1682

Mercure galant, juin 1682 [tome 6].

2017
Source : Mercure galant, juin 1682 [tome 6].
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Mercure galant, juin 1682 [tome 6]. §

[Processions] §

Mercure Galant, juin 1682 [tome 6], p. 10-17.

 

S'il [le roi] tient pour les Hommes une conduite si juste, il est encor plus exact pour ce qui regarde le culte de Dieu. Il en a donné d'éclatantes marques, & dans la solemnité de la Feste de Pentecoste, & dans les Processions qui ont esté faites à Versailles le Jeudy 28. de May, & le Jeudy 4. de ce mois jour de l'Octave. Je vous en fis une ample description, & vous en marquay toute la Pompe dans ma Lettre de Juin de l'année derniere. Ainsi, Madame, je me contenteray aujourd'huy de vous dire que les mesmes choses y ont esté observées, & que la Chapelle neuve dont je vous parlay il y a un mois, s'estant trouvée presque au mesme lieu où Sa Majesté avoit accoûtumé de faire dresser un Reposoir, en a servy cette année. Le Roy & la Reyne accompagnez de Monseigneur le Dauphin, de Monsieur & de Madame, suivirent la Procession avec une pieté qui en inspiroit aux moins zelez ; apres quoy ils entendirent la Messe dans l'Eglise de la Paroisse. Ce qui s'est fait à Paris, n'a pas esté moins édifiant. Toutes les Processions y ont paru avec grande pompe, & entr'autres celle de la Paroisse Royale de S. Loüis a eu un éclat extraordinaire. Quatre Capitaines aux Gardes portoient les Bâtons du Daiz avec beaucoup de modestie & de gravité. C'estoient Mrs de Ferrand, de Bourlon, de Monceaux, & de Bretonvilliers. Le Clergé précedoit en Chapes avec les Flambeaux & les Torches ordinaires. Plusieurs Conseillers d'Etat, Maistres des Requestes, & Conseillers du Parlement, marchoient en Robes rouges derriere le Daiz, suivis d'un nombre infiny de Gens de l'un & de l'autre Sexe. La Procession s'arresta au superbe Reposoir que fait faire tous les ans Mr le Procureur General de la Cour des Aydes. Quoy que la magnificence en soit tres-considérable, il y adjoûte toûjours un Concert de Voix & d'Instrumens, dont la justesse auroit dequoy contenter les plus difficiles en Musique. La Procession ayant passé sur le Quay, on entendit batre le Tambour de loin, & ce batement répondoit au son du Fifre. On avoit placé, par permission du Roy, deux Compagnies de ces Capitaines, aux deux costez avancez du Pont Marie. Elles occupoient ce Poste, l'une & l'autre Chapeau bas, ayant un genoüil en terre, & l'autre élevé, avec le Mousquet tourné sur l'eau. La premiere Compagnie fit sa décharge lors qu'elle vit approcher le Daiz. Les Tambours à genoux marquerent par le redoublement & le bruit confus de leur baterie leur respectueuse adoration pendant que le Daiz passa ; ensuite dequoy l'autre Compagnie fit une seconde salve. La Procession ayant repassé par le Quay des Balcons devant le Pont de Pierre, y fut saluée de la mesme sorte par deux autres Compagnies, & s'arresta encore une fois au Reposoir de Mr le Procureur General, où la mesme Symphonie se fit entendre. Vous remarquerez dans cette action deux choses fort particulieres. Rien n'édifie davantage que de voir le Daiz porté par quatre Officiers d'Armée dans une solemnité de Paroisse ; mais si cela est nouveau, ces marques de pieté nous surprendront-elles, quand le Souverain en donne par tout de si grands exemples ? Il est aussi fort nouveau que des Compagnies aux Gardes soient rengées en haye dans des Lieux où Sa Majesté n'est pas. Cela fait connoistre qu'Elle ne refuse rien, lors qu'il s'agit de la gloire du Maistre des Souverains.

[Sonnet sur le soin que prend le Roy de bannir l’Herésie de son Royaume] §

Mercure Galant, juin 1682 [tome 6], p. 17-21.

 

C’est dans cette veuë que ce grand Prince ayant sçeu que quelques-uns des plus obstinez Religionnaires, non seulement empeschoient les autres de se convertir, mais qu’ils leur inspiroient le dessein de sortir hors du Royaume avec leurs Familles, a fait publier depuis peu de jours une Déclaration, portant défences aux Gens de Mer & de Mestier nez ses Sujets, d’aller s’établir dans les Païs Etrangers sous peine de punition contre les Chefs de Famille qui seront surpris, & d’amende contre ceux qui auront favorisé leur sortie. On peut voir par là que le Roy n’a point de plus forte passion que de voir la Verité réünir tous ceux que les erreurs de Calvin ont séparez de l’Eglise. Leur Party s’affoiblit fort, & c’est la-dessus que Mr Ranchin de Montpellier a remply les Bouts-rimez de Mr Mignon. Je vous envoye son Sonnet.

SUR LE SOIN QUE
prend le Roy de bannir l’Héresie
de son Royaume.

L’Herésie autrefois plus superbe qu’un Pan,
Est enfin à la chaîne ainsi qu’une Guenuche.
Le Grand LOUIS, malgré les ruses de Satan,
La rend par ses Edits plus souple que la Pluche.
***
La Biche a moins d’ardeur à retrouver son Fan,
Qu’il n’en a de nous voir ensemble en mesme Ruche,
Quittant pour ce Projet qui l’occupe tout l’An,
Celuy d’aller porter ses Loix où naist l’Autruche.
***
Revenez, Dévoyez, & le Ciel vous est hoc.
Vous aurez l’amitié de LOUIS sur le troc ;
Voyez que du Party toûjours quelqu’un dé-niche.
***
L’Eglise vous appelle, & vous conjure Par
Ce Champ mal cultivé que vous laissez en friche,
De rentrer dans son sein sans Si, sans Mais, sans Car.

 

Il n’y a rien de plus agréable que le Provençal, sur tout quand c’est une Femme qui le parle. Voyez, Madame, si vous l’aimerez dans ce Sonnet. Il est de Mr l’Abbé de Cary.

Sonnet Provençal sur les Bouts-rimez de Pan §

Mercure Galant, juin 1682 [tome 6], p. 21-23.

SONNET PROVENCAL
sur les Bouts-rimez de Pan.

Faire entendre per tout lou Parrapata pan,
Si juga d’au Lion coumo d’uno Guenucho,
Estre amat como un Dieu, & crench como Satan,
Jusquos eis bords glassars, donte ven la Pelucho ;
***
Rire de l’Enemy, quand seis Explois lou fan
Fondré comoun Eissame, quand soüerte de la Ruche ;
Combatré Hyver, Stiou, & trionfa tout l’An,
Tenir l’Aigle plus bas que noun voeto l’Autruche ;
***
En tout temps, en tou luec, s’y faire dire d’hoc,
Aver ço qu’és de drech, senso perto ny troc,
Es ço que moun Rey fa, lors que la Pas dé-nicho.
***
Din lou monde atamben eou noun a pa soun Par,
Eou pou mettre quand vou cent Provinços en fricho,
Parço que sa valour es l’appuy de son Car.

[Sonnet sur le Bonheur de la Vie champestre] §

Mercure Galant, juin 1682 [tome 6], p. 23-25.

 

En voicy deux autres encor sur les mesmes rimes, mais sur diférens sujets. L’un est de Mr l’Abbé le Laboureur, & l’autre m’a esté envoyé sous le nom de l’Habitant en esprit du Pré Saint Gervais.

SUR LE BONHEUR
de la Vie champestre.

Heureux qui prévenu des plaisirs du Dieu Pan,
Ne distingue en son cœur ny Belle, ny Guenuche,
Et qui de tous costez invincible à Satan,
Ne cherche qu’en ses Prez le Velours & la Pluche !
***
Si parmy ses Troupeaux il compte un nouveau Fan,
Si de Fruits son Jardin, de Miel s’emplit sa Ruche,
Et qu’une ample Moisson vienne à couronner l’An,
Il porte peu d’envie aux dépoüilles d’Autruche.
***
De l’Esprit & du Corps il tient le repos hoc ;
Content de sa fortune, il n’en veut point de troc,
Et se borne aisément sans sortir de sa Niche.
***
L’Innocence est pour luy le plus ferme Rem-par,
Il ne craint Ennemis, ny Voleurs, pour son friche,
Sous un Roy dont la Terre adore le grand Car.

[Sonnet sur un Jardin de Campagne] §

Mercure Galant, juin 1682 [tome 6], p. 25-27.

SUR UN JARDIN
de Campagne.

Que j’aime ce Jardin, sejour digne de Pan,
Où certain jeune Objet qui n’a rien de Guenuche,
Tranquile, loin du bruit, à couvert de Satan,
Pour faire la Bergere, aime à quiter la Pluche !
***
Là le chant des Oiseaux égayroit jusqu’au Fan,
L’Abeille ne voit rien de meilleur pour sa Ruche,
Et mesme en la saison la plus triste de l’An
On s’y vient procurer la santé d’une Autruche.
***
Il est des Promenoirs où l’ombre est toûjours hoc,
Dessus une Terrasse on en peut faire troc,
L’Oranger, le Jasmin, y regne en mainte Niche.
***
Ah, si l’aimable Dieu que l’on peint en Pou-par,
Veut enfin que le cœur de Philis se dé-friche,
Qu’il l’attaque en ces lieux, & quand j’y seray, Car…

[Réponse aux Remarques sur la Duchesse d’Estramene] §

Mercure Galant, juin 1682 [tome 6], p. 27-41.

 

La Duchesse d’Estramene a la destinée des Livres heureux. On prend party pour & contre, & elle sert d’entretien dans les Compagnies que l’on croit le plus en droit de décider souverainement de la beauté des Ouvrages. Les uns l’attaquent sur les sentimens extraordinaires, quoy qu’exprimez vivement. Les autres forcez d’en admirer les pensées, se retranchent sur le stile qui leur paroist trop serré, & en general on n’y trouve des défauts, que parce qu’il est impossible de rien faire de parfait. L’Autheur a bien lieu d’estre content qu’on examine son Livre avec un peu de rigueur, puis que cette sorte d’examen severe est une marque certaine de l’estime qu’on en fait. J’ay peine aussi bien que vous à croire qu’il soit entierement d’une Dame. C’est cependant au nom d’une Dame qu’on m’écrit la Lettre dont je vous fais part. Comme elle sert de Réponce au Cavalier qui a commencé d’expliquer ses sentimens, je luy en ay envoyé une Copie suivant l’adresse qu’il m’avoit marquée ; & s’il tient parole, je dois recevoir dans peu de jours la suite de sa Critique. Lisez cependant ce qu’on répond à ses premieres Remarques.

A L’AUTHEUR
DU M. G.

Je n’estois pas assez vaine, Monsieur, pour me flater d’avoir fait une chose que les Connoisseurs deussent approuver. Mais ce qui me surprend, c’est que l’on ait déja censuré, & que ce soit un Cavalier qui censure. Il me croit d’un sexe qui mérite du sien, de l’appuy & des applaudissemens plûtost que des corrections ; & d’abord je n’ay pû concevoir qu’un Homme, dont l’esprit paroît si délicat, & qui sçait dire tant de douceurs, fust capable de découvrir des défauts. J’en conserve neanmoins peu de ressentiment. Les Femmes pour l’ordinaire sont plus sensibles aux éloges qu’aux blâmes, parce qu’elles croyent toûjours bien plus mériter les unes que les autres, & en faveur des loüanges qu’il me donne, j’oublie assez ses censures pour luy rendre la justice qu’on luy doit. Il s’exprime bien. Il pense heureusement. Je le croy Homme connoissant le monde. Je le croy galant ; & s’il m’est permis de penétrer jusqu’à ses desseins, je croy luy estre obligée de ce qu’il a écrit de moy, & qu’il n’en a dit du mal que pour paroistre moins suspect sur le bien qu’il en dit. Ce qui me donne cette opinion, c’est qu’il n’a dit du mal que sur les endroits faciles à justifier.

Il reproche à Mademoiselle d’Hennebury de s’estre mariée à un Homme qu’elle n’aime point, malgré l’engagement qu’elle avoit avec un autre. A cela, la réponce est aisée. Ce n’est plus une chose cachée que l’Histoire n’est point Angloise ; & bien que je ne sçache point par quel secret ou quelle infidelité on a déja esté instruit de la veritable Scene, il est certain que depuis la derniere Gazette d’Hollande du dernier mois, on sçait que l’Avanture est de nostre Cour. Ainsi le Critique n’a point dû s’attacher à des vray-semblances, puis qu’elle ne contient rien qui ne soit de fait, & quand elle seroit une pure Fable, c’est à dire une pure invention qui doit estre conduite sur le possible & le vray-semblable, peut-estre y a-t-on donné des couleurs assez naturelles, pour estre cruë une chose entierement vraye. Je demeure d’accord que ce que fait Mademoiselle d’Hennebury est extraordinaire ; mais il ne le seroit pas, s’il estoit souvent des Personnes de son humeur. Ce n’estoit pas son action qu’il faloit examiner, c’estoit son caractere que je n’ay pas prétendu exempt de foiblesse ; & si son caractere est possible, son action a esté necessaire. Quelque extravagance qu’il paroisse y avoir d’abord à penser mesme qu’une Femme puisse quitter un Homme qu’elle aime, pour un autre qu’elle n’aime point, la chose peut changer de face par un détail de sentimens, d’incidens, de raisons & de moyens. Ainsi il ne faut pas toûjours dire qu’une chose n’a pû arriver, parce que la proposition, quand elle est nuë & generale, en paroist folle & impossible. Rien au monde est il plus contraire à la vraysemblance, que de dire qu’une Mere tuë son Enfant pour s’en nourrir ? Cependant si un Autheur a l’adresse de bien dépeindre les malheurs d’une pressante famine dans une Ville assiegée ; si apres avoir bien fait combattre l’amour d’autruy avec l’amour propre, il sçait encor donner à celuy-cy l’avantage sur le premier, on ne doutera point que la chose n’ait esté effective. L’application, Monsieur, est aisée ; & je croy m’estre assez expliquée, pour vous faire entendre par quelles raisons je prétens justifier l’action de Mademoiselle d’Hennebury.

Je le repete, Monsieur, je croy que celuy qui a écrit est de mes Amis, & dans cette opinion je me persuade que je ne hazarde rien à consentir qu’il continuë ses Remarques. Neanmoins si je me trompe, & s’il a quelque chose à remarquer où l’on ne pût pas répondre, il me fera grace de ne pas examiner trop severement ces sortes d’endroits. Je m’aime assez pour ne vouloir point paroistre avec mes défauts, du moins avec des défauts inexcusables ; & puis qu’on me demande mon consentement, on me pardonnera si en ce cas je ne consens à rien. On excusera bien cette vanité dans un Sexe, que les flateries de celuy de l’Observateur ont accoûtumé à présumer beaucoup de soy-mesme, & il voudra bien ne point détruire par un trait de plume cette estime avantageuse, que tant d’actions éclatantes, tant de respects tant de services obligeans, nous ont fait concevoir pour tous le Hommes.

Ce n’est pas assez pour moy, Monsieur, c’est a dire pour une Personne un peu glorieuse, que l’on ne publie point mes fautes par galanterie seulement & par generosité. Je ne veux point tout devoir à l’un & à l’autre & je seray bien aise de m’excuser des sentimens que l’on pourroit avoir sur la Seconde Partie Elle a esté faite en si peu de temps par l’engagement que l’on avoit pris de finir au plûtost ; on a eu si peu de loisir de faire des refléxions, qu’il y auroit lieu de pardonner de plus grands défauts que ceux qu’on pourroit y remarquer. Un des premiers Hommes de nostre siecle, plein de vertu, plein de mérite, & dont la capacité & la politesse sont les moindres avantages, bien que l’une luy attire tant d’admiration dans la plus illustre Académie du monde, & l’autre tant d’estime parmy les Personnes galantes, peut porter un témoignage incontestable que cette derniere Partie a esté toute faite en tres-peu de jours. Il y a eu un autre incident, c’est que par le peu d’usage que j’ay de l’Imprimerie, ne m’étant point reservé le soin des Epreuves, il y est demeuré des redites & des fautes assez sensibles, pour que l’on croye que je ne les y aurois pas laissées, si j’y avois seulement jetté les yeux. C’est, Monsieur, ce que je vous prie de faire sçavoir au Cavalier, qui s’est adressé à vous pour m’envoyer ses Remarques. Agréez en mesme temps les remercîmens que je vous fais, de la maniere obligeante dont vous avez parlé de mon Livre dans deux de vos Lettres. Je ne dois pas en estre surprise, puis que vous faites profession de n’y mettre rien qui ne soit à l’avantage de ceux dont vous avez quelque chose à dire.

Le Rossignol et le Milan. Fable §

Mercure Galant, juin 1682 [tome 6], p. 46-50.

 

Je vous envoye une Fable de Mr Daubaine. C’est assez vous dire, pour estre assuré que vous la lirez avec plaisir.

LE ROSSIGNOL,
ET LE MILAN.
FABLE.

Un Rossignol se trouvant sous la pate
 D’un Milan, Beste scélerate,
 L’Attila des petits Oyseaux ;
Ah, ne me mangez pas, luy dit-il d’un air tendre.
 Sur moy que trouvez-vous à prendre ?
Je ne puis seulement vous fournir deux morceaux ;
Et si vous le voulez, je vais vous faire entendre
Tout ce que la Musique a de plus merveilleux.
Pour vous-mesme, Seigneur, conservez-moy la vie ;
De bon cœur je consens à vous suivre en tous lieux.
Plus de chagrins pour vous, plus de mélancolie.
Voyez ce que je vaux, voyez à quoy je sers.
 Autant de fois que vous prendra l’envie
  D’avoir le plaisir des Concerts,
Je vous le donneray ; ma douce mélodie
  Pour cela seule me suffit.
Seule elle vaut l’Opéra de Persée.
Jamais Gascon eut-il une telle pensée ?
 A tout cela le Milan répondit.
  Vostre Musique est sans pareille ;
Vous comparer Lully, ce seroit se moquer ;
Mais mon plaisir n’est point le plaisir de l’oreille,
Et partant, nostre Amy, je prétens vous croquer.
Là-dessus il l’étrangle, & puis le gobe en plume,
Car faire du Rosty n’est pas une coûtume
Dont jamais les Milans se soient voulu piquer.
***
  C’est tout de bon, jeune Climene,
  Je suis tombé dans vos filets ;
 Ou, pour parler en des termes plus nets,
  Et que l’on entende sans peine,
  Pour vous je commence à sentir
 Ce que l’amour inspire de plus tendre ;
 Mais tout d’un coup vous me faites comprendre
  A quoy cela peut aboutir.
J’ay beau du Rossignol emprunter le langage,
  J’ay beau vous prôner l’avantage
Qu’on tire d’un Amant qui sçait faire des Vers ;
  J’ay beau dire qu’à l’Univers
Les miens feroient sçavoir combien vous estes belle,
  Helas ! c’est ne vous rien offrir.
  Vous n’en estes pas moins cruelle,
  Je le vois bien, il faut mourir.

[Histoire] §

Mercure Galant, juin 1682 [tome 6], p. 50-83.

 

Vous croyez peut-estre que les Amans ne veulent mourir qu’en Vers, & qu’on n’en voit point qui prennent cette résolution, si ce n’est dans une Fable. Il m’est aisé de vous détromper, en vous apprenant une Avanture, que des Personnes tres-dignes de foy vous assureront estre veritable. Un jeune Marquis à qui sa naissance & ses belles qualitez donnoient entrée chez les Personnes les plus considérables du beau Sexe, voyoit la plûpart de celles qui passoient pour estre aimables, sans aucun péril pour sa liberté. Il estoit fort délicat sur le vray mérite ; & comme en examinant toutes les Belles, il leur trouvoit des défauts dont il ne pouvoit s’accommoder, quelques fréquentes attaques qui luy fussent faites, il n’avoit aucune peine à se garantir des surprises de l’amour. Apres que son cœur eut esté longtemps oisif, le moment vint où il trouva dequoy l’occuper. Un Homme de qualité faisant à la Cour fort bonne figure, alla se marier en Province à une riche Heritiere d’une Maison tres-connuë, & un moïs apres il l’amena à Paris. Elle n’estoit point de ces Beautez régulieres, dont la Nature semble avoir pris peine à finir les traits ; mais elle avoit un air si piquant, & tant d’agrément estoit répandu dans sa personne & dans ses manieres, qu’il estoit presque impossible de n’en estre pas touché. Elle ne fut pas si-tost arrivée, que l’on s’empressa de tous costez à l’aller congratuler sur son mariage. Le jeune Marquis fut un des premiers, dont elle receut les complimens. Il alla chez elle plein de cette confiance qui luy avoit toûjours si bien réüssy ; & quoy qu’il fust frapé tout à coup en la voyant, & qu’il sentit ce trouble secret, qui est le présage d’une grande passion, il crut avoir essuyé des occasions plus dangereuses, & qu’apres un examen un peu sérieux, sa raison plus libre le maintiendroit dans l’indépendance, où il s’estoit toûjours conservé. Il s’attacha donc à étudier cette charmante Personne ; mais soit que son cœur trop prévenu luy cachast en elle ce qu’il voyoit dans les autres, soit que l’habitude qu’on prend en Province d’une vie plus retirée, luy eust acquis une droiture d’esprit qui luy laissast ignorer ce que c’est que fourbe & que tromperie, plus il voulut la connoistre, plus cette application luy découvrit un mérite dégagé de tout défaut. Elle parloit juste, donnoit un tour agréable à tout ce qu’elle disoit, & avoit sur tout des honnestetez si engageantes, qu’il ne faut pas s’étonner si en peu de temps elle eut une grosse Cour. Le jeune Marquis qui alloit souvent chez elle, ne fut pas fâché d’y trouver la foule. Elle empeschoit qu’on ne remarquast l’empressement de ses soins ; & il espera d’ailleurs qu’ayant l’esprit fin & délicat, il brilleroit davantage parmy un nombre de Gens qui ne débitant que des lieux communs, estoient incontinent épuisez. L’impression que fit sur son cœur le mérite de la Dame, luy fit connoistre en fort peu de temps, que ce qu’il sentoit pour elle estoit de l’amour ; mais ce mérite avoit un charme si attirant, qu’il estoit contraint d’applaudir luy-mesme à sa passion ; & quand il n’eust pas voulu s’y abandonner, il estoit de sa destinée de s’y soûmettre, & tous les efforts qu’il eust pû faire pour s’en garantir auroient esté inutiles. Cependant, pour ne négliger aucun remede dans la naissance du mal, il se priva quelques jours du plaisir de voir la Dame, & la longueur de ces jours luy fut si insupportable, que tous les plaisirs sembloient estre morts pour luy. La Dame qui estimoit son esprit, & qui s’estoit apperçeuë que les dernieres conversations qu’elle avoit euës avec ceux qui la voyoient ordinairement, n’avoient pas esté si vives, parce qu’il avoit manqué de s’y trouver, luy reprocha sa désertion en le revoyant, & ce reproche qu’elle luy fit d’une maniere fine & spirituelle, acheva de le résoudre à luy donner tous ses soins. Ce n’est pas qu’en s’attachant à l’aimer, il n’envisageast la témerité de son entreprise. Il la connoissoit d’une vertu délicate, que les moindres choses pouvoient effrayer ; & dans les scrupules où il la voyoit sur l’intérest de sa gloire, il avoit peine à comprendre comment il pourroit luy parler d’engagement ; mais quoy qu’il ouvrit les yeux sur le péril du naufrage, il ne laissa pas de s’embarquer. L’amour dissipoit ses craintes, & les miracles qu’il fait tous les jours sur les cœurs les moins sensibles, luy en faisoient attendre un pareil. Pour moins hazarder il crût à propos de prendre un air libre qui l’autorisast à expliquer un jour à la Dame ses plus secrets sentimens. Il luy disoit quelquefois d’une maniere galante & toute agréable, qu’elle ne connoissoit pas la moitié de son mérite. Quelquefois il s’avisoit de luy trouver de nouveaux brillans qui le faisoient s’écrier sur sa beauté ; & en luy disant devant tout le monde qu’on hazardoit beaucoup à la voir, il croyoit l’accoûtumer insensiblement à luy permettre de faire en particulier l’aplication de ce qu’il sembloit n’avoir dit qu’en general. Un jour qu’il estoit seul avec elle, apres avoir plaisanté sur une Avanture de Gens qu’elle connoissoit, il luy dit avec cet air libre & enjoüé, dont il s’estoit fait une habitude, qu’il s’étonnoit qu’il pust s’aimer assez peu pour venir toûjours se perdre en la regardant. La Dame d’abord ne repoussa la douceur qu’en luy répondant qu’il estoit fou ; mais il ajoûta tant d’autres choses, qui faisoient entendre plus qu’on ne vouloit, & il jura tant de fois, quoy que toûjours en riant, qu’il ne disoit rien que de veritable, qu’elle fut enfin forcée de prendre son sérieux, & de luy marquer en termes fort clairs, qu’il ne pouvoit estre de ses Amis, s’il ne changeoit de conduite. Le Marquis luy repliqua, que la qualité de son Amy luy seroit tres-glorieuse ; qu’il sçavoit trop la connoistre, & se connoître luy-mesme, pour en oser souhaiter une autre ; mais qu’il estoit impossible qu’il vécut content, si elle ne luy faisoit la grace de le recevoir pour son Amy de distinction. La Dame que sa vertu rendoit tres-peu distinguante, répondit d’un ton fort fier, qu’elle ne croyoit devoir distinguer les Gens que par leur respect & par leur sagesse ; & que quand il n’oublieroit pas ce qu’il luy devoit, peut-estre voudroit-elle bien se souvenir qu’il n’estoit pas sans mérite. Cette réponse, qu’elle accompagna d’un regard severe, déconcerta le jeune Marquis. Il vint du monde, & quoy qu’il pust faire pour se remettre l’esprit, il demeura dans un embarras qui l’obligea de se retirer. Les refléxions qu’il fit furent cruelles. Il avoit le cœur remply du plus violent amour que l’on eust jamais ; & loin que la fierté de la Dame luy aidast à l’affoiblir, il entroit dans les raisons qui l’avoient portée à luy oster l’espérance. Cette conduite redoubloit l’estime qu’il avoit pour elle, & plein d’admiration pour sa vertu, ne pouvant la condamner, quoy qu’elle fust cause-de toutes ses peines, il se trouvoit comme assujety à la passion qui le tourmentoit. La necessité d’aimer, & la douleur de sçavoir qu’il déplaisoit en aimant, le firent tomber dans une humeur sombre qui fut bientost remarquée de tous ceux qui le voyoient. Ce n’estoit plus cet Homme enjoüé, qui tant de fois avoir esté l’ame des plus agréables conversations. Le trouble & l’inquiétude estoient peints sur son visage. Il révoit à tous momens, & il y avoit des jours où l’on avoit peine à l’obliger de parler. Ce changement ayant surpris tout le monde, chacun cherchoit ce qui l’avoit pû causer, & il apportoit de fausses raisons pour empescher qu’on ne devinast la veritable. Il n’y avoit que la Dame qui se gardoit bien de luy demander ce qu’elle estoit fâchée de sçavoir ; & quand quelquefois on le pressoit devant elle d’employer quelque remede contre le chagrin qui le dominoit, elle disoit que s’il suivoit ses conseils, il iroit faire voyage ; qu’en changeant de lieux, on changeoit souvent d’humeur, & que rien n’estoit plus propre à guérir de certains maux, que de promener ses yeux sur des objets étrangers, qui par leur diversité ayant dequoy occuper l’esprit, en bannissoient peu à peu les tristes images qui le jettoient dans l’abatement. Il n’entendoit que trop bien ce qu’elle vouloit luy dire, & il s’estimoit d’autant plus infortuné, qu’en luy conseillant l’éloignement, elle luy faisoit paroistre que son absence la toucheroit peu. Il n’osoit pourtant s’en plaindre, parce qu’il n’eust pû le faire sans parler de son amour, & que la crainte de l’irriter tout-à-fait, estoit un puissant motif pour le retirer. Enfin apres avoir bien souffert & s’estre longtemps contraint à se taire, il luy dit que la raison l’avoit remis dans l’état où elle pouvoit le souhaiter ; que bien loin d’exiger d’elle aucune amitié de préference, comme il avoit eu le malheur de luy déplaire, il se croyoit moins en droit que tous ses autres Amis, de prétendre à son estime ; & qu’afin de reparer une faute qu’il avoit peine luy-mesme à se pardonner, il luy protestoit qu’il n’attendroit jamais d’elle aucun sentiment dont il pust tirer quelque avantage. La Dame luy témoigna qu’elle estoit ravie qu’en changeant de sentimens, il voulust bien ne la pas réduire à le bannir de chez elle ; mais elle fut fort surprise, quand apres l’avoir assurée tout de nouveau qu’il n’aspiroit plus à estre aimé, il la conjura de luy accorder un soulagement qui ne pouvant intéresser sa vertu, pouvoit au moins luy rendre la vie plus suportable. Ce soulagement estoit d’oser luy dire, sans qu’elle s’en offensast, qu’il avoit pour elle la plus violente passion, & que faisant consister tout son bonheur dans le plaisir de la voir, il luy consacroit le plus sincere & le plus respectueux attachement qu’elle pouvoit attendre d’un Homme, qui ne conservant aucune prétention, l’aimoit seulement parce qu’elle avoit mille qualitez aimables. La Dame ayant repris son air sérieux, luy dit avec une nouvelle fierté, qu’on ne luy avoit jamais appris à mettre de diférence entre souffrir d’estre aimée, & avoir dessein d’aimer ; & qu’estant fort éloignée de sentir son cœur dans ces dispositions, elle se verroit contrainte de rompre avec luy entierement, s’il s’obstinoit à nourrir un fol amour, que mille raisons avoient dû luy faire éteindre. Il fit ce qu’il pût pour la fléchir, & il la trouva inéxorable. Il luy parla de la mesme sorte en deux ou trois autres occasions, attaché toûjours à ce faux raisonnement, que ne demandant aucune correspondance, il pouvoit luy dire qu’il l’aimoit sans qu’elle eust lieu de s’en plaindre. Il receut encor les mesmes réponces ; & enfin la Dame luy défendit si absolument de luy parler jamais de sa passion, qu’il luy répondit avec les marques d’un vray desespoir, qu’il luy seroit plus aisé de renoncer à la vie ; qu’il en sçavoit les moyens, & que quand le mal seroit sans remede, elle auroit peut-estre quelque déplaisir d’en avoir esté la cause. La Dame luy repliqua froidement que si la joye de mourir avoit dequoy le toucher, il pouvoit se satisfaire, & qu’elle estoit lasse de luy donner d’utiles conseils. Il sortit outré de ces dernieres paroles, & se mit en teste de luy arracher au moins en mourant une sensibilité, dont tout son amour n’avoit pû le rendre digne. Il s’encouragea le mieux qu’il pût ; & se sentant de la fermeté autant qu’il crût en avoir besoin, il se rendit deux jours apres chez la Dame à onze heures du matin. Il choisit ce temps pour la trouver seule, & dans la crainte qu’elle ne le renvoyast s’il la faisoit avertir, il monta tout droit sans la demander jusqu’à son Appartement. Il n’y rencontra que la Suivante, qui luy dit que sa Maistresse estoit allée à l’Eglise ; qu’elle en reviendroit incontinent, & qu’il pouvoit choisir de l’attendre, où de l’y aller trouver. Il prit ce premier party, & commençant à marcher dans la Chambre de la Dame avec l’action d’un Homme qui méditoit quelque chose, il s’attira les regards de cette Suivante, qui remarqua dans ses yeux un égarement qui la surprit. Elle sortit de la Chambre, voyant qu’il ne parloit point, & se mit en lieu d’où il devoit luy estre facile d’observer ce qu’il feroit. Apres qu’il eut encor marché quelque temps, il s’arresta tout d’un coup tenant sa main sur son front, & révant profondement. Ensuite elle luy vit tirer un Poignard, & le mettre nud sous la Toilete. La frayeur qu’elle eut pensa l’obliger à faire un cry ; mais sçachant la chose, elle demeura persuadée qu’il n’en pouvoit arriver de mal ; & il luy parut qu’il valoit mieux ne rien dire. Dans ce mesme temps on entendit rentrer le Carosse, & aussitost elle vint dire au Marquis que sa Maistresse arrivoit. Le Marquis estant sorty de la Chambre pour luy présenter la main sur l’Escalier, la Suivante prit ce temps pour se saisir du Poignard ; & par je-ne-sçay-quel mouvement, trouvant un Busc sur la Table, elle le cacha sous la Toilete, au mesme lieu où le Poignard avoit esté mis. La Dame entra dans sa Chambre, & entretint le Marquis de quelques nouvelles. Il eut la force eu luy répondant, de luy déguiser son trouble ; & la Suivante estant sortie sur quelque ordre que luy donna sa Maîtresse, il se mit à ses genoux, la conjurant de nouveau, & pour la derniere fois, de ne point pousser son desespoir aux extrémitez, où il craignoit qu’il n’allast. La Dame appréhendant qu’on ne le surprist dans cette posture, le fit relever d’autorité absoluë ; & quand il vit que sans s’émouvoir de ce qu’il luy protestoit qu’il estoit capable de se tuer, elle appelloit sa Suivante pour le mettre hors d’état de continuer ses plaintes, tout hors de luy-mesme, & ne se possedant plus, il courut à la Toilete, prit le Busc qu’il y trouva, & s’en donna un coup de toute sa force, sans s’appercevoir que son Poignard avoit esté métamorphosé. La Dame surprise de ce coup de Busc, ne sçavoit que croire d’un transport si ridicule. Cependant elle le vit tomber à ses pieds. Son imagination vivement frapée du dessein de se tuer, avoit remüé tous ses esprits ; & ne doutant point qu’il ne se fust fait une blessure mortelle, il perdit la connoissance & resta longtemps évanoüy. La Suivante entra dans ce moment, & ne se pût empescher de rire de voir le Marquis en l’état ou il estoit. La Dame ne songea qu’a l’en tirer, & ne voulut appeller personne, afin d’étouffer la chose dont on eust pû faire des contes fâcheux, si elle eust souffert qu’elle eust éclaté. Enfin il revint à luy apres quelque peine qu’on prit pour cela. Il pria d’abord qu’on le laissast mourir sans secours ; surquoy la Dame luy dit qu’il aimoit la vie plus qu’il ne pensoit, & qu’il pouvoit s’asseurer de n’en sortir de longtemps, s’il ne vouloit employer qu’un Busc pour se délivrer de ses malheurs. Il crût que la Dame, pour mieux l’insulter, affectoit la raillerie, & chercha le sang qu’il devoit avoir perdu. Il n’en trouva point, & moins encor de blessure. Il s’estoit donné le coup de si bonne foy, qu’il ne pouvoit revenir de sa surprise. Il demanda par quel charme on l’avoit sauvé de son desespoir ; & la Dame qui estoit bien éloignée de comprendre qu’il eust voulu se tuer effectivement, luy ayant marqué qu’elle n’aimoit point de pareilles Scenes, la Suivante ne luy voulut pas oster la gloire qu’il méritoit par sa courageuse résolution de tourner son bras contre luy-mesme. Elle montra le Poignard, & raconta ce qu’elle avoit fait. Le Marquis fut si honteux de l’avanture du Busc, qu’estant d’ailleurs accablé par les reproches que luy fit la Dame d’un emportement si extravagant, il se retira chez luy si-tost qu’il fut en état de s’y conduire. La necessité où il se trouva de ne la plus voir, luy fit prendre le dessein de s’éloigner, & pour en tirer quelque mérite, il se résolut à voyager, afin qu’elle pust connoistre que mesme en se bannissant, il s’attachoit à suivre ses ordres. Il est arrivé à Rome, où il prétend demeurer assez longtemps pour se guérir de sa passion.

Air nouveau §

Mercure Galant, juin 1682 [tome 6], p. 83-85.Le commentaire du Mercure permet d'attribuer cet air à B. de Bacilly : le Livre nouveau d'airs gravez n'est autre que le Second Livre des Mélanges de cet auteur, par ailleurs principal fournisseur d'airs pour le Mercure en 1679 et 1680.

L´Air nouveau qui suit, ne peut manquer de vous plaire. Il est de l´illustre Autheur dont je vous en ay souvent envoyé. Je me souviens de vous avoir dit qu´il [Bacilly] devoit donner un Livre nouveau d´Airs gravez, ayant pour titre, Second Mélange. Il se vend présentement au Palais avec ses autres Livres d´Airs gravez. Ce dernier fait le dixiéme.Cet article de février 1682 annonce la parution prochaine de ce recueil et l'air de Bacilly En vain Tircis.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par En vain Tircis s'efforce de me plaire, doit regarder la page 84.
 En vain Tircis s'efforce de me plaire.
 En vain ses pleurs, ses regards, ses soûpirs,
 Rangent de son party mes plus tendres desirs.
 Helas Amour, je ne puis me defaire
 D'une raison importune et secrete
  Qui me defend de gouter tes plaisirs.
images/1682-06_083 copyOf_084.JPG

[Madrigal] §

Mercure Galant, juin 1682 [tome 6], p. 85-86.

 

Un galant Homme qui sçait aussi bien aimer que faire des Vers, s’est plaint du peu de succés de son amour, par deux Madrigaux que j’adjoûte icy. Voyez s’il a mérité qu’on le réduise à se plaindre.

MADRIGAL.

Iris consentiroit, dit-elle, à s’engager,
Si l’on pouvoit trouver un fidelle Berger.
Quel prétexte elle donne à son indiférence !
Devroit-elle douter de ma sincerité ?
Cinq ans d’amour, de soins, & de perseverance,
Sont d’assez seûrs garands de ma fidelité.

Autre madrigal §

Mercure Galant, juin 1682 [tome 6], p. 86.

AUTRE MADRIGAL.

 Elle me défend de la voir,
La cruelle Beauté, dont j’adore l’empire,
 Et malgré mon cœur qui soûpire,
J’obeïs, & m’en fais un funeste devoir,
 Trop heureux dans mon desespoir,
 Si ma soûmission extréme
 Peut luy prouver combien je l’aime.

[Sonnet Gascon] §

Mercure Galant, juin 1682 [tome 6], p. 86-89.

 

On ne s’est pas seulement servy du Provençal pour publier les grandeurs du Roy ; on a fait aussi un Sonnet Gascon sur cette mesme matiere. Je vous l’envoye. Les rimes de Par & Car y sont employées d’autant plus heureusement, que ces deux mots signifient Pair & Cher en cette Langue.

SONNET BOUT-RIMAT,
en Linguo Moundino,
a la glorio del Rey.

Lov Rey que ran la Pax as troupetets de Pan,
Fa bouqua l’Enemie millou qu’une Guenucho.
El fa luzi la Croux oun regnabo Satan,
Et s’abillo de fer may souben que de plucho.
***
El n’a qu’eis Enemies que sas bertuts l’y fan.
Coum’uno saïo Abeillo el sap rampli sa Rucho ;
El fa may dins un jour qu’eis autres dins tout l’an,
E coubo tout deis els pla millou qu’un Autrucho.
***
El pot tout ço qu’el bol, tout ço qu’el dits es hoc,
Pren tout de bouno guerro, e jamai re per troc,
La bertut dins soun cor es coum odins sa nicho.
***
Cap d’autre Rey dambel nou pot ana del par,
Lou Royaume sens’el serio toumbat en fricho,
E LOUIS es del Cel lou présen lou plus car.

[Gouvernement de Languedoc donné à M. le Duc du Maine] §

Mercure Galant, juin 1682 [tome 6], p. 100-106.

 

Apres la mort de ce Duc, le Roy n’a pas beaucoup consulté pour luy donner un Successeur au Gouvernement de Languedoc. Le mérite de Mr le Duc du Maine, qui dans l’âge le plus tendre laisse découvrir les plus belles qualitez des grands Hommes, l’a fait choisir par Sa Majesté pour cette importante Charge. J’aurois de la peine à vous rapporter tout ce qu’il a dit au Roy, pour luy témoigner sa reconnoissance, & pour luy persuader qu’il agiroit avec un zele si remply d’ardeur, qu’il auroit la gloire de remplir son choix, & de le voir avoüé de toute la terre. Vous sçavez déja, Madame, que ce jeune Prince, avec tout ce qui peut plaire aux yeux, a dequoy surprendre par les qualitez de l’esprit & du cœur, les plus délicats & les plus difficiles. On ne peut concevoir toutes choses avec plus de facilité, ny raisonner avec plus de justesse. Il a une vivacité qui surprend toûjours, & il y a tant de bon sens dans tout ce qu’il dit, que l’on est sans cesse embarrassé de ce qu’on doit le plus admirer en luy, ou son esprit, ou son jugement. Ses Maistres sont charmez du fruit qu’il fait dans ses études. Les Autheurs les plus difficiles luy sont familliers ; & rien ne luy échappe des beautez ny des défauts qui s’y trouvent, & dont les seules remarques ont fait tout le mérite de plusieurs Hommes illustres. Je croy vous avoir appris dans quelque autre occasion, que dés l’âge de sept ans, il en avoit fait luy-mesme sur quelques-uns des plus celebres Autheurs de l’antiquité, qu’on a veu des Maximes de Morale de sa façon, & qu’il a écrit des Lettres qui firent croire à une Dame de bon esprit & d’un grand discernement, que ces Piéces recüeillies & imprimées estoient le plus agréable & le plus riche présent qu’elle pust offrir à une Personne, que l’on peut dire estre en tout, la merveille de ce siecle, & l’ornement du Regne de Loüis le Grand. Il paroist bien à tout ce que nous découvrons chaque jour dans ce Monarque, que le Ciel l’a creé pour luy, comme nous voyons bien aussi qu’il a produit tant de merveilles pour un Prince qu’il a mis au dessus de tout le reste des Hommes. Je ne parleray point de esprit ny du courage de Mr du Maine ; de ces nobles sentimens qui luy font souhaiter tout ce qui est digne des veritables Héros, & qui les conduit à la gloire la plus pure. Je ne vous diray rien aussi de son bon cœur, qualité rare dans tous les temps. Je ne vous entretiendray pas non plus de sa politesse, de son humanité, & des manieres honnestes, mais pleines de distinction, avec lesquelles il reçoit tout le monde. Je repéteray seulement ce que j’ay dit des autres prodiges de ce Regne. Le Ciel l’a fait naître pour Loüis le Grand & on voit en luy ce qu’en a marqué dans une Devise feu Mr Douvrier.

A joue arguit ortum.

Traduction de la huitiéme Ode du second Livre d’Horace §

Mercure Galant, juin 1682 [tome 6], p. 110-112.

TRADUCTION DE LA
huitiéme Ode du second Livre
d’Horace, qui commence par
Vlla si juris, &c.

 Je croirois à tes feintes larmes,
Qui trompent si souvent tes crédules Amans,
Si quelqu’un de tes faux sermens
Te coûtoit seulement le moindre de tes charmes.
***
 A peine tu m’es infidelle,
Qu’on voit briller en toy mille nouveaux attraits ;
 Et tu ne me trompes jamais,
Que tu n’en sois, helas ! plus charmante & plus belle.
***
 Il ne te reste rien à faire,
Si tu veux exercer le pouvoir de tes yeux,
 Que d’abuser du nom des Dieux,
Apres avoir trompé les Manes de ton Pere.
***
 Malgré ta noire perfidie,
Mille nouveaux Amans s’engagent sous tes Loix ;
 Et ceux qui i’aiment une fois,
Ne guérissent jamais de cette maladie.
***
 Pour leurs Fils, les Meres timides
Craignent le coup fatal de tes moindres soûris ;
Et cent jeunes Beautez, pour leurs tendres Marys,
 Redoutent tes regards perfides.

E.D.C.D.M. d’Avalor

[Epigramme de Catulle] §

Mercure Galant, juin 1682 [tome 6], p. 112-113.

 

Apres Horace, vous ne serez pas fâchée d’entendre Catulle parler nostre Langue.

EPIGRAMME 93. de Catulle,
qui commence par Lesbia mi dicit, &c.

 On dit que ma Maîtresse,
 Partout dans ses discours,
Se plaint, médit de moy sans cesse,
Et cependant elle en parle toûjours.
Ah ! je meure cent fois, si la Belle ne m’aime.
 Pourquoy ne le pas croire ainsy ?
Je m’en plains, j’en médis, & j’en parles de mesme ;
Ah ! je meure cent fois, si je ne l’aime aussy.

[Epigramme du même auteur]* §

Mercure Galant, juin 1682 [tome 6], p. 114-118.

EPIGRAMME 35. du mesme
Autheur ; ou Hymne à l’honneur
de Diane, qui commence
par Dianæ sumus in fide, &c.

 Jeunes Filles, jeunes Garçons,
Nous qui dans nos desirs n’avons rien de profane,
 Parmy nos Jeux & nos Chansons,
Celébrons à l’envy les vertus de Diane.
***
 Ouvrage charmant de l’Amour,
Déesse, illustre sang du Souverain du Monde.
 Toy que Latone mit au jour
Dans les Bois de Délie en Olives féconde.
***
 Depuis ce temps nos sombres Bois,
Nos murmurans Ruisseaux, nos Fleuves, nos Montagnes,
 Reconnoissent toûjours tes Loix,
Et tu fais l’ornement de nos vertes Campagnes.
***
 Les Femmes dans l’accouchement
Implorent ton secours, & t’appellent Lucine,
 Et l’Univers communément
Adore sous trois noms ta puissance divine.
***
 La nuit, tu brilles dans les Cieux ;
Ton cours réglant les mois, mesure les années.
 On voit le Laboureur joyeux,
Quand ton Astre luy rend ses moissons fortunées.
***
 Reçois nos vœux & nos amours,
Et de quelque façon que par tout on te nomme,
 Sois sainte, & conserve toûjours
Les Successeurs d’Ancus, & la Ville de Rome.

 

L’Autheur de ces agreables Traductions, est le mesme dont je vous ay envoyé plusieurs Ouvrages, sous le nom du Fils d’un Auditeur des Comptes de Dijon. Il s’appelle Mr Moreau, & fut reçeu il y a deux mois Conseiller-Auditeur en la Chambre des Comptes de Paris. Feu Mr Moreau son Pere, d’un mérite & d’une probité connuë, avoit exercé la mesme Charge pendant beaucoup d’années en la Chambre des Comptes de Bourgogne ; & Mr Moreau son Frere y remplit actuellement celle d’Avocat General avec beaucoup d’approbation & de gloire. Les galantes Pieces que vous avez veuës de luy, ont esté faites pour une jeune & aimable Veuve, qu’il a enfin épousée apres une constance de pres de trois ans. J’ay crû ne pouvoir mieux satisfaire l’envie que vous m’avez souvent témoignée d’apprendre son nom, que par l’éclaircissement que je vous donne.

[Histoire] §

Mercure Galant, juin 1682 [tome 6], p. 122-129.

 

Dieu se sert de tout pour nous attirer à luy. Une jeune Demoiselle, aimant fort le monde, & ne manquant point de charmes pour s’y faire regarder, n’avoit d’autre passion que celle de plaire, & de s’attirer grand nombre d’Adorateurs. Son Pere mort depuis quatre ou cinq années, luy avoit laissé assez de bien pour vivre à son aise en se mariant, si elle eust voulu se contenter d’un Party sortable ; mais l’ambition la fit aspirer à un rang plus élevé, & sans rebuter aucun de ses Soûpirans, elle attendoit toûjours la fortune, dont elle se croyoit digne. Enfin il parut qu’elle s’offrit. Un Cavalier fort bien fait, ayant équipage, & le titre de Marquis, rendit visite à la Belle. Son esprit luy plût. Il fut content de son bien, & en peu de jours l’affaire fut arrestée. La Mere ravie d’avoir un Marquis pour Gendre, ne pût contenir sa joye. Elle en fit part à tous ses Amis, & ce mariage fut divulgué dés le jour mesme qu’elle l’eut conclu. Le Marquis pressoit la Cerémonie ; & il pressa tant, que les Parens de la Belle le soupçonnerent d’agir de mauvaise foy. Ses empressemens avoient l’amour pour excuse ; mais quelque ardent qu’il pust estre, on avoit raison d’examiner, & de n’aller pas aussi vite qu’il vouloit. Il se disoit d’une Maison fort illustre, & plusieurs titres qu’il consentit à montrer, justifioient assez sa naissance. Ainsi il ne restoit plus qu’à s’éclaircir de son bien. La Belle entestée de la qualité, & trop prévenuë pour sa Personne, l’en eust crû sur sa parole, s’il n’eust eu qu’elle à persuader. Elle avoit chassé pour luy tous ses autres Protestans, & son mérite, qu’elle croyoit effectif, avoit fait sur elle une impression si forte, qu’elle faisoit consister tout son bonheur à l’avantage de se voir sa Femme. La Mere s’estoit renduë, & elle donnoit déja ses ordres pour le mariage, lors qu’on vint luy dire qu’un faux Marquis avoit tâché de surprendre sous diférens noms la crédulité de quelques Veuves qui avoient des Filles, & qu’elle devoit prendre garde si son Gendre prétendu n’estoit point ce mesme Fourbe, qui bien loin d’estre Marquis, n’avoit aucune naissance, & ne subsistoit que par industrie. La chose estoit assez importante pour l’engager à profiter de l’avis. Elle alla trouver les Personnes mesmes à qui l’avanture estoit arrivée ; & par la conformité des traits, de la, taille & des manieres, dont on luy fit une fidelle peinture, elle connut le péril que sa Fille avoit couru. Le Fourbe soûtint son imposture, & se fit promettre que le lendemain on luy feroit voir les Gens qui l’osoient calomnier. Il n’a point paru depuis. Paris est si grand, qu’en changeant de nom & de quartier, il peut faire ailleurs la mesme entreprise. Il l’a déja manquée trop de fois pour croire qu’il la fasse réüssir. La Belle dont il s’estoit fait aimer, & qui s’attendoit à estre Marquise, a senty si vivement la honte d’avoir pris mal à propos de trop hautes espérances, que se voyant sans Amans, & ne pouvant suporter les contes qu’elle a sçeu qu’on faisoit d’elle, elle s’est d’abord retirée à la Campagne, & de là dans un Convent. C’est là que la Grace a commencé d’opérer. Elle luy a fait ouvrir les yeux sur la vanité de ce qui flate le plus les jeunes Personnes ; & le peu que les choses de la terre luy ont paru avoir de solidité, l’en a si fort dégoûtée, que depuis un mois elle a pris l’Habit de Religieuse. Elle fait paroître dans ce changement d’état une satisfaction parfaite, & marque à toute heure l’impatience qu’elle a de faire ses Vœux.

[Réponse d’une Religieuse à une Lettre qu’un de ses Amis luy avoit écrite, pour sçavoir son sentiment sur les vœux de Religion] §

Mercure Galant, juin 1682 [tome 6], p. 129-141.

[...] L’engagement où ils mettent pour toûjours, ne l’étonne point, & il semble qu’elle soit inspirée du mesme esprit qui a fait écrire la Lettre que je vous envoye, & dont une Dame du Convent luy a donné la Copie. Cette Lettre n’a pas peu servy à la confirmer dans l’amour de la Retraite. Lisez-la, Madame. Elle vous fera connoistre combien les Personnes veritablement dégagées du monde, menent une vie heureuse.

REPONSE
D’UNE RELIGIEUSE,
à une Lettre qu’un de ses Amis
luy avoit écrite, pour sçavoir
son sentiment sur les Vœux
de Religion.

Il est aisé de juger, Monsieur, que la seule curiosité, & non pas le desir de vous instruire, vous engage à me faire une question, sur laquelle je n’ay que les lumieres que peut m’avoir inspirées mon heureux tempérament, joint à la douce expérience, qui me fait trouver depuis longtemps, qu’il est fort facile d’observer les Vœux de Religion. Je sçay bien que s’il ne s’agissoit que de traiter de leur excellence, ou d’établir leur utilité, vous ne chercheriez le secours de personne, parce que vous trouveriez chez vous-mesme tout ce que peuvent imaginer sur cette matiere, la subtilité & la force du raisonnement ; mais vous n’en voulez pas aujourd’huy à des sentimens si relevez. Vous cherchez seulement à penétrer ceux d’une Fille, & peut-estre à l’embarasser par des refléxions qui pourroient bien luy persuader qu’elle a perdu tout le mérite du sacrifice qu’elle a fait à Dieu de sa Personne toute entiere, puis qu’elle ne s’est fait pour cela aucune violence, & qu’il n’y a que celuy qui combat qui remporte la victoire, & que le seul Victorieux qui puisse prétendre à estre récompensé. Ainsi me voila insensiblement retombée dans mes premieres inquiétudes, fondées sur l’excés du plaisir que je trouve dans mon état. Cela pourroit suffire, Monsieur, pour vous satisfaire, puis que vous ne vouliez, ce me semble, estre instruit que des sinceres mouvemens de mon cœur, touchant les peines que vous prétendez qui se rencontrent dans nos aimables Solitudes. Mais si vous voulez une explication plus positive sur la soûmission aux volontez des autres que vous croyez nous estre de si difficile pratique, je vous diray qu’elle ne peut l’estre que pour les Personnes qui s’engagent inconsidérement, & non pas pour nous qui ne le faisons jamais qu’apres avoir étudié pendant un long Noviciat nos inclinations, sur lesquelles nous reglons nostre choix ; au lieu que dans le monde on livre une Fille au caprice d’un Homme, sans luy donner presque le temps de l’envisager. Il seroit juste de luy en laisser connoistre à fonds les mœurs & l’esprit, & c’est à quoy l’on ne pense point. Cependant le caractere de ces deux Personnes se trouve souvent si opposé, qu’il est impossible qu’il n’y ait entr’elles une eternelle contrarieté. Il naist de là une espece de martyre involontaire, qui ne peut manquer de tuer l’ame, apres avoir consumé peu à peu le corps de ces désolées Victimes de l’intérest, ou de l’ambition de leurs Parens. Ce sont ces sortes de combats qui doivent faire horreur à ceux qui les ont excitez par leur manque de prudence, aussi bien qu’à ceux qu’ils ont exposez à les soûtenir, sans en attendre d’autre succés qu’un Enfer anticipé. Ce sont ces extrémitez terribles qui doivent faire trembler celles de mon Sexe, qui ne se sentent pas assez de generosité pour surmonter les difficultez qui se présentent à leur imagination, pour les empescher d’entrer dans nos sacrées Retraites, où le repos & la joye qui en sont inséparables, ne nous promettent pas moins qu’un bonheur sans fin. Comme aucune des choses de la terre ne peut l’alterer, il n’y en a, point aussi qui soient capables de contribuer à le faire naistre. Apres cela, Monsieur, pourrez-vous douter du mépris sincere que nous faisons des trésors périssables qui sont aujourd’huy les Dieux du Siecle, quoy qu’ils ayent en eux-mesmes la source de tous les maux qui accablent les Hommes de tant de diférentes manieres ? Et d’ailleurs, s’il est vray, comme il n’est pas permis d’en douter, que ces sortes de biens n’ayent esté donnez preférablement à de certaines Familles, qu’afin de les partager avec ceux qui en sont dans le besoin, ceux qui s’en privent volontairement ne sont-ils pas loüables, veu la difficulté qu’il y a de les dispenser selon l’intention de celuy de qui on les a receus ? Toutes ces raisons ne sont-elles pas plus que suffisantes pour nous en inspirer le dégoust ? Il faut neanmoins avoüer que je ne suis pas entierement stoïque sur ce sujet, puis que j’ay eu plusieurs fois un secret chagrin, lors que je me suis veuë hors d’état de pouvoir secourir les Misérables, qui se sont présentez à moy dans plusieurs rencontres, & que par un mouvement de compassion, j’ay desiré le superflu de ces Riches impitoyables qui tésaurisent pour le temps, au lieu de se précautionner pour l’eternité. Voila l’endroit par où je puis estre blessée ; ce qui fait bien voir que je ne suis pas invulnerable. Si c’est un peché contre la perfection religieuse, je m’en accuse. Le reste de la question qui regarde le troisiéme Vœu, se peut résoudre en peu de paroles, & pour cela je demeure d’accord avec vous, que le plaisir est une agreable loy qui nous entraîne souvent malgré nous ; mais il faut sçavoir en quoy nous le faisons consister. Chacun sur cela suit son panchant, & comme les gousts sont aussi diférens que les visages ou les esprits, on ne doit pas juger des inclinations ou des antipaties des autres par les siennes propres. Si vous y faites un peu de refléxion, vous m’avoüerez qu’à parler en general, les plaisirs des sens ne sont guére les vices des ames bien nées, & que c’est dans l’Homme le partage de l’animal plûtost que du raisonnable. Au reste, je puis vous assurer que si cet Ennemy attaque indispensablement tout le monde, il faut que nous ayons contre luy une sauvegarde invisible, puis que, graces au Seigneur, il n’a nulle entrée chez nous, & que j’ignore mesme qu’il puisse tenter les Personnes de ma profession. En effet, tous ceux qui m’ont connuë m’ont toûjours assurée que je n’avois rien à craindre que de tomber dans le peché des Anges revoltez, parce que la gloire seule dominoit chez moy. Voila, Monsieur, les veritables sentimens de mon cœur. S’ils ne peuvent vous satisfaire, il faudra vous en prendre à la foiblesse de mes expressions, plûtost qu’à la sincerité avec laquelle vous devez estre persuadé que je parle à l’égard de tout ce que je viens de vous dire, aussi bien que lors que je vous assure que je suis, Vostre tres-humble Servante, D. B.

[Tout ce qui s'est passé aux Etats tenus en Bourgogne] §

Mercure Galant, juin 1682 [tome 6], p. 141-155.

Je vay m'acquiter de ma parole, en vous faisant le détail de tout ce qui s'est passé aux derniers Etats tenus en Bourgogne. Monsieur le Duc estant party de Paris le 19. Avril, se rendit le 30. à Seignelay, où Mr de Motheux, Capitaine du Château, le reçeut au bruit de l'Artillerie, & de la Milice sous les armes. Ce Prince à son arrivée fut harangué par les Corps du Clergé & de la Justice, qui luy firent présenter d'excellent Vin. Il visita ensuite les Manufatures de Draps du lieu, où il fit distribuer une somme considérable aux Ouvriers. A son retour au Chasteau, il trouva un soupé tres magnifique, Mr de Motheux ayant fait venir de toutes parts tout ce qu'il pouvoit y avoir d'exquis dans cette saison. Il est si connu pour un Gentilhomme tres-genereux, & qui fait les choses d'aussy bonne grace qu'on les puisse faire, qu'on croira sans peine qu'il n'épargna rien pour bien soûtenir l'honneur de recevoir un grand Prince.

Le lendemain premier jour de May, qui estoit un Vendredy, Son Altesse Serénissime entendit la Messe dans la Chapelle du Château à sept heures du matin ; & comme Elle croyoit ensuite venir monter en Carrosse, Elle fut surprise de voir servir un Repas en maigre d'une extréme propreté. Elle donna de grand témoignages de sa satisfaction & de son estime à Mr de Motheux, & partit pour aller coucher à S. Remy proche Montbard, chez Mr l'Abbé de Fontenay. Elle y receut les Harangues de trois ou quatre Villes cironvoisines, dépendantes du Parlement de Bourgogne.

Le 2. Elle dîna à Sainte Seine; à cinq lieuës de Dijon, & y fut complimentée par le Maire de ce lieu, & pr un Echevin de Dijon qui avoit esté député pour aller jusque-là au devant d'Elle. L'apres-dînée estant au Val de Suson, elle aperçût la Maréchaussée de Dijon qui venoit à sa rencontre. A une lieuë de là, Mr joly, Maire de Dijon, accompagné de tout le Corps de la Magistrature, la complimenta; ensuite dequoy ils se mirent à le suite de son Carrosse. Mr l'Intendant suivy de plusieurs autres Carrosses, vint aussi à sa recontre, & tous l'accompagnerent jusques dans la Ville. S.A.S. y arriva un peu tard, & parce qu'Elle estoit fatiguée, Elle remit au lendemain les complimens qu'on estoit sur le point de luy faire.

Le 3. le Parlement la vint haranguer. Mr le Président Gagne portoit la parole, Mrs de la Chambre des Comptes, Mrs du Trésor, Mrs du Baillage, & Mrs de la Mairie, la haranguerent ensuite. L'apres-dînée, Son Altesse reçeut les visites & marques de respect de tous les Officiers du Parlement, Chambre des Comptes, & autre, en particulier.

Le 4. à l'issuë de son dîné, Elle donna audiance aux Députez de toutes les Villes de la Province, & reçeut quelques complimens particuliers, comme des Elûs de la Triennalité d'aprésent, qui sont Mr l'Abbé de Quincé pour le Clergé, Mr le Marquis de Tiange pour la Noblesse, & Mr Riel Conseiller au Bailliage de Chastillon-sur-Seine pour le Tiers-Etat. Le soir, Mr l'Intendant régala ce Prince d'un Soupé tres-magnifique, & d'un Opéra, dont il fut si satisfait, qu'il tomba d'accord qu'on ne pouvoit rien de mieux pour la Province.

Le 5. qui fut le jour de l'ouverture des Etats qui se tiennent au Convent des Cordeliers, apres que le Pere Gardien eut complimenté S.A.S. à son arrivée à ce Convent, on celebra une Messe solemnelle du Saint Esprit dans leur Eglise, où Elle assista. Apres la Messe, Elle se rendit à la grande Salle destinée pour la tenuë des Etats.

Si tost qu'Elle fut entrée, Elle monta sur un grand Theatre qui contient plus de la moitié de la salle, & s'assit sur un Fauteüil placé sous un Daiz. Derriere ce Fauteüil estoient quatre ou cinq de ses principaux Officiers en Habits tres propres.

Mr le Premier Président prit place à sa droite, à une distance de deux ou trois pas. Mr l'Intendant fut assis aupres de luy, & en suite, Mr l'Evesque de Châlons, Mr l'Evesque de Mâcon, & tout le Clergé, tant Abbez, Doyens, qu'autres benéficiez.

A sa main gauche estoient, à une égale distance de ceux de la droite, Mrs les Comtes Amansé, de Roussillon, éamp; d'Autremonts, Lieutenans de Roy, de Trésoriers chargez des Lettres de Sa Majesté pour en faire la présentation, & tout le reste de la Noblesse qui estoit en tres-grand nombre.

A l'oposite de S.A.S. estoient Mr le Maire de Dijon, & Mr Artault du Tiers Etat, & tous les Députez & Maires de la Province.

L'ouverture des Estats se fit par la Harangue de Mr le Trésorier Languet, qui représenta les Lettres du Roy. Apres qu'on en eut fait la lecture, S.A.S. parla quelque temps, & son discours fut suivy de la Harangue de Mr le Premier Président. Mr l'Intendant en fit une autre; & Mr l'Evesque de Châlons ayant aussi harangué, la Séance fut levée. S.A.S. s'estant renduë au Logis du Roy, Elle y fut suivie paour la grande partie de ceux qui avoient assisté à cette Cérémonie, & qui s'empresserent pour entendre le Discours qui se fait ordinairement à ce Prince, aussitost qu'il est rentré en sa Chambre. Ce fut encor Mr de Châlons qui prononça.

L'apresdînée, Messieurs du Clergé, de la Noblesse, & du Tiers Etat, entrerent dans leurs Chambres, pour parler du Don que la Province fait tous les ans à Sa Majesté.

Le 6. Mr l'Abbé Fiot, Député de la Chambre du Clergé, porta la parole à S.A.S. de la résolution que les Chambres avoient prise sur le Don gratuit, qui estoit de confier tous les intérests de la Province à sa prudente & sage conduite. Il s'acquita tres-dignement de cette commission, & fit un Discours qui luy attira beaucoup de loüanges.

Sur la Réponse de S.A.S. qui conseilloit d'offrir un Million, Mr de Quincé fut chargé l'apresdînée de luy aller dire que les Etats demeuroient d'accord de donner le Million, & demandoient sa protection aupres du Roy.

Depuis ce temps, & jusqu'à l'onziéme, on travailla avec assiduité aux Affaires de la Province, tant dans les Chambres des Etats, qu'aupres de S.A.S. Elle y a donné des soins & une application incroyable, & toûjours avec succés & des applaudissemens tout particuliers. L'unique divertissement qu'Elle a pris pendant ce temps, a esté l'Opéra que Mr l'Intendant luy a donné plusieurs fois. Ce Prince a mangé souvent chez luy, & n'a veu qu'une seule Comédie de toutes celles qu'a représentées la Troupe qui estoit alors à Dijon. Mr de Maleteste, Conseiller au Parlement, a eu l'honneur de le régaler d'un Concert fort agreable, qui fut aussi qualifié d'Opéra. [...]

[Huit Sonnets en bouts-rimez sur les loüanges du Roy, & les diférentes occupations des Hommes] §

Mercure Galant, juin 1682 [tome 6], p. 156-170.

 

On m’a dit que les nouveaux Juges choisis par Mr le Duc de S. Aignan, avoient enfin prononcé ; mais je n’ay point encor sçeu quel est le Sonnet victorieux. Je sçay seulement que Mr de Vertron a fait retirer le sien, n’ayant point voulu disputer le Prix, depuis que ce Duc l’a nommé pour un des Juges. Je vous l’envoye avec quelques autres. J’ay mis au bas le nom des Autheurs qui me sont connus.

SONNETS EN BOUTS
rimez, Sur les loüanges du
Roy, & les diférentes occupations
des Hommes.

I.

Mieux qu’au temps d’Archimede observer Jupiter,
Plus qu’au temps d’Hypocrate estre Pharmacopole,
Dans l’Art de bien panser élever un Frater,
Aux soins de son ménage instruire sa Nicole ;
***
Avoir pour Directeur quelque sage Pater,
Exercer des Chevaux par bonds, par caracole,
Sur les Cas importans doctement disputer,
Sur les doutes de Mer consulter la Boussole ;
***
Tâcher par ses Ecrits de se rendre immortel,
Punir Vice, Herésie, & Blasphéme, & Cartel,
De ces emplois divers chacun fait son affaire.
***
Que le nostre à jamais soit de chanter des Vers,
Pour celébrer LOUIS, qui regle l’Univers,
Et n’a dans ses desseins qu’à vouloir, pour tout faire.

De Vertron.

II.

L’Un, sçavant Astronome, observe Jupiter ;
L’autre, par cent Secrets, vaut un Pharmacopole ;
Tel en devotion surpasse un Saint Frater.
Qui n’aime point le jeu ? qui n’a point sa Nicole ?
***
L’un veut sçavoir l’Histoire ainsi que son Pater ;
L’autre monte à cheval, s’y plaist, & caracole ;
Tel s’exerce à bien dire, & tel à disputer ;
Un autre apprend les Loix, un autre la Boussole.
***
Le Héros qui ne tend qu’à se rendre immortel,
Aux périls, à la Mort, présente le Cartel ;
L’Homme de Cabinet, sans cesse est en affaire.
***
Quelqu’autre chasse, ou chante, écrit en Prose, en Vers ;
Mais l’auguste LOUIS, l’honneur de l’Univers,
D’un air digne de Luy, sçait tout dire, & tout faire.

Gardien.

III.

Un Astrologue observe & Mars & Jupiter ;
Les Simples sont l’objet d’un bon Pharmacopole ;
Remplir son Esquipot, c’est le but d’un Frater,
Et régler son ménage, est le soin de Nicole.
***
L’Hypocrite en public marmote son Pater,
Le jeune Cavalier voltige, caracole,
Le Sophiste Pédant s’amuse à disputer,
Le Pilote en voguant regarde sa Boussole.
***
Le Poëte ne tend qu’à se rendre immortel,
Il accepte avec joye un glorieux Cartel,
Et de gagner le Prix fait toute son affaire.
***
Pour moy, l’unique but où tendent tous mes Vers,
Pour me faire connoistre au bout de l’Univers,
C’est de pouvoir chanter ce que LOUIS sçait faire.

Amoreux, de Digne, Avocat au Parlement d’Aix.

IV.

Nos diférens emplois viennens de Jupiter.
Tout est sur son état, jusqu’au Pharmacopole.
L’un est un gros Docteur, l’autre un petit Frater ;
L’un est Monsieur Jourdain, & l’autre sa Nicole.
***
Pour garde d’un Royaume on laisse Anti-pater.
Autour de son Pilier Bernardi caracole.
Descartes jour & nuit se tuë à disputer,
Colomb va confier ses jours à la Boussole.
***
Le moindre Autheur aspire à se rendre immortel,
Le Faux-Brave en secret donne encore un Cartel,
Le Plaideur inquiet est plein de son affaire.
***
Quel employ prend LOUIS de mille emplois di- vers ?
Ah, tant qu’on pourra vaincre encor dans l’Univers,
Qu’on ne demande point ce qu’il y trouve à faire.

V.

L’Un contemple de nuit, & Mars, & Jupiter,
L’autre sur deux Tréteaux fait le Pharmacopole ;
L’un cherche son profit au Mestier de Frater,
L’autre dans un Tableau peint Diane, ou Nicole.
***
Le Bigot en public marmote son Pater,
L’Ecuyer tres-souvent s’exerce, & caracole ;
Le Pédant sur les Bancs veut toûjours disputer,
Le Pilote sur Mer observe sa Boussole.
***
Boileau par ses Ecrits rend LOUIS immortel,
Condé de l’Ennemy sçait braver le Cartel,
Pajot en Cicéron parle sur une Affaire.
***
Corneille a trouvé l’Art de charmer par ses Vers ;
LOUIS, d’assujetir à ses Loix l’Univers,
Et pour son Successeur ne laisser rien à faire.

Delosme, âgé de quinze ans.

VI.

Voir lancer le Tonnerre à nost Jupiter,
Et le Canon en main à tout Pharmacopole,
La Trousse & le Razoir à tout Garçon Frater,
Et le Code & le Droit au Président Nicole.
***
Que l’Enfant dés qu’il parle aprenne le Pater,
Que l’Ecuyer fringant à cheval caracole,
Que le Docteur en Chaire apprenne à disputer,
Que le Pilote adroit connoisse la Boussole ;
***
Qu’un Autheur par ses Vers tâche d’estre immortel,
Que tout vaillant Héros accepte le Cartel,
Et de sang répandu se fasse peu d’affaire ;
***
Qu’un Louche sans dessein regarde de tra-vers,
Que LOUIS pour conqueste ait peu de l’Univers,
C’est ce qui sans prodige aisément se peut faire.

Girault le jeune.

VII.

Que d’occupations, ô Seigneur Jupiter !
Selon que tu le veux, l’Homme est Pharmacopole,
Laboureur, Artisan, Peintre, Avocat, Frater,
Sur le Théatre il est César, Crispin Nicole.
***
Il devient Medecin, Autheur, Chantre, Pater,
Ecuyer qui cuisine, ou qui fait caracole,
Ingénieur, Docteur, habile à disputer,
A prédire les temps, à tenir la Boussole.
***
La Guerre & le Sçavoir le rendent immortel,
Il écrit, il se bat en France sans Cartel ;
Tu le fais Magistrat, Marchand, Homme d’affaire.
***
Mais sans d’autre détail charger icy ces Vers,
Accorde à mes desirs, Maistre de l’Univers,
Que je plaise à LOUIS, c’est l’heureux sçavoir faire.

VIII.

Que le monde est plaisant ! Il semble, ô Jupiter,
Que c’est le Quiproquo d’un grand Pharmacopole.
L’un caché dans un froc est un petit Frater,
L’autre en rit encor plus que ne faisoit Nicole.
***
A peine les Humains sçavent-ils leur Pater,
Et jusque dans les Cieux leur esprit caracole,
Contre les flots émûs ils s’en vont disputer.
Et sur quelle assurance ? Ils ont une Boussole.
***
L’un se meurt, & médite un projet immortel ;
Un autre à la Raison présentant un Cartel,
D’un langoureux amour fait son unique affaire.
***
Quel mélange ! On voit bien que tant d’Esprits di-vers
Ont besoin d’un Héros qui regle l’Univers,
Et c’est ce qu’icy-bas LOUIS est venu faire.

[Veuë du Generalife]* §

Mercure Galant, juin 1682 [tome 6], p. 180-181.

 

Je vous envoye la Veuë du Generalife, autre Palaïs que les Roys d'Afrique ont fait bastir à Grenade. C'estoit comme une Maison de Plaisance où ils aimoient à passer les plus beaux jours de l'année, à cause des Jardinages, de la quantité d'eau qu'il y avoit, & de la beauté de la veuë, car on découvre de là non seulement toute l'Alhambre, mais on voit aussi par dessus l'Alhambre toute la Ville, & toute la Plaine. On dit que ce Palais fut nommé Generalife, qui en Arabe, veut dire, Maison des Arts ou de la Musique, parce qu'un Prince More s'y retira pour s'appliquer entierement aux Sciences, & particulierement à la Musique. [...]

[Lettre en Vers des Dames de Westphalie] §

Mercure Galant, juin 1682 [tome 6], p. 196-202.

 

Voicy des Vers sur une galanterie qui s’est faite en Allemagne. Ils m’ont esté envoyez de ce Païs-là, où vous verrez que les Muses ne parlent pas mal François.

LES DAMES
DE WESTPHALIE,
Aux Cavaliers du Régiment
de la Franchise.

Tout beau, jeunes Guerriers, d’où viennent ces allarmes ?
 Convoque-t-on l’Arriereban ?
Ou si c’est pour tracer quelque nouveau Roman,
Qu’on va joindre aujourd’huy les Amours & les Armes ?
***
Si l’espoir de l’Hymen cause ce mouvement,
Quel besoin aviez-vous d’un apprest si terrible ?
Helas ! pour un dessein qui n’est que trop paisible,
 Falloit-il faire un Régiment ?
***
Falloit-il arborer le beau nom de Franchise,
Quand on cherche le joug & la captivité ?
Ou réformez ce titre, ou soyez Gens d’Eglise,
Il ne faut rien aimer, pour estre en liberté.
***
A quoy sert la Trompete, à quoy bon les Tymbales ?
Sans bruit à cette guerre on se doit animer.
Si vous manquez d’ardeur, s’il faut vous enflâmer,
Vous trouverez toûjours du feu chez les Vestales.
***
Ce feu vient d’une belle & pure passion,
Qui pres du Saint Autel deux Victimes assemble ;
Ce n’est pas une Feste où plusieurs vont ensemble,
Comme on fait pesle-mesle à la Procession.
***
Que diront les Jaloux d’Espagne & d’Italie,
Qui sont accoûtumez de faire bande à part ?
Ils seront étonnez de voir en V vestphalie
Tant de Rivaux unis sous un mesme Etendart.
***
Soyez-le, s’il le faut, pour servir la Patrie,
Soyez-le pour la Gloire, & non pas pour l’Amour ;
Autrement les Voisins vous pourront dire un jour,
Vous aimez froidement, Peuples sans jalousie.
***
Les Faucons ravisseurs, les Tiercelets ardens,
Ne s’attroupent jamais contre les Tourterelles.
 Aller en foule à l’attaque des Belles,
 C’est faire éclat en Imprudens.
***
On doit prescher par tout la bonne intelligence,
L’Europe en a besoin contre ses Ennemis ;
Mais d’un Corps de Galans qui sont trop bons amis,
L’union est un bien dont nostre honneur s’offense.
***
Cela choque l’Amour, la Nature, & nos droits ;
La Grece s’assembla pour recouvrer Hélene ;
Mais quand on entreprend de gagner sa Climene,
Il faut separément venir un à la fois.
***
Respect, attachement, fidelité, tendresse,
Sont les philtres puissans qui s’emparent des cœurs ;
En vain sans ces moyens le Régiment s’empresse
 Pour triompher de nos rigueurs.

 

Ces Vers estoient accompagnez de ce Madrigal à Mr le Baron de Furstemberg, à qui l’on avoit prescrit le mois de May pour prendre sa résolution sur le Mariage. L’allusion est prise du Nid d’un Chardonneret, que l’on a trouvé dans un Laurier du Jardin de Mr l’Evesque de Munster.

A Mr le Baron de Furstemberg. Madrigal §

Mercure Galant, juin 1682 [tome 6], p. 202-203.

A Mr LE BARON
DE FURSTEMBERG.
Madrigal.

Le doux Chardonneret, quoy qu’il soit Roturier,
Soigneux de conserver & son nom, & sa race,
Vient de planter son Nid au milieu du Parnasse,
Et fait voir ses Enfans couronnez de Laurier.
Mais vous, unique espoir d’une illustre Famille,
Aurez-vous moins de feu que ce petit Oyseau,
Et l’Empire Romain n’a-t-il pas une Fille
Digne de vous aider à remplir un Berceau ?
Les Chimenes viendront, si vous voulez, en foule,
Car vous avez & l’air, & la taille d’un Cid ;
Mais le Printemps finit, le mois de May s’écoule,
Il est temps de songer à faire vostre Nid.

[Ce qui s’est passé à l’Académie Françoise] §

Mercure Galant, juin 1682 [tome 6], p. 217-223.

 

Mr Charpentier ayant fait sçavoir à Mrs de l’Académie Françoise que Mr de Faure-Fondamente, de l’Académie Royale d’Arles, desiroit de venir salüer l’Académie, il fut chargé de luy donner avis qu’il seroit le bien venu. L’Académie estant assemblée au Louvre le Samedy 20. de ce mois, Mr de Faure y fut amené par Mr le Duc de S. Aignan, qui le présenta à la Compagnie, & dit, apres que chacun eut pris sa place à l’heure ordinaire des Assemblées.

MESSIEURS,

La considération & le respect que j’ay pour vous, m’ont fait remarquer avec plaisir les sentimens de venération que Mrs de l’Académie Royale d’Arles ont toûjours eu pour vostre illustre Corps. Ils m’ont encore esté confirmez de nouveau par Mr de Faure-Fondamente, qui souhaite l’honneur d’estre connu de vous. Je suis persuadé, Messieurs, que son mérite attirera facilement vostre approbation & vostre estime ; & par la justice que vous luy rendrez en cette occasion, vous m’engagerez à une tres-grande reconnoissance.

 

Ce Discours finy, Mr de Faure complimenta l’Académie de cette maniere.

MESSIEURS,

Si j’ose paroître dans cette Assemblée, ce n’est pas pour vous entretenir de toutes les grandes idées qu’inspire la majesté de ce Lieu veritablement auguste ; c’est pour donner à vos Conférences une parfaite attention, & pour les admirer. La gloire deLoüis le Grand, la splendeur de l’Académie Françoise, éclatent icy d’une maniere particuliere. L’une & l’autre s’offrent à mes yeux & à mon imagination ; mais ce n’est que pour m’ébloüir, & pour me remplir de-je-ne-sçay-quelle confusion qui se mesle à toutes mes pensées, & qui m’oste en quelque sorte l’usage de la parole. C’est donc le silence qui doit estre icy mon partage ; & je ne sçay mesme si ce n’est point le silence qui peut le mieux en cette rencontre satisfaire à tous mes devoirs. Il est en effet tres-propre à faire connoistre & un respect extraordinaire, & une grande admiration. D’ailleurs, Messieurs, il me donnera plutost l’avantage de vous écouter, & de profiter de ces sçavantes Conversations, où vous découvrez avec tant de lumiere & avec tant de netteté, les secrets & les mistères de la plus belle & de la plus difficile de toutes les Langues.

 

Mr Doujat, Directeur de l’Académie, répondit à ce Compliment de Mr de Faure, que l’Académie se faisoit un tres-grand plaisir de le voir dans son Assemblée, & qu’apres l’avoir oüy si bien parler, elle ne pouvoit pas demeurer d’accord avec luy, que le silence dust estre son partage ; à quoy toute la Compagnie applaudit. Mr le Clerc, faisant dans cette Séance la fonction de Secrétaire, lût les mots & les manieres de parler qui se présentoient à examiner dans la revision du Dictionnaire. Surquoy Mr de Faure dit son avis à son tour en Académicien, & d’une maniere qui fit voir la connoissance particuliere qu’il a de la Langue Françoise. Apres que chacun se fut levé de son siege, Mr Boyer, comme faisant la distribution ordinaire des Médailles du Roy, en donna une à Mr de Faure, & une autre à Mr son Fils, jeune Gentilhomme de tres-belle espérance, qui avoit eu sa place dans l’Académie durant tout le temps de cette Séance.

[Histoire] §

Mercure Galant, juin 1682 [tome 6], p. 224-238.

 

Il s’est fait aussi beaucoup de Conversions de Personnes de qualité en Normandie ; mais depuis longtemps aucune n’a fait tant de bruit que celle dont je vay vous apprendre le détail. Une jeune Demoiselle du Ponteaudemer, d’une tres-bonne Maison, & alliée des plus illustres Calvinistes de France, & mesme de quelques Seigneurs d’Angleterre, ne trouvant personne de son rang dans la Religion qu’elle professoit, fut obligée de faire societé avec quelques Demoiselles Catholiques, pour ne pas vivre toûjours separée du monde. Elle s’attacha particulierement à une de ses Voisines, chez qui plusieurs autres avoient accoûtumé de se rendre, attirées par le tour aisé de son esprit, & par l’enjoüement de son humeur. Il s’y rencontroit de temps en temps quelques Cavaliers, qui ne contribuoient pas peu à rendre la conversation agreable ; & comme les inclinations se trouvent ordinairement partagées, quelques-uns furent touchez de cette jeune & aimable Protestante, & l’intérest qu’ils prenoient en elle leur faisoit souvent mêler la Controverse aux Discours galans. Elle répondoit fort juste à tout ce qu’on luy disoit ; & quand on attaquoit sa Religion, elle montroit tant d’esprit à la défendre, qu’il estoit aisé de voir qu’on l’en avoit bien instruite. Quoy que ses réponses fussent fortes, & qu’elle parust opiniâtre, c’étoit un grand sujet d’espérance de la voir si volontiers consentir à la dispute. Ses Parens ayant apris ce qui se passoit par une Demoiselle Ecossoise, qui l’accompagnoit quelquefois dans ses visites, résolurent de l’envoyer à la Campagne chez une Personne de qualité de la R. P. R. pour l’éloigner d’un lieu où ils croyoient que sa Religion & son cœur couroient un fort grand danger. Elle y fut conduite, & tellement observée, qu’une Femme mesme qu’on luy envoya, sous le prétexte de raccommoder des Points, ne put trouver le moyen de luy donner un Billet. Mais la contrainte n’est pas ce qui gagne les esprits. Elle ne servit qu’à luy faire faire des refléxions fort sérieuses, & qu’à luy rendre suspect le party qu’on craignoit tant qu’elle ne quitast. Enfin l’obligation de faire la Céne à Pasques, la fit rappeller de son éxil. Elle revint au Ponteaudemer, où un sejour de huit ou dix jours parut n’avoir rien de dangereux. Elle obtint la liberté d’y voir ses Amies, & on la luy accorda avec d’autant moins de peine, qu’elle montroit grande fermeté pour les erreurs où elle estoit née. On devoit dans peu l’envoyer plus loin, & mesme on avoit dessein de la marier avec un des plus zelez Religionnaires, pour luy oster toute sorte de moyens de se convertir. Pendant qu’on disposoit tout pour le voyage, ses Amies remirent sur le tapis les mesmes matieres. Elle écouta, resista, & deux jours avant qu’elle dust partir, elle se sentit si fort ébranlée, qu’il n’y avoit plus que les sentimens de la Nature qui la faisoient balancer. C’estoit pour elle un rude combat à soûtenir, que se représenter une Mere en pleurs, accablée de douleur & de chagrins, mais la Grace demeura victorieuse, & la fit résoudre de se soûmettre à la Verité, quoy qui arrivast. Il fut arresté par la Compagnie, qui ce jour là estoit fort nombreuse, qu’on la conduiroit, ou dans un Convent, ou chez une Dame de qualité dont on luy avoit offert la Maison ; & c’est ce qu’on auroit fait sur l’heure, si elle n’eust demandé le reste du jour pour de petits soins qui la regardoient. Cependant elle ne put s’échaper le lendemain ; & comme les choses les mieux concertées n’ont pas toûjours la fin que l’on s’est promise, le trouble & la crainte qu’une si grande résolution luy causa, éclaterent malgré elle, & trahirent son secret. Madame sa Mere qui le soupçonna, jugea qu’il n’y avoit plus à diférer. Son départ fut résolu à l’instant mesme. On la mit dans un Carrosse, & par des chemins détournez, elle fut conduite à Camamber. On y mit tout en usage pour l’obliger à changer de sentimens. On fit succeder la douceur à la colere, les promesses aux menaces, & plusieurs Partis avantageux qu’on luy proposa, luy laissoient le choix d’une assez grande fortune. Cet enlevement ayant fait éclat, Mr le Lieutenant General du Ponteaudemer, remply de zele pour l’intérest de l’Eglise, & excité par les Lettres de Mr le Blanc, Intendant en Normandie, informa de cette affaire, & ayant mis en comparence personelle tous ceux qu’on sçavoit y avoir contribué, il ordonna que la Demoiselle seroit représentée dans trois jours, sous les peines contenuës dans les Déclarations de Sa Majesté. On fut contraint d’obeïr. Elle parut au jour ordonné, accompagnée de dix ou douze de ses Parens, & leurs remontrances l’ayant étonnée, elle declara d’abord qu’elle trouvoit sa Religion bonne. On luy voulut donner le temps de s’examiner ; & pour l’empescher d’estre obsedée, elle fut mise chez une Dame Catholique, pleine de sagesse & de vertu. On luy fit voir dans cette Maison un Cavalier nouveau converty, & fort éclairé, qui luy expliqua les puissans motifs qui l’avoient porté à se séparer des Calvinistes. Elle gousta ses raisons, & déclara hautement quelques jours apres, qu’elle vouloit faire abjuration. Madame sa Mere qui estoit allée à Roüen présenter requeste à la Cour, pour obtenir permission de la voir, fut consternée de cette nouvelle qu’elle apprit à son retour. Elle prétendit qu’on avoit seduit sa Fille, & le reste du Party la voyant ferme dans sa déclaration, commença de publier que l’espérance de se marier plus aisément chez les Catholiques, estoit la seule & vraye cause de son changement de Religion. Cette calomnie ne l’ébranla point. Le refus qu’elle avoit fait des avantages qui luy venoient d’estre offerts à Camamber, la justifioit assez. Apres s’estre fait pleinement instruite des Veritez qui luy avoient toûjours esté inconnuës, elle abjura le jour de la Pentecoste entre les mains de Mr le Curé de S. Oüen du Ponteaudemer ; & la retraite luy paroissant necessaire pour ouvrir entierement son cœur à la Grace, elle entra le 17. de ce mois dans l’Abbaye de Preaux, celebre par les Dames de qualité qui y sont, par sa situation agréable, & par ses grands revenus. Elle acheva de cette maniere genéreuse ce qu’elle avoit si bien commencé, & laissa dans le monde de tres-avantageuses idées des purs sentimens qui l’avoient portée à se convertir. La Femme de Chambre d’une de ses Tantes suivit son exemple dans le mesme lieu, & le jour mesme de son abjuration. Quelques-uns de ce party l’ont imitée depuis ce temps-là. D’autres se sont veus contrains d’éloigner leurs Enfans tout prests de le faire ; & si l’on en croit le bruit commun, leur Ministre mesme donne lieu de présumer qu’il ne mourra pas dans son erreur.

Placet au Roy §

Mercure Galant, juin 1682 [tome 6], p. 238-240.

 

Je vous envoye un Placet qu’on assure estre d’un Gentilhomme Gascon, qui a du service & du mérite. Apres la mort de Mr Sorin, qui a esté Capitaine dans le Regiment de Baltazar, il a demandé la Pension dont Sa Majesté le gratifioit, & on m’a dit qu’elle luy avoit esté accordée. Il est difficile de demander d’une maniere plus spirituelle & plus galante.

PLACET AU ROY.

Sire, Sorin Capitaine
Autrefois dans Baltazar,
Est allé joindre César
Là-bas, dans la sombre Plaine,
Où sans Couronne & sans Char
Ce grand Héros se promene.
Mais sa veuve Pension,
Malgré son affliction,
Sent pour moy l’ardeur secrete
D’une forte passion,
Et pour Epoux me souhaite.
Quoy que ce soit pour mon bien
Qu’à m’épouser elle aspire,
J’ay dit, il n’en sera rien,
Si mon Roy ne le desire.
Que me commandez-vous, SIRE ?

Air nouveau §

Mercure Galant, juin 1682 [tome 6], p. 240-241.

Les Vers qui suivent ont esté notez par un sçavant Maistre. Vous le connoistrez en les chantant.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Je n'aime plus le son de ma Musete, doit regarder la page 241.
Je n'aime plus le son de ma Musete,
Je ne vais plus sur l'herbete
Avec les Bergers d'alentour.
Je languis, tout m'inquiete,
Et depuis que j'aime Lizete,
Rien ne me plaist que mon amour.
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[Mariage de M. Lambert de Torigny, & de Mademoiselle Bontemps] §

Mercure Galant, juin 1682 [tome 6], p. 241-243.

 

Messire Claude Jean Lambert, Seigneur de Thorigny, de Susy en Brie, Conseiller au Parlement, & Fils aîné de Messire Nicolas Lambert Président des Comptes, & de Dame... de Laubepine, a épousé depuis peu de jours Marie Marguerite Bontemps, Fille aînée de Messire Alexandre Bontemps, Premier Valet de Chambre du Roy, Intendant du Château, Parc & dépendances de Versailles ; & de Dame Claude Marguerite du Bois, Soeur de Mr du Bois, Procureur General en la Cour des Aydes. Cette nouvelle Mariée est fort jeune. Elle chante & jouë tres-bien du Clavessin, & l'on ne peut mieux dancer qu'elle fait. Elle a esté élevée par Madame du Bois sa Grand-Mere, & l'on ne peut douter qu'elle n'ait mille belles qualitez, puis qu'elle est Fille de Mr Bontemps, qui sert le Roy avec un attachement, un zele & une assiduité, qui luy ont justement acquis l'estime & la bienveillance de ce grand Monarque. [...]

[Suite des Remarques sur la Duchesse d’Estramene] §

Mercure Galant, juin 1682 [tome 6], p. 246-263.

 

La Lettre que j’ay eu soin d’envoyer à l’adresse marquée par le Cavalier qui a critiqué la Duchesse d’Estramene, m’a fait recevoir cette Réponce. Elle contient ses scrupules sur la Seconde Partie de cet Ouvrage.

SUITE
DES REMARQUES
sur la Duchesse d’Estramene.

Je m’estois bien douté, Madame, que vous ne me feriez pas l’honneur de me défendre la continuation de ma Critique. Il seroit difficile de faire quelque tort à un Ouvrage comme le vostre, & je trouve que ceux qui consentent seulement à m’écouter, lors que je parle contre vous, sont des Juges mal aisez à prévenir. Apres que j’ay eu longtemps examiné vostre Seconde Partie, il m’est venu enfin quelques scrupules. Le Duc d’Estramene me paroist un Homme bien extraordinaire. Ne pouvoir pas seulement souffrir sa Femme, elle qui estoit si aimable ! Cela est étrange. Passe encor, s’il eust eu quelque chose dans le cœur, mais il n’avoit rien. Vous allez rejetter la cause de cette aversion sur le mariage, & m’expliquer la vertu qu’il a de gaster le mérite de la Personne du monde la plus accomplie ; mais à qui parlez vous ? Je ferois leçon aux autres sur chapitre-là, & si vous me connoissiez, vous n’en douteriez pas. Cependant j’ay peine à me figurer de quel caractere estoit le Duc d’Estramene. Il estimoit sa Femme, il ne la croyoit prévenuë d’aucune passion, il n’en estoit point prévenu non plus, il n’y avoit rien de plus aimable que la Personne qu’il venoit d’épouser, & la seule haine qu’il a pour les engagemens, luy inspire de l’horreur pour elle. En verité je me croyois bien libertin, mais je le cede au Duc d’Estramene. J’avouë que j’aurois bien pû vivre un mois ou deux avec une Femme comme la sienne, sauf à la quitter apres cela comme il fit, car à cela pres, qu’il la quitta trop tost, je ne des approuve point son procedé ; mais ce n’est pas dans les commencemens que le mariage est le plus mauvais. Il produit alors, mesme entre les Personnes qui ne sont pas destinées à s’aimer, un certain feu de peu de durée, qu’on prendroit pour de l’amour, si l’on ne s’y connoissoit pas. Franchement, je pardonnerois encore plûtost à la Duchesse sa vertu, qu’au Duc son libertinage. L’action qu’il fait, est sans exemple, &, à ce que je croy, sans fondement ; mais sa conversion mesme & son retour au party du bon sens, ne me plaisent pas. Il se rend à des raisons qu’il devoit avoir toutes envisagées. Que luy dit-on qu’il n’ait pas dû se dire cent fois ? Je sçay que souvent les mesmes conseils ont plus de force, quand nous les recevons d’autruy, que quand nous les recevons de nous-mesmes ; mais cela seroit bon s’il estoit encor question de déliberer. Quand une fois on a pris son party, & qu’on a fait des démarches, il faut poursuivre ; autrement ce sont de simples changemens de volonté, qui d’ordinaire n’ont guére de grace, ny sur le Théatre, ny dans les Romans. On y veut des gens obstinez dans leur caractere, car sans cela on ne sçait où l’on en est, & cette maxime est si vraye, que quoy que vous disiez sur la fin de vostre Nouvelle, je ne puis croire qu’à l’heure qu’il est le Duc d’Estramene vive bien avec sa Femme, tant vous me l’avez fait concevoir comme un Homme bizarre, & sujet à changer d’humeur.

Je conviens cependant que l’aversion qu’il a pour la Duchesse d’Estramene, produit de fort beaux effets, & par l’embarras réciproque où ils sont tous deux, & par les conseils genereux & des-intéressez que le Duc d’Olsingam donne au Mary de la Personne qu’il aime. Ces deux traits sont admirables. Le premier fait un jeu fort fin, & donne lieu à démesler des sentimens tres-délicats, & tres-naturels ; le second pousse jusqu’au plus haut point la grandeur d’ame du Duc d’Olsingam. Il n’apartient qu’à vous, Madame, de faire des Héros, & des Héroïnes.

Je suis touché de la surprise du Comte d’Hennebury, lors que sa Sœur luy apprend qu’elle est mariée, & il n’y a rien de mieux que leur conversation, mais tout cela est-il assez bien amené ? Mademoiselle d’Hennebury a-t-elle pû se marier en France, sans que son Frere l’ait sçeu en Angleterre huit jours apres ? Les mariages de ces sortes de Personnes-là, font, ce me semble, un peu plus de bruit, & le commerce est bien reglé de Paris à Londres.

Je trouve encor quelque chose à redire, dans la surprise que vous avez voulu causer par l’entreveuë du Duc d’Estramene, & du Duc d’Olsingam. Je veux qu’ils se voyent, car je serois bien fâché de perdre ce qu’ils se disent, & l’effet de leurs entretiens ; mais je ne veux point qu’ils se voyent dans cette petite Ville d’Italie. Cela sent trop les Avanturiers de nos anciens Romains. Si je lisois Cleopatre ou Cirus, & que je visse un Héros party pour faire voyage, je serois bien seûr qu’il ne manqueroit pas de rencontrer tous ceux du Roman qui seroient égarez, ou dont on n’auroit point de nouvelles. Il n’est pas mesme permis aux Personnages de ces gros Livres-là de faire une Promenade qui se termine sans Avantures, & qui ne soit qu’une simple Promenade ; mais il n’en va pas ainsi dans les petites Nouvelles qui sont venuës à la mode. On y a ramené les choses à un vray-semblable plus naturel. Un Héros s’y peut promener, & voyager sans faire aucune rencontre, & mesme il le doit, pour ne pas ressembler aux Héros antiques. Ainsi il eust peut-estre esté mieux de conserver la generosité du Duc d’Olsingam, & de faire trouver ensemble les deux Rivaux par une voye plus simple. Celle que vous avez choisie a encor quelques incommoditez ; car, par exemple, on ne conçoit pas bien comment un Anglois n’en reconnoist pas un autre à l’accent, lors qu’ils parlent l’un & l’autre une Langue étrangere. Je ne vous chicane point sur ce que vous prétendez que le Duc d’Olsingam, & le Duc d’Estramene, ne s’estoient jamais veus ; mais je croy que si l’on vouloit examiner la chose avec un peu de rigueur, on trouveroit qu’elle ne manque pas de difficulté.

Je viens à la conversation de la Reyne, de Madame d’Hilmorre, & de Madame d’Estramene. Madame d’Estramene me paroist un peu trop aisée à déconcerter, la Reyne assez imprudente, & Madame d’Hilmorre moins habile qu’elle ne croit elle-mesme. Sur ce que la Reyne dit à Madame d’Estramene, qu’elle la soupçonne d’avoir quelque tristesse cachée dans l’ame, il n’est point encore temps que cette belle Personne se mette à pleurer. La Reyne de son costé ne songe pas que Madame d’Hilmorre est là, quand elle dit tout net à Madame d’Estramene, qu’elle ne doute plus qu’elle n’ait une forte inclination pour le Duc d’Olsingam. Ce n’estoit pas là une nouvelle trop agreable à apprendre à Madame d’Hilmorre, ny qui dust produire de trop bons effets pour la Duchesse d’Estramene. Enfin quand Madame d’Hilmorre veut cacher l’inclination & les sentimens de sa Belle-Fille, de crainte, dites vous, qu’on ne vinst à luy reprocher d’avoir fait violence aux volontez de cette Duchesse, aussi bien qu’à celles de son Fils, je ne trouve pas que ce soit avoir une présence d’esprit, ny une adresse bien surprenante, que de dire à la Reyne, que l’aversion que le Duc d’Estramene a pour sa Femme, & les marques qu’il luy en a données en la quittant, sont la seule cause de la tristesse où elle est ; car il me semble que c’est-là justement ce que Madame d’Hilmorre a interest de cacher. Elle ne peut guére dire plus clairement, qu’elle a fait violence aux volontez de son Fils.

Mais, Madame, qu’on oublie aisément ces petites fautes, quand on en est à ce bel endroit de la mort du Duc d’Olsingam ! Il me touche, & me cause encor de l’émotion à la dixiéme lecture. Ce que j’ay vû de plus vif dans d’autres Ouvrages, me paroist languissant, à le comparer à ce morceau-là. Que vous y avez bien marqué, & la douleur des deux Amans, & le progrés, & les diférens effets de cette douleur ! Que le cœur de Madame d’Estramene est bien partagé entre sa gloire, & sa tendresse ! Elle veut sortir d’aupres d’un Homme qu’elle aime, & qui va expirer, pour ménager toûjours sa réputation, ce qui est un peu dur ; en suite elle embrasse cet Homme mourant, ce qui est un peu emporté ; mais ces deux actions sont si bien placées, & amenées avec tant d’art, qu’elle feroit une faute de ne les faire pas. C’est ce qu’on appelle des coups de Maistre que des choses extraordinaires, & cependant raisonnables. Rien n’est mieux tourné que toute cette fin de la Seconde Partie, où vous décrivez de quelle maniere s’est formée l’union de Monsieur & de Madame d’Estramene. Le procedé qu’ils tiennent à l’égard l’un de l’autre, les fait aimer tous deux, & il y a bien de l’adresse à avoir fait succeder ces idées douces & tendres, à celles de la mort du Duc d’Olsidgam, qui causoient des mouvemens plus violens.

Il ne me reste plus, Madame, qu’à vous prier de vouloir bien donner quelques-unes de vos heures, à écrire l’Histoire du Comte d’Hennebury, & de Mademoiselle d’Englastre. Vous nous faites entre voir que vous en avez quelque dessein. Je vous conjure de l’exécuter, & j’ose mesme vous dire que je vous en conjure au nom du Public, qui assurément ne me des-avoüra pas d’avoir porté la parole, pour luy obtenir cette grace-là de vous.

[Tout ce qui s’est passé touchant le jugement donné sur les Bouts-rimez de Jupiter & de Pharmacopole] §

Mercure Galant, juin 1682 [tome 6], p. 274-286.

 

Comme je vous ay déja. parlé dans deux de mes Lettres, du Prix que Mr le Duc de S. Aignan a proposé pour récompense du meilleur Sonnet qui seroit fait sur les Bouts-rimez de Jupiter & de Pharmacopole, il ne me reste plus qu’à vous dire que cinq des Académiciens de l’Académie Royale d’Arles en ont décidé. Le bruit courut il y a huit jours, qu’ils l’avoient donné à ce Sonnet.

Avoir pour ascendant, ou Mars, ou Jupiter,
Sçavoir qu’un Alambic sert au Pharmacopole,
Que l’on doit bride en main faire agir le Frater,
Que Perse, ou Juvenal, fut traduit par Nicole ;
***
Que décider le Dogme appartient au Pater,
Qu’il n’est qu’un Bernardi pour faire un caracole,
Que le plus saint Docteur se plaist à disputer,
Et que peu de Patrons regardent leur Boussole ;
***
Cela ne suffit pas pour se rendre immortel.
La Raison doit au cœur présenter le Cartel,
Y placer la Justice, en faire son affaire ;
***
Mais quand on entreprend de chanter par ses Vers
Les vertus d’un grand Roy qui charme l’Univers,
Publions qu’on ne peut trop dignement le faire.

 

Sur ce qui fut dit de ce Sonnet, on apprit bientost que Mr l’Abbé Plomet en estoit l’Autheur ; & comme beaucoup de Gens demandoient à le connoistre autrement que par son nom, il fit cet autre Sonnet qu’il envoya à Mr le Duc de Saint Aignan. La peinture qu’il contient est celle d’un Homme qui mene une vie veritablement heureuse.

Vouloir tranquillement achever sa carriere
En quelqu’endroit du Monde où l’on soit confiné ;
Se plaindre rarement d’estre peu fortuné ;
Ne donner à ses Vers qu’une tendre matiere ;
***
Sans songer si l’on a plus ou moins de lumiere,
Tenir son esprit libre, & son cœur peu gesné ;
A ne loüer jamais s’estre déterminé,
Trouvant l’or toutefois meilleur que la poussiere ;
***
Faire durer autant que l’on peut ses beaux jours ;
A ce qu’il plaist au Sort se conformer toûjours,
Et sans fuir la vertu, ne point briguer l’estime ;
***
Avant l’heureux Cartel, qu’un Héros tel que toy
Vient de nous présenter, pour animer la Rime
A parler de LOUIS, c’estoit là mon employ.

 

Quoy que le Sonnet de cet Abbé eust paru fort beau aux Juges, ils preférerent celuy que vous allez voir.

Dieu qui lance la Foudre, & non pas Jupiter,
A fait l’un Medecin, l’autre Pharmacopole ;
L’un grand Chirurgien, l’autre simple Frater ;
L’une Dame à-Quarreau, l’autre Dame Nicole.
***
L’un sous un Capuchon dit toûjours son Pater,
L’autre sur un Coursier sans cesse caracole ;
Le Docteur met sa gloire à sçavoir disputer,
Le Nocher met la sienne à régler sa Boussole.
***
L’un par de grands Exploits veut se rendre immortel,
L’autre souille son nom par un honteux Cartel ;
L’un est Homme d’épée, & l’autre Homme d’affaire.
***
L’un écrit de la Prose, & l’autre écrit des Vers.
L’invincible LOUIS est seul dans l’Univers,
Qui pour s’éterniser, fasse ce qu’il faut faire.

 

Ce Sonnet, qui est de Mr Boursault, disputa longtemps le Prix, & les Juges ne luy donnerent l’exclusion qu’apres qu’ils eurent leû celuy-cy, qui leur parut le meilleur de tous.

Tout agit par les Loix du puissant Jupiter ;
Un Monarque les suit comme un Pharmacopole,
Un Medecin fameux comme un simple Frater,
Une grande Princesse aussi-bien que Nicole.
***
On chante, on fait l’amour, & l’on dit le Pater,
On chasse, on jouë, on dance, on boit, on caracole ;
L’un voudroit toûjours rire, & l’autre disputer ;
L’un se sert du Compas, l’autre de la Boussole.
***
Le Grand LOUIS orné d’un Laurier immortel,
Pouvoit de tout le monde accepter le Cartel,
Mais nous donner la Paix fut sa plus grande affaire.
***
Qui donc mérite mieux nostre Prose & nos Vers,
Qu’un Roy craint & chery de ce vaste Univers,
Qui peut tout ce qu’il veut, & fait ce qu’il doit faire ?

 

Il avoit pour marques Anacreon, & ces mots Latins Prostrasse sat est. On examina tous ceux qui restoient à lire, & aucun n’ayant paru de la mesme force, toutes les voix luy furent données. Mr le Duc de S. Aignan, qui estoit présent, dit aussitost qu’il estoit de luy. Ce Sonnet avoit esté mis parmy les autres du temps que Mrs de l’Académie Françoise devoient juger ; & comme ce Duc en avoit fait deux, lors qu’en renonçant au Prix, il donna ordre qu’on les retirast, on ne reprit que celuy dont je vous fis part le dernier mois. Ainsi les Juges furent obligez de rappeller les meilleurs Sonnets. Ils en firent un fort severe examen, & voicy celuy qui fut enfin declaré victorieux. Il a au bas une M & un B, pour marques.

Admirons icy-bas l’ordre de Jupiter,
Chacun a son employ ; l’un est Pharmacopole ;
Un autre est Medecin, & commande au Frater ;
L’autre défend les droits de Pierre, ou de Nicole.
***
Celuy-cy sous un Froc est appellé Pater,
Cet autre aux Champs de Mars plein d’ardeur caracole ;
Celuy-là sur les Bancs se plaist à disputer,
Et l’autre court les Mers conduit par la Boussole.
***
LOUIS par la valeur rend son nom immortel ;
Ses soins ont aboly l’usage du Cartel,
Le bien de son Etat est son unique affaire.
***
Muses, qu’il soit toûjours le sujet de vos Vers ;
Il est le plus grand Roy qu’ait produit l’Univers,
Attachez-vous à luy, vous ne sçauriez mieux faire.

 

Il y a quinze jours que ce jugement est donné, sans que celuy qui a remporté le Prix se soit présenté ny fait connoistre. On luy conserve la Médaille d’or du Roy, qui luy sera délivrée à l’Hôtel de S. Aignan, dés qu’il y viendra pour la recevoir.

[D’une fausse nouvelle]* §

Mercure Galant, juin 1682 [tome 6], p. 287-289.

 

En vous apprenant un Mariage, je suis obligé de me dédire d’un autre. Lors que je vous parlay il y a un mois, des Officiers qui sont sur les Navires de l’Escadre commandée par Mr le Marquis de Preüilly de Humieres, Lieutenant General des Armées Navales du Roy, j’ajoûtay à l’article de Mr de Paliere, Capitaine sur l’Etoile, qu’il avoit épousé Mademoiselle de Bois de la Roche, & je suivis en cela le Mémoire que l’on m’avoit envoyé. Cependant il n’est pas vray que ce Mariage se soit fait. Ceux qui me donnent ces sortes d’avis, ne doivent jamais le faire qu’ils ne soient certains des choses. C’est imprudence que les hazarder sur un oüy-dire ; & les Personnes intéressées pouvant en prendre un juste chagrin, l’effet en seroit peut-estre à craindre pour les Autheurs de ces faux Mémoires, qu’un peu de recherche fait aisément découvrir.

[Chapitre de Capucins tenu avec Mission au Havre] §

Mercure Galant, juin 1682 [tome 6], p. 291-293.

 

Les Peres Capucins de la Province de Normandie, ont tenu leur Chapitre avec Mission, dans la Ville du Havre de Grace. Mr le Duc de Saint Aignan, qui en est Gouverneur, a fait paroistre en ce rencontre sa pieté ordinaire, par les ordres qu’il a donnez pour la subsistance de ces Missionnaires & Religieux. Les Echevins, ainsy que toute la Ville, ont suivy ce grand exemple d’une maniere toute charitable & édifiante. L’ouverture de ce Chapitre se fit le 7. de May, Feste de l’Ascension, par le Pere Hierotée, Premier Définiteur, dans l’Eglise de Nostre-Dame, principale Paroisse du Havre. Ces Religieux s’y rendirent en Procession, & retournerent en leur Convent avec un ordre qui marquoit leur zele & leur modestie. Les fruits qu’ils ont fait dans leur Mission ont esté tres-grands. Le P. Hierotée a presché les Controverses avec la mesme ferveur, qu’il a fait paroistre depuis peu de temps à Orbec, dans cette fonction Apostolique. Ses Sermons, pleins de force & d’éloquence, ont eu un succés extraordinaire, & plusieurs Personnes qu’il a convaincuës d’erreur, ont abjuré l’Héresie.

[Séjour de Monsieur à S. Cloud] §

Mercure Galant, juin 1682 [tome 6], p. 305-307.

 

Je suis ravy que l’Article de S. Cloud, qui fait un des principaux de ma derniere Lettre, ait plû aux Belles de vostre Province. Quoy que ce superbe & délicieux Palais n’ait rien qui n’enchante, ou cesse d’examiner ses beautez, si-tost qu’on voit le grand Prince à qui elles sont deuës. Si ses manieres sont si honnestes & si engageantes pour tout le monde, il ne faut pas s’étonner, si lors qu’il s’agit de recevoir le Roy, pour lequel, outre la tendresse que le sang inspire, il en a toûjours senty une tres-forte, il n’oublie rien pour luy marquer l’excés de la joye dont son cœur est penetré, en le possedant. Ce Prince a demeuré trois semaines dans cette charmante Maison, & a pris des Eaux de Vichy pendant tout ce temps. Comme il est extrémement aimé, il a esté visité dans ce beau Lieu, par tout ce que la Cour a de Personnes plus considérables ; & quoyque les Eaux qu’il prenoit dûssent toûjours l’y retenir, le plaisir de voir le Roy l’a fait aller de temps en temps à Versailles. Il revenoit coucher à S. Cloud ; mais ayant quité les Eaux depuis quelques jours, il est retourné aupres de Sa Majesté pour n’en plus partir.

[Divertissemens de Versailles] §

Mercure Galant, juin 1682 [tome 6], p. 307-309.

[...] Les plaisirs y sont fréquentsII, & il y a tous les jours Comédie Françoise ou Italienne. Le Roy qui se donne entierement aux affaires de l’Etat, ne s’y trouve point ; mais quelquefois il prend le divertissement de la Chasse, parce que cet exercice, qui est une image de la guerre, est propre à entretenir la vigueur du corps. Toute la Cour se divertit fort souvent à voir les Eaux, & à se promener sur le Canal. Il y a quelquefois Symphonie, & l’endroit de tout Versailles où elle se fait entendre le plus agreablement, est le grand Escalier du Roy. Vous ne serez pas surprise que je vous parle d’un Escalier, quand vous sçaurez que c’est celuy dont je vous ay fait la description, & que la France doit au fameux Mr le Brun. Lors qu’il est plein de lumieres, il peut disputer de magnificence avec les plus riches Appartemens des plus beaux Palais du monde.

[Académie Galante] §

Mercure Galant, juin 1682 [tome 6], p. 309-313.

 

Une lecture qui se fit il y a trois jours de l’Académie Galante, dans une assez grande Compagnie où je me trouvay, me donne lieu de vous dire, que je seray fort trompé si cet Ouvrage ne divertit vos Amies. Tout y est si naturel, & répond si bien aux diférens caracteres des Personnages qui sont introduits, qu’ils ne disent rien dans leurs conversations qu’on ne croye devoir leur entendre dire. Ce sont quatre Cavaliers qui rendent visite à une Mademoiselle d’Ormilly, chez laquelle ils trouvent deux de ses Amies. Le discours estant tombé sur les Académies de toute espece, établies icy depuis quelque temps ; l’une des trois Demoiselles dit en riant, qu’elle ne voit que l’Amour qui n’ait point la sienne. Sa pensée ayant paru plaisante à la Compagnie, on propose d’établir une Académie d’Amour. Il est question d’avoir des Statuts. Chacun apporte les siens, & le nombre des Cavaliers estant plus grand que celuy des Demoiselles, il est ordonné par l’un des Statuts, qu’un des quatre Hommes ne sera point de l’Académie. Ils prétendent tous devoir y estre receus ; & enfin les Académiciennes les font demeurer d’accord qu’ils raconteront leurs Avantures ; & que celuy qui sera trouvé le moins galant, souffrira l’exclusion. Ainsi chaque Cavalier conte son Histoire, & ces quatre Histoires font une agréable diversité, dont je suis seûr que vous serez satisfaite. Tout y est dit finement & plaisamment ; & il est aisé de voir par la peinture que l’on fait d’abord des Cavaliers, que s’il y a quelques endroits embellis, parce qu’on ajoûte toûjours à la verité, la plûpart des choses ont dû se passer comme ils les racontent. Ce Livre commencera à se débiter chez le Sr Blageart Libraire, dans la Court-neuve du Palais, le premier jour de Juillet.

[Histoire] §

Mercure Galant, juin 1682 [tome 6], p. 313-322.

 

Rien n’est plus à craindre que la jalousie, quand l’amour est violent. Cette passion produit tous les jours les plus funestes effets, mais jamais peut-estre n’en a-t-on veu d’aussi extraordinaires que ceux qu’on me marque dans l’Avanture que je vay vous expliquer. La Scene est en Italie. C’est où les Jaloux sont le moins capables de retenir leur emportement. Une jeune Demoiselle d’un Bourg nommé San-Sovino, pres de Montepulciano en Toscane, fut aimée d’un Cavalier d’une naissance égale à la sienne. Quoy que les occasions de se voir soient assez rares en ce Païs-là, l’amour leur en fournit de fréquentes ; & en se voyant, ils se trouverent si bien le fait l’un de l’autre, qu’ils ne pûrent s’empescher de se promettre qu’ils s’aimeroient eternellement. La Belle avoit un Pere bizarre dont il falloit ménager l’esprit. Ceux qui estoient le plus dans sa confidence, furent employez pour le gagner. Un jour qu’ils le virent d’assez bonne humeur, ils tournerent l’entretien sur l’embarras de garder des Filles ; & en luy disant comme sans dessein qu’il estoit temps de pourvoir la sienne, ils luy proposerent le Cavalier. Malheureusement pour l’un & pour l’autre, il s’estoit douté de leur mutuel attachement. Ce fut assez pour luy faire rejetter ce que ses Amis luy proposoient. Il opposa que le Cavalier n’avoit point de Bien ; & quoy qu’on luy fist connoistre que sa fortune n’estoit point à dédaigner, il n’y eut aucun moyen de le faire consentir à ce mariage. Il fit plus contre sa Fille. Pour la punir d’avoir prévenu son choix, il voulut choisir sans elle, & donna parole à un Homme assez mal fait, qui en devint amoureux. La résistance qu’elle fit paroistre, le rendit plus ferme dans sa résolution. Il estoit de ces Peres absolus qui croyent avoir droit sur la liberté de leurs Enfans, & il suffisoit qu’il eust parlé, pour vouloir estre obey sans aucun murmure. Le nouvel Amant voyant sa Maîtresse dans un chagrin extraordinaire, en eut bientost découvert la cause. Un autre que luy, qui l’eust connuë engagée, eust appréhendé les suites de la violence qu’on faisoit à son amour ; mais il espéra qu’estant son Mary, il effaceroit sans peine les impressions que son cœur avoit reçeuës. D’ailleurs, quelque intérest de Famille l’avoit rendu ennemy du Cavalier, & le plaisir de luy enlever ce qu’il aimoit, estoit pour luy un si doux triomphe, que l’impatience d’en joüir redoubla l’empressement de sa passion. On conclut le mariage, & quoy qu’il ne dust se faire que trois jours apres que le Contract eut esté signé, le Pere voulut que des le soir mesme les deux prétendus Epoux fussent fiancez. La Cerémonie se fit malgré les pleurs de la Belle, qui fut obligée de les cacher. Le Cavalier qui en eut avis, entra dans un desespoir qu’il m’est impossible de vous exprimer. Il crût que s’il voyoit sa Maîtresse, il viendroit à bout de la toucher ; & comme l’amour est ingénieux, il trouva moyen d’obtenir un rendez-vous. Il fit paroistre à la Belle des transports si pleins d’amour, & sa douleur, qu’il luy peignit dans tout son excés, penétra son cœur si vivement, que ne doutant point qu’elle n’eust à craindre tout ce qu’un Amant desesperé est capable d’entreprendre, elle tâcha de luy remettre l’esprit, en luy promettant que quoy qui pust arriver, s’il se rendoit le lendemain à l’Eglise (c’estoit le jour choisy pour le mariage) il auroit tout lieu de se loüer d’elle. Vous jugez bien qu’il ne manqua pas de s’y trouver. Ce fut un sujet de joye pour le Fiancé, qui apprit avec plaisir que son Rival seroit témoin de sa gloire. Le moment vint où le mot essentiel devoit estre prononcé. Le Cavalier s’estoit mis en lieu d’où sa Maîtresse pouvoit aisément le voir. Sa présence l’anima, & quand le Prestre luy eut demandé si elle prenoit pour son Epoux celuy qu’il luy présentoit, elle ne balança point à répondre, Non. Il luy demanda encore une fois la mesme chose, & le mesme Non luy fut répondu. L’Amant outré de l’affront qu’il recevoit devant son Rival, conçeut tout d’un coup une telle rage, qu’ayant tiré son Poignard, qui est une Arme dont on se sert fort communément en Italie, il en perça le sein de la Belle, qui expira dans le mesme instant. Le Cavalier voyant sa Maîtresse morte, tira aussi son Poignard, & le plongea aussitost dans le cœur de l’Assassin. Le Pere du Fiancé qui estoit présent, vangea la mort de son Fils par un coup de Pistolet qui perça le Cavalier. Ce mesme coup blessa le Curé dangereusement, & l’on ne vit que sang répandu, où l’on s’estoit préparé à ne voir que de la joye.

[Madrigal et sonnet de M. le Marquis de Robias]* §

Mercure Galant, juin 1682 [tome 6], p. 323-328.

 

Je vous ay mandé dans quelqu’une de mes Lettres, que Mrs de l’Académie Royale d’Arles, suivant l’exemple de l’Académie Françoise, avoient dessein de donner une Médaille d’or du Roy, d’un prix fort considérable, pour récompenser le plus bel Ouvrage en Vers que l’on auroit fait sur une Matiere proposée par eux à la loüange de Sa Majesté. Celuy de ce Corps à qui les autres s’estoient adressez, ayant eu des affaires qui l’ont assez occupé pour luy faire remettre à un autre temps à en parler à Mr le Duc de Saint Aignan, Protecteur de cette Académie, les Bouts-rimez de Mr Mignon firent songer ce Duc à proposer un Prix, & c’est celuy que l’on a jugé depuis quinze jours ; ce que Mrs de l’Académie d’Arles ayant appris, Mr le Marquis de Robias a envoyé à ce Duc le Madrigal & le Sonnet que vous allez lire.

L’ACADÉMIE ROYALE
D’ARLES PLAINTIVE,
A Mr le Duc de Saint Aignan.
Madrigal.

Quel Démon jaloux de ma gloire,
Vous inspire, Grand Duc, cet outrageux dessein,
De faire des Présens aux Filles de Mémoire,
 Qu’elles attendoient de ma main ?
On sçait bien que la vostre en miracles féconde,
Fait autant qu’il se peut du bien à tout le monde ;
Comme elle peut abatre, elle peut appuyer :
Mais au lieu d’honorer une Muse anonime,
  Au lieu de l’employer
A chanter de LOUIS la vaillance sublime,
Vous deviez le permettre à nostre seule Rime,
Et laisser au Roy seul le soin de la payer.

SONNET SUR LES RIMES
données pour le Prix de
la Médaille.
Sur le mesme sujet.

Grand Duc, mon desespoir s’en prend à Jupiter ;
Je meurs, s’il en faut croire à mon Pharmacopole.
Quoy donc ? nostre Apollon passera pour Frater,
Luy qui peut s’égaler au Président Nicole ?
***
Luy qui sçeut vos Exploits comme on sçait le Pater,
Qui les porta si loin sans tour, sans caracole,
Que Mars, tout Mars qu’il est, n’osa vous disputer
D’estre des grands Guerriers le Guide & la Boussole ?
***
Je reçois cependant un affront immortel,
Que rien n’effacera, ny Défy, ny Cartel ;
Songez-y bien, Grand Duc, c’estoit là vostre affaire.
***
Je ne m’explique point ; mais s’il faloit des Vers
Qui fissent voir LOUIS aux yeux de l’Univers,
Vous seul pour en juger, moy seule pour les faire.

[Prix des Bouts-rimez de Pan] §

Mercure Galant, juin 1682 [tome 6], p. 328-329.

 

Je me suis informé avec tout le soin possible du Prix qu’on devoit donner pour les Bouts-rimez de Pan & Guenache ; & ce qu’on m’a dit de plus positif, c’est que les rimes de Par & de Car que l’on y doit employer, avoient fait finir tant de Sonnets de la mesme sorte, que cette égalité de pensées en ayant rendu un fort grand nombre également beaux, le Prix estoit demeuré à celuy qui a proposé ces bizarres rimes. Vous aurez le mois prochain l’Eloge de la Beauté, que je croyois vous envoyer aujourd’huy. Une belle Dame qui l’a voulu voir, me l’a emporté à la Campagne, où elle est allée pour quelques jours. Cet Eloge est fait par une Personne de vostre Sexe, dont vous aurez lieu d’estimer l’esprit. Je suis, Madame, Vostre tres-humble, &c.