1700

Mercure galant, janvier 1700 [tome 1].

2017
Source : Mercure galant, janvier 1700 [tome 1].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, janvier 1700 [tome 1]. §

[Sur la Statue Equestre du Roy]* §

Mercure galant, janvier 1700 [tome 1], p. 10-12.

Les Muses de Virgile sont plus œconomes. Cet illustre Poëte ayant une occasion de loüer Auguste, le fait en deux Vers que la Cour du Prince & le Senat de Rome admirérent.

Nocte pluit totâ, redeunt spectacula manè,
 Divisum imperium cum Jove Cæsar habet.
Jupiter inonde la nuit.
La pluye en est continuelle,
Et Cesar le jour embellit
De spectacles qu’il renouvelle.

Comme je suis Andini cultor vatis, je me conforme avec peu de vers à son exemple. Ainsi un seul Distique Latin fait ses honneurs à la Statuë Equestre du Roy.

  Pro Equestri Statuâ.
Effigies regis reginâ spector in Urbe,
Ære gerens Magni Lodoici fortia facta.

En voicy l’explication.

 Statuë auguste, effort de mains habiles,
J’attire les regards de la Reine des Villes,
Et pour rendre immortel le grand Nom de LOUIS,
Mon Bronze s’est chargé de ses faits inoüis.

[Ceremonie faite à Maubeuge en Hainaut] §

Mercure Galant janvier 1700 [tome 1], p. 44-63.

On a reçu depuis peu une nouvelle Abbesse à Maubeuge en Hainaut. La Lettre que je vous envoye vous apprendra les circonstances de cette reception.

A MADAME DE..

Je ne sçay, Madame, si vous lirez avec autant de plaisir le détail que vous m'avez demandé, de ce qui s'est passé icy, à la reception de la nouvelle Abbesse, dont j'ay déjà eu l'honneur de vous parler, que je m'en fais de vous l'envoyer ; mais je sçay bien que la nouveauté des choses que vous y trouverez, doit en quelque sorte satisfaire vostre curiosité, puisque toutes les autres receptions qui ont precedé celle-cy, n'en ont jamais approché. Je ne m'arresteray point à vous parler de l'établissement de l'illustre Chapitre de Maubeuge, fondé depuis douze cens ans, par une Comtesse de Haynault, & je croy que vous en sçaurez assez, si je vous dis qu'il est composé, de quarante Demoiselles, toutes d'une extraction tres-noble & tres ancienne, dont il faut necessairement faire preuve pour y pouvoir entrer ; qu'elles ont à leur teste une Abbesse & quatre Aînées, ou Anciennes, qui gouvernent, & que lors que le Siege devient vacant, elles ne peuvent s'assembler, que par un ordre du Roy, qui nomme des Commissaires pour estre presens à l'élection qu'elles sont de trois d'entre elles, & qu'elles luy presentent ensuite pour en nommer une Abbesse. Toutes ces formalitez s'estant observées quelque temps après la mort de la dérniere, Sa Majesté nomma Mademoiselle de Noyelle, premiere Aînée. Son choix paru d'autant plus juste que le plus grand nombre de voix avait esté pour elle, qu'il ne luy manque aucune des qualitez necessaires pour remplir dignement cette éminente place, & que plusieurs de sa Famille l'ont déjà occupée, non seulement dans ce Chapitre, mais encore dans les autres qui sont dans les Pays-Bas. Le jour estant pris pour sa réception & pour son entrée dans cette Ville dont elle porte le nom, toute la Bourgeoisie, pour luy marquer sa joye, s'estant préparée à luy faire tous les honneurs possibles, elle en sortit le Dimanche quinzième de Novembre, dans un Carosse attelé de six chevaux, suivi d'un autre, precedée de tous les Officiers de son Chapitre, escortée par une Compagnie de Bourgeois métamorphosez en Hussard, lestement équipez ; d'une autre Compagnie de Bourgeois Grenadiers, tres-belle ; d'une troupe de Sauvages, assez plaisamment déguisez, & du reste de la Bourgeoisie armée. Elle fut ainsi conduite au son des Trompettes, des Tambours, & des Hautboïs, à une Abbaye de Benedictins prés de cette Ville, où elle trouva tous les Habitans du lieu sous les armes. Elle y coucha, gardée par la Compagnie des Grenadiers, dont je viens de vous parler. Le lendemain Lundy, l'Abbé donna un grand repas, où plusieurs personnes de consideration se trouverent, & on y but la santé de Madame l'Abbesse, au bruit de plusieurs décharges de Boëtes & de Mousqueterie. Ce même jour devant estre celuy de son entrée, Mr de la Mothe, Lieutenant du Roy & Commandant de cette Place, alla au devant d'elle, avec une partie des Officiers de la Garnison, après avoir ordonné de faire prendre les armes à toute l'Infanterie, à la Cavalerie de monter à cheval & de sortir hors de la Ville pour la recevoir. Ses ordres ayant esté executez, & tout s'estant joint, la marche commença par une troupe de Cavalerie, suivie de la Compagnie des Hussars, avec deux Trompettes à leur teste, & de celle des Grenadiers avec quatre Haut-bois. Tout cela marchant en bon ordre fut suivi d'un Carosse, où estoient les Femmes de la suite de Madame l'Abbesse. Celuy de Mr le Marquis de Bernieres, Intendant de la Province, marchoit après, rempli d'Officiers de la Garnison, & ensuite paroissoit le Carosse du corps, environné de douze Gardes à pied, où estoit Madame l'Abbesse avec trois Chanoinesses ses Parentes. On voyoit ensuite la troupe de Sauvages, suivie de toutes les Compagnies Bourgeoises, avec plusieurs Hautbois, & le reste de la Cavalerie fermoit la marche. Elle entra ainsi dans la Ville à quatre heures après midy, au bruit de plusieurs salves de Canon & de Mousqueterie, & trouva depuis le premier Pont jusqu'à la porte de la maison de Mr de l'Intendant, où elle alla défendre, une double haye d'Infanterie, avec tous les Officiers à leurs postes. Elle passa sous plusieurs Arcs de triomphe de verdure, qu'on avoit dressez dans toutes les ruës, avec beaucoup d'Inscriptions à son honneur. Sa marche fut interrompuë en quelques endroits de la Ville par des Filles qui venoient luy réciter des Vers. Enfin elle arriva chez Mr le Marquis de Bernieres, où elle mit pied à terre, pour y loger, estant necessaire qu'elle couchast hors du Chapitre cette nuit là, & peu de temps après elle y receut les complimens de Mrs les Magistrats, avec le present de Ville ordinaire. Madame la Marquise de Bernieres, qui n'oublie rien de tout ce qui peut faire parfaitement les honneurs de sa maison, avoit engagé une petite Societé de personnes qui aiment la Musique, à s'assembler chez elle, pour y faire un concert de voix & d'instrumens qui dura une heure & demie, après lequel on servit un magnifique soupé sur deux tables differentes, où mangerent quarante personnes, au bruit de plusieurs Flûtes douces merveilleuses. Quelque temps après la sortie de table, l'Abbesse se retira dans l'appartement qu'on luy avoit destiné, jusqu'au lendemain dix heures, qu'elle monta en Carosse en habit de Chanoinesse, dont le principal ornement consiste en un manteau de drap noir, plissé & attaché sur le derriere des épaules, avec un queuë trainante, dont tout le tour est bordé d'hermines, à l'Abbesse seulement. Elle mit pied à terre à la moitié du chemin de son Eglise, d'où les Dames Chanoinesses estoient sorties processionnellement avec les Chanoines, leurs Chapelains, pour venir au devant d'elle, & se trouver à l'endroit où elle venoit de descendre de Carosse. Après luy avoir fait compliment, elles la conduisirent à l'Eglise, au son des Trompettes, des Tambours & des Hautbois, Mr de la Mothe luy donnant la main. Elle entra dans le Choeur, où elle se mit à genoux vis-à-vis du Maistre Autel, sur un Priedieu couvert d'un tapis de velours cramoisi, avec un carreau de même pour entendre la Messe, qui fut celebrée par un Abbé revestu de ses habits Pontificaux, & chantée par la Musique. Ensuite apres avoir juré sur les Evangiles d'observer les anciennes Coutumes du Chapitre, & de ne rien innover, la plus ancienne des Chanoinesses luy donna la Crosse & alla la mettre en possession de sa place, où elle resta pendant le Te Deum, chanté par la Musique, au bruit du Canon & de la Mousqueterie. Lors qu'il fut finy, les Chanoinesses conduisirent leur Abbesse à la vieille Eglise, qui reste encore du temps de Sainte Aldegonde, leur Fondatrice, où elles l'embrasserent toutes, en luy promettant honneur & respect, & de là à sa Maison Abbatiale, où l'on servit à dîner sur quatre tables, de vingt couverts chacune, avec toute la magnificence possible. Mr & Madame l'Intendante, Mr & Madame la Lieutenante de Roy, & d'autres Personnes de marque de la Ville, s'y trouverent. Le repas finy, pendant lequel il y eut un concert de plusieurs Instrumens, les Chanoinesses se rendirent à leur Eglise, pour y chanter Vespres, & ensuite à leurs Toilettes, où après s'estre parées, elles retournerent toutes chez Madame l'Abbesse, qui selon l'ancien usage, est obligée le jour de sa reception, de leur donner un grand Bal après le soupé. Il ne se passa pas grande chose dans cette belle Assemblée jusqu'à huit heures & demie, qu'on servit les mêmes tables du matin, avec la même magnificence. A dix heures, toutes les Dames se rendirent dans une grande Salle, tres-illuminée, où, elles firent, pour commencer le Bal, un des plus agreables spectacles que l'on puisse voir. Cecy, Madame, ne doit pas vous étonner, puis que ce Chapitre est non seulement le plus illustre & le plus considerable que nous connoissons, par sa noblesse & par son ancienneté, mais encore par le grand nombre de jeunes personnes, belles & bien faites qui le composent. Je n'aurois jamais fait, si je voulois vous parler de toutes, vous nommer celles qui parurent avec le plus d'éclat. Cependant je ne sçaurois m'empêcher de vous dire, que Mademoiselle d'Hamal s'y fit beaucoup remarquer par son grand air & par les graces qui se trouvant toujours en foule autour d'elle, semblent vouloir encore y paroistre en plus grand nombre lors qu'elle danse. Je crois, Madame, ne vous pas faire mediocre plaisir, en vous apprenant le nom d'une aussi aimable personne, qui a sceu trouver le secret de joindre à une grande jeunesse toutes les autres perfections. Après le Bal, qui dura jusques à deux heures, les Dames furent conduites chez elles, & plusieurs Cavaliers sortirent de cet endroit avec bien moins de tranquillité, qu'ils n'y estoient entrez. Le lendemain Mercredy, elles se rendirent toutes après midy à la Maison des Jesuites, où il fut chanté par de jeunes gens, une petite Pastorale à la loüange de Madame l'Abesse, & ce fut par où finirent les marques de réjoüissance que tout le monde s'est empressé de faire paroistre pour l'élevation de cette Dame, dont le merite est infini, & à laquelle on ne sçauroit refuser beaucoup l'estime, & la veneration. Je suis vostre &c.

L.C.M.

[Lettre aux Dames de Bordeaux] §

Mercure galant, janvier 1700 [tome 1], p. 77-90.

Vous lirez, sans doute, avec plaisir, ce que Mr de Cantenac, Chanoine de l’Eglise Metropolitaine de Bordeaux, a écrit aux Dames de cette Ville-là, pour leur inspirer la conduite reguliere, qui sied si bien à vostre Sexe. Il est l’Auteur d’un Ouvrage que je vous ay envoyé depuis peu de temps ; intitulé, L’éloignement des Emplois. On défigura son nom, en y mettant Cantenace pour Cantenac.

AUX DAMES.

Vous qui faites briller tant d’appas qu’on admire.
Qui par vos seuls regards vous formez un empire,
Beau Sexe, en qui le Ciel versa mille tresors,
Des charmes de l’esprit, & des beautez du corps.
La pluspart des humains vous flattent pour vous nuire,
Ils tâchent de vous perdre, & je veux vous instruire,
Non des erreurs d’Amour qui font tout son pouvoir,
Et dont l’ame s’aveugle & choque son devoir.
Je veux pour vôtre gloire établir des maximes
Qui détournent les cœurs de l’amorce des crimes,
Qui sont comme un rempart sur le vice abattu
Contre tous les assauts qu’il donne à la vertu :
Pour conquerir des cœurs, n’employez d’autres armes,
Qu’une chaste pudeur qui releve vos charmes.
C’est fort diminuer le prix de la beauté,
Que de les enlever par un air effronté.
Il faut que vos regards, vos mœurs, & vos parures,
Soient de cette pudeur la marque & les augures.
Un air sage & modeste est toûjours plus charmant,
Il excite, & retient les desirs d’un Amant,
Mais l’air doux & coquet fait voir trop de tendresse.
Ce qui paroist Laïs, ne fut jamais Lucrece.
Tous vos vains ornemens, par la mode inventez,
Découvrent vos défauts, autant que vos beautez,
Et leur excés nous sert d’une preuve certaine,
Ou d’un corps imparfait, ou d’une ame mal saine.
Dites moy, Jeune Iris, pourquoy vous fardez vous,
Pour plaire à vos Galans, & tromper vôtre Epoux ?
Les soins que vous prenez pour devenir plus belle,
Sont autant de moyens, de vous rendre infidelle.
Tous ceux que vous tâchez de vous rendre soûmis,
Paroissent vos Amans, & sont vos ennemis.
A leurs vastes desirs rien ne semble impossible.
Qui veut les faire naistre y doit estre sensible.
Quand vous n’auriez jamais de tendresse pour eux,
Un Amant rebuté croit son Rival heureux.
Et perdant tout à coup, & l’amour & l’estime.
D’un dépit insolent il vous fait la victime.
Climene accoûtumée à quitter sa maison,
Croit que s’en éloigner, c’est sortir de prison,
Et laissant aux valets le soin de sa famille,
Va ruiner au Jeu son Mari qu’elle pille
De ce déréglement naist un plus grand malheur.
Femme qui perd son bien risque fort son honneur.
Un Amant liberal qui la voit desolée,
Profite du chagrin dont elle est accablée,
Et prend si bien son temps pour la dédommager,
Qu’il trouve enfin son foible, & l’heure du Berger.
La fameuse Doris & la belle Sylvie
Puisent à l’Opera les regles de leur vie,
Apprennent le secret des plus tendres Amours,
Et pour les mieux sçavoit les exercent toûjours.
Mais pourquoy me servir d’une plume inhumaine,
Pour noircir les erreurs d’Iris & de Climene ?
Cet erreurs, ou ces maux, sont par tout répandus.
La vertu devient rare, elle ne regne plus.
Pardonnez moy, beau Sexe, & souffrez que mon zele
Fasse des mœurs du temps, la peinture fidelle,
Le merite & l’esprit sont bannis de chez vous.
La dépense, & le bien ont des charmes plus doux.
En un mot, pour vous plaire, il suffit d’estre riche.
Quand on est liberal, vous n’estes jamais chiche.
Mais comment passez vous & les jours & les nuits ?
Le soin de vos Enfans charme-t-il vos ennuis ?
Dormant profondément jusqu’à midy qui sonne,
Vous n’occupez encore, & ne voyez personne.
Vostre couvert est mis, il faut vous éveiller,
Le temps est toujours court quand on doit s’habiller.
Les mets sont sur la table, il est temps de les prendre,
Et vostre Epoux chagrin est las de vous attendre.
A peine ce repas est pris legerement,
Qu’abandonnant la table avec empressement.
Aprés quelques atours pris à vostre Toilette,
Vous allez vous plonger au Jeu de la Bassette.
C’est là qu’adroitement vous meslez tour à tour
Les traits de l’avarice avec ceux de l’amour,
Et que d’un doux regard, qui flate l’esperance,
Vous payez d’un Amant la sotte complaisance.
Enfin la nuit s’approche, on court à l’Opera,
C’est Rolland qu’on y jouë, & qui vous charmera.
Vous y portez des cœurs disposez à se rendre.
Seroient-ils inhumains, où l’amour est si tendre ?
C’est là qu’avec l’attrait des tons harmonieux,
On apprend que l’amour est le plus grand des Dieux.
Qu’il captive les Rois, & que sous son empire
Son pouvoir absolu met tout ce qui respire.
Voilà comme le cœur prend un secret poison,
Qui mine l’innocence, & trouble la raison.
Fortement prévenu d’une erreur si charmante,
On en retient les vers, on les lit, on les chante.
Cette erreur passe enfin pour une verité,
Et l’on vient de la fable à la realité.
Mais l’Opera finit & chacun se retire.
Le galant qui vous méne, en discourt, en soupire,
Et vous donne un souper, dont à gros interest
Le fameux Gabaret * luy fait payer l’aprest.
Là de mille bons mots la table assaisonnée,
Termine en folâtrant cette aimable journée.
Voilà minuit qui sonne, il faut jouer pourtant,
Et donner sa revanche à Lysis qui perd tant.
Mais on le plume encore, & sa bourse épuisée
Separe au point du jour cette troupe rusée.
Iris revient chez elle, & frape tant de coups,
Qu’elle alarme ses gens, ses voisins, son Epoux.
Ce pauvre homme assoupi, que sa Femme cajole,
Fait semblant d’approuver son excuse frivole.
Mais déteste en son cœur un train si déreglé.
Et le cruel hymen qui l’avoit aveuglé.
C’est ainsi que pour vous roule chaque journée,
Dans les mêmes plaisirs dont elle est enchaînée ;
Vos devoirs, vostre honneur, & la perte du temps
Font pour vous en priver des efforts impuissans.
Les Femmes dont la vie embellit nostre Histoire,
Qui de leur Siecle heureux faisoient toute la gloire,
Trouvoient dans leurs maisons les plaisirs les plus doux,
Et ne faisoient jamais d’Amans ny de jaloux.
L’Epoux, comme aujourd’huy, complaisant & facile,
Ne donnoit pas matiere aux fables d’une Ville.
Il possedoit sa Femme, & ne la laissoit pas
A des galans outrez prodiguer ses appas.
On ne la voyoit pas avec tant de licence
S’entêter follement du Jeu ny de la Danse.
Un honneste labeur, son Epoux, ses Enfans,
Et le culte du Ciel partageoient tout son temps.
Elle n’affectoit pas cet air de nos Coquetes,
A composer leurs yeux aujourd’huy si bien faites,
Et ne venoit jamais jusqu’au pied des Autels,
Irriter tous les Dieux pour charmer les Mortels.
Son vestement modeste & sa vie exemplaire,
Sans faste, sans orgueil trouvoient mieux l’art de plaire.
Elle suivoit les loix de son fidelle Epoux,
Et n’aimoit que luy seul ; Iris, le faites vous ?
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[Canal nouveau] §

Mercure galant, janvier 1700 [tome 1], p. 91-95.

On a formé un dessein, dont la Ville de Dijon, déja fort recommandable par elle-même, recevra encore de grands embellissemens. Elle a deux Rivieres, appellées Suson & l’Ouche. Suson n’est proprement qu’un torrent qui paroist de temps en temps ; & l’Ouche est une riviere qui fournit de l’eau toute la Ville. On prend des mesures pour creuser un grand Canal qui joindra ces deux rivieres, en sorte qu’avec le secours de quelques autres, que l’on y fera tomber, elles porteront des Bateaux, qui d’un costé iront à Paris, & de l’autre jusques à Lyon. Ainsi Dijon sera comme le centre des eaux qui iront chercher l’une & l’autre mer. C’est sur ce dessein que Mr Morelet, Auditeur de la Chambre des Comptes de Dijon, a fait le Sonnet que je vous envoye.

AUX RIVIERES
de Dijon.

Torrent qui ne coulois que quatre fois l’année,
Et vous paisibles Eaux qui baignez nos remparts ;
Si l’on en croit au bruit qui court de toutes parts,
Un honneur sans égal suit vostre destinée.
***
Neptune ménageant un célébre hymenée
Sur vous, pour cet Ouvrage, a jetté ses regards,
Et mêlant avec vous mille ruisseaux épars,
Veut joindre à l’Ocean la Mediterranée.
***
Vos Canaux agrandis, dans toutes les Saisons,
Porteront à nos yeux de flotantes maisons,
Dijon sera fameux du Midy jusqu’à l’Ourse ;
***
Mais si le Dieu des Eaux travaille à ce dessein,
Par ce Bras qui peut tout, Louis en est la source,
Et sans luy ce Dieu même y penseroit en vain.

[Madrigaux] §

Mercure galant, janvier 1700 [tome 1], p. 95-99.

Je vous ay fait part de la Description que Mr l’Abbé Genest de l’Academie Françoise, a faite du lieu où Madame la Duchesse du Maine a passé quelque temps, pendant que la Cour estoit à Fontaine-bleau. Cet ouvrage a donné lieu à ce Madrigal de Mr Dader.

Appollon se plaignoit de ces esprits vulgaires
 Qui l’importunent tous les jours,
 Et qui remplis de leurs chimeres
 Pensent rimer sans son secours.
Une Muse entendant cette plainte équitable,
 Pour l’appaiser, luy dit tout bas,
 Tous les esprits ne se ressemblent pas
 J’en connois un inestimable
 Et dont les vers sont pleins d’appas.
C’est le fameux Genest, dont la plume sçavante
D’un Auguste Princesse a tracé le Tableau,
 Mais d’une façon si charmante
 Qu’on n’en sçauroit voir un plus beau ;
Il ne manque plus rien à sa gloire éclatante.

Le petit Ouvrage que j’ajoûte icy, est du même Mr Dader.

NOUVELLES
du Parnasse.

Une foule d’esprits élevez dans la crasse,
Et dépourvus de jugement,
Assiegeoient Appollon sur le Mont du Parnasse.
Le Dieu des Vers qu’irrite un tel déréglement,
A leurs vœux insensez montre un cœur insensible,
Les repousse, & s’enfuit dans le sacré Vallon.
La cohuë aussi tost court aprés Appollon.
S’échaper des fâcheux, il luy fut impossible ;
Ils vouloient malgré luy monter sur l’Helicon.
 Phœbus, plus prompt que le Tonnerre,
Jettæ son violon, le cassa contre terre.
Sur les nouveaux Titans, Pegaze furieux
Redouble à coups de pieds le trouble de ces lieux :
L’Helicon en trembla, les fiers grimpeurs tombérent,
Et par un contre-coup leurs cerveaux s’ébranlérent.
Ne vous étonnez plus de voir qu’en l’Univers
 Il est tant d’esprits de travers.

[Opera Spirituel] §

Mercure galant, janvier 1700 [tome 1], p. 137-147.

Vous voudrez bien voir ce petit Opera spirituel. Il est de Mr Dader, & regarde la grande Feste que l'Eglise vient de celebrer.

***

EGLOGUE
SUR LA FESTE
DES ROIS

DAPHNIS.

Cessez de raisonner sur ce profond Mistere,
Foibles Mortels, qui voulez tout sçavoir.
Les Anges seuls peuvent le concevoir,
Et nostre raison doit se taire.
Un Dieu qui dans le Ciel est engendré sans Mere,
En ces lieux fortunez vient de naistre sans Pere.
Adorons sa Divinité
Sous le voile sacré de son Humanité.

LICAS.

Qu'on revere en tous lieux sa divine naissance.
Bergers, que nostre sort est doux !
Le Roy des Rois habite parmy nous.
Tout Enfant qu'on le voit & réduit au silence.
Ses larmes, ses soupirs parlent mieux qu'on ne pense.
Ah, que vos cœurs le sçavent bien,
Vos cœurs qui répondent au sien !

LE CHOEUR.

Chantons tous les louanges
Du fils de l'Eternel,
Du Roy des hommes & des Anges :
Que chacun luy dresse un Autel.
Que tout se réjouïsse
Dans nos climats heureux.
Unissons nos voix, nos cœurs, & nos voeux.
Que tout retentisse
Des airs melodieux ;
La Terre pour jamais s'accorde avec les Cieux.

PHILENE.

Admirons, tant que nous sommes,
Du Ciel sur nous les divines faveurs,
Un Dieu se mesle avec les hommes,
Et les Rois avec les Pasteurs.

TERSANDRE.

Bergers, lors qu'icy-bas
Le Soleil adorable éclipse sa lumiere,
Un Astre au Firmament commence sa carriere
Pour éclairer les pas
Des Rois, qui pour le voir ont quitté leurs Etats.

ALEXIS.

Ah quel charmant spectacle !
Ah, quel miracle !
Ce bel Astre qui les conduit,
Fait éclater le jour au milieu de la nuit.

LICAS.

Cet Astre qui les éclaire,
Dans son cours miraculeux,
Leur confirme le mistere
Qui rend les Mortels heureux ;
Et cette celeste flâme,
Qui rejallit sur leur corps,
Répand aussi dans leur ame
Ses clartez & ses tresors.

ATHIS.

Cette lumiere admirable
Que répand l'Astre nouveau,
N'a rien qui soit comparable
A ce Soleil adorable
Qui brille dans son berceau.

PHILENE.

Qu'à l'envi chacun s'apreste
Pour luy marquer son amour.
Pour mieux celebrer la feste
Les Mages ont quitté leur Cour.
Après nous dans sa retraite
Ces Rois l'adorent à leur tour,
Et les sceptres en ce jour
Cedent à nostre houlette.

DAPHNIS.

Damon, d'où vient ta tristesse ?
D'où vient ton air si chagrin,
Quand par tout l'Enfant divin
Vient répandre l'allegresse ?
Déclare luy la douleur qui te presse ;
Ce charitable Medecin
Sans hesiter y mettra fin.

DAMON.

Dans l'estat où je suis je crains de luy déplaire ;
Je suis nud, cher Daphnis, je n'ose l'approcher :
Le seul excés de ma misere
Me force à me cacher,

DAPHNIS.

La misere qui t'accable
Fait ton bonheur aujourd'huy :
L'Enfant paroist miserable,
Tu le parois comme luy,
Et son cœur tout charitable,
Que charme la pauvreté ;
Content de voir dans la tienne,
Une image de la sienne,
Couvrira ta nudité.

LICAS,

De ce Roy si redoutable
Considere le besoin,
Son Louvre n'est qu'une étable,
Et son Trône un peu de foin.

DAPHNIS.

Je voudrois comme vous luy donner quelque Etréne,
Et je ne puis esperer ce bonheur ?
Je n'aye rien pour offrir : voilà toute la peine,
Je ne puis plus longtemps vous cacher ma douleur.

DAPHNIS.

Triste Damon, si tu voulois me croire,
Tu luy serois un beau present,
Et tu peux t'assurer le bonheur & la gloire
D'estre le favory de ce Roy tout-puissant.

DAMON.

A luy faire un present ay je droit de pretendre,
Sans credit & sans bien ?
Ah, je ne puis le comprendre ;
Et qui manque de tout ne sçauroit donner rien.

DAPHNIS.

Si les Rois dans leur opulence
Trouvent des tresors précieux
Pour honorer le Roy des Cieux,
Les Bergers dans leur indigence,
Plaisent à sa Divinité
Dés qu'ils en ont la volonté.

ATHIS.

Un cœur qui pour ce Roy soupire
N'est jamais dans l'embarras,
Et si ce cœur ne peut pas
Accomplir ce qu'il desire,
Cher Damon, en pareil cas,
Les desirs peuvent suffire.
Un cœur qui pour ce Roy soupire
N'est jamais dans l'embarras.

LICAS.

Nostre cœur qu'il nous demande,
Est un hommage assez doux ;
Presentons-luy cette offrande,
Il sera content de nous.

TIRCIS.

Cet Enfant qui vient de naistre
Fait la paix de nos Hameaux,
Nos brebis & nos agneaux
Sans alarmes s'en vont paistre :
L'ennemi de nos troupeaux
Devant eux n'ose paroistre :
Cet Enfant qui vient de naistre
Fait la paix de nos Hameaux.

PHILENE.

Bergers, pour mieux reconnoistre
Ses bienfaits & ses travaux,
D'un air gay, doux & champestre
Enflons tous nos chalumeaux ;
A l'honneur d'un si bon Maistre
Formons des concerts nouveaux.

LE CHOEUR.

Chantons tous les louanges
Du fils de l'Eternel,
Du Roy des hommes & des Anges.
Que chacun luy dresse un Autel.
Que tout se réjouïsse
Dans nos climats heureux.
Unissons nos voix, nos cœurs & nos vœux.
Que tout retentisse
Des airs melodieux.
La Terre pour jamais s'accorde avec les Cieux.

[Madrigaux] §

Mercure galant, janvier 1700 [tome 1], p. 171-174.

Mr Moreau de Mautour envoya ce Madrigal à Mademoiselle de Scudery,le premier jour de l’année.

Ce Siecle heureux qui tient nos esprits en balance,
 Soit qu’il finisse ou qu’il commence,
Admire encore en toy, sçavante Scudery ;
L’ornement de ton Sexe, & l’honneur de la France.
Apollon parmy nous n’a point de Favory,
Charmé de tes beaux Vers & de ton éloquence,
 Qui ne craigne lors qu’il y pense,
Que la Parque trop tost n’en termine le cours ;
 Mais le Ciel, maistre de nos jours,
 Et qui regle nos destinées,
S’interesse pour toy, pour la posterité,
En donnant à ta vie un grand nombre d’années,
 A ton nom l’immortalité.

Voicy la réponse que luy fit l’illustre Sapho.

Moreau, vous employez une vive éloquence,
 Tous vos Vers sont remplis d’appas,
 J’en ay de la reconnoissance,
 Mais ils ne me tromperont pas,
Je me connois trop bien pour m’y laisser surprendre,
 Et j’aime trop la verité.
 Je me hâte de vous apprendre
Que je ne prétens rien à l’immortalité.

Mr Moreau de Mautour luy renvoya ce Quatrain sur sa réponse.

Docte Sapho, peu de personnes
Meritent l’immortalité,
Mais par ton esprit si vanté
Tu te l’acquiers, & tu la donnes.

[Avis à une Beauté] §

Mercure galant, janvier 1700 [tome 1], p. 174-179.

Vous avez sans doute entendu parler de Mademoiselle Coulon. Le bruit qu’a fait icy sa beauté a esté trop grand, pour n’avoir pas esté jusqu’à vous. Comme elle fort grande, elle meritoit d’estre chantée par une Muse de distinction. Lisez les vers qu’on a faits pour elle, & voyez si je me trompe ; en vous disant qu’ils ne sont pas au dessous du sujet qu’ils traitent.

***

A MADEMOISELLE
COULON.

 La Beauté mit tout en usage
Et sa main liberale épuisa ses tresors
 Quand elle forma vostre corps,
 Et les traits de vostre visage.
Le Printemps luy prêta ses Roses & ses Lis,
La Jeunesse fournit & les Jeux & les Ris,
Et les Graces voulant faire encor davantage,
 Avant que de s’en dessaisir,
 Voulurent avoir le plaisir
 D’admirer un si bel ouvrage,
***
On diroit que l’Amour pour regner dans vos yeux,
 Quitte le sejour d’Amathonte.
Cent beautez dont Paris estoit si glorieux,
 Ne paroissent plus qu’à leur honte,
Et c’est vous seule enfin que l’on suit en tous lieux.
 Telle Venus sortant de l’onde
 Parut autrefois dans le monde,
Et se fit admirer des hommes & des Dieux.
***
 Mais répondez-moy, je vous prie,
Cette beauté, l’objet de tant de jalousie,
 Qu’on ne peut voir sans l’admirer,
 Ou les yeux méme de l’envie
 Ne trouvent rien à censurer,
Croyez-vous que ce soit un bien si desirable,
Et ne craignez vous point de ne l’avoir receu
 Que pour voir un heureux coupable
 Triompher de vostre vertu ?
***
Non, les folles amours vous trouveront cruelle ;
 Un Epoux seul tendre & fidelle
 Disposera de vostre cœur ;
 Vous aimez encor plus l’honneur
Que vous ne cherissez la gloire d’estre belle.
***
Jeune Iris, ne sçavez-vous pas
Que malgré toute sa sagesse,
Il en coûta cher à Lucrece
D’estre née avec tant d’appas ?
***
De pareilles faveurs sont souvent dangereuses,
 Le Ciel dans les presens qu’il fait,
 Ne donne pas tout à souhait,
Et les grandes beautez sont rarement heureuses.
***
Les charmes inconstans passent comme les fleurs,
 Et vous trouverez que l’histoire
 Qui nous vante tant leur memoire.
Finit presque toujours en pleurant leurs malheurs.
***
 Vous verrez à vos pieds se rendre
Une foule d’Amans empressez & soumis.
 Qu’on a de peine à se défendre
 De tant d’aimables d’ennemis !
***
 Il est des momens de foiblesse
 Où la nature peut tomber ;
 On n’est pas seur de n’y point succomber,
Quand on est obligé de combattre sans cesse.
***
Malgré tous ces perils où vous peut engager
Une beauté qui charme & la Cour & la Ville.
 J’en connois icy plus de mille
 Prestes avec vous de changer,
Qui, quel que soit enfin le sort qui vous menace,
 Prendroient volontiers le danger,
 Et voudroient estre à vostre place.

[Histoire] §

Mercure galant, janvier 1700 [tome 1], p. 180-196.

Il n’y a personne qui n’ait ses foiblesses, mais il est tres-surprenant que l’on en puisse avoir sur des choses qui ne valent pas qu’on s’y arreste, & qu’on ait l’entestement de les vouloir satisfaire, sans nulle reflexion aux chagrins qu’il en peut coûter ensuite. Une fort aimable Fille ayant du merite & de l’esprit, vivoit applaudie de tout le monde. Les loüanges qu’elle recevoit de tous costez sur les agrémens de sa personne, luy donnoient un petit air fier, qui tenant ses Adorateurs dans le respect, redoubloit en eux l’estime qu’ils avoient pour elle. Les honnestetez qui accompagnoient toutes ses maniéres les indemnisoient de ce qu’ils pouvoient y trouver de trop severe, & quoy qu’aucun d’eux ne pust se vanter d’estre mieux traité que ses rivaux, elle les ménageoit avec tant d’adresse qu’ils paroissoient tous contens. Cette conduite estoit dans les regles, & elle eust mené une vie heureuse, si les déferences qu’ils luy rendoient ne l’eussent point trop accoûtumée à vouloir primer par tout. Une jeune Blonde, à qui la liaison qui se rencontroit entre leurs familles, l’obligeoit de marquer quelque amitié, partageoit l’encens qu’elle croyoit n’estre dû qu’à elle seule. Elle estoit brillante, & par l’éclat de son teint, & par l’enjouëment de son humeur, & sa conversation aisée la faisoit rechercher par tout où l’on vouloit que la joye regnast. Ce fut assez pour faire peine à la Belle. La jalousie s’empara de son esprit, & si elle estoit forcée par bien-séance d’avoir pour elle quelques dehors obligeans, elle luy vouloit du mal dans le fond de l’ame, d’avoir un merite qu’on pust égaler au sien. Ainsi la regardant comme une Rivale qui luy disputoit l’empire de la beauté, elle supportoit impatiemment qu’on parlast d’elle avec avantage, & pour affoiblir le bien que l’on en disoit, elle luy trouvoit toûjours quelque défaut dont il falloit convenir si l’on avoit envie de luy plaire. Pleine de ces sentimens, elle s’appliquoit avec grand soin jusque dans les moindres choses, à ce qui pouvoit luy donner sur elle quelque préference, & comme si elle l’eust fort abaissée en prenant des airs de superiorité, elle ne vouloit luy ceder en rien. Son Amie, d’une humeur plus douce & moins chimerique, ne prenoit point garde à ses caprices, & continuoit à joüir sans trouble du plaisir d’estre estimée de tous ceux qui la voyoient. Un Cavalier, tres-distingué par un vray merite, parut commencer à prendre de l’attachement pour elle. La Belle dont la jalousie s’augmentoit de jour en jour, ne l’eut pas plutost appris, que regardant cet attachement comme un honneur dont elle n’estoit pas digne, elle résolut de luy enlever cette conqueste. Elle en vint à bout, en prenant pour le Cavalier des airs plus insinuans qu’elle n’avoit accoutumé d’en avoir pour ceux dont elle daignoit agréer les soins. Jamais triomphe ne luy fut plus doux. Afin de s’en mieux assurer la gloire, elle mit tout en usage pour engager fortement le Cavalier ; & comme il est difficile de se défendre contre des qualitez estimables, sur tout quand on cherche à plaire, elle aima autant qu’elle fut aimée. Cet amour tres-violent dans le Cavalier, & applaudi par la Belle, fit bien-tost dire par tout que c’estoit un mariage qui s’alloit conclurre. En effet, on poussa si loin les choses, qu’on attendoit seulement un Oncle pour en arrester le jour. Cependant le Cavalier se flata mal à propos. La Belle changea tout à coup pour luy, sans qu’il eust donné aucun sujet à ce changement. Son Amie en fut la cause. Un homme ayant deux fort belles Terres, & tenant un rang tres-considerable dans la Ville par la Charge qu’il y exerçoit, fut touché de ce qu’on luy dit de son humeur & de sa personne. Il voulut la voit, elle luy plut, & l’affaire ayant esté terminée en peu de jours, la Belle fut obligée de luy rendre sur son mariage, les complimens qu’elle en avoit receus sur le sien. Ce ne fut qu’avec beaucoup de chagrin qu’elle se fit cette violence. Elle la voyoit monter dans un rang qui ne pouvoit luy permettre de luy disputer le pas, si elle épousoit le Cavalier, & cette fâcheuse idée la frapa si vivement, que le regret de le perdre ne put l’emporter sur la honte qu’elle se faisoit d’avoir à ceder à la jeune Blonde. Le sacrifice luy fut dur à faire, mais enfin elle le fit, & ne voulant pas avouër son foible, elle se servit d’excuses peu recevables pour autoriser son changement. Le Cavalier les combatit quelque temps, & les mauvaises raisons qu’elle employa pour les soûtenir, luy paroissant venir d’un caprice, qui ne pouvoit estre que d’un fort mauvais présage pour le repos de sa vie, il la quitta pour ne la revoir jamais. Le secret dépit qu’elle eut du bonheur de son Amie ne dura que quelques mois. Aprés plusieurs partis refusez, un des premiers Magistrats de toute la Ville, luy fit demander si elle consentiroit qu’il songeast à elle. Il estoit vieux, de mauvaise humeur, & sujet à quelques maux assez dégoûtans pour une jeune personne. Elle se sentoit d’ailleurs incapable de l’aimer, mais en l’épousant, elle se mettoit au-dessus de cette Amie dont elle avoit envié l’établissement, & il ne fallut point de raison plus forte pour rendre sa réponse favorable. La perte du Cavalier, qui luy revenoit fort souvent dans la memoire, luy faisoit beaucoup de peine, & elle pouvoit d’autant moins étouffer l’amour qu’il luy avoit inspiré, que son cœur n’estant remply d’aucune tendresse pour celuy qu’elle épousoit, elle demeuroit toujours sensible au merite qui luy avoit fait souhaiter d’en estre aimée. Cependant le mariage se fit, & le plaisir de voir son Amie au dessous d’elle, la consola du desagrément d’avoir à passer de belles années avec un homme d’un âge extrêmement avancé, & rempli d’infirmitez. Ce plaisir ne laissa pas d’estre moderé par le violent dépit qu’elle eut de ce que le Cavalier, qu’elle aimoit toujours, & dont la rupture estoit entiere avec elle, conservoit beaucoup d’égards pour son Amie, qu’il n’avoit jamais cessé d’estimer, & qu’il alloit voir de temps en temps. Elle passa trois ou quatre années de cette sorte, pendant lesquelles il arriva de grands changemens dans la fortune de cet Amant dédaigné. Comme il avoit de puissans Amis, on luy donna part dans des affaires qui luy firent acquerir beaucoup de bien ; & par un enchaînement de bonheur, à quoy il n’avoit aucun sujet de s’attendre, il luy échut une succession tres-considerable, sur laquelle il estoit bien éloigné de compter, puis qu’il ne pouvoit l’avoir que par la mort de trois ou quatre personnes qui estoient encore dans une grande jeunesse. Differentes maladies les emporterent en deux ou trois mois sans qu’aucun laissast d’enfans ; & cette grande fortune venuë tout à coup, le mettant en pouvoir de s’élever, il crut ses Amis qui luy conseillérent d’acheter le Gouvernement de la Ville. Ce fut alors que la Dame qui n’avoit cherché à rompre avec luy, que parce qu’il ne pouvoit luy donner le rang qu’elle souhaitoit, se repentit mille fois d’avoir satisfait sa vanité aux dépens de son amour. Elle s’en vit bien punie, & elle le fut encore beaucoup davantage par ce qui arriva quelque temps aprés. Son Amie estant demeurée Veuve avec un assez gros bien, dés ce moment elle se mit dans la teste que le Cavalier songeroit à l’épouser. Son pressentiment se trouva juste ; le Cavalier commença à se montrer assidu auprés de la jolie Veuve, & comme en examinant son caractere, il ne découvrit en elle que des qualitez qui pouvoient contribuër à le rendre heureux, la premiere année de son deüil ne fut pas plutost finie, qu’il l’engagea à un second mariage. Le titre de Gouvernante avoit de quoy la flatter, & d’ailleurs le Cavalier estimé de tout le monde, meritoit par sa personne ce qu’elle faisoit pour luy. La Dame jalouse, ne put voir l’élevation de son Amie, qui luy paroissoit un abaissement honteux pour elle, sans laisser aller son dépit jusques à la rage. La contrainte qu’elle estoit obligée de s’imposer pour ne laisser pas appercevoir ce qu’elle sentoit, estoit un nouveau tourment pour elle. Sa santé en demeura alterée, & ne pouvant soûtenir l’image de ce qui s’offroit sans cesse à ses yeux, elle résolut de s’éloigner. Le besoin de changer d’air luy fut un prétexte favorable. Elle se retira dans une Terre où son Mary luy permit d’aller, & si l’on en croit ce qui se dit, elle est fort déterminée à ne plus paroistre dans un lieu où son ambition mortifiée la feroit souffrir incessamment.

[Histoire des Isles Marianes] §

Mercure galant, janvier 1700 [tome 1], p. 213-225

J'ay à vous parler de quelques livres nouveaux, & comme tout ce qui est curieux & édifiant vous fait plaisir, je vous diray que le Pere le Gobien Jesuite, vient de donner au Public l'Histoire des Isles Marianes, nouvellement converties à la Religion Chrestienne. [...]

Ces Peuples [...] se raillent agréablement les uns les autres, & font mille boufonneries pour se divertir. Ils aiment la Danse & la Poësie. Un Poëte passe chez eux pour un homme merveilleux. [...]

Ces femmes ont leurs assemblées & leurs parties de divertissement. Elles y viennent fort parées, si l'on peut donner le nom de parure aux bizarres ornemens dont elles se servent. Un de leurs plus grands plaisirs est de chanter les vers fabuleux de leurs Poëtes, ce qu'elles font avec un agrément & une justesse qui plairoit en Europe, car l'accord de leur voix est admirable.

[...]

[Premiere suite des Pieces d'Orgues du premier ton de Mr Marchand] §

Mercure galant, janvier 1700 [tome 1], p. 232-234.

Je n'ay pû vous envoyer encore les Airs que je vous ay promis de Mr Marchand, Organiste de Saint Benoist, des Cordeliers & des Jesuites. Je dirois encore de plusieurs autres Eglises, si cet habile homme pouvoit s'y trouver en même temps. Le Public, qui a reçu avec tant d'applaudissemens la premiere suite de Clavessin qu'il donna il y a quelque temps, sera sans doute ravi d'apprendre qu'il donne la premiere suite des Pieces d'Orgues du premier ton, & que pour tenir sa parole, elle sera incessamment suivie des autres, auxquelles il joindra une instruction pour le toucher du Clavessin, le mélange particulier des Jeux, & l'execution sur l'Orgue. Toutes ces Pieces se vendront chez l'Auteur.

[Choregraphie] §

Mercure galant, janvier 1700 [tome 1], p. 234-242.

Il y a un Livre nouveau intitulé, Choregraphie, ou L'art de décrire la Danse par caracteres & signes demonstratifs, avec lesquels on apprend facilement de soy même toutes sortes de Danses. Ce livre, composé par Mr Feüillet, Maistre de Danse, est un ouvrage tres-curieux, puis qu'il n'en a jamais paru de semblable, & tres-utile pour les personnes qui s'appliquent à la Danse, & particulierement aux Maistres à danser, tant de Paris que des Provinces, & des autres Royaumes, parce que par le secours des signes, qui y sont expliquez, on pourra facilement déchifrer toutes sortes de Danses, comme on dechifre les Airs de Musique notez. Cela se fait par le moyen de certains caractères qui démontrent par leurs figures, toutes les differentes actions que les jambes doivent faire.

D'abord on explique de quoy la Dance est composée, & les termes dont on se sert. Ensuite on fait connoistre le lieu où l'on dance, comme l'on doit s'y placer, & le chemin, ou la figure que l'on doit suivre en dansant, après quoy on designe la representation des pieds, & tous les differens endroits où l'on peut les poser en dansant, & l'on demontre le pas par une petite ligne qui est figurée, selon que la jambe marche droit ; & si la jambe forme un rond ou un arc de cercle en marchant, la figure de la ligne qui represente le pas est semblable.

On démontre aussi par de petits signes appliquez sur les pas, tous les differens mouvemens qu'on fait en dansant, comme de plier les genoux, les étendre, sauter, tourner le corps, &c.

Il y a des tables dans lesquelles on trouve les pas qui sont le plus en usage dans la danse, à costé desquels sont écrits leurs noms, avec leur explication, & la maniere dont ils doivent estre faits. Après cela on fait voir comme chaque pas a rapport à chaque mesure de l'air sur lequel ces pas sont composez, ce qui est noté en haut de chaque page où il y a la cadence écrite. On voit encore par des caracteres démonstratifs, tous les ports de bras, leurs differens mouvemens, & comme ils doivent accompagner les pas.

Il est aussi parlé de la batterie des Castagnettes, qui est marquée avec des notes de Musique sur une seule ligne, placée au dessous de l'Air noté en forme de partition ; le tout dans un ordre si bien expliqué que les personnes les moins éclairées pourront apprendre cette science d'elles-mêmes, & en fort peu de jours, en lisant ce Livre, & en cas qu'il s'y trouve quelque chose que l'on ne puisse aisément comprendre, l'Auteur se charge de l'expliquer gratis. Si on ne veut point s'assujétir à lire son livre, il s'engage de montrer parfaitement en moins de quinze jours, à déchiffrer toutes sortes de Danses, tant hautes que basses, & qu'il est si vray que cela est possible, que plus de cent cinquante Maistres à danser, & autres personnes, & qui s'en servent actuellement, n'y ont point employé un plus long temps.

L'Auteur a mis à la fin de ce Traité un Recueil de quantité de belles Entrées de Ballet, & autres Danses de sa composition. Il y en a qui sont propres pour des Maistres, & d'autres plus aisées, convenables à des Ecoliers déja avancez en cet exercice, tant pour une personne seule, pour deux, pour quatre, que pour huit, hommes & femmes.

Outre cela il a mis à la fin du Livre un autre Recueil de toutes les plus belles Danses de Bal les plus nouvelles, & celles qui ont le plus de cours. Le volume est un in quarto, rempli de plus de deux cens planches, & se vend dix francs. Le debit s'en fait à Paris chez l'Auteur, ruë de Bussy, Fauxbourg S. Germain, à la Cour Imperiale, & chez Michel Brunet, Marchand Libraire, dans la grande Salle du Palais, au Mercure Galant. L'Auteur avertit le Public qu'il fera graver à l'avenir toutes les nouvelles danses de Bal à mesure qu'elles se composeront. On les pourra envoyer dans une Lettre, comme on envoye un air de Musique noté. Chaque danse se donnera pour dix sols. Il promet dans peu de temps un Recuëil des plus belles Entrées de Ballet de la composition de Mr Pecour, pour homme & pour femme, soit pour une personne seule, soit pour plusieurs. Elles seront gravées fidellement selon l'intention de l'Auteur.

[Mort de Claude Joly, chantre et chanoine de l’église de Paris]* §

Mercure galant, janvier 1700 [tome 1], p. 276-280.

Messire Claude Joly, Chantre & Chanoine de l’Eglise de Paris, & Official de Mr l’Archevêque. Il est mort âgé de quatre vingt treize ans, ayant conservé une vivacité d’esprit & un jugement sain & entier jusqu’au dernier moment de sa vie. Il estoit infatigable au travail, & assidu à remplir tous ses devoirs, n’ayant jamais manqué depuis le 1. Decembre 1631. qu’il estoit Chanoine, à se trouver à tous les Offices de l’Eglise, même aux Matines qui se disent tous les jours à l’heure de minuit. Il estoit Fils de Mr Joly, Lieutenant de la Connestablie, & de N. Loisel, qui venoit d’Antoine Loisel, celebre & fameux Avocat, dont nous avons tant de beaux Ecrits. Mr Joly qui vient de mourir, a composé plusieurs Ouvrages, qui sont,

Traité historique des Ecoles Episcopales.

Propositions Chrestiennes pour le soulagement des Pauvres.

Voyage fait par luy à Munster en 1646.

Traduction des deux Livres de l’estat du Mariage, composez par François Barbaro, Noble Venitien.

Instruction Chrestienne pour les Financiers.

Avis Chrestiens & moraux pour l’instruction des Enfans.

La Veuve Chrestienne, dédiée à la Reine-mere défunte.

Divers Opuscules, tirez des Memoires de M. Antoine Loisel, Avocat au Parlement, son Ayeul maternel.

De Verbis Usuardi, quæ in Martyrologio Ecclesiæ Parisiensis referuntur, in festo Assumptionis B Mariæ Virginis.

Traditio antiqua Ecclesiarum Franciæ, seu totius Imperii Occidentalis, quæ in ipsius Martyrologio ad festum Assumptionis B. Mariæ Virginis referuntur, vindicata.

De reformandis horis canonicis, & rite constituendis Clericorum minoribus consultatio.

Il a compilé les œuvres de M. Guy Coquille, qui contiennent entre autres plusieurs Traitez touchant les Libertez de l’Eglise Gallicane. Il a encore fait la Vie d’Erasme, tirée sur ses Lettres, sur ses Memoires & sur plusieurs Ouvrages particuliers, Ce Livre n’est pas encore imprimé. On luy attribue divers autres ouvrages ; Le Recueil des Maximes veritables & importantes pour l’institution du Roy, Traité de la Restitution des Grands, &c.