1681

Mercure galant, avril 1681 [tome 4].

2017
Source : Mercure galant, avril 1681 [tome 4].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, avril 1681 [tome 4]. §

[L’Académie de Villefranche au Roy. Epistre] §

Mercure galant, avril 1681 [tome 4], p. 1-13.

Je vous ay parlé, Madame, dans quelqu’une de mes Lettres de l’année derniere, d’une Académie de Beaux Esprits qui s’est établie depuis peu à Villefranche, & dont Monsieur l’Archevesque de Lyon est le Protecteur. Comme elle ne s’est formée que pour consacrer toutes ses veilles au Roy, ce sera elle qui me fournira aujourd’huy l’Eloge que vous attendez de ce grand Prince. L’impatience qu’elle a de rendre son zele public, l’a obligée d’emprunter la voix de Mr Mignot de Bussy pour se faire entendre, & voicy de quelle maniere ce digne Académicien s’est expliqué au nom de sa Compagnie.

L’ACADEMIE DE VILLEFRANCHE,
AU ROY.
EPISTRE.

Grand Prince, que le Ciel à nos vœux complaisant,
Nous a voulu donner comme un rare présent ;
Grand Prince, que l’on voit dans la Paix, dans la Guerre,
Montrer l’Art de régner aux Princes de la Terre ;
Ne sois pas offencé, si ma Muse au Berceau
Ose pour te loüer employer son Pinceau.
En vain elle résiste à l’ardeur qui la presse,
En vain elle connoit qu’elle a trop de foiblesse
Pour chanter dignement tes hauts Faits, tes Vertus ;
Elle aime mieux moins dire, & ne retarder plus.
Son amour, son respect, sont trop forts pour les taire,
Il vaut mieux en parlant, qu’elle soit teméraire ;
Mais si ses Vers n’ont point de force ny d’appas,
Ils sont ses premiers fruits, ne les méprise pas.
Mille Plumes déja d’une source féconde,
Ont porté ton grand Nom sur la Terre & sur l’Onde ;
Et par mille beaux traits qu’on ne peut imiter,
Ont sçeu facilement te peindre & te vanter.
En tout temps, en tous lieux, les Filles de Mémoire,
Font leur plus grand plaisir de celébrer ta gloire ;
Leurs Ouvrages n’ont point de plus charmant Objet,
Et tu leur es toûjours un fertile Sujet.
On ne les voit jamais dans un honteux silence ;
A peine une a finy, que l’autre recommence.
Quand elles pensent estre au bout de leurs travaux,
Tu leur en fais trouver aussitost de nouveaux.
Elles verroient sans toy leurs veines infertiles,
Et leurs voix bien souvent leur seroient inutiles,
Si ton Nom glorieux, digne seul de leurs chants,
Ne leur donnoit dequoy les rendre plus touchans.
Depuis le jour heureux que le Ciel te fit naistre,
On a veu le Parnasse en Grands Hommes s’accroistre,
Et jamais il ne fut dans le Sacré Vallon
Tant d’illustres Enfans du divin Apollon.
On sçait bien qu’il en est dont la veine s’épuise,
Avant que d’avoir pû finir leur entreprise.
Ils ont pourtant un champ vaste, fertile, & beau,
Mais te loüer, Grand Roy, c’est un pesant fardeau.
S’ils ne peuvent fournir qu’à moitié la Carriere,
C’est qu’ils manquent de force, & non pas de matiere ;
Et comme ils n’ont jamais que de foibles accens,
Pour s’élever si haut, ils sont trop impuissans.
Par un sort si fâcheux, ma Muse refroidie,
Pourroit avec raison n’estre pas si hardie,
Et suspendant l’effet d’un zele trop ardent,
Garder à ton égard un silence prudent ;
Mais peut-elle à présent, pour une vile crainte,
Se résoudre à souffrir une dure contrainte ;
Et mesme faudroit-il, pour un motif si vain,
Interrompre le cours d’un si noble dessein ?
Non, non, dés ce moment dust-elle perdre haleine,
Ma Muse à te loüer veut faire agir sa veine,
Et joignant ses Concerts aux Chants les plus heureux,
T’offrir sur tes Autels son encens & ses vœux.
Ne voit-on pas l’Aiglon, qui malgré son jeune âge,
S’approche du Soleil avec tant de courage,
Et qui par les efforts d’un vol audacieux,
Pour le voir de plus prés, s’éleve jusqu’aux Cieux ?
Bien loin de s’affoiblir par l’ardeur qui l’emporte,
Son aîle en paroist estre & plus prompte & plus forte ;
Et dés ce mesme instant, il va comme un éclair
Traverser hardiment les régions de l’air.
Par cet heureux succés ma Muse encouragée,
A suivre son projet se sent plus engagée ;
Il ne luy suffit pas, Grand Roy, de t’admirer,
Il faut qu’elle le dise, & c’est trop diférer.
Elle ne sçauroit plus retenir son envie,
L’estime, le respect, l’amour, tout l’y convie.
Il est vray qu’en voyant un Sujet si fécond,
Son esprit pour l’ouvrir se trouble & se confond.
De tes fameux Exploits la trop grande abondance
Suspend son jugement, & le met en balance.
Voyant en Toy des Roys le Modele parfait,
Elle ne sçait par où commencer ton Portrait.
Elle voudroit tantost publiant tes Victoires,
Faire honte aux Héros que vantent les Histoires,
Et malgré leurs grands noms qui nous ont ébloüis,
Faire voir que le tien, par tes Faits inoüis,
Rendant toute la Terre & surprise & charmée,
Des plus grands Conquérans ternit la renommée.
Tantost elle voudroit, dépeignant tes Combats,
Marquer par de beaux traits la force de ton Bras,
Et suivant avec soin son invincible Prince,
De Citez en Citez, de Province en Province.
Décrire tous les Lieux par ta valeur acquis,
En aussi peu de temps que tu les a conquis.
Quelquefois elle veut faire voir tout de suite
Mille effets surprenans de ta sage conduite ;
L’Herésie aux abois, ses Temples abatus,
La Justice en vigueur, ses Decrets absolus,
Les Duels abolis, les Querelles bannies,
Le Commerce assuré, les Usures punies ;
Ainsi par tant d’objets qui s’offrent à la fois,
Ma Muse embarassée a peine à faire un choix.
Ce soin seroit facile à ces Esprits sublimes,
Dont un stile pompeux soûtient les nobles Rimes ;
Mais s’ils méritent seuls le glorieux employ
De chanter les Vertus d’un Héros tel que Toy,
Tu peux, sans faire tort à ta gloire éclatante,
Souffrir qu’à leur exemple un moindre Autheur le tente ;
S’il ne peut te donner que de foibles Concerts,
Il te fait voir du moins son zele dans ses Vers.
Dans le sein de la Mer les plus grandes Rivieres
Ne font pas seulement rouler leurs ondes fieres.
Ne voit-on pas aussi les plus petits Ruisseaux
Y porter hardiment leurs innocentes eaux ?
Ne t’étonne donc pas si malgré sa jeunesse
Ma Muse avec ardeur s’encourage & s’empresse
A chanter à son tour tes surprenans Exploits.
Si tu pouvois souffrir cet essay de sa voix,
Elle auroit desormais pour sa plus grande affaire,
Le soin de te loüer, & celuy de te plaire.

[Sonnet au Roy] §

Mercure galant, avril 1681 [tome 4], p. 13-16.

Le Sonnet qui suit a esté fait sur ce que le Roy s’est bien voulu condamner Soy-mesme en faveur de ses Sujets, dans l’Affaire des Maisons basties sur les Fonds alienez de son Domaine. Cette Action est si belle, que je serois peu surpris quand on m’envoyeroit toute l’année des Ouvrages sur ce sujet. Il faut du temps à la Renommée pour aller la publier jusqu’au bout du Monde, & je croiray toûjours vous faire plaisir, en vous apprenant les sentimens d’admiration qu’elle aura fait naistre dans les Païs éloignez. C’est de là que j’ay reçeu ce Sonnet.

Par sa haute valeur effacer les Césars,
Remplir d’étonnement le Ciel, la Terre, & l’Onde,
Porter par tout l’effroy, forcer mille Rempars,
C’est estre justement le plus grand Roy du Monde.
***
Faire regner Thémis sous l’Empire de Mars,
Faire éclater par tout sa sagesse profonde,
En tous lieux avec soin établir les beaux Arts,
Qui sont de tous les biens une source feconde ;
***
Balancer à son gré le Sort de l’Univers,
Sçavoir donner la Paix à cent Peuples divers,
C’est estre couronné d’un merite supréme.
***
Mais LOUIS va plus loin contre ses intérests,
Une sainte Equité prononce des Arrests,
Et le Maistre des Loix se condamne Soy-mesme.

[Madrigal sur le mesme sujet] §

Mercure galant, avril 1681 [tome 4], p. 16-17.

Je sçay que vous avez veu six Vers Latins que l’on a trouvez fort beaux, sur cette mesme matiere. Ce sont ceux qui commencent par Regem inter Populumque, &c. Je vous en envoye la Traduction dont vous ferez part à vos Amies.

Le Roy contre son Peuple avoit un grand Procés,
Les Juges partagez balançoient le succés,
Et tenoient tout Paris dans une crainte extréme,
Quand ce Roy genéreux renonçant à ses droits,
Prononce, se condamne, & se montre à la fois
Le Pere de son Peuple, & le Roy de Soy-mesme.

Pour celle qui a si galamment écrit l’Histoire des Conquestes §

Mercure galant, avril 1681 [tome 4], p. 29-37.

Je passe à d’autres matieres qui doivent estre plus de vostre goust. Vous souhaitiez un plaisir que vous pouvez vous promettre, si la Belle qui nous donna il y a deux Mois l’Histoire de ses Conquestes, a un peu de complaisance pour une aimable Inconnuë, qu’on ne peut douter qui n’en mérite beaucoup. Il manquoit à cette Histoire pour satisfaire entierement vostre curiosité, qu’elle nous apprist ce qui l’avoit obligée à rompre avec celuy de tous ses Amans qui avoit le plus d’esprit, & c’est ce qu’on luy demande par cette Lettre, qu’on n’a pû luy adresser que par moy.

POUR CELLE QUI A SI
galamment écrit l’Histoire de ses Conquestes.

Je trouve entre vous & moy un si grand raport en beaucoup de choses, soit pour la conformité de nourriture, en ce qu’on vouloit que nous fussions toutes deux fort simples & fort innocentes, soit pour le teint & les yeux qu’il me semble que nous avons assez semblables, qu’une si heureuse ressemblance me donne non-seulement de l’inclination pour vous, mais encor un fort panchant à m’intéresser dans les Avantures de ceux que vous aimez. Ne soyez donc pas surprise, si je vous prie de nous apprendre plus précisément que vous n’avez fait, comment a pû cesser cet agreable commerce que vous avez eu avec celuy qui vous fit le premier appercevoir de vostre mérite. Il se rencontre encor pour une plus parfaite ressemblance de vous & de moy, que le seul Homme que j’aye jamais aimé luy ressemble tout-à-fait. Ce sont les mesmes manieres & le mesme esprit. La seule diférence que je trouve entre nous deux, c’est que je ne veux jamais aimer que luy, & qu’il ne sçauroit aimer que moy, du moins tant que dureront ces traits & ce teint, ces lys & ces roses, dont il est si enchanté, qu’il ne trouve plus rien de beau par tout ailleurs. C’est ainsi que nous nous parlons confidemment. Mais peut-on s’assurer si bien les uns des autres dans les plus tendres amitiez, qu’on n’ait pas beaucoup à craindre de la jalousie ? Si nous pouvons nous mettre à couvert de ce costé-là, nostre amour ne durera pas moins que nostre vie. Mais de quelle sorte a pû finir une intelligence aussi belle que la vostre ? Je ne suis pas la seule que cet évenement inquiete, & à qui il donne envie de sçavoir ce qu’est devenu un si honneste Homme. De la maniere dont vous nous le dépeignez, ma Mere croit l’avoir veu quelquefois chez elle, & m’en a dit des merveilles. Elle m’assure que si je vous pouvois engager à nous faire part de quelques-unes des conversations que vous avez euës ensemble, ce seroit un Ouvrage aussi rare que charmant. Voudriez-vous réserver de si jolies choses pour vous seule, & pouvez-vous tirer un plus grand usage de ce prétieux trésor, que d’acquerir beaucoup de gloire en nous le communiquant ? Vous obligeriez tres-sensiblement par là ceux qui n’aiment rien si fort que ce qui s’appelle le bon esprit, & les choses naturelles & délicates. Vous le pourriez mesme sans qu’il vous en coustast beaucoup, car on sent bien que vous n’avez pas moins de facilité que d’agrément à écrire. Quand j’auray appris à m’expliquer mieux, peut-estre vous rendray-je la pareille du plaisir que je vous demande présentement ; mais outre que je n’en sçay pas encor assez pour me hazarder à une Histoire galante, il n’y a pas bien longtemps que j’ay commencé à aimer. Comme nous devons dans peu de jours faire un voyage à Paris, j’y pratiqueray peut-estre des Espions assez éclairez pour découvrir où je pourray vous trouver, & vous faire voir une Personne qui se tient tres-glorieuse d’avoir avec vous quelque raport de beauté & d’avantures. Je suis vostre tres-humble & tres-obeïssante Servante,

Fable §

Mercure galant, avril 1681 [tome 4], p. 37-40.

En attendant la Réponse que je veux croire qu’on fera à cette Lettre, je vous envoye une Fable, dont les Médisans tireront beaucoup de fruit, s’ils en examinent la moralité. Elle est de l’Anonime d’Alais, qui leur découvre les maux que produit leur langue, en leur apprenant que la réputation perduë ne sçauroit se recouvrer.

FABLE.

Le Feu, la Renommée, & l’Onde,
Resolurent un jour d’aller courir le Monde.
Je ne sçay point quel estoit le sujet
D’un semblable projet,
Si c’estoit l’interest, le caprice, ou la gloire,
L’on n’en dit rien dans leur Histoire,
Je n’en parleray point aussi.
Seulement veux-je dire icy
Que l’Onde avec le Feu, quoy que si fort contraires,
Chercherent de concert les moyens necessaires
Pour se retrouver aisément,
En cas de quelque égarement ;
Et mesme, qui plus est, contre toute apparence
Dés la premiere conférence,
Ils tomberent d’accord que chacun à son tour
Donneroit un signal pour marquer son sejour.
L’Eau donna donc le sien, & dit, Si je m’égare,
Ou qu’un autre accident en chemin nous sépare,
Vous n’aurez qu’à vous rendre où vous verrez des Joncs,
J’y seray sans faillir, ou bien aux environs.
Quant au mien, dit le Feu, ce sera la Fumée.
 Pour moy, leur dit la Renommée,
 Je ne donneray pas le mien,
Mais songez à me tenir bien,
Car déslors qu’une fois j’échape,
 Jamais plus on ne me ratrape.
***
Toy qui te plais à déchirer,
Et dont la médisance est par tout répanduë,
Tremble d’un mal qu’en vain tu voudras reparer ;
La réputation perduë
Ne peut jamais se recouvrer.

[Le Procés galant, avec toutes les Pieces du Procés, Histoire] §

Mercure galant, avril 1681 [tome 4], p. 54-86.

Rien n’est si commun que les Procés. Peu de Familles s’en trouvent exemptes. Mais, Madame, auriez-vous crû qu’ils fussent connus dans l’Empire de l’Amour, & que les Amans qui plaident entr’eux, se pûssent soûmettre à observer en plaidant toutes les formalitez établies par la Chicane ? C’est pourtant ce qui commence à se pratiquer, & vous l’allez voir par le diférent qui est survenu entre une fort aimable Personne, & un Cavalier qui a osé la poursuivre pour obtenir le payement de quelques Debtes d’amour. Toutes les Pieces du galant Procés qu’ils ont eu ensemble, m’estant tombées depuis peu entre les mains, je puis vous en donner de seûres nouvelles.

Il y avoit déja deux ans que l’Amant rendoit des soins avec beaucoup d’assiduité. Il avoit mis en usage les empressemens, & les transports les plus tendres. On y répondoit à la verité ; mais toûjours avec des ménagemens qui diminuoient un peu de sa joye. On luy laissoit deviner plus qu’on ne vouloit luy dire ; & si par hazard il faisoit paroistre qu’il devinoit trop à son avantage, on sçavoit par quels moyens rabatre sa vanité. Ce n’est pas qu’en cent manieres diférentes on ne luy dist assez qu’on l’aimoit ; mais on ne luy disoit point je vous aime, & c’estoit la seule chose qui manquast à son bonheur. Un jour qu’il se plaignoit du refus qu’on luy faisoit de ce mot, & qu’il soûtenoit à sa Maîtresse que deux années de service méritoient & son amour, & l’aveu mesme de son amour, que sa longue résistance estoit sans exemple, & qu’il n’y avoit personne, qui, s’il estoit Juge de cette affaire, ne la condamnast à payer l’extréme tendresse qu’il avoit pour elle, il arriva assez plaisamment qu’ils convinrent d’un Arbitre pour vuider la Question. C’estoit un des Amis de l’Amant, qui ne l’estoit pas moins de la Belle, & qu’ils avoient choisy l’un & l’autre pour le Confident de leur commerce. Il fut arresté entr’eux qu’ils plaidroient devant luy, & qu’il auroit le pouvoir de décider souverainement. Quelques jours apres la Belle estant dans son Cabinet, elle y vit entrer un petit Laquais de son Amant, mais sans Livrées, ayant un petit Habit noir à Manteau, fort propre, & fort ajusté, une Ecritoire penduë à sa ceinture, & une Plume sur son oreille. Il luy fut aisé de le reconnoistre pour un Sergent. En effet, pour remplir les fonctions de la Charge qu’il paroissoit exercer, il donna cette Assignation à la Belle.

EXPLOIT DE DAMON
a Climene.

A La requeste de Damon, Amant sans fraude & de bonne foy, assignation a esté donnée ce 26. Decembre 1680. à Climene, en parlant à sa Personne, à comparoistre dans trois jours pardevant l’Amour, ou Licidas son Lieutenant Particulier, pour se voir condamner à payer audit Damon deux années de Tendresse qu’elle luy doit, avec tous les interests, dommages & dépens, qui consistent en partie en ce que ledit Damon auroit gagné cinq ou six Cœurs pour le moins, pendant le temps qu’il s’est attaché à ladite Climene seule ; & partant elle sera condamnée à l’aimer elle seule autant que cinq ou six autres auroient pû l’aimer ; & se fonde ledit Damon dans sa Demande, sur plusieurs Pieces & Titres, dont quelques-uns ont pres de deux ans, Titres aussi anciens qu’on puisse en produire en fait d’amour ; & on a joint icy des Extraits des principaux, qui sont des Reconnoissances de la Debte que ladite Climene a faites elle-mesme.

Extrait de la seconde Lettre écrite par elle au Demandeur, en datte du mois de May de l’an 1679. par laquelle elle dit ; La Tendresse est un Païs dont je n’ay pas encor fait la moitié du chemin. Or depuis ce temps elle a eu le loisir de l’achever.

Extrait d’une autre Lettre. Je vous fourniray quelques douceurs, pour vous aider à nourrir l’amour que je vous ay donné. Or atteste ledit Damon n’avoir jamais reçeu lesdites douceurs.

Extrait d’un Quatrain de Climene, qui finit par ces deux Vers.

 Dés le moment que j’auray le cœur tendre,
Je ne veux m’en servir, Damon, qu’à vous aimer.

Par où il est clair qu’elle donne à Damon une Hipoteque spéciale sur son cœur, & qu’il doit estre payé privilégiement à tous autres Creanciers.

Extrait d’une autre Lettre. Je vous promets de n’estre point ingrate. Si vous m’aimez longtemps, je sçay à quoy cela m’oblige. Je mesureray ma tendresse à vostre constance.

On ômet plusieurs Extraits de conversations, voire des Extraits d’œillades, parce qu’il ne seroit pas si aisé de les justifier que les susdits.

La Belle trouva l’Assignation conçeuë dans les formes, & la Demande fort raisonnable, & tres-bien fondée. Je ne vous puis dire si dans le fond de son ame elle en fust contente ou non. Je sçay seulement qu’elle fit un effort de son esprit, auquel peut-estre son cœur résistoit, pour se défendre de ce qu’on luy demandoit si legitimement. Voicy ce qu’elle envoya à Damon.

DEFENSES DE CLIMENE.

Climene Defenderesse, ne disconvient point qu’elle ne doive à Damon Demandeur, un ou deux ans de tendresse ; mais comme le temps du payement ou racquit de cette tendresse n’a point esté limité par luy, ladite Climene en payant bien & deuëment l’interest, ne peut estre condamnée à rendre le fond, que lors qu’elle le trouvera à propos, & que l’état de son cœur le luy permettra. Or prouvera ladite Climene par bons Ecrits en forme, qui sont entre les mains de Damon, avoir payé lesdits interests par Douceurs dispersées par-cy par-là dans ses Lettres, & partant sera condamné ledit Damon à représenter en Justice lesdites Ecritures, afin d’estre examinées.

Avant que de répondre aux Pieces que le Demandeur a produites, ladite Climene voudroit bien sçavoir, pourquoy Damon veut estre payé si promptement, veu qu’il dit luy-mesme n’avoir besoin de cette Tendresse qu’il demande pour faire subsister la sienne ; ce que ladite Climene fera voir par trois ou quatre Lettres écrites de la main de Damon dont elle est nantie, & qu’elle offre de montrer toutesfois & quantes. Est-elle moins aimable qu’elle n’estoit, & ne peut-on plus l’aimer pour le plaisir de l’aimer seulement, ainsi que Damon a toûjours fait par le passé ? Ou s’il est vray que sa Tendresse subsiste bien sans celle de Climene, il ne veut donc que luy faire avoüer de temps en temps qu’elle luy est redevable, & tirer d’elle quelque petite soûmission ; ce qu’elle est preste de faire quand il voudra.

Mais pour répondre par ordre à tous les Articles dont Damon demande compte à Climene, elle dit d’abord qu’elle avança beaucoup dans le chemin de Tendresse, parce qu’elle le trouvoit fort doux, & qu’allant toûjours du mesme pas, elle arriva en fort peu de temps jusqu’à Estime qui en est fort proche ; mais que depuis elle a veu des périls si évidens à ce petit passage, qu’elle n’a osé le franchir. Ce n’est pas que Damon ne luy ait souvent remontré qu’elle s’alarmoit mal-à-propos, & que bien d’autres y avoient passé qui n’avoient pas de si bonnes assurances qu’elle ; mais comme elle a veu beaucoup de Gens qui revenoient de ce Lieu-là tres-mal satisfaits, elle prétend que Damon demeure long-temps seul dans le Païs de Tendresse, pour luy faire croire qu’on s’y trouve bien, & luy donner envie de continuer le voyage, auquel il l’a engagée.

Elle jure avoir fourny au Demandeur les Douceurs necessaires pour entretenir un amour aussi délicat qu’elle le veut, & elle n’est pas en cela moins croyable que luy qui atteste le contraire. Si cependant on ne l’en croit pas sur sa parole, elle fera voir un Reçeu de Damon, qui est une Réponse à un Billet qu’il avoit reçeu d’elle, où elle l’appelloit mon pauvre Damon, & par ledit Billet il se tient content, & confesse avoir reçeu une fort grande Douceur.

De plus, il faut qu’elle le dise, quoy que la chose luy soit desavantageuse. Elle a esté jusqu’à un Helas dans une Lettre, & apres cela, Damon ose attester qu’il n’a reçeu d’elle aucunes Douceurs ! Elle demande satisfaction de ce qu’il a attesté à faux, & c’est au Juge à en user selon sa prudence.

L’Hipoteque spéciale que Damon prétend sur le cœur de Climene, ne luy sçauroit estre disputé, puis que le Quatrain l’a dit. Qu’il songe seulement à la conserver, car ces sortes d’hypoteques ont besoin qu’on y prenne garde de fort pres.

Il a eu encor trop peu de constance pour demander que Climene y mesure sa tendresse. Il est de l’intérest mesme de Damon qu’on le fasse attendre quelques années davantage.

A ces causes, Climene conclut à ce que Damon soit évincé de sa Demande pour le présent, sauf à elle à la luy accorder lors que bon luy semblera ; en attendant lequel temps, il sera obligé de la servir comme de coûtume.

Il fut aisé à Damon de répondre à ces Défenses. Aussi ay-je peine à croire que Climene prétendist qu’elles fussent assez fortes pour l’empescher d’y répondre. Dés le mesme jour il luy envoya ce qui suit par son Huissier ordinaire.

REPLIQUE DE DAMON
aux Défenses de Climene.

Damon prend droit par toutes les raisons que Climene a alléguées, & il prétend qu’il n’y en a aucune qui ne luy donne, à luy Demandeur, le gain de sa Cause. Elle dit en premier lieu, que comme le temps de payer la Tendresse qu’elle luy doit n’est point limité, pourveu qu’elle luy en paye bien & deuëment l’interest, on ne peut la condamner à luy en rendre le fond. C’est sa principale raison, & celle aussi qui fait plus contre elle. Elle reconnoît par là qu’elle fait au Demandeur une rente de Tendresse. Elle a donc reçeu de luy le fond de cette Tendresse. Il faut necessairement qu’elle l’avouë, & c’est tout ce qu’on luy demande. Si elle dit que ce n’est pas une Rente (ce que pourtant elle ne peut dire qu’en se desavoüant elle-mesme) c’est donc une Debte qu’il faut payer toute-à-la fois, & non par menus payemens comme elle veut faire.

Sa seconde raison n’est pas plus forte. Damon, dit-elle, a reconnu que sa Tendresse subsistera bien sans le secours de la mienne. Je l’avouë, & par conséquent je ne dois point luy demander sa Tendresse. Quoy ? Est-ce qu’on ne peut demander ce qui est dû légitimement, à moins qu’on ne puisse subsister sans cela ? Les Debiteurs seront-ils reçeus à dire à leurs Creanciers, Vous vous passerez bien de ce que nous vous devons, nous ne vous payerons point ? C’est là le raisonnement de Climene. Elle y adjoûte qu’on ne peut luy demander tout-au-plus qu’un aveu & une reconnoissance de la Debte. La maniere de s’acquiter est fort jolie, & commode. Pour des aveus & des reconnoissances, on vous en donnera tant que vous voudrez. Cela ne vous sera point épargné ; mais pour aucun payement, vous ne devez point vous y attendre. Si j’avois dit à Climene ; Vrayement, vous estes assez aimable, je pourrois bien vous aimer un jour qui viendra ; elle me payeroit en me donnant un aveu qu’elle pourroit bien m’aimer aussi quelque jour ; mais je luy ay donné de bel & bon amour comptant, & je prétens estre payé tout de mesme.

En troisiéme lieu, elle me demande pourquoy je la presse tant. Mais ne dit-elle pas elle-mesme que les hipoteques d’Amour sont fort difficiles à conserver ? Ainsi il n’est rien tel que de se faire payer promptement. En effet, celles qui sont obligées à ces sortes de Debtes, deviennent fort aisément insolvables, faute d’avoir volonté de payer, s’entend. On ne voit tous les jours que Belles qui font banqueroute, & qui plantent là leurs Creanciers ; & cela, parce que ces Creanciers n’ont pas hasté le payement de leur Debte, dans le temps qu’il auroit pû estre fait. Plus ces Debtes-la vieillissent, moins elles sont assurées, & on a toûjours remarqué que les plus nouvelles sont celles qui se payent le mieux. Si je n’avois l’œil à mes affaires, comme la Debte court toûjours, Climene se laisseroit accabler de vieux dû. Et qu’elle ne dise point que c’est luy faire une offence que de la presser si fort de payer, comme si elle estoit moins aimable qu’elle n’estoit lors que je l’aimois gratis. Qu’elle sçache au contraire, que c’est parce qu’elle est plus aimable que jamais, que je ne veux plus l’aimer gratis.

Quatriémement, ce qu’elle dit qu’on devroit me condamner à demeurer longtemps seul dans le Païs de Tendresse, est contre elle-mesme. J’y ay esté deux ans seul. Il faut faire estimer par des Experts si ce n’est pas là un temps compétent & raisonnable. Je dis encor plus. C’est bien tout ce que peuvent faire la plûpart des Amans, que d’estre deux ans, mesme en compagnie, dans ledit Païs de Tendresse.

Cinquiémement, les douceurs que Climene dit m’avoir fournies, marquent assez combien je suis mal payé d’elle, puis qu’il est constant dans le Procés, par les dates des deux payemens qu’elle prétend m’avoir faits, qu’il y a plus de huit mois entre mon pauvre Damon, & l’Helas. Ainsi il est juste que je ne me contente plus de ces mesmes payemens qui sont si legers en eux-mesmes, & si éloignez les uns des autres, & que je demande un payement total, duquel elle n’a aucune raison de se défendre.

Sixiémement, quand elle dit que deux années de constance sont encor trop peu de chose, pour y mesurer sa tendresse, je luy demande si elle se sent un si grand fond de tendresse, qu’elle ne se puisse mesurer qu’à des vingt années de constance. Mais toûjours, qu’elle me donne de la tendresse pour le prix de mes deux années ; ce qui sera encor estimé par Experts. Elle ne peut se défendre de cela, & c’est à quoy je conclus.

La Belle fut aisément convaincuë qu’elle avoit affaire à forte Partie. Aussi ne repliqua-t-elle rien. Son Amant & elle envoyerent chacun leur Sac chez leur Juge. C’étoient des Sacs faits de la maniere que le demandoit la nature du Procés. Ils estoient d’une Etofe à fond d’argent, avec beaucoup de Rubans & de Points de France. Les deux Parties ne manquerent pas de donner des Placets à leur Juge. Voicy celuy de la Belle.

PLACET DE CLIMENE.

Plaise au Juge d’Amour avoir recommandé
Le droit d’un jeune Cœur, qu’on chicane, & qu’on presse
De payer sur le champ des sommes de Tendresse
Dont il seroit incommodé.

Celuy de l’Amant estoit conçeu en ces termes.

PLACET DE DAMON.

Plaise au Juge d’Amour avoir recommandé
Le droit d’un pauvre Amant de constance exemplaire,
A qui depuis deux ans on retient son salaire,
Sans qu’il l’ait encor demandé.

Toutes les formalitez ayant esté ainsi observées, enfin il intervint Jugement.

ARREST.

Veu par Nous Licidas, Licentié ês Loix de l’Amour, Conseiller en sa Cour & en ses Conseils les plus Privez, & Lieutenant d’iceluy en cette Partie, Le Procés meu & intenté pardevant Nous, entre Damon soy-disant Amant de Climene, & Climene soy-disant aimée de Damon ; L’Exploit du 26. Decembre 1680. par lequel ledit Damon conclut à ce que ladite Climene ait pour luy la valeur de six Amours, attendu que durant le temps qu’il ne s’est attaché qu’à elle, il auroit pû se faire aimer de six autres ; Les Défenses de Climene ; Les Repliques de Damon ; Les Lettres desdits Damon & Climene ; Le tout veu & consideré : Nous, par Jugement définitif, & en dernier ressort, avons condamné & condamnons ladite Climene à payer présentement comptant audit Damon la moitié des six Amours par luy demandez, laquelle moitié sera payée par un seul Amour qui en vaudra trois, les trois autres reservez in petto de ladite Climene, desquels elle fera l’interest au denier de l’Amour ; au payement desquels Amours & interests, elle sera contrainte par toutes voyes deuës & raisonnables, mesme par saisie de son Cœur, duquel nous avons permis à Damon de se nantir, si fait n’a esté ; & sera nostre present Jugement & Ordonnance executée suivant sa forme & teneur, nonobstant oppositions quelconques, desquelles si aucunes interviennent, nous nous sommes reservé la connoissance, & icelle avons interdite à tous autres Juges. Fait & ordonné ce 2. Janvier 1681.

Climene ne manqua pas de se plaindre. Elle cria à l’injustice. Elle voulut prendre son Juge à partie, mais enfin c’estoit un Arrest donné. Que pouvoit-elle faire ? Elle paya.

[Le dernier Sapate de Savoie] §

Mercure galant, avril 1681 [tome 4], p. 87-95.

J’avois déja demandé l’Article du Sapate de Savoye, lors que vous m’avez écrit que j’oubliois à vous l’envoyer. Comme la chose se fait tous les ans au mois de Decembre, vous pouvez dire qu’il est un peu tard de vous en parler ; mais, Madame, on n’a pas toûjours à point-nommé ce qui vient de loin, & on se sert selon les occasions, des correspondances que l’on peut trouver. Ce dernier Sapate a eu cela de nouveau, qu’il n’a point esté caché comme tous les autres ont accoûtumé de l’estre. Son Altesse Royale l’a donné à découvert. C’estoit un Lustre, & quatre Plaques d’argent d’un admirable travail. Madame Royale en trouva sa Chambre éclairée, lors qu’elle revint de la Comédie, avec ces Vers sur sa Table. Ils sont de Mr Girardin, dont je vous ay déja envoyé plusieurs Ouvrages, tous à la gloire de Leurs Altesses Royales, qu’il sert avec zele, & d’une autre maniere qu’en faisant des Vers.

S.A.R. à M.R.

Ne cherchez point icy le secret d’un Sapate,
Madame, mon dessein sans stratagéme éclate,
Aucun Art ne le cache, & pour mieux le montrer,
Du jour de vingt Flambeaux je le fais éclairer.
Dispensé pour ce coup de la regle ordinaire,
Je vous offre un hommage exempt de tout mistere,
Un Sapate sans voile, & nouveau dans ce point,
Que son secret unique est de n’en avoir point.
En n’étalant icy que la verité pure,
J’ay voulu de mon cœur vous donner la peinture.
De ce qu’il sent pour vous c’est un juste Portrait ;
Il ne sçait renfermer ny feinte, ny secret ;
Il est toûjours égal à vous montrer sans cesse
Les sinceres transports d’une vive tendresse,
Et dans ces sentimens, trop content de s’ouvrir,
Il met tout son bonheur à vous les découvrir.
Observez-les, Madame, & soyez prévenuë
De leur impression, & de leur étenduë.
Les droits du Sang Royal, qui me donna le jour,
Sont des devoirs sacrez que connoit mon amour,
Et de vos nobles soins l’éclatante constance
Est l’eternel motif de ma reconnoissance.
Mais sans ces nœuds du Sang, sans vos soins empressez,
Tous les vœux de mon cœur vous seroient adressez.
Quand il ne vous devroit ny le jour qu’il respire,
Ny dans l’Art de régner la peine de m’instruire,
Ny tant d’empressemens tendres & délicats,
Ny le pénible soin de régir mes Etats,
Ny l’éclat immortel d’une grande Couronne,
Ny l’Empire nouveau que vostre main me donne,
Ny mon Païs remply d’heureuses nouveautez1,
Qui luy vont attirer mille prospéritez ;
Ce cœur dans son panchant prendroit assez d’amorce,
Pour vous aimer toûjours avec la mesme force,
Et suivant de plein gré des mouvemens si doux,
Ne seroit mieux à soy, que pour mieux estre à vous.
S’il ne vous voyoit point comme une Mere aimable,
Ce cœur verroit en Vous une Reyne adorable.
Il verroit ces attraits touchans & prétieux,
Qui charment tous les cœurs ainsi que tous les yeux,
Des Royales Vertus le divin assemblage,
Les brillans de l’esprit, la grandeur du courage,
Le feu d’un grand Génie à régler ses projets,
L’Amour, l’heureux Amour, qui fait d’heureux Sujets ;
Il verroit ce bel Art, cette rare Science,
De joindre la Grandeur avec la Complaisance ;
De se communiquer par la douce bonté,
Sans blesser d’un haut Rang l’auguste Majesté,
D’estre aux Infortunez secourable & propice,
Sans affoiblir les Loix d’une exacte Justice ;
Enfin il chériroit en Vous tout-à-la fois
Les charmes d’une Reyne, & les dons des Grands Roys.
Ainsi de tous costez des nœuds inévitables
Ont attaché mon cœur à vos Loix adorables.
Ainsi jugez pour vous quelle est sa passion,
Puis qu’il joint le devoir à l’inclination.
Mais qu’inutilement je le vois entreprendre
D’expliquer un amour si sensible & si tendre !
Que sert-il pour le peindre icy de s’animer ?
Plus on sçait le sentir, moins on sçait l’exprimer.
Examinez-le donc, Madame, pour y lire
Ce ferme attachement qui ne se peut décrire.
Vous y découvrirez un zele tout parfait,
Il n’enferme pour Vous, ny feinte, ny secret,
Et semblable au Présent qu’il fait icy paroistre,
Il se montre d’abord tel qu’il veut toûjours estre.
Rien icy de caché, rien de mistérieux
Ne trompe vostre esprit, & n’abuse vos yeux.
Ainsi n’y cherchez point le secret d’un Sapate,
Madame, mon dessein sans artifice éclate,
Cessez de fatiguer vos regards sur ce point,
Le secret du Sapate est de n’en avoir point.

[Mort de Francisque Corbet, & son Epitaphe] §

Mercure galant, avril 1681 [tome 4], p. 127-133.Voir le Dialogue de Mars, la Victoire et la Paix dans le Mercure de mars 1679

Dans ce mesme temps nous avons perdu un Homme, qui par les merveilles de sa Guitarre, a remply toute l’Europe de sa réputation. C’est le Sr Francisque Corbet. Son mérite qui estoit tres-singulier, m’oblige à m’étendre un peu sur son histoire. Il est né à Pavie ; & dans toute l’Italie, quand on veut loüer une Piece de Guitarre par son Autheur, on dit seulement E’del Pavese. Dés sa jeunesse il aima si fort cet Instrument, que ses Parens qui le destinoient à autre chose, employerent vainement les carresses & les menaces pour le détacher de cette étude. Il l’a continuée depuis avec un si grand succés, qu’il surprit d’abord tous les Musiciens d’Italie. En suite il alla en Espagne, où il fit entendre à la Cour, des choses que l’on avoit crû auparavant impossibles sur la Guitarre. De là il passa chez l’Empereur, & par toutes les Cours d’Allemagne, où il fut chéry des plus grands Princes. Apres estre retourné en Italie, pour soûtenir sa gloire que des Envieux vouloient obscurcir, en s’attribuant injustement ses Ouvrages, il se donna au Duc de Mantouë, qui fut bien aise d’avoir un tel Homme à présenter à Sa Majesté. Nostre Grand Monarque l’honora de son estime, & de ses libéralitez, & l’employa dans les plus pompeux Spéctacles ; mais son naturel ne permettant pas qu’il fust longtemps dans un mesme lieu, il voulust aller en Angleterre, où Sa Majesté Britanique, qui voulut bien se mesler de son Mariage, luy donna le titre de Gentilhomme de la Reyne, une Clef de sa Chambre, son Portrait enrichy de Diamans, & une Pension considérable. Le regret d’avoir quitté la France luy estant venu trop tard, il fit deux ou trois voyages à Paris, dans lesquels il eut soin de faire imprimer quelques Livres de sa Composition, comme il avoit déja fait en Flandre, en Italie, & ailleurs. Il est enfin revenu en France, marquer par sa mort la douleur qu’il avoit de ne luy avoir pas donné toute sa vie. Les Personnes du premier rang luy ont toûjours conservé la mesme estime, & sur tout il a reçeu dans ses derniers jours plusieurs marques sensibles des bontez de Son Altesse Royale Madame. Mr Médard qui a pris de ses Leçons, & qui est Autheur du Concert de la Paix, dont je vous ay parlé dans quelqu’une de mes Lettres, ne s’est pas contenté de composer une Piece sur sa Guitarre, qui exprime les plaintes de cet Instrument sur la mort de son Maistre. Il a voulu encor faire voir par l’Epitaphe qui suit, combien sa mémoire luy estoit chere.

EPITAPHE DE FRANCISQUE CORBET.

Cy gist l’Amphion de nos jours,
Francisque, cet Homme si rare,
Qui fit parler à sa Guitarre
Le vray langage des Amours.
***
Il gagna par son harmonie
Les cœurs des Princes & des Roys,
Et plusieurs ont crû qu’un Génie
Prenoit le soin de conduire ses doigts.
***
Passant, si tu n’as pas entendu ces merveilles,
Apprens qu’il ne devoit jamais finir son Sort,
Et qu’il auroit charmé la Mort ;
Mais, helas ! par malheur, elle n’a point d’oreilles.

[Balet dancé à Hanover, avec les Vers du Sujet] §

Mercure galant, avril 1681 [tome 4], p. 133-200.Article du Mercure d'août 1681 qui signale une reprise des Charmes de l'Amour

Pendant que Monseigneur le Dauphin faisoit préparer le magnifique Balet du Triomphe de l’Amour, qui a servy de divertissement à Leurs Majestez tout le Carnaval, la Cour de Hanover qui imite si galamment toutes les manieres de celle de France, se disposoit à faire paroistre une Mascarade mise en Balet, presque sous le mesme titre. Ce Balet, appellé le Charme de l’Amour, a esté dancé par Madame la Princesse de Hanover, Fille aînée du Duc qui porte aujourd’huy ce nom, à qui elle a voulu témoigner, en luy donnant ce Spéctacle, la joye qu’elle avoit de son retour d’Italie. On avoit feint, pour Sujet de la Mascarade, que l’Amour, ayant promis à Junon qu’il trouveroit un Lieu de plaisir en Terre, assez charmant & assez délicieux pour y retenir Jupiter continuellement aupres d’elle, avoit choisy celuy d’Eurybate aux Frontieres de Lydie. Le reste s’expliquera par les Entrées. Je vay vous les marquer toutes, & ajoûteray selon l’ordre de ces Entrées, les Vers qui conviennent à chacun de ceux qui en ont esté. Madame la Princesse de Hanover parut avec grand éclat en Reyne des Amazones. Messieurs les Princes ses Freres y représentoient l’Amour, un Plaisir Champestre, & deux Princes de Mycene. Parmy les Vers qui furent distribuez à l’Assemblée avec le Sujet de la Mascarade, on y trouva ceux-cy pour Monsieur le Duc de Hanover.

Nous prétendions donner quelque réjoüissance
Au Grand Héros qui regne en cet heureux sejour,
Et c’est luy qui par sa présence
Fait renaître la joye, & la donne à sa Cour.
Pour en combler nos cœurs, c’est assez qu’on le voye,
Son seul aspect nous peut tous réjoüir.
Cependant nostre ardeur s’employe
A luy chercher un bien dont il nous fait joüir.
***
Bien qu’il fasse beau voir nostre aimable Amazone,
Et sa Mere icy-bas digne de plus d’un Trône,
Pres d’un Prince si cher triompher aujourd’huy,
Un amas de Vertus & de Beautez en elles,
En nous les faisant voir si belles,
N’empesche point nos yeux d’estre charmez de Luy.
***
Où pourroit-on jamais trouver rien qui ressemble
Aux biens qu’en sa faveur le Ciel a mis ensemble ?
Il prend le soin de le rendre icy-bas
Le plus heureux Prince du monde,
En luy donnant de grands Etats
Pour y régner dans une Paix profonde ;
Aimé de ses Sujets, utile à ses Voisins,
Et respecté du reste de la Terre,
En état, quand il veut, d’aller porter la Guerre,
Hors de tous ses Païs, & loin de leurs Confins.
***
Mais quand le Ciel le rend aux autres redoutable,
Il le rend pour les Siens un Potentat aimable,
Qui régne plus par sa bonté
Qu’il ne fait par le droit de son autorité.
Mesme aux Sujets qui sont plus loin de sa Personne,
De rendre la justice il sçait venir à bout.
S’il est icy présent, il l’est encor par tout,
Par les sages ordres qu’il donne.
***
Le salut de son Peuple est assuré sur Luy,
Au repos de l’Empire il est un ferme appuy ;
Et si jettant les yeux sur sa haute conduite,
On considere son mérite,
Sa valeur, sa sagesse, & ses autres vertus,
Il est à l’Univers quelque chose de plus,
Puis qu’il est icy-bas, à qui bien le contemple,
D’un parfait Souverain le modele & l’exemple,
Et que son grand courage, & sa rare équité,
Doivent charmer son Siecle & la Posterité,
Pendant que de ces dons sa Personne pourveuë
Nous comble tous les jours du bonheur de sa veuë,
Et que Luy-mesme il fait ce Charme de sa Cour,
Qui n’est pas moins puissant que celuy de l’Amour.
***
Que ne devons-nous point aux bontez d’un tel Maistre,
Alors qu’il se redonne à nos justes desirs,
Et qu’apres les avoir fait naître,
Il vient par son retour les changer en plaisirs ?
Cherchons à nostre tour tout ce qui peut luy plaire
Dans les heures de son repos.
Des divertissemens d’un si digne Héros
Faisons nostre plus grande affaire ;
Et tandis que la Terre & le Ciel sont d’accord
A former le glorieux Sort
Qui doit éterniser son nom & sa mémoire,
Que le zele nous presse, & nous occupe tous
A rendre les momens de son loisir plus doux,
Et le laissons agir pour nous & pour sa gloire,
Nul ne sçait mieux que luy ménager ces deux Points,
Dont il fait ses deux plus grands soins.
***
Si nous n’arrivons pas à l’effet desirable.
Que nous nous sommes proposez,
Nous montrerons du moins, par un effort loüable,
Qu’à tenter tout pour Luy nous sommes disposez.
Ne doutons point qu’il n’ait la complaisance
De recevoir nostre hommage aujourd’huy,
Et d’honorer de sa présence
Un Divertissement que l’Amour fait pour Luy.
Il sçait bien qu’elle est nécessaire
Pour l’accomplissement du bonheur de ces Lieux,
Et que c’est Luy seul qui doit faire
Le Charme de nos cœurs, & celuy de nos yeux.

Ce Sonnet suivoit pour Madame la Duchesse de Hanover. Elle est Tante de Madame, & Fille de Frideric V. Electeur Palatin, qui fut fait Roy de Boheme en 1628.

Vous avez bonne part au Charme de l’Amour,
Sa beauté de la vostre est la parfaite Image ;
Si par Luy l’Eurybate est un heureux sejour,
Tout ce qu’il a de grand est vostre digne Ouvrage.
***
Princes, Dieux, Amazone, en vous rendant hommage,
Reconnoissent assez qu’ils vous doivent le jour.
Chacun d’eux à l’envy croit vous faire sa Cour,
S’il s’empresse à qui mieux fera son Personnage.
***
Ces Héros4, cet Amour5, ce Plaisir innocent,
Le ravissant éclat de ce Charme puissant,
Arresteront les yeux de nostre Grand Auguste.
***
Pour s’expliquer alors en Pere & comme Epoux,
Luy-mesme il vous dira d’un aveu libre & juste,
Que ses plus chers plaisirs sont toûjours avec Vous.

I. ENTRÉE.

L’ouverture du Theatre faisoit découvrir le Lieu champêtre d’Eurybate. On voyoit Mercure descendre du Ciel, & un Concert de doux Instrumens accompagnoit sa descente. Il venoit de la part de Jupiter & de Junon, observer ce qui se passoit à Eurybate, & avertir tous ceux de cette Contrée, que ces deux Divinitez avoient dessein d’honorer de leurs présences ce Lieu de repos & de delices. Apres qu’il eut debité le Sujet de la Mascarade, qu’il jetta en plusieurs endroits du Parterre, il dança seul au son des Violons, & se retira en suite dans un coin, comme voulant remarquer ce qui se faisoit.

Pour Mr Rekau, Gentilhomme du Païs, représentant Mercure.

Je ne fais qu’aller & venir,
Sçavoir ce qui se passe est ma plus grande affaire ;
Mais je serois trop long à vous entretenir.
Cet Ecrit vous dira tout ce que l’on va faire.

II. ENTREE.

Des Trompetes, des Timbales, & des Tambours, ayant commencé à se faire entendre confusément, le Dieu Mars parut au fond du Theatre descendant du Ciel au bruit de tous ces Instrumens militaires, qui cesserent aussitost qu’il fut à terre, & donnerent lieu aux Violons de joüer un Air inquiet qu’il dança. Il venoit dans ce Lieu tâcher de troubler la paix & le repos que l’Amour & Bacchus y établissoient en faveur des Habitans de cette Contrée, mais il y demeura luy-mesme comme enchanté par la force du Charme que l’Amour y avoit déja répandu. Ce Charme avoit la vertu de retenir tous ceux des Dieux & des Hommes qui mettoient le pied sur cette Terre enchantée. Ainsi Mars ne songea plus qu’à y faire bonne chere, qu’à y tenir table, & se divertir à la Dance, mais toûjours avec des marques d’inquiétude pour la Guerre.

Pour Mr de la Chevalerie, Grand Echanson, tenant la Table du Grand Maréchal de la Cour, représentant Mars.

Ce Dieu n’est pas le Mars qui fait mourir,
Chacun peut hardiment le suivre.
Que nul de vous ne craigne de périr,
Car il est le Mars qui fait vivre.
Tel Officier ne manque pas
De trouver à lever du monde,
Parce qu’il fait tous ses Soldats
Chevaliers de la Table-Ronde.

III. ENTRÉE.

L’Amour, suivy de trois Plaisirs champêtres, vint pour présider aux Festes & aux Divertissemens des Habitans d’Eurybate. Il dança, & alla en suite prendre sa place sur un Trône qui luy estoit préparé au fond du Theatre.

Pour Monsieur le Prince Christian, représentant l’Amour.

Avec les doux attraits de la belle Hippolite,
J’ay dans ces Lieux pouvoir de tout charmer.
Sa grace, sa bonté, sa vertu, son mérite,
Forcent tout le monde à l’aimer.
La Beauté rend tout aimable
Aux Mortels, & mesme aux Dieux.
C’est un Charme inévitable
Pour ceux à qui le Ciel donne un cœur & des yeux.

IV. ENTRÉE.

Les trois Plaisirs champêtres dancerent en présence de l’Amour.

Pour Monsieur le Prince Ernest-Auguste, représentant le Plaisir de la Chasse.

Vous ne faites que de naître,
Plaisir petit & charmant,
Et déja vous causez un grand contentement
A ceux qui vous ont donné l’estre.
Vous serez à vostre tour
Ce Dieu qui fait que l’on aime,
Et de Plaisir de l’Amour,
Vous deviendrez l’Amour mesme.

Pour le jeune Baron de Platen, & le jeune Offen, représentans le Plaisir de la Dance, & le Plaisir de la bonne Chere.

De ces Plaisirs innocens
Les charmes sont plus paisibles.
Il en est de plus sensibles,
Mais ceux-cy sont toûjours beaucoup plus engageans.

V. ENTRÉE.

Un Char de Triomphe descendit du Ciel au son des Theorbes, Clavessins, Basses de Violes, Luths, Flûtes douces, & autres Instrumens, & demeura suspendu en l’air. Sur ce Char estoient la Renommée, la Gloire, & la Victoire. La Gloire portoit le Sceptre d’Hippolite Reyne des Amazones ; la Victoire, son Epée ; & la Renommée placée au milieu de ces deux Deïtez, tenoit sa Trompete en main, & se préparoit à publier en tous lieux les exploits, & les grandes qualitez de la jeune & belle Reyne, qui entra par le costé droit, & sortit du coin le plus proche du fond du Theatre, Elle estoit suivie des Princes Euriale & Hylas, Fils du Roy Euristée, & Parens d’Hercule, qu’elle avoit fait ses Captifs dans la fameuse Expédition qu’elle venoit d’achever contre les Mycéniens. Huit Hérauts d’Armes, vétus à la Grecque, la précedoient, publiant au son des Hautbois & autres Instrumens, la venuë de cette triomphante Amazone. Tandis qu’ils se rangeoient des deux costez du Theatre, la Renommée chanta ces Paroles.

Je n’ay pas assez de cent voix
Pour dire tout ce que je vois
De cette jeune & charmante Merveille ;
Et quand je rediray cent fois
Qu’elle est unique & sans pareille,
Je n’ay pas assez de cent voix
Pour dire tout ce que je vois
De cette jeune & charmante Merveille.

LA VICTOIRE.

Sa valeur peut tout gagner,
Rien ne résiste à ses armes.

LA GLOIRE.

Tout doit hommage à ses charmes,
Elle est faite pour régner.

Apres que la Renommée, la Victoire, & la Gloire, eurent chanté, la Reyne Hippolite dança au son des Violons, & s’approcha ensuite des Princes qu’elle affranchit de leurs chaînes. Ils luy firent une profonde revérence pour remercîment de leur liberté. Cependant Hippolite précedée de ses Hérauts, se retira, & entra chez Alciane, principale Bergere d’Eurybate. Le Char de Triomphe se perdit dans les nuës en mesme temps, & l’Amour demeura sur son Trône, environné des Plaisirs champêtres.

Pour Madame la Princesse de Hanover, représentant la Reyne des Amazones.

Elle est le Charme de l’Amour.
L’éclat de sa beauté luy donne un doux empire
Qui retient les cœurs qu’elle attire
Dans cet agreable sejour.
Avec la fierté d’Amazone,
Elle a d’un tendre cœur les charmantes bontez,
Et nous fait voir cent nobles qualitez
Qui la rendent digne du Trône.
Heureux celuy des Potentats
Qui doit donner à ses Etats
La meilleure des Souveraines,
Lors que le Ciel luy donnera
Une Princesse qui sera
Plus belle que toutes les Reynes.

VI. ENTRÉE.

Les deux Princes de Mycene dancerent ensemble, & se réjoüirent de leur liberté, qu’ils croyoient avoir entiere, quand le Charme de l’Amour les retenoit ainsi que les autres dans ce Païs enchanté.

Pour Monsieur le Prince Maximilien, représentant Euryale Prince Captif d’Hippolite.

Quoy que d’une jeune Guerriere
Ce Prince soit le Captif aujourd’huy,
Il n’est point de Beauté si fiere
Qui ne voulust se rendre à luy.

Pour Monsieur le Prince Charles, représentant Hylas, autre Prince Captif d’Hippolite.

Il faut pour une fois céder aux traits vainqueurs
D’un Sexe fier dont je porte les chaînes ;
Mais de ce Sexe un jour je vaincray tant de cœurs,
Qu’ils payeront toutes mes peines.

VII. ENTRÉE.

Alciane, principale Bergere d’Eurybate, accompagnée de Ménalque & de Lysis, les deux plus considérables Bergers de la Contrée, entra au son des Musetes & des Flûtes douces. Elle se réjoüit avec eux de l’honneur que leur Demeure champêtre recevoit de l’arrivée de la Reyne des Amazones, & disposa toutes les choses necessaires à la Feste que les Bergers devoient faire pour divertir cette grande Reyne, qui vouloit honorer de sa présence leurs Dances, leurs Jeux, & leurs Luites. Alciane & ces deux Bergers allerent faire avancer les autres qui devoient assister à cette réjoüissance.

Pour Madame la Baronne de Platen, Grande Maréchale de la Cour, représentant Alciane.

Cette Bergere avec beaucoup d’adresse
A bonne grace, & le pas fin.
Elle n’est point une Déesse,
Et pourtant elle a l’air & le cœur tout divin.
Rien n’égale sa Bergerie,
Où tout est riche, tout est beau.
Rien ne passe en galanterie
Son aimable & noble Troupeau.
Où peut-on voir de conduite plus belle
A servir un grand Souverain,
Que celle du Berger fidelle
Dont elle a le cœur & la main ?
La vie est toute héroïque
De ce beau couple d’Amans ;
Il a l’estime publique,
Elle est l’honneur de nos Champs.

Pour Mr Senfft, Gouverneur de Messieurs les Princes, représentant le Berger Menalque.

Menalque, Berger d’importance,
A de certains Moutons remuans & légers,
Qui sçauront s’écarter malgré sa vigilance,
Et donner du chagrin à beaucoup de Bergers.

Pour Mr de Gohr, Capitaine d’Infanterie, représentant le Berger Lysis.

Lysis, dont l’humeur est volage,
Prenoit plaisir tous les jours à changer ;
Mais depuis que l’Amour par son Charme l’engage,
Il n’est point dans ce Lieu de plus constant Berger.

VIII. ENTRÉE.

Oriane & Amasie, Bergeres jeunes & volages, estant accouruës seules & sans Bergers à la Feste d’Eurybate, dancerent en se prenant quelquefois la main l’une à l’autre. L’Amour qui aime l’humeur volage, quita son Trône, & vint se mettre entre-deux. Elles luy donnerent la main de costé & d’autre, chacune croyant la donner à sa Compagne. L’Amour se retira d’entre-elles, sans en avoir esté apperçeu, & retourna à sa place.

Pour Madame de Meysenbourg, représentant Oriane.

Quand le torrent nous entraîne,
On cede au plus grand effort ;
Mais quand soy-mesme on peut faire choix de son sort,
La liberté vaut mieux que la plus belle chaîne.

Pour Mademoiselle de Grotte, représentant Amasie.

Il n’est point icy de Bergere,
Meilleure, & de plus belle humeur.
On ne la prendra point pour volage & légere,
Quand on connoistra bien son cœur ;
Car enfin c’est la plus sage
Des Bergeres du Village.

IX. ENTRÉE.

Un Satyre vint prendre la place de l’Amour, & dança au milieu des deux Bergeres volages. Elles luy donnerent la main sans y penser, mais l’effroy les prit sitost qu’elles eurent jetté leurs regards sur luy, & elles s’enfuyrent des deux costez du Theatre. Le Satyre s’estant attaché à poursuivre Oriane, luy arracha un petit Miroir qu’elle avoit pendu à sa ceinture. Il dança, & tâcha de se faire beau pour plaire ; mais d’abord qu’il se regarda dans ce Miroir, il ne pût souffrir luy-mesme la laideur de sa figure.

Pour le Sr Jemmes, Maistre du Balet, représentant le Satyre.

Pour Ridicules mal-faisans
On fait passer tous les pauvres Satyres.
Helas ! combien trouve-t-on de Gens pires
Parmy vous autres Courtisans ?

X. ENTRÉE.

Dares & Percas, Païsans, yvres, sortirent de la Taverne du Village, rencontrerent le Satyre, le carresserent, le firent dancer, & apres s’estre joüez de luy quelque temps, ils luy firent une querelle, le poursuivirent à grands coups, & le menerent toûjours batant, jusqu’à ce qu’ils l’eurent perdu de veuë ; apres quoy ils dancerent ensemble d’une maniere tout-à-fait bizarre.

Pour Mr de Bousch Colonel des Gardes, & Mr Possadofsky Ecuyer-Tranchant de la Cour, représentant les Païsans yvres.

Chacun a son plaisir dans ce Lieu délectable.
Le nostre est de vuider Bouteille, Verre & Pot,
Et d’estre jour & nuit à table,
Sans avoir soin de payer nostre écot.

XI. ENTRÉE.

Le Dieu Bacchus que l’on vit sortir de la Taverne sur son Tonneau, traîné par six Satyres joüans de la Flûte, se réjoüit de trouver les Païsans en cet état, leur donna encor à boire, & dança avec eux ; mais quand il voulut compter la dépense qu’ils avoient faite, ils s’enfuyrent, en faisant mille grotesques postures. Bacchus ; apres avoir dancé seul, témoigna à l’Amour qu’il n’avoit point de plus fort desir que de contribuer à l’Enchantement de ce Dieu, par l’abondance de son Vin, qui est un Charme assez doux pour toutes sortes de Personnes dans un Lieu champêtre. Il vint pour percer son Tonneau ; mais le Dieu Pan, qui l’avoit pris, estant yvre, pour l’Arbre sacré dans lequel il avoit accoûtumé de se retirer, sortit du Tonneau tout réjoüy. Cette méprise avoit fait que les Satyres qui font une fidelle escorte à leur Dieu par tout où il est, s’estoient attachez à traîner le Tonneau de Bacchus, où ils sçavoient que Pan s’estoit enfermé. Ce Dieu des Sylvains & des Bergers, invita tous les Habitans des Bois, des Eaux & des Montagnes de cette Contrée, à publier la grandeur du Nom de Monsieur le Duc Erneste-Auguste, Souverain du Païs, & à préparer pour ce grand Prince, qu’ils reconnoissoient pour le Maistre de leurs Demeures champêtres, tous les Divertissemens capables de le retenir dans ce Lieu délicieux. Voicy les Paroles qu’il chanta.

Pendant que les autres Dieux
S’empressent tous à qui montrera mieux
Leur soûmission éternelle
Pour le Souverain des Dieux ;
  Troupe fidelle,
  Montrez vostre zele
Pour le Héros qui régne dans ces Lieux.
  Oreade, & Naïades,
  Faunes, Sylvains, & Dryades,
Faites que par tout dans ces Bois,
Sur vos doux Chalumeaux, Musetes, & Hautbois,
On entende le Nom du Grand Erneste-Auguste.
  Il n’est rien de si juste,
Que chaque Etat, soit divin, soit humain,
Reconnoisse son Souverain.

Plusieurs Faunes & Sylvains, Oreades, Naïades, & Dryades, estant accouruës de toutes parts à la voix de Pan, luy rendirent une prompte obeïssance, en chantant ces Vers.

Il n’est rien de si juste,
Que chaque Etat, soit divin, soit humain,
Reconnoisse son Souverain.
Vive le grand Erneste-Auguste.
Allons graver ce Nom sur tous ces Arbres verds,
Afin que par nos soins leurs Habitans divers
  Puissent connoistre
  Qu’il est leur Maistre,
  Et qu’ils sont ses Sujets.
Que sur nos Chalumeaux, Musetes, Flageolets,
On entende le Nom du Grand Erneste-Auguste.
  Il n’est rien de si juste,
Que chaque Etat, soit divin, soit humain,
Reconnoisse son Souverain.

Aussitost que le Dieu Pan eust témoigné par son chant & par sa joye, qu’il estoit de concert avec l’Amour dans le dessein de son Charme, il le laissa maistre de la Place où se devoit celébrer la Feste des Bergers d’Eurybate, & reconduisit Bacchus dans sa Taverne, en dançant au milieu de ses Satyres.

Pour Mr de Batincourt, Gentilhomme de la Cour, représentant Bacchus.

Avoüez, sans mon Jus divin,
Que tous vos plaisirs seroient fades,
Et qu’enfin ce seroit vous traiter en Malades,
Que vous priver de l’usage du Vin.

Pour le Sr Jemmes, Maistre du Balet, représentant le Dieu Pan.

Je voudrois avoir du retour,
Si je changeois mon estre & ma figure
  Avec la plus belle posture
Du Cavalier le mieux fait de la Cour.

XII. ENTRÉE.

L’Amour dança seul une espece de Ménüet pour commencer la Feste des Bergers, tandis que les Bergeres Alise, Doris, & Aminte, entrerent du costé droit du Théatre, & que les Bergers Mélinte, Licidas, & Damis, entrerent de l’autre. Ils montrerent tous leur admiration pour l’Amour, qui passa au milieu d’eux pour retourner sur son Trône. Alors cette Troupe Pastorale commença une Dance en l’honneur de l’Amour, apres s’estre tournez tous de son costé, & s’estre en mesme temps inclinez devant luy en signe de venération.

Pour les trois Bergers, tous trois Officiers de Guerre.

Il est malaisé de changer
Nostre air de Commandant, & nos demarches fieres.
Pourtant avec de si belles Bergeres
On s’accoûtumeroit à faire le Berger.

Pour les trois Bergeres.

Nous sommes trois jeunes Fieres,
Qui ne nous soucierions guéres
Chacune d’ataquer à la Luite un Berger ;
Nous luy ferions courir la moitié du danger.

Pour Mr Veyhe, Lieutenant Colonel des Gardes, représentant le Berger Melinte.

D’attaquer mes Moutons jamais Loup ne hazarde,
Ils sont dressez, & vont fort bien aux coups.
A tous autres Troupeaux ils serviroient de garde,
Car sans-doute ils batroient pareil nombre de Loups.

Pour Mr Bulau, Capitaine-Lieutenant de la Garde du Palais, représentant le Berger Damis.

Pour me débarasser de toute autre conduite
Que de celle d’un fier Troupeau,
Je cherche une Bergere adroite & de mérite,
A qui je veux donner le soin de mon Hameau.

Pour Mademoiselle Gehle l’aînée, Premiere Fille d’honneur de Madame la Duchesse de Hanover, représentant la Bergere Alise.

Chacun me dit que Ménandre
Est un aimable Berger,
Qu’il m’aime d’un amour tendre
Qui ne peut jamais changer ;
Mais encor qu’il m’ait dit sa passion luy-mesme,
  Cela doit-il m’alarmer ?
Quand nous sçaurons comment il aime,
Nous verrons s’il faudra l’aimer.

Pour Mademoiselle Gehle la jeune, autre Fille d’honneur, représentant la Bergere Doris.

Je me plais sur la Fougere
D’estre seule tout le jour,
Et suis trop jeune Bergere
Pour me connoistre à l’amour.
Mais si quelque Berger me vient dire luy-mesme
Que pour moy le sien est extréme,
Cela doit-il m’alarmer ?
Quand nous sçaurons comment il aime,
Nous verrons s’il faudra l’aimer.

Pour Mademoiselle Bulau, Fille de feu Mr le Président Bulau, représentant la Bergere Aminte.

Bergere si belle & si sage,
Sans balancer davantage,
Devroit enfin s’engager.
A dix-huit ans on a l’âge
De faire un fort beau ménage
Avec un jeune Berger.

XIII. ENTRÉE.

La Reyne Hippolite, & les Princes de Mycene, voulant estre de la Partie, & se signaler à la Dance, aux Jeux, & à la Luite des Bergers & des Bergeres, entrerent au son des Flûtes douces, Hautbois, Violons & autres Instrumens de réjoüissance. Alciane entra aussi avec Ménalque, & les deux Bergers volages, pour faire les honneurs du Lieu. Elle se plaça avec sa Suite dans le fond du Theatre ; & les autres Bergers & Bergeres, se rangerent des deux costez pour faire place à Hippolite, à Euryale, & à Hylas. Apres que cette belle Amazone eut dancé avec les deux Princes, au milieu de toute cette Troupe de Bergers & de Bergeres ; le Dieu Mars qui ne cherche qu’à troubler par tout la Feste, annonça au bruit des Tambours, Timbales & Trompetes, la venuë d’Hercule dans Eurybate. Une alarme si impréveuë, causa trois effets forts diférens. Les Bergers & Bergeres prirent la fuite, & se disperserent des deux costez du Theatre. Hippolite apprenant que son Ennemy capital estoit si proche, courut aussitost aux Armes. Les Princes de Mycene ayant demandé les leurs, fort incertains du party qu’ils devoient prendre, estant obligez à tous les deux, allerent avec la Reyne à la rencontre d’Hercule, & l’Amour quitta son Trône pour les suivre, & remedier à ce tumulte.

XIV. ENTRÉE.

Pendant ce temps, Mars dança seul au milieu de quatre Soldats, Artabase, Orondas, Pharasmane, & Harpage, qui sortirent des deux costez du Theatre ; apres quoy, il alla s’assoir à la place que l’Amour avoit quittée, & laissa dancer ses quatre Guerriers.

Pour les Soldats de Mars, Gentilshommes de la Cour.

Bien qu’avec Mars à table il soit beau de s’assoir,
Et que nous nous fassions un honneur d’y bien boire ;
De combatre encor mieux chacun de nous fait gloire,
L’occasion le fera voir.

XV. ENTRÉE.

Les quatre Soldats de la Suite de Mars, firent connoistre en dançant, la joye qu’ils avoient de la venuë d’Hercule, espérant bientost une occasion de Guerre, de ce Conquérant, qui l’alloit porter dans tout le Monde.

Pour Mr de Pousch, Colonel des Gardes, représentant Artabase, Soldat de Mars.

Ce n’est par aucune disgrace
Que je deviens de Colonel, Soldat.
Le Charme de l’Amour m’a mis en cet état ;
L’Enchantement finy, je rentre dans ma place.

Pour Mr Possadofsky, Ecuyer-Tranchant de la Cour, représentant Harpage, Soldat de Mars.

Ce jeune Soldat, sans railler,
Mérite une Charge plus grande ;
Car il sçait tout couper, & trancher, & tailler,
Quand l’occasion le demande.

Pour Mr le Comte de Noyelle, représentant Pharasmane, Soldat de Mars.

Sans me faire tenir à quatre,
Et sans vouloir passer pour un Soldat cruel,
Qu’on m’attaque, on verra si je sçay bien combatre
En toute sorte de Duel.

Pour Mr de S. Pol, Lieutenant Colonel d’Infanterie, représentant Orondas, Soldat de Mars.

Ce Soldat sçait parler & faire,
En Homme de cœur & d’esprit ;
Et mesme, s’il est necessaire,
Il fait encor plus qu’il ne dit.

XVI. ENTRÉE.

Hercule, retournant de ses Expéditions de Gaule & d’Espagne, accompagné de deux Chevaliers errans de l’une & de l’autre de ces Nations, vint à Eurybate, où il croyoit surprendre Hippolite, & retirer de captivité les deux Princes de Mycene ; mais il les trouva en liberté, & sçeut qu’ils en avoient l’obligation à la genérosité de la Reyne des Amazones. Ce grand Héros, rendant justice à la vertu de son Ennemie, quitta tout sentiment de haine pour elle. Ainsi le Charme de l’Amour, l’ayant arresté comme tous les autres dans ce Lieu de plaisirs, il ne songea plus qu’à s’y délasser de ses longs travaux, oubliant tous ses Combats passez avec cette charmante Amazone, & toute entreprise nouvelle. Il dança seul, & se retira au fond du Theatre, avec ses deux Chevaliers errans à ses costez. Mars descendit du Trône où il s’estoit mis, & se joignit à ce Héros qu’il invita à se divertir, & à faire bonne chere, en attendant de nouvelles occasions de Guerre. En mesme temps, les quatre Soldats s’allerent placer de l’un & l’autre costé de cette Troupe, & ils parurent tous de face au fond du Theatre.

Pour Mr le Comte de Schaumbourg, représentant Hercule.

Je me suis mis plus d’une fois
En toute sorte de figures.
Icy je suis un Hercule Gaulois,
Mais pourtant Grec aux bonnes Avantures.

Pour Mr de Gohr, Capitaine d’Infanterie, représentant un Chevalier errant Gaulois.

En amour, non plus qu’en vaillance,
Je ne cede à pas-un Mortel ;
Et je suis un Chevalier tel,
  Qu’à la pointe de ma Lance,
  Malgré cent Géans divers,
Je prétens conquérir moy seul tout l’Univers.

Pour Mr Senfft, Gouverneur de Messieurs les Princes, représentant un Chevalier errant Espagnol.

Par la vertu de l’Armet de Mambrin,
Et de ma belle & forte Armure,
J’entreprens, & veux mettre à fin
Toute étrange & rare Avanture.

XVII. ENTRÉE.

Hippolite, précedée par l’Amour & par ses Plaisirs champêtres, & accompagnée des deux Princes de Mycene, entra au son des Luths, Theorbes, & Violons, & ayant présenté ces deux Princes à Hercule, elle les remist entre ses mains, afin qu’il les remenast dans leur Païs. Alciane de son costé, suivie des autres Bergers & Bergeres dont l’Amour avoit dissipé la crainte, vint prendre part à la joye, que causoit à tout le monde la paisible entreveuë d’Hercule avec Hippolite. Ensuite l’Amour dança un Ménüet au milieu des Plaisirs, & alla trouver Mercure pour luy donner ordre de remonter au Ciel, & d’y porter la nouvelle de ce grand accord entre deux Personnes si ennemies.

XVIII. ENTRÉE.

La Reyne des Amazones dança avec les deux Princes. Sa dance finie, Hercule luy présenta les deux Fils du Roy Euristée, & cette action de genérosité fit naître une parfaite reconciliation entre ce Héros, & cette belle Amazone. Pendant que tout cela se passoit, la Concorde parut au milieu des Airs, assise sur un Arc-en-Ciel, & chanta ces Paroles.

Tout est soûmis au Charme de l’Amour ;
La douce Loy de son Empire,
Dans un parfait accord tient tout ce qui respire.
Soit aux Champs, soit à la Cour,
Tout est soûmis au Charme de l’Amour.

XIX. ENTRÉE.

Les Chevaliers errans, qui à la premiere veuë d’Alciane s’estoient sentis portez à l’aimer, dancerent & se batirent pour elle en présence de l’Assemblée, chacun prétendant à l’honneur de se dire son Chevalier ; mais apres qu’ils eurent fait preuve de leur valeur à la Dance & au Combat, l’Amour les condamna tous deux à un bannissement perpétuel, dans la juste appréhension qu’il eut que les Chevaliers errans de deux Nations si opposées en toutes choses, telles que sont la Gauloise & l’Espagnole, n’excitassent des désordres, qui pussent servir d’obstacle au dessein qu’il avoit fait de retenir le Maistre des Dieux aupres de Junon, dans le lieu délicieux d’Eurybate.

XX. ENTRÉE.

Un Scaramouche curieux de voir la Feste, entra, & fit mille plaisantes & agreables postures, au milieu de cette illustre Assemblée.

Pour Mr de Bonnefond, Capitaine Reformé, représentant un Scaramouche.

J’ay mes Congez en bonne forme.
J’ay passé cent dangers sans estre estropié ;
Et malgré toute la Réforme,
Je suis encor un Scaramouche en pié.

DERNIERE ENTRÉE.

Mercure venu du Ciel de la part de Jupiter & de Junon, pour sçavoir ce qui se passoit dans cet endroit de la Terre, leur alla dire du consentement de l’Amour, que tout estoit prest pour les recevoir dans Eurybate. Il leur apprit la reconciliation d’Hercule avec Hippolite, dont le Dieu Pan porta aussi la nouvelle à tous les Habitans de ses Bois. L’Amour, comme le Maître de ce Lieu, y demeura. Mars invita toute cette Troupe à venir faire bonne chere à sa table, & Bacchus promit de régaler l’Assemblée des meilleurs Vins de la Terre. Un Inconnu, & une Inconnuë, entrerent parmy la foule, & par leur maniere extraordinaire de dancer divertirent fort les Spéctateurs.

Pendant toutes ces rencontres impréveuës, le jour estant venu sur son déclin, on remit au lendemain les Jeux & la Luite, & on se contenta pour cette fois de la Dance des Bergers. Ainsi le Balet finit, & chacun se retira au Hameau, où par un magnifique Repas, on donna à tout ce beau monde, le plaisir le plus necessaire à l’accomplissement du Charme de l’Amour.

Je ne doute point, Madame, que vous ne soyez surprise de voir qu’il se trouve en Allemagne des Muses Françoises aussi polies que l’est celle qui a inspiré les Vers que l’on a meslez parmy ces Entrées. Ils sont aisez, naturels, & dignes du grand Spéctacle dont ils ont servy à expliquer le Sujet. Tout fut magnifique dans cette Feste ; & si l’on y admira la richesse des Habits, elle n’eut pas moins dequoy satisfaire par la beauté de la Symphonie & de la Musique.

Air nouveau §

Mercure galant, avril 1681 [tome 4], p. 200-201.

Il est juste, apres vous avoir parlé de Chants, de fournir à vôtre voix le moyen de s’exercer. Vous le trouverez dans les Paroles qui suivent, notées par un sçavant Maistre.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Hastez-vous, hastez-vous, doux Printemps, doit regarder la page 200.
Hastez-vous, hastez-vous, doux Printemps,
Renaissez, paresseux feüillage.
Petits Oyseaux, recommencez vos chants.
Que tout soit gay dans ce Bocage.
Echos, redites tour-à-tour
Les plaisirs qui suivent ma peine,
Et que la jeune Célimene
Partage enfin tout ce que j’ay d’amour.
images/1681-04_200.JPG

[Mort du Chevalier de Mesmes]* §

Mercure galant, avril 1681 [tome 4], p. 205-208.

Mr le Chevalier de Mesmes, qui possedoit les Abbayes de Vauleroy & de Humbye, estant mort à Rome, Mr de Mesmes son Frere, Président à Mortier, les a obtenuës pour Mr l’Abbé de Mesmes son Fils. Vous sçavez, Madame, que Mr le Président de Mesmes a toûjours eu un tres-fort attachement pour le service de Roy, qu’il estoit Lecteur de Sa Majesté avant qu’il exerçast la Charge de Président à Mortier, qu’il a infiniment de l’esprit, qu’il est de l’Académie Françoise, & qu’estant tres-obligeant, il joint à la gravité de Magistrat, l’air doux & affable, qui est de son caractere. Mr le Chevalier de Mesmes estant mort à Rome, tous les Benéfices qu’il possedoit, quoy que situez en France, devoient estre à la Nomination du Pape. Cependant il avoit eu la précaution, en y arrivant, de demander un Bref à Sa Sainteté, par lequel Elle consentoit qu’ils demeurassent à la Nomination du Roy, s’il arrivoit qu’il mourust à Rome. Ce Bref luy fut accordé, & c’est par là que Sa Majesté en a pourveu le jeune Abbé son Neveu. Elle l’a fait de cette maniere engageante qui gagne les cœurs, & dont ceux à qui l’on donne sont plus touchez que du Présent qu’on leur fait.

[Lettres en Proverbes] §

Mercure galant, avril 1681 [tome 4], p. 211-220.

Je vous envoye une Lettre dont la lecture vous donnera du plaisir. Elle est toute de Proverbes. S’il n’y a rien qui soit moins du bel usage, que d’en mesler quelques-uns dans la conversation, rien n’est aussi plus réjoüissant que d’en faire un jeu qui forme un discours suivy. Il y a quelques années qu’on s’écrivoit ainsi à la Cour, & les Billets conçeus en ce stile y estoient fort estimez. Cette Lettre est d’une jeune Personne, aussi aimable par son esprit que par sa beauté. Elle est adressée à Mr Guyonnet de Vertron, Chancelier perpétuel de l’Académie Royale d’Ardres, & servira de modelle à ceux qui voudront se divertir à en faire de semblables.

LETTRE DE MADEMOISELLE ***

A Tous Seigneurs, tous honneurs. Bonjour pour demain, la journée n’est pas passée. Sans mentir, me voicy plus embarrassée qu’une Poule qui n’a qu’un Poussin ; car, mon cher Amy, ce n’est pas un Couteau aisé à tirer de sa guaîne, que de vous écrire en Proverbes. Je prendrois aussitost la Lune avec les dents. Je sçay qu’il faut charier droit avec vous, & que vous n’estes pas de ces Niais de Soulogne, qui se trompent à leur profit. Il vous faut de la Marchandise de Paris, où il n’y a que nicter ; mais en faisant de son mieux, on en est quite. Je vous diray donc autant en un mot comme en cent, car il n’en faut qu’un bon & qui serve, que pour revenir à nos Moutons, à Brébis tonduë Dieu luy mesure le vent, aussi-bien qu’à Brébis comptées souvent le Loup en prend une. Mais il souvient toûjours à Robin de ses Flûtes. Dites-vous vray, quand vous m’assurez que mon absence ne vous plaist point ? car entre nous, a beau mentir qui vient de loin. Pour moy je vous avouë, qu’apres vostre départ, je demeuray plus penaude qu’une Fondeuse de Cloche, & je disois sans cesse, Helas, les jours se suivent, & ne se ressemblent pas. Il a bien plu sur ma Mercerie. Je n’ay plus laine du premier Drap, & je crains bien d’avoir mangé mon Pain blanc le premier. J’estois avec mes Amis comme le Poisson dans l’eau, & le Rat en paille, & maintenant je ne sçay plus de quel Bois faire Fleche. Ce qui me console, l’on m’a promis de revenir ; mais promettre & tenir, c’est tout ce qu’un Homme de bien peut faire, & je ne connois que trop, que qui s’éloigne de l’œil, s’éloigne du cœur. Cependant si vous y manquiez, je vous répons que je crierois plus haut apres vous qu’un Aveugle qui a perdu son Baston, & je ne sçay mesme si je ne jetterois point le Manche apres la Coignée ; mais ce seroit tomber de fiévre en chaud mal. Il vaut donc mieux, contre fortune bon cœur, que d’estre triste comme un Bonnet de nuit sans Coiffe. Cent ans de mélancolie ne payeroient pas un sol de mes Debtes. En verité, vous auriez grand tort, si vous ne songiez non plus à moy qu’à vos vieilles Bottes ; mais à bon Chat, bon Rat ; & si vous me donniez des Pois, je vous rendrois des Féves. L’on ne perd rien à Marchand qui étalle. Je ne batrois pas longtemps les Buissons, si les Oyseaux estoient pour d’autres. Je ne suis pas accoûtumée à tirer ma Poudre aux Moineaux ; & si vous me mettiez au nombre des péchez oubliez, je vous aurois bientost planté là pour reverdir. Ce n’est pas à moy à qui il faut vendre ses Coquilles. Il n’est que Changeur pour se connoître en Monnoye. Fin contre fin n’est pas bon à faire doublure ; mais je suis peut-estre comme les Anguilles de Melun, qui crient avant qu’on les écorche. Je veux donc croire que vous m’aimez comme vos petits boyaux, & que vous estes peut-estre plus proche de Sainte Larme que de Vendosme, de ne me plus voir ; mais il ne faut pas se desespérer pour une mauvaise année. Apres la pluye viendra le beau temps, & vous pourrez revenir cuire à nostre Four. Cependant me voicy au bout de mon rôlet. Je ne bats plus que d’une aîle. Je me retire donc avec ma courte honte, quoy que je croye avoir assez bien dit pour avoir une Image ; mais je prétens de cecy faire d’une pierre deux coups, & que ce soit autant pour vostre Amy que pour vous. Je sçay que vous estes deux testes dans un Bonnet. Ainsi qui toque l’un, toque l’autre. Cependant il faut finir, en vous disant comme le Roy Dagobert à ses Chiens, il n’y a si bonne Compagnie qui ne se quitte. Bonjour & adieu, il n’y a point de tromperie. En voila assez pour le prix de vostre argent. Payez-moy en mesme monnoye. Il vaut mieux un tien que deux tu l’auras. Adieu, mon cher Amy.

[Panégyrique du roi, par M. Guyonnet de Vertron]* §

Mercure galant, avril 1681 [tome 4], p. 220-221.

Vous eussiez veu la Réponse de Mr Guyonnet de Vertron, s’il n’eust esté occupé par les Ouvrages qu’il a eu l’honneur de présenter à Leurs Majestez, à Monseigneur le Dauphin, & à Madame la Dauphine. Sa modestie, qui n’a point encor souffert qu’il les ait rendus publics, n’a pû empescher qu’on n’en ait parlé avec éloge dans le Journal des Sçavans. Ces Ouvrages sont des Panégyriques du Roy en plusieurs Langues, sur des Sujets diférens ; un Dictionnaire Historique des Conquestes de Sa Majesté ; & L’excellence du beau Sexe, sous le nom de la Minerve Dauphine.

[Tout ce qui s’est passé à l’Académie Françoise à la Reception de M. Le President] §

Mercure galant, avril 1681 [tome 4], p. 221-252.

Je vous ay appris la mort de Mr Patru, l’un des Quarante qui forment le Corps de l’Académie Françoise. Cette Compagnie devant donner cette Place à une Personne qui eust le mérite necessaire pour la remplir, y a travaillé avec succés. Elle n’estoit pas obligée de faire ce choix parmy ceux du premier Rang, comme elle a fait en plusieurs rencontres ; mais quand on voit un grand Homme en qui l’esprit est joint à la dignité, & qu’il y est joint avec tant d’éclat, qu’on peut dire mesme qu’il la surpasse, ces Messieurs pouvant satisfaire en mesme temps à l’intérest de leur gloire & à leur justice, ont grande raison de le préferer à ceux que l’esprit seul feroit aspirer à cet honneur. Ainsi loin d’estre surpris qu’ils ayent choisy Mr de Novion Premier Président, tout le monde devoit croire que des Esprits si éclairez feroient ce grand choix. Ils ont deû le faire, & ils l’ont fait. Je vous ay déja parlé en beaucoup d’occasions de ce digne Chef du premier Sénat du Monde. Son mérite est si connu, qu’il me seroit inutile de rien dire icy de ce qui est sçeu de toute la France. Quelques jours apres son élection, que l’on fit tout d’une voix, celuy de sa Reception fut arresté pour le Jeudy 27. de Mars. L’Assemblée ne fut pas seulement nombreuse, mais des plus illustres, par le grand concours des Personnes de la premiere qualité qui s’y trouverent. Mr de Novion parla le premier, suivant la coûtume de ceux qu’on reçoit. N’attendez pas qu’en vous apprenant quelque chose de ce qu’il dit, je vous l’apprenne dans ses mesmes termes. A peine vous en pourray-je donner une foible idée. Ses discours, quoy que fort peu étendus, sont si remplis de pensées, & d’un stile si serré, que l’avidité qu’on a de les retenir, fait que la mémoire s’embarrasse en s’attachant à trop de choses tout-à-la-fois ; mais s’il parle peu, il ne laisse pas de dire beaucoup, tant chaque mot est employé avec force. Il fit d’abord connoistre à l’Académie, qu’il devoit le commencement de sa fortune à l’Illustre Fondateur de ce Corps celébre, parce qu’il avoit presté la main à ses Ancestres pour monter aux Dignitez ; & qu’ainsi, en le choisissant, elle ne faisoit qu’honorer la mémoire du Grand Cardinal de Richelieu. Il se servit d’une pensée toute brillante pour loüer l’Esprit, parce que c’est la partie la plus essentielle pour estre admis à l’Académie. Il dit, Que la langue d’Ulysse avoit plus nuy aux Troyens, que n’avoient fait les armes d’Ajax. C’est faire voir en peu de paroles, que l’Esprit triomphe de tout, & que mesme la Valeur est contrainte à luy céder. Apres avoir dit obligeamment, en parlant de l’Académie, Que ce qu’il apprendroit dans ce Corps luy serviroit pour les Discours qu’il auroit à faire dans le Temple de la Justice, il finit par une tres-belle pensée, qui faisoit entendre, qu’Hercule s’estant fait Citoyen de Corinthe, tout le monde pouvoit l’estre. En effet, Madame, le Roy estant en quelque façon de l’Académie, puis qu’il a bien voulu agréer le Nom de son Protecteur, on peut dire que ce rang n’est au dessous de personne.

Le Directeur & le Chancelier estant absens, ce fut sur Mr de Mezeray, qui est Secretaire perpétuel de la Compagnie, que tomba l’Employ de répondre à Mr le Premier Président. Il dit, Qu’il avoit douté d’abord s’il le devoit accepter, à cause d’une indisposition qui l’avoit mis depuis quelques jours dans une grande foiblesse ; mais qu’il s’estoit aisément persuadé que le Génie immortel dont l’Académie avoit toûjours esté animée, ne l’abandonneroit pas, & luy pourroit inspirer des choses qui ne seroient pas tout-à-fait indignes d’une si glorieuse Journée ; Que l’honneur de la présence de Mr le Premier Président ne pouvoit moins faire que rassurer sa timidité, & fortifier sa voix ; Qu’il devoit peu craindre de manquer de hardiesse & de parole dans une si belle occasion, où sa seule veuë luy présentoit les pus grandes choses ; Qu’il sçavoit bien que ce seroit estre témeraire, de les vouloir toutes renfermer dans un espace aussi borné que celuy de son Discours ; mais qu’au moins on pouvoit les comprendre éminemment dans ces deux mots, que son mérite extraordinaire & les importans & longs services rendus par luy à l’Etat, luy avoient acquis les bonnes graces du plus grand & du plus sage des Roys, & qu’il luy en avoit donné la plus glorieuse marque qu’il pust souhaiter, & qui luy estoit destinée depuis longtemps par les vœux publics ; Que dans la Charge de Premier Président, l’une des plus nobles émanations de l’Autorité Souveraine, qui préside à tout ce qu’il y a de plus grand dans l’Etat, il n’estoit pas seulement réveré comme le Dispensateur des Loix, & le Chef du Premier Parlement de ce Royaume, mais qu’il estoit encor consideré comme la regle certaine & le parfait modelle de l’Eloquence Françoise ; Que les plus grands Maistres qui s’estoient souvent trouvez à ses Actions publiques, avoüoient tout d’une voix qu’il n’y avoit jamais rien eu de plus ingénieux pour l’invention, de plus juste pour l’ordre & pour la méthode, de plus puissant pour le raisonnement, de plus élegant & de plus poly pour le langage ; Qu’ils disoient que c’estoit un Fleuve délicieux, dont les eaux toûjours claires couloient de source, & arrosoient doucement sans inonder. Il parla en suite de la satisfaction que l’Académie auroit de participer à tant de trésors ; & apres avoir fait connoistre qu’ayant esté établie pour embellir nostre Langue, elle s’estoit parfaitement acquitée de ses devoirs, en aplanissant, pour ainsi dire, les rides de son visage, & luy donnant l’embonpoint d’une agreable jeunesse, il ajoûta, Que dans la perfection où la Compagnie l’avoit mise, elle se trouvoit non-seulement en état d’enseigner toutes les Sciences Divines & Humaines, mais qu’elle estoit devenuë capable de publier d’un ton plus haut, & en termes plus magnifiques, les héroïques Vertus, & les Actions miraculeuses du Roy ; Qu’elle pouvoit maintenant, sans trop de temérité, entreprendre d’écrire son Histoire avec plus de relief & d’éloquence, que jamais les Grecs ny les Romains n’avoient écrit l’Histoire de leurs Héros ; Qu’en publiant le nombre incroyable de ses Conquestes, elle pouvoit raconter comme des Ramparts qui sembloient n’avoir à craindre que la colere du Ciel, estoient tombez presque au seul bruit de ses Trompetes ; comme cent Forteresses vainement entassées les unes sur les autres, avoient esté réduites en poudre à ses approches ; comme il avoit dissipé cette Ligue à tant de testes, qui croyoit donner tant d’épouvante ; comme il avoit planté ses Trophées partout où ses Etendards avoient paru ; & enfin comme il avoit poussé, batu, & humilié, toutes les fieres Puissances qui luy vouloient resister. Il poursuivit, en disant, Qu’il ne falloit pas toûjours regarder cet Arbitre de la Terre du costé qu’il estoit armé de Foudres, & qu’il faisoit marcher la Terreur devant luy ; Qu’il n’y avoit pas moins de plaisir de le regarder par le costé qui avoit plus de brillans que d’éclairs, & qui charmoit doucement la veuë sans l’effrayer ; Que l’on y voyoit des qualitez qui n’estoient pas moins adorables, & qui le faisoient encor plus ressembler à Dieu dont il estoit la plus excellente Image ; Qu’il entendoit, par ces adorables qualitez, cette grandeur d’ame, cette immense étenduë de conduite, qui connoist, qui embrasse, qui ordonne toutes les Affaires de son Etat, qui d’un coup d’œil pénetre le présent & l’avenir, & qui sur cela fait mouvoir tous ses ressorts ; Que ces mesmes qualitez devoient encor faire entendre cette solidité de jugement, qui paroist dans toutes ses actions & dans tous ses discours ; cette affabilité pleine d’attraits ; cette liberalité inépuisable, qui donne avec profusion, mais avec discernement, qui prévient les desirs, & comble les espérances ; cette genéreuse passion de faire refleurir les beaux Arts ; & enfin une sage & héroïque modération, connuë à peu d’autres Souverains, & qui n’a jamais esté la vertu des Conquérans ; Que c’estoit par là que renonçant à ses propres interests, & s’imposant à Luy-mesme les Loix que toute la Terre n’eust osé luy proposer, il avoit joint ensemble les Titres de Tres-Puissant & de Tres-Juste, de Triomphant & de Pacificateur, de Vainqueur & de Clément ; Que c’estoit par là que sans descendre de la hauteur de son Trône, il avoit trouvé le moyen de se faire aimer autant qu’il est redouté, & d’imprimer cette croyance dans tous ceux qui ont l’honneur d’approcher de sa Personne, qu’avec les qualitez presque divines d’un Grand Roy, il possedoit dans le suprême degré celle du plus honneste Homme de son Royaume ; Que pour comble de sa gloire, il n’ostoit redevable de ces rares perfections qu’à ses propres soins, qu’à ses refléxions continuelles ; Que s’estant formé Luy-mesme, il estoit son veritable Ouvrage, & le plus accomply de ses Ouvrages ; & qu’on pouvoit dire avec verité, que c’estoit Loüis Quatorzieme qui avoit fait Loüis le Grand tel que nous le voyons, & que toute l’Europe l’admire ; Que ny le Pinceau, ny le Butin, n’estant point capables de bien exprimer de si grands traits, & ce qui est purement spirituel devant estre l’objet des pures productions de l’Esprit, c’estoit à Mrs de l’Académie à travailler sans relâche à un si noble dessein, à n’y épargner ny leur industrie ny leurs veilles ; & que la plus glorieuse récompense qu’ils se pûssent proposer leur estoit seûre, puis que le seul nom de Loüis le Grand donneroit l’immortalité à leurs Ouvrages. Il finit en assurant Mr le Premier Président, au nom de ceux pour qui il parloit, qu’ils n’avoient jamais reçeu plus de gloire & d’avantage que dans cette occasion, & qu’ils chercheroient à luy donner tous les témoignages possibles de l’extréme passion qu’ils avoient de l’honorer, & de le servir.

Cette réponse fut fort applaudie. On ne pouvoit moins attendre de Mr de Mézeray, qui est profond en toute sorte d’érudition. Mais ce n’est pas seulement par là qu’il est fameux. Il l’est encor par une probité souvent éprouvée, par une fidelité inébranlable pour ses Amis, & par un amour si grand pour la verité, qu’aucune considération n’a jamais esté capable de luy faire prendre un autre party. Il nous a donné l’Histoire d’une façon qui jusqu’à luy avoit esté inconnuë en France. On y admire des traits recherchez soigneusement & bien prouvez, & avec cela beaucoup de solidité de raisonnement. On attend de luy des Ouvrages tres-curieux, & d’une fort grande utilité pour tout le monde, mais particulierement pour les Gens de Lettres. Apres qu’il eut cessé de parler, il demanda selon la coûtume, s’il n’y avoit point d’Académicien qui eust quelque Ouvrage à lire. Mr de Benserade dit qu’il travailloit à mettre des Heures en Vers pour Sa Majesté, & apres en avoir lû plusieurs Pseaumes qui furent trouvez tres-beaux, & par eux-mesmes, & par l’agreable maniere dont il les lût, il vint à l’Exaudiat. Tout le monde donna de grandes loüanges à cette Traduction, & on remarqua avec plaisir que les deux Versets qui finissent chaque Pseaume, estoient tous traduits diféremment. Comme on approchoit du temps le plus saint, cette rencontre fut cause qu’on lût plusieurs Ouvrages de devotion. Mr Boyer imita en cela Mr de Benserade, & fit voir un Miserere en Vers François, qu’on trouva tres-beaux, & fort bien tournez. Mr Charpentier changea de matiere, & lût un Chapitre d’un Livre de sa composition qu’on va imprimer, & qui est la suite d’un autre que vous avez déja veu, qui porte pour titre, Défense de la Langue Françoise, pour l’Inscription de l’Arc de Triomphe, dédiée au Roy, dans lequel il a prouvé que ce superbe Monument qui s’éleve à l’honneur de Sa Majesté, doit avoir une Inscription Françoise. Cette opinion a esté combatuë par un Discours Latin tres-sçavant, & tres-éloquent, qui fut prononcé au College de Clermont par le Pere Lucas Jesuite, sur la fin de Novembre 1676. & c’est à ce Discours que Mr Charpentier a fait une ample Réponse, qui auroit esté imprimée il y a plus de trois ans, s’il avoit eu plus de loisir. C’est de la qu’est tiré là Chapitre qui fut lû en cette rencontre, où par occasion il combat l’opinion commune touchant la legereté de la Nation Françoise, qu’il fait voir estre beaucoup plus constante que la Romaine. Les raisons qu’il en allegue sont tres-recherchées, & tres-convaincantes. Il lût aussi une Piece de Poësie pleine de descriptions fort agreables qu’il appelle, La Belle Soirée ; mais je n’ay pû encor l’avoir. Mr Quinaut eut audience à son tour, pour la Traduction d’une Ode d’Horace ; & Mr le Clerc, lût apres luy cent cinquante Vers sur la Penitence. Quoy que le nombre fust grand, & que l’on eust déja lû beaucoup de choses de ce caractere, ils furent trouvez si beaux, que l’attention qu’on leur presta, fit connoistre le plaisir que chacun en recevoit. Mr le Clerc n’en demeura pas là, & lût encor à la gloire de l’Académie les deux Sonnets que vous allez voir.

A L’ACADEMIE FRANÇOISE.
SONNET.

De l’aveugle Ignorance invincible Ennemie,
Qui sçais à la Vertu donner son juste prix ;
Délicieux Concert des plus nobles Esprits,
Honneur de nostre Siecle, illustre Académie.
***
Tu vois du Grand LOUIS la puissance affermie ;
Son Bras eust tout dompté, s’il l’avoit entrepris ;
Et son Cœur de la Gloire est tellement épris,
Qu’il ne sent qu’à regret sa Valeur endormie.
***
Mais le Temps flétriroit les superbes Lauriers
Que sous ses Etendards ont cueilly nos Guerriers,
Sans le secours des Vers, ou celuy de l’Histoire.
***
L’un & l’autre dépend de ta sçavante Main ;
C’est Toy qui tiens les Clefs du Temple de Mémoire,
Et qui graves les Noms sur l’immortel Airain.

A LA MESME.
SONNET.

Illustre Académie, agreable Lycée,
Pour qui Minerve tient ses mysteres ouvers ;
Concours de tant d’Esprits pleins de talens divers,
Quelle gloire n’est point par la tienne effacée ?
***
Dans ton noble travail la France intéressée
Va voir fleurir sa Langue au bout de l’Univers ;
On trouve dans ton sein la source des beaux Vers,
On y voit l’Eloquence en son Trône placée.
***
Les Ministres sacrez, ceux qui servent Thémis,
Ceux à qui de l’Etat les secrets sont commis,
Prennent part avec joye à tes doux Exercices.
***
LOUIS mesme applaudit à ton charmant Employ,
LOUIS est ton AUGUSTE, & sous ses grands auspices,
Du Langage parfait tu vas donner la Loy.

Mr le Duc de S. Aignan finit par une Réponse en Vers qu’il avoit faite à Mr le Duc de Vendosme, & à Mr Chapelle, qui luy avoient écrit d’Annet. Elle estoit courte, mais elle avoit ce tour aisé qui luy est si naturel, & qui fait voir que rien ne luy couste. Ces lectures estant faites, la Compagnie se leva, & Mr le Premier Président sortit, fort satisfait de l’Illustre Corps dans lequel il venoit d’estre reçeu avec une joye universelle, & un applaudissement general.

[Tout ce qui s’est passé à S. Germain pendant la Semaine Sainte] §

Mercure galant, avril 1681 [tome 4], p. 252-258.

Je vous ay déja nommé les Prédicateurs qui devoient prêcher à la Cour pendant le Caresme. C’est un employ dont ils se sont tous acquitez avec succés. Le Jeudy-Saint, le Roy entendit le Sermon de Mr l’Abbé de Brou, l’un de ses Aumôniers, & le trouva Orateur. C’est ce que Sa Majesté dit à son avantage, en témoignant qu’Elle en estoit fort contente. En suite Elle assista à l’Absoute faite par Mr l’Evesque de Lavaur, & fit la Cene selon la maniere accoûtumée. La Reyne la fit pareillement, & Leurs Majestez entendirent avec une devotion exemplaire l’Office entier des trois derniers jours de la Semaine Sainte. Le Samedy, le Roy apres avoir fait ses Devotions, toucha onze cens Malades sur la Terrasse du Chasteau de S. Germain. Il faut estre aussi infatigable, & aussi zelé que l’est ce grand Prince, pour suporter une si longue fatigue sans se reposer. Ce qui surprit fort, ce fut de trouver des Femmes tres-propres, meslées parmy les Malades, quoy qu’elles fussent en pleine santé. C’estoient des Dames Flamandes venuës exprés pour voir ce Monarque, qu’elles n’avoient veu qu’en confusion dans ses Places de conqueste. Le jour de Pasques, Leurs Majestez entendirent le Sermon de Mr l’Evesque de Condom l’ancien, qui se surpassa luy-mesme. La devotion de Madame la Dauphine s’est fait aussi remarquer, mais elle n’a point surpris. C’est un effet de l’avantage qu’elle a d’estre née d’un Pere qui a vécu d’autant plus en Saint, qu’on n’a sçeu qu’apres sa mort toutes les austeritez qu’il faisoit. On doit à la pieté de cette Princesse un Livre qu’elle a fait faire, & qu’on souhaitoit depuis longtemps. C’est l’Office de la Vierge sans renvoy, qui se vend chez le Sieur Dezalier, Ruë S. Jacques. Si pendant le temps de penitence & de jeûne, la devotion a esté grande à la Cour, elle l’a aussi esté beaucoup à Paris. Les mesmes Prédicateurs que Sa Majesté a entendus, y ont remply les plus importantes Chaires, & prêché avec éloquence, zele & succés. Le Pere Bourdaloüe sur tout a esté extraordinairement suivy à Saint Germain de Lauxerrois. Une affluence incroyable de Personnes de la premiere qualité, composoit tous les jours son auditoire ; & Monsieur Colbert n’a pas manqué un de ses Sermons, lors qu’il est venu icy, & qu’il a pû dérober une heure à ses grandes occupations pour l’aller entendre. Apres vous avoir parlé des Prédicateurs consommez, je puis vous dire qu’entre les nouveaux, Mr Savary, jeune Chanoine de S. Maur, qui a prêché tous les Dimanches de Caresme à S. Thomas du Louvre, s’est fort distingué. Plusieurs Connoisseurs, tres-capables d’en juger, l’ont entendu plusieurs fois avec plaisir, & ils disent tous, que s’il continuë de la maniere qu’il a commencé, ils ne doutent point qu’il ne tienne un jour sa place parmy les Prédicateurs du premier rang.

[Lettre touchant l’Escarboucle] §

Mercure galant, avril 1681 [tome 4], p. 269-275.

En attendant que je puisse vous donner de seûres nouvelles de l’Escarboucle, je vous envoye ce qui m’a esté écrit d’Alais sur cette matiere.

Cher Mercure. J’ay appris par les dernieres Lettres que vous avez publiées, que le Païsan qu’on dit avoir trouvé une Escarboucle l’année derniere, persiste dans le desaveu qu’il en a fait ; & comme c’est un larcin qui regarde directement Sa Majesté, puis que cette Pierre s’est trouvée dans son Royaume, & que d’ailleurs estant la plus prétieuse & la plus estimée de toutes, elle ne pouvoit de droit ny de bienséance, appartenir qu’au plus grand & plus illustre de tous les Monarques, je crois que chacun doit travailler à l’envy à rechercher la preuve d’une si lâche & si injuste action. C’est par ce motif que je vous envoye la Déclaration d’un Témoin, dont il résulte qu’il s’est dû trouver une Escarboucle l’année derniere, qui estoit la quarante & deuxiéme de ce Grand Prince, laquelle année on trouvera avoir accomply le troisiéme âge de cette vie si glorieuse, si jusqu’à la soixante & dixiéme, qui est l’arrivée de la décrepitude, on compte chaque âge par le nombre de quatorze années, ainsi que les Medecins comptent le premier âge aux Masles jusqu’à la puberté. C’est sans-doute de cette maniere qu’a compté ce Témoin irréprochable, qui a prédit cette Escarboucle, aussi-bien que la Comete qui a commencé à paroître au mois de Decembre, laquelle se montrant vers l’Occident avec une figure courbe du costé du Midy, s’alloit terminer en s’augmentant toûjours du costé du Levant. Ce qu’il a dit encor de la Famine dans le mesme endroit, se trouve aussi justifié par la grande sterilité causée par la secheresse de l’année derniere en plusieurs Provinces du Royaume, & particulierement en Languedoc, où elle fut si extraordinaire, qu’on n’a rien recueilly dans les Dioceses de Beziers, Carcassonne, Narbonne, & Agde. Il est vray que ce Païs a eu sujet de se consoler, puis que ce Grand Roy, qui ne manqua jamais d’amour ny de charité pour ses Sujets, ayant esté informé de cette desolation, a bien voulu soulager ces quatre Dioceses de la somme de deux cens mille livres du Don gratuit que luy ont fait les Etats de cette Province dans leur derniere Assemblée. Voila, à mon sentiment, cher Mercure, ce qui ne permet pas de douter de la verité de cette Pierre, non plus que du reste de cette Prédiction, dont il y a tant de Témoins ; & vous aurez peine à n’y pas donner une entiere foy, quand vous sçaurez que le grand Michel Nostradamus est l’Autheur de cette Prophetie, que vous pourrez trouver dans sa Centurie onziême, Sixain 27. si vous n’en voulez pas croire à l’Anonime d’Alais, qui vous en envoye les propres termes.

Celeste Feu du costé d’Occident,
Et du Midy courir jusqu’au Levant
Vers demy-morts sans point trouver racine,
Troisiéme âge, à Mars le belliqueux,
Des Escarboucles on verra briller feux,
Age, Escarboucle, & à la fin Famine.

La Poule aux Œufs d’Or, Fable §

Mercure galant, avril 1681 [tome 4], p. 285-287.

Les grandes fortunes accommodent fort ; mais quand celle où l’on se trouve donne dequoy vivre heureux, la prudence veut qu’on n’aspire à rien de plus. Ce qui suit fait voir à quelle chûte on s’expose, en voulant trop s’élever.

LA POULE AUX OEUFS D’OR.
FABLE.

Une Femme avoit une Poule,
Qui tous les jours luy faisoit un Oeuf d’or.
Peu contente de ce trésor,
Dans sa teste un matin la Malheureuse roule
Un moyen qu’elle crût des plus avantageux,
Pour faire pondre à sa Poule deux Oeufs.
Qu’arriva-t-il de cette affaire ?
Elle se trompa fort, & vous sçaurez comment.
Cette Femme sans jugement,
Crût, pour y réüssir, qu’il estoit necessaire
De donner à la Poule à toute heure à manger.
Elle devint si grasse & si pesante,
Qu’elle en créva. La Femme eut tout lieu d’enrager,
Et dit cent fois, pourquoy n’estois je pas contente ?
Vous qui vous plaignez hautement
D’un sort & juste & raisonnable,
Profitez-bien de l’avertissement,
Qu’a voulu vous donner un Amy charitable.

[Mort de l’abbesse de Malnouë]* §

Mercure galant, avril 1681 [tome 4], p. 288-294.

Je viens d’apprendre la mort de Madame l’Abbesse de MalnouëI, arrivée le 8. de ce mois. Elle s’appelloit Marie-Eleonor de Rohan, & estoit Fille d’Hercule de Rohan, Duc de Montbazon, Pair & Grand-Véneur de France, & de Marie de Bretagne. Ceux qui connoistront la grandeur & l’antiquité de ce Nom illustre, sçauront que c’est assez, pour rendre la naissance de cette Princesse recommandable, de dire qu’elle estoit sortie d’une Maison, qui prenant sa source des premiers Ducs de Bretagne, a toûjours continué de masle en masle jusqu’à présent. La Nature l’avoit avantagée de toutes les graces du corps & de l’esprit ; mais Dieu qui la destinoit à une fin bien plus élevée, luy en fit mépriser l’éclat dés sa plus tendre jeunesse, luy ayant inspiré le dessein de se consacrer à luy sous la Régle de S. Benoist. A peine eut elle atteint l’âge de vingt-deux ans, que la réputation de sa vertu l’ayant fait distinguer des autres Personnes de sa Profession, le Roy la choisit pour estre Abbesse du celebre Monastere de la Trinité de Caën ; mais l’air subtil & maritime de ce Climat ne pouvant s’accorder avec la foiblesse de sa poitrine, elle fut contrainte de permuter son Abbaye avec celle de Malnouë, qui est d’un revenu beaucoup moins considérable, ayant voulu témoigner par là que ce n’estoit pas le desir de devenir plus riche, mais la pensée de prolonger davantage le temps de sa penitence, qui l’avoit portée à ce changement. Comme elle avoit esté doüée d’un esprit beaucoup élevé au dessus de celles de son Sexe, ses occupations en furent aussi bien diférentes. Le Public a lû & admiré ce qu’elle a écrit sous le nom de la Morale du Sage, sans sçavoir qu’il luy fust redevable de ce trésor ; & si ses dernieres refléxions sur l’état où Dieu l’avoit appellée, paroissent jamais au jour, on tombera peut-estre d’accord, qu’il est peu d’Ouvrages qui renferment une aussi profonde connoissance des devoirs de la Vie Religieuse, & autant de pureté & de politesse de langage.

Madame l’Abbesse de Caën, qui est de la Maison de Vaucelles de Cochefilet, Sœur de feu Mr le Marquis de Vauvineux, Pere de Madame la Princesse de Guimené, n’eut pas plutost appris cette mort, que pour marquer la reconnoissance qu’elle avoit à la mémoire de cette Dame, de qui, en plusieurs occasions, elle avoit reçeu toute la protection possible, elle ordonna un Service solemnel, qui fut fait pour le repos de son ame le 16. de ce mois Mr Méliand Intendant de la Province, Mr de Coigny Gouverneur de la Ville & Citadelle de Caën, & plusieurs Personnes de qualité, y assisterent, ainsi que les Corps & Communautez. Le Service fut celébré avec les cerémonies accoûtumées en de pareilles rencontres, par les Dames Religieuses, qui sont toutes Personnes de qualité de la Province, & autres lieux ; & en mesme temps, il fut dit une infinité de Messes, tant dans l’Abbaye que dans les autres Eglises de la Ville & des Fauxbourgs, par l’ordre de Madame l’Abbesse, qui fit en suite de grandes aumônes.

[Sur le palais d’Aranjuez]* §

Mercure galant, avril 1681 [tome 4], p. 304-307.

Vostre Parent, que la curiosité a fait partir pour l’Espagne, vous dira à son retour, si la Maison Royale d’Aranjuez est telle que cette Planche vous la représente. Elle est à sept lieuës de Madrid, & le Roy y va ordinairement passer un mois de Printemps toutes les années. Les Poëtes dans leurs Comédies en citent les Jardins & les Fleurs comme d’un endroit où Flore régne, accompagnée de tous ses Trésors. La situation en est tres-belle, & les avenuës fort agreables. Un peu apres que l’on a passé la Riviere de Xarama, qui en est à demy-lieuë, on entre dans de grandes Allées d’Ormes & de Tilleuls à perte de veuë, qui se traversent, & composent une Etoile. L’une de ces Allées conduit sur un Pont, construit sur le Tage, qui se joint là aupres au Xarama. Philippe II. ayant fait couper cette celebre Riviere, pour la faire passer tout autour de son Jardin ou de son Parc, l’a rendu par là une Isle toute charmante. Ce Jardin, beaucoup plus grand que les Tuileries, est traversé d’un tres-grand nombre d’Allées trop étroites toutes, mais pleines de quantité de Statuës de bronze & de Fontaines, dont les Bassins sont de marbre, n’y en ayant guére où il n’y en ait quatre ou cinq de manieres diférentes. Je vous en feray la description, en vous envoyant les Veuës de ces superbes Fontaines. Le dessein de la Maison est comme celuy de toutes celles d’Espagne, qui est de faire le plus qu’ils peuvent de petites Courts. Celle cy est de pierre & de brique, & doit estre un Quarré composé de quatre Courts, si l’on acheve d’exécuter le Dessein. La Chapelle est faite en rond, & assez belle. Devant le Château, on voit une grande Place, à laquelle aboutissent une infinité d’Allées. C’est où l’on nourrit les Chameaux du Roy.

[L’Abbé Fléchier prêche aux Minimes] §

Mercure galant, avril 1681 [tome 4], p. 310-312.

Le Lundy 14. de ce Mois, Mr l’Abbé Fléchier, de l’Académie Françoise, fit le Panégyrique de S. François de Paule dans l’Eglise des Minimes de la Place Royale. Il s’en acquita selon sa coûtume avec une merveilleuse satisfaction de ses Auditeurs, dont le nombre estoit extraordinaire. L’Histoire de Theodose, & plusieurs autres Ouvrages qu’il a donnez au Public, font son éloge avec des traits si brillans, qu’on n’y peut rien adjoûter. Dans cette solemnité on regarda fort le Parement du grand Autel. C’estoit un Présent que Madame la Dauphine avoit fait aux Religieux de cette Maison, par devotion à leur Patriarche. Il est d’un fort beau Brocard d’argent à fleurs d’or frisé, avec des bandes d’or & d’argent, ausquelles cette Princesse a travaillé elle-mesme. Les Armes qu’on voit dessus & aux deux Credences sont aussi-bien faites que riches.

[Le Faux Mariage, Histoire] §

Mercure galant, avril 1681 [tome 4], p. 315-327.

Si cette vertu estoit generale, l’Article qui suit n’auroit point de lieu. On peut marier des Gens en dépit d’eux. L’autorité des Parens suffit pour cela quand on est fort jeune ; mais que l’on marie un Homme, non seulement en dépit de luy, mais mesme sans luy, c’est un incident qui n’a point d’exemple. J’ay cependant à vous faire le détail d’un Mariage de cette nature. Un Cavalier s’estant mis fort jeune dans les Mousquetaires, cherchoit sa bonne fortune, ainsi que font beaucoup d’autres dans un pareil âge. Il crut la trouver en liant commerce avec une Dame dont la beauté l’ébloüit, & qui se montra assez sensible aux douceurs que sa passion luy fit debiter. Elle estoit Femme d’un Homme de qualité, mais qui n’ayant point de bien, luy avoit donné bientost sujet de se dégouster de luy. Ainsi l’ayant laissé en Franche-Comté, où il vivoit fort mal à son aise, elle estoit venuë chercher à Paris une vie plus douce, & ce Cavalier luy ayant paru son fait, elle prit pour luy un tres-fort engagement. Il dura plusieurs années, quoy qu’interrompu souvent par de longs voyages que le Cavalier estoit obligé de faire pour le service du Roy. Je ne puis vous dire jusqu’où alla le commerce. Je sçay seulement que la Dame pouvant tout sur l’esprit du Cavalier, tira un Billet de luy, par lequel il promit de l’épouser si son Mary venoit à mourir. La condition de cette mort rendant la promesse nulle, le Cavalier la donna sans peine. La Dame mesme luy dit en la recevant, qu’elle ne l’avoit pas demandée pour s’en servir, mais pour estre entierement convaincuë de sa tendresse, par sa complaisance à faire une chose qu’elle souhaitoit. Cependant les liaisons qui se forment par un amour violent n’estant pas les plus durables, insensiblement le Cavalier prit du dégoust pour la Dame. La longueur de l’habitude luy fit découvrir en elle beaucoup de defauts qu’il n’avoit point encor veus. Cette connoissance rallentit sa passion. Il ouvrit les yeux sur l’intérest qu’il avoit de se dégager, & apres quelques legeres querelles dont on n’a aucune peine à trouver l’occasion quand on la veut prendre, il cessa d’estre assidu, & rompit enfin entierement. Quoy qu’il connust la Dame capable d’employer dans ses desseins toute sorte d’artifices, il ne put s’imaginer, que ne devant plus avoir aucune prétention sur son cœur, elle en dust garder sur sa personne. Il y eut entr’eux quelques procedures de Justice soûtenuës avec aigreur pour des intérests particuliers. La Dame agit mesme en vertu de la Promesse qu’elle avoit tirée du Cavalier, présenta Requeste pour faire ordonner qu’il l’épouseroit, & afin de ne point trouver d’obstacle à son entreprise, elle produisit un Extrait mortuaire qui faisoit connoistre qu’elle estoit Veuve, & que son Mary avoit esté enterré à Chamberry. Le Cavalier fit ses diligences pour prouver en temps & lieu la fausseté de l’Extrait, & se defendit de la poursuite. Il fut quelque temps absent, & la Dame n’eut pas plûtost appris son retour, qu’en suposant mille choses qu’elle colora avec adresse, elle fit croire que le Cavalier demandoit à l’épouser, & obtint, non seulement la dispense des trois Bans, mais encor, permission de se marier où les deux Parties voudroient. Elle n’en fut pas si-tost saisie, qu’elle résolut de s’en servir. Pour cela, elle pratiqua un de ces Gens qui font leurs affaires au mestier de Fourbe, & apres l’avoir instruit pour luy faire faire le personnage du Cavalier, elle le mena à un Village des environs de Paris, où le Curé, facile à tromper à cause de son grand âge, ne fit aucune façon de les marier publiquement, elle sous son nom, & le Fourbe sous celuy du Cavalier. Cela se fit le 5. Juin 1677. Comme elle craignit que son silence ne luy portast préjudice, elle protesta dés le lendemain par devant Notaires, que quoy que le Cavalier l’eust épousée, il l’empéchoit par force de prendre la qualité de sa Femme. Toute cette intrigue demeura cachée, & il se passa deux ans sans que le Cavalier en découvrist rien. La Dame esperoit toûjours qu’il renoüeroit avec elle ; & alors, comme on ne sçavoit ce que son Mary estoit devenu, ce renoüement de commerce auroit pû passer pour une approbation du Mariage. Soit qu’elle se teust dans cette veuë, soit que quelque autre raison luy fist garder le secret, les choses peut-estre seroient encor dans ce mesme état, si enfin le Fourbe n’eust pas dit luy-mesme que le Cavalier estoit marié. Celuy à qui il fit cette confidence, luy demanda en quel lieu le Mariage avoit esté fait, & n’eut pas plûtost appris le nom du Village, qu’estant des Amis du Cavalier, il courut l’en avertir. Jugez de la surprise d’un Homme qui se trouva marié sans qu’il en sçeust rien. Il forma sa Plainte, alla au Village, dont il estoit question, & s’y présenta un jour de Dimanche au sortir de la grand’ Messe, afin qu’on pust voir si c’estoit luy qui eust contracté le Mariage. Quoy qu’aucun Témoin ne le reconnust, ce qu’ils disoient n’estoit qu’un fait négatif, qui en Justice ne produisoit point l’entiere conviction de la fausseté. Ainsi il se vit contraint de pousser l’affaire. On emprisonna la Dame ; & le Fourbe qui avoit donné la premiere connoissance du Mariage fut cherché par tout. Il se sauva à Moulins, passa de là à Lyon, & sa fuite ayant fait voir qu’il estoit coupable, il fut enfin arresté. On n’eut plus de peine apres cela à déveloper le nœud de l’intrigue. Le Curé & les Témoins le reconnurent pour celuy qui avoit joüé le rôle d’Epoux dans cette Piece ; & tout ce qui avoit précedé la derniere Scene ayant esté éclaircy, le Parlement déclara le Mariage faux, & faussement fabriqué. L’Affaire est si peu croyable, qu’elle passeroit pour fiction, si l’Arrest donné ne la rendoit pas publique. Elle fut jugée le 19. de l’autre Mois, les Chambres assemblées, & Mr Daurat estant Rapporteur.

[Tout ce qui s’est passé à S. Cloud pendant le Sejour que leurs Majestez y ont fait] §

Mercure galant, avril 1681 [tome 4], p. 327-344.

Leurs Majestez ont passé huit jours dans la superbe & délicieuse Maison de S. Cloud, dont Son Altesse Royale a fait les honneurs d’un air, qui a charmé tous ceux qui en ont esté témoins. Son accueil a esté obligeant pour tout le monde, ses manieres toutes engageantes, & personne n’a suivy la Cour dans ce beau Lieu, qui n’ait esté enchanté des honnestetez de ce grand Prince. Ce terme, quoy que tres-fort, exprime encor imparfaitement l’effet qu’elles ont produit dans tous les cœurs. Non seulement il n’a oublié aucune chose pour les diférens plaisirs que pouvoit attendre la Maison Royale, mais il est, pour ainsi dire, descendu du haut de sa grandeur pour recevoir avec des bontez dignes de luy, toutes les Personnes distinguées par leur mérite, & par leur naissance. Il a luy-mesme donné ordre à tout, & ayant eu soin de faire que chacun fust bien logé, il n’a retenu pour luy qu’un Apartement, qui ne luy auroit pas esté destiné ailleurs que dans un Lieu qui luy appartient. Le Roy, accompagné de toute sa Cour, y arriva le 15. du Mois entre quatre & cinq heures du soir. Les Compagnies destinées pour la Garde de Sa Majesté, estoient déja dans leurs postes, dont les Trompetes & les Timbales tenoient le plus avancé. Monsieur & Madame reçeurent le Roy, la Reyne, Monseigneur le Dauphin, & Madame la Dauphine, au bas de l’Escalier, à la descente de leur Carrosse. Les Violons & les Hautbois estoient au haut de cet Escalier. Leurs Majestez, suivies de toute la Cour, traverserent d’abord la Salle des Gardes, passerent ensuite dans une Antichambre, puis dans un petit Cabinet qui séparoit l’Apartement du Roy d’avec celuy de la Reyne. On entra apres cela dans l’Antichambre de cette Princesse, qu’on trouva tres-magnifique. Les Meubles estoient de Brocard d’or & de Velours violet, la Tapisserie tres-riche, & toute rehaussée d’or. Elle est faite sur les desseins de Mr Nocret, Valet de Chambre de Monsieur, & son Premier Peintre ; & les Amadis de Gaule en ont fourny le sujet. De cette Antichambre, on passa dans la Chambre de la Reyne. La Tapisserie s’y fit d’abord remarquer par sa beauté. Elle représente la Bataille d’Aléxandre & de Darius. Vous sçavez que les Desseins sont du fameux Mr le Brun. Je vous entretins l’année derniere de chaque Piece en particulier, quand le Roy les fit graver, & qu’on en donna des Estampes au Public. C’est où se trouve cet admirable morceau de la Mere & de la Femme de Darius, qui implorent la clémence d’Aléxandre en l’admirant. Peut-estre n’a-t-on jamais veu ensemble tant de diférentes & si fortes expressions. Cette belle Tapisserie estoit accompagnée d’un Ameublement de Broderie d’or à fond violet, dont le Lit, auquel Monsieur a fait travailler pendant plusieurs années, est estimé trente-cinq mille écus. On alla de là, dans un grand Cabinet appellé la Salle des Audiences. Il sembloit qu’apres ce que l’on venoit de voir, on ne pouvoit plus entrer dans aucun Lieu, qui dust arrester les yeux. Cependant ce Cabinet parut tres-superbement meublé, & disputa de magnificence avec tout ce qu’on avoit veu. Ce n’estoient qu’Ouvrages d’argenterie de toutes manieres. Ce qui est ordinairement de bois aux Sieges, Tables, & Fauteüils, estoit d’argent, & on voyoit une tres-belle Broderie d’or, qui relevoit tous les Meubles jusques aux Portieres. Mr le Begue, celebre Organiste de Sa Majesté, touchoit en ce Lieu un Cabinet d’Orgues d’une invention particuliere ; & le plaisir qu’on eut de l’entendre, y arresta la Cour quelque temps. Apres cet agreable divertissement, on entra dans le Sallon qui représente les Amours de Mars & de Vénus, & qui a esté peint par Mr Mignard. Il me souvient que je vous en ay promis la description, que vous m’avez demandée apres avoir veu celle de la Galerie. L’application qu’il faut pour vous la donner exacte, a besoin d’un temps que je n’ay pû encor ménager. Il n’y eut personne qui n’admirast ce Sallon. Chacun donna des loüanges à ce qui estoit le plus de son goust ; & Leurs Majestez passerent en suite dans la Galerie, au bout de laquelle on trouva la Symphonie ordinaire de Monsieur. Elle est composée d’un Clavessin, d’un Dessus de Viole, & d’un Luth ; le premier touché par le Sr Baltasar, l’autre par le Sr Garnier, & le Luth par le Sr Jaqueson. Cette Symphonie ayant cessé, chacun alla voir son Apartement. Outre celuy de la Reyne, où le Roy devoit coucher, Sa Majesté avoit encor une Chambre, & un Cabinet où Elle tenoit Conseil. De l’autre costé qui fait face à l’Apartement du Roy & de la Reyne, estoient ceux de Monseigneur le Dauphin, & de Madame la Dauphine, tres-superbement meublez. Ils sont dans l’ancien Bastiment, & représentent l’Alliance de Monsieur, avec feuë Madame. Feu Mr Nocret les a peints. On prit un peu de repos, apres quoy Leurs Majestez estant montées en Calêche, allerent dans les Jardins & y admirerent la beauté des Eaux. Il y eut Comédie le soir sur un superbe Theatre, que Monsieur avoit fait rehausser d’or. On y représenta Zaïde Princesse de Grenade, & les Prétieuses ridicules. Le Roy n’a vû aucune des Pieces qui ont diverty la Cour, Sa Majesté ayant toûjours pris le soin des Affaires de son Etat à son ordinaire, & ayant tous les jours tenu Conseil de la maniere qu’Elle a accoûtumé de le tenir quand Elle est à S. Germain. Il y a eu tous les jours Bal ou Comédie. Outre les deux que je viens nommer, on y a représenté l’Iphigénie de Mr Racine, Trésorier de France ; avec la Comtesse d’Escarbagnas de feu Mr Moliere ; le Dom Bertrand de Sigaral, de Mr de Corneille le jeune ; & les Usuriers, par les Italiens. Le nouveau Salon servit seulement pour le premier Bal. Le jour que l’on arriva, le Roy fit l’honneur aux Dames de les faire manger avec Luy. Les Violons, & les Hautbois joüerent pendant tout le temps que l’on demeura à table. Apres le Soupé on alla dans la Galerie, où il y eut Concert jusques au coucher. Le lendemain, on courut le Cerf. Le Roy qui se plaist aux Exercices du corps, & qui par là se veut toûjours tenir prest à suporter les fatigues de la guerre, a esté plusieurs fois à la Chasse, tantost à Versailles, & tantost dans la Plaine de S. Denis, & la vigueur, & l’adresse de ce grand Monarque y ont toûjours éclaté. En arrivant à S. Cloud, il congedia toute sa Musique, & voulut entendre celle de Monseigneur le Dauphin jusqu’à son retour à Saint Germain. Elle a tous les jours chanté à la Messe des Motets de Mr Charpentier, & Sa Majesté n’en a point voulu entendre d’autres, quoy qu’on luy en eust proposé. Il y a deux ans qu’on en chante devant Monseigneur le Dauphin. Les Violons se sont toûjours fait entendre au dîner, où l’affluence des Personnes venuës de Paris pour voir le Roy a esté si grande, qu’à peine ce Prince pouvoit-il passer pour se mettre à table. Mr le Duc de Chartres qui estoit demeuré au Palais Royal, pour étudier, & dont les progrés dans l’étude sont si grands qu’ils sont à peine croyables, vint à S. Cloud salüer Leurs Majestez. Il parla au Roy avec tant d’esprit, & les réponses qu’il fit sans resver un seul moment furent si pleines de vivacité, que Sa Majesté en fut surprise, & dit hautement qu’à son âge elles tenoient du prodige. La Cour se trouvant alors fort grosse, toutes les Tables de la Maison Royale se sont tenuës à l’ordinaire. Celles de la Maison de Monsieur estoient magnifiques, & les grands Officiers de ce Prince en ont admirablement bien fait les honneurs. Celle de Mr le Chevalier de Lorraine a esté tres-bien servie, & Mr de Strasbourg en a aussi tenu une. La Comédie, le Bal, la Symphonie, & les Promenades, ne sont pas les seuls plaisirs que l’ont ait pris à S. Cloud, on s’est encor diverty au Mail, & Monseigneur le Dauphin y a joüé plusieurs fois. Pendant tout le sejour qu’on a fait dans cette belle Maison, le temps a esté le plus beau du monde, & il semble que le Roy, que le bonheur suit par tout, y avoit mené les plus beaux jours du Printemps. Ce Prince partit le 23. & en partit si content, qu’il témoigna estre prest d’y retourner, quand Monsieur voudroit. Ce peu de paroles dit tout, & ce n’est point à moy de parler apres un si grand Monarque.

[Explication de la premiere Enigme du Mois dernier] §

Mercure galant, avril 1681 [tome 4], p. 345-346.

Plusieurs Personnes ont trouvé à l’ordinaire, les vrais Mots des deux Enigmes. Celuy de la premiere, est le dernier de ces quatre Vers de Mr Frolant, Avocat au Parlement de Normandie.

Si ce n’est pas estre Sorcier,
C’est quelque chose au moins qu’il faut que l’on admire,
De faire voir sur le Papier
Ce qui n’est fait que sur la Cire.

Ce mesme Mot a esté trouvé par Messieurs le Marquis de Grassamant, de Troyes ; Du Moulin, de la Ruë S. Denys ; De Beaulieu, de la Ruë de la Harpe ; Tamiriste, de la Ruë de la Cerisaye ; (les deux premiers en Vers ;) & par Mademoiselle C.B. de Chartres ; les Aimables de la Sencerie de Dreux ; & Diane de la Poste à Roüen. On a aussi expliqué cette Enigme sur l’Histoire.

[Explication de la seconde Enigme […]] §

Mercure galant, avril 1681 [tome 4], p. 346.

La seconde a donné lieu à ce Madrigal de Mr de S. Placide, du Cloistre S. Germain de Lauxerrois.

Mercure, le Dieu du Caquet,
Ou pour mieux en parler, le Dieu de l’Eloquence,
Veut contrefaire le Muet,
Mais on le connoit trop en France.
Du moins pour moy c’est bien en vain
Qu’il porte une Cloche en sa main.

Enigme §

Mercure galant, avril 1681 [tome 4], p. 352-353.

Mr de la Mare-Chesnevarin est Autheur de la premiere des deux nouvelles Enigmes que je vous envoye. L’autre est de Mr Belle de Lyon.

ENIGME.

Encore que je sois du Genre féminin,
Je rens pourtant service au Sexe masculin ;
Depuis un certain temps j’ay vogué dans la France.
Mon régne est en Hyver, mon nom vient d’un Marquis.
Je suis assez souvent de peu de conséquence,
Mais aussi quelquefois je suis d’un tres-grand prix.

Autre Enigme §

Mercure galant, avril 1681 [tome 4], p. 353-354.

AUTRE ENIGME.

Nous sommes plusieurs Sœurs, en grandeur diférentes,
Egales de nom & d’employ ;
Et quoy que nous passions toûjours pour inconstantes,
Chacun se fait honneur de nous avoir chez soy.
Nostre condition paroist assez servile,
Puis qu’il nous faut par tout porter un lourd fardeau.
Pour surcroist de malheur, quand nous allons en Ville,
L’on nous charge souvent de quelque faix nouveau,
Et ce n’est qu’à cela que nous sommes utiles.
***
Fiéres avec cet équipage,
Nous franchissons les plus grands embarras,
Et le plus hardy mesme avec son courage
En vain arresteroit nos pas.
***
Nostre destin, quoy qu’un peu rigoureux,
Seroit encor assez passable,
Si quelqu’une de nous, par un sort déplorable,
Ne faisoit quelquefois celuy des Malheureux.

Air nouveau §

Mercure galant, avril 1681 [tome 4], p. 358-359.

Le second Air que j’adjoûte icy, vous fera connoistre le génie de son Autheur.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Dans le temps des frimats, doit regarder la page 359.
Dans le temps des frimats, des néges, des glaçons,
Tircis ne sortoit plus hors de nostre Village.
Sans cesse il me juroit qu’il n’estoit point volage,
Sans cesse il carressoit mon Chien & mes Moutons ;
Mais dés qu’il a reveu la verdure paroistre,
L’Infidelle, l’Ingrat, a quitté ces Hameaux,
Il ne fait que courir de Troupeaux en Troupeaux.
Helas ! que le Printemps n’est-il encor à naître !
images/1681-04_358.JPG

[Airs spirituels enseignez par M. de Bassilly] §

Mercure galant, avril 1681 [tome 4], p. 359-361.

Si vostre Amie, à qui le dessein de se consacrer à Dieu, a inspiré tant d’aversion pour les Airs profanes, vient à Paris comme vous le dites, elle pourra prendre des Leçons pour régler sa voix, sans qu’elle renonce à ses scrupules. L’illustre Mr de Bassilly, qui a composé deux Livres d’Airs spirituels, avec des seconds Couplets en diminution, s’est résolu de les enseigner chez luy, afin que ces beaux Airs que l’on a falcifiez sous le titre de diférens Autheurs, soient chantez par ceux qui voudront les bien sçavoir, suivant toutes les Regles de son Traité de l’Art de Chanter, imprimé il y a déja plusieurs années. Il l’expliquera de point en point aux Curieux, & leur donnera les exemples necessaires pour l’entiere intelligence de ces Regles. Ainsi en un petit nombre de Leçons, on sçaura parfaitement chanter toutes sortes d’Airs, sur lesquels chacun pourra appliquer les Préceptes, dont il aura enseigné l’usage. Il demeure Ruë S. Claude.

[Mort du Président Perrault]* §

Mercure galant, avril 1681 [tome 4], p. 364-374.

Il me reste à vous parler de Mr Perrault, Baron de Milly, Chagny, Montmirail, & autres Lieux, Conseiller du Roy en ses Conseils, & Président en sa Chambre des Comptes, qui mourut icy le 29. de ce mois, âgé de 77 ans. Vous sçavez, Madame, que c’estoit un des plus riches Hommes de France, & que la Fortune ne luy avoit rien donné sans estre d’intelligence avec la Justice ; mais vous ne sçavez peut-estre pas que sa Famille estoit déja illustre avant l’éclat qu’il luy a presté, & que depuis Charles VI. jusqu’à Loüis le Grand, la Noblesse s’y est perpetuée, sans aucun mélange qui en ait pû corrompre la pureté. Sa Genealogie en feroit foy, si la modestie de ses Parens, qui prouvent assez leur Noblesse par leur vertu, ne faisoit gloire d’ensevelir ce qui seroit fort à leur avantage. Quant à son mérite, toute la France en a parlé si haut, qu’il est en seûreté contre les attaques de l’Envie ; & pour ce qui est de sa fidelité envers les Grands Princes dont il estoit la Creature, on en voit peu qui l’égale, & l’on n’en sçait point qui la surpasse. Feu Monsieur le Prince en estoit si bien persuadé, qu’il luy fit l’honneur de le nommer Exécuteur de son Testament ; & si cette grace fut grande, la reconnoissance de Mr le Président Perrault ne le fut pas moins. Il fit faire au Cœur de ce Prince un Mausolée si superbe, qu’il attire l’admiration des Etrangers, & transmet chez toutes les Nations voisines le Nom de celuy qui l’a fait construire. C’est aux Jesuites de la Ruë S. Antoine qu’il est érigé. Mr Sarazin, que tant de beaux Ouvrages ont rendu fameux, regardoit celuy-là comme son Chef-d’œuvre ; & le Cavalier Bernin, pendant qu’il estoit en France, avoüa qu’il n’y avoit rien de plus beau à Rome. Cependant Mr le Président Perrault ne s’est pas contenté de confier sa reconnoissance à la durée du Bronze de ce magnifique Monument. Il a fondé à perpétuité un Service solemnel qui se doit faire le premier de Septembre, jour de la naissance de feu Monsieur le Prince, pour le repos de l’ame de S.A.S. & une Oraison Funebre à sa gloire, & à celle de son auguste Maison. Pour cet effet, il laisse par son Testament à la Maison Professe des Jesuites quarante mille livres ; & prie Monsieur le Prince de trouver bon que son Trésorier se charge de six mille quatre cens livres, pour en faire un Revenu de trois cent vingt, qui seront employées tous les ans à faire faire quatre Bources de Jettons d’argent, à raison de quatre-vingts livres chacune. D’un costé de ces Jettons seront les Armes de feu Monsieur le Prince, avec cette Légende, Henricus Borbonius, Princeps Condæus ; & de l’autre, ce sera un Tombeau à l’antique, d’où sortiront des Lauriers & des Branches de Lierre qui l’embrasseront, avec cette Devise à l’entour, Etiam post fata fidelis. Trois de ces Bources seront distribuées à Messieurs les Administrateurs de l’Hostel-Dieu, que Mr le Président Perrault prie d’assister à ce Service ; & l’autre sera pour le Prédicateur qui prononcera l’Oraison Funebre : Et au cas que les Jesuites manquent deux années de suite à satisfaire aux Clauses de cette Fondation, Mr le Président Perrault donne à l’Hostel-Dieu les quarante mille francs qu’il leur a laissez. Enfin, pour étendre sa reconnoissance envers feu Monsieur le Prince jusques sur sa glorieuse Posterité, il prie par son Testament S.A.S. Monsieur le Duc, d’accepter Montmirail, Auton, & la Bazoche, trois Baronnies tres-considérables dans la Province du Perche, & qui valent plus de vingt-cinq mille livres de rente. M. Girard, Seigneur du Thil, Conseiller au Parlement de Bourgogne, & Neveu de Mr le Président Perrault, est son unique Heritier. Tous ceux qui le connoissent, demeurent d’accord que son mérite est plus grand que sa fortune ; & chacun applaudit à la justice qui luy a esté renduë, parce qu’il a toutes les qualitez qu’un honneste Homme doit avoir. Le reste du Testament de Mr le Président Perrault contient quantité de Legs particuliers, sur tout, force Legs pieux ; & comme il y a peu de Convents qu’il n’ait assistez pendant sa vie, il y en a peu aussi qu’il ait oubliez à sa mort. Si vous voulez voir un Portrait de luy entiérement ressemblant, donnez-vous la peine de lire l’Epitaphe suivante que je vous envoye. Elle est de la plume de Mr Boursault, qu’il a honoré de son amitié, & dont il avoit fait mention sur deux Testamens.

Dans les Murs d’une Ville, où les eaux de la Saône
Semblent avoir regret d’aller joindre le Rhône,
D’un Sang qu’en divers temps on a veu tant de fois
Zelé pour sa Patrie, & fidelle à ses Roys,
Nâquit l’Esprit fécond en sublimes lumieres,
Qui du pieux Passant implore les prieres.
Amy de l’Equité, pour défendre ses droits,
Il donnoit tous ses soins à l’étude des Loix,
Lors qu’un Prince fameux du Royal Sang de France,
Dont les hautes Vertus égaloient la Naissance,
Voulant de son mérite estre l’auguste appuy,
Pour régir sa Maison, jetta les yeux sur luy.
Si le choix de ce Prince eut une heureuse suite,
La France dés longtemps en est assez instruite :
Si Perrault fut sensible à l’honneur de ce choix,
Son zele & son respect l’ont dit assez de fois.
Enrichy des Bienfaits de son genéreux Maistre,
Au dela du trépas son zele sçeut paroistre.
Au Cœur de ce Héros, dont le sort fut si beau,
Sa fidelle douleur fit construire un Tombeau,
Où la délicatesse & la magnificence
Sont d’éternels témoins de sa reconnoissance.
Ce Ministre éclairé, qui sçavoit tout prévoir,
Ne borna pas son zele à ce pieux devoir ;
Il faloit un Conseil vigilant & sincere
A l’invincible Fils d’un si vertueux Pere.
Quoy qu’il pût voir en paix fructifier son Bien,
Au repos de ce Prince il immola le sien ;
Epousa sa fortune, & propice, & cruelle,
Et la voyant changer, ne changea point comme elle,
De ce Prince, adoré pour sa rare valeur,
On luy vit constamment partager le malheur ;
La Prison & l’Exil dont on punit son zele,
Ne pûrent l’empescher d’estre toûjours fidelle :
Semblable à ce métal & si pur & si beau,
A qui la moindre épreuve offre un éclat nouveau,
Apres de longs travaux, sa vertu plus brillante,
Emporta la victoire, & revint triomphante.
  Le reste de ses jours tranquile, indépendant,
D’un Tribunal illustre, illustre Président,
Il remplit avec gloire une si haute Place,
Et n’y parut jamais que pour y faire Grace.
Enfin en tant de Lieux où son Nom estoit craint,
Loin que d’une injustice on se soit jamais plaint,
Le Pauvre, dont la honte augmente le martyre,
Que la misere accable, & qui n’ose le dire,
Trouvoit dans sa tendresse un secours souverain,
Qui luy sauvoit l’affront d’aller tendre la main.
Vous, qui pleurez sa perte, Ames religieuses,
Solitaires sacrez, Communautez pieuse.
Soyez envers le Ciel, pour fléchir son courroux,
Charitables pour luy, comme il le fut pour vous ;
Joignez à la ferveur de vos saintes prieres
Les austeres Vertus qui vous sont familieres.
Et Vous, Dieu Tout-puissant, pour combler nos souhaits,
Accordez à son ame une éternelle paix.