1698

Mercure galant, novembre 1698 [tome 11].

2017
Source : Mercure galant, novembre 1698 [tome 11].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, novembre 1698 [tome 11]. §

Eglogue. Sur la Paix. Lycidas, Daphnis §

Mercure galant, novembre 1698 [tome 11], p. 7-18.

La Paix est un si grand bien, que l’on ne doit pas estre surpris si l’on continue toûjours à la chanter. On ne le peut faire sans donner au Roy les loüanges que merite le soin qu’il a pris de procurer le repos de toute l’Europe ; & comme rien ne vous plaist tant que les Ouvrages où sa gloire est élevée, ce ne seroit pas remplir ce que je sçay que vous attendez de moy, que de ne vous en pas envoyer une copie. Lisez l’Eglogue qui suit.

EGLOGUE.
SUR LA PAIX.
LYCIDAS, DAPHNIS.

LYCIDAS.

On ne voit plus regner le tumulte des armes,
Daphnis, on n’entend plus dans ces aimables lieux,
Que rustiques concerts, que chants mélodieux.
D’où vient qu’un doux repos succede à tant d’allarmes ;
Que sans estre exposez à la fureur des Loups,
Nos paisibles troupeaux errent par tout sans nous ;
Que le bruit effrayant des Tambours, des Trompettes
Ne trouble plus le son de nos douces musettes ?

DAPHNIS.

 Berger, c’est par les soins d’un Prince genereux,
C’est LOUIS, ce Heros, qui pour nous rendre heureux,
Vient de suspendre encor le cours de ses Conquestes,
Et ramener icy les plaisirs & les Festes.
Quand rien ne s’opposoit à sa fiere valeur,
Quand tout reconnoissoit les Loix de ce Vainqueur,
Quand de nouveaux Lauriers, quand des Palmes naissantes,
Venoient s’offrir en foule à ses mains triomphantes ;
Il borne ses Exploits, arreste ses Projets,
Pour nous faire joüir des douceurs de la Paix.

LYCIDAS.

 Tandis que nos troupeaux paissent dans la prairie,
Allons nous reposer sur cette herbe fleurie,
Ou si tu veux au pié de ces pins toujours verts ;
Là, tu me conteras ces prodiges divers.

DAPHNIS.

 Aprés avoir soûmis des Provinces entieres,
Fait joindre les deux Mers, formé d’autres Rivieres,
Et remply l’Univers du bruit de ses Exploits,
Ce Roy, voyoit fleurir le commerce, & les Loix :
Redonnoit l’abondance à nos terres steriles,
Et faisoit le bonheur de ses peuples tranquilles.
Aimé de ses Sujets, craint de ses Ennemis,
Il voyoit à ses piés des Souverains soûmis ;
Aux volontez du Ciel son cœur toûjours fidelle,
Travailloit à détruire une Secte rebelle,
Extirpoit l’heresie, & rendoit la raison
Aux peuples qu’infecta ce funeste poison.
On voyoit ce Heros d’une main triomphante,
Donner le dernier coup à cette hydre expirante,
Lorsque l’Europe vit ses Princes envieux
S’armer pour obscurcir des faits si glorieux.
Son courage pour lors rendit leurs ligues vaines,
Du sang de leurs Soldats on vit fumer les plaines ;
Et sous l’affreux débris de leurs Forts démolis,
Leurs nombreux Bataillons rester ensevelis.
Ces Princes accablez du poids de sa puissance,
Furent alors forcez d’implorer sa clemence,
Et ce Roy méprisant leurs frivoles projets,
Touché de leurs malheurs, leur accorde la Paix.

LYCIDAS.

 Montrons à ce Heros nostre reconnoissance.
Mille Chantres divers ont signalé leurs voix
À chanter ses Combats, à loüer ses exploits,
C’est à nous de chanter aujourd’huy sa clemence ;
Que tardons-nous, Daphnis ? Sous ces jeunes ormeaux,
Contre mon flageolet, enfle tes chalumeaux.

DAPHNIS.

 Mille autres que LOUIS ont gagné des Victoires,
Remply de leurs hauts faits les antiques Histoires ;
Mille autres que LOUIS affrontant les hazards,
Se sont rendus fameux dans les travaux de Mars,
Ont gagné des Combats, ont forcé des murailles,
Et remply l’Univers de tristes funerailles ;
Mais LOUIS a luy seul arreste ses Exploits,
Lorsqu’il pouvoit ranger cent peuples sous ses Loix.
Luy seul, quand tout cedoit à sa vaste puissance,
A soûmis sa valeur aux Loix de sa Clemence.

LYCIDAS.

Si nous cueillons en paix nos fruits dans la saison,
Si nous voyons tomber sous nos faulx la moisson,
Si nous ne voyons plus des Loups pleins de furie
Fondre de tous costez sur nostre Bergerie ;
Si nos heureux Bergers sur le bord des ruisseaux,
Enflent en seureté leurs plus doux chalumeaux ;
Si nous n’entendons plus le bruit tonnant des armes,
C’est à LOUIS qu’on doit ce repos plein de charmes.

DAPHNIS.

 Je veux par mes Chansons faire dire aux Echos
Mille fois chaque jour le nom de ce Heros.

LYCIDAS.

 On verra dans nos bois la triste Tourterelle,
Pour suivre le Hibou devenir infidelle.
La Biche & l’Ours affreux quitteront les Forests,
Lorsque je cesseray de chanter ses Bienfaits.

DAPHNIS.

 Ce qu’est un doux sommeil sur la verte prairie,
Aux yeux de nos Bergers une rive fleurie ;
Ce qu’un saule pliant est à vostre troupeau,
Ce qu’est aux tendres cœurs le doux bruit d’un ruisseau,
La fertile moisson au Laboureur avide,
Une pluye abondante à la campagne aride,
L’haleine des Zephirs au lassé Moissonneur,
Aux abeilles le thin, LOUIS l’est à mon cœur.

LYCIDAS.

 Du bel astre du jour c’est la plus noble image ;
Si cet astre benin répare le dommage,
Que font à nos Vergers les frimats, & les vents ;
Si de fleurs & de fruits il embellit nos champs,
Si cet astre vainqueur de l’extrême froidure
Se plaist à ranimer la mourante nature ;
Si cet astre suffit au bien de l’Univers,
S’il éclaire luy seul tous les climats divers.
La valeur de LOUIS, sa sagesse profonde,
Suffisent pour régir tout l’Empire du monde.

Cette Eglogue est de Mr Caumette, Avocat au Présidial de Nismes. Vous luy sçaurez sans doute bon gré d’avoir exprimé d’une maniere si fine le doux loisir que le Roy fait goûter aux Muses.

Rupture §

Mercure galant, novembre 1698 [tome 11], p. 85-93.

Je ne sçay, Madame, si vous trouverez qu’il en faille croire l’Auteur des Vers que je vous envoye. Les sermens qu’on fait de ne plus aimer sont souvent fort inutiles, & c’est dans ce temps qu’on est quelquefois le plus amoureux. Lisez cependant, cet ouvrage le merite. Il est de Mr Mahuet de Reims.

RUPTURE.

J’ay vaincu mon Vainqueur, j’ay forcé ma prison,
J’ay du joug de l’amour affranchy ma raison,
Et las de soupirer pour l’ingrate Climene,
À moy-mesme à la fin mon destin me ramene.
Assez, & trop long-temps, son insensible coeur
A fait sentir au mien une injuste rigueur.
Qu’un autre plus constant aille adorer ses charmes,
Etaler ses langueurs, & répandre des larmes,
Qu’il tâche par ses pleurs d’attendrir un Rocher,
Que tous les miens, helas ! n’ont jamais pû toucher ;
Que la comblant toujours de pompeuses loüanges,
Il vante sa beauté plus que celle des Anges ;
Ou qu’un amour pressant, animant ses discours ;
Il trouve ce moment qui m’échapa toujours ;
Je n’en suis point jaloux, & de cette amourette
J’entendrois sans chagrin raisonner sa Musette,
Que Climene le souffre à l’ombre d’un Ormeau,
Pour chanter ses faveurs enfler son chalumeau,
J’y consens, je puis voir desormais sans envie,
Climene avec Lycas passer toute sa vie,
Et mon cœur libre enfin d’un nœud qui l’a charmé,
Croit dans ce calme heureux n’avoir jamais aimé.
En vain pour renflamer ce cœur tout plein de glace,
Tu voudrois dans le tien me donner une place,
Il est trop inconstant pour arrester le mien ;
Et quand on aime tout, l’on n’aime jamais rien.
Autrefois, il est vray, ma boüillante jeunesse,
Me fit avec ardeur rechercher ta tendresse.
Helas ! trop ébloüy de ta fiere beauté,
Je perdis ma raison, avec ma liberté.
Quels charmes mon amour attachoit à ma peine
J’adorois mes liens, j’idolâtrois mes chaisnes,
Et mes yeux sur les tiens sans relâche attachez,
J’expliquois de mon cœur les sentimens cachez.
Je n’aspirois alors qu’au bonheur de te plaire ;
Je te sacrifiay mon aimable Bergere,
Mais l’injuste mépris dont tu sçais m’outrager,
Ne me punit que trop d’avoir osé changer,
Si quelquefois mes yeux s’éloignoient de tes charmes,
Mes yeux, mes tristes yeux se noyoient dans les larmes.
Témoins de mon amour, infortunez Ruisseaux,
Combien de fois mes pleurs ont ils grossy vos eaux ?
Plus touchez de mes maux que l’ingrate Climene,
Daphnis, m’avez-vous dit, que ne romps tu ta chaisne ?
Trop malheureux Berger, va, cesse d’estre amant,
Le Sexe est comme nous, & tourne à tout moment.
Souvent le Rossignol sous un sombre feüillage,
A joint à mes soupirs son languissant ramage ;
Et brûlé d’un amour qu’il exprimoit trop bien,
J’ay vû dans son tourment la peinture du mien.
 Nonchalamment couchez dans de fertiles plaines,
Partageant avec moy le fardeau de mes peines
Helas ! petits Moutons, à mes gemissemens,
Vous mêliez tout le jour vos tristes bêlemens.
Climene seule alors trop fiere de ses charmes,
Dédaignoit mes soupirs, triomphoit de mes larmes.
 Mais enfin je respire, un genereux effort
Vient d’affranchir mon coeur d’un si rigoureux sort.
Je vais vivre content, & ma mourante vie
De soupirs, & de pleurs ne sera plus suivie,
 Vous, tendres Arbrisseaux, pardonnez à ma main,
Qui d’un fer trop pointu déchira vostre sein,
Vous ne vangez que trop vos profondes blessures,
(D’un feu trop tard éteint les vivantes Peintures)
Helas ! j’ay beau changer vous retracez toujours,
Ces Vers, signes honteux de mes tristes amours,
L’infortuné Daphnis soupire pour Climene,
Dont le cœur est plus dur que celuy de ce Chesne,
 Mais que m’importe enfin qu’en tant de lieux gravé
Son nom malgré le temps soit toujours conservé,
Si ce nom, où ma flamme attacha trop de gloire,
Va, pour n’y plus rentrer, sortir de ma memoire ?
 Tarissez donc, mes yeux, vous ne pleurerez plus.
Et toy, qui t’épuisant en regrets superflus,
Devenois du chagrin la victime & la proye,
Mon coeur, consacrons nous desormais à la joye.

[Discours prononcé à Thoulouse] §

Mercure galant, novembre 1698 [tome 11], p. 111-113.

Le 18. du moïs passé jour de Saint Luc, le Pere François Lamy, de la Doctrine Chrestienne, Professeur de Rhetorique à Toulouse dans le College de l’Esquille, fit l’ouverture des Classes par un Discours Latin touchant la maniere de bien écrire. Il le prononça d’une maniere qui satisfit pleinement toute l’Assemblée qui fut tres auguste. La Chambre des Vacations, l’Université, & Mrs les Capitouls s’y trouverent, avec quantité de Gens de Lettres & de distinction qui avoient esté attirez par le desir d’entendre son discours, dans lequel il fit paroistre beaucoup d’érudition & d’éloquence. Comme ce Pere a eu l’honneur de remporter le prix des Sonnets en Bouts-rimez proposez par l’Academie des Lanternistes l’année derniere, cette mesme Academie a donné des marques publiques de la part qu’elle a prise à son glorieux succés. Voicy un Madrigal qu’un Academicien a fait à son Eloge,

Docte Lamy, tu fais toujours merveilles,
À tes nobles talens tout le monde applaudit,
 J’entens en tous lieux que l’on dit
Que tu sçeus enchanter l’esprit & les oreilles.
Ton nom est à l’abri du fatal Acheron,
 Et ton beau discours nous ramene
 L’Eloquence de Ciceron ;
 Et les graces de Demosthene.

Air nouveau §

Mercure galant, novembre 1698 [tome 11], p. 113-115.

J'ay fait graver l'Air qui fut chanter à Claye pendant le soupé de Son Altesse Royale Madame la Duchesse de Lorraine, & je vous l'envoye noté. Je vous ay déjà mandé qu'il est de la composition de Mr Pivain. Les paroles sont de Mr Tonti.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Allez, allez, belle Princesse, doit regarder la page 114.
ALLEZ, allez, belle Princesse,
Allez repondre à la tendresse
D'un Prince fortuné qui devient vostre Epoux.
Cent Princes soupiroient pour vous ;
Mais ils se sont flatez d'une esperance vaine,
Ah, quel bonheur pour la Lorraine !
Ah, qu'elle fera de jaloux !
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[Hopital General d’une nouvelle methode estably à Dole en Franche-Comté] §

Mercure galant, novembre 1698 [tome 11], p. 170-171.

 

[Le 8 septembre on fit] une Procession solemnelle, où assisterent tous les Corps Seculiers & Reguliers de la Ville. La Procession s’estant terminée à la Charité, on y chanta le Te Deum, pour rendre graces à Dieu du succés de cette entreprise.

Pour une aimable personne qui vouloit que son Amant sçeust faire des Vers §

Mercure galant, novembre 1698 [tome 11], p. 172-177.

Les vers que vous allez lire sont de Mr de la Coste.

POUR UNE AIMABLE
personne qui vouloit que son Amant sçeust faire des Vers.

Poussé d’une verve secrette
 Mon esprit chatoüille mes sens ;
Plus je me tâte, & mieux je sens
Que bientost je seray Poëte.
***
 O Dieux, quelle métamorphose !
Moy qui ne fis jamais de Vers,
Emeu par cent transports divers,
Je ne puis plus aimer la Prose.
***
 Jadis Partisan de l’Epée,
Le Dieu Mars faisoit mon plaisir ;
Aujourd’huy d’un nouveau desir
Mon ame se sent occupée.
***
 Apollon vient prendre la place
Où regnoit ce Dieu des hazars.
Garde qui voudra les Rampars.
Pour moy, je cours vers le Parnasse.
***
 Heureux dans l’espoir qui m’enchante
Si m’animant par ses douceurs
Quelqu’une des charmantes Sœurs
Me tend une main bienfaisante.
***
 L’Amour est le Dieu qui m’inspire :
C’est luy seul qui regle mes pas :
Avec luy que ne peut on pas ?
Et sans luy que peut on bien dire ?
***
 Philis par ses dons si charmante
Veut qu’en Vers on peigne ses feux,
Pour luy faire agréer les vœux
D’une Ame tendre & languissante.
***
 Ainsi bannissons les obstacles
Que la crainte vient m’opposer.
Pour luy plaire, je puis oser
Promettre & faire des miracles.
***
 La Belle en doutera peut-estre ;
Mais pourtant quand on aime bien,
L’Amour sçait trouver le moyen
D’un Apprenty d’en faire un Maistre ?
***
Que cette Mer où je m’enbarque
Ait mille dangereux Rochers,
Je me ris de tous les dangers
S’il daigne conduire ma Barque.
***
 La vive ardeur qui m’encourage
Pourra par un puissant effort,
Lorsque j’auray quitté le Port,
Me faire éviter le naufrage.
***
J’iray sans crainte à pleine voile
Au gré des flots, au gré du vent,
Si la bourasque me surprend
Philis me servira d’Etoile.

[Livres nouveaux] §

Mercure galant, novembre 1698 [tome 11], p. 187-193.

Je vous avertis, Madame, que ce que vous souhaitiez est arrivé. On ne peut jamais traiter trop amplement certaines matieres heureuses dont tout le monde tire de l’utilité, & cette raison a obligé Mr l’Abbé de Bellegarde à augmenter son livre intitulé, Modeles de conversations pour les personnes polies. Le Sr Guignard Libraire, qui demeure ruë Saint Jacques à l’Image Saint Jean, en debite une seconde Edition, beaucoup plus correcte que la premiere, l’Auteur ayant bien voulu repasser sur tout son ouvrage, & prendre garde à ce qui pouvoit s’y estre glissé contre la verité de l’Histoire & la pureté du Stile. L’augmentation qu’il y a faite est d’ailleurs considerable. Elle est sur les vertus heroïques depuis la page 206. jusqu’à la page 289. Tout ce qu’il écrit est fort estimé, & c’est avec beaucoup de Justice.

Le mesme Libraire debite depuis quelques jours un autre Livre d’une grande utilité, mais il est d’une autre nature. Il a pour titre, Sentiment que la Retraite inspire sur les principales veritez de la Religion, & il est divisé en trente & un articles, qui contiennent autant de veritez dont on tire le sujet de la Retraite, & qui sont rangées suivant la metode de Saint Ignace. Ce petit ouvrage, rempli par tout d’onction, est du Pere Louis Doucin, Jesuite. Ce sont de simples, mais de vives Reflexions dont quelques Ames s’étant senties penétrées durant une retraite de huit ou dix jours ont voulu conserver l’impression toute l’année. Pour cela, chaque jour du mois elles en lisent un article, & en font mesme quelquefois le sujet de leur Meditation. Les paroles de l’Ecriture qui sont au bas de chacun de ces articles, & la pratique de pieté conforme aux Reflexions dont elle est précedée, doivent servir le long du jour d’occupation aux personnes qui voudront tirer quelque profit des Reflexions.

Le Sr Michel Brunet, Libraire au Palais, chez qui se debitent tous les Ouvrages Galans, vient de nous en donner un nouveau sous le titre des Sœurs Rivales. L’Auteur asseure qu’il n’y a rien d’inventé dans les faits essentiels, & que les deux Rivales dont il rapporte les avantures, sont encore dans la plus belle saison de leur âge. Il seroit fort malaisé de mieux réussir qu’il a fait à peindre dans la Cadette le caractere d’une inclination loüable, & dans l’Aisnée les emportemens d’une violente passion. Son Stile est net & fort pur, & l’on peut dire que s’il a meslé quelques fictions au corps de l’Histoire, elles y sont insinuées d’une maniere si naturelle, que bien loin d’en blesser la verité, elles se servent qu’à luy donner du brillant.

On trouve chez le mesme Libraire un autre Livre nouveau intitulé. Le Puits de la verité, Histoire Gauloise. Le Stile n’en est point du tout Gaulois, au contraire, il fait souvent entendre beaucoup en fort peu de mots, & d’une maniere tres agreable. S’il y a de la Satire, elle est generale, & tout le monde en peut profiter sans qu’on la puisse appliquer particulierement à personne. Ce que l’on peut dire de ce Livre sans entrer dans le détail, c’est qu’il est tout plein de saillies d’esprit, qui parlent d’une imagination tres-vive.

[Relation du mariage de Madame la Duchesse de Lorraine, & tout ce qui s’est passé en Lorraine depuis cette Ceremonie] §

Mercure galant, novembre 1698 [tome 11], p. 193-233.

 

Vous vous souvenez, Madame, que dans ma derniere Lettre, je laissay Madame la Duchesse de Lorraine à Vitry où elle estoit arrivée le 23 d'Octobre. Avant que cette princesse en partist, Mr Lirot, , Doyen du Chapitre Royal de Vitry, la complimenta. [Suit le compliment prononcé par Mr Lirot.] Le 24 du mois passé, Madame la Duchesse de Lorraine partit de Vitry après avoir entendu la Messe dans l’Eglise Collégiale, où Mr l’Evesque de Chalons luy presenta l’Eau bénite, & le soir elle arriva à Sermoise, où elle receut les complimens de Monsieur le Duc de Lorraine, par Milord Carlingford. [Le duc et la duchesse de Lorraine se rendent à Bar ; description de leur arrivée et de leurs appartements.] Après le dîné Madame la Duchesse de Lorraine remonta dans sa Chambre pour recevoir les Harangues & les presens de tous les Corps de la Lorraine. L. A. allerent ensuite à la Comédie, d’où elles se mirent à table dans la Salle, avec toutes les Dames & Filles d’honneur. C'estoit une Table en long de vingt quatre Couverts. Il n'y avoit que Madame la Duchesse de Lorraine au bout, & aux deux costez Mr d'Osnabruk à droite, & à gauche, Monsieur le Duc de Lorraine, Madame de Lillebonne & Madame de Marré ensuite ; & du costé de Mr d'Osnabruk, le Prince François, Mademoiselle de Lislebonne, & aprés elle toute les Dames. La Table fit servie en entremets. Aprés le soupé qui dura longtemps, S. A. vinrent dans la grande Salle où le Bal commença. Personne ne s'assit, & on dansa, en se prenant par les mains, comme lors qu'on tourne au menuet. Madame la Duchesse de Lorraine dansa beaucoup, & de la meilleure grace du monde. Elle avoit un habit de drap d’or, & Mr de Lorraine un rouge avec une Broderie d’or tres belle. Le Feu d’artifice finit la journée.

Je passe quelques jours de marche pour vous dire que Leurs Altesses de Lorraine estant arrivées à Pont-à-Mousson, en partirent le 8. de ce mois, & vinrent coucher à Jauville, petit Village à une bonne demy lieuë de Nancy, dans le dessein d’y faire leur Entrée le lendemain Dimanche ; mais le mauvais temps fit remettre jusqu’au Lundy 10 cette pompeuse ceremonie. Elle commença vers les onze heures du matin à la Porte Saint Nicolas par une Compagnie de Bourgeois de Nancy appellée les Buttiers. Ce sont des hommes bienfaits, adroits, qui tirent de temps en temps à la Butte, ou au Blanc, à qui la Ville donne le prix pour celuy qui réussit le mieux à tirer. Ils avoient tous des habits d'une mesme parure & assez propres. Ce jour là les quatre Compagnies de Chevaux Legers & les Gardes du Corps de Monsieur le Duc de Lorraine estoient postez sur le chemin de Jauville. La Bourgeoisie estoit en haye sous les Armes, depuis la Porte Saint Nicolas de la Villeneuve, jusqu'à la Porte Royale de la Vieille Ville, & depuis cette derniere Porte jusqu'à celle du Chasteau, le Regiment de Gardes s'estoit aussi mis en haye. Aprés ces Buttiers marchoient les Carosses ordinaires du Prince accompagnez de plusieurs Valets de pied & de Heiduques, qui sont des Fantassins Hongrois, gros & grands hommes, habillez à la mode de leur pays, mais d'une maniere plus magnifique, portant la Livrée du Prince qui est du vert, avec du Galon d'argent. Leur bonnet à la Hongroise est de Velours vert, & bordé d'un pareil Galon. Ils ont un gros Sabre au costé, & une Masse d'Armes à la main fort pesante, & portent toujours la Bottine sans genuillere, avec un talon de fer. Ceux-cy estoient suivis de neuf grands Chameaux couverts de leurs Housses ; & ensuite de quinze ou seize Mulets, avec des Housses plus riches que celles des Chameaux. Les Armes de Lorraine y estoient brodées. Chacun de ces animaux estoit conduit par un Palefrenier ou Muletier. Les vingt quatre Pages avec leur Gouverneur & Sous-Gouverneur suivoient, montez sur des tres-beaux Chevaux, marchant deux à deux, & après eux un très grand nombre de Chevaux de main Turcs, Hongrois, Polonois, & d'autres pays, marchoient au son des Trompettes & des Timballes de deux Compagnies de Chevaux Legers, & de deux autres de Gardes du Corps qui les suivoient.

[Description du reste du cortège constitué des officiers, représentants de la ville, clergé séculier et régulier] Mr l’Abbé le Begue, comme Doyen de la Primatiale, officiant dans cette ceremonie, fermoit toute la Marche du Clergé. Il estoit accompagné de quatre Chanoines de son Eglise. Les Trompettes & les Timballes du Prince tres bien montez, & ayant des Justaucorps verts, tous galonnez, & les Banderolles de leurs Trompettes & Timballes en broderie d'or & d'argent avec les Armes de Lorraine, marchoient ensuite. [...] À l’entrée de la Porte Saint Nicolas, on avoit preparé un Autel magnifiquement orné pour y recevoir le serment de Monsieur le Duc de Lorraine. [...]

On alla descendre à l’Eglise de S. Georges, qui est éloignée de la Porte S. Nicolas de plus d’un quart de lieuë, & le Te Deum y fut chanté, mais parce qu’elle ne pouvoit contenir tous ceux qui composoient cette Entrée pompeuse, il n’y eut que le Corps de Ville & de Justice, les principaux Officiers de leurs Altesses & les Abbez qui y entrerent. Ce fut le Prevost de Saint Georges qui officia, il complimenta le Prince et la Princesse, qui après le Te Deum se retirerent dans leurs Appartemens, où ils receurent de nouveaux complimens, tant du Clergé que de la Justice. On alluma le soir des Feux par toute la Ville, il y eut des Illuminations dans toutes les fenestres, & un beau Feu d’artifice termina les réjoüissances publiques de cette Journée.

[Ce qui s’est passé â l'ouverture du Parlement & de la Cour des Aides le lendemain de la Saint Martin, avec les Harangues qui y ont esté prononcées] §

Mercure galant, novembre 1698 [tome 11], p. 233-234.

 

L’ouverture du Parlement se fit le Mercredy 2. de ce mois, & commença par une Messe solemnelle que celebra Mr Berthier, premier Evêque de Blois, dans la Chapelle de la grande Salle du Palais. Mrs du Parlement y assisterent en la maniére ordinaire, les Presidens en Robes rouges & en fourures d'hermine, & les Conseillers & Secretaires de la Cour en Robes rouges. [...] La Musique qui estoit de la composition de Mr Charpentier, Maistre de Musique de la Sainte Chapelle, fut trouvée des plus excellentes.

[Mort d’Estienne Algay de Martignac]* §

Mercure galant, novembre 1698 [tome 11], p. 293-294.

J’oubliois à vous dire que la Republique des Lettres a fait une veritable perte, en la personne d’Estienne Algay de Martignac, mort âgé de soixante-&-dix ans. Il nous a donné plusieurs Traductions de Poëtes en François, & entre-autres celles d’Horace de Virgile, de Juvenal, de Perse, & d’Ovide. Il avoit commencé la Traduction de la Bible, & nous avoit donné encore une Traduction de l’Imitation de Jesus. Son dernier Ouvrage est la Vie des Archevesques & des derniers Evesques de Paris, imprimée in quarto au commencement de cette année.

Air nouveau §

Mercure galant, novembre 1698 [tome 11], p. 307-308.

La Chanson nouvelle que je joins icy est d'un fort bon Maistre.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, N'allons plus chez Colas, doit regarder la page 324.
N'allons plus chez Colas, pour manger en famille,
Où souvent pour tous mets nous n'avons qu'un gigot,
Il y faut admirer tout ce que dit Janot
Et l'on craint d'y choquer & sa femme & sa fille.
Il est prévenu pour son vin
Qui ne vaut pas le vin de Brie ;
Et par un surcroist de chagrin
Toutes les fois qu'il boit, il veut qu'on se récrie.
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