1693

Mercure galant, juin 1693 [tome 7].

2017
Source : Mercure galant, juin 1693 [tome 7].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, juin 1693 [tome 7]. §

Prière pour le Roy §

Mercure galant, juin 1693 [tome 7], p. 7-16.

 

Je ne puis mieux commencer ma Lettre de ce mois-cy, que par un Ouvrage de la nature de celuy que vous allez lire. Non seulement il est de saison, mais il fait voir jusqu’où va l’ardeur du zele des Sujets du Roy, pour un Prince si digne de leur admiration, de leurs vœux, & de leur amour.

PRIERE POUR LE ROY.

Souverain des Mortels, qui d’une voix feconde,
As tiré du néant les merveilles du monde,
Toy qui tiens dans ses bords l’Ocean limité,
Et guides du Soleil le Char précipité,
Si ton bras, pour sauver une infidelle Race,
Des Peuples du Jourdain dompta jadis l’audace,
Et si les vœux ardens que poussoit un Mortel,
Livrerent Amalec au glaive d’Israël ;
Grand Dieu, pour proteger le Heros de la France,
Arme ce mesme bras de ta toute-puissance,
Et ne rejette pas les vœux réiterez
Qui s’élevent à toy de nos Temples sacrez.
 Ce pieux Conquerant que hait la pâle Envie,
Et qui contre sa rage en toy seul se confie,
A détruit pour jamais l’Empire du Demon,
Et forcé l’Heretique à réverer ton nom.
Tandis que nos Voisins demasquant leur faux zele,
Adorent le Veau d’or à leur honte éternelle,
Ces lâches deserteurs de la cause des Rois,
Sans craindre ta colere, insultent à tes Loix.
À ces nouveaux Titans fais donc mordre la poudre ;
Plonge-les sous les eaux, brûle-les de ta foudre.
Assez & trop longtemps un Prince audacieux
A violé les droits de la terre & des Cieux.
Cesse de separer le crime du supplice,
Et sur les Criminels signale ta justice.
 Mais si tant de Combats qu’il t’a plû de benir,
Peuvent estre garans d’un heureux avenir,
Quel espoir trop flateur, pour finir nos alarmes,
Doit la France attaquée interdire à ses armes ?
Qu’a produit jusqu’icy ce redoutable amas
De Guerriers assemblez de cent divers climats ?
Poussé du vain desir d’envahir nos rivages,
Le Batave a quitté ses bourbeux marécages.
L’Ibere bazané, bien que cent fois battu,
Ranime contre nous sa mourante vertu.
Le belliqueux Germain, l’effroy des Janissaires,
Fait luire aux bords du Rhin ses glaives sanguinaires.
Le fier Usurpateur qui commande aux Anglois,
Médite jour & nuit de tragiques exploits ;
Et des sommets neigeux de ses froides montagnes
L’Allobroge descend dans nos riches campagnes.
Mais malgré leurs efforts tes foudroyantes mains
Ont toujours renversé des projets fort hautains.
Ces fieres Nations contre nous soulevées,
Ont vû de jour en jour leurs Place enlevées ;
Et Staffarde & Fleurus blancs de leur ossemens,
Sont de nostre valeur d’éternels monumens.
Ainsi, que l’Ennemy fasse autour de nos testes
Tonner le bruit affreux des plus noires tempestes,
Sur ton secours la France établit son espoir,
Et l’Univers armé ne sçauroit l’émouvoir.
Tel un ferme rocher, au milieu de l’orage,
Des Autans & des flots dompte l’aveugle rage.
 Tandis que dans les yeux de nos braves Guerriers
Brille un noble desir de cueillir des Lauriers,
On voit nos champs couverts des Laboureurs tranquilles ;
Le commerce entretient l’abondance en nos Villes.
Le Roy d’un front égal trace de grands desseins,
Et la guerre en fureur ne nuit qu’à nos Voisins.
Nous les verrons bien-tost, ces cohortes si fieres,
Loin de nous attaquer, trembler pour leurs frontieres.
L’hiver fuit, & déja j’apperçois dans les airs
Un terrible appareil de foudres & d’éclairs.
Où fondra cet orage, & quel de tant de Princes
Doit voir ses Etats mis au rang de nos Provinces ?
De l’une à l’autre Mer tout est remply d’effroy ;
Et la pâle terreur donne par tout la loy.
Le Savoyard glacé sur les Alpes chenuës
Croit voir à tous momens crever le sein des nuës.
Puissant Dieu des Combats, quelque part que LOUIS
Aille se faire craindre, & replanter ses Lis,
Pour le bien de la France & l’honneur de l’Eglise,
Donne une fin heureuse à sa haute entreprise.
Fais que ses Ennemis gemissent dans les fers,
Et confons leur audace aux yeux de l’Univers.
Sur tout dans ce long cours d’une guerre inhumaine,
Sauve-le des perils où sa valeur l’entraisne.
Que les Anges armez suivent ses Etendarts,
Et gardent sa personne au milieu des hazards.
Cependant, puis qu’ainsi ta sagesse l’ordonne
Que toujours le Combat précede la Couronne
Les travaux glorieux de ce sage Heros
Conduiront ses Sujets dans un heureux repos.
Alors nous sentirons l’effet de tes paroles.
Tu chasseras la guerre au de-là des deux Pôles.
Le fer ne servira qu’à tondre nos moutons,
À fendre nos guerets, à couper nos moissons.
Du métier de combattre on perdra la memoire ;
Les hommes chercheront une plus juste gloire ;
Et leurs esprits charmez par une longue Paix,
S’uniront pour benir l’Auteur de ces bienfaits.

Sur le Printemps §

Mercure galant, juin 1693 [tome 7], p. 37-42.

 

Nous avons eu le Printemps si tard, que vous ne devez pas estre étonnée de la Piece que je vous envoye quand l’Esté commence.

SUR LE PRINTEMPS.

Ma Muse, du Printemps ressens-tu le pouvoir ?
Quoy, cette saison si feconde
Qui redonne la vie au monde
Ne sçauroit-elle t’émouvoir ?
Pendant que l’Hiver dans ses glaces
Tenoit la Nature en prison,
Pour justifier tes disgraces
Je m’en faisois une raison.
 Le grand froid par sa violence
 Rendoit perclus chaque Element.
Tout paroissoit muet, & dans ce changement
 J’excusois pour lors ton silence ;
 Mais le Printemps est de retour,
Cette belle saison sollicite ta Veine,
Elle te fournira cent sujets chaque jour.
Serois-tu plus longtemps sans force & sans haleine ?
Peins-nous de ces beaux jours l’enchantement nouveau,
Le doux bruit des ruisseaux, les fleurs & la verdure :
 Muse, fais-nous un fidelle Tableau
Des embellissemens qui parent la Nature.
 Loin de la neige & des glaçons,
Dis-nous comment la rose est sur le point d’éclore,
Comme quoy les Zephirs se joignant avec Flore,
Echauffent à l’envi les naissantes moissons.
 Voy les Oiseaux dans ce bocage
 Qui chantent leurs tendres ardeurs.
 Leurs chants n’auroient point ces douceurs,
Si l’aimable Printemps ne formoit leur langage.
Apprens-nous le bonheur des hostes de ces bois.
 L’amour n’a point de dures loix
 Pour leurs cœurs quand il les enchaîne.
 Rien ne s’oppose à leurs desirs,
 Le seul panchant qui les entraîne
 Sert de mesure à leurs plaisirs.
Entens-tu ce Berger assis sous ce vieux chesne ?
Que ses accens sont doux ! qu’il chante tendrement !
 L’eau qui sort de cette fontaine
Semble pour l’écouter couler plus lentement.
 L’Hiver avoit interdit sa Musette,
 Le seul Printemps a sceu le ranimer.
 Muse, à ton tour cesse d’estre muette,
 Ne sçaurois tu te résoudre à rimer ?
Pour vanter le Printemps, ah, si rien ne t’excite,
  Parmy tant de sujets divers,
Ecoute celuy-cy, je suis seur qu’il merite
  Tout l’encens de tes Vers.
***
L’invincible LOUIS, qui fixe la Victoire,
Qui fait depuis long-temps trembler le monde entier,
 Quoy que l’hiver par un nouveau sentier
 Souvent le conduise à la gloire,
 De ce grand & fameux Heros
C’est toujours au Printemps que la valeur commence
À porter la terreur, à troubler le repos
 Chez les Ennemis de la France.
 Peuples liguez, dont l’aveugle fureur
 Pretend en vain nous donner des alarmes,
Le retour des Zephirs vous cause autant d’horreur,
Qu’il ramene chez nous de plaisirs & de charmes.
 C’est dans ce temps que nos Guerriers,
 Superbes de mille conquestes,
 Vont se couronner de Lauriers
 Dont la Gloire ceindra leurs testes.
 La Meuse, l’Escaut & le Rhin
Ne sçauroient arrêter leur courage intrepide,
 Animez par le Souverain
 Qui les commande & qui les guide,
 On leur resisteroit en vain.
À mes brûlans desirs fais que ton feu réponde,
Muse, toy que l’on vit m’obeir autrefois ;
 Aujourd’huy prêtre-moy ta voix
 Pour celebrer le plus grand Roy du monde.
Mais, helas ! où m’emporte un projet insensé ?
À mes vœux trop hardis garde-toy de te rendre,
 Regle-toy sur le temps passé,
Où le seul Appellés pouvoit peindre Alexandre.

[Détail de l’Entrée de Mr de Bonrepaux à Copenhague] §

Mercure galant, juin 1693 [tome 7], p. 119-145.

 

Mr de Bonrepaux, Ambassadeur Extraordinaire de Sa Majesté en Dannemark, fit son Entrée publique à Copenhague le Lundy 18. du mois passé, avec toutes les ceremonies qui se pratiquent en cette Cour là dans ces sortes de receptions. En voicy un détail exact où je puis dire que rien n’est obmis. Ce jour-là, sur les deux heures aprés midy, Mr l’Ambassadeur sortit de sa Maison de Copenhague, pour se rendre dans une autre, éloignée de la Ville, qui avoit esté preparée pour cela, & d’où toute la Marche devoit commencer. Il s’y rendit dans l’ordre suivant. Son Ecuyer suivi de ses quatre Pages à cheval, & aprés ceux cy, de deux Palefreniers qui conduisoient deux chevaux de main, estoit à cheval à la teste de tout le Cortege. Douze de ses Valets de pied marchoient ensuite deux à deux devant son premier Carrosse, qui estoit couvert d’une Housse de Velours Cramoisi, avec une Crepine d’or. Mr de Bonrepaux estoit dedans avec Mr de Pradals, Gentilhomme François, & son troisiéme Carrosse venoient aprés ce premier, remplis de ses Gentilshommes, Secretaire & autres. [...]

Dans la premiere place qui estoit sur sa route dans la Ville, on avoit posté un Bataillon Tambour battant, Enseignes deployées, presentant les Armes, & les Officiers saluant Mr l’Ambassadeur avec la Pique. [...]

Deux Pages du Roy de Dannemarck servirent Mr l’Ambassadeur en son absence pendant tout le reste du repas, qui fut accompagné de Trompettes, de Violons & d’autres Instrumens de la Musique du Roy & du Prince Royal. [...]

Tout le Regiment des Gardes estoit rangé en forme de Croissant dans la place du Chasteau, Tambours battans, Enseignes déployées, presentant les armes, & les Officiers salüant Mr l’Ambassadeur avec la pique. Sur le pont qui est entre la premiere porte du Chasteau, & celle de la Cour du mesme Chasteau, on avoit posté un double rang de Gardes à pied, Tambours battans, Enseignes déployées, & dans la court du Chasteau, une double haye de Gardes du Corps à cheval, en bottes, avec leurs Carabines. [...]

[Détail de ce qui s’est passé à l’Academie Françoise, le jour de la reception de Mr de l’Abbé Bignon & de Mr de la Bruyere] §

Mercure galant, juin 1693 [tome 7], p. 259-284.

 

Le Lundy 15. de ce mois, Mr l’Abbé Bignon, & Mr de la Bruyere furent receus à l’Academie Françoise. Mr l’Abbé Bignon parla le premier, & fit un Discours, où l’on n’admira pas moins l’ordre, & la liaison ingenieuse de chaque matiere, que la beauté de l’expression, & le tour agreable des pensées. Il remercia Mrs de l’Academie, selon la coustume, de ce qu’ils l’avoient admis dans leur corps, & par une modestie digne d’un homme, qui dans un âge fort peu avancé, possede avec beaucoup de distinction tout ce qu’il y a dans les belles Lettres qui puisse contribuer à polir & à élever l’esprit, ne se voulant pas croire digne de ce choix, il dit qu’il ne doutoit point que la consideration qu’on avoit pour sa Famille, n’y eust eu beaucoup de part, & qu’on n’eust voulu faire grace à la personne en faveur du nom. Quoy que l’Eloquence regnast dans tout son discours, elle n’eut aucun pouvoir à l’égard de cet article, & ne persuada point. Avec combien de delicatesse entra-t-il dans les loüanges de Mr le Comte de Bussi, dont il remplissoit la place, & avec quelle finesse fit-il sentir que si l’Ouvrage qui avoit causé tous ses malheurs, avoit merité la censure de tous les gens sages, on ne pouvoit au moins donner assez de loüanges au repentir qu’il avoit marqué de l’avoir fait. Il fit ensuite l’Eloge de Mr le Cardinal de Richelieu, Fondateur de l’Academie, d’où il passa à celuy du Roy, qu’il loüa tres-dignement, si ce grand Monarque peut jamais estre assez dignement loüé. Ce Discours, prononcé fort noblement, charma toute l’Assemblée, & ce qui vous convaincra, que les applaudissemens furent sinceres, c’est que Mr l’Archevesque de Paris estant arrivé quand Mr l’Abbé Bignon estoit tout prest de finir, on le pria de ne le pas priver de la satisfaction d’entendre, ce qui venoit d’avoir une approbation generale. Ce grand Prelat joignit ses prieres à l’empressement que chacun faisoit paroistre de joüir encore du mesme plaisir, & Mr l’Abbé Bignon ne luy pouvant refuser ce qu’il demandoit si obligeamment, recommença son Discours. L’applaudissement fut encore plus fort qu’il n’avoit esté la premiere fois, & l’on n’y trouva pour tout defaut, que celuy d’estre trop court.

Mr de la Bruyere y parla ensuite, & quand j’ay à vous rendre compte du succez qu’eut le Compliment qu’il fit à l’Academie, vostre surprise sera grande de me voir sortir de mon caractere, mais j’espere que vous voudrez bien me faire la grace de suspendre vostre jugement, jusques à la fin de cet article. Mr de la Bruyere a fait une Traduction des caracteres de Theophraste, & il y a joint un recueil de Portraits satyriques, dont la pluspart sont faux, & les autres tellement outrez, qu’il a esté aisé de connoistre qu’il a voulu faire reussir son Livre à force de dire du mal de son Prochain. Cette voye est en effet plus seure que celle de la moderation, & des loüanges, pour le debit d’un Ouvrage. On court acheter en foule ces sortes de Livres, non pas qu’on les trouve ny beaux ny solides, mais par le desir empressé qu’on a de voir le mal que l’on dit d’une infinité de personnes distinguées. Je me trouvay à la Cour le premier jour que les Caracteres parurent, & je remarquay de tous costez des pelotons où l’on éclatoit de rire. Les uns disoient, Ce Portrait est outré, les autres, en voila un qui l’est encore davantage. On dit telle chose de Madame une telle, disoit un autre, & Monsieur un tel, quoy que le plus honneste homme du monde, est tres-mal traité dans un autre endroit. Enfin la conclusion estoit qu’il faloit acheter au plustost ce Livre, pour voir les Portraits dont il est remply, de crainte que le Libraire n’eust ordre d’en retrancher la meilleure partie. Voila les effets que la Satyre produit. Les Auteurs en sont souvent ébloüis, & attribuent à la beauté de leurs ouvrages, ce qui n’est deû qu’au mal qu’ils disent de quantité de personnes. Un des Illustres de ce temps, homme de naissance & d’érudition, & qui a l’honneur d’estre auprés d’un Prince du Sang Royal en qualité d’homme de Lettres, ayant traité serieusement un ouvrage intitulé Discours sur les Anciens, qu’il pouvoit égayer de quelques traits de Satyre, dit page 115. Je sçay tous les avantages que j’aurois trouvez à donner un tour plus gay à ce discours. Je sçay combien la raillerie a de charmes pour les Lecteurs les plus chagrins ; combien il est agreable de rire, & de faire rire aux dépens d’autruy, combien de feu, de vie, & d’agrément un pareil tour répand dans tout un ouvrage. Je sçay que le ridicule est souvent plus capable de persuader, & de tirer d’un pas glissant, que les raisonnements les plus forts, &c. … Le mesme dit page 231. En réjoüissant le public, on est toûjours seur du succez de sa cause. On chatouille le cœur, on attache, on plaist infailliblement. La plaisanterie donne un air aux choses qui fait tout passer, & souvent en faveur d’un bon mot, un Lecteur ne voit pas, ou ne veut pas voir le défaut d’exactitude, plus sensible à son plaisir, qu’à son utilité ; mais quand on parle d’un ton serieux, les choses changent bien de face. Point d’égard, point de grace, point d’indulgence, il faut toujours fraper au but, toujours faire sentir la droite raison, & toujours faire briller la verité. Ces derniers mots font assez connoistre que la verité ne regne guere dans les Satyres, & l’on voit en general dans ces deux endroits, les privileges de ce genre d’écrire, & qu’il est aisé d’y reussir, parce que la medisance grossit toûjours les objets, mais comme ce party couste fort cher à la gloire, à l’honneste homme, & aux bonnes mœurs, il se trouve peu d’Auteurs qui le veuillent embrasser. Je ne prétens attaquer icy personne en particulier, je parle de la Satyre en general. Ceux qui s’attachent à ce genre d’écrire, devroient estre persuadez qu’elle fait souffrir la Pieté du Roy, & faire reflexion que l’on n’a jamais ouy ce Monarque rien dire de desobligeant à personne. La Satyre n’estoit pas du goust de feuë Madame la Dauphine ; & j’avois commencé une réponse aux Caracteres des mœurs du vivant de cette Princesse, qu’elle avoit fort approuvée, & qu’elle devoit prendre sous sa protection, parce qu’elle repoussoit la Médisance. L’ouvrage de Mr de la Bruyere ne peut estre appellé Livre, que parce qu’il a une couverture, & qu’il est relié comme les autres Livres. Ce n’est qu’un amas de pieces détachées, qui ne peut faire connoistre si celuy qui les a faites, auroit assez de genie & de lumieres, pour bien conduire un ouvrage qui seroit suivi. Rien n’est plus aisé, que de faire trois ou quatre pages d’un Portrait qui ne demande point d’ordre, & il n’y a point de genie si borné, qui ne soit capable de coudre ensemble quelques medisances de son Prochain, & d’y ajoûter ce qui luy paroist capable de faire rire. Ainsi, il n’y a pas lieu de croire qu’un pareil recueil, qui choque les bonnes mœurs, ait fait obtenir à Mr de la Bruyere, la place qu’il a dans l’Academie. Il a peint les autres dans son amas d’Invectives, & dans le Discours qu’il a prononcé, il s’est peint luy mesme, & aprés avoir tâché de prouver que les places de l’Academie ne se donnoient qu’au merite, il a dit que la sienne ne luy avoit couté aucunes sollicitations, aucune démarche, quoy qu’il soit constant qu’il ne l’a obtenuë que par les plus fortes brigues qui ayent jamais été faites. Quelle difference des deux Discours qui ont esté prononcez en mesme jour, & des manieres des deux nouveaux Academiciens ! Mr l’Abbé Bignon témoigne beaucoup de reconnoissance pour la place qu’on luy donne ; Mr de la Bruyere se croit si digne du choix qu’on a fait de luy, par la haute réputation qu’il prétend que ses caracteres luy ont acquise, qu’il n’a daigné faire nul remerciement. Mr l’Abbé Bignon, aussi modeste qu’il est distingué par son sçavoir, ne veut point devoir sa place à son merite, mais à la consideration que l’Academie a pour sa Famille Mr de la Bruyere, fier de sept Editions que ses Portraits satyriques ont fait faire de son merveilleux Ouvrage, exagere son merite, & fait entendre que c’est à ce seul merite qu’il doit la place où il est receu. Je n’entre point dans le détail du reste de son Discours, puis que toute l’Assemblée a jugé qu’il estoit directement au dessous de rien. Il auroit tort de se plaindre de la maniere dont j’en parle. Je me sers des propres termes dont il s’est servi, quand il luy a pleu de se divertir à parler hors de propos du Mercure Galant, & je veux bien mettre icy le mesme galimatias, pour ne dire ny plus ny moins. Il n’y a dans ces paroles que l’intention qui m’offence, car elles ne me regardent pas, & je n’aurois jamais cherché à les relever, si j’estois seul offencé. Le Mercure n’est point composé de mes Ouvrages, & l’on ne me doit regarder que comme une Bouquetiere qui lie les Fleurs des autres, qui sont leurs Ouvrages. Ils consistent dans ce que font de plus beau les plus illustres Orateurs de France, & les Poëtes les plus distinguez. On n’y voit que des Harangues faites au Roy, ou à l’ouverture des Parlemens, ou à la reception des Academiciens François, des Fragmens des plus beaux Sermons, ou des Oraisons Funebres, les Relations de guerre faites souvent par des Generaux de l’Armées mesme, des Ouvrages d’éloquence, & des Dissertations sur tout ce que le hazard fait naistre de plus curieux & de plus beau. On ne peut dire que tant de beaux Ouvrages soient directement au Dessous de rien, à moins que de vouloir faire entendre qu’il n’y a pas un seul homme en France capable de bien écrire, & comme le contraire paroist visiblement, il suffit d’exposer le fait, pour faire voir que Mr de la Bruyere n’a pû mettre le Mercure au dessous de rien, sans y mettre en mesme temps tout ce qu’il contient c’est à dire, une infinité de belles Pieces, tant en Vers qu’en Prose. Il n’a pas crû ce qu’il a écrit, & s’il n’avoit trouvé de la réputation à ce recueil de tant d’admirables Ouvrages, il l’auroit jugé indigne de sa colere. C’est la maniere de tous les nouveaux Auteurs. Ils s’imaginent qu’ils brilleront seuls quand ils auront porté des coups qu’ils croyent mortels à ce qu’ils trouvent étably. Il y a dix-sept ans que le Mercure est au goust du Public, il est un peu tard pour l’attaquer. Le Public voit clair, vous le sçavez ; il a de bons yeux, & en grand nombre, & s’il se laisse quelquefois surprendre, ce n’est jamais pour longtemps. Je suis fâché du chagrin que cet article pourra donner à Mr de la Bruyere. Cependant, je le repete, il aura tort s’il se plaint, puis que c’est luy qui est l’agresseur. Quand il calomnie toute la terre, il ne doit pas vouloir empêcher une legere ébauche de ce qu’on luy répondra, s’il replique, ou s’il ajoûte le moindre mot dans son Livre, à ce que sa vanité luy a fait dire de gayeté de cœur contre moy, qui ne me suis rendu digne par aucun endroit des plaisanteries qui l’ont réjoüy. Quand on insulte les autres, il faut estre préparé à tout, & ne pas donner la Comedie au Public en se fachant comme les Enfans, qui ont souvent peur, quoy qu’on ne fasse que les regarder. S’il se plaint, j’ay la justice pour moy. Il m’a attaqué sans nulle raison, je suis offencé, & je défens une infinité de personnes cruellement outragées dans les Caracteres des mœurs. Un Ancien, recommandable dans l’Eglise, ordonne d’attaquer ces sortes d’Ouvrages, de crainte que les Auteurs ne s’enorgueillissent, dans la pensée que le merite de leurs Ecrits les fait acheter, quoy que le debit n’en soit dû qu’à la médisance, qui excite une curiosité à laquelle la foiblesse humaine ne peut resister.

Mr Charpentier répondit aux Discours de Mr l’Abbé Bignon & de Mr de la Bruyere, en qualité de Doyen de l’Academie, en l’absence du Directeur & du Chancelier. Tant d’Ouvrages de cette nature que vous avez veus de luy, vous ont persuadée de son éloquence & de sa profonde érudition, que je n’ay rien à vous en dire aujourd’huy, sinon qu’il remplit fort dignement l’avantage qu’il a d’estre à la teste de ce Corps illustre. Mr l’Abbé de la Vau leut ensuite trois Pieces de Vers qui donnerent beaucoup de plaisir aux Auditeurs, chacune en son genre. La premiere fut la Paraphrase du Dies iræ, dies illa, de Mr de la Fontaine ; la seconde, une suite des Caracteres de l’Amour, dont Mr Boyer avoit fait voir le commencement dans la derniere Assemblée publique, & la troisiéme, le second Chant du Poëme que Mr Perrault a fait de la Creation du Monde. Tout y soûtint avec avantage la gloire de leurs Auteurs, à qui les applaudissemens ne furent point épargnez.

Air nouveau §

Mercure galant, juin 1693 [tome 7], p. 315-316.

Les Vers de la nouvelle Chanson que je vous envoye, ont esté faits par Mr Marcel, & c'est Mr de la Tour qui les a mis en Musique.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air doit regarder la page 316.
Vos concerts autrefois, aimable Philomele,
Annonçoient les plaisirs de la saison nouvelle,
Et preparoient nos cœurs au retour du Printemps.
Tout est changé ; les Tambours, les Trompettes,
Par leurs bruits éclatans
Vous font taire dans vos retraites,
Et LOUIS seul qui part nous marque le Printemps.
images/1693-06_315.JPG

[Suite du Voyage de Monsieur] §

Mercure galant, juin 1693 [tome 7], p. 316-318.

 

La prise de Heidelberg estant d’autant plus importante, qu’elle n’a presque point couté de sang aux Troupes du Roy, on en a rendu graces à Dieu dans toutes les Villes du Royaume. Son A.R. Monsieur fit chanter le Te Deum dans l’Eglise de Nostre-Dame de Vitré, le 21. de ce mois. Ce Prince s’y rendit au travers de la Bourgeoise, qui estoit en armes depuis le Chasteau où il logeoit, jusques à l’Eglise. Monsieur monta ensuite à cheval avec toute sa Cour, qui estoit magnifique & nombreuse, & se rendit au Camp qui est aux environs de cette Ville-là, où il trouva les Troupes en bataille sur une Ligne, & se mit à leur teste. Il visita ensuite le parc de l’artillerie, & revint voir les Troupes. La Cavalerie fut admirée pour sa beauté. Il y avoit douze Bataillons, dont les Officiers saluérent Son A.R. avec l’Epée. Toutes les Troupes firent trois salves en répondant au Canon qui leur servoit de signal ; elles marquent beaucoup de chagrin de voir que le Prince d’Orange les rend inutiles en manquant à sa parole, & la Cour de Monsieur, qui en est encore plus chagrine, employe au jeu le loisir que ce mesme Prince luy laisse. Il y eut le soir des feux par toute la Ville, & un grand Bal, où l’on dansa jusques à cinq heures du matin.