1701

Mercure galant, juin 1701 [tome 8].

2017
Source : Mercure galant, juin 1701 [tome 8].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, juin 1701 [tome 8]. §

Portrait du Roy §

Mercure galant, juin 1701 [tome 8], p. 5-7.

Je ne doute point que le commencement de cette Lettre ne vous plaise, ouis qu’il renferme differentes Pieces à la gloire d’un Monarque qu’on ne peut jamais assez loüer. La diversité a de l’agrément en toutes choses, & où sera-t-elle mieux receuë que dans la matiere la plus noble qu’on puisse traiter ?

PORTRAIT DU ROY.

 Dans la Paix, dans la Guerre,
 Mortels, ne soyez pas surpris
 Des nombreux Exploits de LOUIS,
Il n’est point de Heros sur l’onde, sur la terre,
Qui puisse l’égaler dans ses faits inoüis.
Toute l’Europe en vain contre luy s’est tournée,
Il la combat cent fois, & luy donne la Paix.
 La Paix concluë, il détruit pour jamais
De l’imposteur Calvin la Secte empoisonnée,
Et pour comble de gloire un de ses Petits fils
 Unit par luy les Lions & les Lis.

Au Roy §

Mercure galant, juin 1701 [tome 8], p. 7-8.

AU ROY.

Dans l’Espagne, grand Roy, ton Petit fils commande,
Tes Sujets, tes Voisins en seront-ils surpris ?
Le Ciel gardant tes droits veut qu’à toy tout se rende ;
Un Roy t’a pour asile, un Sceptre en est le prix.

Aux Princes de l’Europe §

Mercure galant, juin 1701 [tome 8], p. 8-9.

AUX PRINCES
DE L’EUROPE,
Sur la réunion des Couronnes de France & d’Espagne sous Louis le Grand & Philippe V. son Petit fils.

Charles-Quint & son Fils avoient dans la cervelle
 La Monarchie Universelle.
Ce projet estoit vain, on le voit clairement,
  Mais il n’en est pas de même
 Du Roy Philippe cinquiéme,
 Il veut agir plus raisonnablement.
Il n’a d’autres projets que ceux de son Grand-Pere,
Qui n’ont que du solide, & rien d’imaginaire.
Quels sont-ils ces projets dont on s’allarme tant,
  Sans les sçavoir pourtant ?
 Ah ! qu’on s’apaise, on ne sçauroit se plaindre
Du Bourbon Espagnol, ny du Bourbon François.
 S’ils sont unis, ces deux grands Rois,
 Tant mieux, ce n’est que pour contraindre
Et les Peuples mutins, & les Rois inquiets,
À ne jamais troubler le regne de la Paix.

[Autres sur le Traité de Partage] §

Mercure galant, juin 1701 [tome 8], p. 10-11.

Sur le Traité de Partage des
Etats d’Espagne, signé par le Roy de France, par le Roy d’Angleterre, & par les Hollandois.

À raisonner plus je m’applique,
  Moins je comprens la politique
 De tous les Envieux du Roy.
Ils voudroient le contraindre à tenir le Partage
Qui met de grands Etats sous le joug de sa loy.
Est-ce donc que l’on veut le craindre davantage ?
 Car enfin dans l’estat present,
S’il se trouve assez fort pour estre redoutable,
 Que seroit-il, ce Monarque indomptable,
S’il devenoit plus riche & plus puissant ?

[Stances sur un Prix proposé] §

Mercure galant, juin 1701 [tome 8], p. 11-14.

STANCES SUR LE PRIX
proposé par Mademoiselle Dommaigné de Rochehuë, dans le Mercure Galant du mois de Février.

Dommaigné, ton Cartel merite qu’on y pense,
Puis qu’il marque à Louis ton fidelle devoir ;
Toutefois ce défi nous met au desespoir,
De Poëtes bien-tost il va priver la France.
***
Il faut un Apollon pour loüer nostre Roy.
 Ce Dieu seul peut dans chaque Stance
Décrire ses travaux & sa magnificence,
Ses rares qualitez, sa justice, sa foy.
***
Il n’est point parmi nous de Muse assez sublime,
Pour nombrer ses vertus, pour chanter ses hauts faits,
L’Eloquence ne peut fournir d’assez beaux traits
Pour peindre dignement ce Prince magnanime.
***
L’on compteroit plûtost les Etoiles des Cieux,
Les atomes de l’air, le sable du rivage,
Que de faire un détail de l’heureux assemblage,
Dont le Ciel a formé ce Heros glorieux.
***
 Le prix que ta Muse propose
Estant de l’Univers le plus illustre prix,
Je défie à mon tour les plus rares esprits
De pouvoir le gagner par leurs Vers, par leur Prose.
***
 Un si riche & vaste sujet
Epuisera toujours les plus fecondes Plumes ;
L’on peut bien entasser volumes sur volumes,
Sans pouvoir réussir dans ce hardy projet.
***
Enfin, docte Sapho, pour derniere disgrace,
Le Dieu des Vers paroist à nos yeux ébloüis,
Au milieu des neuf Sœurs il descend du Parnasse,
Pour recevoir de toy le Portrait de LOUIS.

[Dialogue entre la Verité, & l’Opinion] §

Mercure galant, juin 1701 [tome 8], p. 27-41.

Je vous envoyay le mois passé la description de l’Empire de l’Opinion. Le plaisir que vous a donné cette lecture m’oblige à vous faire part du Dialogue qui suit. Il regarde encore la même matiere.

LA VERITÉ.

Il faut que je vous l’avouë. Quand je vous voy, je ne puis m’empêcher de dire que la pluspart des gens sont foux.

L’OPINION.

Et pourquoy les traitez-vous si honnestement pour l’amour de moy ?

LA VERITÉ.

Parce qu’ils vous rendent les hommages qui me sont dûs.

L’OPINION.

C’est qu’ils trouvent plus de douceur avec moy qu’avec vous. Vous faites voir trop clair dans les choses, & la Verité n’est pas toujours bonne à voir. Vous estes belle & sans fard, il est vray ; vous meritez beaucoup ; mais vous effarouchez les gens par vos manieres austeres, & pour aller à vous, on trouve qu’il y a trop de chemin à faire. Pour moy, je suis plus commode ; aussi trouve-t-on mieux son compte avec moy.

LA VERITÉ.

Pour peu qu’on vous laisse parler, on vous entendra dire bien des choses ridicules ; car vous ne pouvez pas douter que ce que je né dis pas ne soit ridicule.

L’OPINION.

Je parle assez bien pour me faire entendre avec plaisir.

LA VERITÉ.

Et que pouvez-vous dire qui ne mene à l’erreur ? Y a-t-il rien de plus vain, de plus incertain, de plus trompeur, & qui conseille & juge plus mal que vous ? Mais comment cela ne seroit il pas ? La terre n’est-elle pas vostre vraye origine, & n’avons-nous pas nostre siege dans les sens ?

L’OPINION.

Vous avez beau dire, je passeray toujours pour la Reine du monde, quelque part que vous placiez mon Trône ; & avec tout vostre éclat, & vostre pompe, vous serez peu connuë. Vostre Empire ne s’étendra pas bien loin, & par quelque droit chemin que vous vouliez mener les gens, vous serez peu suivie, & pour trancher court, vostre regne n’est pas de ce monde.

LA VERITÉ.

Je vous en chasseray toujours, quelque autorité que vous vous y donniez, & tous vos défenseurs ne tiendront pas toujours contre moy.

L’OPINION.

Vous promettez beaucoup, & ne tiendrez guere. Comment venir à bout de ce grand dessein ? C’est bien à ce coup que la Verité est dans l’erreur ; car un regne de tous les siecles passez, & qui dure encore, n’est pas proche de sa fin, & je ne sçay quoy de veritable me dit dans l’ame, que je ne finiray qu’avec le monde.

LA VERITÉ.

L’Opinion se flate trop ; car n’estant que l’ombre & la vaine image de la Verité, elle n’est pas assez solide pour durer longtemps.

L’OPINION.

Toute ombre, & toute vaine image que vous m’appelliez, j’ay pris de trop fortes racines dans le monde pour en sortir. Mon pouvoir y est si grand, que j’ay même établi dans l’homme une seconde nature. D’un malheureux je fais un heureux, d’un malade, un sain ; d’un pauvre, un riche ; d’un fou, un sage ; d’un ignorant, un sçavant ; & quand je veux aussi je fais le contraire de tout cela ? Je vous laisse à penser si l’on me quittera pour aller à vous ; & puis pour vous atteindre où faut-il aller ? Voulez vous qu’on descende au fond d’un puits pour vous trouver, car c’est là que quelque Philosophe a dit que vous logiez ? Mais les tenebres font peur, & les hommes ne sont pas d’humeur à vouloir descendre si bas. Pour moy je me presente à eux facilement pour ne leur pas donner la peine de me chercher, je les connois, ils se rebutent du travail, & il faut avoir pitié de leur foiblesse. Ils sont contens de me posseder. Aussi voit on plus de Philosophes à ma suite qu’à la vostre, & s’il en est quelques uns qui vous trouvent, disons les choses telles qu’elles sont, ils passent plus de temps avec moy qu’avec vous. Il est vrai qu’alors ils croyent estre avec vous, & que tout l’honneur qu’ils me rendent, ils vous le rapportent ; mais enfin ils sont avec moy, & soutiennent mes interests, croyant défendre les vostres. Quoy qu’il en soit pourtant, ils sont mes Sujets, & moy leur Reine, & ils me suivent jusqu’à se quereller les uns & les autres pour l’amour de moy.

LA VERITÉ.

Ah ! que ce que vous me dites-là contre moy, me fait une grande compassion pour la folie des hommes ! Ils n’aiment donc que ce qui ne donne aucune peine, quelque vain & nuisible qu’il soit ? Ils ne sont donc pas hommes, c’est à dire, raisonnables, & s’ils ne sont pas hommes, que sont-ils donc ? Ignorent ils que toutes leurs démarches doivent tendre à moy, que le solide plaisir ne se trouve qu’avec moy ; & puis qu’ils aiment tant le plaisir, où doivent-ils le chercher qu’en ma compagnie ? Dans quelle ignorance croupissent-ils, s’ils ne connoissent pas la Verité, qui est plus ancienne dans le monde que l’Opinion ? car enfin le premier homme l’a connuë dés qu’il a commencé à vivre.

L’OPINION.

Il est vray, mais il n’a pas demeuré longtemps avec elle, & il s’en faut bien peu que je ne sois aussi ancienne que vous.

LA VERITÉ.

Et qu’estes-vous sans moy qu’une vieille erreur ?

L’OPINION.

Vieille erreur tant qu’il vous plaira, j’ay toujours des charmes nouveaux pour une infinité de gens, & peu se dégoûtent de moy. Vous avez beau lamenter, le monde ira toujours son train, me suivra, m’aimera, me soutiendra, & sera plus content de moy que de vous. Demeurez seule dans vostre puits, sur vos roches escarpées & inaccessibles, & ne prétendez pas me faire la guerre. Je vous vaincrois par le nombre de mes Soldats, qui égale presque celuy des hommes. La force de la Verité est grande, il est vray, mais celle de l’Opinion est bien étenduë. Croyez moy, ne perdez pas vostre temps à tâcher de m’enlever mes amans, & prenez garde que ceux que vous avez gagnez, se voyant seuls avec vous, ne desertent pour se retirer chez moy.

LA VERITÉ.

Toute Opinion que vous estes, vous estes Vérité en cela, & il faut à ce coup que la Verité trouve bon ce que dit l’Opinion. Ouy, je vois bien que l’homme sera toujours homme, puis que l’Opinion luy plaist mieux que la Verité, & qu’il prefere aveuglement & imprudement la facilité de trouver l’une, quelque vaine & ridicule qu’elle puisse estre, au solide & veritable plaisir de trouver l’autre, quelque belle & utile qu’elle soit. Je vous laisse donc ensemble. Adieu, vaine & nuisible Opinion.

L’OPINION.

Adieu, austere & incommode Verité.

LA VERITÉ.

Ouy, incommode aux fous, mais delicieuse aux sages.

[Elegie qui a remporté cette année le Prix de l’Academie des Jeux Floraux] §

Mercure galant, juin 1701 [tome 8], p. 41-50.

Je satisfais vostre curiosité en vous envoyant la Piece qui a remporté cette année le Prix de l’Academie des Jeux Floraux de Toulouse. Elle est de Mr de Baratet, Maire perpetuel de Villeneuve d’Agenois, qui écrit également bien en Prose & en Vers.

Ruisseaux qui murmurez, coulez sans violence ;
Zephirs, retenez-vous, Oiseaux, faites silence,
Vous qui redites tout dans vos antres secrets
Echos, n’y repetez que mes tristes regrets.
Dans les transports ardens d’un feu qui me devore,
Je pleure, je me plains d’un Berger que j’adore ;
Rien ne peut en amour égaler mes malheurs,
Je souffre, & je cheris l’objet de mes douleurs.
Seule, & libre des soins d’une amoureuse atteinte,
Sous un rustique toit je vivois sans contrainte,
Attentive à prévoir le moindre engagement,
Je n’avois point d’Ami pour n’avoir point d’Amant.
Comme un appas trompeur je regardois l’estime,
L’amour comme un poison, ses douceurs comme un crime,
Pour objet de mes soins, pour mon unique bien,
Je n’avois qu’un troupeau, ma houlette & mon chien.
Silvandre, des Bergers autrefois le plus sage,
Conduisoit ses moutons dans le même Boccage,
Et j’y voyois souvent paistre nos deux Troupeaux,
S’égayer, se mêler, boire aux mêmes ruisseaux.
Je voyois ce Berger avec des soins fidelles
Démêler ses brebis & marcher aprés elles ;
Maistresse de mon cœur, contente de mon sort,
J’évitois ses regards, je fuyois son abord,
Mais des loix du Destin qui pourroit se défendre ?
L’Indifferente Iris devoit aimer Silvandre,
Silvandre luy jurer d’éternelles amours,
L’adorer pour un temps, la quitter pour toûjours.
Ce Berger animé d’une flame secrette
Me suivit, m’attaqua jusques dans ma retraite.
Mille petits Amours, mille innocens Plaisirs,
Les Graces & les Jeux secondoient ses desirs.
Je sentis de ses traits ma pudeur allarmée,
Il m’aimoit tendrement, je voulois estre aimée,
Et le subtil poison d’un mal contagieux
Se glissa dans mon cœur & parut dans mes yeux.
Ma raison fut bien-tost soumise à ma tendresse,
Une douce langueur découvroit ma foiblesse,
Et mon ame oubliant sa premiere rigueur
Ne fit plus un secret du nom de son vainqueur.
Amour ! cruel Amour ! quand un cœur rend les armes,
Pourquoy tant de douceurs, de plaisirs & de charmes,
Si dans un seul moment ton caprice détruit
Le bonheur le plus doux que tes traits ont produit ?
À peine mon Berger connut-il ma défaite,
Qu’il tourna ses desseins du costé de Lisette.
Tous les jours dans nos champs je l’entens, je le voy,
Soupirer auprés d’elle & vivre sous sa loy.
Je le voy tous les jours, ce Berger infidelle,
Suivre les mouvemens d’une flame nouvelle,
Et ce cœur qui parut si sensible à mes traits,
N’est pas même touché de mes tristes regrets.
Il voudroit m’éviter, l’inconstant, le volage,
Il me fuit, je le suis de bocage en bocage.
Si l’ingrat quelquefois se dérobe à mes yeux,
Mon cœur, mon tendre cœur, le rencontre en tous lieux.
Ces costeaux, ces valons, cette aimable verdure,
De mes plaisirs passez retracent la peinture,
Ces arbres, ces ruisseaux sont des témoins presens,
Du sujet de ma honte & des maux que je sens
Malheureuse Bergere, infortunée Amante !
Mon bonheur est passé, ma disgrace est presente.
Tendres & doux transports qu’estes-vous devenus
Dans le cœur d’un Berger qui ne me connoist plus ?
Destin trop rigoureux, par quel ordre severe
Devois-je aimer Silvandre & devois-je luy plaire,
Si le même penchant qui nous unit si bien,
Devoit vivre en mon cœur, & mourir dans le sien ?
Helas ! il me juroit une constance extrême.
L’ingrat en aime une autre, & luy parle de même.
Ah ! se peut-il flater que quelque Dieu vangeur
Ne prétende punir le crime de son cœur ?
Mais pourquoy murmurer des tourmens que j’endure ?
Je me plains d’un Berger infidelle & parjure,
Et je ressens, helas, dans un profond ennuy
Que je suis mille fois plus parjure que luy
J’avois cent fois juré de n’aimer de ma vie,
De ne former des vœux que pour ma Bergerie.
Perfide à mon Troupeau, n’ay-je pas en aimant,
Et faussé ma promesse, & rompu mon serment ?
D’un Berger inconstant victime déplorable,
Je déteste un forfait dont je me sens coupable,
Mais s’il est des tourmens pour qui manque de foy,
Je n’ay que trop subi la rigueur de la loy.
Que deux crimes égaux ont un effet contraire !
Je quitte mon troupeau, Silvandre sa Bergere,
Mon troupeau vit sans moy, ressent peu mes rigueurs,
Silvandre m’abandonne, & loin de luy je meurs.

Avis aux gens de Lettres §

Mercure galant, juin 1701 [tome 8], p. 50-65.

Je remis le mois dernier à vous parler de la nouvelle Societé de Sçavans, qui fait grand bruit dans l’Empire des Lettres, & dont, selon toutes les apparences, elles doivent tirer de grands avantages. Je croy ne vous en pouvoir mieux instruire qu’en vous envoyant l’Ecrit suivant, qui a esté donné au Public.

AVIS AUX GENS
DE LETTRES.

Son Altesse Serenissime, Monsieur le Duc du Maine, a souhaité qu’il s’imprimast chaque mois dans la Ville de Trevoux, des Memoires pour l’Histoire des Sciences & des beaux Arts, & voicy le plan sur lequel ce Prince a ordonné de travailler, à ceux qu’il a bien voulu choisir pour l’execution de son dessein.

I. Ces nouveaux Memoires doivent contenir des extraits de tous les Livres de Science imprimez en France, en Espagne, en Italie, en Allemagne, & dans les Royaumes du Nort, en Hollande, en Angleterre & ailleurs. Ceux que le Prince a chargez de ce travail, sont en estat d’avoir des correspondances dans tous les lieux où il s’imprime des Livres. Comme ces Memoires ne commencent qu’avec le Siecle, on n’y parlera que des Livres qui auront esté imprimez dans le Siecle nouveau, ou qui estoient encore nouveaux quand le Siecle a commencé.

II. Personne, ordinairement parlant, n’est capable de faire mieux l’extrait d’un Livre que celuy qui l’a composé, & d’ailleurs un Auteur pourroit craindre quelquefois qu’un autre faisant l’extrait de son Livre, ne le fist pas parler & penser aussi-bien qu’il croiroit avoir fait. Ceux donc qui voudront faire eux mêmes les extraits de leurs Ouvrages, n’ont qu’a les faire tenir aux Auteurs des Memoires. On promet de les y inserer tels qu’ils les envoyeront, aprés cependant qu’on les aura comparez avec les Ouvrages mêmes, pour s’assurer que ces extraits sont fidelles. On juge cette précaution necessaire, parce qu’un Auteur ne remplit pas toujours dans son Ouvrage l’idée qu’il s’en est formée, & qu’il en donne dans une Preface.

III. Comme ceux qui doivent composer les nouveaux Memoires, ont des habitudes avec un grand nombre de personnes habiles en toute sorte de sciences, & qu’ils auront en peu de temps des correspondances établies dans toutes les parties du monde où l’on cultive les Lettres, ils esperent par ce moyen donner souvent au Public des Pieces manuscrites de Critique, des explications de Medailles curieuses ; de nouveaux éclaircissemens sur des passages de l’Ecriture Sainte ; des découvertes qui regardent la Physique, la Medecine & les Mathematiques ; quelque nouveau Phenomene ; quelque Machine nouvellement inventée, &c. Ainsi les personnes habiles en chaque genre de sciences, trouveront toutes de quoy se satisfaire dans ces nouveaux Memoires.

IV. Ces Memoires comprendront encore toutes les nouvelles des Lettres, par exemple, la mort des personnes distinguées par leur science, supposé qu’ils ayent imprimé quelque chose ; les changemens qui se font dans les Academies & dans les Universitez ; les differends qui naissent entre les Sçavans, si ces differends sont de quelque consequence, & meritent qu’on en fasse part au Public.

V. En apprenant au Public la mort des Sçavans, on y joindra le récit de leurs principales occupations, & des plus considerables actions de leur vie. L’Histoire des Lettres doit cette marque de reconnoissance à la memoire de ceux qui les ont cultivées ; & on est persuadé que leurs Amis aideront volontiers à leur rendre ce dernier devoir, par les instructions qu’ils voudront bien fournir sur ce sujet.

VI. Dans les contestations qui s’élevent souvent entre les hommes de Lettres sur les matieres de science, les Auteurs des Memoires ne prendront jamais aucun parti : & ils ne feront alors qu’un simple exposé de ce qui s’écrira de part & d’autre, retranchant cependant ce qu’il pourroit y avoir d’aigre & d’injurieux dans ces écrits. Ils observeront aussi la même neutralité dans tout le reste, excepté quand il s’agira de la Religion, des bonnes mœurs, ou de l’Etat, en quoi il n’est jamais permis d’être neutre. Un Ecrivain qui fait des Memoires est proprement un Historien. Ainsi pour demeurer plus constamment dans les bornes d’une parfaite neutralité si necessaire aux auteurs de ce caractere, on évitera également, & ce qui pouroit offenser, & les louanges affectées des Ouvrages & des Ecrivains.

VII. On inserera aussi dans les nouveaux Memoires le dessein & les projets de certains ouvrages, lorsque les Sçavans jugeront à propos de les communiquer, soit pour pressentir le jugement du Public, soit pour engager ceux qui auroient sur les mêmes sujets des lumieres particulieres, à leur en faire part.

VIII. Quand on a sur des points de doctrine des difficultez qu’on ne sçauroit résoudre, on peut par le moyen de ces Memoires consulter à la fois tous les Sçavans de l’Europe, & en recevoir en peu de temps les éclaircissemens dont on a besoin. Cette correspondance de tous les hommes de Lettres les uns avec les autres, si aisée à établir & à conserver, peut infiniment servir à la perfection des Sciences.

IX. Pour faciliter le commerce entre les Sçavans & les Auteurs des Memoires, Monsieur le Duc du Maine veut bien qu’il y ait dans l’Arsenal sous l’horloge, une boëte pour recevoir les memoires particuliers de chaque chose, qu’on jugera devoir entrer dans cet Ouvrage. On les mettra tous en œuvre, si l’on trouve qu’ils le meritent, & qu’ils ne contiennent rien contre les regles que l’on s’est prescrites. Il n’importe en quelle langue ils soient écrits, on prie seulement qu’ils soient courts ; autrement on ne les pourra mettre qu’en extraits.

X. Pour la matiere des Memoires manuscrits que chacun pourra communiquer, c’est ce qu’on a dit ci-dessus, & generalement tout ce qui peut contribuer à satisfaire la curiosité des gens de Lettres. Par cette raison on a cru pouvoir donner à cet Ouvrage le titre de Memoires pour l’Histoire des Sciences & des beaux Arts.

XI. Si quelqu’un trouvoit ce plan défectueux en quelque point, il fera plaisir d’en avertir & de marquer ce qu’il jugeroit qu’on dût y ajoûter pour le rendre plus parfait. Ceux qui le doivent executer n’ayant en vuë que de le rendre le plus utile qu’il se pourra, sont dans la disposition de profiter des avertissemens qu’on voudra bien leur donner sur ce sujet.

Ces Memoires se distribuent à Paris chez Jean Boudot Imprimeur ordinaire du Roy & de l’Academie Royale des Sciences, ruë S. Jacques au Soleil d’or, prés S. Severin.

Tout ce qu’on pourroit dire à l’avantage de cet établissement, le feroit bien moins comprendre, que l’Avis que vous venez de lire. Plus les Ouvrages de cette nouvelle & sçavante Societé seront avantageux au Public, plus son établissement sera glorieux à Monsieur le Duc du Maine. L’on peut dire que ce Prince est universel. Il est brave, il a de tres-grandes connoissances du métier de la guerre. Il aime les beaux Arts, & il n’ignore rien de ce qui regarde les belles Lettres, dont il cherche à procurer la gloire & l’avancement ; & le nouvel établissement qu’il vient de faire en est une preuve incontestable. Il n’y a point à douter que cet établissement ne réussisse de plus en plus, puis que Mr de Malezieu, qui a l’honneur d’estre Chancelier de ce Prince dans sa Souveraineté de Dombes, & qui aime les Arts & les belles Lettres, y fera executer ses volontez avec autant de vigueur que de plaisir, & cherchera même de nouveaux moyens pour faire fleurir les Arts & les Sciences dans cette Principauté.

[Madrigaux] §

Mercure galant, juin 1701 [tome 8], p. 65-71.

Voicy plusieurs petites Pieces de Vers sur divers sujets, qui meritent bien que vous les voyiez. La premiere est de Mr Dader, sur la naissance du Fils de Mr le Marquis de Montaigut, Procureur General au Parlement de Toulouse, qui depuis huit ans de mariage n’avoit pû avoir d’Enfans.

MADRIGAL.

Avant que le Printemps nous presente ses fleurs,
 Il nous les fait beaucoup attendre,
 Et le Ciel pour nous mieux surprendre,
Nous differe souvent ses plus rares faveurs !
Vous desiriez un Fils, & vous l’avez vû naistre,
Mais avec des attraits qui peuvent tout charmer,
 Ce qui nous fait assez connoistre
Que le Ciel travailla longtemps à le former.

Les Vers suivans ont esté envoyez par Mr Alison à Mr de … qui s’estoit plaint à luy des trop longues rigueurs de sa Maistresse.

 Vous vous plaignez, Damon, de ce que Celimene
Depuis plus de deux ans possede vostre cœur,
Sans qu’elle ait adouci vostre amoureuse peine
  Par la moindre faveur.
Vostre sort, je l’avoüe, est triste & déplorable,
 Mais vous en serez plus heureux,
Si cette Belle un jour cesse à vos tendres vœux
 De se montrer inexorable.
 Un Amant qui fut miserable,
 Et dont on a récompensé les feux,
Trouve l’objet aimé mille fois plus aimable ;
L’estime redoublant, il est plus amoureux.

Ce Madrigal a esté fait en faveur de la belle Mademoiselle Chartier.

 Je ne vous connois que d’un jour,
 Et je sens pour vous de l’amour,
 Un charme secret m’y convie,
 Et je vois bien que c’est un sort
 Qui fait que l’on aime d’abord
Ce que l’on doit aimer le reste de sa vie.

Mr Chaleil de Saugues est l’Auteur de cet autre Madrigal.

 Quand par dessein ou par hazard
Vous jettez sur un autre un tendre & doux regard,
 Tout à coup mon ame est saisie
 D’une si forte jalousie,
Que mon cœur se repent dans ce cruel moment
 De vous aimer trop ardemment ;
Mais que ce repentir est de courte durée !
 À peine, Iris, me dites-vous,
Que c’est à tort que mon cœur est jaloux,
Que d’un si noir soupçon mon ame est delivrée.
Voyez quel fort empire ont sur moy vos appas
 Par cette marque de foiblesse,
Et connoissez enfin l’excés de ma tendresse ;
  Mais n’en abusez pas.

Mr Tesson a fait les paroles qui suivent pour estre mises en Air.

 Rossignols, qui dans ce bocage
  Chantez tous les jours
Vos tendres amours,
Apprenez à Tircis vostre amoureux langage.
 Faut-il que son timide cœur
Brûle toujours pour moy d’une inutile ardeur ?
Helas ! si comme vous il souffre le martire,
Que n’apprend-il comme vous à le dire ?

Voicy d’autres Vers qui ne sont pas moins propres à mettre en Chanson.

Quand les Frimats viennent de ces beaux lieux
 Chasser Zephire & Flore,
Je vois disparoistre à mes yeux
 La Beauté que j’adore ;
Mais son absence & l’hiver rigoureux,
Loin de glacer mon cœur, en redoublent les feux.

[Le nouveau Democrite, ou les Delassemens d’esprit] §

Mercure galant, juin 1701 [tome 8], p. 83-85.

Vous me demandez des nouvelles du Livre intitulé, Le nouveau Democrite, ou Délassemens d’esprit, qui se vend depuis peu chez le Sieur Brunet, dans la grande Salle du Palais, à l’Enseigne du Mercure Galant. On assure que ce Livre est dans le goust des Amusemens serieux & comiques, & comme des personnes d’esprit, & qui ont accoutumé de juger sainement des choses, le publient, on doit présumer qu’il est fort divertissant, & rempli de bonnes choses. Je connois des gens dont les décisions sont toujours justes, & qui en ont lû quelques Chapitres, où ils ont trouvé beaucoup de sel & de vivacité, des peintures fort agreables, & des caracteres bien touchez. Comme l’Auteur louë moins qu’il ne blâme, cet Ouvrage doit avoir du debit, & il paroist qu’il y a plusieurs portraits d’aprés nature, où il ne fait pas voir les hommes de leur beau costé. Il n’y a rien dans l’homme qui ne soit utile. Les belles qualitez de ceux qui en ont, enseignent le chemin du merite & de la vertu, & donnent de l’émulation pour les imiter ; & leurs defauts vivement representez, font faire des reflexions à ceux qui reconnoissant en eux-mêmes ce qu’on leur montre dans les autres, sont portez quelquefois par là à chercher les moyens de s’en corriger.

[Le Capricieux] §

Mercure galant, juin 1701 [tome 8], p. 85-86.

Le même Libraire qui debite le Democrite nouveau, vend une Comedie intitulée Le Capricieux. Il y a déja quelque temps qu’elle a esté representée. On ne sçauroit dire avec quel succés, puis qu’elle a reçu beaucoup de loüanges des uns, & qu’elle a esté fort critiquée par les autres. L’Auteur a fait une Préface tres-ingenieuse là dessus, & qui merite l’approbation de ceux qui jugent sans prévention.

À l’heureuse Memoire de Magdeleine de Scudery §

Mercure galant, juin 1701 [tome 8], p. 86-90.

En vous apprenant le mois dernier la mort de Mademoiselle de Scudery, j’oubliay de vous dire en vous parlant de Mr de Scudery, son Frere, qu’il estoit fameux par beaucoup d’excellens Ouvrages, qui luy avoient fait meriter une place dans l’Academie Françoise, où cette illustre Fille remporta le Prix de l’Eloquence en 1671. Elle avoit dédié ses Conversations de Morale au Roy, qui en 1683. l’avoit gratifiée d’une Pension de deux mille livres. Elle est enterrée dans l’Eglise de Saint Nicolas des Champs. Mr de Vertron a fait son Epitaphe en Latin, pour estre gravée sur son Tombeau. Voicy la version qu’il en a faite en faveur de ceux qui n’entendent pas cette Langue.

À l’heureuse Memoire
DE MAGDELEINE DE SCUDERY,

Qui
En pudeur, en fidelité, en esprit,
En pieté, & en grandeur de courage,
Trouvera à peine son égale.
Animée d’une chaste pudeur,
Elle fleurit, comme le lis parmi
les épines.
Excitée par sa fidelité,
Ce fut un Soleil,
Dont les rayons & les feux
se répandirent sur les Amis.
Soûtenuë par sa pieté,
Semblable à une Aigle,
Elle s’éleva au dessus de la terre,
Pour prendre son essor vers le Ciel.
Illustre par son esprit,
Elle brilla entre nos Muses,
Et merita d’estre appellée
la sapho de la france.
Munie de la grandeur de son courage,
Elle surmonta les foiblesses du corps,
En invicible Heroïne.
Triomphant de l’adversité,
Elle demeura inébranlable,
De même qu’un rocher au milieu
des flots.
Les douleurs les plus aiguës
Ne trouvérent en elle qu’une Amazone
Chrestienne.
Elle fut l’honneur de l’un & de l’autre
siecle,
Le precedent la vit naistre,
Helas ! celui-ci a esté le triste témoin
de sa mort :
Elle ne devoit jamais mourir,
Mais il n’y avoit point d’autre chemin
à l’Immortalité.
Cette illustre Fille mourut le 2.
du mois de Juin,
Agée de 94 ans.
L’An de Grace M. DCCI.

[Diverses pieces sur la mort de la même] §

Mercure galant, juin 1701 [tome 8], p. 90-94.

Voicy quelques autres pieces sur la mort de cette Illustre personne. La premiere est de Mr Marcel.

MADRIGAL.

Enfin Sapho n’est plus ! ouy, la
Mort & le Temps,
 Ces Deïtez qui n’épargnent personne,
Soit l’homme de neant, ou la teste à couronne,
De cette illustre Fille ont terminé les ans.
L’un & l’autre jaloux de sa solide gloire
Et de son grand sçavoir ; & de ses pures mœurs,
Pour en rompre l’accord l’accablant de douleurs,
Ont montré ce que peut leur fureur la plus noire.
Mais le Ciel qui pour elle en tout sçut éclater.
Et qu’à son tour elle prit soin de suivre,
En depit de la mort l’eust toûjours laissé vivre,
N’estoit qu’il faut mourir pour pouvoir y monter.

Le même Mr Marcel à envoyé cet autre Madrigal à Mademoiselle Lheritier, à l’occasion de cette mort.

 Pour ton incomparable Amie,
À voir couler tes pleurs, ton deüil n’est pas petit,
Ah, tu la dois ainsi pleurer toute ta vie,
 Puisqu’elle t’a fait en partie
 Heritiere de son esprit.

Mr Moreau de Mautour estoit trop amy de Mademoiselle de Scudery pour s’estre teu dans cette rencontre. Les Vers suivans sont de luy.

Ciel, de trop de rigueur sans cesse je t’accuse,
De ravir Scudery, cette dixiéme Muse.
La Parque de sa vie a terminé le cours,
Et sa perte me cause une juste tristesse.
À la France elle a fait plus d’honneur en nos jours
Que Sapho n’en a fait autrefois à la Grece.

Les Muses Latines ont aussi voulu faire honneur à Mademoiselle de Scudery. Mr l’Abbé le Houx les a fait parler ainsi.

Pro annosissima Sibylla Domina
 DE SCUDERY ;
 De Parnasso bene merita,
EPITAPHIUM.
Erepta est Sapho æternis socianda Camœnis,
 Ut quæ homines cecinit, nunc canat ipsa Deos.
ALIUD.
Sidus Apollineum extinctum est ; plorate, Sorores,
 Condupliea lacrimas tu quoque, Pinde duplex.

[Distiques] §

Mercure galant, juin 1701 [tome 8], p. 94-95.

Je ne puis m’empêcher d’ajoûter icy un autre Distique en la même langue sur l’élevation de Mr l’Abbé Bignon à la dignité de Conseiller d’Etat. Quelques honneurs que le Roy puisse répandre sur luy, on l’en trouvera toûjours tres-digne.

Qui Musis socius, pandit secreta Minervæ,
 Dignus consiliis Solis adesse fuit.

Vous sçavez que Mr de Vauban a esté élu President de l’Academie des Sciences. Cette élection a donné lieu à ce Quatrain.

LOUIS, l’appuy des beaux Arts,
Montre assez qu’il les conserve,
Elevant un Fils de Mars
Sur le Trône de Minerve.

Sur le temps. Ode §

Mercure galant, juin 1701 [tome 8], p. 95-103.

Je vous ay déja parlé de Madame de Malenfant, à l’occasion du Prix du Soucy qu’elle remporta l’année passée aux Jeux Floraux de Toulouse, par une Elegie où elle regrettoit la mort de Madame Coulet de Beaumont, son intime Amie, & Dame d’un rare merite. Elle a remporté cette année le Prix de l’Amarante par le jugement de la même Academie, & c’est par cette Ode qu’elle a surpassé tous ses concurrens.

SUR LE TEMPS.
ODE.

Au plus haut sommet du Parnasse
Je prens un essor glorieux,
Et plein d’une nouvelle audace
Je vay parler comme les Dieux.
Le noble transport qui m’anime,
Me fait chanter d’un ton sublime
Le Temps, & ses progrés divers.
Quel vaste sujet à décrire !
Je découvre que son Empire
Est aussi vieux que l’Univers.
***
Déja brille le premier âge ;
Je vois du tenebreux Cahos
Sortir le magnifique Ouvrage
Des Cieux, de la terre & des flots.
Instrument du pouvoir immense,
Le Temps suit, soutient & dispense
Des Saisons le rapide cours,
Et par un mouvement utile,
Il sçait dans sa route fertile
Mourir & renaistre toujours.
***
Tous les ans la plaine se dore,
La Vigne étale ses tresors,
Le triste Hiver, l’émail de Flore,
Du Temps distinguent les accords.
Son secours bienfaisant prépare
Les biens que dans son sein avare
La Terre renferme & produit.
Artisan, qui n’as point de tréve,
Par toy tout commence & s’acheve,
Tout se forme, & tout se détruit.
***
Que la Beauté mene à sa suite
L’aimable troupe des Plaisirs,
Et que son attrait nous invite
À luy consacrer nos desirs.
Elle a beau marquer ses conquestes
Sur les plus orgueilleuses testes,
Et triompher de tous les cœurs ;
Bien tost en proye à des allarmes,
Du Temps qui ternit tous ses charmes,
Elle éprouve les traits vainqueurs.
***
Quels changemens marquent sa course !
Par luy seul les hommes épars,
Depuis le Midy jusqu’à l’Ourse,
Elevent de hardis rempars.
Sous ses auspices s’établirent
Ces pompeux Etats qui fleurirent
Dans la celebre Antiquité ;
Et victimes du même Maistre,
À peine laissent-ils paroistre
Des restes de leur majesté.
***
On marche aujourd’huy sur les herbes
Qui couvrent les faistes fameux
De tant d’édifices superbes,
De l’orgueil enfans somptueux.
Les plus brillantes destinées,
Contre le tiran des années
Vous promettoient un vain secours.
Heros, que la vertu couronne,
Sans le nom que le Pinde donne,
Vos faits auroient suivi vos jours,
***
Mais quelle ardeur vive & pressante
Ranime & saisit mes esprits !
Quelle matiere ébloüissante
Vient s’offrir à mes sens surpris !
O Temps ! ce n’est point à la gloire
Des Heros qu’a vanté l’Histoire
Que tu dois ton plus bel éclat.
Rien ne surpasse les prodiges
Dont marque tes plus beaux vestiges
Un grand & pieux Potentat.
***
Aussi tost destructeur que pere
Des heures, des jours & des ans,
Tu fais que d’une aile legere
Loin de nous volent les instans.
Dans le canal qui la renferme,
L’eau sans relâche vers son terme
Roule d’un cours précipité.
Ainsi d’une égale vitesse
Les momens se creusent sans cesse
Un tombeau dans l’éternité.
***
Quelle horreur, quels feux, quel tonnerre !
Hors de moy, plein d’étonnement
Du débris entier de la Terre,
J’envisage l’affreux moment.
Ces beaux liens, ces simpaties
Qu’on voit en toutes ses parties,
Tout, sans retour, se brisera,
Et dans les éternels abismes,
Temps, avec tes propres victimes,
Ton regne à jamais se perdra.

[Epistre à Madame de Malenfant] §

Mercure galant, juin 1701 [tome 8], p. 103-109.

Il me seroit inutile de vous dire que Madame de Malenfant est une Dame qui a beaucoup d’esprit & de sçavoir. Vous le connoissez par ses ouvrages. Elle est Fille de Mr Chaluet, Conseiller au Parlement de Toulouse, & Veuve de Mr de Malenfant, Juge-Mage & President de Pamiers. Mr de Malenfant, Fils de cette sçavante Dame exerce aujourd’huy avec beaucoup de distinction, cette même Charge de President de Pamiers qu’avoit feu Mr son Pere. Mr S. de Toulouse, touché de la beauté de cette Ode victorieuse, a envoyé cette Epistre à Madame de Malenfant sur l’avantage qu’elle a remporté.

À MADAME
DE MALENFANT.

Telle que Lheritier, telle que Deshoulieres,
Malenfant, vous brillez par des talens divers,
On admire par tout vostre Prose & vos Vers,
Dont les expressions fines & regulieres
Gagnent la voix des plus doctes Experts.
***
Tout sent de vos Ecrits la feconde énergie,
 Un Soucy plein d’attraits
 Qui ne se flêtrira jamais,
 Fut le prix de vostre Elegie,
Où l’amitié triomphe en de charmans regrets.
***
Vous remportez encore une riche Amarante,
 Par une Ode fine & brillante ;
Le Temps, dont vous venez d’y faire le Tableau,
Respectera toujours un Ouvrage si beau.
***
Dans vos productions Apollon vous inspire,
De ses plus belles fleurs vous composez leur miel.
Qu’il est doux d’occuper une élegante Lyre
 À chanter Louis & le Ciel.
***
Louis est moins l’effroy que l’amour de la Terre,
 Qu’il nous prépare de bienfaits !
Tantost vous le peignez triomphant dans la Guerre,
 Tantost l’Arbitre de la Paix.
***
Quand vous nous faites voir sa clemence, sa gloire,
 L’équité de tous ses projets,
Son amour paternel qu’éprouvent ses Sujets,
Et mille autres vertus qu’on aura peine à croire,
Vous nous éblouissez de faits prodigieux ;
 Jamais la Fable ny l’Histoire
Ne porterent si haut leurs Heros ny leurs Dieux.
***
Tout ce qui part de vous devient inimitable ;
Vous écrivez beaucoup en peu de mots.
Vous mêlez finement l’utile à l’agréable,
 Et vous dites tout à propos.
***
Vos Ouvrages pieux n’ont rien qui ne ravisse.
Ils raniment l’esprit d’un Chrestien abattu ;
Ils ont l’art d’inspirer de l’horreur pour le vice,
 Et de l’amour pour la vertu.
***
En quelque genre où vostre esprit s’exprime,
 Vous enchantez également ;
Le mediocre, ainsi que le sublime
Vous doivent tout leur agrément.
***
 Vostre charmante Poësie,
 Digne des plus sçavans honneurs,
Donne un nouvel éclat à la Troupe 1 choisie,
Qu’une Etoile conduit au Temple des neuf Sœurs.

Air nouveau §

Mercure galant, juin 1701 [tome 8], p. 119-120.L'attribution à Mlle Bataille est due au commentaire suivant la publication du deuxième air de la livraison (p. 385) : En vous disant que les paroles du premier Air que j'ay employé dans cette Lettre, sont de celuy qui ne prend jamais que le nom de Tamiriste, j'ay oublié d'ajoûter qu'elles ont esté mises en Air par Mademoiselle Bataille, qui à l'âge de dix-sept ans, possède parfaitement la Musique & le Clavessin & qui a la voix tres jolie. A treize ans, elle fit un petit divertissement qui a pour titre Narcisse, & qui a esté extrément applaudy de tous les Connoisseurs. Je vous ay a [sic] déja parlé d'elle dans quelqu'une de mes Lettres. Elle est Fille d'une Mere qui est aussi fort sçavante en Musique.

L'Auteur des paroles de l'Air noté que je vous envoye, est celuy qui ne se fait conoistre que sous le nom de Tamiriste.

AIR NOUVEAU.

Allez, charmant Nectar, en faveur de mes peines,
Couler dans les aimables veines
De l'adorable objet qui cause ma langueur.
Quel seroit, helas ! mon bonheur,
Si comme vous, trop heureux que vous estes,
Je pouvois quelque jour par des routes secretes
Trouver le chemin de son cœur !
images/1701-06_119.JPG

[Diverses pieces sur la mort de Monsieur] §

Mercure galant, juin 1701 [tome 8], p. 121-127.

Comme j’ay beaucoup de choses à vous dire touchant tout ce qui s’est passé depuis la mort de Monsieur, & le nombre de particularitez dont je suis obligé de m’informer pour un article si long & si considerable, ne demandant pas moins de temps que de soins pour les recherches qu’il faut faire, cet Article ne peut estre prest que pour estre placé vers la fin de cette Lettre. Ainsi je me trouve obligé, non seulement de mettre icy des Vers touchant la mort de ce Prince, qui devroient suivre ce que vous attendez que je vous en dise, mais aussi quelques Articles de faits éclatans, qui sont arrivez depuis. Celuy de la reception de Mrs de Malezieu & de Capistron à l’Academie Françoise, est de ce nombre. Elle devoit estre faite le jour que S.A.R. mourut, & Mrs de l’Academie, par une prudente deliberation, faite dans le moment que ces deux nouveaux Confreres alloient estre reçus, la remirent à la huitaine. Voicy les Vers dont je viens de vous parler. Les premiers sont de Mr Mallement de Messange.

AU ROY,
Sur la mort de Monsieur.

Grand Monarque, arrestez les torrens de vos yeux,
Calmez cette douleur qui redouble la nostre,
Ce Frere incomparable est allé dans les Cieux,
Y prendre une Couronne, & proteger la vostre.
***
Prés de vous il goûta des jours heureux & doux.
De plus heureux encor là-haut doivent l’attendre.
C’estoit l’unique endroit, où ce cœur grand & tendre
Pust se trouver content, vivant absent de vous.
***
La mort sçait quelquefois embellir ses alarmes.
Quiconque, en vous voyant, a pû sentir les charmes
Et de vostre presence, & de vostre pouvoir,
***
Doit cherir du Trépas la faveur inhumaine,
Qui l’ôtant le premier, le sauve de la peine
 De vivre icy-bas sans vous voir.

Les Vers qui suivent sont de Mr Dader.

Quel mélange confus de joye & de tristesse
Se répand aujourd’huy dans l’Empiré François ?
Philippe couronné nous comble d’allegresse,
Et Philippe au cercueil nous réduit aux abois.
Le sort de tous les deux, Seigneur, est vostre Ouvrage !
Vous fixez le destin des Princes & des Rois,
 Et la regle de leur partage
 Ne se trouve que dans vos Loix ;
Mais toujours pour leur bien vostre amour s’interesse.
 Gloire, grandeur, Trône, Cercueil,
 Comble de joye, excés de deüil,
 Tout dépend de vostre sagesse.
 Elle seule fait aujourd’huy,
 Et nos beaux jours, & nostre ennuy ;
Mais soit qu’elle nous flate, ou qu’elle nous châtie,
Vos bontez sont, Seigneur, toujours de la partie.

Ces deux Vers Latins meritent de trouver icy leur place.

Dividit in fratres Cælum sua munera, toti
 Jura dat hic Orbi, regnat at ille Polo.

Mr Simart, de Sezanne en Brie, qui est l’Auteur de ce Distique, l’a rendu en nostre Langue par ces quatre Vers.

Le Ciel, pour couronner la vertu de deux Freres,
 Partage entre eux sa grace & ses bienfaits.
Louis regne aujourd’huy sur les deux Hemispheres,
Et dans le sein de Dieu Philippe regne en paix.

[Vers sur l’avenement de Monseigneur le Duc d’Anjou à la Couronne d’Espagne]* §

Mercure galant, juin 1701 [tome 8], p. 127-132.

Quoy que l’avenement de Monseigneur le Duc d’Anjou à la Couronne d’Espagne ne soit plus une chose nouvelle ; les Vers qui ont esté faits sur ce sujet, & qui n’ont pas encore esté vûs, estant nouveaux pour ceux qui les liront, j’ay cru devoir vous envoyer la Piece suivante. Elle est de Mr de Beaumont de Carcassonne.

Chef des Nymphes de l’Hippocrene,
Apollon, c’est toy que je vois ;
Je sens ma languissante veine
Qui se ranime par ta voix.
Source de la pure lumiere,
Guide moy dans une carriere,
Dont la beauté me réjoüit ;
Ou plutost, chante sur ta Lyre
Ce grand spectacle que j’admire,
Lors que son éclat m’ébloüit.
***
En vain la fameuse maxime,
Rien de nouveau sous le Soleil,
Refuse d’admettre sans crime
Un évenement nompareil.
Quand l’Iberie avec instance
Vient choisir un Roy dans la France
On voit un prodige nouveau,
Et son Monarque la console
Lorsque sa puissante parole
Acheve un miracle si beau.
***
Un siecle vient de disparoistre,
Plein de prodiges inoüis,
Et celuy que l’on a vû naistre
N’est pas moins heureux pour Louis.
Tous deux sont dignes de memoire
Et mettent le comble à la gloire
Du plus grand de tous les Heros.
Invincible pendant la guerre,
Il est l’Arbitre de la Terre
Dans le calme de son repos.
***
Souvent nos Princesses charmantes
Sur le Tage ont donné des Loix ;
Fort souvent aussi ses Infantes
Furent Epouses de nos Rois.
Lors que la fureur de Bellonne
Armoit l’une & l’autre Couronne
Au dommage des deux Etats,
Combien de fois ces Mariages
Ont-ils esté d’illustres gages
De la foy de ces Potentats !
***
Mais l’agreable conjoncture
Dont tout l’Univers est surpris
À ces liens de la nature
En ajoûte un de plus grand prix.
Dans un Testament équitable
Que l’Etat reconnoist valable
Philippe est élu Souverain ;
Ses droits appuyoient son merite,
Et Louis sur cette conduite
Luy met le Sceptre dans la main.
***
Déja l’Espagne est embellie
De mille rayons lumineux
Que cet auguste Parelie
Vient faire briller à ses yeux.
Déja, des Indes au Mexique
Ce grand nom de Roy Catholique
Trouve un respectueux devoir.
Dans l’un & dans l’autre hemisphere
On le cherit, on le revere,
Ou, l’on redoute son pouvoir.
***
Ce Soleil commençant sa course
Contraint l’Oiseau de Jupiter
D’oublier sa foible ressource
Dont le souvenir est amer ;
Parmi l’allegresse commune.
L’éclat de sa gloire importune
Intimide les ****
Et l’Ours caché dans sa taniere
Fuit cette brillante lumiere
N’osant y fixer ses regards.
***
Peuples, qui du Sarmate au More,
Habitez cent climats divers,
Et qui du Couchant à l’Aurore
Partagez ce vaste Univers,
Craignez la puissance infinie
De l’incomparable Genie
Qui domine au Trône des Lis ;
Elle s’étend jusqu’à l’Espagne
Comme la fidelle compagne
De l’Ayeul, & du Petit-fils.
***
Que ces deux Augustes Monarques
Puissent n’avoir que d’heureux jours,
Sans que le caprice des Parques
Prétende en arrester le cours.
Qu’une prosperité constante
Passant nos vœux & nostre attente
Les méne à l’immortalité,
Et puissent-ils, malgré l’envie,
Joüissant d’une longue vie,
Faire nostre felicité.

Le Printemps. Idille. À Madame la Comtesse D.L.R. §

Mercure galant, juin 1701 [tome 8], p. 137-148.

Le Printemps qui suit est de Mademoiselle Lheritier. Il suffit de sçavoir le nom d’une personne dont les Ouvrages ont plû, pour estre persuadé qu’on trouvera des beautez dans ceux qu’on va lire.

LE PRINTEMPS
IDILLE.
À Madame la Comtesse D.L.R.

Le Printemps dans ces lieux fait briller mille fleurs,
Tout renaist & tout rit dans ce charmant bocage,
On y goûte le frais d’un agreable ombrage,
Et les tendres Oiseaux secondant leurs langueurs,
 Y charment par leur deux ramage.
Un vert brillant & vif embellit ces côteaux,
Zephir agite l’air d’un soufle favorable,
 On voit couler de claires eaux,
 Qui par un murmure agreable,
Se meslent aux concerts que forment les Oiseaux.
Quoy que dans ces beaux lieux tout semble fait pour plaire,
Un cœur qui connoist bien des malheureux humains
 Les gènes, les cruels destins,
 Ne peut icy se satisfaire.
 Ces aimables productions
 Que la nature & le Ciel favorisent,
 Insensiblement le conduisent
 À de tristes reflexions.
Ces arbres & ces fleurs, ces Oiseaux, ces eaux pures,
 Dans une douce liberté,
Goûtent tous les plaisirs de la tranquillité,
Et n’ont point, comme nous, des loix fieres & dures,
Qui viennent mettre obstacle à leur felicité.
 Que vostre sort est doux auprés du nostre !
Vous qui par le Printemps rendez ces lieux si beaux,
 Chesnes, fleurs, Rossignols, ruisseaux,
Nostre destin, helas ! bien different du vostre,
Nous livre chaque jour à des tourmens nouveaux.
 Par une cruelle avanture
Nous sommes condamnez à fuir ce qui nous plaist,
Aux penchans les plus doux qu’inspire la nature
L’importune raison oppose un fier Arrest.
C’est en vain qu’en secret nostre cœur en murmure,
L’esprit de la raison prend toujours l’interest,
 Armé d’une autorité seure,
 Il sçait par des ressorts puissans
 Sous son pouvoir enchaîner tous les sens.
La nature de nous si souvent outragée
 Par ces fieres rebellions,
Ne nous prescrit plus rien, & pour estre vangée,
 Nous abandonne aux noires passions.
Le servile interest, l’implacable vangeance,
 La jalousie & la douleur
 Sans cesse nous rongent le cœur,
Et nous font ressentir leur barbare puissance
 Avec une aveugle fureur.
 Les saisons les plus favorables
 N’ont rien pour nous de parfaitement doux,
 Par nos destins impitoyables
Nous sommes exposez sans cesse à leur couroux,
 Et nous ne devons pas attendre
Que la nature daigne en repousser les coups,
Elle veut que l’esprit sçache seul nous défendre ;
 Mais malgré ses plus grands efforts
 Il est souvent prest de se rendre,
Ayant des ennemis si cruels & si forts.
Bois, honneur de ces lieux vous n’êtes pas de même,
 Vous ne craignez ennemis ny jaloux,
La Nature vous sert avec un soin extrême,
Et les Saisons n’ont rien de fort rude pour vous.
Si l’Hiver vous ravit vostre aimable verdure
Quand nous sentons l’horreur de ses glaçans frimats,
Le Printemps qui bien-tost ranime la Nature
 Vous rend mille nouveaux appas.
Vous, habitans aîlez de ces sombres bocages,
De qui les tendres airs ont des tons si charmans,
On ne sçauroit douter de vos heureux momens
Quand on entend vos gracieux ramages.
Rien ne trouble jamais vostre tranquillité,
Que la peur de languir dans de durs esclavages
 Par les pieges qu’on tend à vostre liberté.
Oiseaux, nous ne serions que foiblement à plaindre.
Si nous n’avions, helas ! que de tels maux à craindre.
  Vous, dont le cristal argenté
Rend nos bois plus charmans, & rafraîchit nos Plaines,
  Brillantes eaux, claires Fontaines,
Qui rendez de ces lieux le sejour enchanté,
Vous ne connoissez point les chagrins ny les génes.
Quand l’aimable Printemps par son charmant retour
 Fait aimer tout ce qui respire,
Qu’un amoureux Ruisseau pour vos ondes soupire,
 Il vous suit, & vous fait la cour,
Sans craindre le pouvoir d’un tirannique empire,
 Vous répondez a son amour
Suivant l’ardeur qui vous inspire,
Et ces charmant plaisirs sont pour vous éternels.
 Comme les malheureux mortels,
Rien ne vous asservit aux loix des destinées,
Qui souvent au milieu des plus belles années
Viennent trancher le cours de leurs contentemens.
Ah ! loin d’en ressentir les rigueurs obstinées
 Vous renaissez à tous momens.
Mais que nous sert, helas ! qu’en voyant la lumiere
Nos jours ayent un sort le plus doux, le plus beau,
 Puisque par l’horreur du Tombeau
 On voit en un instant terminer leur carriere.
Tant de flateurs projets, tant de vastes desseins
Sont en moins d’un moment inutiles & vains.
La gloire, le bonheur, & les plaisirs du monde
 Passent aussi rapidement
 Qu’on voit couler vostre belle onde
 Dans ce lieu tranquille & charmant.
 Printemps, qui parez ces bocages
 Par tant de brillantes images,
Qui ne font qu’affliger nostre cœur abbatu,
 De mille desirs combattu,
 On doit toujours craindre vos charmes.
Malgré les agrémens qu’offre vostre saison,
Vos dangereux attraits par leur flateur poison,
 Tâchant à nous prêter des armes
 Contre les loix de la raison,
L’exposent en secret à cent rudes allarmes.
***
Vous qui brillez d’esprit, de grace & de sçavoir,
 Aimable & touchante Comtesse,
 Qui nous charmez en faisant voir
 Un cœur plein de delicatesse,
 Dont la raison est la maistresse
 Avec un souverain pouvoir ;
Ne vous étonnez pas si j’ose sur ma Lyre
Me plaindre qu’elle exerce un trop severe empire,
C’est pour rendre mes Vers d’un plus gracieux son.
 Depuis longtemps je vois que c’est la mode
De nommer son pouvoir tirannique, incommode,
 Dans Idille, Eglogue ou Chanson.
 Si contre elle icy je m’explique
 C’est par licence Poëtique.
Mais quand j’en parleray sur un ton serieux,
Je diray que son regne est doux & glorieux.
Lors qu’à ses passions un jeune cœur se livre,
De mille maux divers il se trouve agité,
C’est malgré leurs conseils la raison qu’il doit suivre
 Pour sa propre felicité.

[Réjoüissances faites à Barcelone] §

Mercure galant, juin 1701 [tome 8], p. 148-161.

Toute l’Espagne a donné des marques éclatantes de son amour à l’arrivée & au couronnement de son nouveau Monarque. La Catalogne, qui n’a jamais cedé en zele & en fidelité à aucun des autres Royaumes de cette Monarchie, s’est aussi distinguée dans cette occasion. La Députation de cette grande Principauté ordona des Festes publiques. Elles commencerent le 10. du mois de Mars, & finirent la nuit du 13. La richesse & le bon goust y étalerent toute la magnificence imaginable. Le concours de toute la Catalogne fut prodigieux dans Barcelonne. La devotion commença la Feste, le bon goust la continua, l’amour & le respect pour le nouveau Roy, la rendirent vive. Elle dura quatre jours, & tout se termina avec l’admiration du Public, & la satisfaction des Particuliers. La Catalogne n’avoit encore rien vû d’égal.

Saint Georges Martir est à Barcelone, ce que Sainte Geneviéve est à Paris. C’est dans la celebre Chapelle de ce grand Saint que toutes les Compagnies & tous les Corps suivirent la Députation. La pompe, la magnificence & le bon ordre y brilloient également. On chanta le Te Deum avec plusieurs Chœurs de Musique. L’Eglise estoit ornée des plus riches tapisseries, l’Autel enrichi des vases les plus précieux, & toute la Chapelle illuminée d’une infinité de cierges.

Aprés cette action de graces on passa dans le beau Palais qui touche à cette riche Chapelle. Toutes les Salles en estoient magnifiquement ornées. Celle du Consistoire estoit d’une beauté à ébloüir. C’est là qu’estoit le Portrait du Roy en grand, sous un riche Dais. Il y avoit vis-à-vis un magnifique Bufet de ce beau Marbre de Tortose, si estimé. On avoit pratiqué des deux costez avec beaucoup d’art, des amphitheatres, dont la simetrie faisoit plaisir à la vûë, de même que les Musiciens qui les occupoient, flatoient l’oreille par la melodie de leurs voix & des plus doux Instrumens.

Les paroles que l’on y chanta, exprimoient le sujet de cette Feste. C’estoit un Eloge delicat de Philippe V. d’Espagne, & IV. d’Arragon.

La Salle des Conseils n’avoit ny moins de richesse, ny moins d’agrément. Les meubles en estoient précieux, & la Musique en estoit tres belle. On y chantoit les vertus du nouveau Roy, la gloire de l’Espagne, & le bonheur de la Catalogne.

La grand’ Salle des Rois & Comtes de Barcelone ne cedoit en rien à ces deux là. Tout y estoit different jusqu’à la Musique, & tout y estoit superbe jusqu’aux fenestres & au plancher.

Ces trois Salles ont chacune une entrée dans le Jardin de cette belle maison. Les perrons par où l’on y descend sont de Marbre blanc. On avoit pratiqué dans les entre-deux des Bassins & des Fontaines, dont l’artifice estoit nouveau, & par la violence dont l’eau s’y élevoit, & par les differentes figures que l’art la forçoit de faire.

Dans un point de veuë bien choisi dans ce Jardin, estoit representée une Forteresse, avec des figures si naïvement dessinées, que l’œil s’y trompoit ; en sorte qu’on croyoit voir des Officiers & des Soldats qui défendoient en effet la Place. Il en sortoit de tous costez une si grande quantité d’eau, & elle rouloit avec tant de violence, qu’elle faisoit aller rapidement des deux costez, des moulins qu’on y avoit placez fort ingenieusement.

À l’entrée de la nuit, le Palais & le Jardin parurent en feu dans un moment. Les Illuminations en estoient bien entenduës. Celles de toute la Ville répondirent à celles-cy, & les Particuliers donnerent chacun à leur maniere des marques publiques de leur affection, & de leur joye.

Tout ce magnifique Palais estoit illuminé selon son Ordre d’Architecture. Les quatre milieux representoient en feu quatre beaux Portiques, en face des ruës qui y répondent. & quatre mille pots de feu terminoient au plus haut de cet édifice cette curieuse Illumination. La Relation Espagnole qui nous en est venuë de Barcelone, dit que ce grand Palais paroissoit un Mongibel de lumieres.

Cette Illumination ne fut pas l’unique ; le Palais du Roy, celuy du Conseil, & celuy où l’on rend la Justice, celuy qu’ils appellent Obra nueva, les Prisons Royales, les Maisons des Generalitez, celle du Portail de la Mer, celle des Députez, & celles des principaux Officiers estoient illuminées avec la même quantité de lumieres, à proportion & à peu prés dans le même goust, quoy que la varieté y surprist de tous costez.

On avoit placé sur les Terrasses & sur les Balcons, des Tambours, des Trompettes & des Hautbois, qui répondirent aux acclamations publiques d’un monde prodigieux.

Les fusées partoient à tous momens & de toutes parts, & pendant ces quatre nuits cette belle Ville a esté en feu. Les feux d’artifice recommençoient sans cesse, & à peine l’un avoit fini qu’on en voyoit partir un autre. Les Bourgeois & les simples Habitans inventoient de nouvelles Illuminations à leurs Balcons & à leurs fenestres ; les gens de distinction firent des Festes particulieres, qui pourroient fournir chacune un détail curieux, & la Relation exacte de ce qui s’est passé dans cette Ville pendant ces quatre jours, formeroit un vray volume. On est réduit à n’en donner icy qu’une idée generale. Tout le monde sçait que Barcelone est l’une des plus belles & des plus anciennes Villes d’Espagne. Elle n’a jamais esté infidelle à ses vrais Maistres, & elle prend le titre de Fidelissime par tout où elle met son nom. Il n’y a guere de Villes, où un Souverain ne tienne pas sa Cour, qui ayent pour Citoyens un plus grand nombre de personnes qualifiées, & des Maisons d’un éclat plus ancien. Ceux qui sçavent l’Histoire & les Genealogies des Pays étrangers, en sont bien persuadez. Mr le Marquis de Castel dos Rios, dont je ne me lasse pas de parler, est aussi de Barcelone. Il y est né, & la Maison de Saint Manat, qui est sa vraye Maison, quoy qu’il porte avec ce nom ceux d’Oms, de Santa Pace & de Lanceza, est une des premieres par son éclat & par son antiquité. Les Inscriptions publiques qu’on lit encore aujourd’huy dans les plus anciennes Eglises de Barcelone, en sont des preuves autentiques depuis des Siecles bien reculez. Ceux qui le connoissent ne luy disputent pas plus les privileges de sa naissance, que les distinctions de son merite personnel.

[Nouvelles de Madrid] §

Mercure galant, juin 1701 [tome 8], p. 192-199.

Comme tout ce qui regarde le Roy d’Espagne vous fait plaisir, vous ne serez pas fachée d’apprendre ce qui suit.

Le jour de la Feste du Saint Sacrement, la procession se fit à Madrid avec tout l’appareil possible. Le Roy, aprés avoir oüy la Messe dans la Chapelle partit du Palais sur les neuf heures du matin, & alla à l’Eglise de Sainte Marie où il entendit un Sermon, & une grande Messe chantée par la Musique de Sa Majesté, & celebrée par Mr le Nonce. La procession commença à onze heures, & en dura deux. Le Roy ne voulut pas qu’on l’abrégeast comme on faisoit du temps de Charles II. qui ne pouvoit marcher longtemps à cause de sa foible complexion ; il ordonna qu’on ne changeast rien de tout ce qui se faisoit du temps de Philipe IV.

Voicy l’ordre de cette procession. Plusieurs Confrairies la commençoient, ce qui faisoit une longue marche assez curieuse à voir pour ceux qui ne sont pas du Pays. On voyoit ensuite mille ou douze cens Religieux suivis des Paroisses, tous les Predicateurs du Roy, dont il y a de presque tous les Ordres, Capucins, Cordeliers, Jesuites, & autres au nombre de soixante ou quatre-vingt mêlez avec les Chapelains, & les Clercs de Chapelle. Les Conseils differens des Ordres, des Indes, d’Italie, de Flandre, d’Arragon, de Castille & de l’Inquisition, paroissoient ensuite, & derriere eux marchoient un fort grand nombre de Musiciens, & immediatement avant le S. Sacrement quatre Clercs qui portoient chacun un Flambeau. Le S. Sacrement estoit sur une haute machine portée par six Prestres, sous un fort beau daix, sous lequel estoit aussi Mr le Nonce derriere le S. Sacrement. Il étoit suivy de quatre Grands d’Espagne qui marchoient avant le Roy qui estoit accompagné des Ambassadeurs, & des Cardinaux Portocarrero, & de Borgia, & du Patriarche des Indes, premier Aumônier, suivy des autres Aumôniers du Roy, qu’on appelle Sommelier de Cortina. Le grand Aumônier, qui est l’Archevêque de Compostelle, étoit absent. Le Roy estoit entouré de quatre vingt Gardes.

La procession ne finit qu’à une heure aprés midy. Jamais on n’y a vû tant de monde ny tant d’ornemens dans les ruës de Madrid, les Espagnols estant toujours enchantez de leur nouveau Roy. Ils le trouvent le plus aimable Prince du monde, & le suivent par tout, avec autant de vivacité, & d’empressement que le premier jour.

Le soir du Jeudy, les Comediens firent devant le Palais du Roy en presence de Sa Majesté, ce qu’on appelle à Madrid Autos Sacramentales Ce sont des Vers à la gloire du S. Sacrement qu’on recite sur des Chars de Triomphe.

Le Dimanche dans l’Octave, le Roy tint Chapelle le matin. Il y eut Sermon, & Grande Messe : l’apresdînée Vespres, & Procession dans le Palais. Les Grands de la Chapelle y assisterent.

Le Mardy suivant, le Roy assista, selon la Coutume des Rois d’Espagne, à la procession des Religieuses de l’Incarnation, & le Jeudy, jour de l’Octave, à la Grande Messe & à la Procession des Religieux de S. Jacques, le soir aux Vespres, & à la procession des Religieuses Déchaussées Royales de l’Ordre de S. François.

Le Roy fit paroistre dans toutes ces fonctions une grande pieté & une patience infatiguable. Les Espagnols trouvent que ce Prince croist tous les jours, & que son esprit augmente. Il paroist sage, & éclairé, & fait voir qu’il est déja plus habile que les Princes de son âge n’ont coutume de faire esperer qu’ils le deviendront un jour. Il tient quelquefois Conseil d’Estat jusqu’à dix heures du soir, lorsque les affaires sont importantes, & demandent qu’on prenne de promptes resolutions.

[Reception faite à l’Academie Françoise de deux nouveaux Academiciens] §

Mercure galant, juin 1701 [tome 8], p. 200-224.

Mr de Malezieu, Chancelier de Dombes, l’un des dix honoraires de l’Academie des Sciences, ayant esté choisi par Messieurs de l’Academie Françoise, pour remplir la place de Mr l’Evesque de Noyon, & Mr Campistron, Secretaire general des Galeres, ayant esté élû par la même Academie pour remplir celle de Mr Segrais, ils devoient y prendre séance le Jeudy neuviéme de Juin, mais Son Altesse Royale Monsieur estant mort ce jour là sur le midy d’une maniere de mort subite, & le temps estant trop court pour avertir ceux qui devoient composer l’assemblée, de ne s’y point trouver, parce qu’ordinairement on commence à s’y rendre dés une heure aprés midy, la Salle se trouva presque remplie, avant que la moitié de Paris eût une certitude entiere de cette mort, arrivée une heure auparavant. Mrs les Academiciens crurent selon la prudence qui leur est ordinaire, qu’ils devoient deliberer sur ce qu’ils avoient à faire dans une pareille conjoncture, & trouverent à propos de remettre au Jeudy suivant, seiziéme du même mois la reception de Mr de Malezieu & de Mr Campistron. L’assemblée fut tres-nombreuse ce jour-là, & remplie de quantité de personnes de distinction. Mr de Malezieu ayant esté nommé le premier, prit le premier la parole pour faire son remerciment à l’Academie. Il le commença en faisant connoistre qu’il le sentoit d’autant plus touché de l’honneur que son choix avoit répandu sur luy, qu’elle l’avoit fait dans le temps qu’elle venoit d’interdire les sollicitations, & qu’il estoit le premier qu’elle eust bien voulu associer à son corps sans qu’il eût demandé la place qu’il luy étoit si glorieux d’occuper. Les loüanges qu’il donna au Cardinal de Richelieu furent mêlées de grands traits. Il dit que l’incomparable Fondateur de l’Academie Françoise avoit connu si bien l’importance de son établissement, que lorsqu’il posoit les fondemens d’une grandeur superieure à toutes les Puissances de l’Univers, il traçoit le plan de cette celebre Compagnie ; qu’envoyé pour porter des coups mortels à la rebellion & à l’heresie, il meditoit tout à la fois la destruction de l’ignorance, qui n’est pas un monstre moins dangereux aux grands Etats, & que rempli du dessein prodigieux que mit un frein aux fureurs de l’Ocean, cet illustre Precurseur de la gloire de Loüis le Grand, élevoit dés lors dans son sein des hommes capables de la celebrer un jour ; que les Genies veritablement sublimes l’estoient en tout ; qu’en lisant le Testament Politique on reconnoissoit qu’il estoit écrit de la même main qui avoit fait tomber la Rochelle, & qu’il ne seroit pas possible d’avoir l’idée d’aucune chose qui atteignist à cette perfection, si un miracle encore plus étonnant n’avoit paru de nos jours, & si toutes ces grandes leçons de Politique n’avoient esté pratiquées & mêmes surpassées dés les premieres années du Roy ; que ce Prince sembloit avoir eu par inspiration tout ce que le Cardinal de Richelieu avoit acquis par de profondes meditations & par de longues habitudes ; qu’avant que l’on sçeust que le Testament politique avoit esté composé, la conduite admirable de Sa Majesté dés le commencement de son regne, en avoit esté comme la premiere édition, & que lors que cet ouvrage incomparable, le dernier effort du grand Armand, estoit venu à paroistre, il avoit paru copié d’aprés l’administration de Louis. Mr de Malezieu ajouta avec beaucoup de modestie qu’il oublioit insensiblement qu’il ne luy appartenoit pas de traiter une si grande matiere. C’est à vous, Messieurs, continua-t-il, c’est à vous que l’honneur en est reservé. C’est vous qui devez à tous les Siecles le portrait de vôtre Auguste Protecteur, & qui aprés avoir parlé de ces incroyables exploits, de ces guerres terribles & si glorieusement terminées par cette épée qu’il tient des mains de la Justice, le representerez à la Posterité Vainqueur de luy-même & sacrifiant ses droits les plus legitimes à la Paix de l’Univers. Il la donnée cette pretieuse Paix, il la sçaura maintenir. C’est en vain que le Démon de la guerre fait les derniers efforts pour liguer des Princes qui n’ont jamais veu sans jalousie la grandeur de la Maison de France. En vain il fremit de toutes parts, en regardant avec terreur les frontieres de deux vastes Empires, que le genie de Louis rend impenetrables à ses fureurs. C’est un Monstre blessé à mort ; laissez-le se debatre, vous le verrez bien tost expirer aux pieds du Vainqueur ; ou si son desespoir le ranimant pour quelque temps, contraint Louis à reprendre les armes pour luy donner le dernier coup, c’est un nouveau triomphe que vous aurez bientost à celebrer. Continuez donc, Messieurs, continuez à exercer vos merveilleux talens sur tant de memorables circonstances que fournit incessamment une si belle vie. C’est le plus grand, c’est le plus utile spectacle que vous puissiez jamais presenter à la Posterité. Quel fruit de vos veilles ! Vous contribuerez à la felicité des hommes qui naistront dans tous les Siecles en instruisant par l’exemple de LOUIS, cette innombrable suite de Rois qui sortira de son Sang Auguste.

Le peu que je viens de vous rapporter du Discours de Mr de Malezieu, est seulement pour vous faire voir qu’il écrit avec beaucoup de justesse & d’éloquence, & qu’encore que la diversité de ses emplois ne luy permette pas de le faire aussi souvent qu’il seroit à souhaiter pour la satisfaction du public, sa Prose ne laisse pas d’estre plus mâle & plus châtiée que celle d’une infinité de gens, qui font voir dans leurs Ouvrages beaucoup d’esprit & de politesse. L’agrément de la prononciation fut ajoûté à la beauté du discours. Toute l’Assemblée en fut charmée, & rien n’y ayant manqué de ce qui pouvoit plaire aux Auditeurs, on ne doit pas s’étonner s’il reçut des applaudissemens au delà de tout ce que je puis vous en dire.

Mr Campistron parla aprés luy. On estoit persuadé qu’un homme dont les Pieces de Theatre ont brillé à la Cour & à la Ville, & qui a eu l’art de faire si bien parler les Rois, les Princes & les Ministres, s’attireroit les applaudissemens que de plus nombreuses Assemblées ont accoutumé de luy donner. On ne se trompe pas. Son discours parut ingénieux & poli, & vous le remarquerez par ce qui suit. Aprés avoir remercié Mrs de l’Academie de la place qu’ils avoient bien voulu luy accorder, il dit qu’il ne comptoit de recevoir ce jour là que la moindre partie de leur bien-fait ; que le temps seul pouvoit luy donner tout son prix, & le conduire à la fin qu’il s’estoit proposée ; que puisqu’ils l’avoient distingué par un titre glorieux, il attendoit d’eux des preceptes & des moyens pour le meriter ; qu’il pensoit beaucoup moins à estre honoré qu’à estre instruit, & que ce n’estoit qu’en luy faisant part de leurs lumieres & de leurs conseils, qu’ils répondroient dignement aux intentions du grand Cardinal de Richelieu, qui en formant cette Compagnie, qu’il regardoit comme une espece de Republique, avoit prétendu sans doute qu’il y auroit une noble Communauté, non comme au premier âge du monde, des biens passagers & méprisables, mais des tresors immortels & precieux de l’esprit. Il passa de là à l’éloge de feu Mr de Segrais dont il remplissoit la place. Il dit que ses Eglogues & ses Idilles, peintes d’aprés la nature même, nous representoient par tout la simplicité & les graces de Theocrite & de Virgile, & que ses Elegies nous faisoient voir toute la galanterie d’Ovide, & la tendresse de Tibulle ; que ce qu’il y avoit eu de plus surprenant dans cet illustre Academicien, c’est qu’il avoit sceu réunir en luy l’urbanité avec la profonde érudition des belles Lettres, la retraite dans son Cabinet avec le commerce du monde, l’estime de la Cour & de la Province ; qu’il avoit encore joint la probité aux charmes de l’esprit, la sagesse aux agrémens de la societé, de sorte que dans un âge où presque tous les hommes n’estoient plus comptez estre en vie que parce qu’on ignoroit leur mort, il avoit fait seul les delices & l’amour de la Ville où il estoit né, Ville toujours celebre par la politesse & par l’esprit de ses Habitans, sans qu’il eust pu jamais souffrir la moindre atteinte de l’orgueil, avec un merite si generalement reconnu. Son nom, continua-t-il, tiendra toujours un rang memorable entre ces noms fameux qui ont honoré le siecle passé, & même le regne de Louis le Grand, regne aussi illustre par les hommes extraordinaires qu’il peut compter, que glorieux par la grandeur & par la diversité des évenemens qu’il renferme ; regne enfin comparable à celuy des Heros fabuleux, par les nouveaux prodiges que ce Monarque nous fait voir chaque jour. Tantost c’est une suite continuelle de Victoires, tantost la Paix accordée aux dépens même de ses propres avantages ; d’un costé toute la gloire d’un guerrier triomphant, de l’autre toute la bonté d’un Prince magnifique. Aujourd’huy c’est une Nation belliqueuse & superbe qui se jette à ses pieds pour luy demander un Roy de son Sang, qui choisit pour son unique défenseur ce même Conquerant qu’elle avoit toûjours regardé comme le seul qu’elle eust à craindre, & qui ne trouve d’autre moyen pour maintenir dans toute leur splendeur ses Etats & son nom, & pour se conserver ces mêmes Provinces, qui depuis plusieurs siecles avoient esté entre elle & nous la seule cause de tant de guerres, que d’en faire ce Heros le dépositaire & l’arbitre. En vain les vieilles jalousies de Princes & de Peuples puissans se réveillent contre sa gloire, & leur inspirent la défiance, compagne inseparable de la foiblesse. En vain l’envie infatigable travaille à former de nouvelles ligues. Bien loin de donner une triste attention à ses fureurs & à ses apprests, nous ne songeons qu’à de nouveaux chants de Victoire, seurs d’un glorieux avenir, dont le passé merveilleux nous répond, & que le même Heros, par ces admirables dispositions qui preparent toûjours les grands succés, rend déja present à nos yeux.

Mr l’Abbé Regnier des Marais, Secretaire perpetuel de l’Academie, répondit à ces deux Discours, & l’on connut par ce qu’il dit de la perte de S.A.R. Monsieur, que ces sortes d’ouvrages luy coutent peu, puisque le discours qu’il prononça fut different de celuy qu’il devoit faire huit jours auparavant. Il fit en peu de paroles l’éloge de ce grand Prince, & dit aux nouveaux Academiciens, que si dans une affliction si generale & si recente, l’Academie Françoise se hâtoit de les recevoir, c’étoit plutost pour les associer en quelque sorte publiquement à sa douleur, que pour reparer par leur moyen ses pertes particulieres. Les loüanges qu’il leur donna à l’un & à l’autre, furent fines, delicates, & dignes de ceux qui les recevoient. Il leur fit connoistre que la premiere & la plus essentielle des obligations de tous ceux qui avoient place dans l’Academie, estoit d’avoir toûjours pour principal point de vuë, dans leur application aux belles Lettres, l’auguste Prince qui les protegeoit par tout, mais qui à l’égard de l’Academie Françoise s’en étoit rendu le Protecteur d’une façon encore plus particuliere, de même que Minerve, qui protegeoit tous les les Grecs, favorisoit les Atheniens d’une protection plus visible que tous les autres peuples de la Grece. La jalousie des Nations, dit il, au repos desquelles il avoit bien voulu sacrifier ses interests propres, s’émeut de nouveau contre luy, aigrie par les nouvelles prosperitez de son regne. Il se couvre de l’impenetrable Egide de Minerve, prest à en prendre la lance victorieuse, s’il y est forcé. Il porte par tout en même temps sa prévoyance & ses soins, & contre le torrent qu’il voit de loin se former & se grossir, il oppose de toutes parts une digue capable d’en arrester les eaux, jusqu’à tant qu’elles viennent à s’écouler d’elles-mêmes, & à se tarir. C’est à un si grand objet, ajoûta-t-il en s’adressant à Mr de Malezieu & à Mr Campistron, c’est à un si noble spectacle qu’il faut desormais que vous ayez continuellement les yeux attachez avec nous. Il merite l’attention du monde entier ; mais nous luy devons particulierement la nostre, afin de ne rien laisser perdre à la Posterité, des actions d’un Roy si digne de l’admiration de tout l’Univers & de tous les Siecles.

Je ne doute point que sur le peu que je vous marque de ces trois Discours, vos Amis de Province ne souhaitent de les voir entiers, & dans toute leur beauté. Ils les trouveront chez le Sieur Coignard, Libraire & Imprimeur du Roy & de l’Academie, ruë Saint Jacques, à la Bible d’or.

[Sacre] §

Mercure galant, juin 1701 [tome 8], p. 244-252.

Je vous envoye une Relation telle que je l’ay receuë, afin d’en laisser la gloire toute entiére à celuy qui l’a écrite.

Mr l’Abbé de Rohan fut sacré Evêque de Tyberiade, Coadjuteur de Strasbourg dans l’Abbaye de Saint Germain des Prez. La Ceremonie s’en fit le Dimanche 26. Juin. Jamais on ne vit une plus belle Assemblée, ny un concours de peuple plus grand. On avoit fait faire deux grands amphiteatres au milieu de la nef, & une espece de balustrade, qui regnoit tout le long des deux côtez de l’Eglise : celle qui fermoit l’enceinte du Chœur fut ostée ce jour-là, & l’on voyoit facilement l’Autel, qui estoit entierement découvert aux yeux des Assistans.

À neuf heures & demie du matin Mr l’Abbé de Rohan, qui venoit de Saint Magloire, où il avoit fait sa retraite, arriva dans la grande Salle de l’Abbaye, Mr le Cardinal de Furstemberg l’y attendoit, & tous les Prelats s’y estoient rendus. Aprés s’estre revestu d’une soutane violette dont les boutons & les boutonnieres estoient de soye rouge, & d’un rochet dont la dentelle estoit tres-belle, s’avança le bonnet quarré noir à la main jusqu’à l’Autel, qui luy estoit preparé du costé de l’Epître, il estoit accompagné de Mr l’Evêque de Laon & de Mr l’Evêque de Langres tous deux Ducs & Pairs de France, & precedé d’un Porte-Croix, & de deux Acolytes qui portoient de grands cierges ornez des armes de Mr le Cardinal de Furstemberg & de celles de sa Maison, ensuite de tous les Religieux revestus de chapes tres-riches, enfin du Diacre, du Soudiacre, & du Maistre des Ceremonies qui estoit le Prieur de l’Abbaye. Ce Prieur conduisoit Mr le Cardinal de Furstemberg, qui se vint placer sur un Trône preparé du costé de l’Evangile, & se revêtit de ses habits Pontificaux, ayant la Mitre en teste enrichie de pierreries. Il chanta la Messe solemnellement, & pendant ce temps-là Mr l’Abbé de Rohan recitoit à son Autel tout ce qui se disoit à celuy du Consecrateur. Jamais rien de plus auguste n’avoit attiré les regards & les respects d’une nombreuse Assemblée, les assistans étoient presque tous distinguez par leur naissance, ou par leurs dignitez. Plusieurs Princes, & Princesses, tous les Ambassadeurs, & tous les Envoyez des Cours étrangeres se firent un merite d’y assister, leurs places estoient dans l’un & dans l’autre amphitheatre.

Deux rangs de fauteüils de velours cramoisi garnis de galons d’or avec des quarre aux de même richesse, composoient celles de tout le Clergé. Mr le Cardinal de Noailles Archevêque de Paris à la teste, Mr le Nonce, mais dans une tribune incognito, Mrs les Archevêques de Reims, de Roüen, de Bordeaux, & d’Auch, & Mrs les Evêques de Meaux, de Senlis, de Soissons, & plusieurs autres au nombre de prés de quarante, tous en aube, & en rochet. Mr l’Abbé de Maulevrier, Mr l’Abbé de Conac tous deux Agens du Clergé de France, avec un tres-grand nombre d’autres Abbez achevoient de rendre l’Assemblée illustre & venerable.

Jamais on ne vit de spectateurs plus satisfaits, c’estoit quelque chose d’agreable de lire sur leurs visages, la joye qu’ils avoient de voir un Prince aussi estimable que Mr l’Abbé de Rohan parvenu au rang qu’ils luy souhaitoient depuis longtemps.

Il y eut une infinité de ceremonies, & de Prieres à faire avant que de sacrer sa teste & ses mains. Il se prosterna sur l’Autel. On le chargea pendant un temps du Livre des Evangiles, & enfin tous les Misteres de la Religion furent exprimez les uns aprés les autres.

Toutes les démarches de Mr l’Abbé de Rohan dans cette auguste ceremonie inspiroient la pieté & le respect ; tout parloit dans ses moindres actions. Ce Prince retraçoit ce qu’il avoit fait jusqu’à present avec une distinction si digne d’admiration. Aprés qu’à la fin du Sacrifice Mr le Cardinal de Furstemberg comme son Successeur, on luy mit une Mitre d’argent sur la teste, & ensuite une autre toute d’or d’un grand éclat, & d’une grande beauté.

Ce fut alors qu’on le vit assis avec tant de majesté & de grace, que les larmes en vinrent aux yeux de quantité de personnes. Tout le monde disoit en jettant la vuë sur Mr le Prince de Soubise son Pere que de toutes les satisfactions, qu’il avoit pû avoir en sa vie d’estre né du plus beau sang du monde, de compter tant de nos Rois, & d’autres Potentats de l’Europe parmy ses Ancestres, d’avoir luy-même soûtenu son rang par ses actions heroïques qui luy ont fait hazarder mille fois sa vie, & celle de ses enfans pour la gloire du Roy, & pour le bien de l’Etat, rien ne pouvoit approcher de la consolation qu’il recevoit dans cette grande journée.

Enfin le nouveau Coadjuteur donna la Benediction à toute l’Assemblée, revestu de ses habits Pontificaux, la Crosse en main & la Mitre en teste, Mr le Cardinal de Furstemberg à sa droite du costé de l’Evangile, Mr l’Evêque de Laon, & Mr l’Evêque de Langres à sa gauche du costé de l’Epistre. Il sembloit que Dieu eust répandu quelque rayon de ses lumieres sur son nouveau Pasteur, tant les yeux parurent surpris de la majesté du Prelat qui les benissoit au nom du Dieu des Armées.

À la fin de la Ceremonie on servit un superbe repas dans le Palais de Mr le Cardinal de Furstemberg, qui regala à dîner une grande partie du Clergé. Mr le Cardinal de Noailles, Archevêque de Paris, & Mrs les Archevêques de Reims & de Roüen. Il donna un soupé le même jour à plusieurs Princes & Princesses, ainsi qu’aux Ambassadeurs, & aux Envoyez des Cours Etrangeres.

Le Mercredy suivant, Mr le Prince de Soubise donna aussi un magnifique repas, où se trouverent Mr le Nonce, plusieurs Princes & Princesses, Mr l’Ambassadeur d’Espagne & Mr son Fils, Mrs les Ambassadeurs de Venise & de Savoye, & Mrs les Envoyez de l’Empire & de Florence, & quantité d’autres Seigneurs & Dames, qui formoient une assemblée tres-considerable.

[Détail de ce qui s’est passé à l’occasion de la mort de Monsieur]* §

Mercure galant, juin 1701 [tome 8], p. 284-360.

N’ayant appris la mort de Son Altesse Royale Monsieur, le mois passé que dans le moment que je fermois ma Lettre, je n’eus, avant que de vous l’envoyer, ny le temps de m’étendre sur cet article, ny celuy de m’informer de beaucoup de choses dont je devois estre instruit avant que de travailler à un article si considerable.

Rien n’est plus ordinaire aux hommes que d’avoir des pressentimens de leur mort, sans y reflechir autant qu’il semble qu’ils devroient le faire, & sans prendre les précautions dont il paroist que l’on se devroit servir pour en éloigner l’heure, quoy que ce qu’on devroit faire en de pareilles occasions, faute, en quelque sorte, aux yeux, & qu’on en soit averty, & même pressé sans que cela fasse profiter des momens, dont il paroist qu’on ne devroit perdre aucun. On le sçait, on le voit, on craint de quitter la vie, on y pense fort souvent, les pressentimens qu’on en a font peur, & cependant on demeure dans une indolence, dans une incertitude, & même dans une inaction, s’il m’est permis de parler ainsi, qui doit faire trembler tous ceux qui ne se trouvent pas encore dans l’état où l’on doit estre pour se détacher du monde, & pour penser à la mort serieusement. Il est constant que feu Monsieur a eu des pressentimens de la sienne. Il a paru même aux yeux d’une partie de la Cour, qu’on luy a prédit ce qui luy est arrivé ; le Roy, & la pluspart de ceux qui avoient l’honneur d’approcher de la personne de Son Altesse Royale, l’ont pressée de se faire saigner, & il s’est trouvé par l’ouverture de son corps que c’estoit l’unique remede qui pouvoit sauver ce Prince, & qu’il est mort d’une apoplexie de sang.

Quant aux pressentimens de sa mort, on en peut juger par ce qui suit. Quelques jours avant qu’elle arrivast, ce Prince estant dans l’une de ses galeries à Saint Cloud, assis & rêvant seul, Mr le Chevalier de Lorraine passa devant luy sans que Monsieur sortist de sa rêverie. Ce Chevalier s’approcha une seconde fois de ce Prince, & voyant qu’il rêvoit toûjours profondement, il ne put s’empêcher de luy dire, Monsieur est bien rêveur. À quoy Son Altesse Royale répondit : Je rêve à la beauté de lieux, que je les ay faits, & que je dois bientost les quitter. Il est à remarquer qu’on voyoit de cet endroit deux belles Galeries separées par un Salon magnifique ; que l’une de ces Galeries sert d’Orangerie ; que l’on voit au bout & de plein pied une allée du Jardin, avec plusieurs Jets d’eau, & que cette allée, ces deux Galeries, & le Salon, font une enfilade dont la varieté de la peinture, de la dorure, des meubles, & de la verdure, forment un tout aussi magnifique que singulier.

Comme Monsieur ne dit rien dans la suite qui fist connoistre que le pressentiment de sa mort qu’il avoit eu dans ce moment là, estoit demeuré dans son esprit, on ny pensa plus. Cependant on a fait reflexion depuis la mort de ce Prince, qu’il y avoit quelque temps qu’il paroissoit rêveur, & recüeilly en luy même, & qu’aprés avoir esté à la Messe accompagné de ses Gardes, & d’une suite presque inseparable de son rang, il leur faisoit signe de se retirer quand la Messe estoit finie, & qu’il en entendoit encore souvent une ou deux sans aucune suite. Ainsi l’on peut dire, que s’il a negligé à suivre les avis qui luy ont esté donnez pour le rétablissement de sa santé, & pour prolonger ses jours, il n’a pas méprisé les avertissemens du Ciel, & qu’il y a répondu en veritable Chrestien. Peut estre que son heure estant venuë, il estoit hors de son pouvoir d’en faire davantage ; mais ce qu’il y a d’heureux pour ce Prince, c’est qu’en ne faisant pas toute l’attention qu’il auroit dû faire aux avertissemens des hommes, pour le retour & la conservation de sa santé, il s’est attaché à ceux du Ciel, & en a profité.

Ce Prince avoit toujours fait voir beaucoup de tendresse pour la feuë Reine sa Mere, & une grande déference pour toutes ses volontez. Elle est toujours demeurée dans son souvenir, & il ne manquoit pas tous les ans, à moins qu’il ne fust incommodé ou absent, d’assister au Service qui se fait au Convent du Val de Grace, à pareil jour que celuy du décés de cette Princesse. Il avoit une veritable amitié & un tendre attachement pour le Roy, qu’il a toujours accompagné ; & s’il s’en est separé quelquefois, ce n’a esté que pour commander des Armées par ses ordres, & pour faire des Sieges. Le premier a esté celuy de Zutphen, qu’il assiegea au mois de Juin 1672. Le jour que ce Prince arriva devant cette Place, il demeura à cheval pendant quatorze heures. Il alla luy même la reconnoistre jusqu’à la portée du Mousquet. Il marqua l’endroit où il vouloit que la Tranchée fust ouverte, & celuy où l’on devoit dresser les Batteries. Il visita les Camps, & fit tout préparer pour l’attaque, qu’il remit au lendemain. Il se posta auprés du travail de la Tranchée, pour en apprendre souvent des nouvelles, & fit faire de grandes liberalitez aux Travailleurs, afin qu’ils avançassent ; ce qu’il continua de faire pendant les Sieges des autres Places qu’il emporta ensuite. Aprés avoir pris Zutphen, dont la Garnison fut prisonniere de guerre, il ne voulut point entrer dans la Place, qu’il n’y eust fait rétablir le culte Autels, & que le Pere Zocoly, Jesuite, son Confesseur, n’y eust celebré la Messe.

Au mois de May de l’année 1676. ce Prince assiegea la Ville de Bouchain. Il fit d’abord emporter le Fort des Vaches, qui couvroit les endroits les plus foibles de la Place. Il passa toutes les nuits à cheval pendant tout le temps que dura ce Siege, il visita les attaques, les batteries, & les gardes des lignes, & il entra dans tous les détails. Aprés la prise de la Contrescarpe, Mr de Schomberg arriva à huit heures du matin au quartier de ce Prince. Sa Majesté l’avoit envoyé exprés vers Son Altesse Royale pour l’avertir que les Ennemis marchoient & pour s’acquiter de la parole qu’elle luy avoit donnée de luy faire sçavoir si elle voyoit quelque apparence d’une Bataille à laquelle Sa Majesté esperoit que le Prince d’Orange se resoudroit estant à la teste d’une Armée de cinquante mille hommes, plutost que d’estre témoin de la prise de Bouchain aprés l’avoir esté de celle de Condé. Son Altesse Royale marcha aussi-tost dans cette esperance, & ordonna au Maréchal de Crequy de le suivre avec vingt Bataillons, laissant les ordres necessaires pour la continuation du Siege : Elle trouva le Roy en bataille en presence des Ennemis, & se mit à la teste de l’aile gauche de la premiere ligne ; mais le Prince d’Orange voulant éviter le combat se retrancha, ce qui donna un extrême chagrin à Sa Majesté qui s’estoit attenduë à une Bataille. Son Altesse Royale retourna devant Bouchain dont elle fit emporter tous les dehors l’épée à la main à quatre heures aprés midy, & ce Prince se rendit en six jours maistre de la Place devant une Armée de cinquante mille hommes.

L’année suivante au mois d’Avril, Monsieur ayant assiegé la Ville de Saint Omer, le Prince d’Orange entreprit de la secourir. Il passa avec son Armée le Canal de Bruges, & s’avança vers Ypres. Le Roy ayant appris que son Armée estoit plus nombreuse qu’on n’avoit crû, fit partir Mr de Luxembourg avec quelque Cavalerie legere, les deux Compagnies de ses Mousquetaires, deux Bataillons des Gardes Françoises, trois du Regiment Suisse de Stoup, deux du Regiment Royal, & un du Maine.

Pendant que le Roy donnoit ses ordres pour mettre l’Armée de Monsieur en bon estat, S.A.R. songeoit à se bien servir du secours que Sa Majesté luy donnoit, & envoyoit des Partis pour estre informé de la marche & des desseins du Prince d’Orange. Si tost qu’il eut esté averty par ces Partis que les Ennemis marchoient en diligence pour jetter du secours dans Saint Omer, Son Altesse Royale laissa des Troupes pour garder les Forts, & pour soûtenir tous le travaux des attaques, sortit des lignes, & alla au-devant des Ennemis. Leur Armée estoit beaucoup plus forte que la sienne, & sur tout en Infanterie. Elle estoit postée dans des vergers environnez de hayes vives, & de fossez pleins d’eau, qui ne se pouvoient passer qu’à cheval, & où l’on ne pouvoit entrer que par défilez, de sorte que pour la forcer il falloit passer sous le feu du Canon & de la mousqueterie, & l’attaquer dans des lieux naturellement retranchez. Cette Armée qui se tenoit tres assurée de la victoire, & qui connoissoit ses forces, n’estoit point obligée à les diviser, ce que S. Altesse Royale estoit contrainte de faire, ayant la tranchée de S. Omer & les Postes qu’elle avoit gagnez devant cette Place à faire garder, ainsi que huit autres endroits par lesquels le secours pouvoit passer. Quoy que l’Armée de Monsieur fust affoiblie par les Troupes qu’il fut obligé de laisser en tant de differens postes, cela ne diminua en rien l’impatience qu’il avoit de combatre. Dés qu’il eut appris que les Ennemis avoient passé le premier ruisseau, il voulut les aller attaquer, & demanda l’avis des Maréchaux de Humieres & de Luxembourg, qui voyant la resolution où il estoit d’exposer sa personne, luy firent quelques objections. Elles auroient embarassé un Prince moins ardent pour la gloire des armes du Roy, & un autre auroit pû quitter le dessein de combattre, sans qu’on eust pû le blâmer, puis que c’estoit l’avis du Conseil. Ce Prince n’avoit pour cela qu’à ne rien dire qui pust détruire les objections qu’on luy venoit de faire. Il y répondit, que si on attendoit que les Ennemis eussent passé le second Ruisseau qui leur restoit, ils pourroient dérober quelques marches par derriere, & jetter du secours dans Saint Omer, ce qui estoit leur dessein le plus important pour l’obliger à lever le Siege, & qu’il ne vouloit pas que sous son Commandement les armes du Roy receussent un affront, qui ne leur estoit point encore arrivé depuis le commencement de la guerre. Les Generaux ayant goûté toutes ces raisons, répondirent qu’ils ne sçavoient qu’obéir, & Monsieur s’estant luy-même avancé avec quelques Troupes pour reconnoistre les Ennemis, donna aussi-tost les ordres qu’il jugea necessaires pour les aller attaquer. Ce Prince remplit dans ce combat les devoirs de Capitaine & ceux de General. Il donna des ordres, il mena à la charge, il combatit luy-même les Ennemis. Il exhorta les Soldats, il leur inspira de l’ardeur, & l’on peut dire que sa teste, son cœur, son bras, son esprit, & son éloquence agirent également en cette occasion. Si-tost que les Ennemis faisoient quelque mouvement, il donnoit par tout des ordres nouveaux avec une presence & une netteté d’esprit inconcevable. Jamais on n’a moins craint le peril ny fait voir un plus grand sang froid au milieu des dangers, ce Prince ne s’estant pas trouvé embarassé un seul moment, aussi peut on assurer que sa presence & sa fermeté causérent le gain de la Bataille. Il rallia luy-même les Troupes, & les ayant ranimées par les choses qu’il leur dit, & par son exemple, il les ramena plusieurs fois à la charge, sans s’étonner du feu des Ennemis, qu’il essuya avec une intrepidité qui ne se peut exprimer. Ce feu fut grand, & l’on n’en sçauroit douter, puisque la pluspart des Officiers qui estoient autour de sa personne furent blessez. Il s’exposoit au même malheur si le ciel ne l’en eust garanti. Il estoit persuadé que ce n’estoit pas assez que de commander le Corps de Bataille, il falloit encore pour satisfaire son courage qu’il se mist à la teste des Troupes qui avoient plié. Il vouloit même y aller sans autres armes que celles dont il avoit besoin pour combatre ; mais Mr Merille, & un de ses Ecuyers, luy en mirent malgré luy dans la chaleur du combat. La fatigue en fut rude à supporter, puisqu’il estoit à cheval dés trois heures du matin, & que la mêlée dura jusqu’au soir. Ce Prince chargea plusieurs fois à la teste des Bataillons, & comme il estoit toûjours au plus fort de la mêlée, il eut un cheval tué sous luy, & un coup de Mousquet dans ses armes. Mr le Chevalier de Lorraine fut legerement blessé au visage, & Mr le Chevalier de Nantoüillet à la jambe, tous deux auprés de ce Prince. Un Bataillon Suisse ayant esté rompu, Monsieur fit aussi tost mettre ses Gardes en Escadrons, avec quelques uns de ses Domestiques qui estoient accourus l’épée à la main, & ce Prince leur inspira tant de force & de courage, que toutes les Troupes qui estoient auprés de luy ayant essuyé à la portée du pistolet la décharge des Ennemis, allérent à eux l’épée à la main, & les rompirent. Mr Vaucher, l’un de ses Valets de Chambre, eut un coup dans la cuisse en attachant une casaque sur les armes de ce Prince. Mr le Chevalier de Tillecourt eut son cheval blessé de deux coups derriere S.A.R.

Le lendemain de cette grande Journée, ce Prince envoya dans le Champ de Bataille, des Medecins, des Chirurgiens, des remedes, des vivres, & des chariots pour transporter ceux qui estoient encore en estat d’estre secourus, & il s’attira par là l’estime & l’amitié des vainqueurs & des vaincus. Il s’estoit acquis celle du Peuple & de la Cour, & la tendre & respectueuse amitié qu’il avoit pour le Roy, son dévouëment pour Sa Majesté, & la parfaite union qui estoit entre eux, luy attiroient des louanges de tout le monde.

Si ce Prince a remply tous les devoirs d’un Fils envers la Reine sa Mere, & s’il a esté tendre Frere, on peut dire qu’il a esté un des meilleurs Peres du monde. Il n’a rien oublié pour l’éducation de Monsieur le Duc de Chartres, aujourd’huy Duc d’Orleans. Ce Prince a choisi les plus habiles hommes de l’Europe pour luy enseigner les choses dont il vouloit qu’il fust instruit, & ils ont trouvé en luy un si bon sujet, qu’on peut dire qu’il a bien tost égalé ses Maistres dans les choses qu’on luy a fait apprendre. Feu Monsieur n’a pas moins fait pour les Princesses ses Filles. Il les a non-seulement fait élever en Princesses de la Famille Royale, mais outre l’exemple que ce Prince & S.A.R. Madame leur ont donné, outre les vertus qu’elles ont toûjours euës devant les yeux, & qu’elles ont vu pratiquer, il a pris soin qu’elles fussent instruites de mille choses capables de les distinguer parmi les personnes que leur naissance éleve au-dessus des autres, s’estant d’ailleurs toutes trouvées avec un fort bon esprit, & plus occupées des pratiques de la vertu, que de l’orgueil qu’un haut rang a coutume d’inspirer, elles ont fait l’amour & les delices des Princes leurs Epoux, & l’admiration de leurs Sujets, dont je pourrois dire qu’elles ont esté & sont adorées. Ainsi le ciel a permis que dés ce monde Monsieur trouvast dans ses enfans, la recompense de l’éducation & de l’exemple qu’il leur avoit donnée. Ce Prince aprés leur mariage a toûjours entretenu avec ces Princesses une correspondance autant d’Amy que de Pere, dans laquelle les Princes ses Gendres sont entrez, & dont l’Etat a quelquefois tiré des avantages, qui auroient esté plus loin, & auroient détourné plutost les maux dont la Religion Catholique estoit menacée, sans la trop prompte mort d’une Reine que l’Espagne pleure encore aujourd’huy, & dont elle a la memoire en veneration.

Jamais Prince du rang de Monsieur n’a porté la magnificence plus loin en bâtimens, en meubles, & en pierreries. Il donnoit non seulement une infinité de pensions, mais ce que recevoient de luy ceux à qui ce Prince donnoit le plus, leur tenoit lieu d’une fortune considerable, & même d’une fortune de Prince. Pendant tout le sejour qu’il faisoit en sa Maison de Saint Cloud, il tenoit table ouverte pour toutes les Dames d’un rang distingué, & dont le concours y estoit tres grand, & il n’y a peut-estre point de Souverain en Europe, le Roy excepté, qui tienne plus de tables chez luy, & qui ait plus d’Officiers que ce Prince en entretenoit. Comme il estoit affable, doux, & sincere, & que l’on n’a jamais remarqué que la haine luy ait rien fait faire contre personne, on peut assurer, en examinant toutes ses vertus, ses respects, son dévouëment entier pour le Roy, & sa tendresse, & son attachement pour sa Famille, qu’il a rempli tous les devoirs d’un bon Chrestien, d’un fidelle Sujet, d’un grand Prince, & d’un bon & tendre Pere. À peine fut-il expiré, que les Feüillans, ayant reçu l’ordre de Mr Desgranges Maistre des Ceremonies, se rendirent à Saint Cloud, pour assister auprés du Corps, comme ils font toûjours, par un droit attaché particulierement à leur Congregation, d’où l’on prend un nombre de Religieux pour psalmodier jour & nuit, avec le Clergé Seculier, si tost qu’ils ont esté avertis de la mort de quelque Prince ou Princesse de la Maison Royale, & ils n’interrompent point cette fonction jusqu’à ce qu’on leve le Corps pour le transporter à Saint Denis. Ces Religieux firent sonner dés le soir toutes les cloches de leur Monastere, & sans attendre d’autre ordre que le mouvement de leur reconnoissance pour un Prince qui les avoit toûjours honorez des marques de son affection, ils firent dire un Service solemnel dans leur Eglise pour le repos de son ame, le lendemain Vendredy second jour de son decés, & tous les Prêtres de leur Communauté offrirent le Sacrifice de l’Autel pour la même intention par l’ordre de leurs Superieurs.

Le Corps de Son Altesse Royale fut vû à visage découvert depuis le moment de sa mort jusqu’au soir du lendemain dixiéme de Juin. Le Corps de ce Prince fut ouvert ensuite. Toutes les parties du bas ventre & de la poitrine parurent en bon estat, mais on trouva quantité de sang caillé dans le ventricule gauche du cerveau, ce qui avoit esté cause de sa mort. Son Corps aprés avoir esté ouvert fut mis dans un cercueil, & placé dans une Chapelle ardente. Deux Heraults estoient aux pieds du cercueil pour presenter l’Eaubenite. Il y avoit dans chaque costé quatre ou cinq bancs couverts de deüil, & remplis d’Officiers de feu Monsieur qui prioient, pendant que les Feüillans qui estoient dans la même Chambre psalmodioient. Ces Officiers estoient de temps en temps relevez par d’autres Officiers de S.A.R. Il y avoit deux Chapelles dans la même Chambre. On y disoit continuellement des Messes, ce qui a esté continué pendant tout le temps que le Corps de Son Altesse Royale est demeuré à S. Cloud.

Le matin du dixiéme, Monsieur le Duc de Chartres alla voir le Roy à Marly au lever de Sa Majesté. Ce Prince se baissa fort bas, & embrassa la cuisse du Roy. Sa Majesté y répondit par trois embrassades fort tendres, & les larmes aux yeux. Monsieur le Duc de Chartres luy presenta un papier que le Roy luy rendit aprés l’avoir lû. La conversation se passa dans le Cabinet, où il n’y eut point de témoins qu’éloignez.

L’onziéme, Madame la Duchesse de Bourgogne partit de Marly à cinq heures, & à son arrivée à Versailles cette Princesse alla voir Madame. Elle parut accablée de douleur à tous ceux qui la virent. Cependant elle reçut cette visite dans son Cabinet habillée, & non au lit, ce qui marqua la force de son esprit. Madame la Duchesse de Bourgogne alla ensuite chez Madame la Duchesse de Chartres.

Le Roy, aprés avoir passé le même jour plus de trois heures seul à écrire dans son Cabinet, partir de Marly à six heures du soir. À son arrivée à Versailles il alla chez Madame, qui estoit accompagnée de Monsieur le Duc de Chartres. Il resta plus de cinq quarts-d’heures avec cette Princesse & ce Prince. Leur conversation n’eut point de témoins. On a depuis publié que le Roy dit à Madame qu’il s’estoit fait apporter par Mr le Comte de Pontchartrain tous les Registres de sa Maison, où il avoit cherché pendant trois heures tous les endroits de l’Histoire qui pouvoient luy servir à bien traiter Monsieur le Duc de Chartres. On peut dire que si quelque chose pouvoit consoler Madame de la perte qu’elle a faite, rien n’y contribueroit davantage que les manieres dont le Roy en a usé avec cette Princesse depuis le moment que Sa Majesté arriva à S. Cloud, où voyant Monsieur hors d’estat de réchaper, il parut si penetré de douleur, & dit des choses si touchantes à Madame, qu’il est impossible de faire aucune peinture qui puisse approcher de ce qui se passa pendant ces tristes momens.

Le Roy aprés avoir demeuré avec Madame pendant tout le temps que je viens de vous marquer, alla chez Madame la Duchesse de Chartres, & bien que Monsieur le Duc de Chartres fust present à cette visite, & n’eust point quitté le Roy, Sa Majesté voulut le voir chez luy, & l’y fit entrer. Le Roy demeura quelque temps avec ce Prince, & retourna dans son Appartement.

Le 12. au matin, Mr le Duc de la Trimoüille en long manteau, alla de la part de Sa Majesté chez Monsieur le Duc de Chartres, pour le prendre, & l’amener dans son Cabinet. Ce Prince y vint en long manteau, accompagné de tous les grands Officiers de Monsieur, pareillement en long manteau Si-tost qu’il parut, les Huissiers qui avoient l’ordre, dirent, Voilà Monsieur le Duc d’Orleans, faites-luy place. Ce Prince alla le même matin, accompagné des mêmes Officiers, chez Madame la Duchesse de Chartres, avant qu’elle allast à la Messe.

Le même jour, à trois heures aprés midy, le Roy se rendit chez Madame, où il fit faire l’ouverture du Testament de feu Monsieur, en sa presence, & devant Madame & Monsieur le Duc d’Orleans. Cette ouverture se fit par Mr le Chancelier, & la lecture par Mr le Comte de Pontchartrain. Feu Monsieur ordonne par ce Testament, qu’on fasse dire six mille Messes. Il donne six mille livres au Val de Grace, pour fonder une Messe tous les jours pour le repos de son ame.

Il donne dix mille livres à l’Hôpital de Viller-Cottrests, pour le fonder, & au cas qu’il le soit, pour augmenter la fondation.

Il prie Monsieur le Duc de Chartres de garder tous ses Domestiques, & de récompenser ceux qui ne luy seront pas agréables.

Il donne à Madame la Duchesse de Savoye le gros Diamant qui est au dessus du gros Diamant de feuë Mademoiselle, dans sa grande attache.

Il donne à Madame la Duchesse de Lorraine l’attache qui est au dessus de sa Croix de Diamans brillans ; & en cas que Monsieur le Duc de Chartres meure sans Enfans mâles, il luy donne la Principauté de Joinville avec les Terres qu’il y a jointes.

En cas que les PP. de la Mission qu’il a établis à S. Cloud, n’ayent pas leurs rentes assurées, il leur donne, ou recommande au Prince son Fils, ou à ses heritiers, de les renter, ou payer sur tous ses biens, selon qu’il est porté par l’Acte qu’ils ont signé de sa main.

Au surplus de tous ses biens, Diamans, Pierreries, Terres, Seigneuries, Domaines & autres immeubles generalement quelconques dont il peut disposer, il les donne, en quoy qu’ils puissent consister, à son Fils Philippe d’Orleans, Duc de Chartres, qu’il constituë son Legataire universel. S’il a deux garçons, il substituë à son second Fils, aprés sa mort, le Duché de Montpensier, & le Comté de Beaujolois.

Il veut que ses dettes soient payées sur l’inventaire qu’on fera de ses meubles, & nomme la personne de celuy qui sera premier President du Parlement de Paris lors de son décés, pour Executeur de son Testament, luy donnant un diamant de dix mille livres, qu’il le prie de recevoir.

Il donne à Madame la Duchesse de Bourgogne sa Petite-Fille, le Diamant qui vient du Cardinal de Richelieu, & la prie de le garder pour l’amour de luy.

Il revoque tous les autres Testamens qu’il pourroit avoir faits, voulant que le present soit seul executé, parce que c’est sa derniere volonté. Ce Testament est écrit de sa main propre, & a esté fait & signé à Saint Cloud, l’onziéme d’Avril 1699. Il est passé par devant Clignet & Bellanger, Notaires.

La Maison de Monsieur estant éteinte, le Roy établit celle de Monsieur le Duc d’Orleans, avec les mêmes prerogatives, honneurs, & pensions qui s’y trouvoient attachez, & donna à ce Prince le même appanage.

Sa Majesté envoya Mr le Comte de Pontchartrain chez Monsieur le Prince, pour luy annoncer de sa part, qu’il luy accordoit qu’on fist l’Etat de sa Maison, & qu’on le portast à la Cour des Aides, pour joüir des Privileges des Commensaux de sa Maison, au même nombre que S.A. S. feu Monsieur le Prince, son Pere, comme Premier Prince du Sang.

Le treiziéme, toute la Cour prit le deüil, & tous les Seigneurs, & toutes les personnes de distinction de robe & d’épée, se trouvérent au lever du Roy en manchettes plates, & en longs manteaux. Mr le Duc de la Trimoüille alla de la part du Roy prendre Monsieur le Duc d’Orleans chez luy, & le conduisit chez le Roy, où il demeura quelque temps enfermé avec Sa Majesté. Ce Prince y alla accompagné de tous les grands Officiers de feu Monsieur.

Sur les onze heures du matin, Monseigneur le Duc de Bourgogne, Monseigneur le Duc de Berry, & Monsieur le Duc d’Orleans, en differens carosses, se rendirent au Chasteau de Saint Cloud, où Monseigneur le Dauphin se rendit en même temps de Meudon. Ce Prince fut reçu à la descente du carosse par Monsieur le Duc d’Orleans, accompagné de tous les principaux Officiers de feu Son Altesse Royale. Ces Princes entrérent tous dans l’appartement de Monsieur le Duc d’Orleans, qui estoit tendu de deüil, & se mirent en ordre pour aller jetter de l’Eau-benite à feu Monsieur. Monsieur le Duc d’Orleans se trouva alors si peu en estat d’achever cette ceremonie, qu’il fut obligé de retourner chez luy, & Monseigneur l’en pressa. Ce Prince fondoit en larmes, ce qui attendrit tous les assistans. Monseigneur se mit à genoux sur un Priédieu qui luy avoit esté preparé, & Messeigneurs les Princes derriere luy, & aprés avoir fait quelques Prieres il se leva pour aller jetter de l’Eau-benite. Mr l’Abbé de Grancey, premier Aumônier de feu Monsieur, luy presenta l’aspersoir & ensuite à Messeigneurs les Ducs de Bourgogne & de Berry, puis à Monsieur le Duc, à Monsieur le Prince de Conty, à Monsieur le Duc du Maine, à Monsieur le Comte de Toulouse, & à Monsieur le Duc de Vendosme, aprés quoy les Feüillans qui gardoient le Corps chantérent un De profundis, pendant lequel les Ducs qui estoient presens allérent jetter de l’Eau-benite, l’aspersoir leur ayant esté presenté par l’un des Heraults d’Armes. Mr l’Abbé de Grancey se trouva mal en disant l’Oraison, & eut peine à l’achever. Monseigneur alla ensuite à Meudon, & Messeigneurs les Princes à Versailles.

Le mesme jour, Madame la Duchesse de Bourgogne ayant pris le plus grand deüil, tint cercle sur les trois heures aprés midy. On avoit placé dans son grand Cabinet un fauteüil, avec autant de siéges en cercle que le lieu en pouvoit contenir. Madame la Grande Duchesse, Madame la Princesse, Madame la Duchesse, Madame la Princesse de Conty, Mademoiselle de Condé & toutes les Duchesses s’y rendirent & prirent place. Celles qui auroient pu en occuper & qui n’en purent avoir, parce qu’elles se trouverent toutes remplies, passerent dans la Chambre avec une infinité d’autres Dames toutes en mantes. Madame la Duchesse de Bourgogne, aprés avoir tenu cercle pendant un quart-d’heure, alla dans le Sallon du Roy par la Galerie, suivie environ de cent-quarante Dames, qui toutes se rangerent en cercle tout debout. Sa Majesté sortit un moment aprés de son Cabinet, & salua toute la Compagnie, & presque toutes les Dames en particulier. Madame la Duchesse de Bourgogne alla avec la même Compagnie chez Madame, dont l’appartement estoit tendu de deüil par permission du Roy, parce qu’on ne tend point en noir dans les lieux où les Rois sont. La douleur de Madame se renouvella, en voyant Madame la Duchesse de Bourgogne. Cette Princesse alla ensuite chez Madame la Duchesse d’Orleans, puis chez Monsieur le Duc d’Orleans. Elle monta aprés en carosse pour aller à S. Cloud. Elle avoit ordonné qu’il y en eust douze de prests pour soixante Dames qui l’accompagnérent, parmi lesquelles estoient plusieurs Duchesses, & les Dames du Palais. Elle avoit dans le sien Madame la Princesse, Madame la Duchesse, Mademoiselle de Condé, Madame la Duchesse du Lude, & Madame la Comtesse de Mailly.

Madame la Duchesse de Bourgogne fut conduite en arrivant au Chasteau dans l’appartement de Monsieur le Duc d’Orleans, où cette Princesse se trouva mal, s’estant saisie dés le moment qu’elle entra dans cette Maison. Tout cet appartement & le Salon estoient tendus de deüil.

Madame la Duchesse de Bourgogne s’estant reposée pendant une demie heure, on se mit en marche pour aller donner de l’Eau-benite dans le grand Appartement, ou la Chambre de Madame avoit esté choisie pour exposer le Corps de Monsieur. Madame la Duchesse de Bourgogne ne laissa pas, quoy qu’abbatuë de douleur, de s’acquitter de ce devoir funebre avec beaucoup de grace, & d’une maniere si touchante, & avec tant de pieté, que toute l’Assemblée en sentit redoubler son affliction. Cette Princesse revint ensuite à Versailles, où elle arriva encore penetrée de la douleur qu’elle avoit ressentie & qu’elle n’avoit pu chasser pendant le chemin. Elle se trouva encore un peu mal en rentrant dans sa Chambre Cependant elle soupa avec le Roy & tint compagnie à Sa Majesté aprés le souper.

Le quatorziéme, les Ambassadeurs d’Angleterre, de Venise, & de Savoye eurent audience du Roy, de Monseigneur le Duc de Bourgogne, de Monseigneur le Duc de Berry, & de Monsieur le Duc d’Orleans, à qui le Roy avoit permis ainsi qu’à Madame de faire tendre son appartement de deüil. On observa toutes les ceremonies qui se pratiquent dans les audiences publiques. Ces Ambassadeurs furent conduits, & comme le sujet de leur audience ne regardoit que la mort de Monsieur, sur laquelle ils devoient faire des complimens de condoleance, ils estoient tous en grands manteaux de deüil, aussi bien que Mr le Baron de Breteüil, Introducteur des Ambassadeurs, qui les conduisoit. Ils furent reçus l’un aprés l’autre par Mr le Maréchal Duc de Duras en grand manteau de deüil à l’entrée de la Sale des Gardes du Corps qui estoient sous les armes. Les Princes du Sang, & les grands Officiers qui environnoient le Roy estoient aussi en grand manteau de deüil. Les mêmes Ambassadeurs eurent l’aprésdînée audience de Madame la Duchesse de Bourgogne, où ils furent aussi conduits par Mr le Baron de Breteüil, avec les mêmes ceremonies. Toutes les Dames qui accompagnoient cette Princesse estoient en mantes.

Le soir de ce même jour le cœur de Monsieur fut transporté du Chasteau de S. Cloud au Val de Grace. Tous les Officiers de feu S.A.R. qui estoient de quartier au jour de son decés estoient en longs manteaux sur des chevaux caparaçonnez de deüil. Les Pages de Son A.R. estoient pareillement à cheval, & portoient des flambeaux. Plusieurs carosses drapez & dont les chevaux estoient caparaçonnez de deüil, precedoient & suivoient celuy où estoit le cœur. Ce carosse estoit à huit chevaux caparaçonnez de deüil, avec des housses croisées de moëre d’argent. Il estoit environné d’un grand nombre de Valets de pied, & de Pages portant des flambeaux, Mr l’Abbé de Grancey, premier Aumônier de feu Monsieur estoit dans le fond, & tenoit le cœur de ce Prince Monsieur le Duc de Bourbon, nommé par le Roy pour la conduite du cœur, estoit à costé de cet Abbé. Monsieur le Duc de la Trimoüille, proche parent de Madame, estoit aussi de cette ceremonie. Les Gardes du Corps de Monsieur avec des crespes à leurs chapeaux & des écharpes de crespes, suivoient à cheval portant chacun un flambeau. Il y avoit aprés eux plusieurs personnes à cheval, & vêtuës de deüil portant des flambeaux. Ils estoient suivis d’une longue file de carosses à six chevaux. Il y avoit environ trois cens flambeaux, parce qu’on en avoit distribué aux Pages, aux Valets de pied, & aux domestiques de tous ceux dont les maistres accompagnoient le cœur de Monsieur. Il fut presenté à la porte de l’Abbaye du Val de Grace par Mr l’Abbé de Grancey à la Superieure de cette Abbaye, qui répondit à son compliment, par un Discours qui ne fut pas moins touchant que celuy de cet Abbé. On passa de là dans le Chœur des Religieuses, qui estoit tendu de drap noir, avec deux lez de velours garnis d’écussons aux armes de feu Monsieur, dont le cœur fut mis en dépost sous un dais.

Le Roy ne voulant rien laisser à souhaiter à Monsieur le Duc d’Orleans, Sa Majesté luy a donné les deux Regimens d’Infanterie qu’avoit feu Monsieur, & les deux Compagnies de Gendarmerie ; sçavoir celle des Gendarmes & Chevaux-legers d’Orleans. Sa Majesté a aussi permis à ce Prince de luy presenter des Sujets pour la nomination aux vingt-cinq Benefices Consistoriaux qui sont dans son appanage. Ce Prince a reçu des complimens de condoleance de tous les Corps de la Ville d’Orleans, Mr Bizoton ayant porté la parole au nom de la Ville.

Le 19. le Roy de la Grand’ Bretagne en grand manteau, vint faire au Roy des complimens de condoleance sur la mort de Monsieur. La Reine & Monsieur le Prince de Galles y vinrent aussi, & allerent ensuite chez Madame la Duchesse de Bourgogne, chez Madame, & chez Monsieur le Duc d’Orleans.

L’aprésdînée du même jour, Mr l’Archevêque d’Aix à la teste de plusieurs Députez du Clergé vestus de noir en Camail & en Rochet, firent pareillement des complimens de condoleance au Roy sur le même sujet. Mr d’Aix fit en peu de mots l’Eloge de Monsieur, qui fut suivi de celuy Roy, & il finit par une courte priere pour la conservation de Sa Majesté.

Madame ayant esté chez Madame la Duchesse de Bourgogne, cette Princesse la receut dans son grand Cabinet, qui estoit tendu de deüil. Madame estoit accompagnée seulement de six Dames, qui estoient en mante comme elle.

Madame ayant souhaité un Conseiller d’Etat pour Chef du Conseil de ses affaires, le Roy à nommé Mr de Pomereu.

Le 20, Mr le Comte de Couvonge, Envoyé Extraordinaire de Lorraine, fit des complimens de condoleance au Roy sur la mort de Monsieur ; & comme il n’avoit point encore eu d’audience publique de S.M. Mr le Baron de Breteüil, Introducteur des Ambassadeurs, le prit à Paris dans les carosses du Roy & de Madame la Duchesse Bourgogne, dans lesquels il fut reconduit, aprés avoir esté traité par les Officiers de Sa Majesté.

Le même jour les Cours Superieures firent aussi des complimens de condoleance au Roy. Elles furent conduites par Mr Desgranges, Maistre des Ceremonies, & presentées par Mr le Comte de Pontchartrain, Secretaire d’Etat. Mr le premier President porta la parole pour le Parlement, Mr le President Nicolay pour la Chambre des Comptes, Mr le President le Camus pour la Cour des Aides, & Mr le President Hodier pour la Cour des Monnoyes. Tous ces complimens ayant le même objet, roulerent sur les principales actions de Monsieur, & principalement sur le dévouëment que ce Prince avoit pour le Roy, & sur son attachement pour sa personne. Les Eloges de S.M. y entrerent ingenieusement, & l’acceptation de la Couronne d’Espagne pour Monseigneur le Duc d’Anjou y trouva place. Ces complimens furent trouvez beaux, mais celui de Mr le President Nicolaï toucha le plus.

Le Corps de Ville fit son compliment le même jour, conduit de même que les Cours Superieures, par le Maistre des Ceremonies, & presenté par le Secretaire d’Etat de la Maison du Roy, Mr Dorcé, Prevost des Marchands, porta la parole.

Le Maire & les Echevins de la Ville de Crepy en Valois firent faire le même jour que le corps de feu Monsieur fut transporté du Chasteau de Saint Cloud, en l’Eglise de l’Abbaye de S. Denis, un Service solemnel pour S.A. R. dans l’Eglise de Saint Thomas. Les Officiers du Presidial, de l’Election & du Grenier à Sel, & les Avocats & Procureurs y assisterent en Robes. La Maréchaussée, & les Chevaliers de l’Arquebuse y allerent en armes, & les Dames s’y trouverent en deüil, aussi-bien que les principaux Bourgeois. Tous les Curez de la Ville, & les Ecclesiastiques des Villages voisins s’estoient rendus dés le matin en cette Eglise, laquelle estoit tenduë de noir, & ornée des Ecussons de Son Altesse Royale. On avoit élevé au milieu du Chœur un Lit de parade, sous lequel estoit la Representation avec une Couronne Ducale, environnée d’un grand nombre de cierges. Pendant le reste de la semaine, on fit de pareils Services dans toutes les Paroisses, & dans toutes les Maisons Religieuses de la Ville,

Le 20. le Corps de Monsieur fut transporté du Château de S. Cloud en l’Eglise de l’Abbaye de S. Denis. La compagnie des Archers de Mr le Prevost de l’Isle parut un peu avant ceux qui devoient commencer la marche, afin d’empêcher le désordre qu’il estoit à craindre que la confusion ne causast.

La marche commença par cinquante pauvres portant chacun un flambeau de cire blanche. On donne à chaque pauvre deux morceaux de drap gris pour l’habiller. Ils mettent le plus grand sur leurs épaules, qui fait une espece de manteau, & forment avec le plus petit une espece de cocluchon dont ils s’envelopent la teste.

On vit ensuite paroistre les garçons d’Office de feu Monsieur, avec les petits Officiers des sept Offices portant des flambeaux ; sçavoir, du Gobelet, Echansonnerie, Paneterie, grand & petit Commun, & Fruiterie qui estoient au nombre de cent.

Les Officiers de quartier de la Maison de Monsieur & ceux des autres quartiers qui font leur residence à Paris ; ainsi que ceux qui s’y estoient trouvez ou qui s’y estoient rendus exprés de leurs Provinces, parurent ensuite en long manteau sur des chevaux caparaçonnez de deüil. On avoit distribué des flambeaux aux valets de ceux qui en avoient amené.

Ils estoient suivis de vingt-quatre Pages de Monsieur & de ceux de Madame, & de Madame la Duchesse d’Orleans. Tous ces Pages estoient à cheval & portoient des flambeaux, ainsi que trente Palfreniers, & gens des Ecuries. Ils estoient suivis de quarante Pages de la grande Ecurie & de vingt-quatre de la petite, montez, & tenant chacun un flambeau.

Les Suisses de Monsieur venoient aprés, tenant d’une main un flambeau, & de l’autre leurs halebardes traînantes, & la pointe en bas.

Plus de soixante Gardes du Corps de Monsieur paroissoient ensuite. Ils estoient à cheval, chacun avec un flambeau, & avoient des crespes à leurs chapeaux, & des écharpes de crespe.

Ils precedoient une longue suite de Valets de pied qui marchoient en cet ordre, sçavoir, ceux de Madame la Duchesse d’Orleans, ceux de Monsieur le Duc d’Orleans, ceux de Madame, & ceux de feu Monsieur à la teste desquels estoient plusieurs autres gens de livrées de ces maisons ; de maniere qu’ils montoient ensemble à six-vingt-quatre personnes portant des flambeaux. Plusieurs de ces Valets de pied, douze de Monsieur le Prince de Conty, huit de Mr le Duc de Luxembourg, & soixante appartenans aux Officiers de Monsieur qui estoient dans les carosses, dont le carosse de Monsieur le Prince de Conti qui estoit chargé par le Roy de faire les honneurs du Convoy accompagné de Mr le Duc de Luxembourg, & le Chariot où estoit porté le Corps de Monsieur, furent éclairez. Ce Chariot estoit couvert d’un grand Poësle de velours noir, croisé de moëre d’argent, & doublé d’hermine, avec quatre écussons fort larges en broderie d’or, & d’argent. Les chevaux qui le tiroient au nombre de huit estoient caparaçonnez de velours noir croisé de moëre d’argent avec quatre écussons en broderie. Quatre Aumôniers de S.A.R. en rochet, en manteau & en bonnet carré, & montez sur des chevaux caparaçonnez de noir, tenoient avec des cordons les quatre coins du grand Poësle qui couvroit le Chariot. Il estoit precedé de six Heraults d’armes, & de Mr Desgranges Maistre des Ceremonies, & suivi de Mr le Marquis de la Fare, Capitaine des Gardes de feu Monsieur, & de Mr le Marquis Deffiat premier Ecuyer, à cheval.

Les Timbales couvertes de crespe ne battoient que d’un seul coup, & les Trompettes couvertes de même ne sonnoient qu’à la sourdine. Les Curez des Eglises de la route vinrent selon l’usage au devant du Corps, & firent les Prieres accoûtumées. Il y eut trois distributions de flambeaux, l’une à Saint Cloud, l’autre aux Bons-Hommes, & la derniere au Faubourg Saint Denis. Ce Convoy arriva à quatre heures & demie du matin à Saint Denis. La Porte de la Ville estoit tenduë de drap avec deux lez de velours, ainsi que le Portail de l’Abbaye, la Nef, & le Chœur. Le Corps fut presenté par Mr l’Abbé de Grancey, premier Aumônier de feu S.A.R. à la porte de l’Abbaye au Pere Arnoul de Loo qui en est Prieur. Il le reçut à la teste de ses Religieux, tous en chappes de velours noir. Les Chapitres, Paroisses, Maire & Echevins de Saint Denis y assisterent aussi, tous avec un cierge à la main Mr l’Abbé de Grancey fit un compliment ou plutost un éloge de Monsieur, en presentant le Corps de S.A. Royale, auquel le Pere Prieur répondit. Ensuite de quoy le Corps fut porté dans le Chœur par douze Gardes de feu Monsieur, & mis sous un dais de velours sur une estrade garnie de grand nombre de chandeliers, le Poësle de la Couronne sur le cercueil, & une Couronne de Prince avec le Collier des Ordres couverts de crespes sur un quarreau de velours. Monsieur le Prince de Conty accompagné de Mr le Duc de Luxembourg prit place aux hautes Chaises à droite du costé de l’Autel. Alors le Pere Prieur commença un Répons. Pendant lequel il fit les aspersions & encensemens accoûtumez. À la fin du Répons Monsieur le Prince de Conty, & Mr le Duc de Luxembourg donnérent de l’Eau-benite, & furent reconduits à leur carosse.

Sur les sept heures du matin du même jour, toute la Maison de Monsieur se rendit au Chœur de cette Abbaye, où le même Pere Prieur celebra la Messe, chantée par les Religieux en chappes. Le Corps demeura en depost dans le Chœur jusqu’à la fin des Vespres, & il fut transporté ensuite par les mêmes Gardes, les Religieux chantant à la Chapelle d’en haut derriere le Chœur, où il demeurera en depost jusqu’au jour du Service solemnel.

Toute la Maison de Monsieur s’y trouva. Il est gardé par les Officiers, Gardes, & Suisses, comme il estoit à S. Cloud.

Le 21. Mr de Verthamon, premier President du Grand Conseil, fit des complimens de condoleance au Roy au nom de cette Compagnie, qui fut reçuë & presentée de même que les autres Compagnies Superieures.

Air nouveau §

Mercure galant, juin 1701 [tome 8], p. 384.

Les paroles que vous allez lire, ont esté mises en air par un Maître de Bordeaux qui a le goust bon pour la Musique.

AIR NOUVEAU.

Sombre deserts, où mon cœur amoureux
Vient cacher ses allarmes
Defendez-moy contre les charmes
Du Berger qui cause mes feux.
Ah, si loin de ses yeux je languis, je soupire,
Que ne pourra-t-il point s'il me trouve en ces lieux ?
Deserts, cachez la tendre Amire.
images/1701-06_384.JPG

[Sur la compositrice du premier Air]* §

Mercure galant, juin 1701 [tome 8], p. 385.

En vous disant que les paroles du premier Air que j’ay employé dans cette Lettre, sont de celuy qui ne prend jamais que le nom de Tamiriste, j’ay oublié d’ajoûter qu’elles ont esté mises en Air par Mademoiselle Bataille, qui à l’âge de dix-sept ans, possede parfaitement la Musique & le Clavessin & qui a la voix tres-jolie. A treize ans, elle fit un petit divertissement qui a pour titre Narcisse, & qui a esté extrémement applaudy de tous les Connoisseurs. Je vous ay a déja parlé d’elle dans quelqu’une de mes Lettres. Elle est Fille d’une Mere qui est aussi fort sçavante en Musique.