1690

Mercure galant, mars 1690 [tome 3].

2017
Source : Mercure galant, mars 1690 [tome 3].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, mars 1690 [tome 3]. §

[Imitation du Pseaume Quare fremuerunt Gentes, sur la situation des Affaires d'aujourd'huy] §

Mercure galant, mars 1690 [tome 3], p. 7-17.

Si les belles Lettres & les Sciences fleurissent rarement dans un Royaume dont le Souverain est en guerre avec quelqu’un des Princes ses voisins, elles devroient estre sans appuy, & presque entierement oubliées dans un Estat, dont un monde d’Ennemis témoigne avoit juré la ruine, & dont le Monarque ne se voit environné que de Souverains qui ne sçauroient supporter l’éclat de sa gloire. C’est la situation où se trouvent aujourd’huy la France & le Prince qui la gouverne ; mais comme il n’y a rien que d’extraordinaire dans la vie d’un si grand Monarque, tout marche d’un pas égal dans son Royaume ; chacun y joüit des liberalitez qu’il a coûtume de faire ; les pensions y sont payées de mesme qu’en temps de paix ; on y reçoit des gratifications, & tout recemment celles que ce Prince donne aux personnes qui se distinguent dans les belles Lettres & dans les Sciences, viennent de faire connoistre que la guerre n’a rien changé à leur égard. Il y a beaucoup à dire là-dessus, & plus encore à penser ; mais je laisse ce soin aux Ennemis de la grandeur de Sa Majesté. Rien ne les doit épouvanter davantage, & ne peut faire mieux voir que toutes leurs menaces & tous leurs armemens n’ont pas causé la moindre alteration en France, & que son Souverain a pris de si justes mesures, que tous les efforts de ses Ennemis ne sçauroient jamais servir qu’à faire briller sa gloire avec plus d’éclat. Vous en serez convaincuë en lisant l’Imitation que je vous envoye du Pseaume, Quare fremuerunt Gentes. Vous y trouverez beaucoup de rapport aux Ligues que l’on a formées contre ce Prince, pendant qu’il prend le party de l’Eglise en secourant le Roy d’Angleterre. Il n’y a rien de plus juste que cette Imitation, & on peut s’en asseurer en confrontant chaque verset du Pseaume avec les quatrains François.

IMITATION
Du Pseaume Quare fremuerunt
Gentes, sur la situation des
Affaires du temps.

D’où vient que tant d’Etats s’élevent & s’irritent ?
Et quels sont (juste Ciel) les motifs, les sujets
 De ces vains & vastes projets,
Que dans leur noir conseil les Nations meditent ?
***
Que de Peuples liguez, de Princes & de Rois
Contre l’Oint du Seigneur, & contre son Eglise,
 Qu’un seul Monarque favorise,
Lors qu’ils conspirent tous pour la mettre aux abois !
***
Rompons les nœuds sacrez de l’union Chrestienne,
Fuions le joug pesant qu’on nous veut imposer.
 Il faut (disent-ils) tout oser :
Evitons nostre perte, en resolvant la sienne.
***
Mais le Moderateur de la Terre & des Cieux,
Qui sçait calmer les flots, & borner leur audace,
 Se moquera de leur menace,
En reprimant l’essor des Aiglons furieux.
***
Par tant de noirs complots sa fureur allumée,
D’un éclat imprévû troublera leurs esprits ;
 Ils seront confus & surpris,
De voir tous leurs desseins s’exhaler en fumée.
***
Pour moy, que le Seigneur établit Souverain,
Pour publier ses loix & proteger l’Eglise,
 Dans une si juste entreprise
Je soûtiendray toûjours l’ouvrage de sa main.
***
J’attens l’heureux effet de sa sainte promesse,
C’est pour cela, dit-il, que je vous ay fait Roy,
 Qu’en vous engendrant par la Foy
Sur tous les autres Rois vous avez droit d’aînesse.
***
Parlez, & vous verrez remplir vostre desir ;
Vous briserez le Trône & du Scythe & du More,
 Et du Couchant jusqu’à l’Aurore
Vos Neveux regneront selon vostre plaisir.
***
Je vous feray dompter ces Nations rebelles,
Avec la fermeté d’un Sceptre tout de fer ;
 Et ces noirs supposts de l’Enfer
Seront bien-tost changez en des Sujets fidelles.
***
Ouvrez donc tous, les yeux à ces vives clartez,
Vous autres Souverains qui gouvernez la terre ;
 Songez que vous n’estes que verre,
Et redoutez l’effet de tant de veritez.
***
Craignez d’un Dieu vangeur les jugemens terribles,
Plus vous estes puissans, & plus soyez soûmis ;
 N’insultez point vos Ennemis ;
Ceux que son bras soûtient sont toujours invincibles.
***
Cessez contre un Aisné de lancer tant de traits,
Et loin de l’insulter & luy faire la guerre,
 Honorez-le dessus la terre,
Et joignez-vous à luy par un baiser de Paix.
***
C’est trop pousser l’envie & l’aigreur contre un Frere,
Sa gloire croist toujours malgré tout vostre fiel.
 Craignez de voir tomber du Ciel,
Sur une injuste guerre une juste colere.
***
Attachez-vous aux loix d’un rigoureux devoir,
Moderez les transports d’une ardeur indiscrete,
 Servez Dieu dans la voye étroite,
Détournez sa colere, & craignez son pouvoir.
***
Cette colere affreuse unie à sa justice,
Est preste d’éclater, & vous menace tous.
 Heureux, qui pour parer ses coups,
Met en luy son espoir, & fuit le précipice.

D.H. Cél.

Air nouveau §

Mercure galant, mars 1690 [tome 3], p. 17-18.

Nous sommes dans un temps tout saint. Ainsi, Madame, je croy vous faire plaisir de vous envoyer au lieu de Chanson nouvelle, le commencement du Veni Creator, traduit par Mr Perachon, & mis en Musique par Mr l'Abbé Chastelain, Chanoine de l'Eglise de Paris. La Basse-continuë est de Mr le Roux, Maistre de Musique.

Esprit Divin, Auteur du Monde,Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Esprit Divin, Auteur du Monde, doit regarder la page 18.
Répans dans nos esprits cette clarté feconde
Qui leur donne l'estre & le jour.
Viens remplir tous nos cœurs de cette grace immense,
Qui fait par son heureux sejour,
Dans l'ouvrage de ta puissance
Le Chef-d'œuvre de ton amour.
images/1690-03_017.JPG

[Sur une poésie de M. Perachon]* §

Mercure galant, mars 1690 [tome 3], p. 18-26.

Le mesme Mr Perachon vient de donner un ouvrage considerable au Public. C’est un Poëme qui renferme toutes les principales actions de la vie du Roy, jusques à present. La pluspart de ceux sur qui les graces des Princes qui leur peuvent faire du bien, ne sont point encore tombées, épargnent rarement leur temps pour travailler à de longs Panegyriques, mais ceux qui n’écrivent que pour remercier en font de moins étendus. Mr Perachon n’en a pas usé de mesme, & quoy qu’il n’eust qu’un remerciement à faire, il a fait voir que lors qu’il s’agissoit de parler du Roy, il ne pouvoit retenir les mouvemens de son cœur. En effet, toutes les fois que l’on a occasion de commencer son Eloge, l’on sent tant de joye à traiter cette matiere, que le plaisir qu’elle donne suffit seul pour exciter à ce glorieux travail. Mr Perachon, qui avoit esté élevé dans la Religion pretenduë Reformée, s’estoit rendu celebre parmy ceux de cette Religion, & comme il estoit devenu un des principaux du Consistoire de Charenton, il se voyoit employé aux affaires, & aux députations qui regardoient le Corps de ses Confreres. Cependant l’estat où il estoit parmy eux, ne l’empescha point de faire de serieuses reflexions sur la Religion qu’il avoit receuë de ses Ancestres, & il ne crut pas, comme beaucoup d’autres, qu’il suffisoit qu’il l’eust embrassée en naissant, pour s’obstiner à la trouver bonne. Il prit donc une ferme resolution d’examiner la verité, & cela l’obligea de s’attacher à la lecture des Peres de l’Eglise, qu’il voulut seuls consulter. Il y trouva des lumieres qui l’engagerent à se convertir, ce qu’il fit avant la revocation de l’Edit de Nantes. Il travailla ensuite à la conversion de ses Confreres, & plusieurs eurent le bonheur de se sentir convaincus des veritez qu’il leur exposa, & dont ses longues recherches l’avoient convaincu luy-mesme. Rien n’est plus capable de faire ouvrir les yeux à un Heretique, qu’un Heretique habile homme converty. Il connoist les détours & les faux-fuyans dont ont accoutumé de se servir ceux qui s’obstinent dans la Religion qu’il a quittée ; & comme ils sont obligez d’en tomber d’accord, ils conviennent bien tost aprés de la fausseté de leur créance. Pendant que Mr Perachon travailloit utilement aux conversions dont je vous parle, il fit quelques Ouvrages de devotion, & traduisit plusieurs Himnes qui plûrent au Roy. Il avoit déja fait diverses pieces pour la gloire de ce Prince, qui luy fit donner le Brevet d’une pension sur ses propres revenus, & non sur les Benefices dont les revenus estoient alors destinez pour les Nouveaux Convertis, Sa Majesté en ayant donné, & en donnant encore tous les jours sur son Tresor Royal. Mr Perachon, tout penetré des bontez que Sa Majesté avoit pour luy, voulut faire un Ouvrage considerable qui en marquast sa reconnoissance, & travailla à un remerciement à la maniere des plus illustres Anciens, c’est à dire, comme Pline à Trajan, Mamertin à Julien, Ausone à Gratien, & plusieurs autres qui ont fait des Panegyriques entiers au lieu de remercimens. On peut asseurer que celuy dont je vous parle a de fort grandes beautez, puis qu’outre que les actions du Roy, racontées sans art & sans ornement, ne laisseroient pas de paroistre inimitables, la Poësie les met dans un plus beau jour ; à quoy contribuë encore le genie de l’Auteur, dont l’Ouvrage est remply de pensées nouvelles, ausquelles il a donné un tour fort ingenieux. Je n’en parle qu’aprés les Illustres, qui travaillent au Journal des Sçavans. Mais pour mieux sçavoir ce que l’on en doit dire, j’attens vostre sentiment quand vous l’aurez lû, ne doutant point que vous n’y trouviez de vives expressions, & de ces grands traits que vous m’avez mandé tant de fois qui vous font plaisir.

[Lettre à M. Ménage] §

Mercure galant, mars 1690 [tome 3], p. 30-65.

Je vous envoyay il y a un an un livre de Mr Perrault, de l’Academie Françoise, ayant pour titre, Paralelle des Anciens avec les Modernes. Le Sr Coignard vient d’en donner au Public un second Volume qui contient un excellent Dialogue sur l’Eloquence. La Poësie aura son tour, & Mr Perrault traitant la matiere à fond avec beaucoup de netteté & de force, il ne sera pas aisé d’y répondre, à moins que d’apporter des raisons contraires qui soient assez fortes pour détruire ce qu’il établit. Cependant les Défenseurs de l’Antiquité qui se prétendent toujours tres-bien fondez dans leurs sentimens, que je n’ay point à examiner, ne prenant aucun party, continuent à s’élever contre ceux qui trouvent que les Modernes ne sont dans aucune obligation de ceder aux Anciens. Ils vont jusques aux injures, & c’est cet emportement qui a donné lieu à la Lettre que vous allez lire. Elle est du mesme Mr Perrault, dont le Poëme du Siecle de Loüis le Grand a émeu cette fameuse querelle.

LETTRE
DE Mr PERRAULT
A Mr Menage.

Enfin, Monsieur, j’ay vû l’Eloge que Mr Francius, Poëte Hollandois, fait de moy dans une Harangue Latine où il parle des qualitez necessaires pour former un parfait Orateur. Cette Harangue a esté prononcée à Amsterdam au mois de Novembre dernier. En voicy les propres termes.

Quin & eò nuper audaciæ progressus est scriptor Gallicus in horribili illo & sacro libello, quem sæculum Ludovici Magni appellat, ut Marcum Tullium Ciceronem, si viveret hodie, non in secundo aut tertio ordine Oratorum consistere, sed vix inter mediocres fori Parisiensis Patronos locum habere posse, affirmare non dubitaverit.

En cor Zenodoti, en jecur Cratetis.

Quam tamen ineptissimi hominis insolentiam carmine sane pulchro Menagius, & in præfatione ad Horatium nupera repressit Dacierius & plures præterea alii. Neque enim hanc ferre possunt superbiam etiam in gente sua, & ignorantiam plusquam puerilem acutioris inter Gallos nasi, & in veterum lectione versati viri. Sed tamen sparguntur hæc in vulgus, legunt juvenes, laudant ephemerides, & malam de antiquis illis heroibus opinionem imbibunt qui parum eos cognitos habent & perspectos, &c.

Ces paroles, comme vous sçavez, Monsieur, renduës litteralement en nostre Langue, veulent dire.

Et mesme un Ecrivain François est venu à un tel point d’audace dans cet horrible & execrable Libelle qu’il appelle, le Siecle de Loüis le Grand, qu’il n’a point fait difficulté d’asseurer, non seulement, que Cicerons, s’il estoit aujourd’huy au monde, ne seroit mis ny dans le second ny dans le troisiéme rang des Orateurs, mais qu’il auroit peine d’avoir place parmy les Avocats mediocres du Parlement de Paris.

Voilà le cœur de Zenodote ; voilà le foye de Cratés.

Aussi Menage a-t-il repoussé l’insolence de ce tres-impertinent homme, par une tres-belle Epigramme, ainsi que Dacier dans sa derniere Preface sur Horace, & plusieurs autres ; car les gens qui ont* le nez le plus pointu parmy les François, & qui sont les plus versez dans la lecture des Anciens, ne peuvent souffrir cet orgüeil & cette ignorance plus que puerile, mesme dans un homme de leur Nation. Cependant ces choses se répandent dans le public, les jeunes gens les lisent, les Journaux en parlent avec éloge, & ceux qui ne connoissent pas assez ces anciens Heros, & qui ne les ont pas considerez d’assez prés, en prennent de méchantes impressions.

N’ay-je pas esté bon Prophete quand j’ay fait ce Madrigal ?

L’agreable dispute où nous nous amusons
Passera sans finir jusqu’aux races futures.
 Nous dirons toûjours des raisons,
 Ils diront toûjours des injures.

Ne sont-ce pas là des injures en forme, des injures qui excedent toutes les libertez permises entre des gens de Lettres ; & enfin dire en public qu’un homme est tres-impertinent, qu’on ne peut souffrir son insolence, n’est-ce pas luy faire un veritable outrage ? Cependant comme je sçay que ces injures n’ont pas la mesme force en Latin qu’elles auroient en François, je les pardonne de bon cœur à Mr Francius, en faveur des privileges de la Langue Latine, pourveu qu’il fasse reflexion combien peu delicate est cette Langue, combien peu delicats ont esté la pluspart de ceux qui l’ont parlée, & combien le sont encore la pluspart de ceux qui la parlent, puis que pour les mesmes choses où l’on ne daigne pas faire attention quand elles sont en Latin, on se couperoit la gorge si elles estoient dites en François.

Je ne sçay. Monsieur, si vous sçavez ce qui arriva à Saint Merry il y a quelques années, touchant l’Epitaphe de Mr Tarteron. Cette histoire fait bien voir la difference qu’il y a d’une Langue morte à une Langue vivante. Mr Tarteron, Maistre des Comptes, & fort honneste homme, estant mort, ses Heritiers prierent M. de S. Laurent, Amy intime du Défunt, de luy faire une Epitaphe. Mr de S. Laurent, homme d’esprit, comme vous sçavez, & tres-instruit de toutes les finesses de nostre Langue, fit l’Epitaphe, & aprés l’avoir montrée à Mr Chapelain, & à quelques autres de ses Amis, il la fit graver en lettres d’or, & mettre en place. Il n’y eut pas une syllabe qui ne fust critiquée. Pourquoy toutes ces loüanges, disoient les uns ? Pourquoy n’y en mettre pas davantage, disoient les autres ? Cecy est trop fort ; cela est trop foible. Voilà qui est rampant ; voilà qui est guindé. Sçavans, ignorans, grands & petits, hommes & femmes, tout le monde y trouvoit à redire, & depuis le matin jusques au soir, il y avoit une foule de gens qui lisoient & censuroient l’Epitaphe. Mr de S. Laurent ayant releu son Ouvrage avec les mesmes Amis qu’il avoit consultez en le faisant, crut avoir trouvé les endroits qui blessoient le public, & aprés les avoir reformez, il fit graver une seconde Epitaphe qu’on mit en la place de la premiere. Ce fut encore pis ; le nombre des Critiques augmenta au centuple, & il s’y faisoit un tel concours, que le Curé en fut scandalisé, & demanda qu’on l’ostast. Un homme de bon sens dit à Mr de Saint Laurent, que le meilleur remede qu’il y voyoit, estoit de la faire traduire en Latin. On suivit ce conseil, & tout ce grand bruit cessa. L’Epitaphe Latine est dans S. Merry, où tres-peu de gens la regardent, & où elle joüit d’un aussi grand repos que le Défunt pour qui elle est faite. Je ne suis donc point faché des injures Latines de Mr Francius. La seule chose qui me fait peine, c’est qu’il n’ait pas eu soin de dire la verité, car en toutes Langues on est obligé de la dire. Voicy de quelle sorte j’ay parlé de Ciceron dans mon petit Poëme de Louis le Grand.

 Je voy les Cicerons, je voy les Demostenes,
Ornemens éternels & de Rome & d’Athenes,
Dont le foudre éloquent me fait déja trembler,
Et qui de leurs grands noms viennent nous accabler.
Qu’ils viennent, je le veux, & que sans avantage
Entre les combattans la gloire se partage ;
Que dans nostre Barreau l’on les voye occupez
A défendre d’un champ trois sillons usurpez ;
Qu’instruits dans la Coutume, ils mettent leur étude
A prouver d’un Egoust la juste servitude,
Et qu’en riche appareil la force de leur art
Eclate à soûtenir les droits de Jean Maillart ;
Si leur haute éloquence en ses démarches fieres
Refuse de descendre à ces viles matieres,
Que nos grands Orateurs soient assez fortunez
Pour défendre comme eux des Cliens couronnez,
Ou qu’un grand Peuple en foule accoure les entendre
Pour declarer la guerre au Pere d’Alexandre ;
Plus qu’eux peut-estre alors diserts & vehemens
Ils donneroient l’essor aux plus grands mouvemens,
Et si pendant le cours d’une longue Audience,
Malgré les traits hardis de leur vive éloquence,
On voit nos vieux Catons sur leurs riches tapis,
Tranquilles Auditeurs & souvent assoupis,
On pourroit voir alors au milieu d’une Place,
S’émouvoir, s’écrier l’ardente Populace.

Ay-je rien dit dans ces Vers qui ressemble à ce que Mr Francius me fait dire ? Ay-je dit que si Ciceron revenoit au monde, il ne seroit pas au second, ny mesme au troisiéme rang parmy nos Avocats ? Si je suis blâmable, c’est bien moins d’avoir trop élevé nos Orateurs, que de les avoir trop abaissez en disant, que s’ils estoient assez heureux pour traiter des matieres aussi importantes que celles qui occupoient les Anciens, peut-estre réussiroient-ils mieux ; car un semblable, peut-estre dans la bouche de leur Avocat, est une espece d’aveu de leur inferiorité. Mr Francius dit ensuite, Monsieur, que vous avez reprimé mon audace par une belle Epigramme. Vous avez declaré que cette Epigramme n’est point de vous, cela suffit, & l’on juge aisément que celuy qui l’a faite, n’a mis au bas la premiere lettre de vostre nom, que pour faire tomber le soupçon sur vous, & donner par là de l’autorité à son Epigramme. Quelques-uns ont cru en voyant cette M. que l’Epigramme estoit de quelque nouveau Montmor, Parent du fameux Parasite, que vos Muses chasserent autrefois si agreablement du haut du Parnasse à coups de fourche. On l’a traduite, & on y a fait une réponse. Voicy l’Epigramme Latine.

 Cui sæcli titulum dedit, Sabelle,
Peraltus tuus, edidit Poëma,
Quo vir non malus asserit, putatque
Nostris cedere Bruniis Apellem,
Nostris cedere Tullium Patronis,
Nostris cedere Vatibus Maronem.
O sæclum insipiens & inficetum !

Voicy la traduction.

Cher Sabellus, ton bon Amy Perrault
A fait des Vers que le Siecle appelle,
Où ce bon homme asseure, & dit tout haut
Que nos le Bruns en sçavent plus qu’Appelle ;
Que nos Brailleurs font mieux que Ciceron,
Que nos Rimeurs l’emportent sur Maron.
O Siecle fade & de peu de cervelle !

Voicy la réponse.

Des bons Auteurs que nostre siecle admire,
Par tout Montmor ne cesse de médire.
De sa nature il fut toujours mordant.
 A leur éloquence choisie,
 A leur divine Poësie,
Il ose comparer, tant il est imprudent,
Il ose préferer, tant il est impudent,
De mille vieux bouquins la science moisie.
O le crasseux ! O le vilain Pedant !

Je demeure d’accord que l’Epigramme Latine est belle pour une Epigramme de ce temps-cy ; car quoy qu’elle ne soit fondée que sur l’équivoque du mot de Siecle, qui signifie la & mon Poëme, & le temps où nous sommes, & que cette équivoque soit assez froide, cependant comme le plus grand merite des Ouvrages Latins d’aujourd’huy, n’est point d’avoir du sens & de la raison, choses trop communes & trop vulgaires, mais d’estre composez des plus beaux endroits des Auteurs Classiques, & que ce dernier Vers, O Sæclum insipiens & inficetum, fait allusion à un Vers de Catulle, je comprens bien que cette Epigramme a pour certaines gens une beauté qui les charme & qui les enleve. C’est de ce genre de beauté que brille ce Vers de mon Eloge :

En cor Zenodoti, en jecur Cratetis, Voilà le cœur de Zenodote, voilà le foye de Cratés.

Je ne suis pas surpris que cela soit admiré dans un College, mais je m’étonne que la pluspart des Sçavans, & particulierement des Sçavans en ïus, n’ayent pas encore remarqué que s’il est loüable à un jeune Ecolier de faire voir à son Regent qu’il a bien profité de la lecture des Anciens, en les inserant dans ses compositions, il sied mal à un Maistre de ne pas parler de son chef dans une harangue, d’avoir encore du goust pour toutes ces tripes de Latin, & de vouloir mesme en regaler ses Auditeurs.

Aprés que Mr Francius a dit deux choses qui ne sont pas vrayes, il en dit une tres-veritable, qui est que Mr D.… m’a maltraité dans ses Remarques critiques sur les œuvres d’Horace, où il fait entendre en plusieurs endroits que je suis un ignorant ; j’en demeure d’accord, que je n’ay point de goust ; cela peut estre, cela peut n’estre pas, & ce n’est point luy qui en sera le Juge, mais il dit une chose dont je suis faché pour l’amour de luy. Il dit en parlant de Pindare qu’il compare à un torrent : Qu’il ne faut pas s’étonner qu’un Auteur moderne, & les ridicules Personnages qu’il introduit s’y soient noyez dés le premier pas. Il est aisé de voir qu’il parle du premier Dialogue de mes Paralelles, où les Personnages que j’introduis declarent nettement qu’ils n’entendent point le commencement de la premiere Ode de Pindare. Il est certain que les Personnages d’un Dialogue serieux ne peuvent estre ridicules que l’Auteur ne le soit encore davantage, & que Ridicule, est une injure qu’on ne dit point à un honneste homme, pour peu que l’on ait de politesse. Cette expression ne fait point d’honneur à Mr D.… J’avouë ingenûment que je me suis noyé dans le commencement de la premiere Ode de Pindare, ou pour parler plus clairement, que je n’ay pas entendu le commencement de cette premiere Ode ; mais je croy m’estre noyé avec tout le genre humain, & qu’il vaut mieux comparer Pindare au Deluge Universel qu’à un torrent, puis que personne ne s’en est jamais sauvé. Jean-Benoist, le dernier de ses Commentateurs, declare que jusqu’à luy à peine les plus Sçavans ont entendu Pindare, & le bon homme ne l’a pas entendu luy-mesme. Si vous pouviez engager M. D.… à nous donner une explication du commencement de cette Ode qui eust du sens, vous feriez une bonne œuvre, & il ne faudroit pas un plus grand miracle que celuy-là pour me convertir. Dites-luy, je vous prie, que je prens par tout sa défense contre ceux qui l’attaquent. Je ne rencontre que des gens qui pretendent que sa Traduction d’Horace ne vaut rien, & je leur soûtiens à tous qu’elle doit estre fort bonne. Et en effet, leur dis-je, comment ne seroit-elle pas la meilleure de toutes, puis que Mr D.… avoit eu devant luy cinquante ou soixante Interpretes, & qu’il n’a eu qu’à choisir les endroits où chacun d’eux a le mieux rencontré ? Ce qui vous fait parler de la sorte, ajoûtay-je, c’est que ne trouvant pas dans Horace les beautez ineffables que son obscurité vous avoit fait croire jusques icy y estre renfermées, vous vous en prenez mal à propos à son Traducteur, qui vous le fait voir tel qu’il est, & qui n’est qu’une cause innocente du déchet où tombe Horace dans vostre esprit. Quelque beau que soit Horace, car asseurement cet Auteur est admirable en mille endroits, Mr D.… luy a fait un mauvais tour de le traduire, de mesme que Mr de L.… a rendu un mauvais office à Theocrite en le traduisant. Vous sçavez le Madrigal que l’on fit à l’occasion de la Traduction de Theocrite.

 Ils devoient ces Auteurs demeurer dans leur Grec,
 Et se contenter du respect
 De la Gent qui porte ferule.
D’un sçavant Traducteur on a beau faire choix ;
 On les traduit en ridicule
 Dés qu’on les traduit en François.

Voicy la Parodie qu’on a faite au sujet de la traduction d’Horace.

 Ils devoient ces Auteurs, contens de leur destin,
 Se tenir clos dans leur Latin,
Trop heureux de charmer la Gent porte-ferule.
Du docte & grand D.… on a beau faire choix ;
 On les traduit en ridicule
 Dés qu’on les traduit en François.

Si la pluspart des Anciens ne trouvent pas leur compte à estre traduits, parce qu’une Traduction fidelle leur oste cette beauté indéfinie & sans bornes, que beaucoup de gens y croyent voir au travers de l’obscurité de leurs expressions, ou au travers des douces vapeurs que forme la joye secrete de les entendre mieux que les autres, il est bon que tout le monde les connoisse à fond, & puisse juger de leur veritable merite. Combien d’hommes de tres-bon sens, qui prevenus par les loüanges excessives que l’on donne à ces Auteurs, se consumoient du regret de ne les pas connoistre, se disent l’un à l’autre, Est-ce là donc cet Horace, ce divin Horace que l’on nous vantoit si fort ? Sont-ce là ces fines railleries de la Cour d’Auguste, qu’il falloit admirer sans pretendre en oüir jamais de pareilles ? Combien de Dames qui ne lisoient qu’avec dédain les Ouvrages de Voiture, de Sarrazin, de Moliere, & de plusieurs autres Auteurs à peu prés de la mesme force, & qui persuadées que tout cela ne valoit pas le moindre mot d’Horace, ne cessoient d’envier le bonheur des Dames Romaines, s’écrient en mille endroits de sa traduction, Quelles pauvretez, quelles ordures ! Sont-ce là les jolies choses que l’on nous a tant vantées ? J’avouë franchement que dans le dessein que j’ay de faire voir dans mes Paralelles, que les Modernes valent bien les Anciens, je n’y entens rien en comparaison de ceux qui font de semblables traductions, & que je n’ay garde d’avoir trouvé un chemin pour y parvenir, aussi seur & aussi court que celuy qu’ils ont pris. C’est dequoy je vous prie, Monsieur, d’asseurer Mr D… Dites-luy bien encore, s’il vous plaist, qu’il peut continuer à dire de moy tout ce qu’il luy plaira, pourveu qu’il se renferme dans ce qui regarde la litterature, & sur tout, que je ne luy diray jamais d’injures. Comme je ne m’occupe à écrire sur les Anciens & sur les Modernes que pour me divertir, je quitterois là toute la dispute si elle venoit à m’échauffer le moins du monde. Voilà, Monsieur, la situation d’esprit où je suis à l’égard de Mr Francius & de Mr D… dont je ne laisse pas d’honorer beaucoup le merite, malgré les choses facheuses qu’ils me disent, car ce sont leurs manieres, qui asseurement ne sont pas modernes. J’ay cru, Monsieur, que je ne pouvois choisir de meilleur Juge que vous sur tous ces differens ; vous, Monsieur, qui connoissez si bien les Anciens & les Modernes, vous qui avez le don de toutes les Langues, & qui avez composé des Ouvrages du goust de toutes les Nations & de tous les Siecles. Vous estes si riche en François, en Italien & en Espagnol, que quand le prix excessif, où l’esprit du College a fait monter tout ce qui est Grec ou Latin diminueroit un peu, vous seriez toûjours dans une extrême opulence. Je suis avec passion,

Monsieur,

Vostre tres, &c.

Ce 21. Février 1690.

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[Réjouissances & Complimens pour la promotion de M. de Beauvais au Cardinalat] §

Mercure Galant, mars 1690, p. 178-181.

 

Je vous fis sçavoir par ma derniere Lettre la promotion de Mr de Fourbin de Janson, Evesque & Comte de Beauvais, au Cardinalat. Le Chapitre de sa Cathedrale n'en eut pas plûtost receu la nouvelle, qu'il donna des marques d'une joye qu'il souhaitoit depuis long-temps de faire paroistre. Elle fut annoncée la veille à la Ville & aux environs, par le son & le carillon reiteré de toutes les Cloches ; & le lendemain, jour de la Chaire de S. Pierre, le Chapitre augmenta la solemnité de la feste du Patron de cette Cathedrale par un Te Deum chanté en Musique, où tous les Corps de la Ville s'empresserent d'assister, pour prendre part à une Feste qui devenoit commune à tout le Peuple. Le Portail de l'Eglise estoit decoré des Armes du Pape, du Roy, du nouveau Cardinal, & du Chapitre. Cette Ceremonie finit par un feu de joye qui fut allumé au son des Cloches, aux fanfares des Trompetes, & au bruit de la Mousqueterie du grand nombre de Gardes & Habitans des Terres du Chapitre, par Mr l'Abbé d'Omesson, Doyen, & par le Chantre ; & le Sous-Chantre, suivis processionnellement de tous les Chanoines & Officiers de la Cathedrale.

[Histoire] §

Mercure galant, mars 1690 [tome 3], p. 213-233.

Il est dangereux de braver l’Amour. Il ne manque point de moyens de se vanger, & quand il pardonne aux uns, il fait son plaisir de punir les autres. Vous allez connoistre la verité de ce que je dis, par ce qui est arrivé depuis quelque temps à deux Cavaliers, qui s’étoient flatez également de pouvoir toûjours demeurer Maistres d’eux-mesmes. Ils avoient tous deux du bien & de la naissance, & comme les titres sont aujourd’huy fort communs, l’un se faisoit appeller Marquis, & l’autre ayant un Aisné qui ne luy laissoit que le second rang, avoit pris le nom de Chevalier. Ils s’estoient connus dés leur bas âge, & ayant beaucoup d’esprit l’un & l’autre, ils avoient lié insensiblement une amitié fort étroite. Cependant leurs caracteres estoient extremement opposez. Il n’y avoit rien de plus enjoüé que le Chevalier, & le Marquis estoit fort mélancolique ; mais ils avoient tous deux beaucoup de raison, & c’estoit assez pour entretenir leur amitié malgré l’opposition de leur humeur. D’ailleurs, l’enjouëment de l’un n’avoit rien d’évaporé, & la mélancolie de l’autre estoit une mélancolie douce qui avoit son agrément. Ainsi il ne faut pas s’étonner si leur union subsista toûjours. Ils se quittoient rarement, & faisoient ensemble la pluspart de leurs visites. Les Dames qui étoient le plus en reputation d’avoir du merite & de l’esprit, souhaitoient de les connoistre, & l’un ne faisoit aucune habitude en quelque lieu que ce fust, qu’il n’y menast son Amy. Tous deux faisoient le plaisir des plus belles Compagnies. Le Marquis, tout mélancolique qu’il estoit, disoit les choses d’une maniere douce & insinuante, qui ne manquoit point à faire effet, & le Chevalier, toûjours vif & enjoué, brilloit tellement dans la conversation, qu’on ne se lassoit jamais de l’entendre. La plus ordinaire reflexion qu’ils faisoient, étoit sur l’aveuglement qu’ils voyoient en beaucoup de gens, qui estant fort amoureux donnoient dans le mariage. Ils concevoient bien qu’on pouvoit chercher à plaire à une jolie personne, & aller mesme avec elle jusqu’à un certain degré de passion ; mais ils ne pouvoient comprendre que l’on s’oubliast assez pour vouloir se faire un devoir indispensable du plaisir d’aimer, & ce qui cessoit d’estre l’effet d’une volonté entierement libre, n’ayant rien qui les touchast, ils plaignoient les mal heureux qui en se faisant Maris étoufoient l’amour qu’ils pretendoient satisfaire. Ces reflexions les conduisoient à de plaisantes satyres, & comme ils les laissoient souvent échaper, on les regardoit sur le pied de gens avec qui il ne falloit prendre aucun veritable engagement. Cela estoit cause qu’on écoutoit leurs douceurs, comme des paroles dont l’arrangement marquoit de l’esprit, sans qu’elles fissent nulle impression sur le cœur de celles à qui elles s’adressoient. Cependant en s’examinant eux-mesmes sur l’aversion qu’ils croyoient avoir pour le mariage, ils se demanderent plusieurs fois si malgré toutes les protestations qu’ils faisoient d’y renoncer, ils ne seroient point un jour assez fous pour s’engager tout de bon, & faire comme les autres. L’idée qu’ils se firent de la servitude où ils se mettroient, les effraya tellement, qu’afin de se garantir de ce qu’ils envisageoient comme le plus grand de tous les malheurs, ils resolurent de signer un Billet double, par lequel ils arresterent que celuy des deux qui se marieroit le premier, payeroit mille pistoles à l’autre. Ce Billet fut accompagné d’un fort grand serment, de ne se faire là dessus aucune grace, & de se traiter à la rigueur. Deux ans se passerent sans que l’un ny l’autre eust lieu de se repentir d’avoir signé le Billet, mais ils tomberent ensuite entre les mains d’une jeune Veuve, qui ayant sceu qu’ils passoient pour estre incapables de s’attacher, se mit en teste de leur donner de l’amour. Il luy parut qu’il y alloit de sa gloire, & ce motif qui flatoit sa vanité luy fit tout mettre en usage pour venir à bout de son dessein. Elle estoit belle, & toute pleine d’esprit. C’estoit dequoy embarasser les plus insensibles. Jugez si le soin qu’elle voulut prendre de leur paroistre agreable, put demeurer longtemps inutile. Elle avoit l’adresse de s’accommoder à leur caractere, & si le Chevalier trouvoit dans son enjoûment un rapport d’humeur qui le charmoit, le Marquis remarquoit dans ses manieres je ne sçay quoy de piquant qui luy faisoit croire, qu’un peu de mélange de gayeté avec sa mélancolie, le rendroit heureux. Ils s’apperceurent bien-tost de la victoire qu’ils luy laissoient remporter, & ce qu’il y eut de rare, c’est que l’un ny l’autre ne penetra dans les sentimens de son Amy. Il est vray qu’ayant connu leur foiblesse, ils en eurent honte, & que pour s’en garantir, ils virent la jeune Veuve beaucoup moins souvent qu’ils ne voyoient plusieurs autres Dames ; mais le temps estoit venu où ils devoient aimer necessairement, & si la précaution de n’estre pas assidus à rendre des soins à cette aimable Personne, éloignoit tous les soupçons qu’on eust pû avoir qu’ils en fussent amoureux, ils ne retournoient jamais chez elle sans se sentir & plus convaincus de son merite, & plus fortement touchez de sa beauté. Le Marquis voulant connoistre comment son cœur estoit disposé pour luy, luy dit en termes tendres & passionnez sans se declarer entierement, tout ce qui pouvoit luy faire comprendre qu’il avoit dessein de luy proposer un mariage, & la Dame luy ayant répondu assez favorablement sur cette ouverture, il auroit esté plus loin, si le Billet des mille pistoles ne l’eust arresté. Il crut que c’estoit assez qu’il pust s’assurer de réussir s’il parloit plus clairement, & mit toute son application à chercher quelque moyen de rendre le Billet nul. Cependant il laissa prendre les devants à son Amy. Le Chevalier trouva dans la Veuve un tour d’esprit si peu ordinaire, tant de grandeur d’ame dans ses sentimens, & une bonté de cœur si engageante, qu’enfin ne pouvant plus resister à un amour qu’il contraignoit depuis si longtemps, il fut plus hardy que le Marquis, & sans s’embarasser du Billet, il demanda à la Dame si elle voudroit consentir à l’épouser. Comme en s’étudiant à luy donner de l’amour elle n’avoit pas fermé les yeux sur ses belles qualitez, & que dans la secrete disposition où son cœur estoit, cette proposition ne luy pouvoit estre que fort agreable, elle la receut avec beaucoup de plaisir. Ainsi ne s’agissant plus que d’en venir à l’effet, le Chevalier en montra un empressement inconcevable, & la pria seulement de vouloir traiter l’affaire sans en rien dire à personne qu’aprés la conclusion. Elle souhaita d’en sçavoir la cause, & le Chevalier luy expliqua ce qui s’estoit fait entre luy & son Amy, dont il vouloit empescher les raisonnemens qu’il employeroit pour le détourner du mariage. La Dame luy sceut bon gré de ce qu’il avoit si peu de peine à luy sacrifier les mille pistoles, & jugea que cette seule raison avoit retenu le Marquis, qui sans cela luy auroit parlé plus ouvertement. Elle trouva pourtant à propos de ne dire rien au Chevalier du commencement de passion qu’il luy avoit fait paroistre, & fut bien-aise qu’il demandast le secret, puis qu’elle évitoit par là tout ce qu’auroit pû tenter le Marquis pour rompre l’affaire. On fit venir un Notaire Amy, & deux jours aprés la Veuve partit pour la Campagne, où le Chevalier devoit aller l’épouser. Dés le lendemain de son départ, il alla chez le Marquis, Tuteur d’une Niece que le Frere aîné du Chevalier recherchoit en mariage. Il avoit le consentement de la pluspart des Parens, mais celuy de l’Oncle Tuteur luy estoit absolument necessaire, & le Chevalier s’estoit engagé à l’obtenir dans toutes les formes où il devoit estre. Il luy en avoit déja parlé trois ou quatre fois, & lors qu’il le pressa de finir, parce que son Frere s’impatientoit du retardement, le Marquis luy répondit qu’il alloit faire ce qu’il souhaitoit, pourveu qu’il luy accordast une autre chose, qui estoit de déchirer le Billet des mille pistoles. Le Chevalier qui ne s’attendoit à rien moins qu’à une demande qui luy estoit si avantageuse, luy dit en riant qu’il le vouloit empescher de tomber dans le malheur dont ils avoient parlé tant de fois ensemble ; mais le Marquis prit la chose d’une maniere toute serieuse, & luy ayant fait entendre que le consentement qu’on luy demandoit, dépendoit uniquement du Billet à rendre, il le pria de ne point chercher de qui il pouvoit estre touché, ajoùtant qu’il demeureroit peut-estre dans la resolution de ne s’engager jamais ; mais qu’il luy fachoit de n’en pas avoir la liberté. Quoy que le Chevalier n’eust aucun soupçon qu’il aimast la jeune Veuve, il ne voulut rien approfondir. Les deux Billets furent déchirez, & chacun demeura libre à faire ce qu’il voudroit. Le Marquis fit force vœux pour le retour de la Dame à qui il pretendoit offrir sa fortune, & le Chevalier alla la trouver. Il luy dit en arrivant qu’on l’avoit mis à couvert du payement des mille pistoles, & elle se mit à rire sur ce qu’elle voyoit bien qu’il ne tenoit plus qu’à elle de se marier avec le Marquis. Elle n’eut pourtant aucune tentation de manquer au Chevalier, pour qui son cœur estoit prévenu. Elle l’épousa peu de jours aprés, & cette nouvelle mit le Marquis dans une douleur inconcevable. Il s’accusa d’avoir travaillé luy-mesme à se détruire, & croyant que son Amy n’eust songé à la jeune Veuve, que depuis que les Billets avoient esté déchirez, il estoit au desespoir de n’avoir pas prévenu ce coup en luy declarant en ce temps-là qu’il avoit dessein de l’épouser. Le Chevalier en le revoyant le laissa dans son erreur, & aprés luy avoir dit qu’il avoit eu tort de ne se pas expliquer, il ajoûta que s’il estoit malheureux ; ce seroit à luy qu’il s’en prendroit. On asseure fort qu’il n’a encore eu aucun sujet de se repentir de son mariage, & selon les apparences, il n’en sçauroit esperer que des suites fort heureuses.

[Vers de M. Diéreville sur la Tontine]* §

Mercure galant, mars 1690 [tome 3], p. 246-248.

Voicy de nouveaux Vers sur la Tontine. Ils sont de Mr Diereville.

AU ROY.

Grand Roy, j’admire vos projets ;
Aussi bon que puissant Monarque,
De vos bontez à vos Sujets
Sans cesse vous donnez quelque nouvelle marque.
Pour prolonger leurs jours, des Duels violens
Vous avez arresté la fureur inhumaine,
 Et pour les voir plus opulens
Vous leur avez cedé vostre propre Domaine.
 Comblez de si rares bienfaits,
Quand on sçait contre vous armer toute la Terre,
Vous leur faites goûter les douceurs de la paix,
 Loin d’une si cruelle guerre.
Lors qu’on croit n’avoir rien à desirer encor,
 Vous nous rendez le siecle d’or
 Par le moyen de la Tontine ;
Mais helas ! que me sert tant de bonté pour nous,
Quand l’Astre mal faisant qui toûjours me domine,
Me prive d’un bonheur qui me seroit si doux ?
Non, ce n’est point pour moy que la Tontine est faite,
 Lors qu’elle fera des Cresus,
 Grand Roy, faute de cent écus,
 Je mourray gueux comme un Poëte.

[Vers sur la nomination de l’archevêque de Paris] §

Mercure galant, mars 1690 [tome 3], p. 283-286.

Le mesme Mr le Sourt, n’étant pas alors Recteur, fit l’année derniere un for beau Compliment à Mr l’Archevêque de Paris sur son heureuse convalescence. On m’en a promis une copie, & je vous l’envoyeray le mois prochain, ce qui n’a point encore esté veu ayant toûjours de la nouveauté. Les Particuliers ne se sont pas moins empressez que les Corps, à témoigner la joye qu’ils ont ressentie de la Nomination de ce grand Prelat, & voicy un Madrigal de Mr Boyer de l’Academie Françoise sur ce sujet. Vous estes de trop bon goust pour ne le pas trouver tres-digne de son Auteur.

 Vous voilà revestu d’un éclat tout nouveau,
Le Roy vous a nommé ; vous estes par avance
Bien plus que Cardinal sans avoir le Chapeau.
 Joüissez sans impatience
D’un choix où tant d’honneur est joint.
Ce choix du Roy vous donne une Eminence
Que la Pourpre ne donne point.

La Devise qui suit a esté aussi presentée à ce Prelat. C’est une Etoile qui laisse une petite trace de son passage. Elle a pour ame, Lumine signat iter. Ces mots ont esté ainsi traduits.

 L’ame par cet Astre éclairée
Des grandes veritez ne peut rien ignorer ;
Par sa lumiere il trace une route assurée,
Et suivant un tel guide, on ne peut s’égarer.

Je ne connois point l’Auteur de cette Devise, mais il ne faut qu’avoir les sentimens du Public pour parler de cette sorte.

Air nouveau §

Mercure galant, mars 1690 [tome 3], p. 294-297.

La Chanson nouvelle dont vous allez lire les paroles, est du fameux Mr de Bacilly. Comme il avoit dit souvent à une Dame de merite, & qui parmy beaucoup de belles qualitez qu'elle possede, a une reputation fort grande pour le chant, que sa voix ressembloit à un ramage d'Oiseaux, cela l'a obligé de faire les Vers qui suivent, qu'il a mis ensuite en air.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Il est vray, je l'ay dit, doit regarder la page 295.
Il est vray, je l'ay dit, lors que je vous entens
Je crois de mille Oiseaux entendre le ramage,
Et vous chantez, Iris, avec tant d'avantage,
Qu'au plus fort de l'Hiver je pense estre au Printemps.

Le mesme Mr de Bacilly a repassé encore depuis peu tous ses Airs Spirituels, où il a trouvé plusieurs fautes de graveure qu'il a corrigées ; il a marqué ces corrections avec de petites Etoiles. Ceux qui voudront lire un peu attentivement un avis fort ample qu'il a fait mettre à la fin de ses Livres, touchant le merite peu connu de ces sortes d'Airs, & sur tout les luy entendre chanter chez luy vis à vis les Ecuries de Monseigneur, proche S. Roch, seront surpris de leur beauté, & ne pourront s'empescher de les preferer à ceux que l'on estime le plus dans les Airs profanes.

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[Esope] §

Mercure galant, mars 1690 [tome 3], p. 297-298.

Il y a si longtemps que je ne vous ay entretenuë des Pieces nouvelles de Theatre, que quelque bruit que la Comedie d’Esope ait fait, je ne vous en dirois rien en vous l’envoyant, si elle n’étoit d’un caractere tout particulier, qui y fait trouver l’utile joint à l’agreable plus qu’on ne le trouve en aucune autre. En effet les Fables dont se sert Esope en parlant à ceux qui le viennent consulter, semblent avoir esté faites pour le sujet, & en se faisant écouter avec plaisir par le tour fin que leur a donné l’Auteur, elles font entendre de grandes leçons, dont les gens sages peuvent profiter. Les Vers sont fort naturels, & font voir la facilité du Genie de Mr Boursault. Ceux de vos Amis qui voudront avoir cette Comedie, la trouveront chez les sieurs Girard & Guerout Libraires au Palais.

[Lettres familieres & autres sur toutes sortes de sujets] §

Mercure galant, mars 1690 [tome 3], p. 299-300.

Le Sieur Guerout commence aussi à debiter la seconde Edition d’un Livre de Mr Milleran Professeur des Langues Françoise, Allemande, & Angloise, sous le titre de Lettres familieres & autres sur toutes sortes de sujets. Rien n’est plus utile pour ceux qui veulent avoir un Modelle en écrivant. Ce Livre, dont la premiere Edition n’a duré que six mois, est augmenté de plus de cent Lettres, & l’Auteur a reveu & corrigé toutes les autres, qui sont d’un stile aisé & fort naturel, au nombre de plus de quatre cens, en quoy l’on connoist qu’aucun Moderne n’en a tant fait imprimer que luy. Il doit donner au Public dans fort peu de temps d’autres Ouvrages, aussi utiles aux François qu’aux Etrangers sur la politesse de nostre Langue.