1687

Mercure galant, Journal du voyage de Sa Majesté à Luxembourg, juin 1687 (seconde partie) [tome 9].

2017
Source : Mercure galant, Journal du voyage de Sa Majesté à Luxembourg, juin 1687 (seconde partie) [tome 9].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, Journal du voyage de Sa Majesté à Luxembourg, juin 1687 (seconde partie) [tome 9]. §

Au Roy §

Mercure galant, Journal du voyage de Sa Majesté à Luxembourg, juin 1687 (seconde partie) [tome 9], p. I-XVI

 

AU ROY.

Sire,

Quoy que l’usage de renfermer toutes les plus belles actions de ceux à qui l’on adresse des Epitres de la nature de celle que j’ose aujourd’huy presenter à Vostre Majesté, paroisse étably presque de tout temps, il est neanmoins absolument impossible de le suivre dans celles que Vous avez la bonté de vouloir bien recevoir. Le détail de la moindre de Vos actions pourroit remplir des Volumes, quand toute la vie des autres ne sçauroit fournir qu’à peine le sujet d’une seule Epitre. Mon zele m’en a fait entreprendre plusieurs, mais toutes ensemble ne forment qu’une tres-imparfaite ébauche de quelques-unes des actions de Vostre Majesté, & comme en de pareilles occasions on a toûjours lieu de craindre de se trouver accablé par l’abondance de la matiere, je ne parleray en celle-cy, que des sujets de loüange que vous avez donnez dans vostre dernier Voyage. Un autre que Vous, SIRE, n’en auroit fourny aucun dans le cours borné d’une simple promenade. Cependant ce que j’ay à dire me paroist si vaste, que je ne finirois point, si je cherchois à l’étendre. Vostre Majesté fit paroistre sa bonté avant son départ, lors qu’il luy plut de rasseurer l’Europe inquiette, à laquelle on vouloit persuader que Vous ne pouviez sortir de Versailles sans porter atteinte à son repos. C’est une marque, SIRE, que Vous avez mis la France dans un haut degré de gloire, que Vous l’avez renduë bien redoutable, & que Vous ne jettez pas moins de crainte dans les cœurs des jaloux de vostre puissance, que Vous causez d’amour, & d’admiration dans tous les autres. Vostre Voyage n’a point allumé la guerre qu’ils feignoient de craindre, & qu’ils vouloient exciter pour leurs interests particuliers. Vous n’estes point party avec la terreur. Vous n’avez point paru comme un Mars foudroyant, qui laisse la desolation par tout où il passe ; mais comme un Soleil bienfaisant qui cause la fecondité dans tous les lieux où il jette ses regards. Il semble que Vous n’ayez quitté le delicieux sejour de Versailles que pour aller porter l’abondance dans ces heureuses Provinces que Vous avez traversées. Vous avez donné par tout dequoy orner les Autels, & embellir les Eglises. Vos bien-faits se sont largement répandus sur tous les Pauvres, & ce qui jusques icy n’avoit point eu d’exemple, on peut dire que vous avez renchery sur ceux du Soleil. Il ne rend nos terres fecondes qu’une fois l’année, & vos Sujets ont éprouvé à vostre retour, les mesmes liberalitez dont ils avoient senty les effets peu auparavant, de maniere qu’ils en ont esté comblez. Si les Eglises, & les Pauvres ont eu pendant vostre Voyage de si grandes marques de vos bontez, la Noblesse de tous les lieux où Vostre Majesté a passé, en a receu de sensibles & d’éclatantes qui seront eternellement gravées dans tous les cœurs de leurs Descendans, & ils les estimeront infiniment plus que tous les titres de leur Maison, parmy lesquels la posterité les conservera. Dans quelle consideration ne seront-ils point, quand on sçaura qu’ils seront formez du sang de ceux qui auront eu l’honneur de se voir à la table de leur Roy ! mais quel Roy, le Monarque qui aura esté la terreur, l’amour, & l’admiration de toute la terre, enfin LOUIS LE GRAND. Voilà, SIRE, ce que Vostre Majesté a produit, en faisant manger à sa table plusieurs personnes de distinction qui ont eu l’honneur de l’avoir pour Hoste. Si le souvenir en est eternellement gardé dans les Familles sur lesquelles cette insigne faveur est tombée, avec quelle veneration ne conservera-t-on point la memoire des Ordonnances que vous avez fait rendre par un celebre Chapitre, pour l’augmentation du culte de Dieu, & de quelle utilité ne seront point les exemples de pieté que Vous avez donnez aux peuples, qui en ont esté temoins ? Vous avez eu soin, SIRE, que Dieu fust tous les jours servy & honoré par toute la Cour, & par toute vostre Maison, & pendant la semaine de l’année qui demande le plus d’exercices de devotion, & la seule où l’Eglise est occupée tous les soirs à chanter les loüanges du Seigneur ; non seulement Vostre Majesté n’a pas manqué d’y assister, & de se prosterner aux pieds des Autels en descendant de Carosse au lieu d’aller chercher du repos ; mais Elle a voulu que le Service fust celebré avec beaucoup plus d’éclat, que ne permettoit l’estat des lieux, & le peu de temps qu’on avoit pour s’y preparer. Je passe par dessus tout ce qui Vous a fait admirer dans Luxembourg, ma Relation en est remplie ; mais je ne puis m’empescher de dire que la France ne Vous est pas seule obligée des nouvelles Fortifications que Vous y avez fait faire, & de la nouvelle Forteresse que Vous faites élever, pour couvrir vos frontieres ; toute l’Europe Vous est autant redevable que la France, puisque ces nouveaux Ramparts ostant aux jaloux de vostre gloire, la pensée qu’ils pourrotent avoir de Vous attaquer, mettent vos Sujets à couvert de toute insulte, & empeschent que la tranquillité de l’Europe ne soit troublée. En effet, SIRE, Vous ne pourriez estre attaqué sans qu’elle fust aussi-tost toute en Armes. Qui auroit cru, SIRE, que vostre Majesté eust pû se faire admirer partant d’endroits pendant un si court voyage, ou plûtost qui auroit pû en douter, puisqu’Elle ne fait aucun pas qui ne serve à l’accroissement de sa gloire ? Personne ne le sçait mieux que moy qui me suis imposé le glorieux employ de recueillir toute les actions de Vôtre Majesté pour les apprendre à tout l’Univers. Je ne pouvois choisir un travail qui pust me donner plus de plaisir, & qui me procurast plus d’honneur, puisqu’il me donne lieu quelquefois d’approcher de Vostre Sacrée Personne. Je suis avec le plus profond respect,

SIRE,

DE VOSTRE MAJESTÉ,

Le tres-humble & tres-obeissant Serviteur & Sujet, DEVIZÉ.

[Devise de M. Magnin]* §

Mercure galant, Journal du voyage de Sa Majesté à Luxembourg, juin 1687 (seconde partie) [tome 9], p. 18-20

 

Pendant que la Noblesse des Pays voisins de Luxembourg, goûtoit par avance le plaisir qu’elle attendoit en voyant le Roy, & qu’elle en avoit l’idée remplie, comme on l’a ordinairement de toutes les choses que l’on souhaite avec passion, ceux qui estoient du Voyage s’y preparoient ; d’autres en parloient & d’autres écrivoient sur ce sujet. Voicy une Devise de Mr Magnin de l’Academie Royale d’Arles, sur ce Voyage. Le Soleil estoit alors au signe du Belier. Cette Devise a pour mot

CURSUM INCHOAT
OMINE MITI.

Il renouvelle son cours
Sous de fortunez presages ;
Loin d’icy, sombres nuages,
Nous n’aurons que de beaux jours.

Ces Vers convenoient assez à ce qu’on venoit de publier touchant les desseins cachez sous le Voyage du Roy.

[Devise de M. Rault]* §

Mercure galant, Journal du voyage de Sa Majesté à Luxembourg, juin 1687 (seconde partie) [tome 9], p. 20-22

 

Voicy une autre Devise de Mr Rault de Roüen, sur ce mesme Voyage de Sa Majesté, allant visiter ses Conquestes, & voir ses nouveaux Sujets. Cette Devise a pour corps le Soleil en son midy, sans nuages, & sans ombre, & jettant de benignes influences sur les Regions par où il passe. Ces mots en sont l’ame.

FELICI BEAT
ASPECTU.

 Tel que paroist le Dieu du jour
 Porté dans son char de lumiere,
Quand par chaque Climat il fait son vaste tour
 Pour visiter la terre entiere,
 Et que par ses brillans rayons
Il produit en tous lieux les biens que nous voyons ;
Tel l’Auguste LOUIS visitant ses Conquestes,
 Quelque part qu’il porte les yeux,
Sur ses Sujets nouveaux qui s’offrent en ces lieux,
 Répand ses faveurs toutes prestes,
Et quoy qu’il fasse voir la fierté du Dieu Mars,
 Ses yeux n’ont que de doux regards.

[Vers gravé sur les médailles]* §

Mercure galant, Journal du voyage de Sa Majesté à Luxembourg, juin 1687 (seconde partie) [tome 9], p. 59-68

 

Le Roy eut ensuite la bonté d’aller voir un des Fanaux qui sont aux quatre coins de la Place. Celuy où Sa Majesté alla, est le seul qui soit achevé. Le nom de Fanaux a esté donné à ces ouvrages à cause des Fanaux qui sont au dessus. À chaque endroit où ils ont esté placez, il y a un groupe de trois colomnes de Marbre sur un piedestal de mesme matiere. Au dessus de chaque groupe est un Fanal composé de plusieurs lampes, qui brûlent pendant toutes les nuits, & pour l’entretien desquelles, Mr le Duc de la Feüillade a estably un fond. Entre les colomnes de chaque Fanal, pendent six Médailles de bronze, dans chacune desquelles sont representées quelques actions du Roy, ce qui fait vingt quatre Médailles pour les quatre Fanaux. Il y a dans le piedestal de chaque groupe de colomnes, six Vers Latins ; de maniere que le sujet de chaque Medaille, est expliqué par deux de ces Vers. Les lettres en sont de bronze doré au feu, ainsi que les bordures & les autres ornemens des Médailles. Voicy les actions de Sa Majesté qui sont representées dans chacune des six Médailles fonduës en bronze.

La premiere Médaille marque la paix que le Roy a donné à l’Europe en 1677. Elle est expliquée par les Vers suivans.

Te duce, te Domino, LODOIX, prona omnia Gallo,
Urbes vi capere & docili quoque parcere captis.

La seconde represente le passage du Raab, où les François qui sauverent l’Allemagne acquirent une gloire immortelle, & Mr de la Feüillade une réputation, qui fera vivre eternellement son nom dans l’Histoire, Les Vers qui font connoistre cette grande action, sont,

Et Traces sensere queat quid Gallica virtus.
Arrabo cæde tumens, & servata Austria testis.

On voit dans la troisiéme Medaille la grandeur, & la magnificence des Bastimens du Roy, ce qui se reconnoist par les Vers suivans.

Quanta operum moles, & quanto surgit ad auras
Vertice ! sic positis LODOIX agit otia bellis.

Ces trois Medailles sont du costé de la Ruë des Petits-Champs, & font une chute les unes sur les autres. Les trois autres sont plus en dedans de la Place, & en regardent le Bastiment. Elles sont placées de la mesme maniere que celles dont je viens de vous parler, c’est à dire, qu’elles sont entre deux colomnes, & forment un rang les unes sur les autres. La plus élevée represente le Roy qui ordonne qu’on rende les Places qui ont esté prises à ses Alliez. On n’a qu’à lire les deux Vers suivans pour connoistre ce qu’elle contient.

Reddere Germanos LODOIX regnata Sueco
Arva jubet, Danosque, Iader stupet, & stupet Albis.

La Medaille qui suit fait voir la jonction des deux Mers, ce que ces deux Vers expliquent tres-bien.

Misceri tentata prius, semperque negata
Æquora, perpetuo LODOIX dat fœdere jungi.

On n’a qu’à jetter la veuë sur la derniere de ces six Medailles, pour y reconnoistre d’abord l’Audience donnée par le Roy aux Ambassadeurs de Siam, & l’on n’a qu’à lire les Vers suivans pour apprendre que la renommée ayant publié dans les Païs les plus reculez, tout ce qui rend le Roy l’admiration de l’Univers, les Souverains de toutes les Parties du monde, ont envoyé des Ambassadeurs pour estre témoins de sa grandeur.

Ingentem Lodoicum armis, famaque, fidemque
Egressam, Scithia & Libie venerentur & Indi.

[Châlons]* §

Mercure galant, Journal du voyage de Sa Majesté à Luxembourg, juin 1687 (seconde partie) [tome 9], p. 124-128

 

Il y eut au Jare une prodigieuse quantité de personnes de toutes conditions, que l'impatient désir de voir le Roy avoit fait venir de toute la Champagne. Les principaux Officiers de la Ville de Troyes se rendirent à Châlons, & firent vingt lieuës pour avoir l'honneur de salüer ce Monarque. Les Dames de la Province eurent beaucoup de chagrin de l'ordre qui fut donné, de n'en laisser entrer aucune au souper, qui n'eust esté nommée par Sa Majesté. Celles qui crurent n'estre pas assez connuës pour pouvoir estre du nombre, ne se presenterent point, dans la crainte d'estre refusées, ce qu'on ne trouva pas ordinaire, & qui fut fort remarqué. Le Roy eut la bonté de permettre qu'on les laissast toutes entrer le lendemain dans le Chœur de l'Eglise, où elles eurent le temps de considerer Sa Majesté & toute la Cour pendant que l'on dit la Messe. La Musique de cette Cathedrale chanta un Motet, dont il parut que l'on fut assez content. Mr l'Evesque Comte de Châlons, & Mr le Duc de Noailles accompagnerent toûjours le Roy tant qu'il demeura dans cette Ville. On auroit bien voulu sejourner dans un lieu aussi-beau & aussi spacieux que celuy là, où les logemens estoient fort commodes ; mais les mesures estant prises pour se rendre à Luxembourg au jour marqué, on partit le 16. à dix heures précises du matin, pour aller coucher à Sainte-Menehout. Mr de Châlons accompagna le Roy jusques aux confins de son Evesché, & Mr l'Evesque de Verdun le reçût à l'entrée du sien.

[À propos de l’évêque de Verdun]* §

Mercure galant, Journal du voyage de Sa Majesté à Luxembourg, juin 1687 (seconde partie) [tome 9], p. 135-136

 

Mr l’Evesque de Verdun est Fils d’Hippolite de Bethune, Comte de Selles, Marquis de Chabris, dit le Comte de Bethune, mort en 1665. aprës avoir esté honoré du Collier des Ordres du Roy en 1661. & fait Chevalier d’honneur de la Reyne Marie-Therese d’Austriche. Il avoit épousé en 1629. Anne-Marie de Beauvilliers, Sœur de Mr le Duc de S. Aignan, qui tant que la feuë Reyne a vescu, a eu l’honneur de la servir en qualité de Dame d’Atour. Ce Prelat avoit avec luy Madame de Rouville sa Sœur, Veuve de Mr le Marquis de Rouville, Gouverneur d’Ardres. Elle eut l’honneur de manger avec le Roy dans les trois Repas que Sa Majesté fit à Verdun.

[Dévotions de la cour pour la Pentecôte]* §

Mercure galant, Journal du voyage de Sa Majesté à Luxembourg, juin 1687 (seconde partie) [tome 9], p. 136-143

 

Le jour de la Pentecoste, presque toute la Cour fit ses devotions, à l'exemple du Roy. C'est une chose assez extraordinaire pendant le cours d'une marche ; mais que ne voit-on point de nouveau sous le Regne de Loüis XIV. sur tout pour les choses qui regardent la Religion & la piété ! Monseigneur le Dauphin se rendit dans l'Eglise Cathedrale dés sept heures du matin ; & après avoir entendu la Messe de Mr l'Abbé Fleury, Aumônier du Roy, ce Prince communia par les mains de cet Abbé.

Sur les dix heures, le Roy passa à travers ses Mousquetaires rangez en haye des deux costez de la court de l'Evesché, & au milieu des cent Suisses de sa Garde, postez dans la mesme Eglise. Sa Majesté estoit environnée de ses Gardes du Corps & de toute sa Cour. Elle se rendit dans le Chœur, où Elle fut suivie de Mr l'Evesque de Verdun, & de tous les Chanoines de cette Cathedrale. Le Roy estoit en Habit de ceremonie, c'est à dire, en Manteau, revestu de son Collier de l'Ordre. Il entendit la Messe de Mr l'Evesque d'Orleans, son premier Aumônier, dont il receut la Communion. La seconde Messe que Sa Majesté entendit, fut dite par l'un de ses Chapelains. Au sortir de l'Eglise, Sa Majesté toucha prés de cent Malades, dont Mr le Duc de Noailles avoit fait amener une partie de Chalons. Ils etoient rangez sous les arbres de la premiere court de l'Evesché. Ce Prince quitta ensuite son Habit de ceremonie, & revint avec Monseigneur le Dauphin, & toute la Cour, entendre la grand'Messe, qui fut pontificalement celebrée par Mr l'Evesque de Verdun, & chantée par la Musique de la Cathedrale. Cette Musique plut assez à toute la Cour & on trouva la voix d'un des Enfans de Choeur tres-agreable. Plusieurs mesme la jugerent digne de la Chapelle du Roy. Il y a quatre de ces Enfans de Choeur qui joüent du Violon, qui sont, une Taille, une Haute-contre, & deux Basses.

Le Roy eut la bonté de toucher encore soixante & dix Malades en sortant de la grand'Messe. C'estoit beaucoup aprés en avoir entendu trois, & touché d'autres Malades. Sa Majesté vint l'aprésdînée entendre Vespres dans la mesme Eglise, & Mr de Verdun officia encore en Habits pontificaux. Le Roy estoit dans les hautes Chaises à droite, & aprés luy, Monseigneur, Madame la Duchesse, & Madame la Princesse de Conty. Aprés ces Princesses estoient Monsieur le Prince, Monsieur le Duc, Monsieur le Duc du Maine, & Monsieur le Comte de Toulouse. Les Dames occuperent le reste des places. Jamais les peuples de Verdun n'avoient vû ny tant de magnificence, ny une si auguste Assemblée ; & l'on peut mesme dire qu'ils n'avoient jamais vû dans leur Eglise de si grands ny de si édifians exemples de pieté.

[Le roi visite ses troupes]* §

Mercure galant, Journal du voyage de Sa Majesté à Luxembourg, juin 1687 (seconde partie) [tome 9], p. 173-178

 

Mr le Marquis de Bouflers, qui a le Gouvernement de Luxembourg, vint au devant de Sa Majesté à Longwy. Il estoit accompagné de quelques-uns de ses Gardes qui ne parurent point avec leurs Carabines. Le Regiment d'Angoumois commandé par Mr de Thouy, estoit dans la Place. Le Roy en fit la Reveuë, & il le trouva tres-bon, tous les hommes estant bien-faits, & au dessus de trente ans. Ce Regiment eut l'honneur de garder le Roy. Il faut remarquer que ce Prince ne fut pas plûtost arrivé, qu'il donna des marques de son activité ordinaire. Pendant que chacun alla, ou se reposer, ou se divertir dans ses Appartemens, où il avoit donné ordre qu'il eust toûjours sortes de Jeux preparez, ce Prince courut, s'il m'est permis de m'expliquer ainsi pour mieux marquer son ardeur, il courut, dis-je, où la passion digne d'un grand Capitaine, & le devoir d'un grand Roy l'appelloient, & se donna tout entier le reste de la journée à voir des Troupes, & des Fortifications. Il y a dans Longwy quatre cens cinquante Cadets. Sa Majesté leur vit faire l'exercice, & dit hautement, qu'il n'y avoit point de Troupes qui s'en acquitassent mieux. Elle resolut mesme d'en prendre soixante ou quatre-vingt, pour en faire des Sous-Lieutenans dans tous les Corps, excepté dans son Regiment, où l'on ne reçoit point d'Officier qui n'ait esté Mousquetaire. Toutes les places qui y vacquent estant reservées à la Noblesse qui sort de ce Corps, ils se perfectionnent encore dans ce Regiment en ce qui regarde le métier de la Guerre, avant que d'estre élevez à de plus hauts Emplois. L'exercice que firent les Cadets, fut à la voix & au commandement de leur Capitaine, ensuite au coup de Tambour, & aprés dans le silence, par une habitude qui est en tous également naturelle ; ce qui se fait avec tant de justesse, qu'il semble que ce soit un seul homme qui remuë également toutes les parties de son corps.

[Jésuites de Luxembourg]* §

Mercure galant, Journal du voyage de Sa Majesté à Luxembourg, juin 1687 (seconde partie) [tome 9], p. 203-205

 

Les Jésuites y ont une tres-grande Eglise, fort propre & fort riche. Elle est plus grande que celle des Carmes de la Place-Maubert, & a deux aisles, & trois beaux Autels. Ils tiennent le College, & ces Peres sont ordinairement au nombre de vingt-cinq dans cette Maison. Encore qu'ils soient tous François, il y en a quelques-uns qui sçavent fort bien l'Allemand, & qui ont esté élevez en Allemagne. Leur Jardin est beau & spacieux & leur maison toute neuve & bien ordonnée. Ils ont une Musique Allemande, que la Cour alla entendre le jour de la Trinité.

[Etain]* §

Mercure galant, Journal du voyage de Sa Majesté à Luxembourg, juin 1687 (seconde partie) [tome 9], p. 298-300

 

La Cour alla dîner le 27. à Pierre-Pont. Sa Majesté monta à cheval l'apresdînée, & arriva le soir à Etain en prenant le divertissement de la Chasse. Sa Majesté y fut receuë par Mr de Verdun. Elle entendit la Messe le 28. à la Paroisse, & fit de grandes liberalitez au Curé, & aux Capucins qui sont établis en ce lieu-là, quoy qu'Elle leur en eust déjà fait en y passant la premiere fois. Elle dîna le mesme jour à Verdun chez Mr l'Evesque, à qui Elle avoit donné ordre le jour précedent pour le Salut qui fut chanté en Musique sur les six heures du soir. Toute la Cour y assista avec une devotion qui répondoit à la piété du Roy.

[Procession et messe à Etain]* §

Mercure galant, Journal du voyage de Sa Majesté à Luxembourg, juin 1687 (seconde partie) [tome 9], p. 300-304

 

Le lendemain 29. jour du S. Sacrement, la pluspart des Dames qui avoient accompagné ce Prince, firent leurs devotions, ce qui parut fort édifiant. Le temps estant extremement pluvieux, on ordonna que la Procession se feroit seulement jusques à l'Eglise des Jesuites, & qu'elle reviendroit aussi-tost dans la Cathedrale. La Procession commença par les Paroisses de la Ville, suivies des Mandians, & autres Religieux. Le Clergé estoit en fort grand nombre, accompagné des Gardes de la Prevosté, des Cent-Suisses de la Garde, & des Gardes du Corps, qui marchoient sur deux lignes à côté de la Procession. Messieurs les Princes du Sang estoient immediatement aprés le Dais. Monseigneur le Dauphin paroissoit ensuite ; deux Huissiers portant des Masses precedoient le Roy, qui avoit auprés de luy le Pere de la Chaise, & ses Aumôniers. Les Princesses marchoient aprés, suivies des Dames les plus distinguées, & ces Dames l'estoient d'un grand nombre de Seigneurs, & d'Officiers de la Maison du Roy. Le Presidial de Verdun marchoit en Corps, & Mrs de Ville suivoient le Presidial. Aprés cette longue file qui étoit en fort bon ordre, venoit une foule de peuple innombrable, sans compter ce qui se trouvoit encore dans la Ville. Presque toute la Lorraine s'y estoit renduë, & on en voyoit jusque sur les toits. On s'arresta à deux Reposoirs, & la grande Messe fut celebrée par Mr l'Evesque de Verdun. Le Roy, & toute la Cour occupoient la droite des hautes Chaises. Les Chanoines estoient à la gauche, & la Musique au milieu du Chœur ; elle s'acquita assez bien de tout ce qu'elle chanta. Sa Majesté alla à l'Offrande, & aprés la Messe Elle eut à peine le temps de dîner, pour retourner au mesme lieu, où la Cour entendit Vespres. Mr de Verdun officia encore. Au sortir de cette Eglise, le Roy se promena autour de la Citadelle, & alla voir les Ecluses, qui sont presentement achevées, & dont on se doit servir pour empêcher qu'on n'approche de la Ville du costé où elles sont. Mr de Louvois alla jusqu'au lieu où les eaux remontent. Plusieurs Particuliers ayant eu leurs heritages endommagez, ont esté remboursez par la bonté de Sa Majesté, quoy que cet ouvrage soit pour la défense de leur Patrie.

[Messe à la cathédrale d'Etain]* §

Mercure galant, Journal du voyage de Sa Majesté à Luxembourg, juin 1687 (seconde partie) [tome 9], p. 304-305

 

Le 30. le Roy entendit encore la Messe dans la Cathedrale, & Mr de Verdun luy presenta de l'Eau-benite. Ce Prince eut la bonté de faire une remontrance au Chapitre, pour l'exhorter de bien vivre avec son Evesque, & comme il sçavoit que les Chanoines estoient en possession depuis un fort grand nombre d'années, d'estre debout pendant l'Elevation, il leur demanda qu'en sa consideration ils fissent une Ordonnance pour abolir cet usage, à quoy ils ne s'opposerent pas. La Musique chanta un Motet sur le rétablissement de la santé de ce Prince, & receut en mesme temps des marques de sa liberalité.

[Salut dans l'église des Célestins de Brabant]* §

Mercure galant, Journal du voyage de Sa Majesté à Luxembourg, juin 1687 (seconde partie) [tome 9], p. 305-306

 

Toute la Cour alla ce mesme jour dîner à Brabant, & arriva un peu tard à Sainte-Menehout. Mr l'Evesque de Châlons s'y trouva avec quelques Ecclesiastiques qu'il y avoit amenez. Mr le Duc de Noailles ayant de son costé amené de Luxembourg Mr de Ville, & pris à Verdun des Musiciens qui se joignirent à d'autres qu'il avoit fait venir de Châlons, le Salut fut chanté en Musique aux Capucins sur les sept heures du soir. Mr de Châlons y donna la benediction du S. Sacrement.

[Châlons]* §

Mercure galant, Journal du voyage de Sa Majesté à Luxembourg, juin 1687 (seconde partie) [tome 9], p. 307-308

 

Le 31. la Cour dîna à Cense de Bellay, & alla à Châlons, où elle trouva un nombre infiny de peuple qui s'y estoit assemblé ; croyant qu'elle y passeroit la Feste de Dieu, ce qui seroit arrivé, si la maladie de Monsieur le Comte de Toulouse n'eust point rompu les mesures que l'on ayoit prises. Le Salut fut chanté par la Musique avec beaucoup de solemnité, Mr de Châlons estant à la teste de son Chapitre. L'Eglise, & les ruës estoient si remplies, qu'on croyoit estre au milieu du Peuple de Paris. Un nombre infini de toute sortes de gens qui cherchoient à voir le Roy, occupoit le Jare, & l'on assure qu'il n'y en avoit jamais tant eu.

[Vertus]* §

Mercure galant, Journal du voyage de Sa Majesté à Luxembourg, juin 1687 (seconde partie) [tome 9], p. 309-310

 

Le premier Juin, le Roy dîna à Bierge, & coucha à Vertus. Il y entendit le Salut à la Paroisse, où il y eut une Musique tres-agreable, soutenuë des Hautbois des Mousquetaires. Mr de Châlons y officia, assisté de Mrs de Luzansy & de Lerry, qui ont des Abbayes en ce lieu.

Le 2. on partit de Vertus à dix heures du matin, aprés avoir entendu la Messe, pendant laquelle la Musique continua de chanter des Motets de Mr du Mont. On ne sçauroit trop admirer le zele & l'activité de Mr de Noailles, pour le service de Dieu & du Roy. Mr de Châlons a officié pendant l'Octave du S. Sacrement, par tout où Sa Majesté a esté dans son Diocese & il s'est par tout trouvé de la Musique, par les soins de Mr le Duc de Noailles son frere.

[Soissons]* §

Mercure galant, Journal du voyage de Sa Majesté à Luxembourg, juin 1687 (seconde partie) [tome 9], p. 318-321

 

Le jour de l'Octave du S. Sacrement, le Roy ayant sceu à quatre heures & demie du matin l'estat de la maladie de Madame la Princesse de Conty, ordonna à Mr de Louvois de faire partir les Officiers, & cependant ce Prince, qui ne songea pas moins à remplir les devoirs de Chrestien, que ceux de Roy, demanda au Pere de la Chaise, s'il estoit Feste dans le Diocese de Soissons, & s'il y avoit obligation pour ses Officiers d'entendre la Messe, & pour luy d'assister à la Procession. Le Pere de la Chaise luy répondit, qu'il estoit obligé d'entendre la Messe, & non d'aller à la Procession ; mais que cependant il seroit mieux que Sa Majesté rendist ce devoir aux ordres de l'Eglise, qui a étably la Procession de l'Octave. Il n'en falut pas davantage pour faire ordonner qu'on dist continuellement des Messes, & quoy que les Cloches qui sont fort grosses, fussent prés de la Chambre du Roy, parce que l'Eglise est dans le Chasteau, ce Prince voulut qu'on les sonnast toutes. Il entendit à huit heures & demie une Messe, dite par un Chapelain de quartier. Cependant le Prieur accompagné d'un Diacre, d'un Sous-Diacre, de trois Enfans de Chœur, de huit Choristes & de huit Chapiers tirez de la Chapelle du Roy, se preparoit dans la Sacristie. La Procession commença sur les neuf heures ; on dit ensuite la grand'Messe, et le Roy partit pour aller dîner à Vieu-Maison, qui appartient à Mr Jacquier. Monsieur le Prince quitta la Cour, pour se rendre à Paris. On coucha ce jour-là à la Ferté sur Joüare dans le Diocese de Meaux. Mr l'Evesque de Meaux s'y trouva avec quelques Abbez, & ses Aumôniers. On chanta le Salut en plein Chant à la Paroisse, & la benediction y fut donnée par ce Prelat. Sa Majesté, qu'une marche continuelle n'a détournée d'aucune des fonctions de pieté, dont Elle s'acquite avec un zele si édifiant, termina de cette sorte l'Octave du S. Sacrement.