1699

Mercure galant, octobre 1699 [tome 10].

2017
Source : Mercure galant, octobre 1699 [tome 10].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, octobre 1699 [tome 10]. §

[Epistre au Roy] §

Mercure galant, octobre 1699 [tome 10], p. 5-12.

L’Amour que les Peuples ont pour le Roy, les engageant à se saisir de toutes les occasions qui leur donnent lieu de parler de ce Prince, on ne doit pas estre surpris si l’on a vû tant de Vers sur la nouvelle Statuë de Sa Majesté. En voicy qui ont esté faits en Gascon.

EPISTRE AU ROY.

En bain, en bain ce Vronze est destiné, LOUIS,
Pour estre un monument de tes faits inoüis !
Les Vronzes les plus durs biennent à se détruire,
Le temps par sa durée a pouboir de leur nuire.
Tout luy cede, Grand Roy, mais tes augustes faits,
Méprisant ses efforts ne passeront jamais.
On parle tous les jours de Cesar, d’Alexandre ?
Plus fameux qu’eux cent fois que debons nous attendre ?
O cadedis, je crois que tant que l’on bibra,
Ton nom grand & fameux toujours subsistera.
Quoy, dira-t-on, parvleu, que Louis estoit vrabe !
La Bictoire à ses pieds ressemvloit son Esclabe.
Il en disposoit, diavle, au gré de ses souhaits.
Arvitre de la Guerre, arvitre de la Paix.
Tout l’Unibers cedoit à sa grande baillance.
Cadedis quel estoit le vonheur de la France.
Lors qu’elle receboit la loy de ce Heros,
Il me semble, morvleu, que j’entens ces propos.
 Je n’en suis que trop seur, & pour banter ta gloire,
Voileau n’a pas vesoin de tracer ton histoire.
De dépeindre en veaux Bers ta vraboure ; ton cœur,
Tes trabaux, ta prudence & ta grande baleur.
L’Europe est de tes faits une Histoire bibante ;
On y boit de ta Bie une Image éclatante.
Tant de Vastions à vas, tant de murs renbersez,
Tant d’Ennemis baincus, tant d’Hidres terrassez,
Tant de Probinces, Ciel ! que l’on te boit soumises,
Tant de bastes Pays, tant de Billes conquises,
Tant de Comvats gagnez, enfin tant de Lauriers
Grabent mieux qu’un Vurin tous tes Exploits guerriers ;
Et ce Trabail seroit tout à fait inutile,
Si l’on n’aboit dessein aujourd’huy dans la Bille,
De te faire connoistre à quel point tes Sujets
Portent pour toy, grand Roy, leurs bœux & leurs respects.
 Parlez, bous, Magistrats, quel dessein bous engage
A dresser à Louis un si superve Oubrage ?
Est ce pour y graber comme dans un Tableau,
Tout ce qu’il a fait boir & d’auguste & de veau ?
Et comme si rien plus ne parloit de sa gloire,
Mettre par là son nom au Temple de memoire ?
Non (au bostre plûtost bous dressez un Autel.
Trabailler pour Louis c’est se rendre immortel)
Mais c’est pour celevrer la Paix dont sa clemence
Aux dépens de sa gloire a fait joüir la France :
Marquer que bos souhaits seroient que ses veaux jours,
De ce Vronze fameux égalassent le cours.
Pour moy, si je poubois, & si les destinées
Au gré de mes desirs prolongeoient ses années.
Ce Vronze passeroit, mais les jours de LOUIS
Subsisteroient autant que ses faits inoüis.

Ces Vers ont esté faits par Mr Reboul, de Riez en Provence.

[Relation d'une Feste donnée à Stokolm par le Roy de Suede] §

Mercure galant, octobre 1699 [tome 10], p. 57-64

Je vous envoye la Relation d'une Feste donnée à Stokolm par le Roy de Suede, le 6. Aoust dernier.

Sa Majesté Suedoise desirant donner à la Famille Royale le divertissement d'une Mascarade, & la chaleur estant encore trop grande pour la faire dans les appartemens, le Jardin du Roy fut choisi, comme le lieu le plus convenable pour cette réjoüissance.

Sur les six heures du soir les Masques commencerent à y paroistre, & en moins d'une heure il y en eut environ mille qui se firent admirer par la diversité, & la magnificence de leurs habits, ainsi que par la maniere bizarre & nouvelle dont plusieurs estoient vestus.

Sur les sept heures, le Roy, la Reine Doüairiere, leurs Altesses Royales, Madame la Duchesse d'Holstein, & Madame la Princesse sa Soeur, ainsi que Mr le Duc d'Holstein, & leurs Altesses le Prince & la Princesse de Wolfembutel, arriverent avec plusieurs Conseillers d'Estat, & leurs Femmes, mais tous sans estre masquez.

Aprés qu'ils eurent fait quelques tours dans le Jardin, à quoy la beauté de la soirée sembloit inviter, & aprés s'estre divertis parmy cette grande foule de Masques, l'on alla à l'Orangerie. Elle a cent soixante pieds de longueur, & fait face à la grande allée ; elle estoit toute revestuë de verdure, aussi-bien que les deux sallons octogones qui sont aux deux bouts. Le tout ensemble formoit une tres-agréable feüillée, dans laquelle il y avoit beaucoup de Miroirs, dont les bordures étoient composées de fleurs, qui rendoient un éclat extraordinaire, à cause de la reverberation du grand nombre de lumieres.

Au milieu de l'Orangerie il y avoit une Table de quarante six pieds de longueur, laquelle estoit servie de toutes sortes de viandes, fruits, liqueurs & confitures ; elle n'estoit occupée que par leurs Majestez, les Princes, les Pricesses, les Conseillers d'Etat, & leurs Femmes.

Aprés qu'on se fut mis à table, la Simphonie se fit entendre. Les Violons estoient rangez aux deux costez de l'entrée du Sallon à droite, & les Hautbois de l'autre costé sur des Balcons élevez, au bas desquels estoient dressez quatre Buffets. Les Trompettes avec des Timballes estoient dans le Jardin.

Le Roy fut servi par les trois Graces. Pomone avec quatre Nimphes, Flore avec quatre Zephirs ; Cerés avec quatre Bergers, & Diane avec quatre Chasseuses, servoient la Famille Royale. Ces personnages estoient representez par les Dames de la Cour de la premiere qualité, ausquelles ce déguisement donna un nouvel éclat. Bacchus avec ses Bacchantes, Silvains, Faunes, Satires & Bergers, formoient le reste de la bande concertée.

Il y avoit une grande Table dans chaque Sallon ; mais comme la nuit s'approchoit, & que le Jardin estoit illuminé par tout, l'on ne resta pas longtemps à table.

Le Roy se rendit à l'autre bout du Jardin, vis à vis de l'Orangerie, où l'on avoit dressé un Theatre, dont la décoration estoit formée de Vases, & des caisses d'Orangers. Plusieurs Dames & Cavaliers de la Cour danserent un Balet sur ce Theatre, & receurent de tres-grands applaudissemens. Le Balet fini, toute l'Assemblée se dispersa de costé & d'autre. Leurs Majestez, les Princes & Princesses se retirerent les uns aprés les autres pour s'aller déguiser ; & ce qui augmenta beaucoup le plaisir de ce divertissement, fut qu'au retour personne ne se connoissoit plus, tant les déguisemens estoient bizarres & grotesques.

Pendant ce temps-là le Bal commença dans l'Orangerie, & continua jusques à quatre heures du matin.

[Madrigaux] §

Mercure galant, octobre 1699 [tome 10], p. 66-72.

Voicy deux Madrigaux de Mr Dader, dont les Ouvrages ont souvent eu le bonheur de vous plaire.

A Mr L’ABBESSE D…
Sur la Feste de S. Loüis, dont elle porte le nom.

Parmy l’éclat du Trône, & sous le Diadême,
Vostre auguste Patron fut maistre du son cœur ;
Et pour mieux regner sur luy-même
Il sçeut fouler aux pieds sa suprême grandeur ;
Cet exemple à nos yeux par vous se renouvelle,
Et sans avoir de Couronne à quitter,
 Animé d’un semblable zele,
Vostre cœur nous apprend comme il faut l’imiter.
La vanité par tout s’érige en Souveraine,
Il est tres-peu de cœurs qui ne suivent sa loy.
Du plus chetif Mortel elle sçait faire un Roy,
Et souvent d’une esclave elle fait une Reine ;
Contre ses faux attraits toujours en seureté,
L’éclat qu’elle promet n’a rien qui vous surprenne,
 Vous n’aimez que l’humilité.

A MADEMOISELLE D…,
pour le jour de sa Feste.

 Belle Philis, n’attendez pas
Que j’aille ramasser les fleurs les plus charmantes :
 Pour rendre hommage à vos appas,
Ces marques d’amitié me semblent peu touchantes,
 Et les Bouquets sont des presens
 Dont le langage est trop vulgaire
 Pour exprimer ce que je sens,
C’est à mon tendre cœur d’expliquer ce mistere,
 Luy seul peut bien s’en acquitter.
Il vous parle. Philis, daignez donc l’écouter,
 Ce langage est le plus sincere.

Je vous envoye deux Impromptus, & un Madrigal de Mr de Vertron.

Sur l’Eclipse du Soleil, arrivée le 13. Septembre.
IMPROMPTU.

 Pourquoy gênons-nous nostre vûë
 Dans le miroir ou dans la nuë ?
 La belle Iris, cet objet sans pareil,
Possede tout l’éclat qu’a perdu le Soleil.

Autre sur le même sujet.

Pour entendre les Vers suivans, il faut sçavoir que l’Eclipse du Soleil, qu’on nomme aussi Apollon ou Phœbus, se fait par l’opposition de la Lune entre le Soleil & la Terre.

MADRIGAL.

 Belle Iris, vous voulez sçavoir
 L’origine du Pot-au-noir,
En deux mots la voicy, l’histoire en est sincere,
 Je la sçay de ma grande Mere.
 Phœbus ayant bû du Nectar,
 Liqueur qui rend l’esprit gaillard,
En visitant la Terre eut pour bonne fortune
 La rencontre de Dame Lune ;
Ils joüerent tous trois ; enfin le pur hazard
Fit que le Dieu du jour devint Colin-maillard.

[Vers sur les sept Pechez capitaux] §

Mercure galant, octobre 1699 [tome 10], p. 72-74.

Mr Mallement de Messange ayant fait des Vers sur les sept Pechez Capitaux, ils ont esté trouvez si propres à inspirer l’horreur qu’on doit avoir pour le Peché, qu’ils ont esté placez dans plusieurs Communautez, & dans plusieurs Cloistres, afin qu’estant exposez aux yeux du Public, il pust profiter de leur lecture. Ils sont dédiez à Madame la Comtesse d’Estrées. Voicy ceux que l’Auteur luy adresse.

Des sources du peché jeune & sage Ennemie,
Dont l’ame est des vertus l’heroïque séjour.
Contre ces monstres fiers, souffrez que je m’appuie
D’un nom, dont l’équité fait son plus tendre amour.
Ce nom pour les fraper rend mon audace extrême.
Heureux, si je pouvois par l’effort de mes coups,
Les détruire en autruy, les détruire en moy même,
Comme dés le Berceau vous avez fait en vous.

Ces Vers sont de l’Imprimerie de Jean-Baptiste Cusson, ruë Saint Jacques, au Nom de Jesus, vis-à-vis Saint Yves.

[Chanson sur l'Air de Joconde, sur toutes les Dames qui se sont trouvées aux Eaux de Bourbon] §

Mercure galant, octobre 1699 [tome 10], p. 98-104.

La beauté de la Saison a fait cette année venir à Bourbon plusieurs Dames distinguées par la qualité & par le merite. Les unes n'y venant que pour de legeres incommoditez, & les autres pour accompagner seulement quelques-unes de leurs Parentes, ou de leurs Amies, elles ont toutes formé des assemblées tres brillantes. Un Cavalier, qui fait joliment des Vers, s'y est trouvé dans le même temps. On l'a engagé à écrire pour toutes les Dames ; il l'a fait, & ses Vers ont fait plaisir, sur tout dans un pays où les amusemens sont assez rares.

Chanson sur l'Air de Joconde.

Bourbon est, à mon sentiment,
Le plus beau lieu du monde ;
J'en veux celebrer l'agrément
Sur le ton de Joconde.
Mille Beautez qu'en ce sejour
Un même soin amene,
Nous font croire que de l'Amour
C'est icy la Fontaine.
***
Vassé, de vos premiers regards
On ne peut se défendre,
On court encor plus de hazards
Quand on peut vous entendre.
Nous sentons mille feux nouveaux
S'emparer de nos ames :
De Bourbon les bains & les eaux
N'éteignent point ces flâmes.
***
Avec ce teint vif & fleury,
Ce yeux si seurs de plaire,
La belle Lauzun est icy,
Dieux ! qu'y vient-elle faire ?
Vient-elle chercher la santé
Dans le sein de cette onde,
Ou par les traits de sa beauté
Y blesser tout le monde ?
***
A voir l'aimable Montfort
Et l'air & la noblesse,
Qui de nous ne croiroit d'abord
Que c'est une Déesse ?
Diane a moins de majesté,
La Reine de Cithere
A mille fois moins de beauté,
Et sçait moins l'art de plaire.
***
Nou aurions besoin du Berger
Qui jugea les Déesses.
Pour pouvoir dans ce lieu juger
Entre nos deux Duchesses
Des Amours, des Ris & des Jeux
La troupe se partage,
Et l'on ne sçait chez qui des deux
On en voit davantage.
***
Les jours passent comme un moment
Avec l'Ambassadrice1 :
Chacun à son esprit charmant
A l'envi rend justice.
Les Jeux, les Plaisirs empressez
Sont toujours sur ses traces.
Ciel ! vient-il des climats glacez
Tant de feu, tant de graces ?
***
Charmante Abbesse2, en ce sejour
Quand chacun vous revere,
Croyez-moy, l'on cache l'amour,
Sous ce respect sincere.
A vostre esprit comme à vos yeux
Qui ne rendroit les armes ?
Mais c'est seulement pour les Dieux
Que sont faits tant de charmes.
***
Vous avez pour nous enflâmer
Un droit trop legitime :
Vous voir, & ne vous pas aimer,
Comtesse3, c'est un crime.
Mais aussi-tost qu'on voit vos yeux,
Un certain trouble aimable
Nous fait trop sentir qu'en ces lieux
Personne n'est coupable.
***
La jeune de Sors sur ces bords
Paroist incomparable :
Elle joint aux charmes du corps
Un esprit adorable.
Que son entretien est charmant,
Nostre ame en est ravie,
Qui peut la voir un seul moment,
L'aime toute se vie.
***
Jeune Pellard, dans mes portraits
Vostre esprit, vostre grace,
Vostre douceur & vos attraits
Demandent une place :
Mais j'ay de trop foibles couleurs
Pour un si bel ouvrage.
C'est l'amour qui dans tous les coeurs
Gravera vostre Image.
***
Muse, il nous faut trouver encor
Quelques graces nouvelles.
Peignons un précieux tresor
De graces naturelles.
Un esprit amusant & doux,
Une beauté touchante.
Ces traits font reconnoistre à tous
L'aimable Lieutenante4.
***
Ah, que l'on goûte de douceur
Lorsque l'on vous5 écoute !
Que vostre voix de notre coeur
Découvre bien la route !
Mais vous consacrez aux Autels
Ces talens admirables.
Helas, pour les foibles Mortels
Ils ont trop redoutables.

[Chanson sur toutes les Dames qui se sont trouvées aux Eaux de Bourbon]* §

Mercure galant, octobre 1699 [tome 10], p. 105-111.

Pour Madame la Duchesse de Monfort,
VOEU A LA NIMPHE
qui préside à la Fontaine de Bourbon.

O toy, qui des Mortels es le plus seur recours,
Toy qui sçais de leurs maux calmer la violence,
 Et leur donner de prompts secours,
 Nimphe, qui tiens sous ta puissance
 Cette Fontaine de Jouvence,
Où l’on vient rallumer le flambeau de ses jours,
J’ay senti de tes eaux la force salutaire.
Je parts, je vais par tout publier tes bienfaits ;
Mais tous mes voeux encor ne sont pas satisfaits,
 Ecoute ceux que je viens faire.
***
 Tu vois l’adorable Montfort
 Triste, languissante & plaintive,
 Qui contre la rigueur du sort,
 Cherche du secours sur ta rive.
Dieux, qui peut l’accabler avec tant de rigueur ?
 N’en doutons point, quelque Immortelle,
 Jalouse de la voir trop belle,
 Cause sa fatale langueur.
Psiché n’estoit pas si charmante,
Lors que la Mere de l’Amour,
Jalouse des attraits de sa beauté naissante,
 Luy voulut arracher le jour.
***
 Nimphe, tu seras attendrie,
De l’aimable Montfort viens contempler les yeux,
 Ces yeux pour qui tes plus grands Dieux,
S’ils pouvoient expirer, voudroient perdre la vie,
Ces yeux malgré ses maux toujours victorieux.
***
Vois prés d’elle l’Amour qui pleure, qui soupire,
 Qui brise ses traits, son bandeau,
Et craint de perdre, helas, dans un objet si beau
 Ces attraits qui dans son empire
Arrêtoient chaque jour quelque captif nouveau.
***
 Verras tu perir tant de charmes ?
 Nimphe, redouble tes efforts,
Dissipe tous ses maux & bannis nos allarmes,
Un succés si flateur doit illustrer tes bords.
 Que de cœurs charmez de ta gloire
 Prendront soin de la celebrer !
Agi, qu’ainsi Vichy te cede la victoire,
Qu’aucune Nimphe à toi ne s’ose comparer.
***
A l’objet de nos vœux montre toi favorable.
Content de ta vertu, de ses yeux enchanté,
Alors tu m’entendras sur un ton plus aimable
 Chanter ta force & sa beauté.

Vers écrits de Bourbon à une Dame qui accusoit l’Auteur de ne pas assez parler morale.

 Icy d’un Chasteau ruiné
Nous voyons sur un Roc la triste décadence.
 C’est-là que le tems mutiné
 A fait sentir sa violence.
Les rampars les plus hauts sont tombez sous ses coups.
Au mépris des grands noms que cent Peuples reverent,
 Nous voyons nicher des Hibous
 Ou Jadis les Bourbons logerent.
 Parmi ces débris éclatans
De ces vainqueurs fameux rappelant la memoire,
Souvent seul (vous aurez de la peine à le croire)
Je moralise ainsi sur la Mort & le Tems.
***
Que sont-ils devenus ces Maistres de la terre ?
Rien ne nous reste, helas ! de tous ces grands Heros.
En vain nous évitons les dangers de la Guerre,
 Et fuyons l’empire des flots.
En vain des Aquilons nous craignons l’influence ;
Aux soins que nous prenons la mort n’a point d’égard,
 Et nous cedons à sa puissance,
 Un peu plus tost, un peu plus tard.
 Prés de cette source feconde.
Où chacun vient, & croit rencontrer du secours,
Je voi que l’on finit ses jours,
Ainsi qu’aux autres lieux du monde.
***
Par ces raisonnemens je cherche à m’aguerrir
Contre l’affreuse mort qui semble me poursuivre ;
Mais quels que soient les maux où mon destin me livre,
 Jaime mieux encor les souffrir.
 Ah, qu’il est fâcheux de mourir,
 Lorsqu’auprés de vous on peut vivre !

[La petite Vérole, Histoire] §

Mercure galant, octobre 1699 [tome 10], p. 111-122.

Il est de la prudence de s’éloigner le plus que l’on peut des lieux où il y a sujet de craindre que l’air ne soit infecté ; mais on a beau se servir de cette précaution pour se garantir des maux dont on a l’idée trop imprimée dans l’esprit. La source en est dans le sang, & si la frayeur le trouble, on s’attire par cette foiblesse ce qu’on voudroit éviter aux dépens de toutes choses. Ce qui est arrivé depuis deux mois en est une preuve convainquante. Deux Amies s’étoient associées pour le Jeu, & ce que l’une gagnoit ou perdoit regardoit l’autre pour une moitié, quoy qu’elles joüassent en differentes maisons. Ce traité avoit toûjours esté observé de bonne foy, & comme aucune des deux n’étoit malheureuse, elles s’en estoient d’autant mieux trouvées qu’elles joüoient ordinairement un assez gros jeu. Un jour que l’une des deux se trouva sans son Amie chez quelques Dames de son voisinage, aprés qu’on eut passé quelque temps à debiter des nouvelles, & à faire les petites medisances qui entrent ordinairement dans la conversation, on proposa, pour épargner le prochain, de joüer au Lansquenet aux pieces de quatre sols. C’estoit seulement pour s’amuser en attendant qu’on se séparast. La Dame qui avoit une moitié, fut long-temps sans complaisance pour ceux qui la prierent de vouloir estre de cette partie. Elle s’excusa sur le petit jeu qui ne valoit pas la peine qu’elle prist des cartes, mais enfin pressée par les autres Dames, qui ne vouloient pas qu’elle demeurast oisive, elle se laissa persuader, en déclarant que puisqu’il s’agissoit seulement de petites pieces, elle ne joüoit que pour son compte. Le jeu quoy que petit s’échauffa, & comme c’estoit ce qu’elle avoit souhaité, on couvrit insensiblement les cartes de tant de jettons, qu’elle faisoit un assez gros gain lors que son Amie entra. Cette Amie en ayant fait voir de la joye, quelqu’un luy dit que si elle s’en réjoüissoit dans la pensée d’avoir la moitié du gain elle estoit trompée, la Dame ayant déclaré qu’elle ne joüoit que pour elle seule. Ce fut un tres-grand sujet de plainte pour celle qui arrivoit. Son Amie luy dit naturellement qu’elle s’estoit mise au jeu contre son gré, & qu’elle n’avoit pas cru la devoir associer pour des pieces de quatre sols, qui estoient si peu de chose, qu’elle avoit traité ce jeu d’amusement simple & de bagatelle. L’Amie la voyant toûjours gagner continua de se plaindre, & sortit un peu aprés sans luy rien dire. Son air chagrin qui avoit paru, fit rire la Compagnie, & l’on moralisa jusqu’à s’étonner que l’amitié la plus forte ne pust tenir contre l’interest. La Dame gagnante dit en riant qu’afin que ce different n’eust point de suite, elle alloit tant risquer sur toutes les cartes, qu’elle sortiroit du jeu sans rien emporter, mais elle eut beau faire. Son bonheur ne diminua point, & plus elle voulut hazarder, plus elle gagna. Son Amie ne fut pas long-temps sans revenir. Elle rentra en disant qu’elle venoit sçavoir si elle n’auroit point le plaisir de la retrouver en perte. Elle n’apprit le contraire qu’avec un nouveau témoignage de dépit. Son Amie soustenant toûjours qu’elle se plaignoit injustement de ce qu’elle n’avoit pas voulu la faire entrer de moitié dans un jeu qui n’auroit esté d’aucune importance si on ne s’estoit pas piqué, elle répondit qu’elle ne se soucioit plus qu’elle en eust si mal usé pour elle, puisqu’elle estoit assuré de s’en vanger. En mesme-temps elle s’approcha de son oreille, & luy parla bas. La Joüeuse s’écria aussi-tost qu’elle estoit perduë, & qu’elle ne l’auroit jamais cruë capable de vouloir l’assassiner. Chacun fut surpris de ces paroles, & comme on la vit pasle & toute tremblante, on demande à la Dame ce qu’elle avoit pû luy dire. L’envie de l’apprendre fut d’autant plus vive que son Amie tomba en foiblesse, & parut dans un estat à faire pitié. Sans s’expliquer davantage quand elle fut un peu revenuë, elle pria qu’on la remenast promptement chez elle. Elle n’y fut pas plustost arrivée, qu’estant saisie d’une violente fiévre, elle se fit mettre au lit. Ce qui avoit causé tout ce désordre, c’est que son Amie qui avoit esté dans une maison voisine où l’on devoit luy rendre raison de quelque affaire, luy avoit dit tout bas à l’oreille, que pour se vanger de son mauvais procedé, elle luy apportoit la petite vérole, & que pour cela elle venoit de voir une Dame qui en estoit attaquée. Cette menace avoit fait une impression si forte sur elle, que tout son sang s’en estant troublé, elle ne s’estoit plus connuë elle-mesme. Son Amie la voyant veritablement malade, eut beau luy jurer que c’estoit une malice qu’elle avoit voulu luy faire pour l’inquieter. Son imagination estoit blessée, & l’idée d’un mal affreux qu’elle apprehendoit plus qu’aucun autre, la remua tellement, que quoy qu’on pust faire pour dissiper sa frayeur, elle fut prise effectivement de la petite vérole. Son Amie au désespoir de s’en voir la cause, sans avoir cru que l’inquietude qu’elle avoit cherché à luy donner, deust produire ce mauvais effet, ne voulut point la quitter. Elle s’enferma avec elle, & en eut des soins dont la parfaite amitié peut estre seule capable. Comme elle avoit l’esprit ferme, & que rien ne l’étonnoit, quelques précautions dont on l’obligea de se servir, l’empescherent de gagner le mal de son Amie, à qui il n’en est resté que d’assez legeres marques. Ainsi elle répara, autant que la chose fut en son pouvoir, un malheur causé par son imprudence, & il ne tint pas à elle qu’elle ne fust de moitié sur la petite vérole, puisqu’elle s’y exposa pour la secourir.

[Iournal du Voyage de Fontainebleau] §

Mercure galant, octobre 1699 [tome 10], p. 122-141.

Je vous envoye un Journal du voyage de Fontainebleau où la Cour arriva le 3. du mois passé.

Le 4. le Roy alla tirer, & trouva beaucoup de Gibier. Monseigneur courut le Loup, & Messieurs les Princes coururent le Liévre avec l'équipage de Mr le Comte de Toulouse.

Le 5. il y eut chasse du Cerf. Madame la Duchesse de Bourgogne y accompagna Sa Majesté, ainsi que dans toutes les autres Chasses du Cerf qui se sont faites pendant le séjour qu'elle a fait dans ce Chasteau. Les Comediens représenterent le soir l'Andromaque & Crispin Médecin, où Monseigneur & tous les Princes & Princesses assisterent. Le Roy nomma le soir Mr de Pontchartrain à la Charge de Chancelier, & Mr de Chamillard à celle de Controlleur General des Finances.

Le Dimanche 6. il y eut promenade en Carosse.

Le lundy 7. le Roy alla tirer, & Monseigneur courut le Loup.

Le Mardy 8. le Roy ne sortit point, & Monseigneur courut le Cerf.

Le Mercredy 9. Monsieur le Chancelier prêta serment entre les mains du Roy. Sa Majesté alla tirer l'aprésdinée, & le soir la Comedie du Tartuffe fut representée.

Le Jeudy 10. il y eut grande Chasse du Cerf pour le Roy ; tous les Princes s'y trouverent.

Le Vendredy 11. le Roy alla tirer à quatre lieuës de Fontainebleau ; & Monseigneur courut le Loup.

Le Samedy 12. il y eut Chasse du Sanglier dans les Toiles, & ensuite promenade en Carosse autour du Canal, & le soir la Comedie de Phedre qui fut suivie du Grondeur. Le Prevost des Marchands, les Echevins & autres Officiers de la Ville vinrent ce jour là faire leurs complimens à Mr le Chancelier. [...]

Le Jeudy 17. il y eut Chasse du Cerf, & leurs Majestez Britanniques y allerent dans le Carosse du Roy, ainsi qu'aux Chasses suivantes. Le soir, Monseigneur & Messeigneurs les Princes se divertirent à la Comedie du Menteur.

Le Vendredy 18. le Roy d'Angleterre, & Monseigneur allerent de bonne heure à la Chasse du Loup. Il y eut le matin grande Toilette chez Madame la Duchesse de Bourgogne, où Madame la Chanceliere prit le Tabouret. Le Roy alla tirer l'aprésdînée, & Messieurs les Princes coururent le Liévre. Il y eut le soir des Appartemens chez le Roy pour la premiere fois. L'on y chanta une partie de l'Opera de Coronis, dont les Vers sont du sieur Morel, & la Musique du sieur Mataut, tous deux Ordinaires de la Musique du Roy. Le Roy ny leurs Majestez Britanniques n'entendirent point cette Musique, qui fut trouvée fort belle.

Le Samedy 19. il y eut Chasse du Cerf.

Le Dimanche 20. le Roy alla tirer, & le soir les Comediens representerent Mithridate & le Florentin.

Le Lundy 21. le Roy alla tirer ; leurs Majestez Britanniques ne sortirent point ; il y eut le soir des Appartemens, où Monseigneur entendit ce qui avoit esté déja executé de l'Opera de Coronis.

Le Mardy 22. il y eut Chasse du Cerf.

Le Mercredy 23. une partie de la matinée fut employée à observer l'Eclipse du Soleil. Il y eut sur les cinq heures promenade en Carosse sur les bords du Canal. Jamais on n'y vit plus un nombreux cortege de Carosses.

Le Jeudy 24. il y eut Chasse du Cerf, & l'on representa le soir pour la premiere fois la Comedie des Fées, faite exprés pour Fontainebleau, par le sieur d'Ancourt, Comedien, & ornée d'un Prologue & d'Intermedes de Musique & de Danses ; La Musique estoit de Mr de la Lande, Surintendant de la Musique du Roy, & les entrées de Balet du sieur Beauchamp. Les habits estoient du dessein de Mr Berrin.

Le Vendredy 25. il y eut grande Toilette chez Madame la Duchesse de Bourgogne, où le dames parurent pour la premiere fois en coiffures d'une forme nouvelle, c'est à dire beaucoup plus basses. Le Roy alla tirer, Monseigneur se promena sur les bords du Canal, & Messeigneurs les Princes coururent le Liévre. Il eut le soir des Appartemens. L'on y chanta le Prologue & le premier Acte de l'Opera nouveau de Martésie, dont la Musique est de Mr des Touches, qui a composé les Opera d'Issé & d'Amadis de Grece. Cette derniere fut generalement applaudie.

Le Samedy 26. le Roy alla tirer, Monseigneur courut le Loup, & Messeigneurs les Princes coururent le Liévre.

Le Dimanche 27. le Roy alla tirer, & il y eut le soir Comedie, qui fut Crispin Musicien. L'Envoyé de Portugal avoit fait part le matin de la mort de la Reine de Portugal.

Le Lundy 28. le Roy prit le deüil en violet pour la Reine de Portugal; & il y eut l'aprésdînée Chasse du Cerf ; on en courut deux.

Le Mardy 29. le Roy alla tirer, & Monseigneur courut le Loup. Il y eut le soir des Appartemens, & l'on chanta plusieurs endroits choisis de l'Opera de Martésie, qui ne furent pas moins applaudis que ce qu'on avoit déjà entendu.

Le Mercredy 30. il y eut Chasse du Cerf.

Le Jeudy 1. d'Octobre toute la Cour se trouva à neuf heures dans l'Appartement de la Reine d'Angleterre. Le Roy s'y rendit à neuf & demie, & conduisit leurs Majestez à la Messe dans le Chapelle en bas, puis à leur Carosse, qui estoit au bas de l'Escalier du Fer à cheval, dans la cour du Cheval blanc, où se firent les adieux. Il y eut l'aprésdînée Chasse du Cerf.

Le Vendredy 2. il y eut encore Chasse du Cerf, & Appartement le soir. L'on y chanta le Prologue de Phaëton.

Le Samedy 3. Monsieur, Monsieur le Duc de Chartres, & Madame la Duchesse de Chartres, accompagnez de plusieurs Dames, allerent à Montargis, pour quelques jours. Le Roy alla tirer, & Monseigneur courut le Loup.

Le Dimanche 4. le Roy alla tirer.

Le Lundy 5. Monseigneur alla à Montargis, accompagné de Madame la Princesse de Conty ; de Monsieur le Prince de Conty, & de quelques Dames. Il y eut chasse du Cerf, & le Roy en courut deux.

Le Mardy 6. il y eut Chasse du Chevreüil.

le Mercredy 7. le Roy ne sortit point, & il n'y eut rien le soir. Monseigneur revint de Montargis.

Le Jeudy 8. il y eut Chasse du Cerf, & le soir la Comedie des Fées. Je vous donneray le reste de ce Journal avant que de fermer cette Lettre.Suite dans cet article.

[Sonnet sur la Statuë Equestre du Roy] §

Mercure galant, octobre 1699 [tome 10], p. 141-143.

Mademoiselle l’Heritier n’a pû voir élever la Statuë Equestre du Roy dans la Place de Loüis le Grand, sans donner des marques ordinaires de son zele. Je vous envoye ce qu’elle fit dans le temps que cette Statuë fut découverte.

SONNET.

Tel qu’on a vû LOUIS dans sa course rapide,
Fendre les flots du Rhin d’un bras victorieux,
Tel qu’on vit aux combats ce Conquerant pieux
Estre l’heureux appuy de la Foy qui le guide.
***
Tel qu’on le voit enfin sage, grand, intrepide,
Dans cette Image auguste il paroist à nos yeux ;
On y lit sur son front que ses faits glorieux
Ternissent les exploits d’Alexandre & d’Alcide.
***
De tout ce que jamais ont élevé les Arts,
Pour immortaliser les plus fameux Cesars,
Ce noble Monument vient effacer la gloire.
***
LOUIS a sçeu dompter la Terre & les Enfers.
Si ce Bronze parlant n’autorisoit l’Histoire,
L’avenir croiroit il ces miracles divers ?

[Madrigal sur le même sujet] §

Mercure galant, octobre 1699 [tome 10], p. 143-144.

Mr Gustier de Massery, Avocat au Parlement, a fait sur cette même Statuë Equestre le Madrigal que vous allez lire.

Icy l’étonnement vient saisir nos regards.
Il suffit que l’Airain represente ce Mars.
Tout marque sa grandeur, sa sage vigilance,
Soit à faire un projet, soit à l’executer ;
Mais nostre esprit se perd lors qu’il met en balance,
De la teste ou du bras lequel doit l’emporter,

[Sonnet Italien] §

Mercure galant, octobre 1699 [tome 10], p. 144-147.

La grande beauté a des privileges particuliers, & il ne faut pas vous priver du plaisir de voir un Sonnet Italien, fait par Mr de Gavarin, Secretaire d’Ambassade de Monsieur le Duc de Savoye, à la loüange de Mademoiselle d’Armagnac.

BELLEZZA INESPLICABILE
DI MADAMIGELLA D’ARMAGNAC,
Intesa sotto nome di Nice.

Nice, le Grazie, onde il tuo Bel s’infiora,
Al traspirar di tua Virtude interna,
Non han nome quà giù, che le discerna ;
Non ha tinte il Pennel, se le colora.
***
Quel, che frattanto ogni pupilla adora.
Par lampo in te de la Bellezza Eterna ;
E puo ammirar ne la tua forma esterna
Si gran parte del Cielo il Cielo ancora.
***
Ma se ritrar non so de' prigi tuoi,
Quanto il Viso ne mostra a l’occhio mio,
Quel, che non ottenesti, udir ben puoi.
***
Sol quai tratti al tuo Bel mancar cred’ io,
Che fur d’huopo là sù, per farne a Noi
Anco il piacer di novitade in Dio.

[Madrigaux] §

Mercure galant, octobre 1699 [tome 10], p. 147-149.

Les Vers qui suivent sont de Mr l’Abbé de Poissi. Il les fit pour Mr de Chamillard, lors qu’il fut fait Contrôleur General des Finances.

MADRIGAL.

Qu’il est doux, Chamillard, que le plus grand des Rois
 Vous éleve aux premiers emplois !
 Vous les devez à son estime.
 Pour estre digne de son choix,
Il ne falloit pas moins qu’un merite sublime.
Quand le bien de l’Etat à vos soins est commis
 Par ce judicieux Monarque,
 C’est une indubitable marque
 Qu’il aime son Peuple & Themis.

Ce même Abbé a adressé cet autre Madrigal à Mr de Segrais, de l’Academie Françoise, & Chef de celle de Caën, sur la Statuë qu’il a élevée à Malherbe, dont il est Parent, & Adorateur de ses Ouvrages.

Parlons un peu de bonne foy,
 Cher Segrais, lors qu’au grand Malherbe
L’on te voit élever un Monument superbe,
Tu fais bien moins pour luy, que tu ne fais pour toy.

[Stances] §

Mercure galant, octobre 1699 [tome 10], p. 160-167.

Mr le Baron de Pointis a esté fait Chef d’Escadre des Armées Navales de Sa Majesté. Vous sçavez qu’il avoit eu le Commandement de la Flote envoyée contre Cartagéne, & qu’il s’y estoit extrémement signalé. C’est sur cette glorieuse récompense dûë à son merite, que Mr Perachon, dont le nom vous est connu par beaucoup de beaux Ouvrages, a fait celuy dont je vous fais part.

STANCES.

Ouy, Pointis, il est vray, tout le monde s’étonne
Qu’avec peu de Guerriers ton illustre Personne
Ait réduit Cartagéne & ses Forts sous nos loix ;
Mais puisque tu combats pour l’honneur de la France,
Que l’amour de LOUIS anime ta vaillance,
Je m’étonne un peu moins de tes fameux exploits.
***
 Ta Flote peu nombreuse est sous toy si vaillante,
Qu’une vaste Cité tres riche & tres-puissante
Sous l’effort de tes coups succombe en peu de jours.
Tu passes au travers d’une plus grande armée,
Qui craignant ta valeur à vaincre accoûtumée,
Ne peut avec sa force interrompre ton cours.
***
 Ce n’est pas d’aujourd’huy que tes vertus sublimes
T’ont fait executer des desseins magnanimes,
Que nul autre que toy n’auroit osé tenter.
Ta sçavante valeur soumettant la fortune,
Tu donnes mieux qu’aucun des foudres à Neptune,
Qui font plus de fracas que ceux de Jupiter.
***
 C’est ainsi que par toy la fiére Barbarie
Sur sa grande Cité ressentant leur furie,
T’admiroit en souffrant ces foudres inoüis.
C’est ainsi que par toy, dans Gennes la superbe,
On a vû ses Palais tomber plus bas que l’herbe,
Et son Prince à genoux aux pieds du grand LOUIS.
***
 La valeur de Jason fut jadis admirée,
Par le gain perilleux d’une Toison dorée,
Tu remportes de l’Inde un bien plus vray trésor.
Tu tires de ses Forts sa dépoüille brillante,
Et ton pouvoir plus grand rend l’Espagne impuissante
De sauver de tes mains sa riche Toison d’or.
***
 Les monstres de la Mer, les pestes6, les tempestes,
Ne peuvent point donner de frein à tes Conquestes.
Hercule avoit vaincu cent Monstres furieux ;
Mais il ne put fléchir l’Ocean Atlantique.
Tes exploits surprenans dans la riche Amerique,
Ont porté bien plus loin ton Nom plus glorieux.
***
 Alexandre autrefois se plaignit que ce monde
Avoit trop renfermé sa valeur sans seconde
Qui ne pouvoit s’étendre à des mondes nouveaux.
Tes exploits en ce point plus dignes de memoire,
Jusques au nouveau monde ont fait briller ta gloire,
Qui triomphe par tout sur la terre & les eaux.
***
 Ainsi, fameux Pointis, ta valeur incroyable
Surpasse des Heros, & l’Histoire & la Fable,
Puisqu’on trouve en tes faits du grand, du merveilleux,
Que la Posterité ne pourra point comprendre,
Et que ceux de Jason, d’Hercule, & d’Alexandre :
Quoy que tres éclatans sont obscurcis par eux.
***
 Faut-il donc s’étonner si le plus grand des Princes
Recompense dans toy l’appuy de ses Provinces,
Que tu sçais enrichir par d’utiles lauriers ?
Heros, qui doit encore enrichir nostre Histoire.
Si dans un temps de Paix on voit encore ta gloire,
Où n’ira-t-elle point dans le temps des Guerriers ?

[Lettre de Mr l’Abbé Genest à Mademoiselle de Scudery] §

Mercure galant, octobre 1699 [tome 10], p. 167-214.

Voicy une Lettre que je suis fort seur que vous lirez avec grand plaisir, puis qu’elle est de Mr l’Abbé Genest, de l’Academie Françoise. Il l’a écrite de Chastenay, & elle porte le 17. de ce mois pour date.

À MADEMOISELLE DE SCUDERI.

Ces jeux que la sagesse admet dans son Empire,
Ces plaisirs doux & purs que la desire,
Ces tranquilles plaisirs, ils estoient envolez,
 Sans que personne pust nous dire
 En quels lieux ils estoient allez ;
 Mais en quel endroit de la terre
Loin de ces bords heureux pouvoient ils se cacher ?
Si parmy les Vainqueurs, par le bruit de la guerre
 Ils ont paru s’effaroucher ;
Sur des bords frapez du tonnerre,
Chez les Peuples vaincus, falloit-il les chercher ?

Par tout où j’allois j’avois beau regarder, & tâcher d’en découvrir les traces ; je ne les trouvois plus ces divertissemens ingenieux, où la raison a tant de part ; ces nobles plaisirs qui ne se rencontrent point parmy le tumulte & le désordre des passions, & tels qu’on les voit, Mademoiselle, dans ces belles Promenades que vous nous avez décrites, ou dans ces aimables & sages conversations que vous nous avez données. Je ne pouvois croire toutefois qu’ils fussent sortis de la France, où l’esprit & les connoissances de la Sçavante Grece, & de la victorieuse Italie, se sont venus établir avec eux depuis longtemps. En effet, j’ay trouvé que ces plaisirs y sont toûjours, quoy que moins recherchez & moins connus qu’ils n’estoient peut-estre, il y a quelques années.

Ouy, je découvre enfin leur retraite ignorée,
Je ne m’abuse point, il n’est rien de plus vray.
Des tranquilles plaisirs la Troupe est retirée
 Dans le paisible Chastenay.

Madame la Duchesse du Maine les y a tous amenez avec elle, & va rendre à jamais célébre par son séjour le Village de Chastenay. Il y a plusieurs Maisons assez belles. Cette Princesse a choisi celle de Mr de Malezieu, qui n’est pas la plus grande ; mais qui, sur tout à present, me paroist la plus jolie.

Si vous desirez sçavoir, Mademoiselle, ce qui engage Madame la Duchesse du Maine à aimer cette Maison, c’est principalement le merite de celuy à qui elle appartient, & la confiance étroite qu’il s’est attirée de S.A.S. Monsieur le Duc du Maine par un attachement plein de zele, & par les soins qu’il a pris de son éducation. Il a une infinité de talens, & il excelle en tous. Jurisconsulte, Philosophe, Mathematicien au premier degré, il possede parfaitement les belles Lettres, il parle à charmer, & il écrit comme il parle. Monseigneur le Duc de Bourgogne, à qui il vient de montrer les Mathematiques, n’a pas esté longtemps à reconnoistre ces qualitez en luy ; & Madame la Duchesse du Maine, tout enfant qu’elle estoit, les sçut discerner dés les premieres années de son mariage.

La vûë de cette petite Maison est charmante. Tout ce qui est aux environs ne semble fait que pour elle. On diroit que Sceaux & Berni n’ont esté faits que pour luy rendre hommage de leurs Parterres, de leurs Jardins, & de leurs superbes Bâtimens, qu’ils ne sont qu’un ornement attaché à cette Maison, & n’ont esté placez que pour luy offrir une agréable Perspective.

Le Pays n’abonde pas en eaux ; mais il est varié. Il y a des Bois & de belles Prairies ; il y a d’excellentes Fontaines ; la terre y produit de tres bons fruits ; l’air y est tres-pur & tres sain. Madame la Duchesse du Maine y demeure depuis que la Cour est partie de Versailles, les incommoditez de sa grossesse l’empêchant d’aller à Fontainebleau. Cette Princesse se plaist icy, & a beaucoup de raison de s’y plaire, puisqu’en effet sa santé y est meilleure, & qu’elle y gouste un aimable repos.

Quel dommage, Mademoiselle, que vous ne soyez pas témoin de tout ce qui se passe icy, vous qui avez tant fait valoir Atys, qui avez mêlé aux descriptions immortelles des beaux lieux que vous avez habitez, & des galantes Festes où vous estiez appellée, tant d’heureux caractéres de vos illustres amis ! Que ne puis je au moins emprunter aujourd’huy vostre merveilleux Genie, pour vous faire des récits & des peintures qui fussent dignes de vous, & des sujets que je veux vous representer !

Que vous seriez ravie, Mademoiselle, de voir Madame la Duchesse du Maine, un esprit tres aimable, & tres cultivé, propre non seulement à connoistre ce qu’il y a de plus beau dans les beaux Arts, mais ce qu’il y a de plus difficile & de plus sublime dans les Sciences. Elle vous étonneroit dans les jeux d’esprit, où elle s’exerce souvent. Sa vivacité & sa penetration sont à peine croyables.

Sa presence répand l’allegresse dans tout ce Pays, & y attire une affluence de Peuple continuelle ; mais pour moy, ce que je ne conçois pas, c’est qu’elle semble avoir transformé une petite cabane en un vaste & pompeux édifice. On voit cette Maison avec d’autres yeux depuis qu’elle l’habite. La multitude du monde qui s’y trouve, au lieu de la faire paroistre plus petite, la fait paroistre grande ; & je me represente la cabane de Baucis & de Philemon, changée en un magnifique Temple. C’est un concours perpetuel, reglé, paisible. Tout s’y occupe tranquillement & agreablement, & pour ne point quitter les idées de la Campagne, c’est une ruche où les Abeilles reviennent employer l’esprit qu’elles ont cueilli des plus douces fleurs.

A voir aussi comment tout est empressé pour le service & le divertissement de cette Princesse,

Rege incolumi mens omnibus una est.

Vous croiriez voir comme au travers de ces ruches de verre, les Abeilles autour de leur Roy.

 Illum admirantur, & omnes
Circumstant fremitu denso, stipantque frequentes.

Je vous diray encore plus ; dans cette petite maison, & dans le joly Jardin qui y répond par sa mediocre étenduë, on est toûjours à la vûë les uns des autres. Il n’y a point de secret. Ce séjour est une vraye image de l’âge d’or, ou bien, sans parler le langage de la Fable, on peut dire que l’innocence des premiers jours du monde renaist icy. Je la reconnois en effet à la paisible vie qu’on y méne & aux beaux jours que nous avons eus, à la douceur de l’air, aux beautez de la Campagne, aux arbres chargez de plus de fruits que de feüilles. Je me persuade que le monde a commencé ainsi, que nos premiers parens trouvérent la terre ainsi disposée à leur offrir ce qui estoit necessaire à leur nourriture : & dans l’agréable aspect de tout ce qui m’environne, je ne puis m’empêcher, malgré Virgile, de donner la préférence à l’Automne sur le Printemps, en me servant de ses propres paroles, car où en trouverois je d’aussi belles ?

Non alios prima nascentis origine mundi
Illuxisse dies, aliumve habuisse tenorem
Crediderim.…

Mais, Mademoiselle, quoy que je vous dise de l’innocence de cette vie champestre, ce n’est que pour les mœurs, & pour les paisibles occupations ; car je vous assure que les plaisirs ne laissent pas d’y estre diversifiez & choisis, & que la raison qui les conduit est éclairée & agissante. Je m’en vais vous dire comment les jours sont distribuez ; & si vostre bonté, comme je m’en flate, daigne s’interesser à ce qui me regarde en mon particulier. Voicy mes matinées.

Mane Deum exoro.…
Inde lego, Phœbumque cio, musamque lacesso.

Les jours ont esté si beaux que j’ay fait mon Cabinet du Jardin.

On attend ainsi le temps de voir la Princesse. Ensuite les tables sont abondamment & délicatement servies, où la Compagnie est gaye ; la Musique s’y mêle ou y succede. Il y a des flutes, des hautbois, des violons, des clavessins, des trompettes même dont le son semble s’adoucir pour s’unir aux autres Instrumens. L’apresdinée, ceux qui ne chassent point ont la promenade dans les Jardins des Maisons voisines, dans les Bois ou dans les belles Prairies dont je vous ay parlé d’abord. On se rassemble vers le soir ; la Princesse tient son Cercle. Aprés la conversation le Jeu est ouvert. C’est un Jeu assez piquant. Vous connoissez sans doute le Hocca, mais la malignité en est corrigée par la sagesse de celle qui y préside. La fureur du Jeu qui semble s’estre débordée dans ce temps-cy, & qui est un désordre aussi commun qu’il est pernicieux ; cette fureur qui s’allume même par la necessité qui devroit l’éteindre, ne regne point en ce lieu : ce Jeu vorace, où l’on exerce plutost une piraterie, & une cruelle guerre, qu’un commerce agréable & amusant, où l’argent ne paroist méprisé que parce qu’il est desiré trop avidement, où l’avarice la plus âpre fait la plus insensée prodigalité ; & renonce à ce qu’il y a de plus necessaire & de plus indispensable dans la vie, & oublie toutes les loix pour n’écouter qu’une témeraire envie du gain ; tout cela, dis je est banny des Jeux de Chastenay.

 Icy l’œil avide & jaloux
Ne voit point des monceaux de ces jaunes idoles,
Que le Joueur avare adore à deux genoux :
Ou ne voit point icy ces tours & ces bricoles
Qui du sort imposteur déterminent les coups,
Ny la dupe exposée à la gueule des loups
Plaindre l’affreux revers de ses espoirs frivoles,
Rebut de l’Usurier & jouet des Filoux
N’ayant plus le credit de trouver deux oboles
Desolée, enragée, aprés ses pertes folles
 Chercher un arbre & des licous.
Icy loin des transports de rage & de couroux
Que le Jeu dévorant exerce en ses écoles
On n’entend ny sermens, ny piquantes paroles,
Le sort le plus fatal n’y peut estre que doux
 Et les Pieces de quatre sous
Sont Pieces de quatre Pistoles.

En effet, on se pique uniquement sur les caprices ou sur les faveurs de la fortune, sans prendre garde à ce que l’on perd, ny à ce que l’on gagne, & l’on se divertit sans faire de mal aux autres ny à soy-même ; ce qui devroit, à mon avis, estre sa regle de tous les Jeux formez pour le délassement, & pour l’amusement de l’esprit.

Nous avons aussi le Jeu de l’Oye renouvellé des Grecs, & qui est encore multiplié en mille autres qui n’en sont que des imitations, ou des copies. Ce sont tous ces differens Jeux qui occupent aussi l’un aprés l’autre les soirées, avec une application d’autant plus plaisante qu’on ne les sçait pas, & qu’on étudie chaque coup à mesure qu’on le joüe, ce qui cause des surprises toûjours nouvelles, & assez divertissantes.

Voila comme se passent d’ordinaire les journées, mais l’on peut dire que les nuits se passent encore plus agréablement, & je puis alleguer à propos ces Vers.

 Il est des nuits brillantes
Plus belles que les plus beaux jours

Le croirez-vous sur mon récit Mademoiselle ! Il n’y a point de nuit qui ne soit signalée par quelque brillant spectacle, dont l’éclat annonce même nostre surprise & nostre joye à tous les lieux d’alentour. Depuis que je suis icy, il n’a pas manqué une seule soirée d’y avoir un feu d’artifice également agreable & ingenieux. Madame la Duchesse du Maine aime ces sortes de spectacles, qui en effet sont nobles & magnifiques, & l’on s’occupe à luy en préparer toûjours de nouveaux.

Je ne sçai pas si c’est un Prince qu’elle porte en son sein, mais si c’en est un, il y a apparence qu’un jour il ne craindra pas le feu. La qualité de grand Maistre de l’Artillerie ne luy fiera pas mal non plus qu’au Prince son Pere, & ce jeune Aiglon est accoustumé de bonne heure au bruit & à la lueur de la foudre, s’il est destiné a porter celle de Jupiter. On diroit qu’à present que la Guerre ne fait plus d’usage de ces feux terribles, celuy qui en est le dépositaire les veut tous employer à faire éclater le triomphe & le regne de la Paix.

Nous avons icy un excellent Auteur de ces brillantes productions. C’est un Gentilhomme qui a servi long-tems, & qui aprés estre parvenu à la teste du Regiment de Piémont, s’est retiré avec la réputation d’un des plus braves & des meilleurs Officiers du Royaume. Il joint à cela le merite d’une rare probité, & d’un sçavoir exquis ; je vous en dirois davantage s’il n’étoit pas mon ami.

C’est donc ce Gentilhomme, apellé Mr de Villeras, qui ordonne & qui conduit tous ces feux, & qui les rend aussi étonnans par leur diversité inépuisable que par leur beauté ; il y mesle toûjours du dessein & de l’invention, & ces spectacles sont toûjours quelques grandes Images qui attachent l’esprit aussi bien que les yeux.

Prothée sçavoit se transformer en tous les élemens, mais je n’aurois pas cru que le seul élement du feu devint susceptible de tant de differentes formes. En matiere de feux les hiperboles du galant Voiture, & les menteries du Menteur, ne seroient icy que la pure verité. Que diriez-vous Mademoiselle, d’un tournoy de feu ? Un enchanteur paroist, & dans une grave harangue à Madame la Duchesse du Maine annonce le combat de deux Chevaliers dont l’un soustient que Mademoiselle de Lussan, qui estoit alors auprés de la Princesse, est la plus charmante & la plus accomplie Damoiselle qui étoit au monde. Les champions paroissent avec des lances de feu, des plumes de feu sur leur casque, des armes éclatantes de feu ; Les Chevaux jettent du feu par les yeux & par les nazeaux : leurs crins sont des flames ondoyantes, ils font mille tours, mille passades & mille caracoles en remplissant l’air tout de feu, ensuite se battent avec des épées flamboyantes : tout se réduit en feu, & ainsi se termine le combat, ou l’enchantement. Jamais je n’avois rien vû de plus beau que cette idée, & rien ce me semble, ne seroit plus digne d’un divertissement Royal, en faisant ainsi des Quadrilles & des Troupes de Chevaliers ardens combattans avec des armes de feu.

Une autrefois c’est une Ville qu’on assiege, ou qu’on deffend, ou l’on fait de part & d’autre un feu terrible : je ne pus voir cette attaque que d’une fenestre éloignée, parce que j’estois incommodé d’une chute que j’avois faite : mais j’ay esté récompensé par un autre spectacle comme vous verrez dans la suite de mon récit.

Je ne pus assez admirer Samedy dernier un Soleil que je vis briller tout à coup dans la nuit sur le haut d’une colonne, aux deux costez parurent deux Globes semez d’Astres resplendissans, & qui aprés s’estre enflâmez tout à-fait s’ouvrirent, éclaterent & firent une image aussi vive que surprenante de ce qu’on nous enseigne de l’embrazement de l’univers.

Hier je fus surpris comme si je n’avois encor rien veu. Aprés l’effort de quantité de belles Fusées qui retomberent en Estoilles dans le Jardin, les allées & le parterre parurent tout en feu avec leurs compartimens. L’Air estoit paisible, mais couvert de nuages, si bien que l’on auroit dit que toutes les Etoiles du Ciel étoient en effet descenduës sur la Terre & avoient été rangées dans un nouvel ordre, & avec des distances & des figures régulieres. On croyoit voir mille fleurs enflamées placées artistement par un habile Dessinateur. Le Marin auroit bien eu raison de dire cette fois. Il terren stellato. L’aspect étoit admirable de tous costez, & aprés avoir eu le plaisir de regarder des fenestres de la maison ce Ciel de haut en bas, il y avoit encore un autre plaisir de se promener dans ces routes lumineuses parmy ces nouvelles constellations.

Je ne finirois jamais, Mademoiselle, si je voulois tout dire en détail ; mais je ne puis m’empêcher de vous particulariser un peu la Feste, ou plutost plusieurs Festes ensemble, qui se donnerent icy Dimanche passé. Mr le Duc du Maine estoit venu de Fontainebleau, & demeura trois jours auprés de Madame la Duchesse du Maine. Il y a bien des choses à dire de ce Prince, mais elles ne peuvent estre ignorées. On sçait qu’il a tout l’esprit imaginable, une capacité & une application extrême pour s’acquiter de tous les devoirs de ses grandes Charges, & il releve toutes ces qualitez par une vertu réguliere & solide. Il a édifié icy les peuples par sa pieté & par sa douceur, autant qu’il leur a donné lieu de le benir par ses charitez : & entr’autres par un don considerable qu’il a fait pour l’instruction & le soulagement des pauvres de ce Village.

La veritable dévotion de ce Prince ne luy oste pas une humeur agreable, & un tour naturellement fin & enjoué, qu’il a dans l’esprit ; au contraire, elle redouble plutost ses aimables complaisances pour une Princesse qu’il aime uniquement & qui en est si digne. Il cherche avec soin tout ce qui peut la divertir. Il a veu que dans les temps qu’elle estoit obligée à garder la Chambre, elle s’amuseroit & feroit quelque exercice en joüant des Comedies à quoy elle se plaist beaucoup. Il en represente avec elle, & l’on peut dire qu’il est également loüable par le motif & par l’execution. Il est si vray d’ailleurs que tout peut estre rectifié par un bon usage, que ces divertissemens sont là mille fois plus agréables, que sur les Theatres publics, sans en avoir aucun des défauts. La dignité des Acteurs les releve, & il y a une certaine noblesse dans leurs personnes & dans leurs actions qui corrige tout ce qui est à craindre dans ces spectacles.

On joüa le Medecin malgré luy. Tout le sel & toute la vraye plaisanterie en furent goûtez ; sans que rien y fust senti d’indecent & de nuisible ; Mr de Malezieu dont je viens de vous parler y joüoit le rolle le plus difficile. Avec tout ce que je vous en ay dit, il est encore un des meilleurs Acteurs qu’on ait jamais veus. Il se revest de tous les personnages, soit sérieux, soit comiques : de sorte que ce ne sont point des images mais la chose même qu’il represente Madame Manneville, Dame d’honneur de Madame la Duchesse du Maine, joua aussi fort bien. Leurs Altesses n’eurent pas de peine à trouver dans leur maison, aussi bien que dans la famille de Mr de Malezieu, qui est aimable & nombreuse, ce qu’il leur falloit encore de bons Acteurs, & la piece fut tres bien executée.

Madame la Princesse, pour qui se faisoit la Feste, y étoit venuë avec Mademoiselle d’Anguyen. L’indisposition de Mademoiselle de Condé fist doublement regretter son absence. Madame la Princesse & Mademoiselle d’Anguyen parurent tout à fait contentes de la representation. Le peu du Hocca vint ensuite. C’est icy qu’on peut voir un utile exemple de moderation & de frugalité de jeu. On s’y divertit fort. Monsieur le Duc du Maine se plaignit en sortant du Jeu, qu’il avoit perdu deux Ecus ; Les Princesses jouerent leur fortune d’en avoir gagné environ autant.

Aprés le soupé, Madame la Princesse fut invitée d’aller en Carrosse à quelques pas de la Maison. Elle vit à la clarté des flambeaux un Fort, & vis-à-vis de deux grands Navires qui paroissoient à l’Ancre dans un Pré. On ôta les chevaux, les Carosses furent ainsi changez en Amphitheatre.

Les Navires distinguez par leurs fanaux s’approchérent du Fort, & commencérent à le cannoner, & à le bombarder. Le Fort répondit aussi par des boulets rouges : les Vaisseaux revirérent diligemment, & tirérent de nouvelles bordées. On voyoit le cercle des Bombes, & la trace directe des boulets, qui estoient des fusées, glissant le long des cordes tenduës pour cet usage. Tout cela estoit compassé avec une justesse incroyable. Ensuite les Troupes de terre attaquerent le Fort à plusieurs reprises, & la défense ne fut pas moins vigoureuse que l’attaque. On lançoit de part & d’autre une infinité de fusées qui imitoient le feu des grenades. Les Attaquez paroissoient à la lueur du feu. Enfin le feu se prit aux Vaisseaux, ils sautérent en élançant dans les airs une double girandole. De même le feu se mit aux Magasins du Fort, & il sauta en élançant aussi une Girandole, qui égala sans doute celle qu’on voit tous les ans au Chasteau Saint Ange à Rome.

Je me ressouviens des Assauts des Mastrik & de Cambray, que j’ay vûs ; & cette agreable feinte m’a rappellé des images tres vives qui me sont demeurées dans l’esprit, ce que je ne croyois pas qu’on pust si bien me representer.

Il faut remarquer, Mademoiselle, que la Lune déroboit icy quelque chose à l’éclat des feux ; mais cependant elle contribua beaucoup à la beauté du spectacle. La sérenité du Ciel, aussi-bien que le bruit de la Feste, avoit attiré tous les Habitans des Villages circonvoisins. Les Champs estoient couverts de Spectateurs, & cette sombre lumiere, qui ne laissoit voir que des coiffures & des cravates blanches, en cachant tous les défauts des visages & des habillemens, faisoit que tout paroissoit beau & propre : Mille voix d’admiration & de joye suivoient le mouvement de chaque Fusée ; & au retour on ne voyoit que des danses, & on n’entendoit que des chants par toute la Campagne ; ce que Monsieur le Duc du Maine regarda avec plaisir, s’interessant avec tendresse à voir les Peuples commencer à goûter quelques fruits de la Paix.

Je finis, Mademoiselle, & je suis sûr que si je ne me hâte de vous envoyer ma Lettre, toute imparfaite & peut-estre toute ennuyeuse qu’elle est, demain il s’offriroit quelque chose pour l’augmenter, & pour m’embarasser de nouveau. Ce Mr de Villeras est un étrange homme, il ne tarit point.

Je veux seulement conclure, comme j’ay commencé, que les plaisirs tranquiles & innocens sont retirez ici. Où en verroit on ailleurs de semblables ? Les plaisirs de la Cour, j’en jurerois, ne sont pas exempts de trouble & d’inquiétude, & pour vous prouver mieux toute l’innocence de ceux qu’on goûte à Chasteray ; il suffit de vous dire que l’on a Mr le Curé pour témoin de tout ce qui s’y fait : c’est un fort honneste homme, plein de capacité, & qui a toutes les vertus Pastorales. Il s’appelle Mr le Riche, & est riche en bonnes œuvres. Depuis dix-sept ans il fait mille biens dans sa Paroisse, & me fait la grace de me loger.

Au reste, Mademoiselle, je crois que vous me sçaurez quelque gré d’avoir interrompu l’agreable repos que l’on goûte icy par le soin de vous en rendre compte. Je voudrois bien pouvoir réparer par là toutes mes omissions passées. Vous m’aurez peut-estre accusé de negligence, sur ce que je n’ay point eu l’honneur de vous écrire depuis longtemps, mais vous vous souviendrez que vous avez dû prendre mon silence pour une marque que je n’estois pas à la Cour ; d’où je n’aurois pas manqué de vous écrire, comme vous me l’ordonnez. Il y a long temps que je fais de petites courses à la Campagne, & que je ne suis point à portée de vous mander de nouvelles. Je suis incapable de manquer jamais volontairement à rien qui puisse vous plaire. Je me promets que vostre bonté n’aura pas de peine à vous en persuader, & que vous regarderez moins au défaut du récit que je vous envoye, qu’à l’empressement que j’ay eû de prendre cette occasion de vous faire souvenir de mon respect & de mon zéle.

[Journal de Montargis] §

Mercure galant, octobre 1699 [tome 10], p. 219-238.

Je satisfaits volontiers vostre curiosité, en vous envoyant un Journal exact de ce qui s'est passé pendant six jours que la Cour de Monsieur a esté à Montargis. Ce Prince partit de Fontainebleau le Samedy 3. de ce mois, à onze heures du matin. [...]

Le Dimanche, Madame la Duchesse de Chastillon arriva. Pendant le dîner & le souper les Trompettes de Monsieur, & les Hautbois de Mr de Rosmadec, son premier Gentilhomme de la Chambre, se firent entendre. Les occupations de ce jour furent le Jeu & le Promenade.

La bonne chere & la magnificence des repas demanderoient une relation particuliere. Tout ce qu'on en peut dire, c'est que Monsieur, dont le goust est exquis, & qui sçait montrer en tout sa grandeur Royale, témoigna à ceux de ses Officers qui estoient chargez de ce soin, qu'il en estoit satisfait.

Le Lundy, Monseigneur arriva sur les quatre heures, & avec luy Madame la Princesse de Conty Doüairiere, Monsieur le Prince de Conty, Mademoiselle de Lislebonne, Mesdames d'Urfé, de la Valliere, & Marquise de Chatillon. Madame & Mademoiselle d'Armagnac retournerent ce même jour à Fontainebleau. Monsieur, Monsieur le Duc de Chartres, & toute leur Cour, allerent au devant de Monseigneur, qui fut receu au son de toutes les cloches, & aux acclamations de tout le Peuple. [...]

Le Jeudy il plut toute la matinée, ce qui n'interrompit point les plaisirs de ce beau lieu. Le Ciel se découvrit l'apresdisnée, & l'on alla à la promenade. Le soir on recommença le jeu jusqu'au soupé, & quand on fut hors de table, les Hauts-bois qui avoient joué à ce repas, inviterent la Compagnie a entrer dans la Grande Salle qui étoit éclairée par vingt-quatre Chandeliers à plusieurs branches. Monsieur permit que l'on dançast, & il se fit une espece de petit Bal tres-agreable.

[Traduction nouvelle de l’Oraison de Ciceron, pour la loy de Manlius] §

Mercure galant, octobre 1699 [tome 10], p. 260-262.

On vient d’Imprimer une Traduction nouvelle de l’Oraison de Ciceron pour la Loy de Manilius avec des remarques Historiques & Geographiques, & des explications sur tous les endroits difficiles où l’on peut aprendre facilement les Regles de l’Eloquence. Cet ouvrage se vend à Paris chez le Sr Pierre Augustin le Mercier ruë du Foin à S. Ambroise, & chez le Sr Nicolas le Clerc ruë S. Jacques à l’Image S. Lambert. L’Auteur s’est appliqué à faire une traduction fidelle, mais son principal dessein à été de donner une nouvelle méthode pour sçavoir en peu de temps l’Art de la Rhétorique. Il a défini exactement en François les figures que l’Orateur employe ; & fait voir que Ciceron les a mises en pratique dans cette Harangue, d’une maniere plus sensible que dans les autres Oraisons, & qu’il a réduit l’exorde & les autres parties du discours à un simple raisonnement, ce qui est un des meilleurs moyens pour apprendre sans beaucoup de peine les Regles de l’Eloquence.

[Le Théophraste Moderne, ou nouveaux Caractères sur les Mœurs] §

Mercure galant, octobre 1699 [tome 10], p. 262-265.

Le Sr Brunet debite un Livre nouveau qui fait bruit. Il a pour titre, Le Theophraste moderne, ou Nouveaux caracteres sur les mœurs. Ils ont esté faits à l’imitation de ceux de feu Mr de la Bruyere, que l’Auteur dit avoir pris pour regle, les ayant soumis à son jugement, par l’amitié qui estoit entre eux. Comme la matiere est grande, & en quelque sorte inépuisable, parce que les défauts attachez à l’homme, donnent lieu à des réflexions presque infinies, on trouvera beaucoup de choses nouvelles dans ces derniers caracteres. Le stile en est net, vif & concis, & il est malaisé d’en commencer une section ou un chapitre, sans vouloir aller jusqu’à la fin, tant tout y est bien pensé, & fait de plaisir à lire. L’Auteur qui proteste contre les interprétations malignes, a raison de dire que ceux qui voudront attribuer certains caracteres à de certaines personnes, doivent faire un examen sérieux de leur conduite, & voir si leurs mœurs ne leur donnent pas sujet de faire de plus justes applications. Qui est ce en effet qui les peut toujours assez bien regler, pour ne se reconnoistre pas dans les portraits que l’on expose à ses yeux, & pourquoy imputer à d’autres des défauts qu’il est souvent impossible de ne pas voir en soy-même ? Cet Ouvrage est tres-digne d’estre lû. Heureux qui ne le lira que dans le dessein d’en profiter.

[Suite du Journal de Fontainebleau] §

Mercure galant, octobre 1699 [tome 10], p. 266-270.Fait suite à cet article.

Je vous tiens parole, en vous envoyant la suite du Journal du Voyage de Fontainebleau.

Le Vendredy 9. le Roy alla tirer, Monseigneur courut le Cerf avec l'Equipage de Mr le Duc du Maine, & Messeigneurs les Princes coururent le Liévre avec les chiens de Mr le Comte de Toulouse. Il eut le soir Appartemens.

Le Samedy 10. il y eut Chasse du Loup, & le soir la Comedie de Surena, suivie des Plaideurs.

Le Dimanche 11. le Roy alla tirer, & le soir il y eut pour Monseigneur grande répetition de la Musique de l'Opera de Martésie, dans la Galerie des Cerfs.

Le Lundy 12. il y eut Chasse du Cerf, & Appartemens le soir.

Le Mardy 13. le Roy alla tirer. Monseigneur courut le Loup, & les Comediens representerent le soir le Geolier de soy-même.

Le Mercredy 14. le Roy ne sortit point, & entendit à son soupé le Prologue & le premier Acte de l'Opera de Martésie, du Sr des Touches.

Le Jeudy 16. le Roy alla tirer, Monseigneur courut le Chevreüil, & Messeigneurs les Princes coururent le Liévre. Les Comediens representerent le soir la Sophonisbe de l'Ainé Corneille, & l'Esté des Coquettes du Sr Dancour.

Le Samedy le Roy alla tirer, Monseigneur courut le Loup, & Messeigneurs les Princes, le Liévre. On chanta pendant le soupé du Roy, plusieurs morceaux de l'Opera de Martesie.

Le Dimanche 18. le Roy ne sortit point, & il y eut le soir Appartemens où l'on chanta le Temple de la Paix.

Le Lundy 19. le Roy alla tirer, & Monseigneur courut le Chevreuil. Le soir les Comediens representerent la Mere Coquette de Mr Quinaut, qui fut precedée d'une Scene nocturne des deux fils de S. Allard, l'un en Scaramouche & l'autre en Arlequin, qui firent des saults merveilleux.

Le Mardy il y eut chasse du Cerf l'aprésdisnée, & le soir il n'y eut aucun divertissement.

Le Mercredy 21. le Roy alla tirer, & Monseigneur courut le Loup. Le soir les Comediens representerent les Horaces & le Medecin malgré luy.

Le Jeudy 22. le Roy vint tout d'une traite de Fontainebleau à Versailles, ayant trois Relais. Ce même jour fut celuy de la consommation du Mariage de Monseigneur le Duc de Bourgogne.