1692

Mercure galant, janvier 1692 [tome 1].

2017
Source : Mercure galant, janvier 1692 [tome 1].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, janvier 1692 [tome 1]. §

[Sonnet pour une personne qui a renoncé au monde]* §

Mercure galant, janvier 1692 [tome 1], p. 81-83.

Voicy un Sonnet qui a esté fait pour une autre personne qui a depuis peu renoncé au monde, & pris l’Habit de Religieuse.

A MADAME DU B.
SONNET.

Peu sçavent comme vous quiter la Creature,
Ne trouver dans le monde aucun estat heureux,
Renoncer au plaisir par de penibles Vœux,
Et soûmettre à l’esprit la loy de la nature.
***
 On peut s’accoutumer à souffrir sans murmure,
A n’avoir pour son corps qu’un mépris genereux ;
On peut des biens créez fuir l’appas dangereux,
Mesme à sa liberté préferer la closture.
***
 Mais n’éprouver jamais de trouble interieur,
D’un Objet qui nous plaist détacher tout son cœur,
Et n’oser pas aimer ce que l’on trouve aimable.
***
 Cette austere Vertu me doit faire trembler,
Et je sens qu’il faudroit pour en estre capable,
Ou ne pas vous connoistre, ou bien vous ressembler.

Stances §

Mercure galant, janvier 1692 [tome 1], p. 83-92.

Je ne vous préviendray point sur les Vers qui suivent. Vous verrez en les lisant s’ils ont le tour fin que vous souhaitez dans les Ouvrages de cette nature. L’Auteur y fait un agreable reproche à un Cavalier, qui ayant pris de l’amour pour une jolie Personne, s’estoit tellement abandonné à sa passion, qu’il avoit cessé de voir ses Amis.

STANCES.

Quoy, faut-il que pour estre Amant
 Vous n’ayez relâche ny tréve,
Et parmy tant de jours que l’amour nous enleve,
L’amitié ne peut-elle obtenir un moment ?
 Que je plains vostre servitude !
Quelle qu’en soit la cause, & quel qu’en soit le prix,
Des Corsaires d’Alger jamais Chrétien surpris
 Ne trouva de Patron plus rude.
***
 Ces termes vous semblent trop forts,
 Et cachant à tous vostre chaisne,
Vous osez vous parer d’une liberté vaine,
Quand le poids de vos fers vous fait courber le corps.
 Que vous sert de faire le brave,
Et l’homme invulnerable, estant percé de coups ?
Le cœur, le corps, l’esprit, tout est captif chez vous.
 En est-ce assez pour estre esclave ?
***
 Aussi le meritez-vous bien.
 Fier ennemy de la tendresse,
Vous traitiez autrefois d’erreur & de foiblesse
Tous les soins empressez d’un amoureux lien.
 De l’amour méprisant les charmes,
Condamnant des Amans la crainte & les desirs,
D’un œil plein de pitié vous voyiez leurs plaisirs,
 Et vous vous moquiez de leurs larmes.
***
 Pour avoir tant philosophé
 Sur l’amour, & contre ses crimes,
Vous estre armé le cœur de farouches maximes,
De ses charmes secrets avez-vous triomphé ?
 Vostre prévoyance est trompée.
Vous venez d’éprouver par un fatal retour
Qu’il n’est contre les traits que sçait lancer l’amour
 Point d’armure assez bien trempée.
***
 Vous voilà donc bon gré malgré
 De l’Amour devenu la proye.
Ce Dieu mesme s’est fait une maligne joye
D’en faire aller l’ardeur jusqu’au dernier degré.
 Je gage que pour mettre en poudre
Ce cœur qui sembloit fait d’une masse d’airain,
Au lieu de ses flambeaux il a pris chez Vulcain
 Le feu dont se forge la foudre.
***
 Nous qui suivons ses étendars
 En qualité de volontaires,
Qui courons au devant de ses fléches legeres,
Nostre joye avec luy ne court aucuns hazards.
 Nous ne sentons ny feu, ny chaînes.
Nous disposons de nous au gré de nos desirs ;
Et rencontrant par tout de solides plaisirs,
 Nous n’avons que de fausses peines.
***
 Pourquoy contre des cœurs soumis,
 Qui luy font un sincere hommage,
Mettroit il & les fers & les feux en usage ?
Tous ces apprests sont bons contre ses ennemis.
 Pour eux vainqueur inexorable,
Il en fait le butin des Amours serieux.
Pour eux point de faveurs, de plaisirs, ny de jeux,
 Et toujours Maistresse intraitable.
***
 C’est où vous en estes reduit.
 Car que vous sert qu’une Maistresse
Vous témoigne peut-estre une égale tendresse,
Si les faveurs n’en sont & la preuve & le fruit ?
 Que sert qu’en vostre amour extrême
Vous sacrifiez tout pour meriter son cœur,
Si malgré son panchant au fier tiran d’honneur
 Elle vous immole elle-mesme ?
***
 Mon Amour dans ses alimens
Est un Enfant âpre à sa bouche.
Il s’accommode peu quand quelque objet le touche,
De la frugalité des amours de Romans.
 Une Beauté trop ménagere
De ces biens dont le don ne l’appauvriroit pas,
Pour Aronce & Cyrus peut avoir des appas,
 Pour moy c’est viande trop legere.
***
 Tous ces Heros d’invention
 Me semblent de méchans modelles.
Faire dix ans l’amour, estre aimez de leurs Belles,
Sans succomber jamais à la tentation !
 Une sagesse si complete
Outre le naturel, ressent l’enchantement,
Et plus un bel Objet est un tresor charmant,
 Plus il a de biens qu’on souhaite.
***
 Les Amadis l’entendoient mieux.
 Toujours en croupe quelque Infante,
Que l’on n’estimoit pas moins chaste & moins prudente,
Pour prendre sur l’Hymen des droits delicieux.
 Par cette loüable coutume
On voyoit sans ennuy ces preux Avanturiers
Promener leur constance & leurs actes guerriers
 Jusques au douziéme volume.
***
 Lisant ce que je vous écris,
 Sans doute vous trouvez étrange
Que je n’y mêle point un seul trait de loüange,
En faveur de l’Objet dont vous estes épris.
 Je sçay bien que rien ne l’égale,
Par les charmes du corps, & le tour de l’esprit ;
Mais pour la bien loüer je sens trop de dépit,
 Et je la regarde en Rivale.
***
 Aprés la perte que je fais,
 Si vous voulez vaincre ma haine,
Il faut me venir voir deux fois chaque Semaine,
Et je rendray justice à ce qu’elle a d’attraits ;
 Sinon, deust me faire querelle
Tout Paris conjuré pour en dire du bien,
Je ne pourray jamais vous dire qu’elle ait rie
 Que merite vos soins pour elle.

[Quatrain sur le corps d’une momie d’Egypte]* §

Mercure galant, janvier 1692 [tome 1], p. 94-95.

Le Voyageur qui le montre aux curieux, pretend que ce soit celuy d’une Princesse d’Egipte, descendue du sang des anciens Rois. C’est là-dessus que l’on a fait ce Quatrain.

L’objet des Curieux & l’amour des Sçavans,
Je sors du Sang des Rois des Climats de l’Aurore.
Victime de la Mort depuis quatre mille ans,
 Malgré la mort je vis encore.

[Etreines galantes] §

Mercure galant, janvier 1692 [tome 1], p. 136-147.

Ce n’est pas toûjours par la grandeur du present, qu’on fait estimer ce que l’on donne. La galanterie en fait souvent tout le prix, & comme il est ordinairement plus difficile de faire paroistre de l’esprit dans de petites choses que dans de grandes, ceux qui réussissent par le tour, l’agrément & l’invention qu’ils trouvent moyen de faire briller dans ce que l’on peut traiter de bagatelles, ne meritent pas de mediocres loüanges. Voyez Madame, si vous pourrez refuser les vostres à la maniere toute galante & spirituelle dont un jeune Cavalier s’est servy au commencement de cette année, pour faire une declaration d’amour. Sur la fin du mois passé une jolie Demoiselle à qui il rendoit des soins un peu assidus, luy demanda en riant ce qu’il vouloit luy donner pour ses Estrennes. Il luy répondit qu’elle le verroit, & qu’il y avoit déja pensé. Cette réponse qui pouvoit le mettre en droit d’aller plus loin qu’elle n’auroit souhaité, fit qu’elle ajoûta que si elle consentoit à recevoir un present de luy, c’estoit à condition que ce Present seroit d’une tres-petite consequence, ou plustost qu’il n’auroit point d’autre prix, que celuy que son esprit luy pourroit donner, sans quoy il pouvoit se tenir seur d’estre refusé. Ces paroles furent prononcées d’un air qui fit sentir au Cavalier qui la connoissoit fort reservée, qu’il falloit luy obeir sans replique, & que le refus luy estoit seur s’il passoit les bornes qu’elle luy avoit prescrites. Il y avoit fort long temps qu’il aimoit la Demoiselle, sans qu’il eust osé se declarer autrement que par ses yeux, dont le langage avoit deu se faire entendre. La civilité, la franchise, & le favorable accueil dont ses soins estoient payez, avoient pour luy un charme sensible, mais tout cela ne se rendoit qu’à l’Amy qu’on vouloit trouver en sa personne, & il sembloit que l’Amant n’y pust prendre aucune part. C’estoit cependant en cette derniere qualité, qu’il eust bien voulu que l’on eust rendu justice à ses assiduitez, & brûlant d’envie de se declarer, il prit l’occasion qui s’offroit. Il vint saluer la Demoiselle le premier jour de l’année & luy mit une petite boëte entre les mains, en la priant de ne point l’ouvrir qu’elle ne fust seule. Comme il la vit obstinée à vouloir sçavoir ce qu’il avoit mis dedans, il se mit à rire, & luy dit qu’il avoit suivy ses ordres, & qu’elle n’y trouveroit rien autre chose qu’un Oiseau, qui n’avoit point encore pris l’essor. L’impatience où elle parut de s’éclaircir mieux, l’obligea de la quitter sans luy parler davantage. Il luy promit seulement de revenir la voir sur le soir, pour apprendre d’elle comment elle auroit traité son Oiseau, & si son chant l’auroit satisfaite. A peine fut-il sorty qu’elle ouvrit la Boëte sans en examiner le couvercle, tant elle avoit envie de sçavoir de quelle nature pouvoit estre un Oiseau si petit & si tranquille ; mais elle fut bien surprise de n’y trouver que trois pains de cire gros comme le bout du doigt, & arrangez au fond de la Boëte. Le premier estoit blanc, le second rouge, & le troisiéme vert. Elle leut sur le premier, Simplicité, sur le second, d’un feu, & sur le troisiéme, qui se nourrit d’esperance. Ces mots estoient écrits sur la Cire en un caractere fort net, quoy que fort petit, & avoient rapport aux couleurs des petits pains sur lesquels on les lisoit ; la Simplicité au blanc, le Feu, figure de l’amour, au rouge, & l’Esperance au vert ; la Belle comprit aisément le sens de ces paroles, & quand elle auroit voulu ne les pas entendre, les Vers suivans qui estoient dans le Couvercle de la Boëte écrits avec du Cinabre sur une feuille d’or collée sur le bois, ne l’auroient laissée dans aucune incertitude.

Au lieu de ces Couleurs qui parlent de ma flâme,
Je voulois, belle Iris, vous presenter mon Cœur,
 Mais voyez quel juste blâme
 Auroit suivi mon erreur.
Ce Cœur, ce même Cœur dont je faisois largesse,
Ce Cœur estoit à vous, vous en estes Maistresse.

Lors que la Belle eut tiré les Pains de Cire hors de la Boëte, elle leut dans le fond cet autre Madrigal, qui estoit écrit comme le premier.

Ne vous offensez pas de mon sincere aveu.
Belle Iris, cet amour qui veut enfin paroistre,
 Et devant vous faire éclater son feu,
 Vous ne le pouvez méconnoistre.
C’est vostre Enfant, vos charmes l’ont fait naistre.

Tout le dedans de la Boëte estoit doré, & le dehors azuré. Les Chifres de la Demoiselle & du Cavalier estoient sur le couvercle, entrelacez avec beaucoup de delicatesse, & couronnez d’une Guirlande dont les liens les entouroient. Au dessous de ces Chifres, il y avoit un Cœur enflamé, percé d’une Fleche, dont la pointe sembloit menacer un autre Cœur, qui n’estoit point enflamé avec ces mots à l’entour, S’il pouvoit y estre sensible. A costé des Chifres estoient de petits vases brûlans, avec ces mots au dessus, Rien de plus pur, tout cela en or sur l’Azur, & travaillé avec une propreté charmante. Aussi la Belle ne put-elle revoir celuy qui luy avoit fait ce galant Present, sans luy dire entre autres choses que la veuë de son Oiseau l’avoit agreablement surprise, qu’elle en auroit soin, & prendroit mesme plaisir à entendre son ramage.

[Autre galanterie] §

Mercure galant, janvier 1692 [tome 1], p. 147-149.

Voicy une autre galanterie, faite par un homme d’un merite distingué. Une aimable Demoiselle ayant distribué un Gasteau le jour des Rois, il trouva un cœur de sucre au lieu de féve dans la part qui luy écheut, & luy renvoya ce cœur le lendemain, avec ces Vers.

A MADEMOISELLE T.

 Roy de la féve, ou Roy d’un cœur,
Cela m’est tout égal ; une telle avanture
Eust esté pour un autre un favorable augure ;
Mais moy, sur qui l’amour exerce sa rigueur,
Je ne la prendray point pour marque de bonheur.
Je veux plûtost du Sort admirer le caprice,
Qui m’a donné sans choix & sans discernement,
Ce que je ne croy pas meriter un moment.
 Pour reparer son injustice
 Et son bizarre aveuglement,
 Souffrez, belle & jeune Brunette,
 Qu’entre vos mains aujourd’huy je remette
Des biens qui ne sçauroient estre trop tost rendus,
Puis que c’est à vous seule à qui les cœurs sont dûs.

[Autre] §

Mercure galant, janvier 1692 [tome 1], p. 149-152.

La galanterie n’a pas seulement lieu dans les choses où l’amour prend quelque part ; il suffit d’avoir de l’esprit pour la faire entrer dans celles qui sont les plus serieuses, & c’est ce qui a paru dans un present d’un Voile de Calice fort riche, fait depuis peu à Mr l’Archidiacre de Paris. Ce Voile estoit envelopé de telle sorte, qu’en défaisant le paquet, on voyoit d’abord des tasses de Porcelaine, des cueillers de Vermeil doré pour prendre du Café, & de petits pains de Sucre de la longueur du doigt. Pour mieux tromper celuy à qui ce present estoit adressé, on avoit écrit sur le paquet, Excellent Café. Ces tasses & ces cueillers luy avoient esté prises par plaisanterie, sans qu’il s’en fust apperceu, & on luy en faisoit la restitution, en envoyant le Voile, que l’on accompagna de ces Vers.

 Je suis un petit Present,
Ou que l’on donne, ou que l’on rend ;
Car n’est-ce pas un trait plaisant
De faire estrenne à qui l’on prend ?
***
L’Etiquete trompe souvent,
C’est là, dit-elle, en me celant,
 Du vray Café de Levant.
Il est tres bon, tres-excellent ;
 Archidiacre sçavant,
 Jugez-en en le buvant.
***
 Que dites-vous en me developant
Des Tasses, des Cueillers, du Sucre de Bantan ?
 Vous devinez en vous trompant.
Quoy donc, du Chocolat ? N’en demandez pas tant.
***
Comme â ce premier jour de l’an
Je veux par tout rimer en an,
Je ne sçaurois ainsi rimant
Me declarer en me nommant ;
Mais voyez pour quelques momens
Si vray je dis, ou si je mens.
***
Vous sçaurez donc énigmatiquement
Qu’une * Viole, agreable Instrument,
Me declare suffisamment ;
Car sans un grand dérangement,
Sans m’y chercher peniblement
Vous m’y trouverez seurement.
C’est assez d’éclaircissement.
Je vous souhaite le bon an.
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[Etablissement d'une Academie de Peinture & de Sculpture à Bordeaux] §

Mercure Galant, janvier 1692, p. 153-157.

 

Il y a prés de quatre ans que les Peintres & les Sculpteurs de la Ville de Bordeaux formerent le dessein d'y établir une Academie de Peinture & de Sculpture, sur le modelle de celles de Paris & de Rome. Ils y trouverent d'abord de grandes difficultez qu'il fallut lever, & ayant eu enfin l'avantage d'en venir à bout, ils obtinrent l'Esté dernier les Lettres patentes qui leur estoient necessaires pour ce nouvel établissement. On peut dire que les soins de Mr le Blond de la Tour, qui se trouva à la teste de sa Compagnie, n'y contribuerent pas peu. Je ne vous dis rien de luy. Sa capacité est assez connuë par le Livre qu'il a composé sur le mélange des couleurs. Ils choisirent Mr l'Archevêque de Bordeaux pour leur Protecteur, & Mr l'Abbé Bardin, Archidiacre de cette Eglise, leur donna une Salle dans le College de Guienne, dont il est Principal, avec l'agrément de Mrs les Jurats, qui sont les Patrons de ce College. Par un Reglement de leurs Statuts, ils sont obligez de faire celebrer tous les ans une Messe solemnelle pour la conservation de la Personne sacrée du Roy. Ils voulurent faire l'ouverture de leur Academie par une action digne de leur zele, & choisirent pour cela le Dimanche 16. du mois passé. Ils poserent le matin un Buste du Roy sur la porte de l'Academie, au bruit d'un grand nombre de boëtes, qui tirerent encore plusieurs fois pendant le reste du jour. Sur les dix heures, Mr l'Archevesque, accompagné de ses Vicaires Generaux & d'une partie du Chapitre, Mr le Marquis de Sourdis, Commandant dans la Province, suivy de beaucoup de Noblesse, Mrs les Jurats en habits de ceremonie, & un grand nombre de Personnes de qualité, de l'un & de l'autre Sexe, se rendirent dans la Chapelle du College, où l'on avoit élevé un Trône à la hauteur de cinq pieds, pour y placer le Portraie du Roy. La Messe y fut chantée par la Musique, & ensuite Mr l'Abbé de Barré prononça le Panegyrique de Sa Majesté, avec une grâce & une éloquence qui charmerent toute l'Assemblée. Il est impossible de parler avec plus de justesse, de goust & de discernement sur une matiere dont les tours mesme sont usez, & il seroit à souhaiter que sa modestie ne s'opposast pas à rendre public un Discours dont la lecture feroit mieux son éloge, que tout ce qu'on pourroit dire à son avantage.

Livres nouveaux [Caractères naturels des hommes, de Bordelon]* §

Mercure galant, janvier 1692 [tome 1], p. 165-166.

On debite depuis peu un autre Livre nouveau, ruë de la Harpe, à la Sphere. Il a pour titre, Caracteres naturels des Hommes, & contient cent Dialogues. Mr Bordelon en est l’Auteur. Son nom vous est connu par plusieurs autres Dialogues de sa façon sur les choses difficiles à croire, que vous avez leus avec plaisir dans mes Lettres. Je croy que ces nouveaux Dialogues ne seront pas moins de vôtre goût. Ils sont courts, & l’on y trouve d’abord le Fait, ce qui n’est pas ordinaire. Il faut qu’un Auteur prenne beaucoup de pouvoir sur son esprit pour l’arrester quand il veut.

Livres nouveaux [Poème de l’abbé Villiers sur l’amitié]* §

Mercure galant, janvier 1692 [tome 1], p. 166-169.

Je viens à un Livre que vous attendez depuis long-temps, & pour lequel le bruit qu’il a fait dans les lectures, vous a prevenuë avec beaucoup de justice. C’est un Poëme de Mr l’Abbé de Villiers sur l’Amitié. Il est divisé en quatre Chants. Le premier renferme une description des avantages de l’Amitié en general. Le second roule sur le choix des Amis ; le troisiéme sur les Vices qui peuvent corrompre l’Amitié, & favoriser l’entestement, ou la lâcheté des Amis, & le quatriéme enseigne quels sont les principaux devoirs de l’Amitié. Vous sçavez par tout ce que vous avez veu de Mr l’Abbé de Villiers, qu’il a l’esprit fin, aisé, délicat, & que tous ses Vers partent de Source. Combien a-t-on fait d’éditions de l’Art de Prescher, & avec quel plaisir ne l’a-t-on pas leu, quoy qu’elles ayent esté faites sur une Copie dérobée, & par consequent imparfaite & peu correcte. On en a déja fait trois des Reflexions sur les Défauts d’autruy, & il ne faut rien de plus pour justifier de quelle beauté sont ses Ouvrages. Le dernier de l’Amitié, est assurément digne de luy. Vous y verrez du sublime & de l’agreable. Aussi peut on dire qu’il a trouvé l’art d’y conserver tout le sel, & tout l’agrément de la Satyre, en y obligeant pourtant tout le monde. Je vous parlerois plus amplement de cet excellent Ouvrage, si je n’estois asseuré qu’en le lisant, vous le trouverez beaucoup au-dessus de tous les Eloges que j’en pourrois faire. Ce Livre se vend chez le St Barbin.

Livres nouveaux [Œuvres de Mrs Corneille frères]* §

Mercure galant, janvier 1692 [tome 1], p. 169-174.

J’acheveray cet article en vous apprenant une chose qui vous sera sans doute agreable. Vous vous estes plainte plusieurs fois, ainsi que bien d’autres, du peu de soin que les Libraires de Paris avoient eu des Oeuvres de Mrs Corneille Freres, dont ils donnerent en 1682. une Edition en neuf volumes si pleine de fautes, soit pour un grand nombre de Vers entiers oubliez, soit pour une infinité de mots changez, ou obmis, qu’on peut dire que c’est ne les point avoir, que de les avoir d’une édition si defectueuse. Il est impossible d’y trouver du sens en beaucoup d’endroits. Les personnages y sont souvent confondus. On donne à l’un ce qui appartient à l’autre, ou l’on donne au mesme Acteur sans rien separer, ce que deux Acteurs doivent dire. Il n’y a presque point de Pieces où l’on ne trouve plusieurs fois quatre masculins, ou quatre feminins de suite, & cela est cause qu’on ne connoist presque rien en ce qu’on lit. Vous serez bien aise de sçavoir qu’on a enfin reparé cette negligence par une nouvelle Edition, qui commence à se debiter. On s’est si bien appliqué à la rendre correcte, qu’on a lieu de croire que le public en sera content Le Theatre de feu Mr de Corneille qui estoit en quatre parties, est presentement separé en cinq, & on l’a fait afin que les Volumes étant moins gros, se puissent ouvrir plus facilement. Les Examens particuliers de ses pieces qui estoient tous ensemble au commencement de chaque Volume, ont esté mis chacun à la fin de chaque piece, ce que l’on a cru plus à propos, parce qu’il est naturel de lire un ouvrage, avant que de lire l’examen que l’on en fait. On trouvera plusieurs changemens dans les cinq Volumes qui ont pour titre, Poëmes Dramatiques, & qui sont de Mr Corneille son Frere. Ces changemens regardent ce qu’il a trouvé dans ses Pieces de moins correct pour la Langue, & sur tout plusieurs façons de parler, qui estoient encore autorisées par l’Usage il y a vingt ans, comme alors que, pour lors que, lors pour alors, dedans, dessus, & dessous, pour dans, sur & sous. Le quatriéme Volume a esté augmenté du Festin de Pierre, dont les Comediens donnent chaque année plusieurs representations, & qui n’est pourtant de luy, qu’en ce qu’il a mis en Vers la Prose du fameux Moliere, à l’exception de quelques endroits un peu délicats, & des Scenes, où il paroist des Femmes au troisiéme & au cinquiéme Acte, & qui n’estoient point dans l’Original. On a mis aussi à la fin du cinquiéme Volume les deux Discours qu’il a prononcez à l’Academie Françoise. Ces dix Volumes se debitent chez les Srs de Luines, Trabouillet, & Besogne.

[Mr Toureil est nommé pour remplir la place qui vaquoit à l’Académie Françoise par la mort de Mr le Clerc] §

Mercure galant, janvier 1692 [tome 1], p. 174-177.

Le Samedy 12. de ce Mois. Mrs de l’Academie Françoise s’estant assemblez pour la proposition du Sujet qu’ils jugeroient le plus propre à remplir la place que la mort de Mr le Clerc a laissée vacante, Mr de Tourreil fut celuy qui emporta la pluralité des Voix. Mr l’Abbé Regnier Secretaire perpetuel de la Compagnie, alla le lendemain rendre compte au Roy de ce qui s’étoit passé, & Sa Majesté agréa qu’ils le choisissent, ce qui fut fait dans l’Assemblée du 19. du mesme mois, où par le second Scrutin tous les suffrages tomberent sur luy. C’est un homme de naissance, qui s’est toûjours rendu fort considerable par les talens de l’esprit. Deux prix qu’il a remportez pour les pieces d’Eloquence au jugement de l’Academie, étoient un préjugé favorable qu’il y mériteroit bien-tost une place, & l’excellente traduction qu’il nous a donnée des Harangues de Demostene, l’a fait voir tres-digne de la réputation qu’il s’estoit déja acquise ; mais ce qui est au dessus de tout, c’est de voir qu’un grand Ministre, infiniment éclairé en toutes choses, l’ait choisi comme un homme de Lettres, & d’un merite distingué pour l’attacher à Mr son Fils. Il sera receu le mois prochain dans la Compagnie, & ce sera un nouvel article pour la premiere Lettre que vous recevrez de moy.

[Article XI de la Capitulation de Limerick]* §

Mercure galant, janvier 1692 [tome 1], p. 191-193.

XI.

Que les Garnisons des Chasteaux de Clarre, Rosse, & les autres Troupes d’Infanterie qui sont en garnison dans les Comtez de Corke, Clarre, & de Kerry, joüiront de la presente Capitulation, & ceux desdites Garnisons qui veulent passer en France, sortiront avec leurs armes, bagages, balle en bouche, tambour battant, méche allumée par les deux bouts, Enseignes déployées, & les provisions de bouche avec la moitié des munitions de guerre qui y pourront estre, & passeront avec la Cavalerie, s’il n’y a pas assez de Vaisseaux avec le premier Corps d’Infanterie qui sera transporté aprés la Cavalerie, auquel effet Mr le General Guinkel leur fera fournir des voitures & des vivres, dont elles auront besoin pour leur subsistance pendant le temps qu’elles seront en chemin, en payant pour lesdites provisions où ils les prendront dans leurs Magasins.

[Article XXV de la Capitulation de Limerick]* §

Mercure galant, janvier 1692 [tome 1], p. 204-205.

XXV.

Qu’il sera permis à ladite Garnison de Limerich de sortir en une seule ou plusieurs fois selon qu’elle pourra estre embarquée avec armes & Bagage, Tambour battant, Mesche allumée par les deux bouts, Enseignes déployées, six pieces de Canon de fonte au choix des Assiegez, deux Mortiers, & la moitié de toutes les Munitions de Guerre qui sont dans les Magazins de ladite Place, & pour cet effet il en sera fait un Inventaire en presence de telle personne que le General Guinkel nommera le lendemain de la signature dudit Traité.

[Roi d’Angleterre reçu au cloître Saint-Martin près de Tours]* §

Mercure galant, janvier 1692 [tome 1], p. 211-214.

Sa Majesté descendit au Cloistre de S. Martin, dans la Maison de Mr l’Abbé Milon, Chanoine de l’Eglise de Tours, & Elle y fut traitée magnifiquement avec Mr le Duc de Barvik, & toute sa suite par Mr de Miromenil qui loge dans cette Maison. Le lendemain Elle entendit la Messe au Tombeau de S. Martin. Mrs du Chapitre, qui est un des plus anciens, & des plus nombreux du Royaume, l’attendoient à la porte de leur Eglise, où Mr l’Abbé Bernin qui en est Tresorier & Chanoine, & Mr l’Abbé de Gallizon qui en est Chantre & aussi Chanoine, luy donna une portion de la vraye Croix à baiser. Ensuite ces deux Messieurs, tout le Clergé & le Peuple qui estoit accouru en foule, conduisirent ce Monarque au Tombeau de Saint Martin, où la Messe fut celebrée par Mr l’Abbé du Champ, Camerier, de la mesme Eglise, assisté de ses Marguiliers. Sa Majesté se mit à genoux au pied du Sepulchre sur le quel on avoit placé une partie du Chef, & une autre du Bras de S. Martin, & un Crucifix au milieu, & donna toutes les marques de l’ancienne pieté de nos Rois envers ce S. Lieu, où à commencer par Clovis, on les a veu venir dans tous les temps implorer l’assistance Divine. La Messe finie, le Roy d’Angleterre & toute sa suite admirerent en s’en retournant la grandeur & la magnificence de ce Temple, qui est un des plus vastes & des plus anciens Edifices qui nous soient restez du cinquiéme siecle de l’Eglise.

[Mort de Messire Gabriel Remon]* §

Mercure galant, janvier 1692 [tome 1], p. 229-231.

Le 30 du mesme mois, l’Eglise de Tours perdit Messire Gabriel Remon, qui en estoit Chanoine dés l’an 1618. & Prevost de Leré. Il s’estoit rendu recommandable par son exacte assiduité aux Offices divins, & par sa grande charité envers les Pauvres. Longtemps avant qu’il mourust il avoit distribué tous ses biens à son Eglise, aux Monasteres, & aux Hôpitaux, & n’en avoit retenu que ce qu’il en falloit pour ses funerailles, & pour n’estre point à charge à sa Famille aprés sa mort. Depuis trois ou quatre ans il passoit tous les jours de son extrême vieillesse dans le Chœur à l’Office, & dans l’enceinte du tombeau de Saint Martin, au pied des Autels, & devant un Crucifix dans sa chambre. Les Riches ne l’ont pas moins regretté que les Pauvres, qui le regardant comme leur Pere, ne pouvoient quitter son cercueil, ny abandonner celuy qui pendant sa vie avoit eu pour eux des entrailles de misericorde. Le Prieuré de Leré qu’il possedoit est un Personnat, ou dignité de l’Eglise de Saint Martin de Tours, qui le rendoit Chef du Chapitre de Leré en Berry. Ce Chapitre, tant pour le spirituel que le temporel, dépend de cette grande Eglise, à qui avec le Prevost appartient le Fort & la Ville de Leré.

[Vers faits pour une Dame deux jours avant sa mort] §

Mercure galant, janvier 1692 [tome 1], p. 240-243.

Les Vers que vous allez lire sont d’une personne de vostre sexe, qui les a faits lors qu’elle estoit attaquée d’une maladie qu’elle sçavoit incurable, & peut-estre vous sembleroient-ils marquer trop de fermeté, si les deux derniers ne faisoient connoistre, que la tranquillité qu’elle montre, venoit de la confiance qu’elle avoit en la misericorde de Dieu.

 Bientost la lumiere des Cieux
 Ne parroistra plus à mes yeux.
 Bientost quitte envers la Nature,
 Je vais dans une nuit obscure
Me livrer pour jamais aux douceurs du sommeil
Je ne me verray plus par un triste réveil
Exposée à sentir les troubles de la vie.
Mortels, qui commencez icy-bas vôtre Cours
 Je ne vous porte point d’envie
Vostre sort ne vaut pas le dernier de mes jours.
***
 Viens, favorable Mort, viens briser les liens
Qui malgré moy m’attachent à la vie.
  Frappe, seconde mon envie.
 Ne point souffrir est le plus grand des biens.
Dans ce long Avenir j’entre l’esprit tranquille.
Pourquoy ce dernier pas est-il si redouté ?
Du Maistre des Humains l’éternelle bonté
Du malheureux Mortel est le plus seur azile.

[Détail sur ce qui s'est passé touchant le secours que le Duc de Savoye vouloit donner à cette PlaceI §

Mercure Galant, janvier 1692, p. 263-265.

 

Aprés vous avoir fait part de tout ce qui regarde le Siege de Monmelian, je croy vous devoir apprendre l'Histoire des mouvemens qui se sont faits pour secourir cette Place. Elle est fort curieuse & assez particuliere. Monsieur de Savoye ayant appris à Turin que Monmelian étoit assiegé, crut par des raisons politiques devoir feindre de l'ignorer, & se rendit à Milan, où il estoit attendu, & aprés son arrivée le Marquis de Leganez le pria à un grand Souper, & à un Bal avec Mr l'Electeur de Baviere. Ils s'y rendirent, & lors qu'aprés le Soupé on eut commencé le Bal, il arriva un Courier avec des nouvelles qui portoient que Monmellian estoit assiegé dans les formes, & que selon tous les preparatifs que l'on avoit faits, il y avoit apparence, que ce Siege seroit poussé vigoureusement. Ce Courier ayant rapporté ces nouvelles-là tout haut dans l'Assemblée, Monsieur le Duc de Savoye prit de là occasion de parler fortement à Mr le Leganez, pour avoir des Troupes Espagnoles, & tâcha d'engager Mr de Caraffa d'en donner d'Allemandes, afin de pouvoir secourir la Place.

[Divers Ouvrages faits sur la prise de Montmelian] §

Mercure galant, janvier 1692 [tome 1], p. 271-288.

Je vous envoye quelques Ouvrages qui ont été faits sur cette derniere Conqueste de Sa Majesté. Les trois premiers que vous allez lire sont de Mr de Vin.

SUR LA PRISE
de Monmelian.

 Hé bien, politiques François,
De vos prédictions quelle est la certitude ?
 Quand viendra cette servitude
 Dont nous menaçoit autrefois
 Vostre timide inquietude,
Et sommes-nous encor tous reduits aux abbois,
Comme vous le disiez quand Bourbon * & Turenne
Tomberent sous les coups de la Parque inhumaine ?
Si pour nostre malheur on vous en avoit cru,
La France alloit perir, & tout estoit perdu,
 Telle qu’un Vaisseau sans Pilote,
Que Neptune en couroux de tous costez balote,
Elle vous paroissoit pour lors en grand danger,
 Et cette Ligue menaçante,
Qu’enfanta de Nassau l’ambition bruslante,
Ne vous la faisoit voir que preste à submerger.
De ces deux grands Guerriers la trop funeste perte
 Vous la representoit ouverte
Aux flots impetueux de tous ses Ennemis,
 Qui confus & tremblans de crainte,
Toujours battus par eux, en fuite toujours mis,
 Ne s’exposoient que par contrainte
 Aux coups, dont à peine gueris,
Ils avoient tant de fois senty la rude atteinte.
 Nous n’avons plus de Generaux
Qui puissent soutenir de la chose publique
Le poids trop accablant ; c’est ce qu’à tous propos
Debitoit en tous lieux vostre terreur panique,
Vous gemissiez pour lors de ne les avoir plus,
Et quand on vous disoit que faits sur leur modelle,
D’autres suivroient de prés leur valeur & leur zele,
Vous traitiez ce discours de chanson & d’abus.
 Je ne fais point de paralelle ;
Je regrette, je pleure encor ces deux Heros.
Je sçay ce qu’ils valoient, & que par leurs travaux
Tous deux se sont couverts d’une gloire immortelle.
 Ouy, nous ne pouvons trop loüer
 Ce qu’ils ont fait en faveur de la France,
 Et l’on ne craint point d’avouër
Que nous devons beaucoup à leur rare prudence.
L’un estoit nostre Achille, & l’autre nostre Hector ;
 Cependant l’un & l’autre est mort,
Et le mesme bonheur toujours nous accompagne.
 Luxembourg aux champs de Fleurus
Triomphe d’un seul coup des Princes d’Allemagne,
 De l’Angleterre, & de l’Espagne.
Tourville sur ses pas, quand Duquesne n’est plus,
D’une audace qu’encor tout l’Univers admire,
Brûle & bat sur la mer les superbes Anglois
 Unis avec les Hollandois,
Qui seuls jadis entre eux s’en disputoient l’Empire.
Loüis mesme, Loüis que leur flateuse erreur
Leur peignoit comme un Roy desormais incapable,
De rompre du repos le charme trop aimable,
Et d’avoir pour la guerre encor la mesme ardeur,
Loüis, dis je, en un temps où Mars avec Bellone
Assis prés d’un bon feu laisse broüiller ses traits,
 Loüis le Grand que rien n’étonne,
 Et plus vigoureux que jamais,
Aux rigueurs de l’hyver s’expose, s’abandonne,
Marche, court à la gloire, & prend Mons en personne.
 Desabusé de cette erreur
Nassau pour l’empescher accourant prés de Hale,
Voit en luy le mesme homme, & la mesme valeur
 Qui luy fut toujours si fatale,
 Et ce prodigieux succés
 A sa honte luy fit connoistre
 Qu’un Heros ne vieillit jamais,
 Et qu’en approcher de plus prés,
C’estoit joüer sans doute â se donner un Maistre.
 A peine ce nouveau Tyran
Voit-il Mons de Louis implorer la clemence,
Que Nice, fiere encor, mais jusqu’à l’insolence,
D’avoir veu sans peril les armes d’un Sultan,
Et fait devant ses murs échoüer la puissance
 Du formidable Soliman ;
 Nice, dis-je, d’un coup de Bombe.
Lancé par Catinat, s’humilie & succombe.
Bien plus, qui l’eust pensé ! l’orgueilleux Monmeillan,
Qui sembloit sur son roc ne craindre que la foudre,
Vient sous ce mesme bras de voir d’un œil dolent,
Tomber tout son orgueil & ses remparts en poudre ;
 Et quand encor ? le croiroit-on ?
Tandis que l’Allemand préferoit à la gloire
Un chaud quartier d’hyver, & le plaisir de boire,
 Et lors que le froid Aquilon
 Fait sentir sur nostre hemisphere
Sa plus impetueuse & sanglante colere.
Ces feux qu’on fait par tout disent qu’il est soumis ;
Le bruit de nos Canons en porte la nouvelle
 Jusque chez nos fiers Ennemis,
Et leur apprend par là cette gloire immortelle
Que le destin promet à l’Empire des Lis.
Aprés cela, François, reprendrez-vous courage ?
 Quoy donc, en faut-il davantage
Pour de vostre frayeur guerir tous vos esprits ?
Hé bien, un peu de patience ;
 Montmeillan, Mons & Nice pris
Suffisent pour le faire, & peuvent par avance
 Vous répondre que nos Guerriers
Toujours heureux toujours pleins d’ardeur pour la France,
 Iront, & plûtost qu’on ne pense,
 Luy cueillir de nouveaux Lauriers.
Souffrez que Luxembourg & Catinat respirent.
L’un & l’autre a besoin de gouster un repos
Qu’on ne refuse pas aux plus grands des Heros.
Ils suivent d’assez prés les modelles qu’ils prirent,
Et tous deux à leur gloire ils font voir qu’ils aspirent :
 Mais donnez leur, sans les presser,
 Le loisir de se délasser.
 Vostre rigueur trop inhumaine
Veut-elle qu’épuisez par les veilles d’un Camp,
Ils aillent, & sans fruit, & sans reprendre haleine,
  Verser jusqu’à leur dernier sang ;
Quoy, mesme les Heros que nous chantent les Fables
 Estoient-ils donc infatigables ?
Quoy, l’intrepide Fils du brave Amphitrion
S’occupoit-il toûjours à vaincre un Geryon ?
Cette fatigue au monde eust esté trop fatale.
On le vit quelquefois entre les bras d’Omphale
  Joüir d’un utile repos ;
La Quenoüille à la main il filoit avec elle,
  Et l’on sçait de ses grands travaux
Qu’allant se délasser auprés de cette Belle
 Il n’en sortoit que plus heros.
 Je me garderay bien de dire
Que d’Hercule en cela tendres imitateurs
Ils laissent quelquefois soupirer leurs grands cœurs ;
Mais ils peuvent avoir chacun leur Dejanire,
Et sans crainte, en gouster les charmantes douceurs.
Je vous promets pour eux qu’à leur gloire fidelles,
 Ils iront aprés d’un grand pas
Chercher ces Ennemis qui fuyent les combats,
 Et qu’au retour des hirondelles
Tel qui s’en croit sauver, & qui n’y pense pas,
Sentira de nouveau ce que pesent leurs bras.
2

AUTRE.

Dans la rude saison ou la Bize en fureur
Fait sentir en tous lieux sa plus grande rigueur,
A dompter Montmeillan la bravoure Françoise
 Occupe toute son ardeur.
 L’Allemande, & la Bavaroise
 S’exerce, au lieu de le sauver,
 A prendre des quartiers d’hyver
 Sur ses Amis à force ouverte,
Et sans tenter du moins d’en retarder la perte,
A ne songer enfin qu’à se bien conserver
 Sa violente & mal-honneste,
 Mais chaude, & vineuse conqueste.
Tous ses vastes projets sont terminez-par là.
Vous en avez voulu sçavoir la difference.
 Hé bien, volontiers, la voila.
Cependant pour le prix de mon obeissance,
A laquelle des deux, Climene, aprés cela
 Donnerez-vous la préference ?
Ah, c’est, me direz-vous à celle de la France.
 D’accord ; je vois que sa valeur
Dans tout ce qu’elle fait ne cherche que la gloire ;
Mais l’Allemande d’autre humeur
 Fuit les coups, & n’aime qu’à boire.

AUTRE.

Subjuguer Nice, & Mons au retour du Zephir,
 Et quand la Bize trop cruelle
 Au coin du feu nous fait tenir,
Dompter Monmelian, voila ce qui s’appelle
 Bien commencer, & bien finir.

Voicy encore trois Madrigaux sur cette mesme matiere. Le premier est de Mr de Lorme, Avocat au Parlement de Grenoble.

SUR LA PRISE
de Montmeillan, & sur les
vains efforts de la Ligue.
MADRIGAL.

Ce Fort si renommé, qu’on croyoit imprenable,
Vient enfin de ceder à nos braves François.
A leur rare valeur rien n’est insurmontable
 Sous LOUIS le plus grand des Rois.
Tout prouve desormais la puissance admirable
 De ce Monarque incomparable.
Allemans, Espagnols, Princes des Nort, Anglois,
Holandois, Savoyards, Liégeois,
Et d’autres Alliez une troupe innombrable
Semblent n’avoir formé leur Ligue épouventable,
Que pour venir en Corps se soûmettre à ses Lois.

SUR LA PRISE
de Monmelian.

Quelle gloire à Louis le Grand !
Par le Siege de Mons il ouvrit la campagne,
 Et foudroya cette fiere Montagne.
 Il la finit encor en Conquerant,
Il prend un autre Mont, imprenables important.
En vain le Savoyard avec un air d’audace,
De son fameux rocher veut defendre la Place,
Il la renforce en vain des frimats qu’il attend.
Les Armes de Louis surmontent tous obstacles,
 Ses Conquêtes sont des Miracles
 L’Hyver il prend Montmelian.

SUR LA PRISE
de Montmelian, qui a terminé la Campagne de 1691. ouverte par la prise de Mons.
MADRIGAL.

Comment les deux Heros d’une Ligue si fiere,
 Le grand Nassau, le grand Baviere,
 Ces Princes favoris de Mars,
 Ont-ils souffert qu’on prist en leur presence
 Leurs deux plus fermes Boulevars,
Sans vouloir seulement en tenter la défense ?
Les François, dit l’un froidement,
Sont trop tost en campagne, est-on prest à les battre ?
 Et l’autre ajoûte brusquement,
Ils y sont trop longtemps ; on est las de combattre.

[Nouvelle Médaille]* §

Mercure galant, janvier 1692 [tome 1], p. 288-289.

Comme je fais graver les Medailles de l’Histoire du Roy, non pas suivant qu’elles ont esté frapées, mais selon qu’elles tombent entre mes mains, celle que je vous envoye presentement devroit avoir esté une des premieres, puis qu’elle marque le temps où Sa Majesté a commencé à regner par Elle mesme. On voit dans le revers ce Monarque armé à la Romaine, & couronné de laurier, tenant en sa main un Gouvernail. Le Cube represente sa fermeté dans toutes ses actions, & le Gouvernail, le maniement des affaires de son Royaume dont il prend la conduite.

[Loterie chez M. Philidor]* §

Mercure Galant, janvier 1692, p. 299-302.Voir également à ce sujet cet article et cet article.

Pour vous répondre sur ce que vous demandez si les Lotteries font encore un des divertissemens du Carnaval, comme elles firent l'année derniere, je vous diray qu'il y en a peu, & que l'on ne parle plus que de celle de Mr de Philidor l'ainé, Ordinaire de la Musique du Roy, qui fut ouverte à Versailles le Carnaval dernier, & qui sera tirée la premiere semaine de Caresme, chez Madame la Princesse Douairiere de Conty, ce qui ne sçauroit manquer, puis qu'elle se trouve remplie, à tres-peu de chose prés, de sorte que si ceux qui ont dessein d'y mettre ne veulent pas être surpris, ils n'ont point de temps à perdre. Cette Lotterie est faite sur le modelle de celle de Venize, où il n'y a qu'un seul Lot. Il est d'une Maison qui a esté prisée par ordre du Roy, & qui est estimée par justice vingt & un mille six cens livres. Elles est loüée quatorze cens livres, & comme les Billets ne sont que d'un écu, il n'y a personne qui ne puisse esperer un si gros Lot pour une si modique somme. Ceux qui ont souvent éprouvé la fortune favorable, ne doivent pas manquer une si belle occasion, qui leur apprendra s'ils ont lieu de se flatter qu'elle ne changera point. On y prend tant & si peu de billets que l'on veut. Ils se distribuent à Paris chez le sieur Louvet Marchand Papetier ruë de l'Arbre-sec à l'Empereur, & à Versailles chez Mr de Philidor, ruë de Bel-air.

Air nouveau §

Mercure galant, janvier 1692 [tome 1], p. 308-310.Le poème figure dans les Oeuvres de Madame et de Mademoiselle Deshoulières, parmi les oeuvres de cette dernière (Paris, Prault fils, 1753, t. 2, p. 247 ; cf. LADDA 1692-20).

Je vous envoye un Air nouveau, sur une plainte fort ordinaire aux Amans qui sont privez du plaisir de voir ce qu'ils aiment.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air doit regarder la page 309.
Fuyez, Plaisirs, fuyez ; pour gouster vos appas
De ma juste douleur je suis trop occupée.
Vous paroissez envain où mon Berger n'est pas.
D'un coup mortel son départ m'a frappée.
Fuyez, Plaisirs, fuyez ; pour gouster vos appas,
De ma juste douleur je suis trop occupée.
images/1692-01a_308.JPG

[Autres Livres nouveaux] §

Mercure galant, janvier 1692 [tome 1], p. 310-319.

Le Sr Coignard, Libraire du Roy, ruë S. Jacques, à la Bible d’or, commence à debiter Jephté, Tragedie de Mr Boyer, de l’Academie Françoise. Vous devez avoir entendu parler de cette Piece, aprés le grand nombre de lectures qui en ont esté faites depuis un an chez Mr l’Abbé Testu, dans de grandes Assemblées, que l’on a veu toûjours composées d’une infinité de gens d’esprit, & de personnes d’un rang distingué de la Cour & de la Ville. Si la lecture ne luy donnoit pas toutes les graces que les Ouvrages de cette nature ont accoûtumé de recevoir sur le Theatre, des differens Acteurs qui les representent, elle avoit en récompense les ornemens d’une excellente Musique, de la composition de Mr Oudot. Tous les Chœurs estoient chantez, & le chant s’accommodoit si bien aux paroles, qu’il estoit impossible de ne pas entrer dans les mouvemens de crainte, de douleur, ou de joye qu’elles exprimoient, selon ce qui se passoit successivement. Aussi peut-on dire que cet Ouvrage a receu une approbation generale, & qu’il est un des plus beaux que nous ait donnez son illustre Auteur. La beauté des Vers y soutient par tout celle du sujet, & quoy qu’il ait esté obligé d’en retrancher, comme il le marque dans sa Preface, tout ce qu’il y a de plus vif & de plus humain dans les Tragedies ordinaires, c’est à dire, les emportemens de l’amour profane il l’a si bien diversifiée par tout ce que la tendresse du sang peut trouver de plus propre à interesser & à émouvoir le cœur, que rien ne languit dans l’action. Ce que vous admirerez dans cette excellente Tragedie, c’est que le principal incident du sujet, qui est le Sacrifice d’une Fille par les ordres de son Pere, ayant esté déja vû sur le Theatre, il l’a conduit avec tant d’adresse, qu’il luy a donné une forme qui le fait paroistre tout nouveau.

On vient d’imprimer un autre Livre, intitulé, Des mots à la mode, & des nouvelles manieres de parler. Ce sont deux Discours en forme de Dialogues, dont la lecture donne beaucoup de plaisir. On y trouve des tableaux faits d’aprés la nature, de diverses manieres d’agir, & de s’exprimer de plusieurs gens de la Cour & de la Ville, & s’ils ne plaisent pas également à toutes sortes de gens, cela ne sçauroit venir que de ce que quelques-uns se reconnoissent dans ces peintures generales, quoy que l’Auteur assure qu’il ne les a faites pour personne en particulier. Cependant quoy qu’ils s’y trouvent avec leurs defauts favoris, & qu’ils paroissent avoir quelque sujet de se plaindre, lors que l’on fait remarquer ce qu’il y a de ridicule dans les effets de leur vanité, ils ne doivent pas en vouloir du mal au Peintre, qui sans les connoistre les a representez tels qu’ils sont. C’est à eux à reformer les Originaux, & à regler leurs discours & leurs actions d’une maniere qui ne les expose plus à la raillerie ny à la censure. Ce Livre qui se vend chez le Sr Barbin au Palais, contient aussi un Discours en Vers sur les mesmes matieres. Je ne vous diray rien de son Auteur, dont le merite est assez connu par d’autres Ouvrages.

On trouve chez le Sr Quinet, aussi Libraire au Palais, une Nouvelle galante, qu’il debite depuis peu sous le titre Des Agrémens & Chagrins du Mariage. Comme il y a du pour & du contre, l’Auteur y a fait entrer beaucoup de peintures agreables, & peut-estre y a-t-il peu de personnes qui n’ayent interest à prendre party sur cette matiere. Quoy que cet Ouvrage puisse passer simplement pour un Jeu d’esprit, on en peut tirer de grandes utilitez. La conversation de Philogame & d’Antigame, dont l’un défend, & l’autre blâme ceux qui se marient, inspire les sentimens de défiance que l’on doit avoir du cœur humain, & fait connoistre qu’il est dangereux de s’engager dans le Mariage par la seule veuë du plaisir permis. Dans l’Histoire de Syngamis & d’Agamis Sophronie apprend aux honnestes Femmes les manieres dont elles se doivent servir pour retirer leurs Maris du libertinage, & Scortine fait voir en mesme temps, qu’il ne faut jamais se confier â une Fille que l’on voit dans le desordre. La vie & la mort de l’un & de l’autre, je veux dire de Syngamis & d’Agamis, nous servent d’instruction, & nous apprennent qu’autant qu’un homme sage & bien reglé vit heureux & meurt content, autant un débauché vit inquiet & meurt malheureux.

[Bal donné au Palais Royal] §

Mercure Galant, janvier 1692, p. 322-323.

Monseigneur le Dauphin étant venu au Palais Royal la semaine derniere, y fut traité par Monsieur avec la magnificence qui est ordinaire à ce Prince. Il alla l'aprés-dînée voir l'Opera d'Armide, aprés quoy il y eut grand jeu au Palais Royal, & le Jeu fut suivi du Bal, où l'on receut toutes les personnes de distinction, & tous les Masques, de sorte que plusieurs appartemens s'en trouverent remplis aussi bien que la grande Galerie. Il y eut grande Colation, & le Bal dura jusque bien avant dans la nuit.

[Avis] §

Mercure galant, janvier 1692 [tome 1], p. 325-326.

On continuë les Entretiens en forme de Pasquinades, dont le dixiéme sera debité le 15 de Février. Le bon accueil que fait le Public à cet Ouvrage, oblige l’Auteur d’en donner la suite. Quand il aura achevé l’Histoire du Prince d’Orange, qui ne contiendra plus que trois Entretiens, il passera à d’autres matieres, qu’il renfermera souvent dans un seul, & qu’il poussera quelquefois jusques à deux, mais sans l’étendre jamais davantage, afin de satisfaire ceux qui aiment les nouveautez.