1684

Mercure galant, juin 1684 (première partie) [tome 6].

2017
Source : Mercure galant, juin 1684 (première partie) [tome 6].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, juin 1684 (première partie) [tome 6]. §

[Particularitez de l’entreveüe de Mr le Duc de Savoye, & de Madame Royale ; ce qui s’est passé sur leur Route jusques à Thurin, & les Réjoüissances qui s’y sont faites] §

Mercure galant, juin 1684 (première partie) [tome 6], p. 2-4, 6-12, 19-20.

 

[Madame la Duchesse Royale] [...] estoit partie de Lyon le Vendredy 5. de May. Elle continua sa route vers Pont Beauvoisin, [...] Tandis que Madame la Duchesse Royale s’avançoit de ce costé-là, Monsieur le Duc de Savoye qui venoit la recevoir, arriva à Chambéry. [...]

 

Pendant tout le temps de son sejour, qui fut jusqu’au Samedy, il y eut chaque soir Tables de Bassete, Collation, & Violons, afin que chacune eust dequoy se satisfaire. [...] Le Vendredy il passa l’apresdînée avec les Prélats qui s’estoient rendus à Chambéry, & dança le soir au Vernay, que l’on avoit illuminé par ses ordres, & où il avoit fait venir des Violons, des Hautbois, & des Trompetes. Apres qu’on eut dancé quelque temps, il pria les Dames de passer dans un Jeu de Paume, qui est dans la mesme Place du Vernay. Elles y trouvérent une Collation des plus magnifiques. [...] Le Dimanche 7. ce jeune Duc [...] estant arrivé dans la Maison qui luy estoit préparée sur ses Etats, il ne fit que changer de Juste-au-corps, sans descendre de cheval, & poussa jusque chez Madame la Duchesse Royale. Cette Princesse entendant les Trompetes & les Timbales qui l’assuroient de son arrivée, s’échapa à quelque impatience de la voir, & se mit d’abord à la Fenestre. [...]

 

[Le] 8. du mois, Madame la Duchesse Royale alla à la Sainte Chapelle, [...] On chanta le Te Deum dans cette Chapelle, & Leurs Altesses Royales qui dînérent en public, n’eurent personne à leur Table. [...]

Sur le Mariage de Mademoiselle avec Monsieur le Duc de Savoye. Ballade §

Mercure galant, juin 1684 (première partie) [tome 6], p. 38-42.

Je ne sçaurois finir cet Article, sans vous faire part d’une Ballade que Mr de Benserade a faite sur cet heureux Mariage. Vous sçavez quelle est la beauté de son Génie, & qu’il n’appartient qu’à luy de traiter les grands sujets noblement, en y meslant le stile enjoüé.

Sur le Mariage de Mademoiselle
avec Monsieur le
Duc de Savoye.
BALLADE.

Duc qui tenez un rang parmy les Roys,
Et sur la Chypre avez de si beaux droits,
Tendre Pucelle est pour vous Don Céleste,
Reyne de Chypre, ainsi comme autrefois
L’estoit Vénus, horsmis que pas modeste,
En a le charme, & n’en a plus le reste.
Rien la devez recevoir à genoux.
Elle vous duit ; tel Coq, telle Poulete ;
Fleur de quinze ans, un peu maigre entre nous,
Mais elle aura bien-tost gorge replete
Que de trésors ! Vous les acquerez tous.
Pourriez-vous faire une meilleure emplete ?
***
Nopce, à vous dire icy ce que j’en crois,
Aux uns est joye, aux autres peine Croix.
Quant à vous deux, c’est profit manifeste.
L’Objet est pur, dont vous avez fait choix ;
Quoy qu’en douceur nulle ne luy conteste,
Oncques n’ayez crainte qui vous molesté.
Amans Agneaux deviennent Maris Loups,
En ce marché qui se fait aveuglete,
Point ne serez ny chagrin ny jaloux ;
Vous joüirez de fortune complete ;
L’Etoffe passe & Satin & Velours.
Pourriez-vous faire une meilleure emplete ?
***
Déja s’entend à régler ses emplois,
Chante, s’occupe au travail de ses doigts,
Ne sçait que c’est de Galant qui proteste ;
Ignore Amours, n’a pour leurs douces Loix
Veine qui tende en sa mine, en son geste ;
Coqueterie est pour elle une peste.
Sans affecter d’ennuis & de dégousts,
Ores se jouë avecque sa Cadete,
Ores s’amuse à de simples Bijoux,
Et tant qu’on veut elle se tient seulete ;
Là n’est besoin de grille & deverroux
Pourriez-vous faire une meilleure emplete ?

ENVOY.

Quand vous verrez fleurir la Violete
Le joly temps, qu’il vous semblera doux
Aymez-vous bien tous deux, jeunes Epoux,
N’ayez tous deux qu’une mesme Toilete,
Et ce sera belle épargne pour vous.
Pourriez-vous faire une meilleure emplete ?

Lettre du Roy de Pologne à Mr le Duc de S. Aignan §

Mercure galant, juin 1684 (première partie) [tome 6], p. 42-46.

Vous voulez bien que de la Cour de Savoye je passe à celle de Pologne. Ce que j’ay à vous en dire, est fort curieux. Vous sçavez, Madame, que Mr le Duc de S. Aignan a l’honneur d’estre Parent de la Reyne de Pologne, & que par son mérite il est fort consideré en cette Cour-là. C’est cette raison plus que la premiere, qui a donné lieu à ce qui suit. Mr de S. Loüis, Capitaine de Dragons dans l’Armée du Roy de Pologne, dépêché par ce Monarque, & amené par Madame la Marquise de Béthune, apporta le 26. du dernier mois à Mr le Duc de S. Aignan, l’un des plus beaux Sabres qu’on ait jamais vûs, de la part de Sa Majesté Polonoise, que cette Marquise, Sœur de la Reyne de Pologne, voulut elle-mesme luy-mettre au costé. C’estoit le Sabre du Grand Vizir Cara Mustapha, qui a fait le Siege de Vienne. Il a la Poignée d’Ambre blanc, damasquinée d’un or entaillé dans la pierre. La Garde & le bout, aussi-bien que les Boucles du Fourreau & celles de la Ceinture, sont d’or, & la Lame d’acier de Damas, est remplie de caracteres d’or Arabes, dont on n’a pas encore l’explication. Cette Ceinture est d’un double Tissu d’or, d’argent & soye cramoisie ; il ne se peut rien voir de mieux travaillé, ny de si riche. Les Lettres de la main du Roy de Pologne, & de celle de la Reyne, sont telles. Elles ont toutes deux pour subscription, A mon Cousin Mr le Duc de S. Aignan.

LETTRE DU ROY DE
Pologne à Mr le Duc
de S. Aignan.

Ayant conçû, mon Cousin, de longue-main beaucoup l’estime pour vostre Personne, & ayant appris par Mr le Marquis d’Arquien, mon Beaupere, les sentimen ; que vous avez pour moy, & que vous désiriez avoir un Sabre de ma main, j’ay crû ne vous en pouvoir envoyer un qui fust plus à vostre gré, que celuy que j’ay pris au Grand Vizir, à sa défaite à Vienne, & duquel je me suis servy dans les occasions suivantes. Je voudrois pouvoir moy-mesme vous le mettre au costé, pour vous marquer par là, comme je feray en toute occasion, combien, mon Cousin je veux estre à vous. Fait à Javorou ce 8. May 1684.

[Lettre de la Reyne de Pologne au même] §

Mercure galant, juin 1684 (première partie) [tome 6], p. 47.

Lettre de la Reyne de Pologne
à ce mesme Duc.

Il n’est pas juste que le Roy mon Seigneur vous témoigne, mon Cousin, l’estime qu’il a pour vostre Personne, sans que de ma part je vous assure de celle que je conserve aussi pour la vostre ; & vous prie de croire, mon Cousin, que lors qu’il se présentera occasion de vous en donner des preuves, vous connoistrez que je suis à vous,

Marie Casimire. R.

De Javorou ce 9. May 1684.

[Extrait d’une Lettre de Mr le Marquis d’Arquien au mesme] §

Mercure galant, juin 1684 (première partie) [tome 6], p. 48-50.

Dans une Lettre que Mr le Marquis d’Arquien, Pere de la Reyne, écrivoit en mesme temps à Mr le Duc de S. Aignan, il y avoit ces particularitez. Que le Roy de Pologne avoit eu dessein de luy faire faire encore un plus beau Sabre ; mais que depuis il avoit crû que celuy qu’il avoit pris au Grand Vizir devant Vienne, & osté de son costé pour luy en faire présent, apres s’en estre servy en plusieurs occasions qui avoient suivy, seroit plus à son goust, & que Sa Majesté s’estoit Elle-mesme donné la peine d’en accommoder la Ceinture, comme elle devoit estre pour luy. Que luy de sa part (j’entens Mr le Marquis d’Arquien) envoyoit à ce Duc un Sancharka, ou Mousqueton à la Turque, que le Grand Vizir se faisoit porter pour s’en servir dans les occasions, & dont le Canon estoit de Damas. Il ajoûtoit à cela mille marques de tendresse & de bonté, & des souhaits ardens pour l’union parfaite du Roy son Maistre avec celuy de Pologne, l’assurant qu’il donneroit volontiers son sang pour la parfaite intelligence de ces deux grands Roys.

Lettre de Mr le Ch. Den. À la Belle Champenoise Mademoiselle de Montclair §

Mercure galant, juin 1684 (première partie) [tome 6], p. 50-61.

Je vous ay parlé dans plusieurs Lettres de ce qui a donné lieu au Pere Vignier de l’Oratoire, de croire que la Pucelle d’Orleans avoit esté mariée. Apparemment vous n’avez pas oublié les preuves sur lesquelles il a étably son opinion. C’est ce qui m’oblige à vous faire part des Vers que vous allez lire. Ils regardent cette fameuse Héroïne, à qui la France est si redevable.

LETTRE
DE Mr LE CH. DEN.
A la Belle Champenoise Mademoiselle
de Mauclerc.

 La Tradition du Païs
 M’a depuis quelques jours appris
Que le sage Mauclerc, Seigneur de la Chaussée,
 Vostre Trisayeul paternel,
 Dans son Ecu, du costé maternel,
Portoit deux Fleurs de Lys, acostant une Epée,
 Dont la pointe estoit couronnée,
 Le tout d’or, dans un champ d’azur ;
 Et ce bruit public est si sûr,
Qu’on m’a fait voir, dans deux Cachets d’agate,
D’une gravûre ancienne & délicate,
Sous un mesme Timbre & Cimier,
 Ces Armes, au second Quartier ;
  Et dans le troisiéme,
Avecque vostre Fasce, & le reste, au premier,
 Et dans le quatriéme ;
Et de chaque costé, pour Support, un Lévrier.
***
Sur cela je maintiens, aimable Demoiselle,
Que vous sortez de Jeanne la Pucelle,
 Ou de quelqu’un de sa Maison ;
 Voila ses Armes, son Blazon,
Et les porter, c’est de vostre descente
 Vne marque évidente.
***
  Les Historiens racontans
  Le détail de cette Famille,
 Donnent à cette illustre Fille
 Trois Freres, braves & galans,
Jacquemin, Jean, & Pierre, ennoblis avec elle,
En récompense & mémoire eternelle
  De ses Faits triomphans.
Ils eurent Jacques Darc pour Pere ;
Isabeau Gautier fut leur Mere ;
Et ces trois Fils laisserent des Enfans
  En légitime mariage ;
Et la Pucelle eut le mesme avantage.
***
 Vous me direz, mon Cavalier,
Cela s’accorde mal avec le Pucelage,
  Le pouvez vous nier ?
Entendons-nous. Pucelle estoit un nom de guerre
Qu’elle prit & garda, comme l’Habit guerrier,
Tant qu’elle combatit les Forces d’Angleterre ;
Mais quand elle eust produit par son heureux employ
Le salut d’Orleans, & le Sacre du Roy,
 Sa Mission estant pour lors remplie,
Elle quitta ce nom, cet habit, cette vie,
Revint vers son Païs, épousa dans Arlon
Un Seigneur amoureux de son fameux renom,
Et par luy, de Pucelle, & de simple Bergere,
 Elle fut faite Dame & Mere.
***
Vous direz là-dessus, donc comme les Hébreux
  De la Fournaise ardente,
Elle échapa sans mal de ce brazier affreux,
Où le cruel Anglois la mit toute vivante,
A Roüen, en plein jour, aux yeux de mille Gens ?
Il le faut avoüer, la chose est surprenante ;
Mais il arrive encor des coups plus étonnans.
 Le Ciel protege l’innocence.
Ses Spéctateurs trahis, dans leur injuste espoir,
Ne virent rien de ce qu’ils crûrent voir ;
Et Mercure Galant a mis en évidence,
 Et les raisons, & la façon,
 Qui causerent sa délivrance
 De la mort, & de la prison.
Vous pouvez vous donner le plaisir de le lire.
***
Vous m’allez sans-doute encor dire,
Dés quatorze ans, cette jeune Beauté
 Par inspiration divine,
 Avoit fait vœu de chasteté
 Entre les mains de Sainte Catherine.
Il est vray ; mais les vœux portent leur nullité,
Dans l’âge où l’on n’a pas la pleine connoissance.
 Il faut seize ans pour avoir la puissance
 D’en faire avec validité,
L’usage des Convents donne cette science ;
Et puis ce vœu pouvoit n’estre que pour un temps,
 Jusqu’à vingt, ou jusqu’à trente ans ;
 Car sur l’âge, où cette Bellone
Endossa la Cuirasse, & soûtint nostre Trône,
Les Autheurs sont fort diférens.
***
Le principal, apres tant de mysteres,
 Et de vaines subtilitez,
 Est de juger, si vous sortez
Ou d’elle, ou seulement de quelqu’un de ses Freres.
 Pour moy, je crois en verité
 Que vous descendez d’elle-mesme ;
 Vous avez une amour extréme
Pour nostre Nation, & pour sa Majesté ;
Grande soûmission pour la Grandeur supréme ;
 De la candeur, de la bonté,
 De l’honneur, de la probité,
Cent vertus, & sur tout, du zele & du courage,
 A tout pousser, à tout mettre en usage,
Pour servir vos Amis dans leur adversité.
Ce sont là les talens de la noble Pucelle,
 Ils marquent vostre extraction ;
La ressemblance en cette occasion
 Est une preuve naturelle,
 On n’en peut fournir de plus belle.
***
 Tréve donc, aimable Mauclerc,
De manquement de foy sur un sujet si clair.
 Je serois prest d’entrer en lice
 Contre le premier Champion,
 Qui par envie, ou par malice,
 Combatroit cette opinion.
Sans l’effroyable feu, qui brûlant une Ville,
 Ne laissa presque rien
A vostre Trisayeul, que sa Femme, & son Chien,
  Il vous seroit facile
 De prouver par de bons Contracts
L’honneur que j’attribuë à vos nobles appas ;
Mais parchemins, papiers, or, argent, pierreries,
Dans ce malheur public, furent ensevelies ;
  Et le desastre de Vitry
 Devint, helas, le vostre aussy.
***
La Tradition reste, & l’on y doit souscrire,
Lors qu’elle est confirmée avec sincérité
 Par des raisons d’aussi grande équité.
 Que celles que je viens de dire ;
Et je ne doute point que Fournier, de Chemin,
Du Lis, Blanchart, le Fevre, & cent autres enfin
 Honorez du doux avantage
D’avoir pour leurs Ayeuls, Jean,
  Pierre, ou Jacquemin,
 Ne portassent bien témoignage,
 S’il estoit de necessité,
Que vous estes Parens, de ce noble costé.
***
Mais comme Amour, nostre grand Maistre,
Se remarque d’abord, à sa Fleche, à son Arc,
  Pour vous faire connoistre
  Fille de Jeanne Darc,
  Vous n’avez qu’à paroistre.
Vostre taille, vostre air, vostre port, tous vos traits,
Font dire, la voila cette illustre Jannette,
 Humble, avec mille attraits ;
 Avec mille cœurs point Coquette ;
Sage dans le conseil, brave dans l’action,
 Le bonheur de nostre Province,
 L’honneur de nostre Nation,
 Digne d’avoir pour son Epoux un Prince.
***
L’on disoit cela d’elle, & l’on le dit de vous.
Elle reçeut pourtant Armoises pour Epoux.
Voulez vous achever un si beau paralelle ?
 De grace, aimable Demoiselle,
 Recevez-moy de la mesme façon ;
 Je suis constant, je suis fidelle,
 Et vous verrez que je suis bon Garçon.

[Lettre du Roy de Siam, au Pape, & au Roy de France] §

Mercure galant, juin 1684 (première partie) [tome 6], p. 88-114.

Il me souvient que je vous parlay il y a quelques années des Ambassadeurs que le Roy de Siam envoyoit en France, & de là à Rome, avec des Présens pour sa Majesté, parmy lesquels estoient deux Eléphans blancs. Mr des Landes-Bourau, Frere de Mr Bourau, qui a esté si longtemps Commissaire Genéral de la Compagnie à Surate, se trouvant luy-mesme depuis plusieurs années Chef du Comptoit de la Compagnie Orientale de France à Siam, traduisit les Lettres que ce Roy a écrites à Sa Majesté, & au Pape, & il les a envoyées icy par un Officier de la Compagnie, comme s’il eust préveu la disgrace qu’on craint qui ne soit arrivée à son Frere, qui s’embarqua à Bantam avec les Ambassadeurs & les Présens sur le Soleil d’Orient, dont on n’a point entendu parler depuis prés de trois ans que s’est fait l’embarquement. Ces Lettres estant tombées depuis peu entre mes mains, j’ay crû que vous ne seriez pas fâchée de les voir. Elles sont accompagnées de deux autres, que le Ministre de Siam a écrites à la Compagnies. Il y a pour subscription à celle qui est pour le Roy,

AU ROY DE FRANCE.

Lettre de la Royale & insigne Ambassade du grand Roy du Royaume de Sery Jutthia, qu’il envoye à vous, ô tres-grand & tres-puissant Seigneur des Royaumes de France & de Navarre, qui avez des Dignitez suréminentes, dont l’éclat & la splendeur brillent comme le Soleil, Vous qui gardez une Loy tres-excellente & parfaite ; & c’est aussi pour cette raison, que comme vous gardez & soûtenez la Loy & la Justice, vous avez remporté des victoires sur tous vos Ennemis, & que le bruit & la renommée de vos triomphes s’est répanduë par toutes les Nations de l’Univers. Or touchant les Lettres de la Royale Ambassade, & pleine de Majesté, que Vous, ô Tres-grand Roy, nous avez envoyée par Dom François Evesque, jusque dans ce Royaume ; & apres avoir compris le contenu de vostre illustre & élegante Ambassade, nostre cœur Royal a esté remply & comblé d’une tres-grande joye, & ay eu soin de chercher les moyens d’établir une forte & ferme amitié à l’avenir ; & lors que j’ay vû le Genéral de Surate, envoyer sous vostre bon plaisir un Vaisseau pour prendre nostre Ambassade & nos Ambassadeurs, pour lors mon cœur s’est trouvé dans l’accomplissement de ses souhaits & de ses desirs, & nous avons envoyé tels & tels, pour estre les Porteurs de nostre Lettre d’Ambassade, & des Présens que nous envoyons à Vous, ô Tres-grand Roy, afin qu’entre Nous il y ait une parfaite intelligence, une parfaite & une veritable union & amitié, & que cette amitié puisse estre ferme & inviolable dans le temps à venir. Que si, ô Tres-grand Roy, vous desirez quelque chose de nostre Royaume, je vous prie de le faire déclarer à vos Ambassadeurs. Lors que les mesmes Ambassadeurs auront achevé, je vous prie de leur donner permission de s’en revenir, afin que je puisse apprendre les bonnes nouvelles de vos félicitez, ô Tres-grand & Puissant Roy, & de nous envoyer des Ambassadeurs, & que nos Ambassadeurs puissent aller & venir sans manquer ; Vous priant que nostre amitié soit ferme & inviolable pour toûjours ; & je conjure la Toute puissance de Dieu, de vous conserver en toutes sortes de prospéritez, & qu’il les augmente de jour en jour, afin que vous puissiez gouverner vos Royaumes de France & de Navarre, & je le suplie qu’il vous agrandisse par des vistoires sur tous vos Ennemis, & qu’il vous accorde une longue vie, & pleine de prospéritez.

Il y a pour subscription à la Lettre que ce Roy a écrite au Pape,

AU
SOUVERAIN PONTIFE.

Lettre de la Royale Ambassade du grand Roy de Siam, qu’il envoye au S. Pape, qui est le Premier & le Pere de tous les Chrétiens, dont il soûtient la Religion, pour luy donner de l’éclat, & la gouverner, afin que tous les Chrétiens y demeurent fermes, & suivent ce que la Religion & la Justice demandent. D’autant qu’il a esté de tout temps usité, que les grands Roys & Princes qui excellent en mérites & en forces, ont soin & desirent ardemment étendre leurs Royales amitiez par toutes les Parties du Monde, & par les diverses Nations qui l’habitent, & sçavoir les choses qui s’y passent. C’est pourquoy quand le S. Pape nous a icy envoyé en Royale Ambassade Dom François Evesque, cela nous donna une tres-grande joye ; & apres avoir vû le contenu de la Lettre dont il estoit Porteur, remplie de civilitez, nostre cœur Royal fut remply d’une joye tres-grande. Pour ces raisons nous avons résolu d’envoyer tels & tels, pour porter au S. Pape les Lettres de nostre Royale Ambassade dont ils sont chargez, à dessein qu’il y ait une Royale Amitié entre Nous, & un mutuel amour qui dure jusqu’à l’Eternité. Quand nos Ambassadeurs auront achevé ce dont ils sont chargez, je vous prie de les laisser revenir, afin qu’ils m’apportent des Nouvelles du S. Pape, qui me sont tres-cheres, & que j’estimeray infiniment. Je prie aussi le S. Pape de m’envoyer des Ambassadeurs, & que nos Ambassadeurs puissent aller & venir sans interruption, afin qu’une si excellente, si précieuse & si illustre amitié puisse durer éternellement. Enfin je souhaite que le S. Pape joüisse de toutes sortes de biens & de félicitez dans la Loy des Chrétiens, & qu’il vive plusieurs années pleines de mérites, joye, sainteté & repos.

LETTRE ECRITE PAR le Barcalon, ou Ministre du Roy de Siam, à Messieurs les Directeurs Genéraux de la Compagnie du Commerce des Indes Orientales.

Lettre de Chao Peja Ferry Terrama Bacha Chady Amatraja, Mehittra, Pipittra, Rathana, Rat, Coussa, Tidody, Apaja, Pery, Bora, Cromma, Pahoüé, qu’il envoye en signe d’amitié sincere à Mes les Directeurs Genéraux de la Royale Compagnie de France. D’autant que le Roy mon Maistre envoye ses Ambassadeurs, afin de porter ses Royales Lettres, & Présens, à la Haute & Royale Majesté du Grand Roy de France, afin que leurs Alliances si excellentes & avantageuses puissent estre éternelles. Or comme les Ambassadeurs & Serviteurs du Roy mon Maistre font un chemin fort long, si lesdits Ambassadeurs ont besoin de quelque chose, ou-bien si le Pere Gayme & Emmanuël Ficardo vont le demander à la Compagnie, je prie ladite Compagnie d’en faire un Compte clair & net, & de l’envoyer icy, afin que je satisfasse à tout ce qu’ils ont reçû de la Compagnie Royale ; de plus, si la Compagnie Royale desire quelque chose de ce Royaume, je la prie de nous le faire sçavoir avec toute la clarté possible.

LETTRE DU MESME
Ministre à Mr le Directeur Baron.

Comme le Genéral de Surate a eu la bonté d’envoyer par Mr des Landes, des Lettres & des Présens, pour estre présentez au grand & puissant Roy mon Maistre, me recommandant de donner mon assistance pour les luy estre présentez, & qu’il m’a aussi envoyé une Lettre, & des Présens que j’ay reçû ; on a expliqué lesdites Lettres suivant la coûtume, & j’ay connu par leur teneur, & par les discours de Mr des Landes, que Mr le Genéral ayant sçû que l’on devoit envoyer des Ambassadeurs au Roy de France, & au S. Pape, en avoit conçû beaucoup de joye, & qu’il avoit préparé un Vaisseau afin de recevoir l’Ambassade, auquel il avoit ordonné de faire conformément à ce qui leur seroit commandé ; & que si l’on differoit encore d’envoyer l’Ambassade, il nous prioit que le Vaisseau fust dépêché à temps, pour ne pas perdre la Mousson. Comme il y a tres-long-temps qu’il desiroit avec passion qu’il y eust Alliance & union ferme entre les deux Couronnes à l’avenir ; & quand Mr le Genéral a envoyé un Vaisseau pour porter les Ambassadeurs, c’est ce que son cœur Royal souhaitoit ardemment, à mesme temps il m’a donné ses ordres, que j’ay reçûs sur le sommet de ma teste, sçavoir, de preparer des Ambassadeurs pour porter ses Lettres & Présens à la Royale & Haute Majesté du Roy de France, afin que cette Royale & excellente Alliance fust éternelle à l’avenir. Je croy que Mr des Landes ne manquera pas de donner avis à Mr le Genéral, des services que le luy ay rendus.

Le Roy mon Maistre vous envoye ses Présens.

Et moy de ma part, un Coffre de Japon, à couverture voutée, le fond noir avec des Feüilles d’or ; un Coffre de Chine, le fond noir, travaillé avec ambre & or ; deux Arbrisseaux d’ambre ; un Pot d’ambre ; deux Boulis à Chaa ; huit Chavanes ; deux Bandéges noirs & peints ; une paire de Paranavants du Japon ; ce que je vous prie de recevoir, pour l’amitié que vous me portez. Je laisse à Mr le Genéral à pourvoir aux moyens qui sont necessaires pour qu’entre luy & moy il puisse y avoir un parfait amour, & inviolable amitié pour l’avenir.

Mr Deslandes, en parlant des Eléphans que le Roy de Siam envoyoit en France avec ses Ambassadeurs, a expliqué la maniere dont les Eléphans sauvages peuvent estre pris, & voicy ce qu’il en dit. Ce Roy en ayant plusieurs apprivoisez, masles & femelles, en envoye quelques Bandes à quinze ou vingt journées de la Ville, dans les Bois & dans les Plaines. Chaque Bande, qui est composée de quarante ou de cinquante, a neuf ou dix Hommes pour Conducteurs ; & quand ils ont apperçeu quelque Eléphant, ils ordonnent aux Femelles de les aller entourer. Vous remarquerez que les Eléphans apprivoisez entendent la Langue de leurs Conducteurs. Lors que l’Eléphant est entouré des Femelles, les Hommes qui sont montez sur les Masles, accostent les Femelles, & font marcher l’Eléphant pris dans le milieu de la Bande. Ainsi il ne voit point où il va. A une journée de la Ville, on les fait passer par une Attrapoire, qui est toute bordée d’Arbres, & que l’Eléphant sauvage prend pour un Bois. Ils n’y passent qu’un à un ; & quand l’Eléphant sauvage est dans l’Attrapoire, où il croit passer comme les autres, on laisse tomber de gros Pieux par des coulices devant & derriere, & il se trouve arresté comme s’il estoit dans une Cage, sans qu’il puisse se tourner de costé ny d’autre. Les Pieux qui composent l’Attrapoire, sont aussi gros que des Mats de Navire, & deux Hommes auroient peine à les embrasser. En suite on lie les quatre pieds de l’Eléphant avec des Cables, afin qu’il ne puisse fuir, & on l’amene proche des murailles de la Ville, où il y a une Maison couverte. Dans le milieu de cette Maison est un gros Mats de cinq à six brasses de hauteur, avec une Poutre passée au travers par le haut du Mats, qui est enfoüy dans terre d’une brasse en maniere de Pivot, ou bien tourné comme le Cabestan d’un Navire. Quand l’Eléphant pris est arrivé à cette Maison, on le suspend à ce Cabestan par dessous le corps avec des Cables, en sorte que ses pieds posent à terre. Estant ainsi attaché, il ne peut tourner qu’avec le Cabestan, & on le laisse de cette maniere pendant deux ou trois jours, gardé par deux Masles & par deux Femelles, sans luy donner à manger. Apres cela, on l’oste du Cabestan, & on le lie par le corps avec un autre Eléphant privé. Ils demeurent ainsi attachez ensemble, jusqu’à ce que le Sauvage soit apprivoisé, & alors on luy donne un Cornacque, ou Conducteur. Ces Animaux sont fort estimez dans le Païs ; aussi le Roy de Siam en a quantité de domestiques. On appelle ceux qu’il monte, Eléphans de l’Etat. On les loge dans de beaux Lieux, qui sont comme des Maisons de Princes, toutes peintes de feüillages ; & comme ces Animaux aiment forta la propreté, on ne se sert que de Vaisselle d’argent pour leur donner à manger. Jamais ils ne sortent pour aller à la Riviere ou à la Campagne, qu’on ne porte des Parasols devant chacun d’eux. Ils sont précedez de Tambours & de Musetes, & ont un Harnois d’argent, & garny de cuivre. Deux Hommes montent dessus, l’un sur le col, l’autre sur la croupe ; & dans le milieu, il y a une Selle d’écarlate, où personne n’ose s’asseoir, à cause que c’est la place du Roy. Celuy qui est monté sur le col, a un Croc de fer, ou d’acier luisant, dont il se sert pour le gouverner, en le piquant sur le costé gauche du front, pour le faire aller à gauche ; & dans le milieu, pour le faire aller à droit. Chaque Masle a toûjours sa Femelle qui marche devant luy, gouvernée & enharnachée de la mesme sorte. Ces Eléphans ont la teste de leur Trompe, la teste, les oreilles, les jambes, & une partie du Corps, marquetez, comme l’est la peau d’un Tigre ; & quand ils ont une queuë traînante avec un gros bouquet de long poil au bout, c’est un embellissement qui fait qu’on les estime beaucoup davantage.

[Sentimens de plusieurs grands Hommes, touchant la Statüe envoyée au Roy par Messieurs de la Ville d’Arles] §

Mercure galant, juin 1684 (première partie) [tome 6], p. 114-135.

Je vous ay déja parlé de la Statuë antique qu’on trouva il y a trente ans à Arles en foüillant la terre. Cette Ville la gardoit dans son Hostel, où d’illustres Voyageurs venoient l’admirer de toutes parts, comme un des Chef-d’œuvres de l’Antiquité. Mrs d’Arles qui possédoient ce Trésor, ne prévoyoient pas que cette belle Statuë, qui leur attiroit tous les jours les visites des plus sçavans Curieux, dust jamais sortir de leur Ville. Cependant, voyant les soins que Mr de Louvois prenoit de s’informer de tout ce qu’il y a de belles Antiquitez en France, pour en choisir les plus rares, & faire plaisir à ceux à qui elles appartiennent, en leur donnant lieu de les offrir à Sa Majesté, ils ont regardé comme une gloire tres-grande, l’avantage de pouvoir faire à ce grand Monarque un présent selon son goust, & luy donner de nouvelles marques du zele empressé qu’ils ont toûjours eu pour son service, en le priant d’accepter leur belle Statuë. Le Roy leur a sçeu bon gré de leur offre ; elle a esté suivie des effets, & la Statuë est arrivée à Paris, d’où à l’heure que je vous écris, elle n’est pas encore partie pour Versailles. Il s’est élevé un grand diférend touchant son nom, comme je vous l’ay déja écrit. Mr Terrin, Conseiller au Présidial d’Arles, a fait un Volume entier pour prouver que c’est une Vénus, & son sentiment a presque esté genéral. Il y a pourtant trois Académiciens de l’Académie d’Arles qui n’en sont pas, non plus que le P. Daugiers Jésuite, qui a fait un Livre intitulé, Refléxions sur les Sentimens de Callisthene touchant la Diane d’Arles. Mr de Vertron, Historiographe du Roy, & qui fait l’Histoire de Sa Majesté en Prose Latine, pour l’utilité des Etrangers, est l’un des trois Académiciens d’Arles qui soûtiennent que cette Statuë est une Diane. Il est Autheur du Distique suivant.

LUDOVICO XIV.
Francorum Imperatori Maximo,
Regi Christianissimo,
Patri Patriæ,
Litterarum Parenti,
Soli Gallico,
Distichon.
Nunc tibi digne Arelas offert Lodoïce Dianam,
 Sole etenim semper digna Diana fuit.

Un autre Académicien de la mesme Compagnie, dont je ne sçay pas le nom, a pris party pour Diane, qu’il a fait parler ainsy.

STANCES.

Un Art ingénieux imitant la Nature,
 Fit parler ce Marbre autrefois ;
La Superstition consacra ma figure,
  Et me fit Déesse des Bois.
***
L’Esprit qui m’animoit, prononça des Oracles ;
 Et ma feinte Divinité,
Par des prestiges vains, & par de faux miracles,
 Soûtint longtemps ma dignité.
***
Les Peuples abusez par le nom de Diane,
 Couroient en foule à mon Autel ;
Ils m’offroient des Enfans, que leur zele profane
 Arrachoit da sein maternel.
***
C’est ainsi que mon culte atroce, & sanguinaire,
 Devint une longue fureur ;
De ma Religion le plus sacré mistere
 N’estoit fondé que sur l’erreur.
***
De mon Temple, soüillé de sang & de carnage,
 Tout l’Edifice est renversé ;
L’Idole est abatuë, & tout ce grand dommage
 Vange enfin le Ciel offensé.
***
Depuis plus de mille ans, une indigne retraite
 Me cachoit aux yeux des Vivans ;
J’estois de cet état beaucoup plus satisfaite,
 Que d’avoir à tromper les Gens.
***
I’en avois pourtant honte, & ma beauté celeste
 Eut de l’horreur pour ce Tombeau ;
Mais je rencontre, apres un sejour si funeste,
 Un destin plus doux, & plus beau.
***
Un Roy plus glorieux que le Dieu de la Guerre,
 Le Grand, l’Invincible LOUIS,
Pour qui je sors enfin du centre de la Terre,
 Me veut voir, & connoît mon prix.
***
Arles me conserva durant plus de sept lustres,
 Comme son plus riche ornement ;
Et je faisois l’honneur des Mémoires illustres
 De l’Anglois, & de l’Allemand.
***
Echapée à la fin de ces vastes Ruines
 Où l’on ne sçavoit rien de moy,
Diane brillera parmy les Héroines
 Qui parent la Cour d’un grand Roy.
***
Arles dont le Soleil suffit à tout le monde,
 Veut joindre le Frere & la Sœur ;
Arles en me donnant, est heureuse & féconde,
 Ce présent fera son bonheur.
***
Si mes bras sont tombez sous cette Faux cruelle
 Dont le temps se sert en tous lieux,
Ce malheur vient de l’Art, qui me fit assez belle
 Pour donner de l’envie aux Dieux.
***
Mais j’ay trompé ce temps, & sa dent afamée
 N’a rien fait contre mon honneur ;
Je trouve en vieillissant, & plus de renommée,
 Plus d’Autels, & plus de bonheur.
***
Mes membres séparez semblent un grand outrage ;
 Mais le Ciel l’a sçeu reparer,
Et le cœur de LOUIS m’honore davantage,
 Que si l’on venoit m’adorer.
***
La faveur qui m’attend est seûre & perdurable,
 Quoy qu’on dise des Courtisans
Que pour eux la Fortune est la seule adorable,
 Seule digne de leur encens.
***
De la grandeur du Roy ma grandeur soûtenuë,
 Espere un haut rang à la Cour ;
Mais c’est assez pour moy, si j’y suis reconnuë
 Pour la Sœur de l’Astre du jour.
***
Ecoute, Grand LOUIS, car le Dieu qui m’agite
 Ne me permet plus de mentir ;
Ecoute le destin que t’a fait ton mérite,
 Et que j’ose te garantir.
***
Ta supréme valeur n’aura jamais d’obstacle
 Qu’elle ne renverse soudain ;
Tu peux, sans te flater, recevoir cet Oracle
 Que le Ciel a mis dans mon sein.
***
Ton Regne durera jusqu’à la fin du Monde,
 Tu feras regner ton Dauphin ;
Son Empire, en suivant ta vertu sans seconde,
 Iusque-là n’aura point de fin.
***
Les Astres complaisans n’auront rien qui t’aflige,
 Rien qui menace d’un revers ;
Un jour les Rejetons de ta Royale Tige
 Seront Maistres de l’Univers.
***
Tes Neveux, en marchant sur les pas de ta gloire,
 Maintiendront les Peuples soûmis ;
On bien ils apprendront, en lisant ton Histoire,
 L’Art de dompter leurs Ennemis.

Ces Vers sont beaux, mais ils ne fournissent aucune preuve, d’où l’on puisse tirer la moindre lumiere, qui fasse voir que cette Statuë représente une Diane. Aussi connoist-on que l’Autheur n’a pas eu dessein de le prouver, mais seulement de donner des marques de son esprit, en faisant parler cette Déesse.

Apres vous avoir fait part de ce qu’ont dit trois Illustres, qui veulent paroistre persuadez que la Statuë d’Arles est une Diane, je suis obligé de vous dire quelque chose de trois autres, dont le sentiment est entiérement conforme à ce que Mr Terrin a écrit pour prouver que cette Statuë est une Vénus. Les Sçavans n’appellent guére de leur jugement, qui l’emportera toûjours sur celuy d’un plus grand nombre. Voicy ce qu’ils ont écrit sur ce sujet.

Mr Spon dit dans sa Préface des Recherches Curieuses sur l’Antiquité, imprimées à Lyon en 1683. L’Obélisque d’Arles est une des Antiquitez qui frapent d’abord la veuë, &c.… Mr Terrin l’a expliqué sçavamment, & a dit presque tout ce qui se pouvoit dire des Obélisques, dans le Livre qu’il nous en a donné ; aussi-bien que de la belle Venus d’Arles, qu’on prenoit autrefois pour une Diane.

Le P. Jobert Jésuite, Prédicateur de Paris, grand Médaliste, & Amy du R. P. de la Chaise, dit dans une Lettre qu’il a écrite à Mr Terrin, datée du 15. May 1684. Je croy que la prétenduë Diane est arrivée ; je ne doute point que vous ne l’emportiez hautement, & qu’à la premiere veuë nos Sçavans ne reconnoissent Vénus. On n’a jamais vû Diane en un pareil équipage ; & quand le Pere Daugiers auroit fait un Poëme entier pour appuyer l’opinion contraire, il n’y auroit que perdu des Vers & son temps. Vous vous souvenez bien que dés que je la vis, je ne pouvois concevoir comment on l’avoit prise pour une Diane. Quand le P. de la Chaise sera de retour, je luy feray vos Complimens, & je ne doute point qu’il ne soit de vostre avis, &c.

Mr de Camps, nommé par le Roy à l’Evesché de Glandeve, dans une Lettre du 8. Fevrier, qu’il écrit à Mr Terrin. Je vous ay déja dit mon sentiment sur vostre Livre de l’Obélisque, & de vostre Vénus, & j’ay loüé vostre avis en plusieurs endroits, &c.

Vous voyez, Madame, que tous ces Illustres ne balancent pas à prendre le party de Vénus, & que Mr de Glandeve, qui dit qu’il est de l’avis de Mr Terrin en plusieurs endroits (ce qui marque qu’il n’en est pas en tout ce qui regarde l’Obélisque) s’explique assez clairement touchant la Statuë, en luy donnant le nom de Vénus. Voila un grand diférent, qui ne fera point répandre de sang, quoy qu’il ait excité une grande guerre dans une Académie qui est tout esprit, & qu’il ait partagé deux Personnes dans un Corps aussi grand, qu’il est distingué, & dont tous les Membres ont une profonde érudition. Comme tant de Sçavans ont dit librement leur sentiment sur la Statuë dont il s’agit, j’ay crû que je pouvois faire voir icy la diversité qui s’y rencontre, sans qu’aucun d’eux eust lieu de s’en plaindre. Les guerres qui se font entre les Souverains, élevent les Conquèrans, & font éclater leur courage & leur valeur ; & celles qui font feüilleter les Livres, découvrent l’esprit des Sçavans, & servent souvent à leur élevation. J’ajoûteray icy à l’avantage de Mr Terrin, que tous les fameux Sculpteurs de Paris, où il y en a beaucoup, depuis que le Roy a pris soin de faire fleurir les beaux Arts, demeurent d’accord que la Statuë d’Arles ne peut estre qu’une Vénus, ou du moins qu’elle n’a jamais esté faite pour une Diane, puis qu’on n’a jamais vû de Diane nuë, à moins qu’elle ne fust dans le Bain. Ceux qui en voudront sçavoir davantage, peuvent lire le Livre de Mr Terrin, imprimé à Arles, & que l’on trouve aussi à Lyon. On y voit un dessein de sa Figure, comme je vous l’ay déja marqué dans une de mes Lettres. Quant à l’Original, il est encore au Palais Brion, où l’illustre Mr Felibien, qui en a le soin, ne refusera pas de le montrer aux Curieux, qui dans quelque temps pourront voir ce bel Ouvrage à Versailles. J’aurois commencé par vous marquer que ce qui cause tant de disputes parmy les Sçavans sur les diférens noms qu’on peut donner à cette Statuë, est qu’il luy manque un bras, & qu’il ne luy reste qu’une partie de l’autre, si en vous parlant il y a quelques mois du Livre de Mr Terrin, je ne vous avois fait voir dés ce temps-là l’origine de toutes ces disputes. Elles ne sont pas sans fondement, puis que ce qui manque à cette Statuë eust fait connoistre aisément quelle Déesse on avoit voulu représenter.

[Suite du Journal de la Cour, qui comprend plusieurs Articles, & la Reception faite au Roy à Chantilly] §

Mercure Galant, juin 1684, 1re partie, p. 146-151, 154.

 

[...] Les Carmes de Valenciennes, chez qui ce Monarque alloit tous les jours entendre la Messe, vinrent suplier Sa Majesté de soufrir qu’ils chantassent le Te Deum à la fin de celle qu’Elle devoit entendre ce jour-là. Ce qu’ils demandoient leur fut accordé, & ils chantérent ce Te Deum sans cerémonie, & seulement pour satisfaire leur zele. Le lendemain, le Roy en fit chanter un dans l’Eglise de S. Jean, avec beaucoup de solemnité, quoy qu’il n’eust eu aucunes nouvelles de Luxembourg depuis l’arrivée de Mr Desbordes. [...] Mr le Nonce, & Mr l’Ambassadeur de Venise, assistérent à ce Te Deum, aussi-bien que les Ministres de plusieurs autres Souverains. Tout y fut solemnel ; [...] La Cerémonie fut faite par Mr l’Archevesque de Cambray, assisté de son Clergé ; & la Musique de Valenciennes s’y fit entendre. [...] De Cambray, la Cour vint à Péronne à Royan, à Mouchy, & à Chantilly ; où Monsieur & Madame se trouverent. [...] Toute la Cour estant entrée dans le Chasteau, chacun prit son party pour en admirer les beautez. [...]

 

Le Roy soupa avec Monseigneur le Dauphin, Madame la Dauphine, Monsieur, Madame, Madame la Duchesse, Madame la Princesse de Conty, Mademoiselle de Bourbon, & Mademoiselle de Nantes. La Symphonie fut charmante, & fit le plaisir de la soirée. [...]

[Madrigal sur la Grossesse de Madame la Dauphine] §

Mercure galant, juin 1684 (première partie) [tome 6], p. 158.

Comme Madame la Dauphine est revenuë grosse du Voyage, je croy que le Madrigal que je vous envoye sur ce sujet, peut icy trouver sa place. Il est de Mr Diéreville du Pontlevesque.

LOUIS paroist toûjours le plus heureux des Roys ;
Dans le temps qu’il soûmet Luxembourg à ses Loix,
 Et que tout travaille à sa gloire,
 A l’ombre de tous ses Lauriers,
Son Fils d’intelligence avecque la VICTOIRE
 Luy fait de nouveaux Héritiers.

[Plusieurs Ouvrages en Vers sur la Prise de Luxembourg] §

Mercure galant, juin 1684 (première partie) [tome 6], p. 160-175.

Les Muses ne sont pas demeurées muettes apres la Prise de Luxembourg. Voicy ce qu’elles ont fait dire à l’illustre Mademoiselle de Scudéry.

MADRIGAL.

Fier Luxembourg, maintenant pitoyable,
Contre LOUIS vous n’avez pû tenir.
Consolez-vous d’un sort inévitable.
Vous vous trompiez de vous croire imprénable,
Mais en ses mains vous l’allez devenir.

La Prise de la mesme Place a donné lieu à Mr Magnin de faire une Devise, qui a pour corps un Chesne sur lequel la Foudre tombe, en brise le tronc, & en écarte les branches. Ces paroles en font l’ame,

Quid profuit altum Erexisse caput ?

Elles sont expliquées par ce Sonnet du mesme Mr Magnin.

Quand ce Chesne superbe élevoit dans les airs
Son tronc impérieux, & ses branches hautaines,
Il estoit l’ornement & la gloire des Plaines,
Tout vantoit la beauté de ses feüillages verds.
***
Mais enfin le Soleil par ses aspects divers,
Qui forment si souvent des foudres si soudaines,
A ces fiéres Hauteurs, & des Cieux si prochaines,
Fait souvent éprouver de terribles revers.
***
Forteresse orgueilleuse, à ta perte obstinée,
Luxembourg, aujourd’huy c’est là ta destinée,
Ils sont donc renversez tes Boulevars si forts.
***
Et c’est là la grandeur du Héros qui te dompte,
Qu’au lieu de te parer de quelques vains efforts,
Tu pouvois n’en point faire avecque moins de honte.

J’ajoûte des Vers qui ont esté faits sur les merveilles du Roy, aussi-bien que sur le Siege de Luxembourg.

Quel éclat de bonheur, de valeur, & de gloire !
Que de nobles sujets pour embellir l’Histoire !
Que de rares vertus ! que d’exploits inoüis
Etale à tous momens l’invincible LOUIS !
Aléxandres, Césars, cédez à ce Monarque,
D’un vray Héros en luy reconnoissez la marque,
Vos Conquestes n’ont rien d’éclatant aujourd’huy ;
Vous vouliez, mais à tort, vous comparer à luy.
Il faut des ans pour vous, & des jours pour ce Prince ;
Tout fléchit sous LOUIS, Chasteau, Ville, Province.
Admirez, comme nous, ses glorieux travaux,
Dont les vostres ne sont que d’indignes Rivaux.
Pour ses Soldats blessez la retraite assurée,
Ses Edits & ses Loix d’éternelle durée,
Les Sciences, les Arts, réünis aux Vertus ;
Des Peuples convertis, des Temples abatus,
Un auguste Palais d’une riche structure,
Où l’Art industrieux surpasse la Nature,
Ses ordres diférens pour les Etats divers,
Le Commerce étably, la fonction des Mers,
L’Abondance par tout, l’Ignorance détruite,
La Iustice en vigueur, & la Noblesse instruite,
Le Mérite connu toûjours récompensé,
La vangeance du Crime & du Pauvre offensé,
Sont le but de ses soins, & l’employ de sa vie.
Pourquoy diféres-tu de te rendre asservie,
Luxembourg, aux desirs de ce charmant Héros ?
Cede à ses grands efforts, donne-toy du repos,
Et viens, sans prolonger ta vaine résistance,
Partager sous ses Lys le bonheur de la France.

Ces Vers, & le Madrigal qui
suit, sont de Mr de Vertron.

 Pourquoy résistois-tu
A de puissans efforts d’un Héros invincible ?
Fier Luxembourg, voila ton orgueil abatu ;
Tu sçavois qu’à LOUIS rien n’estoit impossible ;
Mais si ta résistance a sauvé ton bonheur,
Confesse en mesme temps qu’elle augmente sa gloire,
 Réjoüis-toy de sa victoire,
Ta Prise désormais va faire ton bonheur.

Vous trouverez les noms des Autheurs au bas des autres Ouvrages que je vous envoye.

MADRIGAL.

Bien que je porte un nom tout brillant de lumiere,
 Du Soleil je reçois la Loy ;
Je voulois m’opposer à sa vaste carriere,
Mais je le reconnois aujourd’huy pour mon Roy.

Duhamel.

SONNET.

Tremble, Luxembourg, tremble, & soûmets ta puissance
Au Roy le plus vaillant qui vist jamais le jour ;
Reconnoy que LOUIS, l’objet de nostre amour,
Range tout sous les Loix de son indépendance.
***
Pouvois-tu te flater de la moindre apparence
D’éviter tost ou tard de luy faire ta Cour ?
Rentre, rentre en toy-mesme, & vaincuë à ton tour,
Luy rendant ton hommage, implore sa clémence.
***
S’il sçait vaincre l’orgueil, & le réduire aux fers,
Il a pour le pardon toûjours les bras ouverts ;
Mais les lieux les plus hauts doivent craindre la foudre.
***
Plus ils sont élevez, plus ils y sont sujets ;
Et fussent ils de marbre, il les réduit en poudre,
Quand nous croyons leur force à l’abry de ses traits.

Du Mas, de Joigny.

MADRIGAL.

Enfin tout doit fléchir, ainsi le Ciel l’ordonne,
 Ainsi le veulent les Destins ;
 Cédez, cédez, foibles Humains,
Recevez un Héros si chéry de Bellone.
 Venez, volez, accourez tous,
 Venez partager avec nous
Un joug cent fois plus beau que n’est une Couronne.
 Mais je m’égare en mes projets,
 Ce Demy-Dieu ne fait la guerre
Qu’afin de cimenter le repos de la Terre,
Et non pas pour régner sur de nouveaux Sujets.
Vous donc qui de fierté donnez de vaines marques,
Envieux impuissans du bonheur de mon Roy,
Indignes Ennemis du plus grand des Monarques,
Ou recevez la Paix, ou recevez la Loy.

De Vogins.

ORACLE
CRONOGRAPHIQUE.
LVXeMboVrg sera assIegé, & en
sVIte prIs par LoVIs Le granD,
MDLLLXVVVIIII.

Cet Oracle Cronographique,
Beaucoup plus vray que le Delphique,
 A des Chasseurs fut autrefois rendu
 Dans la Forest des fameuses Ardennes ;
Et les Vents qui soufloient de toutes leurs haleines
 Contre les feüilles de ses Chesnes,
Ne pûrent empescher qu’il ne fust entendu,
 Et sans que rien en fust perdu,
Il vint jusques à nous sous des Lettres Romaines,
Que l’An du Cas échû fait paroistre certaines.
L’Oracle prédisoit, que le fier LVXeMboVrg,
 Moins sage & prudent que Strasbourg,
 S’obstineroit à combatre la foudre
Du Jupiter Gaulois, qui réduit tout en poudre ;
Mais qu’enfin l’Insolent se verroit assIegé,
 Sans espoir d’estre soulagé
 Par les Troupes Conféderées,
 Que si longtemps il auroit espérées,
 Et que pour lors ayant fort bien compris
Qu’il ne pourroit manquer en sVIte d’estre prIs,
 Et de suivre les destinées
De mille autres Citez qu’il verroit enchaînées
 Au triomphant Char de nos Lys,
 Par Les mains du tres-granD LoVIs,
 Dans cette conjoncture extréme,
Afin de conserver les restes de luy-mesme,
Il iroit se jetter aux pieds de son Vainqueur
Au milieu de la nuit, pour épargner sa honte,
 Et tâcheroit de luy gagner le cœur,
 (Ce cœur, qui tout le reste dompte,
Et qu’à sa bonté pres, rien autre ne surmonte,)
 En confessant à ses genoux,
Que s’il est invincible, il est encor plus doux,
Puis que pour desarmer sa terrible Puissance,
Les Vaincus n’ont qu’à dire un mot à sa clémence.

Mr Rimper, Sr de l’Escarpe, Autheur de cet Oracle Cronographique, a fait aussi le Quatrain qui suit.

Luxembourg par son nom, est Ville de lumiere ;
Mais ce nom ne luy donne un éclat sans pareil,
Que lors que pour briller de sa clarté premiere,
Vaincuë, elle se rend à LOUIS son Soleil.

Ode à Mr le Maréchal de Créquy, sur le mesme sujet §

Mercure galant, juin 1684 (première partie) [tome 6], p. 175-178.

Un Gentilhomme qui sçait aussi-bien manier l’Epée que la Plume, a fait l’Ode que vous allez lire. Elle est à la gloire de Mr le Maréchal de Créquy.

ODE.

J’entens par tout que l’on chante
Un intrépide Guerrier,
Dont la valeur étonnante
Remporte un nouveau Laurier.
Le bruit que font les Trompetes,
Est si grand, si répandu,
Que celuy de nos Musetes
Ne sera pas entendu.
***
Qui ne sçait que ce grand Homme
Sur la Meuse parut tel,
Qu’on vit autrefois pour Rome
Et Fabius & Marcel,
Quand l’Aigle & sa République,
Par les diférens Exploits
Du grand Lion de l’Affrique,
Se trouverent aux abois ?
***
Il marche, il tourne, il avance,
Heureux, habile, vaillant,
Et devient par sa prudence,
De Défenseur, Assaillant ;
Il suit les Troupes nombreuses
Des Germains présomptueux,
Passe des Rives fameuses,
Et va triompher chez eux.
***
Il n’est pas moins redoutable
En des Climats plus lointains,
Et Mars toûjours favorable,
Couronne ses grands desseins ;
Il renverse les Barrieres,
Où nos Soldats arrestez
Voyoient borner nos Frontieres
Par des Lions indomptez.
***
Les Bergers du voisinage,
Sans rien craindre desormais,
Joüiront de l’avantage
Que pourroit donner la Paix.
Les Bergeres rassurées,
Dans les Bois vont s’écarter,
Et n’auront dans ces Contrées
Que les Loups à redouter.
***
Enfin la superbe Espagne,
En nous rendant Luxembourg,
Doit consoler l’All magne
De la perte de Fribourg.
Ces grands succés font entendre,
Que sous l’auguste LOUIS
Créquy peut tour entreprendre,
Et planter par tout nos Lys.

Lettre de Mr le Duc de S. Aignan, au Roy §

Mercure galant, juin 1684 (première partie) [tome 6], p. 178-182.

Mr le Duc de S. Aignan, qui ne laisse échaper aucune occasion de marquer son zele, a écrit au Roy sur la Prise de Luxembourg ; & Sa Majesté l’a honoré d’une Réponse de sa main. Je vous envoye l’une & l’autre Lettre.

LETTRE
DE Mr
LE DUC DE S. AIGNAN,
AU ROY.
Au Havre le 9. Juin 1684.

SIRE,

Comme je ne sçaurois avoir plus de soûmission que j’en ay eu toute ma vie pour V. M. bien que sa Gloire augmente chaque jour, il paroistroit de la diminution dans mon zélé pour son service, si je ne me servois aujourd’huy dans la Prise de Luxembourg, de la permission qu’il luy a plû de me donner, pour luy témoigner ma joye pour les autres Places importantes qu’Elle a conquises. J’en suis toûjours, SIRE au mesme état pour ses Victoires ; & les coups de Canon que les Te Deum me font tirer icy, en me donnant beaucoup de satisfaction, ne laissent pas de me causer quelque regret de n’en entendre point tirer d’autres. Mais SIRE, je veux esperer pour mon repos, que ce sera pour la Paix Genérale, que nous y mettrons le feu, ou qu’Elle me permettra d’aller luy confirmer sous celuy de ses Ennemis, avec combien de dévoüement je suis toûjours,

SIRE,

DE V. MAJESTÉ,

Le tres-humble, tres-obeïssant, & tres-fidelle Serviteur & Sujet,

Le Duc de S. Aignan.

REPONSE DU ROY.

Mon Cousin, Le vray motif qui vous a dû porter à m’écrire sur la Prise de Luxembourg, c’est la confiance que vos Lettres me sont toûjours fort agreables. J’ay reçû vostre Compliment sur cette derniere Conqueste, comme tous les autres que vous m’avez faits en de semblables occasions, & je ne doute nullement que vous n’allassiez encore avec joye sous le Canon de mes Ennemis, si mon service vous y appelloit. Cependant n’épargnez pas celuy du Havre, en rendant graces à Dieu de cette nouvelle Benédiction sur la justice de mes Armes. Je le prie qu’il vous ait, mon Cousin, en sa sainte & digne garde. A Versailles le 12. de Juin 1684.

LOUIS.

A mon Cousin le Duc de S. Aignan, Pair de France.

Air nouveau §

Mercure galant, juin 1684 (première partie) [tome 6], p. 207-208.

L´Air nouveau que je vous envoye, a esté fait par un de nos plus grands Maistres ; ainsi vous le chanterez avec plaisir.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Voicy le retour du Printemps, doit regarder la page 207.
Voicy le retour du Printemps,
Tout rit dans nos Bois, dans nos Champs ;
Les Bergers vont dançant sur la verte Fougere,
Tandis, helas, que je me desespere,
Et ne puis résister aux peines que je sens.
O trop heureuse Tourterelle,
Que ton bonheur est grand sous l'amoureuse Loy !
Prens part à ma douleur mortelle ;
Helas ! tu n'as pas perdu comme moy
Ta Compagne fidelle.
images/1684-06a_207.JPG

[Histoire] §

Mercure galant, juin 1684 (première partie) [tome 6], p. 228-240.

Rien n’est plus à charge qu’une Conversation pesante, & on est toûjours quitte à bon marché, quand on s’en tire pour de l’argent. C’est ce qu’a fait depuis peu une Dame de bon goust, & qui ayant le discernement fort délicat sur toutes choses n’a pû se contraindre à essuyer de fatigantes visites. Elle se les attira par une occasion assez imprévûë. Elle alloit seule prendre l’air au Cours, & en y entrant, son Cocher embarassa son Carosse dans un autre, & eut le malheur de le renverser. Ce trebuchement fit accourir tous ceux qui le virent. Avant que de travailler à relever le Carrosse, on en tira un Abbé, à peu prés sexagenaire. La colere où il estoit éclata dans ses regards, & son chagrin naturel fortifié par celuy de l’âge, le rendant mal propre à soûtenir avec patience une pareille avanture, il s’emporta contre son Cocher, & bien plus encore contre celuy de la Dame. Peu s’en falut mesme qu’il ne querellast les Spectateurs inutiles, Il les regardoit comme s’estant assemblez pour se divertir de son embaras, & cela contribuoit à augmenter sa mauvaise humeur. La Dame, aussi civile & honneste qu’il estoit malgracieux, descendit de son Carrosse, pour luy demander si le malheur de la chûte estoit le seul accident dont il se plaignist. Il luy répondit d’une maniere assez rude, qu’il ne sentoit pas qu’il fust blessé, mais qu’il sçavoit bien que ses Glaces estoient cassées. La Dame ne voulant rien épargner de ce qu’elle crût capable de l’adoucir, gronda son Cocher sur son peu d’adresse, & apprenant qu’il falloit racommoder quelque chose au Carrosse de l’Abbé, elle le pria de prendre une place dans le sien, se chargeant du soin de le remener chez luy. Il accepta le party, & fit quelques tours avec la Dame, qui pour luy faire oublier ses Glaces cassées, l’entretint de mille choses, d’un air enjoüé qui suspendit son chagrin. L’agrément de sa Personne en donnoit beaucoup à tout ce qu’elle disoit. Aussi l’Abbé en fut-il touché. Il commença à se montrer moins sauvage ; & le plaisir qu’il avoit trouvé à l’entretenir à la promenade, luy ayant paru trop court, il alla la voir le lendemain. La Dame le reçût obligeamment, & pour l’indemniser de ses Glaces, elle tâcha de ne se point ennuyer pendant deux heures que dura cette visite. Il ne manquoit pas d’esprit ; mais quoy qu’il se fust acquis par là quelque réputation, ce qu’il en avoit estoit un esprit de Livres ; il sçavoit beaucoup, & débitoit mal. Deux jours apres, il réïtéra sa longue visite, & il alla mesme jusques à la prolonger d’une troisiéme heure. La Dame trouvant ses Glaces tres suffisamment payées par la complaisance qu’elle avoit euë d’écouter deux fois ses fades douceurs, ne le vit pas plûtost sorty de chez elle, qu’elle donna ordre à tous ses Gens de le renvoyer quand il reviendroit. Les choses se firent la premiere fois d’une maniere qui ne luy donna aucun soupçon. Il crût que la Dame estoit sortie, & s’en retourna sans autre chagrin que celuy de ne pouvoir la voir ce jour-là. Il ne fut pas si tranquille quelques jours apres. Un Laquais d’une Livrée inconnuë, qu’il rencontra d’abord à la Porte, luy dit qu’il avoit laissé la Dame en sa Chambre ; & lors qu’il fut aux premiers degrez de l’Escalier, un de ceux de la Maison vint l’arrester brusquement, & soûtint toûjours qu’elle estoit en Ville. Pendant qu’il s’obstinoit pour monter, sur la premiere assurance qu’il avoit reçûë, une Suivante parut, & luy dit la mesme chose, mais ce fut d’un certain air qui le convainquit qu’il y avoit un ordre secret donné contre luy. Il se retira tout fulminant ; & pour sçavoir avec certitude s’il estoit vray qu’on n’eust pas voulu le recevoir, il mit au guet un de ses Laquais, qui apres avoir attendu une heure, vit sortir la Dame, pour quelques visites qu’elle avoit à faire. Ce fut alors que l’Abbé ne pût moderer son ressentiment. Il se représenta mille fois combien ce mépris estoit outrageant, venant d’une Femme à qui il sacrifioit ses Glaces. L’effort qu’il se faisoit pour cela luy paroissant digne de toute autre récompense, il résolut de ne les pas perdre, & fit donner dés le lendemain assignation à son Cocher, pour le payement qu’il en prétendoit. Le Cocher alarmé de cette Assignation, alla prier sa Maistresse d’empescher l’Abbé de le poursuivre. Comme le Cocher avoit fait la faute, c’estoit à luy de payer les Glaces ; mais en mesme temps il ne tenoit qu’à la Dame de terminer le Procés, & une visite renduë à l’Abbé l’en faisoit venir à bout. Elle s’y seroit résoluë sans peine, si ce n’eust pas esté s’exposer à en recevoir d’autres, dont il luy estoit impossible de s’accommoder. Dans cet embaras, voyant que le Procés n’estoit intenté que parce qu’elle ne vouloit plus estre visible pour celuy qui le faisoit, le seul party qu’elle vit à prendre, fut de dire à son Cocher qu’il se défendist comme il pourroit de la poursuite qui luy estoit faite, & qu’elle aimoit mieux payer les Glaces pour luy, que de consentir à revoir l’Abbé. Elle fit agir quelques-uns de ses Amis pour les intérests de son Cocher, qui paroissoit seul en Cause ; mais l’Abbé estoit d’une Famille de Robe, & cet avantage luy donnant un fort grand poids auprés de ses Juges, on demanda inutilement qu’on rabatist sur le prix des Glaces quelques morceaux assez grands qui en estoient demeurez, & dont on pouvoit faire des Miroirs de Toilette ; ses prétentions furent remplies, & il obtint tout ce qu’il voulut. Ainsi le Cocher fut condamné, la Dame paya, & l’Abbé ne la vit plus. Je ne puis vous dire si le payement de ses Glaces l’en consola, mais pour la Dame, elle a dit soutent depuis le Procés jugé, qu’elle se seroit soûmise à luy payer un Carrosse entier, s’il n’y avoit eu que ce seul moyen de se garantir de ses visites.

[Seconde partie de l’Académie Galante] §

Mercure galant, juin 1684 (première partie) [tome 6], p. 252-253.

Je vous envoye un Livre nouveau, que le Sr Blageart debite depuis peu de jours, & qu’il y a long-temps que vous souhaitez. C’est la Seconde Partie de l’Académie Galante. Le Public a esté si content de la premiere, que l’Autheur n’a pû luy en refuser la suite. Vous y trouverez le mesme caractere de brusque enjoüement, qui vous a tant divertie dans le Chevalier de Pontignan, lors qu’il aimoit Babet & ses deux Maistresses tout-à-la-fois. Mademoiselle de Mirac y raconte aussi ses Avantures d’une maniere qui répond assez à ce feu d’esprit Gascon, qui vous a déja prévenuë en sa faveur. Ce sont tous Portraits d’apres nature, & il n’y a point d’Originaux que l’on ne recherche, quand on sçait qu’ils viennent d’une bonne main.

[Histoire du dernier Grand Vizir] §

Mercure galant, juin 1684 (première partie) [tome 6], p. 254-256.

Le mesme Libraire m’a fait voir un autre Livre, qu’il doit debiter dans sept ou huit jours, & que je m’engage de vous envoyer en ce temps-là. Voicy ce que porte la premiere Page. Cara Mustapha, dernier Grand Vizir. Histoire contenant son Elevation, ses Amours dans le Serrail, ses divers Emplois, & le vray sujet qui luy a fait entreprendre le Voyage de Hongrie, & le Siege de Vienne. Si l’Histoire vous attache, vous verrez dans cet Ouvrage beaucoup de choses qui la concernent. Si vous estes curieuse de sçavoir ce qui se passe dans le dedans du Serrail, vous y lirez diverses intrigues qui vous l’aprendront ; & si vous cherchez des Galanteries, vous y en trouverez, qui pour estre à la Turque, n’ont rien qui ne se pratique parmy les Amans les plus délicats. Enfin je suis fort persuadé que ce sera prendre soin de vos plaisirs, que vous envoyer ce Livre. Il instruit, il divertit, & la matiere en est si nouvelle & si peu connuë, qu’on n’y voit aucune des repétitions qui sont dans les petites Histoires que l’on a fait succéder à nos longs Romans.

[Madrigal sur la prise de Luxembourg] §

Mercure galant, juin 1684 (première partie) [tome 6], p. 256-257.

On m’envoye encore un Madrigal sur la Prise de Luxembourg. Je vous en fais part, sans vous en pouvoir nommer l’Autheur.

 Jamais l’intrépide Alexandre
 Ny les Césars, n’auroient osé prétendre
 De pouvoir dompter ton orgueil ;
 Tu prétendois estre l’écueil
Des plus fiers Conquérans qui pouvoient l’entreprendre ;
Mais un plus grand Héros te force de te rendre.
Tes superbes Ramparts se trouvent renversez,
 Le Grand LOUIS les a forcez ;
Mais n’en murmure point, ta gloire est sans seconde,
De te voir sous les Loix du plus grand Roy du Monde.

Air nouveau §

Mercure galant, juin 1684 (première partie) [tome 6], p. 260-261.

Voicy un Air d´une nouveauté singuliere. Il est de l´illustre Mr de Bacilly, qui en a fait les Paroles, ainsi que de tous les autres Airs de sa composition.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : la Chanson qui commence par Fut-il jamais Breuvage, doit regarder la page 261.
Fut-il jamais Breuvage
Plus savoureux, plus délicat,
Que le Chocolat ?
Le Rossolis & le Muscat,
Et toute autre Liqueur luy doivent rendre hommage.
Le Vin nous fait mal à la teste,
Le Chocolat nous en guérit ;
Il nous fait vivre, il nous nourrit,
Il nous aiguise l'appétit.
Quel Médecin seroit si beste,
Quel Médecin seroit si fat,
De condamner le Chocolat ?
Nargue du Thé,
Fy du Café,
Vivat, vivat
Le Chocolat.
images/1684-06a_260.JPG

[Avis sur les airs de M. Bacilly]* §

Mercure galant, juin 1684 (première partie) [tome 6], p. 262-265.Voir cet air dont la publication précède cet article.

Je ne vous dis point ce que vous sçavez il y a longtemps, que dans toutes sortes d’Airs Mr de Bacilly réüssit également. C’est ce qui a obligé deux grands Hommes à faire un mot tout exprés pour exprimer ce qu’ils pensent d’un Génie si universel. Ils disent que de toute la Musique, luy seul n’est point manieré, au lieu que l’on reconnoist la maniere de composer des autres Autheurs, dans chacun des Airs qu’ils mettent au jour. Le grand nombre qu’il en a donnez de sa façon, remplit dix Volumes, qu’on vend au Palais chez les Srs de Luyne, & Blageart. Il a le don d’ajuster les Airs, mesme ceux d’autruy, & d’y donner un tour agreable conformement au sens des paroles, qu’il posséde souverainement, comme on peut le voir pas son Livre de l’Art de chanter, si vanté de tout le monde. Cette vérité se connoist mieux que jamais, depuis la mort de Mr de Niere, si renommé pour l’execution & les ornemens du Chant. On sçavoit le commerce qu’ils avoient ensemble depuis trente années, & l’on attribuoit à Mr de Niert tout ce qui estoit de Mr de Bacilly. Cependant on voit bien par ce qu’il fait à présent, qu’il n’emprunte de personne, & quelques petits Airs d’Amadis, & autres du temps, qu’il a ornez, en sont une preuve. Quoy qu’un talent si peu ordinaire pour tout ce qui regarde l’Art de chanter, soit connu de la plûpart des Gens éclairez, ses Envieux qui luy veulent nuire, n’ont pas laissé de faire courir le bruit qu’il n’enseigne plus, & ils l’ont si bien persuadé, qu’on ne s’en détrompe qu’avec peine. Il est pourtant vray qu’il est plus capable d’enseigner, qu’il ne l’a encore esté, & qu’un long usage luy a donné de si grandes & de si vives lumieres, qu’en fort peu de temps il rend une voix capable de tout ce qui se pratique dans le Chant. Il n’est point borné à ses Ouvrages, comme beaucoup d’autres, & enseigne indiféremment tout ce qu’il y a de nouveau.