1689

Mercure galant, janvier 1689 [tome 1].

2017
Source : Mercure galant, janvier 1689 [tome 1].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, janvier 1689 [tome 1]. §

L’Eglise au Roy §

Mercure galant, janvier 1689 [tome 1], p. 7-21.

 

Je ne puis, Madame, commencer ma Lettre d’une maniere plus noble, ny qui vous donne un plus veritable sujet d’admirer le Roy, qu’en vous faisant part de ce que Mr l’Abbé du Jarry luy fait dire par l’Eglise. Tous ses Ouvragez sont fort estimez, & l’heureux talent qu’il a pour les Vers, l’a mis au nombre de ceux qui ont le plus libre accés auprés des Muses. Vous en jugerez en lisant ceux-cy.

L’EGLISE
AU ROY.

Grand Roy, lors qu’en tes mains fumoit encor la foudre,
Qui de cent murs brisez ne laisse que la poudre,
Que d’un peuple hautain les Chefs humiliez
De leur orgueil puni rougissoient à tes pieds,
Et que des Nations sur leurs bords fugitives,
Ton bras me consacroit les dépouilles captives ;
Loin du bruit des combats j’ay cru que d’autres voix
Devoient chanter l’éclat de ces sanglans exploits.
 Mais quand tu fais tomber tous ces murs sacrileges,
Où l’Erreur usurpa d’injustes privileges ;
Que ta main a triomphante ose mettre le fer
A cet arbre fatal que fit germer l’Enfer ;
Qu’en tes vastes Etats un surprenant prodige
D’un culte criminel ne laisse aucun vestige :
Je dois jusques aux Cieux élever la grandeur
D’un regne qui me rend ma premiere splendeur ;
Et quand tout retentit du bruit de tes loüanges,
J’entre dans des concerts où se mêlent les Anges.
Le doigt de Dieu b sur toy se découvre à nos yeux,
Ton heureuse naissance est un present des Cieux.
Au pied de ton berceau la victoire fit croistre
Des lauriers que depuis chaque jour a veu croistre ;
Par force ou par amour tout a senty le poids
Du suprême ascendant qui fait subir tes Loix
Aux climats ennemis dans tes Provinces calmes,
L’Olive sur ton front se mêle avec les palmes :
Mais le Ciel de ton nom répandant la terreur,
Préparoit ton courage à terrasser l’Erreur :
Ton bras me faisoit vaincre en gagnant des batailles,
Relevoit les Autels, foudroyant les murailles,
Et le Monstre fatal à tes pieds abatu,
Fait voir que ton courage a servy ta vertu.
 C’est ainsi qu’autrefois par d’éclatantes marques,
Ce Dieu qui dans ses mains tient le coeur des Monarques,
Distingua ce c Heros, qui fidelle à ses loix
Répara le premier l’opprobre de la Croix,
Et purgeant l’Univers de cent cultes frivoles,
A l’aspect du vray Dieu fit tomber les Idoles.
 Trompeuses visions des Prophetes menteurs,
Songes extravagans, fantômes seducteurs,
Qui flatant dans sa chûte une secte infidelle,
Promettez à cette hydre une teste nouvelle,
Déja nous avons vû ces temps évanoüis,
Qui bornoient dans leur cours les exploits de LOUIS.
Le Ciel a démenty des présages funestes :
L’Erreur a vû tomber ses déplorables restes,
Les Vieillards sous son joug sont honteux de blanchir ;
Les jeunes dans mes bras viennent s’en affranchir ;
De mes troupeaux accrûs mes Temples se remplissent,
De nouvelles moissons les champs sacrez jaunissent ;
Les fugitifs lassez d’un exil criminel
Reviennent d à l’envi dans le sein paternel,
Et par des traits divins reconnoissant leur mere,
Renoncent pour jamais à l’esclave étrangere.
Qu’un amas inconnu d’aveugles dispersez
Puise une eau corrompuë en des canaux percez,
Les fontaines de vie e aux enfans découvertes,
Leur font abandonner des citernes desertes :
Au bord des vives eaux par la Grace conduits,
De son germe immortel ils cultivent les fruits,
Et d’un lait tout divin nourris dans l’innocence,
Réparent le poison fatal à leur naissance.
Fugitifs obstinez, qu’un vain espoir seduit,
Vous échapez en vain au bras qui vous poursuit :
Ouvrez les yeux ; voyez sous l’effort des orages
Tomber des vains mortels les fragiles ouvrages,
Pendant que ceux du Ciel f de torrens inondez
Subsistent sur la pierre où Dieu les a fondez.
Telle est sur les saints monts g l’inébranlable Eglise
Pareille à ces rochers où la vague se brise,
Et la fureur des flots qui l’osent attaquer
Cede au terme fatal h que Dieu sçait leur marquer
 O vous, qui sur vos yeux où vostre erreur l’attache,
Remettez, le bandeau quand le Ciel l’en arrache,
D’une Secte qui meurt dans ses restes errans,
Distinguez cette loy qui dompta les Tyrans.
Du sang qu’ils répandoient la semence feconde
Remplit de mes enfans tous les climats du monde :
D’un Martyr immolé le glorieux tombeau
D’un Peuple de Chrestiens devenoit le berceau,
Et des siécles nombreux ont veu ma foy naissante,
Toûjours persecutée, & toûjours triomphante.
Ainsi jusqu’à ce jour le Ciel dans tous les temps
Fit briller sur mon front des signes éclatans,
Un mortel ne peut rien contre une loy divine,
Et l’erreur par sa fin marque son origine.
 Aprés ce que tes soins, grand Prince, ont fait pour moy,
Quelle gloire le Ciel doit-il verser sur toy ?
Déja ton fier Dauphin i, suivant tes nobles traces,
Se rend maistre des cœurs en soûmettant les Places :
Ce jeune Conquerant, sur qui de toutes parts
L’Univers attentif arrestoit ses regards,
Qui de tes grands exploits instrui dés son enfance,
Avoit à soûtenir le poids de sa naissance,
A peine a-t-il receu la foudre de tes mains,
Qu’il en a terrassé les Ramparts des Germains,
Que sa valeur naissante à Philisbourg fatale,
A suspendu le vol de l’Aigle Imperiale,
Et fait d’abord sentir à de fiers ennemis,
Que le grand cœur du Pere agissoit dans le Fils.
Tu pouvois, asseuré d’une prompte conqueste,
De ce nouveau laurier parer encor ta teste.
Dés que tu le voudras, par de plus grands efforts,
Le Rhin te reverra triomphant sur ses bords,
Sans autre changement que la gloire nouvelle
Qu’ajoute chaque jour à ta vie immortelle :
Mais tu n’as pu laisser dans un plus long repos
L’impatiente ardeur de ce jeune Heros ;
Tu fais que sa valeur qui gemissoit captive,
Moissonne des Lauriers dont la tienne se prive.
Tu veux bien de ton Fils recevoir aujourd’huy
Un rayon de l’éclat que tu répands sur luy,
Et souffrir desormais qu’entre vous la victoire
Commence d’établir un commerce de gloire.
Poursuy tes saints projets, Prince religieux ;
Sois des œuvres du Ciel l’instrument glorieux :
Du plus Chrestien des Rois soutiens l’auguste titre ;
Prens sur des droits douteux ta bonté pour arbitre ;
Du pupille opprimé sois le ferme support ;
Eclaire un Peuple l assis dans l’ombre de la mort ;
Previens l’écueil fatal où la pudeur succombe,
De l’oiseau ravisseur garantis la colombe,
Et par les soins d’un cœur que Dieu fit à ton gré,
Asseure à l’innocence un asile sacré.
Par tout où ton nom vole érige au Ciel des temples,
Instruis les Souverains par d’immortels exemples,
Et reçoy tous les vœux que pour prix de ta foy
Doit l’Eglise à son Fils & la France à son Roy.
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[Festes Publiques] §

Mercure galant, janvier 1689 [tome 1], p. 25-30.

[...] Les Magistrats de Luzy ont fait aussi de grandes réjoüissances. On avoit dressé dans la principale Place de la Ville, un piedestal haut & large de dix pieds en chaque quarré, & sur ce piedestal estoit une pyramide de quinze pieds de hauteur, terminée par un Soleil d'or, dont les rayons illuminoient la place de tous les costez. On avoit mis deux Lions à deux des coins de la piramide sur le piedestal, l'un peint de gueules au champ d'or, & l'autre d'or au champ d'azur, pour representer les deux plus considerables Provinces des Pays-Bas. Ils paroissoient expirans, & on lisoit au bas ces paroles, Nos pudeat sine Sole mori. Deux Aigles qu'on voyoit sur les deux autres coins, sembloient s'élever vers le Soleil. Ces mots estoient au dessous, Quantum distamus ab illo. Monseigneur le Dauphin estoit peint en Generalissime autour de la pyramide avec Mr le Maréchal de Duras, & ses Lieutenans Generaux, ausquels il montroit avec un baston de commandement, l'inutile effort des Aigles, avec ces paroles, Tolluntur in altum, ut lapsu graviore ruant. Toute la pyramide estoit garnie de feux d'artifice, de fusées, & de grenades. Mrs Repous, Ballard, Miraut, & Coujar, ayant fait mettre les Habitans sous les armes, allerent au logis de Mr Nault, Chastelain, premier Magistrat de la Ville, chez qui tous les autres s'estoient assemblez. Ils firent faire une décharge de Mousqueterie, & les conduisirent en tres-bel ordre à la Place, où aprés qu'ils en eurent fait trois fois le tour au bruit de tambours, des Fifres, des Hautbois, & des Musettes, le Chastelain précedé des Sergens de Ville, ayant chacun un flambeau à la main, mit le feu à la droite, & les autres Magistrats le mirent aprés luy aux autres endroits. Pendant que les grenades & les fusées faisoient leur effet, le Soleil qui estoit à la pointe de la pyramide parut tout en feu, mais sans brûler, & l'on fut surpris de voir au milieu trois Fleurs de Lys aussi en feu, & ces mots en lettres d'or, Fraterno & simili candore coruscant. Les Lions & les Aigles ayant esté consumez, le Soleil demeura encore tout lumineux plus de deux heures, sans qu'il fust endommagé par les flâmes. Les Magistrats furent reconduits chez le Chastelain, qui leur donna un magnifique repas, aussi-bien qu'à la Noblesse. Il fut suivy d'un grand Bal, où toutes les Dames avoient esté invitées. Le lendemain on chanta le Te Deum dans l'Eglise principale, où assisterent les Magistrats, conduits encore par les Habitans en armes. [...]

[Festes publiques à Marseille]* §

Mercure galant, janvier 1689 [tome 1], p. 30-41.

 

Marseille a fait voir dans le mesme temps ce qu’il seroit malaisé de voir ailleurs, c’est à dire, quarante Galeres éclairées d’un nombre infiny de lumieres qui faisoient un des plus beaux spectacles du monde. Tous les masts, tous les cordages, toutes les rames, la Poupe, la Prouë, & les voiles estoient remplies de lampions. Mr le Lieutenant General avoit fait dresser un tres-beau Feu d’artifice, qu’il fit tirer sur les sept heures du soir. Les quarante Galeres l’accompagnerent de trois décharges de Canon & de Mousqueterie. Tous les Capitaines & Officiers firent aussi allumer des feux devant leurs maisons. Mr le Comte du Luc, Frere de Mr l’Evesque de Marseille, se distingua particulierement dans cette réjoüissance. Il est de l’ancienne & illustre Maison de Vintimille, & on peut dire qu’il a herité de toutes les vertus de ses Ancestres. Il a donné des marques de sa valeur & de son zele en plusieurs occasions, tant sur mer que sur terre, & entre autres dans la memorable Bataille de Cassel, où il perdit le bras droit. Pour marquer sa joye de la prise de Philisbourg, il fit illuminer la façade de sa maison qui est environ de douze toises, & les deux ailes qui en ont presque autant, & qui forment une belle & grande court. Cette court est fermée par une double muraille enrichie des ornemens de l’Architecture. Comme la porte est plus exhaussée, ce fut là qu’on éleva un grand Tableau, haut de dix pieds, & large de cinq. Il representoit Monseigneur le Dauphin couronné de Laurier dans un char de triomphe, où la Victoire estoit enchaisnée par un pied, ce qui l’empeschoit de voler. Dans le Tableau mesme se lisoient ces Vers, qui sembloient sortir de la bouche de la Victoire.

 Du bonheur de LOUIS trop foibles Envieux,
Craignez de son Dauphin l’heureuse destinée ;
Par un Arrest du Ciel, à son Char glorieux
 Je me vois moy-mesme enchaisnée.

Les armes du Roy & de Monseigneur estoient à costé du Tableau dans des cartouches separez, & au dessous du Tableau on voyoit celles de Mr le Comte du Luc. La porte estoit ornée d’un arc de laurier. & deux grandes pyramides lumineuses s’élevoient au milieu de la muraille. L’une estoit à la droite, toute parsemée de Fleurs de Lys. & l’autre à la gauche, pleine de Dauphins. Toutes les deux brilloient de lumieres, & chacune avoit deux Villes à ses costez, sçavoir Philisbourg, Manhein, Frankendal & Heidelberg. Au dessous des Villes & des pyramides, estoient ces douze Devises & Emblêmes à la gloire de Monseigneur le Dauphin.

Un Aiglon regardant le Soleil & ces mots, Non degener.

Un Aiglon portant la Foudre de Jupiter, Quo me jussa Jovis.

Un Torrent tombant d’une Montagne, & emportant tout, pour faire voir la rapidité de ses Conquestes, Currendo obstantia vincit.

Un Lyonceau entrant dans la Lice, qui est entourée d’autres Animaux, Urget juventa & patrius vigor.

Un Belier abattant du premier coup un pan de muraille pour marquer sa premiere Campagne, Impete primo.

Un Heliotrope ou Tournesol, Sequitur vestigia Solis.

Un Soleil naissant dans le signe de la Canicule, Splendet & urit ab ortu.

Un Cadran Solaire. Mireggo al suo corso.

Jupiter déguisé en Taureau, folatrant auprés d’Europe, Non l’hò ancora, ma l’haverò.

Une épine naissante, Non prima nasce che punge.

Un foudre parmy les eaux du Ciel, pour marquer que Monseigneur a pris Philisbourg malgré les pluyes, Non me extingue.

Un Dauphin dans le Rhin, Cerco il mar Germanico.

Toutes ces Devises avoient des Cadres de Lauriers, ainsi que quatre grands Tableaux qui bouchoient les fenestres des aisles qui tournent dans la ruë, & qui representoient la Renommée, la Peinture, la Poësie, & la Sculpture avec ces Inscriptions.

La Renommée.

 A servir Jupiter & le Dieu des Combats.
 Je n’ay jamais eu tant à faire
Qu’à compter les exploits & du Fils & du Pere.
 Je me lasse à suivre leurs pas ;
Pour remplir de leur nom l’un & l’autre Hemisphere
 Mes cent voix ne suffisent pas.

La Poësie.

 Que je le vois avec plaisir
Par ses faits étonnans remplir nostre esperance !
Mes Vers dés sa plus tendre enfance
 Ont souvent charmé son loisir.
 Que par eux les temps à venir
Admirent sa valeur & ma reconnoissance.

La Peinture ayant le Portrait de Monseigneur devant ses yeux & une toile d’attente à costé.

 Le voilà ce Heros chery de la Victoire,
Mon zele à tout moment vient me solliciter
De tracer les hauts faits qui le couvrent de gloire :
A son pressant desir je tâche à resister.
Je les vois déja peints au Temple de Memoire
Sous de traits que mon art ne sçauroit imiter.

La Sculpture frappant sur un bloc de Marbre.

 Pour faire son Portrait fidelle
Je sçais que je travaille en vain.
Quel art, quelle sçavante main,
Peut donner du relief à sa gloire immortelle !

[Balet dancé à Trianon] §

Mercure galant, janvier 1689 [tome 1], p. 53-83.

Le Roy pour marquer l'extrême satisfaction qu'il a receuë du retour de Monseigneur le Dauphin aprés ses glorieuses conquestes, a fait danser un Balet dans l'agreable Palais de Trianon, que l'on a tant de raison d'appeler le Palais de Flore. C'est aussi le nom qu'a eu ce Balet qui fut dansé le 5. de ce mois. Le theatre ne pouvoit avoir de plus superbe décoration que Trianon mesme. L'éclat des marbres, & des beautez de l'architecture attachent d'abord la veuë sur cette grande façade appellée le Peristile, & le plaisir redouble lors que par l'ouverture de ses arcades entre plusieurs rangs de riches colomnes, on découvre ces fontaines, ces jardins, & ces Parterres toujours remplis de toutes sortes de fleurs. C'est alors que l'on oublie qu'on est au milieu de l'hyver, ou bien l'on croit avoir esté transporté tout d'un coup en d'autres climats, quand on voit ces delicieux objets qui marquent si agreablement la demeure de Flore.

La premiere Entrée estoit de Naiades & de Silvains, qui venoient se réjoüir du retour de Monseigneur le Dauphin. Mademoiselle Brion qui representoit une Naiade, parut d'abord en chantant ces Vers.

 C'est l'ordre de LOUIS, signalons nostre zele.
Au retour du Heros que son amour rappelle.

Le Chœur des Naiades & des Silvains répondit.

 O doux momens ! ô favorable jour !
Du Dauphin triomphant celebrons le retour.

Aprés une danse des Silvains. Le Chœur reprit.

 Chantons, dansons,
 Que l'Echo réponde
 A nos chansons,
  Que l'onde
 S'élance dans les airs ;
 Que son bruit réponde
 A nos concerts.

Alors on entendit un Chœur chantant derriere le Theatre.

Victoire, victoire, victoire.

& la Renommée representée par Mademoiselle Varango, parut, & chanta les Vers qui suivent.

J'ay franchy les monts & les mers,
Je viens d'apprendre à l'Univers
 Des succés qu'il ne pouvoit croire.
 L'Auguste Heros des François
Trouve un Imitateur de ses fameux exploits.

Le Chœur ayant repeté, Victoire, Victoire, la Renommée continua.

 Sur ces bords où LOUIS triompha mille fois,
 Son Fils suit aujourd'huy les traces de sa gloire.

Le Chœur repeta ces derniers Vers, & ensuite on vit entrer Minerve & Bellone ; la premiere representée par Mademoiselle de la Lande, & l'autre par Mademoiselle Rebel. Voicy le recit que fit Minerve.

 Flore tient icy son Empire,
  Ses dons precieux
  Y charment les yeux
 Et parfument l'air qu'on respire.
Nostre jeune Heros dans ces lieux favoris
De ses heureux exploits va recevoir le prix.
***
 Réposons-nous, fiere Bellonne,
 Le Nekre & le Rhin sont soumis.
 Que LOUIS parle, qu'il ordonne,
 On voit tomber les Ramparts Ennemis,
Mais le plus grand plaisir que ce succés luy donne,
 C'est de voir triompher son Fils.

Bellonne luy répondit ce qui suit.

 Minerve, vos soins fidelles,
 Ont guidé ce jeune Vainqueur
 Vous imprimez dans son cœur
De l'Auteur de ses jours les vertus immortelles.

Toutes deux chanterent ensuite.

Ah, quel bonheur pour ce Fils genereux
 D'avoir ce parfait modelle !
 O Pere trop heureux
 D'en voir une Image fidelle !
Ah, quel bonheur pour ce Fils genereux !
 O Pere trop heureux !

Ces deux derniers Vers ayant esté repetez par le Chœur, Minerve poursuivit de cette sorte.

 Pour faire à l'Univers connoistre un Fils qu'il aime,
Pour le rendre à son tour & craint & renommé,
LOUIS retient ce bras à vaincre accoutumé,
 Et s'est privé de triompher luy-mesme.
Il donne à ce cher Fils son sort victorieux,
  Sa puissance suprême,
Ses conseils, son esprit, son exemple, & ses Dieux.

Bellone reprit, & chanta ces autres Vers.

 Au seul nom de LOUIS toute la terre tremble ;
Et que feront encor cent Peuples étonnez
 De voir un Fils qui luy ressemble ?
Nous les verrons tous deux, nous les verrons ensemble,
  Vainqueurs fortunez,
 Au bout du monde couronnez.

Les Nymphes de Flore & les Zephirs parurent icy estant appellez par ces Vers que chanta Minerve.

  Vous, Nymphes de Flore,
  Vous, agreables Zephirs,
Parez, ornez ces lieux ; qu'ils soient plus beaux encore ;
 De ce grand Roy secondez les desirs.

Une Nymphe de Flore representée par Mademoiselle Guignard, finit cette Entrée en chantant ces Vers.

 Sejour pompeux & tranquille,
Où nous passons les jours ainsi que des momens,
 Fontaines, Jardins, Peristile,
  Palais plein d'agremens,
Dant la royale main à qui tout est facile
 Dans ses nobles délassemens,
  A tracé les ornemens,
 Montrez tous vos attraits charmans.

Flore, representée par Mademoiselle de Blois, & accompagnée de deux de ses Nymphes qui estoient Mademoiselle d'Armagnac & Mademoiselle de la Vrillere, ouvrit la seconde Entrée. Quatre Zephirs dançans les suivoient. Mademoiselle Guignard, Nymphe, & Mr Matos, Zephir, chanterent d'abord ces Vers.

  A l'aspect de Flore
  Hastez-vous d'éclore.
  Venez en ses belles mains,
  Moissons odorantes,
  Richesses riantes
   Roses, jasmins
  Anemones, Amarantes,
 Aimables fleurs, venez orner
Le front victorieux qu'elle veut couronner.

Mademoiselle Chappe, autre Nymphe de Flore, continua par les vers qui suivent.

 Tout fleurit sur nos rivages,
 Nos Jardins sont toujours verds.
 Jamais des tristes Hyvers
 Nous ne sentons les outrages
 Nostre Printemps dure toujours,
 Nous n'avons que de beaux jours.

Ces autres Vers furent chantez par Mademoiselle Guignard seule.

 Que l'ame est icy contente !
 Tout nous rit, tout nous enchante,
  Le Ciel répand sur nous
  Ce qu'il a de plus doux.
***
Dans ces retraites aimables
Les biens sont purs & durables.
 Le Ciel répand sur nous
 Ce qu'il a de plus doux.

Le Chœur de Nymphes & de Zephirs repeta, A l'aspect de Flore, &c. & cela finit la seconde Entrée.

La troisiéme estoit composée de Diane que representoit Madame la Princesse de Conty accompagnée de ses Nymphes & d'un grand nombre de Chasseurs chantans & dançans. Endimion, Chasseur, chanta le premier, & fit entendre ces Vers.

 Jamais du haut de sa carriere
Sur ce Trône d'argent dont se parent les Cieux,
  Diane n'avoit à nos yeux
  Répandu tant de lumiere.
***
 Jamais, quand de la nuit perçant les sombres voiles
 Elle regne entre les Etoiles,
 Elle ne tint mieux à son tour
 La place de l'Astre du jour.

Deux Nymphes de Diane poursuivirent par ceux-cy.

 Sur les Autels
 Qu'Ephese nous vante,
A-t-elle ainsi ravy tous les Mortels ?
O vous Delos, vous, Bois d'Erimante,
Avez-vous pu la voir si charmante ?
 Sur les Autels
 Qu'Ephese nous vante,
A-t-elle ainsi ravy tous les Mortels ?

Une autre Nymphe de la suite de Diane, representée par Mademoiselle de la Lande, chanta ce qui suit, en s'adressant aux Nymphes & aux Chasseurs.

  Nymphes diligentes
   Qui suivez les loix
  De la Deesse des Bois,
 Renouvellons les Chasses triomphantes,
  Où de ses attraits
 Diane embellit nos Forests,
 Renouvellons nos Festes éclatantes.
***
Et vous qui du repos dédaignez la douceur,
Chasseurs tant celebrez, venez sur ce rivage
  Voir l'heroique Chasseur
 A qui vous devez vostre hommage.
Loin des affreux dangers occupez son loisir.
  Par un noble plaisir.

Cephale parut aussi-tost avec Hippolite, & chanta ces Vers.

Le Dain timide & la Biche sauvage
  N'évitoient jamais
 L'atteinte de mes traits ;
Mais de ses dards il fait un autre usage,
 Il abat sous ses coups fameux
  Des Peuples belliqueux.

Voicy ceux qui furent chantez par Hippolite.

J'exerçois comme luy dans les bois solitaires
  Ces vertus sinceres
Qui regnent parmy les Silvains,
Loin du commerce des Humains,
Mais je n'ay point appris, en cet estat paisible,
  A forcer des ramparts,
J'ignorois les vertus que son coeur invincible
  Exerce aux champs de Mars.

Le chant de ces deux illustres Chasseurs fut suivy d'un Chœur qui repeta ces paroles.

 Renouvellons les Chasses triomphantes,
   Où de ses attraits
  Diane embellit nos Forests ;
 Renouvellons nos Festes éclatantes,
De ce jeune Heros occupons le loisir
  Par un noble plaisir.

La quatriéme Entrée estoit celle de la Gloire, reprensentée par Madame la Duchesse. Madame de Valentinois, Madame de Florensac, & Mademoiselle d'Usez l'accompagnoient en qualité d'Amazones. Il y en avoit plusieurs autres, qui estoient des Amazones chantantes, & parmy elles Mesdemoiselles la Lande & Varango, representoient Pentesilée & Antiope. Il y avoit aussi plusieurs Heros chantans & dansans, & parmy eux Ulysse & Cyrus, l'un representé par Mr Morel, & l'autre par Mr Cebret. Pentesilée chanta la premiere en s'adressant à la Gloire.

  Reine des grandes ames,
 Unique objet des plus nobles Vainqueurs,
 Gloire, qui de tes belles flâmes
 Brûles sans cesse leurs coeurs ;
Toy qui leur fais trouver une vie immortelle,
Toy du plus grand des Rois la compagne fidelle,
Et qui l'as couronné de tes plus nobles prix,
Dans ce parfait Heros tu vois un tendre Pere,
 Tu luy deviens encor plus chere
 Lors que tu couronnes son Fils.

Le Chœur ajoûta.

  O Gloire éclatante !
  Gloire brillante !
Nous suivrons toujours tes pas.
  O Gloire charmante !
Nous suivrons jusqu'au trépas
 Tes triomphans appas.

Aprés cela Pentesilée & Antiope chanterent ensemble.

 Prince heureux, le Dauphin t'imite.
  Tes premiers Sujets
  Sont ceux qu'un plus beau zele excite
A suivre tes nobles projets.
 Ces Princes brillans de ta gloire,
 Ces Heros formez de ton sang,
Comme auprés de ton Trône, au Temple de Memoire
  Tiennent le premier rang.

Pentesilée chanta seule ensuite, & appella ainsi les Heros.

 Vous que la Gloire a jadis couronnez,
  Venez, Heros, venez.
Voyez pour nos Guerriers quel triomphe s'appreste,
  Voyez dans cette heureuse Feste
  Les biens qui leur sont destinez.

Ulisse s'avança, & se fit connoistre en chantant les Vers suivans.

 Quel doux transport, ô grand Roy,
 De voir un Fils digne de toy !
Que Telemaque ainsi pour mes yeux eut de charmes !
 Que je versay de douces larmes !
 Quel doux transport, ô grand Roy
 De voir un Fils digne de toy !

Cyrus continua par ces Vers.

 Un silence profond couvrit ma noble audace,
Dauphin, ainsi que vous dans les sombres Forests,
  En s'occupant à la Chasse,
Cyrus d'un grand dessein déguisa les apprests.
Remply de ce beau feu dont l'ardeur vous inspire
  Je partis du fond des Bois,
 Pour courir aux plus grands exploits,
  Et renverser un Empire.

Après que l'un & l'autre eut chanté, Pentesilée ajoûta.

 Ces Heros, Gloire immortelle,
 Qui s'immolerent pour vous,
 Ne vous virent point si belle
 Que vous l'estes parmy nous.
 S'ils ont bravé tant d'alarmes
 Pour vostre nom glorieux,
Qu'eussent-ils fait pour les charmes
 Que vous montrez à nos yeux ?

Le Chœur chanta ensuite.

 O Gloire éclatante,
  Gloire brillante,
Nous suivrons toûjours tes pas.
 O Gloire charmante,
Nous suivrons jusqu'au trépas
 Tes triomphans appas.
***
 La fureur sanglante
 Des cruels Combats,
 La chaleur brûlante
 La froideur glaçante
Des plus affreux climats,
 De Bellonne tonnante,
De la foudre devorante
 Les bruyans éclats,
 De la terre tremblante
  L'horrible fracas,
 Ne nous empescheront pas
  De suivre ses pas.
***
 O Gloire brillante,
  Gloire charmante,
Nous suivrons jusqu'au trépas
 Tes triomphans appas.

La joye accompagnée des Plaisirs, faisoit la cinquiéme Entrée, & chanta d'abord ces Vers.

 La Joye & les Plaisirs
Viennent en ce beau jour combler tous vos desirs.
 Les Grandeurs, les Festes pompeuses
Jamais sans nous ne seroient heureuses.
  C'est nous qui dans les Cieux
 Presidons aux Festes des Dieux.

Trois Plaisirs firent ensuite entendre ces Vers.

 Rien n'est égal aux douceurs
Des Plaisirs qui suivent la Gloire,
 Rien n'est égal aux douceurs
  Que la Victoire
 Met dans les nobles coeurs.

Aprés que ces trois Plaisirs eurent chanté, un autre Plaisir representé par Mr du Four, chanta seul ces autres Vers.

 Fameux Heros,
Au plaisir l'honneur vous mene,
 Un doux repos
Suit le danger & la peine.
 Les plaisirs les plus doux,
 Nobles Coeurs, sont pour vous.
***
Voicy le jour, ô divine Princesse,
Que demandoit vostre juste tendresse.
 Que de plaisir sent vostre coeur
 De revoir ce Vainqueur !

Le Chœur ayant ajoûté,

 Qu'il doit plaire à vos yeux
 Ce Vainqueur glorieux !

Un Trio répeta.

 Ce Heros glorieux,
 Qu'il doit plaire à vos yeux !

La Joye & un Plaisir fermoient cette Entrée par les Vers suivans.

 Dans sa crainte un veritable amour
  Répand des larmes ;
 Mais ensuite un heureux retour
 A plus de charmes.
Aprés qu'on a pleuré dans ses tendres douleurs,
De Joye & de plaisir on verse aussi des pleurs.

La sixiéme & derniere Entrée estoit generale, c'est à dire, composée de Flore, de Diane, de la Gloire, & de leur suite. Le Chœur chanta d'abord.

 La Joye & les Plaisirs
Viennent en ce beau jour combler tous vos desirs.
***
 Les plaisirs les plus doux,
 Nobles Coeurs, sont pour vous.

Et un grand Chœur ajoûta.

Vous, grand Roy, vous, Dauphin,
   Digne Fils d'un tel Pere,
Vivez toujours heureux, & triomphez toujours.
 Que le Ciel constant à vous plaire
  Jamais ne change le cours
   De ces beaux jours,
  Vivez, triomphez toujours.
***
 Que vos Heros naissans, que l'Auguste Princesse
 Qui les donne à vostre tendresse,
Possedent avec vous ce bonheur plein d'attraits.
Qu'une Felicité si douce & si charmante
 Tous les jours s'augmente,
 Qu'elle ne finisse jamais.

La Musique des Vers de ce Balet a esté faite par Mr de la Lande, l'un des quatre Maistres de Musique de la Chapelle du Roy. Il doit estre d'un merite fort reconnu, puis que Sa Majesté luy vient de donner la Surintendance de Sa Musique qu'avoit le jeune Mr de Lully qui est mort sur la fin du mois passé. Les Entrées du mesme Ballet sont de Mr de Beauchamp, qui depuis un tres-grand nombre d'années a esté toûjours employé à travailler aux Balets du Roy.

Je ne puis finir un si grand article de Musique, sans vous faire part d'un air nouveau de Mr de Bacilly. En voicy les paroles.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Je me contrains incessamment, doit regarder la page 83.
Je me contrains incessamment
Pour cacher mon amour extrême ;
Mais je me contrains vainement,
On dit par tout que je vous aime.
Belle Iris, se pourroit-il bien
Que vous seule n'en sceussiez rien ?
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Sur la Campagne de Monseigneur le Dauphin. Stances §

Mercure galant, janvier 1689 [tome 1], p. 143-150.

 

Je croy vous faire plaisir d’ajoûter à cet Eloge, des Vers qui ont esté estimez de tout le monde. Vous dire qu’ils sont de Mr Boyer, de l’Academie Françoise, c’est vous asseurer de leur beauté. Vous sçavez que tout ce qui part de luy, a ce caractere noble qui est tant à souhaiter, & qu’il est si mal-aisé d’acquerir. Vous y trouverez un paralelle fort ingenieux des desseins formez contre l’Angleterre, avec ce qui s’est passé du costé de Philisbourg.

SUR LA CAMPAGNE
DE MONSEIGNEUR
LE DAUPHIN.
STANCES.

Muse, qui vois LOUIS réprendre son Tonnerre,
Tandis qu’on voit ailleurs s’élever une Guerre,
Dont l’appareil terrible étonne nos regards,
Compare l’attentat d’un Peuple temeraire,
A ce beau mouvement d’un Monarque & d’un Pere,
Quand il a pour son Fils ouvert le Champ de Mars.
***
 Là l’insolent orgüeil armé d’une imposture
Injurieuse aux Loix, au Trône, à la Nature,
Pousse jusques au bout la barbare fureur :
Icy la genereuse & sage Politique
Arme pour l’Equité le Courage heroïque,
Et l’Amour de la Gloire anime la Valeur.
***
 Sous le poids étonnant d’une Flote nombreuse,
Je voy de l’Ocean gemir l’Onde écumeuse,
Et fremir du Complot des fiers Republiquains.
Des Secours mandiez, des Troupes ramassées
Qu’à suivre leurs Drapeaux on a presque forcées,
Vont porter sur un Roy leurs parricides mains.
***
 Cependant un Heros plein d’une noble audace,
Soûtenant hautement la gloire de sa Race,
Va punir l’Injustice & la Temerité,
Et menant avec luy la Force & la Sagesse,
Vange les Droits sacrez d’une grande Princesse,
Et du superbe Rhin abbaisse la fierté.
***
 Quand le Batave aux soins d’une Entreprise horrible
Sacrifie un Commerce abondant & paisible,
Et brave fierement la puissance des Rois,
Nostre jeune Heros poursuivant sa carriere,
A chaque pas qu’il fait recule la Frontiere,
Et marque chaque instant par d’illustres Exploits.
***
 Tremblez, fiers Ennemis du Pouvoir Monarchique,
Qui voulez envahir le Thrône Britannique,
Pour tourner sur LOUIS un impuissant couroux,
Son Fils va chastier vostre jalouse rage,
Il a sur Philisbourg essayé son Courage,
Et le Foudre vangeur qui doit tomber sur vous.
***
 LOUIS à qui toûjours la Victoire est fidelle,
La cedant à son Fils qui soupire pour elle,
Se fait par cet effort un Triomphe plus beau.
Ces Combats, ces Exploits, cette Gloire qu’il aime,
Il les veut retracer dans un autre luy mesme,
Et donner à ses yeux un Spectacle nouveau.
***
 Gardez de vous flatter sur quelque difference :
Le Fils avec le Pere a trop de ressemblance,
Il a mesme Ascendant, mesme Nom, mesme Cœur.
Mesurez l’Avenir sur ce qu’il vient de faire,
Et voyez dans ce Fils si digne de son Pere,
Le Second que le Ciel donne à vostre Vainqueur.
***
 Vous esperez en vain aux disgraces communes,
Aux prompts abbaissemens des plus hautes Fortunes,
De nos prosperitez rien ne borne le cours.
Le Destin de LOUIS dément tous vos Oracles ;
C’est un fond de Grandeur, de Gloire, de Miracles,
Qui ne tarit jamais, & qui grossit toûjours.

[Autres] §

Mercure galant, janvier 1689 [tome 1], p. 150-153.

 

Voicy d’autres Vers adressez au Roy par Mr de la Vie, sur la premiere Campagne de ce jeune Prince.

Grand Roy, de l’Univers & l’amour, & l’effroy,
 Qui ne vis jamais sous ta loy,
 Changer l’inconstante Victoire,
Quand sur les pas d’un Fils tu luy dis de courir,
 Tu fais en commençant sa gloire,
 Que la tienne ne peut perir.
***
 De ta vertu, de ton empire,
Il paroist à la fois l’heritier glorieux ;
 Il charme nos cœurs & nos yeux
 Par tout ce qu’en toy l’on admire.
Ta force, ta clemence, & ton rare bonheur,
  Ton infatigable valeur,
 Vainquent en luy plus que luy-mesme ;
Ta bonté, ta sagesse, & ta grande équité,
 En luy gouverneront de mesme,
 Nostre heureuse posterité.
***
 Ainsi le bonheur de la France,
Assuré desormais, rend nos desirs contens ;
On le voit au dessus & du sort & du temps,
 Comme l’on y voit ta puissance.
Son superbe Ennemy si souvent terrassé,
 Se vangeoit toûjours du passé,
 Par un avenir en idée ;
Mais il voit, en tombant sous ce nouveau Vainqueur,
 La vanité de sa pensée,
 Et la suite de son malheur.
***
 Un coup d’essay luy fait connoistre,
Que le Heros, par qui tu l’abas aujourd’huy,
 Devenant nostre ferme appuy.
 Sera son invincible Maistre.
Déja, malgré l’hyver, par mille beaux exploits
 Dans l’espace presque d’un mois,
 De lauriers il couvre sa teste ;
Bien-tost, s’il achevoit le cours de ses hauts faits,
 L’Europe seroit sa Conqueste,
 Et tes Ennemis tes Sujets.
***
Mais fais, qu’à l’exemple du Pere,
Le Fils, grand en valeur, & plus grand en vertu,
Ayant veu ce qu’il pourroit faire,
Soit satisfait de l’avoir pu.

[Histoire] §

Mercure galant, janvier 1689 [tome 1], p. 171-209.

 

De toutes les passions, l’Amour est celle qui donne lieu à plus de bizarres avantures ; je vais vous en apprendre une assez singuliere. Une Demoiselle fort bien faite, ayant atteint l’âge de vingt deux ans sans s’estre hâtée de se marier, parce qu’elle estoit difficile sur le choix, se rencontra un jour chez une Dame, où estoit un Cavalier qui avoit entendu parler d’elle plusieurs fois d’une maniere fort avantageuse. Elle n’avoit point de Mere, & comme beaucoup de sagesse regloit sa conduite, son Pere la laissoit vivre sur sa bonne foy, & s’estoit contenté de mettre auprés d’elle pour la bien-seance, une Femme assez âgée qui l’accompagnoit par tout où elle vouloit aller. Le Cavalier qui depuis longtemps avoit grande envie de la connoistre, ne laissa pas échaper l’occasion de s’assurer par luy-mesme du merite de cette aimable personne. Il s’attacha à l’entretenir, & luy trouva un tour d’esprit agreable & remply d’honnesteté, qui passoit encore ce qu’il en avoit oüy dire. Cette conversation l’autorisa à luy rendre une visite peu de jours aprés. Il eut tout sujet d’en estre content, & ses manieres nobles & touchantes luy ayant gagné le cœur, les soins qu’il continua de luy rendre auroient este des plus assidus, si elle eust voulu y consentir ; mais comme il n’estoit pas si aisé de luy donner de l’amour que d’en prendre en la voyant, quelques protestations qu’il pust luy faire que s’il avoit le bonheur de ne luy déplaire pas, elle pouvoit ordonner de sa destinée, elle le pria de la voir plus rarement, afin que sa passion ne l’aveuglast pas, & que demeurant toujours le maistre de sa raison, comme elle pretendoit l’estre de la sienne, ils pussent examiner sans nulle surprise, s’ils seroient assez le fait l’un de l’autre pour se rendre heureux en s’épousant. Cette retenuë ne fit que l’enflamer davantage ; son cœur estoit tout occupé d’elle, & n’ayant pu obtenir la liberté de la voir aussi souvent qu’il le souhaitoit, il chercha à se soulager en luy écrivant. Il avoit un talent particulier pour bien tourner un Billet, & il espera que s’il pouvoit l’engager à luy répondre, il assureroit en quelque sorte le succés de son amour. La Belle receut sa Lettre dans le temps qu’une jeune Veuve de ses intimes Amies estoit avec elle, & elle ne pretendoit que luy faire faire une honnesteté de bouche, quand son Amie la pressa de luy répondre. Elle repliqua qu’elle n’écrivoit jamais, & que les Lettres les plus innocentes, montrées indiscretement, faisoient souvent faire de si méchans contes, qu’elle avoit bien resolu de ne s’exposer jamais à un chagrin de cette nature. La jeune Veuve qui écrivoit agreablement, prit la plume à son refus, & quoy que la Belle s’obstinast d’abord à s’y opposer, elle l’obligea enfin de souffrir qu’elle répondist pour elle. Cette tromperie ne luy devoit rien faire apprehender de facheux. La Lettre ne pouvoit luy estre imputée, puis qu’elle n’estoit pas de son écriture, & quand le Cavalier auroit eu l’indiscretion de la faire voir, loin d’en tirer aucun avantage, il n’en pouvoit attendre que la honte de s’estre vanté d’une faveur qu’on ne luy auroit point faite. Il fut charmé de cette réponse. Quoy que les termes fussent assez generaux, il y avoit une finesse d’esprit qui redoubla son amour. Il crut mesme y découvrir quelques sentimens qui le flaterent, & rien ne luy avoit jamais causé tant de joye. Il ne manqua pas le lendemain d’aller voir la Belle qui ne voulut point le détromper, & qui receut pour son compte toutes les loüanges qu’il luy donna sur sa maniere d’écrire. Il eut grand soin de continuer ce commerce de Billets. La Belle souffroit que la jeune Veuve y répondist toutes les fois qu’elle se trouvoit chez elle dans le moment qu’ils luy estoient apportez, & elle trouvoit quelque pretexte pour se défendre d’écrire dans les autres temps. Le Cavalier relisoit cent fois toutes les réponses qu’il croyoit estre de cette aimable personne, & il les regardoit comme autant de gages qui luy répondoient de son bonheur. Il fut troublé par un Rival dangereux, qui fut receu de la Belle assez favorablement. Il avoit du bien & de la naissance, & il estoit fait d’une maniere à ne pas rendre des soins inutilement. Ses visites devinrent suspectes au Cavalier. Il contraignit d’abord son chagrin, & le laissa ensuite éclater sur son visage sans oser s’en plaindre à celle qui le causoit. Il ne put enfin s’empescher d’en témoigner quelque chose à la jeune Veuve dont il s’estoit fait amy, & prit le party de luy écrire tout ce qu’il souffroit quand il trouvoit son Rival chez sa Maistresse, dans la pensée qu’elle luy feroit lire ses Lettres, & que les tendres expressions dont il se servoit, seroient capables de toucher son cœur. La Dame ne voulant pas luy faire connoistre la tromperie qu’on luy avoit faite, employoit la main de sa Suivante pour luy répondre, & tâchoit de bonne foy à luy rendre les bons offices qu’il exigeoit d’elle. Son Amie qui ne se laissoit point preoccuper par l’amour ; & qui vouloit choisir à son avantage, trouvoit fort mauvais que le Cavalier osast condamner les honnestetez qu’elle avoit pour son Rival. Les plaintes qu’il se hazarda à luy en faire luy-mesme, marquoient un caractere d’emportement & de jalousie qui ne l’accommoda pas. Elle luy dit qu’il ne pouvoit prendre une plus méchante voye pour se faire aimer, que de vouloir agir avec tyrannie, & qu’il prist garde qu’une conduite si peu raisonnable pourroit ne servir qu’à avancer les affaires de celuy qu’il essayoit de détruire. Ils eurent ensemble plusieurs differens sur ce Rival trop bien écouté, & la jeune Veuve empeschoit souvent qu’ils ne se brouillassent avec trop d’aigreur, mais enfin comme il ne put moderer sa jalousie, la Belle se trouva si fatiguée de ses plaintes que jugeant qu’un homme qui n’estant encore que son Amant vouloit l’obliger de se conformer à ses caprices, en useroit avec une autorité insupportable quand il seroit son époux, elle resolut de luy oster toute l’esperance qu’il avoit conceuë. Elle ne songeoit à se marier que pour estre heureuse, & les reproches continuels qu’il prenoit déja la liberté de luy faire, luy faisoient connoistre que sa conduite, toute reguliere qu’elle estoit, ne le satisferoit pas. Ce qu’elle avoit resolu fut executé, & dés le premier demeslé qu’ils eurent, elle le pria de changer en amitié les sentimens qu’il avoit pour elle. Elle ajousta que sur ce pied-là elle le verroit toûjours avec plaisir, parce qu’elle avoit pour luy une veritable estime, mais qu’aprés la connoissance qu’il luy avoit donnée de son caractere, il ne devoit pas attendre qu’elle s’aimast assez peu, pour vouloir passer sa vie avec un homme dont l’humeur n’avoit aucun rapport à la sienne. Le Cavalier fit tout ce qu’il pût pour l’adoucir ; il employa son Amie, & il n’y eut point de soûmission qui ne fust mise en usage, mais tous ses efforts furent inutiles, elle demeura inébranlable, & il fut contraint de renoncer aux pretentions qu’il avoit euës. Il alla s’en consoler chez la jeune Veuve. Elle avoit de l’agrément & beaucoup d’esprit, & comme une passion en guerit souvent une autre, insensiblement il prit plaisir à la voir. Il s’expliqua, il fut écouté, & le seul obstacle qu’il trouvoit à son bonheur venoit de la crainte que la Dame avoit qu’il ne fust toujours touché de la Belle. Il la voyoit encore quelquefois, & elle luy opposoit que c’estoit un feu caché sous la cendre. Il l’asseura qu’il n’alloit chez elle de temps en temps que par une pure bien-seance, & pour l’empescher de croire que le dépit eust succedé à l’amour, & qu’il ne fust pas entierement dégagé. Sur cette esperance la jeune Veuve à qui le Cavalier ne déplaisoit pas, alla demander à son Amie ce qu’elle vouloit qu’elle fist de luy, parce qu’il l’accabloit de visites, & la voyant rire de cette demande, elle luy confia les fortes protestations qu’il luy faisoit d’un attachement sincere & tendre. La Belle répondit qu’elle n’avoit qu’elle-mesme à consulter, & que si son caractere jaloux & bizarre ne luy faisoit point de peine, elle pouvoit suivre son panchant sans craindre de luy causer le moindre chagrin. Leur mariage fut arresté en fort peu de temps, & ils en remirent la conclusion au tour d’un voyage de deux ou trois mois que le Cavalier fut contraint de faire pour un procés évoqué par ses Parties à un Parlement fort éloigné. Ils se promirent de s’écrire fort souvent, & ils se tinrent parole. La Dame continua d’emprunter la main de sa Suivante, parce que ne luy ayant rien appris de la tromperie qu’on luy avoit faite touchant les réponses qu’il croyoit avoir receuës de la Demoiselle, elle trouva à propos de ne luy dire qu’elles estoient de son écriture, qu’aprés que le mariage seroit fait. Il y avoit trois semaines que le Cavalier estoit party, & la jeune Veuve en avoit déja receu plusieurs Lettres, quand son Amie l’estant venuë voir, luy en montra une qu’elle avoit receuë de luy le jour precedent. Ce n’estoit qu’un compliment de civilité, dont la Dame ne se seroit point inquietée, s’il l’eust écrit à toute autre, mais il luy parut qu’à son égard, ce soin obligeant estoit un reste d’amour, & un mouvement jaloux qui la saisit aussi-tost, luy fit prendre le dessein d’approfondir les plus secrets sentimens du Cavalier. Elle eut cependant l’adresse de déguiser sa surprise, & en affectant un air enjoüé, elle demanda à son Amie si elle vouloit la charger de sa réponse. La Belle luy dit qu’elle devoit croire que n’ayant jamais écrit au Cavalier, elle le feroit encore bien moins aprés leur rupture. Si tost qu’elle fut partie, la jeune Veuve qui s’estoit flatée de posseder tout le cœur de son Amant, voulut sçavoir ce qui en estoit. L’occasion estoit belle pour découvrir avec une entiere certitude, s’il l’avoit trompée en luy jurant qu’il ne cesseroit jamais de l’aimer. Elle prit la plume, & luy ecrivit au nom de la Demoiselle. La Lettre portoit que les marques de souvenir qu’il venoit de luy donner luy estoient fort agreables, quoy qu’elle eust lieu de se plaindre de ce qu’il s’estoit resolu si promptement à n’estre que son Amy ; qu’un cœur bien touché estoit incapable de changer de sentimens ; qu’elle l’éprouvoit par ceux qu’elle conservoit toûjours, & que si elle luy avoit causé quelques chagrins, il luy seroit peut estre aisé de les reparer, si l’engagement qu’il avoit pris, ne l’avoit pas mise hors d’estat de luy marquer tout ce qu’elle estoit pour luy. Elle finissoit en luy donnant une adresse particuliere, afin que son nom ne paroissant point sur l’envelope, ses Lettres ne fussent pas en peril d’estre surprises par les Curieux. Le Cavalier donna dans le piege, & le moyen qu’il eust pu s’en garantir ? Il vit la mesme écriture des premiers Billets qu’il avoit receus, & n’ayant point à douter que ce ne fust celle de la Demoiselle, il s’abandonna à toute la joye que peut causer une chose qu’on souhaite avec ardeur, & que l’on n’ose esperer. Sa premiere passion se réveilla tout à coup. La précaution de vouloir éviter les Curieux sembloit l’asseurer qu’on avoit un veritable dessein de renoüer avec luy. Il releut vingt fois la Lettre, & tout remply d’une esperance flateuse, il fit réponse sur l’heure selon l’adresse qu’on avoit pris soin de luy marquer. Il se servit de termes si tendres, & employa des expressions si vives, qu’il fut aisé de connoistre que c’estoit le cœur qui les fournissoit. La Dame qui avoit pris de justes mesures, ne manqua pas de recevoir cette Lettre. Elle y remarqua avec chagrin que son Amie estoit toujours aimée en secret, & quoy qu’il luy fust facheux de renoncer à l’amour du Cavalier, elle resolut de n’en estre pas la dupe. La maniere dont il s’expliquoit luy fit comprendre qu’il n’y avoit rien de plus dangereux que d’épouser un homme prévenu d’une forte passion qu’un nouvel engagement n’avoit pu éteindre, & ne songeant plus à le conserver pour son Amant, elle voulut pousser l’infidelité qu’il commençoit à luy faire, jusqu’au plus haut point où il pouvoit la porter. Elle luy manda qu’elle estoit fort satisfaite des assurances d’amour qu’elle recevoit de luy, & qu’elle avoit beaucoup de panchant à y répondre, mais qu’elle estoit combatuë par le doute où elle estoit qu’il voulust quitter la Dame pour luy redonner toute sa tendresse. Le Cavalier ne balança point sur le sacrifice qu’on luy demandoit, & comme pour le tenir tout-à-fait certain, on voulut avoir toutes les Lettres que la jeune Veuve luy avoit écrites, il eut l’imprudence de les envoyer. La Dame qui se donnoit cette Comedie, auroit senty vivement l’outrage qu’il luy faisoit, si l’assurance de l’en voir puny severement ne l’eust consolée. Tandis qu’elle luy écrivoit ainsi de sa main pour la Demoiselle, elle se servoit de celle de sa Suivante pour luy écrire en son propre nom. Ce qu’il y eut de plaisant, c’est qu’à mesure que les Lettres qu’il croyoit venir de son Amie estoient pleines de tendresse, celles qu’il adressoit à la jeune Veuve, marquoient le degoust d’une personne qui les écrivoit avec contrainte. Elle se divertissoit à luy en faire de legers reproches, & il s’excusoit sur ce qu’un procés ne met pas les gens de bonne humeur. Il accommoda le sien & relâcha même de ses droits, par l’impatience qu’il eut de retourner auprés de la Belle. Il revint tout triomphant, & ne doutant point de sa conqueste. L’amour luy épargnoit les remords de son infidelité, & il alla d’abord chez la Belle dont il esperoit un accueil charmant. Il fut fort surpris quand tout au contraire il s’en vit receu avec beaucoup de froideur. Elle demanda s’il avoit veu son Amie, & sur la réponse qu’il luy fit qu’il sçavoir trop bien aimer pour en avoir eu aucune pensée, elle tomba dans un tel étonnement qu’elle demeura muette. Tout ce qu’il luy dit ne servit qu’à augmenter cet étonnement. Elle n’y comprenoit rien, & comme il ne s’expliquoit pas nettement, parce qu’il croyoit estre entendu aprés les Lettres qu’il prétendoit avoir d’elle, l’embarras de cette Belle Personne devenoit toujours plus grand. Elle ne fut éclaircie de rien, à cause de l’arrivée du Rival qui avoit esté la cause de leur rupture. La Belle qui le devoit épouser dans quatre jours, luy fit des honnestetez si obligeantes, que le Cavalier n’en put estre le témoin. Il sortit desesperé, & dit seulement tout bas à la Belle, qu’elle auroit peut-estre lieu de se repentir de sa tromperie. Une menace si brusque mit le comble à sa surprise. Elle crut qu’en changeant d’air il avoit perdu l’esprit, & ne sçavoit à quoy imputer un procedé qui luy paroissoit si extravagant. Il alla chez une personne par qui il pouvoit apprendre en quels termes la Demoiselle estoit avec son Rival. On luy dit que les articles estoient signez, & que le mariage se devoit faire au premier jour. Il ne comprit rien de son costé à une conduite si peu ordinaire. La Demoiselle dont les manieres honnestes estoient estimées de tout le monde, luy avoit toujours paru incapable d’un tour pareil à celuy qu’on luy joüoit, & en cherchant pourquoy elle le traitoit si indignement, il crut que tout cela s’estoit fait pour obliger son Amant, qui par haine ou par caprice pouvoit avoit exigé de son amour un traitement si injurieux. Il ne voyoit pas pourtant quel interest luy avoit fait souhaiter qu’il trahist la jeune Veuve. Il n’y avoit qu’à ne point troubler leur union, & il n’eust jamais repris de nouvelles esperances. Quoy que la maniere dont elle avoit agy avec luy le touchast sensiblement, il ne put s’imaginer qu’elle eust pris plaisir à le broüiller avec son Amie. Le lendemain il alla chez elle comme ne faisant que d’arriver. Les reflexions qu’elle avoit faites l’ayant renduë maistresse de l’émotion qu’elle devoit avoir en le renvoyant, elle le felicita d’un air tranquille sur son racommodement, & luy dit en mesme temps qu’elle n’auroit jamais cru qu’il eust voulu la sacrifier à une personne dont il n’estoit que trop seur qu’il ne pouvoit estre aimé. Le Cavalier n’ayant rien à répondre à ce reproche, garda un profond silence, & la Dame luy porta le dernier coup en luy montrant toutes les Lettres qu’il avoit écrites, & à son Amie, & à elle-mesme. Il s’écria qu’il n’y avoit jamais eu une telle trahison, & persuadé par ce qu’il voyoit que la Demoiselle avoit tout remis entre les mains de la Dame, il sortit tout en fureur sans chercher à s’excuser. Il connut bien qu’il luy seroit impossible d’en venir à bout, & dans ce mesme moment il alla trouver la Belle. Il fit paroistre tant d’emportemens dés qu’il commença à luy parler que pour en pouvoir démesler la cause elle resolut de l’écouter sans l’interrompre. Il luy reprocha l’artifice de ses Lettres, pour tirer de luy celles qu’elle avoit voulu qu’il luy envoyast de la jeune Veuve, & ajoûta qu’en les publiant il la couvriroit de honte. La Demoiselle demanda à voir ces Lettres, & les ayant luës avec beaucoup de surprise, elle l’assura qu’il n’y en avoit aucune que son Amie n’eust écrite. Elle luy conta ce qui s’estoit fait touchant ses premiers Billets, & luy avoüa qu’ayant receu une de ses Lettres un peu aprés son départ, elle l’avoit leuë à la jeune Veuve, protestant que c’estoit la seule qu’elle eust euë de luy pendant son voyage, & que puis qu’elle luy avoit promis de le regarder toujours comme son Amy, il luy faisoit une grande injure, s’il luy croyoit l’ame assez mal faite pour avoir contribué à la tromperie dont il se plaignoit ; qu’elle estoit au desespoir qu’on eust employé son nom pour l’abuser, & qu’en toute occasion elle luy donneroit avec plaisir des marques de son estime. Le Cavalier convaincu qu’il n’avoit aucun sujet de se plaindre d’elle, voulut entrer dans les sentimens que ses fausses Lettres avoient remis dans son cœur, & la Belle l’arresta en le priant de vouloir bien s’en tenir aux termes dont ils estoient convenus, puis qu’elle estoit preste à se marier & que tout ce qu’il pourroit luy dire de sa passion seroit inutile. Il se voyoit dans une facheuse situation. Les charmantes esperances qu’il avoit reprises estoient perdues pour toujours. Il n’avoit rien à attendre de la jeune Veuve, à qui il avoit fait un outrage qui ne pouvoit estre reparé, & il auroit en luy-mesme beaucoup de peine à luy pardonner l’estat malheureux où elle l’avoit reduit, en rallumant une flame qu’il estoit contraint d’éteindre encore une fois. Dans ces agitations il ne trouva point de plus seur moyen d’oublier tous ses chagrins, que de se donner entierement à la gloire. On se preparoit pour aller à Philisbourg ; il prit party dans les Troupes, & se rendit devant cette Place, où il a fait d’assez belles actions pour n’avoir pas laissé son nom inconnu.

[Ouverture d'Ecole de Mathematiques] §

Mercure galant, janvier 1689 [tome 1], p. 209-212.

 

J’oubliay le mois passé de vous dire que le Pere Mourgues Jesuite, avoit fait l’ouverture des Ecoles de Mathematique à Poitiers devant tous les Ordres de la Ville, & en presence de Mr l’Intendant d’une maniere fort spirituelle. Cet illustre Professeur exposa à l’Assemblée la place de Philisbourg, qui est un heptagone qu’il avoit fait relever tres proprement en bois, & dans de justes mesures. Tous les Bastions étoient couverts de leurs demy-lunes, & les courtines garnies de leurs ravelins. On y voyoit l’ouvrage couronné & l’ouvrage à corne, & dans le centre du Fort, au lieu marqué pour la Place d’Armes, on avoit mis la Medaille de Monseigneur le Dauphin, où estoit la Devise de ce Prince. C’est l’Etoile du matin avec un Soleil sur l’horison. Cette Etoile qui est nommée Lucifer, se fait voir seule dans le Ciel assez long-temps aprés le lever du Soleil. Ces paroles servoient d’ame à ce Corps ; Coram micat unus. Comme le Pere Mourgues sçait parfaitement les belles Langues, il a fait aussi une Devise Italienne à la gloire de ce jeune Conquerant, & je vous l’envoye. Le Corps est un Aigle, portant un foudre dans ses serres, & ce mot pour ame. Par Giove all’armi. L’explication est fort juste & l’application ne l’est pas moins.

Fuggi l’Aquile in ermi, Imbelle Stuolo,
Che ti vien sopra il Rè de l’Aria, e parmi
Degno dell’alto Impero, all’armi, al volo,
Al volo Aquila si ; pur Giove all’armi.

Le Roy d’Angleterre, au Roy. Sonnet §

Mercure galant, janvier 1689 [tome 1], p. 213-215.

 

En vous parlant de ce jeune Prince, je me souviens d’un Sonnet qui a esté fort applaudy de toute la Cour, & que vous serez bien aise de voir. Il fut presenté au Roy par Mr l’Abbé Flanc, le lendemain de l’arrivée du Roy d’Angleterre, auprés de Sa Majesté.

Le Roy d’Angleterre,
AU ROY.
SONNET.

Roy, Protecteur des Rois dans leur adversité,
Je sonde sur toy seul toute mon esperance,
Je viens dans mes malheurs implorer ta vangeance
Contre le sacrilege & l’infidelité.
***
J’ay maintenu la Paix par mon autorité,
Les plus fiers Potentats briguoient mon alliance,
Et dans ce haut degré de gloire & de puissance,
Tout sembloit conspirer à ma felicité.
***
Cependant au milieu de ma grandeur suprême,
Abandonné, trahi, je perds le Diadême ;
Ce terrible attentat fait horreur aux Mortels.
***
Contre un Usurpateur, Grand Prince, prens ta foudre,
Reduis dans mes Etats ces Rebelles en poudre,
Vange les droits sacrez du Trône & des Autels.

[Opera nouveau] §

Mercure galant, janvier 1689 [tome 1], p. 258-262.

 

Le 11. de ce mois, on donna icy la premiere representation d'un Opera nouveau, intitulé Thetis & Pelée. Il est de Mr de Fontenelle. Il y a tant de delicatesse d'esprit dans tous ses Ouvrages, qu'on se promettoit beaucoup de celuy-cy, & je puis dire que la beauté de ses Vers a remply l'attente de tout le monde. Les plus tendres sentimens du cœur y sont exprimez naturellement, quoy que d'une maniere tres-noble, & l'approbation generale du public parle assez en sa faveur, pour me dispenser de luy donner toutes les loüanges qu'il merite. Quant au spectacle de cet Opera, il ne peut estre que grand, puis que Jupiter & Neptune qui y sont Rivaux, peuvent remuer à leur gré le Ciel, la Mer & la Terre. Ainsi on n'y voit rien de forcé. Les habits répondent au spectacle & sont magnifiques, bien entendus, & convenables aux personnages. Le tout a esté fait sur les desseins de Mr Berrin, Dessignateur ordinaire du Cabinet du Roy. Je vous ay parlé de luy en plusieurs occasions. La Musique est de Mr Colasse, l'un des quatre Maistres de Musique de Sa Majesté. On sçait que le merite a donné ces places, & que ceux qui y aspiroient ont esté enfermez pour composer. Les habiles Connoisseurs asseurent que les endroits qui demandent une belle Musique dans cet Opera, sont si bien poussez, qu'il est impossible de faire mieux. Le reste est traité comme il doit l'estre dans les Ouvrages de cette nature, & il seroit assez difficile de faire autrement. Pour la Simphonie, elle me paroist extremment applaudie, par tous ceux qui jugent de bonne foy, & sans preoccupation. Quand je vous envoye de pareils articles, & que je vous parle de choses dont je ne puis juger par moy-mesme, vous devez estre persuadée que je vous mande le sentiment le plus general.

Air nouveau §

Mercure galant, janvier 1689 [tome 1], p. 262-263.

Cet article de Musique me fait prendre l'occasion de vous faire part d'un second Air nouveau, qui est d'un excellent Maistre.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : la Chanson qui commence par, Non je ne verray plus Silvie, doit regarder la page 262.
Non, je ne verray plus Silvie ;
Un fort barbare l'a ravie
Au milieu de ses plus beaux jours.
Je ne sentiray plus la douceur de ses charmes,
Et lors que ses beaux yeux se ferment pour toûjours,
Les miens ne sont ouverts que pour verser des larmes.
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[Suite des affaires d'Angleterre] §

Mercure galant, janvier 1689 [tome 1], p. 265-377 [extrait p. 301-303]

 

[...] Cette Princesse I coucha à Poix le 2. de ce mois, & arriva le lendemain à Beauvais sur les quatre heures aprés midy. Les Bourgeois estoient sous les armes, & formoient une double haye dans tous les lieux où elle passa. Mr l'Evesque de Beauvais en habit d'Eglise, & accompagné des anciens du Chapitre, la receut à la descente de son Carosse. Le reste du Chapitre s'estoit mis en haye pour l'attendre dans la Salle du Palais Episcopal. Mrs du Presidial, & Mrs de Ville s'y trouverent aussi ; ces derniers firent les presens accoutumez. Le 4. la Reine aprés avoir entendu la Messe dans son appartement, où elle fut celebrée par son Confesseur, vint dans la Cathedrale entendre une seconde Messe basse, qui fut neanmoins accompagnée de quelques motets chantez par la Musique de cette Eglise. On avoit resolu de la haranguer, & de luy faire les mesmes ceremonies que lors qu'on receut la Reine Mere d'Angleterre en 1650. mais comme elle refusa ces honneurs, elle fut seulement receuë par Mr de Beauvais qui luy presenta de l'eau benite à la teste de son Clergé. M. le Premier luy donna la main jusques à son Prie-Dieu, où elle adora la vraye Croix qui luy fut presentée par M. l'Evesque. Elle fut reconduite en marche de Procession, comme elle avoit esté amenée. [...]

[Tragedie representée à S. Cir] §

Mercure galant, janvier 1689 [tome 1], p. 377-382.

 

Il y a des temps & des raisons pour toutes choses, & elles sont souvent blâmées ou estimées, suivant qu'on a égard à l'un & à l'autre dans ce que l'on fait, & qu'on se sert de tout ce qui en peut faire valoir l'execution. Tout cela se rencontre dans la Tragedie d'Ester, qui a esté representée depuis peu de jours à S. Cir. On voit dans cette Maison trois cens jeunes Filles, toutes de qualité ; il faut que la jeunesse se divertisse, & particulierement quand elle n'a pas renoncé au monde, comme la plupart de ces jeunes Demoiselles. Ceux qui en sont entierement retirez, dont l'âge est fort avancé, & qui font mesme profession de mener une vie toute sainte, ont des heures pour leur recreation. Il ne suffisoit pas d'en donner à cette jeunesse toute vive, les personnes meures en font un bon usage. La jeunesse, & sur tout quand elle est en si grand nombre, les employe à des choses differentes ; mais quand le nombre est si grand, il est malaisé que tant de personnes s'en servent toujours également bien. Il y a de la prudence, & de l'esprit à trouver une chose generale, qui les occupe toutes, & longtemps, & particulierement dans un Carnaval, parce que l'usage ayant autorisé les plaisirs dans cette saison, on n'en peut refuser à la jeunesse. C'est ce qui a obligé l'illustre Personne à qui toute la Noblesse de France a de si grandes obligations du soin qu'elle prend de l'éducation & de la fortune de tant de jeunes personnes, de faire faire une Tragedie pour estre representée à S. Cir pendant le Carnaval, par une partie de cette jeunesse. Cela s'est fait depuis plusieurs siecles, & se fait encore dans des Convents tres-austeres, où les Pensionnaires representent des Tragedies saintes. Quoy que ces Pieces ne soient representées que peu de fois, & qu'elles durent peu d'heures, on s'occupe à en parler pendant plusieurs mois, on se divertit aux repétitions, on s'attache à la representation, & quand on est ainsi tout remply d'une chose sainte & morale qui instruit en divertissant, & qui entre dans l'esprit parce qu'on s'y plaist, on ne l'a point occupé par d'autres choses, qui non seulement pourroient n'estre d'aucune utilité, mais ausquelles mesme il seroit mieux de ne le point appliquer. Le sujet de la Tragedie qu'on vient de representer à S. Cir, est Esther, & elle a esté faite par Mr Racine. On peut juger par la sainteté du sujet, des effets qu'il peut produire dans les coeurs, & de la beauté de la Piece par le nom de son Auteur. Aussi le Roy qui l'a honorée plusieurs fois de sa presence, y a t-il pris tout le plaisir qu'il a toujours ressenty en voyant les Ouvrages de Mr Racine. Il y a des Chœurs dans cette Piece de vingt quatre Filles de S. Cir, faits par Mr Moreau, qui sont d'une grande beauté, & fort utiles à celles qui prennent le party de la Religion, puis qu'elles apprennent par là à chanter, ce qui est tres-necessaire dans les Convents.