1687

Mercure galant, janvier 1687 (première partie) [tome 1].

2017
Source : Mercure galant, janvier 1687 (première partie) [tome 1].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, janvier 1687 (première partie) [tome 1]. §

Au Lecteur §

Mercure galant, janvier 1687 (première partie) [tome 1], p. I-III

AU LECTEUR.

L’ambassade de Siam en France estant finie, & les quatre Volumes qui la composent, remplissant quatre secondes Parties de quatre Mercures, on a souhaité de voir icy en peu de paroles, & comme en un seul corps, tout ce que cette Ambassade contient, parce qu’on les prend les uns pour les autres, quoy que la difference en soit grande. Le premier Volume a pour Titre,

Voyage des Ambassadeurs de Siam en France, contenant la Reception qui leur a esté faite dans les Villes où ils ont passé, leur Entrée à Paris, les Ceremonies observées dans l’Audience qu’ils ont euë du Roy & de la Maison Royale, les Complimens qu’ils ont faits, la Description des lieux où ils ont esté, & ce qu’ils ont dit de remarquable sur tout ce qu’ils ont veu.

Le second Volume a pour Titre,

Suite du Voyage des Ambassadeurs de Siam en France, contenant ce qui s’est passé à l’Audience de Madame la Dauphine, des Princesses du Sang, & de Mrs de Croissy & de Seignelay ; avec une Description exacte des Chasteaux, Appartemens, Jardins, & Fontaines de Versailles, S. Germain, Marly & Clagny ; de la Machine de Marly, des Invalides, de l’Observatoire, de S. Cyr, & de ce que ces Ambassadeurs ont veu dans tous les autres lieux où ils ont esté depuis la premiere Relation ; à quoy l’on a joint le Discours qu’ils ont fait au Roy.

Le troisiéme Volume a pour Titre,

Troisiéme Partie du Voyage des Ambassadeurs de Siam en France, contenant la suite de la Description de Versailles, celle des Chevaux qui sont dans les deux Ecuries du Roy, ce qui s’est passé dans les Visites qui leur ont esté renuës, les experiences de la pesanteur de l’air faites devant eux, la Description de la Galerie de Sceaux, & les Receptions avec toutes les Harangues qu’on leur a faites dans toutes les Villes de Flandres.

Le quatriéme Volume a pour Titre,

Quatriéme & derniere Partie du Voyage des Ambassadeurs de Siam en France, contenant la suite de leur Voyage de Flandres depuis Valenciennes jusqu’à Paris, la Description des Villes où ils ont passé, & les Harangues de tous les Corps, ce qu’ils ont veu à Paris depuis leur retour, avec une Description de tous les lieux où ils ont esté, & de la Feste donnée par Monsieur à S. Cloud, leurs Voyages à Versailles, leur Audience de congé, & les dix-sept Audiences qu’ils eurent le mesme jour, avec tous les Complimens qu’ils ont faits, la liste des Presens qui leur ont esté donnez, ce qui s’est passé à leur départ, & les noms des Personnes distinguées qui vont à Siam.

La moitié du Mercure de Juillet de l’année derniere, & la seconde Partie du mesme Mercure, contiennent une Relation du Voyage que M. le Chevalier de Chaumont a fait à Siam, en qualité d’Ambassadeur de Sa Majesté. On y trouve beaucoup de choses dont il n’a point parlé dans celle qu’il a donnée au Public ; & elle ne doit pas estre confonduë avec les quatre Volumes du Voyage des Ambassadeurs de Siam eu France.

[Prélude] §

Mercure galant, janvier 1687 (première partie) [tome 1], p. 1-5

 

Quand les Souverains ont gagné quelques Batailles, ou forcé des Places à se rendre, les Peuples en rendent ordinairement graces à Dieu avec des démonstrations de joye, mais ces actions de graces ne se font que dans une seule Eglise, & au nom de toute une Ville, au lieu que celles que l'on vient de faire pour remercier Dieu du retour de la Santé du Roy, beaucoup plus considerable à ses Peuples, que s'il avoit gagné des Royaumes entiers, ont esté faites dans toutes les Eglises de Paris. Ceux qui les desservent ont prié deux fois ; d'abord pour demander la guérison de Sa Majesté, & ensuite pour en rendre graces à Dieu. Les premiers d'entre les Corps des Bourgeois qui ont fait faire ces Prieres, ont commencé comme a fait l'Eglise, & ils ont ensuite finy par des actions de graces. Ainsi l'Eglise & les Peuples ont prié chacun sur deux sujets, & ces deux sortes de Prieres s'estant faites à quatre fois differentes, ont esté à l'infiny. J'ay tâché, Madame, de vous en faire une peinure au commencement & dans la fin de ma Lettre de Décembre. Cependant il se trouve que je n'ay pû exprimer qu'imparfaitement le zele des Peuples, & à dire vray; c'est une chose impossible. Toutes les Eglises suffisoient à peine pour ceux qui vouloient faire faire des Prieres, & l'on a esté souvent obligé d'attendre que ceux qui s'estoient mis en estat d'en faire faire les premiers, eussent achevé, pour satisfaire au zele des autres. Les uns ont fait prier pendant un jour entier, les autres pendant trois jours, & les autres pendant neuf ; & enfin, pour rendre ces Prieres plus celebres, on y a ajoûté la Musique, & la décoration des Eglises où tout ce que Paris a de plus riche & de plus superbe a paru, avec les décharges des Boëtes & de la Mousqueterie.

[Description d’une These qui contient toute la vie du Roy] §

Mercure galant, janvier 1687 (première partie) [tome 1], p. 5-74

[...] Enfin tout estoit en mouvement, tout estoit en joye, tout retentissoit d’actions de graces, & il s’est mesme trouvé des Corps & des Communautez, & des Societez qui ont fait recommencer plusieurs fois. Mrs des Manufactures Royales des Meubles de la Couronne établies aux Gobelins, ont esté de ce nombre ; les Corps, & les Communautez n’ont pas seulement fait prier, mais plusieurs personnes qui n’entrent dans aucun Corps, se sont associées pour faire prier, & des particuliers qui n’ont point voulu se faire connoître, & même des Artisans, ont trouvé moyen de faire tenir dans des Convents des sommes considerables, pour rendre graces à Dieu d’une Santé, qui ne doit pas seulement estre précieuse à toute l’Europe puis que le Roy y maintient la Paix, mais encore à toute la terre, ce Monarque faisant des Alliances dans les Païs les plus reculez, & dépensant des sommes immenses pour attirer des Ames à Dieu en les faisant renoncer a l’Idolatrie. Ainsi ce n’est pas sans sujet qu’il est les delices de ses Peuples, & de tous les Etrangers qui rendent justice au vray merite, & qui seront ravis d’apprendre ce que l’on a fait en France pour le rétablissement de sa Santé, puis que toute la terre connoistra par là l’ardeur du zele dont tous les cœurs des François sont penetrez pour un Prince si digne de l’amour qu’ils ont pour luy. Si l’on ignoroit par quels endroits il merite que cet amour ait esté jusqu’a l’excés où il est monté, on n’en douteroit pas en lisant l’Ouvrage que je vous envoye ! C’est le dessein d’une These pour le Roy, fait par un homme qui s’est attaché avec tant d’exactitude à rechercher tout ce qui regarde la Vie de ce Grand Monarque, que je puis vous asseurer qu’encore qu’on ait tâché de l’imiter, & de le copier en beaucoup d’endroits, dans des Ouvrages qu’on a presentez sans avoir osé les rendre publics, il est l’original de tout ce que nous avons vû de cette nature. Le travail de cet Ouvrage, où toutes les dates sont, est quelque chose d’incomprehensible, si je puis parler ainsi, & pour le rendre correct, l’Auteur a eu besoin de toute l’application d’un homme aussi zelé qu’il l’est pour le Roy. Tous les Eloges de ce Monarque, & tout ce qu’on a fait de son Histoire, ne nous en sçauroient faire si bien connoistre la grandeur que cet Ouvrage, & c’est ce qui merite une réflexion bien serieuse, & qui jettera dans l’étonnement tous ceux qui voudront la faire. Il ne s’agit que de marquer ce qu’a fait le Roy, sans détail, sans raisonnement, & sans éloge ; & cependant cette These peut passer pour une chose presque impossible, à cause du grand nombre d’Actions qu’elle contient. Tous les Siecles ne nous fournissent rien de semblable. Je puis, & je dois le dire à la teste d’un Ouvrage qui n’est remply que de Faits, & l’on ne peut en voyant cela que se taire, & demeurer dans l’étonnement. Je n’ay dit qu’un mot de ces faits-là, & ce n’a mesme esté que d’une partie, & j’en ay parlé dans deux cens Volumes. Peut-on dire aprés cela qu’il soit aisé de faire l’Histoire du Roy, si l’on y veut renfermer tout ce qu’il a fait de grand ? Pour moy, je suis persuadé qu’il faudroit un Siecle entier, si l’on vouloit mettre dans leur jour toutes les actions de ce Monarque, & que cette Histoire pourroit remplir seule des Bibliotheques. Vous en serez entierement convaincuë, quand vous aurez lû l’Ouvrage suivant, qui sera d’une grande utilité pour tous ceux qui voudront travailler à cette Histoire. & qui leur épargnera plusieurs années de recherches. Souvenez-vous, s’il vous plaist, que l’Auteur suppose son dessein executé, & qu’il décrit la These comme si elle estoit faite.

DESSEIN DE L’OUVRAGE.

 

Les Actions immortelles de Loüis XIV. estant admirées de toute la Terre, il n’est pas possible de trouver aujourd’huy quelqu’un qui n’en soit pas informé, & qui puisse demander avec raison, pourquoy nous appellons ce Prince Loüis le Grand, mais afin d’en instruire la Posterité, on luy dédie une These qui pourra luy servir de regle dans les sentimens qu’elle doit avoir des vertus héroïques de nostre incomparable Monarque. Les principaux évenemens de son Regne depuis 1658. y sont marquez d’une maniere qui ne sera peut-estre pas desagreable. Quoy qu’il y eust une infinité de belles choses à dire avant ce temps-là, on n’a pas cru devoir remonter plus haut, afin de ne se pas copier soy-mesme dans d’autres Ouvrages, où elles n’ont pas esté oubliées ; mais plus que tout cela, pour n’établir les loüanges de Loüis le Grand que sur des actions d’éclat, dans lesquelles il a toûjours eu la premiere part, & afin de le suivre plus exactement depuis un âge où sa teste, son cœur, son bras & son esprit ont commencé d’agir de concert pour le bien de ses Etats. L’Histoire du Roy est une matiere riche, & un vaste champ ouvert à tous ceux qui s’y voudront exercer ! Heureux mille fois celuy qui le fera avec succés ! On a cru devoir ne s’expliquer qu’en François, soit dans les Inscriptions, soit dans les Conclusions historiques & politiques, parce qu’on a eu pour objet la satisfaction des Personnes qui préferent cette Langue, que nos Victoires ont renduë si florissante dans toutes les Parties du Monde.

DESCRIPTION
de la These.

 

Le Portrait du Roy est placé au milieu d’une Couronne de laurier, relevée de quatorze Médailles, le tout posé sur une dépoüille de Lion. Quatre grands Octogones avec de riches bordures accompagnent le Portrait, & font voir par quatre grandes Inscriptions la gloire du Roy dans les quatre Parties du Monde.

I. INSCRIPTION.

L’Europe inutilement conjurée pour s’opposer à la Course victorieuse de LOUIS LE GRAND, cede à la force de son bras, & se voit contrainte d’accepter la Paix, que ce Monarque luy accorde au milieu de ses Victoires.

II. INSCRIPTION.

L’Asie étonnée des Actions admirables & de la Grandeur du Roy, recherche son Alliance, & députe trois fois des Ambassadeurs du Royaume de Siam avec de riches Presens.

III. INSCRIPTION.

L’Afrique humiliée par les frequentes défaites des Corsaires d’Alger, de Tunis, de Tripoli, de Maroc & de Salé, que LOUIS XIV. a punis jusque dans leurs Forteresses, vient demander la Paix au pied du Trône de Sa Majesté.

IV. INSCRIPTION.

L’Amerique ouverte aux Armes de LOUIS LE GRAND, a esté le Theatre des Victoires qu’il a remportées sur ses Barbares, & des Conquestes qu’il a faites à S. Christophe, à Tabago, & dans toutes les Isles Antilles.

 

Les quatorze Médailles sont autant de Vertus ou Attributs du Roy, representez par des Devises ou Emblêmes, & expliquez dans l’Exerque de chaque Médaille. Comme les Armoiries fournissent le corps le plus naturel & le plus ordinaire des Devises, on s’est fait icy une obligation d’en tirer quatre des Lys, qui composent les Armes de nos Rois, quatre du Soleil, qui est le symbole du Roy, & une du Coq, qui represente la France.

I. MEDAILLE.

Le Soleil éclairant tout le monde avec ces mots, Eclaire l’Univers. Dans l’Exerque pour Vertu, Sagesse.

II. MEDAILLE.

Un Lys avec ces mots, Que son odeur est douce ! Dans l’Exerque, Clemence.

III. MEDAILLE.

Une Justice tenant la Balance, avec ces mots, Soûtien des Loix. Dans l’Exerque, Justice.

IV. MEDAILLE.

Un Laurier. Pour Ame, Chery de Minerve & de Mars. Dans l’Exerque, Liberalité.

V. MEDAILLE.

Un Lys avec ces mots, Des Mortels l’amour & le plaisir. Dans l’Exerque, Bonté.

VI. MEDAILLE.

Un Soleil avec ces mots, Il commande aux Saisons. Dans l’Exerque, Puissance.

VII. MEDAILLE.

Un Coq qui a une patte en l’air. avec ces mots, La terreur des Lions. Dans l’Exerque, Vigilance.

VIII. MEDAILLE.

Un double Foudre en l’air, avec ces mots, La terreur des Ingrats. Dans l’Exerque, Fermeté.

IX. MEDAILLE.

Un Soleil avec ces paroles, A qui rien ne peut resister. Dans l’Exerque, Force.

X. MEDAILLE.

Un Lys avec ces mots, Son odeur va plus loin. Dans l’Exerque, Gloire.

XI. MEDAILLE.

Un Foudre sur un Autel, avec ces paroles, Joüissez de son repos. Dans l’Exerque, Moderation.

XII. MEDAILLE.

Une Cassolete fumante sur un Autel avec ces mots, La gloire des Autels. Dans l’Exerque, Pieté.

XIII. MEDAILLE.

Un Lys, avec un grand rejetton à droite, & trois autres petits à gauche, & pour ame, Nostre seconde espoir. Dans l’Exerque, Bonheur.

XIV. MEDAILLE.

Un Soleil qui parcourt le Zodiaque, avec ces mots, Il ne peut s’arrester. Dans l’Exerque, Vaillance.

 

Dans le milieu de la bordure, au bas du Portrait, sont les Armes de Sa Majesté entourées des deux Colliers des Ordres de Saint Michel & du Saint Esprit, & ornées de Guidons, d’Etendards, & de Trophées, qui jettent des branches d’Olive, pour marquer la Clemence de ce Prince, qui a bien voulu donner la Paix au milieu de ses Victoires. Il y a deux grandes Trompettes qui accompagnent la Couronne, avec deux aisles qui s’étendent de chaque costé, pour porter les Armes de Loüis le Grand jusques aux extrémitez du monde. Tous ces ornemens qui font le haut de la These, sont soûtenus d’une table d’attente, ou parement irregulier d’Architecture d’un ordre Composite, avec sa Corniche, sa Frise, son Architrave, Colomnes, Pilastres, Chapiteaux, Piedestaux & Bases. Un grand Cartouche posé sur le milieu de la Frise, contient ces mots, A LA POSTERITÉ. Le grand Quadre destiné pour les Theses, est échancré par le bas, & posé entre les Pilastres. Il contient quatorze Theses ou Conclusions, qui répondent par ordre aux quatorze Medailles, & qui prouvent chaque Vertu ou Attribut du Roy. C’est par cette raison qu’on s’est attaché à commencer la pluspart des Conclusions par les paroles de la Devise qu’elles justifient. Comme les Theses font le principal fondement de tout cet Ouvrage, on croit devoir en expliquer la conduite avec un peu plus de détail. Le stile en est assez particulier, mais cette Philosophie que nous donnons n’estant pas ordinaire, & ne faisant que de naistre, elle s’est trouvée capable de toutes les formes qu’on a voulu luy donner. Certaines expressions de Poësie, & d’autres libertez qu’on ne prendroit pas ailleurs, en ont rendu les Propositions courtes & serrées en des endroits, & plus étenduës en d’autres. Tout cela est permis en cette occasion, où l’on doit dire beaucoup de choses en peu de paroles. On peut mesme parler Ecolier, si cette expression m’est permise, pourveu qu’on le fasse pour exprimer plus naturellement les opinions que l’on propose. Nous n’avons pû nous dispenser d’employer des chifres pour marquer les jours & les années de plusieurs évenemens. Cela n’est pas sans exemple, puis que nous voyons tant de Theses remplies de semblables chifres. Cependant on ne l’a fait que lors que les Actions du Roy ne sont pas marquées dans les autres Médailles dont nous parlerons dans la suite. Cette Chronologie a son utilité, & le Public ne sera peut-estre pas fâché de la trouver observée dans cet Ouvrage avec assez de soin. Les Theses ont pour Titre ;

CONCLUSIONS
Historiques & Politiques.

QUESTION.
Qui devez-vous estimer le plus Grand de tous les Monarques de la Terre ?

I. CONCLUSION.

LOUIS XIV. donné de Dieu d’une maniere miraculeuse, éclaire l’Univers par les rayons éclatans de sa Sagesse. Cette Vertu parut en luy beaucoup de temps avant l’âge ordinaire. Peut-on dire qu’il ait manqué une seule fois à prévoir jusqu’aux moindres évenemens dans tout ce qu’il a entrepris ? Qu’on montre un Monarque plus exact à remplir ses obligations, mieux reglé dans sa conduite, & plus assidu au gouvernement de son Etat. Cet Auguste Prince également habile dans la Paix & dans la Guerre, est l’ame de son Cabinet. Ses secrets sont impenetrables. Il donne autant d’oracles que de réponses, & préfere aux divertissemens les plus innocens au travail qu’il devore, pour ainsi dire, afin de soulager son Peuple. Considerez avec quelle Sagesse il commença par le reglement de ses Finances. Ensuite ayant racheté Dunquerque, il osta aux Etrangers le seul Port qui leur restoit en France, & aux Corsaires une ancienne retraite. Comparez nos Troupes d’aujourd’huy avec celles des Regnes précedens ; faites reflexion sur le discernement qu’il a dans le choix de ceux qui le servent, sur la force & sur l’étenduë de son Genie. Voyez le bel ordre qu’il a étably dans tout son Royaume, & vous m’accorderez facilement que Loüis XIV. est le plus Sage de tous les Monarques de la Terre.

II.

Quand le Roy paroist armé, c’est pour obliger des Ennemis à profiter de sa Clemence. Telle fut la Bataille des Dunes qui fit conclure la Paix des Pirenées. Combien de fois LOUIS a-t-il épargné le sang des Vaincus ? Sa Clemence empescha le Sac de Valenciennes, (1677.) Sans elle Alger, Tunis, Tripoli, Genes, & tant d’autres Places auroient esté des buchers de victimes deuës à la justice de ses Armes. Amsterdam, la Haye, & le reste de la Hollande desolée (1672.) & mesme toute l’Europe seroit encore un Theatre de feu & de sang, si ce Grand Prince ne se fust vaincu luy-mesme, & s’il ne se fust arresté au milieu de ses Victoires, en forçant les Ennemis d’accepter la Paix, & ensuite une Tréve de vingt ans, aprés en avoir prescrit les conditions, qui ont rendu le repos à l’Eglise, & qui font avoüer que Loüis XIV. est le plus Pacifique de tous les Monarques de la Terre.

III.

Il soûtient les Loix par la Justice de ses Ordonnances & de ses Edits. Lisez son Code, qui fait la regle de nos Juges. Admirez tous les Arrests que ce Monarque a rendus, comme il a puny les Duellistes, les Empoisonneurs (1676.) & les Usuriers (1680.) Que dites-vous de ce bel ordre étably pour l’Administration de la Justice ? Montrez-moy un Etat où la Police soit mieux reglée qu’en France. Le Roy a-t-il jamais accordé ou refusé aucune grace qu’il ne fust juste d’accorder ou de refuser ? Mais quand vous vous souviendrez qu’il a jugé luy-mesme contre ses propres interests dans l’affaire du Fossé [1680.] dites que Loüis XIV. est le plus Juste de tous les Monarques de la Terre.

IV.

Pour estre chery de Minerve & de Mars, il faut proteger les beaux Arts, & récompenser dignement les Vertus militaires. Nos Muses donneront des loüanges éternelles à Sa Majesté pour avoir fait bastir l’Observatoire, pris la protection de l’Academie Françoise [1672.] institué celles de Soissons, d’Arles, de Nismes, de Villefranche, & d’Amiens. Le Journal des Sçavans, qui a commencé en 1660 est deu à l’amour que cette protection a inspirée pour les belles connoissances ; & le Mercure Galant qui a commencé en 1677. est un fruit de la grandeur de ses Actions, qui en fournissent la matiere. Il a étably l’Academie Royale des Arts & des Sciences, celles de Peinture & de Sculpture, les Ecoles de Droit Civil à Paris, [1679.] & de Droit François par tout le Royaume [1681.] Combien d’habiles Ouvriers entretenus pour des Ouvrages rares qu’ils ont portez à la derniere perfection ! Faites reflexion sur le grand nombre de Sçavans qui sont dans ce Royaume, & sur la politesse que l’on y remarque depuis vingt ans. Admirez la Magnificence de ce Prince dans l’Entrée solemnelle qu’il fit à la Reyne son Epouse le 26. Aoust 1660. Considerez les Cours, les Rampars, les Arcs de Triomphe, l’Edifice du Pont Royal, les belles Fontaines, l’élargissement des Ruës, le Quay de la Riviere, & les autres ornemens ajoûtez à la Ville de Paris. Que pensez-vous des Bastimens superbes de toutes les Maisons Royales, de ceux du Louvre & de ceux de Versailles, qui peut passer pour une huitiéme Merveille du monde ? Voyez les belles dépenses que LOUIS LE GRAND a faites dans les Carrousels de 1662. 1685 & 1686. les Divertissemens de l’Isle enchantée & de la Paix, avec les grands Balets, les Machines surprenantes. & les representations des Opera, sans parler de la richesse de ses Meubles & de la magnificence de sa Cour. Mais sur tout, accordez-moy que c’est dans ce Royaume que les vrais services de la Noblesse sont reconnus par le rétablissement de l’Ordre de S. Lazare [1673.] par l’Institution des Compagnies des jeunes Gentilshommes [1682] & par la fondation de la Maison Royale des Dames & Demoiselles de Saint Cyr [1686.] Les vieux Soldats, où ceux qui ont esté estropiez dans le service, sont nourris & soulagez le reste de leur vie dans l’Hostel Royal des Invalides, fondé le 14. Février 1671. Donc Loüis XIV. est le plus Magnifique & le plus Liberal de tous les Monarques de la Terre.

V.

Le Roy est l’Amour & le Plaisir de son Peuple, dont il est le Pere. Sçavez-vous le grand nombre de Places qu’il a bien voulu rendre en consideration de la Paix, & avec combien de bonté il a remis aux Espagnols trois millions cinq cens mille livres qu’ils luy devoient pour les Contributions de la Flandre (1684) & comme il leur a rendu deux gros Galions qu’ils avoient justement perdus dans une défaite en 1686 ? LOUIS LE GRAND a délivré jusqu’à present plus de 1200. Esclaves de ses Sujets, & de differentes Nations à Alger, outre les 600. qu’il aura de Tripoli, & tous ceux qu’il doit retirer de Tunis & de Maroc. Il y a plus ; sa bonté luy a fait diminuer les Tailles de trois millions prés de 500. mille livres (1684.) donner de grandes sommes pour occuper les Pauvres à des Travaux aussi utiles à leur misere qu’à l’ornement des Villes (1685.) faire des charitez considerables pendant la famine de 1662 & le grand Hiver (1684.) & une diminution tres-grande pour ses Droits sur le bled. (1685.) Ses mains Royales occupées à porter le Sceptre, n’ont pas dedaigné depuis six ans de composer des Remedes pour le soulagement, & la guerison de ses Sujets ; & de leur en donner luy-mesme les secrets qu’il a publiez depuis peu, & qu’il n’avoit achetez que pour son Peuple. N’oubliez pas encore cet artifice benin dont il vient de se servir, pour cacher à toute sa Famille Royale & à son Royaume une maladie qui le tourmentoit, afin de nous épargner l’inquietude & la douleur de sçavoir un si bon Prince dans les peines. Reconnoissez donc de bonne-foy qu’il merite mieux le nom de tres-bon que cet Empereur Romain à qui on le decerna, puisque LOUIS XIV. vray Pere de la Patrie, est le plus Aimable & le Meilleur de tous les Monarques de la Terre.

VI.

Il commande aux Saisons, lors qu’il trouve le moyen de faire la Guerre au milieu de l’Hiver. Qui pourra comme luy parvenir à cette puissance, d’assieger en mesme temps quatre Villes tres-fortes (1672.) & de faire recevoir ses Loix en un mesme jour à deux Places aussi considerables que Strasbourg & Cazal ? Il a dompté les Iroquois (1665.) & reduit en six jours les Algeriens, que tout le Regne de l’Empereur Charles-Quint avec sa fortune n’eut pas seulement le pouvoir d’intimider. N’a-t-il pas contraint les Corsaires de Tripoli, de Maroc, de Tunis, de Salé, avec ceux de Majorque (1681.) aprés le avoir soumis, de respecter nos Vaisseaux, & de rendre tous nos Esclaves ? Considerez ce que c’est que de joindre les deux Mers en Languedoc par un Canal long de 64. lieuës, commencé le 16. Avril 1667. & achevé dans le mesme mois de l’année 1681. Faire construire l’Acqueduc de Maintenon pour la conduite des Eaux de la Riviere d’Eure, (1685.) dont l’édifice surpasse tout ce que les Romains ont entrepris de semblable. C’est la puissance du Roy qui l’a fait triompher sur Mer des Anglois en 1666. des Hollandois le septiéme Juin 1672. & encore deux fois de la mesme Nation en 1673. & à Stromboli, en Sicile, (Janvier 1676.) des Espagnols, & des Hollandois devant Augusta le 22. Avril suivant, où le fameux Ruiter qui commandoit fut blessé à mort, le deuxiéme Juin de la mesme année devant Palerme, où l’on remporta la plus glorieuse Victoire de Mer qui se soit veuë depuis la Bataille de Lepante, les Flotes d’Espagne & de Hollande ayant esté défaites, & ensuite brûlées dans le Port, dont le miserable reste fut vaincu le 3. Mars 1677. à Tabago dans l’Amerique. Donc LOUIS XIV. est le plus Puissant de tous les Monarques de la Terre.

VII.

La terreur des Lyons, c’est cette vigilance qui fait voir le Roy, le premier à la teste de ses Armées, moissonner des Palmes & des Lauriers avant que le Printemps nous donne des fleurs. C’est encore cette application exacte & reguliere à gouverner par luy-mesme, & à tenir tous les jours ses Conseils. Le soin qu’il prend de connoistre ses Officiers, de se faire rendre compte de tout, & de prévoir dans le détail à mille choses qui rendent l’execution de desordres plus facile & plus prompte. N’avons-nous pas veû bastir une Galere en dix heures ? (1679.) N’est-ce pas par les soins de Sa Majesté qu’il y a tant de Gardes & d’illuminations, pour la seureté de Paris ? On luy doit aussi l’établissement des Compagnies des Indes Orientales & Occidentales, & de plusieurs belles Manufactures ; une Compagnie de Guinée (1685.) avec beaucoup d’autres avantages procurez à ce Royaume, pour y faire fleurir le Commerce avec succez. La Navigation est par venuë à une telle perfection chez les François, par la vigilance de LOUIS LE GRAND, que les autres Nations l’apprennent de nous. Toutes nos Provinces ont acquis la seureté par la bonté des Ports de Mer ; par les armemens des Flotes, par la fortification des Villes frontieres, & par la construction de Saar-Louis, d’Huningue, & de Mon-Louis, sans parler de tant de fortes Citadelles basties par les Ordres de LOUIS XIV. le plus Vigilant de tous les Monarques de la Terre.

VIII.

LOUIS prend quelque fois le foudre en main, pour punir les ingrats, pour maintenir les droits de sa Couronne, & pour vanger la foy publique, & le droit des gens violez (1674.) dans l’Assemblée de Cologne. Si la Garde Corse a la témerité d’attaquer un Ministre Public, le Roy sçait en tirer la satisfaction deuë à sa dignité, obtenant tout ce qu’il pourroit pretendre, par le traité de Pise conclu le 12. Mars 1664. Quel avantage ont remporté les Espagnols en refusant le pas à nostre Ambassadeur à Londres (1661.) sinon d’avoir esté obligez depuis à déclarer publiquement qu’ils cedent par tout la préseance aux François ? Pourquoy disputer un titre qui ne leur appartient plus ? A quoy bon troubler les Habitans d’Andaye, & donner tant de remises aux Negocians de France pour éviter de conclure l’affaire de l’Indulte ? C’estoit pour faire voir à toute l’Europe, que la fermeté de LOUIS LE GRAND suffisoit pour maintenir son titre de Duc de Bourgogne : (1680.) pour remettre ses Sujets en possession de la Pesche (1685) & pour faire trembler toute l’Espagne en tenant une grande Flotte bloquée devant Cadix (1686.) Le Turc a veu les Corsaires de Tripoly poursuivis & battus jusque dans le Port de Chio (1681.) & nostre Flotte victorieuse menaçant les Dardanelles, porter l’épouvante jusque dans le cœur de son Empire. Ces preuves de la fermeté du Roy, & la vigueur de son Ministre en 1677. 1680. & 1681. ont obligé le Sultan d’accorder le Sopha à nostre Ambassadeur, & d’autres Privileges pour la Religion Catholique, ce qui fait voir qu’il estime davantage LOUIS LE GRAND que tous les autres Monarques ensemble. Nos Alliez ont aussi goûté les fruits de sa fermeté, lors qu’il leur a fait rendre (1679.) les Villes & les Provinces qu’ils avoient perduës pendant la Guerre ; & toute l’Europe vient de reconnoistre par la réünion de plus de 200. Villes fermées, 800. gros Bourgs & 3000. Villages usurpez sur la France pendant les Revolutions de ce Royaume, que LOUIS XIV. est le plus ferme de tous les Monarques à maintenir les droits de sa Couronne.

IX.

Rien ne peut resister à la force d’un Roy Invincible, qui s’est fait luy mesme une route sur le Rhin, malgré son extrême largeur, sa rapidité & sa profondeur ; mettant en déroute une Armée qui vouloit luy eu disputer le passage à Tolvvis, & qui fut contrainte de le luy abandonner (le 12. Juin 1672.) Cet incomparable Heros a finy tres-heureusement plus de 30. Guerres, gagné plus de 60. Batailles ou Combats, bordé de ses Conquestes le Rhin, le Vvahal, la Moselle, la Meuse, l’Issel, la Lys, l’Escaut, & pris plus de 600. Villes par Sieges, Traitez, ou protection. Aprés un si grand nombre de Conquestes, que dites-vous de la force des Places, les croyez-vous imprenables ? Je vous opposeray aussitost Dunquerque, le Fort de Schein, Mastreic, Valenciennes, Cambray, Saint Omer, Ypres, Puicerda, Strasbourg, Luxembourg, & tant d’autres que vous voyez parmy les Conquestes d’un Roy toûjours le plus fort. Voulez-vous au contraire soûtenir qu’il n’y a point de Villes qu’on ne puisse prendre ? Sans doute vous avez oublié que nos Ennemis ont levé le Siege devant Voërden, & devant Charleroy, (1672.) devant Oudenarde qu’ils assiegeoient avec trois Armées, (Septembre 1674.) devant Haguenau & Saverne (1675.) devant Augusta en Scicile [Janvier] devant Mastreic le 27. Aoust 1676. & devant Charleroy le 14. Aoust 1677. Accordons-nous, & disons qu’il n’y a point de Villes imprenables si Loüis les attaque, & qu’elles ne peuvent estre forcées lorsqu’il les deffend. Vous sçavez aussi que nostre Flotte Victorieuse a toûjours battu celles de nos Ennemis ; mais eussiez-vous cru, si toute la terre ne vous en asseuroit que le brave d’Erlingue avec son seul Vaisseau, eust osé livrer le Combat à 37. Galeres tant Espagnoles que Genoises [1684.] & qu’aprés les avoir battuës, & leur avoir tué 2000 hommes, il eust pû heureusement se retirer dans son Port. Donc LOUIS XIV. est le plus fort de tous les Monarques de la Terre.

X.

Dans les Panegyriques de LOUIS LE GRAND, je prefere toûjours la verité toute simple, à la figure & aux Allegories. Je suis donc entierement persuadé qu’il suffit icy d’establir sa gloire sur ses propres actions & sur des faits connus de toute l’Europe. Qui osera nier que l’Empereur n’ait eu besoin du secours de France, [1664.] pour sauver la Hongrie & toute l’Allemagne qui alloit devenir la proye des Ottomans ? Le Grand Duc de Moscovie a recherche l’Alliance du Roy par ses Ambassadeurs [1668. & 1681.] l’Empereur des Turcs [1669.] un Roy de Guinée [1670.] & le Roy de Siam fait voir par des Presens magnifiques, & par trois Ambassades qu’il envoye du milieu de l’Asie, [1682.] Octobre 1684. & en Aoust 1686. quelle estime il fait de LOUIS LE GRAND. Ce Prince qui ne se sert de cette estime que pour le bien de la Religion, n’a-t-il pas veu un Souverain à ses genoux ? [1685.] & l’un de ses Generaux donner un Passeport le 24. Septembre 1677. à l’Armée Ennemie beaucoup plus nombreuse que la nostre, pour sortir d’un lieu où elle venoit de se sauver, aprés avoir esté battuë ? Le grand Gustave qui appelloit il y a 56 ans les autres Monarques, des Roitelets en comparaison du Roy de France, s’il vivoit aujourd’huy, ne diroit il pas avec nous que la Gloire de LOUIS XIV. ne peut avoir de bornes, & que c’est avec justice qu’il est le plus estimé de tous les Monarques de la Terre ?

XI.

Joüissez de son repos, Princes inutilement jaloux d’une grandeur à laquelle vous ne parviendrez jamais. L’on a refusé les Secours qu’il offroit si genereusement ; mais sans luy on n’a pû aller à la Victoire, puis qu’il estoit le Maistre du chemin qui vous y a conduits. Les droits que ce Prince avoit sur le Palatinat, ont-ils esté capables de le tenter ? Point du tout. Il a cherché les voyes de douceur, & fidele dans la parole qu’il avoit donnée de ne point agir, il a cedé ses propres avantages pour ne pas interrompre le cours des vostres. Qui peut dire qu’il l’a jamais veu en colere ? Ennemy des loüanges & de la flatterie, toûjours affable, toûjours patient, & le plus moderé de tous les Monarques.

XII.

La gloire des Autels, c’est la Pieté dont LOUIS LE GRAND, a donné, & donne tous les jours de si grands exemples. S’est-il servy de ses avantages lors qu’il a veu l’Allemagne embarassée, & ne doit-on pas à sa moderation ceux que vous avez remportez en Hongrie ? C’est le Deffenseur de l’Eglise, le Protecteur des Evesques, & le Destructeur de l’Heresie. Il a fourny de grandes sommes aux Venitiens (1658.) pour faire la Guerre qu’ils estoient obligez de soûtenir. Il a proscrit les Blasphêmes & les Impietez par ses Déclarations & Edits de 1665. 1667. & 1679. L’Eglise a recouvré sa premiere tranquillité sur les sentimens & sur les points délicats de la Religion, par les soins de ce Monarque qui a envoyé des secours considerables de Troupes en Candie, contre les Turcs. [1668. 1669.] & employé ses forces de Mer contre-eux [1670.] Il a restably l’exercice de nostre Religion dans les Villes Heretiques d’Orsoy, de Rhimberg, de Burich, d’Vtrech, &c. [1672.] de Geneve en 1680. & de Strasbourg en 1681. Ce Prince tres-pieux a remis en possession de la Garde du S. Sepulcre les Religieux de S. François 1677. & leur continuë sa protection Royale, & ses liberalitez dans toute la Terre Sainte. Il a écrit au Roy de Perse en faveur des Catholiques, & en a obtenu tout ce qu’il a demandé pour nos Missionnaires. Les grandes Conversions qu’il a procurées dans le Royaume de Siam, & dans la Chine depuis plusieurs années, l’Edit de 1681. qui deffend à ses Sujets de quitter nostre Religion, & cet autre de 1683. qui oblige les Idolatres qui renoncent à leurs erreurs, d’embrasser la Communion Romaine ; En un mot ce qu’il a ordonné (1684) pour le restablissement des Eglises & des Presbiteres, & ce Mandement pour faire observer la modestie dans les Eglises, 1686. tout cela ne montre-t-il pas la veritable Pieté de LOUIS LE GRAND ? Ajoustons, qu’aprés la Conversion volontaire & libre de plus de six cens mille Ames reünies à l’Eglise Catholique depuis plusieurs années, que le zele, les soins charitables, & les belles Ordonnances du Roy les sollicitent à se convertir, il a revoqué l’Edit de Nantes, fait abbatre tous les Temples des Huguenots, & aboly l’Heresie dans son Royaume, en une année, ce que ses Predecesseurs n’avoient pas fait pendant plus d’un siecle : laissant à la posterité un bel exemple dont le Duc de Savoye a le premier suivy les traces. Ces grands services rendus à l’Eglise, sans parler de ceux qu’on attend, prouvent que LOUIS XIV. est le plus Pieux de tous les Monarques.

XIII.

C’est pour les grandes Vertus du Roy, que Dieu l’a comblé d’un juste Bonheur, en luy donnant une nombreuse Posterité. Heureux dans l’Alliance qu’il a faite avec une Reyne parfaite & remplie des graces du Ciel : heureux dans un Fils incomparable, & dans son Auguste Epouse ; heureux enfin dans un Frere selon son cœur, & dans toute sa Famille Royale qu’il voit entierement devoüée à son service. Ses Ministres sont vigilans, éclairez & fidelles ; son Royaume florissant, & ses Armes invincibles. Il est chery de son Peuple, estimé de toute la Terre, & par tout Victorieux. Ainsi lors que vous dites que les Destins sont pour luy sans contrainte, & que c’est parce qu’il a enchaîné la Fortune qu’il est le plus Grand des Rois, reconnoissez en mesme temps que c’est par sa propre vertu qu’il est le plus Grand de tous les hommes. Voila la seule raison pour laquelle Loüis XIV. est le plus Heureux de tous les Monarques de la Terre.

XIV.

Il ne peut s’arrester dans la belle route des Heros ; ce Prince Magnanime, nourry dans le sein de la Victoire. Ses Ennemis mesme avoüent qu’il ne se contente pas de marcher le premier à la teste de ses Armées, mais qu’il les mene en personne au Combat & à la Victoire, d’où vient qu’il est plus besoin de le retenir que de l’exciter. Sa Vaillance ne nous fit-elle pas une frayeur sans pareille, lors qu’aprés s’estre exposé à mille dangers, & à des fatigues inconcevables au Siege de Dunquerque [1658.] il demeura luy seul intrepide pendant une dangereuse maladie qui desesperoit tout son Royaume ? Pouvez-vous sans admiration & sans larmes penser avec quelle grandeur d’ame LOUIS a souffert sa blessure du 2. Septembre 1683. & une Operation accompagnée de douleurs aiguës ? [18. Nov. 1686.] Suivez ce Vainqueur en Franche-Comté qu’il prit luy-mesme en dix jours au milieu de l’Hyver : & en Lorraine qu’il soûmit en peu de jours. Il a conquis en personne soixante-cinq Villes en deux mois, fortifiées dans l’étenduë d’onze Provinces ; Mastrich, que l’on estimoit imprenable, en treize jours : & les années suivantes, Valenciennes, Gand, & Ypres. Assiegeant la Ville de Bouchain en 1676. les Armées des Confederez tenterent le secours de cette Place. Le Roy alla au devant, leur presenta la Bataille qu’ils eviterent par la fuite. Voulez-vous d’autres Victoires remportées sur Terre par LOUIS LE GRAND ? Je vous rapporte les principales. Ce sont les Batailles ou Combats des Dunes le 14. Juin 1658. de S. Godart au passage du Raab en Hongrie le premier Aoust 1664. En 1674. de Zeinzein, de Molsheim, de Senef contre trois Armées, d’Emsheim, dans laquelle vingt mille François défirent trois Armées de soixante & dix mille hommes, commandez, par vingt Princes Souverains, ou de Maison Souveraine ; de Mulhausein en 1675. de Turshein, aprés laquelle les Confederez furent chassez, & contraints de repasser le Rhin. En 1677. l’onziéme Avril celle de Cassel, remportée par Son Altesse Royale, qui defit les Espagnols & les Hollandois, commandez par le Prince d’Orange, & prit ensuite Saint Omer. Les Batailles d’Epoüille en Catalogne, de la Seille, & d’Ausembourg. Le Combat du Pont-à-Mousson, & de Koquerberg, outre vingt-cinq mille hommes perdus par les Allemans dans le Campement de Mouzon. En 1678. les Combats de Rheinsfeld le 8. Juillet, & de Saint Denis le 14. Aoust. En 1684. le 16. May le Combat de Pont. Major, au passage de la Riviere de Tur. Reconnoissez donc que la Vaillance du Roy l’a rendu le plus grand Conquerant & qu’un concours si heureux de tant de Vertus Morales & Politiques, prouvent invinciblement que Loüis XIV. est celuy que vous devez estimer le plus Grand de tous les Monarques de la Terre.

 

Dans le grand Quadre aux deux costez des Theses ou Conclusions historiques & politiques, sont marquées les principales Conquestes du Roy selon l’ordre des années ; afin qu’on puisse les trouver tout d’un coup, & d’une seule veuë, en lisant les autres Actions de ce Prince Chaque conqueste à sa marque pour en connoistre la situation selon la Geographie ; cela se trouve expliqué dans un Cartouche posé sous le Quadre.

[Eglogue de Madame des Houlieres] §

Mercure galant, janvier 1687 (première partie) [tome 1], p. 98-110

 

Ce n'est point assez de vous avoir donné en Prose un abregé des surprenantes Merveilles du Regne du Roy; il faut encore vous en faire voir un Eloge en Vers dans une Eclogue qui a l'approbation de tous ceux qui s'y connoissent. Elle est de l'Illustre Madame des Houlieres. Ce nom vous répond de la beauté de l'Ouvrage.

 

LOUIS.

ECLOGUE.

 

Dans les vastes jardins de ce charmant Palais

Que le Zephirs [sic], les Nayades & Flore

Ont résolu de ne quitter jamais,

Iris & Celimene au lever de l'Aurore

Chantoient ainsi LOUIS sous un ombrage épais.

 

CELIMENE.

Admirez cet amas superbe

D'Eaux, de Marbres & d'Or qui brillent à nos yeux,

Et de l'Antiquité ces restes précieux ;

Cette terre où naguere à peine croissoit l'herbe,

Qu'humectoit seulement l'eau qui tombe des Cieux,

Par le pouvoir d'un Prince en tout semblable aux Dieux,

Renferme dans son sein mille & mille Nayades,

Se pare des plus belles Fleurs,

Et pour elle Pomone & les Hamadryades

Sont prodigues de leurs faveurs

LOUIS, plus grand qu'on ne figure

Le Dieu qui préside aux Combats,

De cent Peuples vaincus augmente ses Estats,

Mais il est dans ces lieux Vainqueur de la Nature.

 

IRIS.

Par ses rares Vertus vos yeux sont ébloüis :

Il faut en parler pour vous plaire.

On vous voit, quoy qu'on puisse faire,

Revenir toujours à LOUIS.

 

CELIMENE.

D'un si juste panchant bien loin de me défendre,

Je fais gloire de l'avoüer.

Iris, il est plus fort qu'on ne le peut comprendre.

Mon plus doux plaisir est d'entendre

Loüer ce Conquerant [par] qui sçait bien loüer.

Malgré moy ne pouvant le suivre

Dans ses prompts & fameux Exploits,

Je ne pus me résoudre à vivre

Inutile au plus grand des Rois.

D'une noble audace animée

A sa gloire en secret je consacray mes jours,

Et pour faire en tous lieux voler sa renommée,

Des neuf sçavantes Soeurs j'imploray le secours.

Iris, pour ces soins Heroïques

Je negligeay les autres soins.

Mes infortunes domestiques

En sont de fidelles témoins.

 

IRIS.

Le beau zele qui vous anime,

Vous empesche de voir quels perils vous courez ;

Vos veilles, vos transports vous rendent la victime

De ce Roy que vous adorez.

 

CELIMENE.

Hé! Que fais-je pour luy que l'Univers ne fasse !

Depuis les Climats où la glace

Enchaisne la fureur des Mers,

Jusque dans les Climats où l'ardeur est extrême,

Est-il un peuple qui ne l'aime,

Et qui n'ait pas sur luy toujours les yeux ouverts ?

 

IRIS.

Je le sçay. Cependant si vous vouliez m'en croire.

 

CELIMENE.

Ah ! Changez de discours, vos soins sont superflus,

Avec moy celebrez sa gloire,

Ou je ne vous écoute plus.

 

IRIS.

Hé bien, de ses hauts faits rappelons la memoire.

Qu'ils sont beaux, qu'ils sont éclatans !

Il a plus d'une fois foudroyé les Titans.

Sa pieté remporte

Une pleine victoire

Sur un Monstre orgueilleux que respectoit le temps.

Il n'est pour luy rien d'impossible

Mais il est plus charmant encor qu'il n'est terrible,

Et jamais son abord n'a fait de Mécontens.

 

CELIMENE.

Il se laisse attendrir ; que sans crainte on se plaigne,

Tous les malheureux sont oüis.

Quel bonheur d'estre né sous son auguste Regne !

Que je sçay bien goûter ce bien dont je joüis !

Quels que soient mes malheurs, je n'envie à personne

Le faste & les amis que la fortune donne,

Chanter LOUIS LE GRAND borne tous mes désirs.

Ce plaisir où je m'abandonne

Me tient lieu de tous les plaisirs.

 

IRIS.

Un Roy de ces lointains Rivages

Que dore le Soleil de ses premiers rayons

Par de magnifiques hommages

Confirme de LOUIS ce que nous en croyons,

 

CELIMENE.

En vain des diverses Provinces

Qui voudroient se soûmettre aux Loix de ce Heros,

Les Jaloux & superbes Princes

S'unissent pour troubler son glorieux repos.

Si par des efforts témeraires

Ils violent la Paix dont LOUIS est l'appuy,

Quel Dieu peut les sauver de ces vastes miseres

Que le sort des Vaincus traisne en foule aprés luy !

 

IRIS.

Quand le Ciel menaçoit une teste si chere.

 

CELIMENE.

Ah ! Cruelle Iris, taisez-vous ;

Ne renouvellez point une douleur amere ;

De tous ses maux passez je perce le mystere.

Il estoit regardé comme un Dieu parmy nous,

Et de ses sacrez droits jaloux

Le Ciel nous a fait voir une si belle Vie.

Aux infirmitez asservie.

Mais enfin que gagna son injuste couroux ?

LOUIS ne ploya point sous ces terribles coups.

A quelques projets qu'il s'attache,

Quelque soit le peril qui menace ses jours,

On ne sçait où l'homme se cache.

Mais le Heros paroist toujours !

 

Pan, suivy de plus d'un Satyre,

A ces mots parut à leurs yeux,

Et leur donna l'effroy que la pudeur inspire

Au redoutable aspect de ces folastres Dieux.

Souffrez que sous d'heureux presages,

Nymphes, leur dit ce Dieu des Bois,

Je mêle dans ces verds boccages

Mes doux concerts à vos charmantes voix.

Chantons le plus aimable & le plus grand des Rois.

Des Dieux mesmes LOUIS merite les hommages,

Rasseurez vos esprits, ne craignez point d'outrages,

Je ne suis point icy ce que je suis ailleurs,

Il faut s'y faire violence,

De LOUIS l'auguste presence

Est un terrible frein pour les mauvaises moeurs.

Venez donc avec confiance

Chanter encore un Roy qui regne sur les Coeurs.

Ah ! Sans la frayeur qui me glace,

Luy dit lors Celimene avec un fier sousris,

J'oserois bien du chant vous disputer le prix.

Ne condamnez point mon audace,

Vos chalumeaux ont d'agreables sons ;

Mais quand LOUIS LE GRAND anime mes chansons,

Je le disputerois mesme au Dieu du Parnasse.

Alors plus viste sur le Fan

Ne fuit l'ardent Chasseur qui des yeux le dévore,

D'Iris suivie elle abandonne Pan,

Et fut resver ailleurs au Héros qu'elle adore.

[Ceremonies observées aux Obseques de feu Monsieur le Prince] §

Mercure galant, janvier 1687 (première partie) [tome 1], p. 122-149

 

Je vous ay mandé dans ma Lettre du dernier mois, que le Corps de feu Monsieur le Prince avoit esté exposé à Fontainebleau sur un Lit de parade pendant plusieurs jours. Il fut couvert d'un grand Poële de Velour noir, croisé de Moire d'argent, & mis sur une Estrade qui estoit drapée de noir, & qu'on avoit élevée de trois degrez. Il y avoit aux quatre coins de grands Ecussons aux Armes du Prince défunt, en broderie d'or & d'argent. Le Manteau de Prince du Sang, la Couronne de Vermeil doré, le Collier de l'Ordre du Saint Esprit, & le Cordon bleu estoient sur un Carreau de Velours noir au pied du Cercueil, le tout couvert d'un Crespe. Ce Cercueil estoit sous un grand Dais de Velours noir à frange d'argent, orné d'Ecusson en broderie, & l'on avoit mis sur les degrez de l'Estrade un tres-grand nombre de Chandeliers d'argent avec des Cierges. La chambre où fut mis le Corps estoit entierement tenduë de deüil avec deux lez de Velour semez d'Ecussons aux Armes du Prince, & aux deux costez de l'Estrade estoient deux Autels, sur lequel on celebra la Messe tout le matin. L'antichambre estoit seulement tenduë de drap, & sur le drap de la Porte il y avoit deux lez de Velour; l'Escalier estoit de mesme, & il y avoit aussi deux lez de Velours, & des Ecussons sur le devant de la porte, tendu de drap noir depuis le haut jusqu'en bas.

 

Monsieur le Prince de Conty, choisy par le Roy pour aller jetter en son nom de l'Eau-bénite sur le Corps, arriva à Fontainebleau le 21. de Décembre, & fut receu à la descente du Carosse par Monsieur le Duc, à present Monsieur le Prince, qui estoit accompagné de Ms les Ducs de la Tremoüille & de Coislin, Parens, & environné de ses Gentilshommes. Mr de Saintot, Maistre des Ceremonies, conduisit Monsieur le Prince de Conty à un Apartement tendu de deüil, qu'on luy avoit préparé, & dans lequel il se revestit d'une grande robe de deüil. La marche commença de cette sorte. Vingt Suisses de la Garde précedez par un Exempt estoient à la teste, suivis des Herauts de Saintonge, de Charolois, de Picardie & de Roussillon, marchant deux à deux avec leurs Cottes d'armes par-dessus l'habit de deüil, & le Caducée couvert d'un Crespe. Mr le Lievre, Roy d'Armes de France du Titre de Monjoye Saint Denys, venoit aprés eux. Il marchoit seul, & ils avoient tous l'épée au costé, & le Chaperon en teste. Il précedoit Mr Martinet, Ayde des Ceremonies, Mr de Saintot, & Mr le Marquis de Blainville, le premier Maistre, & l'autre, Grand Maistre des Ceremonies. Ils avoient tous trois des Robes de deüil traisnantes, le Chaperon en forme, l'épée au costé, & leurs Bastons à la main. Monsieur le Prince de Conty marchoit aprés eux. Il estoit accompagné de Mr le Duc de Chaunes, nommé pour cela par Sa Majesté, & la queuë de Sa Robe, qui avoit cinq aulnes de long, estoit portée par Mr le Comte de Matignon. Derriere ce Prince estoient l'Enseigne & l'Exempt des Gardes. Monsieur le Prince accompagné encore de Mrs les Ducs de la Tremoüille & de Coislin, ayant receu Monsieur le Prince de Conty au bas de l'Escalier, marcha devant luy jusqu'à la chambre de deüil, pour luy faire honneur. Mr Martinet, Mr de Saintot, & Mr le Marquis de Blainville estant entrez dans la chambre, saluërent le Corps. Monsieur le Prince de Conty fit la mesme chsoe, osta son Bonnet, aprés quoy il se mit à genoux sur le Prié-Dieu du Roy, posé sur un drap de pied de Velours rouge au pied de l'Estrade. Les Gardes du Corps se rangerent tout autour. Alors Mr l'Evesque d'Autun en Habits Pontificaux commença le De profundis, que les Ecclesiastiques chanterent, & au milieu de ce Pseaume Monsieur le Prince de Conty s'approcha du Corps, & le salüa. Le Roy d'Armes ayant donné l'Aspersoir à Mr l'Abbé de Boux, Aumônier du Roy, qui estoit en Rochet avec le Manteau par-dessus, cet Abbé le presenta à Monsieur le Prince de Conty , qui jetta de l'Eau-benite, & qui ayant encore salüé le Corps & alla se remettre au Prié-Dieu. Aprés l’Oraison, qui fut dite par Mr l’Evesque d’Autun, ce Prince se retira au mesme ordre qu’il estoit venu Les Suisses marchoient devant luy, & il estoit environné des Gardes du Corps. Monsieur le Prince le reconduisit jusqu’au Carosse du Roy, & le vit partir avant que de se retirer.

Je ne vous repete point les Ceremonies qui furent faites lors que Mr l’Evesque d’Autun leva le Corps de la chambre de deüil, & le conduisit à Valery. Les Prestres de la Paroisse de Fontainebleau accompagnerent le Convoy jusqu’à l’entrée du chemin de Moret en psalmodiant, & marchant processionnellement aux deux costez du Chariot, autour duquel estoient les Pages à cheval, & en Manteau long ; les Valets-de-pied portoient des flambeaux. Mr Sanguin, Capitaine des Gardes, & Mr le Comte de Lanmarie, premier Ecuyer, suivoient le Chariot en Manteaux traînans, & estoient montez sur des chevaux caparaçonnez de deüil. Ils précedoient le Carosse du Corps, dans lequel estoient Mr l’Evesque d’Autun en Camail & en Rochet, Mr le Curé de Fontainebleau, & Mr Lesnet, Abbé de la Victoire, en Rochet, en Manteau, & en Bonnet carré. Mr le Comte de Moreüil, premier Gentilhomme de la Chambre du Prince défunt, & d’autres principaux Officiers, remplissoient un second Carosse du Corps, & ces deux Carosses estoient suivis de ceux de Monsieur le Prince, de Monsieur le Duc, & de Monsieur le Prince de Conty. Le Clergé de Valery vint au devant du Corps. Il chanta les Prieres ordinaires, & Mr l’Evesque d’Autun dit l’Oraison. Lors qu’on approcha de Valery, la Maréchaussée de Sens parut, & se mit à la teste du Convoy, avec les armes renversées. Peu de temps aprés on vit le Lieutenant General de Sens, le Presidial, l’Election, le Corps de Ville, & les Officiers du Grenier à Sel, venir au devant du Corps. Ils l’accompagnerent jusqu’à Valery, où Mr l’Evesque d’Autun en Habits Pontificaux le presenta à la porte de l’Eglise, à Mr l’Evesque de Poitiers, nommé à l’Archevesché de Sens, qui estoit aussi en Habits Pontificaux. Le Doyen, le Préchantre, deux Archidiacres, & six Chanoines, representant le Corps du Chapitre de Sens, accompagnoient ce Prelat, auquel Mr l’Evesque d’Autun parla de cette maniere en luy presentant le Corps.

Monseigneur,

Nous venons icy avec encore plus de regret dans le cœur que de larmes aux yeux, pour mettre entre vos mains le Corps de feu Monseigneur le Prince, ces tristes restes de tant de Batailles, & de tant d’actions Militaires, dont les moins heureuses pourroient faire l’ornement de la vie des plus grands Heros. Quand je serois chargé de faire l’Eloge de ce grand Prince, je m’en serois suffisamment acquité en prononçant seulement son nom en quelque endroit de la terre que se passast cette Ceremonie, puisque les traits de cette gloire dont LOUIS DE BOURBON a esté comblé, sont trop vifs pour avoir besoin qu’on en rafraischisse la memoire, & que la memoire de ces grandes actions durera autant que le Monde. Mais comme ceux qui ont esté pendant leur vie les vives images de la puissance de Dieu, deviennent aprés leur mort les plus grandes preuves du neant des Hommes, ces tristes dépoüilles sont à tous les Conquerans une vive leçon de la vanité de ce que l’on trouve en eux de plus admirable & de plus réel, puisque c’est tout ce qui nous reste d’un Prince, qui aprés avoir esté capable de conquerir toute la Terre, n’a plus besoin que d’autant qu’il en faut au moindre des hommes. Nous vous demandons de le joindre aux cendres de celuy qui luy avoit donné la naissance, vous suppliant d’accorder à ce qu’il y a de vivant, à cette Ame que Dieu a separée, le secours que l’Eglise ne refuse à aucun de ses Enfans. Ce grand Prince estoit de ce nombre, & ce que vous desirez de moy en ce moment, MONSEIGNEUR, est que je vous donne des asseurances & des marques qu’il merite ces Prieres, dont on a plus de besoin, à mesure qu’on a tenu une plus grande place dans le monde, & qu’on y a mené une vie plus éclatante. Vous en avez déja veu des marques avec toute la France dans les dernieres années de sa vie ; mais la maniere dont il s’est porté dans ses derniers jours à desirer & à recevoir les Sacremens & la source des graces, en est encore une plus grande, & ceux qui ont eu l’honneur de recueillir ses dernieres paroles, & qui connoissoient la grandeur & les lumieres de cette Ame extraordinaire, ont tout lieu de croire que dans ce qu’elle a si dignement exprimé de ces sentimens, il n’y a rien eu qui ne vinst de cette unique source d’où découle tout ce qui peut-estre de quelque prix, & qui peut nous rendre dignes de paroistre devant le Tribunal de Dieu.

 

Mr l’Evesque d’Autun ayant finy ce Discours, Mr l’Archevesque de Sens luy répondit en ces termes.

Monseigneur,

C’est avec une douleur semblable à la vostre & les larmes aux yeux, que nous nous trouvons icy pour recevoir le precieux Dépost qui doit estre renfermé dans ce Tombeau. Les actions heroïques, & les aimables qualitez du grand Prince qui fait aujourd’huy le sujet de nostre affliction, nous faisoient souhaiter qu’il ne mourust jamais ; mais Dieu en a disposé autrement pour nostre édification & pour son salut, & aprés avoir donné la vie de ce Heros pour modelle à tous les Grands Hommes de la Terre, il a voulu encore donner sa mort pour exemple à tous les Fidelles. Elle a esté accompagnée de tant de circonstances Chrestiennes & édifiantes, & de tant de marques visibles de prédestination, que nous devons raisonnablement esperer que cet Auguste Prince sera aussi élevé dans le Ciel qu’il a esté grand sur la Terre. Hastons-nous par reconnoissance & par religion de luy avancer ce bonheur par nos Prieres.

 

Ce mesme Prelat fit les Prieres & les Encensemens accoûtumez, aprés qu’on eut mis le Corps sur une Estrade de trois degrez, couvert d’un Dais en forme de Lit à pentes de Velours noir à frange d’argent. Il y avoit trois rangs de Chandeliers sur tout le contour de cette Estrade, & toute l’Eglise estoit tenduë de noir jusqu’aux voûtes, avec deux lez de Velours ornez d’Ecussons. Le 23. la Messe fut celebrée par Mr l’Archevesque de Sens. Trois Gentilshommes allerent à l’Offrande. Le Cierge fut porté par Mr de la Nouë, le Pain par Mr de S. Laurent, & le Vin par Mr de la Mothe Ferensac. Les Encensemens, les Aspersions, & les Prieres ordinaires se firent aprés la Messe : ce qui estant achevé, Mr Martinet leva toutes les Pieces d’honneur, que l’on avoit mises sur un carreau de Velours au pied du Cercueil. La Couronne fut donnée à Mr le Comte de Moreüil, le Manteau à Mr le Comte de Briolle, l’Epée à Mr le Comte de Lanmarie, le Cordon bleu & le Collier à Mr le Marquis de Blanchefort. Ensuite Mr le Lievre, Roy d’Armes de France, se mit sur le bord du Caveau au côté droit de l’Autel, & appelle les Gentilshommes de feu Monsieur le Prince pour luy venir rendre les derniers devoirs. Les Gentilshommes ayant levé le Corps le porterent à l’entrée du Caveau. Les quatre coins du Poële qui le couvroit, estoient soûtenus par Mrs de Verveillon ; des Chapiseaux, de Cardelan, & de la Vergne. Le Heraut d’Armes de France du Titre de Saintonge estant descendu dans le Caveau, y receut le Corps, sur lequel les trois autres Herauts, de Charolois, Picardie & Roussillon apporterent leurs Chaperons. Alors le Roy d’Armes ayant crié trois fois à haute voix, Le premier Prince du Sang est mort, appella tous les Honneurs, & Mr de Ferensac representant Mr de Ricousse, premier Maistre d’Hostel de feu Monsieur le Prince, apporta le Baston ; Mr Sanguin apporta celuy de Capitaine des Gardes ; Mr le Chevalier de Blanchefort le Cordon bleu & le Collier de l’Ordre ; Mr le Comte de Lanmarie, l’Epée ; Mr le Comte de Briolle, le Manteau ; & Mr le Comte de Moreüil, la Couronne. Le Roy d’Armes qui receut toutes ces marques d’honneur, les remit entre les mains du Heraut du Titre de Saintonge, & elles furent posées sur le Cercueil. Le même Roy d’Armes ayant fait avancer les Officiers sous la Charge du premier Maistre d’Hostel du Prince défunt, Mr de Ferensac qui en faisoit la Charge, leur cria, Que le premier Prince du Sang, leur Maistre & le sien, estant mort, sa Maison estoit rompuë, & qu’ils eussent à se pourvoir. Le Capitaine des Gardes rompit son Baston, ainsi que le premier Maistre d’Hostel, & l’un & l’autre le posa sur le Cercueil. Ces Ceremonies estant achevées, le Roy d’Armes cria trois fois, Le premier Prince du Sang est mort, priez Dieu pour son Ame. Aussi-tost Mr l’Archevesque de Sens jetta de la terre dans le Caveau, ce qu’il fit trois fois. On dit le De profundis, & l’un des Herauts presenta l’Aspersoir aux Officiers, qui selon leur rang jetterent de l’Eau-benite.

Je vous ay marqué que le 24. Mr l’Evesque d’Autun, qui avoit levé le Cœur déposé à la Paroisse de Fontainebleau, estoit arrivé icy à la Maison Professe des Jesuites, & l’avoit remis entre les mains du Pere Provincial qu’il trouva à la porte de l’Eglise, à la teste de six-vingts Religieux, ayant chacun un cierge à la main. Ce cœur fut mis sur une Credence que couvroit un Dais de Velours noir à frange d’argent, avec des Ecussons en broderie.

[Eloge de feu Monsieur le Prince prononcé par le Pere de Villiers Jesuite] §

Mercure galant, janvier 1687 (première partie) [tome 1], p. 149-157

[...] Le lendemain, Feste de Noël, le Pere de Villiers, à qui l’éloquence est naturelle, & qui presche depuis la Toussaint dans cette Eglise, prit occasion sur les Ornemens lugubres qu’on voyoit à la Chapelle où le Cœur a esté mis, de faire un Eloge de Monsieur le Prince, qui charma tous ceux qui l’entendirent. Il n’y a rien de surprenant en cela. Ce Pere a l’esprit aussi fin que delicat, & l’Art de Prescher que vous avez veu de luy, vous a fait connoistre il y a long-temps qu’il a le talent de faire briller par les plus grands traits tout ce qu’il veut peindre. Cet Eloge fut trouvé si beau, que plusieurs de ses Auditeurs ont rappellé ce qu’ils avoient entendu. Je le juge ainsi par la diversité des Copies qu’on m’en a données. Je vay me servir de celle qui m’a paru la plus juste. La Morale estoit sur l’obligation de vivre en Chrestien, & le Pere de Villiers, aprés avoir étably cette obligation, conclut en ces termes.

C’est aprés tout où il en faut revenir. C’est où nous rappellent les lumieres de la raison & du bon sens. Les plus Illustres Vies ont joint tost ou tard la qualité de Chrestiennes à toutes les éclatantes qualitez qui les ont distinguées, & quelque grand que soit un cœur, il n’est veritablement grand que quand il est veritablement Chrestien. Pardonnez-moy, mes chers Auditeurs, si en vous disant icy que les plus grands cœurs ont reconnu tost ou tard l’obligation, ou plûtost la necessité de vivre chrestiennement ? Je vous donne lieu de penser à celuy qui l’a si bien reconnuë, & qui l’a confessée si hautement les derniers jours de sa vie. Vous voyez de qui je parle, & ces lugubres ornemens qui ont d’abord frappé vos yeux, & renouvellé en vous le triste souvenir de la perte que la France vient de faire, vous font bien juger que je vous parle du Cœur de ce Prince Illustre, dont la gloire a effacé celle des Heros les plus fameux. Mais si je vous parle de luy, c’est moins, parce que la reconnoissance m’a fait voir que je devois vous en parler si prés d’un jour où l’on nous a fait l’honneur de nous confier un si precieux Dépost ; c’est moins par le plaisir que j’ay cru devoir vous faire en loüant un Prince qui vous fut si cher, que par l’utilité que vous pouvez retirer de son exemple. Nous estions accoûtumez à loüer en luy tout ce que la grandeur du courage & de la reputation, tout ce que l’éclat des plus grandes actions, tout ce que le nombre des Victoires, tout ce qu’un esprit au dessus des plus sublimes esprits, a jamais pû fournir de matiere aux loüanges. Il a toûjours esté l’objet de nos admirations. Il a esté long-temps celuy de nos craintes ; mais enfin par la misericorde de Dieu, il est devenu celuy de nostre imitation, & pour imprimer dans vos esprits les grandes veritez que j’ay tâché de vous persuader dans ce Discours, je ne fais pas scrupule en le finissant, de ramasser vos reflexions sur le cœur de ce grand Prince, non pas tel qu’il a esté lors que ses vastes projets balançoient la destinée des Etats, & des Royaumes ; mais tel qu’il estoit lors que des desseins plus chrestiens & plus solides regloient ses passions & sa conscience ; non pas tel qu’il a esté lors qu’à la teste des Armées, il méprisoit la mort qu’il portoit à nos Ennemis, mais tel qu’il estoit lors que dans une solitude chrestienne il estudioit la mort, pour apprendre, non pas à la mépriser avec orgueil, mais à l’attendre avec humilité, & à la recevoir avec confiance. C’est dans ce dernier estat que vous devez le considerer pour vous convaincre de l’obligation de vivre en Chrestiens, ou plûtost ne separez point ces deux états. Regardez-le dans le plus haut point de la gloire humaine où il a esté élevé, pour voir dans quel neant se termine cette gloire. Regardez-le dans les exercices de la penitence, pour vous persuader que ce n’est que par là qu’on s’éleve à une gloire plus noble & plus digne d’un grand Cœur. C’est la Gloire immortelle, &c.

 

Vos Amies voudront bien permettre que je vous envoye deux Vers Latins, pour servir d’Epitaphe à ce grand Prince.

Parca, cave ; non Condæum qui surgit Olympo.
Urnâ Condé, nefas ; non homo, Condæus est.

[Epitaphe] §

Mercure galant, janvier 1687 (première partie) [tome 1], p. 157

 

Voicy deux Sonnets qui ont esté faits sur cette mort par Mr Moreau, Avocat General de la Chambre de Comptes de Dijon.

Sur la Mort de Monsieur le Prince §

Mercure galant, janvier 1687 (première partie) [tome 1], p. 158-159

SUR LA MORT
DE MONSIEUR LE PRINCE.

Quand de la mort, Condé franchissant le passage,
Aprés tant de Lauriers moissonnez icy bas
Entra brillant de gloire aux celestes Climats,
Tous les Dieux à l’envy, luy rendirent hommage.
***
Alcide & Mars vouloient luy ceder l’avantage,
Mais si dans mes travaux, dit-il, dans les Combats,
J’ay suivy vostre exemple, & marché sur vos pas,
Je dois vous suivre encore, & c’est là mon partage.
***
Jupiter pour finir un si beau differend,
Venez, Prince, a-t-il dit, montez au plus haut rang,
Vous que l’on redoutoit autant que mon Tonnerre.
***
S’il est quelque Heros, s’il est quelqu’un des Dieux,
Qui soit plus grand que vous, sur Terre, ou dans les Cieux,
C’est moy seul dans les Cieux, LOUIS seul sur la Terre.

Sur le mesme Sujet §

Mercure galant, janvier 1687 (première partie) [tome 1], p. 160-161

Sur le mesme Sujet.

Condé qui n’eut jamais que la Vertu pour guide,
Dont le bras & le nom portoient par tout l’effroy,
Cede enfin au destin, toûjours grand, intrepide,
Dans le Lit de la mort tel qu’aux Champs de Rocroy.
***
 La Grace dans son cœur en ce moment preside,
Il sçait pour son salut en faire un digne employ,
Et vole à son bonheur eternel & solide,
Aussi soûmis à Dieu que fidelle à son Roy.
***
Illustres Conquerans, qui dans l’Art de la Guerre
N’aspirez qu’à vous rendre immortels sur la Terre,
Tous vos faits éclatans pour le Ciel ne sont rien.
***
 Condé, dont tous les temps vanteront la memoire,
Vous apprend aujourd’huy la veritable gloire,
Et qu’un parfait Heros doit mourir en Chrestien.

[Liste des Académiciens de l’Académie Royale d’Angers, nommez pour le premiere fois par le Roy] §

Mercure galant, janvier 1687 (première partie) [tome 1], p. 161-178

La Médaille que vous trouverez icy gravée, vous doit estre un present fort agreable, puisque la face droite vous fera voir le Portrait de ce grand Prince. Il est à cheval dans le Revers, où l’on voit un Arc de Triomphe qu’il a déja passé. On remarque qu’il en montre le chemin à Monsieur le Prince son Fils qui est presque dessous, & qui le montre luy-mesme à Monsieur le Duc dont il est suivy. On y lit ces paroles, Patre viam monstrante.

Vous n’aurez que le mois prochain la Copie des Lettres Patentes, & des Statuts de l’Academie Royale d’Angers, que j’ay promis de vous envoyer. Cependant pour ne pas manquer tout à fait à ma parole, je vay vous apprendre les noms de tous ceux qui composent cette Compagnie.

LISTE
DES
TRENTE ACADEMICIENS de l’Academie Royale d’Angers, nommez pour la premiere fois par le Roy.

Mr Arnauld Evesque d’Angers, & Abbé de saint Nicolas, que son extrême application à la conduite de son Dioceze n’a pas empesché de donner à son Clergé deux Livres de beaux reglemens pour la discipline Ecclesiastique.

Mr Béchameil, Chevalier, Marquis de Nointel, Conseiller du Roy en ses Conseils, Maistre ordinaire des Requestes de l’Hostel, Intendant de la Generalité de Tours, moins considerable par ces grands Emplois, que par ses lumieres, & par son érudition.

Mr de Beaumont, Chevalier, Seigneur d’Autichamp & de Miribel, Lieutenant de Roy, & Commandant dans la Ville & Château d’Angers, celebre par les grands services qu’il a rendus dans les Armées du Roy, avec autant de valeur que de prudence.

Mr de Bautru, Chevalier, Comte de Serrant, Conseiller du Roy en ses Conseils, cy-devant Chancelier de Monsieur, Frere unique de sa Majesté, heritier du merite, & de l’esprit de Mr de Bautru son Pere.

Mr. Arnauld, Abbé de Nostre-Dame de Chaumes.

Mr l’Abbé Ménage, connu par un tres grand nombre de beaux Ouvrages en plusieurs Langues.

Mr Arthaud Prestre, Docteur & Doyen de la Faculté de Theologie dans l’Université d’Angers, Archidiacre de l’Eglise Cathedrale, & cy-devant Conseiller au Presidial de la mesme Ville. La Province luy est redevable de deux Cartes Geographiques tres-exactes du Duché d’Anjou, & de beaucoup de recherches curieuses qu’il a faites sur l’Histoire Ecclesiastique de cette Province, il a fondé dans l’Université d’Angers une Chaire de Theologie.

Mr l’Abbé le Peletier, qui a donné au public une traduction en François de la Vie du Pape Sixte V. de l’Italien de Gregorio Leti ; une autre de l’Histoire de la Guerre de Chypre composée en Latin par Antoine Maria Gratiani, Evesque d’Amelia, & qui est prest de faire imprimer l’Histoire de la Chine, qu’il a traduite du Latin du Pere Martin Martini, Jesuite Allemand.

Mr Heard, Prestre, qui a travaillé à plusieurs ouvrages où sa science & sa pieté se sont également fait connoistre.

Mr Gohin Conseiller du Roy, premier President du Presidial d’Angers, choisi par l’Academie, pour faire cette année le Panegyrique du Roy.

Mr de la Brunetiere, Chevalier, Seigneur du Plessis de Gesté, cy-devant Lieutenant Colonel du Regiment du Plessis Belliere.

Mr Bernier, Docteur en Medecine, fameux par ses longs Voyages dans le Levant, par les Relations qu’il en a données, & par l’abregé qu’il a fait, en Latin & en François, de la Philosophie de Gassendi.

Mr Charlot, Echevin perpetuel, cy devant Maire, & Capitaine general de la Ville d’Angers.

Mr de la Bigottiere de Perchanbault Prestre, Conseiller honoraire au Presidial d’Angers.

Mr Verdier, Conseiller honoraire au Presidial d’Angers, Echevin perpetuel de la Ville, & Professeur Royal du Droit François dans l’Université d’Angers.

Mr Gourreau, Conseiller honoraire au Presidial d’Angers, Doyen des Echevins perpetuels, Secretaire de l’Academie, qui a traduit diverses Lettres Latines du sçavant Pere Fronteau, Chancelier de l’Université de Paris, & qui a achevé la traduction commencée par Mr de Launay, du Commentaire postume de Mr d’Aprineau sur la Coûtume d’Anjou, & composé quelques autres Ouvrages de Pieté.

Mr de Roye, Docteur Regent en Droit dans l’Université d’Angers, qui a donné au public, un Livre de Iure patronatus, un autre de Missis Dominicis ; Institutiones Iuris Canonici, & plusieurs Traittez sur diverses matieres de Droit Civil & Canonique. Il est mort depuis l’établissement de l’Academie. On a nommé en sa place Mr Constantin, grand Prevost d’Anjou, cy devant Officier dans le Regiment des Gardes.

Mr Guinoiseau de la Sauvagere, Conseiller honoraire au Presidial d’Angers.

Mr Moreau du Plessis, Conseiller au Presidial d’Angers, Echevin perpetuel de l’Hostel de Ville.

Mr Grandet, Conseiller au Présidial d’Angers, Echevin perpetuel de l’Hostel de Ville, à qui Angers est redevable des soins qu’il a donnez, pour solliciter en Cour l’établissement de l’Academie : & qui a procuré à la Compagnie du Presidial les belles Lettres Patentes, en consequence desquelles, les Officiers ont droit de porter la Robe rouge.

Mr Poquet de Livonniere, Conseiller au Presidial d’Angers, Autheur des Portraits des plus fameux Avocats du Parlement de Paris, qui ont esté veus en manuscrit, avec une approbation generale.

Mr Martineau, Conseiller & premier Avocat du Roy au Siege Presidial d’Angers.

Mr Martineau de Princé, vivant Prévost d’Anjou, Secretaire du Roy, Maison & Couronne de France. On a nommé pour remplir sa place Mr Cupif de Teildras, Conseiller au Presidial d’Angers, Echevin perpetuel, & cy-devant Maire de la Ville.

Mr de Launay, Avocat au Parlement de Paris, & Professeur Royal du Droit François dans l’Université de la mesme Ville, qui a donné au public un Traitté de la Chasse, quelques Harangues, & des Notes sur des Autheurs du Droit Civil.

Mr Petrineau, cy-devant President de la Prevosté Royale, Police, & Conservation des Privileges de l’Université d’Angers, premier Echevin de la Ville, qui travaille depuis quelque temps à l’Histoire d’Anjou.

Mr Frain du Tremblay, cy-devant Conseiller au Presidial d’Angers, Autheur d’un Livre contre le Jeu ; d’un autre sur la vocation Chrétienne des Enfans, de quelques Ouvrages de controverses ; & qui est sur le point de donner deux autres Ouvrages ; l’un de Morale & de politique ; l’autre, l’Idée d’un parfait Magistrat.

Mr Nivart, Avocat au Parlement, à qui le public doit un commentaire de Mr de la Coste, sur les Institutes du Droit Civil : qui a fait plusieurs Vies de Jurisconsultes, & d’autres Ouvrages, non encore imprimez.

Mr Blouïn de la Piquetiere, fort versé dans la connoissance de l’Histoire, & des belles Lettres.

Mr Daburon, Avocat au Presidial d’Angers, Procureur de Ville, & Docteur aggregé dans l’Université d’Angers, & tres-distingué dans le Bar.

Mr Breillet de la Vilatte, qui a fait des traductions de plusieurs Ouvrages Latins, en prose & en Vers, non imprimez.

Voila un fort grand nombre d’Illustres qui peuvent composer un corps utile au public. Outre ces trente Academiciens nommez par sa Majesté, il y a quelques autres personnes, qui par les Statuts & les Lettres patentes ont entrée dans l’Academie à cause de leurs dignitez, & de leurs charges, pendant qu’ils les possedent, sçavoir.

Mr l’Evesque d’Angers.

Mr le Lieutenant de Roy de la Ville & Chasteau.

Mr le premier President du Presidial.

Mr le Lieutenant General de la Senechaussée, & Siege Presidial.

Mr le Maire de la Ville.

Mr le Procureur du Roy au Presidial par un ordre expedié depuis les Lettres patentes.

[Histoire] §

Mercure galant, janvier 1687 (première partie) [tome 1], p. 178-194

 

Vous avez entendu faire beaucoup de Contes d’Apparitions d’Esprits, que vous avez traitez d’imagination & de resverie, & vous avez eu raison. Voicy une Histoire sur ce sujet que je vous garantis tres-veritable. Une Dame de Province, jeune & bien faite, demeura Veuve par la mort d’un Mary qui luy laissa un grand doüaire, & peu de chagrin de sa perte. Quand elle n’eust eu qu’un bien aussi considerable que celuy qu’elle avoit, elle n’eust assurément pas manqué d’Amans, mais les charmes de sa personne luy en attiroient encore, c’estoit pour avoir une grosse Cour. Parmy ceux qui s’attacherent à elle, il y en eut deux qui se distinguerent, & par leur merite, & par leurs assiduitez. Le choix de la Dame eust pû estre toûjours incertain, s’il n’y eust eu que sa raison qui eust dû se mesler de le faire, car les bonnes qualitez des deux Cavaliers estoient assez égales, mais le panchant s’en mêla, & la détermina à preferer celuy qui estoit Colonel à l’autre qui ne l’estoit pas, & qui avoit le titre de Comte. Ce panchant n’alloit pas jusques à la rendre injuste à l’égard du Comte, à qui son cœur n’étoit pas si favorable. Elle connoissoit tout son merite ; elle l’eust aimé si elle n’eust pas veu l’autre, & il n’avoit à se plaindre que du je ne sçay quoy, mais c’en estoit bien assez, car enfin la tendresse n’estoit pas pour luy. Les choses estoient en cet estat lors que les Imperiaux allerent mettre le Siege devant Bude. Vous n’eussiez peut-estre pas cru que Budeny les Imperiaux eussent rien à faire icy. Le Colonel eut des raisons particulieres & pressantes pour aller à ce Siege. Vous jugez bien qu’elles devoient l’estre pour luy faire abandonner une jolie Femme, déja fort ébranlée en sa faveur, & dont encore un petit nombre de soins & d’assiduitez auroient peut estre entierement achevé la Conqueste. Ce qu’il y avoit mesme de plus fâcheux pour luy, c’est qu’il laissoit auprés d’elle un Rival redoutable par luy-mesme, & qui pouvoit bien le devenir encore davantage par l’absence du Colonel. Cependant il partit aprés avoir pris toutes les précautions possibles contre ce Rival. Il mit les Femmes de Chambre dans ses interests, asseura des recompenses à des Espions, soupira tres-douloureusement, & mesme, à ce qu’on dit, pleura auprés de la Dame en la quittant. On ne sçauroit mettre un meilleur ordre à ses affaires dans un départ ; aussi y a t-il apparence qu’il ne tinst pas à cela qu’elles n’allassent bien. Ce qui commença à les faire mal aller, c’est qu’il fut tué devant Bude. Ne vous estonnez pas de cette expression, j’avouë qu’ordinairement il n’y a rien de plus mauvais que de mourir, mais icy ce n’est pas de mesme, il arriva quelque chose de pis au pauvre Colonel. Il fut fort regreté de la jeune Veuve, & sa bravoure extrémement loüée de Mr le Comte qui approuvoit fort qu’on allast à Bude soûtenir l’interest commun de la Chrestienté. Il n’oublia rien pour consoler la Dame, & à l’avantage naturel qu’a un Vivant sur un Mort, il joignit un redoublement de soins, qui selon toutes les apparences devoient tost ou tard faire leur effet. Il ne se voyoit plus de Rival qu’il eust lieu de redouter ; il ne falloit que faire oublier celuy qui n’estoit plus ; il y auroit eu bien du malheur s’il n’eust réüssi dans cette entreprise. Cependant le succés eust pû estre un peu lent sans ce qui arriva. Peu de jours aprés qu’on eut receu la nouvelle de la mort du Colonel, la jeune Veuve dit qu’il estoit venu la nuit faire du bruit dans sa Chambre ; qu’elle l’avoit entendu tres-distinctement, à diverses reprises, & mesme on luy estoit bien obligé de ce qu’elle ne disoit pas qu’il luy fust apparu. Ce Comte a qui elle tint ce discours, ne put avoir la complaisance de ne la pas contredire. Il luy soûtint, mesme avec quelque sorte de dureté, & d’impolitesse, si l’on peut parler ainsi, qu’elle ne devoit attribuer le tout qu’à son imagination. Peut-estre il croyoit effectivement ce qu’il disoit, & il n’estoit pas content que l’imagination de la Dame fust assez vive sur le chapitre de son Rival pour se le representer ainsi. Peut-estre aussi croyoit-il que le Rival pouvoit revenir en effet, & il estoit du moins aussi fâcheux pour luy qu’un Mort le vinst troubler auprés d’une personne sur laquelle il ne pouvoit guere conserver de pretentions, & qu’il eust dû honnestement ceder aux Vivans. Quoy qu’il en soit, il avoit assez de sujet de chagrin pour nier fortement le retour du Colonel, & c’est ce qu’il fit. La Dame, naturellement interessée a en garantir la verité, afin de ne pas passer pour folle, y eut encore un interest plus caché & du moins aussi considerable, qui estoit de soutenir qu’elle estoit bien digne d’une marque de tendresse si extraordinaire, & du souvenir des gens de l’autre Monde. Elle trouvoit mauvais qu’on luy contestast cet honneur comme si elle ne l’eust pas merité, & elle en eut un grand démeslé avec l’incredule Comte. La chose alla au point que sur ce qu’il dit qu’il ne croiroit jamais que ce qu’il verroit ou entendroit, elle s’offrit à luy faire voir le Mort, ou du moins l’entendre, & luy permit de venir passer une nuit dans sa chambre, car que n’eust-elle pas fait pour le convaincre ? Le Comte accepta volontiers le party, au hazard d’être battu par l’Esprit, qui ne devoit pas luy vouloir du bien ; mais il pouvoit aussi se presenter quelque occasion de s’en vanger, en luy faisant voir un Rival plus heureux que luy. Le Cavalier vint, la Dame se coucha ; la chambre fut bien éclairée ; des Femmes de Chambre y firent bonne garde, & luy, qui en attendant que l’Esprit arrivast de l’autre Monde, rouloit dans sa teste des pensées qui estoient tout à fait de celuy-cy, ne put trouver d’occasion heureuse. Il pesta bien contre les Bougies, contre les Femmes de Chambre, & contre la Dame mesme qui prenoit des précautions si veritables. Estre enfermé une nuit si inutilement avec une jolie Personne, & qu’on aimoit ! Figurez vous quel chagrin. La Dame de son costé n’estoit pas courente, mais c’estoit parce que l’Esprit ne venoit point. Il y alloit de son honneur qu’il parust, ou qu’il fist dans la Chambre quelque fracas digne de luy, cependant il n’en fit rien, & elle ne reçut pas trop bien les plaisanteries qu’elle eut à essuyer de la part du Comte, qui traitoit d’un air fort insultant un Rival mort & qui ne revenoit point : c’estoit deux raisons pour ne le ménager guere. La Dame espera qu’une autre nuit pourroit estre plus heureuse, & que le Colonel ne se laisseroit pas plus long-temps mepriser & elle permit au Comte de revenir. Il y eut quelque petit bruit cette nuit-là, mais pour dire la verité, ce n’estoit pas le bruit d’un Esprit. La Dame eut encore peu de satisfaction, & le Comte aussi, qui n’en estoit pas mieux pour ces deux nuits passées auprés de la jeune Veuve. Cependant le voisinage s’aperçut de ces deux nuits-là, il en courut quelque bruit sourd, & la medisance fit assez de mention du Comte & point du tout de l’Esprit. Le Comte vit aussi-tost l’effet avantageux qu’il en pouvoit tirer. Il fit aller cela jusqu’aux oreilles de la Dame, & aprés toutes les preparations necessaires, il luy fit entendre que sa réputation commençoit à chanceler ; que le Public ne croiroit rien s’il ne vouloit ny de l’Esprit, ny de toutes les précautions qu’elle avoit prises ; qu’il n’y avoit qu’un moyen de sortir bien de cette affaire, & que ce moyen étoit de l’épouser. A ce raisonnement qui n’estoit pas mauvais, se joignoient des discours pleins de tendresse, son merite, & la mort du Colonel. Qu’eust fait la Dame ? Elle estoit fort jalouse de sa réputation, elle épousa le Comte. Si ce pauvre Colonel estoit effectivement revenu, il estoit bien malheureux de n’avoir pris cette peine-là que pour haster le bonheur de son Rival, & s’il n’étoit pas revenu, il estoit bien malheureux qu’on l’eust assez aimé pour se le persuader.

Air nouveau §

Mercure galant, janvier 1687 (première partie) [tome 1], p. 194-195.

Je vous envoye encore un Air de Mr l'Abbé. Vous le trouverez du moins aussi beau que celuy du mois passé, de la composition de cet Illustre Autheur.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, C'est en vain que l'hyver contraire à nos desirs, doit regarder la page 195.
C'est en vain que l'Hyver contraire à nos desirs
Vient troubler la douceur des innocens plaisirs,
Que Flore nous offroit dans la Saison nouvelle,
Tout répond à mes vœux, Iris est sous ma loy,
Et l'Amour me répond qu'elle sera fidelle.
Hiver, frimats, glaçons, tout est Printemps pour moy.
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[Actions de graces rendües pour le rétablissement de la Santé du Roy] §

Mercure galant, janvier 1687 (première partie) [tome 1], p. 248-301

 

J'aurois à remplir un Volume de tous les Te Deum qui ont esté chantez en action de graces pour le rétablissement de la Santé du Roy. Ainsi je vous parleray seulement de quelques-uns. Le 7. de ce mois les Chefs Conducteurs des differens Ouvrages des Gobelins firent faire des Prieres solemnelles pour ce sujet, dans l'Eglise de Saint Hippolite leur Paroisse, & donnerent dans cette journée tous les témoignages de joye qui accompagnent ordinairement les Réjoüissances publiques, en conservant neantmoins le caractere d'une pieté vrayment chrestienne, qui estoit le principal but de leur action. Le matin à la pointe du jour on fit une Salve de Boëtes pour annoncer cette grande Feste, & avertir ceux qui devoient y prendre part de se rendre à l'Eglise. Elle se trouva magnifiquement parée, & l'Autel quoy que fort enrichy, orné d'une maniere simple & noble, qui marquoit bien que c'estoit des gens de goust & de dessein, qui en avoient pris soin ; le Portrait de Sa Majesté estoit exposé au milieu de l'Eglise. Le Service commença sur les dix heures par l'Exposition du Saint Sacrement, aprés quoy la Messe fut chantée en Musique de la Composition de Mr Oudot. Aprés la Messe on fit une seconde salve de Boëtes, pour avertir les Pauvres de venir pour la distribution de mille pains qui se fit à la porte de l'Eglise. Le Service recommença sur les deux heures par un sçavant Panegyrique du Roy que fit le Pere Menestrier, Jesuite, qui prit pour texte, Domine salvum fac Regem. Il y fit briller également la pieté & l'éloquence, & le finit par ces mesmes mots Domine salvum fac Regem, ce qui plut & toucha beaucoup & parut du temps. Aprés ce Panegyrique on chanta les Vespres & le Salut, aussi en Musique. Le Salut fut suivi du Te Deum, & le soir sur les huit heures, on fit faire une troisiéme salve de Boëtes pour avertir le Peuple de venir prendre part à la Réjoüissance d'un grand feu que l'on dressa devant la porte de la Maison Royale des Gobelins, où l'on abandonna une piece de Vin, qui fut beue avec de grandes acclamations de joye pour l'heureux rétablissement d'une Santé si precieuse à l'Etat.

Les Augustins Deschaussez, appellez communement les Petits Peres, estant de Fondation Royale, se crurent d'autant plus obligez de donner dans cette occasion des marques publiques de leur joye, qu'ils reçoivent tous les jours de nouveaux bienfaits de Sa Majesté. Ainsi aprés avoir dit plusieurs Messes pour le Roy durant son incommodité, & fait plusieurs Prieres qu'ils conclurent par une Neuvaine solemnelle où le Saint Sacrement fut exposé à tous les Saluts, & où ils eurent la consolation de voir tout leur Quartier, qui n'est pas un des moins peuplez de Paris, venir se joindre a eux pour demander au Ciel l'entiere guerison de ce Monarque, sçachant que le voeux de toute la France, & les leurs en particulier avoient esté exaucez, ils en voulurent remercier Dieu publiquement. Le 9 de ce mois fut choisy pour ces actions de graces, & dés le matin ils le firent connoistre par une décharge de trente Boëtes. Le soir ils firent chanter le Te Deum. La Musique & la Symphonie estoient de la composition de Mr Ludet, Officier ordinaire de la Musique du Roy. Il y eut une triple salve de cent cinquante Mousquetaires que Mr Stoup Colonel du Regiment des Gardes Suisses, avoit envoyez dans leur Court. La premiere se fit au commencement du Te Deum, la seconde à la fin, & la troisiéme aprés la Benediction du Saint Sacrement. Ces trois Salves furent faites au bruit des Tambours & des Fifres, de trois Compagnies dont on avoit tiré ces détachemens, & la derniere fut suivie d'une décharge de cent Boëtes que ces Religieux avoit fait ranger dans leur Jardin. Leur Eglise estoit toute illuminée.

Le Lendemain les Officiers & Cavaliers du Guet à Cheval, créez par Sa Majesté pour faire la Ronde pendant la nuit dans cette grande Ville, firent faire dans la mesme Eglise une pareille solemnité. Le Te Deum y fut chanté par la mesme Musique, & finit par une décharge de Boëtes accompagnée de plusieurs douzaines de Fusées volantes. Mr le Mareschal Duc de la Feüillade qui prend part à tout ce qui se fait pour la gloire du Roy aux environs de la Place des Victoires, & particulierement dans l'Eglise de ces Peres dediée à Nostre Dame des Victoires, voulut partager leur joye en faisant allumer le soir de grands feux dans la Place, tirer des Boëtes par trois décharges, & distribuer du vin à tous les Passans qui y venoient en foule crier Vive le Roy. Ces Réjoüissances durerent trois jours assez avant dans la nuit, les Peuples y donnant à l'envy les uns des autres des marques du plaisir qu'ils ressentoient de la parfaite guerison du Roy.

Je vous ay déjà parlé dans ma quatriéme Lettre du Voyage des Ambassadeurs de Siam en France, du Te Deum qui a esté chanté aux Feüillans pour la mesme occasion ; mais ne vous en ayant dit que ce qui regardoit les Ambassadeurs, je vay vous en entretenir plus au long. Ces Peres voulant reconnoistre les bontez que le Roy a pour leur Congregation, & particulierement pour leur Monastere Royal de la Ruë S. Honoré, & Mr de Lully, qui n'est pas moins redevable à ce Prince, voulant de son costé donner des marques de sa reconnoissance, & de sa joye, s'est joint à eux pour les faire éclater. Il a donné sa Musique, & fait toute la dépense qui la concernait ; de mesme que les Feüillans ont fait de leur costé toute celle qui a regardé la Décoration de l'Eglise. Elle ne pouvoit manquer d'estre belle & de bon goust, puis qu'ils avoient pris & suivy les avis de Mr Berrin. L'Eglise estoit toute tenduë de tres-riches Tapisseries, & remplie de plusieurs Lustres & Girandoles, avec des Plaques & des Bras d'argent tout autour. Le Maistre Autel estoit éclairé par un nombre infiny de Cierges, de Bougies & de lampes, qui remplissoient une Gloire qui estoit au dessus du Tabernacle. Au milieu de cette Gloire on voyoit deux Couronnes de Pierreries. La plus élevée representoit une Couronne de gloire ou Couronne immortelle, & estoit toute semée d'étoiles faites de Rubis. Il y avoit aux deux costez de l'Autel deux Obelisques de quinze pieds de haut chacun. Ils estoient tout couverts de lumieres, & éclairoient des Chifres de Sa Majesté formez de Pierreries, qui estoient au milieu de ces Obelisques. Le matin du jour que cette Ceremonie se devoit faire, les Feüillans donnerent un pain, & une chopine de vin à une tres-grande quantité de Pauvres, & firent le soir la mesme distribution. L'empressement fut si grand pour voir cette Feste, à cause du sujet & des personnes qui s'en mêloient, qu'encore qu'elle ne deust commencer qu'à quatre ou cinq heures du soir, plusieurs personnes vinrent retenir leurs places dés dix heures du matin. Il y en eut d'autres qui craignant la foule, vinrent disner aux Feüillans, & ces Peres traiterent ce jour-là prés de deux cens personnes. Ils observerent un ordre admirable pour placer, beaucoup d'entre-eux ayant des listes de ceux dont les places estoient réservées, & les conduisant à mesure qu'ils arrivoient. Les personnes de qualité pouvoient aller se chauffer dans le Convent avec toute sorte de commodité, tant il y eut bon ordre par tout. Mr le Cardinal Ranuzzi officia avec de superbes ornemens, dont la feüe Reyne Mere a fait present aux Feüillans. Je ne dis rien de la Musique ; elle estoit de Mr de Lully, & l'on sçait de quoy il est capable. L'Echafaut où elle estoit placée, estoit remply de cent cinquante personnes. La Simphonie fut trouvée tres-belle. Les Feüillans finirent cette Ceremonie, & chanterent d'un air si remply de zele & si devot, qu'ils édifierent toute l'Assemblée, qui fut touchée de leur chant. Il serait impossible de voir une plus illustre Assemblée. Ce qu'il y a icy de Princes Etrangers, les Ambassadeurs, le Clergé, & ce que la Cour & Paris ont de plus distingué, s'y trouva. Les Feüillans donnerent une fort grande Collation aux Evesques, & à toutes les Personnes de qualité qui voulurent manger, en attendant que l'on pust sortir facilement. Ceux qui furent obligez de demeurer long-temps dans la court, attendirent à la clarté d'un grand nombre de lumières qui estoient à toutes les fenestres qui donnent sur cette court.

La Joye que le retour de la parfaite Santé du Roy a causé dans les coeurs a esté sans distinction de personnes. Les premiers & les derniers Sujets du Roy, les Princes & les Peuples, tout a fait voir un zele pareil. On ne s'est pas contenté de priez & de faire prier, mais chacun a voulu marquer selon sa naissance, son rang & sa fortune, que rien ne luy coutoit quand il s'agissoit d'une Santé si precieuse à toute la France, & si quelques Particuliers ont surpris dans ce qu'ils ont fait, on a veu des choses qui ne devoient pas moins estonner, de quelque rang que fussent ceux qui les ont faites, & peut-estre ne s'est-il jamais rien veu de plus beau de cette nature, que ce qui a fait éclater la magnificence d'une Princesse aussi remplie de zele pour Sa Majesté, qu'elle est naturellement genereuse, & bienfaisante; c'est Mademoiselle de Guise. Le Maistre-Autel de l'Eglise de l'Abbaye Royale de Montmartre qu'elle avoit choisie pour rendre des graces solemnelles à Dieu de la guerison du Roy, estoit d'un brillant si vif que la veuë en pouvoit à peine supporter l'éclat. Le Tabernacle de dix à sept pieds de haut estoit tout couvert de Pierreries; tous les Corps de l'Architecture en estoient profilez, ainsi que tout le reste de l'Autel, où des couleurs vives en representoient d'autres sur des endroits transparens qu'un nombre infiny de lumieres faisoit briller, & qui faisoient une agreable union avec le Tabernacle. Tous les Gradins de l'autel n'estoient pas seulement garnis d'un tres grand nombre de chandeliers, mais ils estoient encore chargez de richesses & de cristaux, & ces cristaux estant éclairez de toutes parts, & joints aux feintes & veritables pierreries, formoient tous ensemble l'amas brillant que je viens de vous décrire. Au dessus de l'Architecture de l'Autel, paroissoit un couronnement à jour d'où se formoient des Fleurs de Lys de lumieres, & de Pierreries. Les Figures de Saints qui sont dans des niches aux costez de l'Autel, étoient ornées de Pierreries dans tous les endroits de leur habillement qui en pouvoient souffrir, de sorte que l'Autel. les costez, & tout le dessus jusqu'à la voute, formoient toute une face de Pierreries sur laquelle l'oeil ne se pouvoit fixer. Ce qu'il y avoit de surprenant, c'est que toutes les parties qui produisoient ce grand éclat, estoient parfaitement bien distinguée, & que rien n'estoit confondu. Le Choeur des Dames qui est tres beau pour sa grandeur & pour sa construction, & dans lequel on n'avoit point encore fait de ceremonies solemnelles dépuis qu'il a esté rebâty par la liberalité du Roy, fut aussi decoré d'une maniere qui convenoit à la richesse du Maître-Autel. Il y avoit trois hauteurs de tapisseries de chaque costé, une pour les chaises des Dames, une autre qui montoit jusqu'à une Galerie qui forme des Balcons, & la troisième jusqu'à la voute. Il y avoit aussi trois hauteurs de lumiere tout autour de ce Choeur. Toute la corniche du tour des chaises des Dames estoit bordée de plaques d'argent, & entre deux rondes il y en avoit une faite en Croix de Lorraine. Au dessus on voyoit des piramides, des ceintres, & diverses autres Figures formées par des lumieres. Outre cela, il y avoit sur chacun des Tremaux qui sont entre les Balcons, une fort grande plaque d'argent, & aux deux costez de ces plaques, estoient deux grands bras aussi d'argent, garnis de grosses lumieres. Trois rangs de Lustres ornoient encore ce Choeur, sçavoir un rang de Lustres de cristal de chaque costé, & un rang de Lustres d'argent dans le milieu qui estoit plus élevé que les deux autres, desorte que le tout ensemble formoient comme un grand berceau de lumieres. Toutes ces choses estoient du dessein de Mr Berrin, qui avoit pris soin de le faire executer luy-mesme. Monsieur ayant assisté dans le Choeur à cette Ceremonie, sa Presence fut cause que toutes les personnes de distinction qui avoient esté conviées, y entrerent. Mr le Cardinal Ranuzzi officia avec le zele qu'on luy voit pour tout ce qui regarde le Roy. Au sortir de l'Eglise on trouva tous les murs, toutes les fenestres, & tous les environs de ce Convent éclairez par un nombre infiny de lumieres grosses comme des flambeaux. Tous ceux qui se sont mêlez de cette Feste ont reconnus que la Princesse à qui elle est duë, est veritablement genereuse. Elle fit distribuer beaucoup d'aumônes, & s'attira ce jour là, & de grands applaudissemens, & de grandes benedictions.

Entre le grand nombre de Corps ou de Compagnies qui ont fait éclater leur zele dans la mesme occasion, Mrs les Fermiers Generaux des Fermes unies se sont particulierement distinguez. Ils choisirent l'Eglise des Jacobins Reformez de la ruë S. Honoré pour cette Ceremonie, & elle y fut faite le Jeudy 23. de ce mois avec toute la solemnité possible. Au dessus de la porte de la ruë estoit un grand Cartouche posé sur une tenture de haute-lisse qui tapissoit toute cette porte, & ce Cartouche apprenoit qu'on alloit rendre graces à Dieu dans cette Eglise pour le parfait rétablissement de la Santé du Roy. Au devant de la Tribune des Orgues & de la grande porte de l'Eglise, on avoit dressé un échaffaut pour y placer les Musiciens au nombre de plus de cent. Les deux costez de l'Eglise étoient tapissez de Tapisseries des Actes des Apostres du dessein de Raphaël, & au dessous, à la hauteur de dix pieds regnoit une Tablette de chaque costé couverte d'une pente de Tapisserie en broderie d'or & d'argent sur un fond de velours bleu, qui continuoit sur toute la profondeur de l'Eglise, & qui estoit interrompuë sur d'espace en espace par des Cherubins & par des Consoles rehaussées d'or, les uns & les autres enrichis de quantité de Lampes dorées, & environnez de Girandoles de Cristal garnies de bougies. Du haut de la voûte pendoient quantité de Lustres de Cristal. Il y en avoit vingt-quatre de chaque costé disposez d'une façon extraordinaire à trois étages, les uns pendus sur les autres, & les autres entre-deux; de sorte que tout l'espace estoit illuminé d'une lumiere égale par une quantité surprenante de bougies. On avoit bordé toutes les parties de l'Architecture qui compose le grand' Autel d'une longue file de petites lampes, lesquelles estant allumées sembloient dessiner par des lignes de feu toute l'Architecture superieure de l'Autel, pendant que le bas estoit chargé sur six grands degrez qui montoient en piramide, de prés de cent Chandeliers d'argent entremeslez de Girandoles, Vases, Cassolettes & autres pieces d'argenterie, au milieu desquelles s'élevoit une Arche d'argent ornée sur les coins de feüillages & de Seraphins aussi d'argent. Au dessous de l'Arche estoit peinte la vision du Buisson ardent avec des Festons pendans aux deux costez d'un Cherubin, comme si tout eust esté entaillé sur une table de Rubis en bas relief en façon de Camaieux. Au dessus de la mesme Arche on avoit préparé une place pour exposer le S. Sacrement, derriere lequel estoit une grande bordure d'argent soûtenuë par deux Figures pareillement d'argent & au milieu de la bordure paroissoit un soleil de rayons transparens qui servoit de fond au veritable Soleil du S. Sacrement, au dessus duquel s'élevoit une Couronne d'argent enrichie de pierreries.

Outre le nombre presque infiny de lampes & de lumières qui faisoient briller cet Autel de toutes parts, on avoit eu soin de faire paroistre au travers des deux ouvertures qui sont de chaque costé, deux Gloires transparentes, peintes de nuages jaunes qu'on voyoit parsemez de testes de Cherubins, & éclairez par derriere d'un grand nombre de Bougies. Il seroit difficile d'exprimer la magnificence dont toute cette décoration parut aux yeux de tous ceux qui assisterent à cette Ceremonie. Mr le Cardinal Ranuzzi estant arrivé, on commença le Te Deum, qui fut chanté par la plus grande partie des meilleurs Musiciens du Roy & de la Ville. Il estoit de la composition du fameux Mr Lorenzani, aussi bien que l'Exaudiat dont il fut suivy, avec un fort beau Motet chanté par le Sr Favaly, Chantre de la Musique de la Chapelle du Roy, qui se fait admirer de tout le monde par la beauté de sa voix. Au moment que Mr le Cardinal Ranuzzi commença à donner la benediction, tout l'air retentit de la decharge de deux cent Boëtes. L'Assemblée au sortir de l'Eglise trouva encore de nouveaux sujets d'admiration. L'on avoit dressé au devant de la grande Porte de l'Eglise un Echafaut de quatre-vingt pieds de largeur sur quarante de hauteur, sur lequel on avoit distribué par étages plus de mille Terrines de feu, cachées derriere des toiles transparentes, & peintes d'une architecture magnifique, representant un superbe Portail de Marbre transparent de toutes couleurs. Dans le Fronton du milieu estoient les Armes de France, & au dessous la Devise du Roy, le tout tres-bien éclairé. Le grand Fronton estoit soutenu par six grandes colomnes isolées avec leurs Pilastres & arriere-corps. Le mesme ordre estoit continué de chaque costés par quatre grands Pilastres, entre lesquels estoit d'un costé la Foy dans une noche sur une piedestal, & la Loy de l'autre, en grandes Figures transparentes, beaucoup plus grandes que le naturel, comme estant les deux bases principales sur lesquelles cette Monarchie est appuyée. Toute la court estoit tapissée des deux costez jusqu'à la grande Porte de la ruë Saint Honoré, au-dessus de laquelle on avoit élevé un grand Tableau où estoit representée l'Eglise triomphante, sous la Figure d'une Femme venerable, habillée de blanc, & qui tenoit une Croix. Elle estoit debout sur un grand char, passant par dessus des Figures terrassées qui representoient l'Envie, l'Heresie, le Desespoir, la Maladie, &c. Le char estoit traîné par des Anges qui chantoient & joüoient des Instrumens. Au dessus de la teste de cette Figure voltigeoient des troupes d'autres Anges, dont les uns portoient des Fleurs de Lys, d'autres le Portrait du Roy representé en un grand Médaillon, couronné de Festons de lauriers, & d'autres l'Etendard de l'Eglise. Au dessus de ce Tableau estoit un timpan, dans lequel on avoit représenté plusieurs Anges, tenant un écriteau dans lequel estoit cette Inscription qui faisoit allusion au triomphe de l'Eglise.

 

Te sospite tuta triumphat.

 

Mr le Cardinal Ranuzzi témoigna d'une fois en sortant de cette Ceremonie, qu'il n'avoit jamais esté plus satisfait, que les Festes les plus solemnelles de Rome n'estoient ny plus magnifiques ny mieux étenduës, qu'il y écriroit ce qu'il avoit veu, & qu'il en marqueroit sa satisfaction à Sa Majesté. Ce témoignage a esté confirmé par toute l'Assemblée qui estoit des plus celebres, & il n'y a eu personne qui ne soit tombé d'accord, que rien ne pouvoit estre plus digne du sujet. Si la magnificence a paru dans cette Feste, on peut dire que tout y a marqué le bon goust de celuy qui en a fourny les desseins, & qui a pris soin de les faire executer.

Les trois Cours supérieures de la Ville de Roüen, qui avoient assisté le 12. de ce mois à une Messe Solemnelle, & au Te Deum qui fut chanté en musique dans l'Eglise Cathedrale au son de toutes les Cloches & au bruit du Canon & des Boëtes en Action de graces de la guerison de Sa Majesté, ont voulu marquer par des voeux separez que la santé de ce grand Monarque est la plus forte grace dont la France puisse estre redevable au Ciel. Mr de Ris, premier President du Parlement, ne cedant en rien au zele de quatre premiers Presidens de son nom qui l'ont precedé dans cette Charge, & qui dans toutes sortes d'occasions ont fait paroistre une passion extraordinaire pour le service de leur Roy & pour le bien de l'Estat, parut le Jeudy 23. de ce mois à la teste de l'auguste Corps dont il est le chef, & descendit dans la Sale du Palais qui estoit tenduë de tapisseries, & ornée de tout ce qui pouvoit rendre la ceremonie plus éclatante. Le peuple qui l'attendoit en foule, le receut avec des marques de joye extraordinaires. Tous ces Messieurs qui estoient en Robes rouges, ayant pris leurs places, on commença la Messe en musique. Elle fut celebrée par Mr l'Abbé du Four qui est du corps, & grand Tresorier de l'Eglise Cathedrale. Aprés la Messe un Choeur nombreux de Musique entonna le Te Deum, pendant lequel Mr le premier President alla mettre le feu à un grand Bucher que l'on avoit preparé dans la Court du Palais. Le Peuple par ses acclamations donna le signal aux Canons & aux Boëtes dont le bruit se fit entendre par tout. Mr le premier President retourna en sa place joindre ses prieres à celles de toute l'Assemblée, mais son zele ne pu estre satisfait d'avoir rendu des devoirs, où il avoit esté soutenu par tant de voeux; il voulut donner des marques de joye, où luy seul eust part, & invita toute la Compagnie à venir disner chez luy. On y trouva les violons, & quatre Tables où rien ne manquoit de ce qui pouvoit servir à la magnificence & à la bonne chere. Ce fut là qu'on fit de nouveaux souhaits pour la santé & pour la prosperité du Roy. Mr le Premier President porta la Santé de ce grand Prince, qui fut receuë avec toutes les marques possibles de respect et de joye. Le soir, les Dames eurent leur tour. Madame la premiere Presidente les regala avec la mesme magnificence, & pendant ce temps, le Peuple qui avoit receu ordre de faire une Feste publique de ce jour là, estoit animé à la joye par un grand feu allumé, & par une fontaine de vin qui couloit devant l'Hostel de ce premier Magistrat. Le lendemain la Cour des Aides suivit cet exemple, & le Samedy la Chambre des Comptes fit la mesme chose. Pendant ces trois jours les Fontaines de Vin ne cesserent point de couler, & les acclamations de toute la Ville retentissoient avec tant d'éclat, qu'il sembloit que la voix des Peuples voulust l'emporter sur le bruit des Boëtes & des Canons qu'on tiroit à tous momens. Les avocats & les Procureurs qui ont fait aussi chanter un Te Deum, se sont distinguez par des Illuminations surprenantes. Les Marchands ont joint de grandes aumônes aux Prieres, & le zele de tous les Corps leur fournit de jour en jour quelque maniere nouvelle de remercier Dieu de la conservation d'un Prince si cher à toute la France.

Mrs de la Ville de Blois n'ont rien oublié dans la mesme occasion de ce qui pouvoit marquer leur zele. Ils firent mettre le 19. de ce mois tous les Habitans sous les armes par Compagnies, sans exception d'Avocats, de Procureurs, ny d'autres Bourgeois, qui tous se firent un tres-grand plaisir de faire connoistre par une Feste publique le respectueux amour qu'ils ont pour le Roy. Le Te Deum fut chanté en Musique avec beaucoup de solemnité dans l'Eglise des Jesuites, qui estoit parée extraordinairement & tres-bien illuminée. Mrs les Maire & Echevins, & Mrs les Officiers du Presidial y assisterent en Corps avec les plus Notables de la Ville. On fit ensuite allumer un feu de joye dans la Place qui est devant la Porte de la mesme Eglise au pied du Château où toute la Bourgeoisie estoit sous les armes. La décharge qu'elle fit de ses Mousquets, fut suivie de plusieurs coups de Canon, de quantité de Fusées volantes, & autres sortes d'artifices, qui furent tirez de dessus une des Tours de la Ville, voisine de cette Place. Toutes les ruës estoient éclairées par des lumieres que l'on mit par tout aux fenestres des maisons. Il y eut plusieurs Fontaines de Vin, & une entre autre qui coula depuis le matin jusques au soir à la Maison de Ville.

L'exemple de Mrs de Blois, fut suivy par les Habitans des Faux bourgs de Foix de la mesme Ville. Ils se mirent sous les Armes au nombre de 350. vestus de mesme parure, avec chacun un ruban de Cravate de mesme couleur, & un Bonnet à la Dragonne, enrichy d'un galon d'or sur les coutures. Ceux des autres Faux-bourgs, de Vienne, de Bourgneuf & de S. Jean étoient aussi habillez fort lestement, & chaque Faux-bourg avoit sa couleur, & sa parure particuliere. Ils firent tous des Réjoüissances qui firent connoistre combien leurs coeurs estoient penetrez de joye pour l'heureuse Convalescence du Roy. Le Clergé n'oublia pas de marquer aussi son zele par un Te Deum qu'il fit chanter dans l'Eglise du Château en grande ceremonie.

Mrs de l'Academie Françoise, qui ont un interest tout particulier à la conservation de la Personne sacrée de leur Auguste Protecteur, ont aussi donné des marques de leur joye par un Te Deum qu'ils firent chanter en Musique Lundy dernier 27. de ce mois, dans la Chapelle du Louvre.

[Seconde partie des Lettres de M. le Chevalier d’Her…] §

Mercure galant, janvier 1687 (première partie) [tome 1], p. 301

[...] Cependant je vous envoye la seconde Partie des Lettres de M. le Chevalier d’Her.… que je vous fais esperer depuis deux mois, & que l’on commence à debiter dans la Boutique de la Veuve Blageart. Les Sujets de chaque Lettre, qui sont expliquez en peu de mots au commencement du Livre, vous apprendront qu’elles ne peuvent estre que fort galantes.

[Dialogues Satyriques & Moraux] §

Mercure galant, janvier 1687 (première partie) [tome 1], p. 301-303

 

On va debiter dans le mesme lieu un autre Livre, intitulé, Dialogues Satyriques & Moraux. Le premier de ces Dialogues est entre l’Auteur & son Livre, auquel il remontre le peril où il s’expose en s’obstinant à vouloir paroistre dans le monde, où le bel Esprit s’est érigé en Juge souverain des Ouvrages, au préjudice du bon Esprit. Il y en a un autre du Serieux & de la Badinerie ; un autre, de l’Or & de l’Amour ; un autre, de la Flaterie & de la Verité, &c. On y fait connoistre les avantages qu’a la Badinerie sur le Serieux dans la conversation, & dans beaucoup de productions d’esprit ; celuy qu’a l’Or sur l’Amour, pour faire de plus nombreuses & de plus promptes conquestes ; & la Flaterie sur la Verité en toutes sortes de conditions, & ainsi des autres Dialogues. Toutes les matieres en sont tournées agréablement ; & comme leur diversité donne un champ libre à l’esprit, il faudroit estre de bien méchant goust, pour s’ennuyer de cette lecture.

Air nouveau §

Mercure galant, janvier 1687 (première partie) [tome 1], p. 313-314.

Voicy une seconde Chanson qui ne vous plaira pas moins que la premiere.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Tout est changé dans l'Univers, doit regarder la page 313.
Tout est changé dans l'Univers,
Nos Arbrisseaux ne sont plus verds,
Nos Bocages sont sans feüillages,
Les Oyseaux y passent le jour
Sans chanter, sans faire l'amour
Nos Champs ne poussent plus d'herbettes
Nos Jardins n'ont plus de Fleurettes,
Tout se sent icy bas
De la rigueur des frimats
Mon cœur seul ne change pas.
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