1691

Mercure galant, février 1691 [tome 2].

2017
Source : Mercure galant, février 1691 [tome 2].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, février 1691 [tome 2]. §

[Article curieux concernant un ancien Temple de Nismes] §

Mercure galant, février 1691 [tome 2], p. 7-32.

 

Vous avez connu, Madame, par plusieurs Articles de mes Lettres, que depuis le Regne de LOUIS LE GRAND, il ne s'est presque point bâti ou rétabli d'Eglise neuve, que ce Monarque ne se soit fait une gloire d'y contribuer ? Vous allez voir encore un effet de cette pieuse magnificence dans ce que je vais vous dire d'une Eglise de Nismes, que l'on a benite le mois passé. Celuy qui en a dressé l'Article, a raison de dire qu'il est pour les personnes devotes, & pour ceux qui aiment l'antiquité, puiqu'il y a de quoy, contenter la pieté des uns, & la curiosité des autres. C'est Mr Paulian, autrefois fameux Ministre, & presentement zelé Catholique, & fort estimé de toute la Ville. Voicy en quels termes il en parle.

On benit à Nismes le 26. Janvier une Eglise, qui ayant esté autrefois un Temple des Payens, a esté converty en une Maison sainte, consacrée à Jesus-Christ sous le nom de Roy des Rois. L'ancien Temple fut appellé par les Anciens eux-mesmes la Basilique de Plotine. Il y a eu un temps qu'il a porté le nom de Capdueil, qui est un mot corrompu de l'Italien Campidoglio, dont les Florentins se servent encore pour nommer le Capitole ; & aujourd'hui cet édifice n'est connu parmy le vulgaire que par sa forme, & s'appelle la Maison quarrée. [...] La consecration en fut faite par Mr l'Evesque de Nismes. Le merite de ce Prelat donnoit du poids à cette action de pieté. M. de Baville assista à cette Ceremonie avec tout ce qu'il y a dans Nismes de personnes distinguées. Il est certain, que lors que la Musique, qui estoit fort bonne, entonna ce Divin Cantique, Cantate Domino canticum novum : Chantez au Seigneur un Cantique nouveau, elle fit retentir la voûte de cette maison sanctifiée avec une si aimable surprise, que le coeur ne pût refuser ses tendresses, en une occasion où l'on voyoit consacrer à Jesus-Christ le Palais de sa demeure par des chants sacrez, ausquels les Anges toujours prests à loüer leur Createur joignent leur voix dans le sejour de la gloire ; & de cette maniere on vit reparer l'impieté de tant d'Himnes profanes, qu'on chanta, selon le temoignage de l'Antiquité, dans cette Basilique, lors qu'elle fut consacrée à la memoire de Plotine. [...]

Le Carnaval §

Mercure galant, février 1691 [tome 2], p. 69-83.

 

Le temps où nous sommes rend de saison la piece que vous allez lire. Elle est de Mr de Vin, dont tous les Ouvrages ont esté de vostre goust.

LE CARNAVAL.

 En bonnes gens Saturne & Rhée
 Dans leur Ciel vivoient à l’écart,
Et courbez sous leurs ans, ne prenoient plus de part
 Aux honneurs du vaste empyrée.
Là contens l’un de l’autre, & toujours de loisir,
Ils s’embarrassoient peu des affaires du monde,
Et se faisoient tous deux un sensible plaisir
De leur vieille tendresse, & de leur paix profonde.
Là ny bruit, ny procez ; là du fer, du poison,
Pour augmenter ses biens, pour perdre une Rivale,
On ne connoissoit point la fureur infernale ;
Tout s’y regloit au gré de la droite raison.
Comme des passions elle y domptoit la fougue,
La santé, la vigueur en faisoit les tresors,
Et l’on n’y couroit point aux Eaux d’Aix, ou de Pougue.
 Là de concert l’ame & le corps
Suivoient tranquillement l’ordre de la nature.
Là l’un sans cruditez, & l’autre sans chagrins,
Se passoit du secours & des remedes vains,
 D’Hypocrates & d’Epicure.
Là ny transports boüillans, ny rubarbe, ny bains.
 Là nulle adresse criminelle,
 Nuls envieux, nuls seducteurs
N’y tendoient des panneaux, n’y corrompoient les mœurs.
Là toujours l’amitié reciproque & fidelle
Parloit à cœur ouvert ; là se voyoit encor
Cette honneste pudeur de l’heureux Siecle d’or.
Là regnoient en un mot, sans trouble, sans malice,
La probité, la foy, la paix, & la justice.
 L’inconstance par tout ailleurs
Du plaisir le plus grand alteroit les douceurs.
Tel qui couroit aprés le fuyoit par caprice.
L’air mesme trop aisé dont il se produisoit
En émoussoit la pointe, y rendoit insensible,
 Et l’Ennemy le plus terrible
Qu’il eust, estoit l’excez que chacun en faisoit
On juge, on voit par-là quelle en est la manie,
 Et de là vint que les Dieux las
 Du Nectar & de l’Ambrosie
Ne trouvoient plus de goust dans leurs divins repas.
 En vain Silene de la treille
 Leur offre la liqueur vermeille,
Et, pour la rafraischir, sa neige & ses glaçons ;
 En vain Neptune ses poissons ;
 En vain & Vertumne & Pomone
Leurs fruits d’Esté, ceux de l’Automne ;
 En vain Pan son gibier ; en vain
 Cerés la blancheur de son pain,
Ils en sont dégoustez, & rien ne les contente.
Enfin Minerve la prudente
D’un air gay se leve, & leur dit,
J’ay veu quelquefois dans le monde
Des Princes rebutez de leur table feconde
Sur un morceau de bœuf retrouver l’appetit,
 Et nous pouvons, si bon vous semble,
Par des mets tout nouveaux nous regaler ensemble.
 Chez Saturne allons de ce pas ;
Il vit grossierement de méchante denrée,
Et, pour nous ragouster, mangeons-y jusqu’aux Chats
Qu’en guise de Lapins luy sert sa Femme Rhée.
Ce conseil fit trembler les jeunes delicats.
 Peu s’en fallut qu’ils n’en vomissent.
 A ce nom seul saisis d’horreur
 Venus & Phœbus en fremissent ;
 Ganimede en a mal au cœur ;
 Ce mignon du Lanceur de foudre,
Hebé, ny Cupidon ne pouvoient se resoudre
 A manger de ces Lapins-Chats,
 Et tous invectivoient tout bas
 Contre cette façon de vivre :
Mais bien moins friand qu’eux le redoutable Mars
 Jettant sur eux d’affreux regards
 Les força bien-tost de le suivre.
La partie arrestée, on veut l’executer.
Momus, toujours bouffon, dit lors à Jupiter,
Il faudroit chez Saturne aller en mascarade,
 Et nous déguiser à peu prés
De l’air que nous estions, quand du fier Encelade
Nous voulions éviter les traits.
Le plaisir en seroit plus piquant, & moins fade.
D’ailleurs, chez le bon homme on ne nous voit jamais :
Nous le laissons en proye à sa triste vieillesse,
Et sans mesme du moins cacher avec adresse
Le mépris trop honteux que nous faisons de luy,
 On le neglige, on l’abandonne,
Comme ces malheureux qui ne touchent personne.
 Que diroit-il donc aujourd’huy
 D’une visite si nouvelle ?
Qu’on traite, si l’on veut, cela de bagatelle,
 Ma raison, n’en déplaise aux sots,
 N’en sera pas pourtant moins bonne,
Et, sauf meilleur avis, il me semble à propos
 De prendre un pretexte. Bellone
Applaudit à Momus de la main & des yeux,
Et se joignant à luy, trouva bon que les Dieux
 Fissent passer cette partie
Sous la fausse couleur d’une galanterie.
Ainsi dit, ainsi fait. On se masque, l’on part,
Et suivant à la file un burlesque Etendart,
Toute leur troupe à pied, du dégoust qui l’obsede
 En folâtrant court chercher le remede.
 Le bon Saturne un peu surpris
 De cette folle Mascarade,
Ne s’en promit d’abord de la part de son Fils,
 Que quelque nouvelle incartade :
 Mais si-tost qu’il en eut appris
Le motif & la cause, il reprit ses esprits,
 Et leur faisant fort bonne mine
Les conduisit luy-mesme en sa maigre cuisine.
 Là poussez, soit par le succés
Qu’ils s’estoient tous promis du conseil de Bellone,
Soit par la faim qui lors leur fit sentir ses traits,
 Et qu’un peu d’exercice donne,
Soit par la nouveauté du mets ; là, dis-je, enfin
Jusques à s’arracher le morceau de la main,
Ils se ruerent tous, quelle qu’en fust la cause
 Sur un affreux gigot de Bœuf,
 Que Rhée avoit mis à la doze,
 Et Jupiter, plein comme un œuf,
 Jura qu’il n’avoit de sa vie
Avec tant d’appetit mangé de l’Ambrosie.
 Les Guignards & les Ortolans
Auroient esté pour eux moins doux, moins succulens.
Ils en léchoient leurs doigts, & jamais Sacrifice
 Ne fut au plus friand des Dieux
 Si touchant, si delicieux,
Que ce gigot de Bœuf assaisonné d’épice.
 Le grand Comus, Dieu des ragousts,
Ce Docteur en cuisine aux Noces de Pelée
Avoit bien moins flaté toutes sortes de gousts,
Et bien moins satisfait la divine Assemblée,
Que par là fit alors la bonne Femme Rhée.
Le croira-t-on ? Du Ciel ce fameux Assassin
Que Rome honora tant, & qui même au plus sain,
 N’ordonnoit pour toute recette
 Qu’une exacte & longue Diette,
Ne s’y ressouvint plus qu’il estoit Medecin.
 En un mot le celebre Guille,
 De nos Traiteurs le plus habile,
Et qui sçavoit si bien réveiller l’appetit,
Auprés d’elle peut-estre eust perdu son credit,
 Peut-estre moins réussi qu’elle
 A les guerir de leur dégoust,
Et peut-estre perdu cette gloire immortelle,
Qu’il s’est acquise en l’art de faire un bon ragoust.
 Il n’eust pas fait taster comme elle
 Des siens à la vieille Cibelle,
Car malgré sa froideur & le poids de ses ans,
La doze eut le secret de chatoüiller ses sens.
Loin de vouloir songer qu’elle est trop indigeste,
 Elle en gouste, & dans les assauts
Qu’à l’envi l’on luy livre, aidant les plus dispos,
 Tout s’en devore, & rien n’en reste.
 Pour tout dire, ces delicats
 Qu’avoient tant alarmé les Chats,
 Plus que les autres en mangerent.
 L’histoire dit qu’ils s’en saoulerent.
 Et qu’oubliant leur mal de cœur
Ils donnerent dessus d’une si grande ardeur,
Qu’à peine attendoient-ils que la viande fust cuite.
L’appetit leur tint lieu de sauce & de cuisson,
 Et ce mets fut trouvé si bon,
 Qu’enfin pendant trois jours de suite
On en continua l’agreable repas.
Le galant Apollon fit luy-mesme à sa gloire
Des Vers dont par malheur je ne me souviens pas,
Et pour en conserver la joye & la memoire,
Ce temps, à la vertu qui n’est que trop fatal,
 Se renouvelle chaque année ;
Ce temps fortuné, dis-je, aux Jeux, aux Ris, au Bal
Se passe, & tant que dure une triple journée
Le plus sobre Mortel le consacre au Regal.
 En faveur de l’Epoux de Rhée
On voulut de son nom le nommer Saturnal ;
On l’érige encor mesme en Feste solemnelle,
 Et ce temps plus que Bacchanal
Sans changer de destin comme de nom, s’appelle
Aujourd’huy LES JOURS GRAS, autrement CARNAVAL.

Air nouveau §

Mercure galant, février 1691 [tome 2], p. 83-84.

Les Vers que vous allez lire ont esté mis en air par l'Illustre Mr Lambert. Ce nom est un grand Eloge.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, La Paix estoit maistresse de mon cœur, doit regarder la page 83.
La Paix estoit maistresse de mon cœur,
Et je goustois le tranquille bonheur
De revoir sans changer les beaux yeux de Silvie.
Je croyois loin de moy l'amour & son tourment,
Mais j'éprouve aux dépens du repos de ma vie,
Que pour se rengager il ne faut qu'un moment.
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[Avis donné au Gouverneur par le Vicomte de Dundée]* §

Mercure galant, février 1691 [tome 2], p. 121-123.

 

Immediatement aprés, le Vicomte de Dundée donna avis au Gouverneur par le jeune Cokbron, Gentilhomme de qualité & de merite, que la Convention alloit sur le champ le faire sommer dans les formes par les Herauts avec leurs Cottes d’armes. Aussi-tost on entendit les Trompettes qui accompagnoient les Herauts. Le Gouverneur fit fermer les portes, & monta sur les murailles. Les Herauts approcherent de l’endroit où il estoit, & l’un d’eux leut à haute voix la sommation, par laquelle il luy estoit ordonné sur peine capitale de quitter incessamment le Chasteau, & l’on promettoit six mois de paye aux Soldats qui le prendroient prisonnier, ou qui livreroient le Chasteau.

[Proclamation faite au Prince d’Orange en qualité de Roi d’Ecosse]* §

Mercure galant, février 1691 [tome 2], p. 136-140.

 

Quelque temps aprés, on entendit dans la Ville beaucoup de bruit meslé de sons de Trompettes. Ceux qui étoient dans le Chasteau crurent que c’estoit une nouvelle sommation qu’on venoit faire au Gouverneur de se rendre, & il se trouva par la suite que c’estoit la Proclamation qu’on faisoit du Prince d’Orange en qualité de Roy d’Ecosse. Quelques gens malintentionnez contre le Gouverneur en ont pris occasion de le blasmer, de ce qu’il n’avoit pas fait tirer sur la Ville lors de cette Proclamation ; mais il luy est aisé de répondre à ce reproche. Premierement, ny le Gouverneur, ny les Officiers du Chasteau ne sçavoient pas au vray quel pouvoit estre le sujet de cette ceremonie. Secondement, le lieu de la Ville où on la faisoit estoit hors de la veuë du Chasteau, & couvert de plusieurs bastimens qui estoient entre deux. D’ailleurs, le devoir du Gouverneur estoit de défendre le Chasteau que le Roy luy avoit confié, & non pas de consumer inutilement la poudre & les boulets qu’il avoit en fort petite quantité ; & quand il auroit sceu ce qui se passoit, il auroit cru ne pas manquer en suivant l’exemple du General Ruthen, qui avoit défendu avant luy le Chasteau d’Edimbourg durant la Rebellion contre Charle I. & qui fut fait Comte de Brandefort pour ses bons & fidelles services. Il soutint le Siege durant un an contre la Ville, & cependant il ne tira ny sur la Ville ny sur la Maison du Parlement durant ce Siege, & sa conduite fut approuvée en cela plusieurs années aprés par le Duc de Lauderdal, alors grand Commissaire du Roy en Ecosse.

Avis à Timante §

Mercure galant, février 1691 [tome 2], p. 166-176.

 

Aprés une lecture aussi serieuse que celle de cette Relation, vous voudrez bien donner un moment à une galanterie, où vous trouverez de la nouveauté. Je n’en connois point l’Auteur ; je sçay seulement qu’elle a rejoüy tous ceux qui l’ont leuë.

AVIS A TIMANTE.

Favory du grand Mecene,
Recevez en bonne Estrenne
Un avis fort bon & beau
Que vous trouverez nouveau,
Qui vous rendra cette année
Toute heureuse & fortunée,
Si par vostre grand credit
Il en est fait un Edit.

Cela ne vous sera pas difficile dans la conjoncture presente, où nostre invincible Monarque, pour achever de vaincre ses Ennemis, cherche des moyens aisez de grossir ses Finances, & il n’en peut trouver de meilleur qu’en demandant de l’argent à ceux qui le donnent facilement & avec profusion.

On veut parler des Amans ;
Ils donnent en abondance
Et ne prouvent leurs sermens
Que par la belle dépense.
Par la liberalité
Une Maistresse adorable
Leur devient plus favorable.
Que par l’assiduité
On n’en voit plus d’assez folles
Pour résister aux pistoles,
L’or leur ouvre l’appetit,
Met la plus farouche en feste,
Et l’intervale est petit
Du don jusqu’à la conqueste.
On ne veut point vous citer
Danaé ny Jupiter,
Puis qu’il en est des exemples
Et plus recens & plus amples.

Or pour vous expliquer davantage l’avis dont je parle, il faudra proposer à nostre Victorieux Monarque d’interdire le commerce des amours dans son Royaume, pendant la guerre seulement, & d’exiger de tous les Amans durant ce temps-là, les dépenses qu’ils font pour leurs Maistresses. Il en tirera des sommes immenses sans leur oster leurs besoins, puis que la pluspart ne mettent à cela que leur superflu, & il ne sera question que de se priver pour un temps de leurs plaisirs.

 Hé, dans quel temps pourroient-ils faire
 Une plus loüable action ?
 Est-il rien de plus necessaire ?
 Est-il plus belle occasion
 De donner à ce grand Monarque
D’un zele sans mesure une sincere marque ?

Voilà donc un moyen certain de remplir plus d’un Tresor Royal, & comme il est plusieurs Amans qui ne font point ou peu de dépense en amour, soit par impuissance ou par avarice, il faudra obliger tous ces gens-là de prendre party dans les Armées de Sa Majesté ; en sorte que ceux qui ne grossiront point ses Finances, grossissent du moins ses Troupes, ce qui sera un avantage égal à ce Prince.

D’ailleurs n’est-on pas plus heureux
D’aller au chemin de la gloire,
Et de voir son nom dans l’Histoire
 Que d’estre un avare amoureux ?

Mais comme il arrivera sans doute, que plusieurs grosses Villes & Personnes considerables à nostre Monarque, ou mesme de sa Cour, luy presenteront des requestes en faveur des Amours, & pour estre exceptées de l’Edit que l’on propose, en ce cas il faudra que Sa Majesté ne leur accorde cette exception, qu’à condition que tous les Amans, & tous les Prevaricateurs des loix de l’Amour de l’un & de l’autre Sexe, payeront des taxes selon la qualité du crime, & suivant le tarif qui en sera reglé en son Conseil.

On taxera premierement
Le prix de chaque engagement,
Qui s’appellera droit d’entrée,
Et la taxe en sera reglée
Sur le pied de la qualité,
Du rang & de la faculté ;
Et puis tant pour une inconstance,
Tant pour une infidelité,
Tant pour une legereté,
Tant faute de perseverance,
Tant pour manquer un rendez-vous ;
Tant pour un injuste couroux,
Tant pour une humeur inégale,
Tant pour un mauvais intervale,
Car dans un amour delicat
Tout passe pour crime d’Etat ;
Tant pour un Amant qui préfere
Le Jeu, le Vin, la Bonne-chere,
La Chasse, ou bien d’autres plaisirs,
A voir l’objet de ses desirs ;
Tant faute d’une Serenade,
D’un Bouquet, d’une Promenade,
Et tant pour qui ne donnera
A l’Objet qui cause sa peine
La Comedie & l’Opera
Du moins une fois la semaine,
Cela s’entend pour les Iris
Qui font leur sejour à Paris ;
Tant aussi pour une Maistresse
Qui sera perfide & traistresse,
Qui prodiguera ses douceurs,
Et partagera ses faveurs ;
Tant pour tout cœur double & parjure
Qui viole un tendre serment ;
Tant pour un crime de rupture,
Tant pour un raccommodement ;
Enfin tant pour les infractaires
De toutes les loix de l’amour,
Dont on voit troubler les misteres
En son empire chaque jour.

Vous voyez presentement, genereux Timante, que cet Edit seroit admirable, & que vous en devez attendre de l’Illustre Mecene une récompense tres considerable pour vôtre droit d’Avis.

Et pour celles qui vous le donnent,
Vostre bon cœur en usera
De la façon qu’il luy plaira ;
A ce cœur elles s’abandonnent,
Sans attendre de leurs attraits
Dans la conjoncture opportune
Le soin de leur bonne fortune,
Et de leurs petits interests :
Car à trop peu vous seriez quitte
Ne regardant que leur merite.

[Description d’une nouvelle médaille]* §

Mercure galant, février 1691 [tome 2], p. 177-179.

 

Je reserve encore jusqu’au mois prochain à vous faire voir, selon ma coutume, les Jettons de cette année, afin de vous donner aujourd’huy la Medaille d’une des plus memorables actions du Regne du Roy. C’est le Combat Naval donné au Cap de Belvesier, où les Flotes Angloise & Hollandoise furent battuës & mises en fuite par celle de France, le 10. de Juillet de l’année derniere. Cette Victoire a fait connoistre à toute l’Europe que ces deux Nations s’attribuoient faussement l’Empire de la mer, qu’elles voudroient inutilement contester à leur Vainqueur. Vous verrez dans cette Medaille un revers d’un dessein correct & tres-bien executé. Le Roy en Neptune sur un Char, le Trident en main, pousse les Flotes d’Angleterre & de Hollande, dont chacune porte son Pavillon. Ces mots du premier de l’Eneide de Virgile sont autour. Maturate fugam. Illi Imperium Pelagi. L’application en est tres-heureuse, puis que les Anglois & les Hollandois luy cedent par leur fuite la domination de l’Ocean. On lit dans l’Exergue : Pugna ad Beveserium, Anglis, Batavis unà fugatis decimo Julii 1690.

[Histoire] §

Mercure galant, février 1691 [tome 2], p. 195-219.

 

Le hazard fait quelquefois arriver des choses qu’on croit impossibles, à ne regarder que les apparences. Un Cavalier d’un veritable merite, né parmy les graces, mais fort broüillé avec la fortune, devint amy d’une jeune Demoiselle, qui par sa beauté & par son esprit auroit pû toucher les plus insensibles. Elle avoit un bien assez mediocre, & vivoit contente avec sa Mere, qui luy souhaitant un Party avantageux, se tenoit fort reservée sur les visites qu’elle permettoit qu’on luy rendist. Ainsi sa maison estoit fermée à tous ceux qui pouvoient n’avoir que des douceurs à luy dire, & si elle consentoit à souffrir le Cavalier, c’estoit par un certain privilege qu’il s’estoit acquis d’estre bien venu par tout, non seulement par un agrément d’humeur qui le faisoit souhaiter dans le plus beau monde, mais parce que l’éloignement qu’il montroit pour tout ce qu’on peut appeller engagement, le rendoit sans consequence. Il estoit d’une Noblesse assez distinguée, & le Jeu dont il faisoit sa plus solide resource, luy fournissoit dequoy subsister. Cependant le merite de la jeune Demoiselle avoit fait sur luy des impressions si fortes, qu’il s’échapoit quelquefois jusqu’à luy dire, que malgré l’aversion qu’il avoit à s’engager, il sentoit bien que s’il s’estoit trouvé en estat de la rendre heureuse, il auroit voulu passer sa vie avec elle. La Belle luy répondoit en riant, qu’à cela prés il estoit assez son fait, mais que la raison estoit seule à consulter lors qu’il s’agissoit de mariage, & que la vie estant longue, & le cœur aussi sujet à s’user que toute autre chose, il n’y avoit rien de si dangereux que d’en croire le penchant. La sagesse de sa conduite, & ses belles qualitez le faisant toujours entrer plus vivement dans ses interests, il luy dit un jour, que puis qu’il ne pouvoit esperer de la mettre par luy-mesme dans la fortune qu’il luy souhaitoit, il vouloit tâcher d’y réussir par un autre, en luy amenant un de ses Parens, qu’il jugeoit capable d’en devenir amoureux, pour peu qu’elle prist soin d’employer les avantages que luy donnoit sa beauté. Ce Parent estoit un homme qui donnoit dans les grands airs, & qui estant déja maistre d’un bien tres-considerable, attendoit encore la succession d’un Oncle fort riche, qui devoit luy laisser dequoy soutenir avec éclat le nom de Marquis que l’ambition luy avoit fait prendre. Cette proposition charma la Mere, qui attendit avec grande impatience que le Cavalier s’acquitast de sa parole. Le Marquis leur fut amené peu de jours aprés, & vous pouvez croire qu’il eut tout sujet d’estre content des honnestetez qu’on eut pour luy. La Belle n’oublia pas de faire valoir tout ce qu’elle avoit de charmes, & il demeura si touché de ses manieres, qu’il ne put la voir sans souhaiter de la voir sans cesse. Ainsi ses soins furent assidus, & comme dans ses visites il n’estoit troublé par aucun Rival, il passoit des jours entiers auprés d’elle, avec un plaisir qui ne se peut concevoir. Le Cavalier estoit quelquefois de la partie, & ce qu’il disoit souvent au Marquis du vray merite qu’il luy connoissoit, ne servoit pas peu à flater sa passion. Si tost qu’on la crut assez violente pour ne risquer rien en l’engageant à se declarer, la Mere qui n’avoit pas moins d’esprit que d’adresse, ayant insensiblement conduit le discours sur le soin que l’on étoit obligé d’avoir de sa reputation, prit delà occasion de luy remonstrer qu’il y alloit de la gloire de sa Fille de ne pas donner matiere à de facheux contes, & que les visites qu’il luy rendoit estant remarquées, il falloit ou les finir, où faire connoistre quelle estoit la cause de tant d’assiduité. Le Marquis entierement charmé de la Belle, ne manqua pas de répondre qu’il n’avoit pour elle que des veuës fort legitimes, qu’il le feroit voir en l’épousant, mais que devant heriter d’un Oncle fort riche, qui ne consentiroit pas à un mariage où le seul merite de cette belle personne estoit à considerer, il estoit contraint d’attendre que la mort le mist en pouvoir d’executer ce qu’il estoit resolu de faire ; que cet Oncle estoit fort vieux, & mesme sujet à de grands maux, en sorte qu’il y avoit lieu de s’asseurer qu’il ne vivroit pas encore long-temps. Cette réponse ne satisfit pas tout à fait la Mere, qui ayant parlé au Cavalier, pressa de nouveau le Marquis en sa presence. Le Cavalier fut d’avis d’un mariage secret qui demeureroit caché du vivant de l’Oncle, mais les inconvenients que le Marquis y trouva, l’empescherent de se rendre, & enfin pour les convaincre de sa bonne foy, il proposa de faire cesser leur crainte, par une Promesse de mariage qu’il offrit de faire dans les termes les plus forts. La chose fut acceptée, & l’on resolut d’attendre la mort de l’Oncle. Le Marquis n’eut pas si-tost une entiere liberté de voir la Belle, qu’il en voulut abuser. Il crut que la Promesse qu’il luy avoit faite, le mettoit en droit d’en exiger quelques legeres faveurs, & le refus qu’elle luy en fit, estant regardé comme une marque de son peu d’amour pour luy, le porta à des reproches qu’elle repoussa avec d’autant plus d’aigreur, que ne trouvant rien qui luy plust dans sa personne, elle ne s’estoit resoluë à l’écouter que par la veuë seule de ses interests. Ce procedé peu respectueux commença à les broüiller, & la Belle en fut si fort irritée, que ne pouvant plus s’assujettir aux complaisances qu’elle avoit euës jusqu’alors, elle refusa de le voir un seul moment qu’en presence de sa mere. Une vertu si rigide ne put accommoder le Marquis. Il en fit ses plaintes & les voyant inutiles, il s’imagina que s’il luy rendoit des devoirs moins assidus, la crainte de le perdre pourroit l’obliger à prendre une autre conduite. Cet expedient luy plut, & il le mit en usage. Il passa cinq ou six jours sans aller chez elle, & cette retraite ne fit point l’effet qu’il en avoit attendu. Elle ne servit qu’à faire ouvrir les yeux à la Belle, qui le recevant ensuite avec beaucoup de froideur, porta insensiblement son indifference jusques au dégoust. Ainsi il eut beau continuer à la voir plus rarement, elle dédaigna de luy demander pourquoy il diminuoit ses empressemens, & la Mere seule luy en fit quelque reproche. Il s’excusa sur ce qu’on avoit averty son Oncle de ses frequentes visites, & qu’il se voyoit contraint de les retrancher, pour ne luy pas donner des soupçons qui luy pourroient estre préjudiciables. La Belle luy répondit fierement, que puis que cet Oncle trouvoit mauvais qu’il fit paroistre de l’attachement pour elle, le meilleur party qu’il eust à prendre estoit de l’abandonner pour le satisfaire. Le Marquis se tenant fort outragé de cette fiere réponse, cessa de la voir entierement, & le Cavalier l’ayant blasmée du peu de ménagement qu’elle avoit eu pour un homme qui la pouvoit mettre dans un rang considerable, elle luy fit voir qu’en l’éloignant elle ne perdoit que ce qu’il luy eust esté impossible de garder. En effet, toutes les démarches du Marquis faisoient trop connoistre qu’il ne luy avoit rendu des soins que dans l’esperance de surprendre sa foiblesse, si elle eust esté capable d’en avoir pour luy. Cette pensée luy donna une si forte indignation, que comme elle avoit autant de fierté que de vertu, elle voulut que le Cavalier luy reportast sa Promesse, afin qu’il ne la crust pas d’un caractere à vouloir tirer quelque avantage de l’engagement où il s’estoit mis. Le Cavalier luy resista fort longtemps, & se vit enfin contraint d’emporter cette Promesse, qu’elle l’engagea de rendre au Marquis. Il luy dit le lendemain qu’il l’avoit remise entre ses mains, & ne laissa pas de la garder, jugeant à propos d’en estre toujours le maistre, afin qu’elle luy servist à donner au moins de l’inquietude à son Parent dans l’occasion, s’il n’en pouvoit faire un meilleur usage. Il arriva quelques jours aprés que l’Oncle se mit en teste de marier le Marquis. Il jetta les yeux sur une jeune Heritiere qui avoit beaucoup de bien, & dont le Tuteur estoit son meilleur Amy. Il n’eut pas de peine à le gagner, mais la pluspart des autres Parens luy resisterent. Ils s’interessoient pour un Gentilhomme qui estoit pour elle un Party considerable, & aprés qu’on eut fait joüer toutes sortes de retours, il fut impossible de les faire consentir à ce mariage, à moins que l’Oncle ne se resolust â faire une avance de cent mille écus à son Neveu. Il agréa la condition, & le Marquis fut dans une joye qu’on ne sçauroit exprimer. Rien ne luy pouvoit estre plus avantageux que cette affaire, qui luy assuroit cent mille écus sur le bien de l’Oncle, & luy donnoit une Femme qui luy apportoit de tres-belles Terres. Si-tost qu’on eut reglé les articles, le Cavalier prit son temps pour demander au Marquis comment il croyoit se pouvoir tirer d’affaire avec la Belle. Il l’assura que sa resolution étoit de s’opposer à son mariage, & luy fit comprendre qu’il devoit tout craindre de l’éclat qu’elle feroit, puis que les Parens de sa nouvelle Maistresse ne demandoient qu’un pretexte pour rentrer dans le Party qu’on les avoit forcez de quitter. Le Marquis s’inquieta, & jugeant qu’il luy estoit d’une tres-grande importance de remedier à cet embarras, il pria le Cavalier d’employer toutes sortes de moyens pour retirer sa Promesse. Le Cavalier luy fit croire pendant quelques jours, qu’il ne falloit esperer aucun accommodement, la Belle estant obstinément resoluë de le poursuivre ; & enfin comme s’il eust remporté quelque signalée victoire, il luy vint dire avec de grandes marques de joye, qu’il l’avoit fait consentir à luy rendre sa Promesse pour une certaine somme, mais il la porta si haut que le Marquis en fut effrayé. Aprés plusieurs allées & venuës que le Cavalier feignit de faire, elle fut reglée à dix mille écus. Le Marquis ne les donna pas sans beaucoup de repugnance, mais ce qu’il gagnoit par là estoit si considerable, qu’il crut devoir finir promptement. Les dix mille écus furent payez, & le Cavalier rendit la Promesse. Sitost qu’il eut receu cet argent, comme il estoit fort heureux au jeu, il voulut hazarder tout à la fois trois ou quatre mille francs qu’il avoit gagnez en plusieurs rencontres, & la fortune qui l’avoit déja favorisé fut si constante pour luy, qu’en moins de huit jours elle luy donna cinq à six mille pistoles. Cela joint à ce qu’il avoit touché du Marquis, faisoit une somme assez importante. Il voulut joüir de son bonheur, & estant allé trouver la Belle, il luy demanda si sa personne luy pourroit estre agréable avec trente mille écus en argent comptant, dont elle disposeroit pour telle Terre qu’elle voudroit luy faire acheter. La Belle écouta d’abord cette proposition comme une plaisanterie, mais quand en luy parlant serieusement, il luy eut appris ce que la fortune avoit fait pour luy, elle l’assura qu’en l’obtenant de sa Mere, il ne devoir craindre aucun refus de sa part. La Mere qui luy avoit obligation des avantages qu’il avoit tâché de procurer à sa Fille, luy en montra sa reconnoissance en luy accordant le consentement qu’il luy demanda. Il ne cacha pas ce qu’il avoit fait touchant la Promesse, & toutes deux se consolerent sans peine de la perte du Marquis, dont le mariage n’est point encore fait. Il est traversé par son Rival qui fait agir contre luy une Puissance assez redoutable, tandis que le Cavalier gouste avec la Belle toutes les douceurs qui accompagnent une parfaite union.

Les deux Chevres, Fable §

Mercure galant, février 1691 [tome 2], p. 237-240.

 

La Fable qui suit vous doit paroistre agréable & par sa morale, & par l’heureux tour que l’Auteur luy a donné.

LES DEUX CHEVRES,
FABLE.

 Les Chevres ont une proprieté,
 C’est qu’ayant fort long-temps brouté
Elles prennent l’essor, & s’en vont en voyage
 Vers les endroits du pasturage
 Inaccessibles aux Humains.
 Est-il quelque lieu sans chemins,
Quelque Rocher, un Mont pendant en precipices,
Mesdames s’en vont là promener leurs caprices,
Rien ne peut arrester cet Animal grimpant.
 Deux Chevres donc s’émancipant,
 Toutes deux ayant patte blanche,
Quitterent certain Pré ; chacune de sa part
L’une vers l’autre alloit pour quelque bon hazard.
Un Ruisseau se rencontre, & pour Pont une planche,
Deux Bellettes à peine auroient passé de front
  Sur ce Pont.
D’ailleurs, l’onde rapide, & le Ruisseau profond,
Devoient faire trembler de peur nos Amazones.
Malgré tant de dangers l’une de ces personnes,
Pose un pied sur la planche, & l’autre en fait autant.
Je m’imagine voir avec LOUIS LE GRAND,
 Philippe quatre qui s’avance
 Dans l’Isle de la Conference.
 Ainsi s’avançoient pas à pas,
 Nez à nez, nos Avanturieres,
 Qui toutes deux estant fort fieres,
Sur le milieu du Pont ne se voulurent pas
L’une à l’autre ceder, ayant pour Devancieres,
L’une, certaine Chevre au merite sans pair
Dont Polypheme fit present à Galatée,
Et l’autre, la Chevre Amalthée
 Par qui fut nourry Jupiter.
Faute de reculer ; leur cheute fut commune,
 Toutes deux tomberent à l’eau.
 Cet accident n’est pas nouveau
 Dans le chemin de la fortune.

Air nouveau §

Mercure galant, février 1691 [tome 2], p. 240-241.

Je ne doute point que vous ne chantiez avec plaisir les paroles que vous allez lire, puis qu'elles ont esté mises en air par un Musicien fort celebre.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Mon aimable Silvie, &c., doit regarder la page 240.
Mon aimable Silvie
M'assure chaque jour
Qu'elle est sensible à mon amour,
Et qu'elle m'aimera le reste de sa vie.
Mais si j'ay flechy sa rigueur,
N'est-ce point un effet de ma perseverence,
Et dois-je tout à la reconnoissance,
Et rien au panchant de son cœur.
images/1691-02_240.JPG

Tiridate, Tragedie nouvelle §

Mercure galant, février 1691 [tome 2], p. 241-244.

 

Quoy qu'un grand nombre d'excellentes Pieces de Theatre que nous ont laissées d'illustres Auteurs, soient d'avantageux modelles pour ceux qui veulent travailler avec succés à ces sortes d'ouvrages, tous les sujets sont tellement épuisez, qu'il est difficile d'en faire aujourd'huy qui ayent quelque chose d'assez nouveau pour attacher l'auditeur. Malgré ces difficultez, Mr de Capistron vient de noues donner une Tragedie dont tout Paris est charmé. Elle est intitulée Tiridate, & faite avec tant d'esprit & un si grand art, qu'il a trouvé les moyens de faire naistre de la compassion pour un Prince, dont l'amour doit faire horreur. Tous ses sentimens qui sont pathetiques & d'honneste homme, font qu'on se trouve forcé de le plaindre, lors qu'il parle d'une passion qu'il ressent avec une extrême violence, & qu'il se plaist à nourrir dans le mesme temps qu'il la condamne. Les situations où ce malheureux Amant se trouve, ont je ne sçay quoy de si touchant, qu'il est impossible de ne pas entrer dans ses interests. Les nombreuses assemblées qui se trouvent aux représentations de cette Piece sont une marque du plaisir que l'on y prend. Le jeu des Acteurs en donne un nouveau. Sur tout, Mr le Baron y soutient son rôle d'une maniere si aisée & si naturelle, & avec un art qui sent si peu l'art, qu'il est admiré des plus difficiles.

Enigme §

Mercure galant, février 1691 [tome 2], p. 293-294.

ENIGME.

Si j'ay quelque agrément, ce n'est point par ma graisse,
Je suis fort maigre, & prens peu d'aliment,
Celuy qui me le donne en reçoit largement,
Mais sans m'oüir gronder, jamais il ne m'en laisse.
Aussi mon foible corps de moment en moment
Est agité par quelque tremblement,
Et si je me trouvois par malheur à la presse,
Mon ame quitteroit bien-tost son logement.
Cependant je me donne aux plaisirs de la vie,
Ceux de l'Amour sont souvent mon employ,
Et quand je fais quelque partie
Pour d'autres passetemps, je me fais une loy
De triompher de la melancolie,
Et de bien divertir ceux qui sont avec moy.
Estant ainsi dans la réjouissance,
Je rens le sommeil sans puissance
Et passe gayement la nuit.
Le jour tout habillé je repose à merveille,
Et dans ce temps, si quelqu'un me réveille,
J'en faits assurement du bruit.

[Mort du sieur Aston] §

Mercure galant, février 1691 [tome 2], p. 295-303.

 

De quelque adresse que se serve un Usurpateur, & quelques forces qu’il ait en main, il est impossible qu’il vienne à bout de regner, ny tranquillement, ny seurement. Il a beau employer tout son esprit, & tous les stratagêmes imaginables pour faire voir qu’il est legitime possesseur de la Couronne qu’il a usurpée, il ne peut y réussir, & tout l’art de la politique la plus rafinée, n’a pû encore y faire parvenir ceux qui ont monté sur le Trône par des voyes illegitimes. Quand ces grandes revolutions se font, & que le Party des Traistres prévaut dans un Etat, les Sujets fidelles sont obligez de dissimuler, & de laisser passer ce torrent dont la rapidité les accableroit ; mais quand l’Etat commence à paroistre plus tranquille, & que le Tiran semble joüir, c’est alors qu’il a tout à craindre, & qu’il s’éleve de tous costez des orages contre luy. La plus saine partie de ce mesme Etat, qui dans le cœur est demeurée fidelle à son Prince, songe à prendre ses mesures pour éclater, & pour faire voir que l’Usurpateur n’a pas dit vray quand il a voulu faire croire qu’il regnoit d’un consentement unanime, & que la Nation luy avoit offert un Trône qu’il s’estoit fait offrir par des Traistres, qui l’emportoient, non par le nombre, mais parce qu’ils avoient les armes en main. C’est alors que cet Usurpateur se trouve dans une situation bien embarassante. S’il laisse agir les Sujets fidelles, il est perdu, & s’il les fait condamner, leur condamnation fait voir qu’il n’est pas vray qu’il regne du consentement de toute la Nation. Cependant il croit les devoir sacrifier à sa seureté, & ce sacrifice a fort souvent un effet contraire. Le grand Corneille a touché admirablement cet endroit dans son excellente Tragedie de Cinna, lors qu’il fait dire à Auguste, en parlant de ceux qui avoient conspiré contre luy ;

Une teste coupée en fait renaistre mille,
Et le sang répandu de mille Conjurez,
Rend mes jours plus maudits, & non plus assurez.

C’est ce que va faire la mort du sieur Jean Ashton, qui fut executé à Londres le 7. de ce mois. Le sang du juste donnera aux fidelles Sujets la force de se declarer. L’Usurpateur se croira obligé d’en faire encore répandre, & la source n’en tarira point. Vingt hommes de marque executez font soulever vingt Familles contre un Tiran, & ces vingt Familles, non seulement composent souvent une bonne partie d’un Etat, mais elles sont alliées à cent autres, qui entrent dans leurs interests, de sorte qu’un Usurpateur voit tout à craindre. Tout luy devient suspect, il fait arrêter, il fait executer, & chaque teste coupée en fait renaistre un grand nombre d’autres qu’il ne luy est pas facile d’abatre. Il ne garde plus de mesures, & le sang des innocens reprochant aux traîtres l’infidelité qui les noircit, justifie la Nation, & fait connoistre qu’elle a de bon sang, qu’elle n’est pas coupable, & que les Rebelles pour couvrir leurs perfidies leur ont faussement imputé leurs crimes. La mort du Sieur Asthon va commencer à produire tous ces effets, & le sang de la Nation qui se répandra, empêchera le Prince d’Orange de joüir tranquillement du fruit de ses attentats, & peut-estre mesme d’en joüir longtemps. Je ne doute point qu’avant que vous receviez cette Lettre vous n’appreniez la destinée de Milord Preston, puis que le Courrier qu’on avoit depesché à la Haye pour faire sçavoir sa condamnation à ce Prince, & pour recevoir ses ordres, doit estre de retour il y a déja du temps. Comme l’Histoire ne nous fait rien voir de la nature de son Usurpation, ny qui puisse estre mis en balance avec les manieres dont il la soustient, tout ce qui regarde sa vie merite que l’on en parle avec une entiere connoissance. C’est ce qui m’oblige à differer jusques au mois prochain à vous entretenir de son Voyage en Hollande, mais j’espere vous en pouvoir alors parler amplement, & je commenceray par son départ d’Angleterre.

J’attendray aussi jusqu’à ce temps là à vous parler du Mariage de Mr le Prince de Turenne & de Mademoiselle de Ventadour, qui ne s’est fait que depuis trois jours. Je suis, Madame, Vostre, &c.

A Paris, ce 28. Février 1691.

[Vente du second volume des Satires de Juvénal]* §

Mercure galant, février 1691 [tome 2], p. 303-304.

 

Le second Volume des Satyres de Juvenal traduites en vers François par Mr le President de Silvecane, se debite presentement, & on le trouve aussi bien que le premier chez le Sr Pepie ruë Saint Jacques, & chez le Sr Guerout, Galerie-Neuve du Palais. Ce Livre est accompagné de remarques tres-curieuses.