1695

Mercure galant, novembre 1695 [tome 12].

2017
Source : Mercure galant, novembre 1695 [tome 12].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, novembre 1695 [tome 12]. §

[Priere pour le Roy] §

Mercure galant, novembre 1695 [tome 12], p. 7-11.

Les grandes & merveilleuses qualitez du Roy n’éclatent pas moins par le tendre amour que ses Sujets ont pour luy, que par le grand nombre de Conquestes, qui ont mis sa gloire au plus haut degré où aucun Monarque ait pû jamais élever la sienne. Ceux à qui l’étude des belles Lettres a donné quelque talent pour écrire, s’ils n’ont pas l’avantage de le servir de leur bras dans ses Armées, employent leurs Plumes à publier ce qui fera l’admiration des Siecles les plus éloignez du nostre, & tous unanimement forment des vœux pour la conservation de sa Personne sacrée, qui est la chose du monde qui importe le plus à toute la France. Je vous ay déja fait part de plusieurs Prieres qui ont esté faites pour obtenir la continuation des graces du Ciel sur ce grand Prince. En voicy une nouvelle, par laquelle on demande ce qui est le plus selon son cœur, c’est à dire, la fin d’une Guerre qui depuis tant d’années trouble le repos de toute l’Europe.

PRIERE A DIEU,
pour le Roy.

C’est vous, Seigneur, c’est vous qui nous avez donné
Pour Roy le plus zelé des Monarques du monde,
 Et qui l’ayant à regner destiné,
L’avez doüé du don de sagesse profonde.
 Nous reconnoissons que par vous,
Contre tant d’Ennemis de son bonheur jaloux,
Tous ses pas ont esté suivis de la Victoire.
Pour comble de faveurs, faites qu’à ses Sujets,
Qui par ses grands travaux ont acquis tant de gloire,
Il fasse enfin goûter les douceurs de la Paix.

Cette Priere est de Mr Lucas, Avocat au Parlement, dont le zele pour le Roy, a déja paru en d’autres Ouvrages.

[Sonnet] §

Mercure galant, novembre 1695 [tome 12], p. 70-72.

Voicy un Sonnet que vous ne serez pas fâchée de voir. Il a esté fait sur les derniers Bouts-rimez qui vous sont connus.

À MONSIEUR LE DUC
DE VENDOSME.
SONNET.

Prince, dont le grand cœur a l’honneur seul pour guide,
Tu fais voir à ton Roy pressé de tant de parts,
Qu’un bras comme le tien peut sauver ses rempars,
Et faire que pour luy la Victoire décide.
***
L’Espagnol a montré par sa fuite rapide
Qu’il te redoute plus qu’il ne fit les Cesars.
Tu sçais te soûtenir dans les plus grands hasars,
En sage General, en Soldat intrepide.
***
On peut sans craindre rien te donner tous emplois,
Te laisser commander sans te faire des loix,
Dans peu tu nous mettras à couvert des tempestes,
***
Et malgré les efforts de cent jaloux divers,
LOUIS toujours Vainqueur gardera ses conquestes,
Par ta teste & ton cœur maistrisant l’ Univers.

[Madrigal] §

Mercure galant, novembre 1695 [tome 12], p. 73-74.

Vous avez sceu, Madame, que Messire Louis-Antoine de Noailles, Evêque & Comte de Châlons, Pair de France, ayant esté nommé par le Roy Archevêque de Paris, ce choix a esté si agreable à Sa Sainteté, qu’Elle luy a accordé ses Bulles gratis. C’est sur ce Gratis que Mr l’Abbé de Saint-Hussant a fait le Madrigal que vous allez lire.

Le Pape en bon Pasteur discernant ses Oüailles,
Et plaçant avec choix ses bienfaits differens,
Vient d’accorder gratis les Bulles à Noailles,
Qui couteroient, dit-on, soixante mille francs.
Quelque Judas dira : Ce Pape eust pu mieux faire.
Mais non ; luy qui cherit les Pauvres comme un Pere,
Sçait qu’ils ne perdront rien à ce sage Gratis.
Pour eux toujours la somme est également bonne.
Qu’importe que ce soit le Pape qui la donne,
 Ou l’Archevêque de Paris ?

[Inscription] §

Mercure galant, novembre 1695 [tome 12], p. 74-75.

Ces autres Vers sont de Mr de Bosquillon, l’un des Academiciens de l’Academie Royale de Soissons, en faveur de cet illustre Prelat.

INSCRIPTION.
Pour le Portrait de Mr de Noailles, Archevêque de Paris.

Avec de tendres soins sauver les malheureux
Des traits empoisonnez de l’affreuse indigence ;
Estre l’œil de l’Aveugle, & le pied du Boiteux,
D’un poste merité redouter l’éminence.
Par ces rares vertus le Prelat que tu vois,
Compte dans son Troupeau le plus Chrestien des Rois.

[Vers faits à l’occasion de la Dispute des Anciens & des Modernes] §

Mercure galant, novembre 1695 [tome 12], p. 76-86.

Une conversation formée sur la grande dispute des Anciens & des Modernes qui partage les Sçavans depuis quelques années, a fait naitre les Vers qui suivent. Mademoiselle l’Heritier que je vous ay mandé avoir remporté le prix la derniere fois par le jugement des Lanternistes de Toulouse, soutint dans une Compagnie distinguée, qu’ainsi que le Roy a surpassé Cezar & Alexandre, de mesme Corneille avoit esté au dessus de Sophocle, & d’Euripide, Moliere au dessus d’Aristophane & de Terence, les le Brun & les Mignards au dessus d’Appelles, & les Girardons & les le Hongre au dessus de Praxitelle & de Phidias. Cette Demoiselle prouva ses sentimens par de vives raisons, & en poursuivant la conversation elle avança que l’action de Mademoiselle de la Charsse est beaucoup plus belle que celle de Clelie. Plusieurs personnes de la Compagnie se rendirent aux raisons de Mademoiselle l’Heritier, & le lendemain de cette conversation, ayant l’idée remplie de cette dispute, elle envoya ces Vers à Mademoiselle d’Alerac, Sœur cadette de Mademoiselle de la Charsse. Madame la Marquise de la Charsse & Mesdemoiselles ses filles, qui sont toutes trois des personnes des plus éclairées, applaudirent cette Piece avec éclat, & la montrerent à une Princesse d’un goust délicat, qui l’honora d’un éloge fort glorieux. Vous en allez juger par vous-mesme.

A MADEMOISELLE
D’ALERAC.

Aimable d’Alerac, la docte Antiquité
N’a pas toujours suivi l’exacte verité.
 Cent & cent fois Rome & la Grece,
 Avecque toute leur sagesse,
 Ont fait en stile triomphant,
 D’un moucheron un Elephant.
 Les noms de Heros, d’Heroïnes,
 De Grands, de Divins, de Divines,
Dans ces temps reculez se donnoient aisément.
S’il falloit le prouver par cent divers exemples,
 J’en ferois des listes bien amples,
 Mais n’en citons qu’un seulement.
Clelie a sceu se faire une immortelle gloire,
Se retirant d’un Camp qui luy sembloit fatal,
 Et passant le Tibre à cheval.
Cet exploit n’estoit point si digne de memoire,
Et dans ce siecle heureux nous voyons parmy nous
 Des Heroïnes, dont les coups,
Avec plus de justice orneront nostre Histoire.
Une sage Amazone entreprit des desseins,
 Qui sur le bord de la Durance,
Ayant fait éclater son grand cœur, sa prudence,
Du Piemontois trop remply d’arrogance,
Rendirent les projets inutiles & vains.
Ces faits que l’avenir à peine pourra croire,
Marqueront des François les glorieux destins.
Louis dans leur party met si bien la victoire,
Que les Lauriers de Mars chargent de belles mains.
On sçait donc, n’en déplaise à l’antique Italie,
Que la Charsse en nos jours a surpassé Clelie,
De mesme que son Roy, le plus grand des Humains,
Surpasse les Heros des Grecs & des Romains.
***
Et vous, Muse toute charmante,
 Qui nous chantez avec tant de douceurs,
 Les feux & les tendres langueurs
Du Dieu dont j’ay toujours bravé la main puissante,
 Voyant les graces de vos Vers,
 Quels noms & quels titres divers
 Vous auroit pu donner la Grece ?
En est il d’assez beaux pour vostre politesse ?
Erinne n’a jamais pensé si finement,
Et jamais n’a tourné si délicatement
Ses Ecrits, dont Lesbos vanta tant la justesse.
 Faisons donc redire à l’Echo,
 D’Alerac passe autant Erinne
 Que Scudery passe Sapho,
Et Deshoullieres, Corinne.

Ces autres Vers furent ajoûtez impromptu par Mademoiselle l’Heritier, en presence de Mademoiselle de la Charsse.

La Charsse, d’Alerac, charmant couple de Sœurs,
 Dont le merite & le courage
 Sont les ornemens de nostre âge,
 Que mon Sexe vous doit d’honneurs !
 Vous prouvez à son avantage,
Qu’ainsi que le sçavoir, l’esprit & la beauté,
 L’heroïque intrepidité
 Entre souvent dans son partage,
Et luy fait une route à l’Immortalité.
***
 Je ne dis rien de vostre Mere,
 De son esprit, de sa vertu ;
 Un merite si peu vulgaire
 N’est pas un sujet d’impromptu.

Vous devez vous souvenir que dans une de mes Lettres, je vous ay fait le détail de l’action heroïque de Mademoiselle de la Charsse, qui dans le Dauphiné, s’opposa avec une intrepidité surprenante, au passage d’une Troupe de Piémontois, dont elle renversa les desseins par son courage.

Voicy une réponse aux Vers de Mademoiselle l’Heritier, par Mademoiselle d’Alerac.

A MADEMOISELLE
L’HERITIER.
MADRIGAL.

Digne heritiere des neuf Sœurs,
 Tu fais valoir mon nom par tes Vers enchanteurs.
Quand je ne te devois nulle reconnoissance,
Ma Muse vouloit te chanter,
Mais je ne trouvois rien qui pust me contenter,
Et te bien exprimer tout ce que mon cœur pense.
Je veux finir ce timide silence ;
Car enfin, qui peut se vanter
De dire en ta faveur tout ce que l’on doit dire ?
 Nul ne peut parler dignement
 De ton esprit plein d’agrément ;
L’on te voit triompher dés qu’on te voit écrire,
 Et triompher modestement.

[Sur un nouvel ouvrage de Mademoiselle l’Heritier]* §

Mercure galant, novembre 1695 [tome 12], p. 86-87.

Je vous ay déja parlé dans une autre lettre du merite de Mademoiselle l’Heritier, & si l’on pouvoit douter dans vostre Province, de ce que j’ay dit à son avantage, vous n’auriez qu’à y faire voir le Recueïl de ses Ouvrages qu’elle vient de donner au Public, sous le titre de Oeuvres meslées, pour faire connoistre qu’elle excelle veritablement parmy celles de vostre Sexe qu’un rare genie distingue. Ce Recueïl que debite le sieur Jean Guignard, Libraire au Palais, contient diverses Nouvelles, écrites d’un stile aisé, & dont la lecture est tres-agréable. Elles sont suivies de plusieurs pieces en Vers & en Prose, & l’on trouve à la fin le Triomphe de Madame des Houlieres. Y a-t-il quelqu’un qui puisse ne prendre pas interest à la gloire d’une personne si illustre, & dont le nom ne mourra jamais.

[L’Amy parfait] §

Mercure galant, novembre 1695 [tome 12], p. 178-181.

Voicy des Vers d’un Cavalier plein de merite, qui se sentant un panchant tres-fort pour la Maistresse de son Amy, se fait violence pour le surmonter, afin de rendre ce qu’il croit devoir à l’amitié.

L’AMI PARFAIT.

 Petits Oiseaux, qui dans nos Bois,
Animez par les feux d’une ardeur mutuelle,
 Aprés avoir fait vostre choix,
En donnez chaque jour une preuve nouvelle,
 Helas ! que vostre sort est doux,
Et qu’il sera pour moy toujours digne d’envie ?
Si cent fois vous sentez en vous
Un transport qui vous donne une nouvelle vie,
Rien ne peut vous contraindre à le dissimuler ;
 Cent fois vostre ame en est ravie,
 Et cent fois vous pouvez parler.
Dans vos tendres amours rien ne peut vous déplaire,
 Contens chacun de vostre foy,
 Vous ne souffrez point d’autre loy :
Autre chose à vos yeux n’est que pure chimere.
 La politique d’ici-bas,
L’importune raison, la fausse complaisance,
D’un rival assidu la trop grande constance,
La crainte & le remords n’arrestent point vos pas,
Contre vous ces tirans n’ont aucune puissance.
 Heureux de n’en ressentir pas
 La trop frequente violence,
Par vos tendres chansons vous pouvez exprimer
Qu’au milieu de vos cœurs l’amour a pris naissance,
 Et qu’il vous est permis d’aimer.
Mais si dans vos amours rien ne peut vous contraindre,
 Ah, pour moy que je suis à plaindre,
 Et que mon sort est malheureux !
Esclave infortuné de la parfaite estime
Qu’a de moy meritée un Ami genereux,
 Je n’ose sans commettre un crime,
Malgré tout mon panchant, devenir amoureux.
Ou s’il arrive enfin dans l’amoureux Empire,
 Que mon cœur en secret soupire,
 Une trop severe amitié,
 Pour moy sans aucune pitié,
Dans ce funeste état me défend de le dire.

[Avanture] §

Mercure galant, novembre 1695 [tome 12], p. 203-212.

Durant le sejour que la Cour a fait à Fontainebleau, deux intimes Amis, l’un Abbé, & l’autre Officier dans les Armées de Sa Majesté, firent parti d’aller ensemble visiter l’Hermite de Franchard, à une lieuë du Chasteau, le Cavalier dans l’esprit de curiosité, & l’Abbé pour divertir son Ami d’une forte passion qu’il avoit pour une belle personne dont il avoit l’esprit occupé à tous momens. Ces deux Amis partirent pour cet effet un jour que le Roy alla de bonne heure à la Chasse, & s’entretinrent si agréablement des belles qualitez du Prince, qu’ils arriverent insensiblement à la porte de l’Hermitage, sans que l’Abbé eust encore pensé à reprendre son Amy de ses amours, ny que le Cavalier eût reflechi un moment sur l’objet de ses plus cheres pensées. Ils entrerent ainsi dans la cellule, déja satisfaits de leur voyage ; mais aprés avoir salué celuy qui l’habitoit, homme sans Lettres, & sans éducation, doué d’ailleurs d’une grande probité & d’une singuliere devotion, ils furent ravis tous deux de trouver avec luy un Gentilhomme étranger, converti depuis douze ans à la Foy Catholique, qui sans affecter de parler selon les maximes Chrétiennes qu’il avoit veritablement meditées, fit voir à l’un & à l’autre pendant plus d’une heure de conversation qu’ils eurent ensemble, les excellentes qualitez de son esprit, par le raisonnement Apostolique dont il se servit dans le discours. J’espere vous donner une idée plus juste de ce digne personnage dans la Relation que je vous feray du Dialogue qui se fit ce jour là dans la cellule touchant la veritable retraite. Je me contenteray aujourd’huy de vous dire que le Cavalier parla de cette matiere aussi pertinemment qu’on puisse se l’imaginer ; ce qui surprit fort son Amy, qui ne s’attendoit à rien moins qu’à trouver en luy tant d’habileté.

La conversation finie, les deux Amis prirent congé de l’Hermite & du Gentilhomme pour s’en retourner à la Cour ; mais avant que de sortir de ce sejour angelique, ils s’apperceurent de quelques caracteres peints sur les Rochers d’alentour avec des representations de nostre derniere fin. Ils s’y arresterent, & virent une infinité de Sentences tirées des Saintes Ecritures, que le Gentilhomme dont je viens de vous parler, avoit appropriées avec esprit aux representations de ce lieu. L’Abbé se servit de cette heureuse occasion pour parler à son Amy cœur à cœur, & luy faire voir la vanité de ses inclinations, & la vûë des Rochers animez des veritez de l’Evangile qui luy reprochoient sa conduite. Le Cavalier avoit déja perdu l’enjoûment ordinaire de ses belles manieres dans ces lieux, lors que l’Abbé s’aperceut qu’il se faisoit un changement sur son visage à mesure qu’il s’arrestoit à chaque passage de l’Ecriture. Il l’en avertit, mais soit que le Cavalier fust surpris de voir que son Amy s’apercevoit de ce qui se passoit dans son ame, ou qu’il voulust bien luy en faire confidence comme de toutes ses autres affaires ; Je ne sçay, dit-il, si c’est la beauté de ce Desert qui charme mon esprit, ou si je me suis tantost épuisé sur une matiere dont je n’avois jamais tant parlé, mais je me trouve dans une espece d’assoupissement qui ne m’est pas ordinaire. Quoy qu’il en soit, je vous diray, mon cher Abbé, que ces beaux lieux, cette sainte conversation, & ces grandes veritez écrites de toutes parts sur ces rochers, font une telle impression sur mon cœur, que je ne pense plus à rien moins qu’à la personne à qui je me suis si fortement attaché. L’Abbé qui vit bien que son Ami changeoit de sentimens, & qu’il estoit sur le point de faire des vœux & des protestations de quitter le monde, pour demeurer toujours dans une si belle retraite, tâcha de le divertir d’une devotion qui faisoit un peu trop de progrés en un seul jour. Il le mena pour ce, là sur une hauteur dans une maniere de Pavillon, que le Roy fit faire il y a quelques années, pour repaistre sa Cour de la manne du desert. On découvre de cet endroit la plus belle plaine & le plus beau paysage qu’on puisse voir au milieu des rochers & des forests. C’est là que l’Abbé voyant son Ami qui contemploit ces lieux avec admiration, fit ces Vers qu’il anima en mesme temps par des accens de Musique qu’il crayonna sur la muraille du Pavillon. Ils en chanterent ensemble les notes, que je vous envoye gravées.

AIR NOUVEAU.

L’Air doit regarder la page 212.
Aimables Bois, Rochers & Plaine,
Vous enchantez mes sens, vous comblez tous mes vœux.
Vos attraits innocens sont bien moins dangereux
Que le brillant éclat de la belle Climene.
Vous pouvez adoucir la plus cruelle peine
D'un cœur soumis aux loix de l'empire amoureux.
Aimables Bois, Rochers & Plaine,
Vous enchantez mes sens, vous comblez tous mes vœux.
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[Epistre en Vers] §

Mercure galant, novembre 1695 [tome 12], p. 282-288.

Les Vers qui suivent viennent de bon lieu, & vous les lirez avec plaisir.

EPISTRE A TIRSIS,
estant encore à sa maison de campagne, aprés la Toussaint.

Quoy, toujours Campegnard ? toujours dans un Village !
A paslir sur un livre occupé de vos loix !
Vostre Nogent, Tirsis, vous plaist donc davantage
 Que le plus beau sejour des Rois ?
 Voulez-vous devenir sauvage ?
Voulez vous imiter ce Conseil d’autrefois,
 Vous-mesme attelez le harnois,
Et mettre comme luy la main à l’heritage ?
On n’entend plus dans nôtre bois
 Des petits oiseaux le ramage,
Les Bergers ne vont plus danser sur le rivage,
Vous ne les trouvez plus de flutes & de hautbois,
 Assaisonnant leur badinage.
L’Echo qui se plaisoit à redoubler leur voix,
 A presque perdu son langage,
 Et les arbres depuis un mois,
Ne portent plus de fruit & quittent leur feüillage.
 Vous n’avez plus de petits pois,
 Et vous n’usez plus de laitage.
Qui peut donc retarder, Tirsis, vostre voyage ?
***
 Ce n’est plus la saison des fleurs,
Leur odeur agreable & leurs vives couleurs
Ne charment plus les sens prés de vostre hermitage.
Le Soleil n’y paroist qu’au travers d’un nuage,
 Et pour augmenter vos douleurs
D’un broüillard fort épais vous humez le breuvage.
Déja Dame Chicane & ses avant-coureurs,
 Les Avocats, les Procureurs,
 Chacun revient de son Bailliage,
 Et fait revenir les Plaideurs.
Déja cette vertu qui reforme les mœurs,
 A qui Harlay fait rendre hommage,
Qui deffend l’Orphelin, l’assiste, & le soulage,
 Themis mande ses Orateurs,
Pour declamer icy contre mille voleurs
 Qui sont menacez de l’orage.
Déja les Magistrats que l’honneur encourage,
Presidens, Conseillers, Maistres & Correcteurs,
 Font revenir leur équipage.
 Déja les Regens, les Docteurs,
Ont fait de leurs Placards l’ordinaire étalage.
 Pour attirer les Auditeurs,
Et le hardy Damon, si connu des Auteurs,
Qui d’écrire eut toujours une immortelle rage,
 Poussé par le vent des flatteurs.
 Vient d’enfanter un gros ouvrage,
Qui n’aura gueres d’acheteurs,
 Car voicy comment les lecteurs
En ont déja fait le partage.
Un tome servira d’allumette aux Traiteurs
Où Damon va souvent se rougir le visage.
Le second peut servir d’enveloppe au fromage,
L’autre est bon à brusser pour chasser les vapeurs,
Du dernier devinez l’usage.
 Enfin, tous vos amis, Tirsis, sont de retour ;
 Ils font revenir leur ménage.
 Ce n’est donc point le voisinage,
 Ny la saison qui vous engage
A tenir si longtemps à Nogent vôtre Cour.
Quoy ! seroit-ce un dépit d’amour ?
 Non, Tirsis, vous estes trop sage
Pour donner seulement à cet Aveugle un jour.
 Pliez donc au plustost bagage,
 Sinon, je vous feray le tour,
D’empescher qu’on vous nomme à nostre Echevinage.

[Tombeau de Mr Felibien] §

Mercure galant, novembre 1695 [tome 12], p. 288-291.

Mr de Santeul, Chanoine Regulier de Saint Victor, si connu de tout le monde par la beauté de ses Vers latins, en a fait, qu’il intitule, Le Tombeau de l’Illustre Mr Felibien. Voicy l’Imitation qui en a esté faite en nostre langue.

De doctes Artisans n’ont point fait le Tombeau
Du fameux Felibien que regrette la France.
Les Arts mesmes, les Arts, d’un chef d’œuvre si beau,
 Ont formé la noble ordonnance,
D’un cœur reconnoissant, dans ce hardy dessein,
La Peinture empressée autant que redevable,
Acheva son Portrait d’une sçavante main,
 Mais sur la toile perissable.
Il s’éleva contr’elle un bruit tumultueux.
D’un mouvement jaloux la Troupe fut troublée,
Et d’un effort commun, les Arts impetueux
 Travaillérent au Mausolée.

Le mesme Mr de Santeul a fait d’autres Vers pour mettre sous le Portrait de Mr Felibien, & ils ont encore esté imitez de cette sorte, en nostre langue.

On peut connoistre à l’air de son visage
Quel il estoit, combien il estoit grand ;
Mais ses Ecrits, par qui mieux on l’apprend,
Sur ce Portrait ont beaucoup d’avantage.
C’est ce Sçavant, dont les nobles travaux
Ont de Louis éternisé la gloire,
En consignant aux fidelles métaux
De ses hauts faits la surprenante histoire.
Joignant les mœurs au sçavoir, Felibien
Charma la Cour, édifia la Ville,
Par les talens qui forment l’homme habile,
Par les vertus qui font l’homme Chrestien.