1682

Mercure galant, septembre 1682, première partie [tome 9].

2016
Source : Mercure galant, septembre 1682 (première partie) [tome 9].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial) et Vincent Jolivet (Informatique).

Au Lecteur §

Mercure galant, septembre 1682 (première partie) [tome 9], p. I-X.

AU LECTEUR.

 

On ne voulut point le dernier mois donner deux Volumes au Public, pour ne point passer les bornes que l’on s’est prescrites pour une Lettre. Il s’en est plaint, ayant luy-mesme connu l’abondance de la matiere ; & sur cette plainte on s’est résolu à le contenter. Le Mercure de ce mois est donc divisé en deux Parties ; mais quoy qu’elles fassent deux Volumes, tous les deux ne font neantmoins qu’un seul Mercure. Les Articles de Nouvelles sont meslez dans l’un & dans l’autre avec les Festes publiques, & aucun des deux ne contient de Nouvelles sans Relations, ny de Relations sans Nouvelles. Comme les plus belles choses périssent en peu de temps, quand elles ne paroissent qu’en feüilles volantes, la plûpart des Villes de France souhaitent voir ce qu’elles ont fait en cette grande occasion, dans un Corps, qui estant relié, se puisse conserver aisément ; & pour satisfaire à leurs desirs empressez, & aux demandes expresses du Public, on s’est trouvé engagé à faire ces deux Parties. Il est impossible de se dispenser de faire la mesme chose le mois prochain, & l’on avertit que le Mercure d’Octobre aura encor deux Parties. Quelques-uns de ceux qui jugent de tout par le Titre, croiront peut-estre que toutes les Réjoüissances se ressemblent, parce qu’elles ont toutes les mesme nom, & qu’on y parle de Te Deum, de Feux, de Vin, d’Instrumens, & de tout ce qui accompagne ordinairement la joye. Cependant ce n’est pas en juger juste. Il n’y a rien qui ne soit changé par les circonstances ; & sans cela, tel qui plaide vingt années, n’auroit qu’à lire l’Article de la Loy qui regarde son affaire, & cette affaire seroit décidée. Il en est de mesme à l’égard des Festes qui ont esté faites dans les Provinces. La joye a esté semblable par tout ; mais chacun selon son divers génie, en a donné de diverses marques, & de plus de deux cens Feux d’artifice dont j’ay les Mémoires, je n’en trouve pas un seul qui se ressemble en toutes ses parties. Si pourtant on en croit ceux qui jugent de tout sans avoir rien vû ny lû, & sans vouloir rien entendre, tout n’est qu’une mesme chose. Si chacun prononçoit si viste, je tiendrois ceux qui en ce rencontre ont donné des marques de leur invention & de leur esprit, plus malheureux que les autres, qui n’ont pris aucune peine. Ils ont inventé de nouvelles manieres de dresser des Feux d’artifice. Ils ont fait des Devises. Ils ont représenté la grandeur du Roy par un nombre infiny de Figures diférentes, & fait par là son Eloge sans un long discours. Ils ont donné des Sujets pour faire des Carrousels, & ont eu besoin d’application pour trouver cent choses de cette nature, qui n’ont de ressemblance l’une à l’autre, que parce qu’elles marquent la grandeur de nostre auguste Monarque, & l’esprit de ceux qui en sont les Autheurs. Il est fort aisé de concevoir qu’encor que toutes ces choses tendent à un mesme but, elles sont pourtant toutes diférentes. Ainsi on peut dire qu’on verra dans les cinq Volumes qui renfermeront toutes les Réjouissances faites pour la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne dans toutes les Villes & les Provinces de France, autant de diversité qu’on en trouve dans les Livres de Voyages qui parlent des Mœurs & des Coûtumes des Païs les plus éloignez, chacun ayant meslé dans ses divertissemens quelque chose des Mœurs, de l’Histoire, & des Usages de sa Province ou de sa Ville ; ce qui me donne lieu d’assurer que dans chacun de ces cinq Volumes il y aura quelque chose de diférent & de curieux. Il me reste du moins quatre-vingts Relations pour mesler parmy les Nouvelles des deux Parties du Mercure du mois prochain, & dans chacune on voit non seulement tout ce que l’invention & l’esprit sont capables de produire, mais le Génie de la France. Il ne faudra que les lire, ainsi que les trois Volumes qui les auront précedées, pour juger du haut point de gloire où elle se trouve présentement, de la grandeur de son Prince, & de l’heureuse félicité dont elle joüit ; ce qui se remarque par les choses magnifiques & extraordinaires qu’elle vient de faire. Mais il faloit que tout fust nouveau du costé des Sujets, quand tout est si grand du costé du Prince. L’amour que les François ont fait paroître dans cette occasion, ne sçauroit estre exprimé. Il a esté au de la de tout ce qu’on en peut croire, & presque dans toutes les Villes du Royaume il a falu user d’une douce violence pour empescher la continuation des Festes, qui sembloient ne devoir point finir. Les deux Volumes du mois prochain, contiendront, outre celles de France dont je ne vous ay point encor parlé, toutes celles qui se sont faites chez les Princes Etrangers, tant par les Souverains, que par les Ambassadeurs de France. Quoy que l’on en sçache une partie, l’éloignement des lieux demande plus de temps pour en estre parfaitement informé. Ce curieux Recueil pourra estre utile en beaucoup de temps, & l’avenir sera peut-estre bien aise de sçavoir ce qui s’est passé à la Naissance d’un Prince, pour qui tous les Peuples ont fait tant de vœux.

On avertit ceux qui voudront encor donner des Relations, de les envoyer avec une extréme diligence. Pour les Feux d’artifice, on peut en envoyer les Desseins, quand mesme le temps de les joindre aux Relations seroit passé. On ne laissera pas de les faire graver pour les mois suivans.

Le travail de deux Volumes a esté si grand, qu’on n’a pû corriger les Epreuves de ces deux Parties avec une entiere exactitude. Ainsi on prie le Lecteur de pardonner les fautes d’impression qui s’y sont glissées.

On donne avis que depuis la page 121. de cette Premiere Partie de Septembre, jusqu’à la page 216. par tout où l’on trouvera le 6. le 8. le 10. de ce mois, il faut entendre Aoust, & non pas Septembre ; & que dans toutes ces pages, par tout où il y aura une date du dernier mois, il faut entendre le mois de Juillet, & non celuy d’Aoust. Il est marqué dans l’Avis au Lecteur du Mercure d’Aoust, qu’il faut écrire Monseigneur Duc de Bourgogne. On s’est trompé, il faut le Duc. On a là-dessus toute la certitude qu’il faut avoir.

[Madrigal sur le Chasteau de Versailles] §

Mercure galant, septembre 1682 (première partie) [tome 9], p. 9-11.

 

Quelques grandes choses que l’on puisse dire à l’avantage du Roy, avoüez, Madame, qu’elles n’expriment que d’une maniere tres-imparfaite, ce qu’il fait penser de ses admirables qualitez. Ce Prince fait les delices de tous les Lieux qui sont honorez de sa présence ; & les Palais les plus somptueux n’ont rien de si grand que sa Personne. C’est ce qu’a dit agreablement Mr Salbray dans ce Madrigal sur le Château de Versailles.

 S’il estoit permis au Soleil
 De disposer de sa présence,
Versailles que Luy mesme il trouve sans pareil,
Sur l’Olympe sans-doute auroit la préference.
Il y voit à sa honte un plus noble appareil
De grandeur, de richesse, & de magnificence ;
Mais quoy que l’on admire en ce Palais charmant,
LOUIS en est encor le plus digne Ornement.

[Inscription pour le mesme Chasteau] §

Mercure galant, septembre 1682 (première partie) [tome 9], p. 11-12.

 

Vos Amies voudront bien me pardonner deux Vers Latins que je vous envoye. Ils ont esté faits par Mr Richou, Chanoine de Bar-sur-Aube, pour une Inscription du mesme Versailles. Les Triomphes de Sa Majesté peints dans ce superbe Chasteau, & le Secours qu’elle preste à ceux qui sont oppressez, mesme aux Princes & aux Roys, font assez connoistre le sens que renferme cette Inscription. La voicy avec son Titre.

LUDOVICO MAGNO,
REGI
CHRISTIANISSIMO,
Versaliæ.

Regia sum Phœbi, sublimibus ampla triumphis,
Qui fert auxiliumLæsis, Nec pluribus impar.

[Madrigal] §

Mercure galant, septembre 1682 (première partie) [tome 9], p. 12-13.

 

Rien n’estant plus difficile que de bien faire le Portrait du Roy, voicy un avis que Mr Bonpart, Sr de S. Victor, de Clermont en Auvergne, donne aux Sculpteurs, & aux Peintres.

 Peintres fameux, sçavans Sculpteurs,
En vain vous employez le Marbre, & les couleurs,
Pour imiter les traits d’un Prince inimitable.
Vous ferez sagement, si suivant mon conseil,
Vous quitez les Pinceaux, les Cizeaux & la Regle.
Eh, comment imiter ce Prince sans pareil ?
Ne sçavez-vous pas bien qu’il faut les yeux d’un Aigle
 Pour voir fixement le Soleil ?

[Mariage de M. le Marquis de Blainville, & de Mademoiselle de Tonnécharante] §

Mercure galant, septembre 1682 (première partie) [tome 9], p. 35-37.

 

 

Le 25. du dernier mois, Mademoiselle de Tonnécharante, de la Maison de Rochechoüart, Fille de feu Mr le Comte de Tonnécharante, Colonel du Régiment de la Marine, & de Dame Marie de Phelypeaux, Fille de feu Mr de la Vrilliere Secrétaire d'Etat, épousa le troisiéme Fils de Mr Colbert, que l'on appelle aujourd'huy Mr le Marquis de Blainville. La Nôce se fit à l'Hostel de la Vrilliere par Mr le Marquis de Chasteauneuf, Ministre & Secrétaire d'Etat, Oncle de la Mariée. Mr l'Archevesque de Bourges, Frere de Mr de Chasteauneuf, fit la cerémonie des Epousailles dans l'Eglise S. Eustache. Le lendemain, les Parens de part & d'autre furent conviez par Mr Colbert d'aller en sa Maison de Sceaux. Le Divertissement commença par la promenade sur le grand Bassin, où il y avoit un Concert de Flûtes. Au retour de la promenade, on trouva dans les Apartemens des Concerts d'Instrumens & de Voix. Ils furent suivis d'un magnifique Soupé sur trois diférentes Tables. [...]

Sonnet §

Mercure galant, septembre 1682 (première partie) [tome 9], p. 43-45.

 

La Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne ayant donné une occupation aux beaux Esprits, Mr l’Abbé de la Chaise n’a pas voulu demeurer muet dans une si belle occasion de parler. Voicy ce que cette Naissance luy a fait dire.

SONNET.

Dans les Etats Chrestiens, dans l’Empire Infidelle,
Les Princes au Printemps armoient à qui mieux mieux,
Et dans toute l’Europe on eust dit que les Dieux
Vouloient nous menacer d’une Guerre cruelle.
***
Cependant quoy que Mars au combat nous appelle,
Nul ne suit aujourd’huy ses transports furieux,
Et lors qu’on voit briller les Armes en tous lieux,
Dans le Monde la Paix se trouve universelle.
***
D’où vient tant de fureur & de calme à la fois ?
Il naît un Petit-Fils au grand Roy des François,
C’est ce qui fait armer, & cesser les alarmes.
***
Comme il vient pour régir toutes les Nations,
Pendant qu’il naît en Paix comme les Alcions,
Tout pour le recevoir doit estre sous les armes.

[Hospitalieres de la Roquette] §

Mercure galant, septembre 1682 (première partie) [tome 9], p. 45-49.

 

Jamais Naissance n'a esté suivie d'acclamations si genérales. Il n'y a point de marques de joye qu'on n'en ait donné icy. Quoy que ma derniere Lettre ait esté toute remplie des Réjoüissances que l'on y a faites dans tous les Quartiers, elle n'a point esté assez ample pour renfermer tout ce que j'avois à vous en dire. Ainsi je suis obligé de vous en parler encore au commencement de celle-cy. Parmy les Communautez Religieuses, les Hospitalieres de la Raquete [sic] se sont distinguées. On ne peut faire plus de Prieres publiques & particulieres qu'elles en ont fait avant & apres les Couches de Madame la Dauphine. Elles chanterent solemnellement le Te Deum, & vinrent en suite assister au Feu qu'elles avoient donné ordre que l'on préparast. On voyoit sur un Lieu fort éminent une Colomne de feu, au dessus de laquelle paroissoit un Globe lumineux qui jetta une infinité de Pyramides de flâmes. Une clarté sortit un moment apres de l'épaisseur d'un Arbre, prodigieux pour son excessive hauteur ; & cette lumiere qui se fit jour à travers les ombres des branches, représentoit en quelque façon la Colomne de nuée qui conduisoit les Hébreux pendant le jour, comme la Colomne de feu représentoit celle qui les éclairoit pendant la nuit. En suite on entendit un grand bruit, qui par une invention toute nouvelle contrefit merveilleusement bien celuy du Canon. Ce bruit fut suivy de deux Motets, chantez l'un & l'autre par une tres-belle Voix. Tout le Convent fut illuminé, & l'on fit les réjoüissances & les libéralitez ordinaires.

Hospitalieres de la Place Royale §

Mercure galant, septembre 1682 (première partie) [tome 9], p. 49-50.

 

Les Religieuses Hospitalieres de la place Royale ayant esté averties par Madame la Duchesse de Richelieu, que le temps des Couches de Madame la Dauphine approchoit, firent des Communions particulieres & genérales. Elles continuerent cette devotion, accompagnée de Neufvaines, jusques au jour que cette mesme Duchesse leur fit sçavoir que Madame la Dauphine estoit en travail. La Supérieure fit incontinent venir au Choeur toute la Communauté, qui ne cessa point de prier jusqu'à ce qu'elle eust appris que la France avoit un nouveau Prince. Les Réjoüissances de ce Convent ont esté proportionnées aux Prieres.

[Visitation de Sainte Marie] §

Mercure galant, septembre 1682 (première partie) [tome 9], p. 50-51.

 

Outre les Prieres, les Instrumens de Musique, & l'Artifice, dont se servirent les Religieuses de la Visitation de Sainte Marie de la Ruë du Bac, Fauxbourg S. Germain, pour marquer leur joye, elles étalerent des Tableaux de toutes les Conquestes de Sa Majesté. Ces tableaux estoient accompagnez de Devises & d'Emblémes à sa gloire.

[General de l'Ordre de la Sainte Trinité] §

Mercure galant, septembre 1682 (première partie) [tome 9], p. 51, 53-54.

 

On ne peut rien voir de plus grand, de plus magnifique, ny de plus ingénieux, que ce qu'on a veu au Convent des Maturins. Le Pere Mercier, General de cet Ordre, appellé de la Sainte Trinité & Rédemption des Captifs, avoit fait faire un Feu d'artifice élevé sur le Balcon de son Jardin. [...]

Le Pere General, quoy qu'indisposé depuis longtemps, descendit exprés, & voulut luy-mesme allumer le Feu. Il fut tiré au bruit des Trompetes. Toute la Court estoit environnée d'un nombre presque infiny de Flambeaux de cire blanche. Avant & apres le Feu, on tira quantité d'Artifice, & pendant ce divertissement on distribua du Vin en abondance.

[Maison Royale de Sainte Croix de la Brétonnerie] §

Mercure galant, septembre 1682 (première partie) [tome 9], p. 54-55.

 

Le Pere Prieur des Chanoines Réguliers de la Maison Royale de Sainte Croix de la Brétonnerie, apres des Prieres & des Réjoüissances extraordinaires, fit un Régale à tous ses Religieux. On a chanté dans le mesme Lieu un Te Deum pour la Compagnie des Sergens à Verge du Chastelet de Paris.

[College de la Marche] §

Mercure galant, septembre 1682 (première partie) [tome 9], p. 55.

 

Dans la Tragédie représentée au College de la Marche, il y eut un Concert de Musique à la loüange du Roy, & plusieurs Odes recitées sur la Naissance du nouveau Prince. Le Principal de ce College, apres avoir fait chanter le Te Deum, fit allumer un Feu d’artifice, & distribuer du Pain & du Vin.

[La Nymphe de Versailles] §

Mercure galant, septembre 1682 (première partie) [tome 9], p. 57-67.

 

Les Festes galantes n’ont pas esté oubliées parmy ces Réjoüissances. Des Demoiselles bien faites & spirituelles, ont représenté à S. Cloud une Comédie en Musique, composée sur des Avantures qui s’y sont passées. Elle avoit pour titre, l’Automne de Saint Cloud, & estoit ornée de Balets, de Machines, & de changemens de Theatre. Le Prologue estoit sur la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne. Je vous l’envoye. On dit que Mr Compoint le jeune en a fait les Vers. Leur lecture vous fera juger de leur bonté. Il doit donner dans peu un Livre au Public sous le nom de la Philosophie des Dames. La Décoration de ce Prologue représentoit dans les costez du Theatre, des Bois & des Plaines, & dans l’enfoncement, un magnifique Palais plein de Feux & d’artifice, & environné de Fontaines de Vin jalissantes. La Nymphe de Versailles, & la Nymphe de S. Cloud, parurent sur ce Theatre, & chanterent le Dialogue qui suit.

LA NYMPHE
de Versailles.

Fuyez, cruels transports de ma douleur profonde,
Succedez à mes cris, Jeux & Plaisirs charmans,
Mon auguste Princesse en merveilles féconde
Est délivrée enfin de ses affreux tourmens.
Les Dieux se sont servis de ses illustres Flancs
Pour combler les souhaits du plus grand Roy du Monde.

La Nymphe de S. Cloud.

Je ne l’ignore point, & ce riche appareil,
Ces brillantes Clartez, ces nouvelles Fontaines,
Ces doux bruits, & ces Voix qui remplissent nos Plaines,
 Me l’ont appris en troublant mon sommeil,
Et la Nature enfin se sur passant soy-mesme
M’a fait appercevoir un changement extréme,
Par l’éclatant lever d’un troisiéme Soleil.

La Nymphe de Versailles.

Quel bien pour les François !

La Nymphe de S. Cloud.

  Quel heureux avantage !

La Nymphe de Versailles.

 Déja mille Peuples divers
Accourus à l’envy du bout de l’Univers,
Pour l’admirer, & pour luy rendre hommage,
 Marquent l’excés de leur commun bonheur.

La Nymphe de S. Cloud.

 Mon zele à les suivre m’engage,
Et je brûle en secret d’une pareille ardeur ;
Mais avant que sa veuë ait pû la satisfaire,
Ma Sœur, daigne de grace, employer ton pinceau
A tracer le Portrait de ce Soleil nouveau.

La Nymphe de Versailles.

Revérons-le, ma Sœur, c’est tout ce qu’on peut faire.
Le peindre, est un employ pour moy trop relevé.
 Le Ciel doit l’avoir réservé
 A quelque Puissance supréme.
Je diray seulement que ses traits accomplis,
Obligeroient Vénus à confondre elle-mesme
La beauté de ce Prince, & celle de son Fils.
Je diray qu’il n’est rien de plus grand, de plus rare,
 Que cet air si majestueux,
 Dont la Nature pare
 Et son front & ses yeux,
Puis qu’on y voit briller le divin caractere
 De son Ayeul & de son Pere.

La Nymphe de S. Cloud.

Il n’égalera point ces deux cœurs genereux,
 Quoy qu’il en soit la naturelle Image,

La Nymphe de Versailles.

  Pour devenir Héros fameux,
  En sagesse ainsi qu’en courage,
  Il suffit qu’on approche d’eux.
Dés que ses tendres mains pourront porter les armes,
Je lis dans ses beaux yeux sa future valeur ;
 Des Ennemis je prévois les alarmes,
Et des faits merveilleux pour un si jeune cœur,
Je voy tous les Humains témoins de sa grandeur.
Ah, qu’ils seroient surpris par des Exploits si rares,
  Si dans ce Regne renommé
Le Héros des François n’avoit accoûtumé
 Les Nations, même les plus barbares,
  A des prodiges dont jamais
  N’ont approché les plus hauts faits !

Les deux Nymphes ensemble.

Nous demandions un Prince, & le Ciel nous l’envoye.
 Rendons graces aux Dieux
 D’un don si prétieux.
 Que l’Univers prenne part à la joye
 Qu’on voit éclater en ces Lieux.
Nous demandions un Prince, & le Ciel nous l’envoye.
 Rendons graces aux Dieux
 D’un don si prétieux.

La Nymphe de S. Cloud.

Permets que je te laisse, & qu’enfin je le voye
 Cet auguste Présent des Cieux.

 

Cette Nymphe s’estant retirée, l’on vit paroître un grand nombre d’Habitans de Versailles & de S. Cloud, suivis des Peuples de diverses Nations, accourus pour voir le Prince.

La Nymphe de Versailles.

Vous, heureux Habitans de ces belles Campagnes,
Et vous, qui pour le voir traversant les Montagnes
Estes venus de l’une & l’autre extrémité,
Que vos Jeux & vos Chants fassent icy paroistre
Le comble de plaisir & de félicité,
Qu’en recevant le jour, par tout il a fait naître.

 

Plusieurs Etrangers & Etrangeres, avec diférens Habits, témoignerent à l’envy par leurs dances, la joye que leur inspiroit la Naissance de ce Prince ; apres quoy deux Habitans de Versailles chanterent ces Vers.

Terminons, chers Amis, nos amoureux tourmens.
Ce temps-cy n’est pas fait pour les tendres Amans,
 Mais seulement pour celebrer la gloire
  Du Maistre de ces Lieux charmans.
En beuvant & chantant honorons sa mémoire,
Réservons nos amours au retour du Printemps,
  Et dans un si bon temps
  Ne songeons plus qu’à boire.

 

Le Chœur des Habitans de Versailles ayant répeté ces deux derniers Vers, quatre Bergeres dancerent avec quatre Yvrognes. Ces autres Vers, chantez par deux Habitans de S. Cloud, suivirent leur dance.

Servons-nous de ce jour heureux
Pour celébrer nos plus beaux Jeux,
 Et que tout cede
 Au zele genéreux
 Qui nous possede.
Servons-nous de ce jour heureux
Pour celébrer nos plus beaux Jeux.

 

Une Dance genérale des diférens Peuples qui estoient sur le Theatre, finit ce Prologue.

[Académie Françoise] §

Mercure galant, septembre 1682 (première partie) [tome 9], p. 67-68.

 

Toutes les Communautez, & tous les Corps, ayant témoigné leur zele en faisant chanter le Te Deum, Mrs de l’Académie Françoise, qui ont l’honneur d’avoir le Roy pour Protecteur de leur Compagnie, en ont fait chanter un en Musique dans la Chapelle du Louvre. Il estoit de la composition de Mr Oudot, dont je vous ay déja parlé plusieurs fois, & il fut exécuté par plus de soixante Personnes, Joüeurs d’Instrumens, & Musiciens. La plûpart de ces Messieurs se sont distinguez en cette occasion par leurs Ouvrages.

Sonnet §

Mercure galant, septembre 1682 (première partie) [tome 9], p. 69-70.

SONNET.

En faveur de l’Etat, Ciel, que n’a tu pas fait ?
Nos vœux sont exaucez, la Dauphine est féconde.
Ta libérale main par un don si parfait,
Vient de perpétuer le plus beau Sang du Monde.
***
L’allegresse est par tout, chacun est satisfait,
Nul ne peut contenir l’aise dont il abonde,
Et peu s’en est falu que LOUIS en effet
N’en ait déconcerté sa sagesse profonde.
***
Qu’il voye en cheveux blancs les Enfans de son Fils
Le suivre avec leur Pere au Siege de Memphis ;
Que ta protection sur eux se manifeste.
***
Icy rien ne nous manque, & nous sommes contens.
Avec le mesme soin pourvois à tout le reste,
Ciel, tu nous as donné des Maistres pour longtemps.

[Autre Sonnet de M. Quinaut] §

Mercure galant, septembre 1682 (première partie) [tome 9], p. 70-71.

SONNET.

Grand Roy, que mille Exploits fameux
Couvrent d’une gloire immortelle,
Goustez une douceur nouvelle,
Un Petit-Fils comble vos vœux.
***
Que de Spéctacles ! Que de Jeux !
Quels transports d’un Peuple fidelle !
A-t-on veu la joye & le zele
Allumer jamais tant de feux ?
***
C’est peu pour Vous, que l’avantage
D’avoir veu par vostre courage
L’Univers cent fois alarmé.
***
Joüissez d’un sort préferable
Au bonheur d’estre redoutable,
Jamais Roy ne fut tant aimé.

[Idille de Madame des Houlieres] §

Mercure galant, septembre 1682 (première partie) [tome 9], p. 71-81.

 

Je joins à ces deux Sonnets, l’Idille de Madame des Houlieres, dont le bruit doit estre allé jusqu’à vous, par les applaudissemens qu’il a reçeus à la Cour & à Paris. Il y a tant de délicatesse, de bon goust, & de bon sens, dans tout ce qui part de cette illustre Personne, que si l’usage estoit que les Femmes fussent reçeuës à l’Académie, on préviendroit ses souhaits, pour luy offrir place dans cette celebre Compagnie.

POUR
LA NAISSANCE
de Monseigneur
LE DUC
DE BOURGOGNE.
IDILLE.

L’Amour pressé d’une douleur amere,
Eteint son Flambeau, rompt ses Traits,
Et par le Stix jure à sa Mere
Qu’il ne s’appaisera jamais.
Tout se ressent de sa colere,
Déja les Oiseaux dans les Bois
Ne font plus entendre leurs voix,
Et déja le Berger néglige sa Bergere.
 Ce matin les Jeux & les Ris,
 De l’Amour les seuls Favoris,
 M’ont découvert ce qui le désespere.
 Voicy ce qu’ils m’en ont appris.
 Un divin Enfant vient de naître,
M’ont-ils dit, à qui les Mortels
Avec empressement élevent des Autels,
Et pour qui sans regret nous quittons nostre Maistre.
Si l’Amour est jaloux des honneurs qu’on luy rend,
 Il l’est encor plus de ses charmes ;
 En vain pour essuyer ses larmes,
 Vénus sur ses genoux le prend,
 Luy fait honte de ses foiblesses ;
 Et quand par de tendres caresses
 Elle croit l’avoir adoucy,
D’un ton plus ferme elle luy parle ainsy.
 Vous avez fourny de matiere
 Au malheur dont vous vous plaignez ;
L’aimable Enfant que vous craignez,
 Sans vous n’eut point veu la lumiere ;
Mais consolez-vous-en, luy qui vous rend jaloux,
 Un jour soûmis à vostre Empire,
 Quoy que la Gloire en puisse dire,
Fera de vos plaisirs son bonheur le plus doux.
Reprenez donc vostre Arc ; Quoy, mon Fils, seriez vous
 Aux ordres des Destins rebelle ?
Songez que vous devez vos soins à l’Univers,
 Que par vous tout se renouvelle ;
 Que dans le vaste sein des Mers,
 Que sur la Terre & dans les Airs,
La Nature à son aide en tout temps vous appelle.
Ha ! s’écria l’Amour, je veux me vanger d’elle ;
Contre elle avec raison je me sens animé ;
Avec de trop grands soins cette Ingrate a formé
Cet Enfant, ce Rival de ma gloire immortelle.
Concevez-vous quelle est ma douleur, mon effroy ?
 Il est déja beau comme moy ;
Mais jusqu’où les Mortels portent-ils l’insolence ?
 Sans respecter mon pouvoir, ny mon rang,
On ose comparer son sang avec mon sang ;
On fait plus, sur le mien il a la préference ;
On ne craint point pour luy la céleste vangeance ;
Il a dans son Ayeul un trop puissant Appuy.
Quel Dieu pour la Valeur, Quel Dieu pour la Prudence,
Pourroit avec LOUIS disputer aujourd’huy ?
Depuis qu’il fut donné pour le bien de la France,
 On n’a plus adoré que luy.
De l’Univers, il regle la fortune ;
Par un prodige il est tout-à-la-fois
Mars, Apollon, Jupiter & Neptune ;
Ses bontez, ses soins, ses exploits,
 Font la félicité commune.
Au dela de luy-mesme il porte son bonheur,
A son auguste Fils luy-mesme sert de guide ;
On voit ce Fils brûler d’une héroïque ardeur,
 Et de Gloire en tout temps avide,
 Dans le sein mesme de la Paix,
Aux frivoles plaisirs ne s’arrester jamais.
Il se plaist à la Chasse, image de la Guerre,
Il se plaist à dompter d’indomptables Chevaux,
En attendant le jour qu’armé de son Tonnerre,
LOUIS en triomphant du reste de la Terre,
Fournisse à sa Valeur de plus nobles travaux.
Bien que de la Beauté vous soyez la Déesse,
Vous ne luy causeriez ny transports, ny desirs ;
Heureux & digne Epoux d’une jeune Princesse,
 Qui mérite tous ses soûpirs.
Il ne daigne tourner ses regards sur les autres ;
A ses charmes aussi quels charmes sont égaux ?
 Elle a les yeux aussi doux que les vostres,
  Et n’a pas un de vos défauts.
  Vénus alors rougit de honte,
Et lançant sur son Fils des regards enflâmez,
  Quoy donc, dit-elle, à vostre conte
  Une Mortelle me surmonte ?
Hé-bien, l’illustre Enfant dont vous vous alarmez,
  Pres de moy tiendra vostre place ;
  Je veux (& le Destin ne m’en dédira pas)
Que quoy qu’il dise, ou quoy qu’il fasse,
On y trouve toûjours une nouvelle Grace ;
Toutes vont par mon ordre accompagner ses pas.
 L’Amour tremble à cette menace,
Il veut flater Vénus ; mais Vénus à ces mots,
Se jette dans son Char, & vole vers Paphos.
Dans son cœur la colere à la honte s’assemble ;
Le chagrin de l’Amour s’accroist par ce couroux,
 Et comme le chagrin & nous
 Ne pouvons demeurer en semble,
Nous avons résolu d’abandonner l’Amour,
 Pour venir faire nostre cour
 Au beau Prince qui luy ressemble.
Voila ce que les Ris & les Jeux m’ont couté ;
Ce Prince est si charmant, qu’on les en peut bien croire ;
L’Amour est aujourd’huy jaloux de sa beauté,
Un jour viendra que Mars le sera de sa gloire.
Puisse-t-il toûjours grand, estre toûjours heureux ;
Puisse le juste Ciel accorder à nos vœux
 Pour luy de nombreuses années ;
Qu’il passe des Héros les Exploits inoüis,
Et qu’un jour, s’il se peut, ses grandes destinées
 Egalent celles de LOUIS.

[Le Napolitain] §

Mercure galant, septembre 1682 (première partie) [tome 9], p. 81-84.

 

Je voy bien, Madame, par ce que vous me mandez du Napolitain, que cet Ouvrage a fait du fracas dans vostre Province. J’avois bien préveu que vos Amies en seroient touchées. On doit au moins demeurer d’accord qu’il a cet avantage sur beaucoup de Livres de cette nature, que quelque violente passion qui y soit dépeinte, il ne donne point de mauvais exemple, puis que l’amour y est inspiré par le devoir. Comme jamais il n’en fut de plus pressant, peut-estre aussi n’a-t-on jamais entendu parler d’un amour de cette force. Le devoir ne produit pas toûjours de pareils effets, & c’est en cela que ce Livre est singulier. Je n’ay veu personne que le sexe ou l’âge ait dispensé de pleurer, en lisant la Lettre que la malheureuse Amante du Napolitain écrit en mourant à cet innocent Coupable. Elle est pleine d’un désordre qui met icy bien du trouble dans les cœurs. On n’a jamais rien veu de plus naturel. Le vray s’y fait si bien remarquer, qu’une Femme fort spirituelle disoit il y a quelques jours, lisant cette Lettre, qu’elle ne pouvoit se persuader qu’elle lût un Livre. Beaucoup de Personnes, à qui le secret de cette Histoire est connu, sçavent que peu d’incidens y sont inventez, & que la plûpart des Lettres ont esté écrites de la maniere qu’on les a données au Public. La passion manque rarement d’estre éloquente ; & en matiere d’amour, pour écrire juste, on n’a qu’à suivre les mouvemens de son cœur.

[Alceste] §

Mercure galant, septembre 1682 (première partie) [tome 9], p. 84-87.

 

Vous me demandez des nouvelles de l’Académie de Musique. Les Assemblées y sont fort nombreuses. Cependant on n’y représente qu’Alceste, qui n’est pas nouveau. Il est vray qu’il l’est par les Machines, ausquelles Mr Bérain a parfaitement réüssy. C’est à luy que nous devons l’invention des Lumieres vives pour les Illuminations. Le Soleil qui parut devant la Porte de l’Opéra le jour que Mr de Lully le donna libéralement au Peuple, estoit composé de plus de mille Lampes. Il en fit un essay devant sa Porte, dés les premiers jours qu’on fit icy des Réjoüissances pour la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne. Il ne faut pas s’étonner apres cela, si l’Illumination des Galeries du Louvre a esté si éclatante, puis que c’est le mesme Mr Bérain qui s’en est meslé. Mais pour revenir à l’Opéra, il faut vous apprendre que Mr de Lully travaille à celuy de Phaëton. Il doit estre pour le Roy. Je ne vous dis point qu’on attend beaucoup de cet Ouvrage. Quoy qu’on s’en promette, on peut s’assurer qu’il remplira tout ce qu’on attend ; un aussi grand Homme que luy ne pouvant rien faire qui ne soit le charme de tous ceux qui ont un peu de goust en Musique. Le nouveau succés d’Alceste en est une preuve. Il y a plusieurs années que cet Opéra est fait, & on ne laisse pas d’y découvrir tous les jours des beautez nouvelles, qui y font courir en foule, comme si c’estoient les premieres Représentations que l’on en donnast.

[L'Université de Paris. Cet Article est remply de Remarques curieuses, & de Harangues] §

Mercure galant, septembre 1682 (première partie) [tome 9], p. 87-91, 93-94, 96-101.

 

 

L'Université de cette Ville ayant esté la premiere de toutes les Compagnies à donner des marques publiques de sa joye pour la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne, ne s'est pas contentée de faire cesser pendant trois jours l'Exercice des Classes dans tous les Colleges, & d'y ordonner des Prieres & des Feux, dés qu'elle eut appris cette nouvelle. Elle a crû qu'en qualité de Fille aînée des Roys de France, & par conséquent de LOÜIS LE GRAND, elle estoit obligée d'entrer plus particulierement dans les sentimens de la Famille Royale. Ainsi s'estant assemblée par ses Députez chez Mr Tavernier son Recteur, au College de Navarre, elle ordonna que pour terminer par quelque chose de singulier les Réjoüissances & les Prieres qu'elle avoit faites pendant un mois, on feroit une Procession extraordinaire en l'Eglise de N. Dame, Protectrice de nos Roys, & de tout le Royaume, & que pour cela on choisiroit le Samedy 5. de Septembre, afin d'honorer en mesme temps le jour de la Naissance de Sa Majesté, qui est la source de tous les bonheurs dont joüit la France. La chose fut exécutée de cette maniere par les soins de Mr de Lenglet, Syndic de ce sçavant Corps, qui fut chargé de l'ordre de toute la Cerémonie.

Mr Tavernier Recteur, apres avoir fait agréer à Mr l'Archevesque de Paris que l'Université fit chanter un Te Deum, & à Mrs les Doyen & Chapitre qu'elle allast processionnellement à leur Eglise le jour que je viens de vous marquer, envoya dés le Jeudy 3. du mesme mois son Mandement aux Doyens des Facultez, aux Procureurs des Nations, aux Principaux des Colleges, à tous les Supérieurs des Ordres Réguliers qui sont du Corps de l'Université, & à tous les Officiers & autre Membres qui en dépendent, portant ordre de se rendre le Samedy suivant à huit heures du matin, au Cloistre des Maturins, Lieu ordinaire de leurs Assemblées genérales, où s'estant rendu luy mesme à l'heure assignée, il prononça un fort beau Discours Latin, [...].

Il finit, en exhortant ceux qui composoient son Auditoire, à faire éclater dans l'Action à laquelle ils se disposoient, une joye pleine de pieté, & d'une Religion sincere, non par le brillant des Feux d'artifice, ny par le bruit des Boëtes, mais par leurs Chants, & par les vives ardeurs d'une charité divine, dont les feux sont toûjours actifs, & les flâmes pures.

Apres cette Harangue, qui reçeut beaucoup d'aplaudissemens de toute la Compagnie, parce qu'elle exprimoit fort naturellement par la bouche du Chef, les sentimens de tous les Membres, on se mit en marche en l'ordre, & en la maniere accoûtumée. [...]

La Procession ayant pris sa marche par la Ruë de la Harpe, & par dessus le Pont S. Michel, passa devant la premiere Porte du Palais & arriva sur les dix heures à N. Dame, où elle fut reçeuë dans l'Eglise au bruit des plus grosses Cloches, qui avoient commencé à sonner dés le matin, & dans le Choeur, au son de plusieurs Instrumens de Musique, qui formoient une Symphonie tres-agreable. On se plaça en la maniere ordinaire. La Faculté de Théologie, & celle de Medecine, du costé droit, ayant Mr le Recteur à leur teste. Celles de Droit & des Arts, remplirent le costé gauche ; & la foule des Docteurs, des Licenciez, des Bacheliez, & des Maistres és Arts, se trouva si grande, qu'encor que Mrs du Chapitre N. Dame, par un effet du zele qu'ils ont pour tout ce qui regarde la gloire du Roy, eussent abandonné ce jour-là tout leur Choeur à l'Université, aussi-bien que leur Musique, & leurs Officiers, & qu'on eust donné tous les ordres necessaires pour empescher la confusion, les Compagnies se trouverent mêlées les unes parmy les autres, ce qui faisoit un spéctacle tres-particulier du mêlange des diférentes couleurs, & des diférens Habits qui les distinguent. [...] La Messe fut chantée, aussi-bien que le Te Deum à la fin, par la Musique de cette Eglise, & par un grand nombre d'Instrumens, qui répondirent admirablement à la beauté & à la force de la composition de Mr Mignon. [...]

[Monseigneur le Dauphin chasse aux environs de Paris, & fait Collation à S. Oüen chez M. de Boisfranc] §

Mercure galant, septembre 1682 (première partie) [tome 9], p. 113-116.

 

Monseigneur le Dauphin trouvant l'Image de la Guerre dans l'exercice de la Chasse, a continué pendant tout ce mois à prendre ce divertissement. Il a chassé tres-souvent aux environs de Versailles, d'où il est venu trois fois dans la Plaine de S. Denys, & chaque fois ce Prince a fait collation à S. Oüen dans la belle Maison de Mr de Boisfranc. Monsieur, Madame, & Mademoiselle, vinrent se promener au mesme Lieu au commencement de ce mois. Leurs Altesses Royales estoient accompagnées de Madame la Princesse de Rohan, de Madame la Duchesse de Vantadour, de Madame de Grancé, de Madame la Marquise d'Effiat, de Madame de Gourdon, & de Mademoiselle de Loupes. Toute cette illustre Compagnie arriva sur les quatre heures, & se promena d'abord sur les Terrasses & dans les Jardins ; mais le lieu où l'on demeura le plus longtemps, fut l'Orangerie. C'est un endroit enchanté. On y voit une grande Perspéctive, qui représente Cerés, que Leurs Altesses Royales trouverent tres-bien faite, & tres-finie. Aussi cette Perspéctive e-t-elle esté peinte par une jeune Homme de l'Académie, dont les Ouvrages sont estimez. Il s'appelle Mr de Boulogne. Apres qu'on fut revenu de la promenade, on entra dans un Sallon, où Mr de Boisfranc donna un magnifique Ambigu à Leurs Altesses Royales, qui firent l'honneur à Mademoiselle de Boisfranc de la faire manger à leur table. Mr de Boisfranc servit Monsieur ; & Mr de Boisfranc son Fils, Maistre des Requestes, servit Madame & Mademoiselle.

[Retour de la Santé de M. le Chancelier] §

Mercure galant, septembre 1682 (première partie) [tome 9], p. 116-118.

 

J'ay à vous apprendre le retour d'une santé dont je croy que toute la France donnera autant de marques de joye que la Cour en a donné. Vous voyez bien que je veux parler de celle de Mr le Chancelier. Il est impossible de voir plus de consternation qu'il en a paru dans le Conseil, dans la Cour, & dans cette Ville. Le Roy mesme a fait connoistre qu'il estoit vivement touché de la maladie de ce grand Ministre. Ce Prince connoist mieux que personne les lumieres de son esprit, & ses Sujets connoissent son équité. Il semble que le Ciel, qui favorise tous les voeux du Roy, parce qu'il soûtient ses intérests, ait non seulement redonné la santé à Mr le Chancelier, pour servir ce Monarque, mais qu'il en ait mesme hâté le retour, une si prompte guérison dans le temps qu'on l'attendoit le moins, tenant du miracle.

[Messieurs les Secretaires du Roy font chanter une grande Messe aux Celestins pour la guérison de ce Ministre] §

Mercure galant, septembre 1682 (première partie) [tome 9], p. 118-120.

 

Mrs les Secretaires du Roy ont fait chanter une grande Messe aux Celestins, pour demander cette guérison. Le nom de ces Peres me fait souvenir de ce qui s'est passé à leur Convent. Quoy qu'ils n'ayent rang icy que les derniers, ce sont eux qui ont chanté à Paris le premier Te Deum pour la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne. Voicy comment la chose arriva. Madame Fieubet, Femme de Mr Fieubet, Conseiller d'Etat, & Chancelier de la Reyne, ayant reçeu la nouvelle de cette Naissance dès cinq heures du matin, monta en Carrosse pour aller à Versailles ; & comme elle demeure pres de ce Convent, elle l'apprit à ces Peres, qui ayant chanté aussitost le Te Deum, eurent l'avantage d'estre les premiers à rendre grâce à Dieu du Prince qu'il venoit de donner à la France. Ils firent aussi des Feux pendant trois jours, distribuerent du Pain & du Vin, & dés le premier soir donnerent aux autres l'exemple d'illuminer leurs Clochers. Tout s'est enfin passé dans leurs réjoüissances avec beaucoup d'éclat, de zele, & de pieté, par les ordres & les soins du Pere Sainfroy, VIcaire General de l'Ordre, & Prieur du Convent de Paris.

Reflexions sur la Liberté §

Mercure galant, septembre 1682 (première partie) [tome 9], p. 121-136.

 

Je vous envoye des Vers qui ont esté faits sur les avantages de la Liberté, par une Personne de vostre Sexe. Ce qui vous paroistra presque incroyable, à voir & leur netteté & le tour aisé qu’ils ont, c’est que la Dame qui les a faits, ne s’est apperçeuë que depuis six mois qu’elle estoit née pour en faire. Elle a fort peu de commerce avec le monde, passe sa vie dans son domestique, & se donnant toute entiere aux soins & aux occupations de son ménage, elle prend ce temps pour s’abandonner à la resverie qui est necessaire à ceux que favorisent les Muses. Jugez, Madame, si on ne peut pas assurer avec verité ce que je croy vous avoir déja marqué en plusieurs occasions, que ce n’est ny par art ny par étude que l’on devient Poëte, mais par ce beau feu qui est inspiré de la Nature.

REFLEXIONS
SUR LA LIBERTÉ.

Aimable Liberté, doux charme de nos sens,
Qui méritez si bien nos vœux & nostre encens,
Ne serez-vous jamais des Mortels possedée
Que par une flateuse & décevante idée ?
Les verray-je toûjours, ces aveugles Mortels,
Mesme en vantant vos Loix, démolir vos Autels,
Enyvrez d’un erreur que leur caprice fonde,
Vouloir en s’enchaînant enchaîner tout le monde,
Et par une flateuse & folle ambition,
Se livrer sans relâche à cette passion ?
Donneront-ils toûjours le plus beau de leur vie
A ce Fantôme armé des noirs traits de l’Envie ?
En vain pour cette Ingrate ils sement tour-à tour,
Iamais de la Moisson ils ne trouvent le jour.
Quel est de tous leurs soins l’infaillible salaire ?
Elle vient les flater d’un bien imaginaire,
Et malgré leurs desseins, tristes joüets du Sort,
Leur espoir se confond enfin avec la mort.
L’un charmé des grandeurs, & captif de la Gloire,
Met son souverain bien au gain d’une victoire,
Et d’une heureuse paix fuyant les doux appas,
Ne croit voir la vertu qu’au milieu des combats.
De cette illusion sa grande ame obsedée,
Luy fait sacrifier sa vie à son idée,
Trop content de penser que le Siecle à venir
Gardera de son nom un heureux souvenir.
Dans les Cours, de tout temps, regne cette foiblesse,
Il faut avec éclat soûtenir sa noblesse.
Vous avez beau crier, la guerre me déplaist,
Vous estes noble, il faut subir ce dur Arrest.
C’est en vain que les Dieux vous firent debonnaire,
Vostre paisible esprit ne peut se satisfaire,
Il faut que de sens froid, & sans estre offencé,
Vous alliez follement, de mille coups percé,
Braver les Ennemis au milieu des allarmes,
Mourir, & que pour vous cette mort ait des charmes.
Et pourquoy ? c’est qu’il faut satisfaire en mourant,
Non vous, mais le Public, vostre Pere, un Parent,
Afin qu’apres la mort vostre gloire semée,
Puisse faire en tous lieux parler la Renommée,
Et que vostre Epitaphe ornant un vain Tombeau,
Etonne le Passant d’un spéctacle nouveau.
L’un dont le foible esprit est dans une autre assiete,
Préfere au Monde entier les Murs d’une retraite,
Et s’ensevelissant dans le fond d’un Convent,
Croit mériter beaucoup de mourir en vivant.
L’autre sans refléchir à tout ce qu’il veut faire,
Risque dans le moment tout pour se satisfaire.
L’un fait des vœux trop tost, & les fait au hazard,
L’autre s’en desabuse, & s’en repent trop tard.
Celuy-cy sous le faix d’un assommant ménage,
Gémit de desespoir, & soûpire de rage,
Et poussant vers le Ciel des regrets superflus,
Veut rappeller un temps qu’il ne reverra plus.
Son ame, mais en vain, reconnoist par la suite,
Qu’un Fantôme enchanteur l’avoit de loin séduite.
Voy, voy, luy disoit-il, dans vingt ans, dans trente ans,
Tu verras les Enfans de tes petits Enfans,
Qui comblant tes vieux jours de plaisir & de gloire,
Aux Peuples à venir porteront ton Histoire.
Que cette illusion a de belles couleurs,
Mais qu’elle cache, helas, de Serpens sous ces fleurs !
Que de soins importuns ! que de douleurs ameres
Agitent le sommeil des misérables Peres !
Quiconque est satisfait de vivre par autruy,
Fait si bien, qu’en effet il ne vit plus pour luy.
Mais, dis-tu, si chacun veut suivre ce caprice,
Il faut absolument que le Monde périsse.
Hé, crois-tu que du Ciel la souveraine Loy,
Pour le continuer, doive attendre apres toy ?
Mais passons, j’y consens, sur ces extravagances,
Il en est, dira-t-on, dont les hautes Sciences
Les mettent au dessus des injures du Sort,
Et qui malgré le vent, trouvent par tout le Port,
De qui la fermeté sans peine les délivre.…
Oüy, je crois que cela se trouve dans un Livre.
C’est là que ces Messieurs exposent à nos yeux
Le veritable Sage, & l’égalent aux Dieux.
C’est là qu’avec hauteur à nos yeux on étale
Les traits les plus touchans d’une fine Morale.
C’est là que l’on entend crier avec fierté,
Homme foible, pourquoy veus-tu ta liberté ?
Tandis qu’assujettis par leur propre manie
Ils n’oseroient gouster les plaisirs de la vie,
Et que se soûmettant à mille faux égards,
Ils se trouvent gesnez jusques dans leurs regards.
L’un, de ces visions se faisant une Idole,
Se tuë à soûtenir par des raisons d’Ecole,
Sans estre convaincu par ses propres travaux,
Que le Sage jamais ne doit sentir les maux,
Et d’un voile cachant son ame libertine,
Veut qu’un Chien n’ait point d’ame, & soit une Machine.
Cet autre tourmenté d’un desir curieux,
Veut aller sans respect foüiller jusques aux Cieux,
Et des Mistéres saints perçant le sombre voile,
Sçavoir pourquoy Dieu fit jusqu’à la moindre Etoile.
Hé, vivons en repos, cherchons-y les vray bien ;
Quand nous perdrons ces soins, l’Etat ne perdra rien.
Ne peut-on voir un Homme au gré de son envie,
De quelques jours heureux favoriser sa vie,
Et sans s’inquiéter des sottises d’autruy,
Malgré de vains Censeurs, vivre & mourir pour luy ?
Mais, direz-vous, je voy des Gens avec audace
Venir impunément me soûtenir en face,
Fiers de l’autorité de cinq ou six Pédans,
Des Propositions sans raison, sans bon sens.
Hé, laissez à son gré chacun se satisfaire.
Dequoy vous meslez-vous ? est-ce là vostre affaire ?
Pourquoy vous emporter ? estes-vous menacez
De rendre compte un jour de leurs esprits blessez ?
Si vostre sentiment n’est pas celuy d’un autre,
Souffrez-le, puis qu’enfin il souffre bien le vostre,
Et de vos sens suspects craignant la trahison,
Pesez-bien en effet s’il n’auroit point raison.
Que l’obstination jamais ne vous emporte,
Que la droite raison soit toûjours la plus forte ;
Sans songer au party que vous avez tenu,
Abandonnez le faux lors qu’il vous est connu.
Que rejettant le fard d’une Eloquence adrete,
En vous la Verité trouve un pur Interprete ;
Dans la bouche du Simple ayez à son aspect,
Quoy que dite sans art, un scrupuleux respect.
Songez qu’elle ne veut jamais estre adorée,
Que de sa nudité revestuë & parée ;
C’est aux seules erreurs qu’il faut des ornemens,
Pour cacher leur venin sous ces déguisemens.
Sans vous inquiéter, souffrez que l’on conteste,
Vostre avis est donné, le Ciel fera le reste.
Aussi-bien, toy qui veux que l’on suive tes pas,
Es-tu bien assuré que jusques au trépas,
Sans estre traversé par quelque nouveau doute,
Sans changer de chemin, tu suivras cette route ?
Dans un mois, dans huit jours, peut-estre avec horreur,
Toy-mesme tu seras honteux de ton erreur.
N’allons donc point, enflez d’une Science vaine,
Vanter la fermeté de la prudence humaine.
Avoüons sans rougir, que nos foibles esprits,
Du faux, comme du vray, sont au hazard épris.
Secoüons, s’il se peut, le pesant esclavage
Que nous veut imposer le grand titre de Sage.
Non, non, ne mettons point nos soins ambitieux
A vouloir que sur nous tout le monde ait les yeux.
Fuyons de cet écueil l’amorce dangereuse,
Sans le secours d’autruy rendons nostre ame heureuse ;
Et la santé dehors, & la Religion,
Croyons que tout n’est rien que pure opinion.

Air nouveau §

Mercure galant, septembre 1682 (première partie) [tome 9], p. 136-137.

Les Vers qui suivent ont esté notez par un fort habile Maistre. C´est assez dire à une Personne qui s´y connoist aussi bien que vous.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Ah, quand on aime tendrement, doit regarder la page 137.
Ah, quand on aime tendrement,
Que l'absence est triste & cruelle !
Mais que le retour est charmant,
Quand on retrouve un cœur fidelle !
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L’Amant à sa Raison trop severe §

Mercure galant, septembre 1682 (première partie) [tome 9], p. 145-163.

Quoy que le secours de la Raison soit d’un grand usage contre beaucoup de malheurs, elle est pourtant bien souvent l’ennemie de nos plaisirs. Voicy ce que luy fait dire Mr de Vin, Substitut de Mr le Procureur du Roy au Chastelet, par un Amant qui la trouve trop severe. C’est celuy dont je vous envoyay il y a six mois la galante Piece qui a pour titre, L’Amour devenu aveugle. Si l’exemple de Caton vous fait peine en celle-cy, parce qu’on l’y voit Amant de sa Femme, & que d’ordinaire l’amour d’un Mary n’est pas violent, songez qu’il dut aimer beaucoup Martia, puis que l’ayant cedée à Hortensius son Amy intime, il se fit un bonheur de la reprendre apres la mort de ce mesme Hortensius.

L’AMANT
A SA RAISON
TROP SEVERE.

Raison, tes beaux discours sont icy superflus,
Je suis las d’endurer tes mépris pour Elvire ;
Je l’aime, tu le sçais, que veux-tu donc me dire ?
 Retire-toy, je ne t’écoute plus.
Si tu le veux pourtant, parle-moy de la gloire,
Montre-moy le chemin du veritable honneur.
Je pourray lors & t’entendre, & te croire,
Mais fay grace à l’amour qui possede mon cœur.
***
Quoy, la voir sans l’aimer ! Le crois-tu donc possible,
 Et me prens-tu pour un Rocher ?
 Tu n’as rien à me reprocher,
 Je suis Homme, & partant sensible.
 J’ay résisté plus que je ne l’ay deû,
De ses premiers regards je me suis défendu,
 Et me flatant sous ta conduite
De pouvoir à la fin me sauver de ses yeux,
Je la fuyois d’abord, mais inutile fuite !
Je voyois Elvire en tous lieux,
Je rencontrois par tout ces redoutables yeux,
 Ces yeux trop ardens à ma perte.
Malgré tous mes efforts mon ame s’est ouverte
Aux feux qu’à tous momens ils me lançoient de pres ;
Et si j’en ay reçeu cette tendre blessure,
Ne m’en accuse point, mais blâme la Nature,
De m’avoir fait un cœur penétrable à leurs traits.
***
Tu m’as veutant de fois te recevoir pour guide,
I’ay suivy tes conseils en tant d’occasions,
Que je suis étonné de te voir si rigide,
Et consulter si peu mes inclinations.
Mais si je t’ay donné le meilleur de ma vie,
 Pour un peu de temps, je te prie,
 Laisse-moy, Raison, à ton tour
 Donner quelque chose à l’amour.
***
 A force d’estre raisonnable,
 Peu s’en faut qu’on ne le soit pas ;
Et si, comme il est vray, le Trop est condamnable,
L’excés qu’on fait de toy n’est pas plus pardonnable
 Que celuy d’un fameux Repas.
Tu te plains des Assauts que te livre la Table,
Et tu te sauves peu des bacchiques combats ;
 Mais à toy-mesme plus contraire,
 Tu te fais plus de mal cent fois,
Lors que ta politique inhumaine & severe,
S’obstine, & ne veut pas relâcher de tes droits.
***
 Renonce à tes dures maximes,
 Sois exacte, mais sans rigueur,
Et ne t’avise plus de nous faire des crimes
 De ce qui charme un tendre cœur.
 Ton autorité souveraine
S’établit en tous lieux par un peu de bonté ;
 Mais Tel qui te traite de Reyne,
Se revolte, & se rit de ta severité,
 Ou ne suit tes Loix qu’avec peine.
***
On se souvient encor du divin 2 Periclés,
Qui pendant un long3 Ministere
Ne termina sans toy jamais aucune affaire,
Qui te faisoit entrer dans les moindres projets
 Qu’il faisoit pour la République,
Qui t’employoit par tout jusqu’en son domestique,
Qui toûjours avec toy, toûjours laborieux,
Calma de ses Rivaux les soins ambitieux,
Qui fixa la Fortune à sa rare prudence,
Qui par sa vive, ferme, & fléxible éloquence,
Sçeut des Athéniens dompter l’esprit mutin,
Qui seul par ton secours évita le 4 destin
Des Chefs infortunez de ce Peuple volage,
 Et qui moins Orateur que Sage,
Fit servir à sa gloire, & le trouble, & l’orage
 Qu’excitoient les Séditieux.
Ce Periclés pourtant chez l’aimable Aspasie
 Portoit des desirs & des feux
 Que tu voyois sans jalousie.
Tu ne condamnois point les doux empressemens
 Du plus grand Homme de la Grece,
Et tu trouvois pour lors qu’il faut à la Sagesse
 Quelques tendres amusemens.
De la Tribune enfin passoit-il chez sa Belle,
Tu l’en applaudissois, il retournoit à toy
 Et plus constant, & plus fidelle,
 Et tu croyois de bonne-foy
Que ce peu de repos qu’il goustoit aupres d’elle,
Luy donnoit pour agir une force nouvelle.
 Tu le vis, & sans t’étonner,
Quand ce Peuple fougueux la vouloit condamner
 Sur quelque crime imaginaire,
Tu le vis s’abaisser jusques à la priere,
Exciter dans les cœurs quelque compassion,
De ses Concitoyens mandier le suffrage,
 Au milieu de l’Aréopage
Exposer en Amant toute sa passion,
Conjurer en tremblant cette injuste tempeste
Qui grondoit à grand bruit, qui menaçoit sa teste ;
 Tu le vis ce grand Periclés
De ses Iuges séduits détromper la foiblesse,
 Les adoucir pour sa Maîtresse,
D’un Iugement brigué s’allarmer du succés ;
 Douter mesme de la puissance
De cette souveraine & sublime Eloquence,
Qui pourtant jusqu’alors avoit tout surmonté,
 Et qu’il armoit pour sa défence ;
Se défier de tout, craindre l’autorité
 De cette Cabale ennemie,
Commettre en sa faveur & sa gloire, & sa vie,
Implorer sans espoir le secours de ses Dieux,
 Tu le vis les larmes aux yeux
Demander en un mot la grace d’Aspasie.
***
 Ton Caton, ton plus grand Héros,
N’a-t-il pas quelquefois soûpiré de tendresse,
Et ne s’est-il jamais aupres d’une Maîtresse
 Délassé de ses grands travaux ?
Donnoit-il tout son temps à la chose publique ?
Passoit-il au Sénat & la nuit, & le jour ?
 Non, non, par un charmant retour
Cet austere Caton, ce grave Politique,
Estoit Homme en secret, & dans son domestique
Ne se refusoit pas aux douceurs de l’amour.
Martia, tu le sçais, avoit pour luy des charmes ;
Tout occupé qu’il fut des soins d’un grand Etat,
Il joignoit dans son cœur l’Amant au Magistrat,
 Il sentoit de tendres allarmes,
Et de loin, de César prévoyant l’attentat,
Entre sa Femme & Rome il partageoit ses larmes.
***
 Pourquoy donc, cruelle Raison,
 Viens-tu toûjours hors de saison
 Traiter mon amour de foiblesse ?
 En estoit-ce une dans Caton,
 Luy ce modelle de sagesse,
 Luy que d’un si superbe ton
Cette Rome préfere aux Sages de la Grece,
 Enfin luy qui fut autrefois
Ton Favory, ton Tout, & l’appuy de tes Loix ?
***
 Estois-tu lors plus indulgente ?
N’envisageois-tu lors que sa vertu brillante,
Et tes yeux ébloüis en faveur d’un Héros
Vouloient-ils s’aveugler sur de petits defauts
 Où nous attache la Nature ?
Ah ! Raison, aujourd’huy trop severe & trop dure,
 Le Monde a-t-il changé depuis ?
Ton Caton, autrefois si sensible & si tendre,
N’estoit-il pas coupable, helas, si je le suis ?
Homme plus qu’il n’estoit, j’ay sujet de prétendre
 Un sort du moins égal au sien,
 Et mesme un peu plus d’indulgence.
 Mais quoy ? tu ne me répons rien,
 Que veut donc dire ce silence ?
 Est-il favorable à mes vœux ?
Ouy, je le vois. Enfin accordons-nous tous deux,
Cesse de condamner mes transports, pour Elvire,
Ton air froid l’incommode, elle aime trop à rire,
Et chez elle, s’il faut parler de bonne foy,
 On se passera bien de toy ;
 Par tout ailleurs, ah ! je te jure,
 Qu’exact, fidelle, & soûmis à ta Loy,
 Je t’obeïray sans murmure,
Et qu’autant mesme enfin qu’il dépendra de moy,
I’élevray si haut cette foible indulgence,
 Que pressez d’un commun desir,
Tes plus grands Ennemis se feront un plaisir
 De reconnoistre ta puissance.
***
 Que veux-tu ? S’ajuster au temps,
Et de facilité se faire une habitude,
 Croy-moy, Raison, c’est agir de bon sens,
 Car enfin force honnestes Gens
Te traitent de bizarre en te voyant si prude,
 Toûjours contraire à nos desirs.
 Ton œil enfoncé, triste & sombre,
Regarde avec chagrin nos innocens plaisirs.
On craint, lors qu’on te voit, de pousser des soûpirs ;
 Plus maigre & plus pâle qu’une Ombre
Que la noire Magie évoque des Enfers,
 Tu ne nous parles que des fers,
 Dont ou l’erreur, ou l’imprudence,
Charge un cœur, par l’amour ou surpris, ou séduit ;
On ne peut t’échaper, & lors que l’on te fuit,
Toûjours à contretemps tu viens par ta présence
 Effrayer les Ris & les Jeux
 Que nous inspire la Nature.
 Cependant, malgré ta censure,
Chacun, en les cherchant, croyant se rendre heureux,
On s’est fait dans le Monde une douce Morale
 Qui s’accommode à nos besoins ;
Et vouloir, comme toy, trancher de la Vestale,
 Ou condamner nos petits soins,
 C’est se donner bien de la peine,
Pour de tout l’Univers n’attirer que la haine,
 La raillerie, ou le mépris.
Veux-tu les éviter ? quitte cette méthode,
Fais moins contre nos cœurs de plaintes & de cris,
 Laisse-nous vivre à nostre mode,
Et sans chercher toûjours à nous faire la Loy,
 Sois plus souple, sois plus traitable ;
Pour moy, je n’ay jamais d’heure plus agreable
Que celle que je passe en rendez-vous sans toy.
***
 Quand je te mets de la partie,
I’en suis plus réservé, moins hardy, tout resveur.
 On me traite de Sénateur,
 Et ma Belle mal divertie
 D’un sérieux qui luy déplaist,
Prend sa Montre en baaillant, pour voir l’heure qu’il est,
 Chante sans dessein, ny mesure,
Change à chaque moment de place & de posture,
 Et ne me dit que trop des yeux,
Taisez-vous, Importun, sortez, vous ferez mieux.
Je ne t’en croiray plus, j’ay beau faire le sage,
 Je ne le suis jamais qu’en vain,
 Je n’en tire aucun avantage,
On me remet, helas, toûjours au lendemain,
Et toûjours à te suivre, incommode & chagrin,
 Je voy que les rebuts sont mon triste partage.
***
Je me trouve bien mieux de mes égaremens,
La rigueur qu’on m’oppose est par eux affoiblie,
Et ce que l’on refuse à tes froids mouvemens,
 Je l’emporte par ma folie.
 Mais, Raison, ne te fâche pas
 Si sans toy je fais mes affaires,
Dans ces petits plaisirs je ne demeure guéres,
Et toûjours l’œil sur toy, je reviens sur mes pas.

[Dialogue sur la Naissance de Mr le Duc de Bourgogne] §

Mercure galant, septembre 1682 (première partie) [tome 9], p. 177-191.

 

L’heureuse naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne a donné à tout le monde un empressement extraordinaire de marquer sa joye. L’Ouvrage qui suit a esté un des premiers qu’on ait présentez au Roy. C’est un Impromptu que l’impatience de montrer son zele n’a pû donner le temps de polir. Vous m’en manderez vostre sentiment. L’Autheur est de vos Amis. C’est tout ce que je vous en diray pour vous le faire connoistre.

SUR LA NAISSANCE
DE Mr LE DUC
DE BOURGOGNE.

 

La Gloire qui n’abandonne jamais le Roy, ayant accompagné ce Monarque dans la Chambre de Madame la Dauphine, pendant que cette Princesse estoit dans les douleurs de l’enfantement, voulut voir des premieres l’auguste Enfant qui faisoit l’attente de tous les François, afin qu’au premier instant de sa naissance elle pust faire passer dans son cœur tous les sentimens de grandeur & de justice qui ont rendu LOUIS LE GRAND l’admiration & l’étonnement de toutes les Nations. Monseigneur le Duc de Bourgogne eut à peine vû le jour, que la Gloire ayant executé ce qu’elle avoit résolu, demanda où estoit la Renommée. Elle s’étonna de son absence, & s’en plaignit assez hautement pour estre entenduë. Le monde fournit-il à present, dit-elle, quelque nouvelle assez grande pour donner de l’employ à la Renommée ? Est-il une Cour sur la Terre, qu’elle doive préferer à celle du Monarque des François, & n’y trouve-t-elle pas d’assez illustres Matieres pour l’occuper entierement ? Elle n’eut pas sitost achevé ces mots, qu’elle vit paroître la Renommée, mais toute lasse & toute abatuë. D’où vous vient cette paresse, luy dit-elle, & pourquoy cet air remply de langueur, quand vous ne devez avoir que de la joye ? La Renommée ne demeura pas sans réponse, & voicy de quelle façon elles se parlerent.

LA RENOMMÉE.

 

J’ay fait tant de fois le tour du Monde depuis quelque années, & ces longs voyage m’ont tellement fatiguée que la joye de mon cœur ne peut passer jusqu’à mon visage. Je ne me sens plus assez de force pour supporte de si grandes peines, & je crains d’estre bien-tost obligée d’abandonner mon employ. Les plus fameux Héros de l’Antiquité ne m’ont pas ensemble donné tant d’occupation pendant leurs plus rudes Guerres, qu’a fait le Grand Roy qui nous attire icy l’une & l’autre, depuis la Paix qu’il a bien voulu donner à l’Europe. J’avois crû d’abord que ce devoit estre un temps de repos pour moy. Cependant depuis cette Paix qui n’a point d’exemple dans les Siecles précedens, ce Monarque n’a pas laissé de marquer ses jours par des actions si dignes d’estre admirées, que les moins brillantes ont merité que je fisse le tour de la Terre pour les annoncer. On diroit qu’il s’étudie tous les jours à chercher quelque moyen de répandre de nouvelles graces sur ses Sujets, puis qu’il en a trouvé qui ne sont jamais entrées dans l’esprit des Hommes. Les Académies que ce modelle des Roys vient d’établir à Metz, & à Tournay, en faveur de la Noblesse, justifient ce que je dis, aussi-bien que tout ce qu’on luy voit faire chaque jour pour la véritable Religion. Je dis chaque jour, & je parle instruite, parce que j’en ay de fidelles Mémoires, & que je viens de faire connoistre dans les Climats les plus éloignez toutes les Actions de cette nature que ce Prince a faites, & beaucoup d’autres encor, dont la moindre pourroit suffire à faire un Héros.

LA GLOIRE.

 

Pouvez-vous, ayant une si parfaite connoissance de tant de merveilles, vous empescher de retourner aux deux bouts du Monde, pour y publier qu’il est né un Prince de l’auguste Sang de ce Monarque ?

LA RENOMMÉE.

 

On y sçait déja cette nouvelle, parce qu’on y sçait dans quel temps la France attendoit un Gage de l’amour de son Dauphin, & d’une des plus accomplies Princesses de la Terre. Ainsi j’ay vû les Peuples persuadez en tous lieux, qu’un Prince seroit le premier fruit de leur Mariage. Il vous est aisé de concevoir ce qui leur a fait tenir pour infaillible une chose qui sembloit estre incertaine. L’Empereur des François souhaitoit d’avoir un Petit-Fils, & ils n’ont point douté que ses vœux ne dûssent estre exaucez, sçachant que ses vertus luy ont rendu le Ciel favorable, & qu’un Prince qui soûtient si dignement le glorieux Titre de Fils Aîné de l’Eglise, ne manque jamais de voir ses souhaits remplis, quand il n’en forme que pour le bonheur de ses Etats.

LA GLOIRE.

 

Je croy comme vous, que tous les Peuples de la Terre estant convaincus que le Ciel exauceroit les vœux d’un Monarque avec lequel il semble estre d’intelligence, ils ne doutent point que la France n’ait présentement un nouveau Prince ; mais vous devez vous donner le plaisir de leur aller confirmer vous-mesme ce qu’ils ont pensé. La connoissance qu’ils ont de tout ce qui a fait mériter le surnom de Grand à l’Invincible Souverain dont nous parlons, leur doit faire esperer beaucoup de son Petit-Fils. Mais afin qu’ils soient pleinement persuadez de ce qu’on en doit attendre, entretenez-les de l’auguste Dauphin de France. Parlez-leur de son adresse admirable à manier un Cheval. Dites-leur qu’il est infatigable dans tous les exercices du Corps. Instruisez-les de la connoissance qu’il a des beaux Arts. Apprenez-leur que son Cabinet est remply d’un nombre infiny de Raretez, qui sont autant de chef d’œuvres, dont il connoist toutes les beautez, & dont il peut juger encor plus en Maistre de l’Art qu’en Prince, puis qu’il dessigne parfaitement bien, & qu’il a mesme gravé quelques Planches. Ne manquez pas à leur faire connoistre que les Sciences les plus relevées luy sont familieres, & qu’il possede les Poëtes & les Historiens d’une maniere qui cause autant d’admiration que de surprise, puis qu’il les cite souvent fort à propos, quoy qu’il ne les ait point lûs depuis plusieurs années. Enfin pour mettre la derniere main à vostre Eloge, & le comble à sa gloire, faites-leur bien remarquer qu’il est l’exemple des Princes de son âge, qu’il est d’une sagesse éprouvée, & qu’il paroist Fils de Loüis le Grand par ses vertus, comme il l’est par sa naissance.

LA RENOMMÉE.

 

Tout ce que vous venez de me dire, me donne tant de joye, & m’anime de telle maniere, que je sens renaître mes forces pour en aller porter les nouvelles aux deux bouts du Monde. Adieu, je parts, & prétens devancer tous les Courriers qui sont partis avant moy.

La Renommée s’envola apres ces paroles, & la Gloire suivit le Roy.

[Avantures] §

Mercure galant, septembre 1682 (première partie) [tome 9], p. 191-198.

 

Quoy que les jugemens de Dieu soient impénetrables, il est difficile de ne pas croire qu’une mort funeste qui suit une vie pleine de scandales, en est la punition. Ce que je vay vous conter, est un exemple terrible, dont les Impies pourront faire leur profit. Il y a quelques années que trois jeunes Etrangers estant venus à Lyon, prirent le dessein de s’y établir. Ils se mesloient de Peinture, estoient tous trois fort bien faits de corps, & s’appelloient Freres, soit qu’en effet ils le fussent, soit que l’amitié qui les unissoit les eust obligez à se donner l’un l’autre ce nom. S’il passoit quelque Sçavant par cette fameuse Ville, ils s’empressoient aussitost à le chercher, & le régaloient chez eux magnifiquement, sans qu’on ait pû découvrir, ny d’où ils estoient, ny sur quel fond ils pouvoient fournir aux grandes dépenses qu’on leur a veu faire. Ils avoient beaucoup d’esprit, mais peu de Religion. Au moins cela paroissoit par quelques discours qui leur échapoient. Leur vie estoit extrémement libertine. Je n’en sçay point le particulier. Je sçay seulement qu’ils sont morts tous trois depuis peu de temps, de la maniere que je vay vous dire. Le premier, voyant donner la Question à un Criminel, en fut saisy de frayeur, & cette frayeur luy ayant fait faire un faux pas, il tomba à la renverse, se cassa la teste, & mourut du coup dans le mesme instant. Le second, voulant embrocher une Eclanche qu’il prit par impatience des mains d’un Valet, mit le manche de la Broche contre la muraille, & l’Eclanche contre son estomac. Il poussa en suite avec tant de violence, qu’il s’embrocha malheureusement luy-mesme, & mourut aussi sur l’heure, sans avoir pû proférer aucune parole. Le troisiéme alla sur la fin du mois de Juin passer quelques jours chez un Curé à une lieuë de la Ville. Il se promenoit avec luy dans son Jardin, quand s’arrestant tout-à-coup, il regarda fixement le Ciel pendant un demy-quart-d’heure, puis il s’écria, Je suis mort, je suis mort. Dans une heure je ne seray pas en vie. Ma Cassette, ma Cassette, Mr le Curé, ma Cassette. On alla querir cette Cassette, qui l’acompagnoit toûjours en quelque lieu qu’il allast. Il l’ouvrit, en tira plusieurs petits papiers, & un autre de sa poche, demanda de la lumiere, & les brûla tous ; apres quoy il jetta cette Cassette, en disant, ma Cassette au Diable. Cela estant fait, il regarda de nouveau le Ciel, & dit comme auparavant, Je suis mort, je n’ay plus que quelques momens à vivre. Le Curé luy dit qu’il s’inquiétoit mal-à-propos, qu’il se portoit bien, & qu’il n’avoit point de fiévre. Il continua toûjours à dire qu’il estoit mort ; surquoy le Curé luy conseillant de se confesser, puis qu’il se croyoit si prest de mourir, il luy répondit, Je me confesseray demain, je suis mort ; & en disant ces paroles, il tomba mort effectivement. J’ay leû ce que je vous dis dans une Lettre qu’a écrite icy le Supérieur d’une des Maisons les plus réformées de Lyon. Il marque qu’il a connu ces trois Freres, qu’il leur a parlé plusieurs fois, & qu’il les a mesme employez pour quelques Tableaux. Ces morts funestes m’ont esté confirmées de bouche par des Personnes tres-dignes de foy, venuës icy de Lyon depuis peu de jours.

Le Chat, et le Coq. Fable §

Mercure galant, septembre 1682 (première partie) [tome 9], p. 202-205.

 

La nouvelle Fable que je vous envoye, est de la façon de Mr Daubaine.

LE CHAT,
ET LE COQ.
FABLE.

Un Chat parmy les Chats tranchant du necessaire,
 Faisoit le Rominagrobis.
Il faut, dit-il un jour, changer nôtre ordinaire,
 Et laisser aux Chats du vulgaire
Le plaisir de manger des Rats & des Souris.
Dans ce dessein, comme Esope le conte,
Il se rend au Marché pour y faire son compte ;
Phedre le fait aller dans une Basse-Cour.
 Quoy qu’il en soit, du premier tour
 Il voit à foison dequoy prendre,
 Et d’un vieux Coq il se saisit.
Quelque jeune Poullet auroit esté plus tendre ;
Mais les Chats aiment tout quand ils ont appétit.
Pendant qu’il tient ce Coq, qu’il le pince & le plume.
Quand perdas-tu, dit-il, ta maudite coûtume,
 De crier dés le point-du-jour ?
 A peine ton Maistre sommeille
Que ton cry fâcheux le réveille.
Ingrat ! Je vais t’apprendre à faire mieux ta cour.
***
 Vous condamnez ce qui fait mon mérite,
Répond le Coq ; & si dans la Maison
 A quelque chose je suis bon,
C’est quand mes petits soins font que mon Maistre quitte
 Le repos qu’il prenoit au lit ;
Plus il fait de travail plus il a de profit.
***
Sur ce raisonnement le Chat n’eut rien à dire.
 Il s’y prit d’une autre façon.
 A tout âge, en toute saison,
Luy dit-il, une Femme au plus devroit suffire ;
 Et cependant, voluptueux,
 Tu vas jusques à l’infâmie.
 Refléchis un peu sur ta vie.
Ravisseur, Adultere, & mesme Incestueux.
 De crime en crime tu la roules.
D’aimer trop mes plaisirs vous me blâmez en vain,
Repart le Coq au Chat, & mon Maître a le gain
 De tous les œufs que luy pondent ses Poules.
Contre cette replique aurez-vous des raisons ?
Oüy j’en ay, dit le Chat. Si tu les veux apprendre,
Ce sont celles du Loup qui mange les Moutons,
Ou celles que le Fort au Foible a droit de rendre.
 Le Coq eut beau recourir au Caquet,
 Le Chat glouton l’étrangla net.

[Divertissemens de la Cour de Hanover] §

Mercure galant, septembre 1682 (première partie) [tome 9], p. 205-210.

 

La Cour de Hanover estant une des plus galantes Cours d'Allemagne, je continuë à vous en apprendre les Divertissemens. Le Mercredy 8. du dernier mois, Mr le Baron de Platen, dont je vous ay parlé plusieurs fois, régala Leurs Altesses de Hanover, avec Madame la Princesse & Messieurs les Princes, dans sa Maison de plaisance, qui est à une portée de Canon de la Ville. Il y fit venir quantité de petites Pieces de campagne, qu'on plaça dans le Jardin, & on beuvoit toutes les santez au bruit de trois décharges de toute cette Artillerie. On n'oublia rien pour donner de l'éclat à cette Feste. Les Trompetes & les Timbales s'y firent entendre, aussi-bien que les Hautbois, & les Flûtes douces ; & les Violons François acheverent de charmer cette illustre Compagnie, qui prit grand plaisir à les écouter pendant le Repas.

Le Dimanche 19. du mesme mois, Monsieur le Duc, & Madame la Duchesse de Hanover, qui ont esté prendre l'air de la Campagne à Hircham depuis quelques temps, vinrent à Hanover faire leurs dévotions accoûtumées. Ils y prirent le divertissement de la Comédie Françoise, & ensuite on leur donna un tres-beau Feu d'artifice, qui fut admirablement executé, & qui dura une heure & demie. On vit en l'air des combats de feu tres-surprenans, & il y en eut sur terre & sur l'eau, qui donnerent beaucoup de plaisir à cette Cour. Un Arc de triomphe, brillant de clartez par tout, parut pendant tout le temps de ce Spectacle. Les Armoiries de Leurs Altesses de Hanover estoient sur le Frontispice, avec plusieurs Chifres de leurs noms agreablement formez, & colorez d'un bleu lumineux, qui devint enfin une éclatante lumiere. Deux Colomnes de cette même Architecture lumineuse, accompagnoient de costé & d'autre ce brillant Portique. Il y eut un Cygne remply d'artifice, qui se promenant sur l'eau sous les Fenestres du Palais, jetta mille feux de toutes parts. Ces feux qui entroient dans l'eau, en sortoient un peu apres avec quantité de serpenteaux, qui sembloient courir l'un apres l'autre, & qui ensuite s'élevant en l'air, furent un charme pour les Spéctateurs. Monsieur le Duc de Hanover fut si satisfait de ce divertissement, qu'il en commanda un semblable pour une autre occasion.

[Feste celebrée par les ordres de Madame de Souvray] §

Mercure galant, septembre 1682 (première partie) [tome 9], p. 210-213.

 

Madame de Souvray, Abbesse de Villers Canivet, dont je vous parlay amplement il y a trois moisI, reçoit tous les jours de nouvelles marques de l'estime que l'on fait de sa vertu, & de son mérite. Mr l'Evesque de Rennes, Mr le Comte de Nancrey, Gouverneur d'Arras, Mr le Comte & Madame la Comtesse d'Aubigny, Mr le Baron de Neufvillette ; & enfin tout ce qu'il y a de Personnes considérables dans le Païs, luy envoyerent faire compliment le jour de Sainte Anne, qui est sa Patronne. Cette Feste fut celebrée par ses ordres avec une magnificence digne d'elle. Tout ce qui concerne les cerémonies de l'Eglise, y fut observé ainsi qu'on a coûtume de faire dans les plus grandes solemnitez, & les Voix charmantes des Religieuses formerent une Musique qui égaloit les plus doux Concerts. Il y eut un Festin tres-somptueux, non seulement pour un fort grand nombre de Personnes invitées, mais encor pour ceux que le bruit de cette Feste avoit attirez. Tous les Sujets & Vassaux des Baronnies de Villers-Canivet, & de Lessart, ayant pris les Armes, contribuerent à l'éclat de cette Feste par plusieurs décharges de leurs Mousquets dans la Court de l'Abbaye. Vous jugez bien qu'elle ne se passa pas sans que cette illustre Abbesse reçeut quantité de Vers à sa loüange. Elle eut sur tout grand sujet d'estre contente de ceux que luy envoya la spirituelle Madame de Maherû, Religieuse de Vignas. C'est une Abbaye Royale à deux ou trois lieuës de Villers-Canivet, dont Madame de Tessé Frouley est Abbesse.

[Histoire] §

Mercure galant, septembre 1682 (première partie) [tome 9], p. 213-223.

 

Il est bien avantageux de n’aimer pas si aveuglement, qu’on ne conserve toûjours un peu de raison. Vous le connoistrez par le détail que je vous vay faire. Un Cavalier à qui de tres-belles actions avoient acquis justement le titre de Brave, s’attacha aupres d’une jolie Veuve, dont il essaya de gagner le cœur. Il crut n’y pouvoir mieux réüssir qu’en s’appliquant a étudier ce qui luy plaisoit. Elle estoit portée à la dépense. Il en fit pour elle, & l’instruisit de sa passion par de galantes Parties, où rien n’estoit épargné de ce qui pouvoit les rendre éclatantes. Ces marques d’amour qu’il luy donnoit à grand bruit, flatoient la vanité de la Belle. Elle les payoit par beaucoup de complaisances ; & si dans ce temps il eust voulu s’expliquer pour le Sacrement, il y a grande apparence qu’on l’eust écouté avec plaisir. Mais quoy que tres-amoureux, il raisonna sur les suites. On luy apprit que la Dame n’avoit pas vécu en trop bonne intelligence avec son premier Mary, parce qu’il ne soufroit pas qu’elle changeast tous les jours d’Habit, ny qu’elle eust des Meubles aussi somptueux qu’elle les vouloit avoir. Cet exemple luy fit peur, & cette crainte ayant rallenty sa passion, il commença à se montrer moins prodigue, & par conséquent à plaire moins. Comme elle n’eut plus les mesmes égards pour luy dés qu’elle l’eut vû changer de conduite, elle luy laissa paroistre beaucoup de défauts qu’il n’avoit point apperçeus d’abord. Ces défauts le guérirent tout-à-fait, & il estoit prest de se retirer, quoy que les dépenses qu’il avoit faites luy tinssent un peu au cœur, lors qu’un jeune Gentilhomme, maistre de luy-mesme, & ayant beaucoup de bien, fut introduit chez la Dame. Il le laissa s’embarquer, & feignit de ne point voir l’attachement qu’il prenoit pour elle. Le jeune Amant donna d’abord dans son goust. Il fut libéral, alla au devant des agreables Parties, & fournit à tout avec des marques de joye qui luy gagnerent bien-tost le cœur de la Belle. Ils s’asseurerent d’une mutuelle passion, & si le nouvel Amant n’eust point craint le Cavalier, qui avoit ses veuës en continuant à estre assidu, le mariage l’eust bientost rendu heureux. Le Cavalier s’apperçeut qu’on le craignoit, & c’estoit ce qu’il avoit prétendu. Deux mois se passerent sans que les choses changeassent d’état. La Dame traitoit brusquement le Cavalier pour le bannir de chez elle, & il donnoit à ces brusqueries le nom de faveur pour n’avoir pas lieu de s’en fâcher. Enfin ayant remarqué que son Rival s’enflâmoit de plus en plus, par les obstacles que la continuation de ses soins apportoit à son bonheur, il luy dit un jour qu’il s’apercevoit depuis quelque temps qu’il aimoit la Dame ; qu’il estoit fâcheux que deux Gentilshommes eussent formé le mesme dessein ; que cependant l’un des deux devant ceder, il estoit juste qu’on laissast l’aimable Veuve en liberté de choisir, & qu’il le croyoit assez raisonnable pour consentir comme luy à la rendre Arbitre de leur fortune ; mais qu’ayant fait l’un & l’autre beaucoup de dépense pour luy marquer leur amour, la mesme justice vouloit que le Malheureux fust indemnisé, & que peut-estre il parloit contre luy-mesme, puis que l’ancienneté de ses services luy devoit faire esperer que la preférence luy seroit donnée. Le jeune Amant, qui se tenoit seûr du cœur de la Belle, & qui n’osoit rien conclure par la crainte de s’attirer une affaire qui pouvoit avoir des suites fâcheuses, fut ravy de l’ouverture que luy fit le Cavalier. L’argent qui le défaisoit d’un redoutable Rival, luy estoit fort peu considérable. Il approuva ce qu’il avoit proposé, & s’estant donnez parole de vivre toûjours Amis, quelque choix que fist la Dame, ils arresterent que le Malheureux recevroit cinq cens Loüis de celuy qu’elle voudroit preférer, & ne se quiterent point qu’apres en avoir passé un Acte pardevant Notaires. Ce fut alors que le jeune Amant crut avoir pris son Rival pour dupe. Comme il ne craignoit plus rien de luy apres l’accord qu’ils venoient de faire, il redoubla ses soins aupres de la Belle, & n’eut pas de peine à obtenir qu’elle s’expliquast en sa faveur. Le Cavalier en fut instruit & par elle-mesme, & par son Rival, qui le pria de se souvenir de ce qu’ils s’estoient promis sur cette affaire. Il tâcha de prendre un visage consterné, poussa quelques faux soûpirs, & ayant reçeu la somme dont ils estoient convenus, il laissa la Veuve au jeune Amant, qui l’épousa quelques jours apres. Ils aiment tous deux la grande dépense, & rien n’est égal à celle qu’ils font. Quoy que le Mary soit riche, on doute fort qu’il la puisse soûtenir longtemps sans mettre ses affaires en désordre. Jugez de la joye du Cavalier de s’estre tiré si à propos d’un engagement, dangereux pour luy de toutes manieres.

[Tout ce qui s’est passé à Constantinople […]] §

Mercure galant, septembre 1682 (première partie) [tome 9], p. 223-287.

 

Vous vous souvenez, Madame, de la fermeté avec laquelle je vous appris dans ma Lettre de Fevrier dernier, que Mr de Guilleragues Ambassadeur de France à Constantinople, avoit soûtenu ce qui s’estoit fait devant l’Isle de Chio, contre les Corsaires de Tripoli. Je vous fis part dans le mesme temps, des Articles de la Paix concluë avec eux par Mr du Quesne, de la maniere la plus glorieuse qu’il pouvoit le souhaiter. Le Grand Visir, & les autres Ministres de la Porte, ayant employé inutilement toute sorte de moyens pour obliger cet Ambassadeur à reparer les dommages de Chio, pour lesquels ils demandoient que l’on payast sept cens Bources de cinq cens Ecus chacune, ils avoient esté contraints de se contenter de son Billet, par lequel il promettoit de faire dans quelques mois un Présent au Grand Seigneur de certaines Raretez qui luy seroient agreables. Le temps est venu de satisfaire au Billet ; & Mr de Guilleragues n’ayant rien promis qu’en son nom seul, voicy comment il a terminé cette grande Affaire.

Le Grand Visir ayant sçeu en quoy ce Présent devoit consister, le trouva tres éloigné des prétentions qu’on avois euës, & ne pouvant croire que Mr l’Ambassadeur voulust pousser jusqu’au bout l’inébranlable assurance qu’il avoit toûjours marquée, il résolut de faire un dernier effort, pour le porter à une augmentation dont le Grand Seigneur eust sujet d’estre content. Ainsi le 29. d’Avril dernier, il luy envoya l’Effendi des Chiaoux, qui est le second Officier de ce Corps. L’Effendi, accompagné de Mauro Cordato, Drogman, ou Interprete de la Porte, luy vint demander, si apres ce qu’on luy avoit fait connoistre des fâcheuses suites qu’auroit son refus, il demeuroit dans la résolution de n’ajoûter rien à son Présent ; & sur ce que Mr de Guilleragues luy témoigna qu’il estoit fort inutile de luy parler tant de fois de la mesme chose, il recommença tout de nouveau à exagérer l’affront que la Religion & l’Empire Otoman avoient reçeu par les canonnades de Chio ; luy représenta Sa Hautesse dans une colere, que la satisfaction de l’entier payement des sept cens Bources pourroit à peine appaiser ; & finit, en luy disant, que quand l’estime qu’on avoit pour sa Personne faisoit consentir à relâcher quelque chose, il devoit répondre à des sentimens si favorables, en augmentant son Présent jusqu’à ce qu’on luy dit que c’estoit assez ; qu’il empescheroit par là qu’on n’en vinst aux violences dont on l’avoit menacé, & que tout estoit à craindre, s’il ne prenoit ce party. Ces discours réïtérez n’ébranlerent point cet Ambassadeur. Il dit, qu’ayant promis de donner des choses rares & curieuses, elles ne devoient point exceder les forces d’un Gentilhomme ; qu’ayant fait tout ce qu’il pouvoit faire, la Porte en devoit estre contente, & que le Visir pouvoit prendre contre luy telles résolutions qu’il luy plairoit, puis qu’il n’avoit rien davantage à dire. En se séparant de l’Effendi, il l’avertit de deux choses ; l’une, qu’estant incapable de s’intimider, quand mesme il faudroit donner sa teste, on perdoit du temps à luy faire des menaces ; & l’autre, que les François estoient tellement charmez de la grandeur, de la bonté, & des autres admirables qualitez de leur Empereur, qu’ils se faisoient un plaisir d’exposer pour luy leurs libertez & leurs vies ; & qu’en France, lors qu’un Homme de qualité avoit l’avantage de mourir en servant son Prince, on regardoit cette mort comme un honneur dont on alloit féliciter ses Parens.

Depuis le jour de cette visite, il ne s’en passa aucun sans que les Drogmans de Mr de Guilleragues se montrassent à la Porte, non pour y rien proposer de plus que ce qu’il avoit proposé luy-mesme, mais seulement pour se présenter, & faire voir qu’il ne craignoit point les Déliberations qu’on y pouvoit prendre, puis qu’il marquoit, en envoyant ses Drogmans, l’impatience qu’il avoit de les sçavoir. Ils luy rapportoient toûjours quelque fâcheuse réponse ; & la moindre violence où l’on devoit se porter, estoit de le conduire en prison, & de saisir les Effets de tous les Marchands François. Il soufrit cette menace pendant quelques jours ; mais enfin ayant appris que la résolution avoit esté prise de l’envoyer aux Sept Tours pour un peu de temps, afin d’éprouver si sa fermeté n’en seroit point ébranlée, il ordonna aussitost à ses Drogmans d’aller trouver le Kiaïa, pour luy dire qu’on diféroit inutilement ce qu’il sçavoit qu’on vouloit exécuter ; qu’il estoit tout prest d’aller aux Sept Tours, & qu’on n’avoit qu’à le venir prendre pour l’y conduire ; mais qu’il se croyoit obligé de l’avertir, que quand il y seroit une fois entré, il ne seroit pas si facile qu’on pensoit de l’obliger d’en sortir ; que les ordres du Visir, & mesme du Grand Seigneur, ne suffiroient pas pour le retirer de cette Prison, & qu’il y demeureroit jusqu’à ce que l’Empereur son Maistre luy en fist ouvrir les Portes. Une si hardie déclaration avoit dequoy arrester l’effet des desseins qu’on pouvoit avoir formez ; & comme il craignit que ses Drogmans n’osassent parler aussi fortement qu’il le souhaitoit, il leur donna un Ecrit contenant les mesmes choses, pour luy oster le pouvoir d’en rien suprimer. En mesme temps il se fit tenir des Chevaux prests, afin de ne faire pas attendre ceux qui viendroient l’appeller.

Le Kiaïa surpris de ce que luy dirent les Drogmans, le fut beaucoup davantage du Billet qu’ils luy porterent. Il eut pendant un quart d’heure les yeux attachez dessus, & son silence fit assez paroître son étonnement. Celuy du Visir ne fut pas moindre. Cependant, comme il s’agissoit de se conserver, ou de rompre avec la France, selon qu’il seroit violent ou moderé, il laissa passer encor quelques jours sans rien dire à Mr l’Ambassadeur. Les manieres de la Porte luy estoient connuës, & comme il sçavoit qu’elle suit sous ce Visir une Politique extraordinaire, cette conduite ne luy répondoit de rien.

Les choses demeurerent en cet état jusqu’au 9. de May. Ce jour-là, sur les six heures du soir, les Drogmans furent appellez chez le Kiaïa avec grand empressement. Il leur demanda si Mr l’Ambassadeur n’ajoûteroit pas quelque chose à son Présent ; & les Drogmans ayant répondu qu’il leur paroissoit toûjours fort éloigné de le vouloir faire, il leur donna ordre de le sçavoir plus précisément, & de luy en donner réponse. Ils revinrent le lendemain au matin, & luy dirent de la part de Mr de Guilleragues, qu’il ne falloit point luy demander qu’il augmentast ses Présens, qu’ils estoient tels qu’il les devoit faire, & qu’il ne pouvoit y rien ajoûter. Le Kiaïa ne croyant point que sa derniere résolution fust prise, chargea les Drogmans de le presser de nouveau sur cette augmentation ; & afin qu’il eust le temps d’y penser, il luy accorda deux jours pour déterminer absolument ces qu’il luy seroit important de faire. Ce delay fut inutile. Mr de Guilleragues fit toûjours paroître une égale fermeté ; & la nouvelle menace qui luy fut faite quelques jours apres de la prison des Sept Tours, ne pût l’obliger à changer de sentimens. Enfin ses Drogmans luy ayant dit que le Grand Visir l’envoyeroit chercher pour apprendre de luy-mesme ce qu’il avoit résolu, il leur ordonna de luy aller déclarer qu’il ne vouloit point luy parler debout, comme il avoit fait lors qu’il avoit esté question de l’Affaire de Chio, & qu’il soufriroit plutost la mort, que de consentir à prendre place au bas du Sopha.

Le 20. du mesme mois, il fut averty par ses Drogmans sur les huit heures du matin, de se tenir prest pour aller chez le Kiaïa, où l’on devoit venir le prier de se vouloir rendre. Il estoit déja à demy préparé pour partir, lors que l’Effendi des Chiaoux arriva seul pour luy faire ce message. Mr de Guilleragues l’ayant assuré qu’il se mettroit en chemin peu de temps apres, cet Officier alla l’attendre à la Marine, du costé de Constantinople ; & Mr l’Ambassadeur ayant achevé de se préparer pour cette entreveuë, sortit à dix heures de son Palais, accompagné seulement de Mrs Fornetti, Fontaine, & Perruca, ses Drogmans ; de Mr Hermage son Medecin ; de Mrs Fabre & Sougla, Marchands ; de son Valet de Chambre, & de quatre Valets-de-pied. Il ne voulut pas une Suite plus nombreuse, parce qu’on l’avoit prié de ne mener avec luy que dix Personnes. Sa contenance estoit assurée, & il marquoit un air libre, qui l’a fait d’autant plus admirer, qu’on a sçeu depuis qu’il avoit appris ce mesme jour par deux avis diférens, que dans un Conseil tenu, le Visir avoit fait prendre la résolution de l’envoyer aux Sept Tours. Cette nouvelle dont il ne fit part ny à sa Famille, ny aux Marchands, ne luy causa aucun trouble, & il partit à cheval avec un visage calme, quoy qu’il ne doutast en aucune sorte qu’on ne l’appellast pour l’arrester. Estant arrivé à Tophana, où est l’Arsenal du Grand Seigneur, il mit pied à terre, & passa dans une Caïque à Constantinople. Il y trouva un autre Cheval qu’on luy tenoit prest ; & l’Effendi des Chiaoux qui l’attendoit là, le conduisit au Serrail du Grand Visir, qui est au dessous de la Mosquée, qu’on appelle la Solimanie. Lors qu’il fut entré, il l’introduisit dans l’Apartement du Kiaïa, avec lequel estoient le Reïs Effendi, le Chiaoux Bachi, & un autre Officier. Mr l’Ambassadeur y fut suivy de ses trois Drogmans, de son Medecin, des deux Marchands, & de son Valet de Chambre, qui se tinrent tous debout derriere son Siege.

Le Kiaïa commença son discours par une nouvelle exagération du dommage de Chio, de l’indignation de Sa Hautesse, & du mécontentement de tous les Grands de la Porte. Mr de Guilleragues, à qui ce commencement fit croire qu’on avoit dessein de pousser l’Affaire à bout, répondit de la maniere du monde la plus intrépide. Il fit voir avec combien de justice l’Empereur son Maître avoit résolu la punition des Corsaires de Barbarie, & qu’on ne pouvoit examiner le procedé de Mr du Quesne, sans demeurer convaincu qu’on n’avoit eu aucune pensée de donner au Grand Seigneur les sujets de plainte que l’on prétendoit. Le Kiaïa, qui à la chaleur que Mr de Guilleragues faisoit paroître, s’aperçeut qu’il n’estoit pas disposé à rien accorder de plus que ce qu’il avoit offert, commença de prendre un ton plus doux, parlant neantmoins d’une maniere qui faisoit connoître, qu’on s’obstineroit à demander qu’il augmentast son Présent. Il l’assura de l’estime particuliere du Visir, qui ne pouvoit assez admirer la conduite avec laquelle il avoit agy dans cette Affaire ; & apres luy avoir dit que de sa part ne souhaitant rien avec plus d’ardeur que de la voir terminée, il ne négligeoit aucune chose qui pust y contribuer, il ajoûta que tous ses soins ne produiroient rien, s’il n’en hâtoit le succés, en faisant un offre plus considérable, & qu’il n’avoit aucune raison de s’en dispenser, puis que par les termes mesmes de son Billet, il s’estoit engagé à faire un Présent qui fust agreable au Grand Seigneur. Mr l’Ambassadeur répondit sur ce dernier point, qu’il entendoit le mot d’agreable autrement qu’on ne l’expliquoit à la Porte ; que ce qu’il avoit promis devoit estre composé de choses que Sa Hautesse agréeroit comme belles, rares, & curieuses, & non comme riches & d’un prix extraordinaire ; & qu’un Gentilhomme ne pouvoit avoir assez de présomption, pour croire qu’aucun Présent offert de sa part pust estre digne d’un Empereur aussi magnifique que le Grand Seigneur. Le Kiaïa l’ayant prié de vouloir mieux voir à quoy ses refus pourroient porter le Visir, il répondit qu’il ne luy restoit plus rien à examiner sur cette Affaire, & qu’on auroit pû ne le faire pas venir, puis qu’on n’avoit à luy dire que ce qu’on luy avoit déja dit plus d’une fois. Le Kiaïa luy dit encor, qu’il devoit garder plus de modération dans ses réponses. Il repliqua, qu’il se ménageoit suivant les propositions qui luy estoient faites ; & comme le Kiaïa, & les autres Officiers, le regardoient fixement, il leur fit dire que leurs regards si attachez sur sa personne pour découvrir ce qu’il pensoit, ou pour luy donner quelque frayeur, estoient incapables de le surprendre ; qu’il avoit dit tout ce qu’il avoit à dire, & qu’il leur déclaroit encore une fois, que son Présent allant au dela du pouvoir d’un Gentilhomme, on ne devoit point prétendre qu’il songeast à l’augmenter. Le Kiaïa luy fit entendre que l’on s’étonnoit de ce qu’il n’avoit point eu réponse de France ; mais que cela ne devoit point empescher l’accommodement, puis qu’il pouvoit prendre les Effets des Marchands François dans toutes les Echelles. Mr de Guilleragues répondit, que le Présent qu’il avoit promis, ne regardant que luy seul, rien ne l’avoit obligé d’en avertir l’Empereur son Maître, & qu’on devoit craindre l’indignation d’un si grand Prince, s’il apprenoit que l’on s’obstinast à luy proposer de pareilles choses. Alors le Kiaïa désesperant de venir à bout de l’ébranler, voulut l’obliger à voir le Visir ; mais il refusa d’aller trouver ce Ministre, non seulement par le bruit qu’on devoit attendre de leur entretien, mais parce qu’il ne vouloit ny parler debout, ny hors du Sopha. Cet Officier ne l’en pressa pas davantage, & dit seulement qu’il faudroit chercher quelques accommodemens sur cette difficulté. Ainsi voyant que c’estoit inutilement qu’il tâchoit à luy faire abandonner cette résolution, il sortit trois ou quatre fois pour aller rendre compte de leur Conférence au Grand Visir, qui estoit dans son Apartement avec Cara-Kiaïa, le Janissaire Aga, & quelques autres Officiers. Ce Cara-Kiaïa, qui est Caïmacan aupres du Grand Seigneur, a l’humeur encor beaucoup plus violente que le Visir.

La premiere fois que le Kiaïa alla trouver ce Ministre, il luy dit qu’on n’avoit point à douter que Mr l’Ambassadeur ne fist le Présent en son particulier, & qu’ainsi n’ayant osé en écrire à l’Empereur son Maistre, on ne devoit point prétendre qu’il y ajoûtast ce qu’on demandoit. Qu’au reste c’estoit un Homme qui estant prévenu de sa raison, soûtenoit obstinément les choses qu’il croyoit justes ; que les menaces sembloient l’affermir dans ses résolutions, & que s’il entroit aux Sept Tours, il n’en voudroit plus sortir que par ordre de la France. Ces paroles du Kiaïa firent changer le dessein qu’on avoit formé de l’y conduire. Toutes les mesures avoient esté prises pour cela. La violence ne faisant rien espérer, il fut jugé a propos de ne se servir que de la douceur. Le Kiaïa parla de nouveau à Mr de Guilleragues, & choisit les termes les plus honnestes pour luy demander s’il refuseroit un Diamant de 50000 l. au Grand Seigneur qui le souhaitoit, au Visir qui le condamnoit à le donner, à luy qui l’en prioit instamment, & enfin à tous les Officiers de la Porte, qu’une forte estime faisoit entrer dans ses intérests. Il ajoûta, que toute autre Nation, qui auroit fait quelque chose d’aprochant de l’Affaire de Chio, ne s’en seroit jamais relevée, & qu’il pouvoit voir la considération qu’on avoit pour luy, puis qu’il n’y avoit point d’Ambassadeur qui osast parler ou écrire avec la mesme fierté, sans s’exposer à perdre la vie, & mettre tous les Marchands au péril de l’Esclavage ; Qu’il falloit au moins que par le don de ce Diamant il donnast moyen au Grand Visir d’appaiser entierement l’indignation de Sa Hautesse, qui s’estoit réduite par les pressantes suplications de ce Ministre, à se contenter d’une si legere augmentation ; qu’apres l’accommodement de cette Affaire, on agiroit avec luy de telle sorte, que les autres Nations en seroient jalouses, & qu’il auroit lieu d’estre content sur toutes les autres difficultez.

Mr l’Ambassadeur répondit, que la maniere dont les autres Nations estoient traitées, ne regloit rien pour la Nation Françoise, & qu’il estoit tres-fâché que l’on employast le nom de Sa Hautesse & du Grand Visir pour demander une chose qu’il ne pouvoit accorder. Le Kiaïa voyant qu’il estoit inébranlable, haussa les épaules d’étonnement, & dit au Reïs Effendi qu’il le laissoit parler à son tour. Cet Officier qui s’est acquis chez les Turcs la réputation d’un Homme éloquent, fit un grand discours à Mr de Guilleragues sur le dommage reçeu à Chio, & sur la colere où cette espece d’affront avoit mis le Grand Seigneur. Il l’assura d’une maniere toute insinuante, que le Visir l’estimoit infiniment ; luy représenta les suites heureuses qu’auroit l’accommodement qui luy estoit proposé ; & luy parlant des sentimens pleins de zele que son mérite avoit inspirez à tous les Grands de la Porte, il luy en donna pour marques la retenuë avec laquelle on avoit agy, n’y ayant eu aucun François mal traité depuis dix mois que duroit l’Affaire, & les Drogmans mesme, qui sont Sujets de la Porte, n’ayant reçeu aucune parole fâcheuse, quoy qu’ils en eussent porté de fort rudes, aussi bien que des Ecrits pleins d’une fierté, qui dans l’Empire Ottoman n’avoit jamais eu d’exemple. La réponse de Mr l’Ambassadeur fut la mesme qu’il avoit faite au Kiaïa. Il dit qu’il sçavoit parler avec modération, lors qu’on luy parloit de mesme ; & qu’à l’égard des François, à qui aucune injustice n’avoit esté faite, il eust peut-estre esté dangereux de les maltraiter. Le Reïs Effendi rougit de ces dernieres paroles, & le Kiaïa tourna le discours sur les Armateurs Chrestiens, disant qu’il ne falloit pas que Sa Majesté les protégeast, ny qu’elle souffrist qu’il y eust des François sur leurs Vaisseaux. Mr de Guilleragues répondit, qu’on pouvoit connoistre que le Roy estoit fort éloigné de les vouloir protéger, puis que Mr du Quesne avoit maltraité quelques-uns de ceux qu’il avoit rencontrez pendant qu’il estoit dans l’Archipel, & qu’il avoit pris tous les François qu’il avoit trouvez parmy eux, pour les envoyer servir dans les Galeres ; mais que malgré de grands soins, & beaucoup de prévoyance, Sa Majesté ne pouvoit pas absolument empescher que quantité de Vagabonds & de Malfaicteurs de son Royaume ne se dérobassent aux peines qu’ils méritoient, & n’allassent chercher sur Mer l’unique refuge qui leur restoit. Que c’estoit à l’Empereur son Maistre à se plaindre de ce que faisoient les Corsaires de Barbarie, ausquels on donnoit publiquement protection à la Porte ; mais qu’il avoit puny ceux de Tripoli, & qu’il estoit résolu de punir severement les autres en toute rencontre. Pendant tout ce temps on apporta plusieurs fois du Caffé, du Sorbet, de l’Eau de senteur, & du Parfum, à Mr l’Ambassadeur, & l’on fit le mesme Régale de Sorbet & de Caffé à ceux qui l’accompagnoient.

Le Reïs Effendi n’ayant pas mieux réüssy que le Kiaïa, ils allerent l’un & l’autre, ainsi que les autres Officiers, à la Chambre du Visir, & eurent une demy-heure de conférence avec ce Ministre. Le Kiaïa reprit la parole à son retour, & réduisit à dix mille Ecus la valeur du Diamant que l’on avoit demandé. Il eut le mesme refus, & ayant encor diminué ce prix de moitié, il n’obtint rien davantage. Alors il dit aux Drogmans qu’ils se jettassent aux pieds de Mr l’Ambassadeur, qu’ils luy baisassent le bout de son Juste-au-corps, (car il estoit tout habillé à la Françoise, n’ayant point de Veste par dessus son Habit, non plus qu’aux autres Audiences qu’il avoit euës,) & qu’ils luy fissent connoistre que s’il refusoit ce Diamant, il falloit qu’eux-mesmes, comme Sujets de la Porte, engageassent tout ce qu’ils avoient pour le donner. Mr de Guilleragues surpris de cette action, marqua en les regardant avec dédain, combien des moyens si bas estoient employez inutilement, & se levant tout-à-coup, s’en alla sans rien répondre. L’Effendi des Chiaoux le conduisit jusqu’au lieu où il avoit laissé son Cheval. Les deux premiers Drogmans le voulurent suivre, mais on leur fit signe de demeurer, pendant qu’il remonta à cheval pour s’en retourner à son Palais.

On ne sçauroit exprimer avec combien de surprise tous les Officiers qui se trouverent présens, plusieurs Turcs de considération, & tous les autres que la curiosité ou leurs affaires avoient amenez, le virent sortir du Serrail du Grand Visir. Sur tout, les Ambassadeurs, Envoyez, & Résidens des Princes Chrestiens, qui estoient venus exprés pour voir quel succés auroit cette Conférence, en firent paroistre un étonnement extraordinaire. Aucun ne doutoit qu’on ne le dust mener aux Sept Tours. Ce bruit s’estoit répandu par tout dans Constantinople ; & outre ce qu’en avoient dit quelques-uns de ceux qui devoient bien le sçavoir, l’opinion qu’on en avoit euë avoit paru d’autant plus certaine, qu’on avoit veu arriver Karakiaïa, & le Janissaire Aga, avec quatre cens Janissaires. Ce premier, qui est d’une humeur violente, s’estoit toûjours oposé aux voyes de douceur. Cependant l’évenement fit paroistre que l’on avoit dessein de les suivre, puis que Mr de Guilleragues estoit de retour au Palais de France, dans le temps que les uns disoient qu’il avoit esté envoyé aux Sept Tours, & les autres à la Prison de Babagiafar, la plus infame de toutes celles de Constantinople.

Quoy qu’aucune résolution fâcheuse n’eust suivy cette entreveuë, on ne pouvoit encor dire comment l’Affaire se termineroit. On commença de le voir deux jours apres, quand le Vendredy 22. Hussein Aga, Grand Doüanier, vint trouver Mr de Guillerages, pour examiner tout le Présent suivant la coûtume, de la part du Grand Seigneur, & du Visir. Il amena avec luy un Marchand Turc, avec quelques Juifs qui sont à son service. C’est un Homme fort en faveur, chez qui Sa Hautesse dîne d’ordinaire deux fois la semaine. De toutes les Nations Chrestiennes, il n’y a que la Françoise à laquelle il épargne les Avanies. Aussi donna-t-il des marques d’une considération particuliere à Mr l’Ambassadeur, en faisant les choses d’une maniere équitable, & toute civile. Mr l’Ambassadeur luy dit qu’il manquoit quelques Pierreries à son Présent, & que ne se connoissant pas assez en Diamans pour se répondre de les bien choisir, il le prioit de deux choses ; l’une, de vouloir bien se charger du soin de les acheter ; & l’autre, d’avancer pour quelques mois l’argent qu’il y falloit employer, jusques à la concurrence de ce qu’il avoit promis. Hussein Aga répondit qu’il ne pouvoit luy rien refuser ; & avant qu’il le quittast, Mr de Guilleragues luy fit servir la Collation. Parmy les choses qui la composoient, il y eut un Plat de Fraises. C’estoit un Fruit inconnu pour luy. Il les trouva excellentes, & le pria de luy en donner un autre Plat pour l’offrir au Grand Seigneur. Mr de Guilleragues qui en fait cultiver plusieurs Couches dans son Jardin, satisfit avec plaisir à cette demande. Trois jours apres, Hussein Aga le vint retrouver, & luy apporta les Pierreries. A cette seconde visite, Mr l’Ambassadeur luy dit, que ne voulant pas que ses Présens passassent pour un payement, puis qu’il les faisoit en son particulier, & non de la part de l’Empereur son Maistre, ny qu’on pust luy dire dans quelque temps que le Grand Seigneur n’en auroit pas esté satisfait, il prétendoit qu’ils fussent donnez à Sa Hautesse mesme par ses Domestiques qu’il envoyeroit pour cela. Hussein Aga luy répondit en riant, qu’il n’avoit point veu de Chrestien si opiniâtre ; qu’il vouloit des choses qui ne s’estoient jamais faites ; que les Ambassadeurs mesmes ne voyoient le Grand Seigneur qu’une seule fois pendant que duroit leur Ambassade, & qu’il demandoit que ses Domestiques eussent cet honneur, si estimé & si rare en ce Païs-là ; qu’il tâcheroit cependant d’obtenir de Sa Hautesse qu’elle accordast ce qu’il desiroit. Mr de Guilleragues le régala d’une autre Collation. On ne toucha point au Plat de Fraises que l’on y servit, & Hussein Aga l’envoya chez luy pour le Grand Seigneur.

Enfin le Présent qui avoit esté porté chez le Visir le 25. fut présenté le 27. à Sa Hautesse. Voicy de quelle maniere la Cerémonie se passa. Le Grand Seigneur se rendit exprés à son Kiosque. C’est un magnifique Cabinet, qui est sur la Marine, vis-à-vis de Galata. Sa Hautesse y va pour toutes les grandes Cerémonies, & sur tout pour recevoir chaque année les respects du Capitan Pacha, & des Beïs des Galeres, au depart de son Armée navale, tant pour la Mer blanche, que pour la Mer noire. Elle y dîna ce jour-là, & en suite on luy donna le Spéctacle de quelques Luiteurs. Deux d’entre eux luiterent avec tant d’adresse, que ny l’un ny l’autre ne put renverser son Compagnon. Ils estoient frotez d’huile par tout le corps, à la maniere des Anciens, & n’avoient qu’un Caleçon, qui estoit aussi huilé, & qui leur couvroit jusqu’aux genoux. Apres qu’on luy eut donné le plaisir de ce Combat, on fit avancer les Gens de Mr l’Ambassadeur. Mr Noquerre son Chancelier (car tous les Ambassadeurs & les Consuls des Echelles du Levant ont un Chancelier,) Mr Merille son Secretaire, Mr Fabre Marchand, les trois Drogmans de France, & dix Valets-de-pied, prirent chacun une partie des Présens qui avoient esté portez dans une Chambre voisine du Kiosque par ordre du Telkegi. Le Telkegi est un Officier du Grand Visir qui va de sa part porter la parole au Grand Seigneur. C’est en cela que consiste son employ. Ils furent conduits de cette maniere vers la Galerie où cet Empereur estoit assis, sur une espece de Trône, les jambes croisées à la façon du Païs. Le Prince son Fils estoit à costé de luy, & les principaux Officiers, & un grand nombre d’Icioglans, les environnoient. Ils remirent les Présens entre les mains de ses Officiers qui estoient là pour les recevoir ; & en suite Mauro Cordato, & les trois Drogmans l’un apres l’autre, vinrent jusques à six pas du Kiosque. Ils avoient chacun une Veste de Brocard, que le Chiaoux Bachi & le Caffetangi Bachi leur avoient donnée, ainsi qu’à Mr Noguerre, à Mr Merille, & à Mr Fabre, pour estre en état de se présenter devant Sa Hautesse. Ils la salüerent, en baissant la teste presque jusqu’à terre ; & apres eux, ceux que je viens de nommer, furent admis à leur tour à luy faire la réverence. Ils la firent tres-profonde ; & le Grand Seigneur, qui les regarda venir, leur fit une petite inclination de teste.

Il faut vous dire dequoy le Présent estoit composé. Il y avoit une petite Boëte de Pierreries ; deux Fauteüils, l’un grand, & l’autre petit, fort bien travaillez, & d’un beau dessein ; un grand Miroir de Venise, enrichy de Moulures d’argent, & orné de Gravûres faites à la pointe de Diamant ; cinq Pieces d’Horlogerie, ou Pendules à ressort spiral, & d’autres manieres, d’une invention tres-rare ; un Tapis des Gobelins, peint sur de la Moire ; & plusieurs autres de Drap, de Satin, de Velours, & de Brocard de Venise.

Le Grand Seigneur a fort estimé toutes ces choses, & a destiné les deux Fauteüils pour le Serrail de Beisistarch, quand on aura achevé de le bâtir. Cependant le petit Fauteüil & le Miroir ont esté placez dans le Kiosque qui est à la Marine ; & le Grand, à l’Apartement des Sultanes. Quelques jours apres la Cerémonie que je vous viens d’expliquer, Mr de Guilleragues fit retirer le Billet par lequel il avoit promis quelques Raretez de France. Le Kiaïa le rendit à ses Drogmans en présence de plusieurs des principaux Officiers de la Porte, leur faisant dire par eux que son Présent ne pouvoit estre reçeu d’une maniere plus agreable qu’il l’avoit esté de Sa Hautesse, & leur donnant ordre de le salüer tres-particulierement de sa part.

Jugez, Madame, quel a deû estre l’étonnement que les autres Nations ont eu de cette Audience donnée aux Domestiques de Mr l’Ambassadeur, portant publiquement un Présent que l’on connoissoit estre de luy. Ils ont fait la revérence au Grand Seigneur, & reçeu des Vestes, qui est un tres-grand honneur en ce Païs-là ; au lieu que lors que quelque autre Nation paye une Avanie d’un prix beaucoup plus considérable que ces Présens, ce qui arrive souvent, il faut porter au Trésor la somme qu’on a imposée. On pese l’argent, on examine toutes les especes, & ceux qui en sont chargez, sont presque toûjours renvoyez avec injures. Les Turcs qui ne connoissent point un plus grand honneur sur la terre, que celuy de voir la Face beatifique du Grand Seigneur, disent que quand Mr de Guilleragues l’auroit acheté deux millions, il ne l’auroit pas assez payé, & qu’il faut que sa conduite soit toute admirable, pour l’avoir pû obtenir. Aussi luy a-t-on veu soûtenir en toutes rencontres la dignité de son Caractere de la maniere du monde la plus glorieuse. Il a parlé depuis le depart des Vaisseaux avec la mesme fermeté que lors qu’ils estoient aux Bouches, & à Chio. Il s’est acquis l’estime de tous les Turcs, & elle a esté telle pour luy, que pendant tout le temps que l’on s’est plaint des canonnades de Mr du Quesne, on n’a fait ny injustice, ny mauvais traitement à aucun François. Il a toûjours arresté par ses réponses la violence du Grand Visir, & j’ay là-dessus à vous apprendre une chose qui étonna fort toute la Porte, & qu’on a ômise dans toutes les Relations. L’année derniere, cet Ambassadeur estant dans la Salle de ce Ministre, comme avant que de le faire entrer dans sa Chambre, il entendit qu’on traitoit de le contraindre à s’assoir hors du Sopha, il dit tout haut, qu’il donneroit mille Ecus d’un Gangiar, qui est un Poignard à la Turque, pour tuer le premier qui auroit l’audace de l’entreprendre, & cela empescha sans-doute que la violence ne luy fust faite. Il est certain que son intrépidité a détourné des malheurs, qui en d’autres temps auroient presque esté inévitables. Si on luy disoit que ses refus pouvoient le mettre en de grands périls, ainsi que ceux de sa Nation, il répondoit, que sa vie, & celle de quelques François qui sont dans le Levant, estoient peu considérables, lors qu’il s’agissoit de la gloire de son Maistre, qui hazardoit sa Personne mesme, & une infinité de Gens de qualité, lors qu’il estoit à l’Armée. Par ces manieres hardies, il a si bien fait connoistre la grandeur & les rares qualitez de nostre auguste Monarque, que le Grand Visir a voulu voir son Portrait. Les plus considérables d’entre les Turcs, qui tous les jours viennent l’admirer, trouvent dans ses traits ce qui peut donner la plus forte idée d’un Prince accomply.

Il reste encor la dispute du Sopha ; mais on a tout lieu de croire qu’il n’y a point de Négotiation si difficile, que la prudence de Mr de Guilleragues ne termine heureusement.

[Dijon] §

Mercure galant, septembre 1682 (première partie) [tome 9], p. 287-289, 292-293, 297-299, 300-301.

 

Vous ne serez pas fâchée, Madame, qu'apres vous avoir menée à Constantinople, je vous fasse revenir en France. Il s'y passe d'assez grandes choses pour effacer tout ce que je vous pourrois dire du reste des quatre Parties du Monde. Le zele, l'esprit, la magnificence, & l'invention, ont paru separément dans toutes les Villes, à l'égard des Réjoüissances que l'on a faites pour la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne. Celle de Dijon s'est distinguée dés les premiers jours, & quoy qu'il parust qu'on ne pust rien adjoûter aux marques de joye qu'elle avoit données, & dont je vous ay déjà parlé, elle n'en est pas demeurée là. Elle est si vivement penétrée du plaisir qu'elle ressent, de ce que le Prince qui vient de naître porte le nom de la Province dont elle est la Capitale, que dans les ardens transports de son allégresse, elle ne sçait quelles démonstrations en faire éclater. C'est cette raison qui l'a obligé à renouveller ses Réjoüissances le jour de la Feste de S. Loüis. Dés le matin la Jeunesse & la Bourgeoisie se mit sous les armes, les uns à cheval, les autres à pied, mais tous dans un équipage aussi leste que galant. On promena la Figure du jeune Duc par toute la Ville, dans un Char de triomphe que traînoient quatre Chevaux gris pommelez. [...]

Il y avoit des Tentes, & des Pavillons au milieu des Ruës, où l'on pouvoit prendre toutes sortes de rafraîchissemens, des Coridors, & des Galeries qui communiquoient d'une Ruë à l'autre, des Plates-formes, des Amphithéatres, & sur tout dans la Place de S. Jean, qui est fort grande & tres-bien bastie, l'appareil d'un Feu de joye le mieux entendu, & le plus magnifique qu'on ait vû depuis longtemps. Le Théatre avoit plus de 45. pieds de haut sur 24 ou 25 en quarré à chaque face. [...]

Ce Feu avoit esté préparé avec une extréme diligence pour le jour de la S. Loüis, comme convenable à cette Feste par rapport à celle de Sa Majesté ; neantmoins il ne fut tiré que le Lundy 31. Aoust à cause d'une grosse pluye qui survint, & qui ne cessa presque point tous les autres jours de la semaine. On ne laissa pas de se donner au plaisir pendant tout ce temps. Plusieurs Marchandes, avec quelques jeunes Filles du voisinage du Palais, s'assemblerent le Jeudy 27. & malgré la pluye qui tomboit alors abondamment, elles souperent ensemble au son des Tambours & des Trompetes, & au bruit des Mousquets, sur le Perron du Palais, qu'elles-mesmes avoient tapissé & accomodé tres-proprement. Apres le Repas, elles passerent une partie de la nuit à danser dans la grand'Salle avec leurs Voisins. Le Dimanche 30. il y eut un Te Deum chanté solemnellement par une Musique à trois Choeurs dans l'Eglise des Jésuites, où non seulement tous les Autels, mais trois grandes Pyramides faites exprés, & posées au dessus du grand Autel, & les Corniches qui environnoient le Choeur, estoient chargées d'une infinité de lumieres. [...]

Le lendemain jour du Feu, les Boutiques & les Colleges furent fermez par l'ordre des Magistrats. Il dura pres de deux heures, & fut tiré au bruit des Canons du Château, & au son des Fifres, des Hautbois, des Violons, Trompetes & des Tambours, assemblez par l'ordre & par les soins du Vicomte Majeur, qui estant à la teste des Officiers de Ville, précedez d'une Milice aussi leste que nombreuse, mit le feu à la Machine. Pendant que toutes ces choses tenoient les Spéctateurs dans une joye continuelle, les Tours & le Clocher de la belle Eglise de Saint Jean, & la Terrasse du Logis du Roy qui porte sa Cime jusques dans les nuës, brilloient de feux éclatans. [...]

[Ode, & Sonnet] §

Mercure galant, septembre 1682 (première partie) [tome 9], p. 302-313.

 

L’Ode & le Sonnet que vous allez voir, sont de Mr Robinet de S. Jean. Je vous ay parlé plusieurs fois de luy, & je sçay que son mérite vous est aussi connu que son nom. Il entend tres-bien la Langue ; & ce stile aisé qui paroist dans les Nouvelles qu’on donne au Public depuis un grand nombre d’années, en est une preuve, qu’on ne sçauroit contester. Elles sont écrites avec beaucoup de pureté, & ce n’est pas sans raison que tous les honnestes Gens en parlent avec éloge.

SUR
LA NAISSANCE
de Monseigneur
LE DUC
DE BOURGOGNE.
Ode en Vers irréguliers.

Dans un Palais égal à celuy du Soleil,
 Ou l’Art & la Nature
Epuisent leurs efforts pour un Roy sans pareil,
Dont jamais on ne peut achever la peinture ;
Versaille, où le Printemps, & Flore, & les Zéphirs,
 Les Amours, les Jeux, les Plaisirs,
 Triomphent des Hyvers barbares,
 Où les plus aimables Oyseaux
De leurs douces Chansons ne sont jamais avares,
 Où les Bois, les Fleurs & les Eaux
Produisent en tout temps les effets les plus rares.
***
 Dans ce Lieu, dis-je, si charmant,
 Dans cet Olympe sur la Terre,
 Où loge si pompeusement
LOUIS, cet autre Dieu qui lance le Tonnerre,
Tout, depuis quelque temps se trouvoit inquiet,
Malgré ce doux repos que le Héros nous fait,
Et dont joüit par tout sa bienheureuse France.
Tout-estoit attentif sur l’Hymen & l’Amour,
Tantost regnoit le trouble, & tantost le silence,
 Dans l’attente de ce grand jour
Où ces Dieux rempliroient nostre chere espérance.
***
 Enfin ce jour est arrivé,
 Et cette espérance est remplie.
 Nostre bonheur est achevé,
Et l’on en voit par tout une joye accomplie.
Un Prince vient de naistre aussi beau que l’Enfant
Des Dieux & des Mortels sans cesse triomphant ;
Vénus, en le voyant, croiroit estre sa Mere.
 Au moment qu’il ouvrit les yeux,
Il en sortit des traits de si vive lumiere,
 Que ce demy Dieu glorieux
Eut d’abord sur les cœurs une victoire entiere.
***
 Mais comment ne vaincroit-il pas,
 Puis que par un comble de gloire
Il est le Petit-Fils d’un Roy dont tous les pas
Sont jusques dans la Paix suivis par la Victoire ?
O que son sort est grand ! O que son sort est beau !
 Il naist ainsi dans un Berceau,
 Qu’ombrage une Palme immortelle
 Qui se mesle au Mirthe amoureux,
L’un & l’autre sortable, a l’ame grande & belle
D’un Héros à la fois, & tendre & genéreux,
 Dont la haute vertu voit tout au dessous d’elle.
***
 O que dans son grand avenir,
 J’aperçois déja de merveilles,
 Que ne pourra l’Histoire contenir,
Et qui des Ecrivains épuiseront les veilles !
 Ces celebres évenemens,
 Qui seront pleins d’enchantemens,
Et qui fatigueront les Filles de Mémoire,
S’augurent sur les bords de son Berceau fameux,
Par l’éclat qu’il reçoit d’un Roy couvert de gloire,
Par tant d’excés de joye, & tant de nouveaux feux,
Qui sur ceux de la nuit emportent la victoire.
***
 Dauphin auguste & triomphant,
 Par ton chef d’œuvre d’Hymenée,
 Par ce rare & divin Enfant
Dont on prévoit déja la haute desdinée,
Tu te vois doublement l’appuy de cet Etat,
 Et du glorieux Potentat
A qui tu dois le sort de ton illustre vie.
Ce sort dont la grandeur à peine se comprend,
Aux Roys les plus puissans paroist digne d’envie,
Puis qu’en effet se voir Fils de LOUIS LE GRAND,
C’est bien plus qu’estre ailleurs Chef d’une Monarchie.
***
 Jeune Héros, rare Dauphin,
 Augmente ta belle Lignée,
 Et fasse le Ciel que sans fin,
On la voye à la fois nombreuse & fortunée.
 Puisse le grand Héros des Lys
 Voir un jour les Fils de tes Fils
Soûtenir avec toy le poids de sa Couronne.
Vous aurez tous, grand Prince, encor assez d’honneur,
 Et la gloire qui l’environne,
 Et qui produit nostre bonheur,
Ne s’affoiblira point, quelque part qu’il en donne.
***
 Grande Princesse, à qui l’on doit
 La moitié de ce bel Ouvrage,
 Où par des traits meslez, on voit
Du Pere & de la Mere une brillante Image.
Continuez aussi, répondant à nos vœux,
 De seconder les nobles fœux
Qu’en son grand cœur vous seule avez pû faire naistre.
 Augmentez l’appuy de nos Lys ;
L’Univers en tremblant, dés qu’il verra parestre
 Quelqu’un de vos illustres Fils,
Croira, comme en LOUIS, apercevoir un Maistre.

A LA GLOIRE DU ROY,
Sur la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne.
Sonnet.

Qui de tous les Héros est semblable à LOUIS ?
Quoy qu’en dise de grand la fabuleuse Histoire,
N’a-t-il pas surpassé tous leurs faits inoüis,
Et du moindre des siens obscurcy leur mémoire ?
***
De son éclat nos yeux se sentent ébloüis,
Les rayons les plus vifs que répande la gloire
Autour de ce Héros semblent épanoüis,
Et l’on croit voir en luy le Dieu de la Victoire.
***
Il est grand dans la Guerre, il est grand dans la Paix,
L’Univers est remply du bruit de ses hauts faits,
Tout l’adore, & le craint, tout le regarde en Maistre.
***
Il n’a point fait de vœux que le Ciel n’ait remplis ;
De nostre Grand Dauphin il desiroit un Fils,
Et plus beau que l’Amour ce cher Fils vient de naître.

[L’Art de Prescher] §

Mercure galant, septembre 1682 (première partie) [tome 9], p. 313-318.

 

Je conviens, Madame, de tout ce que vous me dites à l’avantage du Poëme intitulé, l’Art de Prescher, dont vous me mandez, qu’un de vos Amis vous a envoyé le Manuscrit ; mais je doute fort que ce Manuscrit soit assez correct, pour vous en avoir fait voir toutes les beautez. L’Autheur de ce Poëme qui est divisé en quatre Chants, ayant confié son Original à quelques Personnes qui l’ont fait transcrire ; tous les Curieux ont souhaité de l’avoir, & de Copie en Copie cet Ouvrage se trouve aujourd’huy si défiguré, que quelque beau qu’il puisse estre encor, on a de la peine à le reconnoistre. On y a mêlé quantité de choses qui ne sont point de l’Autheur. On en a retranché d’autres, & non seulement on l’a remply de méchantes rimes, mais il y a des Vers oubliez en divers endroits. Quelques-uns m’ont dit qu’on y avoit ajoûté un cinquiéme Chant, & d’autres qu’on l’a imprimé en Province, avec un si grand nombre de fautes, que beaucoup de Vers sont ou trop longs, ou trop courts. Cela est fâcheux pour un Ouvrage, digne d’estre lû de tout le monde, & qui joint l’utile avec l’agreable d’une maniere tres ingénieuse. Il est certain qu’on en peut tirer beaucoup de fruit, & qu’en suivant les leçons que l’on y trouve, les jeunes Prédicateurs se garantiront de plusieurs défauts qui les empeschent de prescher utilement. Si le Manuscrit que vous avez lû à quelques endroits piquans, je vous avertis, Madame, que ce sont traits ajoûtez, ainsi que la plûpart des faux noms qui donnent lieu à quelque application. Tous ceux qui ont veu l’Original, demeurent d’accord qu’il ne contient rien qui puisse offenser personne. L’Autheur, qu’une infinité de Gens de qualité connoissent, est fort éloigné d’avoir voulu faire une Satyre. C’est un Homme d’un génie tres élevé, (comme on le peut aisément connoistre, par le tour facile qu’il donne à ses Vers, & par les nobles expressions dont il les soûtient,) mais dont la conduite répond à ce qu’il enseigne, & qui est présentement occupé hors de Paris, à se préparer au métier dont il donne des préceptes dans son Poëme. On ne doute point qu’il ne prenne soin de le faire voir correct au Public. L’Impression qu’on luy en demande est tres-souhaitée, & on le croit d’autant plus obligé de la haster, que les mauvaises Copies, imprimées & manuscrites, qui sont répanduës par tout de cet Ouvrage, le font paroistre avec des défauts qu’il est incapable d’y avoir laissez.

[Communautez des Musiciens & Simphonistes, & autres] §

Mercure galant, septembre 1682 (première partie) [tome 9], p. 318-320.

 

L'abondance de la matiere qui m'oblige à séparer cette Lettre en deux Parties, ne me laisseroit pas finir la premiere, si je voulois vous parler de tout ce que les Particuliers & les Communautez de Paris ont fait. Celle des Musiciens & des Symphonistes a chanté un Te Deum dans l'Eglise des Augustins du grand Convent. Il estoit de la Composition de Mr Josselin. Maistre de Musique des Jesuites de la Ruë S. Jacques. On en a chanté plusieurs autres de ce mesme Maistre en divers endroits. Le Sr Rabasche Syndic de la Communauté des Barbiers & Perruquiers en fit chanter un le jour de Saint Loüis dans l'Eglise de Saint Germain l'Auxerrois, qu'on trouva tres beau. Il y avoit un grand nombre de Voix & d'Instrumens.

Les Réjoüissances & les Prieres se sont continuées à Paris pendant tout le mois d'Aoust & de Septembre. L'Artifice a brillé en quelques Quartiers. Plusieurs Compagnies de Mariniers, & d'autres Personnes ayant de l'employ sur l'eau, ont fait éclater leurs Réjoüissances par les marques qu'ils ont données de leur force & de leur adresse ; & l'on a veu dans la mesme apres dînée tirer l'Oyson en trois diférens endroits, par trois diférentes Compagnies, au son des Trompetes & de toutes sortes d'Instrumens. Mais, Madame, cette premiere Partie de ma Lettre est déjà trop longue. Je passe à la suite. Vous y trouverez les Réjoüissances des Provinces mêlées à ce qui me reste d'autres Nouvelles.