1685

Mercure galant, janvier 1685 [tome 1].

2017
Source : Mercure galant, janvier 1685 [tome 1].
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Mercure galant, janvier 1685 [tome 1]. §

Etrenne de Quatorze Louis à Louis le Grand. Sonnet §

Mercure galant, janvier 1685 [tome 1], p. 7-9

Comme nous sommes dans le mois d’Etrennes, je croy que vous serez bien aise de voir celles de Mr Magnin à Sa Majesté. Voicy dequoy elles estoient composées.

ETRENNE
DE QUATORZE LOUIS
A
LOUIS LE GRAND.
SONNET.

Le premier des LOUIS estoit trop debonnaire ;
Le Second, le Troisiéme, & Loüis d’Outremer,
Ne firent rien de propre à se faire estimer ;
Le Cinquiéme est marqué pour n’avoir sçû rien faire.
***
Loüis le Gros en Fils fut plus heureux qu’en Pere ;
Le Jeune se croisant, vit les Chrétiens armer,
Lion par son grand cœur se fit ainsi nommer ;
Et son Fils Saint Loüis à Dieu seul voulut plaire.
***
On ne vit que quatre ans régner Loüis Hutin ;
Loüis Onziéme fut, & trop, & trop peu fin ;
Et le Pere du Peuple eut un sort plus auguste.
***
Ces douze essais finis, du Héros qu’on attend
L’heure arrive ; & le Ciel, apres Loüis le Juste,
Acheva le Chef d’œuvre, & fit LOUIS LE GRAND.

Madrigal §

Mercure galant, janvier 1685 [tome 1], p. 10

Ce Madrigal estoit joint à ce Sonnet.

 Grand LOUIS, ma Muse en ce jour
 Te fait une Royale Etrenne,
 Et de l’air d’une Souveraine
 Elle vient te faire sa cour.
 Quelque Poëte plus habile
 Chantera tes Faits inouis ;
Pour moy, ce que je fais est assez difficile,
 C’est un Présent de quatorze Louis ;
Selon mes facultez l’offre paroist civile.
Tout le monde en convient, le dernier est sans prix ;
Des autres je me tais, de peur d’estre surpris ;
Mais la Rime voudroit qu’ils en valussent mille.

[Sonnet sur le mesme sujet]* §

Mercure galant, janvier 1685 [tome 1], p. 11-12

Cet autre Sonnet a esté adressé à Mr le Duc de Saint Aignan par le mesme Mr Magnin, sur le sujet de l’Etrenne.

Ces quatorze Loüis mis dans un seul Sonnet,
Seront un peu pressez, Saint Aignan, je l’avoüe ;
Et si l’on s’étend trop quelquefois quand on loüe,
On ne peut m’accuser icy de l’avoir fait.
***
Ay je prétendu faire un Eloge parfait ?
Dans un Champ un peu long le plus habile échoüe ;
Pour vouloir trop chanter, souvent la voix s’enroüe,
Et celle de ma Plume est un petit Faucet.
***
De peur de m’égarer à force de lumiere,
L’abrége cette vaste & brillante matiere,
Où sur tant de Loüis le Ciel en finit un.
***
Et j’ay crû mieux répondre à sa hauteur sublime,
En prenant un dessein qui ne fust pas commun,
Qu’en donnant plus d’espace à l’ardeur qui m’anime.

Sur ce que le Roy n’a point d’égal §

Mercure galant, janvier 1685 [tome 1], p. 12-14

Le premier des trois Sonnets que j’ajoûte icy, est de Mr de Grammont de Richelieu ; le second, de Mr Louchaut, & le troisiéme, de Mr de Grivagere le jeune de Falaise.

SUR CE QUE LE ROY,
n’a point d’égal.

Dans chaque Age on a vû plus d’un grand Capitaine ;
Le plus grand eut toûjours un Concurrent fatal ;
Témoin ce qu’on nous dit dans l’Histoire Romaine
Du fameux Scipion, & du grand Annibal.
***
Marius & Sylla se sont fait de la peine.
César eut en Pompée un terrible Rival ;
Marc-Antoine amolly par l’amour de sa Reine,
S’il ne vainquit Auguste, il luy fit bien du mal.
***
Quoy que l’on redoutast de François la vaillance,
Charles-quint cependant balança sa puissance.
LOUIS sans Concurrent poroist seul aujourd’huy.
***
Cherchez chez nos Voisins, courez toute la Terre,
Soit pour régir en Paix, ou triompher en Guerre,
Où pourra-t-on trouver un Héros comme luy ?

Sur l’Hérésie aux abois §

Mercure galant, janvier 1685 [tome 1], p. 15-16

SUR L’HERESIE
aux abois.

Le Héros qui remplit l’Univers de terreur,
A rendu l’Herésie, & rampante, & soûmise ;
Ses Armes, que le Ciel en tous lieux authorise,
Ont de l’impieté reprimé la fureur.
***
Parmy les Huguenots, ceux que Dieu favorise
Regardent aujourd’huy leur Schisme avec horreur ;
Et détestant tout haut leur misérable erreur,
S’empressent pour rentrer au giron de l’Eglise.
***
Ce Triomphe déja fait trembler les Enfers.
Ah ! pour tous ces Chrétiens dont vous brisez les fers,
Grand Roy, que de Lauriers, que de Palmes sont prestes !
***
La Pieté qui met la Victoire en vos mains,
Va ravir au Démon ses funestes conquestes,
Et rendre de nouveau le salut aux Humains.

Sur les Edits contre les Prétendus Reformez §

Mercure galant, janvier 1685 [tome 1], p. 17-18

SUR LES EDITS
contre les Prétendus
Reformez.

Sur cent Peuples liguez esperer la Victoire,
Et n’avoir que son bras & son cœur pour garant ;
Seul les vaincre en effet, ce qu’on a peine à croire,
Et par tout s’ériger en parfait Conquérant.
***
C’est du vaillant LOUIS la surprenante Histoire,
A qui tout l’Univers donne le nom de GRAND ;
C’est LOUIS en un mot, si fameux par sa gloire,
Qu’entre tous les Heros Il tient le premier rang.
***
Cependant, comme il est Fils aîné de l’Eglise,
Il veut que sa grandeur luy soit toûjours soûmise,
Et que tous ses Sujets soient unis sous sa Loy.
***
Destruire l’Herésie insolente & rebelle,
C’est l’unique Triomphe où prétend ce grand Roy.
Quel autre peut donner une gloire plus belle ?

Au Roy §

Mercure galant, janvier 1685 [tome 1], p. 18-20

Voicy de fort jolis Vers, sur ce que le Roy n’a eu que des Billets blancs à la Loterie de Monseigneur le Dauphin. Ils sont de Mr Salbray, Valet de Chambre de Sa Majesté. Vous observerez que Monseigneur est né le Mardy.

AU ROY.

Dans vos six-vingts Billets si pas-un des Bijoux
 Ne s’est trouvé marqué pour vous,
 SIRE, faut-il qu’on s’en étonne ?
Le Sort en ce rencontre a droit de s’excuser.
Quel honneur auroit-il de vous favoriser,
A moins d’une Province, à moins d’une Couronne ?
Mais les Lots de ce prix sont hors de son pouvoir ;
Il n’appartient qu’à Mars de vous les faire avoir ;
Et s’il veut quelque jour faire une Loterie.
Dont les Bijoux seront des plus fameux Etats,
Estant son Favory, SIRE, n’en doutez pas,
Vous aurez ce gros Lot digne de vôtre envie,
Où se bornent les vœux des plus grands Potentats.

Pour Monseigneur le Dauphin §

Mercure galant, janvier 1685 [tome 1], p. 20-21

POUR MONSEIGNEUR
LE DAUPHIN.

Et pour vous, Monseigneur, dont l’heureuse naissance
Est d’un si beau présage, estant du jour de Mars ;
Ce Dieu, du second Lot vous donnant l’espérance,
Joindra par ce Présent au bonheur de la France
 Le Trône des Césars.

[Lettre sur la Conversion de Mr Vignes, Ministre à Grenoble] §

Mercure galant, janvier 1685 [tome 1], p. 67-70, 74-77

Lettre sur la Conversion de Mr Vignes, Ministre à Grenoble

 

 

SECONDE LETTREI

Sur l'abjuration de Mr Vignes

 

De Grenoble ce 20. Décembre 1684

 

Monsieur,

 

Ma Lettre du 9. de ce mois vous a dû apprendre la retraite de Mr Vignes, cy-devant Ministre de la Religion Prétenduë Réformée de cette Ville, pour se bien préparer à son Abjuration qu'il devoit faire Dimanche dernier, & qui a esté faite avec toutes les solemnitez que méritoit une si belle Action.

Vous sçaurez donc qu'apres Vespres, & environ sur les trois heures, il se rendit à l'Eglise Cathédrale de Nostre-Dame, avec le Pere Lamy Prestre de l'Oratoire, dont la grande erudition vous doit estre connuë par les Ouvrages qu'il a donnez au Public, & qui par des Conversations sçavantes & spirituelles a beaucoup contribué à faire revenir Mr Vignes de ses erreurs. Estant entrez dans l'Eglise, ils prirent place au milieu de la Nef, vis-à-vis de la Chaire où Mr l'Evesque devoit prescher.

Jamais cette Eglise n'esté remplie de tant de monde ; & bien qu'elle soit grande & vaste, neantmoins outre tous les endroits qui pouvoient estre occupez, les Tribunes, les Chapelles, les Corniches mesme, & les Piliers furent d'abord si remplis, qu'à midy il n'y eut plus aucune place vuide ; & quelques Portes assez éloignées, pour ne pouvoir de là oüir le Prédicateur, ne laisserent pas d'avoir si grande quantité de monde, qu'on ne put plus y entrer à l'heure que je viens de dire ; tellement que dans une grande Place qui sert de Cimetiere, & dans les Rües voisines, les plus paresseux furent obligez de s'arrester, & y resterent jusques à la fin de la Cerémonie, quelque froid rigoureux qu'il fit alors.

Mr l'Evesque monta en Chaire environ à trois heures, & fit une Prédication qui ne surprit pas, parce qu'il n'en fait jamais que de belles & de bonnes ; [...]

 

Après sa prédication où assistèrent le Parlement & la Chambre des Comptes en Corps, il passa dans le Choeur de l'Eglise revestu de ses Habits Pontificaux, & précédé de son Chapitre qui l'estoit de la Croix, & qui chantoit le Veni Creator. Il alla la Crosse en main au Lieu d'où Mr Vignes avoit oüy sa Prédication, & là il reçeut son Abjuration que ce sage Converty fit avec une présence d'esprit, & une constance admirable ; apres laquelle le Chapitre reprit son chemin vers le Grand Autel. Mr l'Evesque y conduisit toûjours par la main Mr Vignes, & y estant arrivez, il luy donna le Sacrement de Confirmation, en la cerémonie duquel Mr de Saint-André, Premier Président au Parlement, & Madame la Comtesse de Clermont, furent le Parrain & la Marraine. Cette solemnité finie, on chanta le Te Deum, & on donna la Benédiction du Saint-Sacrement, puis Mr l'Evesque, les Chanoines, les Prestres, & tous les Clercs, embrasserent nostre nouveau Converty. Son illustre Parrain en fit autant. On vit répandre des yeux de plusieurs Personnes des larmes de joye ; & Mr le Duc Mazarin, & Mr le Prince de Wirtemberg, qui s'y trouverent, en furent fort édifiez.

Il n'en estoit pas arrivé de mesme au Temple le lendemain de sa retraite, qui estoit un Dimanche, car les Pseaumes y furent chantez si lamentablement, qu'on connut bien que ces pauvres Dévoyez avoient le coeur triste par l'éloignement de leur Pasteur, qu'ils aimoient & estimoient si parfaitement, qu'ils ne l'appeloient point autrement que le bon Israëlite. [...]

Air nouveau §

Mercure galant, janvier 1685 [tome 1], p. 91-92.

On fait des Hyvers comme des Printemps. En voicy un d'un habile Maistre. Les paroles sont de Mr Diéreville.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence Par vos cris, mes petits Moutons, doit regarder la page 91.
Par vos cris, mes petits Moutons,
Vous accusez l'Hyver d'une rigueur cruelle,
Lors qu'il vient vous forcer de quiter ces Valons
Jusqu'au retour de la Saison nouvelle.
Ah ! j'ay bien plus sujet que vous
De me plaindre de son couroux :
Vous reviendrez bien-tost paître dans cette Plaine,
Sans y trouver de changement ;
Et moy, je ne suis pas certaine
D'y trouver encor mon Amant.
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[Dialogue de la France & de la Fortune] §

Mercure galant, janvier 1685 [tome 1], p. 92-93

Un Anonime a fait parler la France à la Fortune, sur ce que le Roy a eu six-vingt Billets blancs à la Loterie de Monseigneur le Dauphin. Voicy la Demande & la Réponse.

LA FRANCE.

 Aveugle Déesse, dis-moy,
D’où-vient qu’à nostre Auguste Roy
Six-vingt Billets tous blancs sont échûs en partage ?

LA FORTUNE.

France, c’est pour montrer combien ton Prince est sage.
Lors qu’il pourroit soûmettre à ses Loix l’Univers
Que la Terre luy céde, & qu’il commande aux Mers,
Sa clémence retient l’ardeur de son courage.
 Ce qu’il m’a donné je luy rends ;
 Et comme moy les Conquérans,
Les Princes, les Etats, & tous les Grands du Monde,
Connoissant de Loüis la sagesse profonde,
 Pour terminer leurs diférens,
Le prennent pour Arbitre, & luy donnent des Blancs ;
Et si ses Ennemis demandent leur revanche,
 Il leur donne la Carte blanche.

[Etrennes] §

Mercure galant, janvier 1685 [tome 1], p. 94-96

J’ay oublié de vous dire, en vous parlant de quelques Présens galans qui ont esté faits au commencement de cette année, que deux Demoiselles vestües en Villageoises, & se disant de Ruel, présentérent dans le mesme temps chacune un Panier d’Oranges, de Citrons, de Poires, &c. avec ces Vers, pour Etrennes à Madame la Duchesse de Richelieu.

 Duchesse en qui les Cieux
Ont mis cent trésors prétieux,
 Ne soyez pas surprise
 D’un abord si plein de franchise.
Nous sommes de Ruel, & venons sur le bruit
 Que vous faites plus que toute autre.
 Nous vous offrons ce Fruit,
 Faites-nous bien-tost voir le vôtre.
***
 Il nous fait gouster par avance
  Un extréme plaisir ;
Mais on ne peut le voir, dit-on, que vostre absence
 Ne s’oppose à nostre desir.
 Sans vous nous ne pouvons pas vivre ;
 Et s’il faut que vous nous quitiez ;
 Nous avons dessein de vous suivre,
 En quelque lieu que vous alliez.
***
Nos amoureux Tritons, & nos belles Nayades,
 Quand à Ruel on ne vous verra plus,
 Arresteront le cours de leurs Cascades,
 Estimant leurs jeux superflus.
 On n’aura plus de Sérénades,
 Des petits Oyseaux de ce Lieu ;
Quand on vole comme eux, ce sont des Promenades,
 Que de Ruel à Richelieu.

Remerciement à Messieurs de l’Académie Françoise §

Mercure galant, janvier 1685 [tome 1], p. 132-200

REMERCIMENT
A MESSIEURS
DE L’ACADEMIE
FRANÇOISE.

Messieurs,

J’ay souhaité avec tant d’ardeur l’honneur que je reçois aujourd’huy, & mes empressemens à le demander, vous l’ont marqué en tant de rencontres, que vous ne pouvez douter que je ne le regarde comme une chose, qui en remplissant tous mes desirs, me met en état de n’en plus former. En effet, Messieurs, jusqu’où pourroit aller mon ambition, si elle n’estoit pas entiérement satisfaite ? M’accorder une Place parmy vous, c’est me la donner dans la plus Illustre Compagnie, où les belles Lettres ayent jamais ouvert l’entrée. Pour bien concevoir de quel prix elle est, je n’ay qu’à jetter les yeux sur tant de grands Hommes, qui élevez aux premieres Dignitez de l’Eglise & de la Robe, comblez des honneurs dû Ministere, distinguez par une naissance, qui leur fait tenir les plus hauts rangs à la Cour, se sont empressez à estre de vostre Corps. Ces Dignitez éminentes, ces Honneurs du Ministere, la splendeur de la Naissance, l’élevation du Rang ; tout cela n’a pû leur persuader, que rien ne manquoit à leur merite ; Ils en ont cherché l’accomplissement dans les avantages, que l’esprit peut procurer à ceux en qui l’on voit les rares Talens, qui sont vostre heureux partage ; & pour perfectionner ce qui les mettoit au dessus de vous, ils ont fait gloire de vous demander des Places qui vous égalent à eux. Mais, Messieurs, il n’y a point lieu d’en estre surpris. On aspire naturellement à s’acquerir l’Immortalité ; & où peut-on plus seurement l’acquerir que dans une Compagnie, où toutes les belles connoissances se trouvent comme ramassées pour communiquer à ceux qui ont l’honneur d’y entrer, ce qu’elles ont de solide, de delicat, & de digne d’estre sçeu ; car dans les Sciences mesme il y a des choses qu’on peut négliger comme inutiles, & je ne sçay si ce n’est point un defaut dans un sçavant Homme, que de l’estre trop. Plusieurs de ceux à qui l’on donne ce nom, ne doivent peut-estre qu’au bonheur de leur memoire, ce qui les met au rang des Sçavans. Ils ont beaucoup leu ; ils ont travaillé à s’imprimer fortement tout ce qu’ils ont leu ; & chargez de l’indigeste & confus amas de ce qu’ils ont retenu sur chaque matiére, ce sont des Bibliothéques vivantes, prestes à fournir diverses recherches sur tout ce qui peut tomber en dispute ; mais ces richesses semées dans un fond qui ne produit rien de soy, les laissent souvent dans l’indigence. Aucune lumiére qui vienne d’eux ne débroüille ce Cahos. Ils disent de grandes choses, qui ne leur coustent que la peine de les dire, & avec tout leur sçavoir étranger, on pourroit avoir sujet de demander s’ils ont de l’esprit.

Ce n’est point, Messieurs, ce qu’on trouve parmy vous. La plus profonde érudition s’y rencontre, mais dépoüillée de ce qu’elle a ordinairement d’épineux, & de sauvage. La Philosophie, la Théologie, l’Eloquence, la Poësie, l’Histoire, & les autres Connoissances qui font éclater les dons que l’esprit reçoit de la Nature ; vous les possedez dans ce qu’elles ont de plus sublime. Tout vous en est familier. Vous les maniez comme il vous plaist, mais en grands Maistres, toûjours avec agrément, toûjours avec politesse ; & si dans les Chef d’œuvres qui partent de vous, & qui sont les modéles les plus parfaits qu’on se puisse proposer dans toute sorte de genres d’écrire, vous tirez quelque utilité de vos Lectures, si vous vous servez de quelques pensées des Anciens, pour mettre les vostres dans un plus beau jour ; ces pensées tiennent toûjours, plus de vous, que de ceux qui vous les prestent. Vous trouvez moyen de les embellir par le tour heureux que vous leur devez. Ce sont à la verité des Diamans, mais vous les taillez ; vous les enchassez avec tant d’art, que la maniére de les mettre en œuvre, passe tout le prix qu’ils ont d’eux mesmes.

Si des excellens Ouvrages dont chacun de vous choisit la matiére selon son Genie particulier, je viens à ce grand & laborieux Travail qui fait le sujet de vos Assemblées, & pour lequel vous unissez tous les jours vos soins ; quelles loüanges, Messieurs, ne doit-on pas vous donner pour cette constante application avec laquelle vous vous attachez à nous aider à déveloper ce qu’on peut dire, qui fait en quelque façon l’essence de l’Homme. L’Homme n’est Homme principalement que parce qu’il pense. Ce qu’il conçoit au dedans, il a besoin de le produire au dehors, & en travaillant à nous apprendre à quel usage chaque mot est destiné, vous cherchez à nous donner des moyens certains de montrer ce que nous sommes. Par ce secours attendu de tout le monde avec tant d’impatience, ceux qui sont assez heureux pour penser juste, auront la mesme justesse à s’exprimer ; & si le Public doit tirer tant d’avantages de vos sçavantes & judicieuses décisions, que n’en doivent point attendre ceux qui estant reçeus dans ces Conferences, où vous répandez vos lumiéres si abondamment, peuvent les puiser jusque dans leur source ? Je me vois presentement de ce nombre heureux, & dans la possession de ce bonheur, j’ay peine à m’imaginer que je ne m’abuse pas.

Je le répete, Messieurs, une Place parmy vous donne tant de gloire, & je la connois d’un si grand prix, que si le succés de quelques Ouvrages que le Public a reçeus de moy assez favorablement, m’a fait croire quelque : fois que vous ne desapprouveriez pas l’ambitieux sentiment qui me portoit à la demander, j’ay desesperé de pouvoir jamais en estre digne, quand les obstacles qui m’ont jusqu’icy empesché de l’obtenir, m’ont fait examiner avec plus d’attention quelle grandes qualitez il faut avoir pour réüssir dans une entreprise si relevée. Les Illustres Concurrens qui ont emporté vos suffrages toutes les fois que j’ay osé y prétendre, m’ont ouvert les yeux sur mes espérances trop présomptueuses. En me montrant ce merite consommé qui les a fait recevoir si tost qu’ils se sont offerts, ils m’ont fait voir ce que je devois tâcher d’acquérir pour estre en état de leur ressembler. J’ay rendu justice à vostre discernement, & me la rendant en mesme temps à moy-mesme, j’ay employé tous mes soins à ne me pas laisser inutiles les fameux exemples que vous m’avez proposez.

J’avouë, Messieurs, que quand aprés tant d’épreuves, vous m’avez fait la grace de jetter les yeux sur moy, vous m’auriez mis en péril de me permettre la vanité la plus condamnable, si je ne m’estois assez fortement étudié pour n’oublier pas ce que je suis. Je me serois peut-estre flaté, qu’enfin vous m’auriez trouvé les qualitez que vous souhaitez dans des Academiciens dignes de ce Nom, d’un goust exquis, d’une pénetration entiére, parfaitement éclairez en un mot tels que vous estes. Mais, Messieurs, l’honneur qu’il vous a plû de me faire, quelque grand qu’il soit, ne m’aveugle point. Plus vostre consentement à me l’accorder a esté prompt, & si je l’ose dire, unanime, plus je voy par quel motif vous avez accompagné vostre choix d’une distinction si peu ordinaire. Ce que mes defauts me défendoient d’espérer de vous, vous l’avez donné à la mémoire d’un Homme que vous regardiez comme un des principaux ornemens de vostre Corps. L’estime particuliére que vous avez toûjours euë pour luy, m’attire celle dont vous me donnez des marques si obligéantes. Sa perte vous a touchez, & pour le faire revivre parmy vous autant qu’il vous est possible, vous avez voulu me faire remplir sa Place, ne doutant point que la qualité de Frere, qui l’a fait plus d’une fois vous solliciter en ma faveur, ne l’eust engagé à m’inspirer les sentimens d’admiration qu’il avoit pour toute vostre Illustre Compagnie. Ainsi, Messieurs, vous l’avez cherché en moy, & n’y pouvant trouver son mérite, vous vous estes contentez d’y trouver son Nom.

Jamais une perte si considérable ne pouvoit estre plus imparfaitement réparée ; mais pour vous rendre l’inégalité du changement plus supportable, songez, Messieurs, que lors qu’un Siécle a produit un Homme aussi extraordinaire qu’il estoit, il arrive rarement que ce mesme Siécle en produise d’autres capables de l’égaler. Il est vray que celuy où nous vivons est le Siécle des Miracles, & j’ay sans doute à rougir d’avoir si mal profité de tant de Leçons que j’ay reçeuës de sa propre bouche, par cette pratique continuelle que me donnoit avec luy la plus parfaite union qu’on ait jamais veuë entre deux Freres, quand d’heureux Génies, privez de cet avantage, se sont élevez avec tant de gloire, que ce qui a paru d’eux a esté le charme de la Cour & du Public. Cependant, quand mesme l’on pourroit dire que quelqu’un l’eust surpassé, luy qu’on a mis tant de fois au dessus des Anciens, il seroit toûjours trés-vray que le Théatre François luy doit tout l’éclat où nous le voyons. Je n’ose, Messieurs, vous en dire rien de plus. Sa perte qui vous est sensible à tous, est si particuliére pour moy, que j’ay peine à soûtenir les tristes idées qu’elle me presente.

J’ajousteray seulement qu’une des choses qui vous doit le plus faire chérir sa mémoire, c’est l’attachement que je luy ay toûjours remarqué pour tout ce qui regardoit les interests de l’Academie. Il montroit par là combien il avoit d’estime pour tous les Illustres qui la composent, & reconnoissoit en mesme temps les bienfaits dont il avoit esté honoré par Mr le Cardinal de Richelieu, qui en est le Fondateur. Ce grand Ministre, tout couvert de gloire qu’il estoit par le florissant état où il avoit mis la France, se répondit moins de l’éternelle durée de son Nom, pour avoir exécuté avec des succés presque incroyables les Ordres reçeus de Loüis le Juste, que pour avoir étably la celébre Compagnie dont vous soustenez l’honneur avec tant d’éclat. Il n’employa ny le Bronze ny l’Airain, pour leur confier les differentes merveilles qui rendent fameux le temps de son Ministere. Il s’en reposa sur vostre reconnoissance, & se tint plus assuré d’atteindre par vous jusqu’à la Posterité la plus reculée, que par les desseins de l’Herésie renversez ; & par l’orgueil si souvent humilié d’une Maison fiére de la longue suite d’Empereurs, qu’il y a plus de deux Siécles qu’elle donne à l’Allemagne. Sa mort vous fut un coup rude. Elle vous laissoit dans un état qui vous donnoit tout à craindre, mais vous estiez reservez à des honneurs éclatans, & en attendant que le temps en fust venu, un des plus grands Chanceliers que la France ait eus, prit soin de vous consoler de cette perte. L’amour qu’il avoit pour les belles Lettres luy inspira le dessein de vous attirer chez luy. Vous y receustes tous les adoucissemens que vous pouviez espérer dans vostre douleur, d’un Protecteur zélé pour vos avantages. Mais, Messieurs, jusqu’où n’allérent-ils point, quand le Roy luy mesme vous logeant dans son Palais, & vous approchant de sa Personne Sacrée, vous honora de ses graces, & de sa protection ?

Vostre fortune est bien glorieuse, mais n’a-t-elle rien qui vous étonne ? L’ardeur qui vous porte à reconnoistre les bontez d’un si grand Prince, quelque pressée qu’elle soit par les Miracles continuels de sa vie, n’est-elle point arrestée par l’impuissance de vous exprimer ? Quoy que nostre Langue abonde en paroles, & que toutes les richesses vous en soient connuës, vous la trouvez sans doute stérile, quand voulant vous en servir pour expliquer ces Miracles, vous portez vostre imagination au delà de tout ce qu’elle peut vous fournir sur une si vaste matiére. Si c’est un malheur pour vous de ne pouvoir satisfaire vostre zele par des expressions qui égalent ce que l’Envie elle-mesme ne peut se défendre d’admirer, au moins vous en pouvez estre consolez par le plaisir de connoistre que quelque foibles que pussent estre ces expressions, la gloire du Roy n’y sçauroit rien perdre. Ce n’est que pour relever les actions médiocres qu’on a besoin d’éloquence. Ses ornemens si nécessaires à celles qui ne brillent point par elles-mesmes, sont inutiles pour ces Exploits surprenans qui approchent du prodige, & qui estant crûs, parce qu’on en est témoin, ne laissent pas de nous paroistre incroyables.

Quand vous diriez seulement, Louis le Grand a soûmis une Province entiére en huit jours, dans la plus forte rigueur de l’Hyver. En vingt-quatre heures il s’est rendu maistre de quatre Villes assiegées tout à la fois. Il a pris soixante Places en une seule Campagne. Il a resisté luy seul aux Puissances les plus redoutables de l’Europe liguées ensemble pour empescher ses Conquestes. Il a rétably ses Alliez. Aprés avoir imposé la Paix, faisant marcher la Justice pour toutes armes, il s’est fait ouvrir en un mesme jour les Portes de strasbourg, & de Casal, qui l’ont reconnu pour leur Souverain. Cela est tout simple, cela est uny, mais cela remplit l’esprit de si grandes choses, qu’il embrasse incontinent tout ce qu’on n’explique pas, & je doute que ce grand Panegyrique qui a coûté tant de soins à Pline le jeune, fasse autant pour la gloire de Trajan, que ce peu de mots, tout dénuez qu’ils sont de ce fard qui embellit les objets, seroit capable de faire pour celle de nostre Auguste Monarque.

Il est vray, Messieurs, qu’il n’en seroit pas de mesme, si vous vouliez faire la Peinture des rares vertus du Roy. Où trouveriez-vous des termes pour representer assez dignement cette grandeur d’ame, qui l’élevant au dessus de tout ce qu’il y a de plus Noble, de plus Heroïque, & de plus Parfait, c’est à dire de Luy-mesme, le fait renoncer à des avantages, que d’autres que luy rechercheroient aux despens de toutes choses ? Aucune entreprise ne luy a manqué. Pour se tenir assuré de reüssir dans les Conquestes les plus importantes, il n’a qu’à vouloir tout ce qu’il peut. La Victoire qui l’a suivy en tous lieux, est toûjours preste à l’accompagner. Elle tâche de toucher son cœur par ses plus doux charmes. Il a tout vaincu, il veut la vaincre elle mesme, & il se sert pour cela des armes d’une Modération qui n’a point d’exemple. Il s’arreste au milieu de ses Triomphes ; il offre la Paix ; il en prescrit les conditions, & ces conditions se trouvent si justes, que ses Ennemis sont obligez de les accepter, La jalousie où les met la gloire qu’il a d’estre seul Arbitre du Destin du Monde ; leur fait chercher des difficultez pour troubler le calme qu’il a rétably. On luy déclare de nouveau la Guerre. Cette Déclaration ne l’ébranle point. Il offre la Paix encore une fois, & comme il sçait que la Tréve n’a aucunes suites, qui en puissent autoriser la rupture, il laisse le choix de l’une ou de l’autre. Ses Ennemis balancent longtemps sur la résolution qu’ils doivent prendre. Il voit que leur avantage est de consentir à ce qu’il leur offre. Pour les y forcer, il attaque Luxembourg. Cette Place, imprenable pour tout autre, se rend en un mois, & auroit moins resisté, si pour épargner le sang de ses Officiers & de ses Soldats, ce sage Monarque n’eust ordonné que l’on fist le Siége dans toutes les formes. La Victoire qui cherche toûjours à l’ébloüir, luy fait voir que cette prise luy répond de celle de toutes les Places du Païs Espagnol. Elle parle sans qu’elle puisse se faire écouter. Il persiste dans ses propositions de Tréve, elle est enfin acceptée. & voila l’Europe dans un plein repos.

Que de merveilles renferme cette grandeur d’ame, dont j’ay osé faire une foible ébauche ! C’est à vous, Messieurs, à traiter cette matiére dans toute son étenduë. Si nostre Langue ne vous preste point de quoy luy donner assez de poids & de force, vous suppléerez à cette sterilité par le talent merveilleux que vous avez de faire sentir plus que vous ne dites. Il faut de grands traits pour les grandes choses que le Roy a faites, de ces traits qui montrent tout d’une seule veuë, & qui offrent à l’imagination ce que les ombres du Tableau nous cachent, Quand vous parlerez de sa vigilance exacte & toújours active, pour ce qui regarde le bien de ses Peuples, la gloire de ses Etats, & la majesté du Trône ; de ce zele ardent & infatigable, qui luy fait donner ses plus grands soins à détruire entiérement l’Heresie, & à rétablir le culte de Dieu, dans toute sa pureté ; & enfin de tant d’autres qualitez augustes, que le Ciel a voulu voir en luy, pour le rendre le plus grand de tous les Hommes ; si vous trouvez la matiere inépuisable, vostre adresse à executer heureusement les plus hauts desseins, vous fera choisir des expressions si vives, qu’elles nous feront entrer tout d’un coup dans tout ce que vous voudrez nous faire entendre. Par l’ouverture qu’elles donneront à nostre esprit, nos reflexions nous meneront jusqu’où vous entreprendrez de les faire aller, & c’est ainsi que vous remplirez parfaitement toute la grandeur de vostre sujet.

Quel bon-heur pour moy, Messieurs, de pouvoir m’instruire sous de si grands Maistres ! Mes soins assidus à me trouver dans vos Assemblées pour y profiter de vos Leçons, vous feront connoistre, que si l’honneur que vous m’avez fait, passe de beaucoup mon peu de merite, du moins vous ne pouviez le répandre sur une personne qui le reçeust avec des sentimens plus respectueux & plus remplis de reconnoissance.

Mr de Corneille ayant cessé de parler, Mr de Bergeret prit la parole, & fit un discours trés-éloquent. Il dit, Qu’il avoit déja éprouvé plus d’une fois, que dés qu’on vouloit penser avec attention à l’Académie Françoise, l’imagination se trouvoit aussitost remplie & étonnée de tout ce qu’il y a de plus beau dans l’Empire des Lettres, qu’est un Empire qui n’est borné ny par les Montagnes, ny par les Mers, qui comprend toutes les Nations & tous les Siecles ; dans lequel les plus grands Princes ont tenu à honneur d’avoir quelque place, & où Mrs de l’Academie Françoise ont l’avantage de tenir le premier rang. Que s’il entreprenoit de parler de toutes les sortes de merites, qui font la gloire de ceux qui la composent, il sentoit bien que l’habitude de parler en public, & d’en avoir fait le Ministere plusieurs années, en parlant pour le Roy dans un des Parlemens de son Royaume, ne l’empescheroit pas de tomber dans le desordre, Ensuite il loüa Mr de Cordemoy dont il occupe la Place, sur ce qu’il avoit joint toutes les vertus Morales & Chrétiennes aux plus riches talens de l’esprit, sur les grandes lumiéres qu’il avoit dans la Jurisprudence, dans la Philosophie, & dans l’Histoire, & sur tout sur une certaine presence d’esprit qui luy estoit particuliére, & qui le rendoit capable de parler sans préparation, avec autant d’ordre & de netteté qu’on peut en avoir en écrivant avec le plus de loisir. Il n’oublia pas les beaux & sçavans Traitez de Physique qu’il a donnez au Public ; & en parlant de sa grande Histoire de nos Roys qu’on acheve d’imprimer, il ajoûta, Que si sa trop promte mort avoit laissé ce dernier Ouvrage imparfait, quoy qu’il y manquast pour estre entier, il ne manqueroit rien à la réputation de l’Autheur, qu’on estimeroit toûjours ce qu’il a écrit, & qu’on regreteroit toûjours ce qu’il n’a pas eu le temps d’écrire. Cet Eloge fut suivy de celuy de Mr le Cardinal de Richelieu, instituteur de l’Academie Françoise. Il dit, Que non seulement, il avoit fait les plus grandes choses pour la gloire de l’Etat, mais qu’il avoit fait les plus grands Hommes pour celebrer perpetuellement cette gloire ; que tous les Academiciens luy appartenoient par le Titre mesme de la naissance de l’Academie, & qu’ils estoient tous comme la Posterité sçavante & spirituelle de ce grand Ministre ; Que l’illustre Chancelier qui luy avoit succedé dans la protection de cette celebre Compagnie, auroit toûjours part à la mesme gloire ; & que parmy toutes les vertus qui l’avoient rendu digne d’estre Chef de la Justice, on releveroit toûjours l’affection particuliére qu’il avoit euë pour les Lettres, & qui l’avoit obligé d’estre simple Academicien, long-temps avant qu’il devinst Protecteur de l’Academie ; ce qui luy estoit d’autant plus glorieux, que ces deux titres ne pouvoient plus estre réünis dans une Personne privée, quelque éminente qu’elle fust en dignité, le nom de Protecteur de l’Academie estant de venu comme un titre Royal, par la bonté que le Roy avoit euë de le prendre & de vouloir bien en faveur des Lettres, que le Vainqueur des Roys & l’Arbitre de l’Univers, fust aussi appellé le Protecteur de l’Academie Françoise. Le reste de son Discours roula sur les merveilleuses qualitez de cet Auguste Monarque. Il dit, Que tout ce qu’il faisoit voir au monde n’estoit rien en comparaison de ce qu’il luy cachoit ; que tant de Victoires, de Conquestes, & d’Evenemens prodigieux qui étonnoient toute la Terre, n’avoient rien de comparable à la sagesse incomprehensible qui en estoit la cause, & que lors qu’on pouvoit voir quelque chose des conseils de cette Sagesse plus qu’humaine, on se trouvoit, pour ainsi dire, dans une si haute region d’esprit, qu’on en perdoit la pensée, comme quand on est dans un air trop élevé, & trop pur, on perd la respiration. Il ajoûta, Que se tenant renfermé dans les termes de l’admiration & du silence, il ne cesseroit de se taire que pour nommer les souveraines vertus qu’il admiroit ; une Prudence qui penetroit tout, & qui estoit elle-mesme impenetrable ; une Justice qui préferoit l’interest du Sujet à celuy du Prince ; une Valeur qui prenoit toutes les Villes qu’elle attaquoit, comme un Torrent qui rompt tous les obstacles qu’il rencontre ; une Moderation qui avoit tant de fois arresté ce Torrent, & suspendu cet Orage ; une Bonté qui par l’entiere abolition des Duels, prenoit plus de soin de la vie des Sujets, qu’ils n’en prenoient eux-mesmes ; un Zele pour la Religion, qui faisoit chaque jour de si grands & de si heureux projets ; & que ce qui estoit encore plus admirable dans toutes ces vertus si differentes, c’estoit de les voir agir toutes ensemble, & dans la paix & dans la guerre, sans difference ny distinction de temps. Aprés une peinture fort vive des grandes choses que le Roy a faites pendant la Paix, qui avoit toûjours esté pour luy non seulement agissante, mais encore victorieuse, puis que par un bonheur incomparable, elle n’avoit pas arresté ses Conquestes, & que les trois plus importantes Places du Royaume, & pour sa gloire, & pour sa sûreté, Dunkerque, Strasbourg, & Cazal, trois Villes qui sont les Clefs de trois Etats voisins, & dont la Prise auroit signalé trois Campagnes, avoient esté conquises sans armes & sans Combats, il dit, Qu’on avoit vû l’Europe entiere conjurée contre la France, que tout le Royaume avoit esté environné d’Armées Ennemies, & que cependant il n’estoit jamais arrivé qu’un seul de tant de Genéraux Etrangers eust pris seulement un Quartier d’Hyver sur nos Frontieres ; Que tous ces Chefs Ennemis se promettoient d’entrer dans nos Provinces en Vainqueurs & en Conquérans, mais qu’aucun d’eux ne les avoit veües, que ceux qu’on y avoit amenez Prisonniers ; que tous les autres estoient demeurez autour du Royaume, comme s’ils l’avoient gardé, sans troubler la tranquilité dont il joüissoit, & que c’estoit un prodige inoüy, que tant de Nations jalouses de la gloire du Roy, & qui s’estoient assemblées pour le combatre, n’eussent pû faire autre chose que de l’admirer, & d’entendre d’assez loin le bruit terrible de ses Foudres, qui renversoient les Murs de quarante Villes en moins de trente jours, & qui cependant par une espece de miracle, n’avoient point empesché que la voix des Loix n’eust esté toûjours entenduë ; toûjours la Justice également gardée, l’Obeïssance rendue, la Discipline observée, le Commerce maintenu, les Arts florissans, les Lettres cultivées, le Mérite recompensé, tous les Reglemens de la Police genéralement exécutez ; & non seulement de la Police Civile, qui par les heureux changemens qu’elle avoit faits, sembloit nous avoir donné un autre Air & une autre Ville, mais encore de la Police Militaire, qui avoit civilisé les Soldats, & leur avoit inspiré un amour de la gloire & de la discipline, qui faisoit que les Armées du Roy estoient en mesme temps la plus belle & la plus terrible chose du monde. Il finit en disant, Que c’estoit une grande gloire pour un Prince Conquérant, que l’on pust dire de luy, qu’il avoit toûjours eu un esprit de paix dans toutes les Guerres qu’il avoit faites, depuis la premiere Campagne jusqu’à la derniere, depuis la Prise de Marsal jusqu’à celle de Luxembourg ; Que cette derniere & admirable Conqueste, qui en assurant toutes les autres, venoit heureusement de finir la Guerre, feroit dire encore plus que jamais, que le Roy estoit un Héros toújours Vainqueur & toûjours Pacifique, puis que non seulement il avoit pris cette Place, une des plus fortes du Monde, & qu’il l’avoit prise malgré tous les obstacles de la Nature, malgré tous les efforts de l’Art, malgré toute la résistance des Ennemis, mais ce qui estoit encore plus, malgré luy-mesme, estant certain qu’il ne l’avoit attaquée qu’à regret, & apres avoir pressé long-temps ses Ennemis cent fois vaincus, de vouloir accepter la Paix qu’il leur offroit, & de ne le pas contraindre à se servir du Droit des Armes ; de sorte que par un évenement tout singulier, cette fameuse Ville seroit toûjours pour la gloire du Roy un Monument éternel, non seulement de la plus grande valeur, mais aussi de la plus grande modération dont on eust jamais parlé.

Toute l’Assemblée fut tres-satisfaite de ce Discours, & Mr de Bergeret eut tout lieu de l’estre des loüanges qu’il reçût. Mr Racine, qui estoit alors Directeur de l’Académie, répondit à ces deux nouveaux Académiciens au nom de la Compagnie. Je tâcherois inutilement de vous exprimer combien cette Réponse fut éloquente, & avec combien de grace il la prononça. Elle fut interrompuë par des applaudissemens fréquemment reïterez ; & comme il en employa une partie à élever le mérite de Mr de Corneille, il fut aisé de connoistre qu’on voyoit avec plaisir dans la bouche d’un des plus grands Maistres du Theatre, les loüanges de celuy qui a porté la Scene Françoise au degré de perfection où elle est. Il dit d’abord, Que l’Académie avoit regardé sa mort comme un des plus rudes coups qui la pust fraper ; Que quoy que depuis un an une longue maladie l’eust privée de sa présence, & qu’elle eust perdu en quelque façon l’espérance de le revoir jamais dans ses Assemblées, toutefois il vivoit, & que dans la Liste où sont les noms de tous ceux qui la composent, cette Compagnie dont il estoit le Doyen, avoit au moins la consolation de voir immédiatement audessous du nom sacré de son auguste Protecteur, le fameux nom de Corneille. Il fit ensuite une peinture admirable du desordre & de l’irrégularité où se trouvoit la Scene Françoise, lors qu’il commença à travailler. Nul goust, nulle connoissance des veritables beautez du Theatre. Les Autheurs aussi ignorans que les Spectateurs. La plûpart des Sujets extravagans & dénuez de vraysemblance. Point de Mœurs, point de Caracteres. La Diction encore plus vicieuse que l’Action & dont les Pointes, & de misérables jeux de mots, faisoient le principal ornement. En un mot toutes les Regles de l’Art, celles mesme de l’honnesteté & de la bienséance, violées. Il poursuivit en disant, Que dans ce Cahos du Poëme Dramatique parmy nous, Mr de Corneille, apres avoir quelque temps cherché le bon chemin, & lutté contre le mauvais goust de son Siécle, enfin inspiré d’un Génie extraordinaire, & aidé de la lecture des Anciens, avoit fait voir sur la Scene la Raison, mais la Raison acompagnée de toute la pompe, de tous les ornemens dont nostre Langue est capable, accordé heureusement le Vraysemblable & le Merveilleux, & laissé bien loin derriere luy tout ce qu’il avoit de Rivaux, dont la plûpart desesperant de l’atteindre, & n’osant plus entreprendre de luy disputer le Prix, s’estoient bornez à combatre la Voix publique déclarée pour luy, & avoient essayé en vain par leurs discours & par leurs frivoles critiques, de rabaisser un mérite qu’ils ne pouvoient égaler. Il passa de là aux acclamations qu’avoient excité à leur naissance le Cid, Horace, Cinna, Pompée, & les autres Chef-d’œuvres qui les avoient suivis ; & dit, Qu’on ne trouvoit point de Poëte qui eust possedé à la fois tant d’excellentes parties, l’Art, la Force, le Jugement, & l’Esprit. Il parla de la surprenante varieté qu’il avoit meslée dans les Caracteres, en sorte Que tant de Roys, de Princes, & de Héros qu’il avoit représentez, estoient toûjours tels qu’ils devoient estre, toûjours uniformes en eux-mesmes, & jamais ne se ressemblant les uns aux autres ; Qu’il y avoit parmy tout cela une magnificence d’expression proportionnée aux Maistres du Monde qu’il faisoit souvent parler, capable neanmoins de s’abaisser quand il vouloit, & de descendre jusqu’aux plus simples naïvetez du Comique, où il estoit encore inimitable ; Qu’enfin ce qui luy estoit sur tout particulier, c’estoit une certaine force, une certaine élevation, qui en surprenant & en élevant, rendoit jusqu’à ses defauts, si on luy en pouvoit reprocher quelques-uns, plus estimables que les vertus des autres. Il ajoûta, Qu’on pouvoit le regarder comme un Homme veritablement né pour la gloire de son Païs, comparable, non pas à tout ce que l’ancienne Rome avoit eu d’excellens Tragiques, puis qu’elle confessoit elle-mesme, qu’en ce genre elle n’avoit pas esté fort heureuse, mais aux Eschiles, aux Sophocles, aux Euripides, dont la fameuse Athenes ne s’honoroit pas moins que des Themistocles, des Pericles, & des Alcibiades, qui vivoient en mesme temps qu’eux. Il s’étendit sur la justice que la Posterité rend aux habiles Ecrivains, en les égalant à tout ce qu’il y a de plus considérable parmy les Hommes, & faisant marcher de pair l’excellent Poëte & le grand Capitaine ; & dit là-dessus, Que le mesme Siecle qui se glorifioit aujourd’huy d’avoir produit Auguste, ne se glorifioit guere moins d’avoir produit Horace & Virgile ; qu’ainsi lors que dans les âges suivans on parleroit avec étonnement des Victoires prodigieuses, & de toutes les choses qui rendront nostre siecle l’admiration de tous les siecles à venir, l’illustre Corneille tiendroit sa place parmy toutes ces merveilles ; que la France se souviendroit avec plaisir que sous le Regne du plus grand de ses Roys, auroit fleury le plus celebre de ses Poëtes ; qu’on croiroit mesme ajoûter quelque chose à la gloire de nostre Auguste Monarque, lors qu’on diroit qu’il avoit estimé, qu’il avoit honoré de ses bien-faits cet excellent Genie ; que mesme deux jours avant sa mort, & lors qu’il ne luy restoit plus qu’un rayon de conoissance, il luy avoit encore envoyé des marques de sa liberalité ; & qu’enfin les dernieres paroles de Corneille avoient esté des remercimens pour Loüis le Grand.

Aprés l’avoir loüé sur d’autres qualitez particulieres, sur sa probité, sur sa pieté, & sur l’esprit de douceur & de déference qu’il apportoit à l’Academie, ne se préferant jamais à aucun de ses Confreres, & ne tenant aucun avantage des aplaudissemens qu’il recevoit dans le Public, Mr Racine adressa la parole à Mr de Bergeret, & dit, Que si l’Academie Françoise avoit perdu en Mr de Cordemoy, un Homme qui apres avoir donné au Barreau une partie de sa vie, s’estoit de puis appliqué tout entier à l’étude de nostre ancienne Histoire, elle luy avoit choisy pour Successeur un Homme, qui apres avoir esté long-temps l’organe d’un Parlement celebre, avoit esté appellé à un des plus importans Employs de l’Etat, & qui avec une connoissance exacte, & de l’Histoire & de tous les bons Livres, luy apportoit encore la connoissance parfaite de la merveilleuse Histoire de son Protecteur, qui estoit quelque chose de bien plus utile, & de bien plus considerable pour elle ; que personne mieux que luy ne pouvoit parler de tant de grands évenemens, dont les motifs, & les principaux ressorts avoient esté si souvent confiez à sa fidelité & à sa sagesse, puis que personne ne sçavoit mieux à fond tout ce qui s’estoit passé de mémorable dans les Cours Etrangeres, les Traitez, les Alliances, & toutes les importantes Négotiations, qui sous le Regne de sa Majesté avoient donné le branle à toute l’Europe ; que cependant, s’il falloit dire la verité, la voye de la négotiation étoit bien courte sous un Prince qui ayant toûjours de son côté la Puissance & la Justice, n’avoit besoin pour faire executer ses volontez que de les déclarer ; qu’autrefois la France trop facile à se laisser surprendre par les artifices de ses Voisins, passoit pour estre aussi infortunée dans ses accommodemens, qu’elle estoit heureuse & redoutable dans la guerre ; que sur tout l’Espagne son orgueilleuse Ennemie, se vantoit de n’avoir jamais signé, mesme au plus fort de nos prosperitez, que des Traitez avantageux, & de regagner souvent par un trait de plume, ce qu’elle avoit perdu en plusieurs Campagnes ; que cette adroite Politique dont elle faisoit tant de vanité, luy estoit presentement inutile ; que toute l’Europe avoit vû avec étonnement, des les premieres démarches du Roy, cette superbe Nation contrainte de venir jusque dans le Louvre reconnoistre publiquement son inferiorité ; & nous abandonner depuis par des Traitez solemnels, tant de Places si fameuses, tant de grandes Provinces, celles mesme dont les Roys empruntoient leurs plus glorieux Titres ; que ce changement ne s’étoit fait, ny par une longue suite de Négotiations traînées, ny par la dexterité de nos Ministres dans les Pays Etrangers, puis qu’eux mesmes confessoient que le Roy fait tout, voit tout dans les Cours où il les envoye, & qu’ils n’ont tout au plus que l’embarras d’y faire entendre avec dignité ce qu’il leur a dicté avec sagesse. Il s’étendit encore quelque temps sur les loüanges de ce grand Monarque, avec une force d’expression trés-digne de sa matiere. Il dit, Qu’ayant résolu dans son Cabinet, pour le bien de la Chrestienté, qu’il ny eust plus de guerre. Il avoit tracé six lignes, & les avoit envoyées à son Ambassadeur à la Haye, la veille qu’il devoit partir pour se mettre à la teste d’une de ses Armées ; que là-dessus tout s’étoit agité, tout s’étoit remué, & qu’enfin, suivant ce qu’il avoit prévû, ses Ennemis apres bien des Conferences, bien des Projets, bien des Plaintes inutiles, avoient esté contraints d’accepter ces mesmes Conditions qu’il leur avoit offertes, sans avoir pû avec tous leurs efforts, s’écarter d’un seul pas du cercle étroit qu’il luy avoit plû de leur tracer. Il s’adressa alors à Mrs de l’Académie, & ce qu’il leur dit fut si vif, & si bien peint, que j’affoiblirois la beauté de cette fin d’un Discours si éloquent, si j’en retranchois une parole. Voicy les termes qu’il y employa.

Quel avantage pour tous tant que nous sommes, Messieurs, qui chacun selon nos differens talens avons entrepris de celebrer tant de grandes choses ! Vous n’aurez point pour les mettre en jour, à discuter avec des fatigues incroyables une foule d’intrigues, difficiles à déveloper. Vous n’aurez pas mesme à foüiller dans le Cabinet de ses Ennemis. Leur mauvaise volonté, leur impuissance, leur douleur est publique à toute la terre. Vous n’aurez point à craindre enfin tous ces longs détails de chicanes ennuyeuses, qui sechent l’esprit de l’Ecrivain, & qui jettent tant de langueur dans la pluspart des Histoires modernes, où le Lecteur qui cherchoit des faits, ne trouvant que des paroles, sent mourir à chaque pas son attention, & perd de vûë le fil des évenemens. Dans l’Histoire du Roy, tout vit, tout marche, tout est en action. Il ne faut que le suivre si l’on peut, & le bien étudier luy seul. C’est un enchaînement continüel de Faits merveilleux que luy mesme commence, que luy mesme acheve, aussi clairs, aussi intelligibles quand ils sont executez, qu’impenetrables avant l’execution. En un mot le miracle fut de prés un autre miracle. L’attention est toujours vive, l’admiration toujours tenduë, & l’on n’est pas moins frapé de la grandeur & de la promptitude avec laquelle se fait la Paix, que de la rapidité avec laquelle se font les Conquestes. Cette réponse de Mr Racine fut suivie de tous les applaudissemens qu’elle méritoit. Chacun à l’envy s’empressa à luy marquer le plaisir que l’Assemblée en avoit reçu, & on demeura d’accord tout d’une voix, que le Sort qui l’avoit fait Directeur, n’avoit point esté aveugle dans son choix, & qu’on ne pouvoit parler plus dignement au nom de l’Illustre Compagnie, qui recevoit dans son Corps les deux nouveaux Académiciens.

Sur la Paix que le Roy a donné à l’Europe §

Mercure galant, janvier 1685 [tome 1], p. 200-203

Cet Article m’engage à vous faire part de deux Sonnets, qui ont esté faits sur les Matieres dont on a traité dans ces Discours. Le premier, qui est sur la Tréve, est de Mr le Clerc, de l’Académie Françoise. Vous jugerez aisément que le second vient aussi d’un Homme qui a un fort grand talent pour la Poësie.

SUR LA PAIX
que le Roy a donnée à l’Europe.

Lors qu’Auguste eut calmé les tempestes civiles,
Gagné ses Ennemis contre luy prévenus,
Asservy des Climats jusqu’alors inconnus,
Et soûmis l’Univers à la Reyne des Villes.
***
Sa douceur ramena les Peuples indociles,
Les Justes dans leurs droits se virent maintenus ;
Et dés qu’il eut fermé le Temple de Janus,
On vit fleurir les Arts, on vit les Champs fertiles.
***
Tel & plus grand que luy, d’un Bras victorieux
LOUIS ayant porté la terreur en tous lieux,
Fust un jour devenu le Maistre de la Terre.
***
Mais Vainqueur de luy-mesme, il borne ses hauts Faits ;
Apres avoir passé pour le Dieu de la Guerre,
Il veut encor passer pour le Dieu de la Paix.

Sur la Mort de Mr de Corneille §

Mercure galant, janvier 1685 [tome 1], p. 203-204

SUR LA MORT
DE Mr DE CORNEILLE.

L’apollon de nos jours, dont la fertile Veine
Par ses vives couleurs, par ses raisonnemens,
Marqua si bien du cœur les divers mouvemens ;
Le grand Corneille, hélas ! n’est plus qu’une Ombre vaine.
***
Que dis-je ? Il vit toûjours dans nôtre illustre Scene ;
Toûjours y régneront ces Spectacles charmans,
Où l’esprit enchanté découvre à tous momens
Mille nouveaux appas, dont la force l’entraîne.
***
O vous, Historiens, Poëtes, Orateurs,
Ou jaloux de son nom, ou ses admirateurs,
Rendez-luy vostre hommage, honorez sa mémoire.
***
Non ; qui que vous soyez, taisez-vous, Ecrivains ;
Ses Ouvrages sans vous éternisent sa gloire,
Et l’ont mis audessus des Grecs & des Romains.

[Sermon de M. l'abbé Fléchier] §

Mercure galant, janvier 1685 [tome 1], p. 208-209

 

Le Mercredy 17. de ce mois, jour de la Feste de S. Antoine, Mr l'Abbé Fléchier, Aumônier ordinaire de Madame la Dauphine, prononça l'Eloge de ce Saint, dans l'Eglise des Religieux de S. Antoine, Chanoines Reguliers de Saint Augustin. Il s'acquita de cette action avec un si grand succés, que son Auditoire composé d'un Monde choisi de Paris, en sortit charmé & tomba d'accord que la solitude ne pouvoit estre loüée avec plus de pieté, de force & d'éloquence. Il y eut Musique & Symphonie, dont on fut fort satisfait.

[Vers sur le calme dont joüit la France] §

Mercure galant, janvier 1685 [tome 1], p. 209-212

 

Je vous envoye des Vers qui ont esté faits à l'occasion du calme dont joüit la France.

Voicy le doux temps de l'Amour
Et du charmant Dieu des Bouteilles ;
Nous ne verrons plus le Tambour
Faire du bruit à nos oreilles.
LOUIS couronné de Lauriers,
A licentié ses Guerriers.
Au lieu de Clairons, de Trompettes,
Nous n'entendrons que des Musettes ;
Et déjà j'entens dans nos bois,
A l'honneur du plus grand des Roys,
Le Berger avec sa Bergere,
Chanter sur la verte Fougere,
Vive LOUIS ! Puisse le Ciel
Sur ses jours découler le miel ;
Que toûjours à pleine Faucille
On moissonne dans sa Famille
Des Lauriers ; & que le Soleil
Aux cheveux blonds, au teint vermeil,
Empesche que la Médecine
Sur luy n'exerce sa Doctrine.
C'est par luy que le Siécle d'or,
Mort si long temps avant Nestor,
Va renaistre, & combler la France
De tout ce qui fait l'abondance.
Que l'hymen va joindre de coeurs
Sous le joug d'un amour fidelle,
Et qu'il va moissonner de Fleurs
Avant que la brune Hyrondelle
Par ses premiers gazoüillemens
Nous ait marqué les jours charmans.
Qui ramènent la Tourterelle !
Que sous l'Empire de Bacchus
Nous allons voir casser de Verres,
Et que sous celuy de Vénus
Nous verrons d'amoureux Parterres !
Combien verrons-nous sous l'Ormeau
Danser au son du chalumeau !
Combien de Garçons & de Filles
Les Dimanches joüer aux Quilles,
Courir, & la Boule à la main
Bondir comme feroit le Dain !
Le Vilageois dans sa Chaumiere
Verra pendre sa Cremillière
Dans un Chaudron bien écuré
De quoy festoyer son Curé.
Au Bourgeois étofé de Pane
Nul ne verra faire la Cane,
Quand il faudra de son Trésor
Tirer de l'argent & de l'or,
Pour dégager la Giroüette
De l'Amy, qu'un Sergent decrete.
Le Noble, la Plume au Chapeau,
Et le Clinquant sur l'Ecarlate,
Fera tapisser son Chasteau,
Qui n'estoit meublé que de Natte.
On luy verra des Chiens courans,
Une Ecurie à doubles rangs,
Une cuisine à double Broche,
Toûjours de l'Argent dans sa poche.
Enfin, grace au Maistre des Lys,
Nous serons gorgez de Loüis ;
Et d'un bout à l'autre du Monde,
Sur la Terre, & mesme sur l'Onde,
On dira, c'est chez les François
Qu'on vit content comme des Roys.

Air nouveau §

Mercure galant, janvier 1685 [tome 1], p. 212-213.

Ce mot de Roys me fait souvenir d´un Air nouveau, qu´un habile Maistre a fait pour la Feste de Réjoüissance qu´on celébre le 6. de ce mois.

AIR NOUVEAU.
Pour crier le Roy boit.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Si la Féve par un heureux destin, doit regarder la page 213.
Si la Féve par un heureux destin
Maintenant nous ordonne
De reverer ce grand Roy du Festin,
Qui doit regner dessus la Tonne
Que chacun fasse ce qu'il doit,
En criant le Roy boit.
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[Origine du Roy de la Féve] §

Mercure galant, janvier 1685 [tome 1], p. 213-216

Si vous avez envie de sçavoir quelle est l’origine du Roy de la Féve, vous l’apprendrez dans ces Vers d’Alcidor du Havre.

On tient que de Solon, Legislateur fort sage,
 Est venu le premier usage
D’employer une Féve, afin d’élire un Roy ;
 Et que c’estoit suivant sa Loy,
Que les Athéniens avoient cette maxime,
 Lors qu’ils créoient leurs Magistrats.
Toute autre élection estoit illégitime ;
 On les eust pris pour Scélerats,
 S’ils avoient eu d’autre méthode,
Tant celle-là pour eux estoit juste & commode.
***
Pythagore dit seul, qu’il faloit s’abstenir
Des Féves que chacun souhaitoit d’obtenir.
Il vaut mieux, disoit-il, n’avoir aucune Charge,
Que d’en chercher ainsi, pour troubler son repos,
Parce que bien souvent c’est un chemin fort large,
 Qui nous conduit vers Atropos.
***
Il est d’autres Autheurs d’un sentiment contraire,
Soûtenant hautement que ce sont les Romains,
 Qui sont les premiers des Humains
A qui cette méthode ait commencé de plaire ;
 Car le jour qu’ils faisoient Festin
 Pendant leurs Festes Saturnales,
Ils élisoient un Roy sans brigues ny cabales,
 Par le seul ordre du Destin ;
 La Féve estoit la seule marque
Pour désigner celuy qu’ils de voient respecter
Pendant tout le Repas qu’on faisoit apprester,
Selon la volonté de ce petit Monarque.
***
Nous imitons encor sans aucun repentir
 Les Romains plus que ceux d’Athénes ;
 L’on en voit les preuves certaines
 Que l’on ne sçauroit démentir.
L’usage du Gasteau n’est-il pas tout semblable ;
 Et n’est-ce pas le seul hazard
 Qui fait un Roy d’un Misérable,
 Lors que la Féve est dans sa part ?

Stances §

Mercure galant, janvier 1685 [tome 1], p. 216-220

Le Sort ayant favorisé dans ces jours de Réjoüissance, une fort jeune Personne qui est d’une tres-grande beauté, & dont la Mere n’a pas moins de charmes, un Cavalier fort spirituel prit de là occasion de faire ces Vers.

STANCES.

Aimable Enfant, on vient de dire,
Que le Sort par un juste choix
Vous a fait présent d’un Empire
Le jour qu’il peut faire des Roys.
Mais faloit-il prendre la peine
De faire déclarer le Sort,
Et chacun d’un commun accord
Ne vous auroit-il pas fait Reyne ?
***
Le sang dont vous tirez naissante
Eut toûjours droit de dominer ;
Et pourquoy donc dés vostre enfance.
Ne vous verroit-on pas regner ?
La Nature vous a fait naistre
Avec certain je-ne-sçay-quoy,
Qui ne nous fait que trop connoistre
Que nous vivrons sous vostre Loy.
***
Mais il court certain bruit critique
De vostre Domination,
C’est que celles de vostre nom
Sont de Race un peu tyrannique.
Ma belle Enfant, gardez-vous bien
De suivre ces cruels modéles ;
Pour avoir des Sujets fidéles,
Attachez-les d’un doux lien.
***
Serez-vous pas plus satisfaite
De vous voir servir par amour,
Que de voir toûjours vostre Cour
De mille chagrins inquiéte ?
Songez qu’il vous seroit honteux,
Que dans le monde l’on pust dire,
Que vous faites de vostre Empire
Un Empire de Malheureux.
***
Que ce soit toûjours la clémence
Qui conduise tous vos projets.
Hélas ! un peu de complaisance
Contentera tous vos Sujets.
Mais, entre nous, je me défie
De ce que cache vostre cœur ;
Celle dont vous tenez la vie
Ne panche point vers la douceur.
***
Soyez plûtost, s’il se peut faire,
Dans vostre Souveraineté,
Moins charmante que vostre Mere ;
Mais ayez moins de cruauté.
Ne prenez d’elle que les charmes
Qui peuvent enchaîner les cœurs ;
Mais n’en prenez point les rigueurs
Qui nous ont coûté tant d’alarmes.

A Mr d’Arbaud, sur son Abjuration de l’Herésie §

Mercure galant, janvier 1685 [tome 1], p. 236-243

La joye que tout le monde a reçüe de cette Conversion, a obligé Mr Sabatier, Gentilhomme d’un mérite singulier, & qui n’est pas un des moindres Ornemens de l’Académie Royale d’Arles, de faire éclater la sienne par cette Epître.

A Mr D’ARBAUD,
Sur son Abjuration
de l’Herésie.

De quel bonheur, d’Arbaud, le Ciel te favorise !
Te voila revenu dans le sein de l’Eglise ;
Tu n’as plus ce Bandeau qui te couvroit les yeux,
Qui causa le malheur de tes derniers Ayeux.
Eux seuls dans nostre noble & fidéle Patrie,
De l’erreur de Calvin eurent l’ame flétrie,
Contraints de suivre ailleurs leur malheureuse erreur,
Ils furent entraînez par ce Torrent trompeur.
Tu vois le Précipice où te menoit sa course ;
La quitant tu reviens à ta premiere Source.
Quel Chant n’éclate point dans nos Temples fameux,
Lors que ton cœur soûmis y fait de nouveaux vœux ;
Et quel est ton plaisir, adorant nos Misteres,
D’offrir le mesme Encens qu’avoient offert tes Peres !
Tu n’es plus aveuglé, tu connois aujourd’huy
Quelle estoit ton erreur, & quel fut son apuy.
D’Arbaud, tu te souviens que la France en furie
Appuya lâchement la naissante Héresie ;
Qu’un Peuple mutiné contre ses propres Roys,
Abatit les Autels, & renversa la Croix ;
Tu découvres enfin par la Foy qui te guide,
Qu’un nouveau Reformé fut un nouveau Perfide ;
Que la sédition, le carnage & l’horreur,
Avançoient les progrés d’un faux Législateur ;
Et que du juste Ciel le pouvoir légitime
Ne s’établit jamais par le sang ny le crime.
Eclairé de la Foy, ce Céleste Flambeau,
Tu connois l’Héresie, & quel fut son Berceau.
Pour soûtenir l’éclat de sa nouvelle gloire,
Eut elle un Augustin, un Ambroise, un Grégoire ?
Elle eut pour Fondateurs, d’illustres Scélerats,
De sçavans Libertins, de fameux Apostats.
Chrétiens infortunez, de qui l’ame abusée
Souffrit ce joug trompeur d’une Réforme aisée,
Qui preschoit le plaisir & le relâchement,
Je ne m’étonne pas de vostre aveuglement ;
Je ne m’étonne pas qu’au milieu du tumulte
Vous ayez malgré vous suivy vostre faux Culte.
Le desordre & le bruit ne serviront jamais
A trouver le bonheur que donne un Dieu de Paix.
Mais je m’étonne enfin, que le plus grand des Princes,
Qui travaille au repos de toutes ses Provinces,
Qui rend par sa douceur ses Peuples fortunez,
Trouve encor parmy vous tant de cœurs obstinez.
Je sçay bien que la Foy ne souffre point de Maistre ;
Que le pouvoir humain ne la fait pas connoistre ;
Que ce divin Rayon qui dessille nos yeux,
Est un prétieux Don qui ne vient que des Cieux.
Sans tumulte & sans bruit, Chrétiens dans la Priere
Nous devons demander cette vive lumiere.
Tout est calme à présent ; LOUIS a tout soûmis ;
Demandez cette Foy, qui nous doit rendre unis ;
Employez le repos que donne la Victoire,
A chercher le chemin d’une éternelle Gloire.
D’Arbaud, sans diférer tu cherchois bonheur ;
Le Ciel vient de remplir ton esprit & ton cœur ;
La sainte Verité jointe à l’ardeur sublime,
Par ses Célestes feux, & t’éclaire, & t’anime ;
Sans suivre les motifs qu’ont les lâches Mortels,
Tu viens pur & sincere au pied de nos Autels ;
Eloigné de la Cour, dont l’éclat t’importune,
Tu cherches ton salut, sans chercher la Fortune.

[Belle action] §

Mercure galant, janvier 1685 [tome 1], p. 246-250, 253-256

 

Je vous ay mandé, Madame, dans l'un des Articles de cette Lettre, que Madame de Harlay de Chanvalon, Abesse de la Virginité dans le Vendômois, illustre par sa naissance, par son esprit, & par sa vertu, avoit esté nommée par le Roy à l'Abbaïe de Port Royal de Paris. Cependant cette Abbaïe est encore vacante. Quoy qu'elle soit plus considérable & plus riche que celle de Madame de la Virginité, dans la Ville Capitale du Royaume, & sous la juridiction de Mr l'Archevesque de Paris son Frère, de si puissantes raisons ont esté sans force pour ébranler sa constance. Elle a triomphé de l'ambition, & des tendresses du sang, c'est à dire de ce qui flate davantage l'esprit & le coeur. Elle a suplié Mr de Paris, de faire agréer au Roy ses tres humbles excuses, & de luy témoigner la douleur qu'elle a de n'estre pas en état d'obeïr à Sa Majesté, & de recevoir le bienfait dont il luy plaisoit de l'honorer ; Que son âge qui passe soixante ans, & sa mauvaise santé, ne luy permettoient pas d'embrasser l'étroite Observance établie à Port Royal ; qu'elle ne croyoit pas pouvoir en sûreté de conscience & avec honneur, se mettre à la teste d'une Communauté qu'elle ne précheroit que de parole, & non pas d'exemple ; Qu'elle auroit peur de tomber dans le blâme des Pharisiens, à qui le Sauveur du Monde reproche, qu'ils chargeoient les Hommes de fardeaux pesans qu'ils n'auroient pas voulu toucher du bout du doigt. Elle a enfin représenté à Mr l'Archevesque, Qu'il y avoit cinquante ans qu'elle estoit dans l'Abbaïe de la Virginité ; trente, qu'elle en estoit Abbesse, Que la douleur & les larmes de quarante Filles qu'elle avoit toutes élevées, la touchoient, & qu'elle ne pouvoit se résoudre à les abandonner. En effet, aussi-tost qu'elles sçûrent la nomination du Roy, elles allèrent se jetter aux pieds de Madame de la Virginité, pour la suplier de demeurer avec elles. [...]

 

Les Religieuses de la Virginité sont très vertueuses, & ont beaucoup d'esprit. Apres avoir esté sensibles à la douleur, elles ne l'ont pas moins esté à la joye de conserver leur trésor. Aussi-tost qu'elles sçeurent que le Roy avoit la bonté de leur laisser leur illustre & chere Abbesse, elles allérent à l'Eglise chanter le Te Deum en Musique tres-solemnellement, au son des Cloches & au bruit du Canon. Il y eut des Feux de joye allumez, depuis sept heures du matin jusques au soir, & le lendemain la Messe d'action de graces fut chantée par Mr l'Abbé de Château-Renault, Frere de Mr le Chevalier de Château-Renault, Commandeur d'une Escadre de Vaisseaux, & Oncle de Mr le Marquis de Château-Renault, Colonel du Regiment de Cambresis, qui y estoit present, avec plusieurs Gentilshommes du Païs. Tout le reste de la Noblesse du Vendômois & des Provinces voisines, est venu les jours suivans à la Virginité, féliciter cette Abbesse sur sa généreuse résolution, aussi bien que Mrs les Curez & Ecclesiastiques. Les Communautez de Religieux en ont député de leurs Corps, pour luy rendre leurs devoirs. Le Bailly de Vendômois, tous les Officiers de la Justice de Vendôme & de Montoire, luy sont venus faire compliment, sur la joye de voir qu'elle demeuroit, de mesme qu'ils étoient venus luy témoigner leur douleur de la perdre, & avec elle l'édification & l'admiration de toute la Province.

A Madame l’Abesse de la Virginité §

Mercure galant, janvier 1685 [tome 1], p. 256-258

Voicy un Sonnet qui a esté fait sur ce refus.

A MADAME L’ABBESSE
de la Virginité.

Mortels, vous admirez la fatale vaillance
D’Alexandre le Grand, ce Héros furieux,
C’est un feu de Comete, il éclate à nos yeux,
Mais il fait ressentir sa maligne influence.
***
A des cœurs moderez donnez la préference,
L’ambition n’est plus un vice glorieux ;
Depuis qu’un Dieu fait Homme est descendu des Cieux,
L’Humilité Chrétienne à la préeminence.
***
Incomparable Abbesse, à vos rares Vertus
Mille titres d’honneur, mille éloges sont dûs ;
Vous suivez l’Evangile avec exactitude.
***
L’exemple du Sauveur est pour vous une Loy ;
Si vous ne voulez pas quiter la solitude,
C’est qu’il s’y retira de crainte d’être Roy.

[Avanture] §

Mercure galant, janvier 1685 [tome 1], p. 258-282

J’ay à vous apprendre une Avanture que vous trouverez fort singuliére. Elle est arrivée icy depuis peu de temps. Un Cavalier fort bien fait, spirituel, jeune & riche, aprés avoir joüé pendant cinq ou six années, tous les personnages que font auprés des belles Personnes, ceux qui sont prodigues de douceurs, & que les plus fortes protestations qu’ils viennent de faire, n’empeschent point de jurer encore ailleurs qu’ils ont de l’amour, se sentit enfin veritablement touché de la beauté d’une aimable Brune qu’il trouva un jour chez une Veuve, qui quoy qu’elle passast quarante ans, n’en avoüoit que vingt huit, & qui par de certains airs du monde qui luy étoient naturels, reparoit avec assez d’agrément ce qui luy manquoit du costé de la jeunesse. La belle Brune joignoit à des traits piquans, une modestie qui charma le Cavalier. Il sçut aussitost qu’elle estoit voisine de la Veuve, & les sentimens d’estime qu’il prit dés l’abord pour elle, l’engageant à souhaiter d’avoir un entier éclaircissement sur ce qui la regardoit, il apprit par ceux qu’il chargea du soin de s’en informer, qu’elle dépendoit d’un Pere assez peu accommodé, qui ne souffroit point qu’elle reçust de visites ; qu’on ne la voyoit que chez une vieille Tante qui estant fort riche, prometoit de luy donner une partie de son bien ; qu’ainsi tout ce qu’elle avoit d’Amans faisoit la cour à la Tante, & que c’estoit d’elle qu’il faloit obtenir. Le Cavalier instruit de ces choses, voulut connoistre le cœur de la Belle, avant que de prendre aucunes mesures. Sçachant qu’elle voyoit fort souvent la Veuve, il se rendit assidu chez elle. Toutes ses visites furent reçuës agréablement, & l’on vit avec plaisir qu’elles devenoient fréquentes. La Belle se trouvoit de temps en temps avec son Amie, qui l’estoit aussi de la vieille Tante, & tout ce qu’elle disoit, faisoit paroître tant de jugement, & tant de sagesse au Cavalier que quoy qu’il ne marquast rien qui pust découvrir ce qui se passoit dans son cœur pour elle, il s’affermissoit de plus en plus dans la résolution d’en faire son unique attachement. Cependant à force de voir la Veuve, il ne s’appercevoit pas qu’il luy donnoit lieu de croire qu’il en estoit amoureux. Elle en demeura persuadée, & pour l’obliger à se déclarer plus fortement, elle faisoit pour luy des avances, dont il auroit connu le dessein, s’il n’eust pas esté remply d’une passion qui l’aveugloit sur toute autre chose. Apres quelques entreveuës, dans lesquelles il crût avoir remarqué que sa personne ne déplaisoit pas à la belle Brune, il résolut de luy faire part de son dessein, & de sçavoir d’elle-même, quels sentimens elle avoit pour luy. Dans cette pensée il alla l’attendre à une Eglise, où il apprit qu’elle alloit tous les matins, & l’abordant lors qu’elle en sortoit, il la remena chez elle, & pendant ce temps, il luy fit une si tendre & si sérieuse déclaration, qu’elle connût aisément qu’un véritable & sincére amour le faisoit parler. Le party luy estoit assez avantageux de toutes maniéres pour l’engager à répondre avec des marques d’estime qui luy fissent concevoir qu’il n’auroit aucune peine à luy inspirer quelque chose de plus fort. Elle luy dit qu’elle dépendoit d’un Pere à qui elle obéïroit sans répugnance en tout ce qu’il luy voudroit ordonner en sa faveur, mais qu’il n’étoit pas le seul qu’il y eust à s’acquerir dans une affaire de cette importance ; qu’une Tante qui luy promettoit de partager son bien avec elle, s’étoit chargée en quelque façon du soin de la marier, & que toutes les démarches que l’on pourroit faire pour réüssir dans ce qu’il luy proposoit, seroient inutiles, si l’on n’avoit son consentement. Le Cavalier fort ravy de voir que sa Maîtresse ne s’opposoit point à son bonheur, ne songea plus qu’à gagner la Tante. Ce qui luy donnoit de l’inquietude, c’est qu’il avoit sçeu qu’elle aimoit le monde, & qu’elle amusoit tous ceux qui pretendoient à sa Niéce, par le plaisir de se voir long-temps faire la Cour. Il crût cependant qu’étant plus riche que tous ses Rivaux, & peut-estre aussi plus considerable par d’autres endroits, on pourroit craindre de le laisser échaper, & que cette crainte feroit terminer plûtost ses affaires. Pour les avancer, il ne trouva point de plus seur moyen que de parler à la Veuve, qui pouvoit beaucoup sur l’esprit de cette Tante. Ainsi la rencontrant seule dés le mesme jour, il luy dit avec des yeux tout brillans du feu qui l’animoit, qu’il avoit pris chez elle un mal dangereux, dont la guerison dépendoit de son secours, & qu’il esperoit qu’ayant pour luy autant de bonté qu’elle en avoit toûjours fait paroistre, elle voudroit bien entrer dans ses sentimens pour le succés d’un dessein tres-legitime. La Veuve persuadée par les assiduitez du Cavalier, qu’elle estoit l’objet de tous ses desirs, eut tant de joye de luy entendre tenir ce langage, que sans luy donner le temps de s’expliquer mieux, elle l’interrompit pour luy dire, que ce qu’il avoit à luy apprendre, luy étoit déja connu ; qu’elle n’étoit point d’un âge à s’effrayer d’une declaration d’amour ; que ses soins l’avoient instruite de sa passion ; que l’état de Veuve la mettant en droit de disposer d’elle-mesme, elle y répondoit avec plaisir, & qu’elle ne souhaitoit autre chose de sa complaisance, sinon que pour quelque interest de famille qu’elle achevoit de régler, il voulust bien attendre trois mois à faire le Mariage ; que cependant elle luy donnoit parole de n’écouter personne à son prejudice & qu’elle estoit preste à bannir tous ceux dont les visites luy seroient suspectes. Imaginez-vous dans quelle surprise se trouva le Cavalier. Elle fut telle que ne la pouvant cacher tout-à-fait, il se trouva obligé de s’excuser de son trouble sur son excessive joye, qui en resserrant son cœur, le rendoit comme interdit. Vous jugez bien qu’il consentit sans aucune peine que son pretendu Mariage avec la Veuve, fust differé de trois mois. Il luy laissa un pouvoir entier sur cet article, mais il vit en mesme temps tous les embarras que luy causeroit le peu de précaution qu’il avoit pris avec elle. Il n’y avoit plus à esperer qu’elle le servist auprés de la Tante. Au contraire, il luy étoit important que cette Tante ne sçust rien de son amour. La Veuve auroit pû l’apprendre par elle, & c’eust esté s’attirer une Ennemie qui eust tout mis en usage, pour empescher qu’on ne l’eust rendu heureux. Parmy toutes ces contraintes, il devint resveur & inquiet, & il le fut encore plus quand la belle Brune, ne voulant pas qu’il s’imaginast que la declaration qu’il luy avoit faite, luy fist chercher avec plus d’empressement l’occasion de le voir, rendit à la Veuve des visites moins frequentes. Il en de vina la cause par les manieres honnestes, & pleines d’estime qu’elle avoit pour luy, toutes les fois qu’il la trouvoit à l’Eglise, & ne pût blâmer une reserve qui marquoit un cœur sensible à la gloire. La Veuve qui remarquoit son chagrin, ne l’imputoit qu’aux trois mois de terme qu’elle avoit voulu qu’il luy donnast, & touchée de l’impatience où elle s’imaginoit qu’un si long retardement eust mis son amour, elle tâchoit d’adoucir sa peine, en l’assurant que ses diligences redoublées la tireroient d’embarras plûtost qu’elle n’avoit cru. Toutes ces choses porterent le Cavalier à prendre une resolution qu’il le delivrast de crainte. Il communiqua à sa Maîtresse le dessein où il étoit de l’épouser, sans en rien dire à sa Tante, & de renoncer aux avantages qu’elle en pouvoit esperer, parce qu’en l’avertissant de sa recherche, la Veuve qui le sçauroit aussi-tost, l’obligeroit de traîner son Mariage en longueur, à quoy la Tante seroit assez portée d’elle-mesme par son interest particulier, & peut-estre mesme obtiendroit d’elle qu’elle se declarast contre luy. Il s’épargnoit par là beaucoup de traverses, ou du moins plusieurs reproches, qu’il ne craignoit point quand il seroit marié. La Belle ayant consenty à ce qu’il vouloit, il alla trouver son Pere, luy exagera la force de son amour, le conjura de luy vouloir accorder sa Fille, & luy expliqua toutes les raisons qui luy faisoient souhaiter un entier secret sur son Mariage. Le Pere qui connoissoit les grands Biens du Cavalier, ne balança point conclurre toutes choses de la maniere qu’il le proposoit. Le Notaire vint, & le Contract fut signé, sans que personne en eût connoissance. Cependant, comme il n’y a rien de si caché qui ne se découvre, le jour qui préceda celuy qu’on avoit choisi pour le Mariage, une Servante de cette Maison ayant soupçonné la verité à quelques aprests que l’on y faisoit, en instruisit la Suivante de la Veuve, qui alla en mesme temps le redire à sa Maîtresse, avec qui la Veuve étoit. L’une & l’autre fut dans une colere inconcevable. La Veuve, qui prétendoit que le Cavalier luy eust engagé sa foy, traita sa nouvelle passion de trahison & de perfidie ; & la Tante ne pouvoit se consoler de ce qu’ayant promis de faire à sa Niéce de grands avantages, on la marioit sans luy en parler. Elle jura que si elle ne pouvoit venir à bout de rompre le mariage, du moins les longs obstacles qu’elle trouveroit moyen d’y mettre, feroient soufrir ceux qui oublioient ce qu’on luy devoit. Elle resva quelque temps, & quita la Veuve, en luy disant qu’elle viendroit luy donner de ses nouvelles le soir, à quelque heure que ce fust. Si-tost qu’elle fut sortie, elle mit des Espions en campagne, & aprit enfin avec certitude, que le Mariage se devoit faire à deux heures apres minuit. Lors qu’il en fut dix du soir, elle monta en Carrosse, & se rendit chez sa Niéce. La Belle apprenant qu’elle estoit à la porte, se trouva embarrassée, par la crainte que sa visite ne fust un peu longue, & ne retardast quelques petits soins qu’elle avoit à prendre. Elle fut tirée de son embarras, lors qu’on la vint avertir que sa Tante la prioit de luy venir parler un moment. Elle y courut aussi-tost, & entra dans son Carrosse, pour entendre ce qu’elle avoit à luy dire. Elle n’y fut pas plûtost, que le Cocher qu’on avoit instruit, poussa ses Chevaux à toute bride, passa par diverses Ruës, pour tromper ceux qui auroient voulu le suivre, & vint s’arrester à la porte de la Veuve, chez qui la Tante fit entrer sa Niece. Ce qui venoit d’arriver l’avoit jettée dans une grande surprise ; mais elle augmenta beaucoup, lors qu’étant montée, elles luy firent toutes deux connoistre qu’elles estoient informées de son Mariage. Je passe les reproches qu’on luy fit sur cette Affaire. La Tante, qui la laissa en la garde de la Veuve, retourna chez elle, où l’on vint luy demander ce que sa Niéce estoit devenuë. Elle répondit qu’elle en rendroit compte quand il seroit temps, & qu’elle prenoit assez d’interest en elle, pour ne l’avoir confiée qu’à des Personnes chez qui elle estoit en sûreté. Le Cavalier apprenant ce changement, tomba dans un desespoir qui ne se peut croire. Il alla trouver la Tante, luy fit les soûmissions les plus capables de la toucher, & n’oublia rien de ce qui pouvoit la satisfaire ; mais elle fut infléxible à ses prieres & à son amour. Le Pere qui estoit bien aise d’éviter l’éclat, employa toutes les voyes de douceur qui pouvoient servir à la gagner. Pendant ce temps, la Tante & la Veuve inventérent mille choses pour noircir le Cavalier auprés de la Belle ; mais rien ne put effacer dans son esprit les favorables impressions que son amour & son mérite y avoient faites. Elle persista dans ses premiers sentimens pour luy ; & enfin malgré toutes les précautions que l’on avoit prises pour cacher le lieu où elle estoit, les Domestiques parlérent. Si-tôt qu’on sçût qu’elle avoit esté laissée entre les mains de la Veuve, il ne fut pas malaisé de l’obliger à la rendre. Elle la remit entre celles de son Pere, qui fit de nouveaux efforts pour apaiser la colere de la Tante ; mais tout cela s’estant trouvé inutile, on ne garda plus aucun secret pour le Mariage. On en arresta le jour, & il fut fait avec autant de joye des Amans traversez injustement, que de chagrin pour la Tante & pour la Veuve.

[Suite de l'Article de Siam] §

Mercure galant, janvier 1685 [tome 1], p. 295-296, 299-303, 305-307, 317-318

 

Je n'ay point douté que vous ne fussiez contente du second Article de Siam, que je vous ay envoyé dans ma Lettre de Décembre. Outre qu'il contient quantité de choses curieuses, il fait connoistre combien la réputation du Roy est établie dans les Païs les plus éloignez. & c'étoit assez pour vous obliger à le lire avec plaisir. En voicy la suite. Ces deux Mandarins Envoyez de Siam, accompagnez de six Domestiques éta[ient] arrivez le 6. Octobre dernier à Calais, sur un Yach du Roy d'Angleterre [...]. Ils en partirent le lendemain, & prirent la route de Paris, où ils se rendirent le 13. [...]

 

Le 28 d'Octobre, ils allèrent salüer Monsieur ; mais ils n'eurent pas de ce Prince une audience dans les formes parce qu'ils ne sont envoyes qu'aux Ministres de France, pour s'informer, comme je vous l'ay marqué, des Ambassadeurs que le Roy de Siam avoit envoyez à Sa Majesté, & que l'on croit qui ont péry dans ce long Voyage. Monsieur se promenoit dans la Galerie du Palais Royal ; & lors qu'on leur eut montré ce Prince, ils firent couler le long du Plancher un grand morceau d'Etofe , qui fait partie de leur habillement, & qui leur sert en pareilles occasions. Ils s'étendirent dessus, d'une manière tres humiliée, & firent compliment à Monsieur sur le gain de la Bataille de Cassel, & sur la Prise de plusieurs Places conquises par luy, dont le bruit s'estoit répandu jusques au Siam. [...] Ils passèrent ensuite sur la Galerie découverte, qui a veüe sur le Jardin & sur la Court, & virent Son Altesse Royale monter en Carosse au bruit des Trompettes, pour aller à S. Clou [sic]. Elle estoit suivie d'un grand nombre de Gardes à cheval, & plusieurs Carosses à six Chevaux ; & avoit ordonné que l'on en donnast aussi à ces deux Mandarins, ainsi qu'aux Personnes de leur suite. [...] Ils ont aussi esté voir le Jardin & les Apartemens des Thuileries, & furent surpris de l'éclat & de la richesse de la grande Salle des Machines. Quelques temps apres, ils allèrent à Chantilly. [...]

 

Ils ont esté trois ou quatre fois à la Comédie, & ils ont sur tout esté surpris de la grande quantité de monde qu'il y ont vû. Ils avoient crû d'abord, qu'on faisoit ces grandes Assemblées exprés pour eux, & pour leur faire voir la prodigieuse quantité de Peuple qui remplit Paris, & on les surprit extrémement en les détrompant. On leur a fait entendre une grande Messe à Nostre-Dame, un jour que Mr l'Archevesque officioit, afin de leur faire voir nos Cérémonies Ecclésiastiques dans tout leur éclat ; ils ont aussi vû celles de l'Ouverture du Parlement. L'affluence du Peuple éstoit si grande en l'une & en l'autre, qu'ils dirent, Que Paris n'estoit pas une Ville, mais un Monde. [...]

[Le 27 novembre, ils se rendirent à Versailles où ils furent reçus par Mr de Croissy, ministre et secrétaire d'Etat. N'étant ni ambassadeurs, ni envoyés auprès du roi, les Mandarins ne devaient pas voir Louis XIV. Toutefois, ce dernier se résolu à les rencontrer lors de son passage dans la Galerie des glaces de Versailles, pour aller entendre la messe.] [...]

 

Le 16. de ce mois, ils retournèrent à Versailles, virent l'Opera de Roland où le Roy étoit, & ils eurent presque toûjours les yeux attachez sur Sa Majesté, parce que lors qu'ils se prosternérent dans la Galerie, leur profonde humiliation les avoit empeschez de regarder ce Monarque. [...]

[Divertissemens du Carnaval] §

Mercure galant, janvier 1685 [tome 1], p. 327-329

 

Je viens aux divertissemens du Carnaval. On a commencé le 18. Janvier à représenter à Versailles l'Opéra de Roland, & l'on a continué d'en donner des Representations une fois chaque semaine. La Piéce est de Mr Quinaut, Auditeur des Comptes, & la Musique de Mr de Lully, Surintendant de la Musique de la Chambre du Roy, ces deux Messieurs ont si souvent travaillé à ces sortes de divertissemens, que tout Paris est persuadé de leur sçavoir faire. Outre ce divertissement, il y en a eü plusieurs autres à la Cour, où l'on a pris deux ou trois fois la Semaine celuy de la Comedie. Il y a eü aussi Appartement & plusieurs Mascarades, sçavoir une grande chaque Semaine, & plusieurs petites ; & comme elles doivent continüer le reste du Carnaval, je ne vous en diray rien aujourd'huy, afin de vous parler de toutes ensemble au mois prochain.

[Sur Ajax, tragédie]* §

Mercure galant, janvier 1685 [tome 1], p. 329-330

Le Théatre François ne nous a encore donné qu’une Piéce nouvelle, depuis le commencement de l’Hyver ; c’est une Tragedie intitulée Ajax ; elle est de Mr de la Chapelle. Cet Autheur a fait dans toutes ses Piéces des Scenes si brillantes pour Mr Baron, que quoy que cet excellent Acteur ait toûjours eü beaucoup de réputation, il semble en avoir acquis une nouvelle dans celle-cy.

[Comédie de l’Usurier] §

Mercure galant, janvier 1685 [tome 1], p. 330-335

Les mesmes Comediens promettent une Piéce Comique sous le nom de l’Usurier, & elle doit estre representée l’un des premiers jours de la Semaine prochaine. Le nom de son Heros me fait souvenir d’un Mariage que fit ces jours passez un Heros pareil. Cet Usurier avoit presté une somme tres-considérable à un Homme qui faisoit une assez bonne figure, & dont le Fils étoit Amoureux de sa Fille. Quelque temps apres, on luy vint dire que son Emprunteur avoit fait banqueroute, & que les choses avoient tourné d’une maniere qui ne luy laissoit aucune espérance de rien retirer de ce qu’il avoit prêté. Il imagina mille expédiens pour ne pas perdre toute sa somme ; & faisant tout à coup réflexion, que le Fils de celuy dont les Affaires estoient en desordre, aimoit sa Fille, il résolut de luy proposer de la luy donner en mariage, & pour dot, l’argent que son Pere luy faisoit perdre, aimant mieux que sa Fille fust gueuse toute sa vie, que de ne pas tirer avantage de quelque maniere que ce fust, de l’argent qu’on luy avoit emporté. Le Party fut accepté par l’Amant ; le Mariage se fit ; il fut consommé ; & l’Usurier apprit ensuite, que c’estoit un tour qu’on luy avoit joüé pour l’obliger à le faire, parce qu’il n’y auroit pas consenty sans cela, cet Amant ayant beaucoup moins de bien que sa Fille. Cette Avanture ne paroistra pas dans la Comédie de l’Usurier, dont le hazard m’a fait trouver à une lecture que l’Autheur en a faite ; mais l’on y découvre, sans choquer personne, & en marquant seulement les vices en genéral, tous les secrets de la Banque, c’est à dire, à l’égard de ceux qui prêtent, & qui empruntent de l’argent à usure ; car à l’égard de ce qui touche le Commerce, on n’en parle point du tout. Ce qui fait l’agrément de cette Comédie, qui peut estre aussi-tost appellée le Banquier, que l’Usurier, est que les Banquiers connoissant l’intérieur des Affaires des Hommes, & principalement les Gens de qualité, & les Personnes de toutes les Professions ayant à faire à eux, on en voit dans cette Piéce un grand nombre de diférens caracteres, & l’on y remarque une perpétuelle opposition de la Noblesse gueuse à la riche Roture. Ainsi quoy que cette Piéce semble avoir un Titre Bourgeois, elle ne laisse pas d’être pour toutes sortes d’Etats.

Je remets au mois prochain à vous parler des nouveaux Conseillers d’Etat ; & suis Vostre, &c.