1691

Mercure galant, janvier 1691 [tome 1].

2017
Source : Mercure galant, janvier 1691 [tome 1].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, janvier 1691 [tome 1]. §

Avis §

Mercure galant, janvier 1691 [tome 1], p. [I-IV].

 

AVIS.

Quelques prieres qu’on ait faites jusqu’à present de bien écrire les noms de Famille employez dans les Memoires qu’on envoye pour ce Mercure, on ne laisse pas d’y manquer toûjours. Cela est cause qu’il y a de temps en temps quelques-uns de ces Memoires dont on ne se peut servir. On reïtere la mesme priere de bien écrire ces noms, en sorte qu’on ne s’y puisse tromper. On ne prend aucun argent pour les Memoires, & l’on employera tous les bons Ouvrages à leur tour, pourveu qu’ils ne desobligent personne, & qu’il n’y ait rien de licentieux. On prie seulement ceux qui les envoyent, & sur tout ceux qui n’écrivent que pour faire employer leurs noms dans l’article des Enigmes, d’affranchir leurs Lettres de port, s’ils veulent qu’on fasse ce qu’ils demandent. C’est fort peu de chose pour chaque particulier, & le tout ensemble est beaucoup pour un Libraire.

Le sieur Guerout qui debite presentement le Mercure, a rétably les choses de maniere qu’il est toûjours imprimé au commencement de chaque mois. Il avertit qu’à l’égard des Envois qui se font à la Campagne, il fera partir les paquets de ceux qui le chargeront de les envoyer avant que l’on commence à vendre icy le Mercure. Comme ces paquets seront plusieurs jours en chemin, Paris ne laissera pas d’avoir le Mercure longtemps avant qu’il soit arrivé dans les Villes éloignées, mais aussi les Villes ne le recevront pas si tard qu’elles faisoient auparavant. Ceux qui se le font envoyer par leurs Amis sans en charger ledit Guerout, s’exposent à le recevoir toûjours fort tard par deux raisons. La premiere, parce que ces Amis n’ont pas soin de le venir prendre si-tost qu’il est imprimé, outre qu’il le sera toujours quelques jours avant qu’on en fasse le debit ; & l’autre, que ne l’envoyant qu’aprés qu’ils l’ont leu, eux & quelques autres à qui ils le prestent, ils rejettent la faute du retardement sur le Libraire, en disant que la vente n’en a commencé que fort avant dans le mois. On évitera ce retardement par la voye dudit Sieur Guerout, puis qu’il se charge de faire les paquets luy-mesme & de les faire porter à la poste ou aux Messagers sans nul interest, tant pour les Particuliers que pour les Libraires de Province, qui luy auront donné leur adresse. Il fera la mesme chose generalement de tous les Livres nouveaux qu’on luy demandera, soit qu’il les debite, ou qu’ils appartiennent à d’autres Libraires, sans en prendre pour cela davantage que le prix fixé par les Libraires qui les vendront. Quand il se rencontrera qu’on demandera ces Livres à la fin du mois, il les joindra au Mercure, afin de n’en faire qu’un mesme paquet. Tout cela sera executé avec une exactitude dont on aura tout lieu d’estre content.

Au Roy. Sonnet §

Mercure galant, janvier 1691 [tome 1], p. 7-9.

 

Je croy, Madame, que je ne puis mieux commencer ma premiere Lettre de cette nouvelle année, qu’en vous faisant part d’un nouveau Portrait du Roy. Les traits sont si ressemblans, que vous n’aurez pas de peine à tomber d’accord qu’ils ne peuvent convenir qu’à ce grand Monarque.

AU ROY.
SONNET.

Etonner l’Univers par son rare genie,
Combattre, terrasser un monde d’Ennemis,
Défendre ses Sujets, proteger ses Amis,
Et signaler par tout sa prudence infinie.
***
Braver ouvertement toute l’Europe unie ;
A ses Augustes loix voir l’Ocean soûmis ;
Faire de ses Etats l’Empire de Themis,
Et celuy des beaux Arts, de Mars, & d’Uranie.
***
De son Peuple charmé prevenir les desirs,
Le combler de bonheur ; de joye, & de plaisirs ;
Estre grand, liberal, égal & magnanime.
***
Poursuivre un Parricide à sa perte obstiné,
Pour rétablir au Trône un Prince legitime,
Sont les faits d’un Heros qui n’a rien de borné.

[Origine des Religieuses de Beaumont prés Tours] §

Mercure galant, janvier 1691 [tome 1], p. 42-46.

 

Je ne vous diray rien de particulier de ce qui s’est fait à l’entrée de Madame l’Abbesse de Beaumont prés Tours, lors qu’elle a esté receuë dans cette Abbaye. On a observé toutes les ceremonies qu’on a de coustume de pratiquer dans les occasions de cette nature. Je croy que vous n’ignorez pas qu’elle est Niece de Madame l’Abbesse de Fontevraud, & que sa vertu & sa pieté sont en elle des qualitez aussi estimables que sa naissance. A l’égard des Religieuses de Beaumont, ce sont originairement des Hospitalieres, qui demeuroient à la Porte de Saint Martin, fondées par Ingeltrude sous la premiere Race de nos Rois, pour recevoir les personnes de leur sexe, qui venoient en pelerinage au Tombeau de Saint Martin. Le Bienheureux Hervé voyant qu’on avoit institué en d’autres Pays des Religieuses, qui s’appliquoient à chanter les loüanges de Dieu, transfera celles-cy à Beaumont prés Tours, pour vaquer au mesme employ sous la regle de Saint Benoist. Il leur donna une place, leur fit bastir une Eglise & les dota d’autres biens, le tout à la charge que les Religieuses payeroient vingt sols de cens pour estre employez à achepter l’encens & l’huile, qui pourroient se consumer dans l’Eglise de Saint Martin, pour le Clergé de laquelle elles offriroient à Dieu leurs prieres. Ces donations ainsi que cette Institution furent confirmées par le Roy Robert au commencement de l’onziéme Siecle. Quand l’Abbesse de Beaumont venoit à mourir, on apportoit sa Crosse au Tombeau de Saint Martin. Celle qui luy succedoit estoit éleuë par la permission du Chapitre, & alors elle venoit demander la Crosse & l’investiture de l’Abbaye, & la confirmation de son élection, ce que le Chapitre de Saint Martin ne manquoit jamais de luy accorder.

La Conqueste de la Savoye. Eglogue §

Mercure galant, janvier 1691 [tome 1], p. 46-69.

 

Je vous envoye une Eglogue qui a charmé tous ceux qui l’ont ouy lire, & dans laquelle vous trouverez des loüanges pour le Roy aussi delicates que spirituelles.

LA CONQUESTE
de la Savoye.
EGLOGUE.
A Mr de Belloc, Valet de Chambre ordinaire du Roy, Porte-manteau de la feuë Reine.

O toy, dont l’amitié me console sans peine
Des maux que m’a causez mon triste engagement,
O toy, qui dans la Cour de nostre Auguste Reine
Estois l’unique objet de mon empressement,
Accepte d’un Amy malheureux, mais fidelle,
Ce fruit d’un ennuyeux & sterile loisir,
Qui te seroit offert avec plus de plaisir,
Si je faisois des Vers dignes de Fontenelle.
Dans les siecles futurs on t’entendroit nommer,
Et nos noms joints, des temps ne craindroient point l’empire,
 Belloc, si je sçavois écrire
 Aussi-bien que je sçais aimer.

EGLOGUE.
DAPHNIS, Berger de Savoye. ACANTHE, Berger de Bourgogne.

DAPHNIS.

 Dieux de ces Bois, tutelaires Genies,
 Rivage heureux par les Graces orné,
 Prez émaillez de couleurs infinies,
Accordez un azile à cet infortuné.
 Et vous, Berger, de qui l’ame attendrie
Vous interesse assez aux malheurs de ma vie,
 Pour vouloir en estre informé,
Puissiez-vous en aimant estre toujours aimé ;
Puissiez-vous de Troupeaux couvrir la vaste plaine,
 Puissiez-vous voir mourir le Chêne
Né trois siecles devant, du gland qu’il a planté.

ACANTHE.

Je prens part aux ennuis, qui sur vostre visage
 Ont peint leurs traits les plus touchans :
 Nos cœurs simples sont le partage
 De la pitié qui ne regne qu’aux champs ;
La Cour, la dure Cour la relegue au Village,
 Mais le panchant qui nous engage
 A suivre un tendre mouvement,
 N’est pas l’effet uniquement
De la simplicité qui dans nos champs abonde,
 Ny du doux air qui nous nourrit.
Climene, helas ! Climene attendrit tout le monde,
Rien ne touche l’ingrate, & rien ne l’attendrit.
 En vain, dans le mal qui nous presse,
Aux Arbres, aux Rochers nous apprenons sans cesse
 A repeter nostre tendresse,
Vainement à l’Amour nous dressons des Autels,
Climene avec l’Amour rit de nostre foiblesse,
C’est là le seul chagrin que le Destin nous laisse,
Mais un bonheur complet n’est point pour les Mortels.
 L’Astre du jour, dégagé de nuage
 Brûle les fleurs, appauvrit le rivage,
 Sur ce gazon, protegé par l’ombrage
Contez-moy le sujet de vostre affliction,
 Et recevez sous cet épais feüillage
Le secours impuissant de ma compassion.

DAPHNIS.

Je fuis, heureux Berger, je fuis de la Savoye,
 D’où l’Amant cruel de Venus,
Les armes à la main vient de bannir la joye :
C’est vous en dire assez, nos malheurs sont connus.
 Dans un vallon profond & solitaire,
 Où jamais le Soleil n’éclaire
 Qu’aux plus hautes heures du jour,
 Nos Ayeux depuis le Deluge,
 Avoient pris soin d’établir un refuge
 A l’Innocence, à la Paix, à l’Amour.
 Les Alpes, dont les testes nuës
Ne sentent leur sommet d’aucuns vents agité,
 S’élevant au dessus des nuës,
Donnoient à nos esprits des leçons ingenuës
 D’une heureuse tranquillité.
La neige qui chez nous en tout temps se retranche
 Contre les plus vives chaleurs,
Aux Lievres, aux Perdrix donnant sa couleur blanche,
Inspiroit aux Bergers la pureté des mœurs.
Il est vray que les Dieux de leur presence avares
A nos champs negligez épargnoient leurs bienfaits,
Pour nous Cerés, Bacchus, & Pomone estoient rares,
 Nous estions nuds, mais satisfaits.
Pour suffire aux besoins des miseres humaines
 Nous joignions à nostre travail
Le lait de nos Brebis, leurs agneaux & leurs laines,
 Et les mains pleines de métail
Nous revenions souvent des Bourgades prochaines.
Vous parleray-je encor de mille jeux divers,
 Qui sous les sapins toujours verts
 Nous exerçoient aux jours de Feste,
Quand le Soleil des Cieux occupant le haut faiste,
De nos ruisseaux glacez venoit briser les fers,
Et borner la longueur des farouches Hyvers,
Par le feu des rayons qui couronnent sa teste ?
O ma chere Patrie ! ô mon heureux Hameau !
Que vous aviez alors de graces en partage !
Bien qu’aux yeux étrangers vous parussiez sauvage,
 La jeune Æglé vous trouvoit beau.
Æglé regle mon goust, qui sur le sien se fonde,
 Tant que vous en serez cheri,
Vous serez à mon gré le plus beau lieu du monde,
 Plus beau mesme que Chamberi.
Mais pourquoy rappeller nostre gloire effacée ?
Sortez, charmant sejour, sortez de ma pensée !
 Vous n’estes plus ces champs delicieux,
Où Pan à nos regards daignoit estre visible,
Où la Muse Champestre, & les Rustiques Dieux
Exerçoient saintement leur Empire paisible,
 Où l’on ne sentoit aucuns maux.
 Que les maux que cause un cœur tendre :
L’impitoyable Mars a changé nos Hameaux
 En de tristes monceaux de cendre ;
 Plus fier, plus redouté cent fois
Que l’amas foudroyant des neges entassées,
Qui roulant du sommet des Alpes herissées,
 Par l’énormité de son poids,
Entraîne fierement les Rochers & les Bois,
 Et sous les maisons fracassées
Ensevelit Bergers & troupeaux à la fois.
 Quel moyen de goûter les charmes
 Qu’on trouvoit à nos Chants divers ?
 Où l’on entend tonner les Armes,
 Quelle est la puissance des vers ?
Comment pourroient, helas ! les simples Tourterelles
 Resister aux serres cruelles,
Quand l’Aigle fait sa pointe, & vient du haut des Airs
 Fondre inhumainement sur elles ?
L’antre aux Muses le plus sacré
 Au lieu de leurs noms adorables,
Ne fait plus retentir que ces cris formidables
 Catinat, Saint Rut, & Larré.
Enfin, tout est perdu ; tout succombe au ravage
Que fait de nos vainqueurs la bruyante valeur
 Et si j’ay manqué de courage
Pour perir par le fer en fuyant l’esclavage,
 Du moins, je viens sur ce rivage
Expirer par l’excés d’une juste douleur.

ACANTHE.

 De vos maux par la renommée
 Cette Province est informée ;
 N’en doutez point, nous vous plaignons.
Un même sang dans nos veines s’assemble,
Et je sçais qu’autrefois nous composions ensemble
 Le Royaume des Bourguignons.
 Certain jour, sur vos avantures
 Poussé d’un desir curieux,
Je consultois Phorbas, l’interpréte des Dieux,
 A qui le grand art des augures
Eclaircit l’avenir, si sombre pour nos yeux.
Va demain, me dit-il, au lever de l’Aurore
 Dans ce grand pré d’Alisiers couronné,
 Par nos Bergers de tout temps destiné
  A celebrer les jeux de Flore.
  Ecoute, & voy,
 Tu seras instruit comme moy.
J’y fus & du gazon qui borde sa fontaine,
Une jeune Aloüette à mes pieds se leva ;
D’abord un vol hardy vers les Cieux l’éleva,
Et dans peu son chant gay s’entendit avec peine
  De la brillante plaine.
Déja son cœur trop vain se sent tout embraser
 Du feu des Astres qu’il médite,
Et ne prétendant pas se pouvoir épuiser,
Il regarde en pitié cette terre qu’il quitte :
Lors qu’un Aigle Royal tout à coup paroissant
 Abat son courage impuissant.
 A peine atteinte de son ombre
Elle se précipite au centre respecté
 D’un hallier épineux & sombre,
Et dans sa petitesse, & son obscurité
  Cherche sa sureté.
 J’allois rêvant à ce spectacle,
Quand un Berger, prés d’un troupeau paissant,
 Me vint confirmer cet Oracle
Par ce couplet qu’il chantoit en dansant.
 De l’adresse & de la grace
 Le jeune Arcas a le prix ;
 Mais il quitte ses brebis
 Pour s’adonner à la chasse.
 Les os leur percent la peau
 Pendant qu’il est en quête ;
 Malheur au pauvre troupeau
  Conduit par jeune tête.
 Alors mon esprit fut ouvert,
Mon cœur pour nos voisins fut sensible à la crainte,
 Et je crûs voir à découvert
 Les maux qui causent vôtre plainte.
 Ils sont cuisans, j’en demeure d’accord ;
Ils pourroient ébranler l’ame la plus constante,
Mais si vous en croyez mon amitié naissante,
Ils ne sont point si grands qu’ils paroissent d’abord :
Lors que vostre douleur, à present legitime
 Avec le temps aura meury,
Nos malheurs, direz-vous, nous tirent de l’abîme,
Et nous estions perdus, si nous n’avions pery.
Vous allez composer un membre inseparable
 De ce Corps en tout tems vainqueur,
Dont l’Auguste Loüis, Louis le redoutable,
  Est le bras, la tête & le cœur,
 C’est ce Louis, craint par toute la Terre,
 C’est ce Louis, fameux par ses bienfaits ;
 Aux Ennemis, vray Demon de la Guerre,
  Aux siens, Dieu d’amour & de Paix.
Fussiez-vous menacez des plus terribles traits
 Que lance la fureur de Bellone la fiere,
Sous sa protection vous pourrez tout braver,
 C’est une plus forte barriere
Que ces Monts orgueilleux qui n’ont pû vous sauver.
Cent autres nations souffrent, gemissent, pleurent,
 Nous triomphons par son appuy,
Et s’il m’étoit permis d’avoir des Dieux qui meurent,
 Je n’aurois d’autre Dieu que luy.
Par luy mes bœufs errants dans nos vertes prairies
Ruminent sans danger les herbettes fleuries,
Par luy, tranquillement sous un arbre endormi,
Je puis gouster le frais au bord d’une Fontaine,
 Sans redouter d’autre Ennemi
 Que les yeux vainqueurs de Climene.

DAPHNIS.

 Vous pourriez me persuader,
 Ma douleur seroit sans replique
Si mon fidelle amour se pouvoit accorder
Aux solides raisons de vostre Politique.
 Mon cœur mortellement troublé,
Loin de s’en consoler, se soûleve & s’irrite,
Je suis absent des yeux de la charmante Æglé,
Puis-je vivre content loin des lieux qu’elle habite ?
J’ignore de son sort la déplorable suite.
 Ah, Berger, quelle cruauté,
 Quand la Jeunesse & la Beauté
 Se rencontrent avoir en teste
 La licence & l’impunité
 Sur tout, en Pays de conqueste !
Mais de pareils soupçons pourroient vous offenser,
Vous avez, tendre Amour, protegé l’Innocence,
Et vostre divine puissance
A détourné ce crime, où je n’ose penser.
Vaine esperance, helas ! vous m’estes interdite,
Ce Dieu n’a point paru dans ce besoin pressant ;
Non : je n’en puis douter, l’Amour estoit absent,
Et le bruit des combats met le timide en fuite.

ACANTHE.

 Des malheurs que vous redoutez
 Ne craignez point la violence,
La sagesse des Chefs dans les Troupes de France
 Sçait l’art d’enchaîner l’insolence
 Des Soldats les plus emportez.
 Sous le doux abry de nos Chaumes,
 Par nos soins pour vous redoublez
 Venez dissiper les phantômes ;
 Dont vos sens paroissent troublez.
Les jeux, & les plaisirs habitent nos demeures,
Les Muses de leurs chants viennent nous égayer,
 Bacchus qui racourcit nos heures,
 Nous défend de nous ennuyer.
Chez nous mille Beautez font naistre mille doutes,
Toutes ont leur party, toutes font quelque bruit,
 Climene les efface toutes,
Comme Diane fait les flambeaux de la nuit !
Chacun peut s’adresser où son goust le conduit.
Peut estre aimerez-vous ma cruelle Bergere,
 Mais je le verray sans douleur,
Me faisant des Rivaux, je suis certain de faire
 Des Compagnons de mon malheur.

DAPHNIS.

 Fust-elle mille fois plus belle,
 De ses coups je suis garanti ;
 Dans nos Climats on naist fidelle,
 Et mon cœur a pris son parti.
Je vous dois cependant beaucoup de complaisance
 Pour payer vostre honnesteté,
Et j’en conserveray de la reconnoissance,
Tant que le Mont-Cenis sur sa base planté
Pourra de l’Italie & de l’heureuse France
 Conserver la fecondité.

ACANTHE.

Allons : nos gais troupeaux ont quitté les campagnes ;
Déja dans nos Hameaux on allume du feu,
 Et les grandes ombres dans peu
 Vont descendre de nos montagnes.

Je ne doute point que vous n’ayez envie de sçavoir le nom de l’Auteur de cette Eglogue, parce qu’il y a peu de personnes dont les Ouvrages soient d’un si bon goust. Elle est de Me de Senecé, premier Valet de Chambre de la feuë Reine, dont je vous envoyay un Idille il y a deux mois. Cet Idille a si fort surpris par sa beauté, qu’on n’attend plus de la même Plume que des choses achevées.

Air nouveau §

Mercure galant, janvier 1691 [tome 1], p. 69-70.Le poème figure, avec quelques variantes mineures, dans le t. 2 des Oeuvres de Madame et de Mademoiselle Deshoulières (Paris, 1753, p. 213).

L'Air dont vous allez lire les paroles, est de la composition de Mr le Camus. Vous serez persuadée qu'il ne peut avoir qu'un tres-beau genie, quand je vous auray appris qu'il est fils du fameux Mr le Camus, qui a fait tant de beaux Airs sur les paroles de Me la Comtesse de la Suse.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Charmante Aurore enfin te voilà de retour, doit regarder la page 70.
Charmante Aurore, enfin te voilà de retour,
Le Soleil va briller d'une clarté nouvelle,
Flateur espoir pour mon amour :
Je reverray dans ce beau jour
Iris encor plus tendre & plus fidelle,
Espoir flateur pour mon amour.
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A Messieurs de l’Academie Françoise §

Mercure galant, janvier 1691 [tome 1], p. 135-145.

 

J’ay tort, Madame, & vous avez raison de vous plaindre, de ce que sçachant combien vous estimez tout ce qui part de la Plume de Mr Perrault, je ne vous ay pas envoyé les Vers qu’il fit l’Automne dernier pendant qu’il estoit à Troyes, & qu’il adressa à Mrs de l’Academie Françoise. Puis qu’ils sont encore nouveaux pour vous, je répare avec beaucoup de plaisir la negligence dont vous m’accusez.

A MESSIEURS
DE L’ACADEMIE
FRANÇOISE
ODE.

Illustre & docte Compagnie,
Où les richesses du sçavoir
Et les dons sacrez du genie
Au plus haut degré se font voir ;
Où brille la même lumiere
Dont Rome se montra si fiere
Quand le monde adora ses loix ;
Et la même delicatesse,
Dont la sage & sçavante Grece
Se fit tant d’honneur autrefois.
 Soit que le devoir vous engage,
Suspendant vos emplois divers,
A polir ensemble un langage
Que doit parler tout l’Univers ;
Soit qu’au feu divin qui l’inspire
Chaque esprit se laisse conduire,
Et que d’un vol precipité
L’Eloquence ou la Poësie,
Par la route qu’il a choisie,
Le mene à l’Immortalité.
***
 Souffrez que pressé de mon zele,
Et pour contenter mon desir,
Je vous rende un compte fidelle
Des doux momens de mon loisir ;
Loisir qu’aprés de longues peines,
Qu’aprés mille esperances vaines,
Chez vous enfin j’ay rencontré ;
Loisir que charment les delices
De vos innocens exercices,
Et que je leur ay consacré.
 Dans le beau climat où la Seine
N’est encor qu’un jeune Ruisseau,
Qui parmy les prez se promene,
Et les embellit de son eau ;
Dont les campagnes fortunées
Se couvrent toutes les années
Des plus abondantes moissons,
Et dont les brûlantes collines
Donnent aux cabanes voisines
La plus exquise des boissons.
***
 Libre de tous soins inutiles,
Et de ces chagrins devorans
Qui font au sein des grandes villes
Mouvoir tant d’hommes differens ;
J’admire dans leur beauté pure,
Les merveilles de la Nature,
Ses biens, sa force, sa grandeur,
Son agissante quietude,
Et sa pieuse exactitude
A rendre gloire à son Auteur.
 Quand l’Astre du jour se rallume,
Et que sur le haut des sillons,
J’apperçois la Terre qui fume
Au premier feu de ses rayons ;
Lorsque cette vapeur grossiere
Se confond avec la lumiere,
Il me semble voir un encens,
Qui des plaines, montant par ondes
Vers le Ciel qui les rend fecondes,
Luy portent leurs vœux innocens.
***
 Les Habitans des forests sombres,
De mille couleurs émaillez,
Aussi-tost qu’en chassant les ombres
L’Aurore les a réveillez,
Ne cessent par reconnoissance
De chanter sa magnificence,
Et de l’en faire souvenir
Par la beauté de leur plumage
Et par la douceur du ramage
Qu’il leur donne pour le benir.
 Icy les sillons reverdissent
Des grains qu’ils retenoient cachez,
Plus loin j’en voy qui se noircissent
Sous le soc qui les a tranchez.
De tous costez les granges pleines
De la riche toison des plaines
Rendent cette agreable odeur,
Qu’au frais d’une belle soirée,
Exhale la moisson dorée
D’un champ qu’a beni le Seigneur.
***
 Icy sous un toit de feüillages
Le traistre chant de l’Oiseleur
Contraint les Hostes des bocages
D’y venir chercher leur malheur.
Là sous un Saule qui le cache,
Le Pescheur que l’espoir attache,
Jette ses trompeurs hameçons ;
Mais en tous ces lieux la malice
Ne deçoit par son artifice
Que les Oiseaux & les Poissons.
 Lors que des yeux de la pensée
Je parcours les autres Etats,
Où dans sa fureur insensée
La guerre fait tant de degats,
Aprés que d’une ardeur extrême
J’ay beny l’Essence suprême
Qui loin de nous chasse ces maux,
Je benis le Prince admirable,
Par qui sa bonté favorable
Nous conserve un si doux repos.
***
 Seigneur, c’est ce Prince si sage
Que tu pris plaisir à former,
Q’on ne peut, estant ton image,
Ny trop craindre, ny trop aimer,
A qui dés sa plus tendre enfance
Le soin du bonheur de la France
A de ta part esté commis,
Que seul tu charges de ta cause,
Que seul ta providence oppose
Aux efforts de tes Ennemis.
 Pour montrer à toute la Terre
Que son interest est le tien ;
Que dans tout le cours de la guerre
Tu seras son ferme soûtien,
Par une victoire fameuse,
Et de la Sambre & de la Meuse
Il a déja rougi les flots,
Et plein d’une juste colere
Puny le Batave & l’Ibere
De leurs vains & jaloux complots.
***
 Ses Flotes toujours intrepides,
Et que revere l’Univers,
Ont chassé des plaines liquides
Les orgueilleux Tirans des mers ;
Ils ont vû leurs Nefs triomphantes,
Sous l’effort des bombes tonnantes
Se briser ainsi que roseaux,
Et leurs fieres poupes dorées,
Des feux à demy devorées,
Se cacher dans le sein des eaux.
 Au pied des Alpes sourcilleuses,
Un jeune Prince ambitieux,
De nos armes victorieuses
Veut troubler le cours glorieux.
Mais bien-tost malgré son audace
Du puissant bras qui le terrasse
Il sent quelle est la pesanteur,
Et combien on est temeraire,
Quand on se fait un adversaire
De son unique Protecteur.
***
 Cependant une affreuse Armée,
Toute de fer, toute d’airain,
Contre nous de rage animée,
Couvre les rivages du Rhin ;
Leur effroyable cimeterre
D’une horrible & sanglante guerre
Nous a le malheur annoncé,
Et nostre seconde esperance
Le jeune LOUIS qui s’avance
En est fierement menacé.
 Mais d’une si frivole audace
Le vain orgueil ne l’émeut pas,
Et le Guerrier & sa menace
Disparoissent devant ses pas.
Le vif éclat qui l’environne
Les ébloüit & les étonne,
Leur glace le bras & le cœur,
Et je voy que sa propre gloire
Luy va dérober la victoire
Que luy préparoit sa valeur.
***
 Seigneur, acheve, & fais connaître
L’erreur de ces Princes jaloux,
Que la splendeur de nôtre Maître
A seule élevez contre nous.
Fais leur voir, que dans leur colere,
Avec le Batave & l’Ibere
Ils se sont assemblez en vain ;
Que leur force n’est que foiblesse,
Et que la grandeur qui les blesse
Est un ouvrage de ta main.
 Sur le Tiran, dont l’Angleterre
A subi le joug rigoureux,
L’horreur du Ciel & de la Terre,
Je ne daigne former des vœux.
Assez ta justice irritée
A le perdre est sollicitée,
Sous ton bras il va succomber ;
Et ta foudre dés longtemps preste
Qui gronde & roule sur sa teste,
N’attend que l’heure de tomber.

[Compliment fait à Monsieur par le Pere Boursault, Theatin] §

Mercure galant, janvier 1691 [tome 1], p. 145-156.

 

Le 24. du mois passé, Veille de la Feste de Noël, Leurs Altesses Royales Monsieur & Madame, accompagnées de Monsieur le Duc de Chartres & de Mademoiselle, se rendirent en l’Eglise des Peres Theatins, où Elles assisterent à la solemnité qui s’y fit pour la closture de la neuvaine des Couches de la Vierge. Le Pere Boursault, jeune Religieux de cette Maison, y fit à Monsieur le compliment que vous allez lire. Il fut extrémement applaudy, & trouvé digne d’un nom que Mr Boursault son Pere a rendu fameux par beaucoup d’Ouvrages.

Monseigneur,

Il n’estoit pas necessaire d’apprendre à cette Assemblée que le Seigneur doit arriver aujourd’huy, & que demain on verra sa gloire. L’humiliation où elle voit Vostre Altesse Royale annonce assez que l’Enfant qui doit naistre cette nuit est le Maistre absolu de toutes les Couronnes du monde. Ce n’est que devant la Majesté de Dieu, que les Princes de l’Auguste Maison de France font gloire de flechir les genoux. Le Sang dont ils ont l’honneur de sortir tient un si haut rang parmy les Monarques de la Terre, qu’ils naissent pour soumettre les autres Puissances, & pour n’estre soumis que devant le Roy des Rois. Que cette soumission, Monseigneur, vous acquiert de gloire, & que le Divin Enfant qui prévoit l’ingratitude des hommes qu’il rachete par l’excés de son amour, trouve de consolation dans la sainte impatience que vous avez de le recevoir ! La pieuse Reine à qui V. A. R. doit le jour, & dont les vertus ont merité de la justice de Dieu une Couronne immortelle, a tracé à sa Posterité le chemin que vous enseignez à la vostre. Tant qu’il a plû à Dieu qu’elle fust l’exemple des Reines, le modelle des Veuves, & l’édification des Fidelles, elle n’a jamais manqué de venir dans ce sacré lieu adorer Jesus naissant. V. A. R. l’a imitée ; & de generation en generation les Princes qui naistront de vostre Sang vous imiteront.

Courtisans, qui avez coutume d’étudier l’inclination des Princes, pour regler vostre conduite sur la leur, & qui souvent encensez leurs defauts pour les engager à autoriser les vostres, vous n’aurez pas la malheureuse satisfaction de trouver icy ce que vous cherchez. Il n’y a que des vertus à admirer. Dames mondaines, qui croyez que vostre delicatesse vous dispense de rendre vos hommages à la Creche de Jesus ; venez voir la plus auguste de toutes les Dames par sa naissance, & la plus digne de l’estre par son merite, partager avec la Mere de Dieu la glorieuse qualité de sa Servante. Et vous, tiedes Chrestiens, qui voyez le digne Frere du premier Monarque du monde, si ardent à témoigner son zele à l’adorable Enfant qui abandonne le Ciel pour la Terre, & quitte la gloire éternelle pour vous l’acquerir, quelles excuses pourrez-vous avoir quand il ne trouvera pas vos cœurs disposez à recevoir les graces qu’il y vient répandre ?

Pardonnez-moy, Monseigneur, si en presence de V. A. Royale il m’est échapé d’adresser ma parole ailleurs ; je voulois animer ces Chrestiens par l’exemple de vostre pieté, & les engager à joindre leurs vœux à vos prieres, pour attirer sur la France toutes les benedictions dont la Naissance du Sauveur est accompagnée. Sous le Regne de l’invincible Monarque à qui la qualité de Tres-Chrestien est si bien deuë, puis qu’il est aujourd’huy le seul, & l’inébranlable appuy du nom Chrestien, il semble que la Terre où nous avons l’avantage de vivre, soit celle que Dieu avoit autrefois promise à son Peuple. Les horreurs de la guerre ne sont que pour les Ennemis qui nous la declarent ; & la France attaquée en tant d’endroits par l’ambition & par l’Heresie se conserve dans toute l’étenduë de ses limites, & dans toute l’integrité de sa Religion. Quelle difference de ces paisibles Climats à ces Pays de sedition & de revolte, où les Loix de la Nature sont éteintes, & les privileges du Sang violez, où le culte de Dieu est aboly, & l’impieté triomphante, & pour tout dire en un mot, où les vertus deviennent des crimes à punir & les crimes des vertus à récompenser ! Tel, & plus horrible encore que toutes les peintures qu’on en peut faire, est le coupable Royaume sur qui un Usurpateur vange tant de Sacrileges, & de Parricides, & qui aprés avoir servi d’instrument à la colere de Dieu, sera puny des Sacrileges & du Parricide qu’il commet luy-mesme. Qu’il ne s’attende plus à une mort aussi glorieuse que celle dont il fut menacé devant Cassel, lors qu’aprés la défaite entiere de son Armée, sa fuite le déroba au bras victorieux de V. A. R. Les Tyrans ne doivent pas mourir comme les Heros ; & le Diadême qu’il s’est osé mettre sur la teste, est moins la Couronne d’un Roy, que celle d’une victime dont la Justice du Ciel demande un memorable sacrifice.

Princes timides qui luy prêtez vostre appuy, ou plustost qui allez avec indignité mandier le sien, Dieu a mis un Monarque sur la Terre à qui les grands évenemens sont reservez. Si aider à persecuter un Roy legitime vous paroît un effort digne de vous, LOUIS LE GRAND fera voir que le proteger, luy donner un azile, & le rétablir dans ses Etats, sont des actions dignes de luy. C’est à vous, mon Dieu, à donner vostre benediction aux équitables desseins d’un Monarque qui ne combat que pour étendre vostre culte, & pour faire sanctifier vostre nom. Tous les Princes de cette Royale Famille sont d’infatigables défenseurs de vostre gloire, toujours prests à cimenter de leur Sang les sacrez Autels où ils sont humiliez dans la respectueuse attente du Verbe qui s’est fait Chair pour venir habiter parmi les hommes. Si les Bergers qui furent les premiers à la Creche de vostre adorable Fils, attirerent sur eux les premieres graces de sa Naissance, voicy, mon Dieu, vos images les plus parfaites, qui previennent le Cantique des Anges pour meriter vos premieres benedictions. Répandez, Divin Sauveur, répandez sur ces illustres Testes toute la plenitude de vos graces, & naissez pour estre leur felicité en ce monde, & dans l’autre leur beatitude éternelle.

[Histoire] §

Mercure galant, janvier 1691 [tome 1], p. 157-180.

 

La sincerité est un grand charme pour gagner les cœurs bienfaits, & quand elle accompagne l’amour, elle en serre les nœuds si étroitement qu’il n’y a rien qui les puisse rompre. Un Cavalier fort bienfait, & dont les manieres nobles soustenoient avec beaucoup d’avantage, celuy qu’il tiroit de sa naissance, aprés sept ou huit Campagnes où il ne s’estoit tiré d’affaires que par le gain qu’il faisoit au jeu, resolut de voir si quelque heureux mariage ne pourroit point le mettre en estat de reparer ce qui luy manquoit du costé de la fortune. Il estoit Cadet, & né dans une Province où la pluspart des Ainez emportent presque tout le bien de leur Maison. Ainsi il n’avoit eu que tres peu de chose des successions de son Pere & de sa Mere, & ayant trouvé des Achepteurs, il vint à Paris avec une somme assez forte pour y pouvoir subsister avec éclat pendant une année. Comme il estoit fort galant, & qu’il avoit autant que personne, ce que l’on appelle esprit du monde, il s’imagina qu’en prenant les Airs d’un homme aisé, il reüssiroit à ébloüir quelque riche Veuve, qui en l’épousant partageroit son bien avec luy. Il estoit fort resolu de ne point s’arrester à l’âge, & la plus vieille luy paroissoit mesme la plus propre à son dessein, parce qu’elle devoit estre plus aisée à prendre, & qu’il auroit moins de temps à vivre avec elle. Dans cet esprit il se mit en équipage, prit un train fort propre, & un ancien Valet de Chambre en qui il avoit une confiance entiere, ayant instruit son Cocher & ses Laquais de ses pretenduës richesses, il n’eut point à craindre qu’aucun d’eux pust découvrir qu’il n’estoit pas ce qu’il paroissoit. Ses domestiques estant habillez, & le Carrosse choisi, il s’accommoda d’un Appartement fort bien meublé dans un Hostel Garny des plus renommez, & le hazard voulut que dix jours aprés une jeune Veuve de Province, qui changea de logement, en arresta un dans le mesme Hostel. Elle ne l’eut pas si tost occupé, qu’il luy fit demander permission de luy rendre ses devoirs. Il en fut receu fort civilement, & il connut dés sa premiere visite qu’elle n’étoit pas moins estimable par son esprit que par sa beauté. C’estoit une brune tres-agréable, & qui faisoit une assez belle figure, ayant Carosse & un train honneste. Elle estoit depuis six mois à Paris, où la poursuite d’un procez fort important ne la laissoit pas sans exercice. Comme naturellement on aime à servir les Dames, & sur tout celles qui portent dans leur personne des recommandations favorables, le Cavalier luy offrit ses soins auprés de ses Juges. Il vous est aisé de croire qu’on les accepta avec plaisir, puis que c’est là le sensible des Plaideurs, & que par plusieurs raisons il y alloit de la gloire & des avantages de la belle Veuve de venir à bout de son entreprise Le Cavalier entra dans ses interests avec d’autant plus d’empressement, qu’ayant appris par le rapport de ses gens qu’elle estoit fort riche ; car les domestiques ne manquent jamais de se dire l’un à l’autre ce qu’ils sçavent de leurs Maistres, il connut en peu de jours que tout ce qu’il luy disoit de flateur & d’obligeant commençoit à faire impression sur son cœur. Ainsi il eut lieu de se flater, que s’il s’intriguoit assez pour contribuer à luy faire gagner son procés, la reconnoissance pourroit se joindre à l’amour, & produire en sa faveur ce qu’il attendoit de son Etoile. Cette pensée luy fit redoubler ses diligences auprés des Avocats & des Procureurs, & le compte qu’il avoit à luy en rendre luy donnant occasion de la voir à tous momens, il se servit si bien du talent de persuader tout ce qu’il vouloit, qu’en estant effectivement tres-amoureux, il la convainquit de toute la force de sa passion. Deux mois se passerent dans les témoignages reciproques d’un amour naissant, & dont le progrés ne plaisoit pas moins à l’un qu’à l’autre, & quand le Cavalier le crut assez affermy pour se pouvoir déclarer, il s’expliqua avec des termes si passionnez, qu’il estoit aisé de voir que le cœur s’accordoit avec la bouche. La Dame, dont la Demoiselle s’estoit informée sous main de la naissance & du bien du Cavalier, n’en avoit rien appris que de fort avantageux, & les apparences répondant à ce qu’on luy en disoit, elle ne pût se défendre de luy témoigner que sa declaration luy faisoit plaisir, mais avant que la chose allast plus loin, elle voulut sortir d’un scrupule, & sçavoir du Cavalier si elle pouvoit se croire assez fortement aimée, pour ne devoir point apprehender qu’il entrast dans son amour aucune autre veuë que celle de l’amour mesme. Il luy protesta que son seul merite en estoit la cause, & aprés qu’elle eut receu cette assurance, elle se crut obligée de luy apprendre qu’en se résolvant à l’épouser, il devoit compter sur un bien tres-mediocre ; que le Carrosse & tout l’équipage qu’il luy voyoit, n’estoient point à elle ; qu’un Oncle au nom de qui le procés qu’elle poursuivoit avoit esté intenté, fournissoit à toute cette dépense ; que luy voyant une assez jolie figure, il avoit voulu qu’elle l’eust accompagné à Paris, persuadé qu’une agreable personne estoit toujours écoutée favorablement des Juges ; qu’une Fille unique qu’il avoit, & qui estoit un fort grand party, avoit consenty pendant son absence à se laisser enlever d’un Convent où il l’avoit mise à son départ ; que ce malheur l’avoit rappellé, & luy causoit de grands embarras, parce qu’il avoit affaire à un Parent du Gouverneur de la Province qui avoit beaucoup d’Amis, & qu’il devoit revenir si-tost qu’il se seroit mis en estat de tirer raison du Ravisseur. Le Cavalier, dont la confidence qu’on luy faisoit, renversoit les esperances, en eut un chagrin qu’il luy fut impossible de surmonter. Il parut tout à coup sur son visage, & la Dame s’appercevant de son trouble, luy dit qu’elle voyoit bien qu’il estoit fait comme tous les autres hommes, & que l’amour qu’il luy protestoit, n’estoit pas aussi desinteressé qu’il vouloit le faire croire. Le Cavalier qui avoit le cœur veritablement touché, luy dit qu’elle luy faisoit beaucoup d’injustice, puis qu’il estoit prest de l’épouser, s’il luy falloit cette marque de l’entier pouvoir qu’elle avoit sur luy, mais qu’aprés ce qu’elle venoit de luy avouër, il croyoit que son honneur l’obligeoit de luy parler sans déguisement. Là dessus il luy rendit sincerité pour sincerité, & l’ayant instruite de l’estat de ses affaires, il luy dit que c’estoit à elle à examiner si ayant tous deux de la naissance sans aucun moyen de la soutenir, ils devoient hazarder un mariage dont les suites ne pourroient que les rendre malheureux ; que non seulement il estoit sans bien, mais qu’il ne pouvoit pas mesme esperer la moindre succession ; qu’à la verité son Aîné estoit fort riche, mais qu’outre qu’il n’estoit pas encore dans un âge extremement avancé, il avoit deux Fils d’une santé vigoureuse, & qu’ayant pour elle autant d’estime qu’il avoit d’amour, il se reprocheroit toute sa vie comme un fort grand crime, d’avoir abusé de sa complaisance, quand même elle voudroit bien luy sacrifier tout son repos. La Dame ne put s’empescher de faire paroistre à son tour sa surprise & son chagrin. Elle n’avoit attendu rien moins que cette seconde declaration, & il estoit extraordinaire que faisant tous deux leur bonheur de leur amour, ils se trouvassent également dans une situation malheureuse qui les mettoit hors d’état de rien faire l’un pour l’autre. Aprés avoir raisonné long-temps sur leur avanture, ils ne purent se cacher qu’il falloit qu’ils renonçassent aux esperances flateuses qui avoient formé leur engagement, mais il leur fut impossible de renoncer aux sentimens de tendresse dont ils s’estoient fait l’aveu, & sans sçavoir à quoy pourroit aboutir leur passion, ils se promirent de s’aimer toûjours. Le Cavalier redoubla ses soins pour servir l’aimable Veuve, & il le fit si utilement qu’il mit son procez en état d’estre gagné. Quoy qu’il ne conservast plus aucune pretention sur le mariage où il avoit crû d’abord la conduire, il ne laissoit pas d’avoir pour elle les mesmes empressemens, & non seulement il ne voyoit qu’elle, mais il auroit refusé un party considerable s’il s’étoit offert. La Dame de son costé trouvoit un charme sensible dans le plaisir de le voir, & malgré la certitude qu’ils pouvoient avoir de n’estre jamais unis, il eust esté difficile de trouver dans l’union de deux cœurs un attachement plus veritable. L’Oncle arriva dans ce mesme temps, & revint fort indigné de ce que le trop grand credit du Ravisseur de sa Fille l’avoit obligé de souffrir son mariage, mais quoy qu’il en eust signé le contract, il avoit gardé pour l’un & pour l’autre un esprit d’aigreur qu’ils avoient tâché inutilement de luy faire perdre. Son ressentiment éclatoit sur tout contre sa Fille, qui ayant permis qu’on l’enlevast, luy avoit donné un Gendre qu’elle sçavoit bien qu’il n’agréoit pas. Cependant il ne laissa pas à son retour d’apprendre avec joye ce qu’il devoit aux soins de sa Niece, par qui son procez avoit esté mis dans l’heureux état où il le trouvoit. Il luy en fit des remercimens tels que demandoit la tendre amitié qu’il avoit pour elle, & ayant esté informé en mesme temps du secours que le Cavalier luy avoit presté, il luy en marqua sa reconnoissance par mille offres de service. Comme il le voyoit souvent, & que le merite qu’il luy connut, augmentoit pour luy de jour en jour par les bons offices qu’il luy rendoit auprés de ses Juges, il ne put condamner la liaison qu’il remarqua bien qui s’estoit formée entre luy & sa Niece pendant son absence. La Dame ne luy cacha point qu’elle avoit beaucoup d’estime pour le Cavalier, & sans entrer dans aucun détail de ce qui s’estoit passé entre eux, elle se contenta de luy dire que quand il auroit pour elle les sentimens les plus favorables, il luy seroit inutile de les écouter, puis qu’il n’estoit pas plus riche qu’elle. & que le manque de bien estoit le plus fort obstacle que pust rencontrer l’amour. La matiere ne fut pas poussée plus loin. Il s’écoula encore quelque temps, & le Cavalier continuant à s’interesser avec ardeur pour l’Oncle de l’aimable Veuve, il obtint Arrest, & eut gain entier de cause. Il s’agissoit de cinquante mille écus, dont il fut payé partie en argent comptant, & partie en heritages qui estoient assez à sa bienseance. Lors qu’il eut reglé toutes ses affaires, le desir de se vanger de sa Fille le pressant de plus en plus, il declara à sa Niece, pour qui il avoit toujours marqué une tendresse fort particuliere, que sur l’argent qu’il venoit de recevoir, il luy destinoit vingt mille écus, & qu’il vouloit outre ce present, luy faire la donation d’une Terre qui en valoit bien encore dix mille, à condition qu’elle se choisiroit un Mary avant que de retourner dans la Province, l’assurant qu’il consentiroit à tout, pourveu que son cœur fust satisfait. C’estoit luy en dire assez ; aussi ne balança-t-elle point à choisir le Cavalier. Il fut agréé de l’Oncle, & le mariage se conclut en peu de jours. Ils allerent avec luy dans la Province, où les vingt mille écus furent employez en fonds sans que le Gendre osast murmurer de cette donation. Sa succession devoit estre encore si considerable que sa Fille & luy s’estimerent fort heureux de ce qu’il promit enfin d’oublier l’enlevement. Les Mariez goûterent toutes les douceurs dont une union parfaite peut faire joüir deux tendres Amans, & un an aprés, la Dame fut récompensée de sa generosité. Le Frere du Cavalier qui avoit deux Fils, eut le malheur de les perdre dans la Journée de Fleurus, & la douleur qu’il en ressentit fut si violente, qu’il en mourut peu de temps aprés. Ainsi le Cavalier ayant herité de tous ses biens, eut le plaisir de mettre la Dame en estat de s’applaudir du sacrifice qu’elle luy avoit fait de sa fortune.

Lettre d’un Gentilhomme François, à un de ses Amis refugié en Angleterre, sur la Harangue du President de la Tour §

Mercure galant, janvier 1691 [tome 1], p. 181-227.

 

Rien n’ayant paru à toutes les personnes d’esprit choquer davantage le bon sens que la Harangue faite au Prince d’Orange, par le President de la Tour, Envoyé Extraordinaire de Savoye, j’y fis réponse le mois passé pour satisfaire à l’empressement du Public qui la demandoit. Comme la matiere estoit ample, il parut une autre réponse quinze jours aprés, & je vous l’envoye, estant persuadé que quoy qu’elle soit beaucoup meilleure que la mienne, vous ne laisserez pas de rendre justice à mon zele.

LETTRE
D’un Gentilhomme François, à un de ses Amis refugié en Angleterre, sur la Harangue du President de la Tour.

Monsieur,

Quand vous nous avez envoyé la Harangue du President de la Tour, nous avons compris ce qu’apparemment vous n’osiez nous mander, que vous vouliez nous faire rire, ou plutost nous faire pitié. Il n’y a pas eu en effet depuis long-temps une production plus ridicule que cette Harangue, & je m’étonne que vôtre Cour en ait fait une maniere de triomphe, en la faisant imprimer en François & en Anglois, comme une piece fort rare. Elle l’est veritablement, mais c’est par la bizarrerie des pensées & des expressions plus dignes du personnage qui l’a prononcée, que du Prince du nom duquel il a vray-semblablement abusé, car nous ne pouvons croire qu’en quelque mauvais état que soient les affaires de Mr le Duc de Savoye, il ait pû s’abaisser jusqu’à se vanter publiquement de l’honneur qu’il a d’appartenir au Prince d’Orange, luy demander sa protection, l’assurer d’un attachement inviolable à son service, & d’un respect infini pour sa personne sacrée. Oüy, Monsieur, nous avons peine à croire que S. A. R. qui a toûjours soûtenu son rang avec tant de dignité à l’égard des Testes couronnées, à meilleur titre que celle du Prince d’Orange, ait pû mettre des paroles si basses & si indignes dans la bouche de son Envoyé. Nous croyons de plus que dans toute la Cour de Savoye il ne se seroit pas trouvé un homme de qualité ou de vertu, qui eust voulu, en prononçant une demi-page de mauvais François, donner lieu de croire qu’il n’a ny bon sens, ny religion, ny sensibilité pour l’honneur de son Maître. Il falloit donc un Ministre d’un ordre tout different pour donner cette Comedie au public. Ne vous souvenez-vous pas d’avoir veu ici des Savoyards de toutes façons ? Vous sçavez qu’il y en a qui sont bons à quelque chose, & je m’étonne que parmi les moyens de ruiner la France, les Politiques de Hollande ont oublié celuy d’obliger le Duc de Savoye à les rappeller, pour la priver d’un secours aussi necessaire que celui des Ramonneurs de cheminées. Il y en a de faineants qui courent les ruës, chargez d’une grosse boëte remplie de Marionnetes, & de petites machines propres à amuser des enfans. Le Savoyard a une chanson aussi ridicule que sa machine. Dieu, la Vierge, les Saints y sont mêlez à propos de rien, la musique répond à toute la piece, & quand elle est finie, il demande l’aumône. Pardonnez-moy cette ridicule comparaison ; mais nous ne voyons point de ces Savoyards, qu’ils ne nous fassent penser à cette honteuse Ambassade. Quand le President de la Tour est arrivé en Hollande, vous sçavez avec quels airs importans il y a paru, & les projets dont il amusoit les Ministres des Alliez, devant lesquels il faisoit marcher avec le bout du doigt ces Armées imaginaires qui devoient entrer dans le cœur de la France. Le jeu auroit esté plus beau, si la bataille de Staffarde n’avoit fort déconcerté toute la machine. Enfin il a demandé de l’argent, & il en a obtenu assez pour payer son giste en Hollande, & faire boire les Ministres des Alliez à la santé du Prince d’Orange. Ensuite il est passé en Angleterre, & c’est là qu’il a chanté la chanson. Un des principaux traits de l’éloquence de ces Savoyards, est de donner de beaux noms à ceux qu’ils amusent. Monseigneur, mon brave Prince, sont des qualitez qu’ils donnent au premier venu, comme le President de la Tour n’a pas épargné les titres bizarres & extravagans, que le Prince d’Orange luy mesme, avec le bon sens qu’il a, ne peut avoir entendus qu’avec mépris. Je ne doute pas qu’il n’en ait ry de tout son cœur, sur tout quand il l’a veu tomber sur les Decrets Eternels de la Providence. Il a enfin demandé de l’argent, mais ce n’est pas chez les grands Seigneurs que ces sortes de gens gagnent leur vie. Ainsi il est revenu les mains vuides, & voilà nostre comparaison achevée. L’idée en est ridicule, je vous l’avoüe, mais ne vous en fâchez pas, je vous prie, car si nous examinons la Harangue plus serieusement, il y a bien d’autres choses à dire.

L’affectation bizarre avec laquelle il s’est servy à chaque periode du mot de Personne sacrée, sacrée Majesté, Teste sacrée, qui n’est pas dans l’usage de la langue dans laquelle il a parlé, est-elle supportable ? On voudroit bien luy demander comment cette Teste qui n’estoit rien moins que sacrée, il y a trois ans, l’est devenuë. Est-ce par la benediction de ces Evesques, avec qui l’Archevesque de Cantorbery & les autres bons Protestans ne veulent avoir aucune communion ? Si c’est cela qu’il a voulu dire, il a bien fait de quitter la Soutane, car ce n’est pas estre Catholique que de parler ainsi.

Il felicite le Prince d’Orange au nom du Duc de Savoye, sur son glorieux avenement à la Couronne, deuë à sa naissance, meritée par sa vertu, & soûtenuë par sa valeur. Les trois points de ce Sermon sont fort justes, puis que la vertu & la valeur y ont autant de part que la naissance. Si le Prince d’Orange aime tant la justice, & que la droiture de ses intentions soit aussi grande que le dit son Panegyriste, s’il est sensible à tous les maux que son seul interest cause dans toute la Chrestienté, qu’il mette le premier article en arbitrage, pour faire juger par qui il voudra, mesme par les Anglois, si sa naissance luy donne un titre legitime à la Couronne qu’il a usurpée. On est bien assuré qu’il n’oseroit le faire ; & aussi le droit que luy donne sa naissance ne sera jamais un obstacle à la Paix. Les Souverains qui se trouvent engagez à soûtenir sa cause, reconnoistroient bien-tost quel interest ils auroient à ne pas autoriser une semblable usurpation, contraire à toutes les Loix, & si peu conforme à celles d’Angleterre, qu’il les a fallu casser toutes, pour le faire entrer comme par la bréche, & en faire de nouvelles, qui ne peuvent subsister que dans une révolution generale, comme celle que nous voyons presentement, & qu’il auroit luy-mesme un interest pressant de détruire, s’il devenoit paisible possesseur de la Couronne. Voila le titre de sa naissance ; celuy de sa vertu est à peu prés aussi bon. Mais quand Mr de la Tour parle de vertu, ou il n’en connoist pas le nom, ou il l’employe dans cette signification vaste de la Langue Italienne, qui comprend la vertu & le vice, l’industrie bonne ou mauvaise, & qui ne convient pas plus au Heros, qu’au Joüeur de gobelets & au Coupeur de bourses. Il est vray que quand des Bandits, des Barbets, des Rebelles de Mondovi, des Ministres armez deviennent à la mode, comme ils sont presentement en Piedmont, la vertu du Prince d’Orange peut fraper les yeux. Personne cependant ne s’avisa à la mort de Charles II. que cette vertu le dust faire parvenir à la Couronné à l’exclusion de l’Heritier legitime, qui estoit alors Catholique aussi declaré qu’il l’est presentement. Cette vertu fut si bien oubliée, que personne ne se plaignit du tort qu’on luy avoit fait, & il n’osa luy-mesme s’en plaindre. Quand enfin il ajoûte que cette Couronne usurpée est soûtenuë par sa valeur, il semble qu’il s’est voulu moquer de luy. Où sont donc ces exploits militaires ? Est-on grand Capitaine pour avoir sceu débaucher une Armée, & tourner les armes d’un peuple furieux contre un Roy legitime, pour avoir profité de la terreur panique de quelques Troupes à la Journée de Boine, & pour avoir levé prudemment le Siege de Limerik, car voila tous ses exploits militaires depuis qu’il est en Angleterre ? Non, Monsieur, ce ne sont pas là les beaux endroits de vostre Heros. Qu’il soit brave de sa personne tant qu’il plaira à ceux qui l’admirent, si ce n’estoit que par ce titre qu’il eust disputé la Couronne au Roy son Beau-pere, il ne l’auroit pas plûtost obtenuë que par sa naissance & par sa vertu. Mais cet exorde n’est rien en comparaison de ce qui suit. Vous n’avez pas eu de peine à connoistre par le commencement de cette Harangue, que l’Auteur est fort mauvais Theologien, vous en serez encore plus persuadé par la suite.

La Providence, dit-il, avoit destiné la Couronne à vostre teste sacrée pour l’accomplissement de ses desseins éternels, qui aprés une longue patience tendent toujours à susciter des Ames choisies, pour reprimer la violence & proteger la justice. S’il y a du sens dans ces grands mots, c’est que l’avenement du Prince d’Orange à la Couronne, est un effet de la providence de Dieu, sans les ordres duquel il n’arrive rien en ce monde ; mais ce n’est pas ce que l’Envoyé de Savoye a voulu dire. Il a voulu parler d’une vocation toute particuliere & miraculeuse, sans laquelle en effet le Prince d’Orange auroit eu encore long-temps à attendre l’accomplissement de ces desseins éternels. Elle trouvoit un obstacle invincible dans les Preceptes du Decalogue, dans les principes de l’équité naturelle, dans toutes les loix divines & humaines, que la difference des Religions n’a jamais détruites, & enfin dans les loix particulieres de l’Angleterre. Il a genereusement surmonté tous ces obstacles, & c’est en quoy cette vocation a des caracteres merveilleux, & peut estre comparée à celle d’Attila, pour la qualité de Fleau de Dieu, à celle de Cromwel, & d’autres semblables Vaisseaux de sa colere. Ce n’est pourtant pas l’idée qu’il nous pretend donner du Prince d’Orange, qu’il represente comme une ame choisie, c’est à dire, un élu & un predestiné, qui n’a fait qu’executer les decrets éternels de la Providence. Il falloit d’abord nous faire voir que les Commandemens de Dieu & toutes les Loix n’estoient pas faites pour luy, mais pour les ames vulgaires, qui n’agissent que par les maximes simples & grossieres de l’Evangile, & de l’équité naturelle, qui n’osent faire à autruy ce que nous ne voudrions pas qu’on nous fist, qui craignent un Dieu vangeur de la Foy & des sermens violez, & qui honorent leurs peres & leurs meres. On avoüera au moins que ce n’est pas par ce chemin batu du Christianisme, ni mesme des vertus morales, que Dieu a conduit le Heros de la Ligue à l’accomplissement de ces desseins éternels, si opposez à sa volonté, declarée par Jesus-Christ son Fils & par ses Apostres. Il ne faut pas non plus oublier que cet instrument extraordinaire des desseins de Dieu, n’est pas dans le sein de l’Eglise Catholique, hors de laquelle vous sçavez que nous ne connoissons point d’élûs, ny d’ames choisies, mais des reprouvez, instrumens de la colere de Dieu, pour punir les crimes, qualité que peut-estre personne ne peut disputer au Heros de nostre Harangueur. Mais sans s’arrester sur cet article, supposons que nous parlons à des Protestans, c’est à dire, à ceux qui ont la conscience assez large, pour croire que ce procedé puisse s’accorder avec les regles de la Morale Chrestienne, car vous sçavez que tous n’en conviennent pas. Nous leur demandons, si dépoüiller son pere & sa mere, opprimer le pupille, violer les sermens, & prendre le bien d’autruy, ne sont pas des actions contraires au Decalogue, & à la Loy naturelle. Voilà le droit, & ils n’en peuvent disconvenir, ny par consequent que ce ne soient des crimes execrables, dignes de la colere de Dieu, & de l’horreur de tous les Chrestiens. Le Roy d’Angleterre n’est-il pas dépoüillé, opprimé, pillé, chassé par sa Fille & par son Gendre ? Les Anglois n’ont-ils pas violé tous les sermens les plus sacrez, puis qu’en les prestant ils ont declaré par des clauses expresses, qu’ils parloient sans équivoque ny restriction mentale, & qu’aucune autorité ne les en pouvoit dispenser ? La Couronne d’Angleterre n’est-elle pas entre les mains d’un Estranger, qui selon les Loix du pays n’y a pas plus de droit qu’il en avoit il y a trois ans ? Voilà le fait, & par la consequence qui est aisée à tirer, il paroist que tout cela est contre la volonté de Dieu, & contre toutes les Loix divines & humaines. Cependant le President de la Tour vient nous assurer à la face de toute l’Europe, que ce tissu de crimes énormes, est l’accomplissement des desseins de Dieu sur une ame choisie. Ce n’est pas des desseins conformes à sa volonté marquée par les Ecritures, & par consequent il en faut chercher une autre directement contraire. Sur quoy peut-elle donc estre appuyée, si ce n’est sur les Resultats de la Convention, qui mesme n’ayant esté faits qu’aprés coup, ne peuvent rectifier par un effet retroactif, le crime qui les a precedez : ou sur les complimens de l’Empereur, du Roy d’Espagne, & des autres Alliez, & sur le certificat du President de la Tour. Si un Ange descendu du Ciel nous venoit dire qu’il ne faut pas honorer son pere & sa mere, qu’on peut violer les sermens, & prendre le bien d’autruy, vous sçavez que selon S. Paul nous devrions luy dire, anatheme. Imaginons-nous qu’il en vient un qui nous dit : Mes enfans, faites comme cette ame choisie, le Prince d’Orange. Quand vôtre Beaupere vivra plus que vous ne voudrez, quand il naistra de petits Beaufreres incommodes, qui vous excluent d’une succession sur laquelle vous aurez compté, chassez-le de sa maison, prenez son bien, laissez crier l’enfant, Dieu vous benira. Cela luy déplaisoit autrefois, mais il a changé d’avis. Qui pourroit douter que ce ne fust un Ange de tenebres ? Cependant voilà ce que nous disent depuis deux ans, des gens qui assurement ne sont pas des Anges : qui aprés toutes les extravagances qu’ils ont publiées, ne peuvent passer que pour des foux furieux, & qui sont traitez pour tels par leurs propres Confreres. Enfin c’est ce que le Ministre de Savoye s’est approprié, & qu’il a pris comme le fondement de sa Harangue. Quand il se feroit dix mille miracles en faveur d’un procedé si odieux & si contraire au Christianisme, & à toutes les Loix, la foy nous obligeroit à les regarder comme ceux que l’Antechrist fera quelque jour : mais ils ne devroient pas nous faire douter de la verité de la Religion & des Commandemens de Dieu, qu’il renverse. Jugez donc de ce que nous devons penser, quand on n’a point d’autres miracles à nous alleguer, que les merveilleux commencemens de son regne, qui sont des présages assurez des benedictions que le Ciel prepare à la droiture de ses intentions. Ces commencemens n’ont rien de miraculeux, puis qu’il n’y a rien de plus éloigné du miracle, que de voir les Anglois revoltez sans sujet contre leurs Rois legitimes. C’en seroit un de les voir fidelles & contents du meilleur état de leurs affaires. Les autres effets miraculeux & les benedictions que ce Heros leur a attirées, sont la perte d’une partie de la Hongrie, la desolation des Pays-Bas & de toute l’Allemagne ; voila celles de la Ligue, & pour l’Angleterre, des taxes insuportables, la ruine du commerce, la perte honteuse d’une bataille Navale, la desolation generale des Provinces, & le renversement de toutes les Loix. Ce sont là les premieres benedictions ; & si le Ciel mesure celles qu’il leur prepare dans la suite selon la droiture des intentions du Prince d’Orange, ils n’ont qu’à s’armer de patience. S’il y a des Catholiques assez simples, pour demander à Dieu qu’il benisse les desseins des Ennemis de leur Eglise ; s’il y a des Protestants assez entestez pour faire de semblables prieres, nous sommes persuadez qu’à moins qu’ils n’ayent perdu l’esprit, ils demandent toute autre chose qu’un bonheur proportionné à la droiture des intentions d’un homme, qui a une conscience pour l’Angleterre, une pour l’Ecosse, une pour la Hollande, & une pour les Pays Etrangers. Croyez-vous qu’il y ait quelque Fanatique assez hors de sens, pour demander à Dieu une Fille semblable à cette Princesse, qui fait monter avec elle la vertu sur le Trône, comme luy a dit le President de la Tour ? Croyez-vous que les Flamans, les Hollandois, les Allemans s’accommodent long-temps des benedictions que leur a attirées le commencement de ce glorieux regne : & que les Anglois ne soient pas fort las de celles dont il les a comblez ? Vous en sçavez assez de nouvelles. Vous avez veu l’état florissant du Pays avant la revolution ; vous en connoissez la difference, & vous pouvez juger s’il est prest de se voir rétably dans sa premiere grandeur ; car pour rompre les chaisnes dont l’Europe estoit accablée, qui est le magnanime dessein du Heros de nostre siecle, c’est à dire, abaisser la puissance de la France, c’est un article sur lequel les decrets éternels revelez à vos Visionnaires, ne nous disent encore rien, & vous m’avouërez que trois Batailles perduës l’année derniere, sont de grandes épreuves pour la foy des Alliez, s’ils en ont sur de semblables Propheties. Mais y a-t-il chaînes & servitude pareille à celle qu’ils ont à souffrir de celuy qu’ils regardent comme leur Liberateur ? Ne les traite-t-il pas avec toute la hauteur possible, & ne sacrifie-t-il pas tous leurs interests aux siens ? L’Empereur luy doit déja la perte d’une partie de la Hongrie ; les Princes & Etats de l’Empire la ruine de leurs Pays ; les Hollandois se vanteront-ils qu’il a rompu leurs chaînes, & celles dont Mr le Disc de Savoye s’est chargé, sont-elles moins pesantes que celles dont il a pretendu le delivrer ? Car enfin, Monsieur, quelles estoient ces chaînes, si ce n’est qu’il vouloit perir, & que ne pouvant l’empescher avec raison, on vouloit l’en empêcher par une contrainte salutaire ? Mais la France a-t-elle jamais exigé de luy des bassesses semblables à celles qu’il fait sans aucun profit ? Luy a-t-on fait autant de mal dans le temps mesme qu’on pouvoit ne le plus ménager, que luy en ont fait ces Troupes auxiliaires qui luy ont rendu si peu de service ? Y a-t-il servitude pareille à celle de renoncer à son rang, pour fléchir le genoüil devant l’Idole de la Ligue, & de traiter de Sacrée Majesté celuy qu’il auroit il y a peu de temps honoré en le traitant de Cousin ? Enfin y a-t-il chose plus indigne que ce qu’on luy fait dire touchant la joye qu’il a esté contraint de reserrer dans son cœur, qu’il n’a fait éclater que par les esperances de liberté que le seul nom du Prince d’Orange luy a fait concevoir aprés tant d’années de servitude ? Quoy, un Ministre qui doit couvrir les foiblesses de son Maistre, a la hardiesse de le faire passer publiquement pour un fourbe & pour un traistre ! Mais il a cru que comme la trahison & le mépris des Traitez a esté le premier pas que chacun des Confederez a fait en entrant dans la Ligue, il ne falloit pas que cet avantage manquast à son Maistre. Voila, Monsieur, les principales reflexions que nous avons faites icy sur cette Harangue. L’Empereur & le Roy d’Espagne ont complimenté le Prince d’Orange par leurs Lettres & par leurs Ministres ; mais au moins ils ont gardé des mesures, & ils y ont fait couler quelques expressions en faveur de la Religion Catholique, pour faire croire aux simples qu’ils ne la perdoient pas de veuë. Ils n’ont pas employé des termes manifestement heretiques & blasphematoires, & même le Roy d’Espagne a mandé au Pape, qu’un des desseins de la Ligue, estoit l’exaltation du Saint Siege. Il est vray que jusqu’à present tout ce qu’on a vû qui eust rapport à ce dessein, a esté que les Soldats du Prince d’Orange ont bû à la santé d’Innocent XI. mais vous avez vû il n’y a que quinze jours brusler Alexandre VIII. Enfin ils ont conservé quelque ombre de leur dignité, & ils ont remply le papier de loüanges vagues, d’augures & de présages, dont nous n’avons pas encore veu beaucoup d’effet. Aussi aprés avoir eu si peu de succés heureux, & tant de malheureux, on voit que les Harangues qui en étoient remplies, deviennent elles-mesmes d’heureux présages de l’avenir. C’est le jugement qu’a fait de celle-cy un Auteur qui depuis deux ou trois ans s’est mis sur les rangs, & qui croit estre grand Politique, parce que son Libraire le croit.

Sed qui me vendit Bibliopola putat.

Il suffit, dit-il, de dire du merite de ces deux pieces, qu’elles ont esté generalement applaudies & receuës avec l’agrément du goust public. On a trouvé les traits & les caracteres touchez d’une maniere noble qui excite de grandes idées & éleve l’esprit. Il y a plus de choses que de paroles, plus de force que d’ornement. Joignez à cela la disposition favorable du public pour les caracteres qui y sont dépeints. Il ne sera pas difficile de trouver la cause de cet applaudissement general, mais il n’est pas si aisé de l’expliquer que de le sentir. Il ne faut pas s’étonner que des gens entestez du Prince d’Orange reçoivent avec l’agrément de leur goust (pour se servir de son expression bizarre,) la Harangue d’un Ministre Catholique conceuë en des termes qui ne peuvent s’accorder avec la Religion de son Prince ; qu’on voye avec plaisir une petite Cour la plus fiere qui fust jamais, ramper devant une puissance âgée de moins de trois ans, qui a pour fondement la fidelité des Anglois, la servitude des Hollandois, & l’union de plusieurs Princes, dont les interests n’ayant jamais esté les mesmes, peuvent se separer avec plus de facilité qu’il n’y en a eu à les réunir. Il seroit difficile, comme il dit, d’expliquer les causes de cet applaudissement si on les examinoit serieusement : mais il n’est pas difficile de le sentir, (la pensée est aussi nouvelle que la phrase) : car il ne faut avoir que des oreilles. Pour la cause, comment n’auroit-on pas ry d’une telle Harangue prononcée par un homme d’une figure peu propre à attirer le respect, & qui dit autant d’impertinences que de paroles ? Je laisse le reste de ces reflexions qui roulent sur des pensées fausses & des riens, revestus de paroles impropres & inutiles ; jugez-en, Monsieur, Toutes ces idées, (il parle du Prince d’Orange) se presentent aux yeux du public, à la lecture du discours, & font qu’on est également touché de la souffrance du Prince, qui est reduit à demander du secours. (Personne n’en doute.) & de la generosité du Monarque qui embrasse sa défense. (Il faut en attendre les effets) Quelque corruption qu’il y ait parmi les hommes, les grands sentimens attirent le respect & l’admiration. (Cela n’est pas toujours vray, & s’il veut parler du Prince d’Orange, rien n’est plus faux, si ce n’est que par ces grands sentimens, il ne veüille entendre ce que Machiavel appelle, Esser honorevolmente tristo.) Et la vertu n’est jamais si belle, que lors qu’elle éclate avec la dignité souveraine. Voilà assurement une belle maxime, selon laquelle la vertu aura besoin d’estre soutenuë de la fortune ; mais il n’a pas tant de tort en l’appliquant à son Heros à qui une pareille dignité estoit necessaire, non pas pour estre, mais pour paroistre vertueux à ceux qui peuvent envier sa grandeur ; mais qui ne luy envieront jamais sa vertu. On se fait honneur d’imiter les maximes de ceux dont on ne peut imiter la puissance, & de s’égaler par là en quelque maniere à la grandeur de son Souverain. Que veut-il dire ? On n’imite ny les maximes, ny la puissance ; mais s’il parle du Duc de Savoye, il nous aprend que ne pouvant s’égaler en puissance au Prince d’Orange, il agit selon ses maximes. Voilà un beau Panegyrique. Veut-il porter la pointe de sa pensée jusqu’à nous faire entendre qu’il le regarde comme son Souverain ? Il est vray qu’il luy a parlé comme auroit pû faire un Prince tributaire ; mais enfin quel rapport ont tous ses grands axiomes qui ne sont que des jeux de mots avec la Harangue du President de la Tour, dans laquelle il ne paroist ny Religion, ny vertu, ny grandeur, ny sens commun ? Il faudra le chercher en d’autres choses qu’il dit que l’imagination des Lecteurs suppléra. C’est donc à l’imagination qu’il faut avoir recours, pour y trouver toutes ces merveilles : car assurement le jugement & la droite raison n’y trouvent rien que d’abominable & de ridicule. Je suis persuadé, Monsieur, que quelque interest que vostre état present vous fasse prendre à la fortune du Prince d’Orange, vous avez fait de cette piece le mesme jugement que nous, & vous conviendrez, comme je crois, que cette proposition est un peu plus vraye que celle de vostre Politique, que quelque coruption qu’il y ait parmi les hommes, des sentimens aussi bas attirent le mépris & l’indignation, & que la bassesse n’est jamais plus grande que quand elle est faite par un Souverain à un Usurpateur. Je suis.

Le 1. Janvier 1691.

[Medailles frappées selon la Figure de Marbre de Mr du Bois Guerin]* §

Mercure galant, janvier 1691 [tome 1], p. 227-228.

 

Je vous ay parlé amplement de la Figure de Marbre que Mr du Bois-Guerin a fait faire, & que vous voyez dans cette Estampe. Lors qu’elle fut achevée, il fit fraper des Medailles de la grandeur de celles qui y sont gravées. Il y en a quatre en or qu’il a données au Roy, à Monseigneur le Dauphin, & à Monsieur, & plusieurs autres d’argent qu’il a distribuées aux Personnes les plus considerables de la Cour. Ce genereux Sujet, plein de zele pour la grandeur de son Prince, ne s’est pas contenté de faire fraper des Medailles ; il vient aussi de faire faire une Estampe du mesme Ouvrage, de la hauteur d’une coudée.

[Nouvelle église de S. Leu]* §

Mercure galant, janvier 1691 [tome 1], p. 237-241.

 

L’ancienne Eglise du Village de S. Leu lez Taverny dans le Duché d’Anguien, autrefois de Montmorency, estant fort éloignée du Village & par là extrémement incommode aux Habitans sur tout en Hyver, a esté demolie, & on en a édifié une nouvelle au milieu de ce Village. La premiere Pierre en fut posée le 4. d’Avril de l’année derniere par l’ordre de S. A. S. Monsieur le Prince, qui a bien voulu contribuer au bien & à l’utilité des Habitans de son Duché. Ce fut son Bailly d’Anguien qui la posa, & les Armes & toutes les qualitez de Son Altesse Serenissime furent gravées sur une feüille de cuivre, afin d'en conserver la memoire. La Ceremonie se fit avec beaucoup de solemnité, au son des Tambours & des Boëtes, & la libéralité ordinaire de Son altesse se répandit abondamment sur les Ouvriers par une distribution d’argent qu’il fit faire. Lors que la nouvelle Eglise fut achevée de bastir, Mr l’Archevesque de Paris en ayant permis la Dedicace, Mr l’Evesque de Bethléem en commença la Ceremonie le 6. de Novembre dernier par la préparation des Reliques pour passer sous les Autels, & le lendemain elle fut continuée à sept heures du matin, & suivie d’une grande Messe celebrée Pontificalement par ce Prelat. Les Pains benits de Son Altesse Serenissime y furent presentez par le bailly d’Anguien, qui avoit fait distribuer tout ce qui pouvoit être necessaire pour rendre ce jour des plus solemnels. Il étoit accompagné des Gardes du Duché qui firent leur décharge au son des Trompettes & des Tambours. Il y eut l’apresdinée Predication par Mr l’Abbé Chaussau, & cette Feste finit par une Procession où Mr l’Evesque de Bethleem porta le Saint Sacrement. Le concours de peuples qui sont venus visiter cette Eglise de toutes-parts, tant que l’Octave a duré, est quelque chose d’extraordinaire. Pendant tout ce temps il s’est fait de nouvelles distributions d’argent par l’ordre de Monsieur le Prince, & tous les Curez des Villages des environs y sont venus en Procession.

[Election d’un nouveau doyen au Chapitre de Saint-Thomas du Louvre]* §

Mercure galant, janvier 1691 [tome 1], p. 242-252.

 

Le Lundy, premier jour de cette année, Mrs les Chanoines de l’Eglise Royale & Collegiale de S. Thomas du Louvre ayant sceu que Messire Omer de Champin, Docteur de la Faculté de Paris, de la Maison de Navarre, Doyen & Chanoine de leur Eglise, étoit mort subitement sur les quatre heures du matin, s’assemblerent aprés Matines dans leur Sacristie, au son de la Cloche, & en estant partis en Corps ils allerent à la chambre du défunt, où estant arrivez, ils luy rendirent les devoirs de la pieté Chrestienne envers les Morts. Ils se mirent tous à genoux, dirent un De profundis & sa Collecte, luy jetterent de l’Eau benite, & se retirerent. Aprés la grand’ Messe ils s’assemblerent encore au son de la Cloche en leur Chapitre, pour deliberer de l’élection d’un Doyen suivant l’ancien usage, & convinrent d’y proceder le lendemain, jour ordinaire de leur Assemblée Capitulaire. Ce jour-là, aprés la Messe-haute du Saint Esprit qui fut celebrée par l’ancien Chanoine, ils monterent au Chapitre au son de la cloche, où estant tous assemblez au nombre de dix qui le composent, le mesme ancien Chanoine commença le Veni Creator. Les autres continuerent les versets alternativement, & ensuite ils proposerent l’élection. On convint de la voye du Scrutin par Billets, sur lesquels estoient écrits de la main du Greffier, les noms de tous les Chanoines. Ces noms ayant esté distribuez en presence de deux Officiers de l’Eglise qu’on appella pour témoins, on dit encore une fois le Veni Creator, à genoux, & ensuite chacun selon son rang de reception passa devant le Bureau, & mit dans la bourse son nom plié. On compta les noms, & à l’ouverture faite en presence des Chanoines & des Témoins, tous debout autour du Bureau, il se trouva que Mr d’Aquin, l’un des Chanoines, & Abbé Commandataire de l’Abbaye de Saint Laurent, eut le plus grand nombre de suffrages. On en dressa l’Acte d’élection qu’il accepta, & on députa trois Chanoines pour aller avec luy en demander la confirmation à Mr l’Archevesque, selon la coutume. Ils se rendirent le jour suivant au Palais Archiepiscopal, & luy presenterent une requeste signée de tous les Chanoines, par laquelle ils supplioient ce Prelat, de confirmer cette élection. Mr l’Archevesque, qui fait tout avec beaucoup de circonspection, ayant veu le procés verbal, & jugeant l’élection bien & canoniquement faite, en donna l’acte de confirmation en datte du 13. Le Lundy 15. de ce mois, jour ordinaire du Chapitre, Mr d’Aquin presenta la confirmation à la Compagnie, requerant d’estre mis en possession. Aprés cela il se retira, & la lecture de l’acte de confirmation ayant esté faite, les Chanoines conclurent de luy accorder ce qu’il demandoit. Mr d’Aquin estant rentré, s’acquitta des ceremonies accoutumées, & presta le serment à genoux, entre les mains de l’ancien Chanoine, qui estoit debout, les autres assis. Ensuite ils descendirent tous à l’Eglise, où l’ancien Chanoine luy presenta de l’Eau benite, & le conduisit au grand Autel. Tous les autres Chanoines les accompagnerent, & aprés la priere sur le Marche-pied de l’Autel, le nouveau Doyen y monta, le baisa, le toucha de la main droite, & revint au Chœur où il toucha aussi le Livre du grand Pupitre. Il tinta la Cloche, & fut installé en la premiere des hautes Chaires du costé droit. De là ils allerent tous en la maison Decanale luy en faire montre pour acte de possession ; aprés quoi on remonta au Chapitre où il fut placé dans la Chaire de Doyen. Il embrassa ses Confreres, & on fit sonner les Cloches lors qu’il descendit. Le Greffier ayant publié l’élection suivant l’usage, le nouveau Doyen commença le Te Deum, que les Chanoines continuerent avec l’Orgue, & il descendit de sa place Decanale au milieu du Chœur, pour dire à la fin l’Oraison, Pro gratiarum actione, & l’on finit par l’antienne & l’Oraison de S. Thomas Martyr, Archevesque de Cantorbery, Patron de cette Eglise.

J’ay cru devoir vous faire part de tout ce qui s’est passé à cette Election, afin qu’en vous apprenant les Ceremonies qui se pratiquent dans les occasions de cette nature, je pusse vous faire voir que la pieté y accompagne l’ordre. Le Chapitre de S. Thomas du Louvre vit avec une regularité qui peut servit d’exemple à beaucoup d’autres. L’union regne parmy ses Chanoines, & quand il a esté question de faire un Doyen, ils se sont trouvez tous dignes de remplir cette place. Ainsi il a esté beaucoup plus glorieux à Mr d’Aquin de l’emporter sur tant de personnes de merite. Le sien seul a sollicité pour luy, & l’on n’en doutera pas quand on songera que l’Election s’est faite le lendemain de la mort du feu Doyen. Mr d’Aquin est Frere de Mr d’Aquin, premier Medecin du Roy, & pendant tout le temps qu’il a esté Chanoine, il s’est acquis l’estime de ses Confreres, avec une distinction qui luy a fait meriter le choix qu’ils ont fait pour le mettre à leur teste. Mr Champin dont il remplit à present la place, s’estoit aussi acquis beaucoup d’estime parmy eux. Il estoit Cousin de Mr Talon, cy devant Avocat General, & presentement President à Mortier.

[Mort de Messire Estienne de Sainctot]* §

Mercure galant, janvier 1691 [tome 1], p. 274-276.

 

Messire Estienne de Sainctot. Il estoit de la Grand’ Chambre, & avoit esté receu Conseiller au Parlement en 1624. Cette Famille a donné des Officiers au Parlement de Paris, & plusieurs Maistres des Ceremonies de France, qui se sont tres-dignement acquitez des fonctions de leurs Charges sous le regne du feu Roy, & sous celuy de Loüis le Grand, ce que continue encore de faire aujourd’huy Mr de Sainctot, Maistre des Ceremonies. Mre Estienne de Sainctot, Abbé de Ferriere, receu Conseiller Clerc au Parlement en 1674. est de la mesme Famille. De Sainctot porte d’or à la face d’azur chargée en cœur d’une Fleur de Lys d’or, accompagnée de deux Roses de gueules en Chef, & d’une Teste de More bandée d’argent en pointe.

[Relation de Canada] §

Mercure galant, janvier 1691 [tome 1], p. 282-322 [extrait p. 320-322].

 

Le Dimanche 29, les rejoüissances furent faites à Quebec avec beaucoup d’appareil. Le grand Pavillon de l’Amiral, & un autre que Mr de Porneuf avoit pris à l’Acadie, furent portez à l’Eglise au son des Tambours. Mr l’Evesque y chanta le Te Deum, & l’on fit ensuite une Procession solemnelle en l’honneur de la Vierge, Patronne du Pays. Toutes les troupes estoient sous les armes. On a institué à perpetuité une Feste sous le nom de Nostre-Dame des Victoires, & l’Eglise que l’on a commencée à la Basse-Ville est dediée sous ce même nom, pour estre une marque éternelle de la protection que les François ont receuë du Ciel dans cette attaque. Le Feu de joye fut allumé à l’entrée de la nuit par Mr le Gouverneur, au bruit de plusieurs decharges du Canon & de la Mousqueterie, & l’on n’oublia pas à faire tirer plusieurs fois les Pieces qui avoient esté prises sur les Ennemis. Le 12. Novembre on aprit que les trois Navires François qui avoient paru à l’Isle aux Coudres, estoient entrez dans le Saguenay ; qu’aprés avoir veu passer devant eux la Flotte ennemie, ils estoient sortis de ce Fleuve, & qu’ils n’estoient pas loin de Quebec. Le Sieur François de Xavier y vint moüiller le 15. la Fregate nommée la Fleur de May, le 16. & le 17. le Glorieux. Toutes ces nouvelles ont esté apportées par Mr de Villebon, que Mr le Comte de Frontenac a depesché à la Cour. Il est venu dans un petit Bastiment qui a fait la traverse en cinquante-cinq jours, & qui arriva au Port Loüis le 19. de ce mois.

Air nouveau §

Mercure galant, janvier 1691 [tome 1], p. 332-333.

Je vous envoye un second Air nouveau dont les paroles sont de Mr Rabiet d'Antespine. Elles ont esté mises en chant par Mr Montailly.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Non, l'Hyver n'est plus, &c., doit regarder la page 333.
Non, l'hyver n'est plus en ces lieux.
Il est vray que nos prez ont perdu leur verdure,
Nos ruisseaux leur murmure,
Et nos Oiseaux leur chant delicieux.
Mais, belle Iris, quand j'y voy vos beaux yeux
Ranimer toute la nature,
La plus rigoureuse froidure
N'a plus pour moy rien de facheux.
images/1691-01_332.JPG

[Traduction des Offices de Cicéron par Philippe Goibaud-Dubois]* §

Mercure galant, janvier 1691 [tome 1], p. 335-337.

 

Mr du Bois, qui s’est acquis tant de gloire par son excellente traduction des Lettres de S. Augustin, nous a donné depuis peu de temps celles des Offices de Ciceron. Il l’a faite sur la nouvelle Edition Latine de Grœvius, & il l’a divisée comme luy par Chapitres, afin de soulager le Lecteur, avec des Sommaires à la teste de chaque Chapitre. Cette Traduction est fort estimée, & on peut tirer une fort grande utilité des Notes dont elle est accompagnée. Les plus importantes, pour me servir des termes qu’on trouve dans la Preface, sont celles qui vont à demesler & à rectifier certains sentimens de la Philosophie Payenne, où il y a quelque sorte de verité, mais qui ont besoin d’estre reduits aux principes de la Religion Chrestienne. Les autres ne sont que pour donner un plus grand jour à ce que la seule clarté de la Traduction ne pouvoit assez éclaircir, pour faire connoistre les lieux ou les actions dont Ciceron parle en beaucoup d’endroits de cet Ouvrage, & pour suppléer en d’autres certains faits, dont la connoissance est necessaire pour les bien entendre. Ce Livre se debite chez le Sr Coignard, ruë S. Jacques, à la Bible d’Or, & chez le Sr Guerout, Galerie neuve du Palais.