1683

Mercure galant, janvier 1683 [tome 1].

2017
Source : Mercure galant, janvier 1683 [tome 1].
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Mercure galant, janvier 1683 [tome 1]. §

[Prélude]* §

Mercure galant, janvier 1683 [tome 1], p. 1-3

J’ay presque toûjours commencé ma premiere Lettre de chaque Année, par un abregé des Eloges du Roy, répandus dans celles des onze derniers Mois de la précedente. Je m’en dispenseray celle-cy, non seulement parce que cet abregé demandant trop d’étenduë, occuperoit toute la place que doivent remplir les Nouvelles particulieres ; mais parce que toute la Terre ayant les yeux attachez sur ce grand Monarque, il n’y a point de lieu qui ne retentisse de ses loüanges. Les Souverains, qui le regardent comme un parfait Modelle des Roys, étudient ses actions, & font à son imitation des Reglémens dans leurs Etats. Cependant, Madame, pour ne point quiter une matiere qui vous est si agreable, il faut vous faire entendre nos Muses. Mr Tavault, Avocat au Parlement, demeurant à Nuys en Bourgogne, les a fait parler d’une maniere si spirituelle sur les merveilleuses qualitez de Loüis le Grand, que son Ouvrage a reçeu l’approbation des Connoisseurs les plus délicats. Vous demeurerez d’accord, apres l’avoir lû, qu’il est digne de la vostre.

Eloge du Roy §

Mercure galant, janvier 1683 [tome 1], p. 4-13

ELOGE
DU ROY.

Puissant Roy des François,
Monarque incomparable,
A qui doivent céder les Héros de la Fable.
Les Hercules, fameux par cent Travaux divers,
Qui de Monstres cruels purgerent l’Univers ;
Achile si vanté par son noble courage,
Et qui reçeut des Dieux la valeur pour partage ;
Des Indes le Vainqueur, le celébre Bacchus,
Qui se fit adorer par cent Peuples vaincus ;
Le Prince des Troyens, le genéreux Enée,
Qui lassa de Junon la colere obstinée ;
Hector, Ulysse, Ajax, & tous ces demy-Dieux,
Que les Peuples grossiers placerent dans les Cieux,
N’ont jamais possedé la véritable gloire,
Quand leur Roman flateur seroit mesme une Histoire.
Souvent on les y voit par le vice abbatus,
Et parmy cent défauts on lit peu de vertus.
Mais les Cieux, ô Grand Prince, à nos vœux si propices,
T’ont donné leurs Vertus exemptes de leurs vices,
Et rassemblé dans toy, par un secret nouveau,
Tout ce que ces Héros possedoient de plus beau.
L’Autheur de la Nature en formant ton visage,
A fait de ses Grandeurs la plus parfaite Image ;
Il a mis dans tes yeux une douce fierté,
Imprimé sur ton front un air de majesté,
Une mine charmante & digne de l’Empire,
Qui te fait redouter dans le temps qu’on t’admire.
L’Esprit ne dément pas un si riche dehors,
Il renferme dans soy de précieux trésors.
Il est vaste, élevé, genéreux, magnanime,
Eclairé, penétrant, équitable, sublime,
Grand dans tous ses desseins, juste dans ses projets,
Travaillant sans relâche au bien de ses Sujets.
Les Jeux, les Carrousels, les Balets, les Spéctacles,
Du Théatre François ces surprenans miracles,
La Chasse, les Concerts, ces plaisirs innocens,
Qui peuvent d’un Monarque enchanter tous les sens,
Sembloient te délasser dans tes nobles fatigues ;
Mais l’esprit prévenu de ces puissantes Ligues,
Que formoient contre toy tes illustres Rivaux,
Tu méditois pour lors ces glorieux Travaux,
Qui t’ont rendu Vainqueur sur la Terre & sur l’Onde,
Et porté de ton Nom, la gloire au nouveau Monde.
Tranquille en apparence au milieu du repos,
Nous faisant voir le Roy, tu cachois le Héros.
Tel est l’Astre du jour, cet Astre salutaire,
Si juste, si reglé, dans son cours circulaire.
Il peint l’émail des Fleurs dans la belle Saison,
Il meûrit le Raisin, il jaunit la Moisson,
Et du mesme rayon il tire de la Terre,
Les subtiles vapeurs dont il fait le Tonnerre.
Aucun Prince avant toy dans le métier de Mars,
N’a tant vû de dangers, ny tenté de bazards ;
Jamais on n’a tant fait de Marches surprenantes,
Ny jamais tant donné de Batailles sanglantes.
Tant d’Exploits diférens, tant de Siéges fameux,
Entrepris de nos jours, surprendront nos Neveux.
Quel autre Conquérant ose attaquer des Places,
Qui semblent à couvert par la neige & les glaces ?
La fidelle Victoire attachée à tes pas,
A toûjours secondé la force de ton Bras.
Changeant en ta faveur sa nature changeante,
Elle a fixé pour toy son humeur inconstante.
Sans te faire éprouver aucun fâcheux revers,
Elle alloit sous tes Loix ranger tout l’Univers ;
Mais quand rien ne résiste au pouvoir de tes Armes,
On te voit tout d’un coup renoncer à ses charmes,
Et de tes Ennemis prévenant les souhaits,
Applanir les chemins qui tendoient à la Paix.
Aléxandre le Grand, ce démon de la Guerre,
Emporté d’un orgueil si funeste à la Terre,
Ne peut se contenir dans ses vastes Projets,
Pour luy le Monde entier a trop peu de Sujets.
César bannit la Paix de sa propre Famille,
Il ne voit qu’a regret le Mary de sa Fille
Partager avec luy le Souverain pouvoir,
Il veut tout posseder, ou bien ne rien avoir.
LOUIS, du Genre-Humain les nouvelles délices,
Sçait d’un cœur héroïque arrester les caprices.
Sa gloire n’a pour luy que de foibles appas,
Si le bien des Mortels ne s’y rencontre pas.
C’est le plus haut degré de la valeur supréme,
Quand on peut vaincre tout, de se vaincre soy-mesme.
D’une gloire nouvelle alors environné,
Grand Roy, je te connus pour le Roy Dieu donné,
En effet tes vertus, ta conduite divine,
Nous font voir que le Ciel est ta seule origine ;
L’ardeur dont tu soûtiens les droits de ses Autels,
Te fera mériter des honneurs immortels.
Doux Climat, beau Païs, agreable Contrée,
France, charmant sejour de la divine Astrée,
Tandis que tes Voisins au milieu des horreurs
Eprouvoient des Soldats les terribles fureurs,
Les Délices, les Jeux, les Festins & la Dance,
Le tranquille repos, & l’heureuse abondance.
Te faisoient ressentir leurs effets les plus doux,
Et rendoient de ton sort mille Peuples jaloux.
Dans cet heureux sejour où tout plaisir abonde,
Regne le GRAND LOUIS, la Merveille du Monde.

[Conversation de Pomone, de Flore, & Céres] §

Mercure galant, janvier 1683 [tome 1], p. 18-44

Comme les ordres de faire des Réjoüissances publiques pour la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne, n'ont esté envoyez qu'aux plus considérables Villes de chaque Province, il y en a plusieurs à qui l'exemple a servy de regle. Celles de Bourgogne ont prétendu qu'elles devoient avoir toutes un privilege particulier qui les distinguast des autres, & c'est par là qu'une de ces Villes s'estant plainte de n'avoir point reçeu d'ordre, trois Divinitez qui président aux productions de la Terre, ont eu ensemble l'entretien qui suit.

CONVERSATION
DE POMONE,
ET DE FLORE,
AVEC CERES LEUR VOISINE,
Sur Monseigneur le Duc
de Bourgogne.

POMONE à CERÉS.

Estes-vous encore à sçavoir, grande Déesse, qu’il est né en France, au mois d’Auguste sous le Signe du Lyon, le jour de Jupiter, d’une Mère appellée Victoire, un Enfant Royal le plus beau du monde ?

 

FLORE.

Et n’auriez-vous pas appris qu’un Feu extraordinaire brilla dans l’air la veille de sa Naissance, & qu’il s’en est allumé depuis par tout ce Royaume, & dans tous les Etats voisins, pour en celébrer la joye en terre, à l'imitation du Ciel ?

 

CERÉS.

Cette Naissance m’est connuë, aussi-bien qu'à vous, mes cheres Voisines, & je n'ignore aucune des merveilles qui l’ont précedée, accompagnée & suivie. Je sçay que cet Enfant Royal est le Fils d’un Prince accomply, & d’une Princesse adorable ; le Petit-Fils du plus grand Roy & de la plus vertueuse Reyne, qui furent jamais ; le Protecteur de cette Province ; en un mot, Monsieur le Duc de Bourgogne. Je sçay encore, & de bonne part, que le tremblement de Terre qui arriva le sixiéme mois de sa formation, est le présage certain qu’il fera tout trembler, lors qu’il sera dans son sixiéme lustre. Les Infidelles n'ont qu'à se bien tenir ; il y aura bien du malheur s’il ne les renverse ; & je sçay de plus, que le Ciel a voulu confirmer le présage de la Terre, par la Comete qu’il a fait paroître apres le redoutable tremblement.

 

POMONE.

Eh, puis que vous sçaviez toutes ces choses, dites-nous, de grace, pourquoy vous ne vous en estes non plus remuée, que si elles n’avoient pas esté de votre connoissance ; & pourquoy la Ville que nous voyons, & qui vous appelle son ancienne Déesse, n’a pas signalé, comme les autres, la joye qu’elle a d’un si bel accroissement de la Famille Royale ? Vostre immobilité vient-elle de vostre admiration, & n'auriez-vous pas averty vostre Ville de son devoir ?

 

CERÉS.

Ne nous flatons point. Si cette Ville reconnoist la Déesse des Moissons pour sa Déesse du temps passé, elle ne la reconnoist pas pour celle du temps présent, quoy qu’elle ne subsiste encore aujourd’huy que de mes faveurs, & que celles de mon Amy, le Dieu des Vendanges. A la verité, le Temple que voila dans sa Plaine, porte toûjours mon nom, puis qu’on l’appelle encore Cérée, mais c’est tout ce qui m’en reste. On ne m’y adresse plus de prieres ny de vœux, d’offrandes ny de sacrifices ; on m’en a chassée pour y adorer la Croix ; & comme je ne vois plus icy que des Ingrats, je ne me mesle non plus d’y donner des avis, que d’y rendre des Oracles.

 

POMONE.

Il est vray que le changement des Peuples est étrange ; mais vous n’estes pas la seule Divinité qui en souffre, c’est un mal commun à toutes. Il me semble neantmoins qu’il estoit de la genérosité celeste, de ne pas laisser les Habitans d’une Ville qui vous a si longtemps adorée, dans l’ignorance de ce qu’ils avoient à faire. Ils cultivent vos Guérets, comme d’autres cultivent nos Vergers & nos Parterres. C’est une espece de culte qu’il nous rendent, & qu’ils nous rendront toûjours. Il faut s’en contenter, puis qu’il n’y en a plus d’autres à attendre, & dans le besoin, leur accorder nostre assistance.

 

FLORE.

J’avois bien crû qu’ils renouveleroient les charmans Spéctacles & les agreables Concerts, qu’ils employerent il y a 21 ans pour celébrer la Naissance du Pere du nouveau Prince, & 23 ans auparavant celle de son auguste Ayeul ; & je me souvenois avec plaisir de ces temps heureux, de ces Pyramides de feu, de ces Obélisques de lumiere, de ces Etoiles nouvelles, de ces Harmonies de Guerre & de Paix, & de toutes ces autres Réjoüissances qu’ils firent éclater dans l’une & l’autre occasion ; mais ces doux souvenirs n’ont pas esté rafraîchis, comme je l’espérois. La joye est demeurée toute entiere renfermée dans leurs coeurs ; ou s’il en a paru quelque chose au dehors, ce n’a esté que dans leurs yeux.

 

CERÉS.

Quelque sujet de plainte qu’ils m'ayent donné, je dois vous dire à leur décharge, qu’il n’a pas tenu à eux qu’ils n’ayent recommencé les Réjoüissances dont vous parlez ; mais vous sçavez que cet Etat est si bien policé, que rien ne s’y fait sans ordre, & je vous apprens qu’ils n'en ont point reçeu qui leur permist de s’assembler, de se mettre sous les armes, d’allumer des Feux, & de celébrer enfin la nouvelle Feste du Royaume.

 

FLORE.

Leur procedé cesse de me surpendre ; mais je m’étonne de l’ômission de ces ordres, sur un sujet pour lequel on auroit plutost deû en envoyer cent superflus, que d’en oublier un necessaire. Il est vray que chacun a esté si fort occupé à donner chez soy des marques de son allégresse, que la mémoire a bien pû manquer dans ces transports, elle qui manque souvent au milieu de la tranquillité.

 

POMONE.

La Renommée a porté par tout l’heureuse Nouvelle dont nous parlons, & ç’a esté un ordre genéral qu’elle a donné à toutes les Villes du Royaume, d’en témoigner hautement leur joye ; & rien qu’un defaut de zele n’a pû retenir les Habitans de vostre Ville de l’oisiveté & dans le silence, tandis que l’Espagne & l’Allemagne faisoient mesme des Feux & des acclamations à la gloire du nouveau Prince.

 

CERÉS.

Pouvez-vous avoir cette pensée d’une Ville Françoise, d’une Ville Royale, & d’une Ville encore qui est de la Province dont l’auguste Enfant porte le nom ? Faites-luy plus de justice, j’en connois les cœurs. Il en est peu de plus sensibles au bonheur de la Couronne ; & la grande Princesse à qui ils appartiennent, leur imprime trop bien cette sensibilité par son exemple, pour en manquer, quand bien toutes les autres raisons cesseroient. Mais quoy, c'est aux grands peuples à regler la conduite des petits. Leurs Voisins, qui habitent comme eux les bords de la Seine, & qui les surpassent en puissance, n’ont rien entrepris, sans en avoir reçeu auparavant des ordres particuliers. Il a donc fallu qu’ils en attendissent. Leur attente a esté inutile, il n’en est point venu. C’est leur malheur, & non leur faute.

 

POMONE.

Ils doivent s’en plaindre, on leur en auroit fait raison ; ou plutost ils devoient passer outre. Qui l’auroit pû trouver mauvais ? Mais la coûtume, direz-vous, les a trompez. Eh bien, excusons-les donc, & supléons mesme à leur defaut, puis que c'est un party plus honneste que celuy de les blâmer.

 

FLORE.

Nous ne pouvons rien faire de mieux. Voila l’Arbre Fée à cent pas de nous. C’est le plus fameux du Païs ; mettons-y le feu de toutes parts ; & tandis que ce Flambeau vivant changera en beau jour cette sombre nuit, chantons chacune une Chanson à la gloire des Princes qui forment la Maison Royale. L’Echo de la Perriere nous répondra ; & les Nymphes d’Arse, d’Ourse, & de Leigne, qui ont joint celle de Seine dans vostre Contrée, nous écouteront avec elle ; puis témoins de nostre Feste, elles en iront ensemble porter la nouvelle à Paris & à Versailles, où Mercure qui sçait tout ce qu’on y dit, l’annoncera bientost à toute la Terre.

 

POMONE.

Nous sommes dans la saison des Ardans, & nous pouvons encore inviter la Seine d’en faire paroître quelques uns pour dancer sur ses Eaux, ou dans cette Prairie, tandis que nous chanterons, & il ne siéra pas mal aux Napées de se mesler avec eux, s’ils viennent sur le rivage. Je serois mesme d’avis que nous priassions la Nuit de dissiper son obscurité, afin que l’air estant sans nuages, le Ciel nous donne par son bel azur, & par le bel ordre & le doux brillant de ses Etoiles, la plus belle des Illuminations.

 

CERÉS.

Je n’ay garde, mes cheres Compagnes, de desaprouver des pensées si raisonnables ; il en faut venir aux effets ; & pour commencer, voicy ce que je chanteray à la gloire de l’auguste Monarque.

 

Loüis le Grand ressemble au puissant Jupiter,

Il en a le regard, la majesté, tout l’air.

Titans, Géans, craignez sa foudre ;

Il vous a pardonné, mais ne l’offencez plus.

Cris, regrets, seroient superflus,

Il vous réduiroit tous en poudre.

 

POMONE.

Voila s’attacher de bonne grace à la Tige. Pour moy, je me prendray à la Branche ; & voicy ce que je diray du Fils de ce Grand Roy.

 

Le genéreux Dauphin tient de nostre Dieu Mars,

Il en a l’action, le bras, & le courage.

Aigles, Lions, & Léopards,

Treve d’humeur vaine & sauvage ;

Apprenez aujourd’huy,

Que quelque bruit que vostre union fasse,

La Guerre contre vous ne seroit rien pour luy

Qu’un divertissement de Chasse.

 

FLORE.

Il me reste donc à parler de la Fleur, & du jeune Lys qui sort des deux autres ; & cette Chanson expliquera ce que j’en pense.

 

Ce cher Enfant est beau comme l’Amour,

Il en a les traits & les graces.

Combien nous luy verrons un jour

Donner d’Assauts, prendre de Places !

Sçachez, fieres Beautez, & vous, fiers Ennemis,

Que par la douceur de ses charmes,

Ou par la force de ses armes,

Tout luy sera soûmis.

 

CERÉS.

Ces loüanges ne sont pas indignes de ces Princes, & nous ne pouvions mieux les comparer qu’à nos Dieux. Mais ajoûtons en faveur du Nouveau-né quelques-uns de ces souhaits efficaces, qui ne manquent jamais d’arriver quand ils partent du fonds de nos cœurs.

 

FLORE.

Nous vous obéïrons avec joye ; & pour ne point diférer, je souhaite & resouhaite que tout ce que je viens de dire du jeune Prince, se trouve veritable dans le temps ; que les Jeux, les Ris, & tous les honnestes Exercices, fleurissent avec luy ; que la Galanterie, la Fortune, & la Victoire, l’accompagnent par tout ; & qu'il soit comme son Ayeul, un sujet continuel d’admiration & d’amour.

 

POMONE.

Je souhaite de mesme, qu’il ait un fonds inépuisable de bonté ; qu’il ne passe point de jour sans faire beaucoup de bien ; qu’il mette dans cette profusion son plus grand plaisir & sa principale gloire ; & que le fruit d’une inclination si loüable soit l’engagement volontaire de toutes les Nations aux Loix de son Empire.

 

CERÉS.

Et moy je souhaite que son Regne ait plus de felicité & de durée que celuy d’Auguste ; que l’Abondance & la Paix en soient inséparables ; que les Arts, les Sciences, & toutes les Vertus, s'y poussent dans la plus haute perfection ; & que ce Prince surpasse autant en mérites ses Sujets, qu’ils surpasseront alors en bonheur tous les autres Peuples de la Terre.

 

POMONE.

Son illustre Naissance ayant servy de fondement à nos souhaits, il est impossible qu’il ne soit un jour infiniment brave, galant, bienfaisant, sage, & heureux ; mais pour achever sa félicité, il me semble qu’il y a encore un souhait à former, dont l’importance demande nostre jonction. C’est qu’il se voye un jour, comme son Ayeul se voit aujourd’huy, un Fils qui soit veritablement dignement de luy, & un Petit-Fils qui luy donne de belles espérances de parvenir à la mesme gloire.

 

Les deux autres Déesses approuverent & confirmerent ce favorable souhait ; apres quoy, l’exécution suivit leurs projets. Il n’en couta pourtant que les Branches à l’Arbre Fée, la Tige est demeurée en son entier.

Le Berger de Flore qui oüit cet agreable entretien, & qui en vit l’effet, comme il retournoit de la Ville de question dans son Hameau, est celuy qui m’en a donné la connoissance ; mais quelque fécondité qu’il y ait dans les souhaits de ces Déesses champestres, il a trouvé qu’il manquoit encore quelque chose ; & c’est que le jeune Prince, plus heureux que François II, que Charles le Sage, que Philippe le Bel, & que S. Loüis, qui eurent le bonheur de voir les fameux Roys leurs Ayeux, mais seulement durant de petits espaces de temps, voye le sien pendant un grand nombre d’années, afin qu’il puisse apprendre à regler ses moeurs & ses actions sur la veuë de celles du plus sage des Monarques, & recevoir des Leçons de bien regner, du plus grand Maistre en cet Art qui fut jamais.

Je croy en effet qu’on ne luy peut rien souhaiter de plus avantageux, quelques souhaits qu’on fasse à son avantage. »

[Malte] §

Mercure galant, janvier 1683 [tome 1], p. 44-49

 

Comme il faut du temps pour recevoir les Nouvelles des Lieux éloignez, je n’ay appris que depuis fort peu de jours ce qui s'est passé à Malte à l'occasion de cette mesme Naissance. On n'en fut pas plûtost informé dans l'Isle, que Monsieur le Grand Maistre, de l'illustre Maison des Caraffes, & le sacré Conseil, ordonnerent un Feu d’artifice, dont le dessein fut formé avec beaucoup d’art & de soin, & executé avec une entiere magnificence, sous la conduite & les ordres de Mr le Chevalier de Beaujeu d’Arles, Commandeur de l’Artillerie de la Religion, qui donna cette Feste publique le Dimanche au soir 18. d’Octobre, avec la décharge de toute l’Artillerie. Le Clergé de la grande Eglise Conventuelle chanta le Te Deum en Pontificat, & fit le mesme jour une Procession solemnelle, où toute la Religion assista. Le Feu de joye estoit composé de quatre grandes Tours. Elles soûtenoient des Galeries & des Trophées d’armes, portées par quatre grands Dauphins, qui firent feu tres-longtemps. Des Vers Latins composez par Mr de Champossin, Prestre Conventuel de l’Auberge de Provence, se lisoient aux quatre faces des Tours. Les Armes de France, de Baviere, & des Païs Conquis, en faisoient l’ornement extérieur. Les Peintures & les Devises occuprent agreablement les yeux d’un nombre infiny de Spéctateurs. Le lendemain 19. Monsieur le Grand Maître fit son Feu particulier au Palais, avec mille marques de grandeur, & de joye. [...] On y permit tout le Dimanche, Lundy & Mardy, la liberté de se déguiser en masque, & les autres divertissemens du Carnaval. L’Auberge de Provence, comme la premiere, fit sa Feste particuliere le Lundy, & donna une Fontaine de Vin au Peuple. Elle couloit par quatre Canaux devant sa maistresse Porte. Le Te Deum fut chanté à la Chapelle de Sainte Barbe, au son de toute l’Artillerie du premier Bastion de Provence. L’Auberge d’Auvergne, qui est la seconde en préeminence, fit la mesme chose le Mardy ; & Mrs les Chevaliers de Carros, & de la Fare, conduisirent le dessein, comme Procureurs. Le Dimanche suivant, 25. du mesme mois, l’Auberge de France s’acquita du mesme devoir avec grand éclat. Il y eut deux Fontaines de Vin, l’une devant la Porte de la Chapelle de S. Loüis à l’entrée du Port, & l’autre devant la Porte de l’Auberge. Les Galeres de l’Ordre donnerent aussi un Spéctacle d’une Feste aux frais de l’Ordre. Il n’y avoit rien de si beau à voir, que le Feu qu’elles firent lors que la nuit commença. Tout ce qu’on se peut imaginer de marques de joye sincere, parut dans les Vivat du Peuple, des Soldats, & mesme des Esclaves, qui suivirent admirablement l’exemple des Chefs.

Beau dit d’une Servante d’Hôtellerie §

Mercure galant, janvier 1683 [tome 1], p. 78-81

Les Vers qui suivent sur divers sujets, sont tous de Mr Daubaine. Vous sçavez, Madame, qu’il conte agreablement, & que son nom est un éloge fort grand pour tous les Ouvrages qui le portent.

BEAU DIT D’UNE
Servante d’Hôtellerie.

Je logeay l’autre jour dans une Hôtellerie,
Où je trouvay bon Vin, & Servante jolie ;
 Le giste n’estoit pas mauvais.
Attendant le Soupé, je gobe deux œufs frais,
Et je bois quatre coups. Là-dessus Claudinete
(C’est la Servante) estant dans la Chambre où j’estois,
J’entre en humeur, je pousse la fleurete.
 De l’air dont je la debitois,
 J’aurois fort avancé l’affaire ;
 Mais nous estions en présence de Gens
Qui ne nous auroient pas peut-estre laissé faire.
Je résous donc de prendre mieux mon temps.
 Tout-à-propos, dans l’entrefaite,
Claudinete sortit, & s’en alla seulete
Dans le Grenier à foin. Je la suis pas-à-pas,
 Croyant déja que c’estoit Ville prise.
 Vrayment, vrayment, je ne la tenois pas.
Mon procedé l’offence, elle s’en formalise.
J’ay beau luy protester que ses charmans appas
 Me font tout-de-bon sa conqueste ;
De mon honneur j’eus toûjours un grand soin,
Me dit-elle, en prenant un gros bouchon de Foin,
Avancez seulement, je vous casse la teste.

Paroles du Poëte Anaxagoras §

Mercure galant, janvier 1683 [tome 1], p. 81-82

PAROLES DU POETE
Anaxagoras.

Antigonus campé, vit Anaxagoras
 Fricasser à grands tours de bras
Des Congres, & d’abord s’avisa de luy dire ;
 Crois-tu qu’Homere éternisoit le nom
  Du grand Agamemnon,
 En tenant une Poële à frire ?
Non, répondit le Poete, en se prenant à rire ;
Mais, dit-il à son tour, Antigonus, sçais-tu
Que ce Roy dont le cœur & la grande vertu
Répondirent si bien à sa noble origine,
  Visitoit son Camp pour sçavoir
 Si le Soldat y faisoit son devoir,
Et non pour critiquer Homere en sa Cuisine.
***
Anaxagoras eut raison ;
Ce qu’il dit est une Leçon
Que tout Censeur devroit apprendre,
Et que Censeur jamais n’apprit.
Tel qui se mesle de reprendre,
Mériteroit souvent qu’on le reprist.

Etreines §

Mercure galant, janvier 1683 [tome 1], p. 83-84

ETREINES.

Vous le sçavez, Iris. Jadis à tout moment,
 (Mais principalement
 Dans le temps des Etreines)
Je vous faisois Vers, Chansons, Billets doux,
 Le tout, sans de fort grandes peines ;
 Et la raison, c’est que pour vous
 L’amour me donnoit du génie.
 Sur vostre teint, sur vos cheveux,
 Sur vostre bouche, sur vos yeux,
 Je trouvois matiere infinie,
 Et j’estois toûjours bien-disant.
 Ce n’est pas de mesme à présent ;
Depuis que vous avez cessé d’estre fidelle,
Je fais pour vous loüer des efforts superflus.
Ma Muse me soûtient que vous n’estes point belle,
Et je pense qu’enfin je ne vous aime plus.

[Lettre curieuse] §

Mercure galant, janvier 1683 [tome 1], p. 96-105

Je vous ay parlé de plusieurs Enfans nez doubles en divers lieux. Ce que je vous en ay écrit, a donné lieu à la Lettre que vous allez voir.

A Mr DE CHAMBON.

Je doute fort, Monsieur, si enfin je ne me lasseray point d’estre de vos Amis. Vous me demandez trop, & à trop bon marché, pour garder entre nous quelque espece de justice. Quand vous m’avez demandé ce que je pense du monstrueux Enfant de Gramat, dont il est parlé dans l’un des Mercures, il falloit me prévenir, en m’apprenant quel est vostre sentiment sur cette naissance. Mais il est trop tard de me plaindre. Vous estes en possession d’en user de mesme, & je devrois avoir contracté l’habitude de vous donner toûjours sans intérest. J’avouë avec Messieurs de Medecine, que leurs anciens Autheurs ne font mention d’aucun Enfant qui ressemble à celuy-cy par toutes ses parties ; mais il faut aussi reconnoistre que ce n’est pas un prodige tout-à-fait inoüy. Les Chirurgiens modernes, qui ont écrit les monstrueuses naissances arrivées de leur temps, en rapportent quelques-unes à peu prés semblables ; ou du moins on trouveroit en plusieurs les diférentes parties du nouveau né.

Au mois de Juillet 1676. à Breteüil en Normandie, Loüise de Fontaines, Femme de Guillaume Prestrel Boucher, accoucha d’un Enfant parfaitement semblable, au moins pour ce qui regarde les parties exterieures, avec la diférence du sexe. C’estoient deux Filles bien formées, continuës depuis le Sternum jusqu’à l’Ombilic. L’accouchement en fut difficile, parce que la Sage-Femme n’estoit pas accoûtumée à de pareilles avantures ; si bien qu’un de ces Enfans souffrit contortion aux parties principales, & cela fit que la vie de tous les deux ne fut pas de longue durée. Ils vécurent trois jours entiers & une nuit. Le Baptesme fut conferé à chacun d’eux en particulier, & on leur donna les noms d’Anne & de Madelaine. Celle qui avoit esté blessée en naissant, ne prit aucune nourriture. Anne estoit vigoureuse, usoit tous les alimens qu’on luy faisoit prendre, & toutes deux avoient un mouvement fort vivant dans toutes leurs parties, sinon que Madelaine estoit languissante. La curiosité m’engagea à les voir, & je remarquay avec tous ceux qui s’y trouverent, au nombre de plus de cent cinquante, à divers temps ; que quand la petite Anne avoit pris le lait qu’on luy faisoit teter par le moyen d’un petit Vase, que les Nourrices du Païs appellent un Biberon, Madelaine revenoit aussi-tost de sa langueur, mais si foiblement qu’on jugea bien dés-lors que ses jours ne seroient pas fort longs ; elle changea bien-tost de couleur, & on la crût morte dés le deuxiéme jour de sa naissance. Cependant elle vivoit de la vie de sa Sœur, & elle luy survécut d’un petit soûpir. Les Chirurgiens du lieu assez expérimentez dans leur Profession, s’offrirent d’en faire l’ouverture, mais la Mere ne voulut pas le permettre. Ainsi on ne peut en juger que par l’exterieur. Ces deux Enfans n’avoient qu’un nombril, comme ceux d’aujourd’huy ; mais il est sans contestation que n’étant unis qu’au Sternum, ils avoient chacun un cœur. On ne hesita point à croire que ce double corps avoit deux ames. Le principe d’Aristote, quand il seroit vray, ne répugne point à ce jugement, puis qu’il y avoit deux cœurs. Si vous voulez que je vous découvre icy mon sentiment, je vous avoüray que l’axiome de ce Philosophe ne passe pas chez moy pour infaillible. Je ne trouve point d’absurdité qu’un cœur suffise à deux corps informez chacun d’une ame. J’attens que vous me tiriez de cette erreur, si c’en est une.

Si le sentiment de Mr Descartes estoit suivy, ma pensée ne souffriroit pas de difficulté. Vous sçavez ce qu’il a crû de la partie où l’ame fait immédiatement ses fonctions, & qu’il luy donne pour siege principal la petite glandule que le cerveau renferme au milieu de sa substance, au dessus du canal par où les esprits des cavitez anterieures ont communication avec ceux de la posterieure ; d’où il s’ensuivroit que l’Enfant de Gramat ayant deux testes & deux cerveaux bien formez, auroit eu necessairement deux ames, parce qu’une ame ne peut pas faire ses opérations immediates en deux endroits. Par exemple, s’il avoit vécu jusqu’à un âge de discernement, & que ses deux testes se fussent à la fois diféremment appliquées aux exercices de leurs sens extérieurs, comment une seule ame auroit-elle pû former nettement les appréhensions des divers objets, dont elle auroit reçeu les images diférentes, confuses, opposées, & peut-estre incompatibles. Mais laissons cette matiere aux Sçavans, qui ne manqueront pas de raisonner sur ces nouveaux prodiges. Je suis vôtre, &c.

du Moulin.

[Histoire] §

Mercure galant, janvier 1683 [tome 1], p. 111-126

 

Il y a des momens inévitables pour aimer, & en vain chercheroit-on la raison pourquoy ces momens ont plus de forces que d'autres. Un Homme qui avoit déjà passé trente années de sa vie dans le monde, sans y prendre aucune passion bien vive, se lève un matin, sort de sa Chambre, & ne s’attend pas qu’il n’y rentrera qu’avec de l’amour. En passant par une Gallerie, il voit dans une Chambre d’une Maison voisine, dont la Fenestre estoit ouverte, une jeune Personne qui joüoit du Clavessin. Elle étoit dans un des-habillé assez propre. Les Manches d’une Robe de Chambre luy tomboient sur les bras, & les couvroient à demy ; mais ce qu’elles en laissoient voir, paroissoit fort beau, & ses mains voloient sur le Clavessin avec beaucoup de vitesse & de grace. Elle accompagnoit de quelques petits mouvemens de teste tout ce qu’elle joüoit ; & à voir ces mouvemens, on pouvoit juger que l’air estoit languissant & tendre. Aussi c'est ce que crût le Cavalier, car il estoit trop éloigné pour entendre l’Air. L’agrément qu’avoit la Demoiselle à joüer du Clavessin, la propreté de l’équipage où elle estoit, sa taille qui luy paroissoit jolie, ses bras qu’il croyoit beaux quoy que de loin, l’idée qu’il conçeut qu’elle s’estoit levée matin pour jouer quelque chose de doux, & de conforme à ses pensées, & pour réver avec son Clavessin ; enfin la fatalité du moment, tout cela fit son effet sur le Cavalier. Il ne la voyoit que de costé, & de sorte qu’il ne découvroit rien de son visage. Cependant il se figura qu’elle estoit belle, & souhaita mille fois qu’elle se détournast vers luy ; mais elle estoit trop appliquée à ce qu’elle faisoit. Cet air d’application le confirma dans sa pensée qu’elle révoit tendrement, & sur cela il se l’imaginoit encor plus aimable. Il eust déjà souhaité estre celuy à qui elle pensoit ; cet air de Clavessin joüé pour luy, luy auroit paru d’un grand prix. Il s’arrestoit à la regarder sans pouvoir lever les yeux de dessus elle, toûjours dans l’espérance qu’elle se détourneroit. Il se sentoit déjà une certaine émotion qui annonce l’amour, ou qui est l’amour elle-mesme, & la veüe des plus aimables Personnes ne luy avoit rien inspiré de si tendre, que le Clavessin, & les mains, & l’air d’une Personne qu’il ne voyoit point. Eust-elle crû que dans le moment qu’elle estoit seule dans sa Chambre, à ne s’occuper que de ce qu’elle joüoit, elle faisoit une conqueste ? Enfin elle sortit sans que le Cavalier eust vû son visage. Il demeura quelque temps dans la Gallerie, tout remply d'elle. Il l’avoit trop vûe, & trop peu. Il connut bien d’abord la bizarrerie, & peut-estre mesme l’extravagance des mouvemens qu’il sentoit ; mais il ne laissa pas de s’y abandonner. C’estoit un de ces Hommes d’imagination, qui ne sont jamais gouvernez que par des regles de fantaisie. Il n’avoit point vû celle qu’il commençoit d’aimer, & ne doutant nullement qu’elle ne fust belle, il soûpiroit déja pour la beauté qu’il luy donnoit luy-mesme. Il ne sçavoit point du tout qui elle estoit. Il y avoit peu de temps qu’il logeoit dans la Maison qu’il occupoit alors, &, ainsi qu’il arrive souvent à Paris, il ne connoissoit point son voisinage. Il s’en informa, & apprit que la Maison où il avoit vû l'aimable Joüeuse de Clavessin, estoit tenuë par un Gentilhomme qui avoit trois Filles, & qui vivoit à Paris apres s'estre retiré du service. Le Cavalier l’alla voir à droit de Voisin. Il en fut fort bien reçeu, & vit les trois Demoiselles, qui sans estre des beautez régulieres, estoient toutes trois fort agreables. Il y avoit entre-elles peu de diférence d’agrément. Si l’une avoit le visage plus joly, l’autre avoit la taille plus fine ; si l’une avoit la bouche plus petite, l’autre avoit les yeux plus grands. Il en estoit de mesme de l’esprit. L’une réparoit par une langueur douce, ce qu’elle avoit d’enjouëment & de vivacité moins que l’autre. Cette égalité de mérite embarrassa le Cavalier. Il s’estoit tenu bien sûr que celle qu’il amoit, estoit la plus aimable, & qu’à cette marque il ne manqueroit pas de la reconnoistre ; mais par malheur les trois Sœurs s’entrevaloient bien. Il est vray qu’il n’avoit qu’à laisser parler son coeur ; mais il avoit peur que son coeur ne se méprist, & ne choisist pas juste celle qui avoit joüé du Clavessin, car c’estoit absolument à celle-là qu’il en vouloit. Ainsi, quoy que la Cadette luy parust la plus touchante par des airs doux & languissans qu’elle avoit, il n’osa en croire tout-à-fait ce qu’il sentoit pour elle, & il suspendit son choix jusqu’à ce qu’il sceust si c’estoit elle qu’il avoit veuë de sa Gallerie. Il crût qu'il avoit un moyen infaillible de le sçavoir, en s'informant si elle joüoit du Clavessin, mais il ne put s'en éclaircir à la premiere visite, & il partit bien sûr qu'il aimoit l'une des trois, sans sçavoir pourtant laquelle ; mais souhaitant que ce fust la Cadette. Peu de jours après, il retourna chez ses aimables Voisines, & il rencontra heureusement cette Cadette dans la Chambre où estoit le Clavessin. Il ne manqua de luy dire qu'il n'y avoit pas d'apparence qu'elle laissast cet Instrument inutile. Elle en convint, & aussi-tost, comme il crut que c'estoit elle qu'il avoit veuë, il se détermina à l'aimer. Les deux autres Sœurs entrerent, & il les trouva beaucoup moins belles. Il estoit trop plein de la Cadette, & de son Clavessin, pour ne la prier pas d'en joüer. Elle s'en défendit fort modestement, & là-dessus l'Aînée dit que sa Sœur, par les façons qu'elle faisoit, donneroit lieu de croire qu'elle estoit bonne Joüeuse de Clavessin, & que cependant la vérité estoit qu'elles n'en joüoient pas assez-bien toutes trois pour se faire prier. Cette déclaration embarrassa de nouveau le Cavalier. C'estoit trop que trois Sœurs qui joüassent du Clavessin. Il ne pouvoit plus distinguer celle qu'il aimoit qu'à une seule marque ; je veux dire, à la Robe de chambre qu'il luy avoit veuë. Il se souvenoit qu'elle estoit bleuë, car l'idée de toute son avanture luy estoit demeurée bien vive, & il n'espéra plus qu'en cette Robe de chambre. Il conta à ces Demoiselles que de sa Gallerie il en avoit vû une joüer du Clavessin, & qu'il avoit bien envie de sçavoir laquelle c'estoit. Il leur nomma le jour, mais elles ne s'en souvinrent point. Enfin, il leur demanda à laquelle des trois estoit la Robe de Chambre bleuë. Il se trouva qu'elle estoit à la Cadette, mais que les deux autres ne laissoient pas de la prendre quelquefois. Ainsi, il ne sortoit point d'embarras. Clavessin, Robe de Chambre, tout estoit commun aux trois Sœurs. Ce n'est pas qu'il ne se sentist plus de penchant pour la Cadette, & qu'il ne fust déjà en état de l'aimer, quand mesme ce n'eust pas esté elle qu'il eust vû joüer ; mais enfin il auroit bien voulu que ç'eust esté elle, & peut-estre c'estoit parce qu’il l’aimoit plus qu'il ne pensoit, qu'il avoit envie de luy pouvoir appliquer l'agreable idée qu'il avoit conçeuë de la petite Joüeuse de Clavessin. Cependant il n'y avoit plus de moyen de la démêler. Il eust falu qu’il eust vû de sa Gallerie, les trois Sœurs joüer en Robe de chambre bleuë, pour tâcher à reconnoistre celle qu’il avoit déja veuë ; mais comme il n’estoit pas aisé de faire cette expérience, il fut réduit à aimer la Cadette, sans avoir bien éclaircy la chose. Enfin il en vint au point de ne douter plus que ce n'eust esté elle pour qui son cœur avoit si fortement parlé, & les sentimens qu'il conçeut l'assurerent que ceux qu'il avoit conçeus auparavant ne pouvoient regarder qu'elle. Il la demanda à son Pere, & l'obtint sans peine ; & cette aimable Personne, depuis qu'elle fut mariée, ne négligea pas le Clavessin, qui avoit fait pour elle les commencemens d'une Conquête assez agreable.

Sonnet §

Mercure galant, janvier 1683 [tome 1], p. 127-129

On m’a fait part d’un Sonnet que vous serez bien-aise de voir. Il est de Mr de Maupertuis, Gentilhomme de Normandie, qui l’envoya le premier jour de l’Année à Mr Berthelot, Secretaire des Commandemens de Madame la Dauphine.

SONNET.

Dans ce jour où par tout on commence l’Année
Par des vœux établis sous de communes Loix,
Soufrez que jusqu’à vous j’ose porter ma voix,
Pour vous la souhaiter tranquile & fortunée.
***
Du plus rare bonheur vostre vie est ornée,
Tout abonde chez vous, la Faveur, les Emplois,
L’Autorité, l’Estime ; & le plus grand des Roys
Donne un œil favorable à vostre destinée.
***
Mais ces titres d’honneur suivis de tant d’éclat,
Cette belle fortune, & ce rang dans l’Etat,
N’ont jamais eu pour vous des appas veritables.
***
Le seul bien qui vous touche, & qui vous semble doux,
C’est lors que vous jettez des regards favorables
Sur mille Malheureux qui périroient sans vous.

Iris à Lisandre. Madrigal §

Mercure galant, janvier 1683 [tome 1], p. 129-130

Voicy d’autres Vers de Mr Petit de Roüen, que vous trouverez fort agreables.

IRIS A LISANDRE.
MADRIGAL.

 Je vous vois d’un œil assez doux,
 Je me plais fort à vous entendre,
 Que veut dire cela, Lisandre ?
 Aurois-je de l’amour pour vous ?
 Puis qu’enfin Caliste est partie,
 Puis-je profiter du moment,
 Et luy dérobant un Amant,
 Surprendre vostre sympathie ?
Tout semble autoriser cette nouvelle ardeur.
Caliste est éloignée ; & moy, je suis présente.
 Tandis que la place est vacante,
Parlez, la pourroit-on remplir dans vostre cœur ?

Réponse §

Mercure galant, janvier 1683 [tome 1], p. 131

REPONSE.

 Vous pouvez tout, aimable Iris,
 Le plaisir de vous voir m’enchante ;
 Si mon cœur n’est pas déja pris,
 Je sens qu’il n’en perd que l’attente.
 Tandis que Caliste est absente,
 De qui le puis-je mieux remplir
Que d’un Objet d’une beauté charmante ?
Il a déja pour vous poussé plus d’un soûpir.
 Je vous parle sans artifice.
Entrez, entrez-y donc, pour jamais n’en sortir,
 Il est fort à vostre service.

Réplique sur les mesmes Rimes §

Mercure galant, janvier 1683 [tome 1], p. 132

REPLIQUE
Sur les mesmes Rimes.

 Le beau Régale pour Iris,
S’il est vray qu’elle vous enchante,
De ne voir vostre cœur encor qu’à demy pris,
Et de languir dans cette vaine attente !
 Tandis que Caliste est absente,
 Dequoy le puis-je mieux remplir,
Dites-vous ? En effet, la fleurete est charmante !
Lisandre, ce Tandis ne vaut pas un soûpir.
 C’est me dire sans artifice,
 Qu’à son retour vous m’en ferez sortir,
Et que le pis-aller est fort à mon service.

Réponse à la Replique §

Mercure galant, janvier 1683 [tome 1], p. 133

Reponse a la Replique.

Iris, mon cœur n’est pas de ces cœurs du vulgaire,
 Qui n’ont qu’un seul apartement ;
 Plus d’une agreable Bergere
 Y peut loger commodément.
 Entrez-y donc, & hardiment.
Que si vous prétendez estre sa seule Hostesse,
 Je le veux bien ; mais en ce cas,
Que le vostre à son tour jamais ne s’intéresse
 Pour Tircis, ny pour Lycidas.

De l'Art Oratoire §

Mercure galant, janvier 1683 [tome 1], p. 133-147

Quoy que beaucoup de Parties soient necessaires à un Parfait Orateur, il y en a deux qui contribuënt ordinairement plus que les autres à luy attirer ces nombreuses Assemblées, qui mettent en réputation ceux qui parlent en public. Il en est traité dans le Discours dont je vous envoye une Copie. L'Autheur nous cache son nom, mais il ne peut cacher son esprit. Lisez, Madame, & vous serez de son sentiment.

DE L’ART
ORATOIRE

Ce n'est pas assez qu'un Orateur ait de l'esprit pour raisonner judicieusement, & pour parler avec politesse ; qu'il ait de la mémoire, pour prononcer un Discours ; il faut plus qu'il ait un extérieur agreable, afin de persuader, & de plaire à mesme temps. Nos sens sont les premiers Juges qui connoissent d'une Oraison. On ne peut gagner ces Juges que par l'action & par la parole. C'est pourquoy l'on veut bien traiter icy de l'une & de l'autre, mais d'une manière nouvelle, & qui ne sera peut-estre pas au dessous de l'Eloquence moderne.

La Parole n'a jamais plus de charme, que quand elle plaist aux oreilles, ce qui dépend principalement de la voix ; & comme rien n'apprend mieux à conduire la voix, que la Musique, on ne fait pas difficulté d'avancer que la Musique seroit necessaire à un Orateur. La proposition n'est pas si hardie, qu'on ne puisse bien la soûtenir.

Pour l'Action, comme sa beauté dépend du geste, & que le geste ne se regle que par les diverses situations du Corps, on peut dire que pour avoir des gestes bien composez, il faut avoir appris à danser.

Il paroist d'abord surprenant, pour ne pas dire absurde, qu'on veüille faire servir la Musique & la Dance à l'Art Oratoire ; & une telle proposition mérite bien un peu d'éclaircissement.

La Musique est utile à un Orateur pour la conduite de sa voix, dont les inflexions doivent s'accommoder à la diversité des Sujets qu'il traite. Ceux qui ont donné des préceptes sur l'Art Oratoire, conviennent qu'on doit élever plus ou moins la voix aux diférentes parties d’une Oraison ; que l'on doit continuer, & finir autrement que l'on ne commence ; qu'on n'agite pas toutes les passions d'une égale maniere ; & qu'ainsi on ne garde pas toûjours le mesme ton de voix dans le Discours. Il y a des tons propres à certains sentimens ; d'où vient qu'on parle autrement en colere, que de sang-froid ; d'où vient que la joye & la tristesse s'expriment diversement, & que l'on ne répond pas toûjours sur le mesme ton que l'on est interrogé. On peut remarquer que les divers tons de voix viennent souvent des diférentes passions qui nous agitent ; & que les passions dépendent quelquefois des humeurs qui dominent dans nos corps, tant il y a de raport entre le corps & l'esprit. Ce raport est d'autant plus fort, que c'est la Nature elle-mesme qui l'a formé. Aussi on ne sçauroit séparer les passions des humeurs. C'est pour cela que les Paroles sont les images de nos pensées, & qu'elles nous expriment au dehors ce nous sentons au dedans. La Parole est éloquente, selon qu'elle s'accommode aux oreilles de ceux qui l'écoutent. Je diray plus. Les sons mesme peuvent exciter en nous quelque passion ; de sorte qu'à la Guerre on n'est jamais plus animé que par le bruit du Canon, & par celuy des Tambours & des Trompetes. L'Histoire rapporte qu'un Capitaine Grec se servoit à l'Armée d'un Instrument pour sonner tantost la Charge, tantost la Retraite, suivant qu'il en joüait d'une maniere élevée, ou tendre. L'expérience nous montre, que les plus beaux sentimens perdent toute leur force quand ils ne sont pas soûtenus par une voix qui leur soit propre. Les Comédies & les Tragédies en Musique ne sont plus agreables que les autres, que parce que le Chant y rend les passions plus naturelles. C'est là où l'on sent bien mieux qu'on ne le peut dire, le raport qu'il y a entre la douceur de la voix, & la tendresse de l'amour, & où l'on éprouve qu'on se laisse aisément persuader par des sons, qui semblent faits pour nos humeurs, & pour nos tempéramens. Mais puis que l'Eloquence n'est pas moins utile au Barreau qu'à la Chaire, on peut remarquer des exemples moins profanes. La Religion ne nous en présente-t-elle pas de tres-beaux dans l'Ancien Testament, où Dieu sembloit se plaire aux Cantiques & aux Instrumens ? La Musique n'est pas moins agreable dans l'Eglise, puis que quand elle y est bien chantée, elle éleve l'ame à Dieu, & luy donne, s'il faut ainsi dire, un avant-goust des plaisirs du Ciel.

La Dance est utile à une Personne qui doit parler en public, non seulement pour luy fortifier les organes de la voix (comme nous apprend Démostene qui prononçoit souvent un Discours à haute voix en montant avec violence sur une haute Montagne) mais encore pour luy former une action qui n'ait rien de géné ny de contraint ; d'où vient qu'anciennement les Orateurs parloient en public sur des Galeries, & à leur exemple en Italie les Prédicateurs preschent encore dans de grandes Chaires, où ils peuvent facilement se promener, & avoir une action libre. On ne voudroit pourtant pas donner un Orateur Italien pour modelle à un François. Un Italien seroit plus propre à former un Bouffon de Theatre, qu'à faire l'ornement d'une Chaire. Il faut de la modération & de la retenuë dans l'action. C'est pourquoy l'action Françoise est si agreable. Elle n'est point contrainte ; elle est libre, hardie ; elle s'accommode au Discours, & n'a que des mouvemens naturels. On ne doute pas que les gestes ne soient quelquefois aussi éloquens que les paroles. Pour marque de cela, l'Inquisition d'Espagne a esté obligée de défendre la Sarabande, à cause qu'elle excitoit trop les passions. On peut dire que le geste est proprement l'ame de l'action. En effet, Ciceron ne fit pas de difficulté (pour perfectionner son geste) de consulter longtemps des Comédiens, comme des Gens qui font profession de plaire par là. Il n'y a que la Dance qui puisse faire acquérir cette perfection de geste, qui est si propre à persuader, qu'on tient que Socrate n'apprit à dancer sur la fin de ses jours, qu'afin de pouvoir professer la Philosophie avec une action plus libre & plus insinuante.

Cependant pour tirer quelque fruit de ce Discours, il faut remarquer qu'on n'entend pas imposer icy aux Orateurs une necessité absoluë de chanter, & de dancer. On prétend seulement leur faire connoistre combien le Chant & la Dance pourroient leur estre utiles pour gagner un Auditoire, s'ils en sçavoient faire un bon usage ; la Musique servant à parler d'un ton propre à persuader, soit en fléchissant la voix dans les diférentes passions, soit en l'accommodant aux parties du Discours, aux Auditeurs, & au Lieu où l'on parle ; & la Dance servant à fortifier le geste, à donner une situation naturelle au Corps, à enhardir l'Orateur, à le faire parler de bonne grace, & d'une maniere agreable ; de sorte qu'il est à présumer qu'avec une voix & une action reglées par la Musique & par la Dance, on auroit acquis deux belles dispositions à persuader & à plaire dans l'Art Oratoire.

[Air de Violon]* §

Mercure galant, janvier 1683 [tome 1], p. 147-148.

Les Airs de ViolonAvis pour placer les Figures : l’Air de Violon, doit regarder la page 147. qui estoient dans ma Lettre du mois passéI, ayant esté trouvez beaux, j´en ay fait graver une Suite que je vous envoy. Vous trouverez le véritable nom de l´Autheur dans la mesme Planche. Je dis véritable, parce qu´on le donna peu correct la dernière fois, & qu´on y mit des lettres pour d´autres. A peine a-t-il eu le temps de revoir cette seconde Planche de ses Airs, qu´il est party pour retourner auprès de Mr l´Electeur de Saxe son Prince, qui veut l´employer pour les divertissemens du Carnaval.

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Sur un Torrent. Sonnet §

Mercure galant, janvier 1683 [tome 1], p. 161-164

Madame des Marais, Fille de Mr Berrier, Secretaire du Conseil, & Femme de Mr Huraut, Comte des Marais, est aussi morte depuis peu de jours. Elle n’avoit que 32. ans. De pareilles morts nous font tous les jours connoistre, que nous n’avons point de jours assurez, & qu’il n’y a rien qui passe si viste. C’est une pensée que vous trouverez exprimée d’une maniere fort spirituelle dans le Sonnet que vous allez voir. Il est fait sur le sujet d’un Torrent, qui a esté proposé dans quelqu’une de mes Lettres.

SUR UN TORRENT.
Sonnet.

Miroir vaste & pompeux des plus belles journées,
Tu me fais concevoir par ce rapide cours,
Que comme tu te perds apres ces grands détours,
Un cours presque insensible emporte mes années.
***
A peine les reçois-je, elles sont terminées.
L’instant de leur croissant m’en marque le décours ;
Enfin, comme tes eaux, elles sont tous les jours
Rapides, sans retour, orageuses, bornées.
***
Mais tu m’instruis de plus par ta rapidité,
Que je cours dans le sein de la Divinité,
Si j’ay le cœur exempt d’attache criminelle ;
***
Que suivant les moyens qui doivent m’y mener,
Je dispose mon cours à la Source eternelle,
Puis qu’en estant sorty, je dois y retourner.

Sonnet §

Mercure galant, janvier 1683 [tome 1], p. 187-189

SONNET.

Elle n’est plus au monde, & le Ciel l’a ravie ;
De ce coup imprévû, Passans, versez des pleurs.
La mort, dont on ne peut éviter les rigueurs,
Triomphe impunément des beaux jours de Sylvie.
***
Elle estoit de son Sexe, & la gloire, & l’envie,
Ses vertus la faisoient régner sur tous les cœurs ;
Et ses appas estoient suivis d’Adorateurs,
Quand la Parque coupa la trame de sa vie.
***
D’un trépas si cruel, tout l’Univers en deüil,
Par des regrets publics honore son Cercüeil ;
Mais moy qui luy jurois une ardeur toute entiere,
***
Qui ne trouvois qu’en elle un veritable bien,
Puis-je voir ses beaux yeux privez de la lumiere,
Et diférer d’unir mon triste sort au sien ?

Au Roy §

Mercure galant, janvier 1683 [tome 1], p. 189-193

Le Roy qui parmy tant de Sujets d’admiration qu’il donne de jour en jour, conserve une modestie qui n’a jamais eu d’égale, entendant parler à son retour d’une Chasse, ceux qui avoient l’honneur d’estre auprés de luy, de quelques Places que l’on assiegea pendant la guerre de Flandre, & leur imposant toûjours silence sur ce qui le regardoit personnellement ; quelqu’un ne laissa pas de prendre la liberté de le faire souvenir, que le voyant monter sur la Tranchée au Siege de Tournay, il avoit osé luy prendre les jambes pour le faire rentrer dans la Tranchée, tandis qu’un autre luy ostoit son chapeau couvert de Plumes blanches. Sa Majesté s’adressa à Mr le Duc de S. Aignan, & luy dit que c’estoit tout ce qu’il auroit pû faire ; à quoy ce Duc répondit, que ceux qui se trouvoient de sa suite dans ces sortes d’occasions, étoient trop heureux, puis qu’au moins ils se voyoient le soir hors d’inquiétude pour les périls ausquels Sa Majesté s’estoit exposée le jour ; & le matin, pour les dangers qu’Elle avoit courus la nuit ; mais que pour luy qui passoit presque tout ce temps-là aux soins qu’il devoit au gouvernement du Havre, il n’avoit point de veritable repos, connoissant le courage du Roy, & le mépris qu’il faisoit des dangers. Cette conversation finit par les loüanges qui furent données à ces quatre Vers, que ce Duc fit Inpromptu.

AU ROY.

Grand Roy, dont tout le monde admire la valeur,
Je dois me consoler de n’avoir pû vous suivre.
La crainte de vous voir avec tant de chaleur
En danger de mourir, m’eust fait cesser de vivre.

Il est aisé de voir par ces Vers, que quelque protestation que Mr le Duc de Saint Aignan ait faite de n’en faire plus, il luy sera difficile de s’en empescher, quand il s’agira de la gloire de Sa Majesté.

[Eloge, Mort & Convoy de M. le Comte de Véxin] §

Mercure galant, janvier 1683 [tome 1], p. 200, 208-211, 214

 

Loüis-César de Bourbon, Comte de Véxin, Légitimé de France, est mort le Dimanche 10. de ce mois, fort regreté de tous ceux qui l'ont connu. Il n'avoit que dix ans, & quoy qu'il eust passé les premiers jours de sa vie dans des incommoditez continuelles, il avoit avec un esprit extraordinaire une capacité fort au dessus de son âge. [...]

 

Si-tost que Sa Majesté eut appris la mort de ce jeune Prince, Elle destina de son propre choix, l'Eglise de S. Germain des Prez pour lieu de Sépulture ; & ordonna à Mr de Seignelay, Secretaire d’Etat, d’aller dés le lendemain dans cette Abbaye, pour convenir avec le Pere Prieur, du lieu où le Corps seroit inhumé. On choisit la place la plus honorable au milieu du Chœur, entre l’Aigle, & le Tombeau du Roy Childebert, premier fondateur de ce celébre Monastere. On travailla dès ce moment à tous les préparatifs nécessaires. [...]

On sonna durant presque toute la journée les Cloches de grosse Tour, qui sont des plus belles, & des plus harmonieuses du Royaume ; & sur les cinq heures du soir, les Religieux de cette Maison se disposerent à recevoir ce Corps, avec tout le respect & toute la pompe qu'on doit aux Princes de cette naissance. [...]

 

Mr le Curé de S. Germain l'Auxerrois présenta le Corps du Prince, & fit une Harangue en Latin avec beaucoup d'éloquence. Le Pere General, qui le reçeut, luy répondit en la mesme Langue. Les quatre Chantres commencerent l'Antienne accoûtumée, Subvenite, & l'on porta le Corps sur la Représentation. Les Religieux précedoient en ordre. Six d'entre eux portoient le Corps, & quatre Aumôniers soûtenoient les quatre coins du Drap mortuaire. On chanta ensuite les Vespres des Morts, & à la fin on fit l'Inhumation avec les Cerémonies & les Prieres accoûtumées. [...]

[Ouvrage galant, & plein d'invention, remply de Prose, & de Vers] §

Mercure galant, janvier 1683 [tome 1], p. 219-231

Comme jamais la gloire d'un Souverain n'a esté dans une si haute élevation que l'est aujourd'huy celle du Roy, jamais les évenemens heureux des autres Monarques n'ont causé une si sensible joye, que ce qui arrive à Sa Majesté. C'est par là que toute la France a fait des Réjoüissances si extraordinaires pour la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne. Les Particuliers, qui se sont distinguez dans le monde par leur esprit, apres avoir contribué à l'allégresse publique par leurs Feux, & par les autres démonstrations de joye, ont travaillé sur cet auguste Sujet. Mr Perrault, si connu dans l'Empire des beaux Arts & des belles Lettres, est un de ceux qui a témoigné le plus de zele de toutes manieres dans cette importante occasion. Il a fait paroître sur tout par un Ouvrage d'une invention tres-particuliere, combien il s'intéressoit dans le bonheur de la France. Je ne puis vous le donner icy tout entier, parce qu'il occuperoit trop de place dans ma Lettre. Je vous diray seulement qu'il l'a intitulé, Le Banquet des DieuxVoir cet article (reprise du Banquet des Dieux à la demande de la dauphine)pour la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne. Il feint que sur la fin de ce Celeste Repas, une Symphonie de toutes sortes d'Instrumens, la plus grave & la plus majestueuse qui fut jamais, surprit agreablement l'Assemblée, & qu’apres qu'elle eut duré quelque temps, elle cessa pour faire place à une autre Symphonie moins forte, mais qui n'estoit pas moins agreable, & sur laquelle Jupiter chanta ces Vers.

 Vous avez sçeu, Troupe immortelle,
    L'agreable nouvelle
Qui rend de toutes parts les Peuples réjoüis,
Et qui vient de combler le bonheur de LOUIS.
 Célébrons l'heureuse Naissance
Du Héros qu'en ce jour le Ciel donne à la France.

Voicy ce qu'ajoûte l'Autheur de ce mesme Ouvrage. Tous les Dieux ayant répeté ensemble ces deux derniers Vers, Jupiter poursuivit de cette sorte.

C'est le sang de LOUIS, ce roy victorieux,
 Sous qui toute l'Europe tremble,
 Et qui ne voit rien sous les Cieux
 Qui l'égale, ou qui luy ressemble.
 C'est pour luy que je vous assemble
 Dans ce Palais délicieux.
   Prenons par tous ensemble
Au bonheur d'Héros si grand, si glorieux,
Le Modelle des Roys, & l'image des Dieux.

Le Chœur des Dieux ayant répeté les trois derniers Vers de ce Couplet, & la grande Symphonie ayant joüé encor quelque temps, Apollon prit sa Lyre, & chanta les Paroles suivantes.

Je voy dans l'Avenir, malgré ses replis sombres
 Dont mes regards percent les ombres,
De ce jeune Héros mille exploits éclatans.
 Jamais la Fable, ny l'Histoire,
N'ont rien dit de plus beau dans la suite des temps,
Et rien n'égalera son bonheur & sa gloire.

Les Muses, qui s'estoient rangées aupres d'Apollon, & qui avoient fait avec leurs Instrumens une Symphonie admirable pendant qu'il chantoit, reprirent les trois derniers Vers ; apres quoy, ce Dieu se tournant vers elles, & les regardant, chanta ce qui suit.

Combien de fois les Exploits de LOUIS,
Que vos beaux Vers à jamais feront vivre,
  Vous ont-ils les yeux ébloüis,
Et causé la douleur de ne les pouvoir suivre !
Filles de Jupiter, avoüez entre nous,
  Qu'après tant de chants de Victoire,
Et tant de Monumens d'éternelle mémoire,
  Le repos vous sembleroit doux.
  Non, non, son immortelle Race
  Suivra sa glorieuse trace,
  Il n'est point de repos pour vous.

Les Muses ayant encor repris les trois derniers Vers de ce Couplet, Apollon continua en cette maniere.

  Chantez cette aimable Princesse
Dont le Ciel a fait choix pour l'Empire des Lys,
  Qui par la Naissance d'un Fils
Le remplit de bonheur, de gloire, & d'allégresse,
  Et rend tous ses vœux accomplis.
Chantez cette Princesse heureusement féconde,
Qui donne pour jamais des Roys à tout le Monde.

Le Chœur des Muses ayant répeté ces deux derniers Vers, Vénus & Mars chanterent ceux-cy en Dialogue.

 

VENUS.

Que nous verrons un jour de Festes & de Jeux !

 

MARS.

Que nous verrons un jour de Combats dangereux !

 

VENUS.

Héros ne fut jamais plus beau, ny plus aimable,
 On ne pourra luy refuser son coeur.

 

MARS.

Héros ne fut jamais plus grand, plus redoutable,
  Tout fléchira sous sa valeur.

 

VENUS.

  Jeunes Beautez, craignez ses charmes.

 

MARS.

  Braves Guerrières, craignez ses armes.

 

VENUS.

Redoutez sa douceur.

 

MARS.

         Redoutez son couroux.

 

VENUS & MARS.

  Son sort fera mille Jaloux,
  Il sera couronné de gloire
  Par l'Amour, & par la Victoire.

 

Ce Dialogue finy, les Graces se mirent à dancer une espece de Ménüet ; & en suite Bacchus ayant le Verre en main, se tourna avec un air riant vers le Buffet, & chanta ces Paroles, en regardant Silene, & les Satyres.

Allons, mes chers Enfans, & vous, Pere Silene,
 Qui ne m'avez jamais abandonné
  Buvons, buvons à Tasse pleine
  Au Prince qui nous est donné.
Que chacun de ce jus enlumine sa trogne ;
 Et fasse honneur au Prince fortuné
  Du fameux terroir de Bourgogne.

Silene & les Satyres ayant répeté les trois derniers Vers, Bacchus poursuivit.

Il vaincra comme nous les Climats de l'Aurore,
Et le long du rivage More
Son Bras établira nostre Empire divin,
Et son foudroyant Cimeterre
Délivrera toute la Terre
De ce Peuple maudit qui ne boit point de Vin.

La Feste se termina pas ces Vers que Jupiter chanta sur une Symphonie grave & tres-sérieuse.

  Que de bonheur ! que d'abondance !
  Que de gloire & que de repos
Aux Peuples qui vivront sous l'auguste puissance
De LOUIS, de son Fils, & du jeune Héros
  Dont nous celébrons la Naissance !
 Jamais le Ciel ne vit un si long cours
  D'heureux succés, & de beaux jours.

Tous les Dieux reprirent les deux derniers Vers, & Jupiter continua.

Nous pouvons desormais dans une Paix profonde
  Joüir de nos heureux destins,
Et parmy les Plaisirs, les Jeux & les Festins,
Nous reposer sur eux de l'Empire du Monde.

Tous ces Vers ont esté mis en Musique par Mr Oudot, & chantez à la Cour, où ils ont reçeu beaucoup d'aplaudissemens.

[Nismes] §

Mercure galant, janvier 1683 [tome 1], p. 237-239

 

Parmy les diverses Festes que l'on a faites à Nismes dans la mesme occasionII, Mrs du Présidial se sont extrémement distinguez. Apres avoir donné à souper aux Prisonniers, & fait chanter le Te Deum dans la Chapelle de leur Palais, ils en sortirent en Corps, & en habit de cerémonie, précedez par la Basoche, qui faisoit une Compagnie de trois cens Clercs, ou Praticiens, tous fort lestes, & qui avoient des Tambours, des Trompetes, des Hautbois, & des Violons à la teste de leur Drapeau. [...]

A Madame la Dauphine §

Mercure galant, janvier 1683 [tome 1], p. 247-248

Plusieurs autres Souverains ont envoyé aux Ambassadeurs, & aux Envoyez qu’ils ont icy, des Lettres de congratulation sur la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne. Voicy un Madrigal que cette Naissance a fait faire à Mr Daubaine.

A MADAME
LA DAUPHINE.

En nous donnant un Prince, adorable Princesse,
Pendant tout l’an passé vous nous fistes joyeux.
Dieu veuille en celuy-cy que pleine d’allégresse
 La France puisse en compter deux.
Non, nous ne sommes-pas au comble de nos vœux.
 Si par autant de Victoires gagnées
De l’auguste LOUIS nous comptons les journées,
  Nous voudrions que dans cent ans,
  Luy mesme comptast ses années
  Par autant de ses Descendans.

[Piece de Lut de Mr Gallot]* §

Mercure galant, janvier 1683 [tome 1], p. 248-249.

Comme je sçay que vous estimez beaucoup Mr Gallot,Avis pour placer les Figures : la Piece de Lut, doit regarder la page 248. je vous envoye une de ses Pieces de LutLe Mercure publie dans la même livraison une pièce pour le luth de Jacques Gallot, qui m'est tombée entre les mains, & que j'ay fait graver. Cet habile Maistre est revenu d’un long Voyage qu´il estoit allé faire & qui a privé Paris des concerts qu´il donnoit tous les Samedis au Public. Il les doit recommencer dans peu de temps, & l´on aura le plaisir d´entendre cet excellent Homme qui réüssit si bien, tant pour la finesse du Jeu, que pour la position des doigts & la propreté.

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[Devise des jetons de cette année] §

Mercure galant, janvier 1683 [tome 1], p. 258-272.

Je viens à l’Article des Jetons que l’on fait batre pour estre distribuez le premier Jour de l’An, & dont je vous envoye toûjours une Planche gravée dans ma Lettre de Janvier.

I.

Le Trésor Royal. Cette Devise représente une Urne, sur laquelle un Dieu de Fleuve est appuyé, & d’où sortent des eaux en abondance, qui forment une Riviere, avec ces mots de Virgile,

Semperque recentes.

Cette Urne est l’image du Trésor Royal, d’où les Finances de Sa Majesté, toûjours inépuisables, & toûjours nouvelles, coulent incessamment pour porter l’abondance dans le Royaume. Le Dieu du Fleuve appuyé sur l’Urne, marque qu’il y a quelque chose de plus qu’humain dans l’ordre merveilleux qui est étably dans les Finances. Cette Devise est de Mr Quinaut, & du nombre des cinq que Mr Colbert choisit, & qu’il distribuë aux Graveurs qu’il juge les plus habiles. Mr Chéron a eu cette année le Trésor Royal. Il a pour son droit deux mille cinq cens livres. Les cinq Devises que Mr Colbert prend soin de choisir tous les ans entre plusieurs que l’on luy présente, sont

Le Trésor Royal,
Les Bâtimens,
Les Revenus Casuels,
L’Admirauté,
Et les Galeres.

Il faut pour le Trésor Royal huit cens Jetons d’or, & deux mille six cens d’argent. Ces Jetons sont distribuez par le Garde du Trésor Royal en année. Vous sçavez, Madame, que ce grand Employ est remply par deux Personnes qui servent alternativement, qui sont Mrs de Bertillac, & du Metz. Mr du Metz est entré en exercice cette année. Cet Employ n’est pas le seul dans lequel il sert le Roy avec un zele & une fidelité éprouvées depuis fort longtemps.

II.

Ce Jeton est pour la Reyne. Il en faut six mille cent d’argent. Mr du Vaux qui les distribuë, est Trésorier de la Maison de cette Princesse.

La Devise est un Lys épanoüy, sur lequel des goutes de Lait tombent du Ciel. Elle a esté trouvée par Mr Vielle, Premier Commis de Mr Berrier.

Les Poëtes disent que Junon ayant épanché quelques goutes de Lait de ses mamelles, des Lys en sortirent. Ce Jeton a esté gravé par Mr Chéron.

III.

Les Revenus Casuels. C’est un Port de Mer, où l’on voit quelques Vaisseaux, avec ces mots,

Tuti quos recipit.

Un Port de Mer est une image parfaite des Parties Casuelles, où les Officiers qui ont esté reçeus, sont dans une entiere seûreté, & cessent d’estre exposez au péril de perdre leurs Charges. La Devise est de Mr Quinaut. Ce Jeton a esté gravé par Mr le Ferme. Il en faut cent d’or, & trois mille cinq cens d’argent. Mr Testu est Trésorier.

IV.

L’Admirauté. Une Bombe, & un Port de Mer. Cette Devise est de Mr Charpentier de l’Académie Françoise, & a esté gravée par Mr Rottier. Il faut quatre mille cinq cens Jetons d’argent. Mr Lubert est Trésorier de la Marine.

V.

Les Galeres. La Foudre, avec ces mots,

Obluctantia quærit.

Comme c’est le propre de la Foudre, de chercher de la résistance, c’est aussi ce que le Roy veut que ses Galeres entreprennent, en attaquant tout ce qu’il y a de plus redoutable & de plus grand. La Devise est de Mr Quinaut, & le Jeton gravé par Mr Loir. Il en faut deux mille huit cens d’argent. Mr Henry est Trésorier des Galeres.

VI.

L’Artillerie. Ce Jeton est gravé par Mr Aury.

VII.

Les Bâtimens. Un Apollon debout, appuyant sa Lyre sur un Pilastre, pendant qu’il ordonne à des Ouvriers d’élever un Palais,

Nec cessat lustrare orbem.

Quoy que le Soleil, ou Apollon qui représente le Roy, donne ses soins à faire bâtir, il ne laisse pas d’éclairer le Monde. On croit que cette belle Devise a esté faite par Mr Colbert. Elle a esté gravée par Mr Bernard. Il faut seize cens Jettons d’argent pour les Bâtimens. Mr de la Planche en estoit Trésorier, mais il a depuis peu vendu sa Charge à Mr Manessier, qui entre cette année en exercice.

Voicy des Vers qui ont esté faits pour la Devise des Bâtimens de cette année.

Dans le temps qu’il construit de pompeux Bâtimens,
De son noble loisir legers amusemens,
Mais chef-d’œuvres parfaits d’éternelle mémoire,
Il ne cesse, occupé de mille emplois divers,
De porter ses soins & sa gloire
Dans tous les coins de l’Univers.

VIII.

Ordinaire des Guerres. Cette Devise représente un Grénadier,

Dat Fructus, datque coronas.

Rien n’est plus intelligible. Mr Paparel en est, Trésorier. Le Jeton a esté gravé par Mr Chéron.

IX.

Extraordinaire des Guerres. Un Trophée d’Armes gravé par le mesme Mr Chéron.

X.

La Chambre aux Deniers. Un Autel, sur lequel il y a des Epis de Bled, des Fruits, & des Raisins,

Primitiæ superis.

Cette Devise est du Pere Menestrier Jesuite. Le Jeton est encor gravé par Mr Chéron, ainsi que celuy qui suit.

XI.

Les Ponts & Chaussées. La Devise a ces paroles pour ame,

Vicit Iter durum.

XII.

La Ville de Paris. Un Lys, avec deux Rejetons,

Et ab uno flore quid ambo ?

Cette Devise est de Mr de Santeüil. Elle est gravée par Mr Aury.

XIII.

Pour les Notaires. Cette Devise est sur le sujet de la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne,

Quieta tempora damus.

Elle est gravée par Mr Rottier.

XIV.

Pour les Gardes & Marchands de Vin. Sept Vaisseaux, & une Grape de Raisin, qui sont les Armes de la Compagnie, avec une Coupe sur un Autel,

Regum mensis, arisque Deorum.

La Devise est de Mr de Santeüil, & le Jeton gravé par Mr Rottier.

XV.

Huissiers du Conseil.

XVI.

Pour les Etats de Bourgogne.

Le Signe du Belier sur le Zodiaque, avec ces mots,

Nostrum uni ex superis nomen.

Le Belier qui portoit une Toison d’or, donna le nom à la premiere Maison du Soleil. Ainsi la Duché de Bourgogne, où l’Ordre de la Toison a esté institué, a eu l’honneur de voir donner son nom au Petit-Fils Loüis le Grand, dont le Soleil est le Symbole. Cette Devise est de Mr l’Abbé Tallemant Intendant des Devises. Elle est gravée par Mr Chéron.

J’ay reçeu si-tard le Jeton de Madame la Dauphine, que je suis obligé de le réserver pour le mois prochain.

[Bénédiction des Drapeaux] §

Mercure galant, janvier 1683 [tome 1], p. 272-278

 

Le Mardy 19. de ce mois, on fit la Cerémonie de la Benédiction des trente Drapeaux du Régiment des Gardes. On avoit fait un détachement de dix Mousquetaires par Compagnie, qui font trois cens Hommes, dont trente furent postez avec trois Sergens, aux trois Portes du Chœur de Notre Dame, pour empescher la confusion ; & les deux cens soixante & dix autres Mousquetaires firent une haye dans la Ruë, des deux costez, à commencer depuis la Porte de l'Eglise autant que l'on put s'étendre. La marche des trente Drapeaux se fit de cette maniere.

Le Tambour Major, vétu d’un Juste-au-corps bleu, galonné d’argent, avec un Baudrier de Tabis gris, piqué d’argent, sortit des Tuilleries pour aller à Nostre-Dame, suivy de soixante Tambours battans, vestus de Juste-au-corps bleus, chamarrez en Trompetes de Galon de soye rouge, argent & bleu, des Livrées du Roy. Ils avoient des Baudriers de Buffe galonnez du mesme Galon argent & bleu, des Chapeaux aussi galonnez, des Echarpes de soye, avec des Rubans assortissans au Chapeau, & à la Cravate. On voyait les Armes du Roy sur leurs Caisses. En suite paroissoit Mr d'Artagnan Major, à cheval, suivy de Mrs de Montdegeorge, & de Vitry, Aydes Major, & de Mrs Luzancy, Vauroüy, Candot, & Clisson, Sous-Aydes Major, tous à cheval. Soixante Sergens à pied, six de front, marchoient après eux, armez de leurs Hallebardes. [...] Les trente Enseignes suivoient à cheval, portant chacun leur Drapeau. Ils alloient quatre de front, & précedoient soixante autres Sergens [...], & suivis de soixante autres Tambours. Quand ils arriverent prés de Nostre-Dame, Mr le Major, ses Aydes, & les Enseignes, mirent pied à terre, & entrerent dans la Nef, où les Sergens & les Tambours se mirent en haye à droite & à gauche. Les Enseignes & les Drapeaux occuperent le milieu. Un peu après, Mr le Major & ses Aydes, avec les trente Enseignes & leurs Drapeaux, furent reçeus dans le Chœur, où se trouva Monsieur l'Archevesque assis dans un Fauteüil au pied des Marches du Maistre Autel. Ce fut là qu'il fit la Cerémonie. Le Drapeau blanc qui est pour la Colonelle, estoit le premier. Il y avoit cinq Couronnes peintes en or dans ce Drapeau. Les vingt-neuf autres estoient de Taffetas bleu Fleurdelisé aussi en or, avec une Croix blanche où estoient les cinq Couronnes. L'Enseigne qui portoit ce premier Drapeau, se mit à genoux aux pieds de Mr l'Archevesque, & se releva après avoir reçeu l'Eau-beniste. La mesme chose se fit pour les autres Drapeaux. En suite Mr l'Archevesque se leva, & s'alla mettre dans la Chaise Archiepiscopale, où il dit des Oraisons, avec la Musique. On y chanta le Veni Creator, & cela fait, on sortit dans le mesme ordre qu'on estoit entré. [...]

[Divertissemens de la Cour] §

Mercure galant, janvier 1683 [tome 1], p. 319-322

 

La Cour de France, qui est non seulement la plus grande & la plus galante de l'Europe, mais encor la plus florissante & la plus tranquille, continuë à prendre part aux plaisirs que le Roy a la bonté de luy procurer. Il y en a de marquez pour chaque jour de la semaine. Le Lundy, le Mercredy, & le Vendredy, sont destinez pour le Jeu ; & ces trois jours là sont toûjours nommez Jours d'Apartement. Je vous en fis il y a un mois une assez longue description pour ne vous en point parler davantage. Le Dimanche, le Mardy & le Jeudy, sont marquez. Il y a Bal & Comédie Françoise ou Italienne. L'Opéra est le divertissement du Samedy. Celuy qu'on y représente, est intitulé Phaëton. Les Vers sont de Mr Quinaut, Auditeur des Comptes ; & la Musique, de Mr de Lully. On assure qu'il n'y a rien de plus beau que celle de cette Piece, & que la Symphonie en est admirable. Comme il n'y a point encor d'assez grande Salle à Versailles pour y faire des Machines, il n'y en a point dans cet Opéra ; de sorte que la grandeur du Spéctacle dépend des Habits. Mr Berrin, Dessignateur ordinaire du Cabinet du Roy, n'en a pas seulement fait les Desseins, mais il a aussi pris soin de les faire exécuter. On les a trouvez tres-bien entendus, & d'une façon toute singuliere.

[Vers à M. de Fourcy]* §

Mercure galant, janvier 1683 [tome 1], p. 324-326

Le Roy ayant nommé Mr le Président de Fourcy pour remplir la place de Prevost des Marchands, apres Mr de Pomereu, ce Président reçeut le jour mesme un Paquet où estoient ces quatre Vers.

La Fortune aujourd’huy vous rend une visite,
Jalouse de montrer envers vous son devoir ;
Mais elle pourra bien épuiser son pouvoir,
Sans qu’elle égale encor vostre rare mérite.

Mr le Président de Fourcy est genéralement estimé. Il est tres-habile, & tres-honneste Homme, & d’une naissance illustre.

[Recueïl des Sonnets sur les Bouts-rimez de Pan & Guenuche] §

Mercure galant, janvier 1683 [tome 1], p. 326-327

 

Vous vous souvenez, Madame, que Mr Mignon, Maître de la Musique de l'Eglise de Paris, proposa il y a quelque mois, des Bouts-rimez remplis à la loüange du Roy, sur les Rimes de Pan & Guenuche, & promit la Médaille de Sa Majesté à celuy qui feroit le plus beau Sonnet. Celuy qui a remporté le Prix commence par,

Joins un courage d'Aigle à la fierté d'un Pan.

On le trouvera à la teste d'un Recueïl, que le Sr Quinet Libraire, dans la Gal. des Prisonniers, a fait imprimer. [...]

[Nouveaux Dialogues des Morts] §

Mercure galant, janvier 1683 [tome 1], p. 330-332

Vostre impatience pour les Dialogues des Morts, dont je vous parlay la derniere fois, sera satisfaite au premier jour. Les Sieurs Blageart & Quinet, Libraires, commenceront à les debiter cette semaine. Ils sont dédiez à Lucien, qui a fourny à l’Autheur l’idée de faire parler des Morts. Le Volume contient dix-huit Dialogues, six de Morts anciens, six de Morts anciens avec des modernes, & six autres de Morts modernes. Vous y trouverez par tout un tour fin & délicat, qui vous en rendra la Morale tres-agreable ; & je suis persuadé que les Dialogues de Socrate avec Montaigne, & d’Anacreon avec Aristote, quoy que sur des matieres sérieuses, ne seront pas moins de vostre goust, que ceux d’Aléxandre avec Phriné, & de Sapho avec Laure, dont les sujets sont galans. Vous m’en ferez sçavoir vostre sentiment. Comme il n’est point d’Ouvrage parfait, l’Autheur qui a beaucoup d’estime pour vous, vous demande une Critique.