1686

Mercure galant, mai 1686 [tome 6].

2017
Source : Mercure galant, mai 1686 [tome 6].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, mai 1686 [tome 6]. §

[Nouvelle Réponse à la Lettre Pastorale du Ministre Claude] §

Mercure galant, mai 1686 [tome 6], p. 12-51

 

Il paroist de jour en jour de nouveaux Ouvrages sur les matieres de Religion. Comme ils sont publics, je ne vous en diray rien, & je me contenteray de vous en faire un dont on n’a laissé encore échaper que peu de copies. On asseure qu’il est d’une personne de vostre Sexe, qui s’est convertie depuis peu de temps. Le raisonnement en est solide, & la lecture n’en peut estre que d’une tres-grande utilité pour ceux qui sont encore dans l’Erreur.

RÉPONSE A LA LETTRE Pastorale du Ministre Claude, par une nouvelle Convertie, Pensionnaire à l’Abbaye des Filles-Dieu, au Mans.

Puisque nous sommes vos Freres en J. C. par la grace du Baptesme, souffrez que nous vous répondions en cette qualité. Il n’est plus temps que vous nous regardiez comme nostre Pasteur. Un Troupeau que vous avez abandonné ne peut entendre vos leçons de si loin, & l’on ne persuade guere par des discours quand les œuvres ne persuadent pas. Vous nous exhortez à souffrir la pauvreté, la misere, & à mourir pour le soûtien de nostre foy, & vous n’avez osé nous en donner l’exemple. Vous avez fait comme le Berger Mercenaire qui quitte ses Brebis & s’enfuit dés la premiere approche des Loups. Vous avez évité des peines que vous nous croyiez destinées, & n’avez pas voulu attendre que le coup qui nous menaçoit vous frapast le premier. Vous direz, mais en vain, que vous vous estes retiré pour obeir aux ordres d’un grand Roy. Nous sçavons comme vous, qu’on ne doit jamais resister aux Souverains dans un esprit de desobeissance & de rebellion ; mais nous sçavons aussi que s’il vous a esté permis de sauver vostre vie, il ne vous auroit pas esté moins permis de la perdre, si vous aviez eu le courage de l’exposer au martire que vous nous preschez. Si vous eussiez esté veritablement animé de l’Esprit de l’Evangile dans lequel vous nous reprochez de n’estre pas bien entrez, vous auriez imité le bon Pasteur qui se tient au milieu de son Troupeau, qui ne le perd point de veuë, & qui sacrifie sa vie pour ses Brebis. Vous nous auriez donné un genereux exemple d’intrepidité dans les perils. Enfin, vous nous auriez apris à mourir constamment, & la veuë de vostre sang répandu pour le soûtien de vostre Religion, eust du moins prouvé que vous estiez persuadé de ses Dogmes. Mais comme ce sont de pures illusions, Dieu n’a pas permis qu’elles fussent parées des livrées de la Verité Eternelle, ny que des caracteres de sang ou de flâmes portassent plus avant dans nos cœurs les impressions du mensonge & de l’imposture, & prévalussent sur la grace de nostre Vocation. Il a eu pitié d’un Peuple, qui estoit plus coupable par le crime de ses Peres, que par le sien propre. Il nous a regardez comme des Brebis égarées qu’il vouloit ramener à sa Bergerie, & pour cela il a pris le foüet, comme il fit en Jerusalem, pour châtier les Profanateurs du Temple, & les faire rentrer en leur devoir. Il a mis ce foüet entre les mains du plus sage & du plus religieux Monarque du Monde, en luy donnant une pleine autorité sur nous, & luy a commandé de s’en servir pour nous emmener au Festin qu’il a preparé à ses Elus, & de nous contraindre d’entrer avec luy dans la Maison du Pere de Famille, afin que toutes les places fussent remplies. Dieu qui a estably les Roys sur la Terre, les a fait dépositaires de sa Puissance & de sa Justice pour punir les Peuples rebelles à sa Loy, & il les chastieroit eux-mesmes s’ils manquoient à chastier les coupables. Saül ne fut il pas maudit pour avoir épargné une partie des Amalechites ? Si le Seigneur n’exerce pas de pareilles rigueurs dans la Loy de grace, s’il ne veut point la mort du pecheur, il veut pourtant sa conversion à quelque prix que ce soit. Il faut mettre le feu à la playe pour la guerir quand on ne le peut autrement, & ce n’est que cét ordre divin que le Roy execute aujourd’huy, & dans lequel sa bonté garde toute la moderation que le zele de sa Religion peut permettre. Mais la Medecine la plus salutaire a ses amertumes & ses dégouts, & il faut en souffrir la peine avant que d’en sentir les effets. Il estoit important pour nôtre salut que nous connussions par la perte de quelques biens de la fortune, celle que nous avions faite des biens de la grace, & que comme des Enfans prodigues un peu de misere temporelle nous fist ouvrir les yeux sur le malheureux estat où nous estions, & sur les funestes suites de nos égaremens. Nous estions des aveugles conduits par d’autres Aveugles, & il estoit necessaire que l’on appliquast un peu de bouë sur nos yeux pour en dissiper les tenebres. Nous avions besoin pour écouter la voix du Seigneur qu’il nous parlast comme il fit autrefois aux Israëlites, & puis à S. Paul, c’est à dire avec le bruit menaçant du Tonnerre. Il falloit qu’une terreur salutaire nous retirast du profond assoupissement où nous estions ensevelis par le malheur de nostre naissance, dans le sein de l’Heresie, par le venin que nous en avions suçé avec le lait, par les impressions de l’education, par les liens d’une longue habitude, sans aucune reflexion, & enfin par les douceurs empoisonnées, & les commoditez d’une vie molle, où les sens trouvoient leur compte, & où l’orgueil de la raison humaine conservoit toute sorte de liberté. Dieu qui est le Maître des Cœurs & des Esprits, & qui peut disposer de nous sans nous-mesmes, a neanmoins la bonté de demander nostre concours dans les choses qui nous regardent, & se sert souvent de moyens humains pour nous disposer à recevoir les impressions de sa grace, & à y répondre ; & comme il avoit resolu de nous rappeller à son Eglise, il a permis que la crainte des peines temporelles nous excitast à chercher la seureté des biens eternels. Pour ne pas souffrir en vain, nous avons suivy ce mouvement. Il nous a porté dans des reflexions, ces reflexions ont fait naistre des doutes, nous avons voulu les éclaircir, & voir si les choses à quoy nous nous attachions, estoient veritablement celles ausquelles il falloit sacrifier tout le reste. Nous nous sommes appliquez fortement à examiner les deux Religions, dont on vouloit nous faire quitter l’une & embrasser l’autre ; & afin de nous mettre en estat d’en pouvoir juger sainement, autant que le bon sens & la raison humaine peuvent s’étendre, avec le secours du Ciel que nous avons humblement imploré, nous avons crû devoir nous défaire de toutes sortes de préoccupations & de prejugez touchant les Décisions de nos Docteurs ; parce que la prévention change d’ordinaire les objets, ou du moins nous empesche de les voir distinctement. Aprés nous estre donc débarassé l’Esprit de tout ce qui pouvoit nous oster la liberté de connoistre & de décider par nous-mêmes, nous avons posé pour principe certain, l’existence & l’unité de Dieu, & la parole de J.C. sur laquelle doit necessairement estre fondée la veritable Religion que nous cherchions. Nous nous sommes attachez à ce que nous avons trouvé de plus clair dans l’Ecriture. Nous en avons tiré les preuves & les inductions dont nous avions besoin, pour former la parfaite idée de l’Eglise, que le Seigneur nous y a figurée tant de fois, & qu’il a depuis enfantée sur le Calvaire. Nous avons reconnu l’unité de cette Eglise dans l’Arche de l’Alliance, dans l’Epouse des Cantiques, dans la Vigne du Seigneur, dans sa Bergerie, dans ses Brebis qui ne composent qu’un mesme Troupeau, sous un seul Pasteur, & dans la parole de J.C. à Simon quand il luy changea son nom, & luy promit qu’il seroit la pierre sur laquelle il bâtiroit son Eglise, car il ne dit pas ses Eglises, mais son Eglise ; Il n’est pas dit non plus, les Arches, les Epouses, les Vignes, les Bergeries, les Pasteurs, les Troupeaux ; mais l’Arche, l’Epouse, la Vigne, la Bergerie, le Pasteur & le Troupeau. Tout cela n’avoit pas besoin d’autre explication, mais il falloit en faire l’application, & voir à qui elle convenoit, qui des Catholiques ou de nous avoit trouvé cette Eglise unique, hors laquelle il n’est point de salut. Nous n’en pouvions juger que par les rapports à ce premier Modelle ; nous sçavions ce que disoient nos Docteurs, il falloit sçavoir ce que disoient les Catholiques. La Misericorde Divine qui connoissoit la droiture de nos cœurs & de nos intentions, n’a pas permis que l’Erreur triomphast plus long-temps de nostre bonne foy. Elle nous a fait rencontrer des Doctes & sages Prelats, & d’autres Sçavans Personnages dont les lumieres & les charitables soins nous ont aydez à developper ce qu’on nous avoit caché sous de fausses explications, & à démesler la Verité d’avec le Mensonge. Ils nous ont premierement fait remarquer ce qui est écrit de l’étenduë, de la fecondité, de la perpetuité & de la durée de l’Eglise de J.C. On ne peut pas nier, nous disoient-ils, que ce ne soit d’Elle qu’il est dit, J’eleveray une haute Montagne au dessus des autres, toutes les Nations luy viendront rendre hommage, & se soûmettre à son authorité ; & ailleurs, Estendez vos Pavillons de plus loin en plus loin, car ils n’auront pas d’autres bornes que celles de l’Univers, & le Monde entier sera vôtre partage. En voilà assez pour marquer son étenduë. Sa fecondité n’est elle pas exprimée par ces termes ? Je multiplieray vostre race comme les Etoiles du Ciel, & les grains de Sable de la Mer. Vos Enfans seront établis Princes sur toute la Terre, & leur voix sera entenduë jusqu’aux extremitez des Mers ; & pour sa perpetuité & sa durée, il est écrit qu’elle commencera de la premiere Predication en Jerusalem, & durera jusques à la consommation des Siecles sans interruption & sans changement. Et ils ajoûterent, S. Paul ne dit-il pas ; Si un Ange descendoit du Ciel pour vous annoncer un autre Evangile que celuy qui a esté Presché dans Jerusalem, qu’il soit Anatheme. Voyons maintenant, reprenoient-ils, sur qui de vos Docteurs ou des nostres doit tomber cette malediction, qui de ceux de vostre party ou de celuy que nous soûtenons, a mieux entendu & mieux expliqué le sens de l’Ecriture, mieux suivy l’Esprit de l’Evangile, & mieux pratiqué la morale de J.C. Vos pretendus Reformateurs étoient-ils plus habiles & plus gens de bien que tous les Peres de l’Eglise, que tant de grands Saints & d’Illustres Martyrs que vous reverez vous mesme ; un nombre presque infiny de Sages Docteurs qui ont éclairé les Siecles passez & les nostres, & qui éclaireront encore l’avenir par leurs sçavans Escrits, & peut-on sans aveuglement, & sans injustice les mettre en comparaison ? Il y avoit dés le temps de ces grands hommes beaucoup de corruption dans les mœurs de quelques Chrestiens, les ont-ils abandonnez pour cela ? s’en sont-ils des-unis ? n’ont-ils pas obey au precepte qui deffend de separer le bon grain d’avec l’yvroye, jusqu’au jour de la Moisson generale ? Il ne s’est trouvé pendant leur vie que trop de Libertins & de Chimeriques, qui sur le pretexte de reforme se sont retranchez de l’Eglise, pour élever Autel contre Autel, & former une Communion à part ; les ont-ils suivis, ou appuyez ? ont-ils donné dans les nouveautez ? n’ont-ils pas au contraire travaillé de toutes leurs forces à la réünion, & ne sont ils pas demeurez attachez à l’unité de l’Eglise, comme de fermes Colomnes qui soûtenoient ce Corps mystique de J.C. & qui representoient les os de son Corps naturel, dont il estoit écrit qu’ils ne seroient point brisez ? On a veu dans la suite comme les branches qui sont separées de leur tronc sechent & se reduisent en poussiere. Ces heretiques & ceux qui les ont imitez se sont destruits d’eux-mesmes, & l’on ne parle plus aujourd’huy de leurs fausses opinions. Il en sera de mesme de celles de Calvin & de Luther, nous disoient nos Instructeurs, puisqu’elles ne sont pas conformes à celles de l’Eglise universelle, comme nous sommes obligez de le croire, & que la preuve en est claire. Faites réflexion, ajoûtoient-ils, au peu de temps qu’il y a que vostre Secte paroist, au peu de lieux où elle est connuë, & au peu de personnes qui l’ont suivie, & voyez si elle a du rapport à l’étendue, à la fecondité, à la perpetuité, & à la durée de cette mystique Jerusalem dont parle l’Ecriture. Examinez si vôtre Doctrine est tout à fait conforme à celle des Apostres, si vos Loix, vostre Morale, vostre Discipline, & vos pratiques conduisent par cette voye étroite que le Sauveur appelle la sienne, & qui seule peut mener au Royaume des Cieux ; & sur cela ils nous ont fait découvrir des relâchemens & des abus dont nous n’avions jamais remarqué la consequence. Nous n’avons pas besoin, mon tres-cher Frere, de vous les expliquer icy. Vous avez trop d’esprit pour ne les pas reconnoistre dés que vous voudrez y faire attention. Il suffit d’en citer seulement un qui n’est pas supportable, & qui va directement contre le droit Divin. C’est la porte que vous ouvrez au Libertinage, & à l’Impieté des Prestres & des Moines Apostats, qui aprés avoir violé des Sermens & des Vœux solemnels qu’ils ont faits à Dieu à la face du Ciel & de la Terre, vont chercher l’impunité de leurs crimes dans vostre Communion, où vous les mettez à couvert des poursuites de la Justice humaine. On nous a fait considerer encore que nous n’avions presque pas de Regles certaines dans nos Maximes, & dans nos pratiques ; que de temps en temps nous admettions à nostre Communion des Gens d’opinions differentes des nostres. Chacun de nous se donne la liberté d’expliquer l’Ecriture au gré de sa fantaisie, d’introduire des nouveautez qui luy plaisent, & par consequent de diviser par la diversité des sentimens un point qui doit estre indivisible. Cela nous a fait souvenir de la menace du Seigneur qui dit, que tout Royaume divisé sera desolé. Nous en avons regardé l’effet dans ce qui se passe aujourd’huy ; & pour éviter la colere Divine qui punit la division, nous avons cherché l’unité pour nous y attacher, & nous avons voulu voir si elle se trouveroit dans cette Arche dont les Catholiques nous ouvroient l’entrée. On nous a fait lire d’abord l’exposition de leur doctrine dans un Traité qu’en a fait M. l’Evesque de Meaux. Nous y avons trouvé des éclaircissemens merveilleux pour détruire les chimeres dont on nous avoit entretenus. Nous avons vû en suite leurs Livres de Controverses, les Decisions de leurs Docteurs, les Decrets de leurs Conciles, & les Regles de leur Morale. Nous y avons remarqué la conformité des sentimens, & l’uniformité des opinions qui sont absolument necessaires pour former cette unité que nous ne trouvions point ailleurs. Nous avons reconnu un Esprit de Sainteté qui regne dans tous leurs Dogmes, & qui inspire de la veneration pour leurs Mysteres. Nous avons admiré la sagesse & la justice de leurs Loix, la prudence & la charité de leur conduite dans l’exercice de leur Discipline, & assez de severité pour en empescher les relaschemens ; une pieté & une reverence dans leurs Ceremonies qui en imprime le respect, & enfin une candeur & une integrité dans la pratique de leur Morale, qui pouvoit contraindre les plus opiniâtres Ennemis de cette Religion de reconnoître la bonté de son principe. Mais ce qui a achevé de nous persuader, ça esté la consideration des progrés de cette mesme Religion, qui se sont estendus jusqu’aux Climats les plus reculez. On voit tous les jours des millions d’hommes chez les Peuples les plus barbares quitter une vie licentieuse pour en embrasser une autre où l’on ne presche que la penitence, la soûmission de l’esprit, la mortification du cœur, & l’austerité du corps, & jamais on n’a veu que dans les temps où cette Religion a esté le plus persecutée, on soit parvenu à la détruire en quelque lieu du monde que ce fust ; au contraire on a toûjours remarqué que le Sang des Martirs qui a commencé à couler dés le temps des Apostres, a esté comme une semence feconde qui reproduisoit chaque jour une infinité d’Enfans à l’Eglise. Il faut bien demeurer d’accord, nous disoit-on, que des evenemens si extraordinaires, & si peu naturels sont des Ouvrages de la main de Dieu, & des marques visibles de sa protection, pour son Eglise qu’il veut faire reconnoistre par de si saints & de si augustes Caracteres. Il ne nous a pas esté possible de repliquer à des preuves si convaincantes. Nous cherchions de bonne foy à nous éclairer, sans nous amuser aux chicanes de l’Ecole ; nous voulions nous instruire & non pas disputer ; la Grace est venuë à nostre secours, & nous a fait comprendre que nostre premier entestement n’estoit qu’un effet de la prevention & de l’habitude, & qu’il y avoit de l’aveuglement & de la folie à risquer tout ce que nous avions en ce Monde, sans rien amasser pour l’autre que des Trésors de colere. Beny-soit celuy qui a dit, Cherchez & vous trouverez. Nous avons trouvé, parce que nous avons cherché, & nous n’aurions jamais cherché, si on ne nous y avoit forcez. Cessez donc, mon tres-cher Frere, de donner le nom de Persecution à la conduite du Roy à nostre égard, & cessez aussi d’appeller nostre Conversion un peché d’infirmité. Vous ne devez point regarder nôtre changement comme un effet de nostre foiblesse, & de la violence des autres ; mais comme une suite des Decrets de la Sagesse Eternelle, & une execution des ordres de sa Providence, à laquelle ce grand Monarque a servy d’organe & de Ministre. C’est par luy que nous sommes enfantez une seconde fois à l’Eglise, que les branches de l’Olivier sont entées sur leur Tronc naturel, que les Brebis qui avoient esté changées en Boucs par leur desertion, sont redevenus Agneaux par leur retour, & c’est enfin par là que nous est rendu le Droit & l’Heritage de nostre Pere Celeste, & que nous sommes admis au nombre de ceux qu’il a marquez du Sang de son Fils. Ne pleurez point la desolation de vostre Peuple, mais pleurez sur vous-mesme. Si dans la joye de nostre réünion à l’Eglise nous sentons quelque douleur, c’est de voir que vous & le reste de nos Freres errans, en estes encore separez. Quoy que le feu de la Charité ne nous donne pas un zele aussi ardent que celuy de S. Paul, qui vouloit estre Anatheme pour le salut de ses Freres, nous pouvons du moins asseurer que nous souffririons de bon cœur cette pauvreté & cette misere que vous nous exhortez de supporter, non pas pour le soûtien de vostre opinion, mais pour leur changement. Si aprés nous avoir donné de méchans conseils, vous vouliez en écouter de bons, que ne vous dirions-nous point sur les experiences que nous avons faites ? Nous ne pouvons pas sçavoir les desseins de Dieu sur vous, la Grace aussi-bien que la Mort a son heure determinée. Peut-estre que la vostre n’est pas encore venuë ; mais quoy que ce soit un secret impenetrable, nous ne devons pourtant pas negliger ce que la charité fraternelle nous inspire pour vous. Qui sçait si le Seigneur ne veut point se servir de cette Voye pour parler à vostre cœur ? Il nous commande de faire part de nos biens à nos Freres. Saint André nous en donne l’exemple quand il court chercher Simon pour luy annoncer l’heureuse rencontre du Messie. Nous n’avons rien de plus precieux que la découverte que nous avons faite de la Verité. Nous venons de vous expliquer les moyens dont nous nous sommes servis pour la trouver. Il ne nous reste plus qu’à vous exhorter de vouloir vous en servir à vostre tour, afin qu’il ne soit pas dit que pendant qu’on nous mene aux Nopces de l’Agneau, vous demeurez derriere dans le chemin de la perdition. Seroit-il possible, mon tres-cher Frere, que des raisons humaines vous fournissent de quoy vous excuser d’entrer dans la Salle du Festin, où tout le monde est aujourd’huy appellé ? Pensez au chastimens qui menace ceux qui resistent ; profitez du temps qui est si cher & si court. Ne laissez pas retirer le Seigneur qui vous dit déja qu’il s’en va entrer dans la Piscine, pendant que vous avez du secours, & prenez garde que l’endurcissement de cœur ne vous fasse mourir dans vostre peché. N’écoutez point les vains discours d’une fausse gloire, qui vous fait craindre qu’on dise de vous, quand on vous verra suivre d’autres maximes que celles que vous avez preschées, qu’il y a eu de l’ignorance dans vostre esprit, ou qu’il y a presentement de la legereté & de l’inconstance dans vostre cœur. Considerez qu’il est plus honteux de demeurer dans l’Erreur, que d’en sortir, sur tout quand on est aussi capable que vous l’estes de la reconnoistre. L’exemple de tant de grands hommes qui ont suivy pendant quelque temps le party de l’Heresie, & qui l’ont quitté quand ils ont esté éclairez des lumieres de la Verité, vous doit affermir de ce costé là. S. Augustin en est-il moins honoré, pour avoir soûtenu plusieurs Sectes differentes avant que d’estre entré dans la veritable Religion ? Saint Paul en est-il moins reveré, pour avoir presché une Loy qu’il avoit persecutée, & quand il arriveroit que vostre changement feroit du bruit parmy ceux qui sont encore dans les tenebres, laissez murmurer les Hommes pendant que vous réjoüissez les Anges. Faites-vous l’application de ce que vous nous reprochez avec tant d’éloquence. Vous n’avez qu’à changer l’objet de vos reflexions. Faites les tomber sur l’Eternité des malheurs qui suivent le funeste estat où vous estes. Sortez au plûtost de la Barque des vains soucis du Monde ; écoutez la voix du Seigneur qui vous appelle dans la sienne ; prenez une seure confiance en luy, il vous fera marcher à pied ferme sur la Mer orageuse des difficultez, il vous tend la main, il vous soûtiendra, & vous conduira luy-mesme dans l’heureuse Societé où nous vivons maintenant, & où nous vous demandons à luy de toutes les forces de nostre ame.

[Dix Madrigaux & Sonnets faits sur la Statuë que M. le Duc de la Feüillade a fait élever à la Gloire du Roy] §

Mercure galant, mai 1686 [tome 6], p. 51-65

 

On admire icy de plus en plus la magnifique Statuë que Mr le Duc de la Feüillade a fait élever à la gloire du Roy. La Relation de la Feste qui fut faite le jour qu’on la découvrit, ayant occupé la plus grande partie de ma derniere Lettre, je ne pûs trouver de place pour mettre les Vers que l’on me donna sur ce sujet. Mr Doujat, Doyen de l’Academie Françoise, a fait les deux Madrigaux que vous allez lire ; & le Sonnet qui les suit, est de Mr le Clerc, de la mesme Academie.

SUR LA STATUE
DU ROY.
MADRIGAL.

Tu vois du Grand LOUIS le fidelle Portrait,
De ce Roy qui vaut seul tous les Rois de la Terre,
Dont l’esprit & la main, soit en Paix, soit en Guerre,
Remplissent les devoirs d’un Monarque parfait.
Ses Royales vertus luy bastissent un Temple,
Et le nombre infiny de ses Faits glorieux
A sa posterité donne un plus grand exemple,
 Que n’avoient fait tous ses Ayeux.

Sur la même Statuë érigée en Habit pacifique dans la Place des Victoires.

Venez voir desarmé ce modelle des Rois,
Peuples qu’il a vaincus sur la Terre & sur l’Onde,
Vous tous que son seul nom fit trembler tant de fois.
Quand son bras luy promet la conqueste du Monde,
Son grand cœur met sa gloire à borner ses Exploits.
Au repos des Mortels tout son travail aspire,
Par sa seule Justice il veut donner des Loix,
Et par elle en tous lieux étendre son Empire.

SONNET.

Dans ce Bronze animé par un art plus qu’humain,
Passant, du Grand LOUIS viens admirer les charmes :
Il ne s’y montre pas tout brillant de ses armes,
Les éclairs dans les yeux & la foudre à la main.
***
Si sa Gloire au Batave, à l’Ibere, au Germain
A coûté justement tant de sang & de larmes,
La Paix, qu’il leur impose, appaise leurs allarmes :
Et rend à ce Heros son visage serein.
***
La Victoire, en tous lieux sa Compagne fidelle,
Qui luy met sur le front la Couronne immortelle,
Semble encor l’appeller à de nouveaux Exploits.
***
Mais, sans qu’il ait besoin de r’allumer la Guerre,
Son nom, de qui le bruit remplit toute la Terre,
Par crainte ou par amour la soûmet à ses Loix.

Cet autre Madrigal est de Mr de Vertron, de l’Academie Royale d’Arles.

A Mr LE MARESCHAL
Duc de la Feüillade.

Pour signaler ton zele, & ta fidelité,
Elevant à LOUIS ce Monument de gloire,
Tu i’éleves toy-mesme ; & la posterité
Ne verra point son nom sans le tien dans l’Histoire.

Voicy des Vers de Mr Vignier sur cette mesme Statuë.

 Paris, que tu te sens heureux
  D’allumer si souvent des Feux,
  Pour celebrer la gloire
D’un Roy qui n’eut jamais son pareil dans l’Histoire !
 Mais au milieu de ces plaisirs
 Un secret chagrin te devore,
De ne posseder pas l’objet de tes desirs,
 Ce Prince que ton cœur adore.
  Pour charmer cet ennuy,
 La Feuillade veut aujourd’huy
De ce charmant Heros te donner la Figure ;
 Si Versailles a pour sa part
 Un Chef-d’œuvre de la Nature,
Console-toy d’avoir un Chef-d’œuvre de l’Art.

Ces autres Vers font connoistre ce que Mr le Duc de la Feüllade doit esperer, pour avoir fait ériger la Statuë du Roy.

Demande.

Quelle place aura dans l’Histoire
L’incomparable d’Aubusson,
Qui pour faire place à la Gloire,
Démolit sa propre maison ?

Reponse.

L’incomparable d’Aubusson,
Pour avoir fait place à la Gloire,
Aura place avec sa maison
Aux plus beaux endroits de l’Histoire.

L’Oracle de la Place consulté par I. Carage

J’ajoûte deux autres Madrigaux. Le premier est de Mr de Valnay, & l’autre de Mr Marcel.

MADRIGAL.

 Accourez, ô Peuples divers,
 Des quatre coins de l’Univers,
Venez tous admirer la Figure parlante
 Du plus grand Roy qui fut jamais ;
 Venez voir sur ses mesmes traits
Cet air fier & pompeux dont sa face est brillante.
Grand Duc, qui fis agir l’Esprit ingenieux
 Qui moula cette ressemblance,
On n’a rien encor veu qui representast mieux
 Le puissant Monarque de France.
L’Art tout seul s’éblouit de sa noble grandeur,
Il le voit en tremblant, il le peine tout de mesme,
Mais avec toy qui vois jusqu’au fond de son cœur,
Cet Art qui t’a suivy s’est surpassé luy-mesme.
La Feuillade, il falloit de tes fermes leçons ;
Sans toy cet Art fameux, & ses chers Nourrissons
Auroient toûjours manqué ce Heros de l’Histoire,
On l’auroit méconnu sur ses propres Autels.
 Il n’appartient qu’aux Immortels
De peindre, & d’estre peints au Temple de la Gloire.

AUTRE.

Quel Sujet, par un zele à qui rien ne ressemble,
Eleva pour son Prince un Monument pareil ?
Que-je voy de grandeur dans ce noble appareil !
 Que de marbre & de bronze ensemble !
 Pour peindre à la Posterité
 LOUIS, le plus grand Roy du Monde,
Regnier & Des-Iardins ont chacun emprunté
De leur Art immortel toute la majesté.
Mais bien qu’à leurs travaux un plein succés réponde,
Que dans leurs traits hardis autant qu’ils sont heureux,
 Les beautez se trouvent sans nombre,
 Que je plains nos derniers Neveux !
De LOUIS tout entier ils ne verront que l’ombre.

Je finis cette matiere par deux Ouvrages de Mr Ramonnet, de Nogent sur Seine.

SONNET.

Qu’à nos yeux éblouis la grandeur de ton zele
Expose, d’Aubusson, un spectacle charmant !
Iamais l’Antiquité vit elle un Monument
Etaler, mesme à Rome, une Pompe si belle ?
***
Du plus grand des Heros la Statuë immortelle
Te fera comme luy vivre éternellement,
Et nos derniers Neveux remplis d’étonnement,
Loüeront de tes respects cette preuve fidelle.
***
Dequoy sert toutefois ce gage solemnel,
Si ton cœur pour LOUIS est un vivant Autel,
Où ton amour ardent sacrifie à sa gloire ?
***
Oüy, ton Roy convaincu de tes vœux aujourd’huy,
Prise moins ce Tableau du Temple de Memoire,
Que tous les nœuds sacrez qui t’attachent à luy.

MADRIGAL.

Brillez, nobles morceaux d’excellente sculpture,
Dont le superbe éclat rend nos yeux ébloüis :
Du temps qui détruit tout n’éprouvez point l’injure,
Et servez à jamais de trophée à LOUIS.
 Cependant, l’oseray-dire ?
On vous promet en vain un si glorieux sort.
Ce Marbre, ce Metal qu’à l’envy l’on admire,
Ne pourront pas des ans toûjours braver l’effort.
LOUIS plus seurement sçait pourvoir à sa gloire,
Et consacrer son nom au Temple de Memoire.
Ce surprenant amas de miracles divers,
Dont le bruit chaque jour vole par l’Univers,
Grave dans tous les cœurs une plus vive image,
 Qui luy répond de l’Immortalité,
Et les Siecles futurs la verront d’âge en âge
 Passer à la Posterité.

[Feste pour celebrer le jour de la naissance du Duc de Modene] §

Mercure galant, mai 1686 [tome 6], p. 84-93

 

On a fait cette année une grande Feste à Modene, pour celebrer, selon la coûtume du Pays, le jour de la Naissance du Prince qui gouverne cét Estat. Elle devoit se faire le 6. de Mars, mais une legere indisposition qui luy arriva, fut cause qu’on la remit au 13. du mesme mois. Outre un Opera en Musique que plusieurs Gentilshommes de cette Cour entreprirent de chanter, d’autres Cavaliers de la mesme Cour preparerent un Tournoy, avec l’agrément de Mr le Duc de Modene, qui voulut estre luy-mesme de cette partie avec Mr le Prince Forest son Cousin, Fils du feu Prince Borse d’Este, grand Oncle du Duc regnant. Le 27. de Fevrier, dernier jour du Carnaval, pendant que toute la Cour prenoit le Divertissement d’un Bal, auquel les Dames avoient esté invitées par ce Prince, la Danse fut interrompuë par un Concert de Musique, aprés lequel on vit entrer dans la Salle la fameuse Magicienne Circé, dans un équipage tres-pompeux, & avec tout l’ornement qui pouvoit faire connoistre une Fille du Soleil. Elle avoit une Baguette à la main, & estoit suivie d’un fort grand nombre de Pages. Elle chanta quelques Vers, pour expliquer le sujet de sa venuë, & sur un signe qu’elle fit ensuite, les Pages presenterent un Cartel de Defy à Mr le Duc de Modene & à tous ceux de sa Cour, pour soûtenir les armes à la main, que dans les cœurs genereux l’amour donne de l’éclat à la valeur. Le Défy fut accepté. Il estoit fait sous les noms d’Ulisse Prince d’Itaque ; de Telegone son Fils ; d’Euriloque & d’Elpenor, Compagnons d’Ulisse ; de Picus Roy des Latins & de Learque. Circé en se retirant chanta un autre Air pour marquer l’impatience qu’elle avoit de voir arriver le jour du Combat. Mr le Duc de Modene avec Mr le Prince Foreste, & dix-huit Chevaliers de leur suite, se rendit le 13. de Mars dans la Place assignée pour le Camp devant le Palais Ducal. Deux Champions de Circé sous les noms d’Ulisse & de Telegone, se placerent dans leurs postes, & Elpenor sous la forme d’un Lyon, & Euriloque sous celle d’un Ours, parurent sur deux morceaux de Bâtimens anciens & à demy ruinez. On voyoit dans la mesme Place deux especes de Rochers, où se cacherent Picus & Learque, tous deux changez en Sirenes. Une Simphonie guerriere avertit les Spectateurs de l’arrivée de Circé, qui parut assise sur un Dragon. Elle s’avança jusques au milieu du Camp, & aprés avoir animé ses Champions au Combat, elle se retira pour en estre spectatrice. Alors la Course fut commencée au bruit des Timbales & des Trompettes, & Mr le Duc de Modene, & Mr le Prince Foreste, le premier armé d’une Lance, & l’autre d’une Zagaïe, les allerent rompre contre Ulisse & Telegone. Ensuite ne voyant point d’autres ennemis, ils firent une grande volte sur le Camp, & pendant ce temps, le Lyon & l’Ours sortirent de leurs tanieres. Mr le Duc de Modene courut contre ces Animaux avec la Zagaïe, & Mr le Prince Foreste avec la Lance, & aprés qu’ils eurent continué sur les voltes, ils revinrent sur le Lyon & sur l’Ours, & tirerent chacun un coup de Pistolet en passant. Ces deux Courses achevées, les Sirenes parurent hors de leurs Rochers, & ils allerent les attaquer l’épée à la main. Tous les autres Chevaliers coururent deux à la fois, & firent la mesme chose, aprés quoy deux Sarrasins sortirent des mesmes Rochers d’où l’on avoit veu sortir les Sirenes. Mr le Duc de Modene, & Mr le Prince Foreste, chacun suivy de quatre Chevaliers, recommencerent les Courses, rompant de nouveau leurs Lances & leurs Zagaïes contre Ulisse & Telegone, & contre les Sarrasins. Les huit autres Chevaliers coururent à leur tour de la mesme sorte, & cette Course fut faite trois fois. Enfin Circé rentra dans le Camp assise sur son Dragon comme elle y estoit venuë d’abord. Elle fit connoistre par les derniers Vers qu’elle chanta, que ses Champions cedoient la Victoire. Aprés qu’elle se fut retirée, Mr le Duc de Modene, avec Mr le Prince Foreste, & les autres Chevaliers, fit une maniere de Caracol autour du Camp, & tous s’estant mis en suite en Escadron, ils sortirent en bon ordre, & rentrerent au Palais. Toute cette Feste se fit sans Comparse, & sans les suites qui sont ordinaires dans les Tournois ; Mr le Duc n’ayant regardé celuy-cy que comme un simple Divertissement, qui permettoit qu’on se dispensast des Regles.

La Rave donnée à Louis XI §

Mercure galant, mai 1686 [tome 6], p. 110-127

 

Vous avez déja veu differens Contes de Mr de la Barre de Tours, écrits d’un stile si naturel, qu’il me suffit de vous avertir que celuy que vous allez lire, est de sa façon, pour vous faire attendre quelque chose de tres-agreable dans ce genre. Il a pour titre.

LA RAVE DONNÉE
à Loüis XI.

Donner pour recevoir est-ce estre liberal ?
Je dis non, sans resver : ce n’est pas la pensée
De Seneque non plus. Tout homme donne mal,
Dit-il, dont en donnant l’ame est interessée.
Il faut, pour donner bien, observer quelques loix ;
D’abord, que le Donneur sçache faire le choix
 D’un objet digne auquel on donne,
 Et c’est déja ce que ne fait personne.
Aprés ce choix vient l’air : puis que cet air parfois
Vaut autant que le don. Tel ses dons empoisonne
 Quand il les fait en rechignant.
 Aprés l’air, voyez le Present
 Que vous voulez & que vous pouvez faire.
Enfin, pour achever ma Morale en deux mots,
 Regardez quand ; car donner à propos
Est le point principal par où nous pourrons plaire,
 Si nous voulons paroistre liberaux ;
 Mais sur tout qu’en pareille affaire
 Certain Quidan qui se trouve en tous lieux,
(C’est l’Interest) ne soit point du mystere.
Donnant selon ces loix vous charmerez les Dieux.
***
 Vous allez voir dans l’Histoire presente
Deux exemples du Don, l’un de l’Interessé,
Qui sera reconnu d’une façon plaisante,
Et l’autre, quoy que vil, bien mieux récompensé.
Du temps que Louis Onze estoit Dauphin de France,
 Et qu’il vivoit en mesintelligence
Avec Charles son Pere, on sçait que ce Dauphin
En differens endroits alla chercher azile,
  Et que comme un Renard bien fin
  Qui vise quelque volatile,
(L’Histoire en parle ainsi) chez Philippe le Bon,
  Ce mesme Prince Bourguignon
Dont j’ay fait le portrait en parlant d’Oenophile,
Ce Dauphin se glissa, se voyant fugitif
Pour charmer ses chagrins, entr’autre lenitif
  Il aima tellement la Chasse,
  Qu’il y passoit ses plus beaux jours.
 A la remise il revenoit toûjours
Chez Conon Paysan, qui de fort bonne grace
Luy donnoit son pain bis, les fruits de son Jardin,
Des RAVES, du lait doux, & d’assez pauvre vin,
Mais tel qu’il le cueilloit dans sa petite Treille.
L’appetit d’un Chasseur, & sur tout du Dauphin,
 A tels ragousts se faisoit à merveille.
 A ceux pour qui la Chasse a des appas
  Qui dit Pain Bis, dit presque Bisque,
Et comme un bon Soudart, un bon Chasseur court risque
Avec grand appetit de faire tels repas.
***
Nostre Prince proscript fut dix ans de la sorte,
 Mangeant Conon, mais le trépas,
 Qui bien du changement apporte,
Enleva Charles sept. Louis ne tarda pas
 A gagner Reims, pour prendre une Couronne
  Telle que la France la donne,
 Conformément à la Salique Loy.
Pour acourcir le Conte enfin Louis fut Roy :
 Mais Roy que l’on pouvoit bien dire
  Un Maistre Sire.
 Je rapporterois bien,
Sans que je suis Conteur, & non Historien,
 Comment il fonda son Empire,
 Et si ce fut sur l’équité ;
 S’il est vray que la cruauté
 Fut le moyen qu’il aima davantage
 Pour tirer les Rois hors de Page ;
Mais je pretens laisser aux Auteurs ce debat,
Et sans trop me mêler des Affaires d’Etat,
 Avec Philippes de Comines,
 Une des Plumes les plus fines
 Qui sur l’Histoire ait écrit autrefois,
Ie vous dis qu’il a rang parmy les plus grands Rois.
***
Ça, retournons dans la Chaumine
Où nous avons laissé le bon homme Conon.
 Son Dauphin Roy, cet augure estoit bon,
Vers le Plessis lez Tours il faut qu’il s’achemine.
Que de biens vont venir ! Mais Conon examine
Avant que de partir quels Presens il fera,
Il est embarassé, car venir la main vuide,
 Il ne peut pas se résoudre à cela,
 S’imaginant que le don est un guide
 Tres-seur pour approcher des Grands,
(S’entend de ceux qui sont de l’avarice esclaves)
Mais Conon n’avoit rien. S’il luy portoit des Raves
De son petit Iardin, seroit-ce des Presens
Dignes d’un Roy ? Fort bons ; quand c’est le cœur qui donne,
 Fust-ce un festu, la chose est bonne.
 Conon ferré de neuf un beau matin
Part de chez luy chargé de Raves les plus belles
Que l’on verra jamais. Pour les tenir nouvelles
Il les rafraischissoit tout le long du chemin.
  Mais, ô malheur funeste !
Conon manqua d’argent ; accueilly par la faim,
 (Mal facheux autant que la peste)
 Faut-il qu’il se laisse mourir
Quand il a dans son sac dequoy se secourir ?
Il seroit un vray sot. Il joüa de son reste,
Avala le Present : & quand il arriva,
 Par cette bizarre fortune
 De Raves il n’avoit plus qu’une.
 Conon d’abord s’en chagrina,
Mais qu’y faire ? A la fin son cœur se consola ;
Arrive au Louvre, & vit le Roy quand il passa.
 Ah, par la sangué le voila,
S’écria-t-il. Bien prés de cinq ans d’intervale
N’avoient point affoibly la memoire Royale,
 Tant il est vray que les bienfaits,
Ny leur ressouvenir ne se perdent jamais.
Le Roy voyant Conon, le fait entrer au Louvre,
L’embrasse mille fois devant toute sa Cour,
 Le fait asseoir, ordonne qu’il se couvre,
Et parle ainsi. Pendant le malheureux sejour
Qu’en Bourgogne je fis du vivant de mon Pere,
 Conon adoucit mes chagrins,
 Appaisa la rigueur severe
De mon exil & de mes noirs destins.
Sous son toit je trouvois un, azile agreable
 Contre la fureur des Saisons,
 Et dans les plus hautes maisons
 Ie n’eusse pas trouvé de table
Plus prompte à secourir mes plus pressans besoins,
I’entens la faim, la soif, & misere semblable.
  Pour tant de soins
 Ie veux que ma reconnoissance
Eclate en sa faveur, & qu’il soit aujourd’huy
 Traité comme je fus chez luy.
 Voila la juste récompense
Qu’attire sur son chef tout homme bienfaisant.
 Conon fit une reverence
 Avec un mauvais compliment,
 Qui fut receu mieux que fine Eloquence.
Il ne faut plus que parler du Present
 Qui consistoit en une Rave.
Il est vray qu’elle estoit d’une étrange grosseur :
Conon la presenta d’une façon plus grave
Que s’il avoit offert un tresor ; mais le cœur,
Comme j’ay dit tantost, assaisonnoit l’offrande,
Et la faisoit passer pour affaire bien grande.
Le Roy pour cette Rave ordonne mille écus ;
  Sa Majesté de plus
 A son Maistre d’Hostel commande
De serrer cette Rave, en faisant fort grand cas.
Mais si Conon long temps ne s’accommodoit pas
  Au grand fracas
 Qui suit la Cour ; son mince Iardinage,
Ses Raves, sa chaumine, & son petit tracas,
 Sans contredit luy plaisoient davantage.
 Il veut partit, obtient congé, content
Du procedé du Prince, & sur tout de l’argent,
  Car le bon homme
Onc ne se vit avec pareille somme,
 Et quelque desinteressé
 Qu’un pauvre Païsan puisse estre,
Quand il voit tant d’argent sous son toit amassé,
Heureux, il ne croit pas que le Roy soit son Maistre.
***
Certain Seigneur Gascon, qui depuis peu de temps
 Estoit en Cour, pour faire sa fortune,
Et qui croyoit en Dieu moins qu’en argent comptant,
 Aux Courtisans c’estoit chose commune,
La Pieté pour lors n’ayant pas le haut rang
  Que luy donne Loüis le Grand.
 Ce Courtisan, dont l’ame interessée
 Avoit connu qu’une Rave donnée
  Avec beaucoup de liberté,
 Avoit charmé la liberalité
De Louis, qui l’avoit trop bien récompensée,
 Se flata, luy qui donnoit peu,
De l’espoir mal fondé de quelque récompense,
  Sire interest joüant son jeu,
  La Rave mille écus ! Il pense
  Qu’au Roy presentant un Cheval
  Qui ressembloit à Bucephal,
Il auroit davantage, & c’estoit l’apparence,
Son present valant mieux que celuy de Conon ;
Voyons comme le Roy va combler l’esperance
  De ce Seigneur Gascon.
Penetrant le dessein de cette Ame venale,
 Il prit conseil de quelques Favoris,
  Pour mieux sçavoir jusqu’à quel prix
  La liberalité Royale
  Devoit s’étendre en cas pareil.
Il faudroit, dit Tristan, cent Loüis au Soleil.
 Bressiure en ajoûte cinquante.

Tristan, & Bressiure, Favoris de Loüis XI.

Un autre dit deux cens. Le cheval estoit beau,
 Le fait d’un Prince, & mis en vente,
Le Faiseur de Present évitoit le Panneau
 Que luy tendoit son avarice.
 Enfin, le Present fait, le Roy
Feignant avoir resvé, s’écria, j’ay dequoy
 Reconnoistre son bon office,
Qu’on le fasse venir. A peine fut-il-là ;
 Que le Roy luy dit les paroles
  A peu prés que voila.
L’on m’avoit conseillé qu’avec deux cens pistoles
Ie payasse un present que j’estime bien plus :
Mais ce n’est pas aux Rois à se trouver vaincus
En liberalité, car la grandeur Royale
Sur toutes les vertus choisit la liberale.
 Par une faveur speciale
Ie vous fais un Present qui couste mille écus.
 On vit s’incliner nostre Brave
Au nom des mille écus qu’il crut tenir déja ;
Mais le Diable, ce fut quand le Roy demanda
 Qu’on apportast la grosse Rave
 Du bon Conon, laquelle il presenta
Au Cavalier confus, qui la prit sans mot dire,
 Et chagrin d’aprester à rire
A tant de Courtisans, reduit au desespoir,
 Il s’en alla, le Roy fit son devoir.
  Cette Avanture doit apprendre,
  Si vous avez voulu l’entendre,
Qu’il ne faut point donner afin de recevoir.

Complimens faits & receus par Messieurs de l’Académie Royale d’Arles §

Mercure galant, mai 1686 [tome 6], p. 127-134

 

La prévoyance que Sa Majesté a toûjours euë dans ce qu’Elle a fait pour le bien de son Etat, l’ayant obligée d’établir dans la Ville d’Arles une Academie Royale, pour y faire cultiver les talens qu’un grand nombre de Gentilshommes dont cette Ville est remplie, temoigne pour les belles Lettres, dans le temps que la tranquillité de la Paix, semble rendre leur épée inutile au service de leur Prince, on ne doit pas s’étonner que cette illustre Compagnie fournisse souvent d’importans sujets aux Charges les plus éclatantes, où ils peuvent luy donner des marques de leur fidelité & de leur zele. C’est ce qui est arrivé depuis peu de temps en la Personne de Mr le Marquis d’Ubaye de Vachieres, que les suffrages publics ont eslevé à la Charge de premier Consul, & Gouverneur de la Ville en sa vingt-sixiéme année. Cette Election a paru si avantageuse par les grandes qualitez que ce jeune Gentilhomme possede, & sur tout par une vertu & une probité exemplaire, que l’Academie ne pouvant contenir la joye qu’elle ressentoit d’avoir donné aux Affaires publiques un sujet de ce merite, s’assembla extraordinairement pour l’en faire feliciter, ainsi qu’elle a toûjours fait pour tous les autres de ce mesme Corps, lors qu’ils ont remply de pareils emplois. Elle députa pour cét effet Mrs d’Arbaud Baron de Blanzac, l’Abbé de Verdier, Sabbatier & Gifon. Mr d’Arbaud fut chargé du Compliment dont il s’acquita avec autant d’esprit que d’honnesteté, & qui fut receu de la mesme sorte. Mr d’Ubaye n’en pouvant venir remercier la Compagnie dés ce mesme jour, tant à cause de l’arrivée de Mr le Comte de Grignan, Lieutenant de Roy de la Province, que par le peu de temps qu’il avoit à faire inviter quantité de Gentilshommes qu’il vouloit rendre témoins de cette Ceremonie, il la remit au Lundy suivant, jour ordinaire des Assemblées de l’Academie. Il s’y rendit sur les trois heures accompagné d’un grand nombre de personnes considerables. Mrs le Chevalier de Romieu & Giffon furent priez de les recevoir à la premiere porte de l’endroit où l’Academie s’assemble, & les ayant conduits dans la Salle où elle tient ses Séances, Mr d’Ubaye, qui se trouvoit alors Directeur de la Compagnie, prononça un Discours tres-éloquent, dans lequel il fit voir que les plus grands hommes de tous les Siecles devoient leur plus haute élevation, à l’opinion qu’ils avoient sceu établir de leur érudition & de leur esprit, ce qu’il appliqua admirablement bien sur les talens de chaque Academicien, & sur l’obligation où tous les Peuples estoient de signaler leur respect à la gloire de Loüis le Grand. Aprés avoir fait connoistre l’heureux Estat où ce Monarque avoit mis la France, par les soins qu’il avoit pris d’y faire fleurir les Sciences & les beaux Arts, il peignit son zele pour les interests de la vraye Religion, & la dignité de la matiere donnant de la force aux moindres expressions dont il se servit, il fit admirer dans ce grand Roy tout ce qui peut rendre un Heros inimitable. Mr le Marquis de Robias d’Estoublon, Secretaire & Chancelier perpetuel de l’Academie, qui en cette qualité se trouve obligé de répondre au défaut du Directeur, dans les Ceremonies de cette nature, s’attira un applaudissement general par la réponse qu’il fit à Mr d’Ubaye. Ce fut un Discours dans lequel on remarqua une profondeur d’érudition proportionnée à l’étenduë de son esprit & de son merite.

Histoire §

Mercure galant, mai 1686 [tome 6], p. 137-165

 

Rien n’est plus fâcheux qu’un ordre absolu de donner son cœur, quand il s’est déja laissé prévenir par ce panchant agreable qui l’entraîne malgré nous, & dont rarement nous cherchons à nous défendre. C’est l’estat où s’est trouvé depuis peu une jeune Demoiselle, qui ayant receu de la Nature tous les avantages qui font remarquer les belles Personnes, n’avoit pas manqué de plaire à beaucoup de Gens. Elle avoit sur tout charmé un Gentilhomme bien fait, qui par tous les soins qu’il pouvoit luy rendre, l’avoit engagée à l’estimer. L’estime va loin quand le cœur est favorable. Le Gentilhomme avoit du merite, & l’empressement qu’il faisoit paroistre à se rencontrer dans tous les lieux, où il apprenoit qu’il pourroit la voir, ne l’avoit pas laissée insensible à son amour. Leur intelligence ne put demeurer long-temps secrete. La Mere qu’une langueur d’accident retenoit au lit depuis quelques mois, fut avertie des sentimens que sa Fille avoit pour le Gentilhomme, & ce Party ne luy plaisant pas, elle crut devoir la marier au plûtost pour étouffer une passion, dont elle craignoit les suites. Dans ce dessein elle pria une Dame qui la venoit voir souvent, de vouloir bien luy choisir un Gendre. La Dame jetta les yeux sur un Cavalier fort riche, & par le portrait avantageux qu’elle luy fit de la Belle, elle l’engagea à songer au Mariage. Il fut content & de sa naissance & de son bien, mais quelque aimable qu’on la luy peignist, il n’en voulut croire que ses propres yeux, & demanda à la voir dans quelque Eglise, avant que de s’expliquer sur les propositions qu’on luy pourroit faire. La Mere ayant sceu ce que souhaitoit le Cavalier, le fit avertir de l’heure où il trouveroit sa Fille à la Messe, & afin qu’il la connust, on luy marqua qu’elle auroit un manteau blanc avec une jupe verte. En mesme temps elle ordonna à sa Fille de relever sa beauté par les ornemens que luy permettoit son âge. La Belle eut beau luy répondre qu’on devoit du moins luy donner le temps de faire reflexion sur ce que c’estoit que de s’engager pour toute sa vie ; elle avoit affaire à une Mere absoluë qui vouloit qu’on luy obeist sans répliquer, & il fallut qu’elle consentist à la recherche d’un homme qu’elle n’avoit aucune envie d’épouser. Elle en eut un chagrin inconcevable, & comme l’ardeur de se conserver à son Amant occupoit tout son esprit, elle resolut de tromper sa Mere, qui estant toûjours au lit ne pouvoit estre témoin de l’entreveuë qu’on avoit promise au Cavalier. Une jeune Dame, mariée depuis assez peu de temps, & qui ayant esté élevée Fille dans son voisinage, l’avoit toûjours cherie tendrement, estoit venuë passer huit ou dix jours avec elle, pendant un voyage que son Mary avoit esté obligé de faire. La Belle la pria de tenir sa place au rendez-vous, en prenant son manteau blanc & sa jupe verte, & sçachant que l’on estoit demeuré d’accord que le Cavalier l’aborderoit lors qu’il la verroit sortir de l’Eglise, elle l’engagea à tourner les choses d’une maniere qui le dégoutast de cette recherche, en luy laissant entrevoir que si on la forçoit de se déclarer, ses pretentions seroient inutiles. La tromperie ayant esté concertée, il ne restoit plus qu’à l’executer. Quelque avantageux portrait que l’on eust fait de la Belle, la jeune Dame pouvoit soûtenir le Personnage. Elle avoit les yeux fort doux, le teint vif, la bouche belle, les dents admirables, & soit en parlant, soit en riant, elle faisoit voir le commerce étroit qu’elle avoit avec les Graces, tant elle en estoit toûjours bien accompagnée. La Belle s’étant montrée à sa Mere, coeffée à son avantage, & avec l’habit qui devoit la faire connoistre au Cavalier, alla promptement le donner à son Amie, & elles sortirent ensemble pour le rendez-vous où elle estoit attenduë. La jeune Dame se plaça seule à l’endroit qui avoit esté marqué, & le Cavalier fut frappé d’abord par le manteau blanc & la jupe verte. Il la regarda avec grande attention, & n’eut pas si tost rencontré ses yeux, qu’il la salüa d’un air qui luy fit comprendre qu’elle estoit fort à son gré. Aprés l’avoir bien examinée pendant tout le temps qu’elle employa en devotion, il l’aborda lors qu’elle sortir, & luy fit paroistre tout ce qu’un amour naissant peut avoir de violence. Cét amour redoubla fort par la maniere dont elle soustint cette premiere entreveuë. Il luy trouva dans l’esprit un charme secret qui fit sur son cœur une impression nouvelle, & ce fut pour luy quelque chose de bien doux d’estre convaincu que sa beauté estoit le moindre de ses avantages. Il la pria de souffrir qu’il allast chez elle des ce mesme jour, & la Dame qui cherchoit à obliger son Amie, luy répondit en riant qu’un amour si prompt luy estoit suspect ; qu’il estoit juste qu’on luy donnast quelque temps pour la mieux connoistre, avant qu’il fist aucune démarche auprés de sa Mere ; qu’elle en avoit besoin elle-mesme pour bien sçavoir de quels sentimens elle seroit capable pour luy, & qu’ils en pourroient le lendemain dire davantage à la mesme heure, s’il vouloit se rendre au mesme lieu. Le Cavalier fut obligé de se retirer aprés la promesse du rendez-vous, & la Dame qui rejoignit son Amie, luy rendit compte de ce qui s’estoit passé. La Belle ayant repris son habit, suivit la Dame dans la chambre de sa Mere, qui leur demanda des nouvelles de l’Amant. Elles en parlerent fort modestement, comme d’un homme qui n’avoit rien qui choquast. La Belle marqua toûjours beaucoup de dégoust pour le Mariage, & sa Mere luy déclara en termes tres-absolus que si le Cavalier persistoit à la demander pour Femme, elle vouloit que l’affaire se terminast en fort peu de temps. Cette menace obligea la Belle à redoubler les instructions qu’elle avoit données à son Amie, pour la défaire du Cavalier, qui ne manqua pas le lendemain de venir au rendez vous. Il en sortit beaucoup plus charmé de la jeune Dame, qu’il ne l’estoit la premiere fois qu’il l’avoit veuë, & aprés cinq ou six autres conversations de mesme nature, il luy demanda ce qu’il pouvoit esperer. Elle répondit qu’elle avoit pour luy toute l’estime que luy devoient inspirer les sentimens qu’il luy avoit expliquez ; qu’elle en auroit, tant qu’elle vivroit, beaucoup de reconnoissance, mais que ne se trouvant pas en estat de penser au Mariage, elle se croyoit obligée de luy conseiller de chercher ailleurs quelque personne digne de son choix. Le Cavalier transporté d’amour l’interrompit pour luy dire qu’il n’estoit plus en pouvoir de choisir ailleurs ; que c’estoit à elle uniquement qu’il s’attacheroit toute sa vie, & que s’il ne pouvoit l’obliger à l’épouser, le seul plaisir de la voir, & d’estre de ses Amis, luy paroissoit préferable à tous les engagemens qu’on luy pourroit proposer. La Dame ne fut pas fachée de s’appercevoir que sa passion estoit violente Elle en débarassoit son Amie en l’affermissant dans l’attachement qu’il luy promettoit, & c’estoit dans cette veuë qu’elle avoit toûjours agy. Ainsi elle le pria d’examiner s’il estoit capable de soûtenir ce qu’il venoit de luy dire, & sur les sermens qu’il luy en fit, elle l’asseura qu’elle se faisoit un vray plaisir d’avoir un Amy de son caractere. Ils se revirent encore, & leurs entretiens roulerent toûjours sur les mesmes choses. Le Cavalier luy juroit qu’il ne trouvoit qu’elle qui fust digne d’estre aimée, & la Dame prioit le Cavalier de songer qu’elle le regardoit seulement comme son Amy, & qu’elle n’avoit consenty à l’écouter que sur ce pied-là. Cette priere ne l’étonna point. Il crut que l’éloignement qu’elle luy marquoit pour tout ce qui est amour, estoit l’effet d’un dégoust aveugle pour le Mariage, & ne doutant point qu’il ne vinst à bout de luy faire perdre ce dégoust par ses complaisances & par les grands avantages qu’il pouvoit luy faire en l’épousant, il ne mit aucunes bornes au panchant qui le portoit à se donner tout à elle, Cependant il estoit temps d’éclaircir la tromperie. La Mere ayant sceu par celle qui conduisoit cette affaire, que le Cavalier estoit charmé de sa Fille, demandoit de jour en jour à le voir. Il pressoit de son costé pour avoir la liberté de rendre visite. D’ailleurs la jeune Dame qui attendoit son Mary, fut obligée de se separer de son Amie, & de revenir dans son Quartier. Ainsi il fut arresté qu’elle avertiroit le Cavalier de se rendre aux Tuileries ; que par de longues conversations elle tâcheroit de l’enflâmer encore davantage, & qu’ensuite elle luy découvriroit le secret de l’avanture. Le Cavalier fut ravy de ce changement de rendez-vous. Il se flata du plaisir d’entretenir plus long-temps l’aimable personne qui faisoit toute sa joye, & il la trouva en effet le lendemain dans une Allée écartée des autres, qu’elle luy avoit marquée. Elle estoit accompagnée d’une Amie qui sçavoit la chose, & qui la traitant de Fille, mit encore plus fortement le Cavalier dans l’erreur. Il dit devant elle à la jeune Dame tout ce qu’on peur dire de passionné & d’obligeant, & dans le moment qu’ils se separerent, il fut apperceu d’un de ses Amis, qui vint le feliciter sur son bon goust à choisir les Gens qui meritoient qu’on leur en contast. Comme on se plaist à parler de ce qu’on aime, & qu’ayant un dessein fort legitime, le Cavalier faisoit vanité de sa passion, il luy demanda ce qu’il trouvoit de la personne qu’il venoit de voir. Cet Amy luy répondit qu’il la connoissoit, & aprés en avoir fait une peinture tres-avantageuse, il ajoûta qu’il la trouveroit toute parfaite, sans un grand defaut qu’il avoit peine à luy pardonner. Ce defaut estoit qu’elle ne vouloit que des Amis, & que si tost que l’on s’échapoit à prononcer seulement le mot d’amour, on se faisoit des affaires avec elle. Le Cavalier repliqua qu’il se pouvoit faire que l’amitié la touchast plus que l’amour, mais qu’il avoit la douceur de voir que s’en estant declaré fort amoureux, cette declaration ne l’avoit point offensée. Il ajoûta que comme elle avoit les sentimens nobles & tres-bien tournez sur toutes choses, il suffisoit qu’elle l’estimast, pour luy donner sujet d’esperer qu’elle le rendroit heureux quand il l’auroit épousée. Son Amy surpris de cette réponse, luy dit en riant, qu’il ne sçavoit pas qu’on pust épouser une femme mariée, & la dispute qui s’éleva la dessus entre-eux, ne fut pas aisée à terminer. Il fallut enfin que l’Amy cedast. Le Cavalier luy soûtint si fortement que la belle Personne qu’il avoit veuë avec luy, estoit une Fille avec laquelle il estoit prest de se marier du consentement d’une Mere de qui elle dépendoit, que ne l’ayant veuë que d’un peu loin, il crut qu’il pouvoit s’estre trompé. Il dit seulement au Cavalier qu’elle ressembloit extremement à une jeune Dame de son voisinage, & que sans ce qu’il luy disoit de positif, il auroit juré que c’estoit elle. Le Cavalier ne conserva pas le moindre scrupule, & revint le jour suivant attendre la jeune Dame dans la mesme Allée, aussi remply d’esperance qu’il l’avoit encore esté. Elle continua pourtant à luy dire, qu’elle ne pouvoit estre contente tant qu’il exigeroit d’elle des sentimens qu’elle n’estoit point capable d’avoir, & le Cavalier commençoit à luy répondre, lors que se trouvant au bout de l’Allée, ils y virent tout d’un coup entrer cet Amy qui les connoissoit tous deux. Le Cavalier qui estoit bien-aise qu’il vist de prés sa Maistresse, eut de la joye de cette rencontre, mais son Amy qui voulut luy faire voir qu’il luy avoit parlé juste le jour précedent, troubla bientost cette joye. Il s’adressa à la jeune Dame, & luy demandant des nouvelles de son Mary, il la jetta dans un si grand embaras, qu’elle ne sceut que répondre. Elle regarda le Cavalier, le Cavalier la regarda dans le mestemps, & comme ils gardoient tous deux le silence, ce nouveau venu les voyant ainsi déconcertez, se retira en disant qu’il s’appercevoit qu’ils avoient ensemble quelque affaire à démesler, & que sa presence ne leur pouvoit estre qu’incommode. Ce fut alors que se fit l’entier éclaircissement. Mais avec quelle douleur le Cavalier connut-il qu’il avoit pris de l’amour pour une personne qui ne pouvoit en prendre pour luy ! Il se plaignit à la Dame de la cruauté qu’elle avoit euë de l’engager à des sentimens qu’elle devoit condamner, & dont, quelque violence qu’il se fist, il sentoit bien qu’il luy seroit malaisé de se défaire. La Dame, aprés luy avoir appris ce qui l’avoit obligée à joüer le personnage dont il se plaignoit, le fit souvenir, qu’elle avoit toûjours voulu qu’ils s’en tinst à l’amitié. Il luy jura que cette amitié seroit éternelle ; & ne pouvant plus entendre parler de Mariage, il rompit l’engagement où il estoit avec son Amie. La Mere qui croyoit les choses en estat de se conclure, fut fort surprise de ce changement. Elle l’imputa à la froideur de sa Fille qui avoit toûjours fait voir beaucoup de dégoust pour cette affaire. La Belle essuya quelque gronderie, mais elle en fut consolée par la joye qu’elle eut de n’estre point obligée d’abandonner son Amant. Je ne puis vous dire si le Cavalier n’a plus que de l’amitié pour la jeune Dame. Je sçay seulement qu’il met son plus grand bonheur à luy marquer par ses soins qu’il la trouve toute aimable, & que s’il ne la voit pas avec une entiere assiduité, c’est parce qu’elle s’oppose aux visites trop frequentes.

[Reception faite par les Habitans du Ponteaudemer à M. le Marquis de Beuvron, Lieutenant General pour le Roy en Normandie] §

Mercure galant, mai 1686 [tome 6], p. 165-169

 

M. le Marquis de Beuvron, Lieutenant Général pour le Roy en Normandie, se rendit en la Ville du Ponteaudemer le 24 du dernier mois, accompagné de Madame la Marquise de Beuvron sa femme, & de Mademoiselle de Genlis sa Fille, pour visiter un nouveau Port de Mer que sa Majesté y fait faire dans le dessein de rendre cette Ville là une des plus maritimes de la Province. Elle est dans une situation tres commode pour cela, étant placée entre Roüen, Honfleur, & le Havre, & ayant de tous costez un grand nombre d'eaux & de fontaines. Le Magistrat ayant esté averty que ce Marquis arrivoit avec un ordre particulier du Roy pour cette visite, le fit sçavoir à la Noblesse & au Peuple. [A l'annonce de l'arrivée du marquis] la plupart des Gentilshommes & des jeunes Gens, montèrent à cheval avec des parures magnifiques, & tous les Bourgeois se mirent en armes. Surtout, deux Compagnies de Cuirassiers qui sont en Garnison dans les Faux-bourgs allèrent le recevoir le Sabre à la main, & il entra dans la Ville avec de Grandes Acclamations. Mr d'Argences, Lieutenant Général [de] la Ville & du Vicomté du Ponteaudemer, le vint haranguer à la teste des Echevins, aussi bien que Mr du Bourg, premier Avocat du Roy dans la mesme Vicomté. Le premier presenta à Madame de Beuvron au nom de la Ville des Corbeilles de Confitures, & des rafraichissemens de toutes sortes. Il y eut deux jours de réjoüissances publiques, avec Cavalcades, grands festins, bruits de Canon & de Mousqueterie, Trompettes, Tambours, Illuminations, Feux de joye, & d'Artifice. Mr de Beuvron visita ce Port de Mer, & partit ensuite au milieu des cris de Vive le Roy.

[Vers au Roy par Madame des Houlieres] §

Mercure galant, mai 1686 [tome 6], p. 181-185

 

Voicy les derniers Vers que Me des Houlieres a faits pour le Roy.

AU ROY.

 L’erreur feconde en attentats,
Qui traisnoit la Discorde & l’Orgueil à sa suite,
Ne répand plus enfin dans tes vastes Estats
Le poison dont l’arma l’Enfer qui l’a produite ;
Ta pieté, Grand Roy, pour jamais l’a détruite.
 Quelle Hydre viens-tu d’étouffer ?
En vain tes Grands Ayeux oserent la combatre,
 Ces Heros ne pûrent abatre
Le Monstre dont sans peine on te voit triompher.
Par combien de forfaits, de Batailles, de Sieges
 Son orgueil s’est-il signalé ?
Que d’Autels ont senty ses fureurs sacrileges !
Le Trône où l’on te voit en fut mesme ébranlé ;
Tu le sçais, & tes soins toûjours prompts, toûjours sages,
Préservent nos Neveux d’un desastre pareil.
 Ainsi voyons-nous le Soleil
Pour faire de beaux jours dissiper les nuages.
Le plus rude sentier sous tes pas s’aplanit.
Prince heureux, les Destins sont pour toy sans caprices,
Contre une Hydre indomptée un seul ordre suffit,
A ta voix sont tombez les nombreux Edifices
 Où se nourrissoient les fureurs ;
A ta voix elle rentre en ce gouffre d’horreurs
 Destiné pour punir les vices.
A de si grands succés tout le Ciel applaudit,
De longs gemissemens l’abysme retentit.
Que d’Ames ton secours dérobe à ses supplices !
Ah, pour sauver ton Peuple, & pour vanger la Foy,
Ce que tu viens de faire est au dessus de l’homme ;
 De quelques grands noms qu’on te nomme,
On t’abaisse, il n’est plus d’assez grands noms pour toy.
 Mais dans les bras de la Victoire
Plains-toy de ton bonheur, crains l’excés de ta gloire,
Voy le sort qu’à ton Peuple elle va préparer ;
 Ta main puissante & secourable
Tire ce Peuple aimé d’une Erreur déplorable,
Et par une autre Erreur tu le vas égarer.
 Instruit par cent fameux exemples.
Qu’à de moindres Heros on a basty des Temples,
Contre ta modestie on ose murmurer.
Ouy, si ta pieté n’y mettoit des obstacles,
 Tes jours fertiles en miracles
 Nous forceroient à t’adorer.

[Table contenant les principes de la Musique en Dialogue] §

Mercure galant, mai 1686 [tome 6], p. 185-186

 

Il s’est fait depuis peu une Table contenant les principes de la Musique en Dialogue. Non seulement elle est facile & divertissante pour ceux qui apprennent cette Science de cette maniere, mais elle est aussi fort curieuse pour les Speculatifs, & les plus habiles, qui ont témoigné en faire grand cas. Cette Table se distribuë chez Mr Fleury, qui en est l’Auteur. On y trouve encore d’autres Ouvrages fort considerables, qu’il a faits pour joüer la Basse continuë sur le Theorbe, sur le Lut, & sur la Guitarre.

Air nouveau §

Mercure galant, mai 1686 [tome 6], p. 186-187.

On fait toûjours de nouveaux Printemps. En voicy un qui est estimé des Connoisseurs.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Le Printemps fait éclore aujourd'huy mille Fleurs, doit regarder la page 186.
Le Printemps fait éclore aujourd'huy mille Fleurs,
Tout enchante dans la Nature,
Dans nos Bois, dans nos Prez on ne voit que verdure,
Et l'Amour sous ses loix enchaisne tous les cœurs.
Il n'est point de fierté qui ne rende les armes
Sous le doux regne des beaux jours,
Et les Amans voudroient que ce temps plein de charmes,
Pour leur bonheur durast toûjours.
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[Messe & Sermon en Grec] §

Mercure galant, mai 1686 [tome 6], p. 187-188

 

Je vous ay parlé plusieurs fois de la Feste de la Commémoration du S. Sépulcre qu'on célèbre tous les ans aux Cordeliers du Grand Couvent, le Dimanche de Quasi modo. On y chante une Messe en Grec ; & après l'Evangile, on fait un Discours dans la mesme Langue [...]

[Lettre contenant tout ce qui s’est passé à Rome touchant le Te Deum, chanté pour rendre grâce à Dieu de l'entière réünion des Protestans de France à l'Eglise Catholique] §

Mercure galant, mai 1686 [tome 6], p. 189-212

 

J’ay eu raison de vous dire que j’esperois ne pas finir cette Lettre, sans vous apprendre ce qui se seroit passé dans la Ceremonie du Te Deum qu’on devoit chanter à Rome, pour rendre graces à Dieu de l’entiere réünion des Protestans de France à l’Eglise Catholique. Ce que Mr de Chassebras de Cramai, les a écrit là-dessus à Mr le Duc de S. Aignan, contient toutes les particularitez de cette Feste. On m’a donné une copie de sa Lettre, dont je vous fais part. Comme il a esté témoin de tout, sa Relation est fort exacte.

De Rome ce Mardy 30. Avril 1686.

L’on admiroit icy depuis long-temps les grands progrés qui se faisoient dans la France au sujet de la Conversion des Religionnaires, & l’on voyoit que le Ciel secondoit de plus en plus les pieuses entreprises de nôtre Auguste Monarque, lorsque la nouvelle arriva de l’Edit du mois d’Octobre dernier, par lequel Sa Majesté deffendoit l’Exercice de la Religion Pretenduë Reformée dans tout son Royaume. Cette nouvelle fut si bien receuë à Rome, que la Chambre Apostolique fit aussi-tost traduire cét Edit en Italien. On le mit sous la presse ; mais le grand nombre des Exemplaires qui en furent faits ne suffisant pas pour satisfaire l’empressement que chacun montroit d’en avoir une copie, on fut obligé de l’imprimer de nouveau à Bologne, & en d’autres Villes d’Italie. Le Pape écrivit aussi tost à Sa Majesté une Lettre de congratulation, comme vous avez sceu, & témoigna à plusieurs particuliers qu’il n’avoit jamais receu de nouvelle qui le touchast plus sensiblement. L’effet surprenant de cét Edit ayant fait voir par la suite que Dieu y mettoit la main, & toute la France se trouvant aujourd’huy presque entierement purgée de l’Heresie de Calvin par les soins extraordinaires du Roy, qui n’a d’autre veuë dans toutes ses entreprises que la gloire de Dieu, la grandeur de son Royaume & la felicité de ses Peuples ; Sa Sainteté fit convoquer un Consistoire secret au commencement de ce Caresme, & fit à la fin un Discours Latin tout plein d’éloquence, pour faire voir l’avantage que la Religion recevoit du zele de nostre pieux Monarque, qui soûtenoit avec tant de gloire la qualité de Tres-Chrestien & de Fils aisné de l’Eglise. Ce Discours fut si touchant qu’il attendrit le cœur de tous ceux qui l’entendirent, & fit d’autant plus d’impression sur leur esprit qu’il sortoit de la bouche du Pere commun de tous les Chrestiens, qui comme Vicaire de J. C. ne prononce que des Oracles, & qui semble avoir surpassé tous les autres Papes ses predecesseurs par sa conduite admirable, & par la sainteté de sa vie. Il ne se contenta pas de cette Declaration particuliere faite en plein Consistoire, il voulut encore la rendre publique, & choisit pour cela le temps de Pasques, comme le temps le plus propre, & où les Chrestiens commencent à respirer la joye aprés les souffrances & les mortifications de la Penitence du Caresme. Le 26. de ce mois, il ordonna qu’il se tiendroit Chapelle extraordinaire le Dimanche suivant dans la Chapelle de son Palais, & que dans le temps qu’il entonneroit luy-mesme le Te Deum, les Canons du Chasteau S. Ange feroient leur décharge, & que toutes les Eglises de Rome, tant les Basiliques, Patriarcales, Collegiales, que les autres Seculieres & Regulieres sans en excepter aucune, sonneroient ensemble toutes leurs Cloches durant l’espace d’une demie heure, ordonnant encore qu’il seroit chanté un Te Deum solemnel le mesme jour dans chacune de ces Eglises à la fin de la grand’ Messe, qui est l’heure où la devotion attire le plus de monde. Ce jour venu qui fut Dimanche dernier 28. d’Avril, Mr le Cardinal d’Estrées se rendit le matin de bonne-heure à la Chapelle du Pape, accompagné d’une suite extraordinaire de Carrosses ; tous les François qui sont à Rome & un grand nombre de Prelats & de Gentilshommes Romains & Etrangers luy ayant voulu faire Cortege. Il chanta la Messe en presence de tous les Cardinaux & de toute la Prelature de Rome. Les Maîtres de Ceremonie du Pape avoient mis leur habit rouge dont ils ne se servent que dans les plus grandes Festes, & la Messe étant finie, ce mesme Cardinal entonna le Te Deum aux Fanfares de toutes les Trompettes du Palais, & au bruit du Canon, & de toutes les Cloches de la Ville qui se firent entendre à plus de douze milles aux environs. Quoy que le Pape se fust trouvé mal le jour precedent & toute la nuit, il voulut descendre pour cette Ceremonie, mais ses Medecins l’en empescherent. Depuis long-temps on n’avoit veu une si grande foule dans la Chapelle. On fut obligé de redoubler les Suisses du Pape qui en gardoient les avenues & les portes, & l’on eut toutes les peines du monde à fendre la presse pour faire passage à Mr le Duc de Mantouë qui voulut y venir incognito. Madame de la Haye Vantelet, femme de l’Ambassadeur de France vers la Republique de Venise, s’estant rencontrée icy, souhaita d’estre presente à cette celebre Ceremonie. Comme il n’est pas de l’usage que l’on reçoive les Dames dans les Chapelles du Pape, pour satisfaire son zele, on éleva exprés une petite Tribune separée & ornée de Tapisseries où elle vint avec quelques Princesses Etrangeres, & vit commodement toute la fonction sans estre veuë.

Le mesme jour au matin l’on exposa le Saint Sacrement pour les Prieres de Quarante-heures, dans l’Eglise Paroissiale de S. Loüis des François, administrée par des Ecclesiastiques de la Nation. Le Pape avoit accordé une Indulgence pleniere à tous ceux qui visiteroient cette Eglise l’un des trois jours qu’il y demeureroit exposé, & qui s’estant mis en état de meriter les graces du Ciel, remerciroient Dieu de l’heureux retour des Heretiques de France à l’Eglise Catholique. Pendant ces trois jours il y est venu un nombre infiny de Peuple, & le Sr Mellani, Maistre de la Musique de cette Eglise, & l’un des plus habiles de Rome, à semblé se surpasser luy-mesme dans cette rencontre où il a voulu faire paroistre le zele ardent qu’il a pour l’interest de la Religion, & pour tout ce qui regarde l’avantage de la France.

Le Dimanche au soir & hier Lundy toute la Ville de Rome fut illuminée jusqu’à une heure aprés minuit. Le Dome de S. Pierre du Vatican, & la Façade de l’Eglise paroissoient tout en feu. Sa Sainteté avoit fait mettre des Lanternes à toutes les Fenestres & aux Galeries de ses deux Palais du Vatican, & de Monte, Cavallo. Le Senateur, & les Conservateurs de Rome en avoient fait mettre de mesme sur le Clocher, & sur le Palais du Capitole Celuy de Mr le Duc d’Estrées estoit éclairé de flambeaux jusque sur les toits. L’on voyoit sur la Façade les Armes du Pape & celles de France evironnées de lumieres. Il avoit fait faire des feux par toute la Place, & autour des deux grandes Fontaines qui sont en veuë de son Hostel. La Reine de Suede avoit pareillement illuminé son Palais de flambeaux de cire blanche. Tous les Cardinaux, les Princes, les Ambassadeurs, les Residens des Couronnes, les Prelats, les Ducs, & generalement toutes les personnes de qualité avoient aussi fait allumer des feux devant leurs portes & éclairer leurs Hôtels, les uns avec des flambeaux, & les autres avec des lanternes, & il n’y eut presque personne qui ne fist des Feux devant sa porte, & qui ne mist des lumieres à ses fenestres. Toutes les Lanternes estoient aux Armes de sa Sainteté & à celles de France. Il y en eut plusieurs qui firent des Emblêmes & des Devises sur l’Heresie terrassée. Entre les Communautez qu se signalerent le plus, on remarqua particulierement la Communauté des Prestres de la Parroisse de S. Loüis & de celle de S. Yves ; les Chanoines Reguliers de S. Augustin de l’Abaye de S. Antoine de Vienne, qui ont leur Maison proche sainte Marie Majeure, les Peres de S. François de Paule, vulgairement appellez les Minimes de la Trinité du Mont, Eglise Titulaire de Mr le Cardinal d’Estrées ; les Peres Mineurs Reformez du Tiers Ordre de S. François, connus à Paris sous le nom de Picpus, qui ont icy le Convent de Sainte Marie des Miracles ; les Peres Trinitaires Reformez de la Redemption des Captifs, dont l’Eglise est dediée à S. Denis ; les Peres Benedictins de l’Abaye de S. Germain de Paris qui ont un Hospice à Rome, & les Religieux Reformez de Citeaux apellez d’un autre nom les Feüillans, qui ont aussi à Rome un Hospice, dont l’Eglise est dediée à la Vierge. Toutes ces Communautez & Convens sont gouvernez par des Ecclesiastiques & Religieux de la Nation Françoise.

Aujourd’huy Mardy matin, les Peres Picpus de Sainte Marie des Miracles ont celebré une Messe solemnelle dans leur Eglise, avec grand Chœur de Musique & Simphonie. Ensuite ils ont chanté le Te Deum, & tiré toute la journée quantité de Boëtes & de Mortiers. Ils se preparent à redoubler ce soir les Illuminations du Dome de leur Eglise, & de toutes les fenestres de leur Convent. Ces Religieux ont icy une des belles Eglises de Rome, quoy que petite. Ils sont tous François, & vivent dans une si grande regularité qu’ils peuvent servir d’exemple à la pluspart des autres Reguliers. Comme feu Mr le Cardinal Gastaldi les estimoit fort, il voulut à la fin de ses jours avoir toûjours auprés de luy un Religieux de ce Convent, pour luy servir de conseil & de consolation.

 

Voicy une autre Lettre de Mr Chassebras, écrite à Mr le Duc de S. Aignan, huit jour aprés la premiere.

De Rome le Mardy 7. May 1686.

Dimanche dernier 5. de ce mois, les Peres de S. Antoine de Rome celebrerent une Messe solemnelle en action de graces de la Conversion des Heretiques de France. Le S. Sacrement fut exposé dés le matin. Il y eut une superbe Musique avec grande Simphonie. Mr d’Hervault, l’un des douze Auditeurs du Tribunal de la Rote, chanta le Te Deum à la fin de la Messe, où se trouva Mr l’Ambassadeur de France, avec un concours extraordinaire de Personnes de qualité. Comme ces Peres ont le cœur tout François, & qu’ils font gloire d’estre nez Sujets d’un Monarque qui fait l’admiration de toute la Terre, ils n’oublierent rien pour rendre cette Feste des plus augustes & des plus celebres. Ils avoient fait orner leur Eglise d’un riche Damas rouge-cramoisy, rehaussé de tissus & de franges d’or, avec le Portrait de Sa Sainteté, & celuy du Roy. Ils avoient mis en dehors un autre Portrait de Sa Majesté à cheval, entouré de festons & de satins. Les Trompettes qui estoient dans un Balcon au dessous, mêlant leurs fanfares avec le son des Timbales, sembloient porter jusqu’au Ciel les loüanges du Fils aisné de l’Eglise. Il y avoit une fontaine de vin à la porte du Convent, qui coula toute la journée, & l’air retentissoit de tous costez des cris d’alegresse de Vive la France, & Vive le Roy Tres-Chrestien. La nuit venuë, l’on éclaira tout le Convent de lanternes. On alluma des feux dans la ruë, on tira quantité de fusées, & d’autres Artifices, avec plus de quatre-vingt Boëtes & Mortiers, qui s’estoient déja fait entendre le soir du jour précedent, & tout le matin de ce jour-là. Ces Peres sont des Chanoines Reguliers de l’Ordre de S. Antoine, qui suivent la Regle de S. Augustin. Leur Ordre est étably dés l’onziéme Siecle, & ils joüissent de plusieurs beaux Privileges. Ils sont au nombre de vingt-quatre, tous François, & ont un Hospital, où l’on reçoit ceux qui sont malades de quelque brûlure. Ils font tous les jours de fort grandes charitez, & assistent d’argent & de vivres tous les necessiteux qui leur viennent demander l’aumosne. Le Reverendissime Pere Antoine Pain de la Jasse, Lyonnois, est presentement leur General. Il est Abbé perpetuel, mitré & crossé. Il a seance au Parlement de Dauphiné, & droit de presider aux Estats Generaux de la mesme Province, en l’absence de M. l’Evesque de Grenoble. Il reside au Convent de S. Antoine, proche de Vienne en Dauphiné, où est le corps de S. Antoine, Patron de l’Ordre. Leur Superieur est un Vicaire Triennal dont l’Abbé a la nomination. Comme cette Maison de Rome est une des principales de l’Ordre, il n’y met jamais qu’une personne d’un grand merite & d’une vie exemplaire. C’est le P. Paul Baillet, de la mesme Province de Dauphiné, qui remplit un poste si honorable.

Le 4. de ce mois Sa Sainteté fit rendre un Edit, par lequel Elle défend à toutes sortes de Femmes, de quelque qualité & condition qu’elles soient, tant Filles que Veuves, & mariées, d’apprendre à chanter, ny à joüer d’aucun Instrument de Musique, de quelque Maistre que ce puisse estre, soit Seculiers, Ecclesiastiques ou Reguliers, quand mesme ceux qui leur voudroient enseigner, seroient leurs proches Parens ou Alliez, voulant pareillement que les Religieuses qui ont accoûtumé de chanter les Offices Divins en Musique, ne puissent l’apprendre que des autres Religieuses leurs Compagnes. Cet Edit fut hier affiché dans les principaux endroits de Rome.

[Cérémonie faite dans l'Eglise de S. Jean en Greve] §

Mercure galant, mai 1686 [tome 6], p. 217-219, 221-222

 

Le 12 de ce mois on célébra avec beaucoup de magnificence la Feste de la Translation des Reliques de S. Nicolas, Evesque de Mire, dans l'Eglise de S. Jean en Grève. Le motif de cette Feste fut de relever une Confrairie érigée à l'honneur de ce Saint, il y a plus de trois siècles, & qui avoit esté comme éteinte dans les dernières années. C'est à quoy Messire Antoine-Alexandre de Francelles, Docteur de la maison & Société de Sorbonne, & Curé de S. Jean, a fort contribué par ses soins, aussi bien que Mr l'Abbé Billet, Directeur de cette Confrairie, qui est maintenant administrée par les Clercs & Acolytes de la Paroisse. [...]

 

[Après la procession,] l'Abbé Morelet fit le panégyrique du Saint avec beaucoup d'applaudissement, & près de deux cens Prestres se trouvèrent au Salut. La Musique avoit esté faite par le Sr Boutillier, Musicien de Mademoiselle de Guise, qui n'en a que de bons, & disciple de Mr Marais, si connu pour la Basse de Viole. Le Te Deum fut chanté en action de grâces à Dieu pour le rétablissement de la santé du Roy ; & pour le retour des Protestans au sein de l'Eglise. Ce fut par ces deux raisons que l'on s'attacha particulièrement à donner à cette Feste toute la pompe qui en pouvoit augmenter l'éclat. [...]

[Autre faite à Versailles] §

Mercure galant, mai 1686 [tome 6], p. 223-225

 

Comme résoudre & exécuter n'est pour le Roy qu'une mesme chose, surtout dans ce qui regarde le service de Dieu, le Bastiment de la Paroisse de Versailles est presque achevé, quoy qu'il soit commencé depuis peu de temps, & qu'il ait deux Tours & une grande façade. Les six Cloches destinées pour cette nouvelle Eglise, furent bénistes le 3 de ce mois par Mr l'Archevesque de Paris. Monseigneur le Dauphin & Madame la Dauphine nommèrent la première & la cinquième, & les quatre autres furent nommées par les Princes & les Princesses du Sang qui assistèrent à cette Cérémonie. Sa Majesté qui se connoist parfaitement à tout, a pris plaisir à entendre le Carillon de ces Cloches, qui ont leur six Tons de Musique, avec une justesse admirable. Elles ont esté fonduës au vieux Louvre par le Sr de Ninville, & le Sr Droüart son Gendre. Cette fonte a succédé à celle du Carillon de la Samaritaine, ce qui augmente de jour en jour la réputation des Ouvriers, qui continuent à travailler pour le Roy dans le mesme lieu.

[Audiances données par le Roy au Députez des Etats de Bourgogne, d’Artois, & de Bretagne] §

Mercure galant, mai 1686 [tome 6], p. 225-230

 

Le Roy estant entierement remis de son indisposition, a donné Audience aux Députez des Etats de Bourgogne, d’Artois, & de Bretagne. Sa Majesté qui préfere le bien de l’Etat à son repos, n’avoit pas attendu qu’Elle fust en parfaite santé pour donner des audiences particulieres aux Ministres des Princes Etrangers. Ainsi l’on peut dire que ce Prince a seul ressenty son mal, & que les Etrangers, ny ses Sujets ne s’en sont point apperceus. Les Députez des Etats de Bourgogne estoient Mr l’Abbé de Maulevrier, Aumônier de Madame la Dauphine ; pour le Clergé, Mr le Comte de Tournelle pour la Noblesse, & Mr Barbier pour le Tiers Etat. Ils furent presentez par Son Altesse Serenissime Monsieur le Duc, Gouverneur de Bourgogne, & par Monsieur le Duc de Bourbon, receu en survivance. Vous remarquerez, Madame, que c’est la premiere fonction que ce jeune Prince ait faite en qualité de Survivant. Il y a lieu de croire par tout ce qu’on luy voit faire dans un âge si peu avancé, qu’il marchera sur les traces de ses illustres Ancestres. Je croy pouvoir vous dire sans sortir de mon sujet, que cette Survivance a donné lieu cette année à la Devise des Jettons de Bourgogne. C’est un Soleil levant qui commence le Printemps dans le Signe du Belier, qui est la premiere Maison celeste, de mesme que cette Province est la premiere du Royaume. On sçait aussi que la Toison d’or du mesme Belier qui fut mis au rang des Astres, a fait l’Ordre des anciens Ducs de Bourgogne. Cette Devise a ces mots pour ame. Ses premiers regards sont pour moy. C’est le Signe qui parle dans le sens litteral, & la Province dans le figuré. Le reste de l’application est facile, par rapport au jeune Prince qui en fait le sujet.

Si-tost que ce bel Astre est sur nostre Hemisphere,
 Il attire les yeux sur soy ;
Mais dés qu’il fait du bien au monde qu’il éclaire,
 Ses premiers regards sont pour moy.

 

Ces Vers, aussi-bien que la Devise, sont de Mr l’Abbé Gauthier, dont le talent est connu par plusieurs autres Devises, sur tout, par celles qu’il fit pour Monsieur aprés la Bataille de Cassel, & pour la Reyne, lors que la France pleura la mort de cette Princesse. Ce dernier Jetton pour les Etats de Bourgogne a esté gravé par le Sr Soubiran, Graveur du Cabinet de Monseigneur le Dauphin.

Les Députez de Bourgogne, dont j’ay commencé à vous parler, furent conduis à l’Audience du Roy par Mr de Saintot, Maistre des Ceremonies ; & comme en de pareilles occasions, c’est toûjours le Député du Clergé qui porte la parole, Mr l’Abbé de Maulevrier eut cet honneur, & presenta le Cahier des Etats à Sa Majesté, qui le remit entre les mains de Mr le Marquis de Chasteauneuf, Secretaire d’Etat.

[Livre dédié à M. de Boucherat, chancelier]* §

Mercure galant, mai 1686 [tome 6], p. 243-246

On frapa une Médaille pour Mr de Boucherat, sitost que le Roy l’eut nommé son Chancelier. Je l’ay fait graver, & je vous l’envoye. Il est naturel de vouloir connoistre les Grands Hommes. Ainsi je ne doute point qu’elle ne soit veuë avec plaisir dans vostre Province. Je croy vous avoir marqué que quand Sa Majesté l’honora de cette importante Charge, Elle luy dit de cet air honneste & obligeant dont Elle accompagne toutes les graces qu’il luy plaist de faire, qu’Elle ne luy confioit les Sceaux, qu’à la charge qu’il les garderoit long-temps. Il semble que Mr de la Cour ait voulu se conformer aux intentions du Roy, en dédiant à Mr le Chancelier un Livre qu’il a donné au Public depuis peu, sous le Titre de Regime de Santé. Les reflexions qui sont à faire sur la maxime à lædentibus & juvantibus, peuvent contribuer à la conservation d’une santé si pretieuse à l’Estat, & à procurer une longue vie à ce digne Chef de la Justice. On doit mesme en tirer un bon augure, puis que c’est le premier Ouvrage qui luy ait esté dedié depuis qu’il est Chancelier ; & que pour luy rendre ce premier devoir, l’Auteur a choisy la plus utile matiere qu’il pouvoit traiter. La lecture de ce Livre ne sera pas moins avantageuse à tous les honnestes Gens, s’ils examinent avec quelque attention sur leur conduite, que tous les Preceptes de Santé sont renfermez dans ceux qui enseignent à se priver de ce qui fait mal, & à user de ce que l’on sent qui fait du bien.

Air nouveau §

Mercure galant, mai 1686 [tome 6], p. 343.

Je vous envoye un nouveau Printemps, qui vient d'un grand Maistre.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Profitons tous de la Saison nouvelle, doit regarder la page 343.
Profitons tous de la Saison nouvelle,
Qui ramene avec soy les Fleurs & les Zephirs ;
Goûtons, Bergers, goûtons les innocens plaisirs
D'une Saison si belle.
Chantons, dansons, & fuyons desormais
Et l'Amour & ses traits.
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