1681

Mercure galant, octobre 1681 [tome 11].

2017
Source : Mercure galant, octobre 1681 [tome 11].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, octobre 1681 [tome 11]. §

[Vers au Roy sur le Sujet proposé pour le dernier Prix de l’Académie Françoise] §

Mercure galant, octobre 1681 [tome 11], p. 1-16.

Avoüez, Madame, que vous n’avez point douté que la Réduction de Strasbourg, dont on parle présentement dans toute l’Europe, ne dust faire le premier Article de cette Lettre, puis que depuis plus de quatre années vous n’en recevez aucune de moy qui ne commence par quelque Action de Sa Majesté. La matiere est belle, & on n’en sçauroit trouver qui fournisse davantage ; mais quelque ample qu’elle soit, elle demande de longues refléxions pour la traiter avec un peu d’ordre. C’est ce qu’il est malaisé de faire, tant qu’on est encor dans la surprise d’un évenement si peu attendu. La conduite toute merveilleuse qui a fait mouvoir les ressorts cachez de cette Entreprise, mérite qu’on s’arreste quelque temps à l’admirer ; & pour bien entrer dans le détail de tout ce qu’elle a d’extraordinaire, il la faut examiner avec la plus forte application. Quoy que les choses qui se sont passées en l’exécutant, ayent esté faites promptement, il n’y a rien eu de précipité. La Prudence & le Cabinet ont fait à loisir meûrir ce dessein, & ils ont si bien travaillé à mettre la force en état d’agir, que pour en assurer le succés, on n’a eu besoin que de la faire paroistre. Comme il m’est aisé de m’imaginer quelle est vostre curiosité sur cet Article, j’auray soin de la satisfaire avant que je finisse ma Lettre. Cependant pour ne faire pas si-tost cesser le plaisir que vous avez d’entendre parler de nostre auguste Monarque, je vous envoye des Vers qui ont esté faits pour le dernier Prix de l’Académie Françoise, & qu’on croit n’avoir pas esté donnez assez tost pour le disputer. Ils sont de Mr Bauldry, Curé de Fresnes, proche Montbard, Diocése d’Autun. Leur lecture vous fera connoistre la beauté de son génie. Nous en pourrions espérer plusieurs agreables Pieces, si l’état Ecclésiastique qu’il a embrassé pouvoit permettre à sa Muse de sortir des bornes que ce Caractere luy prescrit. C’est en quoy on ne sçauroit trop loüer sa modestie.

AU ROY.
Sur ce qu’on le voit toûjours tranquille, quoy que dans un perpétuel mouvement.

Grand Prince, quand je vois Thémis avec Bellonne
Régner également dans ta sage Personne,
Et que par une Route inconnuë aux Césars,
Ton courage intrépide au milieu des hazards,
Effaçant des Héros la celébre mémoire,
Te conduit à grands pas au Temple de la Gloire ;
Que d’une heureuse fin couronnant les Projets
Qui t’occupent sans cesse au bien de tes Sujets,
Quelque illustre dessein, quelqu’ardeur qui t’enflâme,
Tu conserves par tout une égalité d’Ame ;
Je suis enfin contraint de te dire, Grand Roy,
Que le sacré Valon n’a rien digne de Toy.
Les stériles loisirs que l’abondance donne,
Ne flétrirent jamais les Lys de ta Couronne ;
Et bien loin de tomber dans le relâchement,
Tu trouves le repos au sein du Mouvement.
Le zele des Autels, l’ordre de la Justice,
Le repos des Sujets, & l’art de la Police,
L’intérest de l’Etat, le commerce des Mers,
Font le flux & reflux de tes Emplois divers ;
Et lors que tous ces soins partagent ta conduite,
Tu conserves le calme, où tout autre le quitte.
Le Nocher qu’autrefois Mars avoit rebuté,
Traverse par tes soins les Mers en seûreté,
Et faisant un commerce heureux comme sa course,
Trouve des Cœurs François dans les Peuples de l’Ourse.
Icy pour rendre au Ciel le tribut de l’Etat,
Tu rétablis l’Eglise en son premier éclat,
Et renversant l’erreur des Sectes Herétiques,
Tu remets en vigueur les Loix Evangéliques.
Là d’un Esprit fertile en prodiges divers,
Arbitre souverain des Roys de l’Univers,
Comme si tu tenois la Fortune enchaînée,
Tu prononces l’Arrest qui fait leur destinée.
Tantost réglant le droit de tes Peuples soûmis,
Tu remets dans les mains la Balance à Thémis,
Et remplissant tes Cours de Gens doctes & sages,
Fais de tes Tribunaux autant d’Aréopages ;
Mais si dans ton esprit Thémis garde son rang,
Le mérite de Mars est aussi dans ton Sang,
Et le concert heureux de leur puissance unie
Exerce incessamment ton Bras ou ton Génie.
Qu’il fait beau voir LOUIS dans la tranquillité,
De cent Peuples unis méprisant la fierté,
Soûtenir par ses soins la France menacée,
Contre toute l’Europe en un Camp ramassée,
Et le vaste Occean qui dans le mesme temps
Portoit contre nos Lys des Royaumes flotans,
LOUIS sans se troubler voit gronder cet orage,
Et cette fermeté qui régne en son courage,
Ne trouvant rien par tout qui la puisse égaler,
Ne trouve rien aussi qui la puisse ébranler,
Il mesure au péril l’honneur de la Victoire ;
La grandeur du danger fait celle de sa gloire,
Et comme les périls ne luy font point de peur,
Les Victoires aussi n’enflent jamais son cœur.
Il court sans s’émouvoir où la Valeur le mene,
Et trouvant du repos au milieu de la peine,
Il joint tantost au Siege, & tantost au Combat,
La majesté de Prince au devoir de Soldat ;
Mais lors qu’en tant de soins son Esprit se partage,
Il change d’exercice, & jamais de visage,
Et dans ces mouvemens on diroit à le voir,
Que son repos consiste à n’en jamais avoir.
Là sur l’Escaut soûmis au joug de sa Victoire,
LOUIS marche à grands pas du péril à la gloire,
Et la mesme vertu qui le sçait engager,
Luy fait voir d’un mesme œil la gloire & le danger.
Icy l’Aigle du Rhin, & le Lyon du Tage,
S’efforcent vainement d’ébranler son courage.
Là Neptune étonné de ces Faits inoüis,
Soûmet de toutes parts son Empire à LOUIS.
Comme l’Astre du Jour dans sa vaste carriere
Répand en divers lieux sa féconde lumiere,
Tantost pour dissiper l’épaisse obscurité
Que la Terre envieuse oppose à sa beauté ;
Icy pour couronner le sommet des Montagnes,
Là pour rendre à Cerés le tribut des Campagnes,
Et cependant toûjours tranquille & glorieux,
Poursuit également sa course dans les Cieux.
Ainsi de ce Grand Roy la sage Politique.
Ménageant la fortune & la gloire publique,
Sçait partager dans l’ordre, & suivant les besoins,
En divers temps & lieux, ses veilles & ses soins ;
Et soit qu’au joug des Loix il soûmette le crime,
Soit que le Dieu de Thrace à la guerre l’anime,
Dans ces Emplois divers que le Sort luy produit,
Le calme l’accompagne, & la gloire le suit.
François, ne craignez plus le Germain, ny l’Ibere,
Puis que LOUIS vous sert & de Prince & de Pere ;
Et lors que de Bellonne il affronte les coups,
S’il ne craint rien pour luy, c’est qu’il craint tout pour vous.
Alors que sa valeur luy donne une Victoire,
Il nous laisse le fruit, & n’en veut que la gloire,
Et la gloire qu’il veut ne se termine à rien
Qu’au plaisir qu’il reçoit de vous faire du bien.
Sa peine & vostre Paix succedent l’une à l’autre,
Il ne perd son repos que pour gagner le vostre,
Et veut par ce moyen que le calme & l’honneur
Régnent dans ses Etats comme ils font en son cœur.

PRIERE POUR LE ROY.

Toy, dont la puissance supréme
Agit toûjours tranquillement,
Et qui mets tout en mouvement,
Sans jamais te mouvoir Toy-mesme ;
Si pour combler nos jours de benédictions,
Et graver dans nos cœurs de ton Nom la mémoire,
Tu fis part à LOUIS de tes perfections,
O Grand Dieu, fais aussi qu’il ait part à ta gloire.

[Messieurs de l’Academie de Villefranche celebrent la Feste de S. Loüis avec beaucoup de solemnité] §

Mercure galant, octobre 1681 [tome 11], p. 16-17.

Cette Piece qui m’oblige à rapeller le jour de S. Loüis, dans lequel la distribution des Prix a esté faite, me fait souvenir en mesme temps de vous rendre compte de la maniere dont l’Académie de Villefranche a celébré cette grande Feste. Ceux dont elle est composée s’estant rendus le matin dans l’Eglise avec leurs Habits de cerémonie, prirent les places qui leur avoient esté préparées dans le Chœur, & l’on chanta la Grand’Messe avec beaucoup de solemnité. Mr Saladin Ecclésiastique, qui est du nombre de ces Académiciens, prononça le Panégyrique de S. Loüis avec autant de succés qu’on en pouvoit espérer, & cette premiere cerémonie se termina par des Prieres publiques pour Sa Majesté.

[Lettre de Madame la Viguiere d’Alby] §

Mercure galant, octobre 1681 [tome 11], p. 26-32.

Madame la Viguiere d’Alby est une Personne si rare, qu’il ne part rien d’elle qui ne mérite que vous le voyiez. Voicy une de ses Lettres qui m’est tombée depuis peu entre les mains. Elle est écrite à une Dame d’Avignon, qui sans l’avoir veuë, avoit témoigné de l’empressement pour estre de ses Amies. On n’a pû me dire si elle s’est acquitée de sa parole touchant son Portrait promis. Je juge aisément de la joye que vous auriez de le voir, par l’estime que vous faites de tous ses Ouvrages.

A MADAME LA TRESORIERE DE PIELLAT.

On n’a pas manqué, Madame, de me faire sçavoir les sentimens de bonté que vous avez pour moy, & je n’ay garde de négliger un panchant qui me fait tant d’honneur. Jusques icy c’est seulement l’ouvrage des Etoiles, puis que vous ne m’avez jamais veuë ; mais je prétens leur aider, & si vostre cœur ne leur résiste pas, j’espere de donner des suites fort tendres à des commencemens si obligeans & si particuliers. Croyez, s’il vous plaist, Madame, que si je desire d’entrer en commerce avec vous, c’est moins pour le plaisir d’une Avanture singuliere, & pour fournir des nouvelles au Mercure Galant, que parce qu’effectivement je sens un je ne sçay quoy qui m’atire vers vous. Mes petits Ouvrages m’ont souvent attiré de divers endroits des honnestetez de mesme nature que les vostres, mais en verité je n’y ay pas esté si sensible. Vous ne me connoissez, Madame, que par ma Prose & mes Vers. Ce n’est point assez. J’ay dessein de vous envoyer mon Portrait au premier jour, afin que vous me connoissiez toute entiere, pour l’esprit & pour le corps, car je ne veux point tromper vostre idée. Je veux au contraire que vous sçachiez bien quelle est la Personne que vous aimez. J’espere que la force de vostre inclination vous obligera de m’aimer avec mes defauts ; & afin que vous n’ignoriez rien de ce qui me regarde, je vous diray, Madame, que je passe ma vie dans un petit coin du Monde tres-favorisé du Ciel & de la Nature, où l’on respire un air temperé, où les Gens ont de l’esprit & de la politesse, & où la joye & les plaisirs régnent dans tous les cœurs, excepté dans le mien. J’ay esté presque aussitost Veuve que mariée, & j’ay souffert dans cette condition des traverses, des peines, & des embarras incroyables. Il est vray que j’ay pour mon soulagement, la liberté & l’indépendance, dont les plaisirs sont si vantez, & qui ne me servent que pour écrire autant qu’il me plaist en Vers & en Prose ; mais, Madame, je pourrois bien faire un jour un plus doux usage de ma liberté. Elle peut me conduire à Avignon, & il ne tiendra qu’à vous de fortifier l’envie que j’ay de faire ce Voyage. Vous n’avez pour cela qu’à me continuer vos bontez. Abandonnez-vous bien, Madame, au panchant que vous avez pour moy. Laissez faire les Astres qui l’ont fait naître. Essayez jusques où ils vous meneront. Vous n’avez rien à craindre, puis que la conformité de Sexe vous oste la peur que l’on a quelquefois de leurs influences. Vous trouverez en moy tous les sentimens que le cœur le plus délicat & le plus tendre, peut avoir pour ce qu’il aime ; & le soin que j’auray de rendre nostre commerce divertissant, vous fera connoistre le desir que j’ay de vous plaire, & de quelle maniere je suis avec respect,

Vostre tres-humble & tres-obeïssante Servante, La Viguiere d’Alby.

[Lettre à la mesme touchant sa nouvelle Secte de Philosophes] §

Mercure galant, octobre 1681 [tome 11], p. 33-47.

Je vous envoyay il y a deux mois une Lettre d’un spirituel Inconnu, par laquelle il demandoit à entrer dans la nouvelle Secte de Philosophes, dont Madame la Viguiere d’Alby nous a donné le galant Projet. Depuis ce temps-là il a changé de pensée, & n’en trouve plus les Statuts commodes, si on prétend les faire observer avec rigueur. Voyez, Madame, s’il vous convaincra par ses raisons.

A MADAME DE SALIEZ, VIGUIERE D’ALBY.

Je desespere à présent, Madame, d’entrer en vostre Académie. Il faut vous parler sincérement. Si vous en demeurez à vos premieres Loix, rien n’est si contraire à l’esprit de vostre Sexe que l’amour, & j’aime avec passion depuis peu de jours. La Lettre que je vous écrivis dans le temps que j’estois libre, m’a attiré sans vanité des loüanges ; & comme je ne fais jamais rien sans l’exposer à la censure de mes Amis, ils n’ont pû garder le secret, par l’interest qu’ils prennent à ma gloire. Le Peintre de soy-mesme a esté malheureusement connu d’une Belle, qui apres en avoir estimé la Copie, a genéreusement étendu son estime jusques à l’Original. Si je me suis servy du terme de malheureusement, où les autres en pareille rencontre se croiroient heureux ; la raison, Madame, est que vous fermez la Porte de vostre nouvelle Académie aux Amans de l’un & de l’autre Sexe. Cependant comme vous distinguez deux sortes de beaux Esprits, je vous prie aussi de considérer en ma faveur deux sortes d’Amans. Les uns sont insensez. On les entend soûpirer par tout. Ils parlent souvent aux Arbres & aux Rochers, pour ne pouvoir se parler à eux-mesmes. Ils se contrarient sans cesse, & ils font, comme on dit communément, des sauts du Ciel en Terre. Tantost ils élevent le mérite de leurs Maîtresses jusqu’à les placer parmy les Divinitez. Tantost ils les abaissent & les traitent de Furies. Quelques graces qu’elles ayent, un air de froideur les desespere. Un regard les rassure. Si leur imagination facile à blesser les détourne, leur cœur fragile les rapelle incontinent, & ils sont si peu à eux, qu’ils ne jugent des choses que par hazard, par caprice, ou par passion. Un sote & aveugle complaisance est pour l’ordinaire la regle de leur conduite. On remarque qu’ils blâment ce qu’ils ont approuvé, & qu’ils changent aussi aisément de sentimens que de visages, semblables aux Caméleons, qui trompent les yeux par la diférence des couleurs. Ce sont des Prothées qui prennent toutes sortes de figures, pour faire autant de personnages qu’il y a de passions chez eux. Les injures suivent de pres leurs douceurs. Ils s’ennuyent & ennuyent les autres par leurs discours extravagans, & par leurs manieres ridicules. Ce sont là, Madame, ces Amans que l’on doit exclure du nombre de vos Sectateurs, lesquels au contraire font profession de suivre la raison, & de rechercher sur toutes choses la tranquillité de l’esprit, & le bonheur de la vie. Mais il y a d’autres Amans qui sont & tendres & raisonnables, & qui rendant justice au mérite, aiment ce qui est aimable ; qui ne découvrent jamais leurs sentimens qu’à leurs Maîtresses ou à leurs Amis sages, sincéres, & fort expérimentez dans l’Art d’aimer, pour en recevoir des conseils. Si ces Amans paroissent quelquefois détachez à l’extérieur, c’est afin de n’estre point inquiétez dans leurs amours, ou par des Parens fâcheux, ou par des Rivaux incommodes. Ce détachement est un trait de Politique, & quoy que leurs cœurs soient à leurs Maîtresses, leurs esprits sont toûjours à eux. Ils aiment, sans perdre l’usage de la raison ; & s’ils cessoient d’en avoir, ils seroient incapables d’aimer. Qu’on ne me dise point que lors que l’on est bien amoureux, on ne se possede plus ; que les fréquentes émotions du cœur sont incompatibles avec le repos de l’esprit ; car l’expérience nous fait voir que si l’on a bien placé l’un, l’autre est satisfait ; & que comme le plaisir de l’amour est d’aimer, un beau réciproque qui naist de l’estime & de la constance, jointes à l’inclination, vient mettre fin à nos justes & pressans desirs ; ce qui fait le bonheur de la vie. En verité, Madame, il y auroit de l’injustice de refuser des Places dans vostre Académie à des Personnes si raisonnables. D’ailleurs je vous suplie tres-humblement de vous souvenir que l’amour est l’ame de nostre ame, l’harmonie du monde ; cette merveilleuse sympathie, qui prend, & qui entretient les esprits dans une parfaite intelligence ; que c’est le lien des cœurs ; que ces Esclaves volontaires estiment leur Chaîne plus qu’une Couronne, & que l’engagement de leur liberté n’est point une servitude, mais un pur sacrifice, un hommage, & mesme un plaisir ou une reconnoissance. Ils font leur gloire de la soûmission qu’ils ont pour les ordres de leurs Souveraines ; & comme elles sçavent commander, ils sçavent obeïr. En un mot ils aiment, & ils sont aimez. Helas, Madame, sans amour tout languit. Les plaisirs sont imparfaits, les desirs sont vains, les projets semblent inutiles. Quand l’imagination n’est plus échauffée par un Objet qui l’occupoit agreablement ; lors que l’esprit n’est plus remply de mille belles pensées que luy causoit la grandeur de son sujet ; lors qu’enfin le cœur est vuide, on est malheureusement dépourveu de tous ces avantages qui viennent de l’Amour, & non pas de la Nature ou de la Fortune. On devient stérile dans ses productions, paresseux dans ses actions, ennuyeux dans ses discours, bizarre dans ses manieres, misantrope dans ses jugemens, chimérique en ses prétentions. De bonne-foy, Madame, approuvez-vous ces Philosophes qui professoient hautement l’insensibilité ? Il faut avoüer que si l’on n’aime rien, l’on n’est bon à rien, & que toutes les passions ne sont qu’un Amour revestu de diférentes couleurs. La veritable Eloquence est celle du cœur. L’on pourroit mesme comparer le cœur à une Académie où l’on apprend le bel Art de persuader & de plaire. L’Amour en doit estre le Directeur. J’oserois adjoûter que les grands & les plus parfaits Philosophes sont les Amans raisonnables ; car à considérer le nom de Philosophe, on trouve que c’est l’Amant de la Sagesse. Ne m’objectez donc point, s’il vous plaist, Madame, que l’amitié a plus de charmes & plus de raport à la veritable Philosophie, que l’Amour ; qu’elle est plus de commerce ; que l’une est une vertu, & l’autre une passion. Pour répondre, il suffit d’examiner la diférente conduite d’un Amant & d’un Amy. Un Amy dit tout ce qu’il pense. Il écrit indiféremment toutes choses. Un Amant au contraire a peur de se commettre. Un Amy ne feint point de montrer à son Amy tous ses defauts. L’Amant les cache à sa Maîtresse pour s’en corriger. La familiarité & l’ouverture de cœur pour estre trop fréquente & trop grande, détruisent l’amitié. En amour cette discretion, ces égards, ces respects, entretiennent l’union parmy les cœurs. Le diray-je, Madame ? L’amitié qu’on vante tant, n’est à proprement parler dans l’usage ordinaire du monde, qu’un reste d’amour, puis que tres-souvent il arrive que lors qu’on cesse d’estre amoureux, ou par une inclination naturelle de changer, ou par un pur dégoust, l’on devient Amy par raison, ou par politique, pour n’estre point accusé d’inconstance, de caprice, & de peu de discernement. Mais à quoy bon, Madame, faire icy l’Apologie des Amans raisonnables ? Vous en connoissez trop le mérite & le prix. Ainsi loin d’appréhender que cette qualité nouvelle doive estre un obstacle à ma gloire & à mon bonheur, j’ay sujet de croire & d’espérer qu’elle me servira de moyen seûr pour m’attirer vostre estime, & pour me faciliter en mesme temps ma reception dans vostre illustre Académie, qui sera desormais l’objet des Personnes sages & capables. Je suis, Madame,

Vostre tres humble & tres-obeïssant Serviteur, Le Geolier de soy-mesme.

A Paris le 15. d’Oct. 1681.

[Histoire] §

Mercure galant, octobre 1681 [tome 11], p. 48-63.

Il seroit à souhaiter que tous ceux qui aiment demeurassent dans les bornes que l’Autheur de cette Lettre prescrit à l’Amour. Comme la raison en seroit la regle, cette passion, si dangereuse pour la plûpart des Amans, leur feroit goûter des plaisirs sans trouble, & on n’auroit point à leur reprocher toutes les folies dont elle est la cause. La plus blâmable de toutes est de mourir à force d’aimer. La chose est rare, mais non pas assez pour n’en pouvoir fournir un exemple. Vous le trouverez dans l’Avanture qui suit. Un Cavalier, à qui les Belles donnoient le nom d’Insensible, parce qu’il n’avoit jamais eu d’engagement, rencontra un jour dans les Tuileries une grande Brune, dont la beauté le surprit. La majesté de sa taille luy donnoit un air qui la faisoit distinguer parmy celles de son Sexe qui s’atiroient le plus de regards. Il la suivit dans plusieurs Allées, & curieux malgré luy, il ne voulut point la perdre de veuë qu’il n’eust sçeu qui elle estoit. On luy apprit que son Pere mort depuis quatre ans, luy avoit laissé dequoy estre satisfaite du costé de la fortune ; qu’on l’estimoit fort pour ses belles qualitez ; que sa Mere n’avoit d’autre passion que de la voir mariée ; & que sa beauté luy ayant acquis grand nombre d’Adorateurs, on attendoit tous les jours qu’elle s’expliquast pour faire un Heureux. La foule d’Amans dont le Cavalier fut informé, luy fit prendre le dessein d’approfondir le mérite qui luy attiroit cette grosse Cour. Il trouva moyen d’avoir accés chez la Belle, & plus il la vit, moins il fut capable de luy refuser son cœur. Cette charmante Personne avoit un brillant d’esprit qui eust enchanté les plus délicats, & elle y joignoit une maniere de dire les choses si agreable & si enjoüée, qu’il estoit presque impossible de la voir souvent, & de s’en tenir pour elle à l’estime. Le Cavalier ne fut pas longtemps sans aller plus loin. Son instant fatal estoit venu, & en cinq ou six visites il en devint amoureux si éperduëment, qu’il fit éclater sa passion par toutes les marques qu’un galant Homme en puisse donner. Il étudioit son goût pour inventer mille Parties de plaisir. La Promenade succédoit à l’Opéra, la Comédie à la Promenade, & il se passoit fort peu de soirs sans qu’il divertist la Belle en faisant joüer les Violons dans sa Ruë. Ainsi tout son Voisinage profitoit de l’amour du Cavalier, & on n’y parloit que de sa galanterie. La Belle qui avoit l’humeur portée à la joye, luy tenoit compte de ses complaisances ; & la maniere obligeante dont ses soins estoient reçeus luy faisant croire qu’il avoit touché son cœur, il ne douta point qu’en se déclarant, il ne la vist disposée à l’écouter favorablement. Il avoit beaucoup de Bien, & cet avantage pouvoit seul suffire à faire accepter ce qu’il proposa. Ce fut cependant inutilement qu’il s’offrit à l’épouser. Le Mariage fit peur à la Belle, & les plus fortes raisons dont se pût servir la Mere pour obtenir son consentement, furent incapables de l’ébranler. Elle dit toûjours qu’elle vouloit vivre libre ; que l’Amant le plus soûmis devenoit en peu de temps un Mary impérieux ; & que faisant consister le souverain Bien dans l’indépendance, elle croyoit se devoir plus qu’à personne, & n’estre pas condamnable de préferer le repos d’esprit à une vie pleine d’embarras. Le Cavalier ne s’étonna point d’abord. Quoy que ses refus fussent appuyez de raisons solides, il ne pût s’imaginer que l’état de Fille la satisfist autant qu’elle l’assuroit ; & dans l’espérance que le temps & ses services luy feroient changer de sentimens, il redoubla ses vœux & ses soins pour l’engager insensiblement à répondre à son amour. La Belle estoit fort contente de ses assiduitez. Elle luy trouvoit infiniment du mérite, & rien ne luy plaisoit tant que les conversations d’esprit qu’ils avoient ensemble ; mais dés qu’il parloit de Mariage, ce n’estoit plus la mesme Personne. Son visage se changeoit, & elle prenoit un sérieux entierement opposé à son caractere. Le Cavalier voyant qu’il n’obtenoit rien, employa pour la gagner la meilleure de ses Amies, mais cette Amie eut beau parler fortement. La Belle demeura inéxorable, & enfin le Cavalier desespérant d’en venir à bout, s’abandonna tellement à ses chagrins, qu’apres six mois de poursuite, il fut saisi d’une Fiévre lente qui le rendit jaune & tout languissant. Cette Fiévre lente se changea en suite en continuë, & les accés en furent si violens, qu’on desespéra d’abord de sa vie. Il resvoit presque à toute heure, & en resvant il nommoit toûjours la Belle. On la pria de le venir voir, & de luy donner du moins de trompeuses espérances pour tâcher de le sauver ; mais son transport s’estant augmenté quand elle entra dans sa Chambre, il perdit presque aussitost l’usage des sens & de la parole, & tout le secours de la Medecine ne pût l’empescher de mourir le lendemain. Il laissa un Frere Héritier de tous ses Biens, qui eussent esté pour luy une fortune tres-considérable, s’il n’eust pas en mesme temps hérité de son amour. Il vit la Belle, & en fut encor plus épris que son Aîné. Il le surpassa en soins assidus, & fit ses efforts pour le surpasser en galanterie. Comme il estoit plus riche & plus jeune, il crût qu’il réüssiroit à luy plaire, & s’en flata d’autant plus qu’il faisoit de jolis Vers, & qu’elle avoit de la joye qu’il en fist pour elle. Ainsi tous les jours elle en recevoit un Billet galant, & ne se fâchoit jamais des termes d’amour qu’il y employoit. Apres luy avoir marqué pendant un an tout l’empressement imaginable, il voulut parler d’affaires, mais il luy trouva le mesme dégoust qu’elle avoit déja montré pour le Sacrement, & quoy qu’il pût faire pour la fléchir, elle resta ferme dans sa premiere résolution. Accablé de ses refus, & ne trouvant rien d’aimable apres elle, il abandonna le monde, & alla prendre l’habit de Chartreux dans un Monastere assez écarté, où l’austérité de cette Regle luy fait beaucoup moins de peine que ce qu’il souffroit par sa passion. Sa retraite, qui a eu la mesme cause que la mort de son Aîné, a donné lieu à cet Epitaphe.

L’on ne doit point douter qu’une extréme soufrance,
D’un Amant, tost ou tard, ne cause le trépas.
Helas ! quand les rigueurs égalent les appas,
La Mort, malgré l’Amour, surmonte la constance.
Deux Freres trop charmez, ont péry tour-à-tour,
Languissant pour Iris aussi fiere que belle.
L’un finit au Tombeau sa peine trop cruelle,
L’autre dans un Desert pour jamais fuit le jour.
Ainsi pour trop chérir sa beauté sans seconde,
L’un mourut pour toûjours, & l’autre est mort au monde.

Voyez Madame, combien cette Belle est éloignée de la conduite que tiennent la plûpart de celles qui luy ressemblent. Elles n’ont soin de faire valoir leurs charmes que pour avoir plutost un Mary ; & celle-cy n’a que des rebuts pour ses Amans, dés qu’ils ont dessein de prendre le nom d’Epoux. Elle a pourtant changé de méthode ; & soit qu’elle ait craint de rester sans Soûpirans, soit que le scrupule de mettre au Tombeau ses Adorateurs l’ait obligée à se repentir, apres en avoir encor rebuté un fort grand nombre, elle s’est enfin renduë, & un galant Homme, plus heureux que tous les autres, a eu l’avantage de luy faire prononcer le terrible mot qui l’éfrayoit tant.

[Madame la Marquise de Livry accouche d’un Garçon] §

Mercure galant, octobre 1681 [tome 11], p. 70-71.

Madame la Marquise de Livry est accouchée presque en mesme temps que Madame la Duchesse de Mortemar. Dieu répand sur elle une ample benédiction, puis qu’elle a donné un quatriéme Petit-Fils à Monsieur le Duc de S. Aignan son Pere. Ce doit estre un sujet de joye sensible à ce Duc, de se voir renaître dans un si grand nombre de Descendans, qui en suivant son exemple, ne sçauroient manquer d’estre aussi galans que braves, & de servir un jour l’ornement à la plus belle & la plus polie de toutes les Cours.

[Remarque sur les Fables] §

Mercure galant, octobre 1681 [tome 11], p. 71-73.

Je continuë à vous envoyer des Fables. Aucune lecture ne peut estre plus utile, pourveu qu’on en veüille profiter. Les Anciens qui sçavoient du moins aussibien que nous, en quoy consiste la véritable Sagesse, ne dédaignoient pas d’y employer quelques heures ; & ces Ouvrages, quoy que courts & enjoüez, n’estoient point traitez de bagatelles. En effet, les Moralitez que l’on en tire sont des Leçons qui s’impriment dans le cœur ; & si c’est le plus agréable moyen d’y faire naître de l’aversion pour le vice, ç’en est en mesme temps le plus seûr, puis que les Fables instruisent en divertissant, & qu’elles font faire de solides refléxions à l’Homme sur ce qu’il entend dire à l’égard des Bestes. Plusieurs des Peres s’en sont servis dans la mesme veuë ; & si on veut lire le neufviéme Chapitre du Livre des Juges, on verra que Joatham, pour faire connoistre à ceux de Sichem ce qu’ils devoient craindre d’Abimelech qu’ils avoient choisy pour Roy, fait parler les Arbres comme s’ils avoient voulu prendre un Souverain.

Le Chabo, et les Vérons. Fable §

Mercure galant, octobre 1681 [tome 11], p. 74-82.

Ces grands exemples qu’on suit toûjours avec gloire, doivent engager tous ceux qui ont du talent pour la Poësie, à imiter Monsieur de Mandajors, Juge Genéral de la Ville & Comté d’Alais, qui a dérobé quelques momens à ses sérieuses occupations pour nous donner la Piece qui suit.

LE CHABOT, ET LES VERONS.
FABLE.

Certain Chabot à grosse écaille,
Et d’extraordinaire taille,
Se faisant redouter dans un grand Reservoir,
Voulut étendre son pouvoir,
(Dépourveu de toute tendresse,)
Jusques à devorer ceux de sa propre espece.
Dans ce dessein remply de cruauté,
Il nage fiérement d’un & d’autre costé,
Et les autres Poissons qu’il trouve sur sa voye,
De ce Monstre inhumain sont aussi-tost la proye.
Ce n’est pas toutefois faute d’autre aliment,
Il en pourroit avoir d’ailleurs suffisamment,
  Mais c’est que le Barbare
Fait de ses Compagnons un mets friant & rare.
Ceux-cy se voyant si pressez,
Se trouvent fort embarrassez.
Chacun craint qu’il ne l’engloutisse,
Et l’on ne voit que trop qu’il faut que tout périsse,
Si d’un pareil carnage on n’arreste le cours.
Ils cherchent en vain du secours,
Personne ne vient à leur aide,
Et leur mal semble sans remede.
Mais comme on dit communément
Que la douleur donne du jugement,
Ce Proverbe en ce cas se trouva veritable ;
Car dans cet état pitoyable,
Etat à nul autre pareil,
Ces pauvres Animaux ayant tenu conseil,
En députerent un propre pour la harangue,
Et par l’esprit & par la langue,
Et qui n’ayant jamais tremblé dans les hazards,
Pouvoit du Monstre affreux soûtenir les regards.
Mais doutant justement que cet Impitoyable
En l’écoutant devinst traitable,
Pour se mettre en état d’avoir quelque repos,
Et l’empescher de faire plus de maux,
L’on fit deux Bataillons qu’on mit en embuscade,
En cas d’inutile Ambassade,
Sous la mousse, à chaque costé
Du chemin que devoit tenir le Député,
Si le Chabot voulant sur luy faire dent basse,
Le contraignoit à faire volte-face ;
Dessein judicieux, & qui dans peu de temps
Rendit ces Malheureux contens,
Ainsi qu’on va voir par l’issuë.
L’Ambassade d’abord fut assez bien reçeüe ;
Le Poisson Orateur luy fit un compliment
Qui fut oüy, dit-on, fort attentivement ;
Mais il n’eut pas longtemps favorable audience,
Car si-tost qu’il voulut par humble remontrance
Luy faire voir les maux que ses dents avoient faits ;
Je n’entens rien, dit-il, parlez-moy de plus pres,
Et cela pour pouvoir à coup seûr s’en défaire.
 Seigneur, il n’est pas necessaire,
Dit l’autre, connoissant le dessein du Matois,
De divers tons encor je puis hausser la voix,
Et vous pourrez m’oüir nonobstant la distance.
Quoy, repart le Chabot, est-ce ainsi qu’on m’offence ?
 Je veux, morbleu, te devorer.
Et moy, dit l’Envoyé, je veux me retirer ;
 Adieu, je ris de tes machoires,
A qui courra plus viste exerçons nos nageoires.
Apres ce peu de mots il fuit,
Et le Chabot enragé le poursuit
Jusqu’à l’endroit marqué pour sa juste défaite ;
Mais il est bien surpris lors qu’il sent qu’on l’arreste,
Et qu’au mesme moment il voit mille Vérons
Tenant aux dents ses aîlerons.
Il fait quelques efforts, mais tout est inutile ;
Pour l’un d’eux qu’il devore, il en voit fondre mille,
Et tous ses aîlerons jusqu’à la peau rongez,
Ne luy font que trop voir ses Ennemis vangez.
Dans ce honteux état, le malheureux Coupable
Se trouvant tout-à-coup le ventre sur le sable,
Leur demande instamment de le faire mourir.
Non, non, répondent-ils, il faut encor soufrir,
 Et pour augmenter ton suplice,
Nous voulons que la faim te rende cet office.
***
Noble, qui dans ta Terre abusant de tes droits,
Foules incessamment tes pauvres Villageois ;
Et toy, Juge, qui n’as pour but que la finance,
Et qui de l’Orphelin devores la substance,
Si ce Tableau ne vous sert de leçon,
Craignez le sort de ce Poisson ;
Ceux que vous opprimez avec tant d’injustice,
Trouveront à la fin l’occasion propice ;
Un Intendant, ou de Grands-Jours,
A qui si justement ils auront eu recours,
Pour arrester vostre pesante serre,
Sçauront bien vous oster & la Charge & la Terre.

La Mouche, et la Fourmy. Fable §

Mercure galant, octobre 1681 [tome 11], p. 102-107.

Une bagatelle cause quelquefois de grands démeslez. Si on veut sçavoir ce qui en arrive ordinairement, il ne faut que lire ce qu’on m’a donné de la façon du Berger Fidelle des Accates.

LA MOUCHE, ET LA FOURMY.
FABLE.

Dame Mouche & Dame Fourmy,
Chez le Papillon leur Amy,
Qui gardoit le Logis pour s’estre froissé l’aîle,
Un jour ensemble eurent querelle,
Et contesterent le Fauteüil.
La premiere, grosse d’orgueüil,
Faisoit sonner fort haut son antique noblesse,
Et prétendoit l’avoir par là.
 J’ay, disoit-elle, outre cela,
Plus que cette Magote, & d’esprit, & d’adresse,
Et je luy cederois, moy, qui sans me flater
 Crois avoir droit de l’emporter
Sur tous les Animaux qui rampent & qui volent ?
 Si les Corybantes immolent
 Un Bœuf à la Mere des Dieux,
Malgré leurs hurlemens & leurs cris furieux,
 J’en goûte toûjours avant elle.
 Ne baisay-je pas Isabelle
 Aussi souvent que son Epoux,
Sans qu’elle s’en chagrine, ou qu’il en soit jaloux ?
 Je ne dis rien de l’avantage
Que j’ay de rehausser l’éclat de son visage,
Ny de celuy d’entrer dans la Chambre d’un Roy
A toute heure ; il ne tient qu’à moy
D’aller à son dîné manger de son potage.
Que puis-je dire plus de mon heureux destin ?
Jambons, Tourtes, Pastez, Viandes grosses, légeres,
Crêmes, Tartes, Bugnets, sont mes mets ordinaires.
 Tous les jours je suis en Festin.
 Mais toy, vil Avorton, malheureuse Pécore,
 Dés la naissance de l’Aurore,
 Si tu ne veux mourir de faim,
 Il faut de ton creux soûterrain
 Que tu sortes le ventre vuide,
Pour aller le remplir d’une viande insipide,
De quelques grains pourris, d’eau bourbeuse. D’accord,
Luy répondit nostre Fourmy prudente ;
 Mais satisfaite de mon sort,
 Dans cette eau sale & croupissante,
 Dans ces mets fades & gâtez,
Je trouve plus de goust queI vous en vos Pastez.
 Je ne suis point oisive & faineante,
Je travaille sans cesse, & fais tous les Etez
Provision de Bled pour la saison des neiges.
 Mais vous, vivant du jour au lendemain,
Petite Fanfaronne, alors il est certain
 Que malgré tous vos privileges,
 Vous mourrez de froid & de faim.
La Guespe sur ces entrefaites
Vint visiter le Papillon,
Tout étourdy du carillon
Que nos Belles faisoient en se chantant guoguetes.
D’abord, sans s’en faire prier,
Elle prit le Fauteüil, & les laissa crier.
***
Cet Apologue, ce me semble,
Vérifie assez bien le Proverbe suivant,
Sçavoir, qu’un Tiers joüit souvent
Des Biens dont deux plaident ensemble.

Air nouveau §

Mercure galant, octobre 1681 [tome 11], p. 125-126.

Je vous envoye un Air dont on croit que les Paroles ont esté faites par Mr de Monbron Conseiller au Parlement de Toulouse. Le fameux Mr de Bassilly les a notées.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Ma raison a finy ma peine, doit regarder la page 126.
Ma raison a finy ma peine,
J’ay cessé d’aimer sans espoir.
Je ne suis plus charmé des attraits de Climene,
Cependant je n’ose la voir.
Helas ! mon erreur est extréme ;
Si je la crains encor, je l’aime.
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Le Faux Asnier. Nouvelle §

Mercure galant, octobre 1681 [tome 11], p. 126-157.

J’allois vous conter en Prose une Avanture plaisante dont on m’a nommé les Intéressez, quand j’ay découvert qu’un Cavalier qui réüssit assez en Poësie, s’estoit diverty à la mettre en Vers. Je luy en ay fait demander une Copie dont je croy devoir vous faire part. Vous me manderez si sa maniere de tourner un Conte vous aura paru assez agréable, pour vous faire souhaiter d’en voir quelques autres de sa façon.

LE FAUX ASNIER.
NOUVELLE.

Fol est qui croit empescher qu’on ne s’aime,
Lors que le cœur en dit bien fortement.
Contre l’Amour point de pouvoir supréme ;
C’est dont je puis donner fort aisément
Preuve autentique, en racontant comment
Amante aimée, Amant aimé de mesme,
Apres maint trouble & maint empeschement,
Par le moyen d’un heureux stratagéme,
Dans leurs amours ont eu contentement.
Depuis quinze ans une gente Pucelle,
Meuble, dit-on, difficile à garder,
D’une Grand-Mere essuyant la tutelle,
En prenoit loix, & vivoit sous son aîle.
Nulle n’estoit si belle à regarder.
Des Regardans la foule aussi fut telle,
Que nombre d’eux, pour s’y trop hazarder,
En peu de temps se broüilla la cervelle.
De ses beaux yeux plus qu’aucun fut épris,
Jeune Blondin portant courte Rapiere.
Ainsi que luy d’autres cherchoient à plaire,
Et pour pouvoir se tenir seûr du prix,
L’adresse estoit de gagner la Grand-Mere.
Il y mit peine, & s’en trouva fort bien.
La Vieille avoit aimé dans son jeune âge,
Et quelquefois il ne s’en falloit rien
Qu’elle n’aimast encor le badinage.
Ce fut par là qu’allant toûjours son train,
Sur son esprit le Blondin prit empire.
Il luy faisoit mille contes pour rire,
La carressoit, luy gratoit dans la main,
Et volontiers il eust fait encor pire,
Si pis faisant il eust esté certain
D’en obtenir plus d’aide en son martire.
Il ne perdit pres d’elle son Latin.
En sa faveur elle prêcha la Belle,
Et luy trouva le cœur assez enclin
A ne luy point vouloir estre cruelle.
Tendres soûpirs, sermens d’aimer sans fin,
Firent entre eux liaison mutuelle.
La Belle à tout préferoit le Blondin,
Et le Blondin ne vivant plus qu’en elle,
Avec un Roy n’eust changé son destin.
Ne restoit plus qu’un bon Contract à faire,
Qui les unist tous deux en Sacrement.
Chacun vouloit la chose également,
Mais par malheur la Belle avoit son Pere,
Qui rarement venant voir la Grand Mere,
Ne sçavoit rien de cet engagement.
Adonc luy vint dire un jour bonnement,
Qu’estant nubile, encor que printanniere,
Il avoit sçeu luy trouver un bon Frere,
Qui la feroit vivre gaillardement.
Coup de Poignard n’eust pour elle esté pire,
Elle en pensa tomber en pâmoison,
Et se seroit résoluë à luy dire
L’effet qu’en elle avoit fait le poison,
Par qui tout cœur, vieux ou jeune, soûpire.
Mais qu’espérer ? c’estoit un Maistre Sire,
Qui n’entendoit ny rime ny raison
Sur cas choquans son paternel empire.
Va, luy dit-il, tu rouleras sur l’or.
Le riche Epoux que mon choix te destine,
Est un Marchand, dodu, de bonne mine,
Qui tous les ans met trésor sur trésor.
Le vray moyen de prendre bon essor,
C’est de sçavoir bien fonder la Cuisine.
Ah, mon Papa, je suis trop jeune encor,
Luy dit l’Enfant ; de peur d’estre trompée,
Je voudrois bien ne point prendre Mary,
S’il se pouvoit, que je n’eusse meury.
C’est pour toûjours, quand on est attrapée.
Si toutefois il vous est apparent
Qu’à moy qu’on voit aimer encor Paupée,
Doive si-tost duire d’estre occupée
A ce que Fille en mariage apprend,
Pourriez-vous point prendre un Homme d’épée,
Qui sçeust… Comment, dit le Pere en jurant,
Prendre pour Gendre un de ces Gentillâtres,
De leur noblesse insensez idolâtres,
Qui n’ont qu’un Lievre à gagner en courant ?
Plutost qu’on voye entrer dans ma Famille
Tels Fanfarons, qui souvent pour tous Biens
N’ont qu’un Bidet, & deux galeux de Chiens ;
J’aimerois mieux te laisser toûjours Fille.
Il n’en dit plus, & sortit couroucé.
A son Blondin la Belle rendit compte
Du beau Mary par son Pere annoncé,
Dont ne manqua de bien luy faire honte.
L’Amour alors par sermens redoublez,
Fut étably de durée eternelle ;
Chacun jura d’estre à l’autre fidelle,
Plus en s’aimant ils se verroient troublez.
Trois jours apres vint de nouveau le Pere.
Puis qu’un Marchand, dit-il, n’est point ton fait,
Réjoüis-toy, j’ay trouvé ton affaire.
C’est un Sçavant, mais un Sçavant parfait,
Qui sçait les Loix mieux que qui les fit faire.
Depuis quatre ans qu’ils s’est fait Avocat,
Il a plaidé déja plus de cent Causes.
Il parle d’or, a l’esprit délicat,
Et t’apprendra, si tu veux, bien des choses.
De l’Avocat fut comme du Marchand.
La Belle estoit toûjours en trop bas âge,
Et ne sentoit encor aucun panchant
A se soûmettre au joug du Mariage
Autres Maris le Pere proposa.
Sur chacun d’eux elle resta muete,
N’en fit nul cas, & tant en refusa,
Qu’en raisonnant enfin il s’avisa
Qu’elle pouvoit avoir une amourete.
Il s’en enquit, & sçeut que librement
Un beau Blondin ses soins luy venoit rendre,
Il en gronda la Grand-Mere âprement,
Luy fit vergogne, & jura hautement
Sur ses grands Dieux, qu’oncques n’auroit pour Gendre
Traîneur d’Epée, & fut ce dur serment
Suivy d’effets si fâcheux, que l’Amant
De desespoir en a pensé se pendre.
Apres qu’ainsi le Pere eut bien pesté,
De chez la Vieille il retira la Belle,
Dans sa Maison la mit en seûreté,
Bien enfermée avec garde fidelle,
Qui jour & nuit restant en sentinelle,
Ne luy laissoit la moindre liberté.
Ainsi vécut le cœur fort contristé
Pendant deux ans l’amoureuse Pucelle.
Dans une Chambre, Hyver, Printemps, Eté,
On la tenoit en contrainte mortelle,
Et quand sortir estoit necessité,
On ne manquoit de sortir avec elle.
Tant de rigueur n’eut pourtant le pouvoir
De l’empescher d’estre toûjours constante.
Pour son Blondin qu’elle ne pouvoit voir,
La Pauvreté eut l’ame encor plus ardente,
Et ne songea d’abord matin & soir
Qu’à consulter par où luy faire entendre,
Qu’ayant l’amour le plus fort, le plus tendre
Que pour Amant, Amante puisse avoir,
Contre son cœur quoy qu’on pust entreprendre,
Autre que luy ne pourroit l’émouvoir.
Un jour estant à genoux dans l’Eglise,
Où l’on soufroit qu’elle allast le matin
Aux jours de Feste, elle fut fort surprise
D’apercevoir pres d’elle son Blondin.
Comme il n’estoit connu de la Servante
Qu’elle avoit lors pour seule Surveillante,
Tenant son Livre, & feignant de prier,
Elle luy dit, ce soir sous ma fenestre
Avec la nuit ne manquez de paroistre.
Crayon pour plume, & Cartes pour papier,
Me serviront à vous faire connoistre
Que j’aime trop, pour pouvoir oublier
Que de mon cœur je vous ay rendu maître.
Ainsi parla, mais sans jetter les yeux
Sur le Blondin, qui n’osant luy rien dire,
Pour ne donner sujet aux Curieux
De remarquer que pour elle il soûpire,
Chez luy soudain courut Billet écrire,
Qu’au rendez-vous il porta fort joyeux.
Quand il y fut, bientost survint la Belle,
Le cœur pour luy percé d’un trait fatal.
Crachant, toussant, pour amoureux signal,
Elle luy fit sçavoir que c’estoit elle.
Lors mainte Carte écrite en stile doux,
Avec un fil fut en bas descenduë,
Car de papier elle n’estoit pourveuë,
Non plus que d’encre ; & le Pere en couroux
Avoit enjoint de puissance absoluë
Qu’on ne laissast Ecritoire à sa veüe,
Tant qu’il l’eust mise au pouvoir d’un Epoux.
L’Amant reçeut ce gage de tendresse,
De joye au cœur tres-vivement touché.
En suite au fil son Billet attaché
Alla charmer son aimable Maîtresse.
Le Jeu faisant son plus fréquent plaisir,
Cartes jamais ne manquoient pour écrire.
Elle en avoit tous les jours à choisir,
Pour expliquer au Blondin son martyre,
Et tous les jours par là sçavoit luy dire
Qu’en estre aimée estoit tout son desir.
Pendant qu’ainsi l’Amour prenoit racine,
Plus nos Amans de s’écrire avoient soin,
Avint qu’enfin foiblesse de poitrine
Fit de secours que la Belle eut besoin.
Pour en chercher contre cette foiblesse,
Medecin vint, ordonna Lait d’Asnesse,
Dont le Blondin fut soudain averty.
Que n’ose-t’on, quand l’amour est extréme ?
Pour voir sa Belle, il choisit le party
De luy porter le breuvage luy-mesme.
Dans ce dessein, sans trop s’en étonner,
Il s’en alla trouver en diligence
Le Maistre Asnier, qui selon l’ordonnance
Devoit chez elle une Asnesse mener
Pendant trois mois, & les payant d’avance,
Sans ce qu’il sçeut par dessus luy donner,
Il prit sa place, & n’épargna finance,
Appréhendant qu’il n’allast jargonner,
Pour l’obliger à garder le silence.
Mener l’Asnesse estoit, à son avis,
Chose à sa flâme incapable de nuire.
De grand matin il devoit la conduire.
Qui l’eust connu sous de méchans Habits ?
Mais dont il eut grande peine à s’instruire,
Ce fut d’apprendre à luy tirer le Pis.
Apres leçon deuëment prise & reprise,
Au point-du-jour il sortit en Asnier,
Ayant Habit convenable au mestier,
Gregues de toile, & grisâtre Chemise.
En Masque ainsi chez sa Belle il alla.
(Elle sçavoit l’entreprise gaillarde.)
Une Servante un peu noire & camarde,
Oyant fraper, luy cria, qui va là ?
Comme il menoit Asnesse fort braillarde,
Pour luy l’Asnesse au mesme instant parla.
Lors pour ouvrir la Servante vola,
Le fit entrer ; elle estoit égrillarde.
Ah, luy dit-elle, eh bonjour, vous voila,
Monsieur l’Asnier ; puis le lorgnant, prit garde
Qu’il estoit beau, dont se congratula.
Pour se la rendre au besoin indulgente,
Il affecta de luy paroistre humain,
Dit mots nouveaux, & luy serra la main,
Dont il connut qu’elle estoit fort contente.
Quand de l’Asnesse il eut tiré le Lait,
Elle voulut le porter à la Belle.
Ah, luy dit-il, je suis vostre Valet.
Cà, marchon viste, où la Malade est-elle ?
Jusqu’à son Lit il me convient d’aller,
L’amende y va ; depuis qu’on empoisonne,
On nous enjoint de porter en personne
Le Lait à ceux qui doivent l’avaler.
Par cas fortuit, si mal-encontre arrive,
J’en répondon. La Servante le crut,
Et le mena, toûjours fort attentive
A le lorgner, tant sa mine luy plut.
Voyant la Belle, il fit humble salut.
Comme elle avoit une joye excessive,
A la cacher beaucoup de peine elle eut.
Par mots plaisans, accompagnez d’un Conte,
Il luy donna le temps de se ravoir.
La Belle exprés à boire ne fut prompte,
Et fit durer le plaisir de le voir.
De leurs regards le langage estoit tendre ;
Et si l’un d’eux, quoy que sans l’appliquer,
Parloit d’amour, l’autre prompt à l’entendre,
Sçavoit comment il devoit l’expliquer.
Ainsi passoient des momens agreables
Tous les matins & l’Amante, & l’Amant.
C’estoient pour eux des plaisirs incroyables,
Quand par hazard un instant seulement
Ils restoient seuls ; chacun également
Cédoit alors à ces transports aimables
Que mille fois on éprouve en aimant ;
Mais ces plaisirs estoient trop peu durables,
Et nostre Asnier les payoit cherement.
Pour ses pechez, la Camarde Servante,
Le voyant frais, potelé, bien nourry,
L’avoit trouvé de mine appétissante,
Et volontiers, comme le Diable tente
En certains temps la moins incontinente,
Si d’avanture avec elle il eust ry,
Aussi brûlant qu’il la voyoit brûlante,
Elle l’eust pris pour façon de Mary.
Avant le jour la Friponne éveillée
Estoit au guet à l’entendre venir.
Elle sçavoit doux propos luy tenir,
Le chatoüilloit pour estre chatoüillée,
Et se montroit d’amour si travaillée,
Qu’il ne sçavoit comment la retenir.
Ce fut à luy de prendre patience.
Qu’eust-il pû faire ? Il falloit l’ébloüir,
N’ayant soupçon, quoy qu’elle pust oüir,
Qu’avec la Belle il eust intelligence,
Elle voyoit sans nulle répugnance
Que par mots gays il vinst la réjoüir.
Il en avoit toûjours longue audience,
Et quelquefois de sa chere présence
Seul dans sa Chambre on le laissoit joüir.
Un jour qu’en haut, sans le vouloir conduire,
On luy laissa le breuvage porter,
Il se servit de ce temps pour conter
Le triste état où l’avoit sçeu réduire
Le déplaisir de la voir mal-traiter.
La Belle ayant comme luy l’ame tendre,
De cent douceurs ce discours fut suivy.
En s’expliquant, chacun estoit ravy
D’employer mots qu’il fust plaisant d’entendre,
Et tant qu’enfin le Pere se pust rendre,
Sermens nouveaux furent faits à l’envy,
Qu’un feu si beau dormiroit sous la cendre.
Leurs yeux de joye estoient tous éclatans,
Et cette joye en tous les deux visible
Eut pour l’Amant un charme si sensible,
Qu’il oublia qu’il tardoit trop longtemps.
En bas estoit l’amoureuse Servante
Qu’avec l’Asnier l’amour apprivoisoit.
Comme il la tint trop longtemps en attente
Sans revenir, enfin impatiente,
Elle voulut sçavoir ce qu’il faisoit.
Son peu d’ardeur à retourner pres d’elle,
Luy mettant trouble & frisson dans le sein,
Elle monta. La vision cruelle
Que ce luy fut, quand panché vers la Belle
Elle le vit, qui luy baisoit la main !
Elle n’en pût avoir la bouche close,
Et dans la rage où la mit sa douleur,
S’imaginant qu’il baisoit autre chose ;
A moy, dit-elle, au Voleur, au Voleur.
Contre l’Asnier secourez ma Maistresse.
Je l’ay surpris sur son Lit étendu,
Tâchant par force.… ah quelle hardiesse !
L’effronté Traistre ! Il faut qu’il soit pendu.
L’Amant eut beau la prier de se taire
Plus il pria, plus de cris elle fit.
Ce grand vacarme ayant surpris le Pere,
Au mesme instant il sauta hors du Lit,
Vint, où si haut la Servante en colere
Donnoit l’essor à son jaloux dépit.
Dans la Maison ne demeura personne,
Qui comme luy n’accourust promptement.
Bien attesté fut lors avec serment
Comme l’Asnier par trahison félonne
Avoit voulu prendre ébaudissement.
Chacun trouvant le cas ord & pendable,
Le Pere outré de sa Fille s’enquit
Si d’un tel fait l’Asnier estoit coupable,
Et la voyant dans un trouble d’esprit
Qui de parler la rendoit incapable ;
Ah, trop est vray, dit-il, la Misérable
Estoit d’accord à faire le delit.
Il adjoûta maints cuisans vituperes.
Puis fit l’Amant en lieu seûr enfermer,
Et pour n’errer en pareilles affaires,
Il crut devoir Parens en informer,
Et prendre d’eux les conseils necessaires.
Chez luy soudain grande Parenté vint,
Oncles mandez, Tantes, Cousins, Cousines,
En nombre estoient pour le moins jusqu’à vingt,
Tous affectant de montrer graves mines.
Le Pere au long du cas les entretint.
L’affaire peut sans peine estre vuidée,
Je tiens, dit-il, le Voleur prisonnier.
Chacun alors, du Fait prenant l’idée,
Dit son avis ; Une Vieille ridée,
Tandis qu’encore opinoit le Dernier,
Dit, c’est malheur que Nopce retardée,
En âge meûr faut les Gens marier.
Quand de trop pres une Fille est gardée,
Faute de mieux, elle prend un Asnier.
Fut cependant conclu, contre la Belle,
Qu’en un Convent le reste de ses jours
Elle expieroit ses honteuses amours,
Et que l’Asnier, monté sur une Echelle,
Si volonté de Justice estoit telle,
Des siens en l’air verroit finir le cours.
Avant qu’il fust conduit en Maison noire,
La Parenté se le fit amener,
Tant pour le voir, que pour l’examiner
Sur certains Faits de l’amoureuse Histoire.
Dans l’Assemblée il vint sans s’étonner.
Un des Cousins se le mit en mémoire,
Et rappellant tous ses traits ; Vrayment voire,
Si d’autre Asnier n’avez à nous donner,
Dit-il au Pere, on vous en fait bien croire
C’est un Blondin que j’ay trouvé cent fois
Chez la Grand-Mere aupres de ma Cousine.
A-t-il le teint d’un Asnier, ou la mine ?
Peste, c’est là le tour d’un fin Matois.
Le Faux Asnier oyant telles paroles,
Aux pieds du Pere humblement prosterné,
Le conjura qu’à des desirs frivoles
Par luy son cœur ne fust abandonné.
Comme il estoit d’assez bonne Famille,
Jeune, bien fait, & qu’il dit fortement,
Que plus longtemps luy refuser la Fille,
C’estoit vouloir le mettre au monument ;
Chacun touché d’une amitié si tendre,
Aupres du Pere interceda pour luy.
De l’avanture il ne faut prendre ennuy,
Dit un vieil Oncle, & force est de vous rendre.
Fait comme il est, pourriez-vous aujourd’huy
Trouver ailleurs un plus sortable Gendre ?
Le poursuivant pour s’estre fait Asnier,
N’en attendez qu’un éclat inutile.
Les moins rians en riront dans la Ville ;
Sans vous fâcher, riez-en le premier.
Pardonnez-luy cette métamorphose,
Il n’est fin tour qu’on n’oublie aisément,
Quand l’Hymen est le but qu’on se propose.
Ma Niéce l’aime, il l’aime tendrement.
Encor un coup force est que promptement,
Les conjoignant, vous étoufiez la chose.
L’honneur par là vous sera conservé.
Ainsi que moy chacun vous le témoigne.
Pere apres avoir un peu resvé,
Puis que force est, dit-il, qu’on les conjoigne.
Aux deux Amans fut fait ainsi quartier,
Dont la Belle eut une extréme allégresse,
Si sa poitrine, avant ce mot dernier,
Peu forte encor, la tenoit en détresse,
Pour en guérir l’incommode faiblesse,
Elle n’eut plus besoin que de l’Asnier,
Et point du tout de prendre Lait d’Asnesse.

[Rétablissement de M. Dargences] §

Mercure galant, octobre 1681 [tome 11], p. 160-164.

Le Roy, avec cette charmante bonté qui luy est si naturelle, luy fit l’honneur d’écouter toutes les circonstances de son Affaire ; & comme les lumieres de ce grand Prince luy font découvrir d’abord ce qui est juste, dans les choses mesme où la conduite d’aucune des deux Parties ne sçauroit estre blâmée, il ordonna que Mr Dargences seroit déchargé de la représentation des Prisonniers, & luy permit de continuer l’exercice de sa Charge. C’est ce que porte l’Arrest du Conseil d’Etat qu’il a obtenu, & ce qui a donné lieu au Sonnet qui suit.

AU ROY,
Sur son extréme application à faire administrer la Justice.

Grand Roy, dont les Exploits, du Temple de Mémoire
Doivent faire à jamais le plus digne ornement ;
Que nos fameurs Autheurs avec empressement
Te suivent pas à pas de Victoire en Victoire.
***
Pour moy, je veux chanter une plus douce gloire
Qui n’a pas pour mon cœur un attrait moins charmant,
Et que tous nos Neveux remplis d’étonnement,
Admireront toûjours, en lisant ton Histoire.
***
D’un courage intrépide affronter les hazards,
C’est aussi-bien que Toy ce qu’ont fait les Césars,
C’est par là que des Temps ils ont bravé l’outrage.
***
Mais couvert de Lauriers, toûjours victorieux,
Donner à la Justice un entier avantage,
C’est ce qu’à LOUIS seul ont réservé les Cieux.

Il ne faut pas s’étonner si Sa Majesté, à qui rien n’échape, a connu sans peine les bonnes intentions de Mr Dargences, & son zele à le servir, puis qu’il l’a fait éclater dans toutes les Réjoüissances qui ont esté faites pour les Conquestes de ce grand Monarque, & dans l’occasion de la Paix. Il est bien fait, liberal, & l’accés qu’il a aupres de quantité de Personnes du premier rang, est un témoignage assez convainquant de son mérite. Mr le Duc de Boüillon l’honore de son estime particuliere.

[Ceremonies faites à Amiens] §

Mercure galant, octobre 1681 [tome 11], p. 164-172.

Le Dimanche 5. de ce mois, la Translation de deux Corps Saints a esté faite à Amiens avec toute la pompe & toute la magnificence imaginable, dans l’Eglise des Peres Capucins de la mesme Ville. Ces Corps sont ceux des Saints Martyrs Felix & Victor, apportez de Rome depuis peu de temps par le P. Jean Marie d’Amiens. N’attendez point un entier détail de cette Cerémonie. Comme je vous en ay déja fait d’autres de cette nature, je me contenteray de vous dire que rien ne manquoit à la décoration de l’Eglise de ces Peres. Un superbe Mausolée avoit esté élevé dans le milieu sur six Colomnes torses. La Figure de ce Mausolée estoit Exagone, & aux quatre coins on voyoit quatre Vertus en relief de hauteur naturelle, sçavoir la Justice, la Prudence, la Temperance & la Force. Cet Edifice estoit couronné par la Renommée, ayant quatre Génies à ses costez de mesme parure, c’est à dire, tous éclatans de riches Etoffes, de Diamans & de Pierreries. Au travers de l’Arcade de ce Mausolée qui estoit garny d’une infinité de Cierges, on découvroit dans l’enfoncement une merveilleuse Perspective, toute enflâmée & toute brillante de Lumieres, au fonds de laquelle on voyoit par refléxion de Miroirs un tres-agreable Parterre de Fleurs, & à l’entrée de la Perspective, les deux Images des Saints Felix & Victor rayonnans de gloire. Outre le nombre infiny de Fleurs qui paroient l’Autel, & qu’on auroit crû une Broderie appliquée sur de l’Etoffe, on avoit pris soin de l’embellir de quantité de Tableaux, de Lustres, & d’Argenterie de toutes sortes. L’Eglise estoit tenduë de tres-belles Tapisseries du haut jusqu’au bas ; & dans les Balcons disposez commodement, on avoit mis diverses Figures en relief, parées d’ornemens conformes à ce qu’elles représentoient. La Procession partit de l’Eglise de S. Jacques, dans laquelle les Reliques avoient esté mises en dépost, & fut composée de tout le Clergé Régulier, & des Prestres & Curez des douze Paroisses de la Ville. Mr l’Evesque d’Amiens y assista, revestu de ses Habits Pontificaux. Quatre Trompetes marchoient à la teste, & estoient suivis de plus de deux cens Torches des Métiers & de celles de la Ville, garnies d’Ecussons. Une Troupe de jeunes Hommes vestus à la Romaine, & portant des Etendarts, précedoit cinquante petits Anges superbement habillez, avec de semblables Etendarts, & des branches de Laurier. Les Châsses qui enfermoient les Reliques estoient portées sous un Dais au milieu des Prestres revestus de Chapes. Elles reposerent sous quatre Arcs Triomphaux élevez en divers Lieux, & pendant ce temps les Instrumens de Musique faisoient retentir la Symphonie. Aux approches du Convent des Capucins, les Compagnies des Privilégiez se trouverent sous les armes, & firent haye de chaque costé. Toute la Communauté de ces Peres estoit aussi en haye dans la Court, où ils reçeurent les Saintes Reliques au son du Canon, des Boëtes, des Trompetes, de la Musique, & des Orgues. On les porta sous le riche Mausolée dont je viens de vous parler ; & Mr l’Evesque d’Amiens estant arrivé au Trône qui luy avoit esté préparé, entonna le Te Deum, apres lequel il monta en Chaire, & fit le Panégyrique des deux Martyrs avec une si vive éloquence, & un si grand fond de doctrine, que tout l’Auditoire demeura charmé. L’Octave fut solemnelle, & cette éclatante Feste se termina par la Benédiction que ce Prélat donna pontificalement le Dimanche 12. du mois au bruit des Tambours, Fifres, Trompetes, & Instrumens musicaux, & par un tres-beau Feu d’artifice.

Suite des Conseils. À la Jeune Iris §

Mercure galant, octobre 1681 [tome 11], p. 172-195.

Je me souviens que vostre Réponse à ma Lettre du mois d’Aoust marquoit que vous aviez leû avec une extréme satisfaction une Piece en Prose que vous y trouvastes, ayant pour Titre, Conseils des-intéressez à la jeune Iris. On m’en a donné la suite, dont vous serez d’autant plus contente, que l’Autheur nous fait connoistre qu’il n’a pas encor épuisé cette matiere. C’est nous en promettre une autre suite, qui ne sçauroit estre que fort agreable, puis qu’il écrit d’une maniere tres naturelle, & qu’il fait régner dans ses pensées une finesse d’esprit, qui montre qu’il l’a aussi vif, que délicat.

SUITE DES CONSEILS.
A LA JEUNE IRIS.

Nous voila venus, aimable Iris, à un point bien délicat. J’ay à vous dépeindre le caractere d’un veritable Amant, & à vous marquer la maniere dont il faudra agir avec luy. Je ne sçay si tout cela ne sera point inutile ; car dés que vous aimerez, vous croirez avoir trouvé ce veritable & sincere Amant ; & pour ce qui regarde vostre conduite, vostre cœur se moquera de mes regles. Cependant ne laissez pas de vous accoûtumer à penser de certaines choses, & à faire d’utiles refléxions, tandis que vous n’estes point encor prévenuë d’une passion qui est bien souvent aveugle, & peut estre prendrez-vous un tour d’esprit qui vous rendra plus incapable d’estre trompée par l’Amour. Examinez la plûpart des Femmes. Voyez dans quelle agitation se passe toute leur vie. Tantost elles aiment sans estre bien seûres d’estre aimées ; tantost elles disputent à une Rivale un Amant douteux & chancelant ; tantost elles se précautionnent contre des indiscretions dont elles sont menacées ; tantost elles tâchent à arracher des Sacrifices qu’on ne leur fait point de bonne grace ; tantost elles sont réduites à soûtenir comme elles peuvent les restes d’une galanterie languissante, & à réveiller de miserables sens qui s’amortissent. Apres cela dans le temps qu’on vient de leur faire quelque perfidie, ou qu’elles ont manqué quelque dessein, il leur vient des dégoûts, & leur cœur estant sans amour, elles tombent dans un repos mille fois plus insuportable pour elles, que n’estoient tous les troubles qu’elles ont essuyez ; & il faut qu’elles se précipitent dans quelque nouvelle intrigue, sans avoir mieux pris leurs mesures qu’auparavant. Si en commençant d’aimer elles s’attachoient à bien choisir, ce seroit beaucoup de peine épargnée pour elles. Tout dépend du choix que l’on fait d’abord. Vous seriez bien étonnée si je vous disois que malgré l’opposition que l’Amour & le Mariage ont ensemble, l’Amour est pourtant une espece de Mariage. Il n’y a rien de plus vray, belle Iris. Je sçay que ce seroit là une terrible proposition pour les oreilles coquetes ou prétieuses, mais n’importe. Je soûtiens qu’un bon Amant doit avoir à peu-pres les qualitez d’un bon Mary, c’est à dire, que ce ne sera pas un Mary dans toute l’étenduë & dans toute la rigueur de ce fâcheux & desagreable nom, mais seulement un Mary adoucy & mitigé. Demandez à vostre Mere quel Mary vous devez prendre. Elle vous répondra d’un air sec & refrogné ; Allez au solide, ma Fille. Il ne s’agit point icy de tous ces colifichets d’agrémens qui ébloüissent les jeunes Personnes. Il faut du Bien, c’est là le vray agrément. On doit vivre plus d’un jour avec un Mary. Un bon Homme d’humeur un peu aisée, a tout le mérite dont vous avez besoin. Et moy je vous dis presque la mesme chose touchant le choix d’un Amant. Je veux qu’il soit agreable. C’est en quoy vostre Mere & moy nous ne parlons pas la mesme Langue. L’Amour ne peut se passer des agrémens. Il faut qu’il les ait toûjours à sa suite ; mais ayez encor plus d’égard aux qualitez essentielles de vostre Amant, qu’à celles qui ne seront qu’agreables. Qu’il soit un peu moins magnifique en Habits, qu’il dance moins bien, & qu’il ait le cœur mieux fait. Fuyez tous ces Fripons de bon air, qui ne persuadent les Femmes qu’en changeant souvent d’Habits, & en augmentant leur Train. Tout cela ne gâte rien, à la verité ; mais il faut que beaucoup d’autres bonnes choses s’y joignent encor. J’ay veu des Hommes pourveus de ce seul mérite, tellement disputez par les Femmes, & tirez par l’une & par l’autre, qu’ils ne sçavoient à laquelle entendre. Principalement dans une petite Ville, s’il y a un Homme qui ait quatre ou cinq Laquais, chaque Dame veut que sa Porte en soit honorée. Il y a des Femmes qui sont au dessus d’une vanité si grossiere, & qui donnent dans une autre. Elles veulent estre aimées par des Gens d’esprit, c’est un titre d’esprit pour elles. La fidelité, la droiture, la sincerité, la délicatesse, n’entrent point en ligne de compte. Il suffit qu’on soit d’une conversation enjoüée & amusante, on seulement qu’on en ait la réputation. Elles traînent avec plaisir des Gens d’esprit à leur suite, & elles ne sçavent pas qu’ils sont bien souvent les moins attachez, & les moins tendres. Allez au solide, aimable Iris. Ayez pour tous ces mérites superficiels l’estime qui leur est deuë. Ils sont necessaires la plûpart, mais ils ne suffisent pas. Examinez comment vos Amans ont le cœur fait. Et comment le reconnoistre, direz-vous ? Ils paroissent tous faits les uns comme les autres sur ce chapitre ; tous également soûmis ; tous également complaisans ; tous également prodigues de sermens de fidelité. Vous avez raison. Cependant il y a un art de discerner le vray d’avec le faux mesme en matiere d’amour. Voulez-vous sonder la discretion d’un Homme ? Parlez-luy de ses premieres passions, s’il en a eu. Dites-luy que vous ne pouvez croire qu’il vous aime, s’il ne vous sacrifie les marques d’amour qu’il a reçeuës de ses autres Maîtresses, leurs Lettres, par exemple. S’il arrive qu’il vous les apporte, rendez-les luy sans les regarder, & luy dites fort civilement que vous estes sa tres-humble Servante, & que vous le priez de chercher fortune ailleurs. Gardez-vous bien de ressembler à ces Femmes qui s’offenseroient d’un refus qu’on leur feroit sur cette matiere, & qui bien souvent ne goûtent le plaisir d’estre aimées, que parce qu’elles se font sacrifier toutes celles qui les ont précedées dans le cœur de leurs Amans. Je ne sçay comment elles ne songent point à se faire par avance une application particuliere du procedé qu’on tient avec les autres. On les avertit assez de la maniere dont on en usera un jour avec elles-mesmes ; & quand cela arrive, elles n’ont pas sujet de se plaindre qu’on les ait trompées. Encor une autre maniere d’éprouver vos Amans, c’est de les maltraiter, jusqu’à vous en faire abandonner tout-à-fait. Observez quelle retraite ils feront. Vous en verrez assurément la plus grande partie se retirer en se revoltant contre vous, & en se vangeant par tous les moyens que suggere le dépit. Laissez-les aller, & ne regretez pas leur perte. Mais si vous en voyez quelqu’un qui fasse une retraite modeste, dans laquelle il conserve sa premiere estime pour vous, rappellez incessamment cet Homme-là, c’est un trésor. Je supose qu’il ait d’ailleurs un mérite qui vous convienne, car pour estre rappellé, il faut quelque chose de plus que de s’estre retiré de bonne grace. Combien y a-t-il encor de méthodes plus fines pour démesler autant qu’il se peut les sentimens veritables de vos Amans ? Connoissez vos petits defauts ; & si vous voyez qu’on vous en louë, si on pousse jusques-là l’effronterie des douceurs & des fleuretes, on vous trompe. On vous estime assez peu pour vous tendre un piége où donnent toutes les Femmes prévenuës d’elles-mesmes. Si vous croyez que l’Amant luy-mesme y est trompé, & si vous tenez compte à sa passion de l’erreur où elle l’a mis, cela ne vaut guére mieux. Croyez-moy ; quand on est la dupe du mérite de la Personne aimée, on ne l’aime pas longtemps. L’illusion finit, on ouvre les yeux, & on trouve une Personne qu’on ne reconnoist point. Il ne faut prendre les Gens que pour leur veritable prix. Qui vous estime plus que vous ne valez, viendra bientost à ne vous estimer plus du tout. Voila des maximes qui n’accommodent pas la plûpart des Femmes. Elles veulent estre aimées le plus follement qu’il est possible. Elles veulent s’entendre nommer les seules Personnes parfaites qui soient sur la terre. Elles veulent qu’on mette à leurs pieds, & qu’on foule devant elles tous les mérites qui restent dans l’Univers. Des passions outrées jusqu’à ce point-là vous doivent estre suspectes. Je ne voudrois pas répondre qu’elles durassent longtemps. Et ne vous figurez pas que la maniere dont vous devriez souhaiter qu’on vous aimast, pour estre plus raisonnable, en fust moins ardente. Vous n’y perdriez rien de ce feu & de cette vivacité de l’amour qui paroist si agreable. Vostre Amant trouveroit en vous la Personne du monde dont le cœur s’accorderoit le mieux avec le sien, mais il ne seroit pas besoin qu’il s’imaginast que vous fussiez inimitable en toutes choses. Au contraire, il vous aimeroit assez pour voir vos petits defauts, & ne rien diminuer de sa tendresse. Il se seroit une étude de vous en défaire insensiblement ; & l’amour a cela de bon, que quand il est bien pris, c’est l’Ecole du monde où l’on se perfectionne le plus.

Ainsi, comme je vous disois d’abord, vous avez à peu pres un Mary dans un veritable Amant. Cependant la diférence est toûjours fort grande. Un Amant & une Maîtresse ne se doivent rien. Tout ce qu’ils font l’un pour l’autre est assaisonné d’une certaine indépendance qui y mesle un charme inconcevable, & c’est là seulement ce qui met le Mariage si fort au dessous de l’Amour. Ce n’est plus Amour, c’est un Mariage affreux, dés qu’un Amant usurpe quelque autorité sur une Maîtresse dont il est aimé. J’ay horreur de cette sorte d’empire, & je ne puis pardonner à celles qui ont assez peu de cœur pour s’y soûmettre. Prenez-y garde. C’est une des choses du monde qui marque le mieux le caractere d’un vray Amant. Jamais il ne prendra d’autorité sur vous. Quand vous pourriez luy en laisser prendre, il la refusera sans que vous vous en apperceviez. Il vous demandera toûjours d’une maniere tendre & respectueuse, ce qu’il est seûr d’obtenir. Il ne croira point avoir de droit sur ce qui luy aura esté accordé cent fois, & le recevra comme à la premiere. Quoy qu’il fust plus naturel que vous eussiez sur luy quelque empire, ne l’exercez pourtant plus, dés que vous en serez une fois venuë jusqu’à l’aveu de vostre tendresse. Il est si doux de n’exiger rien, & de recevoir tout. Laissez étudier & prévenir vos volontez. Ne les déclarez jamais d’une façon impérieuse. Si l’on vous refuse quelque chose (mais j’entens qu’on vous la refuse avec autant ou mesme avec plus de tendresse que si on vous l’accordoit) écoutez les raisons qu’on vous en donne. Point de commandement absolu. Rien n’offence davantage la délicatesse de l’amour. Combien y a-t-il de Femmes qui ne se plaisent qu’à exercer un gouvernement tirannique, & qui ne pourroient se résoudre à n’avoir qu’une domination douce & légitime, ou plutost à n’en avoir aucune ? Ce ne sont à tous momens que sacrifices d’éclat qu’elles demandent. Elles vous proposent à tout momens de renoncer à la raison, ou à elles. Elles ne se tiennent point assurées d’un Homme qui a encor quelques ménagemens & quelques égards pour le bon sens. Croyez qu’une obeïssance trop aveugle est d’un Amant qui ne vous estime pas assez pour estre persuadé que vous pussiez vous payer d’une excuse raisonnable, & qui estant ravy d’avoir découvert en vous la foiblesse de vouloir estre obeïe si absolument, ne manquera pas de chercher les moyens d’en profiter. Mais peut-estre, aimable Iris, je m’engage trop avant dans les conseils. Peut-estre mesme sont-ils un peu trop severes, & tiennent trop d’un Homme que son âge éloigne du commerce de l’amour. Si cependant vous pouviez en faire quelque usage, si vous vous accommodiez de cette maniere d’aimer & d’estre aimée, qu’à la verité j’imagine plus que je ne l’ay veuë pratiquer, il y auroit encor beaucoup d’autres petites choses sur lesquelles mes avis pourroient ne vous pas estre inutiles.

[Réjoüissances faites à Rome pour la Feste de la Reyne régnante d’Espagne] §

Mercure galant, octobre 1681 [tome 11], p. 195-199.

La Feste de S. Loüis, dont la Reyne d’Espagne porte le nom, a esté celébrée à Rome avec une entiere magnificence par Mr le Marquis de Liche, Ambassadeur de Sa Majesté Catholique. Plus d’un mois auparavant, la Place appellée d’Espagne, avoit esté illuminée chaque soir par un tres-grand nombre de Lumieres que ce Ministre faisoit mettre aux Fenestres, & dont il fournissoit la dépense. Le soir du 24. d’Aoust, veille de la Feste, la quantité en fut de beaucoup plus grande, ce qui faisoit un tres-bel effet dans cette Place. Le devant de son Palais estoit orné d’un Manteau Royal fleurdelisé & doublé d’Hermine, & au dessus on voyoit une Couronne illuminée de neuf petites Lampes de verre qu’on y avoit attachées. Une Cartouche, derriere laquelle on avoit mis des Lumieres, faisoit lire de fort loin ces paroles en Lettres distinctes. Maria Aloysia, Hisp. Reg. Le long du Palais estoit une superbe Tribune enrichie de Peintures & de Dorures, & éclairée de cinq Chandeliers à six bras chacun. Le divertissement commença par la Musique placée sur cette Tribune, & composée d’environ six-vingts Voix & Instrumens. On chanta d’abord un Dialogue à la loüange de la Reyne d’Espagne. La Symphonie estoit admirable, & dura une heure entiere, pendant laquelle, Mr le Marquis de Liche fit servir des rafraîchissemens aux Dames qui s’y trouverent en Carrosse. La Musique ayant cessé sur les dix heures du soir, on alluma aussitost, non pas un Feu, mais douze Feux d’artifice, éloignez de soixante pas les uns des autres, ce qui causa un fracas extraordinaire, & d’autant plus grand qu’il y avoit plus de cent Carrosses dans la Place, dont les Chevaux ne pouvant soufrir le bruit des Petards, ny l’excessive clarté des continuelles Fusées dont ils estoient accablez, avançoient & reculoient à tous momens.

[Lettre de Saint-Aignan]* §

Mercure galant, octobre 1681 [tome 11], p. 276-287.

L’éloignement de la Cour donnant le temps à Madame de Louvoys de faire un tour en Province, elle a esté à Roüen, où Madame l’Abbesse de Saint Amand l’a reçeuë d’une maniere tres-digne de l’une & de l’autre. Apres avoir passé quelques jours avec cette Abbesse, elle résolut d’aller à Dieppe & au Havre. On le fit sçavoir à Mr de Saint Aignan, qui luy écrivit sur l’heure, pour luy témoigner le déplaisir qu’il avoit de n’estre point en état de quitter Paris pour aller la recevoir dans cette derniere Place, dont vous sçavez qu’il est Gouverneur. Plusieurs Copies ayant couru de la Lettre de ce Duc, je vous envoye celle qu’on m’en a donnée. Un de mes Amis l’a reçeuë de Normandie.

A MADAME DE LOVVOYS.
A Paris ce 12. Octobre 1681.

Je n’aurois jamais crû, Madame, pouvoir exécuter avec quelque chagrin les ordres du Roy mon auguste Maistre, ny que l’illustre Epouse d’un Ministre qui contribuë tant à sa gloire, dust estre cause de ce changement en mon humeur. Cependant, Madame, il n’est rien de plus veritable. La nouvelle que je viens d’apprendre de vostre voyage au Havre, me met au desespoir, d’estre attaché dans Paris. Les soins que je prens icy pour les divertissemens de Sa Majesté, me dérobent aux vostres, & meslent à mon déplaisir de ne me trouver point dans cette Place pour vous y recevoir, une cruelle inquiétude de ne sçavoir point comme vous y serez reçeuë. Ce n’est pas, Madame, que je puisse estre en doute qu’on ne tâche à rendre à vostre Nom & au mérite infiny de vostre Personne, ce qui leur est deû ; mais comme je n’aurois pû m’empescher d’envier à celuy des Echevins qui vous fera compliment, la gloire de cette Commission, j’aurois essayé à ne rien oublier dans ma courte Harangue. Je vous aurois dit, Madame, que tous ceux du Havre s’estiment heureux d’y voir une Dame que toute la France admire, & en laquelle il n’y a rien à desirer pour le Corps ny pour l’Esprit. J’y aurois adjoûté en Prose, en parlant de vostre incomparable Epoux, ce que je vous dis en ces quatre Vers.

Son Corps est infatigable,
Son secret impenétrable,
Et ses soins l’ont étably
Pour un Ministre accomply.

Enfin, Madame,

Un stile élegant & haut
Auroit orné ma Harangue,
Et ma plume à ce defaut
Fait ce qu’auroit fait ma langue.

Ce Compliment auroit mesme esté en quelque façon militaire, puis que j’aurois pû marcher quelques lieuës au devant de vous, à la teste de vingt Escadrons, & d’autant de Bataillons.

Il est vray que ces premiers l’auroient cedé à ceux de la Maison du Roy ; & pour les rangs de nostre Infanterie,

Ils n’ont pas ce grand air du Regiment des Gardes ;
Mais sur les fers roüillez de quelques Halebardes,
Un peu de sang humain eust pû se faire voir.
 Chacun d’eux remplit son devoir.
Fort zélez pour leur Prince, & pour le Divin culte,
Des plus fiers Ennemis ils repoussent l’insulte,
Et soit à découvert, ou derriere un Rocher,
 On ne les sçauroit approcher

J’aurois en suite pris le galop pour arriver à la Citadelle devant vous, Madame, & pour vous y salüer d’une Pique à la teste des Troupes, comme une Impératrice ; car si vous n’en tenez le rang, vous en avez le mérite & la mine.

Puis ayant quitté la Pique,
Loin de prendre du repos,
Dans ma dance, quoy qu’antique,
On m’auroit veu fort dispos.

Car je présupose que trente Violons vous auroient attenduë dans la Salle, avec tous les Galans & les Belles du Havre, qui vous auroient fait naître l’envie de me voir dancer un Ménüet.

Je vous aurois supliée, Madame, à la fin du Bal, de souper en ce mesme Lieu,

Où la Perdrix joint sans peine
Le bon Lapin de Garenne,
La Poularde, le Chapon,
Le Levraut, & le Dindon.
Dame sage autant qu’illustre,
Dont les beautez en leur lustre
Peuvent tous les cœurs ravir,
Si j’avois pû vous servir
La Serviete sur l’épaule,
Jamais Amadis de Gaule,
Ny le plus heureux Mortel,
N’auroient rien goûté de tel.

Et si nous avions pû joindre à ce plaisir l’honneur de vous retenir un jour ou deux,

D’un galant Opéra vous auriez veu la Feste ;
 Car quand je me mets dans la teste
 D’avoir Flûtes, Musiciens,
 Clavessins, Luths, Comédiens,
 Opérateurs, Danceurs de Corde,
 Qui tombent sans miséricorde,
 Ayant souvent les bras cassez,
 A peu de frais j’en trouve assez.

Mais, mon Dieu, Madame, pendant que je vous entretiens icy d’une méchante Lettre inpromptu, comment serez-vous logée sur un Port de Mer, & dans une Ville de Guerre ?

Helas ! que j’auray de bile,
Si pour vostre Logement
On ne meuble promptement
De nostre Maison de Ville
Le plus bel Apartement !

Je sçay bien que l’on vous offrira tout ; on le doit par cent raisons, & l’on m’obéira sans peine ; mais que tout ce qu’on pourra faire sera peu de chose au prix de ce que vous méritez, & de ce que vous rendra toute sa vie avec autant d’empressement que de respect, Madame, vostre tres-humble & tres-obeïssant Serviteur,

Le Duc de S. Aignan.

[Entrée de Sa Majesté dans la Ville de Strasbourg] §

Mercure galant, octobre 1681 [tome 11], p. 306-369.

Il me reste à vous parler de Strasbourg. C’est un nom connu aujourd’huy non seulement dans toute l’Europe, mais encor dans toutes les Parties du Monde. Cette Ville a esté appellée Argentina pendant plus de cinq Siecles. Il se trouve encor des Etrangers qui l’apellent de ce nom. Celuy de Strasbourg, c’est à dire, de Ville des Chemins, luy a esté donné à cause de divers chemins pleins qui conduisent aux Païs-Bas, en Lorraine, en Italie, & ailleurs. Elle est assise sur quatre Rivieres. On a fait son Pont un peu en S, pour le rendre plus ferme, à cause de sa longueur. La Ville est divisée en neuve, & en vieille, & les deux ensemble ont environ trois de nos lieuës de tour. Cette Ville a neuf Portes, & a jusqu’icy servy de Magazin à la plus grande partie de l’Allemagne & de l’Italie. Plusieurs autres Nations se sont toûjours fournies chez elle de beaucoup de choses, & sur tout de celles qui sont propres à l’usage de la Guerre ; & comme elle est Capitale d’un Païs qui a esté cedé au Roy par les Traitez de Munster & de Nimégue, on ne doit pas s’étonner si ce Prince estant en état de se faire rendre par ses Sujets l’hommage qui luy est deû, a tenté cette entreprise, qui luy a d’autant plus heureusement réüssy, que des Sujets veritablement persuadez qu’ils doivent tout à leur Roy, ont de la peine à refuser de luy obeïr lors qu’il les presse de reconnoistre leur devoir. Quelque avantage qu’il y ait à posseder une Ville de la beauté & de l’importance de Strasbourg, le Roy qui sçait se vaincre soy-mesme, & qui a donné l’exemple de la plus haute modération dont on ait jamais parlé, auroit bien sçeu s’empescher de faire connoistre à ses Sujets de Strasbourg qu’il est devenu leur Souverain, si en le faisant il eust pû troubler la Paix ; mais au contraire, c’est pour affermir cette mesme Paix qu’il a eu besoin de s’assurer de ce qu’il estoit averty que les Allemans avoient résolu de prendre. S’ils se fussent rendus maîtres du Pont de Strasbourg, il n’estoit pas seûr qu’ils eussent voulu conserver la Paix, eux qui dans la derniere Guerre ont commencé les premiers à nous attaquer ; mais on n’a pas lieu de craindre que le Roy cherche à la rompre, puis que rien ne l’a obligé à la donner au milieu de ses Conquestes, que le seul desir de rendre le calme à toute l’Europe. Cette gloire a esté grande pour luy, mais il ne l’a pas acquise sans qu’il luy en ait cousté des Places aussi importantes que Strasbourg. Toutes ces choses sont sans replique, à moins qu’on ne veüille démentir un nombre infiny de Peuples, & tous les Traitez de Paix. Mais quand elles ne seroient pas si constantes, on demeurera d’accord, (& c’est une maxime établie,) qu’en de pareilles occasions on ne doit point se laisser surprendre ; qu’il est de la politique & de la prudence, de prévenir ceux qui veulent tenter ce qui nous seroit préjudiciable, & que la surprise ne peut estre condamnée, quand on l’employe pour se garder d’une autre surprise, sur tout lors qu’elle regarde le mesme dessein. Mille autres raisons font voir que Sa Majesté a deû en user comme Elle a fait. Les Allemans, qui depuis longtemps prenoient leurs mesures pour s’emparer de Strasbourg, cachoient leur dessein le mieux qu’ils pouvoient, mais leurs précautions estoient inutiles, puis que le Roy ne sçait pas moins bien découvrir les secrets de ceux qui cherchent à le surprendre, qu’il sçait empescher qu’on ne pénetre les siens. Quoy que ce Prince connust que l’infaillible moyen d’arrester l’effet de leur entreprise, estoit de se faire rendre l’obeïssance qui luy estoit deuë par les Traitez de Munster & de Nimégue, il aimoit trop à voir en repos ses nouveaux Sujets, pour vouloir venir contr’eux à aucune extrémité fâcheuse. Il falloit pourtant se mettre en état de s’opposer aux forces de ceux qui prétendoient s’en servir pour appuyer leur surprise. Voicy la conduite qu’on a tenuë pour cela. La Cour ayant pris pendant l’Eté à Fontainebleau les plaisirs de la Saison, Sa Majesté en fit préparer de nouveaux pour se divertir à Chambord pendant l’Automne. Le mouvement des Troupes vers le Dauphiné, donna sujet de douter qu’on eust veritablement dessein d’aller à Chambord. Le bruit de l’Affaire de Cazal estoit répandu, parce que les François n’estoient pas seuls du secret, & l’on devoit estre persuadé qu’elles alloient de ce costé-là. Cependant la route qu’elles en prenoient ouvertement, faisoit naître la pensée qu’on les destinoit ailleurs, par la raison que j’ay dite, que tout ce que fait le Roy estant incroyable, on ne doit plus, dans ce qu’on résout en France, s’arrester à ce qu’on voit. Tout paroissoit calme en Allemagne. Le silence estoit observé de part & d’autre sur l’Affaire de Strasbourg ; mais pour le secret, il ne régnoit pas par tout, puis que le Roy estoit informé de celuy des Allemans. Deux choses pouvoient faire découvrir celuy de Sa Majesté ; le mouvement du grand nombre de Troupes qu’il falloit qu’on mist en marche, & le Bled qu’il faut faire moudre dans les Lieux, ou aux environs des Lieux où les grandes Armées doivent venir. A l’égard du mouvement des Troupes, ceux que le Conseil du Roy a résolus en diférentes occasions, ont esté si surprenans, que quel qu’eust pû estre celuy que l’on eust fait pour Strasbourg, on auroit eu peine à deviner à quelle entreprise il eust deû servir. D’ailleurs, l’Affaire de Cazal occupoit entierement les plus Politiques, & il sembloit que l’une fust faite pour servir à l’autre, & pour détourner les soupçons de l’Allemagne. Quant au besoin qu’on avoit de Bled, c’est un de ces coups par lesquels Mr de Louvoys suprend tout le monde. Ce zelé Ministre avoit eu soin d’en faire moudre secretement aux environs de Paris. La Farine avoit esté mise dans des Caisses embalées, & au dessus des Balots on avoit écrit les noms des Places que le Roy faisoit fortifier ou bastir en Allemagne. C’est une chose dont tout Paris a esté témoin, puis qu’on en a veu quantité traverser la Ville avec le nom de Huninguen. Cependant on croyoit ces Caisses remplies de Mousquets, & d’autres choses semblables dont on doit munir les nouvelles Places. C’estoit du moins ce qu’on publioit. Pour mieux ébloüir les Spéculatifs, plus on préparoit dequoy rompre les mesures que prenoient les Allemans, plus on parloit à la Cour de Comédies & de Festes. Ceux qu’on employoit pour les plaisirs de Sa Majesté, comme les Comédiens & les Danceurs, avoient ordre de se trouver à Chambord ; & les premiers y estoient déja, lors que Mr de Louvoys partit pour se rendre en Allemagne. Ce Ministre voulant tenir son depart secret pendant quelque temps, trouva le moyen d’en venir à bout. Il s’engagea pour ce mesme jour à deux Repas diférens, & à une Partie de Chasse. Il estoit attendu à Meudon.

[…]

Le 20. le Roy alla visiter Huninguen, & revint le mesme jour à Ensisheim. Huninguen est à deux portées de Canon de Basle. Ce n’estoit qu’une Tour, & Sa Majesté en a fait une Place forte. Le bruit du Canon de Huninguen s’estant fait entendre aux environs, chacun connut que le Roy y arrivoit. Messieurs de Basle firent aussitost tirer quarante Pieces de Canon qu’ils avoient sur leurs Remparts, & cela se fit jusques à trois fois. Rien ne les y engageoit. Ce Prince n’estoit point sur leurs Terres, & ils pouvoient ignorer qu’il fust si proche. Ainsi il est facile de voir que ces Salves de bonne volonté expliquoient leur joye. On ne sçauroit se défendre d’aimer le Roy, lors que l’on admire sa grandeur ; & comme il est allié des Suisses, & qu’en nous donnant la Paix il a fait des choses si avantageuses pour ses Alliez, on ne doit pas s’étonner s’ils n’oublient rien pour se conserver l’amitié d’un si grand Prince. Sa Majesté a aussi visité les Fortifications de toutes les Places de sa route, & les a trouvées en fort bon état. Le 21. Elle partit d’Ensisheim, alla coucher à Colmar ; & le 22. à Benfeld, où Mr l’Evesque de Strasbourg la vint salüer. Ce Prélat dont le mérite soûtient la haute naissance, estoit arrivé le 20. incognito à Strasbourg. Il y dîna chez Mr le Prince Guillaume de Furstemberg son Frere, & à trois heures apres midy il sortit de la Ville accompagné de plusieurs Personnes de qualité, pour aller joindre son équipage à un quart de lieuë de là. On fit avancer trois Escadrons de Cuirassiers au devant de luy, & en suite il fit son Entrée dans Strasbourg, ses propres Trompetes sonnantes, & ses Timbales batantes. On tira 25. coups de Canon lors qu’il entra, & on mit une Compagnie d’Infanterie en garde devant la Porte de son Palais Episcopal. Le lendemain il rebenit son Eglise, qui avoit esté ostée aux Catholiques depuis 140. ans, & qu’il fit orner avec toute la magnificence possible. Les vingt-quatre Comtes & Chorevesques, qui sont les Dignitez & Chanoines, l’ayant reçeu à la Porte, le conduisirent dans le Chœur, & apres qu’il se fut mis dans son Siege, ils prirent possession de leurs Places. La Messe fut celebrée, & des Religieux, mandez de tous les Lieux de son Diocese, en dirent plusieurs autres. Les fonctions de ces Chorevesques sont Episcopales sous l’autorité de l’Evesque, non pas dans Strasbourg, mais dans les Lieux qu’on leur départit, parce que l’étenduë de l’Evesché est fort grande. Cette Cathédrale passe pour une des Merveilles du Monde, tant par sa grandeur & par la somptuosité de son Edifice, que par la hauteur de ses Clochers tous faits à jour, & par sa structure inimitable. Apres que Mr l’Evesque de Strasbourg eut fait la Cerémonie de la rebenir, il reçeut les Complimens du Magistrat, & de toutes les Personnes qualifiées. Voicy ce que c’est que le Magistrat. Voir cet article qui relate la messe à laquelle assista le roi dans la cathédrale de StrasbourgIl y a vingt-deux Tribus, qui ont chacune un Echevin, desquels on choisit le Consul qu’on nomme Ammeister, qui avec les Echevins élit dix Gentilshommes de la Ville pour Sénateurs, & tous ensemble ils composent le Sénat. Quatre de ces dix Gentilshommes sont faits Statmeister ou Préteurs, & dans les Délibérations ils demandent les voix premierement au Consul, & en suite aux autres Sénateurs. L’Office de Consul est annuel, & ne sçauroit estre possedé par un Gentilhomme. Celuy des Echevins est de deux ans. Le Sénat des Treize, & le Conseil des Quinze, sont perpétuels. Le premier traite des Affaires militaires, & des Confedérations ; & le second a pouvoir d’exhorter le Consul à s’acquiter, comme il doit, des fonctions de sa Charge.

Le 23. leurs Majestez arriverent à Strasbourg sur les trois heures, & furent reçeuës hors les Portes par Mr le Marquis de Chamilly Gouverneur de la Ville, à la teste du Magistrat qui estoit en Corps, & que ce Marquis présenta au Roy. Le Magistrat luy offrit les Clefs, & fit ses soûmissions. Le Roy & la Reyne allerent descendre à l’Hostel de Dourlach qu’on leur avoit préparé ; & pendant ce temps on fit une décharge de 265. Pieces de Canon qui avoient esté rangées hors la Ville. Ce n’estoit que la petite Artillerie, parce que la grosse auroit enfoncé les Ponts. La Garnison faisoit une double haye jusqu’à l’Hostel de Dourlach ; & quand Sa Majesté y arriva, l’on fit une autre décharge de la mesme Artillerie. Ce mesme jour le Roy, accompagné de Monseigneur le Dauphin, de Monsieur, & de plusieurs Seigneurs de sa Cour, alla visiter à cheval une partie des Dehors de la Ville, les Forts du Rhin & de Kiel, & l’endroit où il fait bastir une Citadelle. Ce grand Monarque fit distribuer beaucoup d’argent aux Ouvriers, & l’on a publié dans tout le Païs que ceux qui voudroient y travailler seroient bien payez. Quand Sa Majesté rentra dans la Ville, on fit une troisiéme décharge. Le 24. Leurs Majestez entendirent la Messe dans la Cathédrale, & le Te Deum y fut chanté au bruit des Tambours & des Trompetes.

Air nouveau §

Mercure galant, octobre 1681 [tome 11], p. 375.Les Paroles ont esté faites par le mesme qui a fait celles de la premiere [chanson], c'est-à-dire Mr de Montbron.

Je vous envoye une seconde Chanson, dont les Paroles ont esté faites par le mesme qui a fait celles de la premiere. L’Air est encor de Mr de Bassilly.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Sans le vouloir, etc. doit regarder la page 375.
Sans le vouloir, je suis toûjours vos pas ;
Sans le vouloir, j’adore vos appas ;
Puis que c’est malgré moy, je ne suis point coupable.
On n’auroit pas, Iris, sujet de vous blâmer,
Si par un sort semblable,
Sans le vouloir aussi, vous veniez à m’aimer.
images/1681-10_375.JPG

[Explications des énigmes précédentes]* §

Mercure galant, octobre 1681 [tome 11], p. 376-377.

Les deux Enigmes du dernier Mois estoient sur le mesme Mot, & quoy que faciles en apparence, elles ont esté expliquées dans leur vray sens par peu de Personnes. Vous le trouverez dans ce Madrigal de Mr Daubaine.

Ces Enigmes, Mercure, en leurs obscuritez
Passeront pour claires & nettes ;
On en voit peu d’aussi bien faites,
Toutes deux en un mot sont de grandes Beautez.

Messieurs R. de S. Martial ; C. Hutuge d’Orleans, demeurant à Mets ; Léger de la Verbrissonne ; Alcidor, du Havre ; & Gyges, aussi du Havre, sont les seuls qui ayent connu, ainsi que Mr Daubaine, que la Beauté estoit le vray Mot de l’une & de l’autre. Les quatre derniers les ont expliquées en Vers.

Ceux qui n’ont expliqué que la premiere, que quelques-uns ont crû estre l’Amour ou le Vin, sont Messieurs le Chevalier de Fontenay ; De Lépine Ploërmel, (tous deux en Vers ;) Pinchon, de Roüen ; Les Philistins de la Ruë du Bouret, de Morlaix ; & Mesdemoiselles de la Lautumniere & de la Chesnaye-Bautreil, de Guingamp. Ces divers sens ont esté donnez à la seconde, l’Amour, l’Ombre, la Mode, la Richesse, la Pierre Philosophale, le Miroir, la Joüissance, une Maîtresse ; & la Fortune.

Enigme §

Mercure galant, octobre 1681 [tome 11], p. 377-378.

Les deux nouvelles Enigmes que je vous envoye, ont esté faites par un Etranger de la premiere qualité.

ENIGME.

Dans un mesme Logis deux,
Freres sans se voir,
Jour & nuit demeurent ensemble.
L’un en tout à l’autre ressemble,
Et tous deux ont mesme pouvoir.
Ils parlent sans avoir de langues,
Et trahissant celuy qui si commodement
Les maintient dans leur logement,
Ils disent son secret par de vives Harangues.
C’est par là qu’on dit d’eux avec grande raison,
Qu’ils trompent l’Hoste en sa Maison.

Autre Enigme §

Mercure galant, octobre 1681 [tome 11], p. 378-379.

AUTRE ENIGME.

Un Etranger vestu de bleu,
S’ofre souvent à nostre veuë.
Malgré son large pied, sa teste trop pointüe,
La blancheur de son teint met les Belles en feu.
Comme leur passion est pour luy sans égale,
S’il arrive qu’on les régale,
Pour contenter leur flâme on le met du Festin.
Son naturel est doux, il n’offence personne ;
Cependant tel est son destin,
Que maltraité soir & matin,
Il pousse les hauts cris des coups que l’on luy donne.

Je suis, Madame, vostre &c.

A Paris ce 31. Octobre 1681.

[À propos du billet énigmatique de l’Extraordinaire]* §

Mercure galant, octobre 1681 [tome 11], p. 379-380.

On avertit ceux qui se feront un plaisir de chercher le Sens du Billet Enigmatique employé dans la Page 355. de l’Extraordinaire du 15. de ce mois, qu’au lieu de ces mots, Depuis fort longtemps on n’a point veu ce qu’on voit aujourd’huy, il faut lire, ce qu’on doit voir aujourd’huy.