1689

Mercure galant, juillet 1689 (première partie) [tome 7].

2017
Source : Mercure galant, juillet 1689 (première partie) [tome 7].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, juillet 1689 (première partie) [tome 7]. §

Pour le Roy, sur le grand nombre de ses Ennemis §

Mercure galant, juillet 1689 (première partie) [tome 7], p. 7-12.

 

Il y a grande apparence, Madame, que le temps ne fera que confirmer ce que j’ay jugé des projets mal soutenus des Ennemis de Sa Majesté, lors qu’en vous parlant la derniere fois de leurs inutiles mouvemens, je vous ay dit que la Saison avançoit plus qu’eux. Jamais tant de Princes ne furent liguez contre une seule Puissance, & jamais ligue ne parut moins en estat de venir à bout de ses entreprises. Le degré de gloire où la France est élevée blessera long-temps ses envieux sans qu’ils puissent l’abaisser. Elle est gouvernée par un Monarque, dont la sagesse ne sçauroit estre surprise. Sa prudence fait la seureté de ses Sujets, & plus il aura d’Ennemis unis ensemble, plus son triomphe sera éclatant. C’est ce qu’a dit fort agreablement Mademoiselle de Serigny dans le Sonnet que vous allez lire. Je ne vous diray rien à l’avantage de cette nouvelle Muse, ses Vers parleront pour elle, & vous feront voir combien elle a de talent pour la Poësie ; mais lors qu’il s’agit de loüer le Roy, on n’a qu’à s’abandonner à ce qu’on sçait de ses grandes actions. La beauté de la matiere échauffe l’esprit, & il ne faut qu’écrire naturellement quand il n’y a rien à exagerer.

POUR LE ROY,
SUR LE GRAND NOMBRE
De ses Ennemis.

Que LOUIS dignement sçait porter la Couronne ?
On peut plus que jamais le connoistre aujourd’huy ;
Il voit toute l’Europe en armes contre luy,
Sans qu’il montre à son front, que son cœur s’en étonne.
***
 Dans le mesme repos, il commande, il ordonne,
Et fort par son grand cœur, sans le secours d’autruy,
Il est ainsi qu’un Dieu, luy-mesme son appuy,
Et tout tremble à son gré, dés que sa foudre tonne.
***
 Cependant, s’il le faut, tel est son grand destin,
Qu’il trouve un second bras dans son vaillant Dauphin,
Dont le Nekre & le Rhin ont senty le courage.
***
 Que tous les Rois soient donc liguez contre LOUIS,
Ils ne font qu’exciter un martial orage
Pour augmenter la gloire & du Pere, & du Fils.

Au Roy de la Grand' Bretagne §

Mercure galant, juillet 1689 (première partie) [tome 7], p. 23-25.

 

Comme il est parlé du Roy d’Angleterre dans cet Eloge, ce n’est pas sortir de ma matiere que de vous faire voir un Sonnet qui a esté fait par une personne de qualité à la gloire de ce Monarque.

AU ROY
De la Grand’ Bretagne.

Prince, tout l’Univers retentit de ta gloire,
Nous te verrons bien-tost triompher en grand Roy ;
Dieu, de qui tu soutiens & l’honneur & la Loy,
Prepare à son Heros une entiere Victoire.
***
 Les Siecles à venir qui liront ton Histoire
Admireront sur tout ta constance & ta foy,
Et sur tes grands exploits Nassau remply d’effroy,
Par sa chute verra detester sa memoire.
***
 C’est en vain qu’il croit voir son triomphe achevé,
Ce superbe Tiran sur ton Trône élevé,
Ne resistera point à ton cœur intrepide.
***
 La valeur te va mettre au rang des Immortels,
Tu vas dompter le Monstre, & tu seras Alcide,
Aprés avoir esté Victime des Autels.

Aux Cerfs de Mr le Marquis de Nonan, lors qu'ils sont attelez à sa Calèche §

Mercure galant, juillet 1689 (première partie) [tome 7], p. 48-59.

 

On a veu icy depuis quelque temps une Caleche fort extraordinaire, & que tout Paris a regardée avec autant d’admiration que de plaisir. Elle est faite en forme de Char de triomphe, & ce sont deux jeunes Cerfs qui la trainent. L’histoire de la Chasse d’un Cerf est peinte sur les panneaux de cette Caleche, & les Cerfs que l’on y voit attelez, ont esté instruits à la tirer par les soins de Mr le Marquis de Nonan. Il les a fait voir à Monseigneur le Dauphin, & ce Prince a esté surpris de la docilité dont on a sceu les rendre capables. Ils ont souvent attiré les regards des Dames dans les Tuileries, où ils ont esté suivis de tout ce qu’il y avoit de monde dans les Allées. Mr de Vin, dont vous avez vû divers Ouvrages galans, leur a adressé les Vers que je vous envoye. Il les suppose attelez à la Caleche, & marque en passant ce que virent les Romains du temps de l’Empereur Aurelien. Ce Prince ayant vaincu Zenobie, Reine des Palmyreniens, entra dans Rome sur un Char traîné par des Cerfs. & voulut par ce triomphe extraordinaire marquer la timidité de ses Ennemis.

AUX CERFS
DE Mr LE MARQUIS
de Nonan, lors qu’ils sont
attelez à sa Caleche.

Timides Animaux, que vostre sort est doux ?
Deffaits, presque en naissant, de vostre humeur farouche,
Vous ne nous fuyez plus, vous vivez parmy nous,
Et devenus hardis, vous souffrez qu’on vous touche.
Vos Peres, moins heureux, dans leurs sombres Forests
Sont à chaque moment exposez à nos traits.
 Tous les jours d’un Chasseur avide
Ils sentent ou la main, ou le plomb homicide ;
Mesme dés qu’il paroist ils tremblent de frayeur.
 Si par hazard, ou par bonheur
 Ils se sauvent de son adresse,
 Mille Chiens en haleine, & frais,
 Sortent pour lors de leur relais,
Secondent son ardeur, previennent leur vitesse,
Et, de leurs Andoüillers bravant le vain effort,
Leur donnent une affreuse & trop tardive mort.
 Vous, à couvert de nos atteintes,
De leurs frequens perils, & mesme de leurs craintes,
Vous marchez dans Paris par les soins de Nonan,
Sur les pas glorieux des Cerf d’Aurelian.
 La Médaille de ce grand homme,
 Qui, par quatre de vos Ayeux
Traisné contre l’usage, entre en Victorieux
 Dans la vieille & superbe Rome,
 Luy fit concevoir le dessein
 De vous dresser sur leur modelle ;
Sa curiosité noble & spirituelle
 Vous a produit l’heureux destin
 Dont vous joüissez sans alarmes,
 Et chez luy vous goûtez en paix
Cette tranquillité, ces plaisirs, & ces charmes
Que n’ont point pour des Cerfs les Bois & les Forests.
 Peut-estre que de vostre Race
Il ne s’en trouve aucun qui de ces quatre Ayeux
 Ait remply l’honorable place,
Ny servy dans le monde à triompher comme eux ;
 Mais les Chars des Heros Antiques
Estoient-ils plus brillans, plus beaux, plus magnifiques,
 Que celuy qu’on vous voit traisner ?
Non, il receut de l’art tout ce qu’il peut donner,
Et quoy que du triomphe on ait banny l’usage,
 Ce que vous avez fait vaut mieux ;
 Car vous avez charmé les yeux
 D’un Prince aussi vaillant que sage.
Quelle gloire pour vous ? que cet honneur est grand ?
A peine touche-t-il à son sixiéme lustre,
Que par une Conqueste aussi vaste qu’illustre,
Il efface déja les exploits de Trajan.
 Que ne fera-t-il point encore,
Si de LOUIS LE GRAND qui l’aime, qui l’adore,
 Il va pour la seconde fois
Punir les Ennemis, & soûtenir les droits ?
 Digne des Heros de sa Race,
 Il ira d’une noble audace.…...
Mais vous le connoissez, vous-mesmes jugez-en,
 Et rendez graces à Nonan
De ce qu’il vous a mis en estat de luy plaire.
 Sans luy vous ne l’eussiez point vû,
 Et si, tel que Cerfs du vulgaire,
D’un autre air à ses yeux l’un de vous eust paru,
 A ses dépens le temeraire
Eust de la mesme main si redoutable aux Loups,
Essuyé promptement le funeste couroux.
Percez d’un plomb mortel combien de vos Ancestres
Ont finy sans secours leur sort au pied des hestres,
Et mesme en nous fuyant succombé sous nos coups ?
Mais quoy, de nostre gloire, & de vostre foiblesse
On diroit, à vous voir, que le discours vous blesse.
Au lieu de m’écouter vous regardez ailleurs,
Et je vois dans vos yeux qu’enfin sur leurs malheurs
Certain secret dépit refuse de me croire.
Hé bien, tournez la teste, & lisez cette histoire
 Qu’on en a peinte avec tant d’art
 Sur les panneaux de vostre Char.
Le premier vous fait voir l’un des vostres au giste
Se troubler à la voix de la Meutte en fureur,
Reprocher à ses Bois leur azile trompeur,
Et d’un lieu si peu seur s’éloigner au plus vîte.
Mais je serois trop long ; voicy l’endroit fatal,
 Où ce pauvre & triste Animal,
Déchiré par les chiens qui causoient ses alarmes,
 A versé ses dernieres larmes.
 Il en paroist tout humecté,
 Et de ses blessures mortelles
Son sang qui coule encor se confond avec elles.
Que vous diray-je enfin ? De vostre liberté
C’est ainsi que toujours le temps heureux se passe ;
 Ne la regrettez donc plus tant,
Et sçachez que sujets aux dangers de la Chasse,
 Plusieurs, au bruit d’un Cor sonnant,
 Voudroient se voir à vostre place.
Ils ont raison. Icy l’on previent vos desirs,
Nulle frayeur pour vous, nul peril, nulle peine,
On vous donne avec soin litiere, foin, aveine ;
 On songe mesme à vos plaisirs,
 Et dans les superbes Allées
D’un jardin le plus beau qui se verra jamais,
 Souvent on vous fait voir de prés
En foule autour de vous cent Belles assemblées,
 Dont vous ne craignez point les traits,
 Douces pour vous, pour nous cruelles.
Nous sentons tous les jours leurs atteintes mortelles,
Et plus heureux que nous, quand nous perdons, helas !
Nos soupirs, nos pleurs, nos tendresses ;
On vous flate, on vous aime, & dés vos premiers pas
 Vous avez part à leurs caresses.
 Adieu, je ne vous dis plus rien ;
Contens de vostre sort, vivez & servez bien
 L’illustre & magnifique Maistre,
 Qui vous tirant jeunes des Bois,
 Vous mit dans ce pompeux harnois
Où plus beaux & plus fiers, nous vous voyons paroistre.

Piece qui a remporté le Prix de Poësie, par le jugement de l'Academie Royale d’Angers, en l'année 1689 §

Mercure galant, juillet 1689 (première partie) [tome 7], p. 100-110.

 

Je vous manday la derniere fois que dans la distribution des Prix de l’Academie d’Angers, Mr l’Abbé de Maumenet a eu celuy de Poësie. Il l’a déja remporté plus d’une fois, & ses Ouvrages ayant toujours esté trouvez dignes de la justice que luy a renduë cet Illustre Corps, je ne veux pas vous priver du plaisir de voir ce dernier, dont on avoit donné le sujet sur la jonction des Mers. L’Auteur le doit faire imprimer avec des Notes sur ce qui regarde cette jonction.

PIECE
Qui a remporté le Prix de Poësie, par le jugement de l’Academie Royale d’Angers, en l’année 1689.

France, dont la valeur si justement vantée,
Fut toûjours sur la Terre heureuse & redoutée,
Et qui laissois sans peine au superbe Etranger,
La gloire de te vaincre en l’art de naviger ;
Sçache, que renonçant à l’Empire de l’Onde,
Tes Peuples se fermoient la Conquête du Monde,
Et qu’il manquoit encore à leurs travaux guerriers
L’art de sçavoir cüeillir en tous lieux des Lauriers.
Le Commerce suivy de Pompe & d’Abondance
Osoit-il sur tes Mers paroistre en assurance,
Quand le Pyrate enflé de butin & d’orgüeil
Etoit plus redouté que l’orage & l’écueil ?
Quel Astre en ta faveur inclinant la fortune
Fait trembler à ton gré l’un & l’autre Neptune ?
Cet heureux changement, ces progrés inoüis,
France, tu ne les dois qu’au pouvoir de LOUIS.
Il regne, & tout d’un coup puissante, reverée,
Tu répans la terreur sur la Plaine azurée.
De tes nombreux Vaisseaux l’appareil menaçant,
De tes Havres pompeux l’entretien florissant,
Tes Magasins fournis, tes Ecoles guerrieres,
L’ornement & l’appuy des Provinces Frontieres,
Tout montre que le Ciel sous un Roy fortuné,
Te reservoit un bien si long-temps dédaigné.
Mais ce n’est point assez pour sa gloire & la tienne,
Qu’à l’Empire des Mers ta puissance parvienne,
Qu’elle fasse gemir le Pyrate dompté ;
Ce projet incroyable & vainement tenté,
L’union des deux Mers tant de fois proposée,
Devient pour ce Heros une entreprise aisée.
Mille obstacles divers ont beau se presenter,
La Nature n’a rien qui puisse l’arrester.
Veut-il la foudre en main passer le Fleuve à nâge,
Le Rhin se voit forcé de luy livrer passage.
Veut-il braver l’orgüeil des plus rudes Saisons,
L’hiver oppose en vain sa neige & ses glaçons ;
Et quand tous ces hauts faits qu’on aura peine à croire
Consacrent sa valeur au Temple de Memoire,
Sa bonté magnanime imitant sa valeur,
Il consacre à son tour les exploits de son cœur.
Non loin de ces Climats voisins des Pyrenées,
Où l’Ibere orgueilleux voit ses Terres bornées,
LOUIS va surmonter par d’immenses travaux
La distance des lieux, la disette des eaux,
Percer un Roc affreux, & d’une main sçavante
Corriger les défauts d’une terre mouvante,
Joindre par un Canal le Fresquel avec Lers,
L’Aude avec la Garonne, & par là les deux Mers.
Qu’il est beau de les voir, ces Rivieres fecondes,
Ouvrir en s’unissant le commerce aux deux Mondes,
Et d’un détroit connu par cent débris fameux,
Sauver à nos Vaisseaux le trajet perilleux !
Déja de tous costez sur leurs ondes tranquilles
On voit flotter les biens de nos Plaines fertiles,
Et l’Etranger en foule accouru sur nos bords
De ses trésors divers augmenter nos trésors.
Qui pourroit exprimer la pompe & l’étenduë
Du superbe Canal qui vient frapper ma veuë ?
Cent Chef-d’œuvres de l’Art, mille objets differens,
Y surprennent l’esprit, y confondent les sens.
Que de Murs élevez ! que de Masses détruites !
Que d’Ecluses, de Ponts & de Digues construites !
Là, c’est un Reservoir vaste, abondant, profond,
Que l’art ingenieux a bâty sur un Mont,
Où cent Ruisseaux changeant & de lit & de course
Par cent lieux escarpez roulent depuis leur source.
Icy, pour recevoir un si riche amas d’eau,
Ce Canal à mes yeux offre un Bassin nouveau,
Qui regorgeant des dons que verse la Montagne,
Fait une vaste Mer d’une aride Campagne.
C’est dans ce lieu choisi que l’eau se separant
Aux deux bouts du Canal prend un cours different ;
Et que l’Art admirable à ce point de partage,
Forme en la divisant un parfait assemblage.
Pour vaincre la Nature en cet ingrat terroir,
Par combien de ressorts voit-on l’eau s’y mouvoir ?
Selon divers besoins sa course est mesurée.
Tantost elle est rapide, & tantost moderée.
Tantost l’Art tout-puissant l’éleve sur des Ponts ;
Tantost à son passage il fait ouvrir des Monts.
Quels spectacles ! ô Dieu ! des Roches effroyables
Au gré de mon Heros deviennent navigables,
Et ce qui resistoit à l’Empire des temps
Ne sçauroit resister à ses ordres pressans.
Confesse icy, Xerxes, que cette enorme masse,
Cet Athos, où tu vis échoüer ton audace,
Aux Vaisseaux de LOUIS eust ouvert le chemin,
Que tu n’as pû t’ouvrir au travers de son sein ?
Et vous, fiers Conquerants de Rome & de la Grece,
Vous Princes, dont l’Egypte a vanté la richesse,
Contraints d’abandonner ces travaux glorieux
Ne vous excusez plus sur le couroux des Dieux.
Sans violer leurs loix & sans leur faire injure,
L’Art a pû de tout temps corriger la Nature ;
Mais ces hardis projets tant de fois delaissez
Attendoient le Heros qui vous a surpassez.
Tout cede à sa bonté, tout cede à sa vaillance,
Où vostre espoir fut vain il fait voir sa puissance,
Et luy seul dans la guerre acheve avec succés
Ce qu’en vain ses Ayeux ont tenté dans la Paix.

Priere de la France pour le Roy. §

Mercure galant, juillet 1689 (première partie) [tome 7], p. 111-112.

PRIERE DE LA FRANCE
POUR LE ROY.

Seigneur, ne souffre point qu’une morne tristesse
M’oblige à soupirer aux pieds de tes Autels.
Laisse toujours regner la Paix & l’allegresse
Que ramene aujourd’huy le plus grand des Mortels.
Que toujours couronné de bonheur & de gloire
Il goûte dans mon sein les fruits de sa Victoire ;
Qu’il y soit à l’abry de toute adversité ;
Qu’il confonde toûjours le Demon de l’Envie,
Qu’il vive, & c’est assez : une si belle vie
Est le gage certain de ma felicité.
 Et dominabitur à Mari usque ad Mare. Psal. 71.

Air nouveau §

Mercure galant, juillet 1689 (première partie) [tome 7], p. 112-113.Les seuls airs régulièrement publiés par le Mercure à cette date dont les paroles et la musique soient du même auteur sont (hormis celui de Guillegault, auteur peu connu) ceux de Bacilly, qui jouissait effectivement d'une grande notoriété.

Voicy un Air nouveau d’un Maistre celebre, qui fait ordinairement toutes les paroles des Airs de sa composition, en quoy l’on peut dire qu’il est l’unique parmy ceux qui font des Ouvrages de Musique.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Iris, si c'est vous offenser, doit regarder la page 113.
Iris, si c'est vous offenser
 Que d'aimer vos beaux yeux,
  je suis prest de cesser,
Mais faites donc qu'ils cessent de me plaire.
 Vous auriez beau les y forcer,
 Ils sont tout faits pour n'en rien faire.
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[Relation de tout ce qui s'est passé en Catalogne depuis l'ouverture de la Campagne] §

Mercure galant, juillet 1689 (première partie) [tome 7], p. 113-114, 118-121.

 

Je me suis informé avec soin de tout ce qu'a fait Mr le Duc de Noailles, depuis qu'il commande l'Armée du Roy en Catalogne, afin de pouvoir vous le donner en un corps. Vous jugez bien que je ne sçaurois dresser ce morceau d'histoire, sans parler encore de la prise de Campredon, dont je vous ay déja entretenuë, & de laquelle vous avez vû diverses Relations. [...]

 

Le 16. [mai] [le duc de Noailles] fit la reveuë generale de son Armée ; & le soir il détacha deux mille deux cens hommes de pied, & douze cens Chevaux ou Dragons, pour aller investir Campredon. Mr le Marquis de Rivarolles, Maréchal de Camp, partit le mesme soir avec ce détachement pour aller à Arles, où il devoit trouver Mr le Comte de Chazeron, Lieutenant general, qui avoit pris les devants, sous pretexte d'aller aux bains dudit Arles, à cause de ses incommoditez. Comme le Boulou est le chemin de tous les Cols, & que Mr le Duc de Noailles avoit fait accommoder les chemins qui conduisent en l'Ampourdan, les Ennemis ne penserent point à Campredon, où la marche estoit tres-difficile, & sur tout pour le gros Canon. Le Gouverneur de Bellegarde, qui est l'entrée dans l'Ampourdan, eut ordre d'envoyer des détachemens de sa Garnison sur les hauteurs, de faire battre le Tambour en plusieurs endroits des trois Cols qui entrent dans l'Ampourdan, comme si c'eust esté l'Avant-garde de l'Armée, & mesme de faire tirer le Canon de la Place, pour faire croire que le General y passoit. Ces petites ruses attirerent de ce costé-là tous les Miquelets d'Espagne, pendant que Mr de Noailles marchoit avec l'Armée à Arles, où il campa le 17, & le 18. à Prats de Mollo, qui est la derniere Place du Roussillon de ce costé-là. [...]

[Continuation du Cabinet des Grands] §

Mercure galant, juillet 1689 (première partie) [tome 7], p. 162-165.

 

Je vous envoye un Livre nouveau, dont les matieres vous doivent faire plaisir. Il est de Mr Pontier, Prestre, Theologien, & Protonotaire du saint Siege, & il a pour titre, La Continuation du Cabinet des Grands. Les deux premiers Tomes ont eu un grand cours. Celuy-cy qui en est une suite sans suite, est plus instructif. L’Auteur a ramassé dans ce Volume ce qui luy a paru le plus propre pour l’instruction des gens de qualité que Dieu a élevez au dessus des autres, ou par leur naissance, ou par leurs emplois. On y voit le genie de la pluspart des Grands Hommes qui ont gouverné la terre ; les Propheties de S. Malachie touchant les Papes, depuis Celestin II. jusqu’à la fin du monde, avec l’interpretation de plusieurs ; les principaux évenemens de nos jours en diverses Cours & ailleurs, & la Réponse à la Critique du Journal des Sçavans de Lipsic, sur les deux premiers Tomes qui ont paru il y a déja quelques années. Comme cet Ouvrage est tout rempli de Sentences, de Devises, de Maximes d’Etat, de reflexions morales & politiques, & de traits vifs de l’histoire, qui servent au gouvernement des Peuples & des Familles, il est propre à toute forte de personnes, & l’utile s’y trouvant joint avec l’agreable, on peut dire qu’il fournit une infinité de belles idées. Ceux qui le voudront avoir, le trouveront chez le Sr Guerout, & chez le Sr Cavelier, Libraires au Palais. L’Auteur commence à revoir les deux premieres parties, dans le dessein de les donner bien-tost au Public beaucoup plus correctes, & augmentées en plusieurs endroits de choses tres-curieuses.

Le Printemps glacé. Idille §

Mercure galant, juillet 1689 (première partie) [tome 7], p. 165-175.

 

Quoy que nous soyons sortis du Printemps, je ne puis me dispenser de vous parler encore de cette belle saison. Vous sçavez, Madame, qu’elle commença par un froid tres-rigoureux. Ce fut ce qui obligea une jeune Demoiselle qui ne m’est connuë que par ces Lettres L. H. D. V. à faire l’Ouvrage que je vous envoye. Ses Vers sont si bien tournez qu’ils meritent d’être vûs de tout le monde. Les Saisons passent, mais les belles choses se lisent avec plaisir en quelque temps que ce soit.

LE PRINTEMPS GLACÉ.
IDILLE.

Le Printemps suivy de Flore,
Des beaux jours & des Zephirs,
Avoit déja fait éclore
Dans nos champs mille plaisirs :
Déja par de doux ramages
Les Oiseaux dans les Bocages
Chantoient leurs tendres langueurs,
Et cessant d’estre captives,
Les Nayades sur leurs rives
Voyoient naistre mille fleurs.
***
 Déja sur ces fleurs naissantes,
Les Bergers à leurs Amantes
Racontoient le long du jour,
Combien la saison des glaces
Avoit couté de disgraces
Et de maux à leur amour.
Enfin toute la Nature
Pleine d’un espoir charmant,
Du retour de la verdure
Marquoit son ravissement.
***
 Mais l’Hiver impitoyable
 Rend ce plaisir peu durable,
Pour bannir le Printemps il revient sur ses pas.
 Par ses barbares outrages
 On revoit sur nos rivages
 Les glaçons & les frimats.
 L’Aquilon fier & terrible
 Chasse le Zephir paisible,
 Et ravit à nos champs leurs renaissans appas.
***
 Depuis que sa froide haleine
 A triomphé des beaux jours,
 Les Plaisirs & les Amours
 Sont disparus dans la plaine.
 En retournant dans le hameau ;
 Chaque Berger se desespere
De se voir arraché d’auprés de sa Bergere
 Par un changement si nouveau.
***
Tandis que le Berger pleure
Des rigueurs de la saison,
Le Laboureur à toute heure
En tremble pour sa moisson.
Voyant les Vents en furie
 Exercer leur barbarie
 Dans ses fertiles Guerets,
 Troublé, remply d’épouvante,
Il n’ose plus compter la recolte abondante
Qui l’avoit tant flaté par ses riches aprets.
***
 Enfin par l’horrible guerre
Que le froid fait sur la terre,
Tout languit dans l’Univers ;
Et les Côteaux déja verds,
Quittant leur riante face
Pour ceder à son horreur,
On ne voit plus que la trace
Des Autans pleins de fureur.
***
 Helas ! ce triste ravage
Qui nous desole si fort,
Est une funeste image
Des rigueurs de nostre sort.
 Lors qu’aprés mille traverses,
 Et mille peines diverses
Nous croyons n’avoir plus à former de souhaits,
Loin de voir couronner nostre perseverance,
Un triste & dur revers trompant nostre esperance
Rend nos chagrins plus vifs qu’ils ne furent jamais.
***
  Tel, que l’ambition flate,
 Courant aprés les honneurs,
Quelquefois à la fin en goûte les douceurs
Dans un rang éminent où son pouvoir éclate.
 Possedant peu son bonheur,
 La fortune qui le jouë
 D’un inconstant tour de rouë
 Sçait renverser sa grandeur.
***
  Un autre dans le commerce
 Fait sa gloire de blanchir ;
 Sur l’espoir de s’enrichir
 Il n’est Mer qu’il ne traverse.
 Malgré mille affreux travaux
 Bravant les vents & les ondes,
 Il visite les deux Mondes
 Sur de fragiles Vaisseaux ;
 Et lors que sa main avare
 A fait un nombreux amas
 De ce qui naist de plus rare
 Dans les barbares Climats,
 Remply d’une douce attente
 Qui le flate & qui l’enchante,
 Il se remet sur la Mer.
 Alors un fougueux orage
A ses riches Vaisseaux faisant faire naufrage,
Il voit au fond des flots son espoir abismer.
***
 Un cœur exempt des suplices
De la morne avarice, & de l’ambition,
 Qui fait toutes ses delices
 D’une tendre passion,
N’a pas plus de repos en suivant la tendresse
Que l’Avare craintif, ny que l’Ambitieux.
 A peine ses soins & ses vœux
 Ont touché l’objet qui le blesse,
 Que de cet estat charmant
 Il passe au malheur extrême
 De voir l’ingrate qu’il aime,
En trahissant ses feux, courir au changement.
***
  C’est ainsi qu’en mille manieres
 L’aveugle & bizarre destin
Sçait tourner nos plaisirs en des douleurs ameres
Changeant tout en moins d’un matin.
Mais si nos cœurs estoient sans vices,
Si nous ne suivions point les folles passions,
Il ne feroit sur nous, malgré tous ses caprices,
 Que de foibles impressions.
***
 Ces Arbres dépoüillez de leurs charmans feüillages,
Ces Prez où l’herbe meurt, & ces Ruisseaux glacez
Nous donnent des leçons en leurs muets langages ;
Ils ont veu sans fremir leurs appas effacez.
 Quoy que le Printemps se retire
Que l’hiver en couroux reprenant son empire
 Ravisse toutes leurs beautez,
Ils ne succombent point sous tant de cruautez,
 Dans un estat toûjours semblable
Ces Chesnes resistant aux Autans irritez,
Attendent des Zephirs le retour favorable
***
 Si comme eux dans tous les revers
 Dont la fortune nous accable,
Nous gardions un esprit constant, inébranlable,
Attendant en repos ses changemens divers,
 Nous verrons couler nostre vie
Dans un estat plus doux, & plus digne d’envie
Que si l’on nous rendoit Maistres de l’Univers.
***
 Mais en voulant que tout réponde
 A nos tiranniques desseins ;
Voulant que pour remplir nos desirs les plus vains,
 La terre s’unisse avec l’onde,
Nous nous ferons toûjours un destin malheureux.
Si nous voulons goûter une tranquille joye,
Profitons des plaisirs que le Ciel nous envoye,
Mais ne courons jamais fortement aprés eux.

Rondeau §

Mercure galant, juillet 1689 (première partie) [tome 7], p. 175-176.

 

Le Rondeau qui suit est de la mesme personne qui a fait l’Idille du Printemps glacé. Elle l’adresse à une jeune Demoiselle de ses Amies.

RONDEAU.

C’est grand hazard que trouver un Amant
D’esprit poly, de corps gent & charmant,
Qui n’aille point de Ruelle en Ruelle
Faire serment de constance eternelle,
 Et protester par tout également.
***
 Quoy que sçachiez (mais bien certainement)
Que Jouvenceaux mentent impunement,
Prés tels Muguets si vous restez cruelle,
  C’est grand hazard.
***
 Si voulez donc vivre tranquillement,
 Et que pensiez à l’établissement,
Fuyez, Iris, Blondins & leur sequelle ;
Avec ces foux, c’est en vain qu’on est belle.
 Si jamais un parle du Sacrement,
  C’est grand hazard.

Le Gentilhomme de l’Arriereban §

Mercure galant, juillet 1689 (première partie) [tome 7], p. 186-190.

 

Les Vers qui suivent sont assez du temps. Ils sont estimez icy, & on a marqué de l’empressement pour en avoir des copies.

LE GENTILHOMME
de l’Arriereban.

Dans ma Maison des Champs sans chagrin, sans envie,
 Je passois doucement la vie
 Avec quelques voisins heureux,
 Peu guerriers & fort amoureux.
Ma Bergere, mes prez, mes bois & mes fontaines,
Ou faisoient mes plaisirs, ou soulageoient mes peines.
 J’allois à Paris rarement,
Mais Paris quelquefois venoit dans mon Village,
J’entens quelques Amis qui venoient bonnement
 Me voir, & manger mon potage
 Je les traitois fort sobrement.
Mes pigeons, mes poulets, tout leur sembloit charmant ;
On parloit de l’amour & jamais de la guerre ;
 Je plaignois le Roy d’Angleterre
 Sans dessein de le soulager,
Je laissois aux Heros le soin de le vanger ;
La gloire & les honneurs n’estoient point ma foiblesse,
 Et je me piquois de Noblesse
 Seulement pour ne pas payer
La Taille & les Imposts que paye un Roturier.
Aujourd’huy j’ay regret d’estre né Gentilhomme,
 Ce titre glorieux m’assomme.
Helas ! Il me contraint en ce malheureux an
 De paroistre à l’Arriere-ban.
O vous, mon Bisayeul de tranquille memoire
Dont les armes n’estoient que l’ancre ou l’Ecritoire,
Qui viviez en Bourgeois & poltron & prudent,
Reconnoissez en moy vostre vray descendant.
Pourquoy de vostre argent vostre fils & mon pere
Ont-ils acquis pour moy ce qui me desespere,
Cette Noblesse enfin qui par necessité
Me fait estre guerrier contre ma volonté ?
Adieu, mon cher Jardin qui fistes mes delices,
Adieu, de mes jets d’eau les charmans artifices,
 Adieu fraises, adieu melons,
 Adieu costeaux, adieu vallons.
Afin de soulager le chagrin qui me presse
 Que vos échos disent sans cesse,
 Nostre Maistre qui fut si doux,
Qui fuyoit la fatigue & qui craignoit les coups,
Est allé s’exposer à la fureur des armes.
Ciel ! par un prompt retour finissez ses allarmes.

[Harangue] §

Mercure galant, juillet 1689 (première partie) [tome 7], p. 198-210.

 

Vous sçavez, Madame, que Mr Foucault a esté pourvû de plusieurs Intendances de Justice, où non seulement il a réussi au gré de la Cour & des Peuples, mais où il s’est mesme acquis beaucoup de reputation, dés qu’il a commencé d’entrer dans ces importans Emplois, quoy qu’il fust encore fort jeune lors que le premier fut confié à ses soins. Il a esté nommé depuis peu de temps à l’Intendance de Caën, & tout le Pays sçachant sa vigilance, & avec combien d’exactitude il rend la justice, en a donné de grandes marques de joye, & sur tout l’Academie de cette celebre Ville, au nom de laquelle Mr Foucault a esté complimenté par Mr le Curé de Blainville. Le discours qu’il prononça luy attira beaucoup d’applaudissemens, & tout le monde admira l’adresse avec laquelle ce digne Academicien y fit entrer l’Eloge du Roy. Voicy les termes dont il se servit.

Monsieur,

On ne peut estre plus sensible que nous le sommes à la joye que vostre arrivée cause en cette Province. Outre les avantages que chacun en attend pour son repos, nous en esperons un en particulier dont nous sommes beaucoup plus touchez. Nous osons nous flater que la profession publique que nous faisons de l’étude des belles Lettres, nous donnera plus de part en l’honneur de vostre affection. Comme vous en avez fait vos plus tendres delices, elles ne vous deviendront pas indifferentes dans cette Ville où elles ont toujours esté cultivées ; dans cette Ville qu’elles ont renduë celebre, & qui par le nombre des grands Hommes qu’elle a produits dans tous les divers genres d’écrire, le peut disputer aux plus fameuses Academies de la Grece.

Cet éloge qui pourroit estre suspect dans la bouche d’un de ses Enfans, * ne le doit pas estre dans la mienne, & ce qui m’assure contre ce reproche, c’est que j’ay l’honneur de parler devant vous, Monsieur, à qui rien n’échape dans l’empire des Lettres, à qui tous les temps sont presens, & qui dans la curieuse recherche que vous avez faite ** des plus rares monumens qui peuvent servir à la connoissance de l’Histoire ancienne, n’avez pas eu moins de soin de vous instruire de nostre siecle. Tandis que vous vous appliquez à conserver dans vostre Cabinet l’air & les traits des Heros celebres pour la gloire des armes, vous honorez d’une maniere encore plus glorieuse ceux qui se sont rendus Illustres par les Sciences, en les faisant revivre dans vostre memoire.

Ce sont ces seules qualitez que nous admirons en vous, Monsieur, & sans penser aux alliances qui vous approchent des premiers Ministres de l’Etat, nous n’envisageons que le seul merite de vostre personne. Touchez de l’air obligeant dont vous recevez nos respects, nous nous laissons flater de l’esperance de profiter de vos lumieres, de vous voir presider à nos Assemblées, où dérobant quelques momens à vos occupations, vous les donnerez au doux repos des Muses. Là, nous esperons qu’avec la mesme éloquence dont vous aurez fait entendre au Public les volontez de nostre grand Prince, vous nous apprendrez en particulier la maniere de le loüer dignement. Vous nous raconterez, Monsieur, avec quelle penetration vous l’avez vû dans le Conseil démesler les affaires les plus épineuses, & aller toujours au delà des veuës communes ; par quelle tendresse pour ses Peuples, il leur a souvent sacrifié ses propres interests, & toutes choses aux besoins de ses Sujets, & à la gloire de la France. Vous nous direz son discernement dans le choix qu’il fait de ses Ministres, dont nous voyons en vous, Monsieur, une preuve si évidente ; avec quelle sagesse estoient concertez les ordres que vous en avez receus dans les divers emplois où vous l’avez servy, aussi avantageusement pour vostre propre réputation, que pour l’interest de la Religion & le repos de l’Etat.

Nous admirerons avec vous, Monsieur, les grandes qualitez, où peu de personnes arrestent leur vûë, & qui cependant sont le fondement de cette gloire qui remplit toute la terre du nom de LOUIS LE GRAND.

Ce n’est point icy le lieu d’entreprendre son éloge : ce champ est si vaste, qu’un esprit aussi foible que le mien se doit bien donner de garde d’y entrer pour ne s’y pas perdre, & trouver la peine de sa témerité ; mais certes, si le plus fameux des Politiques nous apprend que le Prince qui se voit necessaire à ses Peuples, est arrivé au haut point de la grandeur & de la felicité, quel Monarque a jamais eu plus de droit de se croire en cet estat ?

Dans les divers mouvemens qui agitent aujourd’huy l’Europe, & qui tiennent les esprits en suspens, tous les yeux sont tournez vers luy, comme sur le seul qui peut calmer ces orages. Non seulement il fait la seureté de ses Peuples, il est encore l’unique esperance d’un grand Royaume, abandonné à tout ce que la perfidie & la plus détestable ambition peuvent inventer d’horreurs & de crimes. Les devoirs les plus sacrez, violez dans la personne d’un grand Roy, la Religion opprimée, l’Innocence poursuivie, la Majesté Royale foulée aux pieds, ne trouvent d’azile qu’à l’ombre de sa puissance. Il semble que le Ciel ne permet tant d’évenemens que pour exercer son grand cœur ; on croiroit que Dieu auroit répandu sur tous les autres Princes un esprit d’illusion, afin de faire éclater davantage le zele & la profonde sagesse du nostre.

Mais je ne vois pas que je m’emporte insensiblement au delà des bornes que je me suis proposées. Emeu, excité par tant d’objets, j’oublirois le temps & le lieu. Pardonnez ce transport, Monsieur, que vostre presence rend plus fort en mon ame par le souvenir qu’elle y renouvelle de la passion avec laquelle vous servez ce grand Monarque. Quel bonheur pour vous d’avoir quelque part à sa gloire, de partager ses travaux ! Quel honneur de meriter assez sa confiance pour entrer dans ses secrets ! Nous vous cedons ces avantages, Monsieur, dont vostre fidelité & vostre sagesse vous rendent digne ; nous vous les voyons posseder avec joye, & si le Ciel écoute nos vœux, ce sera pour une longue suite d’années. Souffrez seulement que nous vous disputions le merite d’aimer parfaitement ce grand Roy, & que nous nous efforcions d’égaler vostre zele à le servir par nostre parfaite obeissance à ses ordres, qui nous seront encore plus agreables, Monsieur, tant que nous les recevrons de vous.

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[Histoire de l'Ancien Testament] §

Mercure galant, juillet 1689 (première partie) [tome 7], p. 211-222.

 

J’ay à vous entretenir d’une nouvelle Histoire de l’Ancien Testament, dont la lecture vous donnera beaucoup de plaisir. Le Public s’en doit tenir obligé à Mr Raguenet qui en est l’Auteur. Quoy qu’il soit encore fort jeune, il est d’un esprit fort meur. Cela n’est pas difficile à croire, puis qu’on ne sçauroit parler de ces sortes de matieres sans un grand fond de prudence. Les Docteurs qui ont donné leur approbation pour l’impression de cet Ouvrage, l’ont accompagnée de si beaux éloges, que je n’ay rien à y ajoûter. Il renferme des évenemens dont on ne sçauroit nier que la verité ne soit incontestable, puis que c’est la Foy qui leur sert de fondement, Il paroist qu’on peut les apprendre dans cette nouvelle Histoire avec plus de facilité, que dans tous les Livres qu’on a faits en nostre Langue pour nous en instruire. Cela est si bien prouvé par tout ce que rapporte l’Auteur dans sa Preface, qu’on ne peut la lire sans en estre convaincu. On y parle de tous ceux qui ont écrit sur ce sujet, & de la maniere qu’ils en ont écrit, ce qui satisfait extremement le Lecteur. On voit aussi les précautions que l’Auteur a prises pour tenir un juste milieu entre les trop grands Volumes, & les Abregez trop resserrez qui peuvent causer de l’obscurité. Ce Livre se vend chez le Sr Barbin.

On en debite un autre depuis peu de temps chez le Sr Quinet, dont on peut tirer un profit considerable pour les mœurs, & pour la conduite de la Vie. Il est intitulé, Reflexions solitaires sur la Vie & sur les Erreurs des hommes. Vous jugez bien qu’on ne peut examiner les Erreurs où nous sommes tous sujets, sans qu’on en fasse une espece de Satyre ; mais la Satyre n’a rien d’odieux quand elle attaque les vices en general. Elle a au contraire de grandes utilitez, puisque c’est comme un miroir qui nous fait voir nos defauts, pour nous apprendre à les corriger sans en avoir d’autre honte à craindre, que celle que nous pouvons recevoir des secrets reproches que nous sommes obligez de nous en faire à nous-mesmes. L’Auteur qui ne veut chagriner personne, ne parle que des foiblesses communes à tous les hommes, & dans la peinture qu’il en fait, il ne laisse point échaper de traits qui tombent sur aucun Particulier. Son Livre contient sept Reflexions en vers, qu’on peut regarder comme autant de pieces separées, dont chacune a sa beauté. Elles renferment la plus grande partie des défauts des hommes qu’on n’a point encore repris avec plus d’honnesteté, quoy qu’ils soient representez avec force.

La situation où sont les affaires rend extremement de saison un autre Livre nouveau, intitulé, Histoire de l’établissement de la Republique de Hollande. Mr le Noble, ancien Procureur General au Parlement de Mets, qui en est l’Auteur, fait voir en parlant de la Revolte des Peuples qui forment aujourd’huy cette Republique, que la conduite que tint Guillaume de Nassau, Bisayeul du Prince d’Orange, qui vient d’usurper la Couronne d’Angleterre, le pretexte de la Religion dont il se servit, & les artifices qu’il employa pour soustraire de l’obeïssance du Roy d’Espagne ces Peuples rebelles, ont servy de regle à l’injuste & violente entreprise de son Arriere-fils. La premiere partie de cette Histoire qui vient d’estre donnée au Public, & qu’on trouve chez le Sr Guerout, Libraire au Palais, est divisée en quatre Livres, & contient tout ce qui s’est passé depuis la naissance de cette rebellion commencée sur la fin du regne de Charles-Quint, jusqu’à la mort de ce Chef des Revoltez arrivée le 10. Juillet 1584. par un coup de Pistolet, dont un nommé Baltazar Gerard, Bourguignon, le perça à Delf, en luy donnant un Passeport à signer. Les évenemens en sont grands & curieux, tant pour leur diversité, que par la nature des intrigues que differens interests firent mouvoir. L’Auteur promet encore trois parties. La premiere contiendra tout ce que firent les Hollandois aprés que les sept Provinces rebelles se furent établies en Republique formée, pour se maintenir contre le Roy Catholique, & la longue guerre que soutint une poignée d’hommes reduits dans un point de terre, & secourus par les Puissances voisines, en sorte que l’Espagne fut forcée de leur accorder la Paix, en les reconnoissant pour libres, & en traitant avec eux comme avec des Etats Souverains & indépendans. Dans la seconde partie on doit voir tout ce que la Republique de Hollande a fait depuis ce Traité de Paix, & l’estat florissant auquel elle s’est élevée sous la protection, & par l’alliance dont la France a bien voulu l’honorer. L’Auteur promet de la conduire jusqu’au temps que les Etats Generaux oubliant les bienfaits de nos Rois, se sont détachez de la France, & ont payé d’ingratitude les obligations infinies qu’ils luy avoient, ce qui finira avec l’année 1671. La derniere partie commencera par la guerre que Sa Majesté leur declara en 1672. & renfermera tout ce que cette Republique a fait depuis que les artifices & l’ambition du Prince d’Orange d’aujourd'huy l’ont renduë ennemie de la France. On y doit voir toute la conduite qu’il a tenuë depuis le meurtre de Mrs With, pour arriver à la consommation de l’attentat entrepris contre le Roy Jacques II. son Beaupere. Ce dessein est digne de son Auteur, & comme il est tres-capable de le bien executer, le Public n’en peut recevoir que de l’avantage.

Je vous envoye une Lettre qui vient de tomber entre mes mains, & que vous serez bien-aise de lire.

[Election d’un Superieur General des Peres de la Doctrine Chrestienne] §

Mercure galant, juillet 1689 (première partie) [tome 7], p. 236-237.

 

Le 15. de ce mois, les Peres de la Doctrine Chrestienne, assemblez de toutes les Provinces dans leur Maison de S. Charles de cette Ville, éleurent pour leur Superieur General le Pere Milhet, Docteur en Theologie, Exprovincial de la Province de Guienne. Les Leçons publiques de Philosophie & de Theologie qu’il a faites durant vingt ans à Toulouse, & les divers Ouvrages qu’il a donnez au Public, ont rendu son nom assez connu. Il est l’Auteur de cette Philosophie si souvent imprimée, qui a pour titre, Summa Philosophiæ Angelicæ. Nous avons encore de luy depuis deux ans un autre Ouvrage qui fait l’admiration des Sçavans, intitulé, N’otitia Scripturæ Sacræ, & l’on espere qu’il donnera bien-tost au Public une Theologie de sa façon, qui ne peut estre qu’un Ouvrage achevé.

[Histoire] §

Mercure galant, juillet 1689 (première partie) [tome 7], p. 237-281.

 

La beauté est un grand charme pour inspirer de l’amour, mais elle ne suffit pas pour toucher un cœur bien fait. Elle a besoin d’estre soûtenuë de la douceur de l’esprit, & de l’agrément de la complaisance ; quand cela manque, il y a de la fierté ou de la bestise, & rien n’est plus dégoustant que l’une ou l’autre de ces qualitez. C’est ce qu’on a veu depuis peu de temps dans une jeune Personne qui se seroit épargné de grands chagrins, si elle avoit eu autant de soin de se rendre aimable, qu’il sembloit que la nature en eust pris de luy accorder ses plus riches dons. Elle avoit tout le brillant qu’on peut souhaiter dans un beau visage. Ses yeux estoient vifs, sa bouche petite, & tous ses traits assez reguliers, mais ces avantages luy avoient donné un orgueil insupportable, & elle y avoit esté entretenuë par une Mere, qui n’ayant point de naissance, avoit esté élevée par le mariage à une grande fortune. C’estoit une Femme imperieuse & altiere, qui avoit cessé de se connoistre dans ce changement. Rien n’est plus commun que ce caractere. La prosperité ne manque jamais d’aveugler les gens de peu. Ils s’attachent seulement à regarder ce qu’ils sont sans voir ce qu’ils ont esté, & il ne faut point attendre d’eux de regles dans leur conduite, puis qu’il n’y a rien de reglé dans leur esprit. Cette Mere avoit des adorations pour sa Fille qui ne se peuvent comprendre. Elle la croyoit parfaite, parce qu’elle remarquoit qu’elle l’avoit parfaitement copiée dans ses airs impertinens, & le merite extraordinaire qu’elle luy trouvoit, luy devoit répondre des plus illustres conquestes. Sur ce fondement, il n’y avoit point de party, quelque avantageux qu’il fust, où elle ne pust pretendre, & les assurances que son miroir luy donnoit de sa beauté, se joignant à la sotte vanité que luy permettoit sa Mere, il ne faut point s’étonner si la teste luy tourna, & si un excés de presomption luy fit regarder les premiers hommages qu’on luy rendit, comme des choses qui luy estant deuës, ne meritoient point de reconnoissance. Elle avoit une Cadette qui n’en recevoit que des mépris, parce que bien loin de la vouloir imiter dans ses manieres, elle se mocquoit de son ridicule entestement à se croire sans defauts, & luy reprochoit ses airs de hauteur, qui ne pouvoient estre propres qu’à rebuter ceux qu’elle pensoit ébloüir. Comme la Mere n’avoit jamais eu des yeux que pour l’Ainée, qu’elle s’estoit attachée à former selon son goust, heureusement pour cette Cadette elle l’avoit negligée, & l’abandonnant à elle-mesme, elle l’avoit laissé profiter d’un beau naturel, qui luy avoit fait éviter avec grand soin tout ce qui luy paroissoit condamnable dans sa Sœur. Elle avoit deux ans moins qu’elle, & quoy que jolie & fort aimable, elle luy cedoit sur l’éclat de la beauté ; mais si ses traits estoient moins piquans, ce desavantage estoit reparé par toute la droiture d’ame & de raison qu’on peut souhaiter dans une jeune personne. Elle estoit civile, d’une humeur douce & toujours égale, prévenante quand la bien-séance le permettoit, & rien ne luy faisoit un plus grand plaisir que de sçavoir qu’on fust content d’elle. L’une & l’autre estant d’un âge à meriter qu’on leur fist la cour, elles s’attirerent force Soupirans. Les premiers vœux alloient à l’Aînée, qui les recevant d’un air de dédain & du haut de son merite, croyoit faire grace de souffrir qu’on luy applaudist sur ses belles qualitez. La Cadette avoit une conduite opposée. Elle répondoit obligeamment aux honnestetez qu’on luy faisoit, & ne disant rien qu’avec esprit, elle y mesloit tant de modestie, qu’elle gagnoit l’estime & le cœur de tout le monde. Ce fut pour sa Sœur un sujet de jalousie. Elle avoit peine à souffrir qu’on jettast les yeux sur elle, & traitoit de mauvais goust ceux qui luy disoient quelque chose de flateur. Quand ils luy parloient ensuite, elle avoit pour eux un certain sousrire amer qui faisoit connoistre qu’elle les croyoit indignes de luy offrir leur hommage, aprés l’avoir prophané par des douceurs adressées à sa Cadette. Le dépit qu’elle en avoit la faisoit agir plus fierement, & ce procedé bizarre en obligeoit toujours quelques-uns à deserter. Si quelquefois le discours tomboit sur cette desertion, elle feignoit de ne s’en pas mettre en peine, & croyoit s’estre vangée de ceux qui l’abandonnoient, quand elle avoit dit qu’elle ne perdoit jamais que ce qui ne valoit pas qu’on prist aucun soin de le garder. Cependant comme personne ne luy en contoit qui ne fist paroistre en mesme temps quelque estime pour sa Sœur, elle prit pour elle une aversion inconcevable. Sa Mere entra dans ses sentimens, & cette pauvre Cadette devinant sans peine ce qui la faisoit haïr, se retiroit de temps en temps dans sa chambre pour leur laisser le champ libre, ou bien elle alloit chez une Dame voisine, qui sçachant ce qu’elle souffroit de cette haine, tâchoit de l’en consoler par les tendres marques d’une amitié veritable. Sa Sœur qui aimoit à regner seule, voyoit avec joye qu’elle allast chez cette Dame, & sa Mere ravie de luy plaire en toutes choses, ne manquoit pas à l’y envoyer souvent. Dans ce temps-là un jeune Marquis assez bien fait se laissa toucher de la beauté de l’Aînée. Il donnoit dans les grands airs ; & se faisoit distinguer par son équipage & par son train. Son caractere ayant du rapport avec le sien, elle eut pour luy des égards particuliers, & se contraignit à s’humaniser d’abord, pour ne l’effaroucher pas ; mais lors qu’aprés deux mois d’assiduitez, elle s’apperceut qu’il estoit pris, & qu’il auroit peine à se dégager, elle rentra dans son naturel, & il n’y eut point de bizarres traitemens qu’elle n’employast selon son caprice. Ils se broüilloient quelquefois, mais si le chagrin l’emportoit à quelques plaintes, elle sçavoit si bien le reduire, qu’il redevenoit plus soumis qu’auparavant. Il ne laissoit pas de faire toujours connoistre que ses hauteurs ne pouvoient l’accommoder, & quand il trouvoit l’occasion d’entretenir la Cadette, il ne pouvoit luy donner assez de loüanges sur ses manieres honnestes & douces qu’il souhaitoit à sa Sœur, & sans lesquelles il estoit persuadé qu’elle ne pourroit le rendre heureux. Cette ouverture de cœur qu’il eut avec elle, le conduisit insensiblement à luy faire entendre que si elle se sentoit disposée à l’écouter, il n’auroit aucune peine à la préferer à son Aînée. Elle rejetta cette proposition comme luy estant injurieuse, par la trahison qu’elle seroit obligée de faire, & prenant les interests de sa Sœur, aprés luy avoir exageré les avantages qu’elle avoit sur elle du costé de la beauté, elle adoucit tous les defauts dont il se plaignoit, l’asseurant qu’elle ne seroit pas plûtost mariée, que n’ayant plus que son seul devoir en veuë, elle ne chercheroit qu’à luy plaire, & le croiroit sur tout ce que sa tendresse l’engageroit à luy conseiller. Un procedé si plein de sagesse charma le Marquis. Ce soin d’excuser sa Sœur le convainquit encore mieux de la beauté de son ame, & il en fut si content, que sans luy faire une declaration plus forte, il la pria seulement de ne se pas opposer à l’esperance qu’il pourroit avoir, s’il venoit à bout de mettre les choses en un estat qui luy permist de répondre à son amour. La Belle le pria tout de nouveau de ne point songer à elle, & en luy marquant beaucoup de reconnoissance pour les sentimens qu’il luy expliquoit, elle ajoûta qu’il ne les pouvoit garder qu’il n’en coutast à l’un & à l’autre. Il ne voulut pas l’en croire, & les égards obligeans qu’il avoit pour elle, ayant commencé à choquer sa Sœur, elle luy dit un jour assez aigrement, qu’il sembloit que l’entretien du Marquis luy plust, mais qu’elle ne la croyoit pas pourtant assez sotte pour oser s’imaginer qu’on pust la trouver aimable où elle seroit. Sa réponse à cette insulte fut qu’elle sçavoit se rendre justice, & qu’estant fort incapable de s’infatuer d’élevation ny de grandeur, s’il luy arrivoit jamais quelque fortune, elle luy viendroit sans qu’elle eust pris soin de la mandier. Ses reserves à ne luy donner nul sujet de plainte, ne guerirent point son inquietude. Il est vray que le Marquis contribua à l’entretenir. Il ne voyoit jamais sa Cadette qu’il ne luy dist des choses flateuses, & en luy parlant il avoit des yeux si vifs, que l’amour y estoit peint. La Mere & la Fille luy en firent des reproches, & il s’en justifia en leur disant qu’il croyoit leur faire plaisir à l’une & à l’autre, lors qu’il marquoit de l’estime pour une personne qui les touchoit de si prés. On le dispensoit d’en marquer tant ; mais quoy qu’il tâchast de se contraindre, il luy échapoit toujours quelque chose qui découvroit ce qu’il prétendoit cacher. L’Aînée en prit d’autant plus d’alarmes, que malgré ses complaisances plus fortes qu’à l’ordinaire, elle reconnut que le Marquis n’avoit plus pour elle une ardeur si empressée. Ce fut alors que la Mere qui sentoit fort vivement tout ce qui blessoit la vanité de sa Fille, mit tout en usage pour luy épargner l’affront qu’elle apprehendoit. Elle fit à sa Cadette de rigoureuses défenses d’avoir aucun entretien avec le Marquis, & pour luy en oster les moyens, si tost qu’il entroit, elle avoit toujours quelque ordre à donner qui la faisoit disparoistre. S’il luy arrivoit d’en écouter quelques douceurs en passant, c’estoit une gronderie qui alloit jusqu’à l’excés. On l’accusoit de tous les defauts qui peuvent rendre une Fille méprisable, & non seulement elle avoit tort de pretendre qu’un homme d’esprit & de qualité pust jamais avoir pour elle aucun favorable sentiment, mais elle ne devoit pas mesme se flater de pouvoir faire la moindre conqueste. Aprés que cette aimable personne eut écouté plusieurs fois toutes ces choses sans répondre une parole, indignée enfin de l’injustice qui luy estoit faite, elle ne put s’empêcher de dire que si on vouloit luy laisser la liberté de recevoir les vœux du Marquis, elle se tenoit fort seure qu’il feroit son bonheur de l’épouser, & que son Aînée, toute parfaite qu’on la vouloit croire, pourroit avoir de la peine à l’obliger de conclure. La prediction redoubla la haine qu’on avoit pour elle. Sa Sœur feignit de n’en point faire d’estat, & ne laissa pas d’en profiter autant qu’elle put. Elle tâcha de s’accommoder au goust du Marquis, en diminuant sa fierté accoûtumée. Ce changement luy eust donné de la joye, s’il fust arrivé d’abord ; mais il remarqua qu’on éloignoit la Cadette, & il souffroit de ne la point voir. C’estoit inutilement, puis qu’elle avoit engagé son cœur. Un Gentilhomme d’un tres-grand merite, Amy de la Dame chez qui sa Mere l’envoyoit souvent, avoit pris plaisir à l’entretenir, & à force de l’examiner sur ses sentimens, il avoit esté charmé de la moderation avec laquelle il l’entendoit s’expliquer quand on luy parloit des injustices qui luy estoient faites. Cette sagesse & l’égalité de son humeur luy avoient fait prendre beaucoup d’estime pour elle, & cette estime l’avoit conduit à l’amour. Il s’en estoit expliqué, & la jeune Demoiselle n’avoit pû se garantir d’y estre sensible. La Dame qui se faisoit un fort grand plaisir de contribuer à sa fortune, avoit reçû leur secret, & il s’agissoit de les favoriser dans le succés de leur passion. La chose estoit assez difficile. Il falloit tromper la Mere & la Sœur de cette aimable personne, qui la haïssoient assez pour renverser tout ce qu’elles auroient creu qui eust deu luy estre avantageux. Ils raisonnerent long-temps, & aprés divers moyens proposez, on prit des mesures pour le personnage que chacun devoit joüer. Le Gentilhomme estoit de ces gens dont l’air uny a toûjours dépleu aux fieres & aux coquettes. Quoy qu’il fust fort riche, & peu attaché au bien, il ne s’estoit jamais distingué ny par les habits, ny par l’équipage. Son plaisir sensible estoit celuy de donner, & s’il retranchoit les folles dépences, c’estoit seulement parce qu’il n’y avoit aucun goust. Il estoit d’une Province éloignée, & d’une Noblesse des plus anciennes, mais comme c’estoit un avantage qu’il devoit à ses Ancestres, il n’en tiroit point de vanité, & se piquoit seulement d’avoir l’esprit droit & l’ame belle. Comme il estoit propre à prendre tous les caracteres qu’il vouloit, il fut arresté que lors que la Mere & la Sœur de sa Maistresse viendroient chez la Dame, on l’en feroit avertir, & qu’il agiroit selon ce qui avoit esté concerté entr’eux. Il s’en acquita admirablement en se montrant charmé de l’Aînée, & luy demandant la permission de la voir chez elle. Cet empressement pouvant estre pris pour un commencement de conqueste, elle en sentit sa gloire flatée, & consentit à le recevoir. Il luy rendit visite dés le lendemain, & il continua de le faire quelque temps avec assez d’assiduité. Il regardoit fort peu la Cadette, & bien souvent elle ne se montroit pas. Cela se faisoit exprés pour mieux cacher le dessein qu’on avoit formé pour elle. Les transports d’amour qu’il affecta de faire paroistre à cette Sœur d’une maniere assez dégoûtante, furent regardez comme les égaremens d’un Provincial qui ne sçavoit pas le monde. Elle luy trouva l’air bas, & le peu de discernement qu’il feignit d’avoir sur bien des choses, luy donna pour luy les sentimens qu’il avoit envie de luy inspirer. Elle en parloit devant sa Cadette avec un mépris extraordinaire, & cela fit dire un jour à la Mere qu’il falloit le marier avec elle, & que l’assortiment seroit admirable. La Cadette répondit d’un ton dédaigneux & resolu, que ce qui n’estoit point bon pour sa Sœur, n’étoit pas meilleur pour elle, & qu’il suffisoit que l’on eust mis si bon ordre à empêcher qu’elle ne se fist aimer du Marquis. Vous jugez bien que cette réponse fut traitée d’impertinente, & que l’on n’oublia rien de ce qui pouvoit luy faire sentir que ce n’estoit point à elle à esperer aucune fortune. Les choses estant en cet estat, la Dame voisine vint joüer son rôle. Elle prit la Mere en particulier, pour luy declarer que le Gentilhomme estant devenu éperdûment amoureux de son Aînée, l’avoit priée de luy venir proposer un mariage. La Mere ne voulut rien écouter de plus. Elle luy dit aussi tost qu’estant persuadée de son amitié, elle jugeoit bien qu’elle ne s’estoit chargée de la proposition qu’afin de se garantir des importunitez du Gentilhomme, & qu’elle la croyoit trop dans ses interests pour luy vouloir conseiller de donner à un homme tel que luy une Fille aussi aimable & aussi parfaite que la sienne. Elle la pria pourtant de luy accorder jusqu’au lendemain pour la réponse qu’il luy falloit faire. La raison de ce delay vint de la pensée qu’elle eut de le marier avec sa Cadette. Deux choses la portoient à le souhaiter ; l’une, que la haissant, & croyant le Gentilhomme un party fort peu considerable, elle estoit bien-aise de luy donner le chagrin de se voir dans un estat tres-éloigné de celuy où elle esperoit mettre sa Sœur, & l’autre, que l’ostant entierement au Marquis qu’elle soupçonnoit en estre amoureux, il devoit plus aisément venir au point où cette Sœur vouloit l’amener. Elle en confera avec son Aînée, qui ne manqua point de donner avidement dans ce dessein. Tout y flatant ses desirs, il ne fut plus question que d’en haster le succés. La Mere pria la Dame de bien faire entendre au Gentilhomme qu’on estoit au desespoir de ne pouvoir contenter sa passion, que l’engagement que l’on avoit avec le Marquis en estoit la seule cause, & que pour luy témoigner combien on faisoit d’estat de son Alliance, on estoit prest de luy donner la Cadette. La Dame feignit de craindre de ne pouvoir reussir à le faire consentir à ce changement, quoy qu’elle promist de s’y employer de tout son pouvoir, & demanda cependant si on vouloit faire quelque information de son bien, ajoûtant qu’elle luy connoissoit une Terre où il pourroit vivre doucement dans la Province. La Mere qui se laissoit conduire à sa passion, luy répondit naturellement qu’elle fist le mariage, & que pourvû qu’il la défist de sa Fille, il auroit assez de bien. Il est aisé de s’imaginer le tour que la chose prit. On fit des façons ; le Gentilhomme eut beaucoup de peine à renoncer à l’Aînée, & enfin par l’attachement qu’il avoit pour la Famille, il se resolut à faire ce qu’on vouloit. La Comedie fut joüée entiere comme on l’avoit projetté, mais il n’y eut point de meilleure Scene que celle de la Cadette. Elle fit voir un chagrin inconcevable, qui sembloit estre le triomphe de sa Sœur, & en feignant de resister à sa Mere qui luy commandoit d’autorité absoluë d’épouser le Gentilhomme, ou d’entrer dans un Convent, elle eut l’artifice d’aller jusqu’aux larmes. Elle demandoit qu’on laissast le Marquis libre, & promettoit qu’aprés qu’il auroit épousé sa Sœur, si elle pouvoit l’y engager, elle épouseroit le Gentilhomme. C’estoit assez dire pour faire réiterer le commandement avec les plus terribles menaces. Sa présomption, qui blessoit sa Sœur jusques au vif, estoit un crime qui ne pouvoit estre pardonné, Pendant que la Mere entroit en fureur contre elle, la Dame estoit du même party. Elle luy representoit que jamais on n’avoit vû de Filles bien nées desobeir à leurs Meres ; qu’elles connoissoient bien mieux qu’elles-mesmes ce qui leur estoit avantageux ; qu’aprés tout elle n’avoit que le Convent à choisir, & qu’on y souffroit toute la vie quand on n’avoit pas de vocation. La necessité du choix parut faire effet, & aprés une résistance de trois jours, qui fit encore plus souhaiter la chose, elle dit enfin comme par une maniere de desespoir, qu’on la sacrifiast puis qu’on le vouloit, & qu’elle signeroit tout. On ne perdit point de temps, on fit un Contrat, & comme on ne vouloit pas que le Marquis sceust le mariage, on resolut de le faire chez la Dame, dans une maison qu’elle avoit à quatre lieuës de Paris. On s’y rendit sous pretexte d’aller prendre l’air pendant quelques jours, & tout fut conduit avec une adresse surprenante. La Cadette faisoit toujours voir le plus noir chagrin, & témoignoit se contraindre pour le déguiser quand le Gentilhomme approchoit d’elle. C’estoit une leçon qu’on luy avoit donnée à l’envy, par la crainte où l’on étoit que sa méchante humeur ne le dégoûtast. Le mariage se fit, & alors la Mariée declara que puis que c’estoit une affaire faite, elle alloit tâcher de se rendre heureuse. On retourna à Paris, & le Marquis fut fort étonné lors qu’on luy apprit ce que l’on venoit de faire. Il reprocha avec quelque émotion à sa pretenduë Maistresse, le secret qu’on avoit voulu garder pour luy, & de son costé elle s’échapa à le railler froidement sur l’interest qu’il sembloit y prendre. Cela mit entre eux de la broüillerie, & par les manieres du Marquis, elle eut sujet d’en apprehender les suites ; mais ce ne fut pas son plus grand chagrin. Le Gentilhomme, qui estoit encore de meilleure Maison que le Marquis, & qui avoit trente mille livres de rente, voulant obliger sa Femme, & la vanger des mépris que l’on avoit eus pour elle, commença à faire une dépense proportionnée à ce qu’il estoit. Voilà tout d’un coup une fort belle maison richement meublée, un Carrosse magnifique, un train admirable, & tout le reste de la mesme force. La Mere luy demanda ce que cela vouloit dire. Il répondit qu’ayant de quoy soutenir ce qu’il faisoit, & estant d’une naissance qui luy pouvoit tout permettre, il ne croyoit pas qu’on deust trouver rien à y condamner ; qu’il n’avoit point voulu employer ces avantages pour ébloüir son Aînée, afin de ne devoir qu’à luy-mesme, ce qu’il luy auroit esté honteux de n’obtenir que par la veuë de son bien, & qu’il estoit bon que tout eust tourné de la maniere que les choses s’estoient faites, pour la satisfaction des uns & des autres. Cette déclaration fut un coup mortel pour la Mere & pour la Fille. La Mere en parut inconsolable, & la Fille s’imaginant qu’il n’avoit tenu qu’à elle de se voir en la place de sa Sœur, entra dans un desespoir qu’on ne sçauroit exprimer. Le Marquis qu’elle commença à regarder comme la cause de tout son malheur, en essuya de nouveaux caprices. Cela acheva de les mettre mal ensemble, & ses chagrins la laisserent si peu en estat de chercher à l’adoucir, qu’enfin rebuté de son humeur trop imperieuse, il rompit entierement. Sa perte luy eust esté plus sensible si elle n’eust pas esté occupée de reflexions qui furent pour elle un cruel supplice. L’extrême tendresse que marquoit sa Sœur pour son Mary, luy parut trop naturelle pour luy laisser croire qu’elle eust eu jamais de la repugnance à l’épouser. Le grand bien du Gentilhomme caché avec soin aussibien que sa naissance, l’affectation de faire paroistre beaucoup moins d’esprit qu’il n’en avoit, sa prompte condescendance à tourner son cœur du côté de sa Cadette, tout luy fit penser qu’elle avoit esté leur dupe, & l’ennuy qu’elle en sentit fut si violent, que ne pouvant soûtenir la veuë de l’estat heureux où se trouvoit cette Sœur, elle alla de rage s’enfermer dans un Convent. Elle n’a voulu y recevoir aucune visite depuis qu’elle y est entrée. Sa Mere seule a pouvoir de luy parler, & on est en peine du party qu’elle prendra, soit pour la Religion, soit pour revenir au monde.

Air nouveau §

Mercure galant, juillet 1689 (première partie) [tome 7], p. 307-309.

Je vous envoye un second Air nouveau, qui est d'un de nos plus sçavans Maistres. Il donne avis d'une repetition de ces mots, Taisez-vous, dans le premier Vers des paroles notées. Comme il semble qu'elle en embarasse la mesure, on pourra la supprimer si on le veut, & suivre le chant de mesme qu'il est marqué à la fin de l'Air.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Taisez-vous, Rossignols, doit regarder la page 308.
Taisez-vous, Rossignols, vous redoublez ma flame,
Ne vous efforcez plus d'adoucir ma langueur ;
Envain pour soulager le trouble de mon cœur
Vos concerts les plus doux veulent toucher mon ame.
Eh, que pourroit sur moy la douceur de vos chants ?
Je veux resver icy dans un profond silence,
Taisez-vous, Rossignols, faites-vous violence.
Vous ne sçauriez calmer les maux que je ressens.
images/1689-07a_307.JPG

A Mr de Fourcy, Prevost des Marchands §

Mercure galant, juillet 1689 (première partie) [tome 7], p. 326-327.

 

Voicy un Madrigal de Mr Diereville sur cette Feste.

A Mr DE FOURCY,
Prevost des Marchands.

 Vous, qui pour honorer de LOUIS la memoire,
 L’avez placé dans ce Palais,
Dressez des Monumens eternels à sa gloire,
 Et marquez-y tous ses hauts faits,
Que la Posterité ne pourra jamais croire.
 Que les Peintres & les Sculpteurs
Parviennent à l’envy jusqu’où l’Art peut atteindre ;
 On ne sçauroit si bien le peindre
 Qu’il est bien gravé dans nos cœurs.