soûpiroit.
Chacun touché d’amour, à luy plaire aspiroit,
        Sans qu’aucun osast en rien dire.
Entr'autres un Serin, un gay Chardonneret,
        Sentoient pour elle un feu secret,
Et bien qu’elle fust sourde à leur tendre ramage,
Ces malheureux Captifs aimoient leur esclavage.
Elle écoutoit assez leurs soûpirs amoureux,
Mais son superbe cœur n’en poussoit point pour eux ;
    Plus à la vaincre ils se donnoient de peine,
        Et plus elle estoit inhumaine.

***
        Mais enfin ces Oyseaux, un jour,
Ne voulant plus nourrir une espérance vaine,
Las de tous ses mépris, furent prier l’Amour
        D'adoucir le poids de leur chaîne.

***
    Ils se plaignirent des froideurs
Qu'avoit pour leur ardeur l’insensible Linote.
Allez, leur dit l’Amour, pour punir ses rigueurs,
    Je luy feray bientost changer de note.
    De tous mes traits je prendray le plus doux,
    Et la rendray plus sensible pour vous.
    N'est-il pas temps que mon pouvoir éclate,
        Et qu’elle vive sous mes loix ?
Oüy, je veux, chers Oyseaux, que cette Belle ingrate,,
        De l’un de vous deux fasse choix.
        Alors tous deux dans leur ramage
        En attendant cet heureux jour,
        Chantent cent fois, Vive l’Amour,
Publions ses bontez, rendons-luy nostre hommage,
        Il va contenter nos desirs,
        Et pour celle qui nous engage
Nous ne pousserons plus d’inutiles soûpirs.

***
        Apres une telle assurance,
        Fiers des promesses de l’Amour,
        Ils se flatent de l’espérance
        De fléchir la Linote un jour,
        Et vont dans le charmant sejour
Où cet aimable Oyseau faisoit sa résidence ;
Pour la gagner, ils s’arment de constance,
        Et tous les matins tour-à tour,
Par de tendres Chansons, chacun de son amour
        Luy va marquer la violence.
        Mais quoy ? des momens les plus doux
        L'Amour n’est pas toûjours le maistre,
Et quelquefois le Temps, de son pouvoir jaloux,
        Ne nous le fait que trop connoistre ;
Il le prive souvent des plus beaux de ses droits,
        Et rend sa prévoyance vaine :
Il en voulut donner une preuve certaine,
Lors que sur ces Oyseaux il étendit ses Loix,
        Pour leur faire briser leur chaîne.

***
        Hé quoy ? leur dit-il en couroux,
        La Linote se rit de vous,
Et ce qu’on doit nommer l’objet de vostre haine,
Doit-il estre l’objet de vos vœux les plus doux ?
Hé que vous a servy tant de perséverance,
Qu'à vous faire percer le cœur de mille coups,
Et vous donner matiere à nouvelle souffrance ?
Quittez, quittez l’erreur qui vous a trop séduits,
Voyez pour une Ingrate où vous estes réduits,
Vous n’en pourrez jamais vaincre l’indiférence.

***
        Voila ce que le Temps leur dit.
À ce pressant discours chacun d’eux se rendit.
Le Temps, pour les guérir, leur ordonna l’absence,
        Et ce remede les guérit.

***
C'est là, charmante Iris, ce que gagnent les Fieres ;
        Souvent un Amant rebuté
        Se lasse d’estre maltraité,
Et le Temps à la fin dessille ses paupieres.

[Compliment de M. Verjus à l’Academie Françoise le jour de sa Reception, avec la Réponse de M. Boyer] §

Mercure galant, août 1679 [tome 8], p. 59-87.

Je vous ay déja marqué que Mr Verjus Secretaire du Cabinet, avoit esté reçeu à l’Académie Françoise. Voicy ce que j’ay pû ramasser du Compliment qu’il y fit. Il dit d’abord, Qu'on ne pouvoit mieux faire des remercîmens d’une grace, qu’en faisant voir qu’on en sçavoit connoître tout le prix ; & qu’il croyoit avoir dêja suffisamment persuadé Messieurs de l’Académie, par la constance qu’il avoit euë à desirer l’honneur d’en estre, combien il se sentoit obligé de la constante inclination qu’ils avoient têmoignée à l’y recevoir ; Qu'il n’y apportoit point d’autre avantage, que son respect pour leurs Personnes, & un amour naturel pour les belles Lettres ; Qu'aussi celuy-là suffisoit-il pour le mettre en êtat de profiter de leurs lumieres & de leurs exemples ; Qu'on avoit l’obligation au grand Cardinal de Richelieu, d’avoir réüny en un Corps tant d’excellens Maistres des plus beaux Arts & de toute sorte de Sciences ; Que le mérite & la réputation de cette Illustre Compagnie formée de la main de ce grand Homme, avoit toûjours augmenté depuis. Et alors faisant connoistre qu’il ne parloit point de ceux qui la composent aujourd’huy, pour ne pas faire peine à leur modestie ; Que ne pourroit-on point dire, adjoûta-t-il, de ceux qui les ont précedez, & qui ont rendu le deüil de l’Académie, lors qu’elle les a perdus, commun à tous les Ordres du Royaume ? Que ne diroit-on point de ce Chancelier plus grand encor par sa vertu & par l’étenduë de ses connoissances, que par sa Dignité, qu’il crût longtemps honorée par celle d’Académicien, avant qu’il fust Protecteur de l’Académie, comme il l’estoit déja & comme il le fut toûjours depuis des beaux Arts, des Loix, de l’Equité, & de la Religion ? Que ne diroit-on point de tant de Prélats, de Ministres, de Magistrats, & d’autres grands Personnages qui ont partagé l’employ de leur temps & de leurs talens entre les exercices de l’Académie & les fonctions de leurs Charges ? Il poursuivit en disant, Qu'il ne pouvoit considérer tant de mérite & tant de gloire, sans redoubler les mouvemens de sa reconnoissance, & sans desirer passionnément de mériter la grace qu’il recevoit ; mais qu’il reconnoissoit n’avoir rien en luy, qui pust avoir contribué à l’en rendre digne, & que Messieurs de l’Académie pussent avoir consideré, que sa passion pour la gloire du Roy leur auguste Protecteur ; Qu'il ne falloit pas seulement d’excellens Maistres dans le dessein & dans l’ordonnance, pour travailler au Temple de Gloire que l’Académie élevoit au Roy par des Ouvrages d’une eternelle durée ; Qu'il falloit aussi de moindres Ouvriers pour préparer & fournir les matéreaux & les couleurs ; & qu’il pouvoit estre regardé comme un de ces Ouvriers, qui sans adresse & sans capacité peuvent par leur travail aider à celuy des autres ; Qu'ayant eu lieu par ses Voyages de connoistre & d’admirer de loin les grandeurs du Roy, & aussi de les voir & de les admirer de pres, à cause des entrées de sa Charge, dans tous les jours & dans toutes les distances qu’il avoit pour les regarder, elles luy avoient paru au dessus de tout ce qui s’en pouvoit dire ou imaginer ; Que si l’on considéroit hors du Royaume, & jusque dans les Païs les plus êloignez, ces grandes Flotes, qui sembloient s’estre tout d’un coup êlevées de la Mer, comme par miracle, avec le Pavillon François, & tout ce qui s’y voit & qui s’y passe, on trouveroit dequoy remplir toutes les Nations d’admiration & d’amour pour le Roy ; Que si on rentroit dans le Royaume, & que l’on y regardast tant de nouveaux Monumens plus superbes que ceux de l’Antiquité, tant d’Edifices & de Travaux immenses pour la commodité & l’embellissement des Villes, pour la communication des Rivieres & des Mers, pour l’abondance & la felicité des Provinces, pour la défense & la seûreté des Frontieres ; si on y jettoit les yeux sur ces vastes & riches Hôpitaux, où la Valeur malheureuse trouve un azile assuré, & sur tant de nouvelles Fondations pour l’instruction, pour l’avantage, & pour la seúreté des Peuples, on trouveroit que la grandeur du Roy au dehors, avoit des fondemens solides au dedans, & qu’elle y estoit surpassée par une grandeur encor plus merveilleuse ; Que rien ne paroistroit si grand que tout cela, si le Roy ne l’estoit pas encor davantage en luy-mesme, & par ses qualitez personnelles ; Que la plûpart des Héros les plus fameux avoient esté dans le secret de leurs Maisons, diferens de ce qu’ils avoient paru à la veuë du monde ; mais que le Roy dans le particulier, comme dans le public, estoit toûjours grand de sa propre grandeur, toûjours ferme, toûjours êgal, plus soûtenu par l’élevation & par la force de son génie, que par sa puissance & par sa dignité ; toújours par un sage discernement & par une noble patience, au dessus des defauts & des foiblesses de ceux qui l’approchoient, comme il estoit par ses exemples au dessus de tout leur mérite & de toutes leurs vertus ; toújours accompagné de toutes les plus grandes & les plus agreables qualitez, pour se faire respecter & aimer de tout le monde ; Qu'à regarder son cœur & son esprit, on trouvoit dans sa fermeté le fondement de l’intrépidité de ses Troupes ; dans sa profonde sagesse, la cause de toutes ses prospéritez ; dans sa douceur & dans sa bonté, les raisons de l’envie que toutes les Nations nous portent d’avoir un tel Maistre ; Qu'ainsi, quand on l’avoit bien consideré, on n’estoit plus surpris ny des choses étonnantes qu’il faisoit, ny de celles qui luy arrivoient ; Qu'on cessoit de tout admirer, & qu’on ne trouvoit plus rien de grand, rien d’admirable, que Loüis le Grand.

Ce Discours dont je ne vous donne qu’une idée tres-imparfaite, satisfit fort toute l’Assemblée. Je ne vous dis rien ny du mérite, ny des emplois de Mr Verjus, vous en ayant fait un long Article dans ma Lettre du dernier Mois. Apres qu’il eut cessé de parler, Mr Boyer luy répondit au nom de la Compagnie. Cette Réponse regardoit Mr de Bezons Conseiller d’Etat, qui en est présentement le Directeur ; mais les Affaires du Roy ne luy permettant pas de disposer de son temps, il en fit avertir Mr Boyer, qui comme Chancelier de la mesme Compagnie se trouva chargé de la parole, & n’eut que vingt quatre heures à se préparer, à cause que Mr Verjus ne pouvoit diférer son départ pour Ratisbonne. On se seroit étonné de la maniere aisée dont il s’acquita de cette Réponse en si peu de temps, si tant de belles Pieces de Théatre qu’il nous a données, n’estoient des preuves de la délicatesse & de la fécondité de son Esprit. Voicy en quels termes il parla.

Agréez, Monsieur, qu’au lieu d’applaudir d’abord à l’éloquent Discours que vous venez de faire, au lieu de nous applaudir nous-mesmes du mérite de nostre choix, je vous plaigne de ne voir pas à la teste de l’Académie Monsieur de Bezons, qui en est présentement le Directeur. Les obligations indispensables de l’Employ que le Roy luy a confié, auquel il doit tous ses momens, & la promptitude de vostre départ que les ordres de Sa Majesté pressent incessamment, luy ayant osté l’honneur de vous recevoir (honneur qu’il se devoit, & qu’il souhaitoit avec ardeur) il se trouve obligé de s’en décharger subitement sur moy, qui suis le moindre de ses Confreres, & que le Sort aveugle a fait le second Officier de cette Compagnie.

Il est fàcheux & pour vous & pour nous, qu’une Action aussi celebre que celle-cy, qui vous est si glorieuse, & à laquelle il ne manque rien de vostre part, perde en ma personne une partie de son éclat & de sa dignité.

Mais comme ces occasions si rares & si souhaitées, sont consacrées à la loüange du Roy nostre auguste Protecteur, le moyen de resister à la violente tentation de parler sur une matiere si riche & si agreable ? Dois je pas faire quelque effort pour me rendre digne de la place que j’occupe, & pour surmonter la malheureuse necessité qui fait dépendre ordinairement les ouvrages de l’Esprit, du secours du temps ?

Si le temps me manque, n’ay-je pas d’autres secours qui ne me manqueront pas ? Le courage & les lumieres de ceux qui m’ont précedé, & qui m’ont tracé un si beau chemin ; ce génie d’Eloquence qui regne dans l’Académie ; la majesté de ces Lieux qui nous parlent sans cesse de la grandeur de leur Maistre ; la faveur de mes Auditeurs, dont les yeux & la memoire sont tellement remplis des merveilles de son Regne, que je n’auray qu’à leur présenter les choses que j’ay à dire, sans ordre, sans art, & sans êtude ; Et sur tout ne puis je pas attendre du zele ardent qui me brûle pour la gloire du Roy, une de ces promptes & heureuses saillies qui nous êlevant au dessus de nous-mesmes, nous font aller quelquefois où les plus longues méditations ne sçauroient atteindre ? Mais avec tous ces secours, ay-je le temps de faire un choix dans un Champ si vaste, dans une matiere si abondante, dans cette foule d’Images & de grandes Actions qui se présentent à mon esprit ? De quel costé & par quel endroit toucheray-je cette matiere prétieuse que des mains si adroites & si sçavantes ont maniée avec tant de bonheur & avec tant de succés ?

C'est vous, Monsieur, qui devez m’aider à trouver quelque route nouvelle qui me distingue de ceux qui m’ont devancé. La conjoncture présente, vostre nouvel Employ qui regarde des Négotiations tres-importantes, vostre départ précipité qui fait mon desordre & mon inquiétude, m’inspirent de nouvelles idées de la gloire de nostre Roy. C'est vous qui pouvez me le faire connoistre par des endroits qui êchapent à la veuë des autres Hommes. Loüis le Grand, l’auguste, le victorieux, est connu de tout le monde. Je me garderay bien de tomber dans ces redites ennuyeuses qui gâtent les Sujets qu’on traite, au lieu de les embellir. Je ne parleray point des Exploits inoüis de nostre invincible Monarque, de cette êtenduë prodigieuse de prudence qui fournit à tant de besoins diférens, & qui semblable à la Providence Eternelle, est présente à tout & par tout. Je laisse à toute la Terre à parler de la rapidité de ses Conquestes, du nombre incroyable de ses Victoires, dont le miracle trouvera à peine quelque foy parmy nos Neveux. Tout parle du grand Ouvrage de la Paix qu’il a consommé avec tant de force, avec tant de sagesse, avec tant de patience. Je ne diray rien de la beauté de son Triomphe, où le Vainqueur ne traîne point apres luy des Princes opprimez, des Roys enchaînez, des Peuples couverts de larmes & de sang ; mais où le Vainqueur mene avec luy des Princes dêlivrez, des Roys secourus, des Peuples rêjoüis.

Ce sont d’autres merveilles, c’est un autre Loüis que nous ne connoissons qu’à demy, & qui se montre à vos yeux, dont je voudrois parler. C'est vous, Monsieur, & vos pareils, à qui dans les conversations dont il vous honore, & dans les instructions qu’il vous donne, il fait remarquer la sagesse de ses Conseils, la force de sa Raison, l’adresse des Ressorts dont il se sert pour mouvoir toute l’Europe, cette Science des divers interests des Princes, cette connoissance de leur puissance & de leurs caracteres qui sert à donner le contrepoids à ce qu’il trouve en eux ou de trop fort ou de trop foible pour la conservation de la tranquilité publique, cette penétration avec laquelle il démesle les plus délicats intérest de sa gloire & de sa grandeur ; en un mot cette Politique supérieure à la Politique de tous les autres Etats, qui le fait triompher par tout, & luy donne un aussi grand ascendant dans toutes les Cours de ses Voisins, que ses Armes en ont eu dans toutes les Parties de l’Europe.

Que vous auriez, Monsieur, de grandes choses à nous dire sur ce sujet, si le Secret qui couvre les mysteres d’Etat n’estoit une des principales obligations de vostre Charge & de vostre Employ !

Mais que fais-je ? J'oublie insensiblement que je vous dérobe les momens que vous devez à l’exécution des ordres du Roy qui vous presse de partir. C'est assez que de vous estre donné le temps de prendre icy vostre place. Allez satisfaire aux volontez d’un Roy qui vous demande cette mesme promptitude qu’il apporte heureusement dans toutes ses entreprises. Mais souvenez-vous, Monsieur, que ce beau zele qui vous fait travailler avec tant de succés pour les intérests & pour la gloire de nostre incomparable Monarque, doit rendre icy une nouvelle chaleur, puis qu’avec les titres de Sujet fidelle, de Secretaire du Cabinet, & de Plénipotentiaire de Sa Majesté, le titre d’Académicien que vous prenez aujourd’huy, vous doit faire regarder dans la Personne de vostre Roy & de vostre Maistre, celle de nostre Protecteur.

Cette Réponse fut fort applaudie. Mr Boyer ne fit cesser les loüanges qu’on luy donna, qu’en demandant, selon la coûtume, si quelqu’un de ces Messieurs n’avoit rien à lire. Mr Charpentier commença par un Panégyrique du Roy, remply de grandes pensées. En suite, Mr l’Abbé Tallemant Premier Aumônier de Madame, celébre par la belle Traduction qu’il a faite des Vies de Plutarque, & par celle qu’il vient de nous donner de la premiere Partie de l’Histoire de Battista Nani, lût le Madrigal que vous allez voir.

[Madrigal sur le Mariage de Mademoiselle] §

Mercure galant, août 1679 [tome 8], p. 87-88.

A Mademoiselle,

Sur son Mariage.

        OUy, Princesse, en vous acquérant,
L'Espagne se doit voir dans un bonheur si grand,
Qu'elle en rendra jaloux nos Peuples & nos Princes.
Admirons son adresse en ce dernier effort ;
        Conservant toutes ses Provinces,
        Elle nous eust fait moins de tort.

Mr  de Mézeray acheva par un Morceau d’Histoire touchant l’origine des Gaulois. Mr le Marquis d’Angeau qui le lût pour luy, y donna une grace qui aida fort à en faire remarquer toutes les beautez.

[Estampes gravées par l’ordre du Roy, & données au Public] §

Mercure galant, août 1679 [tome 8], p. 88-134.

L'étroite alliance qu’ont les beaux Arts avec les Sciences, que ceux de cette illustre CompagnieII possedent au plus haut point, m’oblige à vous en faire icy un Article particulier. Je vous ay parlé dans la plûpart de mes Lettres du progrés qu’on leur voyoit faire de jour en jour. Ce sont des merveilles dont pres de trois cens Planches gravées publient aujourd’huy la verité. Rien n’est plus propre à faire prendre l’idée qu’on doit avoir de la France, puis qu’elles en font connoistre la grandeur par l’éclat des superbes divertissemens de son Prince, par la magnificence de ses Edifices, & par le nombre infiny de raretez qui s’y trouvent. Voicy un Catalogue des Livres d’Estampes, & des autres Ouvrages de Taille douce gravez pour le Roy, & donnez au Public depuis quelques Mois, avec le prix de chacun de ces Ouvrages en blanc.

I. Le grand Carousel de l’année 1662. contenant sept grandes Planches, trente Figures des Personnages des Quadrilles, & cinquante-cinq Devises ; le tout gravé par Chauveau & Sylvestre. Avec un Poème Latin sur le mesme sujet. 18 livres.
II. Le mesme Carousel traduit en Latin, avec les mesmes Figures. 15 l.
III. Le Divertissement de Versailles de l’année 1664. sous le titre des Plaisirs de l’Isle enchantée, contenant neuf Planches gravées par Sylvestre. 3 l. 10 s.
IV. La Feste de Versailles de l’année 1668. contenant cinq Planches gravées par le Pautre. 3 l. 10 s.
V. La Feste de Versailles de l’année 1674. contenant six Planches gravées par Chauveau & le Pautre. 3 l. 10 s.
Les Estampes de chacun de ces Divertissemens, separées du Discours. 6 sols.
VI.III La premiere Partie des Tableaux du Cabinet du Roy, contenant vingt-quatre Pieces gravées par Rousselet, Picart, Eddelink, Chasteau, &c. avec les Descriptions. En grand papier, 12 l. En petit papier, 10 l.
Les Estampes des Tableaux de la grandeur ordinaire separées, 7 s.
Les Estampes en double feüille, 12 s.
VII. La premiere Partie des Statuës & Bustes antiques des Maisons Royales, contenant dix-huit Pieces gravées par Mellan. En grand papier, 6 l. En petit papier, 5 l.
Les Estampes separées desd. Statuës & Bustes, 6 s.
VIII. Le Livre des Tapisseries des quatre Elémens & des quatre Saisons, contenant huit grandes Pieces & trente-deux Devises, gravées par le Clerc. En grand papier, 7 l. 10 s. En petit papier, 6 l.
Les Estampes des Tapisseries Separées. 10 s.
IX. Le Labyrinte de Versailles contenant quarante-une petites Planches gravées par le Clerc. 3 l. 10 s.
X. Les cinq grandes Pieces de l’Histoire d’Aléxandre, gravées d’apres les Tableaux de Mrle Brun, par Audran & Eddelink 27 l.
XI. Les Veuës & Profils des Villes, gravées d’apres les Tableaux de Vandermeule. En une feüille, 10 s. En deux feüilles, 1 l. En trois feüilles, 2 l.

Tous ces Ouvrages se vendent chez le Sr Sebastien Mabre-Cramoisy, Imprimeur du Roy, & Directeur de son Imprimerie Royale. Il a aussi imprimé les Discours qui ont esté faits sur tous ces grands sujets d’admiration. Vous voyez, Madame, qu’on a employé les plus excellens Ouvriers pour graver ces Planches, & qu’il ne se peut que ce travail n’ait beaucoup cousté. Cependant le prix qu’on voit bien que c’est un effet de la liberalité du Roy qui en veut faire présent au Public, & qui est bien aise que l’avantage qu’en recevront ses Sujets, soit communiqué aux Etrangers. Comme l’on travaille depuis plusieurs années à ces Ouvrages, il est aisé de connoistre que la guerre n’a point empesché les Arts de fleurir, & qu’au contraire pendant que le Roy faisoit des Actions surprenantes pour la gloire de ses Etats, & qu’il avoit les efforts de toute l’Europe à soûtenir, ces mesmes Arts ont regné en France avec plus d’éclat. De tres-beaux Discours expliquent la plûpart des Ouvrages que je vous ay dit qu’on avoit gravez. Les premieres pages ont pour ornement des Vignetes d’une invention & d’un travail qu’on ne se lasseroit point d’admirer, si la beauté des Planches qui sont ensuite ne forçoit d’en détourner les regards. Le grand Carrousel de l’année 1662. est dédié à Monseigneur le Dauphin. L’Epistre aussi bien que tout le Discours qui luy sert d’explication, est de Mr Perraut de l’Académie Françoise. Vous sçavez, Madame, combien il est digne de la réputation qu’il s’est acquise. Je ne vous dis rien de ce Carrousel. Trente-sept Planches en parlent assez. On voit par elles que la France n’entreprend rien où elle ne fasse voir sa grandeur, qu’il faut qu’elle agisse dans son repos, que ses Braves n’ont point de plus forte passion que de donner des marques de leur adresse dans les Armes, & qu’ils sont tellement nez pour la guerre, que leurs plus agreables divertissemens sont ceux qui leur en fournissent l’image. Les dépenses faites pour le Mariage du Roy, où la Noblesse Françoise avoit paru avec tout l’éclat possible, plus de cent cinquante Personnes d’une qualité distinguée ayant accompagné Mr le Maréchal de Gramont jusqu’à Madrid, n’empescherent point que la Cour ne se trouvast presque aussi tost en état de fournir aux frais de ce fameux Carousel. Le Poème Latin qui en accompagne les Planches, est de Mr l’Abbé Fléchier. Son nom est un grand éloge.

Deux ans apres, c’est à dire en 1664. on vit des magnificences extraordinaires dans le Divertissement de Versailles qui avoit pour titre Les Plaisirs de l’Isle enchantée. Il ne pouvoit qu’estre bien imaginé, puis que Mr le Duc de S. Aignan avoit eu ordre du Roy, d’inventer un Sujet qui fist naistre tout ce qu’on s’estoit proposé d’y faire entrer d’agreable. Il estoit séparé en trois journées. Il y eut une Course de Bague dans la premiere. On y vit paroistre le Char d’Apollon. Il estoit accompagné des Siecles, du Temps, des douze Heures du jour, & des douze Signes du Zodiaque. Dés qu’on se fut placé dans le Camp, Apollon & les Siecles reciterent des Vers à la loüange des Reynes. Ils avoient esté faits par Mr le Président de Périgny, & ceux des Chevaliers par Mr de Benserade. On commença ensuite la Course de Bague dont Mr le Marquis de la Valiere remporta le Prix. La Collation fut servie aussi-tost apres par les Saisons, & par leur nombreuse suite, pendant que les Signes du Zodiaque dancerent. La représentation de la Princesse d’Elide fut le divertissement de la seconde journée. Tout le monde sçait ce que c’est que cette fameuse Comédie. Les plaisirs du troisiéme jour furent grands. On dança un Balet devant le Palais d’Alcine. Ce Palais fut renversé par un éclat de Tonnerre, & un Feu d’artifice acheva de le consumer. Cette Feste qui dura trois jours, a esté une des plus completes, & des plus magnifiques dont on ait parlé depuis plusieurs Siecles. On ne doit pas en estre surpris, puis que le Ministre infatigable, qui avec les importantes affaires qui l’occupent, veut bien prendre soin de tout ce qui regarde l’avancement & la gloire des beaux Arts, avoit donné des ordres si justes pour rendre ces Divertissemens dignes du grand Prince qui en régaloit sa Cour, qu’ils ne pouvoient manquer de paroistre avec l’éclat qu’ils ont eu. Il ne faut que jetter les yeux sur les neuf Planches qu’on en a gravées, pour estre persuadé que ceux qui ont veu les Spectacles qu’elles représentent, ont dû les croire un enchantement. Je ne vous en fais point une description particuliere, ces Planches estant accompagnées d’un tres beau Discours de Mr Félibien, qui ne laisse rien à desirer sur ce sujet. Les jours suivans, on courut encor les Testes. Le Roy remporta quatre Prix, Mr le Duc de S. Aignan deux, & Mr le Duc de Coislin un.

Si le bruit de cette Feste toute Françoise & toute Royale, c’est à dire, toute magnifique & toute galante, s’est répandu par toute la Terre, on ne doit pas moins admirer celle que Sa Majesté donna en 1668. dans le mesme lieu de Versailles. Ce Prince, & ceux qui l’avoient suivy, avoient gousté de tres-grands plaisirs pendant le Carnaval de la mesme année, puis qu’en prenant la Franche-Comté, ils avoient acquis plus de gloire en un seul Hyver, au milieu des neges, des glaces, & des frimats, qu’on n’en acquéroit autrefois en plusieurs Campagnes faites dans les Saisons les plus temperées ; mais comme les Dames n’avoient eu que des alarmes dans ce Carnaval, causées par la crainte de perdre ceux qui les touchoient, le Roy résolut de leur donner une Feste dans les Jardins de Versailles, & ordonna qu’on se servist pour cela des Eaux que l’Art y a fait venir malgré la Nature. Sa Majesté ouvrit Elle-mesme les moyens de les employer, & d’en tirer tous les effets qu’elles peuvent faire. Cette Feste ne devoit durer qu’un demy-jour ; ce qui marque encor plus la grandeur du Roy, puis qu’il n’est pas extraordinaire qu’on fasse de grandes dépenses pour une chose qui dure longtemps. Ce magnifique Régal consistoit en une Collation élevée au milieu de cinq Allées qui estoient elles mesmes remplies de ce qui la composoit ; en une Comédie meslée de Balet sur un Théatre fait exprés ; en un Soupé sous une Feüillée enrichie de tout ce que l’on peut s’imaginer de brillant, & de riche ; en un Bal sous une autre Feüillée toute environnée de Cascades, avec un beau Feu d’artifice, & une Illumination qui faisoit paroistre tout le Château de Versailles en feu, & toutes les Allées remplies de Termes, & de Figures toutes brillantes de lumieres. Ces cinq endroits sont le sujet des cinq Planches de ce somptueux Divertissement. Les Desseins en avoient esté faits autrefois par feu Mr Gieffé, Dessignateur du Cabinet du Roy ; mais comme on ne les a point trouvez apres sa mort, il a falu que Mr Berrin, pourvû aujourd’huy de la mesme Charge, en ait fait de nouveaux sur quelques Mémoires qu’on luy a donnez ; ce qui auroit esté tres-difficile à un Homme moins intelligent que luy dans ces sortes de choses. A peine ay-je cessé de vous parler d’une Feste, que j’en trouve six autres en six journées de suite, qui de mesme que les precédentes n’ont paru qu’apres de nouvelles Conquestes du Roy. Elles ont fait les plaisirs de l’année 1674. La diversité en fut grande, puis qu’il y eut un Opéra, un Concert de Musique à Trianon, plusieurs Comédies, deux Feux d’artifices, deux Illuminations, plusieurs Collations, & un Soupé, mais il faut remarquer que ce Soupé, ces Collations, ces Comédies, ce Concert, & cet Opéra, ne se donnerent point dans des Apartemens de Versailles, mais dans autant de Lieux faits exprés, qu’il y eut de Divertissemens. Ces lieux estoient d’une galanterie, & d’une magnificence si extraordinaire, que ne pouvant vous rien dire qui en approche, je suis obligé de vous renvoyer au Discours qu’en a fait Mr Felibien, & aux Planches qui en sont gravées sur les Desseins de Mrs le Brun, Berrin, & Vigarany, qui sont les trois dont l’imagination avoit travaillé pour l’embellissement de ces mesmes Lieux.

Je viens à ce qui a esté fait pour les beaux Arts seuls ; car quoy qu’ils ayent beaucoup de part à toutes ces Festes, l’adresse, la galanterie, & la magnificence de la Cour, y en avoient la plus grande. Est-il rien qui leur soit plus avantageux que les Tableaux qui viennent d’estre gravez ? Les uns sont des plus grands Maistres de l’Antiquité. Les autres, de quelques fameux Peintres François qui font honneur à la Nation ; & comme ce sont autant de Chef d’œuvres que peu de Personnes auroient pû voir, parce qu’ils sont dans le Cabinet du Roy, Sa Majesté par une bonté qui n’a point d’exemple, donne moyen à tous les Peintres du Monde de les multiplier en les copiant sur les Estampes, ce qui sera d’une grande utilité pour le Public, & pourra servir d’instruction à tous ceux qui ont quelque adresse à manier le Pinceau. Joignez à cela que ces Estampes font remarquer combien la Gravûre s’est perfectionnée en France, sous le Regne de ce grand Prince. Les Statuës, & Bustes antiques qu’il a fait graver, ne donneront pas seulement beaucoup de joye aux Curieux, & aux étrangers qui les voudront avoir, mais encor aux Sculpteurs qui auront un seûr moyen de se rendre habiles, en profitant de ces avantages.

Quelques Ouvrages modernes suivent les Bustes antiques dont je viens de vous parler. Ils ne peuvent estre que tres-beaux, puis qu’ils ont esté faits sur les Desseins de Mr le Brun, & gravez ainsi que les autres, par les meilleurs Ouvriers de France.

Ces Ouvrages consistent en huit Pieces de Tapisseries, où l’on fait connoistre la grandeur du Roy par des images allégoriques, ce que des paroles n’exprimeroient pas assez fortement. Toutes ces merveilles sont mistérieusement dépeintes dans les quatre premiers Tableaux que ces Tapisseries représentent, qui sont les quatre Elémens. Ainsi l’œil découvre, & l’imagination conçoit. C'est une Histoire de toutes les grandes Actions de Sa Majesté, dont les merveilles sont cachées sous le voile des Couleurs du Peintre. Ce qui enrichit la Bordure est composé de tout ce qui sert & qui a du raport à chaque Elément. Les Armes du Roy sont dans le milieu de la Bordure d’enhaut de chaque Piece. Il y a quatre Devises aux quatre coins. Deux Actions éclatantes qui regardent ce grand Prince, sont dans chaque milieu des deux costez ; & dans celuy de chaque Bordure d’enbas, il y a une Inscription Latine de Mr Cassagne qui explique ces deux Actions. Les Vers François qui donnent l’intelligence des Devises, ont esté faits par Mr Perraut.

Apres que l’on a veu dans les Pieces qui représentent les quatre Elémens, les grandes choses que le Roy a faites, on voit dans celles des quatre Saisons, que Sa Majesté les a renduës plus belles & plus fécondes pour nous, & qu’Elle a comblé nos jours de toute sorte de biens. Chaque Piece représente une Saison, & un Divertissement qui luy est propre ; & pour rendre encor ces Ouvrages plus agreables, on a peint dans chaque Tableau une Maison Royale choisie entre les autres, comme celle qui a le plus d’agrément dans la Saison où elle est representée. Il y a des Inscriptions Latines au bas de chaque Piece. Elles sont de Mr Charpentier, qui les a aussi traduites en Vers François. Quatre Devises servent d’embellissement aux quatre coins des Bordures. Les deux d’enhaut ont raport à la Saison, & les deux d’enbas au Divertissement figuré dans le Tableau, & toutes sont faites à la loüange de Sa Majesté. Elles sont Latines, au nombre de trente-deux, & ont esté faites par ceux qui ont l’avantage d’estre de l’Académie particuliere de Mr Colbert. Je pense vous avoir déja dit qu’elle est composée d’un petit nombre d’habiles Gens choisis par ce grand Ministre. Il prend soin de voir luy-mesme tout ce qu’ils font pour la gloire de Sa Majesté, de la France, & des beaux Arts. Il en juge avec une penétration d’esprit incroyable ; & comme il connoist parfaitement le Roy, il leur donne souvent des lumieres pour le loüer. Ces mesmes Devises sont expliquées en Vers François par Mr Perraut, à la reserve de huit, dont il y en a cinq traduites par Mr Charpentier, deux par Mr l’Abbé Cassagne, & une par feu Mr Chapelain.

Je ne dois pas oublier le Labyrinte. Il est dans un Bocage du petit Parc de Versailles, & a pris son nom d’une infinité de petites Allées où l’on s’égare. On le fait agreablement, puis qu’on y rencontre des Fontaines à chaque détour. Une partie des Fables d’Esope leur sert de sujet. Les Animaux sont d’un Bronze colorié qui en représente le naturel. On a fait graver quarante-une Planches de ces Fontaines, qui sont disposées diféremment pour faire de la diversité, & qui ont leurs Bassins ornez de Rocaille fine. Chacun a une Inscription de quatre Vers en lettres d’or, sur une ame de Bronze peinte en noir. Ces Vers sont de Mr de Benserade. Ils expliquent la Fable, & en tirent la moralité.

L'ordre du Mémoire qui est au commencement de cet Article, veut que je vous parle présentement de l’Histoire d’Aléxandre représentée en cinq Tableaux. Le premier nous montre que la Vertu plaist quoy que vaincuë. Aléxandre n’est pas seulement touché de compassion dans ce Tableau, en voyant la grandeur d’ame du Roy Porus qu’il a fait son prisonnier ; mais il trouve de la gloire à luy marquer son estime, en le recevant au nombre de ses Amis, & en luy donnant en suite un plus grand Royaume que celuy qu’il a perdu. Ce Tableau, aussi-bien que les quatre autres, est dans le Cabinet de Sa Majesté. Il a seize pieds de haut sur trente-neuf pieds & cinq poulces de long.

Le second, qui a aussi seize pieds de haut sur trente de long, fait connoistre qu’il n’y a point d’obstacle que la Vertu ne surmonte. On y voit ce mesme Aléxandre, qui ayant passé le Granique, attaque les Perses à forces inégales, & met en fuite leur inombrable multitude.

On est convaincu par le troisiéme, que la Vertu est digne de l’Empire de toute la Terre. Aléxandre apres plusieurs Victoires, défait Darius dans la Bataille d’Arbelle ; & ce dernier Combat ayant achevé de renverser le Trône des Perses, tout l’Orient demeure soûmis à la Macédoine. Ce Tableau a seize pieds de haut sur trente-neuf pieds cinq poulces de long.

Le quatriéme fait voir qu’il est d’un grand Roy de triompher de soy-mesme. Aléxandre ayant vaincu Darius pres la Ville d’Isse, entre dans une Tente, où sont la Mere, la Femme, & la Fille de Darius, & donne un exemple singulier de retenuë & de clemence. Le Roy estant à Fontainebleau, prenoit un tres-grand plaisir à voir peindre ce Tableau. On ne le sçauroit assez admirer, & il est impossible d’en bien exprimer toutes les beautez. On y voit dix-huit Personnes ébloüyes de la grandeur d’Aléxandre, & charmées de sa bonté. Elles sont toutes dans une posture supliante, & le regardent avec une attention qui marque de l’admiration, de la douleur, & de la crainte. Cependant quoy qu’elles n’ayent ny les mesmes attitudes, ny le mesme air de visage, elles expriment toutes la mesme chose, mais d’une maniere si diférente, que l’habileté du Peintre paroist dans chacune, & luy fait mériter diverses loüanges.

Le dernier Tableau nous apprend que les Héros s’élevent par la Vertu. On y découvre la triomphante Entrée d’Aléxandre dans Babylone au milieu des Concerts de Musique, & des acclamations du Peuple. Je n’entreprens point de loüer tant de Chef d’œuvres. Ils sont de Mr le Brun, & c’est tout dire.

Il ne me reste plus à vous parler que de treize Planches gravées d’apres les Desseins que le Sieur Vandermeulen a faits pour sa Majesté. Ces treize Planches dont le mesme Vandermeulen a peint les quatre premieres, sont

La Marche du Roy, accompagné de ses Gardes, passant sur le Pontneuf, & allant au Palais.
La Veuë du Chasteau de Vincennes du costé du Parc.
La Veuë du Chasteau de Versailles du costé de l’Orangerie.
La Veuë du Chasteau de Fontainebleau du costé du Jardin.
Veuë de la Ville de Béthune en Artois.
L'Entrée du Roy dans Dunquerque.
Veuë de la Ville de Besançon du costé de Dole, & situation du Lieu, dans la Franche-Comté.
Veuë de la Ville & Fauxbourgs de Salins, Chasteaux, Montagnes, & situation du Lieu dans la Franche-Comté.
Veuë du Chasteau de Joux sur la Frontiere de la Franche Comté.
Veuë du Chasteau Sainte Anne en Franche-Comté, comme il se voit en y entrant.
Veuë du mesme Chasteau Sainte Anne, comme il se voit derriere la Montagne.
Veuë de S. Laurens de la Roche, & du Bourg, dans la Franche-Comté.
Veuë du mesme S. Laurens de la Roche du costé du Bourg dans la Franche-Comté.

La situation de tant de Places dans des lieux presque inaccessibles, augmente l’étonnement que nous a donné deux fois la prise de la Franche-Comté, dont nous avons veu le Roy se rendre maistre en si peu de jours pendant deux Hyvers, dont la rigueur ne sembloit estre redoublée qu’afin que ce grand Prince en eust plus de gloire.

Comme toutes ces Planches ont esté faites pour Sa Majesté, & que le Sr Vandermeulen s’est exprés transporté par tout sur les lieux pour en faire les Desseins, on ne doit point douter que tout ce qu’elles representent n’ait esté observé avec la plus grande & la plus exacte régularité. Je croy que beaucoup de vos Amis ne manqueront point à profiter de l’avis que je vous donne, & que tant de belles choses ne peuvent avoir qu’un tres-grand debit.

On travaille encor à l’Histoire des Plantes, & à celle des Animaux, dont les Planches sont aussi gravées par l’ordre du Roy. On peut juger par celles dont je vous parle, qu’il ne sortira rien des mains des grands Maistres qui les ont faites, qui ne soit digne d’estre veu par tout.

[Réjoüissances faites à Madrid] §

Mercure galant, août 1679 [tome 8], p.134-146.

Si je me suis un peu étendu sur cet ArticleIV, je l’ay fait non seulement en faveur de nos Curieux à qui un pareil avis estoit necessaire, mais aussi pour en faire part aux Etrangers qui lisent mes Lettres. Vous sçavez, Madame, qu’elles sont assez heureuses pour aller par tout, & qu’il n’y a point de Cours dans l’Europe, où elles ne soient veuës avec plaisir. Celle d’Espagne qui sçait si parfaitement accorder la gravité avec la galanterie, en fait un de ses divertissemens, & on m’assure qu’elles y sont si bien reçeuës, mesme de ceux qui tiennent le timon de l’Etat sous le Roy, que ces grands Génies qui aiment la vertu jusque dans leur Ennemy mesme, ont souvent regardé avec autant d’admiration que d’étonnement, ce que j’ay eu l’avantage de publier des merveilleuses Actions de Loüis le Grand, & du zele infatigable des Ministres qui le servent. La justice que j’ay tâché de rendre à toutes les Nations en vous écrivant, a sans-doute esté cause qu’un Cavalier Espagnol, zelé pour la gloire de sa Patrie, m’a envoyé une Relation des Réjoüissances qu’on fit à Madrid, aussitost qu’on y eut appris que Mademoiselle estoit accordée au Roy d’Espagne. Comme on y attendoit impatiemment cette nouvelle, il ne se peut rien ajoûter à la joye qu’on en fit paroistre. Elle y fut reçeuë le 13. de l’autre Mois à dix heures du matin. Il restoit peu de temps jusqu’au soir pour ordonner une Feste. Cependant Messieurs de Ville & les Grands ne laisserent pas de se préparer à une Mascara, dont ils donnerent le divertissement au Roy dans la Place du Palais, apres le Soupé de Sa Majesté.

Sur les neuf heures, les Cloches commencerent à carrillonner, & la Ville à estre illuminée par quantité de Flambeaux de cire blanche, que les Cavaliers & les Ministres firent allumer à leurs Balcons. La grande Place du Palais en estoit toute éclairée, & recevoit une grande augmentation de clarté, par d’autres lumieres qu’on avoit élevées sur des pieux. Sitost que le Roy parut à son Balcon, la Mascara eut permission d’entrer. Elle estoit précedée par les Gardes, suivis de leurs Officiers, tous tres-lestes, montez sur des Chevaux dont les Selles estoient d’une broderie fort relevée, & environnez de vingt-quatre Laquais, tenant à la main de grands Flambeaux qui par leur clarté rehaussoient la richesse & l’éclat de leur parure. Leurs Chevaux sembloient répondre à leur gravité. Personne n’ignore qu’il n’y en a point qui soient si propres à de pareilles actions que ceux d’Espagne. Leur pas est extrémement levé, & leur fierté inspire quelque chose de martial à ceux qui les montent. Cette premiere Troupe ayant salüé le Roy, se rangea aux costez pour laisser le passage libre à la Mascara. Elle avoit en teste douze Timbaliers vestus de blanc & de rouge, montez sur des Mules revestuës de mesme. Le Corrégidor ou Chef de Ville, venoit en suite, couvert de toile d’argent sur un fond noir, avec une Echarpe de la mesme sorte, & un Chapeau garny de Plumes des mesmes couleurs. Son Cheval estoit caché sous une profusion de Rubans & de petites Sonnetes d’argent, qui ne luy laissoient rien de découvert que la teste. Six Laquais vestus à la Moresque, de toile d’argent, portoient des Flambeaux autour de luy. Ses Collegues le suivoient deux à deux avec les mesmes Habits sur de diférentes couleurs. Plusieurs Grands d’Espagne, & quelques autres Cavaliers, composoient le reste de la Mascara. Ils estoient tous assez propres, quoy qu’en Gonille & en Manteau, car dans les Festes de Ville la severité Espagnole ne dispense aucun des Tenans de porter ces marques de gravité. Leur équipage n’étoit diférent de celuy du Corrégidor que par les couleurs. Un grand nombre de Flambeaux les éclairoit. Ils estoient portez par des Laquais, habillez les uns de Brocard à l’Espagnole, les autres de Toile d’or à la Turque, & quelques-uns à la Françoise. Apres qu’ils eurent tous salüé le Roy au pas grave de leurs Chevaux, ils rentrerent dans la Lice par un autre endroit, & commencerent à courir las Parejas, qui consistent à pousser deux Chevaux à toute bride, mais dans cette égalité, que l’un n’avance pas plus que l’autre. Les quatre-vingts Cavaliers qui composerent la Mascara, en fournirent quarante, dont Sa Majesté fut tres-satisfaite. Ils donnerent le mesme plaisir à quelques Religieuses devant leurs Convens ; & au Peuple à la grande Place de Ville.

Le lendemain, les Officiers de l’Ecurie du Roy coururent aussi las Parejas en Mascara, aux mesmes endroits qu’on avoit fait le soir precédent. Ce jour-là mesme Sa Majesté reçeut les Complimens de tous les Ministres Etrangers, qui l’allerent féliciter sur son Mariage, ornez de grandes Enseignes de Diamans sur le costé gauche. Cela se pratique dans toutes les fonctions qui regardent la Maison Royale.

Tout ce que je viens de vous dire est la Rélation mesme du Cavalier, qui ne se fait connoistre que sous le nom de El Amante de una Mariposa. Vous voyez, Madame, qu’il n’écrit pas mal François pour un Espagnol. Je ne doute point qu’il ne me fasse la grace de continuer à me faire part des Festes galantes de la Cour d’Espagne. On n’en peut rien attendre que de tres-exact, apres les soins qu’il a pris de me marquer jusqu’aux moindres circonstances de celle-cy.

[Gravure d’une mosaïque ancienne] * §

Mercure galant, août 1679 [tome 8], p.146-148.

Comme vous estes fort curieuse, j’espere que vous me sçaurez bon gré de ce que j’ay fait graver pour vous, d’un Pavé de Marqueterie ou Mosaïque ancienne, trouvée il y a environ quatre cens ans à la montée de Gourguillon, dans la Vigne du Sr Cassaire, Maître Apotiquaire de Lyon, & dessignée par les soins de Mr Spon, Medecin aggregé dans la mesme Ville. Vous en examinerez les Figures, & demanderez à vos Amis quelle explication ils leur donnent, car on n’y a point trouvé d’Inscription. C'estoit le milieu d’un Pavé de quelque Sallon ou petit Temple long de 20 pieds, & large de 10. ou 12. Tout ce qui est autour du quarré, sont des compartimens de semblable Mosaïque qu’on n’a pas voulu se donner la peine de dessigner. Ceux qui voudront m’envoyer leurs recherches sur l’origine de ces sortes de Pavez, feront quelque chose de fort agreable pour les Curieux.

[Mort de M. le Laboureur] §

Mercure galant, août 1679 [tome 8], p.148-151.

Nous avons perdu un Illustre en la Personne de Mr le Laboureur, Trésorier de France, & Bailly de Montmorency. Il est mort dés le 21. de l’autre Mois. Si beaucoup d’intégrité jointe à une fort grande expérience, l’a fait estimer dans le Barreau, les belles Lettres ne luy ont pas moins acquis de réputation parmy les Sçavans. Le Poëme de Charlemagne, & les avantages de la Langue Françoise sur la Latine, sont les Monumens qu’il nous a laissez de son esprit. Il estoit Parent tres-proche de Mr le Laboureur Avocat General au Parlement de Mets, & a esté toute sa vie étroitement attaché au service de Mr le Prince, ce zéle estant héréditaire à sa Maison, qui depuis cent cinquante ans, possede sans interruption les Charges de Bailly, & Lieutenant General du Duché & Pairie de Montmorency. Feu Mr l’Abbé le Laboureur son Frere qui mourut il y a trois ans, estoit un des premiers Hommes de son Siecle pour l’Histoire generale & particuliere. Les beaux Ouvrages qu’il nous a donnez font mieux son éloge que tout ce que je pourrois vous dire à son avantage. Ces Ouvrages sont, Le Tombeau des Personnes Illustres, La Rélation du Voyage de la Reyne de Pologne en 1646. L'Histoire de Charles VI. Les Memoires du Maréchal de Guébriant, & les Memoires de Castelnau.

Le Duc de Valois. Historiete §

Mercure galant, août 1679 [tome 8], p.153-169.

Je vous envoye une Historiete que vous pouvez lire en toute assurance. Je n’en connois point l’Autheur ; mais si on en croit quelques Personnes tres-spirituelles, entre les mains de qui il en est tombé une Copie, il doit estre de ceux qui sont en réputation d’écrire le plus galamment. Il a pris une matiere fort peu commune. Loüis XII. Roy de France, apres avoir perdu Anne de Bretagne dont il n’avoit point eu d’Enfans, épousa Marie d’Angleterre, & ce Mariage luy fit faire la Paix avec Henry VIII. dont elle estoit Sœur. Elle fut reçeuë à Paris avec des magnificences extraordinaires ; & comme elle estoit fort belle, le jeune Duc de Valois, Héritier présomptif de la couronne, & qui a regné sous le nom de François I. en eut le cœur vivement touché. Ceux qu’il recevoit dans sa confidence s’estant aperçeus que la Reyne luy marquoit beaucoup d’estime, craignirent qu’il n’y eust quelque chose de plus fort dans ses sentimens, & prirent la liberté de luy en faire voir la conséquence. Voicy de quelle maniere Mr de Mézeray en parle dans son Abregé. Le jeune Duc de Valois qui estoit tout de feu pour les belles Dames, ne manqua pas d’en avoir pour la nouvelle Reyne, & Charles Brandon Duc de Sufolk qui l’avoit aimée avant ce Mariage, & qui suivoit la Cour de France en qualité d’Ambassadeur d’Angleterre, n’avoit pas éteint sa premiere flame. Mais les remontrances d’Artus de Gouffier-Boisy ayant fait prendre garde au Duc de Valois, dont il avoit esté Gouverneur, qu’il joüoit à se faire un Maistre, & qu’il devoit appréhender la mesme chose du Duc de Suffolk, il se guerit de sa folie, & fit observer de pres toutes les démarches de ce Duc. Sur ce fondement, comme la Poësie a eu de tout temps l’entiere liberté des Fictions, l’Autheur de l’Historiete a suposé un rendez-vous qui ne fut jamais donné, Marie ayant toûjours esté aussi vertueuse qu’elle estoit aimable.

Le Duc
de Valois.

Historiete.

TOut dormoit dans Paris, la nuit estoit sans Lune,
De nuages épais l’air estoit occupé,
Quand un jeune Seigneur en secret échapé,
    Se dérobant à sa Suite importune,
Sortit, d’un gros Manteau le nez envelopé ;
Tout cela, direz-vous, sent sa bonne fortune,
        Vous ne vous estes pas trompé.

***
Il estoit attendu par une jeune Dame
Qui de son vieux Mary n’allongeoit pas les jours.
Vous dire icy comment il sçeut luy toucher l’ame,
        Ce seroit un trop long discours.
Et puis dans ce détail quel besoin qu’on s’engage,
        Apres qu’on vous a déja dit,
Que l’Amant estoit jeune, & le Mary sur l’âge ?
        Cela, ce me semble, suffit.
Mais de sçavoir leurs noms si vous estes en peine,
        Vous allez les apprendre tous ;
Valois estoit l’Amant, la Belle estoit la Reyne,
        Loüis Douze, le vieil Epous.

***
Il n’avoit point d’Enfans ; luy mort, la Loy Salique
Ajugeoit à Valois ce qu’il avoit de Bien ;
Le reste de ses jours ne tenoit plus à rien,
Encore estoit-ce un reste assez mélancolique,
    Et cependant il avoit entrepris
D'engendrer un Hoir masle, & cela, sans remise.
La Reyne vint alors de Londres à Paris,
        Pour l’aider dans cette entreprise.
On ne décide point auquel il tint des deux,
Mais enfin de l’Hoir masle on n’eut point de nouvelles.
Valois aima la Reyne, & déja mesme entre eux,
Les unions des cœurs passoient pour bagatelles.

***
Il sentoit approcher l’heure du rendez-vous.
Que de vœux empressez ! que de transports de flâme !
Les plaisirs à venir flatoient si bien son ame,
Que des plaisirs présens ne seroient pas plus doux.
        Je ne sçay par quelle avanture
Dans ce temps justement il rencontre Boisy.
C'estoit un Homme âgé, d’une sagesse meûre,
Enjoüé cependant, & sage avec mesure,
        De plus, son Confident choisy.

***
Ah Boisy, luy dit-il, tu vois de tous les Hommes,
        Le plus Heureux, le plus content ;
Au milieu de la nuit, au moment où nous sommes,
        La Reyne, la Reyne m’attend.

***
J'entens, luy dit Boisy ; fier de votre victoire,
Tout transporté d’amour, & de joye enyvré,
Vous courez chez la Reyne y recueillir la gloire
Du tendre & doux accueil qui vous est préparé ;
C'est un bonheur pour vous plus grand qu’on ne peut croire,
Que pour vous arrester vous m’avez rencontré.
Et si la Reyne estoit avec vous plus féconde,
    Qu'elle ne l’est avec son vieil Epoux,
        (Or cela me semble entre nous
        Le plus vray-semblable du monde)
Le Roy seroit enfin au comble du bonheur,
        Grace à vous il se verroit Pere,
    Quoy que ce nom fust pour luy trop d’honneur ;
Et ce que pour luy-mesme il n’eust jamais sçeu faire,
        Vous le feriez en sa faveur ?
        De là tirez la conséquence ;
        Vous prévoyez bien comme moy,
Que vous qui, Loüis mort, hériterez de la France,
Vous verriez apres luy Monsieur vostre Fils Roy ;
Et puis, Seigneur, réduit à recevoir la Loy,
        Il faudroit prendre patience.

***
Valois qui jusqu’alors plein de sa passion,
Ne songeoit qu’aux plaisirs de sa chere Conqueste,
Se vit assassiné d’une refléxion
        Qui vint troubler toute la Feste.
Qu'il eust bien mieux aimé, s’exposant au hazard
        D'estre Sujet toute sa vie,
Gayment & sans scrupule achever sa folie,
    Quand il eust dû la connoistre trop tard !

***
Sans-doute le péril de perdre un Diadéme,
Refroidissoit l’ardeur de ses empressemens ;
Mais aussi ce péril avoit tant d’agrémens,
        Qu'il valoit la Royauté méme.
Si l’honneur fiérement luy montroit tant d’Etats
Que luy devoit couster son aimable foiblesse,
Un autre honneur, de diférente espece,
Mais pourtant aussi fort, luy demandoit tout-bas,
        Que dira de toy ta Maistresse ?

***
        Quand l’amour avoit le dessous,
Il trouvoit de Boisy la Morale assez bonne,
Il jugeoit qu’il vaut mieux manquer un rendez-vous,
        Que de manquer une Couronne ;
Qu'oser luy préferer de legeres douceurs,
C'est d’une viande creuse aisément se repaistre,
Et que de sa Maistresse acceptant les faveurs,
        Il joüoit à se faire un Maistre.

***
A l’amour cependant il n’a pas renoncé.
Quitter une Maistresse & si belle & si chere !
Encor si cet amour estoit moins avancé,
        Ce ne seroit pas une affaire ;
    Mais sur le point d’estre récompensé,
    La planter là, cela ne se fait guére.
Il sçait de plus qu’il a le présent dans ses mains,
L'avenir n’est pas seûr, pourquoy s’en mettre en peine,
        Et sur une crainte incertaine
        Refuser des plaisirs certains ?

***
L'irrésolution estoit d’une nature
        A ne prendre pas si-tost fin ;
Mais Boisy de qui l’ame estoit un peu plus dure,
Le prit, & le força de rebrousser chemin ;
Sans cela de longtemps il n’eust rien pû conclure.
Ce sage Confident soulageant son ennuy
        Par de bonnes raisons morales,
Quoy qu’il se revoltast encor par intervales,
        Le remena coucher chez luy.

Je ne vous demande point, Madame, ce que vous aurez pensé de cette Galanterie. Vous avez le goust trop fin pour n’entrer pas dans les sentimens de ceux qui en voudroient voir beaucoup de semblables. Je vous prie seulement de me mander qui vous croyez qui l’ait faite. Vous en pourez juger sur le stile. Je trouve icy les voix partagées. On a voulu que j’aye donné la mienne comme les autres, & j’attens impatiemment vostre réponse pour sçavoir si je me seray rencontré avec vous. L'Autheur a beau se cacher ou par modestie, ou par quelqu’autre raison qu’on ne peut sçavoir. Tout se connoist, & le hazard m’a fait enfin découvrir ce que vous m’avez souvent demandé, & ce que tout Paris a demandé comme vous. Le Livre intitulé Les Conseils de la Sagesse, a eu un si grand succés, qu’on en a déja fait trois Editions. On l’attribuoit à un fameux Solitaire qu’on sçait estre persuadé des veritez qu’il enseigne, & à l’occasion d’un autre Livre du mesme Autheur qui vient de paroistre sous le titre de Métode de converser avec Dieu, j’ay sçeu qu’il estoit du R. Pere Boutaut Jesuite. C'est un Homme qui n’a pas moins d’érudition que de pieté, & qui menant une vie fort retirée dans cette illustre & sçavante Compagnie, a donné lieu aux bruits qu’on a fait courir, parce qu’il marque dans sa Préface que les Conseils qu’il nous a donnez pour vivre en Sages, sont un fruit de sa solitude.

[Régal donnê par la Reyne à M. l’Ambassadeur d’Espagne] §

Mercure galant, août 1679 [tome 8], p.170-174.

La Reyne a régalé Monsieur & Madame de los Balbases à Ruel. Sa Majesté y arriva sur les quatre heures du soir, avec Monsieur, & toutes les Dames, qui eurent l’honneur de l’accompagner. Elle se promena d’abord dans tous les endroits de cette Maison qui estoient dignes de sa curiosité ; & environ deux heures apres, Mr de Vilacerf son Premier Maistre d’Hôtel l’estant venu avertir que la Collation estoit servie, elle alla se mettre à table. Monsieur prit place à sa droite, & Mademoiselle de Blois à sa gauche. Madame l’Ambassadrice & Madame de Béthune se mirent au dessous de Monsieur ; & Madame de Montespan, & Madame la Duchesse de Chevreuse, au dessous de Mademoiselle de Blois. La Table estoit dans le rond de la Fontaine qui regarde celle de la Paix, au haut du Jet d’eau qui joüa pendant tout le Repas aussibien que la Fontaine de la Paix. Des dix-huit Couverts dont elle estoit, il n’y en eut que sept de remplis ; Monseigneur le Dauphin, Madame, Mademoiselle, & leur Suite, qui devoient estre de cette Feste ayant esté à la Chasse avec le Roy. Un grand Plat de Fruit autour duquel estoient huit Porte-assietes garnis de Figues & de Melons, tenoit le milieu de cette Table. Il y avoit quatre Plats de Roty aux quatre coins, huit Entrées dans les intervales des Plats de Roty, & quantité de Salades dans les vuides. Quoy que dans l’ordre de l’Ambigu on ne dust point desservir, on ne laissa pas de le faire en quelques endroits. Les huit Assietes furent relevées de huit autres ; les Salades de Melons & de Figues, d’Assietes d’entremets, & les Hors d’œuvres & Salades, d’autant de Plats de Fruit. Sa Majesté fut servie par Mr de Vilacerf ; Son A. Royale, par Mr Thonier Controlleur General ; & les Dames, par les Pages & les Officiers du Gobelet. On ne peut rien voir de plus magnifique que ce Repas, qui n’avoit pourtant esté ordonné que douze ou quinze heures auparavant. La Table où mangea Mr l’Ambassadeur, estoit dans un Bois derriere celle de Sa Majesté. Elle fut servie avec beaucoup de magnificence, & tenuë par Mr Devizé Maistre d’Hôtel ordinaire de la Reyne, qui en fit les honneurs. L'Envoyé de Mr le Duc de Villahermosa, & les Hommes les plus qualifiez qui se trouverent à cette Feste, y prirent place.

[Le Faux Poison, Histoire] §

Mercure galant, août 1679 [tome 8], p.179-184.

Si vous n’estes pas persuadée que la force de l’imagination produise tous les effets qu’on en conte, ce qui est arrivé icy depuis un Mois vous en convaincra. Un Homme de qualité, estant aux pieds d’une Belle qui n’a pas moins de mérite que de naissance, luy protestoit une entiere soûmission à ses volontez ; & à l’entendre, elle ne le pouvoit mettre à aucune épreuve sur laquelle il balançât à la satisfaire. Ces protestations allerent si loin, qu’apres les plus forts sermens réïterez, il vint jusqu’à luy jurer, que si elle pouvoit vouloir qu’il s’empoisonnast, il se tiendroit heureux de mourir, pour luy prouver qu’il ne cherchoit qu’à luy plaire. La Belle le prit au mot, luy dit qu’elle avoit une prise d’Arcenic dans son Cabinet, & voyant qu’il parloit toûjours ferme, elle en voulut avoir le plaisir. Elle apporta cette prise dans un papier, la donna à son zelé Protestant, & luy vit tenir parole avec une promptitude qui la surprit. Peut-estre crût-il, ou qu’elle luy retiendroit la main, ou que ce ne seroit pas un veritable Poison qu’elle apporteroit. Ce qui donne lieu d’en juger ainsi, c’est qu’ayant gardé d’abord un visage fort riant, la Belle ne luy eut pas plûtôt dit avec quelque apparence de trouble qu’il avoit eu tort d’aller si viste, & qu’il falloit promptement chercher du contre-poison, qu’une sueur froide commença de le saisir. Elle n’avoit affecté ce trouble, ny parlé de recourir aux remedes, que pour joüir quelques temps de son embarras ; mais quand elle vit le vomissement succeder la pasleur, elle connut qu’elle avoit poussé la chose trop loin, & que l’imagination du Cavalier causoit les mesmes effets, que ce qu’il croyoit avoir pris auroit dû produire. Le remede luy parut seûr en le détrompant, mais elle eut beau dire que le prétendu Arcenic n’estoit autre chose que de la Poudre à poudrer, elle eut beau avaler de la mesme Poudre en sa présence, le mal luy continua trois jours, & tout détrompé qu’il fut, il luy fallut tout ce temps pour s’en faire quite. Il en a ry depuis avec la Belle, & il y a grande apparence, que s’il fait jamais des protestations de cette force, il en exceptera du moins le Poison.

Air nouveau §

Mercure galant, août 1679 [tome 8], p. 184-185.

Vous avez trop estimé la maniere naturelle dont Mr Labbé, Maistre de Musique de Caën, compose, pour ne vous pas faire part d’une Chanson nouvelle de sa façon qu’on m’a envoyée.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Si Tirsis est un inconstant, doit regarder la page 184.
    Si Tirsis est un inconstant,
Iris, pourquoy l’avoir rendu content ?
Qui veut de son Amant ménager la tendresse,
    Doit toújours le faire espérer.
    On quitte bientost sa Maistresse,
    Quand on n’a rien à desirer.
images/1679-08_184.JPG

[Divers Couplets sur la Chanson de Lysete] §

Mercure galant, août 1679 [tome 8], p. 185-187.

Il court icy deux Couplets d’une Chanson de Lysete, que vous devez avoir entendus, parce qu’ils sont dans la bouche de tout le monde. En voicy les Paroles.

    Si tu veux, ma Lysete,
    Entrer dans nos Forests,
Nous trouverons une Cachette
Qu’Amour a faite toute exprés.

***
    Que ce Lieu solitaire
    Est un charmant sejour !
Nous pourrions là ne nous rien taire,
N’ayant pour témoins que l’Amour.

Un Homme aussi galant que spirituel, a donné de la suite à ces Paroles, par quatre autres Couplets inpromptu. Je vous les envoye afin que vous ayez la Chanson entiere.

    La charmante Lysete
    Au discours du Berger
Répond, que sert une Cachette
Quand on ne veut point s’engager ?
***
    Pour apprendre sa peine,
    Et dire son amour,
Il ne faut point quiter la Plaine,
Ny chercher un autre séjour.
***
    Viens dans ce Bois, Lysete,
    Dit alors le Berger,
Souvent en voyant la Cachette,
Le desir vient de s’engager.
***
    Pour t’apprendre ma peine,
    Et dire mon amour,
Croy-moy, Lysete, cette Plaine
N’est pas un commode séjour.

[Pensions & Benefices donnez par le Roy] §

Mercure galant, août 1679 [tome 8], p.193-194.

Mr l’Abbé Huet, Sous-Précepteur de Monseigneur le Dauphin & l’un des Quarante de l’Académie Françoise, a eu l’Abbaye d’Aunay en Basse Normandie. C'est un Homme d’une profonde érudition. Quand nous n’en serions pas convaincus par ses Ouvrages, le Roy a des lumieres si vives, que l’ayant choisy luy-mesme pour le glorieux Poste que nous luy voyons occuper, nous n’aurions aucun lieu de douter de son mérite.

[These soûtenuë par Messieurs d’Aligre] §

Mercure galant, août 1679 [tome 8], p. 201-211.

Ce que je vous ay dit du progrés que font icy les beaux Arts, vous va paroistre sensible par l’éclat que leur donnent tous les jours la galanterie & l’invention des François. Nous en avons un exemple dans les Theses. Ceux à qui on les dédioit autrefois, les recevoient imprimées sur du Satin, & ornées seulement d’une Dentelle d’or, ou d’argent tout autour, & aujourd’huy on employe les Peintres les plus fameux pour faire des Desseins de Bordures, d’apres lesquels les plus habiles Sculpteurs travaillent, & se servent de tout ce qu’il y a de plus beau, & de plus délicat dans leur Art. Quoy que ces Theses soient souvent d’une hauteur, & d’une largeur qui surpassent celle des plus grands Miroirs, on trouve des Glaces de Venise pour les couvrir, & ce fut dans cette magnificence que Mrs d’Aligre petits-Fils & arriere Fils de deux Chanceliers de France, presenterent à toute la Maison Royale, celles qu’ils soûtinrent ensemble au College d’Harcourt sur toute la Philosophie. Le Portrait du Roy, entouré de trophées d’armes, estoit au milieu de celle qu’ils eurent l’honneur de luy presenter. Le Dessein de ce Portrait est le dernier Ouvrage de feu Mr de Nanteüil. Le Sr Eddelink, Conseiller de l’Académie Royale de Peinture & de Sculpture, l’avoit gravé. Il estoit dans un Cadre magnifique, avec une tres belle Glace de Vénise qui le couvroit. L'ornement du Chapiteau consistoit aux Armes de Sa Majesté, suportées par deux Figures, dont l’une representoit la Renommée, & l’autre la Paix. Plusieurs Génies tenoient des chifres, & laissoient voir ces Paroles qui servoient de Titre à la These. Ludovico Magno, Belli ac Pacis Arbitro. Il n’y voit aucun de ces Ornemens qui ne fust accompagné de Fleurs, de Festons & d’Armes, Simboles de la Paix & de la Guerre. L'or qui relevoit toutes ces choses, leur donnoit un éclat que j’aurois peine à vous expliquer. Le Roy fut tres-satisfait de ce Présent, & le témoigna à Mrs d’Aligre avec cet air de bonté qui luy est ordinaire, quand il veut marquer qu’il est content. Les Ornemens de la These qu’ils présenterent ensuite à la Reyne, avoient aussi quelque chose de fort magnifique. Ses Armes suportées par deux Génies estoient dans le Chapiteau avec quantité d’Ornemens dans la Bordure, qui convenoient à la grandeur de cette Princesse. Le Portrait du Roy luy parut tres-bien fait, & tres-ressemblant. Monseigneur le Dauphin qui trouva la mesme chose, le dit comme elle à Mrs d’Aligre en recevant la These qu’ils luy porterent. La Bordure en estoit aussi riche que bien entenduë. Le Chapiteau faisoit voir Minerve tenant son Bouclier, sur lequel on avoit représenté les Armes de ce jeune Prince. Cette Déesse estoit environnée des Simboles des Arts libéraux. Les Théses qui furent présentées à Monsieur & à Madame, estoient aussi dans des Bordures tres-magnifiques. Je ne vous dis rien des Ornemens, sinon qu’ils convenoient tous à ce qu’on peut dire de Leurs Altesses Royales. Ces cinq Bordures avoient esté faites par le Sr le Febvre, un des plus habiles Sculpteurs que nous ayons.

Il seroit difficile de voir une plus belle Assemblée que celle qui se rendit au College d’Harcourt, le jour que cette These fut soûtenuë. Mrs les Cardinaux, Archevesques, Evesques, Genéraux d’Ordre, Abbez, Princes, Commandeurs & Chevaliers, Présidens à Mortier, Conseillers d’Etat, Maistres des Requestes, & genéralement tous ceux qui assisterent à cette Action, en firent paroistre une satisfaction extraordinaire. Chacun s’empressa à féliciter les deux jeunes Soûtenans de leur succés. Leurs réponses furent toutes pleines d’esprit, & eurent je ne sçay quoy d’aisé qui fit dire tout d’une voix qu’ils marchoient sur les pas de leurs Ancestres, & qu’ils soûtiendroient avantageusement l’honneur & l’éclat de leur Maison. La Salle où ils répondoient, estoit magnifiquement parée. Il y avoit un tres riche Dais sous lequel estoit un Portrait du Roy en Pastel. Il fut admiré de tout le monde. C'est le dernier du mesme Mr de Nanteüil, & l’un des plus ressemblans, & des plus beaux qui ait encor esté fait. La Bordure de ce Pastel estoit toute de Glace, enrichie de Couronnes, de Plaques, & de Festons de vermeil doré, le tout d’un tres-beau travail. Les Tapissseries estoient parsemées de Fleurs de Lys, avec les Armes de France au milieu de chaque Piece. On avoit mis celles de la Maison d’Aligre aux quatre coins.

[Entrée du Commandeur Lubomirski, Ambassadeur Extraordinaire de Pologne à Turin] §

Mercure galant, août 1679 [tome 8], p. 211-234.

Vous avez sçeu que Mr le Commandeur Lubomirski, Prince de l’Empire, Grand Enseigne de Pologne, & Frere du Grand Mareschal du mesme Royaume, y avoit esté nommé pour aller Ambassadeur en Savoye. Il arriva à Turin le 31. de Juillet, accompagné de Mr de Revérend, Parisien, Premier Secretaire des Commandemens de la Reyne de Pologne, & de plusieurs Personnes de qualité du mesme Païs. Son Train estoit si nombreux & si magnifique, que la diligence qu’on apprit qu’il avoit faite, parut incroyable, quand on sçeut qu’il avoit toûjours esté suivy de tout son monde. Il demeura incognito le premier soir, & dés le lendemain il fut visité de la plûpart des Seigneurs de cette Cour, qui le reconnurent pour le mesme Prince qui avoit montré tant d’adresse, de vigueur, & de bonne grace à manier des Chevaux, & à s’abandonner aux passages les plus difficiles, en chassant avec feu Son Altesse Royale, dans un premier Voyage qu’il fit à Turin il y a dix ou douze ans. Sitost qu’il eut fait sçavoir qu’il y venoit revestu du caractere d’Ambassadeur Extraordinaire, les ordres furent donnez pour le recevoir. La connoissance qu’on avoit déjà de son mérite les fit exécuter avec joye, & le jour de son Entrée ayant esté marqué au Lundy 7. de ce Mois, Madame Royale ordonna que les Troupes de la Garde à cheval de S. A. R. & celles de la sienne, se trouvassent en bataille dans la Place du Chasteau sur les quatre heures du soir, afin d’aller au devant de Mr l’Ambassadeur. Il estoit sorty de la Ville, & les attendoit à S. Salvari vis-à-vis du Valentin, où il devoit estre complimenté, & où les Gardes s’estant rendus avec le Carrosse du Corps, apres les complimens faits, on commença à défiler par l’Allée de la Promenade qui répond à la grande Porte du Valentin, & en suite par le grand Cours, afin d’entrer dans la Ville par la Porte-neuve. Les Arquebusiers de Madame Royale, dont Mr le Marquis Dogliani est Capitaine, & Mr le Baron de Palavesin Lieutenant, marcherent d’abord conduits par Mr le Marquis de la Chuse qui en est Cornete, & qui estoit aussi propre & aussi magnifique dans sa parure, que le Cheval qu’il montoit paroissoit superbe. Il fit cette fonction en la place de son Lieutenant occupé ailleurs ; car vous sçaurez, Madame, que les Capitaines des Compagnies de Cavalerie de la Garde de Leurs AA. RR. ne se mettent jamais à leur teste que quand le Souverain ou la Souveraine marche. Les Arquebusiers, ainsi que tout le reste de la Garde, estoient comme dans les jours des plus grandes Cerémonies, c’est à dire, ayant des Casaques noires sur lesquelles il y avoit un gros galon d’or, avec leurs Casques tous couverts de Plumes, bleu, feüille-morte, blanc & noir, & une fort belle Aigrete blanche dans le milieu. Leurs Chevaux estoient richement enharnachez, & avoient des Housses toutes parsemées des Chifres de M. A. & assortissantes à la garniture des Casques. On voyoit en suite les Arquebusiers de S. A. R. dont Mr le Marquis de Drosnay est Capitaine, Mr de Grémonville Lieutenant, & Mr le Marquis de la Motte Sanfray Cornete. Ils estoient conduits par ce dernier dans le mesme ordre de parure, à l’exception des couleurs, leurs Plumes estant rouges, blanches, gris-de-lin & bleu, & leurs Casaques rouges, avec un gros galon d’or. Leurs Chevaux magnifiquement enharnachez, avoient sur leurs Housses les Chifres & les Devises de S. A. R. La Compagnie des Cuirassiers de M. R. suivoit. Mr le Comte de Visc en est Capitaine, Mr de Cagnol Lieutenant, & Mr le Baron d’Alemagne Cornete. Ces deux derniers ne s’y estant point trouvez, la Compagnie eut à sa teste Mr le Baron de Palavesin, Lieutenant de celle des Arquebusiers de M. R. Ils estoient armez de leurs Cuirasses aussi éclatantes que des Miroirs, & dorées sur toutes les extrémitez. Le Chanfrin de leurs Chevaux estoit aussi cuirassé. C’est ce qui donne à ces Troupes un certain air de guerre qui charme & se fait redouter en mesme temps. Leurs Casques estoient ornez de la mesme maniere que ceux des Arquebusiers de M. R. & leurs Chevaux parez de la mesme sorte. Apres cette Compagnie, marchoit celle des Cuirassiers de S. A. R. dont Mr le Comte Augustin des Lances, Chevalier de l’Ordre, est Capitaine ; Mr le Comte Osasque de la Roque, Lieutenant ; & Mr le Marquis d’Entrayves-Tana, Cornete. Ces deux derniers estoient à la teste, si remarquables par leurs Personnes, que malgré la richesse extraordinaire de leurs Habits, & des Harnois de leurs Chevaux, ils ne firent rien tant considérer que leur bonne mine. Cette Compagnie estoit parée des mémes couleurs de S. A. R. que portoient les Arquebusiers de ce Prince, & armée de toutes pieces d’un acier fin & luisant, & doré de la largeur d’un poulce dans les extrémitez. Elle précedoit le Carrosse du Corps de Leurs AA. RR. dans lequel estoit Mr l’Ambassadeur, conduit par Mr le Comte Augustin des Lances, Chevalier de l’Ordre, qui l’avoit esté recevoir, accompagné de Mr le Comte de la Mourre. Ce dernier estoit avec eux dans le Carrosse, ainsi que Mr de Réverend, & un autre Gentilhomme de la Suite de Mr l’Ambassadeur. La Compagnie des Cent Gentilshommes-Archers, tous Savoyards, qui suit toûjours le Carrosse du Corps, où la Personne de Leurs AA. RR. marchoit immédiatement apres. Mr le Marquis de Bernex, Chevalier de l’Ordre, en est Capitaine ; Mr le Comte de S. Maurice, Lieutenant ; Mr le Marquis de Chastillon la Serra, Cornete. Ce dernier estoit à la teste. Un grand air guerrier qui accompagne sa belle taille, & la riche parure dont il brilloit, répondoient parfaitement aux impressions que fait cette Compagnie soit dans ses Exercices, soit dans ses Marches, soit mesme lors qu’elle est formée en Escadron. Il est certain que tous ceux qui la composent, ont bien dequoy arrester les yeux. Leurs Cuirasses appliquées sur un Buffle dont tout ce qui paroît est brodé d’or, leurs Casques chargez de Plumes des couleurs de S. A. R. les Lances qu’ils portent à la main droite, aupres du fer desquelles une petite espece de Banderolle fait voir leur Devise, leurs Chevaux enharnachez, & ayant des ornemens tres-bien assortis ; tout cela, dis-je, forme un spéctacle qui dans ce qu’il fait paroistre d’agreable & de galant, ne laisse pas d’inspirer de la terreur, & de représenter la Majesté du Souverain à la garde duquel cette Compagnie est attachée. Les autres Carrosses suivoient, & fermoient la Marche. Tout estant arrivé dans la Ville aux fanfares des Trompetes, & au bruit des Tambours du Détachement du Regiment des Gardes qui estoit de garde ce jour-là au Chasteau, & qui se trouva alors sous les armes, Mr l’Ambassadeur fut conduit dans le Palais de Mr le Comte Augustin des Lances. Apres qu’on l’y eut régalé pendant trois jours selon la coûtume, aux despens de S. A. R. on le vint prendre pour l’Audience, où il alla accompagné du mesme Chevalier de l’Ordre, & précedé de Mr le Comte de Scaravel Grand-Maistre des Cerémonies. Dés qu’il fut dans la Salle des Gardes, M. R. se rendit sous le Dais de la Chambre de parade, ayant S. A. R. à sa main gauche, & Madame la Princesse, de l’autre costé. Mr le Prince de Carignan estoit derriere S. A. R. & les Capitaines de garde de jour, avec les Chevaliers de l’Ordre, se mirent tout à l’entour, dans un éloignement convenable. Mr l’Ambassadeur s’avança, en faisant trois profondes revérences. La premiere dés la porte, & la troisiéme, aux pieds de M. R. Il en fit une en suite à S. A. R. & une autre à Madame la Princesse ; apres quoy il commença son Compliment, & exposa le sujet de son Ambassade. Il vous est aisé de vous figurer la maniere dont il fut reçeu, apres ce que je vous ay dit plusieurs fois de cette auguste Régente. Une grandeur véritablement Royale, & une majesté qui n’a rien d’égal, se joignirent à sa douceur naturelle, & à cette bonté toute charmante qui luy sçait si bien gagner les cœurs ; & sans que ces caracteres diférens perdissent aucun de leurs droits, ils se confondirent heureusement, comme ils font toûjours quand quelqu’un l’aborde. C’est ce qui fait qu’on luy parle avec confiance, quoy qu’on la révere avec de profondes soûmissions. Mr l’Ambassadeur ménagea tous ses devoirs en grand Homme ; & ses manieres également respectueuses & agreables, donnerent assez à connoître qu’il n’estoit pas moins penétré de la venération qu’inspire la présence de cette grande Princesse, qu’il estoit charmé de la complaisance avec laquelle elle écoute tout ce qu’on luy veut représenter. Il dit qu’il l’estoit venu prier de la part du Roy & de la Reyne de Pologne, de vouloir estre Maraine de la Princesse qui leur est née, & de donner quelque secours à la République contre les Turcs. Les Réponses de M. R. ayant esté aussi obligeantes dans leurs expressions, que favorables à la demande, Mr l’Ambassadeur se retira avec les mesmes soûmissions qu’il avoit fait paroître en entrant, apres avoir présenté les Gentilhommes de sa Suite à Leurs AA. RR. Cette Ambassade a eu tout l’effet que la Pologne s’en estoit promis. M. R. consultant sa genéreuse inclination au milieu de toutes les raisons qu’elle a de ménager les Finances de son Etat pour les grands & glorieux desseins qu’elle prépare, a accordé la levée & le payement pour six mois d’un Regiment de Dragons, qui portera le nom de S. A. R. & qui sera levé en ce Païs-là, parce que le peu de temps qui reste jusques à la fin de la Campagne, ne permet pas de le lever en Savoye ; & au regard du Baptéme, M. R. a écrit à Madame la Marquise de Béthune pour la prier de tenir sa place dans cette Cerémonie. Mr l’Ambassadeur parfaitement satisfait d’un si prompt & si heureux succés, prit son Audience de congé le Mercredy 9. & fut reconduit avec les mesmes cerémonies & la mesme escorte dont je vous ay déjà parlé. Il partit le lendemain tout remply des sentimens d’admiration que M. R. inspire toûjours, & plein de reconnoissance d’un Portrait de cette grande Princesse, enrichy de Diamans, qu’elle luy donna, de la valeur de mille Pistoles.

Le Singe & le Miroir. Fable §

Mercure galant, août 1679 [tome 8], p. 270-274.

Avant que de passer à d’autres Articles, il faut vous faire voir une Fable de Mr Gardien, dont la Morale pourra estre utile à bien des Gens.

Le Singe
et le Miroir.

Fable.

        UN gros Singe mal basty
        Des pieds jusques à la teste,
        S'estimoit pourtant genty
        Plus que pas-une autre Beste.

***
        De soy-mesme estant épris,
        A chacun il faisoit piece ;
        Le fat avoit à mépris
        Tout Animal d’autre espece.

***
        Il osa bien s’élever,
        A ce que l’on dit, le traistre,
        Jusques-là que de braver
        L'Homme, son Seigneur & Maistre.

***
        Qu'a-t-il, disoit ce brutal
        D'un stile blasphématoire,
        L'Homme, ce fier animal,
        Pour s’en faire tant à croire ?

***
        J'ay plus que luy de beauté,
        D'adresse & de bonne grace ;
        En ruse, en agilité,
        De beaucoup je le surpasse.

***
        S'il a des pieds & des mains,
        C'est par là qu’il me ressemble ;
        Et ses traits les plus humains,
        Ce sont les miens, ce me semble.

***
        C'est ainsi que raisonnoit
        Ce Fou transporté d’audace ;
        Mais un jour qu’il badinoit
        Aupres d’une belle Glace,

***
        Le voila tout éperdu
        D'y voir sa face hydeuse ;
        Son orgueil est confondu,
        Il trouve sa mine affreuse.

***
        Se reconnoistre estoit bien,
        S'il en eust fait bon usage ;
        Mais l’insensé n’en fait rien,
        Il s’abandonne à la rage.

***
        Dans l’excés de son couroux
        Un gros Baston il empoigne,
        Et sur la Glace à grands coups
        L'insolent cogne & recogne.

***
        Du grand Miroir fracassé,
        Il en fait plus de cinquante ;
        Dans chaque morceau cassé
        Sa confusion s’augmente.

***
        Ce beau Magot, cet adroit,
        Alors de honte se cache,
        Mais avec vingt coups de foüet
        Au Billot on le ratache.

***
        Avons-nous quelque talent,
        Usons-en sans arrogance ;
        L'amour propre est violent,
        Eridons son intempérance.

***
        Ecoutons sur nos defaux
        L'Amy capable & fidelle ;
        Sinon craignons mille maux
        De la Critique cruelle.

[Lettre de la Lorraine Espagnolete, touchant les Festes d’Espagne] §

Mercure galant, août 1679 [tome 8], p. 274-310.

Je reçoy présentement une Rélation de la Lorraine Espagnolete, de la mesme Feste d’Espagne dont je vous ay déja parlé dans cette Lettre. Beaucoup de raisons m’engagent à vous l’envoyer. Outre qu’elle est d’un stile galant, meslé de Vers & de Prose, elle a ses circonstances particulieres, comme celle du Cavalier Espagnol a les siennes, & vous avez trop estimé tout ce que vous avez veu de cette spirituelle Personne, pour vous priver du plaisir que vous recevrez de cette lecture. C'est une Réponse au remercîment que je luy ay fait des agréables choses qu’elle m’avoit déjà envoyées. J'en aurois supprimé ce qui me regarde, si je l’avois pû, sans retrancher des endroits que je suis assuré qui vous plairont, puis qu’ils doivent servir à vous la faire connoistre. Il est bon pourtant d’y adjoûter qu’elle est belle, aimable & bien faite, & que ceux qui l’ont veuë icy, quand elle y a passé, en allant de Bruxelles à Madrid, n’ont pas esté moins charmez de sa conversation que des agrémens de sa Personne.

Feste
d’Espagne.

Madrid 23. Juillet 1679.

LA Lorraine Espagnolete vous est fort obligée, Monsieur, de ce que vous voulez bien tenir de sa main les Relations des Festes Galantes, des Combats de Taureaux, & des autres Nouveautez de cette Cour, qui mériteront d’avoir place dans le Mercure : mais elle n’a pas assez bonne opinion d’elle-mesme, pour se croire digne d’un employ dont la plus spirituelle Sapho se trouveroit embarrassée ; moins encor pour oser se promettre de s’en acquiter, à la satisfaction de tant de Personnes délicates à qui vous avez fait perdre le goust de tout ce qui n’est pas au rang des plus belles choses. Les Essais qu’elle vous a quelquefois envoyez, sont des Ouvrages touchez si grossierement, qu’elle a de la peine à croire qu’ils ayent pû mériter vostre estime ; & elle n’a pas esté peu surprise, de voir qu’ils luy ayent attiré un Billet aussi obligeant qu’est celuy qu’elle a reçeu de vostre part au commencement de ce Mois. C'est une grace qu’elle attribuë à l’honnesteté que vous avez pour les Personnes de son Sexe, & sur tout pour les Etrangeres ; mais elle n’en tire pas assez de vanité, pour se flater de pouvoir réüssir dans les Pieces que vous souhaitez qu’elle vous envoye. Le Mercure fait profession de ne donner au jour que des Ouvrages extrémement fins & délicats. Il luy faut de l’agrément dans les pensées, de la netteté dans le stile, de la justesse dans les expressions, de la grace & de la nouveauté dans le tour, & enfin du brillant & de la vivacité par tout. Jugez, Monsieur, si vous avez lieu d’attendre tout cela d’une Provinciale, qui ne sçait des manieres de France que ce qu’elle en a pû apprendre parmy les Pensionnaires des Dames de la Congrégation de Mets ; qui sortant du Cloistre, n’a eu d’autre Ecole pour se façonner, que la Cour de Bruxelles ; & qui apparemment se doit plus appliquer en celle de Madrid, à apprendre la Langue Espagnole, qu’à se perfectionner dans la délicatesse de la Françoise. Il faut pourtant vous satisfaire, Monsieur, quand ce ne seroit que par reconnoissance ; & pour satisfaire à vos honnestetez, je veux bien m’engager à vous faire part de tout ce qui se passera de galant en cette Cour ; mais je vous demande une grace, qui est de vouloir donner le tour aux Pieces que je vous envoyeray, & d’y changer les expressions qui ne seront pas du bel usage. En un mot, je vous fourniray les matéreaux, ce sera à vous à les mettre en œuvre. Vous recevrez de moy des Diamans bruts, pour les polir & tailler à vostre façon ; & je vous adresseray des Etrangers, que vous aurez soin, s’il vous plaist, de faire habiller à la mode, avant qu’ils s’aillent produire à la Cour.

Les Festes les plus ordinaires de Madrid sont les Combats de Taureaux. Ce sont presque les seules qu’on voye en Espagne, & elles attirent la curiosité de tout le monde, particulierement des Gens du Païs, qui en sont enchantez, & qui ne trouvent point de plus grands divertissemens que dans ces sortes de Spéctacles. L'on y fait aussi, mais beaucoup plus rarement, de certaines Courses, qu’on appelle Fiesta de Cañas, & qui sont des restes de la Galanterie des anciens Grénadins. Il y en eut une en présence du Roy & de toute la Cour, dans la Place du Retiro, sur la fin du Mois de May dernier ; & le lendemain il y eut un Combat de Taureaux qui réüssit admirablement. L'on en fit un autre quelque temps apres, pour le divertissement du Peuple, dans la Plaça Mayor : mais comme toutes ces choses ont déja perdu grace de la nouveauté, je me dispense de vous en faire le détail, d’autant plus que j’espere d’avoir bientost d’autres occasions de vous faire une exacte description de toutes ces Festes ; estant à croire que le Mariage du Roy, & l’arrivée de la Reyne, qu’on attend icy avec la derniere impatience, ne manqueront pas de donner lieu à des réjoüissances publiques, dont la magnificence surpassera sans-doute celle des autres que l’on y a veuës jusques à présent, du moins si l’on en juge par les témoignages de joye que toute la cour a donnez à la premiere nouvelle de l’heureux succés de l’Ambassade de Mr le Marquis de los Balbases.

Le Gentilhomme que ce Ministre fit partir en poste, pour en venir donner part au Roy, arriva icy le 13. de ce Mois, sur les dix heures du matin. Il n’est pas besoin de vous dire qu’il fut bien reçeu ; ces sortes de Courriers ne le sont jamais mal. C'estoit un Mercure fort impatiemment desiré, & il s’acquita de sa Commission en Homme qui en sçavoit l’importance. Aussi fut-il régalé d’un Présent tres-magnifique, & qui luy fit connoistre qu’il est toûjours fort avantageux d’approcher les Testes couronnées, quand on a quelque chose de satisfaisant à leur dire. Le Roy reçeut cette nouvelle avec toute la joye qu’un jeune Prince amoureux peut avoir, quand il apprend que rien ne s’oppose plus à ses desirs, & qu’apres les inquiétudes d’un retardement impréveu, il se voit au point d’estre heureux, & de faire en mesme temps la félicité d’une fort aimable Princesse.

Les Roys ont presque en toutes choses un caractere de grandeur, par lequel ils se font distinguer mesme sans qu’ils y pensent ; mais ils sont obligez de se dépoüiller de leur majesté, quand il s’agit de ressentir les effets d’une passion qui ne s’accorde pas bien avec elle. C'est dans l’amour seul qu’ils font gloire d’estre Hommes comme les autres, & si je l’ose dire, d’estre plus Hommes que les autres ; car outre la douceur de l’éducation Royale, qui ne laisse rien de farouche dans leur ame, comme ils ont ordinairement beaucoup de délicatesse d’esprit, & de bonté de naturel, ils sont aussi plus suscéptibles de tendresse, plus sensibles à ce qui touche le cœur, & plus capables de bien aimer, que ceux qui sont nez dans un rang moins élevé. Aussi voit-on que les plus grands Princes & les plus fameux Héros de l’Antiquité, & mesme ceux des derniers Siecles, n’ont pas crû qu’il fust indigne de leur grandeur de se laisser surprendre à l’amour.

C'est dans le cœur des Roys, que triomphe le mieux
L'Arbitre souverain des Hommes & des Dieux ;
C'est dans le cœur des Roys, qu’établit son empire,
        Et c’est là que se fait valoir
        Ce doux Tyran, dont le pouvoir
        S'étend sur tout ce qui respire.
Il prépare pour eux les plus forts de ses traits,
Et dédaignant souvent de blesser leurs-Sujets,
        Il se fait un plaisir extréme
        De s’attaquer au Diadéme ;
        Car comme il aime à dominer,
        C'est là qu’il apprend à régner.

Il ne faut donc pas s’étonner si le Roy est sensible à cette belle passion, dans l’âge où il est, particulierement si l’on songe aux qualitez admirables du Corps & de l’Esprit de l’incomparable Princesse, qui l’a fait naistre dans le cœur de ce jeune Monarque.

De cette passion la cause est trop parfaite,
        Et cet Objet rare & charmant,
        Qui d’un Roy sçait faire un Amant,
Est trop beau, pour ne pas avoüer sa défaite.

Aussi Sa Majesté n’en fait-elle pas un mistere. Elle ne dissimule point les sentimens qu’Elle a pour une Princesse à qui Elle a donné son cœur ; & Elle ne pút s’empescher de faire éclater aux yeux de toute la Cour, l’extréme joye que luy causa l’agreable nouvelle du consentement que celle de France donnoit à son Mariage. A no estar D. Juan mi hermano en la cama (dit ce Monarque) fuera este el mejor dia que he tenido en mi vida. Ce furent les premieres paroles que l’on oüit dire au Roy dans cette rencontre ; par où Sa Majesté fit connoistre également les sentimens d’estime & de tendresse qu’Elle a pour la nouvelle Reyne, & l’extréme affection dont Elle est prévenuë en faveur d’un Frere, qui essuye avec tant de force, de zele, & d’application, les fatigues du Gouvernement de l’Etat, & qui partage avec Sa majesté le soin de toutes les Affaires d’une grande & puissante Monarchie. Une fievre-tierce retenoit ce Prince au lit depuis quelques jours, mais son indisposition ne l’empescha pas de prendre toute la part qu’il devoit à cette bonne nouvelle, & d’en faire compliment à Sa Majesté, comme celuy qui apres Elle avoit le plus de sujet de s’y intéresser.

La pieté des Roys Catholiques est telle, qu’il ne leur arrive jamais rien de favorable, qu’ils n’en aillent publiquement rendre graces à Dieu dans une belle Eglise de Fondation Royale, que l’on appelle Atocha, éloignée seulement d’un quart de lieuë de Madrid, & où la devotion, qui est assez universelle parmy les Espagnols, attire ordinairement un grand concours de Peuple, pour y réverer une Image de Nostre-Dame, renduë celebre par une infinité de miracles, & des plus anciennes de toute l’Espagne. Cette circonstance en augmente le culte, & donne lieu de dire, que jusques dans les choses saintes, l’antiquité semble mériter quelque avantage. Le Roy se rendit donc le mesme jour, avec les Personnes de la premiere qualité, à la Chapelle où l’on honore cette Image miraculeuse ; & Sa Majesté y fit ses devotions d’une maniere tres-édifiante.

        Ce fut au pied de cet Autel,
        Que l’un des plus grands Roys du Monde,
Paroissant plus soûmis que le moindre Mortel,
        Fit, d’une humilité profonde,
        Un saint hommage de ses vœux,
        De son Hymen & de ses feux,
Au Maistre souverain de la Terre & l’Onde.

Quand ce Monarque fut de retour au Palais, tous les Grands s’y rendirent, & chacun d’eux s’empressa de luy marquer par des expressions aussi galantes que respéctueuses, l’extréme joye que leur causoit celle de Sa Majesté, & la part que tous ses fidelles Sujets prenoient au bonheur de leur Prince, qui faisoit en mesme temps celuy de l’Etat. Mais ils ne crûrent pas que ce fust assez que leur cœur s’expliquast là-dessus par des paroles, ils voulurent encor faire éclater leurs sentimens par des marques extérieures de réjoüissances, & ils résolurent sur le champ de faire une espece d’Inpromptu de Feste galante, qui pust divertir Sa Majesté, & luy témoigner en mesme temps le zele & l’attachement particulier qu’ils avoient pour sa Personne.

Ce fut dans ce dessein que soixante Personnes de qualité, la plûpart Grands d’Espagne, & du premier Rang, firent une Partie de Course, que les Espagnols appellent Parejas, & qui consiste à voir courre dans une parfaite égalité, & à toute bride, deux Hommes à cheval, à costé l’un de l’autre, sans que l’un commence ou acheve à fournir la Carriere un seul moment plus-tost ou plus-tard que son Compagnon, & sans qu’ils avancent ou demeurent en arriere d’un seul point l’un plus que l’autre en courant. Toute la beauté de cette Course, outre la vîtesse des Chevaux, dépend absolument de la justesse & exactitude de cette égalité, & c’est ce qui luy a fait donner le nom de Parejas. On lia donc la Partie pour le soir du mesme jour, sans donner aux Cavaliers plus de temps de se préparer pour cette Feste, dont la prompte exécution devoit faire la principale galanterie. Chacun se retira chez soy pour s’aller mettre en équipage, s’habiller de galas, faire habiller de mesme ses Gens de livrée, & choisir les Chevaux necessaires pour la Course.

J'ay sçeu que la premiere résolution de ces Cavaliers fut de former un dessein régulier, de luy donner un nom qui eust du raport au sujet, & de representer une Compagnie d’Argonautes, (permettez-moi, Monsieur, d’employer icy ce mot que je n’entens pas, & qui est pourtant tres-essentiel en cette rencontre, pour la fidelité de ma Relation,) d’Argonautes, dis-je, qui au retour de l’illustre Conqueste de la Toison d’or, témoigneroient par une Feste galante à Jason leur Prince & leur Chef, la joye qu’ils avoient du succés de son entreprise. Le raport estoit assez juste, puis que le Roy est le Chef de l’Ordre de la Toison. Ils devoient tous estre habillez à la Greque, & porter chacun une Devise, ou une Embléme, (il ne me souvient pas bien de la diférence que vous nous avez dit qu’il y avoit entre ces deux choses.) Que ce soit donc Devise ou Embléme, le Corps devoit estre une Toison d’or couronnée au milieu de l’Ecu, & ce Corps devoit servir pour tous ; mais chaque Particulier y eust appliqué une ame de façon qui eust également convenu à la fiction & au veritable sujet de la Feste. Les paroles de ces Devises devoient estre toutes en Langues diférentes ; mais il n’estoit pas permis d’y en employer d’autres que de celles qui sont en usage dans les Etats de l’obeissance du Roy ; & l’on se promettoit, par le secours des Royaumes divers qui sont sujets à la Couronne d’Espagne dans les Indes Orientales & Occidentales, & dans les Isles de la Mer Oceane & Méditerranée qui en dépendent, de trouver assez de Langues diférentes pour en composer les soixante Devises dont on prétendoit accompagner les Toisons peintes au milieu des Ecus des soixante Chevaliers. La Devise Espagnole devoit estre conçeuë en ces termes,

Muchos me dessean, y uno me lleva.

Ces paroles auroient servy d’ame à la Devise Françoise.

Il faloit qu’elle fust la conqueste d’un Roy.

La Devise Latine.

Dignus hoc vellus, magis hic Augustus Jason.

On m’a dit que celle-cy estoit aussi juste que les deux autres. Vous jugerez si l’on m’a dit vray, car les Personnes de mon Sexe peuvent avoüer sans rougir, qu’elles n’entendent pas le Latin, & j’en connois mesme qui rougissent quand elles sont obligées d’avoüer qu’elles l’entendent.

Pour la Devise Italienne, elle devoit estre ainsi exprimée. Piú mi costa, e piú vale. Cette pensée a du raport aux inquiétudes que causoit à Sa Majesté le retardement du Courrier, qui devoit apporter la Réponse à la Proposition de Mr le Marquis de los Balbases.

Je ne puis vous faire part des autres Devises, ne les ayant pû apprendre moy-mesme. Il seroit d’ailleurs assez inutile de vous entretenir d’un projet qu’on n’a point exécuté ; le peu de temps qu’on eut pour se préparer à cette Course, n’ayant pas permis de faire tout ce qu’on avoit imaginé de galant. Ces illustres Personnes se contenterent donc de s’habiller comme l’on fait ordinairement dans ces sortes de Festes, c’est à dire, de mesler beaucoup de richesse avec une tres-grande propreté dans leurs Habits ; de donner une Livrée fort magnifique à leurs Gens, & de monter de tres-beaux Chevaux. On en trouve peu d’autres en Espagne ; mais ceux dont on se sert en de pareilles occasions, n’ont point de prix, tant ils sont fins, adroits, beaux, nobles, & vigoureux. La magnificence de leur équipage augmente leur fierté naturelle. Leurs crins garnis de Rubans pendans jusqu’à terre, ont une grace merveilleuse ; & comme si ces fiers Animaux connoissoient le prix de l’or, de l’argent, & des pierreries, dont ils sont couverts, aussi-bien que la qualité de ceux qu’ils portent, ils marchent d’un air à se faire admirer, & à attirer sur leurs Maistres & sur eux, les yeux de tous ceux qui les rencontrent.

Ce fut en ce magnifique état qu’on vit paroistre les Grands qui devoient courir las Parejas. Ils s’assemblerent à leur rendez-vous, & allerent de là sur les neuf heures du soir à la Place du Palais. Ils marcherent en tres-bon ordre, suivis d’une infinité de Peuple, & accompagnez d’un tres-grand nombre de Pages & de Gens de livrée, qui portoient tous de grands Flambeaux de cire blanche, dont l’éclat meslé avec celuy d’une tres-grande quantité d’autres Flambeaux allumez dans tous les Balcons de la Ville, rendoit cette nuit-là aussi brillante que le plus beau jour. Il est bon que vous sçachiez, Monsieur, que dans ces sortes de réjoüissances toutes les Personnes de qualité, & tous les Officiers & Ministres de Justice, de Finances, & d’Etat, sont obligez par un Reglemement de Police, de faire allumer, à certaines heures, des Flambeaux de cire blanche, dans tous les Balcons de leurs Maisons qui font face à la Ruë ; ce qui fait un tres-bel effet par toute la Ville, à cause du grand nombre de Balcons dont elle est ornée, & c’est ce qui s’appelle icy Luminarias. On jugera aisément que ce soir-là personne ne voulut manquer à son devoir. Les plus petits Bourgeois mesme, & les Gens de la moindre étofe, quoy que d’ailleurs dispensez de cette cerémonie, ne laisserent pas de vouloir estre de la Feste, & de contribuer de leur costé à la réjoüissance publique, sans en plaindre la dépense ; de maniere que jamais la Ville de Madrid ne fut plus belle, ny plus éclairée. On ne voyoit que feux & que lumieres par tout.

On eust dit que l’Hymen auteur de cette Feste,
        Avoit fait allumer ces feux,
        Pour mieux étaler à nos yeux
        Le prix de sa riche conqueste.
On eust dit qu’à l’envy les plus tendre Amours,
        Qu'il honore du nom de Freres,
        Et qui dans de celebres jours
        Servent à ses plus doux misteres,
Par ses ordres alloient dans toutes les Maisons,
Leurs Flambeaux à la main, éclairer les Balcons.

Cependant l’illustre Compagnie qui devoit donner au Roy le divertissement de Las Parejas, s’avançoit vers la Court du Palais, que l’on avoit préparée pour la Course. On avoit fait dresser deux rangs de Barrieres depuis le grand Portail vis-à-vis de la plus belle face de ce Palais, jusques à la Porte du milieu de la mesme face, qui se fait distinguer par le Balcon du Roy qu’on voit au dessus. C'estoit la Carriere où les Cavaliers devoient montrer leur adresse, & celle de leurs Chevaux ; & ce fut là qu’ils entrerent deux à deux, chacun un Flambeau à la main, & s’avancerent à petits pas, faisant faire des sauts mesurez, & des courbetes fort justes à leurs Chevaux, jusques à ce qu’ils fussent arrivez au bout, où faisant une profonde réverence au Balcon du Roy, ils tournérent l’un à droite, & l’autre à gauche, hors la Lice, suivant au petit galop chacun la Barriere qui estoit de son costé. Ils se rejoignirent au mesme endroit par où ils estoient entrez, & alors pariant de la main & courant deux à deux à toute bride jusques au bout de la Lice, ils fournirent tous leur Carriere de la meilleure grace du monde, & avec un succés également digne de ceux qui regardoient, & de ceux qui se faisoient regarder.

Tel qu’on voit un Oyseau s’élancer dans les nuës
        Avec ses aisles étenduës ;
        Et tel qu’on voit un Cerf léger
Traverser en courant, sans plus se ménager,
Rocher, Buisson, Campagne, & Précipice ;
        Telle fut la rapidité
        Dont chacun d’eux estoit porté
        D'un bout à l’autre de la Lice.

Ils retournerent en suite au petit galop à l’autre bout de la Place, comme ils avoient fait la premiere fois, & firent chacun trois Courses de la mesme maniere, & avec le mesme succés.

Le Roy n’estoit pas à son Balcon, mais il vit la Course des fenestres d’une Salle voisine, où il estoit avec les principaux Officiers de la Couronne, & ceux de sa Maison, qui ont le privilege de l’approcher. Si toute la Ville estoit en feux, ont peut juger que la Place où se fit la Course, ne manquoit pas de lumieres. Ces trois rangs de Balcons de la face du Palais qui regarde sur cette Place, estoient garnis d’une quantité prodigieuse de Flambeaux allumez. Les deux grandes Galleries qui sont aux deux costez de la Place, & les deux Barrieres qui fermoient la Lice, estoient éclairées de mesme ; de maniere qu’on pouvoit mieux observer tout ce qui s’y passoit, qu’on n’auroit pû faire en plein jour. Mais malgré tant d’éclat, & au milieu de tant de lumieres, le brillant des Diamans & des Pierreries, dont estoient garnis les Habits des Cavaliers, & les brides & harnois des Chevaux, se faisoit admirablement distinguer ; & si les yeux se sentoient ébloüis de leur éclat, l’esprit estoit frapé d’admiration de leur prix & de leur richesse.

La Course estant finie dans la Place du Palais, ces Cavaliers allerent donner le mesme divertissement aux Dames, que l’on appelle las Descalças Reales, & ils coururent dans la Place qui est sous leurs Balcons, comme ils avoient fait devant le Roy. C'est une Maison de Religieuses cloistrées, où il n’y a que des Personnes de la premiere qualité. Les Princesses du Sang Royal qui se veulent retirer du monde & de la Cour, choisissent ordinairement ce lieu-là pour celuy de leur retraite, & il s’y trouve encor à present des Parentes de Sa Majesté. C'est à leur considération que dans les Festes qui se font à l’occasion du Mariage du Roy, l’on a soin de faire part à ces Dames des divertissemens qu’on donne à la Cour.

Le lendemain, les Officiers de Ville, & d’autres Gens moins qualifiez que ceux du jour précedent, voulant aussi témoigner leur zele à Sa Majesté, allerent faire une pareille Course dans la Place du Palais ; & quoy qu’elle ne fust pas si magnifique que la premiere, elle ne laissa pas d’avoir un pareil succés. Le mesme jour le Roy donna audience aux Ambassadeurs, & aux autres Ministres Etrangers, qui allerent complimenter Sa Majesté sur le sujet de son Mariage. Tous les Conseils en firent de mesme, & la journée s’acheva par la solemnité des Feux que l’on alluma par tout comme l’on avoit fait le soir precédent.

Le troisiéme jour, le Roy fit faire une nouvelle Course de Parejas dans une autre Place du Palais, qu’on appelle la Priora. Sa Majesté voulut Elle-mesme estre de la partie, & choisit à cet effet quelques Grands d’Espagne de sa confidence, des Gentilshommes de sa Chambre, & les meilleurs Hommes de cheval qu’il y eust parmy ses Ecuyers. Les ordres ayant esté donnez pour toute l’œconomie de ce divertissement secret, Elle fit ouvrir la Carriere, & commença la course avec Mr le Duc de Pastrana, qui courut au costé du Roy. C'est l’un des plus grands Seigneurs & des plus adroits de toute la Cour ; & c’est le mesme qui a eu l’avantage d’estre choisy en qualité d’Ambassadeur Extraordinaire pour aller porter les Bijoux que le Roy doit envoyer à la Reyne.

Sa Majesté qui est parfaitement bien à cheval, & qui souffre la fatigue autant & plus que personne de sa Maison, courut à son ordinaire, c’est à dire de la meilleure grace du monde, & avec une justesse incroyable, suivant les Loix de las Parejas. Elle se fit admirer de tous ceux qui eurent l’honneur de la voir en cette occasion ; & tout le monde tomba d’accord, que sans avoir égard à son rang, ny au privilege de la Couronne, l’honneur & l’avantage de la Course luy estoient deus.

        Ce Prince, d’une ardeur extréme,
        Poussant un Cheval vigoureux,
Dans cette noble Course où tout flatoit ses feux,
        Sembla se surpasser Luy-mesme.
Aussi quand d’un beau feu le cœur est enflâmé,
        Quand on travaille pour la gloire
        De l’Objet dont on est charmé,
        L'on est fort seûr de la victoire.
Quelle vigueur, quel air, & quelle majesté
        Ce grand Roy nous fit-il paroître ?
Il fut aisé de voir à sa noble fierté,
Qu'il ne sçauroit jamais se faire méconnoître,
        Qu'il est né pour donner la Loy,
        Et que si le Ciel l’a fait Roy,
        C'est qu’il a mérité de l’estre.

Cette derniere Course estant achevée, & le soir approchant, on fit allumer pour la troisiéme fois des Feux par toute la Ville, & l’on finit ainsi les premiers essais des Divertissemens qu’on prépare pour celébrer dignement l’auguste Mariage de Sa Majesté avec l’une des plus accomplies & des plus grandes Princesses de toute l’Europe.

Voila, Monsieur, ce que j’ay crû vous devoir mander par ce Courrier, pour m’acquiter d’une partie de ce que je dois à vostre Billet galant. C'est une chose assez rare en Espagne, qu’une Fille ose lier commerce avec une Personne qui n’est pas de son Sexe ; mais les Billets de l’obligeant Autheur du Mercure doivent estre privilegiez, quoy qu’en puisse dire la plus severe Dueña de la Castille ; & bien loin de faire scrupule de recevoir & de lire celuy que vous m’avez envoyé, j’ay fait gloire de le publier, & mesme je puis vous assurer qu’il a esté leû d’une Personne du premier Rang, à qui j’ay crû devoir demander la permission de vous écrire les choses dont vous souhaitez que je vous fasse part

La Lorraine Espagnolete.

[Le Duc de Pastrane part de Madrid pour venir en France] §

Mercure galant, août 1679 [tome 8], p. 310-315.

Il est marqué sur la fin de cette LettreV, que Mr le Duc de Pastrane, ou de l’Infantade, (car il a droit de prendre l’un & l’autre nom,) a esté choisy pour apporter les Présens que le Roy son Maistre envoye à Mademoiselle. Il partit le 30. de Juillet ; & pour répondre plus galamment à l’impatience d’un jeune Monarque qui brûle de partager sa Couronne avec une belle & charmante Princesse, il alla prendre congé de Sa Majesté en équipage de Courrier, mais de Courrier de sa qualité, qui devoit porter quelque chose de plus que des Lettres. Il estoit habillé à la Françoise, le Juste-au-corps enrichy d’une fine broderie, la Cravate du plus beau Point de France, une Plume blanche sur le Chapeau, son Echarpe rouge tres-magnifique, & la Bote fort proprement mise. Il reçeut les ordres du Roy d’un air aussi galant que respectueux, & monta à cheval sur les six heures du soir, avec Mr le Comte de Saldagne, & D. Gaspar de Sylva, ses Freres. Six Postillons à cheval commencerent à courir de front avec de riches Casaques de livrée, telle que nos Trompetes en portent. Ils touchoient tous leurs Cornets en courant, & estoient suivis de douze Officiers fort lestes vestus en Courriers. Ceux-cy précedoient Mr le Duc de Pastrane. Il estoit monté sur un tres-beau Cheval d’Andalousie, & ne se faisoit pas moins remarquer par sa bonne mine, que par la magnificence de son Habit. Mr le Comte de Saldagne, & D. Gaspar de Sylva, alloient deux pas derriere luy, l’un & l’autre tres-bien monté, & fort galamment vestu. Douze ou quinze tant Gentilshommes qu’autres Domestiques, les suivoient tous bien mis, & reglant leur Course sur celle de Mr l’Ambassadeur. S'ils fussent partis en plus grand nombre, ils auroient mal representé des Gens qui devoient aller en poste. La Course commença à la Porte du Palais, d’où passant par les plus belles Ruës de Madrid, & traversant la Plaça mayor, ils coururent le long de la grande Ruë, & sortirent de la Ville par la Porte d’Alcala, qui est celle par où la Reyne fera son Entrée. Les Dames estoient à leurs Balcons, toutes magnifiquement parées, & un tres-grand nombre de Carrosses des Personnes les plus qualifiées bordoit les Ruës de costé & d’autre, depuis la Place du Palais jusqu’à cette Porte d’Alaca, qui en est éloignée de pres d’une demy lieuë. La Ruë qui en prend le nom, est d’une fort grande étenduë, & si large en quelques endroits, que plus de vingt Carrosses y pourroient passer de front sans s’embarrasser. Jugez de l’effet que ce concours extraordinaire de monde y fit. Chacun applaudissoit à cet illustre Courrier ; & ses meilleurs Amis, c’est à dire les Personnes de la premiere qualité du Royaume, l’ayant veu passer, coururent avec empressement apres luy, pour luy faire leurs adieux à la Porte de la Ville. Il les reçeut de la maniere du monde la plus honneste & la plus reconnoissante, se séparant d’eux au milieu des acclamations de tout un grand Peuple qui souhaite avec ardeur de le revoir, dans la pensée que son retour sera suivy de l’arrivée de la Reyne, qui est attenduë à Madrid avec la derniere impatience.

[Entrée de l’Ambassadeur Extraordinaire de Pologne] §

Mercure galant, août 1679 [tome 8], p. 319-329.

Mr l’Ambassadeur de Pologne a fait icy son Entrée. Il faut vous en apprendre les circonstances ; mais avant que d’entrer dans ce détail, il est bon de vous dire quelque chose du sujet de son Ambassade, & de la Personne qui a esté choisie pour cet Employ. Le Roy & la République de Pologne estant assemblez en la Diete genérale tenuë à Grodno en Lithuanie, au commencement de cette année, il y fut résolu d’envoyer des Ministres dans toutes les Cours des Princes Chrestiens, pour les exhorter à concourir à la genéreuse résolution où se trouve Sa Majesté Polonoise de continuer la guerre contre l’Ennemy commun, en luy accordant des Secours convenables à la grandeur & à l’importance de cette entreprise. On jetta les yeux en mesme temps sur deux des plus considérables Seigneurs de cet Etat, pour les deux premieres Ambassades. Le Prince de Radzevill Sénateur, Vice-Chancelier, & Petit Genéral de Lithuanie, qui a épousé la Sœur du Roy de Pologne, fut nommé pour celle de Rome & de la Cour de l’Empereur ; & on choisit le Comte André de Morstin, Comte de l’Empire, Sénateur, & Grand Trésorier du Royaume de Pologne, pour aller en qualité d’Ambassadeur Extraordinaire vers le Roy Tres Chrestien, comme vers le Fils aîné de l’Eglise, & le plus solide appuy que ce Royaume puisse rechercher.

Ce Comte ayant joint à une Naissance illustre une profonde capacité, & un génie naturellement capable des grandes Affaires, s’est rendu celebre dans toutes les Cours de l’Europe, & tres-recommandable à la Pologne par les grands services qu’elle en a reçeus. Il se trouve dans sa Famille, qui est des plus anciennes & des mieux alliées, plusieurs Palatins & Castellans, qui sont les principales Dignitez de ce Royaume ausquelles est attachée la qualité de Sénateur, qui y tient le plus haut rang. Il a passé ses premieres années à la Guerre au service de la République, à la teste de deux Régimens à luy, l’un d’Infanterie, & l’autre de Dragons, & il est encor présentement Capitaine d’une Compagnie d’ordonnance de cent Hommes d’armes, appellez Hussars en ce Païs. Il a esté Grand Reférendaire du Royaume, qui est la premiere Charge apres les Sénateurs, & employé dans les Ambassades. Peu de Ministres ont eu d’aussi grandes Négotiations à traiter, & peu s’en sont acquitez avec autant de succés. Il a esté cinq fois à la Cour de l’Empereur, d’où il amena du Secours contre la Suede. Il a esté Envoyé à Rome, à Venise & à Florence, en Suede, vers tous les Electeurs de l’Empire, & en Transilvanie, Ambassadeur Extraordinaire & Plénipotentiaire à la Paix du Nord qui se conclud à Olive, & voicy la seconde Ambassade qu’il a faite en France. Comme son inclination l’a toûjours porté à s’attacher aux interests de cette Couronne, il l’a fait paroistre en plusieurs importantes occasions qui luy ont attiré des marques particulieres de l’afféction de nostre auguste Monarque. Sa Majesté vient encor de luy en donner de publiques, en témoignant que le Roy & la République de Pologne ne pouvoient faire un choix qui luy fust plus agreable que sa personne en l’occasion de cette Ambassade. Il a encor l’avantage de rencontrer l’estime universelle & les inclinations de toute la Cour, en laquelle on peut dire que rien ne le fait connoistre pour Etranger, puis qu’il en possede la Langue & la politesse, aussi parfaitement que s’il n’en estoit jamais sorty.

Le 13. de ce mois, cet Ambassadeur s’estant rendu à Picpus, Mr le Mareschal Duc de Navailles l’y vint recevoir de la part du Roy, & l’accompagna à son Entrée avec les Carrosses de Leurs Majestez. Ils furent précedez durant la Marche, des Gens de livrée de Mr l’Ambassadeur, fort proprement vestus d’un Drap oranger, tout chamarré de galons d’argent & de soye bleuë, cramoisy & blanc, ayant tous des Plumes de mesmes couleurs. Ses deux Trompetes marchoient à la teste, & sonnoient de temps en temps. Ils estoient suivis de deux Ecuyers bien montez, lesquels précedoient dix Pages à cheval avec des Housses de mesme livrée. En suite marchoient vingt-quatre Valets de pied autour du Carrosse du Roy, où estoit Mr l’Ambassadeur, & ce Carrosse estoit suivy de ceux de la Reyne, de Monsieur, de Madame, & de tous les Princes & Princesses de la Maison Royale, apres lesquels on en vit quatre de Mr l’Ambassadeur, tous bien attelez ; les deux premiers, de chacun six grands Chevaux gris pommelez ; le troisiéme, de six Chevaux tigres Polonois ; & le quatrieme, de six Chevaux noirs. Son Carrosse au Corps estoit sculpté au dehors, & tout doré & peint dans les paneaux, le Velours à fonds d’or, & les Fleurs de rouge cramoisy, avec les Crépines, les Guides & les Houpes d’or & cramoisy. La magnificence des trois autres répondoit aux beautez de ce premier, & ils estoient tous remplis, ainsi que les Carrosses de la Cour, de quantité de Noblesse Polonoise qui estoit à la Suite de cet Ambassadeur. Ils marcherent en cet ordre depuis Picpus jusques à l’Hostel des Ambassadeurs Extraordinaires, où aussitost que Mr l’Ambassadeur fut arrivé, il reçeut les Complimens ordinaires au nom de Leurs Majestez & de Leurs Altesses Royales, par les mesmes Personnes que je vous ay déjà nommées en vous parlant de Mr l’Ambassadeur d’Espagne. Il fut magnifiquement traité dans cet Hostel pendant trois jours. Mr Langlois Maistre d’Hostel du Roy, eut soin du Régal. On peut juger qu’il fut grand, puis qu’il n’oublie rien quand il faut soutenir l’honneur de son Maistre. Cet Ambassadeur fut mené en suite à l’Audience de Sa Majesté à S. Germain par Mr le Prince de Commercy, Fils de Mr de Lillebonne, qui le vint prendre dans les Carrosses de S. M. accompagné de Mr de Bonneüil Introducteur des Ambassadeurs. Il marcha dans le mesme ordre & avec le mesme train que le jour de son Entrée à Paris. Je vous ay déjà marqué les Cerémonies qui s’observent à la Cour quand on y reçoit les Ambassadeurs. Je ne les répete point, & me contenteray de vous dire que Mr le Duc de Luxembourg, Capitaine des Gardes du Corps, l’ayant conduit jusque dans la Chambre du Roy, S. M. le reçeut tres-favorablement. Il luy fit un fort beau discours sur la gloire immortelle qu’Elle s’est acquise tant par ses Conquestes que par la Paix qu’Elle vient de donner à l’Europe ; & apres l’avoir félicitée sur tant d’heureux succés, il luy exposa le sujet de sa Commission. Le Roy dans sa Réponse, luy parla en des termes tres-avantageux pour la personne du Roy de Pologne, ainsi que pour toute la Nation, & d’une maniere fort satisfaisante pour luy en particulier. Au sortir de cette Audience, il fut magnifiquement régalé par ordre du Roy, avec sa Suite, qui estoit de plus de quarante Gentilshommes.

[These soûtenuë par M. le Prince de Turenne] §

Mercure galant, août 1679 [tome 8], p. 330-333.

Le mesme jour de l’Entrée dont je viens de vous parlerVI, Monsieur le Prince de Turenne, Fils aîné de Monsieur le Duc de Boüillon, soûtint des Théses de Philosophie au College des Jesuites, avec une penétration, une étenduë, & une justesse d’esprit qui luy attirerent beaucoup de loüanges. Monsieur le Prince de la Roche-sur-Yon, plusieurs autres Princes, la plûpart des Seigneurs de la Cour, trois Cardinaux à la teste de tous les Prélats qui se trouverent alors à Paris, & presque toutes les Cours Souveraines, formoient l’Assemblée. La These que soûtint ce Prince, estoit d’une invention extraordinaire. C'estoit un Livre dédié au Roy, renfermant les Actions les plus éclatantes que Sa majesté a faites par Elle-mesme dans tout le cours de cette Guerre ; le Passage du Rhin, la Conqueste des Villes de Hollande, celle de Mastric, & de la Franche-Comté, la Bataille présentée aux Ennemis durant le Siege de Bouchain, la Prise de Valenciennes, de Cambray, de Gand, d’Ypres, la Desunion des Confedérez, la Protection de la Suede, & enfin la Paix. Chacune de ces Actions occupoit le haut de chaque page. Quatre Devises en remplissoient les costez, & le bas estoit orné de Figures symboliques, & d’une Inscription exacte & simple, qui comprenoit ce qu’il y a de singulier dans l’Action. Les Positions Philosophiques estoient au milieu de ces ornemens. Tout cela avoit un air de nouveauté, & une varieté fort agreable. Ce Dessein est du Pere de la Ruë Jesuite, aussibien que toutes les Inscriptions Latines, & une partie des Devises. Les autres Devises sont de plusieurs Personnes sçavantes, particulierement du Pere Ménestrier, si celebre en ces sortes d’Ouvrages d’esprit, & qui a presentement sous la Presse plusieurs Tomes de l’Histoire & de l’Art des Devises, où l’on trouvera tout ce qu’il y a de curieux sur cette Matiere.

[Ballet de la Paix dancé au College de Clermont] §

Mercure galant, août 1679 [tome 8], p. 333-335.

Quelques jours apres, le Sieur de Beauchamp fit danser dans le mesme College [de Clermont] un Ballet de la Paix, où tout ce qu’il y a d’habiles Gens en cet Art, s’éforça de répondre à l’idée d’un si grand Maistre, qui apres tant d’autres semblables Festes exécutées par luy-mesme, depuis trente ans à Paris & à la Cour avec l’admiration generale, trouva encor en celle-cy dequoy s’attirer de nouvelles acclamations, par les nouvelles beautez, & les agrémens impréveus qu’il fit entrer dans un sujet grave & sérieux de luy-mesme. C’estoit le Couronnement de la Paix. On luy offroit, selon la coûtume de l’antiquité, quatre Couronnes ; une d’Olivier, une de Laurier, une d’Epics, & une de Roses. Ces quatre Couronnes figuroient les quatre fruits ordinaires de la Paix, le retour de la Vertu, des beaux Arts, de l’Abondance, & de la Joye ; & luy estoient présentées par quatre Divinitez qui président à ces Fruits, & à ces Couronnes ; celle d’Olivier, par Pallas ; celle de Laurier, par Apollon ; celle d’Epics, par Céres ; & celle de Roses, par Flore.

Ces quatre parties estoient du dessein du P. de la Ruë, & servoient d’Intermedes à une Tragédie de sa façon, appellée Cyrus, qui fut représentée par une illustre Jeunesse, avec toute la force, & toute la justesse qu’on eust pû antendre d’Acteurs de profession.

[These soûtenuë par M. l’Abbé de Coislin] §

Mercure galant, août 1679 [tome 8], p. 335-336.

Mr l’Abbé de Coislin Fils de Mr le Duc de Coislin, a aussi soûtenu une These depuis peu de temps, avec l’applaudissement d’une des plus celébres Assemblées que puisse attirer une Personne de sa naissance. Il faisoit éclater son esprit, tandis que Mr le Marquis de Coislin son Frere signaloit son courage en Allemagne, à la teste de son Régiment. J'auray tant d’autres occasion de vous parler de ceux qui portent ce nom, que je remets à une autre fois ce que je n’ay pas le temps de vous en dire aujourdhuy.

[Camp de la Plaine d’Acheres] §

Mercure galant, août 1679 [tome 8], p. 336-341.

Vous avez sçeu que le Roy avoit fait établir un Camp aupres de Poissy pour les Troupes de sa Maison, montant environ à cinq mille Hommes. Il estoit assis dans la Plaine d’Acheres. Les Gardes du Corps, & quelques autres Troupes, avec les Chevaux-Légers, campoient à la droite vers Poissy ; & les Gensd’armes du Roy, ceux de la Reyne, les Gensd’armes Dauphins, les Grénadiers à cheval, les Gensd’armes de Monsieur, les Gensd’armes Ecossois, & autres, avec les Mousquetaires, campoient à la gauche vers Conflans. La teste estoit vers Acheres. L’ouverture s’en fit le premier jour de ce mois. La Garde à cheval fut posée à toutes les avenuës. On la montoit deux fois chaque jour, le matin, & sur le midy. On la relevoit, & l’apresdînée elle se faisoit à pied & à cheval. C’estoit la grande Garde, & on la relevoit à l’approche de la nuit. Les jours d’Exercice on la montoit seulement une fois le jour. Toutes les fois que le Roy y venoit, il passoit Luy-mesme de Rang en Rang, & faisoit exactement la reveuë des Troupes qu’il trouvoit rangées par Escadrons à la teste du Camp, avec leurs Etendarts, Tambours & Trompetes ; & quand on vouloit les faire combatre on les faisoit filer vers la plaine de Garenne, à la gauche du Camp, pour former deux Lignes. La premiere que le Roy commandoit, estoit composée de tous les gardes du Corps, des Gens-d’armes de la Reyne, & autres, avec les Chevaux-Légers qui la fermoient, comme les deux Compagnies des Mousquetaires fermoient la seconde Ligne, commandée par Monseigneur le Dauphin, & composée des Gensd’armes, desdites deux Compagnies des Mousquetaires, & de tout le reste des Troupes. Ces deux Lignes ainsi disposées, ayant la Garde à cheval à leur teste, s’approchoient & se chargeoient à coups de Mousqueton & de Pistolet, en passant l’une dans l’autre, & toûjours de mesme jusqu’à trois fois ; & pour la derniere Bataille qui se fit, on se chargea jusqu’à quatre fois. Le Roy envoyoit ses ordres, & Monseigneur le Dauphin les portoit Luy-mesme. il ne faut pas oublier qu’à la seconde charge ou meslée, ce jeune Prince tenoit un petit Conseil de guerre à la teste de sa Ligne, avec les principaux Officiers de son Party. Mr de Montausier estoit des premiers. À l’égard des Combats particuliers, ils se faisoient de cette maniere. On rangeoit plusieurs Escadrons sur deux Lignes, ausquels on montroit à soûtenir & à escarmoucher vigoureusement & adroitement ; puis ils se mesloient & se chargeoient ainsi qu’aux Batailles. Mr le Duc du Maine a servy quelquefois d’Ayde de Camp à Sa Majesté. Il est surprenant combien il a fait paroistre d’adresse & d’esprit dans cet Employ. Mr le Duc de Noailles qui estoit Genéral du Camp, tenoit table ouverte dans Acheres, & a traité magnifiquement toutes les Personnes de qualité qui l’ont esté voir, de la Cour, de Paris, & du Camp mesme. Il a aussi régalé les Dames.

[Particularitez touchant le Mariage de Mademoiselle, avec une Lettre du Roy d’Espagne à cette Princesse] §

Mercure galant, août 1679 [tome 8], p. 346-353.

La Cour est présentement à Fontainebleau, où le Mariage de Mademoiselle se doit faire. Je vous en promets une Relation tres-exacte. Vous sçavez que je traite toûjours ces sortes d’Articles à fond, & que quoy que vous en puissiez apprendre d’ailleurs, ce n’est jamais avec toutes les circonstances que je vous marque. En voicy qu’on ne vous aura pas dites en vous parlant de la violente passion que le Roy d’Espagne témoigne pour cette Princesse. Ce jeune Monarque estoit dans une si grande impatience de sçavoir si elle luy seroit accordée, qu’ayant supputé le temps où le Courrier qu’il avoit dépesché en France devoit revenir, il envoya des Relais de Carrosses au devant de luy, afin qu’il pust arriver plûtost ; & comme le Prince D. Juan estoit malade, il apprit luy-mesme de ce Courrier la nouvelle qu’il attendoit. Je vous ay parlé des réjoüissances qu’on fit le jour-mesme qu’il la reçeut. On ne doit pas en estre surpris. Les Filles de France ont toûjours vescu en Espagne d’une maniere qui les y a fait aimer jusques à l’adoration. Voicy ce que ce Prince écrivit là-dessus à Mademoiselle. La Lettre a esté traduite mot pour mot sur l’Original Espagnol.

Lettre
du Roy d’Espagne,
à Mademoiselle.

SErénissime Princesse. Ayant eu avis de la grande obligation que j’ay au Roy & à Monsieur le Duc d’Orleans mes Freres, pour l’heureux succés de mon Mariage avec Vostre Majesté, qui estoit la chose du monde que je souhaitois le plus ardemment, je n’ay pas voulu diférer de témoigner à V. M. que j’ay esté sensiblement touché de cette bonne nouvelle, qui m’a causé une joye plus forte que je ne sçaurois l’exprimer, quoy que je sois dans une grande inquiétude de ne pouvoir pas avancer davantage le temps de vostre départ, & satisfaire la passion extréme que j’ay de voir V. M. & de la posseder dans ces Royaumes, assurant V. M. que je passeray dans une impatience continuelle tous les momens que je diféreray à me donner cette joye ; ce qui fera que je n’oublîray rien de tout ce qui pourra hâter le départ de V. M. espérant qu’on en usera de mesme de delà. Dieu conserve Vostre Majesté comme je le desire.

Le bon Oncle de V. M.

Moy, Le Roy.    

Les Galanteries que ce Prince a faites depuis, ont confirmé tout ce qui s’est dit de la force de son amour. Rien ne la fait mieux connoistre que l’ordre qu’il a donné à Mr le Marquis de los Balbases, d’étudier les diférens gousts de Mademoiselle, de voir tout ce qu’elle aime, & tout ce qui la divertit depuis le matin jusques au soir, afin que trouvant les mesmes choses en Espagne, elle ne s’aperçoive pas qu’elle ne soit plus en France. Madame de los Balbases voulant le servir dans sa passion, a fait en divers rencontres, ce que les Espagnols appellent Fineças de amor. Elle luy a envoyé une Fleur tombée d’un Bouquet de Mademoiselle, & estant un jour aupres de la Toilette de cette Princesse, elle luy prit une Ceinture en broderie, l’assurant que le Roy d’Espagne en seroit paré le premier jour qu’elle le verroit. Toutes ces choses ont persuadé avec justice à Mademoiselle que la galanterie régnoit en Espagne aussibien qu’en France ; & comme parmy les ames bien faites, les marques d’amour se payent par les témoignages d’estime les plus obligeans, elle s’est informée des couleurs qui plaisent le plus à ce jeune Prince, & luy a fait faire de magnifiques Habits où elles ont esté employées. Cependant elle n’a pû se résoudre à quiter la France sans voir plusieurs Lieux qui luy estoient encor inconnus ; & le Palais où se tient le plus auguste Senat de la Terre, estant digne de sa curiosité, elle a visité ce grand Bâtiment. Je puis le nommer ainsi, puis qu’il pourroit contenir plus de monde qu’il n’en faudroit pour peupler des Villes. Mademoiselle y alla incognito & masquée, en visita tous les détours elle quatriéme, & n’y fut reconnuë qu’en sortant.

[Régal fait à Madame la Duchesse de Montalto] §

Mercure galant, août 1679 [tome 8], p. 353.

Madame la Duchesse de Montalto Fille de la Gouvernante du Roy d’Espagne, ayant passé par icy pour retourner à Madrid, y a esté reçeuë avec tous les honneurs qu’elle méritoit. Monsieur a pris soin luy-mesme de la divertir. Il luy a fait voir sa belle Maison de S. Cloud, toutes les Richesses du Garde-meuble du Roy, les Eaux de Versailles, & l’a traitée magnifiquement à Trianon.

Chanson à boire §

Mercure galant, août 1679 [tome 8], p. 362-363.

Voicy un second Air que j’oubliois à vous envoyer. Les Paroles sont de M. Pageau Avocat au Parlement, & elles ont esté notées par Mr Labbé cy-devant Maistre de Musique de S. Jacques de Dieppe.

CHANSON A BOIRE.

Avis pour placer les Figures : la Chanson qui commence par Décoiffe-moy cette Bouteille, doit regarder la page 364.
    Decoiffe-moy cette Bouteille,
        Je vais entamer ce Jambon ;
    Ah que la chair en est vermeille !
    Ah que ce Vin clairet est bon !
    Amy, fermons sur nous la porte,
    Je prêtens boire tout le jour ;
    Et quand je boy, l’ardeur qui me transporte,
Craint plus un Importun qu’un Rival en amour.
images/1679-08_362.JPG

[Conclusion] §

Mercure galant, août 1679 [tome 8], p. 363.

Adieu, Madame. Je vous ay souvent dit en finissant, qu’il me restoit beaucoup de choses à vous mander, mais je ne me suis jamais trouvé dans un si grand accablement de Matieres considérables. Il est tel, que je suis mesme obligé de remettre ce que je vous avois promis la derniere fois touchant le Voyage de Monsieur le Duc en Bourgogne. Vous n’y perdrez rien, puis que je vous envoyeray cette Rélation plus entiere, & que vous y trouverez plusieurs Festes qui ont esté faites en divers Lieux pour ce Prince. Je ne puis aussi me dispenser, faute de temps & de place, de remettre jusqu’au Mois prochain ce que j’ay à vous dire du retour de M. Colbert le Plénipotentiaire, de sa Réception en la Charge de Président à Mortier ; de celle de M. Molé ; de l’Election des nouveaux Echevins ; de ce qui s’est passé à l’Académie Françoise le jour de la distribution des Prix ; de l’arrivée de Madame la Princesse d’Osnabruk en cette Cour ; de la mort de M. le Cardinal de Rets, de celle de Mademoiselle la Princesse de Guimené, de deux ou trois Mariages, & enfin de tout ce que je sçay que vous seriez fâchée d’ignorer. Je suis, Madame, vostre, &c.

A Paris ce 31. Aoust 1679.