1686

Mercure galant, juin 1686 [tome 7].

2017
Source : Mercure galant, juin 1686 [tome 7].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, juin 1686 [tome 7]. §

[Prieres pour rendre graces à Dieu du retour de la Santé du Roy] §

Mercure galant, juin 1686 [tome 7], p. 1-2, 4-5

 

Je ne suis pas étonné, Madame, qu'on ait fait des prières dans vostre Province pour l'entier rétablissement de la santé de nostre Auguste Monarque, puisque Paris a donné l'exemple à toutes les Villes du Royaume. [...]

 

Le Chapitre de S. Marcel donna des marques de son zèle sur la fin du mois passé, par un salut qui fut chanté en Musique dans cette Eglise. Elle estoit ornée ces jours-là des plus belles Tapisseries de la Manufacture Royale des Gobelins. Le S. Sacrement y fut exposé, & Mr le Doyen le porta en Procession. Les Chanoines, Chapelains, & Ecclésiastiques de la Communauté de ce Chapitre y assistèrent au nombre de quatre-vingt, tous en Chapes, & la Cérémonie se termina par le Te Deum, en action de grâces de l'entier recouvrement d'une Santé si prétieuse en France. [...]

Lettre Chrestienne & Catholique, adressée aux faux Pasteurs fugitifs, qui sont dispersez dans les Pays Etrangers §

Mercure galant, juin 1686 [tome 7], p. 6-35

 

Le soin que prend ce Monarque de toutes les choses qui regardent l’affermissement de la vraye Religion, donne lieu de jour en jour à des Ouvrages qui sont d’une grande utilité pour les nouveaux Convertis, puis qu’ils leur font voir combien les Ministres qui les ont abandonnez, ont une conduite éloignée de celle des vrais Pasteurs. En voicy un de cette nature, que vous ne serez pas fâchée de voir.

LETTRE CHRESTIENNE
& Catholique, adressée aux faux Pasteurs fugitifs, qui sont dispersez dans les Pays Etrangers.

La Grace de Jesus-Christ, nostre seul Sauveur, & nôtre unique Mediateur, vous fasse connoistre, mes Freres abusez, la Verité de sa sainte Parole. Je veux croire qu’il y en a parmy vous qui sont trompez de bonne foy, & qui marchent au milieu des tenebres & des ombres de la Mort, croyant estre dans la lumiere de l’Evangile, & dans le jour de la vie qui est en Jesus-Christ ; mais permettez que l’amour ardent que nous avons pour vostre salut, nous-ouvre la bouche, & que la charité qui nous presse, cette charité si tendre qui n’est autre chose que l’Esprit de Dieu répandu dans nos cœurs, pour parler comme l’Ecriture, fasse auprés de vous une derniere tentative, en vous adressant de la part d’un grand Prince ces paroles si touchantes d’un S. Prophete & d’un grand Roy. Jusqu’à quand, jusqu’à quand aurez-vous le cœur pesant, obstiné & endurcy ? Pourquoy aimez-vous si fort la Vanité, & d’où vient que vous cherchez avec tant d’ardeur le Mensonge, pour vous tromper vous-mesmes & pour tromper les autres ? Psal. 4. On a beau vous éclairer, vous ressemblez à ces Gens dont parle l’Apostre S. Paul, qui ne ferment pas seulement les yeux à la veritable lumiere, mais qui mettent encore leurs mains dessus, pour s’empescher de voir la moindre lueur qui seroit capable de faire cesser leur aveuglement. Vous estes des Aveugles, & vous voulez conduire d’autres Aveugles. Quelle sera donc la fin de vos égaremens ? Ah fin funeste & déplorable, que le Sauveur du Monde a marquée luy-mesme dans sa sainte & divine Parole ! Vous tomberez, n’en doutez nullement, dans le fond du précipice, & vous y ferez tomber les autres aprés vous. Vostre chûte sera d’autant plus malheureuse qu’elle en fera tomber plusieurs qui croyent marcher seurement en vous prenant pour leurs Guides. Pauvres Peuples ! Malheureux Conducteurs, qui conduisez sans Ordre, qui parlez sans authorité, & qui preschez sans Missien, combien trompez-vous de pauvres ames, dont vous rendrez compte un jour au juste Jugement de Dieu ? C’est là où je vous appelle, c’est là où je vous attens. Oüy, vous y rendrez compte de ces Ames rachetées par le sang d’un Dieu, pour qui Jesus-Christ est mort, & pour le salut desquelles il seroit encore tout prest de mourir.

Jusqu’à quand, encore une fois, n’écouterez-vous point la voix de vostre Dieu, de vostre Roy, & de vos veritables Pasteurs, qui vous exhortent depuis si long-temps de rentrer dans le sein de l’Eglise vostre Mere, dont vous estes injustement sortis ? jusqu’à quand vous égarerez-vous dans les voyes de l’Iniquité & dans les routes criminelles de Babilone, pour parler avec un Prophete ? Si vous estiez de veritables Pasteurs, comme vous en usurpez le nom, que ne feriez-vous pas, ou plûtost que n’auriez-vous point fait ? Le veritable Pasteur, dit Jesus-Christ, donne sa vie pour ses Brebis, Voilà l’idée la plus juste & la marque la plus certaine d’un veritable Pasteur donnée pour la Vraye FoyI.

Cela supposé, dites moy, je vous prie, pauvres Freres abusez, où trouve-t-on parmy vous ce caractere de Pasteur ? Qui sont ceux d’entre-vous qui le portent avec justice ? A-t-on veu-un seul Ministre qui ait donné sa vie pour son Troupeau ? Citez-nous-en un seul, marquez nous son zele, racontez-nous le genre de son Martyre. N’avez-vous pas au contraire quitté la Houlette & abandonné le Bercail, comme des Pasteurs mercenaires ? Nos Troupeaux seduits, nos Brebis abusées, sont, dites-vous, errantes & vagabondes, étonnées & surprises de voir hors du danger ceux qui devroient les encourager par leur prudence, & qui sont obligez par leur titre de Pasteur, de les deffendre jusqu’à la derniere goute de leur sang. Que diront aprés cela les personnes éclairées qui se sont converties de bonne foy ? Que diront les gens d’esprit & de bon sens ? Ils riront de vostre infidelité, & ils auront toûjours dans le fonds du cœur une juste indignation contre leurs Ministres qui ont fuy, & qui ont démenty si lâchement par leurs actions la Doctrine qu’ils avoient enseignée par leurs paroles.

Ne dites point que vous avez obey au Prince, & que vous vous estes accommodez au temps. Vous avez sagement fait pour vos interests particuliers ; mais où est ce zele ardent, ce courage intrepide de ces genereux Pasteurs, de nos anciens Evesques, qui pendant les plus violentes persecutions se sont exposez aux tourmens & à la mort mesme, à l’exemple de Jesus-Christ le Souverain Pasteur qui a donné sa vie pour ses Brebis ? Helas ! bien loin de suivre ces grands exemples de sainteté, ces courages tous heroïques qui ont versé leur sang pour soûtenir les interests de la verité de nostre sainte Religion, vous ne vous servez de vostre esprit & de vos plumes que pour semer l’yvroie & la zizanie dans le sein de l’Eglise. Vous estes semblables à cét homme Ennemy dont il est parlé dans l’Evangile, puisque vous n’écrivez aux nouveaux Convertis à la Foy Catholique, que pour les détourner de rendre à Dieu & à leur Prince ce qu’ils leur doivent. Vos Lettres sous de belles paroles ne cachent que de mauvais desseins. Elles fomentent l’esprit de revolte & de sedition, esprit si fort opposé à celuy de Jesus-Christ qui nous a dit à tous, Apprenez de moy que je suis doux, & rendez à Cesar ce qui est à Cesar, & à Dieu ce qui est à Dieu. Vous avez la voix de Jacob, mais vos mains sont des mains d’Esaü, & sous la peau de Brebis, vous portez les dents du Loup.

Les raisons specieuses que vous insinuez si doucement, ne sont propres qu’à surprendre les foibles, & à tromper les ignorans, mais les habiles s’en moquent, & vous disent par ma bouche : Venez nous prescher de plus prés ce que vous nous écrivez de trop loin & nous vous connoistrons alors pour de veritables Pasteurs, si vous en faites les œuvres, & si vous donnez vostre vie pour vos Troupeaux. Pourquoy traitez-vous de Prostituée, d’Adultere & de Corrompuë la sainte Eglise Romaine, que nous reconnoissons à present pour estre la veritable Eglise ? Nous n’y trouvons rien au fonds ny dans la Doctrine, ny dans les Mœurs, de tout ce que vous nous avez dit autrefois. Le Portrait affreux que vous nous en avez fait, n’estoit pas fidelle. C’estoit plûtost un effet de vostre zele amer, & de vostre emportement outré, qu’une expression sincere de la pure verité. En effet, si l’on en juge sans passion & sans entestement, qui ne sera persuadé, pour peu qu’il ait de connoissance de la venerable Antiquité, que l’Eglise Romaine est celle qui a toûjours conservé toute pure la Doctrine des saints Apostres, & la Foy Orthodoxe, par une Tradition constante & non interrompuë, qu’elle a esté de tout temps reconnuë & appellée par les saints Peres, la Tige, le Tronc, le Chef des Eglises, la grande Eglise, la premiere Chaire, l’Eglise Mere & Matrice de toutes les autre ? Quisquis à Matrice discesserit, dit S. Cyprien, seorsum vivere & spirare non potest, & substantiam salutis amittit. Pesez bien ces paroles, peut-on rien trouver de plus fort & de plus formel, quand on les lit sans aigreur, & dans le desir de faire son salut ?

S. Paul ne dit-il pas que la Foy des Romains sera annoncée par tout, & quand on vouloit autrefois marquer un veritable Chrestien, ne luy donnoit-on pas le surnom de Romain, comme on voit dans les Actes du Concile d’Ephese, au chapitre dixiéme, où l’Empereur Theodose le Jeune appelle la Foy Catholique, la Religion Romaine ?

Les Ennemis mesme de l’Eglise ont senty, & reconnu malgré eux cette verité incontestable. C’est ce qu’on voit dans Victor, au livre premier de la persecution des Vandales, Jocundus Arien parlant à Theodoric.

La raison qui les portoit à cela, c’est qu’ils voyoient que de tout temps le gros des Chrestiens estoit dans la Communion Romaine, & qu’ils y accouroient en foule de tous les endroits de la Terre ; car dans la confusion des Sectes qui se vantoient d’estre Chrestiennes, Dieu ne manqua jamais à son Eglise, il sceut luy conserver une marque d’autorité que les Heretiques ne pouvoient prendre. Elle est Apostolique, la suite, la succession, l’autorité primitive luy appartiennent. Elle est Catholique & Universelle, elle embrasse tous les temps, elle s’étend de tous côtez, & tous ceux qui l’ont quittée, l’ont premierement reconnuë, & ne peuvent effacer le caractere de leur Nouveauté, ny celuy de leur Rebellion. S. Irenée ne dit-il pas encore qu’il est necessaire que toutes les Eglises s’unissent & conviennent avec la Romaine, parce que la plus puissante Principauté reside en elle ? Prenez & lisez.

Ce sont ses propres paroles, qui sont bien differentes de celles des Ministres fugitifs, qui ont une aversion terrible & presque insurmontable pour l’Eglise Romaine ; Ad hanc Ecclesiam propter potentiorem principalitatem necesse est omnem convenire Ecclesiam, hoc est eos qui sunt undique fideles. C’est pourquoy S. Cyprien reprend ceux qui adherent à une autre Chaire qu’à celle de S. Pierre, qu’il appelle l’Eglise principale, d’où est sortie l’unité Sacerdotale.

Je ne vous rapporte point icy le témoignage de S. Ambroise, dans l’Oraison Funebre de son Frere Satyre, ny celuy de S, Ierôme dans l’Apologie contre Rufin, ny celuy de S. Augustin dans la Lettre cent soixante-deuxiéme, parlant de l’Evesque Cecilian ; Vous pouvez vous-mesme aller chercher ces autoritez dans leurs sources, de crainte que je ne vous sois suspect dans mes citations.

Mais aprés tant de preuves de la plus pure & de la plus saine Antiquité, qui doutera un seul moment que c’est estre Heretique ou Schismatique que de se separer de l’Eglise Romaine, où S. Pierre le premier des Apostres, a étably son Siege, comme dans le centre de l’Univers. C’est ce qui fait qu’Optat conclut en ces termes. Igitur negare non potes scire te in Urbe Roma Petro Cathedram Episcopalem esse collatam, in qua sederit omnium Apostolorum Caput, Petrus, unde & Cephas appellatus est, in qua una Cathedra, unitas ab omnibus servaretur, ne singuli Apostoli singulas sibi quisque deffenderent, ut jam Schismaticus & peccator esset qui contra eam singularem Cathedram alteram collocaret.

C’est neanmoins ce qu’ont fait de tout temps les Heretiques qui se sont separez de la Communion Romaine, comme les Ariens, Donatistes, Nestoriens, Eutichéens, Monotelites, Luciferiens, Lutheriens, Calvinistes, & plusieurs autres, qui ont tous injustement élevé la Chaire du Mensonge contre la Chaire de la Verité, rompant ainsi sacrilegement la sainte Unité de l’Eglise si souvent recommandée par Jesus-Christ, & déchirant sans honte la Robe sans couture ; en cela plus condamnables que les Soldats qui la jetterent au sort à la Mort du Sauveur. Comment donc vous autres Ministres d’iniquité, qui vous piquez de sçavoir les Ecritures, & de les penetrer à fonds, osez-vous dire que l’Eglise de Dieu, cette ancienne Eglise que Iesus-Christ a fondée sur le rocher ferme & sur la pierre inébranlable, comment osez-vous dire que cette Eglise est corrompuë, qu’elle est tombée en décadence, & que le Pape qui la gouverne est l’Ante-Christ ? Quel horrible Blasphême ! quel Sacrilege plus épouvantable, & quelle calomnie moins soûtenable que celle-là ! L’Ante-Christ doit estre un homme particulier, selon les saintes Ecritures. Il se dira le Messie, il doit estre Iuif de Nation, de la Tribu de Dan par extraction, il doit estre reconnu & suivy des Iuifs, il doit faire de faux miracles, se faire Roy, se dire le Christ, nier Iesus-Christ, ne regner que trois ans, enfin il doit faire mourir Enoc & Elie, & mourir luy-mesme par le soufle de la bouche de Dieu comme parle S. Jean dans son Apocalypse. Voila le caractere de l’Ante-Christ, voila quel sera l’homme de peché & le Fils de perdition dont parle saint Paul ; caractere qui ne peut jamais convenir au Successeur de S. Pierre, au Vicaire de I. C. au saint Pere qui gouverne aujourd’huy l’Eglise de Dieu avec tant de zele, de pieté, & d’édification ; qui n’employe ses biens & ceux de l’Eglise que pour soulager les miserables, nourrir les Pauvres, & faire la guerre au Turc, l’Ennemy du nom Chrestien ; un Pape dont les éclatantes vertus brillent de tous côtez, & portent par tout le Monde la gloire du Christianisme avec la bonne odeur de Iesus-Christ. Vous connoissez la verité de ce que je dis, & je suis persuadé que si vous n’étoufiez pas la voix secrete de vostre conscience, vous reviendriez bien-tost dans l’Arche du Seigneur pour vous sauver du Deluge qui vous environne, & qui vous fera perir sans ressource, si vous n’y prenez garde. Rentrez donc, mes Freres abusez, rentrez au plûtost dans l’Arche, c’est à dire, dans l’Eglise Catholique, Apostolique & Romaine, mais rentrez-y comme la Colombe avec un rameau d’Olive, symbole de la Paix, c’est à dire, dans un esprit de douceur & de charité pour affermir l’union qui s’y trouve, & non pas pour la rompre & pour la détruire par vos Ecrits seditieux. N’imitez pas le Corbeau, en vous attachant à des corps morts à la grace par le peché, je veux dire, en suivant les Heretiques obstinez, ces esprits de chair & de sang, qui corrompent les Fidelles par la mauvaise odeur de leur doctrine empoisonnée. Venez, encore une fois, dans nos Temples, dont la seule Antiquité vous persuadera que vos Peres & vos Ancêtres professoient une mesme doctrine, & participoient avec nous aux mesmes Sacremens. Vous y trouverez encore leurs noms, leurs cendres, ou leurs tombeaux.

Que si malgré toutes ces raisons vous continuez à fomenter un esprit d’erreur & de Rebellion parmy les nouveaux Convertis, encore chancelans dans la vraye Foy, souvenez vous que l’on vous regardera comme des Perturbateurs du repos public, des ennemis du Christianisme, des membres gâtez & corrompus qu’il faut necessairement retrancher avec le fer & le feu.

Enfin, faites reflexion que pendant plus de trois cens ans entiers qu’ont duré les persecutions dans l’Eglise, on n’a jamais veu aucun Catholique, aucun veritable Chrétien qui se soit soulevé, ny qui ait formé aucune sedition contre son Prince legitime, comme ont fait depuis peu ces Esprits seditieux, ces Protestans rebelles dans l’Empire sous Tekeli, en Angleterre sous le Duc de Montmouth, en France dans les Sevenes, & en Savoye dans les Vallées, qui ont tous si bien profité de vos pernicieux conseils, & de vos mauvaises instructions. Les veritables Chrestiens aiment bien mieux endurer en paix & en patience toutes sortes de tourmens, que de manquer ainsi à la Foy de Iesus-Christ, & à ses saintes Maximes, en n’obeïssant pas de tout leur cœur à leur Souverain comme à Dieu mesme, dont il est la fidelle Image.

Incrassatum est cor populi hujus, & auribus graviter audierunt, & oculos suos clauserunt, nequando videant, & auribus audiant, & corde intelligant, & convertantur, & sanem eos.

Mat. c. 13. v. 15.

Les Vers qui suivent sont fort estimez. Ils furent faits dans le temps que le Roy prit Luxembourg ; & comme ce qui est bon, est toûjours nouveau, je vous en fais part, ne croyant pas que vous les ayez veus.

Homere à Mademoiselle de Scudery, en luy envoyant une Agathe où sa Figure est en relief §

Mercure galant, juin 1686 [tome 7], p. 35-39

HOMERE
A MADEMOISELLE
DE SCUDERY,
En luy envoyant une Agathe
où sa Figure est en relief.

Si je pouvois, Sapho, m’éloigner de ces champs
Que la Parque a peuplez de nos Manes errans,
Je courrois à mon tour à vostre aimable Feste,
De cent nouvelles fleurs j’ornerois vostre teste,
Et j’irois entouré des Jeux & des Amours
Passer encor chez vous les plus beaux de mes jours.
Si Pluton n’opposoit ses loix à mon courage,
Je volerois aussi sur vostre heureux rivage,
Pour chanter d’un Heros les Explois inoüis.
Mais peindrois-je assez bien le Regne de LOUIS,
Et ma trop foible main pourroit-elle entreprendre
De dessiner l’Assiete ainsi que le Scamandre ?
 C’est vous qui par des traits tous nouveaux, tous divers,
Pouvez à vostre gré montrer à l’Univers
Durant cette Campagne en Lauriers si fertile,
LOUIS plus grand qu’Hector,
  LOUIS plus grand qu’Achille.
 Je vous cede, Sapho ; vos Heros sont mieux peints,
Leur gloire plus brillante augmente entre vos mains,
Et vous seule pouvez par un rare avantage,
Achever de LOUIS une éternelle Image.
 Mais comme les Heros, vous peignez les Amours,
Et Flore sous vos mains trouve de plus beaux jours.
Tout charme en vos Portraits, & les Graces plus belles,
Dés que vous les parez, ont des graces nouvelles.
 Ah ! si je revenois encor chez les Mortels,
Ce seroit pour pouvoir vous dresser des Autels,
Et peignant vostre Esprit si fameux sur la Seine,
Phæbus de tout son feu rechaufferoit ma Veine ;
Mais un si doux plaisir n’estant pas un des biens
Qu’une Ombre puisse attendre aux Champs Eliziens,
Ce que je puis, Sapho, pour vous marquer mon zele,
C’est de vous envoyer mon Image fidelle.
Lysippe, ce Sculpteur si celebre autrefois,
Qui luy-mesme avec nous erre en nos sombres Bois.
A, jusque dans le cœur de cette Agathe dure,
Sceu trouver tous mes traits, mon air, & ma Figure.
Sa main nous fait revivre, & nous remontre tous :
Mais rien ne peut tracer mon estime pour vous.

[Réponse de Mademoiselle de Scudery] §

Mercure galant, juin 1686 [tome 7], p. 39-40

Mademoiselle de Scudery répondit à ces Vers par ce Madrigal.

SAPHO A HOMERE.

Homere, vous dormez encore,
Comme vous dormiez autrefois.
Le Heros que la France adore
Est trop grand pour ma foible voix.
Si vous l’aviez eu pour modelle
Au lieu de vos Heros Gregeois,
L’Iliade en seroit plus belle ;
Car sans ce grand Cheval de bois,
Et par une plus noble voye,
Il vient de soûmettre à ses Loix
Luxembourg bien plus fort que Troye,
Et de l’y soûmettre en un mois.

[Histoire de l’Enfant supposé, declaré Imposteur par le Parlement] §

Mercure galant, juin 1686 [tome 7], p. 40-71

 

Je vous ay promis de vous parler d’un Plaidoyé de Mr Lordelot, fameux Avocat, touchant un Enfant supposé, que le Parlement a declaré Imposteur. Voicy le fait. Mr Marsault de Suzencourt en Champagne, ayant esté élevé à Paris aprés la mort de son Pere, chez Mr Marsault son Oncle, Contrôleur des Rentes de l’Hostel de Ville, épousa au mois de Novembre 1655. une Fille de Mr Sauvage, Capitaine de Cavalerie. Le mariage estant fait, ils demeurerent à Suzencourt pendant un an & demy, & au mois de May 1657. Mr Marsault voulant, comme son Beaupere, suivre la profession des Armes, s’engagea dans la Compagnie de Cavalerie de Mr du Moulinet. Cette Compagnie ayant esté reformée, il fut obligé de revenir en Champagne au mois de Novembre suivant. Un an aprés il vint s’établir à Paris, où il s’engagea dans l’Hostel de Ville. Il y travailla avec beaucoup d’application pendant vingt années, ce qui luy a fait amasser beaucoup de bien. En 1679. il acheta une Charge de Contrôleur des Guerres, & à mesme temps des Heritages à la campagne, auprés de ceux qu’il avoit eus de patrimoine. Il y passoit une partie de l’année avec sa Femme, qui dans cet estat n’avoit que le seul chagrin de ne se point voir d’Enfans. Elle se promenoit en Chaise le 7. May de l’année derniere dans le Village de Sexfontaine, lors que l’Imposteur dont il s’agit arresta sa Chaise, voulut y monter par force, & luy demanda de l’argent, en luy disant qu’il estoit son Fils. L’effroy la saisit. Elle appella du secours, & fut accablée d’injures & de menaces par ce pretendu Fils, qui prit une conduite tout à fait contraire aux sentimens que la nature doit inspirer, puis qu’il employa d’abord la violence pour se faire reconnoistre. Je ne vous parleray point des plaintes qui furent renduës contre cette violence devant le Juge de Sexfontaine ; il suffit que je vous dise qu’aprés avoir soûtenu, avant que la Cause eust esté portée par appel au Parlement, qu’il estoit né dans le septiéme mois du mariage de Mr Marsault, qui ayant pris de facheux soupçons touchant la conduite de sa Femme, & ne croyant pas estre Pere de l’Enfant dont elle estoit accouchée, avoit non seulement neglige les soins qu’il devoit avoir de son éducation, mais pris toutes les précautions possibles pour luy dérober la connoissance de son estat ; il changea ce fait qui luy estoit desavantageux, parce qu’en le fabriquant il n’avoit pas pris garde qu’il jettoit des doutes sur sa naissance, & se déclaroit luy-mesme un Enfant illegitime. Ainsi dans une Requête qu’il donna le 15. Septembre dernier, il dit que Mr Marsault & sa Femme apprehendant que le peu de temps qu’il y avoit entre leur mariage & sa naissance, ne donnast occasion à quelques discours dans le public contre leur honneur, s’estoient dépoüillez des sentimens de Pere & de Mere, & avoient pris le dessein de cacher à tout le monde qu’ils eussent un Fils. Les faits dont il appuya cette imposture sont, qu’aussi-tost qu’il fut né, trois Cavaliers vinrent l’enlever, & le porterent au Village de Bergere où il fut baptisé long-temps aprés pendant la nuit ; qu’il fut nommé Jacques, né en legitime mariage de Claude Marsault, & d’Eleonore Sauvage (Il avoit dit dans une premiere Requeste qu’on l’avoit baptisé sous le nom de Leonore sauvage, & sous celuy d’un Pere supposé, sans rapporter aucun Extrait Baptistaire, pretendant que les Registres de la Paroisse de Bergere avoient esté soustraits ou perdus) Qu’il fut confié dix-huit mois aux soins d’une Nourrice de ce Village ; qu’il estoit proprement vestu d’une Robbe blanche ; que durant ce temps la Femme de Mr Marsault alla le voir plusieurs fois le recommandant à cette Nourrice ; qu’ayant esté ramené à Suzencourt, elle en prit soin, qu’elle le promenoit par la main, & disoit à ses Voisins que son Fils étoit plus beau que les autres ; que son Pere s’estant engagé dans le service du Roy, & retiré ensuite à Paris sans l’emmener avec luy, le Seigneur de Suzencourt eut la charité de le faire élever dans sa Maison ; que lors qu’il eut assez d’âge pour pouvoir servir, il fut mis Laquais chez Mr de la Barre, Secretaire du Conseil de Monsieur ; que sa Mere alla le recommander à la Femme de Chambre ; que pour recompense de ses services, on luy fit apprendre le métier de Menuisier chez le nommé Nicolas le Roux ; qu’il y demeura quatorze mois, pendant lesquels sa Mere alla le visiter plusieurs fois, & le recommander à son Maistre, & que la nommée le Vert l’obligea de changer son nom de Jacques Marsault en celuy de Jacques Joublot. En effet, dans le Brevet d’Apprentissage qui a esté produit au Procés, il prend le nom de Jacques Joublot, Fils d’Antoine Joublot, Vigneron à Suzencourt, & de Françoise Sauvage, & il a porté ce nom jusques au temps qu’il a voulu faire réüssir son imposture. Il dit encore qu’estant sorty d’apprentissage, il travailla dans plusieurs Boutiques ; qu’aprés une longue absence il revint dans la Province, où il apprit sa naissance par sa Marraine, qui le produisit à ses Parens, & que tous le reconnurent pour l’Enfant dont la Femme de Mr Marsault estoit accouchée sept mois aprés son mariage, & qui fut mis en Nourrice au Village de Bergere, & ensuite élevé à Suzencourt.

Mr Lordelot détruisit admirablement par son Plaidoyé tous les faits que l’Imposteur alleguoit. Il fit voir que s’il avoit esté le Fils de celle qu’il arresta d’abord dans sa Chaise, & à laquelle il demanda de l’argent d’une maniere toute furieuse, il ne seroit sorty de sa bouche que des paroles de soûmission, parce que les premieres recherches de la Nature sont toûjours remplies de douceur & de respect. Ce sont, dit-il, les premiers mouvemens qu’elle inspire. Un Enfant se sent doucement attiré vers celle qu’il croit estre sa Mere. Il accompagne cette douceur de termes civils & respectueux, & par ces ménagemens innocens, la Nature se trouble dans cette premiere veuë. Il se forme une émotion involontaire, qui force souvent la Mere de reconnoistre son Fils, & qui engage le Fils à se jetter amoureusement entre les bras & dans le sein de sa Mere. Mais quand celuy qui pretend estre Fils s’adresse à sa Mere dans des transports de colere & de fureur, qu’il manque au premier devoir que la Nature inspire à un Fils, c’est une marque évidente de son imposture, parce que ce n’est pas la Nature qui parle en luy, c’est une passion étrangere qui ne sçauroit se contraindre, & qui voulant se cacher sous les apparences de la verité, est découverte au premier mouvement du cœur, & à la premiere parole qui sort de la bouche.

Sur ce que cet Imposteur pretendoit avoir esté exposé par la crainte commune du Mary & de la Femme, qui apprehendoient qu’un Enfant né dans le septiéme mois de leur mariage, ne fist répandre des bruits fâcheux contre leur honneur, Mr Lordelot fit connoistre que ce terme de sept mois estant un terme naturel pour la naissance des Enfans, & les Loix Civiles & Canoniques reconnoissant legitimes tous ceux qui y naissent, parce que toutes les Femmes sont sujetes à ces sortes d’Accouchemens, qui ne dépendent que de la force ou de la foiblesse de leur temperament, il n’y avoit aucun lieu de croire qu’une Mere, dont l’innocence & l’honneur estoient à couvert, & à laquelle on ne pouvoit faire le moindre reproche sans passer pour Calomniateur, se fust resoluë à devenir impie, cruelle, inhumaine, en exposant son Enfant, pour éviter des soupçons qu’elle n’avoit point sujet de craindre. Il fit remarquer aprés cela combien il estoit peu vraysemblable qu’on eust employé trois Cavaliers pour enlever un Enfant, dans un temps où il n’y avoit ny empeschement ny resistance, & demanda d’où seroient venus ces Cavaliers, pour se trouver à propos dans un Village, & durant la nuit, puis que l’accouchement estoit incertain & précipité, & que ces sortes de desseins s’executant toûjours sans éclat, le ministere d’une seule Femme eust esté plus seur & plus utile. Il passa de là à la contrarieté qui se trouvoit dans les autres faits, & sur tout, en ce que la Partie adverse se disoit tantost Fils d’un Pere supposé, tantost celuy d’un vray Pere, estant difficile de concevoir comment il avoit sceu qu’il s’appelloit Jacques Marsault, puis qu’il ne rapportoit pas d’Extrait Baptistaire, & comment il s’estoit laissé persuader de changer ce nom en celuy de Jacques Joublot, puis qu’il disoit qu’il n’avoit appris sa naissance, que lors qu’il estoit revenu dans la Province aprés une longue absence, c’est à dire, âgé de prés de trente ans. Il n’estoit point d’ailleurs vray-semblable qu’une Mere, qui avoit formé le dessein de l’exposer, qui pour cacher sa naissance s’estoit dépoüillée de tous les sentimens de la Nature, & qui s’obstinoit jusqu’à la fin à ne le pas reconnoistre, protestant qu’elle n’avoit jamais eu d’Enfans, luy eust fait des caresses publiques pendant son enfance, ainsi qu’il le supposoit, l’eust promené par la main, eust dit que son Fils estoit plus beau que les autres, & eust pû ensuite luy voir porter les Livrées, & apprendre le métier de Menuisier, tandis qu’elle auroit veu les Domestiques de sa Maison beaucoup plus heureux que n’auroit esté son propre Fils. A l’égard des Parens qui l’avoient reconnu pour l’Enfant dont elle estoit accouchée le septiéme mois de son mariage, Mr Lordelot fit voir l’impossibilité de ce fait, puis qu’il auroit fallu que les Témoins qui avoient esté interrogez, eussent déposé qu’il estoit ce mesme Enfant qu’on disoit né à sept mois, qui avoit esté nourry au Village de Bergere, élevé jusqu’à neuf ans à Suzencourt dans la Maison du Seigneur (ce qui l’en avoit fait croire le Pere) & qui depuis ce temps là avoit disparu jusques à trente. De semblables choses n’auroient pû estre sceuës que de ceux qui ne l’auroient point quitté, & qui l’auroient veu dans tous ses divers estats, estant impossible de reconnoistre à trente ans celuy qu’on n’a point veu depuis neuf, à cause que la delicatesse du corps d’un Enfant, & la blancheur de son teint, quand on en auroit conservé l’idée, ne paroissent plus dans la force d’un corps robuste, & sur un visage formé, que les cheveux, la barbe, & la vie penible & laborieuse d’un Artisan, ont entierement changé. Ainsi il conclut qu’on ne pouvoit s’arrester au témoignage de ceux qui avoient appuyé cette imposture, & qu’il y auroit lieu de s’étonner qu’ils l’eussent fait, s’il ne se trouvoit pas tous les jours des miserables qui vendent jusqu’à leurs paroles, & dont les bouches sont comme des sepulchres ouverts, d’où l’on ne voit sortir que la corruption & la mort.

Aprés que tous les Avocats eurent esté entendus pendant quatre Audiences, Mr Talon, Avocat General, fit un recit de toutes les charges avec une entiere netteté, & venant à la déposition des Témoins, il dit qu’il estoit difficile de se persuader que ce qu’ils assuroient tous sans hesiter, fust veritable ; sçavoir, qu’ils avoient reconnu celuy qui se pretendoit Fils de Mr Marsault aussi-tost qu’ils l’avoient veu, ce qui ne pouvoit arriver naturellement, les traits du visage d’un Enfant au dessous de huit à neuf ans estant si changez à l’âge de trente, qu’il estoit impossible de les discerner, & de les reconnoistre ainsi en un moment ; que la demeure de cet Enfant dans la maison du Seigneur de Suzencourt jusqu’à l’âge de neuf ans, sans qu’aucun de ses pretendus Parens l’eust reclamé, estoit une forte présomption qu’il estoit le Fils naturel de ce Seigneur ; que Moïse ayant esté élevé dans la Maison de Pharaon, avoit eu besoin d’une revelation divine pour croire qu’il n’estoit pas son Fils. Fide credidit se non esse filium Pharaonis ; qu’au fonds, la seule preuve par Témoins n’estoit pas suffisante dans les Questions d’estat ; que si cette voye estoit admise, elle seroit d’une consequence dangereuse pour le Public, & qu’il n’y auroit plus de seureté dans les Familles ; que tous les plus sages Peuples de la Terre avoient voulu qu’il y eust des témoignages publics de la naissance des Enfans ; que les Juifs avoient toûjours eu grand soin que cette naissance fust exactement écrite dans les Registres publics, pour conserver la memoire du nombre & la distinction des Tribus, & sçavoir dans quelle Famille le Messie naistroit ; que Platon ordonnoit dans ses Loix, que la premiere année de la vie des Enfans seroit marquée dans un lieu sacré de la Maison paternelle, & qu’on écriroit sur une muraille blanche le jour de la naissance de ceux qui viendroient au monde, afin que l’on sceust leur âge ; qu’à Athenes les Peres alloient declarer aux Magistrats qu’il leur estoit né un Fils en legitime Mariage, & que sur cette declaration des Peres, confirmée par leur serment, le nom de l’Enfant estoit écrit sur le Registre public ; que les Romains avoient étably que les Peres auroient un Registre, où ils écriroient la naissance de leurs Enfans, & que l’Empereur Antonin avoit ajouté, pour asseurer l’estat de tous ses Sujets, que les Peres declareroient devant le Garde des Registres, qu’il leur estoit né un Enfant, & le nom qu’ils luy donnoient dans les trente jours de sa naissance ; que le Roy François I. avoit ordonné par l’Edit de 1539. que les Curez des Paroisses auroient des Registres de la naissance & de la mort de tous ses Sujets, & que cette Ordonnance avoit esté renouvellée par celle de 1667. avec de nouvelles formalitez encore plus exactes ; que lors que quelqu’un se pretendoit Fils, il falloit qu’il rapportast quelque preuve que celuy qu’il disoit estre son Pere l’eust reconnu en cette qualité, au moins pendant quelque temps, mais que celuy dont il s’agissoit, ne faisoit point voir que le Sr Marsault l’eust avoüé un seul moment pour son Fils depuis trente ans ; que l’Ecriture nous marquoit que le Sauveur du Monde voulant faire connoistre sa Divinité aux Juifs, pria son Pere de le reconnoistre publiquement pour son Fils, Pater, glorifica me, & qu’aussi-tost on entendit en l’air une voix qui dit ces paroles, Glorificavi, & iterum glorificabo, & que les Juifs estant surpris de cette merveille, il leur dit que ce n’estoit pas pour luy qu’il avoit prié son Pere de le glorifier, & de rendre témoignage qu’il estoit son Fils, parce qu’il se connoissoit bien, mais pour eux-mesmes, afin qu’ils en fussent persuadez, Non propter me rogavi Patrem, sed propter vos. Mr Talon s’étendit ensuite sur la nullité des Procedures qui avoient esté faites devant les Juges des lieux, & par l’Arrest qui intervint, & qui fut conforme à ce qu’il avoit conclu, il fut fait défenses au nommé Joublot de prendre le nom de Jacques Marsault, ny de se dire Fils de Claude Marsault & d’Eleonore Sauvage, à peine de punition corporelle.

[L’Asne, le Veillard, & son Fils. Fable] §

Mercure galant, juin 1686 [tome 7], p. 71-78

 

Ce n’est pas sans raison que l’on a dit il y a long-temps, Autant de Testes, autant d’Avis. La Fable qui suit nous le fait connoistre.

L’ASNE, LE VIEILLARD
et son Fils.

  Un Vieillard de paisible humeur,
  Avec son Fils faisant voyage,
  Portoit sur son dos son bagage,
 Tant de fouler son Asne il avoit peur.
  La Politique estoit honneste.
  De tous les deux l’Asne suivy
  Marchoit gayment levant la teste,
 Sans rien porter, dont il estoit ravy.
  Mais son bonheur ne dura guere.
A peine eut-il cent pas en avant cheminé,
Qu’un homme par hazard sur sa route amené,
S’adressant au Vieillard, luy dit d’un ton severe,
 Bon homme as-tu perdu le sens,
De vouloir à ton Asne accorder du bon temps,
Quand prest à succomber sous le faix que tu traisnes,
 Par un procedé tout nouveau,
 Bien loin qu’il soulage tes peines,
 Tu le fais aller sans fardeau ?
Il est fort, & pourroit vous porter l’un & l’autre.
 Je croy que Monsieur a raison,
 Dit le Vieillard, l’avis est bon,
 Et grande sottise est la nostre,
 D’aller à pied quand l’Asne a si bon dos.
Tous deux montent dessus dés qu’il a dit ces mots.
Tandis que l’Asne marche, & quelquefois s’arreste,
 Survient un autre à l’œil hagard,
 Qui voyant de loin le Vieillard
 Et son Fils tous deux sur la beste,
 Où donc est vostre jugement ?
 Vous ferez crever ce pauvre Asne.
Que l’un de vous, dit il, descende promptement,
Ou bien vous sentirez ce que pese ma canne.
 Faire signe au petit Garçon,
 Est du bon homme la replique.
 Le Fils ne fait point de façon
 Pour descendre de la Bourique,
 Mais comme il suit à petits pas
 Presque sans force & sans haleine,
 Et que se traisnant avec peine,
 Il fait connoistre qu’il est las,
Un troisiéme passant parle de cette sorte
 Au bon homme que l’Asne porte.
 Ma foy, Monsieur aux cheveux gris,
Il vous est mal seant avec vostre vieillesse,
D’avoir si peu d’égard à la tendre jeunesse,
Et de vous faire suivre ainsi par vostre Fils.
 Le Vieillard honteux du reproche
 Qu’en termes fort clairs il entend,
 Descend de l’Asne au mesme instant,
 Et crie à son Fils qu’il approche.
 Le Fils qui n’estoit pas manchot,
 Profitant de la remontrance,
 Monte sur l’Asne en diligence,
 Et va son train sans dire mot.
 Le pauvre bon homme derriere
Sur les pas de l’Asnon son alleure regloit,
 Et de temps en temps luy sangloit
 De vilains coups sur la croupiere.
 Là-dessus un Rebarbatif
 Dont le tres-renfrogné visage
A parler rudement montroit un homme vif,
 Arrive, & luy tient ce langage.
 Dy-moy, gros coquin, gros cheval,
 Pourquoy frapes-tu cette Beste ?
Encore si c’estoit ce petit Animal,
(Il luy montroit son Fils) le fait seroit honneste.
 Mais battre qui ne te fait rien,
Et qui mesme au besoin te peut rendre service,
 C’est faire le mal pour le bien,
 Et payer mal un bon office :
 Frape, je ne te diray mot,
 Si tu veux donner sur l’épaule
 A coups de tricot & de gaule,
 A ton Fils, à ce petit Sot,
Qui laisse aller à pied son vieux barbon de Pere,
 Sans en paroistre inquieté,
 Tandis que sur l’Asne monté
 Le fripon se donne carriere.
  Ce discours & les précedens
 Auroient mis tout autre en colere,
 Mais le Vieillard tout au contraire,
S’il n’en rit pas tout haut, en rit entre ses dents.
 Ma foy, dit-il en son langage
 Bien sensé, quoy que de Village,
On doit prendre peu garde aux paroles d’autruy.
Bien hupé qui pourroit éviter la Satyre,
On se tourmenteroit vainement aujourd’huy
 Pour empescher les Gens de rire.
 Ainsi c’est joüer au plus fin
De ne pas s’arrester à ce que l’on peut dire,
 Et d’aller droit son grand chemin.

[Discours faits à Mr. Le Chancelier par Mrs les Grands Audianciers, Contrôleurs Genéraux du Sceau, Gardes des Rôles, Conservateurs des Hypoteques & Censes, & Tresorier du Sceau, en luy presentant sa Medaille qu'ils ont fait frapper] §

Mercure galant, juin 1686 [tome 7], p. 80-87

 

Mr de Fremont, Doyen des Grands Audienciers, porta la parole, lors qu’ils presenterent cette Medaille à Mr le Chancelier. Voicy le Compliment qu’il luy fit.

MONSEIGNEUR,

Encore que la plus belle & la plus solide recompense des grandes Actions soit renfermée dans la satisfaction interieure de les avoir faites, puis que les Vertus ne sont point mercenaires, neanmoins il semble que ceux qui sont assez heureux pour en estre les Témoins, commettroient une notable injustice, & se rendroient coupables de la plus noire ingratitude, si par quelques Monumens publics & éternels, ils ne s’efforçoient d’en consacrer la memoire à la posterité, afin de l’exciter par autant de vives peintures à les imiter, & à meriter de semblables reconnoissances.

Et Pater Anchises, & Avunculus excitet Hector.

Estant vray de dire que la loüange est la Mere nourrice de la Vertu. C’est aussi ce qui s’est heureusement pratiqué dans les Siecles passez, dont toutes les Histoires les plus anciennes, aussi-bien que les modernes, nous rendent de fidelles témoignages. Nous y remarquons que les principaux évenemens qui y sont décrits, ont esté particulierement autorisez par la foy des Medailles qui ont esté frapées dans l’instant que les plus grandes Actions se sont passées, & par là d’autant moins suspectes de flaterie & de dissimulation. Nous y voyons aussi avec plaisir que les plus illustres Personnages qui ont remply dans tous les temps les plus grandes & les plus belles Dignitez, n’ont pas refusé les éloges que le Public leur a donnez, & dont il a voulu laisser des preuves authentiques, & glorieuses aux Siecles à venir, en les imprimant sur des Métaux capables de braver l’injure du temps, comme un tribut necessaire qui estoit deu à leur vertu.

Dignum laude virum Musa vetat mori.

Et nous nous trouvons d’autant plus agreablement conviez d’en user de mesme à l’endroit de V.G. qu’il n’y a pas un de nous qui ayant l’honneur de l’approcher souvent par le privilege de sa Charge, ne soit plus obligé par sa propre connoissance d’admirer & de respecter avec toute la France son rare merite, & ses grandes & sublimes qualitez, qui n’ayant esté jusques icy que legerement occupées dans les differens Emplois où elle a esté appellée pour le service du Roy & du Public, & toûjours avec succés, estoient enfin réservées pour remplir par le choix, & le discernement du plus grand Prince du Monde, la plus grande & la plus importante Charge de l’Estat, Mais, Monseigneur, quelque lumiere qui vous environne, vous avez bien voulu, par une bonté toute paternelle, & une affabilité sans égale, nous en éclairer sans nous ébloüir, & en dissimulant nos defauts, vous nous avez donné des instructions si utiles & si necessaires, pour nous acquiter avec dignité de nos fonctions, que nous en serons redevables à V. G. toute nostre vie ; & pour luy en marquer en quelque façon nostre reconnoissance, & aussi afin que ceux qui viendront aprés nous, puissent connoistre quel a esté nostre bonheur, nous la supplions tres-humblement d’agréer la pensée que nous avons euë pour leur exprimer au revers de cette Medaille, par des caracteres ineffaçables, que jamais personne avec tant de pouvoir, n’a eu plus d’inclination à rendre la justice à tout le monde pour l’amour de la Justice, ny plus de prudence & de magnanimité à dispenser les graces toutes Royales dont Sa Majesté l’a fait le souverain dépositaire.

Ce Discours fut tres-bien receu, & Mr le Chancelier y répondit avec sa bonté ordinaire, & en des termes qui firent connoistre combien il en estoit satisfait.

[Lettre contenant les particularitez du Baptesme des Turcs amenez de Coron, par M. le Prince Philippe de Savoie] §

Mercure galant, juin 1686 [tome 7], p. 114-126

 

Vous m’avez demande des nouvelles de la belle Grecque, que Mr le Prince Philippe de Savoye amena en France dans le temps de la prise de Coron. La Lettre que vous allez lire vous en apprendra d’assez importantes. Elle est de Mr Vignier.

MONSIEUR L’ABBÉ
De Sazilly.

A Paris ce 8. Juin 1686.

Comme il n’est point de temps où l’on ne doive publier ce qui peut servir à la gloire de Dieu, je n’ay pas crû que triste estat où je me trouve me pust dispenser de vous apprendre la suite de l’Histoire de la belle Ismy, Veuve du Gouverneur de Coron. C’est aussi, Monsieur, ce que vostre pieté a souhaité le plus de sçavoir, ne doutant point que dans les lumieres de la Foy que cette aimable Personne pouvoit recevoir, elle ne dust trouver des trésors qui reparassent avantageusement la perte qu’elle a faite & de son Mary, & de ses biens. Je vous ay déja mandé qu’en revenant de Richelieu nous la trouvâmes à Châtres, où elle accoucha d’une Fille, qui peu de jours aprés eut le bonheur d’entrer dans l’Eglise par le Baptesme. Mr de Raban prit ce soin là, & celuy de ramener la Mere à Paris si tost qu’elle fut en estat de souffrir le Carrosse. Sa joye fut grande de réjoindre la jeune Fatmé & le reste de sa Troupe qui estoit dans la Maison de Mr de Raban. Elles ne manquerent pas toutes deux de recevoir force Visites de l’un & de l’autre Sexe, sur le bruit qui s’estoit répandu par tout de leur merite ; mais on remarquoit sur leur visage que si celles des Dames leur faisoient plaisir, elles n’en recevoient des hommes qu’avec chagrin & avec contrainte. On fut quelque temps sans leur parler de nostre Religion afin de ne les pas affliger. Elles ne pouvoient souffrir que l’on fist le signe de la Croix devant elles, & se desesperoient quand on disoit quelque chose contre leur faux Prophete. Deux Enfans de Mr de Raban, dont l’aisné n’a que treize ans, & qui ont tous deux beaucoup d’esprit pour leur âge, s’attacherent à leur faire connoistre l’état miserable où elles estoient par leurs Erreurs, & trouvant la Moresque Cadmé plus disposée à les écouter que les autres, ils la pressoient de se faire Chrestienne ; surquoy elle leur disoit de prendre bien garde que Madame Ismy ne sceust pas qu’ils luy parloient, parce qu’elle la maltraiteroit ; mais pour luy oster cette crainte, ils l’asseuroient qu’elle n’avoit plus de pouvoir sur elle ; ce qui la rendit assez hardie pour s’ouvrir à la petite Zoula qui est presentement avec Madame la Duchesse de Portmouth, & qui est celle là mesme que Dieu avoit preservée de la fureur d’un Soldat qui avoit le Cimeterre levé pour la fendre en deux. Cette petite Fille receut volontiers la proposition qui luy fut faite d’embrasser le Christianisme ; mais la petite Atigé n’y consentit pas sans verser des larmes. Ce fut dans ce temps-là que Madame la Princesse de Carignan, & M. le Prince Philippe prierent le Pere de Bizance, Prêtre de l’Oratoire, de les voir. Il le fit, & comme la Langue Turque luy est naturelle parce qu’il est né à Constantinople, il s’adressa d’abord à celuy de cette Troupe qui luy parut avoir plus d’esprit. Il s’appelloit Haly, grand Garçon bienfait & fort opiniâtre. Pour le convaincre plus facilement de la fausseté de sa creance, il se servit d’un Alcoran que Mr de Villeray, Escuyer de Monsieur le Prince Philippe, luy avoit mis entre les mains, & que ce jeune Turc avoit donné luy-mesme à Mr de Villeray dans Coron. Cet Alcoran estoit écrit en Arabe avec une explication Turque en interligne ; mais quoy que les Turcs fassent bien plus de cas de ceux qui ne sont qu’en Arabe, parce, disent-ils, qu’il faut croire tout ce qu’à dit leur grand Prophete sans aucune glose, ce fut pourtant par cette explication Turque que le Pere de Bizance fit connoistre à Haly les Dogmes ridicules de cét Imposteur ; & il le fit avec tant d’efficace, que ce jeune homme detesta sur le champ ce qu’il avoit soûtenu avec tant d’obstination. Il courut le dire à ses Camarades Hamet, Bekir, Mehemet, & Ibrahim, & les exhorta à se faire Chrestiens. Cela fit un grand effet sur les esprits d’Ismy & de Fatmé, qui receurent avec plus de docilité l’explication de nos Misteres que le Pere de Bizance leur faisoit avec beaucoup de netteté. Comme il fut obligé de faire un petit Voyage, les Enfans de Mr de Raban dont je vous ay parlé, continuerent à leur insinuer les Veritez Chrestiennes ; ils leur proposerent mesme d’aller à l’Eglise dans le temps de Vespres, afin qu’elles pussent estre touchées par la Majesté de nos Ceremonies. Fatmé s’habilla trois ou quatre fois à la Françoise pour y aller, & s’accoûtuma peu-à peu à faire le signe de la Croix dont elle avoit eu tant d’horreur ; mais il fut impossible de faire resoudre Ismy à en faire autant. Il est vray qu’elle se separoit souvent des autres pour faire ses prieres, & qu’elle demandoit à Dieu la grace de luy faire connoistre la Verité. Elle fut exaucée. Le Pere de Bizance estant de retour redoubla ses assiduitez pour l’instruire, & son cœur fut si bien disposé à recevoir tout ce qu’il luy dit d’un Dieu fait Homme, & crucifié pour l’amour de nous, qu’il m’assura la derniere fois que j’eus l’honneur de le voir, qu’elle estoit entierement desabusée de toutes les damnables resveries du Mahometisme, & tres-bonne Chrestienne. Il a la mesme opinion de tous les autres ; & comme il ne manquoit plus que le Batesme pour achever ce grand Ouvrage, ils le receurent Samedy dernier Veille de la Pentecoste dans l’Eglise de saint Eustache. Sept eurent l’honneur d’être nommez par Madame la Princesse de Carignan, & par Monsieur le Prince Philippe son petit Fils. Haly fut nommé Thomas ; Hamet Eugene ; Bekir, Philippe (c’est le Fils de Carabas qui est General de la Mer) Mehemet, Philbert, & le petit More Ibrahim, Charles. Ismy fut nommée Marie-Philippe, & Fatmé, Loüise-Eugene. La petite Atigé & Cadmé Moresques, furent nommées par Mr le Vicaire de Saint Eustache, & par Mesdames de Saint Martin & Chevalier ; la premiere Jeanne-Hortence, & la seconde Loüise-Philberte. Elles estoient toutes vestuës de blanc, & elles s’attirerent par leur modestie les benedictions & les vœux d’un nombre infiny de monde qu’un si rare Spectacle avoit attiré de tous les endroits de Paris. Voilà, Monsieur, ce que je vous avois promis. Si j’avois tardé encore quelque temps à vous écrire, j’aurois pû joindre à cette belle & jeune Troupe, trois ou quatre autres Turcs que le Pere de Bizance a aussi convertis. Je suis Vostre, &c.

[Grande Feste donnée à Rome par M. le Cardinal d'Estrées] §

Mercure galant, juin 1686 [tome 7], p. 150-152, 163-165, 170

 

Je vous ay déjà fait part de tout ce qui s'est passé à Rome à l'occasion de la Feste Générale, faite pour la Réunion des Protestans de France à l'Eglise Catholique. Il me reste à vous parler d'une Féte particulière, qui a fait connoistre le zèle de Mr le Cardinal d'Estrées. Il choisit pour cela l'Eglise de la Trinité du Mont, parce qu'il en est Titulaire. Vous sçavez, Madame, que tous les Cardinaux ayant chacun le nom d'une Eglise, on dit Cardinal au tiltre de etc. Vous jugez bien que la Feste fut d'une magnificence extraordinaire, puisqu'on ne peut soutenir les interests & la gloire de la France avec plus d'éclat, plus de grandeur, plus de prudence & plus deconduite que font Mr le Duc d'Estrées, & M le Cardinal son Frère. [...]

[La fête fut fixée au 12 mai. Dans l'église richement décorée pour l'occasion, furent reçu « M. Altoviti Patriache, [accompagné] d'un très grand nombre de Prélats, & d'autres Personnes de qualifiées, ce qui faisoit un Cortège de plus de vingt-six Carrosses ».]

 

Après la Messe, que Mr Cafati, Archevesque de Trebisonde célébra pontificalement, & qui fut chantée par deux Choeurs de plus de soixante & dix Musiciens. On entonna le Te Deum, qui fut aussi chanté en Musique, aux fanfares des Trompettes, & au bruit de Boëtes ; des Tambours & des Timbales. La Ceremonie finit par un excellent Discours Latin, que le Pere hemery Jesuite prononça à la gloire de Sa Majesté. Lors qu’elle fut achevée, Mr le Cardinal d’Estrées regala magnifiquement un grand nombre de Personnes de qualité dans la grande Salle du College de Propaganda Fide. Il est situé au bas de la montagne, fort prés de l’Eglise de la Trinité, & à une des extremitez de la Place d’Espagne. Ce repas fut suivy d’une belle symphonie, & d’un recit en Vers Italiens à la loüange du Roy, que quatre des plus belles voix de Rome chanterent dans une autre Salle, où ce Cardinal avoit fait passer la Compagnie.

 

[...] un peu après que l'Illumination eut paru, on entendit un Concert de Tambours & de Trompettes. Il fut suivy d'un autre de Violons, après lequel divers instrumens firent une Symphonie très agréable, pendant qu'une des plus belles voix de Rome chantoit un Récit à la loüange du Roy. [...]

Air nouveau §

Mercure galant, juin 1686 [tome 7], p. 178-179.

Vous devez estre contente de l'Air nouveau que je vous envoye, puis qu'une personne des plus difficiles en Musique, & qui chante avec le plus de justesse, l'a appellé son Air favory.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Le Printemps commence à paroistre, doit regarder la page 179.
Le Printemps commence à paroistre,
Il s'est enfin rendu le maistre
De l'Hyver contre luy si long-temps révolté.
Amour, amour fais-en de mesme ;
Contre le cœur d'une ingrate beauté
Toûjours plein de severité,
Fais sentir ton pouvoir extrême.
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Ode d’Anacréon sur l’Amour §

Mercure galant, juin 1686 [tome 7], p. 179-182

 

Vous sçavez dans quelle estime est Anacreon pour la douceur de ses Vers. Voicy la Traduction d’une de ses Odes. Vous trouverez qu’elle a conservé ses graces en nostre Langue.

ODE D’ANACREON
SUR L’AMOUR.

Aimer, & n’aimer pas, l’un & l’autre est fâcheux,
 Mais selon moy ce qui l’est davantage,
 C’est d’estre auprés d’une beauté volage,
Qui partageant son cœur se mocque de nos feux.
***
Que sert-il aux Amans d’avoir de la naissance ?
 Ny la valeur, ny la Science
 N’ont en elles rien d’engageant.
 Dans l’Age de fer où nous sommes,
 On voit que la pluspart des hommes
 Ne considerent que l’argent.
***
 Que le nom du premier Avare
Qui trouva ce Metal digne de son ardeur,
 Soit à l’avenir en horreur
Chez le monde poly, comme chez le Barbare.
***
Ce funeste Metal cause des differends
 Entre les plus proches Parens,
 Il nous rend bien souvent rebelles
Aux volontez de ceux dont nous tenons le jour.
C’est de luy tous les jours que naissent les querelles,
Les Meurtres, les Duels, & les Guerres cruelles ;
Enfin c’est luy qui trouble un commerce d’amour.

[Tout ce qui s'est passé à la Reception des quatre nouveaux Chevaliers de l'Ordre] §

Mercure galant, juin 1686 [tome 7], p. 212-213

 

[Le jour de la Pentecôte, le duc de Chartres, le duc de Bourbon, le prince de Conti et le duc du Maine furent reçus, en la chapelle de Versailles, chevaliers de l'Ordre du Saint-Esprit par Louis XIV.]

 

[...] Mr l'Archevesque de Paris, Prélat Commandeur de l'Ordre, estant arrivé, revestu de ses habits pontificaux, commença le Veni Creator, que la Musique du Roy continua. [...]

[Mission faite à Sommieres, Ville du Diocèse de Nismes] §

Mercure galant, juin 1686 [tome 7], p. 231-248

 

Je ne sçay, Madame, si vous avez pris garde à une chose à laquelle j’ay fait plusieurs fois reflexion, & que j’ay presque toûjours trouvée veritable ; c’est à l’avantage que les Peuples tirent des Missions, qui n’ont jamais manqué de produire des fruits extraordinaires, pour le salut des Ames. S’il s’agit des anciens Catholiques, elles font rentrer en eux-mesmes les plus obstinez Pecheurs, & si on les fait pour les nouveaux Convertis, elles les affermissent dans la croyance des veritez dont on les a convaincus, & leur adoucissent la peine qu’ils ont d’abord à se résoudre de faire les fonctions de la Religion qu’on leur a fait embrasser. Ce n’est pas qu’ils ne les croyent necessaires, mais on se trouve toûjours embarassé lors qu’il faut faire de certaines choses ausquelles on n’est pas accoûtumé. Telle est la Confession, qui fait mesme de la peine à plusieurs personnes qui sont nées Catholiques. Ainsi l’on a tort de dire que parce que quelques nouveaux Convertis viennent lentement à ces Sacremens, leurs conversions ne sont point sinceres. Il n’y a rien dans la vie qu’on ne fasse par degrez. Ils ont reconnu la fausseté de ce que leur avoit enseigné Calvin, & la verité de la Religion Catholique. Il s’agit de la professer dans tous ses points. C’est ce que font les nouveaux Convertis, mais aujourd’huy ils gagnent une chose sur eux, & demain une autre, & les Missions sont pour cela d’une grande utilité, puis que nous voyons tous les jours qu’elles font de ces N. Convertis des Catholiques plus fervens, que les plus anciens Catholiques ne le sont. La Ville de Sommieres, du Diocese de Nismes, ayant toûjours esté regardée comme la clef des Sevennes, & comme celle dont l’exemple seroit suivy de toutes les autres, avoit besoin de pareilles Missions. Mr de Baville, Intendant de Languedoc, persuadé qu’il estoit tres-important d’y en établir, choisit le Pere de Chevigny, Prestre de l’Oratoire, pour cet Employ, le connoissant pour un des hommes du monde le plus capable de s’en acquiter. Il a esté Capitaine aux Gardes, & Gouverneur d’Ypres, & a renoncé à tous les honneurs qu’il possedoit, & à ceux qu’il estoit en estat d’obtenir, pour mener une vie retirée en se faisant Prestre de l’Oratoire. Un tel Missionnaire peut beaucoup persuader, il connoist le monde, & ses manieres ; il sçait par quels endroits il les faut combatre, & comme il presche par son exemple, il n’a pas de peine à persuader. Le Pere de Chevigny mena avec luy six Personnes, qui tous agirent si bien dans cette Mission selon leur talent & leur caractere, qu’il ne faut pas s’étonner s’ils eurent un grand succez. Le Pere Moët Prestre de l’Oratoire, & Mr l’Abbé Pecquot, Docteur de Sorbonne, & Chanoine de l’Eglise de Paris, faisoient les Conferences publiques sur les matieres contestées, avec autant d’érudition & de force que de netteté & de douceur. Le Pere Guibert, Prêtre de l’Oratoire, prêchoit tous les jours d’une maniere tres-vive & tres-touchante. Mr l’Abbé Robert Chanoine de Chattres, preschoit aussi tres-éloquemment. Il faisoit de Sçavans Catechismes, & par les manieres insinuantes qu’il prenoit dans ses visites, il avoit le don de persuader les plus difficiles, & de reduire les plus endurcis. Il est Frere de Mr Robert, Procureur du Roy au Chastelet. Mr Tabouret Ecclesiastique, expliquoit les Prieres & les Ceremonies de la Messe, & faisoit la Priere publique soir & matin avec tant de zele qu’il inspiroit de la devotion à tous ceux qui l’entendoient. Mr le President Saunier, qui estoit venu de Paris avec le Pere de Chevigny son Directeur, édifioit également les anciens & les Nouveaux Catholiques, par son exactitude à communier tous les jours, & par son application à soulager les Pauvres. Le Pere Ventron Prestre de l’Oratoire & fort habile homme, fut envoyé en la place du Pere Guibert, qui fut dangereusement malade, & eut diverses récheutes, parce qu’il aima mieux suivre son zele pour les Nouveaux Catholiques, que d’obeïr aux Medecins de Montpellier qui luy défendoient tout exercice de Mission. Voilà quelles estoient les principales fonctions de ces dignes Ouvriers. Ils estoient tous les jours de plus en plus animez au travail par l’exemple du Pere de Chevigny qui ne manquoit a rien de tout ce qu’on peut attendre de la plus ardente charité, & de la plus sage conduite. Il encourageoit les uns, cultivoit avec douceur les bonnes dispositions des autres, menageoit les esprits difficiles, prenoit quelquefois un ton de Capitaine avec les mutins, & portoit toûjours un cœur de Pere pour ceux qui cherchoient de bonne foy la verité, sans se rebuter de la peine qu’ils avoient à quitter leur état. Il répandoit ses aumosnes avec autant d’intelligence que de profusion, ayant donné cinq cens pistoles de son bien pour la propreté des Autels, pour la pension des Filles qu’il faisoit instruire dans le Monastere des Ursulines, pour l’établissement des petites Ecoles, pour le soulagement des Pauvres honteux, & pour la subsistance des mandians ; & quand Mr de Baville luy voulut faire des complimens sur cette liberalité ; J’aurois grand tort, Monsieur, luy répondit-il, de donner ma personne, & de ménager mon argent. Ce qui est encore plus admirable, c’est qu’on ne vit jamais tant d’humilité au milieu d’un si grand succez. Il croyoit toûjours n’estre bon à rien, attribuant tout le bien qui se faisoit à Sommieres, tantost au travail de ses Collegues, & tantost aux soins & aux bons exemples de ceux qui estoient en autorité dans la Ville. En effet on leur feroit injustice si on ne tomboit d’accord qu’ils ont agy avec toute la sincerité & tout le zele possible. Mr de Villevieille homme de qualité, Lieutenant de Roy, & Frere de Mr de Villevieille, qui s’est tout recemment distingué en Savoye pour la mesme cause, & dont je vous manday la grande action il y a un mois, donnoit ses ordres avec autant de prudence que d’exactitude. Mr de Bosanguet, premier Consul & Gentilhomme qui a esté dans le service, ne perdoit pas une seule occasion de donner bon exemple, & ne se servoit de son credit dans la Ville que pour engager les Habitans à bien faire leur devoir. Mr Philippes Conseiller à Montpellier, se fit un honneur d’estre de la Mission de Sommieres, & crût que rien n’estoit plus glorieux pour luy que de travailler à retirer sa Patrie des tenebres de l’erreur, d’où il estoit luy-mesme sorty il y avoit déja cinq ans. Mr Persin Greffier de la Maison de Ville, donna des avis tres-importans, & fut tres-utile par son application & par son esprit. Madame de Prugneron, Hôtesse du Pere de Chevigny, & la plus considerée entre toutes les Dames de la Religion, fut la premiere à profiter des Exhortations de son Hôte, & à le prier de vouloir bien recevoir sa confession, ce qui donna tant de joye à son Mary, bon Gentilhomme, & ancien Catholique, qu’il appella toûjours depuis le Pere de Chevigny son Bien-faicteur, parce qu’il avoit converty sa Femme, ce qui estoit la chose du monde qu’il souhaitoit le plus ardemment. Les principaux de la Ville conspirant si heureusement avec les Missionnaires, on vit en peu de temps un merveilleux changement, & de deux mille cinq cens nouveaux Convertis qui composoient presque toute la Ville, & qui paroissoient douter encore des veritez de nostre Religion par le peu d’empressement qu’ils avoient d’en faire les fonctions, il n’y en a presque pas à present qui n’assistent souvent à la Messe, qui ne se soient confessez, & qui n’ayent receu la Communion. Il y en a mesme plusieurs qui ont communié deux fois depuis Pasques. En un mot, il ne s’en trouve pas dix qui ne soient bons Catholiques.

Il y a eu une autre Mission de l’Oratoire à Allez au mesme Diocese de Nismes, dont le Pere de la Mirande estoit le Chef, & qui a eu beaucoup de succez. Le Pere de Poüilly y a esté retenu pour y faire ce que Mr l’Abbé Robert fait à Sommieres, où il a esté demandé par une déliberation de la Ville pour y resider encore quelque temps, afin d’achever ce qui reste à faire. Il mande que les choses vont toûjours de mieux en mieux.

[Mort de Monsieur de la Barmondiere]* §

Mercure galant, juin 1686 [tome 7], p. 251-254

 

Je vous ay envoyé quelques Ouvrages de Mr de la Barmondiere Gentilhomme de Beaujolois, & l’un de ceux de l’Academie qu’on a establie depuis quelque temps à Ville-franche. On me mande qu’il y est mort le 24. du dernier mois, âgé seulement de quarante-quatre ans, & qu’il est generalement regretté dans la Province. Il n’avoit pas moins de pieté que d’érudition & d’esprit, & vous le croirez quand je vous diray qu’il estoit digne Frere de Mr de la Barmondiere, Curé de S. Sulpice. Voicy un Sonnet qu’il fit au mois d’Octobre dernier, sur le sujet que donna Mr de Vertron du Paralelle de Sa Majesté avec les Princes qui ont porté le surnom de Grand.

AU ROY.

Sur le Trône des Lys plus de soixante Rois,
LOUIS, jusqu’à tes jours ont porté la Couronne ;
Quelque éloge éclatant que l’Histoire leur donne,
Elle n’a crû devoir le nom de Grand qu’à trois.
***
Clovis l’a merité, soûmettant à la Croix
Avec tous ses Estats son auguste Personne ;
Charlemagne joignant le Germain au François ;
Henry brisant l’effort d’une Ligue felonne.
***
Aux fiers Confederez, leurs Bataillons épais
Rompus & renversez, tu fis signer la Paix ;
Le Raab est témoin que l’Aigle chancelante
***
Tomboit sans ton appuy, sous l’orgueilleux Croissant.
Nous voyons à tes pieds l’Heresie expirante,
L’Histoire te devra trois fois le nom de Grand.

[Défy fait par M. le duc de S. Aignan] §

Mercure galant, juin 1686 [tome 7], p. 254-258

 

A peine le Carrousel fut-il achevé, que Mr le Duc de S. Aignan, dont vous avez veu un Portrait assez ressemblant dans les Vers qui ont esté faits pour cette superbe Feste, fit un Défy digne de sa vigueur & de sa galanterie. Il feignit qu’un Chevalier inconnu, attiré par la haute réputation des Chevaliers François, venoit à la Cour de nostre incomparable Monarque, pour les défier à quatre sortes de Combats ; sçavoir, à courre les Testes, à rompre au Faquin, à rompre en Lice, & à rompre trois Piques à pied au Combat à la Barriere. Une si galante invention pour le divertissement de Sa Majesté, n’a pû qu’estre fort approuvée ; mais le peu d’usage que les Chevaliers ont eu de ces trois derniers Défis, a fait que jusqu’à present son Cartel n’a point esté accepté. Je vous l’envoye. Vous y devez prendre part, puis qu’il est fait pour soûtenir l’interest des Dames.

CARTEL D’ARSACE, sous le nom du Chevalier Discret, aux Indiscrets, s’il y en a quelqu’un qui le puisse estre.

Guerriers audacieux, de qui l’ingratitude
D’abuser des faveurs s’est fait une habitude,
Qui des plus beaux objets cherchant l’affection,
Ne la payez souvent que d’indiscretion,
Vous qui donnez à tout, & que la beauté touche,
Mais dont le cœur en dit beaucoup moins que la bouche,
Que le merite seul d’abord peut émouvoir,
Sans jamais vous reduire aux termes du devoir,
Qui par un goust bizarre & bien digne de blâme,
Blessant également vostre honneur & vostre ame,
A vanter des faveurs trouvez plus de plaisirs,
Qu’un autre à contenter pleinement ses desirs.
***
Vous dont les plus Vaillans estiment le courage,
Dont l’intrepide cœur n’en est pas moins volage,
Quand portant du Dieu Mars la superbe fierté,
Il ne tient rien d’Amour que la legereté,
Un Chevalier Discret, qui pourroit en silence
Du feu le plus ardent cacher la violence,
Par un noble dessein qu’on ne peut trop loüer,
Vous offre le combat, pour vous faire avoüer
Que toûjours le beau Sexe est en droit de nous plaire,
Que plus on est heureux, & plus on doit se taire ;
Qu’enfin pour estre aimé, c’est le meilleur secret
D’estre constant, soûmis, complaisant, & discret.

[Prieres faites à Toulouse, & aux Théatins à Paris, pour rendre graces à Dieu du retour de la Santé du Roy] §

Mercure galant, juin 1686 [tome 7], p. 296-298

 

[...] Il s'est fait une grande Cérémonie à Paris, pour le mesme sujet, & les Théatins de Sainte Anne la Royale célébrèrent le 24 de ce mois un Salut, où l'on chanta le Te Deum en Musique, de la composition de Mr Lorenzani, Maistre de Musique de la feu Reyne. Mr le Nonce du Pape y officia, & donna la Bénédiction du S. Sacrement. Le bruit qui s'estoit répandu de cette Cérémonie, attira quantité de Personnes de la première qualité [...].

Air nouveau §

Mercure galant, juin 1686 [tome 7], p. 333.

Je ne vous dis rien du second Air que je vous envoye. Vous vous connoissez assez en Musique pour en juger par vous mesme.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Pensers tristes & sombres, doit regarder la page 333.
Pensers tristes & sombres,
Venez-vous m'accabler encor parmy ces Ombres ?
Pensers cruels, pensers jaloux,
Ne puis-je estre un moment sans vous ?
Pour arrester le cours de mes inquietudes
Est-ce icy qu'il falloit venir ?
Ces afreuses forests, ces noires solitudes
Ne font que les entretenir.
images/1686-06_333.JPG

[Sur le livre Histoire des Troubles de Hongrie]* §

Mercure galant, juin 1686 [tome 7], p. 337

 

La quatriéme Partie de l’Histoire des Troubles de Hongrie, a esté imprimée un mois plus tard que je ne croyois. Elle se debite presentement chez le Sieur de Luynes, au Palais, à la Justice, & en la Boutique de la Veuve C. Blageart. Elle contient tout ce qui s’est passé en Hongrie entre les Imperiaux & les Turcs pendant les années 1684. & 1685. Je suis Madame, vostre, &c.

[Interruption des Extraordinaires]* §

Mercure galant, juin 1686 [tome 7], p. 337-339

 

Jamais les Questions galantes, & les Ouvrages d’érudition n’ont esté poussez plus loin, que dans les trente-deux Recüeils qui ont esté donnez au Public sous le nom d’Extraordinaires, & ceux qui chercheront quelques Eclaircissemens sur la pluspart des matieres que l’on peut traiter de quelque Science que se puisse estre, & sur les origines les plus inconnuës de beaucoup d’Arts, & de beaucoup d’autres choses, qui pour n’estre point du nombre des Arts, ne laissent pas d’estre fort en usage, sont seurs de les trouver dans ces trente-deux Volumes, & de s’épargner par là beaucoup de recherches qu’ils pourroient faire dans les Bibliotheques, sans estre asseurez de trouver ce qu’ils chercheroient. Ces Recüeils auroient pû estre poussez encore plus loin, mais on a jugé à propos d’en interrompre le cours pendant quelque temps, pour ne se pas donner toûjours de la peine, lors que les Etrangers, qui impriment tous les Ouvrages nouveaux qui ont quelques cours, en emportent tout le profit. Peut-estre que ce retranchement de travail sera cause qu’on donnera quelquefois, mais dans des temps non reglez, comme l’estoient ceux des Extraordinaires, quelques secondes Parties du Mercure, ou quelques Volumes mesmes sous le titre d’Extraordinaires, qui contiendront beaucoup d’Histoires, qui pour estre trop longues, n’ont pû jusqu’icy trouver place dans les Mercures.