1694

Mercure galant, septembre 1694 [tome 9].

2017
Source : Mercure galant, septembre 1694 [tome 9].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, septembre 1694 [tome 9]. §

[Conseils donnez à l’Espagne] §

Mercure galant, septembre 1694 [tome 9], p. 7-13.

Il n’y a point de Pays si éloigné qui ne retentisse des justes loüanges que l’on donne au Roy. C’est en toutes sortes de Langues que l’on parle de cette admirable superiorité de Genie, de Prudence & de Sagesse, qui le rend le plus grand de tous les hommes, & vous ne serez pas fâchée qu’aprés vous avoir fait voir le Portrait de cet Auguste Monarque en plusieurs Sonnets Italiens que contiennent quelques-unes de mes Lettres, je vous fasse entendre aujourd’huy ce qu’une Muse Espagnole conseille à ceux de cette superbe Nation, par les Quatrains que vous allez lire.

Españoles, el remedio
Qu’el Vencedor os ofreçe
Para España que pereçe,
Es no desechar su medio.
***
 El Christianissimo Rey
Con la paz os da buen logro,
Y nunca os pondreis en cobro
Si no admitis esta ley.
***
 Mientras en la guerra dais,
El Rey pierde quanto tiene,
Y pues la paz le convienne,
Porque la menospreciais ?
***
 De vos se burlan en Françia,
Viendo os tan sin mesura,
Sin animo, ni cordura,
Blasonar tanta arrogançia.
***
 Juzgad que no os estan bien
Humos de tiempos passados ;
Oy los echos acertados,
Es mirar quando y con quien.
***
 Y a Carlos Quinto en el mundo
No da fuerza à l’altivez ;
Su medalla esta al reves,
Reynando Carlos Segundo.
***
 Y si Carlos Quinto fuera
Oy el Monarca d’España,
El gran Luis en Campaña
No menos triumphos tuviera.
***
 Antes serian mayores
Como se echa de ver,
Quan mayores son vencer
Reyes que son Vençedores.
***
 El Frances, sin que lo piense,
Ve como la suerte os huye.
Si os acomete, os destruye,
Y si lo envestis, os vençe
***
 Ved vuestra sangre vertida,
Vuestra tierra saqueada,
Destruyda vuestra armada,
Y vuestra fama perdida.
***
 Pues aquel que en tal abismo
Pensais que os puede valer,
Harto tiene que hazer
Para valer se a si mismo.
***
 Y assi mientras ay lugar,
Tratad de paz, pues es çierto
Qu’el medio que veis abierto
Se puede presto cerrar.

C’est avec raison que l’Auteur de ces Quatrains a fait connoistre aux Espagnols, en leur conseillant de faire la Paix, que la fierté qu’ils se permettoient autrefois, ne sçauroit leur convenir aujourd’huy, & qu’il est de la prudence de se conduire selon les temps, & de regarder quand & avec qui, puisque si Charles V. regnoit encore en Espagne au lieu de Charles II. Louis le Grand ne remporteroit pas moins de triomphes. Au contraire ils brilleroient avec plus d’éclat, puisqu’il y a plus de gloire à vaincre des Rois, qui se sont rendus fameux par d’importantes Conquestes.

[Lettre sur la Macette, Satyre de Regnier] §

Mercure galant, septembre 1694 [tome 9], p. 45-53.

La Macette de Regnier a passé pour son Chef-d’œuvre, & cela me donne sujet de croire que vous serez bien-aise de voir ce qui en a esté écrit depuis peu.

A MONSIEUR…

La Satyre qui a pour titre, La Macette, & dont vous me demandez mon sentiment, n’est pas un fruit nouveau, mais au moins est-elle de ces excellens fruits qui se gardent longtemps sans rien perdre de leur bonté. Elle estoit charmante au commencement du Siecle ; & des gens d’un goust exquis trouvent qu’elle l’est encore aujourd’huy. Le Poëte Regnier en est l’Auteur. Ses Satyres ont fait dire à Mr Despreaux, qui les a leuës plus d’une fois, que Regnier étoit parmy les François le seul disciple d’Horace, de Perse, & de Juvenal.

 De ces Maistres sçavans disciple ingenieux,
Regnier seul parmy nous formé sur leurs modelles,
Dans son vieux stile encor a des graces nouvelles.

Art Poët. Chant 2.

Et il est vray aussi que jusqu’à la naissance des Satyres de Mr Despreaux, personne, nonobstant le long intervalle du temps, n’avoit enchery sur celles de Regnier, qui ont esté imprimées plusieurs fois avec Privilege.

Comme dans les meilleurs fonds il y a toujours quelque piece de terre plus excellente que les autres, la même chose se trouve dans les plus grands Auteurs. Il y a un de leurs Ouvrages qui l’emporte, & qui est le plus estimé. Entre les Satyres d’Horace, la troisiéme du second Livre, qui apostrophe le Philosophe Damasippe, est une composition achevée. Il y a là, dit un celebre Critique, de grandes beautez. & en grand nombre. La cinquiéme Satyre de Perse, laquelle il adresse à Cornutus, son Maistre, passe pour son Chef d’œuvre. Des Satyres de Juvenal, la sixiéme, où il declame contre les Femmes, est sa Satyre admirable. Ainsi la Macette parmy les Satyres de Regnier, est la Reine des autres. C’est le portrait d’une fameuse Courtisane qui a fait beaucoup de bruit dans le monde. Elle avoit brillé dans son printemps, & goûté tous les plaisirs de la galanterie ; mais estant dans son arriere-saison, & ayant passé l’âge de plaire, elle se masque en devote pour s’insinuer avec plus de succés, & gagner davantage la confiance d’une jeune personne, qui a les charmes & les attraits du Sexe, & qu’elle veut suborner. La scene ne peut estre mieux representée ; l’Actrice est merveilleuse, elle joüe parfaitement son rôle. Son air singulier impose, ses paroles simples ont des graces naturelles. L’horreur qu’on a de ce Serpent, & l’imprecation qu’on fait, viennent à propos pour ôter toute la force du poison. Plus aussi le caractere de cette Femme corruptrice est bien décrit, & moins ses manieres artificieuses & criminelles sont capables de surprendre & de seduire. Elles sont découvertes, c’est assez pour éviter le piege. Plus Tartufe est admirable dans Moliere, plus il y est bien peint, & moins ses manieres ont de credit dans le monde. Enfin tout convient dans cette petite piece, & le genie de l’Auteur si aisé & si heureux, y regne & y plaist infiniment. C’est là l’Ouvrage favory & la Satyre distinguée de Regnier, qui estoit l’Apollon de la Cour de Henry IV. comme Desportes l’avoit esté de celle de Charles IX. Si le Rodomont de Desportes luy valut huit cens écus d’or, comme le dit Garnier dans sa Muse infortunée.

Et toutefois Desportes
De Charles de Valois, estant bien jeune encor,
Eut pour son Rodomont huit cens Couronnes d’or.

Il est seur que la Macette de Regnier, que l’on sçavoit par cœur à la Cour & à la Ville, auroit esté payée au double, si le regne de Henry eust esté aussi liberal aux Muses, que l’avoit esté celuy de Charles.

J’ay remarqué, Monsieur, qu’il y a plusieurs traits de la Macette de Regnier, qui sont imitez de la Dipsas d’Ovide, au premier Livre des Amours ; mais si on se donne le soin de comparer la Satyre de l’un avec l’Elegie de l’autre, on jugera sans faire injustice, que la copie vaut bien l’original, & que le moderne n’est pas inferieur à l’antique. Je suis, &c.

[le Chevalier de l’Industrie, Conte] §

Mercure galant, septembre 1694 [tome 9], p. 53-60.

Voicy un Conte aussi nouveau qu’il est agreable, & je suis persuadé qu’il ne plaira pas moins dans vostre Province, qu’il a plû icy à beaucoup de Curieux, qui en ont pris des Copies.

LE CHEVALIER
de l’Industrie.
CONTE.

C’est un ordre étably chez les Venitiens,
Que de chaque Habitant on calcule les biens.
Suivant les justes loix d’une saine prudence,
Selon leurs fonds divers on regle leur dépense,
Et par Decrets enfin de ce sage Senat,
Nul ne le peut porter plus haut que son estat.
Plust au Ciel qu’à Paris on fist cette Ordonnance,
Qu’à certain temps préfix on demandast raison
A chaque Citoyen du bien de sa maison,
Ce qu’il en fait, pourquoy, comment il le dépense.
Tous useroient pour lors mieux de leurs revenus.
Ils craindroient de ces lieux la severe justice,
Et supprimant ainsi tant d’indignes abus,
Peut-estre que par là l’on détruiroit le vice.
Mais de quoy sert, Lecteur, cette moralité ?
Elle peut aisément tourner tout à ma honte,
Car je ne songe pas que je vais faire un Conte,
Où je n’ay nul besoin de ta severité
***
 Un Etranger donc à Venise,
Quoy que jeune, y vivoit depuis assez de temps,
Pour estre confondu parmy ses Habitans,
Mais il ne vivoit pas tout-à-fait à leur guise.
 Ce n’estoit chez luy que festin,
 Que plaisir, que réjoüissance,
 Que festes du soir au matin,
Que jeu, que Musique & bombance.
 Entretenant un riche train,
Roulant sur l’or & la magnificence,
Et pour tout dire enfin, faisant grande dépense,
Sans posseder un sou de revenu certain.
 C’estoit un vray Chevalier d’industrie,
Recherché d’un chacun, plongé dans les plaisirs,
De plus d’une Beauté faisant tous les desirs,
Et menant, en un mot, une charmante vie.
 Le temps venu que des Juges nommez,
 Vont s’informer par un ordre si sage,
 Comment les biens ont esté consumez,
 A quel dessein, pour quel usage,
On força l’Etranger de rendre un compte exact.
Quels sont vos revenus, dit un Juge severe ?
De quoy vivez vous ? Né sous un autre climat,
Répondit l’Etranger, je vis à ma maniere,
Et n’ay point à subir les Decrets du Senat.
Voulez vous que pour vous on reforme l’Etat,
 Repartit le Juge en colere ?
Vous estes en ces lieux depuis un si longtemps,
Que vous pouvez passer pour un des Habitans.
Ainsi, suivez les Loix de nostre Republique,
 Nous vous meslons parmy nos Citoyens,
Faites comme eux, point de replique,
Rendez nous compte de vos biens.
 Tant de dépenses éclatantes,
N’ayant icy nul rang, nous semblent surprenantes.
Nous sçavons de chacun les revenus par an,
 Du Senateur comme de l’Artisan ;
L’un vit de son métier, l’autre vit de ses rentes,
Vous, dequoy vivez-vous ? il faut nous le montrer.
Puis qu’on le veut, dit-il, je vay le declarer.
 De tous vos biens vos Femmes sont maistresses.
 Ayant contraint leur liberté,
 Vous tâchez par vos largesses
 D’adoucir leur captivité.
Elles n’ont pas moins de richesses
 Que d’attraits & de beauté.
 Vous leur montrez peu de tendresses.
L’himen veut quelquefois ressentir des caresses,
Et ne s’accorde point avec l’austerité.
Les Femmes à l’amour sont-elles insensibles ?
 Je suis jeune Avanturier,
 J’en trouve peu d’inflexibles,
Ainsi que l’Artisan je vis de mon métier.
***
Les Juges mariez baisserent tous la creste,
 Et n’ayant à cela nulle réponse preste,
 Laisserent l’Etranger en paix,
 Et ne le revirent jamais.

[Compliment fait à Mr l’Evesque de Condom] §

Mercure galant, septembre 1694 [tome 9], p. 60-66.

 

La solide vertu n’est point sujette à se démentir. Mr l’Abbé Milon, cy-devant Aumônier du Roy, & depuis quelque temps Evesque de Condom, allant dans son Diocese, n’a pû s’empescher de donner à Tours, où il a esté Chanoine de la celebre Eglise S. Martin, des marques de cette pieté exemplaire qui le fait tant estimer à la Cour. Il arriva à Tours le Samedy 7. du mois passé, chez Mr de Maine, Grand Maistre des Eaux & Forests, son Frere, qui loge dans le Cloistre de Saint Martin. Les Deputez du Chapitre de cette Eglise vinrent aussi-tost l’y saluër, & Mr l’Abbé de Galliezon, Chantre, & l’un d’eux, le complimenta [.] [...]

Dés le lendemain matin, Mr de Condom celebra la Messe au Tombeau de Saint Martin. Ensuite il entra dans le Choeur avec l’Aumusse & le Surplis, pour y entendre la grande Messe, dans la place des Evesques Chanoines de S. Martin, à laquelle Mr le Chantre le convia de monter. L’élevation estant faite, on chanta un Motet qui convenoit à la demande que Mr de Condom faisoit à Dieu d’un saint & heureux Pontificat. Aprés Sexte, ce Prelat s’estant rendu à l’Assemblée de Messieurs du Chapitre, il leur témoigna le regret qu’il avoit eu autrefois de les quitter, & aprés les avoir remerciez des honneurs qu’ils venoient de luy rendre, il leur presenta une Lettre de la Chine, qui fut leuë avec plaisir. Ces Messieurs l’ayant remercié, des Députez qui l’avoient toujours accompagné, le reconduisirent à son logis, d’où pendant le peu de sejour qu’il a esté obligé de faire à Tours, il est venu plusieurs fois répandre son coeur au Tombeau de Saint Martin, & assister à l’Office en habit de Chanoine.

[Madrigaux] §

Mercure galant, septembre 1694 [tome 9], p. 74-81.

Un Officier de Robe de Paris, qui plaidoit a Roüen, & qui sçavoit adoucir les ennuis du procés par le plaisir de la societé & de la galanterie, eut occasion de faire les Vers suivans, pour deux belles Demoiselles de qualité, qui estoient Amies.

A MESDEMOISELLES
D. & du T.

Que vous estes bien assorties
 D’esprit, d’humeur & d’agrément !
 Jeunes & constantes Amies,
Vous sçavez toutes deux charmer également.
***
Mais enfin si malgré vos tendres simpathies,
Il falloit entre vous fixer un seul Amant,
On vous verroit alors peut-estre desunies
 Sur ce point seulement.
***
Ou je serois le plus trompé du monde,
Ou sur ce point il vous mettroit d’accord.
A vous voir, belle Brune, à vous voir, belle Blonde,
 Pour vous je décide d’abord,
 Que son cœur habile en tendresse,
Pour vous deux tour à tour se laissant enflâmer,
Auroit toujours le doux plaisir d’aimer,
 Et celuy de changer sans cesse.

Les deux mesmes Demoiselles, avec une autre de leurs Amies, avoient fait entre elles pour se réjoüir un Ordre de Chevalerie, qui portoit pour titre, L’Ordre du Bleu, & toutes trois prierent l’Auteur de leut envoyer des Vers sur ce sujet, à quoy il satisfit par ceux cy.

POUR MADEMOISELLE
de … sur la Chevalerie
de l’Ordre du Bleu.

 Le Bleu, cette couleur des Cieux,
Que la nature a mise dans mes yeux,
Fut de tout temps ma couleur plus cherie,
Et je l’ay destinée à la Chevalerie
De l’Ordre où je preside, & qui porte son nom.
Il va parmy le Sexe estre d’un grand renom.
 Je feray choix de Chevalieres,
Qui soient, ainsi que moy, nobles, jeunes & fieres,
Elles feront un vœu d’aimer fidellement,
 Et sans blesser les oreilles austeres,
 Par Bleu sera leur jurement.

Pour Mademoiselle D…
Chevaliere de l’Ordre
du Bleu.

 Avec plaisir on me verra paroistre
Dans cet Ordre nouveau galamment inventé.
J’en approuve les loix, je merite d’en estre,
On sçait qu’il ne me manque aucune qualité,
 Et je suis jeune, noble, & fiere.
Mais quoy faut il jurer ? Moy, je balance un peu.
 Et bien soit, je jure, Par bleu,
 Que foy de brave Chevaliere,
 Je veux aimer qui m’aimera,
De mon Sexe s’entend, car pour l’autre, on verra.

Pour Mademoiselle du T.
autre Chevaliere de l’Ordre
du Bleu.

Qui n’aimeroit le Bleu, cette couleur celeste ?,
 Qui marque la fidelité.
Qualité rare en ce siecle gasté ?,
 Pour moy je jureray de reste,
De l’observer dans l’Ordre entre nous inventé,
 Ce serment en rien ne me blesse,
Faites comme je fais, je crois sans vanité,
 Qu’en amitié, comme en tendresse,
On doit avoir pour moy la même qualité.

L’Auteur joüant à de petits jeux dans une Compagnie, dont estoient les deux mêmes Demoiselles, on luy ordonna un Quatrain pour chacune d’elles.

Pour Mademoiselle D.

Avec vous, belle Iris, joüer aux petits jeux,
C’est un plaisir charmant, mais il est dangereux.
Tel qui croit n’y trouver qu’un leger badinage,
Y laisse pour toujours sa liberté pour gage.

Pour Mademoiselle du T.

Lors que pour satisfaire aux loix des petits Jeux,
Philis, vous demandez quelque chose pour gage,
Je sens qu’à d’autres loix vostre beauté m’engage.
Et ne puis refuser mon cœur à vos beaux yeux.

[Ceremonie faite par Mr l’Evesque de la Rochelle] §

Mercure galant, septembre 1694 [tome 9], p. 81-87.

Mr l’Evesque de la Rochelle estant arrivé sur la fin du mois de Juillet au Chasteau de Monts, chez Madame la Marquise de la Frezeliere sa Mere, il y trouva la magnifique Chapelle qu’elle a fait bastir, dans toute la perfection qu’elle pouvoit recevoir, avec les permissions necessaires de Mr" l’Evesque de Poitiers pour la consacrer. Ainsi il ordonna un jeûne pour tous ceux qui voudroient y faire leurs devotions & gagner les Indulgences, & le Dimanche premier jour du mois passé, à la teste de plus de quarante Prestres, il commença les Ceremonies qu’on a coustume de faire pour la consecration des Eglises, & il s’en acquitta avec tant de marques d’une veritable devotion, qu’il l’inspira à tous ceux qui se trouverent presens. Il y eut un tres-grand nombre de personnes qualifiées, & le peuple y vint en foule. Les principaux Officiers & les Députez de toute les Villes des environs s’y rendirent pour marquer leur joye à Madame la Marquise de la Frezeliere. On ne peut rien ajouster à la beauté des Tableaux dont la Chapelle se trouva ornée. On n’oublia rien pour l’Illumination, & l’argenterie qui para l’Autel, ne fut pas un des moindres ornemens. Mr l’Evesque de la Rochelle célebra la Messe en habits pontificaux, & communia de ses mains Madame sa Mere. Au milieu de cette Messe, qui fut chantée par une Musique tres-agreable, Mr l’Evesque de Poitiers arriva, accompagné de plusieurs Abbez fort considerables, & du Pere Provincial des Jesuites. Madame de la Frezeliere traita fort splendidement, à quatre grandes tables, toute cette illustre Compagnie, qui fut augmentée par le Pere Superieur de la Mission de Richelieu, qui venoit faire les complimens de Mr le Duc de Richelieu & les siens. Quand on fut sorty de table, les cloches annoncerent les Vespres que commença Mr l’Evesque de la Rochelle, dont on admira la pieté & la modestie. Un Pere Jesuite prescha ensuite avec beaucoup d’éloquence, & recommanda les prieres pour la santé & prosperité du Roy, & pour toute l’Illustre Maison de la Frezeliere, dont les Seigneurs ont toûjours tenu à gloire de sacrifier leurs vies pour le service de nos Rois ; ce que font encore aujourd’huy Mr le Marquis de la Frezeliere, & Mr le Comte de la Frezeliere son Fils. Aprés cela, on chanta le Te Deum, & douze volée de Canon furent tirées au son des Tambours. Mr l’Evesque de Poitiers acheva de solemniser cette journée par des oeuvres de pieté, en donnant la Confirmation & la Tonsure à tous ceux qui se trouverent disposez à les recevoir. Madame la Marquise retint à coucher la pluspart de ceux qu’elle avoit déjà traitez, & ce ne fut pas sans regret qu’elle se vit privée le lendemain de la presence de Mr l’Evesque de la Rochelle son Fils, qu’elle a toûjours tendrement aimé.

[Lettre à Madame l’Intendante de Soissons] §

Mercure galant, septembre 1694 [tome 9], p. 87-92.

Le titre des Vers qui suivent, vous fera connoistre pour quelle occasion ils ont esté faits. Ils sont de Madame de la Motte.

A MADAME PELLETIER
DE LA HOUSSAYE,
Intendante à Soissons.
Le jour de sa Feste,

 Des le matin dans les Jardins de Flore,
Pour vous cueillir des fleurs j’ay devancé l’Aurore,
J’en ay cherché par tout, & n’en ay point trouvé,
 Soissons pour vous avoit tout enlevé,
 Et s’il en restoit quelques unes,
 Que Flore a voulu me vanter,
 Ce n’estoient que des plus communes,
 Indignes de vous presenter.
Alors de honte & de dépit confuse
 De ne pouvoir vous en offrir,
 Au Mont Sacré l’on me voit recourir,
Où d’abord je découvre une obligeante Muse,
 Qui m’appercevant d’assez loin,
 M’a dit, on sçait ce qui t’amene.
 De ce Bouquet ne te mets point en peine,
 Nous en voulons prendre le soin.
L’Intendante pour qui tu montres tant de zele,
N’a pas besoin de fleurs pour se parer.
Il luy faut un present qui sois plus digne d’elle,
 C’est à nous à le préparer.
 On sçait qu’elle est des plus charmantes,
Que ses manieres sont nobles, insinuantes,
Qu’elle fait à Soissons le bonheur du Pays,
 Qu’elle y ramene & les Jeux & les Ris,
 Qu’elle en bannit la misere, & les larmes,
 Que dans les cœurs elle entre avec facilité,
Et qu’elle y regne moins par son autorité,
 Que par la douceur de ses charmes.
En vain tu chercherois des fleurs à luy donner,
 Il n’en est point sur terre d’assez belle.
 Va, cours luy porter la nouvelle
 Que nous voulons la couronner.
De Mirthe & de Lauriers nous ornerons sa teste,
Nous sçavons là-dessus quel est nostre devoir,
 Et la couronne sera preste,
 Si-tost qu’elle nous viendra voir.
***
Des ordres des neuf Sœurs dont je me suis chargée,
 Je m’acquitte tres-promptement,
 Et pour vous parler franchement,
A ce sacré troupeau je suis fort obligée,
Sans ces Muses il est certain
 Que mon Bouquet eust esté detestable.
 Auprés de ceux que ce matin
 Vous avez vûs sur vostre table :
Mais les plus belles fleurs ne durent qu’un moment,
Et ne donnent au plus qu’un leger agrément,
Au lieu que les Lauriers des Filles de memoire,
 Donnent une immortelle gloire,
 Et durent éternellement.

[Mr de Laurensani Maistre de Musique de la feuë Reine, nommé Maistre de Musique de S. Pierre de Rome] §

Mercure galant, septembre 1694 [tome 9], p. 127-128.

Enfin nous allons perdre Mr de Laurensani, Maistre de la Musique de la feuë Reine, & qui l’avoit esté auparavant de la Cathedrale de Messine, l’une des meilleures Maitrises d’Italie. Le Maistre de Musique de Saint Pierre de Rome estant mort, il a esté élû pour remplir cette place, sans l’avoir briguée. Rien ne marque mieux un vray merite que quand il est reconnu de si loin. Il doit partir dans fort peu de jours avec la permission du Roy.

[Histoire] §

Mercure galant, septembre 1694 [tome 9], p. 135-171.

Les experiences de ceux qui ont souvent changé d’objet en aimant, n’autorisent pas à soûtenir que l’amour ne doit estre regardé que comme un amusement, & qu’il est aisé de n’aimer qu’autant & aussi long-temps qu’on veut. Il y a des nœuds secrets qui attachent insensiblement les cœurs les plus prompts à se dégager, & quand ces nœuds se sont une fois formez, il n’est plus possible de les rompre. Un Cavalier fort bien fait, mais que la naissance n’élevoit pas au dessus de beaucoup d’autres, s’estoit appliqué avec grand soin dés ses plus jeunes années à reparer ce défaut par toutes les qualitez qui font le veritable honneste homme. Il avoit une vivacité d’esprit merveilleuse, les manieres nobles & insinuantes, beaucoup de droiture dans ses sentimens, & ce qui gagne le cœur des plus difficiles à noüer commerce, une complaisance qui le faisoit entrer agreablement dans toutes les choses que l’on pouvoit souhaiter de luy. Il joignoit à tout cela plusieurs avantages qui luy estoient en quelque façon particuliers, par les heureuses dispositions qu’il avoit receuës de la nature. Il chantoit bien, dansoit encore mieux, & sçavoit toucher divers instrumens, avec un agrément incroyable. Son penchant l’ayant porté à voir les differentes Cours de l’Europe, il en avoit obtenu permission de son Pere, qui estant tres-riche, pouvoit aisément fournir à cette dépense. C’est-là qu’il acheva d’acquerir la politesse qui l’avoit toûjours distingué parmy ses semblables. Il avoit passé six années à voyager, & ne seroit pas revenu si tost en France, si son Pere, qui s’ennuyoit de ne le point voir, & qui estoit extrêmement abbattu par les incommoditez de la vieillesse, ne l’eust rappellé par des ordres si pressans, qu’il fut contraint d’obéïr. Il sembla n’estre revenu que pour estre present à sa mort, puis qu’il le perdit deux mois aprés. Les grands biens dont il herita par cette mort, l’ayant mis en estat de satisfaire l’inclination qu’il avoit euë toûjours de paroître, il n’épargna rien d’abord pour un équipage des plus lestes, & acheta peu de temps aprés une Charge qui luy donna un rang fort considerable. Le nouveau merite qu’il s’estoit acquis en voyageant, luy fit des amis de tous costez. On le recherchoit dans les Compagnies les plus agreables, & les plus fieres parmy le beau Sexe à qui il vouloit conter des douceurs, se faisoient un plaisir de l’écouter. Cependant, quoy qu’il fust civil par tout, galant & honneste, il ne prenoit point d’engagement, & si quelquefois il se montroit empressé auprés de quelque jolie personne, il demeuroit si bien maistre de son cœur que si le hazard ne s’en mêloit, il estoit longtemps sans la revoir ; mais le moment où l’étoile agit, n’estoit pas encore venu, & il éprouva ce qu’elle peut, lors qu’estant un jour dans une Eglise extrêmement éloignée de son quartier, il y vit entrer une aimable Brune, suivie d’une Demoiselle & d’un Laquais. Elle avoit de grands yeux noirs, vifs & doux en mesme temps, la bouche bien façonnée, le teint fort brillant, beaucoup de jeunesse, & la taille des plus aisées. Il la regarda avec une attention extraordinaire, mais il eut beau avoir les yeux attachez sur elle, jamais les siens ne furent tournez de son costé, & elle sortit sans les avoir jettez sur personne, & dans une modestie digne de son âge & de son Sexe. Le Cavalier estant retourné chez luy se trouva resveur & inquiet. L’idée qu’il en avoit conservée le frappa si puissamment, qu’il en demeura toûjours occupé. Il crut qu’il la banniroit sans peine par la conversation, ou par le jeu. Il essaya l’un & l’autre, & dans tous les lieux où il alla, la rêverie qu’il cherchoit à dissiper, luy fut reprochée. Il ne dormit pas la nuit si tranquillement qu’à l’ordinaire. L’image de la belle Brune le suivoit par tout, quelque effort qu’il fist pour n’y point penser, & aprés huit jours passez dans cet embarras d’esprit, il retourna enfin malgré luy dans la mesme Eglise où il l’avoit vûë. Il l’y attendit pendant plus d’une heure, avec une impatience qui le surprenoit, & elle y parut aprés cela plus belle encore à ses yeux qu’elle n’avoit fait la premiere fois. Il n’eut d’autre soin que d’examiner toute sa personne, & sa modestie ne luy permettant aucuns regards dissipez, il n’en eust point encore esté apperçû, si par hazard elle n’eust laissé tomber ses heures. L’empressement qu’il eut à les ramasser ne fut point un simple effet de l’honnesteté qui luy estoit naturelle. Son cœur luy fournit la vivacité qu’il y fit paroistre, & comme il les luy remit fort civilement entre les mains, la Belle les reprit de mesme sans avoir fait nulle attention sur le plaisir qu’il s’estoit fait de l’avoir contrainte à le regarder. Sa devotion luy sembla finie trop tost, lors qu’il la vit qui se préparoit à s’en aller Il l’accompagna des yeux jusques à la porte de l’Eglise, & voulant s’imaginer que l’envie qu’il eut de sçavoir qui elle estoit, n’avoit point d’autre motif que sa curiosité, il la fit suivre par un de ses gens, avec ordre de s’informer dans le voisinage de toutes les choses qui pouvoient luy en donner une connoissance assez parfaite pour n’ignorer rien de ce qui la regardoit. Celuy qu’il chargea de cette commission estoit tres-intelligent pour des emplois de cette nature. Il luy rapporta que la Belle estoit tres riche par le grand bien que luy avoit assuré la mort de sa Mere, arrivée depuis cinq ans ; que son Pere qui avoit presque mangé tout le sien, & qui prétendoit la marier à sa fantaisie, ne luy laissoit voir que quelques Amies qui venoient chez elle, & chez qui elle alloit de temps en temps ; qu’il estoit party le matin pour la campagne, d’où il devoit revenir le lendemain, & que ce jour même estant celuy de sa Feste, elle avoit pris cette occasion pour les regaler le soir. Le Cavalier instruit de toutes ces choses, & se sentant pressé tout à coup d’un desir fort violent d’entretenir la charmante Brune, & d’examiner si son esprit répondoit à ce qui avoit charmé ses yeux, résolut de profiter de l’absence de son Pere, pour aller chez elle. La difficulté estoit de s’y faire recevoir. Il prit pour cela une résolution qui ne luy pouvoit estre suggerée que par un amour tres-passionné qu’il commençoit à sentir sans qu’il voulust s’en appercevoir. Il alla choisir luy-même les plus belles Confitures seches qu’il y eust dans tout Paris, dont il fit remplir deux Corbillons, & se déguisant en Oublieux, avec une petite Perruque fort courte qui le rendoit fort different de luy-même, il fit si bien qu’il entra dans cet équipage chez l’aimable Brune, qu’il trouva au fruit avec cinq ou six jeunes Personnes, qui, quoy que jolies, sembloient ne servir que de lustre à sa beauté. Quelques-unes d’elles ayant témoigné se réjoüir de voir arriver un Oublieux, la Belle leur dit qu’elle étoit bien aisé que le hazard eût pris soin de suppléer à ce qui pouvoit manquer au regale de sa Feste. L’Oublieux animé par ces paroles, qui favorisoient ce qu’il avoit projetté, dit que ses Oublies n’estant pas communes, on les joüeroit avec luy quand elles seroient mangées, & vuida en mesme temps ses Corbillons sur la table. Les Amies de la belle Brune qui la connoissoient fort liberale, ne douterent point que la chose ne fust faite par son ordre ; & aprés luy avoir dit qu’elle sçavoit toujours surprendre agréablement, elles loüerent le choix que l’on avoit fait de ces Confitures, qui leur semblerent tres-bonnes, & dont aprés en avoir mangé, elles remplirent leurs poches. Cependant la belle Brune, qui ne comprenoit rien à tout cela, estoit fort embarassée. Elle regarda longtemps l’Oublieux, qu’elle ne reconnut point, pour ne l’avoir vû qu’un seul moment à l’Eglise. Il augmenta fort l’embarras où elle estoit, lors qu’il prit une Guitarre qu’il vit dans un coin de la Salle où l’on mangeoit. Il en joüa avec tant de grace, & d’une maniere si hardie, que l’on connut bien qu’il estoit propre à toute autre chose qu’à representer un Oublieux. Tout fut encore imputé à la belle Brune, qu’on prétendoit avoir obligé quelque Maistre de Guitarre à se déguiser de cette sorte. On l’écouta avec beaucoup de plaisir, & ensuite il mit sur la table differentes sortes de liqueurs, dont les Amies de la Belle, toujours persuadées que c’estoit une suite de la Feste, ne firent point difficulté de goûter. Les liqueurs les invitant à chanter, l’Oublieux qui sçavoit leurs Airs à boire, les seconda en chantant la Basse, & on s’écria lors qu’on l’entendit, qu’il ne s’estoit jamais vû un pareil homme. Il acheva d’étonner cette aimable Compagnie, en faisant danser les Demoiselles qu’il prit par la main l’une aprés l’autre. Il s’en acquitta d’une maniere charmante ; & enfin la belle Brune, qui estoit la seule à qui son déguisement donnoit de l’inquietude, l’ayant tiré un peu à l’écart, pour le prier de luy dire qui il estoit, & qui l’avoit envoyé, il entra avec elle là-dessus dans une conversation particuliere, qu’elle soutint pendant un quart d’heure avec toute la delicatesse d’esprit que l’on peut avoir. Il fut enchanté de tout ce qu’elle luy dit pour l’obliger à parler, & cet entretien ayant confirmé ses Amies dans la pensée que l’Oublieux n’avoit rien fait que de concert avec elle, elle fut bien aise de les laisser dans l’erreur, afin qu’elles ne cherchassent point à penetrer un mistere qui luy paroissoit d’amour, quoy qu’elle n’en eust pû tirer aucun éclaircissement. L’heure de se separer estant venuë, l’Oublieux dit à la Belle qu’il la prioit de faire payer à ses Amies ce que chacune devoit pour sa part de ses Oublies, & qu’il prétendoit s’adresser à elle pour le tout. Si l’avanture fit faire des reflexions à cette aimable Personne, le Cavalier n’en fut pas exempt. Il connut bien en examinant son cœur, qu’il estoit touché de la belle Brune, & que le plaisir de s’en faire aimer seroit pour luy un veritable triomphe. Il combattit quelques jours ces sentimens, & à la fin entraîné par quelque chose de plus fort que sa raison, il alla chez une de ses Amies qui logeoit dans le quartier de la Belle. La Dame qui la connoissoit fort particulierement, luy en dit des choses tres-avantageuses, soit pour le bien, s’il songeoit à l’épouser, soit pour l’agrément de son humeur qui estoit douce, honneste, & fort complaisante. Le Cavalier luy avoüa qu’il n’avoit encore fait aucun projet pour le mariage ; mais que le hazard luy ayant fait voir cette aimable Brune dans une Eglise, il ne pouvoit se deffendre de l’envie de la connoistre, remettant le reste à ce que l’étoile en ordonneroit. Ils furent interrompus par des femmes qui entrérent, & la Dame ayant dit au Cavalier qu’elle attendoit ce jour là assez bonne compagnie, & que s’il vouloit demeurer chez elle, il y verroit la charmante Brune, il ne se fit pas prier pour accepter le party. Elle n’arriva qu’aprés dix ou douze autres personnes. Le Cavalier ayant gardé le silence quelque temps pour la regarder avec plus d’attention, resta confondu à son égard parmy ceux dont la Compagnie estoit composée. Un habit fort riche & une grande perruque luy donnoient en quelque sorte un autre visage que celuy sous lequel on l’avoit vû dans le personnage d’Oublieux, mais lors qu’il commença à parler, le son de sa voix qui la frappa, l’ayant obligée à tourner les yeux sur luy, elle rougit aussi-tost, & il ne fallut rien davantage pour marquer au Cavalier qu’il en estoit reconnu. Il s’approcha d’elle, & aprés l’avoir saluée fort civilement, il luy demanda si elle s’estoit donné la peine d’arrester avec ses Amies certains comptes dont on l’avoit suppliée de vouloir bien se charger. La surprise estoit trop forte pour ne la pas mettre dans quelque trouble d’esprit. Elle se remit un peu aprés, & le Cavalier ne luy cachant pas qu’elle voyoit en luy l’Oublieux, elle ne pût s’empescher de vouloir sçavoir ce qui l’avoit engagé à cette metamorphose. Il luy répondit fort obligeamment, que pour l’avantage de la voir, & de luy pouvoir procurer quelques plaisirs, il n’y avoit point de déguisemens qui luy fissent peine, & il accompagna cette declaration de choses si passionnées, que ne les croyant pas devoir écouter, elle le pria de luy épargner un air serieux qu’il la forceroit de prendre, s’il continuoit à luy parler sur le mesme ton. Il ajoûta que le respect estant joint aux sentimens qu’il luy expliquoit, il ne chercheroit jamais à les étouffer ; mais seulement à luy en faire connoistre la sincerité, dont il estoit seur que le temps la convaincroit. La Belle ne répondit que par un regard, où il ne vit rien qui fust contraire à sa passion, & adressant la parole à une Dame, elle empescha que la conversation n’allast plus loin. Aprés que la Compagnie se fut separée, le Cavalier demeuré seul avec son Amie, luy dit qu’elle estoit maistresse de tout son bonheur, qu’il dépendoit du pouvoir qu’elle voudroit prendre sur la Belle, pour l’obliger à se declarer en sa faveur, & luy contant de quelle maniere l’amour qu’il sentoit pour elle avoit pris naissance, il la conjura de n’oublier rien pour obtenir d’elle qu’elle daignast agréer ses soins. La Dame à qui tout parut bien assorti dans ce mariage, promit volontiers de s’entremettre pour le faire réüssir. Elle alla trouver la Belle, à qui elle fit un portrait fort avantageux du Cavalier. Comme l’étoile agissoit également sur l’un & sur l’autre, elle fut ravie d’apprendre que son bien, & le rang que sa Charge luy donnoit, répondoient à ce qu’elle connoissoit déja de luy. La question estoit de sçavoir si sa passion estant violente pourroit estre de durée, & c’est ce qu’on ne pouvoit connoistre que par un peu de pratique. Dans ces dispositions il ne fut pas mal-aisé d’engager la Belle à se trouver de temps en temps chez la Dame, que le Cavalier venoit voir assiduëment. Ce fut dans ces douces entrevuës que se formerent les nœuds qui les attacherent l’un à l’autre. Le Cavalier estant assuré de son agrément, s’il obtenoit celuy de son Pere, le fit demander par une personne considerable, qui le rendit maistre de tout ce qu’il pouvoit souhaiter d’avantageux pour sa Fille. Sa réponse fut qu’il accepteroit avec plaisir la proposition qui luy estoit faite, s’il n’avoit pas donné sa parole à un homme de qualité qui luy avoit demandé le secret pour quelque temps, ce qui l’avoit empesché d’en dire rien à sa Fille mesme. Un contre temps si peu attendu mit les deux Amans dans une consternation inconcevable. Leur Amie commune tâcha de les consoler, & encouragea la Belle à resister à son Pere, qui estoit assez injuste pour disposer d’elle, sans la consulter. Elle ne pouvoit renoncer sans peine au Cavalier, mais aussi l’opposition qu’on exigeoit d’elle aux volontez de son Pere, blessoit son devoir, & démentoit la soumission qu’elle luy avoit toujours montrée. Les choses se passoient de cette sorte, lors qu’une espece d’Agent s’adressa au Cavalier, comme à un homme qui ne manquoit point d’argent comptant, pour sçavoir s’il voudroit faire une constitution de dix mille écus que l’on cherchoit pour une affaire importante. On luy nomma un Marquis qui avoit de belles terres, mais comme son bien paroissoit embarassé, le Cavalier ne trouva pas dans l’affaire les seuretez qui luy convenoient. L’Agent ne laissa pas de le presser fortement de donner la somme, & apporta pour raison, que non seulement il s’acqueroit pour Ami une personne de haute naissance, mais aussi qu’il ne pouvoit courir aucun risque en prestant les dix mille écus qu’on luy demandoit, puisqu’il s’agissoit d’un mariage, & que le Marquis devant épouser une Heritiere fort riche, seroit en estat de les rendre en peu de temps. Le Cavalier prétendant qu’il en fust parlé dans le Contrat, tout le secret luy fût declaré. Ces dix mille écus estoient un present secret qu’avoit exigé le Pere de l’Heritiere pour rétablir ses affaires qui n’estoient pas en bon ordre, & comme il fallut nommer les personnages, l’Heritiere se trouva estre la charmante Brune dont le Cavalier estoit aimé. Vous jugez bien qu’il estoit trop amoureux pour vouloir agir contre luy-mesme. Il congedia l’Agent sans rien conclurre avec luy, & aprés avoir nommé à la Belle celuy que son Pere luy vouloit faire épouser, il la pria de ne regarder que ses interests sur le choix qu’elle pouvoit faire entre le Marquis & luy. La Belle ayant paru s’offenser de la liberté qu’il luy laissoit, il fit proposer au Pere la somme de cinquante mille livres, qu’on luy remettroit entre les mains, s’il vouloit bien consentir à son mariage. Le Pere touché de l’offre qui le mettoit en repos sur ses affaires, demanda huit jours pour reprendre sa parole, & le Marquis ayant esté contraint de la rendre parce qu’il ne put trouver d’argent, le Cavalier se vit pour toujours uny à la Belle, qu’il eust voulu acheter de tous les tresors du monde. Ce qu’il y eut d’assez extraordinaire, c’est que le Pere mourut peu de temps aprés ce mariage, & comme il avoit encore presque tout l’argent qu’il avoit reçû du Cavalier, la Belle qui connoissoit le mauvais état de ses affaires ne pouvoit comprendre d’où cette somme luy pouvoit estre venuë. Le Cavalier n’ayant pû luy déguiser l’avanture de l’Agent, elle eut beaucoup de joye de connoistre par sa liberalité, quelle avoit esté la force de son amour.

[Sonnets sur les nouveaux Bouts-rimez] §

Mercure galant, septembre 1694 [tome 9], p. 198-205.

Je vous envoye seulement quatre Sonnets sur les nouveaux Bouts-rimez, proposez dans ma Lettre du dernier mois. Le premier est de Mr de Vertron ; le second de Mr de Gillet le fils, Avocat au Parlement de Dijon ; & les deux autres de Mr David de Bordeaux.

A LA GLOIRE DU ROY.

I.

Rome vante Cesar, Valence l'Ecarlate,
Macedoine Alexandre, Egypte Apis, ton Bœuf,
Perse, ton Grand Cyrus, & toy, Pont, Mithridate,
La France sous LOUIS fait voir un siecle neuf.
***
Le Bourgeois est gardé par son Chien & sa Chate,
Le Paysan conserve & sa Poule & son œuf ;
Le Soldat autrefois plus cruel qu’un Sarmate,
N’oseroit plus piller l’Orphelin, ny le Veuf.
***
LOUIS seul a sceu vaincre & le Lion & l'Aigle,
En guerre, en paix par tout la justice est sa regle,
Son zele a garanti cent Peuples des Enfers.
***
La prudence est sa guide, & la Paix est son centre,
Sa clemence pardonne à l’humble dans les fers :
Mais sa force réduit l’Orgueilleux dans un antre.

II.

LOUIS merite seul la Pourpre & l’Ecarlate,
Qui diroit autrement passeroit pour un Bœuf.
Plus grand que le Vainqueur du fameux Mithridate,
Dans les travaux de Mars il ne fut jamais neuf.
***
Le Soldat en passant n’emporte point la Chate,
Du Laboureur malade il n’avale point l’œuf,
Depuis que ce grand Prince a chassé le Sarmate,
On voit vivre en repos & la Veuve & le Veuf.
***
Ce Soleil de la France ébloüit mesme l’Aigle.
Malheur, malheur à qui s’écarte de sa regle,
On s’expose sans cesse à descendre aux Enfers.
***
Le salut des Mortels est son but & son centre.
Enfin, il met l’envie & la discorde aux fers,
Ainsi que l’Heresie au plus profond de l’antre.

III.

On ne connoissoit l’or, l’argent, ny l’Ecarlate,
Lors que chacun vivoit sans le secours du Bœuf,
On n’employoit aussi poison, ny Mithridate,
Et pour faire du mal le Vieillard estoit neuf.
***
Femme, Enfans & Mary, leur chien avec leur Chate,
Estoient dans leur cabane aussi remplis qu’un œuf ;
La guerre, ny la faim, comme chez le Sarmate,
N’avoit pas fait encor d’Orphelin ny de Veuf.
***
Mais quand pour s’élever à l’exemple de l’Aigle,
L’homme par ses forfaits eut rompu cette regle,
Il sentit les horreurs qui regnent aux Enfers.
***
Il prétendit en vain s’éloigner de son centre,
Sous de pompeux lambris il se chargea de fers,
Moins heureux mille fois que dans le fond d’un antre.

IV.

Non, je ne suis pas né dans l’or, ny l’Ecarlate ;
Je ne possede aussi Verger, Brebis, ny Bœuf.
Iris, je ne suis pas vendeur de Mithridate,
Mais comme Amant sincere à tromper je suis neuf.
***
Je vous aime cent fois plus qu’un Matou sa Chate,
Et la Poule qui couve aime bien moins son œuf :
Vostre cœur cependant plus cruel qu’un Sarmate,
Me cause la douleur d’un Epoux tendre, & Veuf.
***
Quand il faut me quitter vous volez comme un Aigle,
Mais quoy que le dedain vous conduise, & vous regle,
Vostre absence funeste est pour moy les Enfers.
***
Si je ne vous vois pas, je suis hors de mon centre.
Inquiet, abbatu, languissant dans vos fers,
Le plus beau lieu sans vous m’est plus affreux qu’un antre.

[Rondeau] §

Mercure galant, septembre 1694 [tome 9], p. 206-208.

Je vous envoyay le mois passé, un Sonnet du Pere Mourgues, & je vous manday qu’il avoit composé un Livre, mais j’oubliay de vous dire qu’il porte pour titre, Recueil d’Apophtegmes, ou bons mots anciens & modernes, mis en Vers François, dédiez & presentez à Monseigneur le Duc de Bourgogne. Voicy le jugement que Mr de Vertron a fait de cet Ouvrage.

RONDEAU.

Pour les bons mots ce Livre est admirable.
L’Auteur y joint l’utile à l’agréable,
Il sçait unir l’honneste à tous les deux,
Et dans ses Vers, par un art merveilleux,
Il met d’accord l’Histoire avec la Fable.
***
Ouy, ce Chef-d’œuvre à nul autre semblable,
A sceu d’un Prince, & jeune & genereux,
Luy procurer un accueil favorable, Pour les bons mots.
***
A tous estats ce Livre est profitable,
Il peint le Sage & le Juge équitable,
L’homme sçavant, l’infortuné, l’heureux,
Le bon Sujet, le Roy grand, courageux.
Mourgues enfin paroist inimitable Pour les bons mots.

[Mort de M. Daucourt de l’Académie française suivi d’un avis sur le Dictionnaire]* §

Mercure galant, septembre 1694 [tome 9], p. 237-239.

La place de Mr du Bois a esté à peine remplie, qu’il en est demeurée une autre vacante par la mort de Mr Daucour, arrivée le 13. de ce mois. Il avoit toutes les qualitez d’un excellent Academicien, estant bon Philosophe, bon Grammairien, & fort attaché à ce qui regarde l’honneur de la Compagnie, dont il est extrêmement regretté. Il a eu la satisfaction de voir le Dictionnaire achevé, à quoy il avoit contribué par beaucoup de soins, & il n’en a pas joüy. Cet Ouvrage, qui est le travail de tant de personnes celebres, commence à se debiter, ce qui n’a esté reculé jusqu’à present que pour y joindre un Index Alphabetique, d’autant plus utile dans ce Dictionnaire, qu’estant fait par racines, les mots composez ne s’y trouvent pas dans leur ordre naturel. Ainsi cet Index sera d’un fort grand secours pour sçavoir d’abord dans quelle page & dans quelle colomne on les doit chercher.

[Dictionnaire des Arts et des Sciences] §

Mercure galant, septembre 1694 [tome 9], p. 239-245.

Quant au Dictionnaire des Arts & des Sciences, dont vous me demandez des nouvelles, je vous diray que Mr Corneille, que vous sçavez estre de l’Academie Françoise, eut l’honneur de le presenter au Roy, deux jours avant que Sa Majesté partist de Versailles, & qu’Elle eut la bonté de luy marquer par la maniere dont il luy plut de le recevoir, que ce travail ne luy estoit pas desagreable. Il n’a esté entrepris que pour empêcher les Partisans du Dictionnaire de Mr l’Abbé de Furetiere, de publier aussi hardiment qu’ils le faisoient, qu’avec quelque exactitude que l’Academie Françoise travaillast au sien, il seroit toujours moins recherché, à cause qu’il ne contient que les mots de l’usage ordinaire de la Langue, au lieu que l’autre est universel, & qu’outre ces mesmes mots, il explique fort au long les termes des Arts. Cela donna lieu d’examiner s’il y avoit quelque fondement aux plaintes qu’on faisoit de toutes parts d’un nombre infini de fautes qui se trouvent dans l’Ouvrage de Mr de Furetiere, & aprés qu’on les eut connuës en le lisant avec grande attention, & qu’on y eust vû beaucoup de matieres traitées imparfaitement, on crut qu’un Dictionnaire des Arts, & des Sciences, si on le faisoit & plus ample, & plus correct, seroit une chose d’autant plus avantageuse & agreable au Public, que ceux qui souhaiteroient cette sorte de supplement à celuy de l’Academie, auroient sujet d’estre satisfaits. En effet, il n’y a point de matiere qui ne soit plus étenduë dans ce nouveau Dictionnaire, sans parler d’une infinité d’articles nouveaux qu’on ne trouve point dans celuy qu’on a prétendu être universel. Celuy cy contient comme un abregé de l’Histoire universelle des Animaux, des Oiseaux & des Poissons, non seulement de ceux qui nous sont connus, mais encore de quantité d’autres, que les Voyageurs ont vûs dans les Pays les plus éloignez. Il contient aussi la description de toutes les Plantes, & l’usage qu’elles ont, l’origine de tous les Ordres, tant Religieux que Militaires, leur établissement & leurs Statuts, les principales erreurs des Heresiarques qui ont paru dans l’Eglise, les diverses fonctions attachées aux Charges & aux Dignitez anciennes & modernes, & un fort grand nombre de termes du vieux langage, en faveur de ceux qui aiment à lire nos anciens Poëtes ; de sorte que l’on peut dire qu’il ne se trouve rien dans tous les autres Dictionnaires, qui ne soit en celuy-cy, qui d’ailleurs renferme quantité de choses tres-curieuses qui luy sont particulieres. Il est divisé en deux Volumes in folio, comme celuy de l’Academie, & tous les quatre se vendent chez la Veuve Coignard, à la Bible d’or ; & chez le Sr Jean-Baptiste Coignard son Fils, au Livre d’or, prés S. Severin.

[Requeste galante par Mr de Vertron] §

Mercure galant, septembre 1694 [tome 9], p. 245-251.

Les gousts sont differens sur les Bouts-rimez ; les uns les approuvent, & les autres les condamnent. C’est ce qui a donné lieu à ce que vous allez lire.

REQUESTE
Presentée à Apollon par les
Sonnets contre les
Boutsrimez.

Souverain Protecteur des Enfans du Parnasse,
Qui de ce lieu charmant fais briller les beaux jours,
Nous venons à tes pieds implorer ton secours,
Docte Chef des neuf Sœurs, préviens nostre disgrace.
***
Les hardis Bouts-rimez, cette servile race,
Qu’on crut par Sarrazin détruite pour toujours,
Entreprend d’infecter la plus belle des Cours,
Et veut insolemment occuper nostre place.
***
Ces Enfans du hazard, ces indignes Rivaux,
Osent du Grand Loüis publier les travaux,
Et toutes les vertus de ce Monarque Auguste.
***
Toy, qui vois ce torrent se grossir à tes yeux,
Reserve nous l’honneur d’estre au bas de son Buste,
Et confons par tes loix leurs chants ambitieux.

Requeste des Bouts-rimez à Apollon.
Sonnet sur les Rimes à la mode.

Pourquoy ne nous pas voir gravez au bas du Buste
Du Heros qui sçait vaincre en dépit des glaçons,
Comme il sçait triompher dans l’ardeur des moissons,
Ne le montrons nous pas tel qu’il est, grand, robuste ?
***
Si l’on nous eust connus dans le siecle d'Auguste,
Horace qui donnoit pour les Vers des leçons,
Eust préferé nos chants à toutes ses chansons,
Pour loüer les vertus d’un Empereur si juste.
***
Alexandre si fier, si plein d’un noble orgueil,
Eust fait à nostre Troupe un favorable accueil,
Nostre art au feu d’Homere auroit servi de digue,
***
Nos aînez pour charmer ont-ils d’autres ressorts,
Que ceux qu’également ta bonté nous prodigue,
Et qui nous rendent tous égaux par tes transports ?

Premier Arrest d’Apollon.

 Afin que les Sonnets ne soient pas davantage
Par le bizarre choix des Rimes opprimez,
De l’avis des neuf Sœurs nous défendons l’usage
 Des incommodes Bouts-rimez.

Second Arrest.

 Vû les Requestes presentées
Par les Sonnets de Cour, & par les Bouts-rimez,
Comme ceux-cy de nous sont les moins estimez,
 Malgré leurs rimes tant vantées ;
 Que la gloire de ces derniers
Consiste (s’il en est) dans les rimes bizarres,
 Et qu’ainsi les bons sont tres-rares,
De nostre plein pouvoir, en faveur des premiers,
Que nous préferons mesme aux Odes des Pindares,
Attendu qu’un Heros & de toute saison,
Qui parmy les Vainqueurs tient la premiere place,
Doit trouver dans nos chants pensers, rime & raison.
Les Bouts-rimez estant de la derniere Classe,
Voulons qu’ils soient chassez de sa belle maison,
De sa brillante Cour, & du sacré Parnasse ;
 Leur permettons expressément,
 Comme une grande grace,
De prendre des sujets de divertissement,
Pour les champs, pour la Ville, & pour la Populace.

[Journal de l’Armée de Flandre] §

Mercure galant, septembre 1694 [tome 9], p. 285-287.

Je finis le Journal de l’Armée de Flandre que je vous envoyay le dernier mois par l’arrivée de Monseigneur le Dauphin à Courtray, aprés une glorieuse marche, dont je vous appris des particularitez qui ne se sont trouvées que dans ma Lettre. Voicy un Madrigal qui a esté fait sur cette marche, par Mr l’Abbé Saurain.

Lors que Nassau trouva sur les rives du Lys
Le Heros qu’il croyoit en repos sur la Meuse,
Il dit, pour excuser sa retraite honteuse,
Ne verray-je jamais mes projets accomplis ?
***
 Je voulois assurer à mes troupes fidelles
Un azile où pouvoir éviter les combats,
 Et desormais ne craindre pas
Du vigilant Dauphin les poursuites mortelles.
 Je sçavois qu’il avoit des bras,
 Mais j’ignorois qu’il eust des ailes.

Air nouveau §

Mercure galant, septembre 1694 [tome 9], p. 330-331.

Je puis vous assurer que l'Air nouveau que vous trouverez gravé icy, est d'un des plus excellens hommes que nous ayons en Musique.

AIR NOUVEAU.

L’Air regarde la page 330.
Petits oiseaux, que vostre doux ramage,
Retarde icy le cours de ce charmant ruisseau,
Que les Dïeux enchantez du cristal de cette eau,
Aux delices des cieux preferent ce boccage ;
Rien de peut charmer mes ennuis,
Il m'a fallu quitter la divine Uranie.
A plaindre mes malheurs je consacre ma vie,
Aprés les jours j'y passeray les nuits.
images/1694-09_330.JPG