1691

Mercure galant, septembre 1691 [tome 9].

2017
Source : Mercure galant, septembre 1691 [tome 9].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, septembre 1691 [tome 9]. §

Avis §

Mercure galant, septembre 1691 [tome 9], p. [I-IV].

 

AVIS.

Quelques prieres qu’on ait faites jusqu’à present de bien écrire les noms de Famille employez dans les Memoires qu’on envoye pour ce Mercure, on ne laisse pas d’y manquer toûjours. Cela est cause qu’il y a de temps en temps quelques-uns de ces Memoires dont on ne se peut servir. On reïtere la mesme priere de bien écrire ces noms, en sorte qu’on ne s’y puisse tromper. On ne prend aucun argent pour les Memoires, & l’on employera tous les bons Ouvrages à leur tour, pourveu qu’ils ne desobligent personne, & qu’il n’y ait rien de licentieux. On prie seulement ceux qui les envoyent, & sur tout ceux qui n’écrivent que pour faire employer leurs noms dans l’article des Enigmes, d’affranchir leurs Lettres de port, s’ils veulent qu’on fasse ce qu’ils demandent. C’est fort peu de chose pour chaque particulier, & le tout ensemble est beaucoup pour un Libraire.

Le sieur Guerout qui debite presentement le Mercure, a rétably les choses de maniere qu’il est toûjours imprimé au commencement de chaque mois. Il avertit qu’à l’égard des Envois qui se font à la Campagne, il fera partir les paquets de ceux qui le chargeront de les envoyer avant que l’on commence à vendre icy le Mercure. Comme ces paquets seront plusieurs jours en chemin, Paris ne laissera pas d’avoir le Mercure longtemps avant qu’il soit arrivé dans les Villes éloignées, mais aussi les Villes ne le recevront pas si tard qu’elles faisoient auparavant. Ceux qui se le font envoyer par leurs Amis sans en charger ledit Guerout, s’exposent à le recevoir toûjours fort tard par deux raisons. La premiere, parce que ces Amis n’ont pas soin de le venir prendre si-tost qu’il est imprimé, outre qu’il le sera toujours quelques jours avant qu’on en fasse le debit ; & l’autre, que ne l’envoyant qu’aprés qu’ils l’ont leu, eux & quelques autres à qui ils le prestent, ils rejettent la faute du retardement sur le Libraire, en disant que la vente n’en a commencé que fort avant dans le mois. On évitera ce retardement par la voye dudit Sieur Guerout, puis qu’il se charge de faire les paquets luy-mesme & de les faire porter à la poste ou aux Messagers sans nul interest, tant pour les Particuliers que pour les Libraires de Province, qui luy auront donné leur adresse. Il fera la mesme chose generalement de tous les Livres nouveaux qu’on luy demandera, soit qu’il les debite, ou qu’ils appartiennent à d’autres Libraires, sans en prendre pour cela davantage que le prix fixé par les Libraires qui les vendront. Quand il se rencontrera qu’on demandera ces Livres à la fin du mois, il les joindra au Mercure, afin de n’en faire qu’un mesme paquet. Tout cela sera executé avec une exactitude dont on aura tout lieu d’estre content.

[Prelude, contenant tout ce qui s’est passé à l’Academie Françoise le jour de la Feste de Saint Loüis] §

Mercure galant, septembre 1691 [tome 9], p. 7-23.

 

Que de choses, Madame, j’aurois à vous dire de nostre Auguste Monarque, si j’entreprenois de vous rapporter tout ce qui fut dit à sa gloire le jour de la Feste de S. Loüis ! Toutes les Chaires retentirent de son Eloge, & la conformité qui se trouve entre les merveilles de sa vie, & celles de ce Saint Roy ayant donné lieu à tous les Predicateurs d’étaler leur Eloquence, il n’y en eut point qui ne fist connoistre que faire le Panegyrique de l’un c’estoit travailler à celuy de l’autre. Mr l’Abbé de Montelet, qui prescha ce jour là dans la Chapelle du Louvre, où Mrs de l’Academie Françoise celebrerent cette grande Feste selon leur coutume, ne laissa pas échaper une si favorable occasion de faire ce glorieux paralelle. Il monta en Chaire aprés que Mr l’Abbé de Lavau, l’un des quarante de cette celebre Compagnie, eut dit la Messe, pendant laquelle Mr Oudot fit entendre à son ordinaire, une excellente Musique de sa composition. Mr l’Abbé de Montelet prit pour son texte ces paroles du septiéme Chapitre d’Esdras, Benedictus Dominus Deus Patrum nostrorum, qui dedit hoc in corde Regis, ut glorificaret nomen Domini, & fit voir que S. Loüis n’avoit particulierement estime le titre de Roy, que pour glorifier dans son cœur ce Dieu dont il tenoit sa puissance, & pour luy faire rendre dans tout son Royaume le culte soumis qui luy est dû. L’aprésdînée de ce mesme jour, Mrs de l’Academie Françoise tinrent une Assemblée publique pour la distribution des Prix. Elle fut ouverte par Mr le Marquis de Dangeau, qui en est presentement le Directeur, & qui déclara qu’on avoit appris que la piece que la Compagnie avoit jugée digne de remporter celuy de l’Eloquence, avoit esté faite par Mr de Clairville, jeune Gentilhomme de Rouën ; & que l’Ouvrage qui avoit merité celuy de la Prose, estoit de Mademoiselle Bernard, aussi de Rouën, ce qui n’estoit pas desavantageux à la Normandie. Ces deux Pieces furent leuës par Mr l’Abbé Tallemand le jeune, avec l’applaudissement d’une nombreuse Assemblée, dont les loüanges confirmerent le jugement qu’avoit fait l’Academie. Mademoiselle Bernard vous estoit déja connuë par Eleonor d’Yvrée, & par le Comte d’Amboise, qui sont deux Ouvrages en Prose, où vous n’avez pas moins admiré la finesse des pensées, que la delicatesse de l’expression. La Tragedie de Laodamie, & celle de Brutus de l’hyver dernier, l’ont fait paroistre une Rivale tres dangereuse pour tous ceux qui s’attachent au Theatre. Le sujet que l’Academie avoit donné pour le Prix de Vers qu’elle vient de remporter, estoit que de tous les Souverains de l’Europe le Roy est le seul qui soutient le droit des Rois. Elle avoit donné pour sujet de Prose, le zele de la Religion, par rapport à ces paroles, Zelus domus tuæ comedit me. Mr de Clairville a traité cette matiere d’une maniere vive & tres éloquente, en faisant voir que le zele d’une Religion établie pour la gloire de Dieu, & pour le salut des hommes, est ce qu’il y a de plus glorieux & de plus necessaire au Chrestien. Aprés avoir prouvé ces deux veritez, il conclut avec beaucoup de raison, que si c’est une necessité à tous les Chrestiens d’estre zelez pour la Religion, nous y sommes particulierement obligez, comme Sujets d’un Royaume consacré à la défense de l’Eglise, par la pieté du grand Monarque qui le gouverne. Quel Prince, dit-il, a mieux merité que luy le glorieux titre de Tres-Chrestien ? Nous avons en son Auguste Personne un modelle parfait du zele de la Religion, & une preuve sensible de la grandeur & de la felicité qui en sont inseparables. Ce grand Prince allume luy seul le zele de tous les Ouvriers Evangeliques de son Royaume. Par luy nous voyons les saintes Loix en vigueur, l’Eglise florissante, l’impieté reduite à feindre ou à se cacher, l’Heresie détruite, la Foy du vray Dieu triomphante aux extrémitez du Monde. Pour faire voir toute l’étenduë de son zele, il faudroit parcourir toutes ses actions. En luy les Vertus Chrestiennes sont honorées par les Royales, & les Vertus Royales sont consacrées par les Chrestiennes. Ses Armes sont celles, de la justice, ses Victoires celles de Dieu. Combien de fois l’a-t-on vû sacrifier ses ressentimens à la paix de l’Eglise ? Que de vigilance à conserver la pieté de sa discipline ! Que d’ardeur à réunir à la veritable créance ceux de ses Sujets que l’erreur & la prévention en avoient separez ! Mais s’il fut toujours l’appuy le plus ferme de la Religion, aujourd’huy que les propres Enfans de l’Eglise la persecutent, & qu’ils se liguent avec la Rebellion & l’impieté pour l’opprimer, on le voit seul fidelle foudroyer cet amas monstrueux de Puissances, vanger les interests du vray Dieu trahis, & le dédommager, pour ainsi dire, par un redoublement de zele & de pieté de l’infidelité de toute l’Europe. Ne soyons pas surpris aprés cela si un grand Roy persecuté pour la Religion, ne trouve un azile & un vangeur que dans le seul Prince qui la protege. Honorons dans le plus Chrestien des Rois l’Esprit Saint dont il est visiblement remply, & ne nous étonnons plus ny du merveilleux de ses actions qui se ressentent de la majesté du Dieu qui le fait agir, ny de l’immensité de sa gloire, qui est l’ouvrage du Ciel, parce qu’elle est une récompense de son zele. Mais si la pieté de Loüis éleve sa grandeur au dessus de celle de tous les hommes, elle luy donne encore cette moderation Chrestienne, qu’il est luy-mesme au dessus de sa grandeur ; car il est le seul que sa gloire n’ébloüit point. Comme il ne cherche qu’à établir le regne de Dieu, il la luy rapporte toute entiere, & voilà ce qui la consomme, parce que Dieu se plaist à faire rejallir avec plus d’éclat sur ce Prince fidelle & reconnoissant la gloire qu’il luy renvoye. Quelle foule, quel enchaisnement, quel redoublement continuel de prodiges & de prosperitez que sa vie ! On voit les vertus, la grandeur, la majesté, la gloire de tous les Heros réunies avec un nouveau lustre en luy seul, & dans son Royaume, la splendeur & la felicité de tous les siecles. En vain une jalouse fureur arme les Nations contre luy. Il a cette glorieuse conformité avec la Religion qu’il défend, que sa gloire devient plus brillante par les efforts que ses Ennemis font pour l’obscurcir. Sa felicité redouble par celle dont il fait joüir ses Sujets. Comme l’infidelité des Princes a souvent attiré des calamitez sur les Peuples, la justice & la fidelité de nostre pieux Monarque se répandent sur nous. Sa puissance qui punit, qui desespere nos Ennemis, nous protege, nous comble de gloire. Les guerres sont un fleau pour eux seulement, & pour nous seuls une source de benedictions & de triomphes. Sous luy enfin tous les desordres sont abolis. Les Loix sont aussi saintes que sa sagesse inspirée de Dieu. On voit regner en tout temps & en tous lieux la vertu, l’ordre, la tranquillité, l’abondance, & son zele est le fondement de la felicité publique. Quel avantage, quel bonheur pour nous de vivre sous un tel Roy ! Nos Autels retentissent de nos actions de graces continuelles, & de nos vœux toujours redoublez pour sa conservation. Mais en mesme temps ne devons nous pas redoubler nostre estime pour le zele de la Religion, seul principe de la grandeur de ce Royaume & de nostre felicité ? Quelle obligation pour nous de profiter d’un exemple si rare & si puissant, & de nous rendre dignes par là d’un Prince qui nous est si cher & si necessaire !

Aprés la lecture de ces deux Ouvrages, Mr de Boisquillon, l’un des Academiciens de Soissons, leut un Panegyrique du Roy, qu’il avoit apporté comme un tribut que doit cette Academie à l’Academie Françoise, qui a fait association avec elle. Cela fait, Mr le Clerc qui a donné au Public il y a déja longtemps la traduction des cinq premiers Chants de la Jerusalem du Tasse, leut environ vingt Strophes d’un de ceux qu’il n’a point encore fait imprimer, & l’on y trouva ce feu agreable qu’on voit répandu dans tour ce qui est de luy. Mr Perrault regala ensuite la Compagnie d’une lecture de son Poëme de la Patience de Griselidis, qui fut faite par Mr l’Abbé de Lavau. Les vives descriptions dont ce Poëme est plein luy attirerent beaucoup d’applaudissemens, & tout le monde sortit extremement satisfait de cette Assemblée.

Romulus. Chant Royal §

Mercure galant, septembre 1691 [tome 9], p. 52-60.

 

Je vous ay déja parlé plusieurs fois des Jeux Floraux, qui sont si celebres à Toulouse, & vous ay entretenuë de leur Institution. Mr de Cironis-Baufort, Fils de Mr de Cironis, Sr de la Bastide, President au Parlement de Languedoc, un des plus beaux genies de son temps, aprés avoir eu le Prix du Soucy dans l’une des dernieres années, vient encore de l’emporter ; ce qui l’a fait recevoir Juge Mainteneur de cette Illustre Academie. Voicy le Chant Royal qu’il a fait, & qui a esté trouvé digne de ce Prix. Ne soyez pas surprise de voir rimer Univers avec Lauriers, & Guerriers. La prononciation ordinaire de cette Province, fait recevoir ces rimes pour bonnes.

ROMULUS.
CHANT ROYAL.

Amour fait tout ceder à sa douce puissance,
Il range sous ses loix le Prince & le Pasteur.
Il n’est point de sagesse, il n’est point de prudence,
Qui puisse resister à ce charmant Vainqueur.
Rome doit à l’Amour sa naissance éclatante,
Et de ses trais brûlans la force surprenante
Soûmit le cœur d’un Dieu qui bravoit les dangers ;
C’est peu que Mars luy cede au milieu des Lauriers ;
Il faut qu’à ses desirs Rhée à l’envy réponde,
Et qu’elle mette au jour, pour regir l’Univers,
 Le Heros fondateur de l’Empire du Monde.
***
 L’injuste Amulius, de qui la violence
Du Trône des Albains l’avoit fait ravisseur,
Du jeune Romulus persecutoit l’enfance
Pour s’assurer le prix de sa lâche fureur.
En vain il veut le perdre, & les efforts qu’il tente,
Secondent mal ses vœux, & trompent son attente,
Ses desseins sont en butte à de tristes revers,
Le Tibre se refuse à ses desirs pervers :
Quand un frêle Berceau, qui flote au gré de l’Onde,
Conserve sur le bord des abîmes ouverts
 Le Heros fondateur de l’Empire du Monde.
***
 Voy du Ciel irrité la juste providence,
Pour ton lâche forfait les Dieux ont de l’horreur,
Toûjours des innocens ils prennent la défense,
Cruel Amulius, tremble, & fremis de peur.
Contre les coups certains de leur main foudroyante
De tes vaillans Soldats l’ardeur est impuissante ;
Aprés avoir forcé mille obstacles divers,
Romulus soumetra les peuples les plus fiers,
Et renversant l’espoir où ta rage se fonde,
Donnera pour modele aux plus fameux Guerriers
 Le Heros fondateur de l’Empire du Monde.
***
 C’étoit peu qu’exerçant une juste vangeance,
Romulus triomphât de son persecuteur,
Pour élever encor sa gloire, & sa vaillance,
Il faloit que de Rome il fût le fondateur.
Aprés avoir bâti cette Ville importante
Contre luy vainement le Sabin, le Veiente,
Soulevent, & Voisins, & Peuples étrangers ;
Comme un Fleuve grossi du tribut des Hivers,
Ne trouve point de champs que son torrent n’inonde,
Tel paroît enfonçant leurs Escadront entiers
Le Heros fondateur de l’Empire du Monde.
***
 Il n’est rien qui ne plie, & dont la resistance,
Retarde un seul moment l’effet de sa valeur.
Acron par son trépas en fait l’experience,
Et loin de l’abaisser, rehausse sa splendeur.
Enfin des Immortels la Troupe impatiente
Veut ôter aux humains cette vertu brillante,
L’arbitre de la Terre, & la terreur des Mers.
Tandis que l’on entend par de divins concerts
Celebrer ses exploits, sa sagesse profonde,
On voit au rang des Dieux, élevé dans les airs
 Le Heros fondateur de l’Empire du Monde.

ALLEGORIE,
au Prince de Galles.

Un Prince infortuné, qu’une Ligue insolente
Fit exposer aux flots d’une Mer écumante,
Par la main de LOUIS verra bien-tôt aux fers
Ses Ennemis vaincus, & de honte couverts,
Et nous verrons sa vie en prodiges feconde
Surpasser par sa gloire, aprés cent maux soufferts,
 Le Heros Fondateur de l’Empire du Monde.

Ce Chant Royal est accompagné de plusieurs autres Ouvrages, que Mr de Cironis a fait imprimer sous le titre du Triomphe du Soucy, & qu’il a dédiez à Mademoiselle de Castelnau, Fille de feu Mr le Marquis de Castelnau, Mestre de Camp d’un Regiment, & Gouverneur de Brest, Fils de Mr le Maréchal de Castelnau, Capitaine general des Armées du Roy, & du costé de Madame sa Mere, Petite fille de Mr le Maréchal Foucaut, Vice-Amiral de France.

Air nouveau §

Mercure galant, septembre 1691 [tome 9], p. 60-61.

Les paroles que vous allez lire ont esté mises en chant, par Mr Hurel, qui est dans une haute réputation pour bien montrer à jouër du Thuorbe, & à bien chanter.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, J'aime tendrement Lisette, doit regarder la page 61.
J'aime tendrement Lisette,
Et j'avois sceu l'engager.
Cependant cette Follette
Depuis peu me veut changer.
Mais je sçauray m'en vanger,
Car si dans nostre Village
Elle vient encor m'appeller
Pour danser au boccage,
Je n'y voudray plus aller.
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Idille §

Mercure galant, septembre 1691 [tome 9], p. 62-67.

 

La Piece de Vers qui suit m’a esté envoyée de Rouën, & a esté faite sur ce qu’un homme qui a beaucoup de commerce avec les Muses a fait venir une fontaine dans son Jardin. Vous en trouverez le tour aisé & spirituel.

IDILLE.

Damon prés d’une Fontaine,
Sous des arbres toûjours verts,
Las de raconter sa peine,
En badinant dit ces Vers,
***
 Habitante de cette Onde,
Belle Naïade, croy moy,
Tu fais du bruit dans le monde,
Mais l’on sçait assez pourquoy.
***
 Une Nymphe jeune & sage
Ne doit point tant voyager ;
Il est peu sûr à ton âge
De se rire du danger.
***
 Nous sçavons ce qu’on raconte
D’un jeune & galant Ruisseau ;
Il n’est le seul qui t’en conte,
Maint autre à part au gâteau.
***
 Les jeux, les Ris, le Zephire,
Et les Fleurs te font la cour.
Est-il mal-aisé de dire
S’il s’y glisse de l’amour ?
***
 Tu crois passer pour severe
En coulant dans ce Jardin ?
Chansons. L’air le plus austere
Souvent cache un cœur badin.
***
 Le tien n’est que trop sensible,
Il soûpire à tous momens.
Belle Nymphe, est-il possible
Qu’il soûpire sans Amans ?
***
 Damon se tût. La Naïade
Bien que sage s’emporta,
Et son Onde babillarde
Pour l’entendre s’arresta.
***
 Ah ! c’est trop me faire outrage,
Impitoyable Berger.
Sçache que j’ay du courage,
Et que je puis me vanger.
***
 Tu dis que mon cœur soûpire
Mille & mille fois le jour ;
Que les Ris, & le Zephire,
Et les Jeux me font l’amour.
***
 Lors que tu sers de victime
A cent coupables desirs,
Voudrois-tu me faire un crime
De ces innocens plaisirs ?
***
 Ne chante donc pas Victoire,
Lors que l’on peut t’accabler ;
Mais écoute mon Histoire,
Et puis tu pourras parler.
***
 Connois-tu cette Fontaine,
Qui coule sur l’Helicon,
Et qu’on appelle Hippocrene
Au Royaume d’Apollon ?
***
 C’est moy-mesme. Mon voyage
Seroit long à raconter.
Suis-je encor cette volage,
Qui s’en fait par tout conter ?
***
 L’Hippocrene plaist aux Muses ;
Aux Muses déplaist l’amour.
Cherche, cherche quelques ruses
Pour t’excuser à ton tour.
***
 Si tu doutes de la chose,
Bois de cette eau seulement,
Et sur ce gazon repose,
Tu seras Poëte à l’instant.
***
 Enfin puis qu’il faut tout dire,
Le Maistre de ce Vallon,
DAPHNIS, que la France admire,
Apprens que c’est Apollon.
***
 Pour te punir, Temeraire,
Sans cesse tu souffriras ;
Car toûjours tu voudras plaire,
Et jamais tu ne plairas.
***
 L’Arrest parut bien severe
Aux Bocages d’alentour.
Damon aime sa Bergere,
Sans luy donner de l’amour.
***
 Bergers, si vos Celimenes
Vous causent des soins jaloux,
N’allez pas sur les Fontaines
Décharger vostre couroux.

[Feste celebrée à Bordeaux] §

Mercure galant, septembre 1691 [tome 9], p. 67-74.

 

Le Dimanche 22. de Juillet, les Peres Augustins de Bordeaux commencerent la solemnité de la Canonisation de S. Jean de Sahagun, dit de Saint Facond, Religieux de leur Ordre, & Patron de Salamanque. [...] Le Pape Clement VIII. le beatifia l'an 1601. & le Pape Alexandre VIII. le canonisa le 28. Novembre de l'année derniere. L'ouverture de solemnité qui a duré huit jours se fit par une grande Procession qui partit de l'Eglise Cathedrale Saint André, pour se rendre dans celle des Augustins. Les Religieux portoient dans cette Procession deux Bannieres qui representoient le Saint, & quelques unes de ses principales actions. Toutes les Paroisses marchoient ensuite, puis le Chapitre de S. André, le Parlement & la Cour des Aides en robes rouges, & les autres Corps de Justice. Ils se rendirent tous processionnellement dans l'Eglise des Augustins, qui est une des plus belles de la Ville, & qui estoit magnifiquement ornée. Mr l'Abbé d'Arche, Doyen du Chapitre de S. André, y celebra la Messe, qui fut chantée par la Musique. Chaque jour de la semaine, un Ordre Religieux y a esté en Procession, chanter la Messe, & prescher à son rang l'aprèsdînée. Le Mercredy, jour de S. Jacques, Mr l'Archevesque de Bordeaux l'y celebra, & y donna la Communion aux Freres du Convent, & à un tres grand nombre de personnes. Le jour de l'Octave, Mr l'Abbé de Constans, Doyen du Chapitre de S. Severin, y dit la grand'Messe, qui fut chantée par la Musique de son Eglise, & il y officia de mesme à Vespres, accompagné de tous les Chanoines de son Corps. Ils y firent ensuite la Procession du S. Sacrement, dont le mesme Doyen donna la benediction, qui fut suivie immediatement après de l'élevation d'une Banniere du Saint, au milieu du Choeur de l'Eglise, la mesme Musique chantant des Motets à l'honneur du Saint, le Te Deum & l'Exaudiat, avec d'autres Prieres pour le Roy ; ce qui avoit esté fait tous les jours de la semaine, à chaque benediction du S. Sacrement. Le soir, les Jutats revestus de leurs robes de ceremonie, & précedez par les trois Compagnies de leurs Hallebardiers, de leurs Trompettes, Haut-bois & Enseignes, allerent mettre le feu au bucher que les Peres Augustins avoient fait dresser dans la Place devant leur Convent, où les cinq Compagnies du Quartier, au nombre de huit cens hommes sous les armes, s'estoient rangées en Bataille. Après plusieurs décharges de la Mousqueterie, des Boëtes, & de quelques pieces de Canon, l'on fit joüer un Feu d'artifice qui réussit parfaitement, pendant qu'on entendoit les Trompettes, les Haut-bois, les Violons, les Tambours, les Musettes, & les Fifres.

[Discours prononcé à Brest] §

Mercure galant, septembre 1691 [tome 9], p. 75-84.

 

Je vous envoye un Discours qui a esté fait à la priere de Mr le Marquis d’O, par Mr l’Abbé Deslandes, Grand-Archidiacre & Chanoine de Treguier, pour l’instruction des Jeunes Gentilshommes de Bretagne. Il y a quelque temps qu’il fut prononcé à Brest aux Cadets de Marine.

Messieurs,

La Noblesse est un avantage de la naissance, qui a esté de tout temps consideré, parce qu’elle semble transmettre avec le sang de belles inclinations & des sentimens genereux. L’éducation que LOUIS LE GRAND prend soin de faire donner aux Gentilshommes, contribuë beaucoup à élever leur esprit au dessus de ceux du commun. La vertu de leurs Ancestres, leurs belles actions, le rang qu’ils tiennent dans le monde, la reputation, le desir de la gloire, le chemin qui leur est ouvert aux grandes choses, sont autant d’éloquens Orateurs qui les avertissent de ne rien faire qui les rende indignes de l’honneur qu’ils ont receu en sortant d’un sang si distingué dans le monde. Valere Maxime nous apprend que parmy les Anciens, l’aisné de la Famille chantoit sur le Luth des airs à la loüange de ses Ancestres, pour s’animer les uns & les autres aux actions heroïques. Cet invincible Machabée, dont l’Ecriture Sainte fait l’éloge, ne laissa à ses Enfans pour tout testament que la gloire de ses Ayeux. Mementote operum Patrum. Le Comte Baltazar, en nous faisant le Portrait d’un parfait homme de Cour, veut qu’il soit de qualité. Voglio adunque che questo nostro Cortegiano, sia nato nobile, e di generosa familia, & voicy la raison qu’il en donne. Perche la nobilita è quasi una chiara lampa che manifesta, e faveder l’opere buone e le male, e accende e sprona alla virtu. La Noblesse est comme un flambeau qui fait remarquer les actions bonnes ou mauvaises ; & un Gentilhomme se sent pressé de suivre la vertu & de fuir le vice qui est toûjours accompagné de l’infamie.

Que le Ciel soit a jamais beny. L’Antiquité ne peut reprocher aucune infamie à nos Chevaliers Bretons. C’est un éloge singulier pour la Bretagne qui a toûjours esté fidelle à ses Princes. Vous sçavez, Messieurs, que la qualité de Chevalier n’estoit pas hereditaire, & n’accompagnoit pas les charges, il falloit la meriter & l’acquerir par les armes. Tous les Nobles qui y prétendoient s’appelloient Bacheliers, & un Banneret qui y aspiroit, s’appelloit Damoiseau. Si le Fils d’un Chevalier estoit jusques à l’âge de trente ans, sans aller à la guerre, il ne pouvoit jamais joüir du privilege des Chevaliers. Olivier de la Marche, qui écrivoit en l’an 1440. parlant des Gentilshommes de Bretagne, dit que ce sont les Chevaliers les plus sages, les plus vaillants & les plus courtois qu’on pust rencontrer, & nous lisons dans les Memoires de Gilbert de la Fayette, Maréchal de France, Chambellan de Charles VII. qu’il ne connoissoit point au monde de Nation plus belliqueuse & plus fidelle à son Dieu & à son Prince, que la Nation Bretonne. Ces deux illustres Historiens remarquent que le Bachelier qui se préparoit pour estre receu Chevalier, passoit toute la nuit en prieres dans l’Eglise, & qu’au lever du Soleil il entroit dans le Bain, pour luy apprendre qu’a l’avenir il devoit avoir la pureté de l’ame & du corps. Aprés cela, on l’habilloit en homme de guerre ; il se mettoit à genoux devant le Prince, & prestoit sur les saints Evangiles le serment de fidelité, puis le Prince luy ceignoit l’épée, en disant, Je vous fais Chevalier, au nom du Pere, & du Fils & du Saint Esprit. Lors qu’à la veille d’une Bataille les Bacheliers demandoient par grace d’estre faits Chevaliers, afin que s’ils mouroient, on les enterrast comme tels, le Prince, ou le General d’Armée, leur donnoit trois coups de son épée, & aprés le Combat, les Bacheliers qui s’étoient signalez estoient receus Chevaliers.

Je m’apperçois, Messieurs, que ce recit historique anime le sang genereux qui a coulé dans vos veines. Vous brûlez du desir de le voir verser, pour marquer vostre reconnoissance au plus grand Roy de la Terre. J’entens que vous dites qu’il est glorieux de mourir pour sa Religion, pour sa Patrie & pour son Roy. Les blessures qu’on reçoit dans le service sont de vrais titres de Noblesse. Plagæ pro Rege inter dimicandum exceptæ, tot Historiarum volumina faciunt, quot sunt cicatrices. Continuez, Messieurs, dans des sentimens si dignes de vous. Continuez de prier pour la conservation de LOUIS LE GRAND, qui ayant eu l’avantage de réünir tout le Troupeau sous un mesme Pasteur dans toute l’étendue de son Royaume, me donne lieu de rapporter icy ces belles paroles du Sauveur. Dico enim vobis quod multi Prophetæ & Reges voluerunt videre quod vos videtis, & non viderunt. Cependant je demanderay au Ciel qu’il vous comble de ses benedictions.

[Ceremonie & réjoüissances faites [à] Saint Germain en Laye le jour de la naissance du Roy] §

Mercure galant, septembre 1691 [tome 9], p. 134-138.

 

Le 5. de ce mois, jour de la Naissance du Roy, il se fit à Saint Germain en Laye une Ceremonie, où les Habitans firent paroistre pour Sa Majesté tout le zele qu'on peut souhaiter dans de fidelles Sujets. Les Peres Recolets, & les Peres Augustins Déchaussez des Loges, pour donner plus d'éclat à cette Ceremonie, se rendirent à dix heures du matin à la Paroisse pour accompagner le Clergé. On fit ensuite une Procession generale, qui fut suivie d'une Messe solemnelle, que l'on celebra, & a laquelle Leurs Majestez Britanniques assisterent, ainsi qu'au Salut qui fut chanté par la Musique du Roy. La Messe achevée, on commença le Te Deum, pendant lequel on se rendit au lieu où le Feu de joye estoit préparé. Ce fut le Roy d'Angleterre qui l'alluma. Il en parut ensuite devant toutes les maisons, avec des Illuminations aux fenestres qui durerent bien avant dans la nuit. Rien ne manque à cette Feste. L'Eglise estoit superbement décorée, & tenduë de tres-riches Tapisseries. On remarque que Loüis le Grand est le quatorziéme Roy de France qui a pris naissance à Saint Germain. Ce pieux Monarque n'a pas seulement fait rebastir l'Eglise de ce lieu qui tomboit en ruine, mais il a mesme fait une donation perpetuelle pour l'entretenir ; en reconnoissance de quoy l'Eglise a fondé une Messe à perpetuité, le cinquiéme jour de chaque mois. Il y eut l'aprésdînée un divertissement composé par Mr le Maire, Professeur des Humanitez à S. Germain, & représenté sur le Theatre de l'Hostel de la Rochefoucault. Il estoit d'une maniere nouvelle, & avoir pour sujet, La Coutume & l'Opinion détruites par des Discours en forme de Paradoxes. [...]

Fable du Soleil & de l’Aurore §

Mercure galant, septembre 1691 [tome 9], p. 138-153.

 

La Fable qui suit vous apprendra pourquoy l’Aurore est Amie de l’Amour. Le Berger de Flore en est l’Auteur, & vous connoissez le prix de ses Ouvrages par beaucoup d’autres que vous avez déja veus de sa façon.

FABLE DU SOLEIL
& de l’Aurore.

  Le Dieu du jour,
  Dont la grande ame,
 Toute de lumiere & de flâme,
 A de forts panchans pour l’Amour,
S’estoit laissé toucher aux appas d’une Belle,
 Dont le teint frais & delicat
Brilloit d’un blanc de lait & d’un doux incarnat,
 Et qui, bien que mortelle,
Avoit d’une Pallas, l’air, le port, & l’éclat.
 Il se plaisoit à soupirer pour elle.
 Malgré le sort infortuné
Qu’il avoit éprouvé dans l’amour de Daphné.
***
Aminte (c’est le nom de l’aimable Pucelle
 Qu’il essayoit de s’acquerir)
 Ne demandoit rien qu’à courir,
 Aimoit la Chasse, habitoit la Cabane,
Avoit de la douceur, un grand fond de bonté ;
Tout autant d’innocence enfin que de beauté,
Mais elle avoit aussi sur l’Autel de Diane,
Fait ainsi que Daphné, vœu de virginité.
***
Ce Dieu n’ignoroit pas cet incommode obstacle
 Au succés de sa passion.
C’étoit en éclairant ce celebre spectacle,
Qu’il s’estoit apperceu de son affection.
 Il avoit pourtant esperance
Que sa galanterie & sa perseverance
 Pourroient d’Aminte allumer les desirs,
Et luy faire au devoir préferer les plaisirs.
Il sçavoit bien aussi quelle estoit l’injustice
 Du dessein qu’il vouloit tenter ;
Mais y fermant les yeux, il prenoit pour supplice
 La gloire de se surmonter,
 Et s’il previt le precipice,
Il le trouva si beau, qu’il s’y voulut jetter.
***
 Rien donc ne le touchant, comme ses amourettes,
 Aux pieds d’Aminte il mettoit ses grandeurs.
Tantost, comme Phœbus, il luy contoit fleurettes,
 Et luy disoit mille douceurs.
Tantost, comme Appollon, il cherchoit ses faveurs
Par le son de sa lire, & par ses chansonnettes ;
Et pour la divertir employoit les neuf Sœurs,
 Avec Pegaze & ses courbettes,
On la suivoit aux bois parmy d’autres Chasseurs.
Puis, comme Astre du jour, son soin dans sa carriere
Estoit de l’éclairer de toute sa lumiere,
Afin de luy montrer ses brillantes ardeurs,
 Et de tâcher par cette belle flame
 A bannir le froid de son ame.
 Ce Dieu joüa, tout un printemps,
 Ces officieux personnages ;
Mais voyant qu’il perdoit son temps,
Il se lassa de rendre tant d’hommages ;
 Et sa chaleur augmentant par l’Esté,
 Il resolut de passer sans remise
De l’amour souple & doux, à l’amour emporté.
***
 La resolution n’en fut pas plutost prise,
 Que Cupidon qu’épioit cet Amant
 Ne differa pas d’un moment,
Suivant l’ordre receu, d’en avertir sa Mere.
 Alors la Reine de Cithere
Ne souhaitoit rien tant que de pouvoir vanger
L’affront dont le Soleil avoit sceu l’outrager,
Affront le plus sanglant qu’on puisse jamais faire,
 Lors que jaloux d’elle & de Mars
Il avoit en plein jour à cent fâcheux regards
 Exposé leur secret mistere.
Elle oüit donc l’avis que son Fils apportoit,
Avec tout le plaisir que tire la colere
 De l’espoir de se satisfaire,
Et dit à son Ami ce qu’elle projettoit
 Pour punir leur grand Adversaire.
***
 Mars approuva le dessein de Venus.
 La Déesse part là-dessus,
Se rend auprés d’Aminte, & luy dit, belle Fille,
O Dieux, qu’on voit en vous de graces, de vertus ?
 Que de merite y brille ?
 J’en suis charmée, il faut les conserver,
Et pour cela, voicy ce qu’il faut observer.
***
 Je sçay que le Soleil vous aime,
Et qu’en vain en aimant il tâche à s’adoucir.
Les effets trop certains de son ardeur extrême
Sont de brûler, de hâler, de noircir.
Vostre beauté vers luy n’est pas en assurance,
Et qui pis est, vostre honneur encor moins.
Indigne de la longue & sage resistance
Qui vous fait dédaigner ses soins,
 Il renonce à la patience ;
Et veut pour s’en vanger vous faire violence.
C’est Aminte, un avis & d’Amie & d’Ami.
 Redoutez son approche,
 Ayez pour luy le cœur de roche,
Vous n’avez point de plus grand Ennemy.
Fuyez-le, mais fuyant gardez-vous de vous rendre
Aux pieds de la Déesse où se rendit Daphné,
 Elle ne pourroit vous deffendre
 Contre cet Amant déchaîné
Sans vous causer quelque facheux esclandre
Dont vostre esprit seroit long-temps gêné.
Donc au lieu de courir au Temple de Diane.
 Retirez-vous dans celuy de Junon.
Cette Reyne des Cieux n’entend point qu’on profane
 Les endroits qui portent son nom.
Jusqu’au grand Jupiter tout craint de luy déplaire,
 Son pouvoir n’a point de pareil,
 Il vous tirera mieux d’affaire.
 Aminte écouta ce Conseil ;
S’en tint bien obligée à la belle Déesse,
 Et le suivit comme plein de sagesse.
 Si-tost qu’elle voit le Soleil
Eclater à ses yeux, & venir auprés d’elle,
 La frayeur qu’elle a du danger,
Luy fait tourner le dos, & luy prêtant son aisle
 Rend à fuir son pas plus leger.
 Le Soleil vainement l’appelle,
Elle court devant luy, rien ne peut l’arrester.
 Le Dieu craignant qu’elle n’échape
A l’ardeur qui le presse, & qu’il veut contenter ;
Il faut, dit-il, qu’au plûtost je l’attrape,
Car Diane pourroit, pour me mortifier,
 Comme Daphné, la changer en laurier.
***
 Ces mots sont suivis de sa course ;
Mais avant qu’il l’atteigne, elle gagne un Autel
Où Junon recevoit un Culte solennel ;
 Et la nommant son unique resource,
  Elle se met avec devotion
  Sous sa protection.
***
Le Soleil transporté par l’amour qui l’anime
Ne prend pas garde au changement de lieux.
Il oublie en courant que les plus grands des Dieux
 Ne choquent point Junon sans crime,
 Et ce clairvoyant n’a des yeux
 Que pour l’innocente victime
  Qu’il pretend immoler
 Au feu dont il se sent brûler.
***
 En peu de temps l’ayant atteinte,
 Toute éperduë & tremblante de crainte,
 Il l’ose prendre par le bras,
La tire de l’Autel, l’éloigne de trois pas,
Et malgré toute sa colere,
Il ne luy cache point qu’il pretend satisfaire
Sans respect du saint lieu, sans delay d’un moment,
Son amoureux emportement.
***
 Aminte se met en défense.
 Il en vient à la violence.
 Elle demande à Junon du secours.
Il s’en rit, & s’efforce à pousser ses amours
 Aussi loin que son esperance.
***
La Déesse survient. Arreste fierement
  Ce redoutable Amant,
 Luy reproche son insolence,
 Ses mépris, son inconstance ;
 Et pour l’en punir hautement,
Faisant de son supplice honneur à la sagesse,
Elle transporte Aminte au celeste sejour,
 Luy donne le nom de Déesse,
 La place à la porte du jour,
Accroist sa force & sa Vitesse,
Et luy prescrit sa marche à son retour.
  Puis redoublant encore
La fraischeur & l’éclat des roses & des lys,
 Qui la rendoient semblable à Flore,
Et dont le Dieu brillant estoit le plus épris,
Elle la change enfin en la brillante Aurore
***
 Aprés cela, regardant le Soleil,
Elle luy dit raillant de sa souffrance,
Cette Belle a causé quelquefois ton réveil,
 Et desormais sa vigilance
Sçaura tous les matins te tirer du sommeil.
 Je ne t’ôte pas sa presence,
Joüis en librement, conte-luy ton amour,
 Il test permis de luy faire la cour.
Vois de combien d’attraits brille son beau visage,
 En vis-tu jamais davantage ?
 Mais, insolent, n’espere pas
 De joindre jamais tant d’appas,
Je veux te voir courir d’une course éternelle,
 Tout bruslant d’amour aprés elle.
Mais sois seur en courant que tu perdras tes pas,
Jamais au grand jamais, tu ne l’attraperas.
***
Ce qui fut dit, se fait, le Soleil court sans cesse
 Aprés l’Aurore sa Maistresse ;
Mais son travail est vain, elle se rit de luy,
 Sa course précede la sienne,
 Et pour luy causer plus d’ennuy,
Il n’est point de matin qu’elle ne se souvienne
  Du salutaire avis
 Que luy donna la divine Cipris.
Et qu’en reconnoissance elle ne contribuë
 Par une vertu qu’elle influë,
 A rendre heureux les Favoris
  Et d’elle & de son Fils.
***
Le Soleil qui le sçait en est plus miserable,
 Et le sera tant qu’il sera Soleil.
 L’exemple est grand, & sans pareil.
 Amis, soit Histoire, soit Fable,
 Nous en tirons cette moralité,
Que l’on doit s’abstenir d’un amour condamnable,
Et ne pas offenser une Divinité
 Dont la puissance est redoutable,
Et qui nous peut punir, toute une éternité.

[Convents visitez par le Roy d’Angleterre] §

Mercure galant, septembre 1691 [tome 9], p. 162-164.

 

Le Dimanche 9e de ce mois, le Roy d’Angleterre alla au Convent des Religieuses de Chaillot, où il entendit Vespres & la Predication du Pere Philbert de la Doctrine Chrestienne. Ensuite Sa Majesté accompagnée de Mr l’Evesque Dax, de Mr de Lauzun, & de plusieurs Personnes de qualité, fit l’honneur aux Peres de cette Congregation de venir à Paris visiter leur Maison de Saint Charles, où Elle receut le Compliment du Pere Milliot, leur General, à la teste de sa Communauté, & aprés avoir consideré la situation de cette Maison, & sa belle veuë & s’estre promené dans le jardin, elle voulut encore y souper & y coucher. C’est la premiere Communauté qui ait eu cet avantage.

Le Printemps. Dialogue §

Mercure galant, septembre 1691 [tome 9], p. 208-227.

 

Un des plus fameux Peintres d’Italie, & dont le Pinceau ne faisoit voir que des Chefs d’œuvres, lors qu’il s’agissoit de peindre des fruits, fut prié par un Seigneur Italien, distingué par une naissance fort illustre, & par de fort grands emplois, de luy faire un Tableau qui répondist pleinement à la réputation qu’il avoit d’estre le premier homme du monde pour ces sortes d’Ouvrages. Jamais le Peintre n’eut plus d’envie de bien faire, & ne réussit plus heureusement ; & pour mieux remplir son Tableau, & n’y rien laisser à desirer, il y mêla de plusieurs sortes de fruits, de maniere qu’on y vit ceux que produisent les premieres chaleurs de l’Esté, avec ceux qui n’achevent de meurir que sur la fin de l’Automne. La beauté de ce Tableau fit du bruit, les Curieux allerent le voir avec empressement, & il receut les applaudissemens qu’il meritoit. Enfin il fut porté chez le Seigneur Italien qui avoit ordonné de le faire. Il s’écria dés qu’il l’eut consideré un moment, que le Peintre estoit un ignorant, qu’il ne vouloit point de son Tableau, qu’il choquoit le bon sens, & qu’il estoit entierement contre la vray-semblance. Il dit enfin, que le Peintre avoit uny ce que la Nature avoit separé, & qu’il estoit ridicule de voir avec des fruits d’Esté, de ceux qui ne se mangent qu’en Hiver. Les Connoisseurs n’ayant pas esté de son sentiment, & le Tableau ayant esté cherement vendu, le Peintre se consola du mauvais goust du Seigneur Romain, je croy que vous l’avez meilleur, & que vous voudrez bien lire en Automne, des Vers qui ont esté faits sur le Printemps. Ils sont de Mr de Vin, dont les Ouvrages ont toujours esté generalement applaudis.

LE PRINTEMPS.
DIALOGUE
De la Nature & de Damon,
pour tous les hommes.

Sur ce que le Printemps est plus sujet aux fluxions, & autres maladies, que les autres Saisons de l’année.

DAMON.

Pourquoy faut-il que la Nature
Empoisonne tous ses presens ?
Que lors que ses ruisseaux roulent une eau si pure ;
 Que lors qu’elle rend à nos champs
Ses Jeux, ses Ris, ses Fleurs, ses Oiseaux, sa verdure ;
 Que lors que l’aimable Printemps
Fait briller le Soleil d’une clarté nouvelle,
Et, plus doux que jamais, aux plaisirs nous appelle ;
Pourquoy, dis-je, faut-il que sa belle saison
 Qui semble rajeunir le Monde,
En tant de maux divers soit enfin si feconde ?
Parle, nous diras-tu, qu’avec peu de raison
Chacun paroist surpris de ces effets Bizarres,
Et de ce qu’on ne peut en gouster les douceurs
Sans dans le mesme temps essuyer les rigueurs
 Des fluxions & des catharres.
Si par là tu nous mets hors d’état d’en joüir.
A quoy nous servent donc tes appas & tes charmes ?
 Oseroit-on s’en réjoüir,
Et les voit-on, helas ! sans chagrin, sans alarmes ?

LA NATURE.

 J’ay souvent écoûté les plaintes que tu fais,
 Et je suis moy-mesme étonnée
 Que le plus beau temps de l’année
N’attire contre moy que murmures secrets.
 Cependant quelle ingratitude,
 Quel caprice, quelle habitude
Prend-on de tous ses maux d’accuser mes presens ?
Si vous autres Mortels, plus moderez, plus sages,
 En faisiez de meilleurs usages,
 Vous seriez plus reconnoissans,
Et vous verriez bien tost que ce n’est pas leur faute.
 Vostre desordre seul vous oste
Le goust de ces plaisirs où tendent tous vos vœux,
Et vous auriez toûjours des Printemps plus heureux
Si vous en joüissiez avec la temperance
Que vous ordonne la prudence :
Mais à peine ay-je enfin satisfait vos souhaits
 Que vous en faites des excés,
Qui des douces humeurs alterant l’harmonie,
De la Bile aussi tost excitent la furie.
Combien peu d’entre-vous menagent comme il faut
Le temperé, l’humide, ou le froid, ou le chaud ?
 Car tous les temps que je vous donne
Sont & charmans, & bons. Dans celuy de l’Autonne
Sans de mes fruits nouveaux craindre la crudité
 Vous en mangez en abondance,
 Et de là vient la deffaillance
 De celuy que déja l’Esté,
Par ses grandes chaleurs avoit debilité.
 Pendant cette saison brûlante
Loin de vous rafraischir, vous beuvez à longs traits
Du vin pur, pourveu qu’il soit frais,
 Et vostre soif impatiente
 Ne peut se donner le loisir
D’attendre au moins qu’une Servante
Ait apporté de l’eau, seule rafraischissante,
 Et qui seule peut l’adoucir.
Mais bien-tost, malgré vous, une ardeur de poitrine,
A cette eau qu’on fuyoit vous force de courir,
Et souvent à la Medecine.
 Lors que l’Hyver, le temps des Jeux,
 Des Bals, & de la bonne chere
Couvre tout l’Univers de ses frimats affreux,
Et chez vous, prés du feu vous retient, vous resserre,
 Dites, n’en sortez-vous jamais ?
 Le Bal a pour vous trop d’attraits,
 La table, & le jeu trop de charmes
Pour du mal qui les suit vous causer des allarmes.
 Vous y passez toutes les nuits,
 Et ce mal, pire que mes fruits,
Que la Rose nouvelle, & que la Canicule ;
Ce mal, dis-je, que fait la perte du repos,
Et ce friand morceau qu’on ronge jusqu’aux os,
Vous échauffe le sang, vous consume & vous brûle.
 De là cette abondance d’eau
 Qui s’amasse dans le cerveau ;
Qui par le rude froid trop long-temps retenuë,
Et qui par consequent aigrie & corrompuë,
 Dés que ce froid cesse au Printemps
Distille en fluxions comme une épaisse nuë
Que le Soleil dissout par ses rayons ardens.
Faut-il donc s’étonner, si cette eau vient à fondre
 Quand il darde ses premiers traits ?
 Quoy, d’un moins funeste succés,
Vous menageant si peu, pouviez-vous vous répondre,
Et vos prodigieux & differens excés,
Ne suffisent-ils pas enfin pour vous confondre ?

DAMON.

 Mais si l’on veut t’en croire, adieu tous les plaisirs ;
Il faudra desormais s’en priver, s’en défaire,
 Et qu’en Stoïque trop severe
Chacun ferme son cœur à l’instinct, aux desirs,
 Qui dés nostre plus tendre enfance
Nous font en leur faveur sentir leur violence.
 Nous naissons avec ces penchans ;
 Vers tout ce qui flatte les sens
On se laisse entraisner en dépit de soy-mesme.
 On croit mesme quand on les aime
  Qu’on ne suit que tes propres loix ;
Ainsi quand on les voit, on leur ouvre la porte,
 Et dans l’ardeur qui nous y porte
 On n’est embarrassé qu’au choix.
Comment pouvoir combattre une pente si forte ?
Cependant quelque né que l’on soit avec eux,
Comme des Ennemis tu veus qu’on les regarde,
Et qu’en cela plus malheureux
Que les Bestes, contre-eux on soit toûjours en garde.

LA NATURE.

 Ah ! si vous en usiez comme les Animaux,
Me verroit-on reduite à répondre à vos plaintes,
Et seriez-vous sujets à tant de divers maux
Dont, plus indiscrets qu’eux, vous sentez les atteintes ?
Des plaisirs que je donne ils usent comme il faut,
 Ils ne vont point pendant le chaud
Affronter, comme vous, l’ardente Canicule,
Et se cachant pour lors du Soleil qui vous brûle,
Attendent pour sortir qu’il soit sous l’horizon.
 Mais l’homme qui se croit si sage
 L’est-il au fond, & quel usage
Le voit-on tous les jours faire de sa raison ?
La tient-il moins de moy que cette douce pente
 Qu’il dit avoir pour les plaisirs ?
Que ne s’en sert-il donc, s’il se sert des desirs
 Que la Nature bien-faisante
Luy donne, & donne mesme à l’insensible plante ?
Ainsi, sans desormais murmurer contre moy,
 Qu’on ne s’en prenne plus qu’à soy.
Vous-mesmes, au retour des Zephirs & de Flore,
Corrompez ces plaisirs qu’il donnoit autrefois,
 Et qu’il vous donneroit encore,
Si, moint fous, vous vouliez suivre mes sages loix,
 Et quitter cette intemperance,
Que ne connut jamais le Monde en son enfance.
 Contens de la simplicité,
 Du lait du fruit, & de l’eau pure,
Que gratuitement leur donnoit la Nature,
 Les hommes par la volupté
Qui n’osoit pas encor leur montrer ses amorces,
N’affoiblissoient point lors leur vigueur, & leurs forces,
Et joüissoient toujours d’une pleine santé.
 Mais lors que leur cupidité
 Tira l’or du sein de la terre,
Ce métail à son tour leur declara la guerre,
Et pour se vanger d’eux leur inspira soudain
 La haine de la sobre table,
Et cet amour fatal qu’ils ont pour le festin.
 Du necessaire au delectable,
Seduits par ses attraits, ils ne firent qu’un pas,
Et bien-tost dégoûtez de l’utile laitage,
 Composerent à leur dommage,
De ragouts differens leurs splendides repas.
 De là cette humeur indigeste
Qui cause leurs vapeurs, qui seule leur en reste,
 Et qui détruisant leur chaleur,
 Les réduit à telle langueur,
 Qu’aprés une débauche faite
Il faut en dépit d’eux, venir à la diette.
Voilà ce qu’à produit l’avide soif de l’or.
 Trop heureux, trop heureux encor
Quand à si bon marché le gourmand en est quitte,
 Car comme de ses biens il veut
 Tirer tout le plaisir qu’il peut,
Cette humeur à la longue & s’enflamme, & s’irrite,
 Et, trompé par cet appetit
Que luy donne souvent cette ardeur étrangere,
De nouveau l’imprudent, à peine hors du lit
Où l’arrestoit son mal, cherche la bonne chere.
Qu’en peut il arriver ? La rechute, & la mort.
Aprés cela, Damon, vois, dis-moy si j’ay tort,
 Et si l’on peut sans injustice
M’imputer aujourd’huy sa gourmande avarice.
Je ne te parle point de ces soins devorans
 Que se donnent petits & grands
Pour, plus haut qu’elle n’est, élever leur fortune.
Je serois & trop longue, & peut-estre importune,
 Si de vos passions j’allois
En vain m’étendre icy sur la cathegorie.
Chacun sçait quels sont ceux de la tendre furie,
Et toutes tour à tour, & souvent à la fois
En vous affoiblissant abregent vostre vie.
Usez mieux, en un mot, de mes dons differens,
Soyez sobres, reglez comme dans les vieux temps,
 Attendez avec patience
 La maturité de mes fruits,
 Et joignez le repos des nuits
 A la discrete vigilance
Que de tous les Mortels exige enfin le jour ;
 Alors je promets à mon tour
 De les guerir de la foiblesse
Dont si mal à propos ils se plaignent sans cesse,
Et, devenus par là plus sains, plus vigoureux,
 J’espere, & mesme je suis seure
Que des maux qui d’ailleurs pourroient tomber sur eux
Ils n’accuseront plus l’innocente Nature.

[Histoire] §

Mercure galant, septembre 1691 [tome 9], p. 246-270.

 

Si l’amour & l’interest n’aveugloient point la pluspart de ceux qu’on voit tous les jours donner si facilement dans le mariage, il en est peu que cet engagement n’étonnast, & qui en consultant leur raison n’en regardassent les suites avec la mesme frayeur qu’elles ont causée à un Cavalier dont je vais vous apprendre l’avanture. Il étoit né avec tous les avantages qui font réussir auprés des Femmes. Tout plaisoit dans sa personne, & il avoit un esprit insinuant, qui luy donnoit l’art de faire croire tout ce qu’il vouloit persuader. Il ne disoit rien qui ne fust accompagné d’un enjoüement merveilleux, & cet enjoüement estant fin & delicat, il eust esté difficile de s’ennuyer avec luy. Joignez à cela une grande complaisance qui le rendoit toûjours prest à faire toutes sortes de parties. Ainsi on le souhaitoit par tout, & il estoit peu de jolies Dames qui ne le trouvassent d’un agreable commerce. Comme il en estoit receu assez favorablement, il passoit pour homme à bonne fortune, & à juger de luy par les apparences, ce n’estoit pas toûjours inutilement qu’il soupiroit. Parmy tant de bonnes qualitez, il ne laissoit pas d’avoir un fort grand defaut. Son cœur estoit naturellement sensible aux charmes de la beauté, mais sa constance ne se trouvoit point à l’épreuve des faveurs, & il étoit extremement dangereux de s’écarter avec luy du chemin étroit de la sagesse. Si le relâchement luy plaisoit d’abord, il estoit bien-tost suivy du dégoust, & ce dégoust ne manquoit jamais de produire la rupture. Cependant la galanterie estant sa passion dominante, il s’abandonnoit à son panchant avec si peu de reserve, que quoy qu’il se sentist incapable d’un attachement d’un peu de durée, il ne pouvoit s’empescher d’entrer dans des commencemens de passion avec tout ce qu’il voyoit de belles personnes ; & comme selon le plus ou le moins d’obstacle qu’il trouvoit à estre écouté d’une maniere qui le satisfist, l’engagement qu’il prenoit estoit plus fort ou plus foible, il se mettoit quelquefois dans des embarras si grands par les déclarations que son amour l’obligeoit à faire, que ce n’estoit pas sans peine qu’il obtenoit des interessez qu’on luy voulust bien rendre sa parole. Tant qu’il voyoit celle dont il se sentoit touché, il luy estoit impossible de s’en détacher, pourveu qu’elle affectast d’être indifferente, & dans l’envie de luy faire dire qu’elle le croyoit digne d’estre aimé, si les asseurances du plus tendre amour ne la pouvoient obliger à luy laisser voir que son cœur avoir receu les impressions qu’il avoit tâché d’y faire, il ne faisoit point difficulté de parler de mariage. C’estoit là la fin de sa passion. Il demeuroit alors deux jours sans la voir, & sa raison dont il reprenoit l’usage, luy representant les suites fâcheuses d’une liaison qui ne finissoit que par la mort, il en estoit tellement épouvanté, qu’il n’y avoit point d’amour qui tinst contre les chagrins qu’il s’en figuroit inseparables. Ce genre de vie qu’il menoit depuis dix ou douze années, ayant fait connoistre tout son caractere, on ne le regardoit plus que comme un homme simplement galant, & dont les plus fortes protestations ne devoient avoir rien de solide. On ne laissoit pas de le recevoir avec plaisir dans tous les lieux où il les faisoit, quoy qu’on fust persuadé qu’il les oublioit sitost qu’il les avoit faites ; & aprés plusieurs intrigues, dont il s’estoit toûjours tiré à son avantage, il s’embarqua enfin si avant qu’il perdit la tramontane, & fut sur le point de faire naufrage. Un Amy qu’il estoit allé voir à la campagne, luy proposa d’aller passer quelques jours chez une Dame d’un fort grand merite, qui n’étoit éloignée de luy que de trois ou quatre lieuës, & qu’il vouloit luy faire connoistre. Cette Dame meritoit bien par son esprit & par ses manieres qu’on l’allast chercher encore plus loin. Son honnesteté gagnoit le cœur de tous ceux qui la voyoient, & ce qui fut un grand charme pour le Cavalier, elle avoit une Fille toute aimable, & dont la beauté estoit aussi vive que touchante. La partie se fit. Ils allerent chez la Dame, & ils en furent receus de la maniere du monde la plus obligeante. Le Cavalier ne manqua pas à estre frappé d’abord des agrémens de la Fille. Il luy conta des douceurs, & il le fit dés le lendemain avec de si grandes marques d’une veritable passion, que la Dame qui s’en apperceut demanda à son Amy quel homme s’estoit, & s’il n’avoit point d’engagement qui deust empescher qu’on ne l’écoutast. Cet Amy luy répondit qu’il avoit beaucoup de bien, & que du costé de la fortune, sa Fille auroit peine à rencontrer mieux ; mais que s’il estoit facile à une jolie personne de luy donner de l’amour, les reflexions l’en guerissoient dés qu’on luy laissoit le temps de se reconnoistre, & que si elle vouloit l’engager d’une maniere à le mettre hors d’estat de s’en dédire, il falloit qu’en se montrant presque toûjours à ses yeux, elle fist agir tout ce qu’elle avoit de charmes, comme sans aucune envie de luy en faire sentir le pouvoir ; que rien ne le piquoit tant qu’une indifference qui n’eust ny rudesse ny mépris, & que sur tout on devoit presser l’effet des asseurances qu’il pourroit donner, sans souffrir qu’il s’éloignast, estant certain que s’il cessoit une fois de voir, il ne tiendroit rien de ce qu’il auroit promis. La Belle ayant receu ces instructions par la bouche de sa Mere, trouva beaucoup de facilité à s’en servir. Elle estoit naturellement indifferente, & sa raison luy avoit appris, aussi bien qu’au Cavalier, que le Mariage estoit un engagement terrible. Ainsi elle ne s’y resolvoit que parce qu’elle n’avoit point assez de bien pour vivre toûjours dans l’independance. Les Amours sembloient répandus sur son visage, & son application à n’oublier rien de ce qui pouvoit en augmenter le brillant, donna tant d’amour au Cavalier, que tout son cœur se montroit dans ses regards ; mais plus il s’abandonnoit à sa passion, plus la belle étoit reservée dans ses manieres. Une fierté digne d’elle rehaussoit l’éclat de sa beauté, & l’adresse qu’elle avoit à détouner le discours, lors qu’il le faisoit tomber sur les sentimens qu’elle estoit capable d’inspirer aux plus insensibles, luy faisoit chercher avec plus d’ardeur les occasions de l’assurer qu’il n’avoit jamais rien vû de si charmant qu’elle. Elle écoutoit tout cela comme n’y faisant nulle attention. Au contraire, elle sembloit plûtost rejetter les choses flateuses qu’il luy disoit, que prendre plaisir à les entendre. Cependant à force de voir, & de la trouver peu susceptible des impressions qu’il avoit fait prendre à quantité d’autres, il en devint amoureux si éperduement, que les declarations qu’il luy faisoit ne l’ayant pû obliger à laisser voir un cœur sensible, il ne fut plus maistre de sa passion. Ainsi entraîné par sa violence, & ne pouvant résister à l’impetuosité de ses desirs, il luy demanda si elle pourroit se résoudre à l’épouser. La Belle engagée à luy donner une réponse précise, luy dit d’un grand serieux, mais accompagné d’un air honneste, que quand sa Mere auroit fait un choix pour elle, elle sçavoit que rien ne la pouvoit dispenser de se conformer à ses volontez. Il eut beau presser pour apprendre d’elle si son cœur ne souffriroit point de l’obeissance où il la voyoit si prête ; il ne pût rien obtenir de plus, & fut contraint de s’adresser à la Mere, qui pour l’enflâmer encore davantage, luy demanda quelques jours pour aviser aux moyens de retirer la parole qu’elle supposa avoir donnée en quelque façon à un Gentilhomme, qui s’estoit declaré depuis longtemps. La menace d’un Rival fut un motif fort pressant pour porter le Cavalier à ne garder plus aucun pouvoir sur luy-mesme. Non seulement il pria la Dame de luy épargner le desespoir où il tomberoit si son bonheur estoit incertain, mais il força son Amy d’agir auprés d’elle pour l’engager à entrer dans son party, préferablement à ce qu’il pouvoit avoir de Rivaux. La Dame qui arrivoit par là à ses fins, feignoit de se laisser arracher comme par force le consentement qu’on luy demandoit, à condition qu’on feroit le mariage sans aucun retardement, afin que quand le Gentilhomme viendroit, il n’eust à faire que des plaintes inutiles sur lesquelles elle trouveroit moyen de le satisfaire. Le Cavalier se montra charmé de ce triomphe, & ce fut alors qu’on prit soin plus que jamais de le bien garder à veuë, de peur qu’il ne fist ses reflexions accoûtumées, si on l’abandonnoit à luy-mesme. La Mere & la Fille ne le quittoient presque point pendant tout le jour, & son Amy qu’on faisoit coucher dans la mesme chambre, passoit une partie de la nuit à l’entretenir des beautez de sa Maistresse. On envoya à Paris pour la dispense des Bancs, & le Contrat fut signé des Parties interessées. Les choses se trouvant en cet estat, le Cavalier se flata d’avoir le plaisir de faire dire à la Belle que son amour la touchoit ; mais elle affecta toujours la mesme reserve, & tout ce qu’il en obtint, ce fut que l’obeissance qu’il luy voyoit rendre aux volontez de sa Mere, suffisoit pour luy répondre de l’attachement qu’elle auroit à son devoir, quand elle seroit sa Femme. Le jour fut choisi pour le mariage, & la nuit qui préceda ce grand jour, le Cavalier ne pût s’empêcher de pousser quelques soupirs, dont son Amy ne luy voulut point demander la cause. Malgré tout l’empire que son amour avoit pris sur luy, il ne put bannir de sa pensée le dur esclavage où il estoit prest de s’assujettir. Cependant il avoit esté trop loin pour estre en estat de reculer. Le nouveau brillant qu’il remarqua dans la Belle qui s’étoit parée à son avantage, le fit aller à l’Eglise avec une fermeté qu’il ne croyoit pas pouvoir démentir. Il ne put pourtant la soûtenir jusqu’au bout. Tout ce qu’il y a de facheux & d’incommode dans le mariage s’offrit à ses yeux tout à la fois. Il en fremit, changea de couleur, & se laissant aller sur un siege, il eut une veritable défaillance. Il ouvroit les yeux de temps en temps, & les refermoit presque aussi tost ; de sorte qu’ayant esté plus d’une heure sans revenir tout-à fait à luy, on fut obligé de le porter chez la Dame, où le frisson l’ayant pris, il eut une fiévre violente. Il se mit au lit, & quelques remedes que l’on employast, il y demeura plus de trois semaines. Lors qu’il se vit assez bien pour n’avoir plus que des forces à reprendre, il pria la Dame de luy vouloir accorder une audience particuliere en presence de son Amy. Ce fut pour luy avoüer que son mal n’estoit venu que des frayeurs que le mariage luy avoit causées, & que connoissant qu’il n’y pouvoit estre heureux, ny rendre sa Fille heureuse, il luy offroit tous les avantages qu’elle pourroit souhaiter pour le laisser à luy mesme ; que quoy qu’il se défendist d’accepter l’honneur qu’on luy vouloit faire en la luy donnant pour Femme, il l’aimoit toujours avec tant de force, que ce luy seroit un veritable supplice s’il la voyoit entre les bras d’un Rival, & que si elle se sentoit capable de renoncer comme luy à se marier jamais, il estoit prest de luy donner une Terre de dix mille écus, se contentant du seul plaisir d’estre son plus veritable Amy. L’offre parut fort avantageuse à la Demoiselle, qui n’ayant point de tentation pour un Mary, n’eut aucune repugnance à accepter la condition. On rendit nul le Contrat de mariage, & l’on en fit un de donation dans toutes les formes. Le Cavalier est ravi d’avoir dans la Belle une Amie pleine d’esprit, & dont la sagesse est connuë de tout le monde ; & la Belle si reservée pour l’amour, ne fait point difficulté de s’expliquer avec luy sur l’amitié.

[Nouvelles d’Allemagne] §

Mercure galant, septembre 1691 [tome 9], p. 282-287.

 

Nostre Armée décampa de Weyer le jour de Saint Loüis à la pointe du jour. On y eust demeuré plus long-temps si l’air y eust esté meilleur. On vint camper à Ebeistein. La situation du Camp estoit assez belle, la droite regardoit la Montagne du costé de Kuppenheim. On estoit campé sur deux lignes. Les quartiers estant moins serrez en ce camp-là, & les eaux estant meilleures, il y eut beaucoup moins de Malades. Il y avoit une petite Ville à deux lieuës du Camp nommée Gernspach, dont la Garnison a toûjours incommodé les partis du Fort Loüis, & Mr le Maréchal de Lorge apprehendant qu’elle n’inquietast nos Fourageurs, commanda Mr le Prince de Conty pour l’aller investir avec mille Chevaux, & environ deux mille Fantasins. Ce Prince estant party la nuit, se trouva au petit jour à une Redoute qui estoit à demye lieuë de la Ville. On l’attaqua d’abord, & l’on y fit prisonniers dix Soldats, & un Sergent. On alla en suite se poster proche de la Ville, où l’on attendit les ordres de Mr le Maréchal. La Ville estoit revêtuë d’un Fossé avec une forte palissade, de maniere qu’il falloit du Canon pour la prendre. Mr de Dourlac estoit sur la hauteur avec quatre mille hommes, ce qui fut cause que l’on commanda Mr de la Fresilliere avec du Canon, & de l’Infanterie pour servir dans cette expedition, quoy que Lieutenant General, sous les ordres de Mr le Prince de Conty. A peine fut-il arrivé qu’on envoya un Tambour pour sommer la Place, mais il ne s’y trouva que quelques Habitans, la Garnison qui estoit de neuf cens hommes, en estant sortie un jour avant qu’on arrivast devant la Place. Ainsi on se rendit Maistre du Château & de la Ville sans tirer un seul coup. La Ville estoit pleine de fourages, de grains, & de vin. Le feu y prit quelque-temps aprés, & se répandit avec tant de violence que l’on ne put sauver une seule maison. Rien n’est plus honteux pour les Allemans que d’avoir abandonné cette Place sans tirer un seul coup, ayant la gorge de la Montagne pour retraite, & quatre mille hommes sur la hauteur pour les soûtenir.

Air nouveau §

Mercure galant, septembre 1691 [tome 9], p. 311-312.

Les paroles que je vous envoye sont de M. Buquet d'Abbeville. Elles ont esté mis en chant par M. Normandeau, Organiste du College Royal de Navarre.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, La Feste d'une riche Cour, doit regarder la page 312.
La Feste d'une riche Cour
N'a point de charmes qui me touchent,
Parmy l'éclat & le grand jour
Nos tendres amours s'effarouchent ;
C'est dans les ombres qu'un Amant
Trouve la fin de son tourment.

[Détail du combat donné en Flandre]* §

Mercure galant, septembre 1691 [tome 9], p. 356-360.

 

Il est impossible que parmy un si grand nombre de noms, il ne s’en trouve beaucoup de défigurez pour avoir esté mal écrits ; qu’il n’y en ait d’oubliez, & d’autres marquez dans des Corps qui doivent estre dans d’autres. Il n’y a rien de surprenant à cela, & la mesme chose arrive toujours en de pareilles occasions. Aprés un si grand nombre de morts & de blessez dans un combat où nous avons gagné une pleine Victoire, vous ne doutez pas que la perte des Ennemis ne soit beaucoup plus considerable que la nostre. On apprend de jour en jour qu’elle est plus grande que l’on n’avoit cru d’abord, & l’on a sceu que nos Morts & nos Blessez ayant esté retirez du Champ de bataille, il y est resté plus de quinze cens morts. Le nombre des Blessez est encore plus grand ; & j’ay lû dans une Lettre d’une personne digne de foy, que cinq cens Cavaliers, tous blessez par derriere, s’estoient retirez à Ath, & que le Gouverneur les avoit traitez de lâches qui s’estoient laissez blesser en fuyant. D’autres Lettres assurent que toute la Cavalerie ennemie, chagrine au dernier point d’avoir esté batuë, & n’osant se montrer, s’est entierement debandée, & que la pluspart des Allemans sont retournez en leur Pays. Il n’y a que trois à quatre cens Prisonniers, parce que l’on n’a point fait de quartier. On a pris quarante Etendards, & quelques paires de Timbales. Plus on lit de Relations de cette action, plus on découvre qu’elle est glorieuse aux Armes du Roy, & à la Maison de Sa Majesté. Le terrain qui estoit entre les Ennemis, & nos Troupes estoit tout remply de fossez, qu’il falloit passer, & dans lesquels il tomboit quelques Cavaliers en les sautant. Ce danger essuyé, ils se trouvoient exposez à un autre, puis qu’ils estoient d’abord portez dans les premiers rangs des Ennemis, qui ne leur laissoient pas le temps de se reconnoistre. La pluspart avoient déja essuyé des décharges des Ennemis qu’ils faisoient de la longueur du Fossé, & l’on peut dire qu’ils tiroient nos Troupes au blanc. A mesure qu’on défaisoit leurs Escadrons, il en renaissoit d’autres. On a esté fort long-temps meslé sans qu’aucun de nos Escadrons ait reculé d’un seul pas, & celuy qui a dit que la Maison du Roy est une Citadelle ambulante, a parlé fort juste.

Quand les Ennemis voulurent quitter leur Camp pour marcher vers Leuze, parce que nous estions trop proche d’eux, & qu’ils apprehendoient le Combat, qu’ils nous accusoient de fuir, ils laisserent plusieurs Tambours dans leur Camp pour battre la Generale long-temps aprés leur départ ; mais M. de Luxembourg beaucoup plus habile que tous leurs Generaux, n’a pas laissé de les couper. Ils se consolerent d’abord par l’avantage du terrain, & par celuy d’estre trois contre un, sans compter cinq Bataillons d’Infanterie. Ces avantages les engagerent d’abord à faire bonne contenance, ils se mirent dans le meilleur ordre qu’ils purent, & pour se servir à la fois de toutes leurs armes, leurs Cavaliers dans plusieurs de leurs rangs, avoient alternativement le sabre & le pistolet à la main.

[Nouvelles de Piedmont] §

Mercure galant, septembre 1691 [tome 9], p. 361-362.

 

Pendant qu’on battoit les Ennemis en Flandre, Mr de Bouflers les poussoit d’un autre costé, & a mené battant le General Flemming depuis Rochefort jusques à Marche en Famine. Il a toujours fuy, bien qu’il fust superieur en Troupes. La perte des Ennemis a esté d’environ trois cens hommes : mais cette Lettre est déja chargée de tant de détails, que je me trouve obligé de remettre celuy-cy à un autre temps.

L’Armée de Piedmont est campée auprés de Saluces, qu’elle couvre. Les vivres abondent dans son Camp, pendant que l’Armée du Duc de Savoye manque de toutes choses dans son propre Pays, où elle s’est trouvée deux ou trois fois sans pain. L’armée de M. de Catinat est campée de maniere, que les Ennemis n’osent l’attaquer, voyant le risque qu’ils courent d’être batus. Ils avoient envoyé un Corps considerable dans la Vallée d’Aoust qui s’y estoit retranché ; mais M. de Monbrisson ayant esté avec cent hommes seulement pour le débusquer, fit battre ses Tambours à la Françoise, à la Dragonne, & à la Suisse ; ce qui épouvanta tellement les Ennemis, que croyant avoir une Armée à combattre, ils abandonnerent leurs retranchemens. On y entra, on prit tout ce qui s’y trouva, & l’on y mit le feu : ce qui a rompu pour cette Campagne le dessein que les Ennemis avoient formé de ce côté-là.

Avis §

Mercure galant, septembre 1691 [tome 9], p. 365-366.

 

AVIS.

On donnera le 15. Octobre le VI. Entretien en forme de Pasquinades sur les Affaires du Temps. On ne le trouvera pas tout-à-fait selon le plan qu’on a marqué dans la fin du V. parce qu’il y auroit des actions de la vie du Prince d’Orange transposées, & qu’on a jugé à propos de la donner de suite. On y verra l’histoire des premieres années de ce Prince, dont aucun Ecrivain n’a parlé ; ce qui joint à quantité de faits constans qui regardent ce temps-là, rendra cet Entretien aussi curieux qu’agreable.

Page 317, ligne 14. au lieu d’Antonin, lisez d’Antovin.

On trouvera beaucoup de fautes dans la Relation du Combat, causées par les Copistes.