1702

Mercure galant, juillet 1702 [première partie] [tome 9].

2017
Source : Mercure galant, juillet 1702 [première partie] [tome 9].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, [première partie] [tome 9]. §

[Sonnet] §

Mercure galant, juillet 1702 [première partie] [tome 9], p. 5-9.

Les grandes & surprenantes actions du Roy donnent toujours une juste occupation aux Muses. Ce Monarque est le premier qu’on ait appellé le Heros de toutes les saisons. Lui pouvoit on refuser ce titre, aprés qu’on luy a veu soumetre en huit jours une Province toute entiere pendant les plus fortes rigueurs de l’Hiver ? On peut ajouter à cet Eloge qu’il sera le Heros de tous les Siecles, puisqu’il est tres-vray semblable que les Siecles à venir ne produiront aucun Souverain assez accomply. Je ne dis pas pour aller au de là de ce que l’amour de la Gloire a fait entreprendre à ce Monarque, mais mesme pour l’égaler dans ce qu’il a fait d’extraordinaire. Et jusqu’où n’auroit il pas pû porter ses projets, s’il n’avoit esté toujours également moderé & genereux. Vous trouverez l’idée de cette glorieuse verité dans le Sonnet que vous allez lire.

AU ROY

Heros dont la grandeur est le suport des Rois.
Monarque que distingue un merite sublime ;
Azile où la vertu regne & détruit le crime.
Conquerant sans égal dont on aime les Lois.
***
La jalousie en vain te dispute des droits
Qu’autorise le Ciel d’un aveu légitime !
Tes envieux seront à jamais la Victime
De ce bras qui les a dissipez tant de fois :
***
Sous tes ordres, Grand Roy, l’on verra ta Milice
Vaincre tous les efforts, l’audace & l’injustice
Du Belge, du Germain, de l’Isle d’Albion ;
***
Ils ont beau se liguer pour obscurcir ta gloire,
Rien ne peut faire obstacle au cours de ta Victoire,
Que peut seul arrester ta moderation.

Ce Sonnet est de Mr Daubicourt. Vous ne serez pas fâchée d’en voir d’autres à la gloire de Sa Majesté. Voicy ce que Mrs de l’Academie des Lanternistes de Toulouse ont fait publier touchant celuy qui a remporté le prix cette année.

[Divers Sonnets sur les Bouts-rimez proposez par l’Academie des Lanternistes de Toulouse] §

Mercure galant, juillet 1702 [première partie] [tome 9], p. 9-25.

Le Public aura sans doute du plaisir de voir avec quel succés on remplit nos Bouts Rimez, & combien on se perfectionne dans cette agreable exercice. On en pourra juger par le Sonnet qui a remporté le prix. Cet ouvrage est de la composition de Mr de Nolet Cadhillac, qui est né, pour ainsi dire, dans le sein des Muses. Son illustre Famille les a toujours cultivées, & c’est là particulierement qu’elles aiment à faire entendre leurs charmants Concerts. Voicy le Sonnet victorieux ; Nous y en avons ajouté plusieurs autres, où la beauté des pensées & le feu de Poësie se font également sentir. On laisse aux Connoisseurs à en décider, & c’est devant leur Tribunal équitable que nous renvoyons certains Auteurs mécontens, qui tâchent à nous décrier, parce que leurs ouvrages n’ont pas eu le bonheur de réussir.

On a averti plusieurs fois que les Sonnets à Rime composée ne seroient point reçeus. Cependant on n’a pû se dispenser de faire imprimer le septiéme, à cause de ses grandes beautez.

AU ROY.
Premier Sonnet qui a remporté le Prix.

Quel spectacle terrible à mes yeux se déploye !
J’entens de toutes parts de foudroyans concerts ;
Bellone est en courroux, Mars trouble nos deserts,
Et d’une Paix charmante il interrompt la joye.
***
On vit moins de Guerriers s’assembler contre Troye.
Pour qui prepares-tu, Fortune, tes revers ?
C’est pour nos Ennemis, qui de honte couverts
Bien-tost du grandLouisvont devenir la proye.
***
Ainsi par ses hauts faits deux siecles embellis
Feront briller toûjours la splendeur de nos Lis,
Aux plus loingtains climats leur gloire est répanduë.
***
Que pourra des jaloux l’inutile fureur ?
Ta puissance, Grand Prince, en tous lieux étenduë,
Dans les cœurs les plus fiers va porter la terreur.

PRIERE POUR LE ROY.

Conservez nostre Auguste Maistre,
Ce Heros que nous vous devons,
Seigneur, vous pouvez seul connoistre
Le besoin que nous en avons.

II. SONNET.

Muses, qu’en ce beau jour tout vostre art se déploye ;
Que d’objets éclatans s’offrent à vos concerts !
Louiscomble nos vœux, & dans nos champs deserts
Rétablit, entretient l’abondance & la joye.
***
Tel, & plus sage encor que le Vainqueur de Troye,
Du sort capricieux il prévient les revers ;
Ses augustes vertus, & ses desseins couvers
Forcent l’Aigle orguëilleuse à luy rendre sa proye.
***
Par toy les bords du Tage, en tous lieux embellis,
Brillent moins de leur or que de l’éclat des Lis,
De l’Aurore au Couchant sa gloire est répanduë.
***
D’une Ligue nouvelle il dompte la fureur,
Sur cent Peuples divers sa puissance étenduë
Le rend du monde entier l’amour & la terreur.

PRIERE POUR LE ROY.

Seigneur, du grand Louis benissez les travaux :
Que tout suive ses loix qu’on aime son Empire,
Qu’il regne sur nos cœurs, qu’il dompte ses Rivaux,
Qu’il vive longtemps, c’est tout dire.

III. SONNET.

En vain de Mars en feu l’Etendart se déploye,
Rien ne trouble en ces lieux nos jeux & nos concerts ;
Tranquilles comme au fonds des plus vastes deserts,
Nous ne sommes sujets qu’à des transports de joye.
***
Cremonealloit subir l’affreux destin de Troye :
Mais le Germain chassé par un juste revers,
De gloire & de son sang nous a laissez couvers,
Et deLouisvainqueur est devenu la proye.
***
D’éternels monumens de ces faits embellis,
Vont redoubler l’éclat du Monarque des Lis,
Sa Victoire incroyable est par tout répanduë.
***
Ce Heros met aux fers l’Envie & la Fureur,
Sur la terre & les flots sa puissance étenduë
Le rend de l’Univers l’amour & la terreur.

PRIERE POUR LE ROY.

Dieu des combats, appuy du sacré Diadême,
Daignez rendre Louis toûjours victorieux,
En faisant triompher un Heros si pieux,
Seigneur, vous triomphez vous-même.

IV. SONNET.
Le Berger du Bord du Lignon,
AU ROY.

L’Aigle en vain en ce jour son Etendart déploye ;
Que rien ne trouble icy nos jeux & nos concerts !
Malgré Mars en courroux, nos paisibles deserts
Conserveront toûjours & la paix & la joye.
***
Unit-on contre nous tous les Heros de Troye,
Pendant queLouisregne il n’est point de revers :
Nos Ennemis vaincus & de honte couvers,
Verront bien-tost leur Camp devenir nostre proye.
***
Ainsi par tes hauts faits, nos fastes embellis,
Grand Roy,font que tout cede à la splendeur des Lis,
Dont l’odeur en tous lieux est par tout répanduë.
***
De cent Peuples unis que pourra la fureur ?
Aux plus loingtains climats ta puissance étenduë,
Va porter loin de nous la guerre & la terreur.

PRIERE.

Seigneur conservez le Heros,
  A qui l’on doit le doux repos
Que goûtent de Lignon les paisibles rivages,
Il porte loin de nous la guerre & ses ravages,
  Portez ses jours filez de soye & d’or
  Aussi loin que ceux de Nestor.

Ce quatriéme Sonnet est encore de Mr de Nolet Cadhilhac.

V. SONNET.

Heros, pour qui le Ciel ses richesses déploye,
Que tes augustes soins animent nos concerts,
Bellone veut en vain rendre nos champs deserts :
Ta sagesse y répand l’abondance & la joye.
***
Plus heureux, plus prudent que le Vainqueur de Troye,
Tes progrés glorieux n’ont jamais de revers,
Mille & mille ennemis declarez ou couvers
A ta fiere valeur se sont livrez en proye.
***
Cent climats fortunez par ta main embellis
Ressentent les douceurs de l’Empire des Lis ;
Sur la terre & les flots ta gloire est répanduë.
***
Paisible tu combas la Discorde en fureur,
De ton vaste pouvoir tout connoist l’ étenduë
Le seul bruit de ton nom exprime la terreur.

PRIERE.

Seigneur, dont la main adorable
Du Monarque des Lis a formé le grand cœur,
Fais qu’il vive longtemps, craint, aimé, redoutable,
Il regne pour ta gloire & pour nôtre bonheur.

VI. SONNET.

Que la Ligue, Grand Roy, de nouveau se déploye,
Que troublant de la Paix les plus sacrez concerts,
Elle veüille changer nos Villes en deserts,
Ses efforts ne sçauroient suspendre nostre joye.
***
Plus sage, plus vaillant que les Heros de Troye,
Tu maistrises le sort, tu braves ses revers,
Déja tes fiers Rivaux de honte sont couvers
D’une rage inutile ils deviennent la proye.
***
De tes rares vertus tes Neveux embellis.
Sur le Rhin, sur le Pô, font respecter les Lis,
Et montrent en tous lieux ta gloire répanduë.
***
Mais si de leur courroux approuvant la fureur,
Tu donnes à leur fougue une libre étenduë,
De l’Univers entier ils seront la terreur.

VII. SONNET.

Tandis que deLouisl’étendart se déploye,
De mille sons guerriers on entend les concerts,
Les champs des fiers Germains seront bientost deserts
On poussera les cris celebres de Mont-joye.
***
Ce glorieux Heros issu du sang de Troye
Leur fera du Destin éprouver les revers,
Il ne marchera point par des chemins couvers,
Et l’Aigle audacieux sera sa riche proye.
***
De ses faits éclatans nos fastes embellis
Parfument l’Univers de l’odeur de ses Lis,
Sa gloire est à bon droit en tous lieux répanduë.
***
Son grand cœur de son bras surmontant la fureur.
Fera de son pouvoir ressentir l’ étenduë
En inspirant l’amour ainsi que la terreur.

Et dominabitur à mari usque ad mare, & à flumine usque ad terminos orbis terrarum. Ps. 71. v. 15.

Sa domination un jour sera si belle
Qu’elle ira s’étendant de l’une à l’autre Mer,
Et sous un Empire si cher
Sera la Terre universelle.

Epigramme à Mr le Prince de Montbason §

Mercure galant, juillet 1702 [première partie] [tome 9], p. 25-28.

Messire François Armand de Rohan, connu sous le nom de Mr le Prince de Montbason, Fils de Charles de Rohan, Duc de Montbason, Prince de Guemené, Pair de France, reçeut le 5. du mois passé l’agrément du Roy pour estre Colonel du Regiment de Picardie. Sa Majesté fit connoistre pour lors l’estime qu’elle a toujours euë pour cette illustre Maison alliée depuis bien des Siecles à presque tous les Souverains de l’Europe : Mr le Prince de Guemené parla long temps en particulier au Roy qui luy donna de grandes marques d’estime, en disant qu’il ne doutoit pas que Mr le Prince de Montbason ne se distinguast, à quoy Sa Majesté ajouta en propres termes que son Regiment le suivroit par tout. C’est à l’occasion de ces paroles qu’on a fait cette Epigramme.

A M. LE PRINCE DE MONTBASON,
Colonel du Regiment de Picardie.

Partez, Prince, joignez vos genereux Soldats,
Ils attendent pour vaincre à marcher sur vos pas ;
Ils vous suivront par tout.
C’est l’auguste presage.
Qu’a formé devant vous l’invincible Louis.
Pour esperer de vous des explois inoüis ?
Digne sang des Rohans, en faut il davantage ?

[Paraphrase] §

Mercure galant, juillet 1702 [première partie] [tome 9], p. 50-57.

Mr l’Abbé Anselme, si celebre par ses excellentes Predications, a fait en Latin l’Epitaphe du Roy d’Angleterre Jacques II. & tous ceux qui l’ont lûë, l’ont admirée. Mr le Ch. G. en a fait la Paraphrase, & l’on y a trouvé des beautez qui ne vous échaperons pas.

PARAPHRASE DE L’EPITAPHE DU ROY D’ANGLETERRE.

 Regi Regum, felicique Memoriæ
Jacobi II. Majoris Britanniæ Regis.
Au Roy qui fais regner tous les Rois de la terre,
Et pour transmettre aux siecles à venir
Le precieux dépost de l’heureux souvenir
Du grand Roy Jacques d’Angleterre.
 Qui sua hîc viscera condi voluit,
Conditus Ipse in visceribus Christi.
Ce lieu saint, est l’azile, ainsi qu’il l’a prescrit,
De ses Entrailles venerables :
Et lui-même goûte le fruit,
De ses vertus incomparables,
Dans l’azile éternel du sein de Jesus-Christ.
Fortitudine bellicâ nulli secundus,
 Fide Christianâ cui non par ?
Nul ne porta plus haut la gloire
Qui suit la parfaite valeur ;
Et par la pure Foi qui regna dans son cœur,
A qui ne peut-on pas comparer sa memoire ?
 Per alteram quid non ausus ?
Propter alteram quid non passus ?
Est-il quelque chemin aux grandes actions
Où ne l’ait pas conduit l’ardeur de son courage ?
Est-il de coup affreux de revolutions
Qui de sa Pieté n’ait esté le partage ?
Illâ plusquam Heros,
 Istâ propè Martyr.
Il remplit d’un Heros les plus vastes desirs
Tandis qu’il fut guidé par sa vertu morale :
Et dans ce qu’il souffrit, sa Foi fut presque égale
A la Foi même des Martyrs.
Fide fortis, accensus periculis,
 Erectus adversis.
Fort de cette force sublime,
Son cœur sans relâche agité
Parut dans les perils toûjours plus magnanime,
Et plus grand dans l’adversité.
 Nemo Rex magis cui Regna quatuor,
Anglia, Scotia, Hibernia. Ubi quarum ?
  Ipse sibi.
Vraiment grand Roi ! dont le pouvoir suprême
Eut quatre Empire sous ses loix ;
L’Angleterre, & l’Ecosse, & l’Irlande à la fois ;
Et quel estoit quatriéme ?
Celui qui le rendit sage entre les grands Rois,
L’empire qu’il eut sur soi-même.
Tria eripi potuere, Quartum intactum mansit.
Priorum defensio Exercitus, qui defecerunt,
Postremi tutela Virtutes, nunquam transfugæ.
Des trois premiers sans peine on a pû le priver,
Lorsqu’on vit ses Troupes rebelles,
Loin de perir pour les sauver,
Pousser leurs attentats jusqu’à se soulever ;
Mais du dernier les Gardes immortelles
Ses Vertus, dans la paix sçeurent le conserver,
Et luy furent toûjours fidelles.
 Quin nec illa tria erepta omninò.
Instat Regnorum est Ludovicus hospes.
Sarcit amicitia talis tantæ sacrilegia perfidiæ.
 Imperat adhuc qui sic exulat.
Encor ceux-là, quoy qu’envahis,
Ne luy furent pas même entierement ravis :
Et dans son cœur, malgré la sacrilege audace
De tant de crimes inoüis,
L’Hospitalité de Louis
Remplit abondamment la place
Des droits sacrez du Trône indignement trahis.
Les augustes liens d’une amitié si forte
Dans la grandeur Royale ont soutenu ses jours :
Estre exilé de la sorte
N’est-ce pas regner toûjours ?
Moritur, ut vixit, Fide plenus,
Eòque advolat, quò Fides ducit,
 Ubi nihil perfidia potest.
Enfin sa vive Foy sanctifia sa vie,
Consomma par sa mort sa tendre Pieté,
Et l’enleva dans la felicité,
  De nostre celeste Patrie,
Inaccessible aux traits de l’Infidelité.
Non fletibus hîc, Canticis locus est,
 Aut si flendum, flenda Anglia.
Que de Cantiques saints ce Tombeau retentisse,
Et que toûjours on en bannisse
Et les larmes & les douleurs :
Ou s’il y faut pleurer, s’il faut qu’on y gemisse,
Pour l’Angleterre seule, il faut verser des pleurs.

[Dialogue de la Prose & de la Poësie] §

Mercure galant, juillet 1702 [première partie] [tome 9], p. 65-77.

Mr de Vertron dont je vous ay parlé tant de fois, a fait le Dialogue suivant, sur ce qu’une aimable Demoiselle, à laquelle il donne le nom de Silvie, disoit, que si elle avoit du goût pour le Sacrement de Mariage, elle ne voudroit pas se marier avec un homme qui fist des Vers, fussent-ils de la derniere beauté, & fut-il d’ailleurs pourveu des plus belles qualitez, tant elle avoit d’aversion pour celle de Poëte !

DIALOGUE
DE LA PROSE
ET DE LA POESIE.

LA PROSE.

Je ne sçay, d’où vient ta fierté,
Ma sœur.

LA POESIE.

& je ne sçay moy-mesme,
D’où te vient cette audace extrême ?
Tu m’appelles ta sœur ! quelle est ta vanité ?
Moy ta sœur ! moy sœur de la Prose !

LA PROSE.

Vrayement voici bien autre chose ;
Quoy ! tu n’est pas ma sœur ?

LA POESIE.

non, je ne la suis pas ;
Pense-tu, que mon sang jusqu’à toy se ravale ?
Ah ! si j’étois ta sœur, tu serois mon égale ;

LA PROSE.

Par cette égalité, qui t’alarme si fort,
Je ne sçay, qui de nous seroit mieux partagée ;
Toutes deux, en naissant, nous avons même sort,
Et tu n’és tout au plus, qu’un peu mieux arrangée.

LA POESIE.

Non, ma naissance vient des Cieux ;
Je me voy tous les jours, malgré ta jalousie,
Assise à la table des Dieux,
Comme eux, je me nourris de Nectar, d’Ambrosie,
Et ma gloire est assez reconnuë en tous lieux.

LA PROSE.

Ne reviendras-tu point de cette phrenesie ?
Car enfin tu me fais pitié,
Et je voudrois te rendre sage,
Par un trait de bonne amitié.
Tu vœux des Immortels affecter le langage,
C’est un entêtement fatal,
Et tu l’entens si peu, tu le parle si mal,
Qu’aux siflets du Public ta sottise t’expose :

LA POESIE.

Si je le parle mal, je n’en suis pas la cause ;
Certains méchans Auteurs m’habillent de travers :
Mais écoute, entre nous, s’il est de méchans vers :
Il est bien de méchante Prose.

LA PROSE.

J’en conviens, comme toy ; je me plains des Auteurs,
Ils me rendent souvent d’assez mauvais offices ;
Je parle de certains novices ;
Qui prennent le nom de Docteurs,
Dés qu’ils sont sortis du College :
Chacun pour son argent obtient un Privilege ;
On trouve au même prix des Marchans, des Lecteurs,
Et par fois des Approbateurs ;
Mais ne sortons pas de la These ;
Tous ces Auteurs, ne t’en déplaise,
Ne font ni pour ni contre nous ;
N’examinons icy, que nostre seul merite.
Pourquoy traites-tu de jaloux
Des sentimens d’amie, où la pitié m’invite ?
Qui de nous parle mieux raison ;
Tu sçais, que ton langage est taxé de folie.
Qu’on n’entend presque rien dans ce pompeux jargon ;
Que la sombre mélancolie,
Où ton ame est ensevelie,
Te fait prendre un essor souvent hors de saison,
Ah ? pour parler aux Dieux, sers-toy de ce langage,
Vante en termes guindez l’honneur de leurs Autels ;
Mais pour parler à des Mortels.
Ne montre qu’un éclat, qui soit à leur usage.

LA POESIE.

Je t’ay long-temps laissé parler,
Pour voir, jusqu’où pourroit aller,
Ce langage plein d’insolence ?
Mais si je differois à t’imposer silence,
Tes outrages iroient trop loin.
Tu me dis, en fidele amie
Que la pitié t’invite à guerir ma folie ;
Tu pourrois t’épargner ce soin,
Et tel, qui de folle me traite,
Voudroit devenir fou, pour devenir Poëte,
La folie est noble à ce prix ;
Combien en connois-je à Paris,
Qui voudroient renoncer à leur froide sagesse
Pour cette docte & sainte yvresse,
Qui prend son essor vers les Cieux,
Dont elle tient son origine ?
Car ils sçavent qu’elle est divine ;
Mais ne pouvant s’approprier
Un langage qui les surpasse,
Ils prennent après leur disgrace
Le parti de me décrier,
Cependant comme le plus sage
A des foiblesses quelquefois ;
Si-tost qu’ils sont rangez sous d’amoureuses loix,
Ils ont recours à ce langage,
Dont tu dis que l’éclat n’est pas à leur usage.

LA PROSE.

Il est vray, j’en conviens, tu fais rage en amour,
Je te cede cet avantage ;
Et pour t’insinuer, tu prens un certain tour,
Que je n’attrape qu’avec peine ;
Et c’est apparemment ce qui te rend si vaine :
Mais si je te parlois avec sincerité,
Tu rabattrois beaucoup de cette vanité,
Et je n’aurois pour te confondre ….

LA POESIE.

Et que pourrois-tu me repondre ?

LA PROSE.

Je dirois que l’Amour simpatise avec toy,
Que vous estes tous deux dans une même école ;
Et que si dans le monde on te traite de folle,
Il est en même odeur que toy.
En effet, pour parler de langueurs, d’esclavage,
Pour sçavoir en Soleils transformer deux beaux yeux,
Il ne peut rien faire de mieux,
Que de parler toûjours ton bizare langage :
Pour moy, loin d’emprunter un si vain ornement,
Je parle naturellement,
Et je suis en amour d’une disette extrême ;
Car enfin tel est mon destin,
Qu’aprés avoir dit, je vous aime,
Je suis au bout de mon latin.

LA POESIE.

Ainsi donc tu conviens, que sur toy je l’emporte,
Du moins en amour ;

LA PROSE.

que m’importe
Je trouve bien ailleurs à me dédommager :

LA POESIE.

Cependant hors l’Amour tout languit dans la vie ;
Tu devrois moins le negliger.

LA PROSE.

Il a besoin de moy, quand il m’en prend envie,

LA POESIE.

En quoy ?

LA PROSE.

L’ignore-tu, toy qui descens des Cieux ?
Peux-tu méconnoître les Dieux !
L’Hymen est il banni de leur brillant Empire ?

LA POESIE.

Non ; mais par là que veux-tu dire,
Et de tous ces grands mots quel est le resultat ?

LA PROSE.

Moy ! je ne ne veux dire autre chose,
Sinon, que pour l’Hymen, il faut un bon Contrat,
Et qu’un Contrat se fait en Prose.

LA POESIE.

Quoy ! toute ta puissance au Contrat se réduit ?
Va, je n’y porte point d’envie,
Fust-ce avec l’aimable Silvie ;
Et si de la Sagesse il n’est point d’autre fruit,
J’aime mieux garder ma folie,
Un Contrat ! ce seul nom, la terreur des Amans,
Leur va glacer le cœur, si tost qu’on le prononce ;
Et leurs plus rigoureux tourmens
Sont moins durs, que cette réponse :
L’Hymen, tu le sçais bien, détruit en un seul jour
Tous les agrémens de l’amour.

LA PROSE.

Pour soutenir tes avantages,
Ton babil importun ne tariroit jamais.

LA POESIE.

Je ne dis plus qu’un mot, aprés quoy je me tais ;
Il est beaucoup de fous, il est bien peu de sages ;
 Ergò je l’emporte sur toy,
Puisque j’auray toujours pour moy
La pluralité des suffrages.

[Sonnets] §

Mercure galant, juillet 1702 [première partie] [tome 9], p. 78-80.

Une Dame d’esprit, qui prend le nom de Doris, a fait les Vers que vous allez lire.

SONNET.

Ma plume, il est tems de vous taire,
Faites ce généreux éfort,
En vous représentant le tort
Que vous eustes de vouloir plaire.
***
Une femme sexagénaire
Ne doit plus penser, qu’à la mort ;
Laissez-moy prendre mon essor
Pour ce grand pas que je dois faire.
***
Vous m’avez fait passer des jours
A produire de vains discours,
Qui font voir aujourd’huy ma honte :
***
Je veux vous perdre pour jamais,
Afin d’examiner le compte
Des pechez qu’avec vous j’ay faits.

Un galant homme, qui ne veut paroître que sous le nom de Coridon, fait une réponse à la sage & sçavante Doris.

SONNET.

Doris aux plaisirs innocens
Qu’excitoient en nous Vers & Prose,
Renonce, & veut pour autre chose
Garder le reste de ses ans.
***
La Grace & ses attraits puissans
Ont fait cette métamorphose ;
Mon cœur, adorons-en la cause,
Et quitons ces amusemens.
***
Je vois, que son ame touchée
Aux vanitez s’est arrachée ;
Imitons son saint repentir :
***
C’est un exemple sûr à suivre ;
Si pour Doris je ne puis vivre,
Je ne dois songer qu’à mourir.

[Essais de Litterature] §

Mercure galant, juillet 1702 [première partie] [tome 9], p. 80-92.

La Republique des Lettres va estre enrichie d’un Ouvrage considerable par son projet & qui ne le sera pas moins par l’execution, si la suite répond aux premiers essais qui ont paru vers le 15 de Juillet 1702. C’est une espece de Journal pour les gens de Lettres, mais l’Auteur ne prétend pas pour cela déroger aux Journaux des Sçavans qui se font en France, dans la Souveraineté de Dombes & dans les Pays étrangers, le dessein de ceux-cy n’est que d’informer le public de tout ce qui paroist chaque année de plus important dans les Sciences & dans les beaux Arts, à mesure que les Sçavans & les habiles mettent au jour les nouvelles productions de leurs esprits ; le dessein de nostre nouvel Auteur est tout different. Il ne s’attache pas à la suite des années, mais à celle des découvertes qu’il fait en ce genre de litterature qui regarde particulierement la connoissance des bons Auteurs, & des bonnes Editions. Son genie & son inclination l’ont porté à cette sorte d’étude depuis quelques années, & il n’a pas crû déplaire au public en luy faisant part du fruit de ses veilles, & de son travail, moins pour l’instruire que pour en estre instruit luy-mesme. Mais s’il arrive quelquefois qu’il vienne à parler des mesmes Ouvrages dont parlent quelques-uns de ces Journaux, il supplie dés à présent leurs illustres Auteurs qu’il regardera toujours comme ses Peres & ses Maistres, de ne pas prendre en mauvaise part une telle liberté qui semble estre autorisée par le droit du voisinage, à peu prés de mesme qu’en de certaines Provinces de ce Royaume où c’est un usage estably parmy la Noblesse de pouvoir chasser sur les Terres les uns des autres quand les Seigneurs ont leurs Terres contiguës, & qu’ils ont réciproquement droit de rendre, pour me servir de leurs termes, au lieu que les simples Gentilshommes qui n’ont pas de quoy rendre ne peuvent pas non plus chasser sur les Terres de leurs voisins ; mais si cette comparaison tirée de la Coûtume de Champagne, paroist un peu trop orgueilleuse, l’Auteur de ces Essais déclare qu’il ne prétend pas par-là entrer en parallele avec ceux des Journaux. Il leur est trop inferieur pour cela, & par rapport à eux qui font de justes Ouvrages, & d’abondantes Moissons, il ne se regarde que comme ceux qui vont glaner dans le Champ d’autruy, & en ce sens il ne considere son Ouvrage que comme une spicilege ou des Analectes, s’il estoit permis d’adapter au sien les titres consacrez, pour ainsi dire par l’usage qu’en ont fait les sçavans Peres Dom Luc d’Achery & Dom Mabillon.

Au reste l’Auteur de ces Essais a donné à son Recuëil le titre le moins flateux & le moins pompeux qu’il a pû, de crainte de rendre le frontispice plus beau que le bâtiment entier, & s’il n’a pas le bonheur de devenir tant soit peu utile au public, il espere du moins avoir celuy de les convaincre de sa bonne foy en ne luy promettant pas plus qu’il ne sçauroit tenir. Si sa retenuë n’eust pas fait le motif du titre qui paroist, il auroit pû en choisir d’autres plus heureux peut-estre pour le débit de son Ouvrage, & pour s’accrediter, comme celuy de Bibliotheque choisie à l’exemple de Mr Colomiez, ou de Bibliotheque ancienne & nouvelle à l’imitation de Mr Koning ; mais outre qu’il n’a pas l’humeur plagiaire, il n’a garde d’apparier, pour ainsi dire, par des titres si ressemblans, ses productions à celles de ces deux grands hommes, du premier desquels on a dit aussi-bien que de Mr Gueret, avec autant de verité que d’esprit, que c’étoit le grand Auteur des petits Livres.

Persuadé qu’est l’Auteur de ces Essays que pour faire une Bibliotheque, on doit avoir moins d’égard au nombre qu’à la qualité des Livres que l’on achete, comme faisoit l’illustre feu Mr de With Neveu du fameux Pensionnaire de ce nom, dont la Bibliotheque & le Cabinet de raretez & de Medailles se vendirent à Dordrechst en Hollande sur la fin de l’année derniere, & dont on a les Catalogues imprimez qui sont des pieces forts curieuses & fort instructives pour la connoissance des bons Livres, comme l’estoit dans son tems le Catalogue de la Bibliotheque de Mr de Thou, imprimé en deux Volumes in octavo, est intitulé Bibliotheca Thuanea.

Persuadé, dis-je, de cette verité il s’est resserré dans de certaines bornes pour ne pas tomber dans l’inconvenient de ceux qui ne mettent point de fin aux amas de Livres & de qui on pourroit dire en ne changeant qu’un mot ce que le divin Auteur de l’Imitation de Jesus-Christ, dit si sagement : Faciendi Libros nullus est finis.

Il m’a paru par la Lecture de ses Essais, que l’Auteur nous y donne le précis de quantité de Livres tres-rares en chaque genre, sur tout des anciennes Editions, dont il paroist qu’il est fort curieux. Il nous apprend d’ailleurs beaucoup de faits anecdotes de litterature qui non seulement ne sont pas du ressort du vulgaire, & des demy sçavans ; mais aussi qui peuvent souvent échapper à la diligence des veritables sçavans, & des plus profonds, tel qu’est celuy qui regarde le traité des Medailles d’Hautin, dont l’article se trouve à la page 9. & dans la page quarante de ce Recuëil.

D’ailleurs s’il est vray que la brieveté contribuë au merite d’un Ouvrage, les articles de celuy cy n’estans pas trop étendus, & ce premier Recuëil n’estant que de 61 page, je puis dire que je n’ay rien lû en ce genre, de plus profitable ny de moins ennuyeux. Ces Essais de litterature pour la connoissance des Livres se vendent chez le Sieur Jean Moreau, ruë saint Jacques vis-à-vis S. Yves, à la Toison d’or. L’Auteur se propose d’en donner un pareil Volume tous les mois.

Ode, sur la Foudre §

Mercure galant, juillet 1702 [première partie] [tome 9], p. 92-98.

L’Ouvrage qui suit est de Madame de Malenfant, Présidente Douairiere de Pamiers, & a esté presentée aux Jeux Floraux de Toulouse, où elle a reçeu beaucoup d’approbation.

ODE,
SUR LA FOUDRE.

D’où vient cet assemblage horrible,
D’obscurité, de vents, d’éclairs !
Quel trouble regne dans les airs ?
Que m’annonce ce bruit terrible !
Tisiphonne aux brûlans cheveux
Avec ses redoutables feux
A-t-elle embrasé ce nuage ?
Dieu du jour ainsi qu’autrefois
Vos Coursiers écumans de rage,
D’un Mortel suivroient-ils les loix ?
***
Ministre du Dieu des tempestes,
Foudre meurtriere, c’est toy
Que j’entens & que j’apperçoy
Prête d’éclater sur nos testes.
Fille des mouvemens jaloux
De deux Elemens en courroux
Tu romps déja ta foible digue.
Ces Sillons de feu, ces horreurs
Qu’assemble une funeste ligue
Sont le signal de tes fureurs.
***
Suivant la route qu’elle trace
L’attrait d’une douce chaleur,
La seche & l’humide vapeur
Vont des airs usurper la place.
Le feu se hâtant d’écarter
L’Ennemy qui l’ose affronter,
Le repousse avec violence !
Glaive ardent, terreur des mortels,
Triste foudre, tu prens naissance
De ces divorces Eternels.
***
Epris d’une force inconnuë
Spectateur d’un hideux fracas.
Perçant le sejour des Frimats
Je vole au dessus de la nuë ;
Je les vois, ces deux fiers Rivaux,
Se livrer de rudes assauts
Dont mugit la voute azurée
Dieux, avec quel choc & quel bruit
S’échappe une flame ensouffrée
Du sein d’une effroyable nuit !
***
Flame subtile & penetrante,
Tourbillon, Orage fumant,
A ton affreux mugissement
La Terre s’émeut s’épouvante.
Tout fremit, un effroi soudain
Se répand sur le front d’Airain
Du Monarque du noir Cocite.
Neptune pressant ses Chevaux
Plein de la frayeur qui l’agite
Cherche un azile au fond des flots.
***
Ce Nourrisson des Eumenides
Artisan d’un projet fatal
L’orgueil par son souffle infernal
Excita tes traits homicides ;
Ouy, c’est ce Monstre qui jadis
Arma ces mortels trop hardis
Que vit tomber la Thessalie
Et de qui la rebellion
Par une éclatante folie
Fit voir Ossa sur Pelion.
***
Si la Prudence ne l’anime
Que peut la fougueuse Valeur ?
D’une capricieuse ardeur
Elle est la superbe victime.
Déja ces Titans insensez
Du haut de leurs Monts entassez
Voyent le Ciel comme leur proye,
Quand d’un effort impetueux
Le Carreau s’élance, & Foudroye
Ces Colosses presomptueux.
***
O trois fois heureux ce bel âge.
Où sur les charmes, trop puissans
Du Flateur empire des sens
La raison avoit l’avantage !
Avec les Dieux l’homme d’accord
Jouissoit d’un paisible sort
Et ne craignoit point le Tonnere :
Rien ne troubloit ses doux plaisirs
Et sur la face de la Terre
Ne regnoient que les seuls Zephirs.
***
Mais helas ! il n’est plus d’obstacles
Qui brident les vents mutinez,
Et les Elemens déchaînez
N’enfantent que de noirs spectacles
Roulant sur le nuage épais
Armée & de flame & de traits
La foudre enfonce sa barriere
Et brisant les plus durs Rochers
Son ardeur dévorante & fiere
Des Forests fait d’affreux buchers.
***
Ah ! quel desordre épouvantable,
Quel renversement, quel débris ;
Allarment mes regards surpris !
Arreste, Foudre impitoyable.
Mais quoy, tu redoubles tes coups ?
Et lasse d’éclater sur nous
Tu voles sur les Autels même,
Ton feu prompt à tout ravager
Tourne ainsi sa fureur extrême
Contre les Dieux qu’il doit vanger.

Stances irrégulières à une veuve §

Mercure galant, juillet 1702 [première partie] [tome 9], p. 116-123.

Mr Cheron est l’Auteur du petit Ouvrage que vous allez lire.

STANCES
IRREGULIERES
A UNE VEUVE.

Charmante Veuve l’on m’accuse
D’avoir mal à propos paru dans l’embaras,
Lors que chez une Aimable Muse
Je vis briller en vous les plus parfaits apas.
***
Il faut de mon silence apporter quelque excuse,
Il est juste, mais je refuse
De vous en donner une autrement qu’en écrit.
Le plaisir de vous voir nuiroit à mon esprit,
D’ailleurs quand on a lieu de craindre d’en trop dire,
Il est beaucoup plus seur d’écrire,
On y peut penser à loisir ;
La plus rare beauté ne perd rien à ce change,
Au contraire elle a le plaisir
De faire repeter une juste louange
Mille fois selon son desir.
On veut pour peine de ma faute,
Qu’il faut avoüer la plus haute,
Que l’on puisse commettre auprés d’un bel objet,
Que je découvre sans mistere
A quoy je resvois en secret,
On le veut, & de plus il faut estre sincere,
Ne vous armez donc point d’une injuste colere,
Je ne vous l’apprend qu’à regret,
Et mesme en le faisant je suis encor discret.
***
Ne pouvant vous croire un Veuve,
Qu’à la sombre couleur de vostre triste habit,
J’en cherchois ailleurs une preuve,
Et ne la trouvant point, je restois interdit.
Les plus doux agremens de la tendre jeunesse,
Certain air si piquant, tant de délicatesse,
La taille fine un bras à faire cent jaloux,
Une gorge d’albatre, une luisante tresse,
Un teint de lys, des yeux aussi brillans que doux,
Enfin de mille attraits, l’admirable assemblage,
Dont les Veuves n’ont point le touchant avantage,
M’obligoient à penser tout autrement de vous.
***
Je ne pouvois alors qu’admirer & me taire ;
Deux charmes nouveaux en des lieux
Où déja de si grands se trouvent d’ordinaire,
Occupoient mon esprit dans ce temps precieux.
Vostre sçavante Mere éclatoit à merveille
Par ses discours polis, sa douceur sans pareille,
Et vous, vous enchantez par vostre air gracieux,
A l’une je prétois l’oreille,
Sur l’autre j’attachois mes yeux.
***
Mais Ciel ! vit-on jamais erreur plus singuliere,
Comme j’ai pu longtemps rêver
Je cherche à m’excuser de la même maniere,
Que fais-je, Vous allez trouver
Que cette excuse choque, encor plus que l’offence,
Pour demander pardon d’un peut trop de silence
Je vous romps la teste aujourd’huy ;
Finissons, taisons-nous, ô rude penitence,
Encor deux mots en ma deffense,
Mon stile va changer pour causer moins d’ennui.
***
Ne parlez point de moy d’une façon railleuse,
Car si vous m’appellez rêveur,
Je vous appelleray trompeuse,
Jugez qui de nous deux auroit le plus d’honneur.
On blâmeroit ma rêverie,
Mais on vous blâmeroit bien plus.
Veuve passer pour Fille ah, quelle tromperie !
Il n’appartient qu’à vous de former cet abus.
***
Cependant pour paroistre au vray ce que vous estes,
Ne changez rien de bonne foy,
Il est doux de tromper de même que vous faites,
Et d’estre trompé comme moy.
***
Que de Dames voudroient donner un pareil doute
De leur estat & de leurs ans.
Ah si quelqu’une le redoute,
C’est de peur que l’erreur n’en dure pas longtemps.
***
A la fin vous demandez trêve ;
Pardon, de patience, il falloit vous munir.
Quand on parle de vous ou lorsque l’on y rêve,
On ne sçauroit jamais finir.

Air nouveau §

Mercure galant, juillet 1702 [première partie] [tome 9], p. 123-124.

Je croy que l’on chantera avec plaisir dans vostre Province les paroles que je vous envoye notées. Chacun est interessé aux souhaits qu’elles contiennent.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Seigneur soyez nous favorable, doit regarder la page [1]24.
Seigneur, soyez-nous favorable.
En faveur de Louis, écoutez nostre voix.
Et qu’il puisse long temps, ce Monarque équitable,
Faire, & proteger d’autres Rois.
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[Traduction de l’Ode 7. du 4 Livre d’Ovide] §

Mercure galant, juillet 1702 [première partie] [tome 9], p. 138-141.

Voici une Traduction de l’Ode septiéme du quatriéme Livre d’Horace, qui commence par Diffugêre nives.

La neige disparoist & déja de verdure
Les bois, les champs sont embellis,
La terre ouvre son sein & change de parure,
Les fleuves coulent dans leurs lits.
***
Les Nymphes de retour, les Graces toutes nuës
Au son des airs reglent leurs pas,
Chaque saison nous dit, nous sommes revenuës,
Vos beaux jours ne reviendront pas.
***
Le Printemps suit l’Hiver, l’Esté prévient l’Automne,
Et l’un par l’autre est reparé,
L’ame qui nous soûtient ne ranime personne,
Quand le corps en est separé.
***
Alors on est plus rien, Tullus, Ancus, Enée,
Ont subi le même destin ;
Eh ; qui sçait si pour toy la prochaine journée
Fera luire un nouveau matin ?
***
Pendant qu’il t’est permis, avant l’heure fatale
Donne à qui t’a le plus aimé ;
Le seul que peut choquer ton humeur liberale
C’est ton Successeur affamé,
***
A la mort, quand Minos l’aura par sa Sentence
Condamné souverainement,
Il n’est point de vertu, de rang, & d’éloquence
Qui te tirent du monument,
***
Diane en vain tâcha que son chaste Hyppolite
Luy fust rendu par les Enfers,
Et Thesée arrivé sur le bord du Cocyte,
Laissa son Ami dans les fers.

Les Vers de cette Traduction sont de la même mesure que ceux d’Horace, & en pareil nombre. Elle a esté faite par Mr de le Pul, Viguier Royal à Beziers, qui eut l’honneur de presenter à Monseigneur le Duc de Bourgogne, lorsque ce Prince y passa, la Traduction des Eglogues de Virgile, qu’on a beaucoup estimée.

[L’Echo de Beauvoir] §

Mercure galant, juillet 1702 [première partie] [tome 9], p. 141-146.

Je crois, Madame, que vous ne serez point fâchée d’entendre de quelle maniere Mr Moreau de Mautour a fait parler un Echo merveilleux qui se trouve dans le Parc d’une Terre appartenante à un des plus illustres Magistrats de la Robe.

L’ECHO DE BEAUVOIR.
A M. L. P. D.

Depuis qu’un Magistrat, digne de sa naissance,
Fait ses delices de ces lieux
Où du fameux * Givry connu par se vaillance
Le temps respecte encor les restes prétieux :
Je prefere aux rochers, aux antres les plus sombres,
Cette noble retraite & l’aimable forest
Où ce grand Magistrat se plaist
A chercher le repos, le silence, & les ombres.
***
Je fus Nymphe, & l’amour me fit sentir ses coups,
Jadis je soupiray pour le charmant Narcisse,
Et j’éprouve en tous lieux de Junon en courroux
Le bizarre & jaloux caprice.
Depuis mon changement on ne me voit jamais,
Ma voix seule comprend tout ce que j’ay d’attraits.
***
Dans ce brillant sejour, au deffaut des Nayades
Qui n’y font point oüir leurs bruyantes † Cascades,
Mes accens redoublez font retentir les airs,
Lorsqu’on m’entendre dire
Les plaintes d’un Amant qui conte son martyre,
Ou lorsque je répons à mille sons divers.
***
Là, Pomone & Vertumne y tiennent leur Empire,
Flore y regne à son tour avec le doux Zephire.
Des Nymphes, des Sylvains, des Faunes amoureux,
On voit la troupe éparse errer en mille lieux,
Et la blonde Cerés vient offrir à la veuë
De ses fertiles champs une vaste étenduë.
***
O vous, dans qui le ciel & la nature ont mis,
Des vertus, des honneurs, des biens hereditaires,
Qui fûtes élevé dans le sein de Themis,
Pour marcher sur les pas de vos illustrez Peres,
Et fidelles à ses justes loix
Remplissez dignement ses plus vastes emplois,
Si pour vous délasser de vos veilles penibles,
Vous venez goûter quelquefois
La douceur de ces lieux paisibles,
Daignez favoriser les charmes invisibles,
Qui font tout l’ornement & le prix de ma voix.
Loin des soins de la Cour, & du bruit de la Ville,
Joüissez des plaisirs de ce sejour tranquille.
***
Pour moy prest de répondre & la nuit & le jour,
A qui me parle ou qui m’appelle,
Je suis l’Echo le plus fidelle,
De tous les Echos d’alentour.
1 2

Vous remarquerez que toute la Fable de la Nymphe Echo du troisiéme Livre des Metamorphoses d’Ovide, est comprise dans les six Vers de la seconde Stance.

[Nouvelles de la Terre-Sainte] §

Mercure galant, juillet 1702 [première partie] [tome 9], p. 146-158.

Le 19. Decembre 1701. les Religieux de Terre-Sainte, qui sont les Observantins, les Recolets, & les Religieux du tiers Ordre, solemniserent la naissance de Philippe V. Roy d’Espagne. Cette solemnité commença par le grand Convent de Jerusalem, où le Pere Raphaël Ventaiol, Espagnol de naissance ; mais qui depuis vingt-cinq ans qu’il gouverne le temporel de la Terre-sainte a toujours fort favorisé les François, se distingua pour témoigner sa joye de l’élevation de ce jeune Prince à la Couronne d’Espagne. Il chanta la Messe en action de graces de sa naissance, assisté des Religieux de toutes les Nations du monde qui firent un concert de Musique en la maniere la plus juste qui leur fut possible. Les cinq Autels de l’Eglise du grand Convent de saint Sauveur estoient garnis de Tableaux, de Cierges, & de Bouquets de fleurs comme aux Festes les plus solemnelles de l’année. L’Eglise fut aussi remplie des parfums les plus precieux du Levant. Tous les Religieux Prestres appliquerent la Messe ce jour-là pour la conservation de Sa Majesté Catholique, & tous les Freres eurent ordre du Superieur, d’appliquer de mesme leur Communion. De pareilles solemnitez furent faites en Bethléem, au saint Sepulchre, à saint Jean & à Nazareth, & le Gardien de Jerusalem, Custode, & Superieur des vingt-quatre Convens ou Hospices de Terre-Sainte, ordonna par une Lettre Circulaire, que tous les Religieux Prestres de toute la Custodie appliqueroient leurs Messes pour Sa Majesté Catholique au même jour, qu’on celebreroit une grande Messe en action de graces de la naissance de ce Grand Monarque, & pour demander à Dieu sa conservation, & la protection particuliere de sa personne sacrée. Aprés la Messe solemnelle, l’on chanta le Te Deum qui fut suivi des Oraisons ordinaires. La solemnité finie, le Pere Procureur regala tous les Pauvres Catholiques de Jerusalem leur donnant des aumônes de pain plus considerables que celles qu’on a coustume de leur donner tous les Dimanches de l’année, & les exhortant à prier Dieu pour la conservation de Sa Majesté Catholique. La solemnité finie dans l’Eglise, les Religieux allerent au Refectoire, où quoique jamais on ne rompe le silence pour quelque solemnité que ce soit, afin de ne pas interrompre la lecture spirituelle, le Superieur neanmoins qui estoit pour lors le Vicaire, François de Nation, en dispensa ce jour là aprés la premiere lecture qui est celle de la Bible, & fit un petit Discours sur l’avantage que reçoit la Terre-Sainte de l’union des deux Nations les plus estenduës de l’Europe, par l’élevation du petit fils de Louis le Grand à la Couronne d’Espagne. Et tous les François, Espagnols, Italiens, Irlandois, Portugais, Savoyards & autres burent à la santé de Sa Majesté Catholique, luy souhaittant un regne aussi heureux & aussi long que celuy du Roy de France son grand Pere. Le Pere Procureur fit sçavoir aux Armeniens, Siriens, Maronites & autres Nations de Jerusalem, qu’on solemnisoit ce jour-là la naissance du Roy d’Espagne, ce qui obligea les principaux Marchands des Nations differentes de Jerusalem de venir feliciter les Religieux. Ils souhaitterent, suivant la maniere des Orientaux, mille benedictions à Sa Majesté Catholique, au Dauphin son Pere, au Roy Tres-Chrestien son grand Pere, & aux deux Familles Royales.

Le second jour du mois d’Aoust 1701, la nouvelle de la mort de Monsieur Duc d’Orleans estant arrivée en Jerusalem, le Pere Gardien, Custode de Terre-Sainte, désigna le jour suivant pour faire un Service solemnel pour le repos de l’ame de ce Prince. Il ordonna qu’on dressast une Chapelle ardente ; qu’on garnist de Cierges toute l’Eglise du grand Convent de S. Sauveur, & nomma tous les Officiers pour le Pontifical du jour suivant, qui se fit avec toute la gravité & toute la devotion possible. Le Pere Vicaire fit l’Office de premier Diacre & un autre François celuy de premier Sousdiacre. Tous les Prestres eurent ordre, non seulement à saint Sauveur, mais encore dans tous les Convents, Hospices & Missions de Terre-sainte d’appliquer leurs Messes trois jours consecutifs pour le repos de l’ame de ce grand Prince. Les Freres eurent aussi ordre d’appliquer leur Communion, & de dire encore trois cens Pater, & trois cens Ave, pour le mesme sujet. La veille on chanta le grand Office des Morts, & le jour suivant on fit, selon la coustume, des aumosnes de pain aux Pauvres, à qui l’on enjoignit de prier Dieu pour l’ame de Son Altesse Royale.

La nouvelle de la mort de Jacques II. Roy d’Angleterre estant arrivée trop tard en Jerusalem, à cause que plusieurs Lettres ont esté perduës, le Service qu’on a fait pour le repos de l’ame de ce Prince a esté differé jusqu’au 20. Janvier, auquel jour le Pere Gardien de Jerusalem, Custode de Terre-Sainte, Officia Pontificalement dans l’Eglise de saint Sauveur, ayant pour Diacre, Soudiacre & autres Officiers les Irlandois qui se trouverent en Jerusalem. On chanta la veille le grand Office des Morts ; on dressa à saint Sauveur une Chapelle ardente, & on distribua des Cierges à tous les Religieux qui estoient présens. Par l’ordre du Superieur tous les Prestres appliquerent leur Messe, & les Freres leur Communion pour le repos de l’ame de Sa Majesté Britanique ; l’on fit les mesmes Prieres & Offices en Bethléem, au S. Sepulchre, à saint Jean, à Nazareth & dans tous les Convents, Hospices, & Missions qui dépendent du Superieur de Terre-Sainte.

On n’a receu ces nouvelles que fort tard, parce que deux Barques Grecques, ou Saïcques, qui les apportoient la premiere fois, se sont perduës en venant de Japha à Chypre.

[Particularitez concernant le départ de Mr le Duc de Medina-Céli] §

Mercure galant, juillet 1702 [première partie] [tome 9], p. 175-180.

Mr le Duc de Medina-Celi est parti d’icy pour continuer son voyage jusqu’à Madrid. Il a pris congé du Roy, de Monseigneur & de toute la Famille Royale, & il a esté aussi content des distinctions qu’on a euës pour luy qu’on l’a esté de sa personne & des manieres Nobles & polies avec lesquels il soutient tout ce qu’il a d’éclat & de grandeur. Cette grandeur est tellement née avec luy qu’il la répand dans tout ce qu’il fait, & quelque poli qu’il soit on la demesle dans tout ce qu’il dit. Il a fait icy des liberalitez considerables à tous ceux qui ont eu le bonheur de luy rendre le moindre service & il a accoutumé d’en user à proportion de même par tout où il passe. Mr l’Ambassadeur d’Espagne l'a logé dans son Hôtel & l’a régalé tous les jours avec une magnificence digne de l’un & de l’autre. Jamais table n’a esté n’y plus somptueusement ny plus délicatement servie que celle de Mr l’Ambassadeur pendant tout ce temps là. Il a donné plusieurs Festes chez luy où les Dames du premier rang & de la plus grande beauté se sont trouvées, mais le Dimanche 16. de Juillet, Mr l’Ambassadeur donna un des plus grands & des plus exquis repas qu’on ait encore veus. Il y invita Messieurs les deux Nonces. Mr l’Ambassadeur de Savoye, Mr l’Ambassadeur de Venise, Mr l’Abbé de Polignac Mr l’Abbé de Pomponne, Mr le Baron de Breteuil & Mr de Saintot Introducteurs des Ambassadeurs & d’autres personnes de distinction. Ce repas fut à quatre services de huit grands plats & de douze mediocres chacun, outre les hors d’œuvre. On n’a guere veu d’entremets plus rares ny plus recherchez. Si-tost qu’on l’eut desservi, on changea de nape & de couvers. On servit ensuite le fruit le plus superbe le plus exquis, & le plus galant qu’on se puisse imaginer. Mr le Duc de Medina-Celi & tous ces Ministres avouerent qu’ils n’avoient rien veu de plus beau, de meilleur, ny de plus curieux que ce dessert. Les vins, & les liqueurs y répondirent à tout le reste. En sortant de table on eut un petit Concert de fort bon goust & on servit du Thé, du Caffé, & du Chocolate. C’est ainsi à peu prés qu’en a usé Mr l’Ambassadeur d’Espagne à l’égard de toutes les personnes distinguées de sa Nation qui sont venuës en France en si grand nombre depuis que Philippe V. est Roy d’Espagne.

[Article de Morts] §

Mercure galant, juillet 1702 [première partie] [tome 9], p. 268-273.

Je ne vous dis rien de Mr de Beaulieu de Bethomas, Chevalier, Grand Croix de l’Ordre de Saint Jean de Jerusalem, & Chef d’Escadre des Galeres du Roy, qui mourut en cette Ville le premier jour de ce mois. Je vous en entretiendray plus au long, lorsque je seray mieux informé de toutes les choses que j’ay besoin de sçavoir pour cet Article.

Les hommes distinguez dans les Arts & dans les Sciences ne doivent pas estre moins considerez que ceux qui sont élevez par leur naissance. Mr le Begue, Organiste de Saint Mederic estoit de ce nombre. La distinction avec laquelle il exerçoit l’Art dont il se mêloit, sa charité envers les Pauvres, & sa pieté luy ont fait meriter cette Epitaphe suivante.

Cy-devant, attendant la Resurrection des morts, & la vie du siecle à venir, figurée par l’Immortalité, repose le corps d’honorable homme NICOLAS LE BEGUE, natif de la Ville de Laon, vivant Organiste de la Chapelle du Roy & de cette Eglise, qu’il a desservie pendant plus de quarante années, avec autant d’édification que d’estime ; une probité de vie suffisamment connuë lui attira autant d’admirateurs de sa vertu que son grand merite lui en fit naistre. Il sacrifia tout à Dieu dés qu’il se sentit en estat de pouvoir remplir sa sainte volonté, par des œuvres de pieté. Il considera toûjours ses Amis & ses Proches, dans un esprit de bienveillance, & d’attachement, que sa generosité lui rendit un sujet de la plus tendre reconnoissance. Il aima les Pauvres qu’il fit les premiers heritiers de ses épargnes, estant luy-même le vrai miroir de la Pauvreté Evangelique, par son propre dépoüillement. Il contribua à l’embellissement de quelques lieux Saints, où il donna des marques de sa liberalité, dota l’Epouse de Jesus-Christ par des Prieres & des Sacrifices qu’il y fonda. Devenu l’amour des Peuples, le charme & l’ornement de son Art, les délices de son Prince qui l’honora tant de fois d’une particuliere distinction, Religieux dans sa conduite, rigoureux & vigilant dans ses devoirs, & toûjours severe à lui-même, ennemi du faste, & des applaudissemens, il ne s’étudia qu’à chercher le Royaume de Dieu, & sa Justice, afin que rien ne lui manquast pour l’Eternité. Enfin, aprés de longues & rudes épreuves d’une patience consommée, muni de tous ses Sacremens, esperant sans cesse en sa misericorde, qu’il reclama jusqu’au dernier soupir, plein de resignation, d’amour, & de foy en Jesus-Christ, universellement aimé, regreté, & pleuré. Il rendit son ame en paix au Seigneur le 6. Juillet de l’année 1702. âgé de soixante & douze ans.

Cette Epitaphe, ou Eloge historique a esté faite par Mr Robert. Mr l’Abbé le Houx en a fait trois ou quatre en Vers latins, remplis de ce feu qui luy est si naturel, & avec le genie qui l’a souvent fait admirer. Il a paru aussi plusieurs autres pieces de Vers à la gloire d’un homme si illustre dans sa Profession, ce qui fait voir que les Muses se plaisent singulierement à celebrer le merite.

[Journal de ce qu’a fait le Roy d’Espagne depuis qu’il a débarqué à Final, jusqu’au jour du Combat de la Victoire] §

Mercure galant, juillet 1702 [première partie] [tome 9], p. 273-293.

J’ay laissé le Roy d’Espagne à Final dans ma derniere Lettre. Je devrois, pour continuer à vous en parler de la maniere que j’ai commencé, vous donner un Journal de ce que ce Prince a fait depuis son débarquement jusqu’au jour que je fermeray ma Lettre, mais il me reste tant de choses à vous dire, que je me contenteray de vous rapporter les faits principaux.

Sa Majesté Catholique étant partie de Final pour se rendre à Milan. Son Altesse Royale de Savoye se rendit le 14. de Juin à Acqui pour saluer Sa Majesté, qui devoit y coucher. Ce Monarque le traita d’Altesse ainsi que Madame Royale, & Madame la Duchesse Royale, qui se rendirent le 15. à Alexandrie, où Sa Majesté Catholique coucha. Il ne se peut rien ajoûter aux bontez qu’il témoigna à ces Princesses. Il s’entretint avec elles avec la mesme ouverture de cœur, & la mesme familiarité que s’ils avoient toûjours vécu ensemble. Il leur rendit la visite le lendemain. Les Espagnols dirent que cela n’avoit point d’exemple. Ce Prince est assez éclairé pour en donner, & pour autoriser ceux qu’il donne. Il partit le jour de la Feste-Dieu, aprés avoir entendu la Messe, pour se rendre à Pavie, où Son Altesse Royale prit congé de luy. Ce Monarque arriva le 18. à Milan dans les Carosses de Mr le Prince de Vaudemont, qui en avoit fourni à toute la Cour. Ce Prince fait les choses avec une Noblesse qui passe tout ce que l’on peut s’imaginer. Sa Majesté Catholique entra dans Milan sur les cinq heures du soit par la Porte du Tessin, & fut complimentée par le Conseil General, des soixante Decurions, & de toute la Noblesse. Le Vicaire de la Promission, qui est le Chef de la Ville, harangua Sa Majesté, & luy presenta les Clefs dans un Bassin de vermeil doré. Sa Majesté les luy rendit en disant que la confiance quelle avoit dans la fidelité de la Noblesse, & des Habitans de cette Ville luy estant connuë, elle leur laissoit le soin de les garder ainsi qu’ils ont fait jusqu’à cette heure. Dans le mesme instant le Peuple que l’envie de voir son Souverain, avoit attiré en cet endroit en grande foule, fit retentir l’air de ses acclamations, & ne cessa point de crier Vive le Roy, Vive le Roy Philippe V. nostre Duc. Il entra dans la Ville à cheval, accompagné de toute la Noblesse qui estoit allée à sa rencontre. On ne fit point de Cavalcade tant à cause que les équipages que la Noblesse avoit ordonné de faire, & les autres préparatifs pour une entrée Solemnelle n’estoient pas prêts, que parce que Sa Majesté avoit fait sçavoir qu’elle ne vouloit pas qu’on fist pour lors aucune démonstration publique, remettant cette ceremonie au retour de la Campagne, ce qui n’empescha pas que les ruës de son passage ne fussent tapissées & embellies de Tableaux & de décorations. Sa Majesté alla descendre à l’Eglise Metropolitaine, au grand Portail de laquelle elle fut reçuë par Mr le Cardinal Archinto, Archevêque de Milan, à la teste de son Clergé. Son Excellence entonna le Te Deum qui fut chanté par la Musique au bruit d’une triple salve du canon. Le Roi se rendit ensuite au Palais Ducal que Mr le Prince de Vaudemont avoit fait meubler magnifiquement.

Le Lundy 19. il fut complimenté par les soixante Décurions du Conseil General qu’il admit, chacun selon son rang, à luy baiser la main. Il fit la mesme faveur à toute la Noblesse qui s’y estoit renduë, aprés quoy il alla entendre la Messe dans l’Eglise Metropolitaine, toujours aux acclamations redoublées du peuple qui remplissoit les ruës, & les places Publiques ce qui continua mesme dans l’Eglise. A son retour au Palais il dîna en public, ce qu’il fit aussi les jours suivans pour contenter l’empressement que toute la Ville, la Noblesse & le Peuple des environs témoignoient de le voir. Mr le Cardinal Archinto fit la fonction de benir la Table. Le soir il assista à la représentation d’un Opera, composé par trois differens Musiciens l’un est Milanois, l’autre Parmesan & l’autre Venitien. Il y avoit de grandes beautez dans l’Ouvrage de chacun de ces Maistres de Musique. Les Actrices de cet Opera estoient gratieuses, les habits de bon goust, & les Décorations, & les Machines au delà de tout ce qu’on en peut dire. Ce grand spectacle estoit l’effet de soins de Mr le Duc de Saint Pierre. On fit trois jours de suite des illuminations par toute la Ville, & au Chasteau. Il y eut par tout des feux de joye, au bruit de l’Artillerie, & au son des cloches.

Le 21. aprés midi le Roy alla voir le Chasteau.

Le 22 il alla faire ses devotions à S. Jean, & l’aprés-dinée à la Procession du Corpus Domini, dans laquelle Mr le Cardinal Archinto estoit assisté de tout le Clergé Seculier & Regulier, & de tous les Tribunaux.

Sa Majesté Catholique vit avant que de partir une partie des Equipages qu’on luy avoit fait preparer à Milan. Il y avoit seize chariots, vingt-quatre fourgons, douze surtout, & trente six Mulets. Il y avoit outre cela cent Mulets qu’on luy avoit fait venir de Montpellier. Tout cela sans compter ses Equipages qui estoient sur des Brulots qui ne purent arriver aussi tost que les Galeres. Ce Prince donna avant que de partir de Milan le Gouvernement de Final à Dom Baltazard d’Amenzaga ; un Terce d’Infanterie à Don Fernando Fuiguiera, & à Don Michel Dolmo, Grand Chancelier de Milan, une pension de deux mille écus, & une place dans le Conseil d’Italie.

Outre les Aides de Camp François qui avoient déja esté nommez par ce Prince, il nomma encore plusieurs jeunes Seigneurs Espagnols pour le servir en la même qualité. En voici les noms.

Mr le Marquis de Sentmanat, fils aîné de Mr le Marquis de Castel dos Rios, Grand d’Espagne, Ambassadeur de cette Couronne en France, nommé à la Viceroyauté du Perou.

Mr le Duc de Bejar, Duc de Placentia, Duc de Mandas, Duc de Villanueva, Chevalier de la Toison d’or, & Grand d’Espagne.

Mr le Marquis de Torrecusa, Grand d’Espagne, Italien & du Royaume de Naples.

Le fils unique de Mr le Marquis de Villena, Duc de Escalona, Viceroy de Naples, & qui a esté Viceroy de Navarre, ensuite de Catalogne, & puis de Sicile, & qui l’est à present de Naples.

Mr le Vicomte de Miralcazar, Chevalier de l’Ordre d’Alcantara, fils aîné de Mr le Marquis de Montreal, Envoyé de Sa Majesté Catholique à Gennes, Gentilhomme de la Chambre, & Chevalier de l’Ordre de Saint Jacques.

Avant que le Roy d’Espagne partist de Milan, on parla de lever une imposition sur toute la Ville, afin de luy faire present d’une somme considerable. Ce Prince declara qu’il ne vouloit point que l’on fist cette levée, & dit que la guerre avoit fait assez souffrir l’Etat ; ce qui acheva de charmer tous ses Sujets de ce Pays-là. Ce Monarque partit de Milan le premier de Juillet, & alla coucher à Lodi. Le 2. il vint à Picighitone, & le 3. il arriva à Cremone au bruit de trois salves generales de toute l’Artillerie & des acclamations des Peuples qui firent des feux de joye & des illuminations plusieurs jours de suite. Le même jour Mr le Duc Parme se rendit dans la même Ville, avec un équipage des plus superbes. Ce Prince alla le même jour chez le Roy à l’issuë du dîner de Sa Majesté. Ce Monarque vint au devant de luy jusque dans son Antichambre, & le conduisit dans son Cabinet, où la conversation dura environ une demi heure. Ce Duc demanda au Roy l’honneur de sa protection & de sa bienveillance, & assura Sa Majesté de son dévouëment & de sa fidelité. Ce Prince rendit encore visite au Roy les deux jours suivans. Dans la premiere il eut l’honneur de joüer à la Bassette avec ce Monarque, & dans la seconde, il prit congé de Sa Majesté.

Mr le Cardinal Delphino qui a esté Nonce en France, & qui est presentement Evêque de Bresse dans l’Etat Venitien, vint aussi saluer Sa Majesté Catholique à Cremone. Cette Eminence en eut audience à la maniere ordinaire : Elle alla le lendemain au diner de Sa Majesté pour faire sa Cour. Comme ce Cardinal s’est acquis beaucoup d’estime pendant tout le temps qu’il a demeuré Nonce en France, il eut lieu d’estre content des manieres honnestes avec lesquelles le Roy le traita. Cette Eminence s’en retourna le jour suivant dans le lieu de sa Résidance. Le Roy estoit logé à l’Hôtel de Ville que l’on avoit fait meubler magnifiquement & dont on avoit fait dorer toutes les croisées.

Le 5. Sa Majesté Catholique se promena à cheval dans les ruës & se fit montrer tous les endroits où l’on combatit le premier Fevrier dernier, lorsque les Allemans furent chassez de la Ville qu’ils avoient surprise. Ce Prince a souvent tiré aux oiseaux par les fenestres de son apartement. Il aprit dés les premiers jours de son sejour à Crémone, par les nouvelles qu’il reçut de Mantouë, qu’il y venoit chaque jour beaucoup de Déserteurs Allemans, & mesme des Officiers ; qu’ils ne faisoient point de fourages sans en perdre ; qu’ils en avoient fait deux au delà du Mincio ; que pendant le premier quarante deux Cavaliers s’estoient venus rendre avec leurs Officiers leurs chevaux, & leurs Armes, & que durant le second, il en estoit venu quarante cinq. Aprés l’arrivée de Sa Majesté Catholique à Mantouë, Mr le Prince de Vaudemont alla à Bozzuolo pour conferer avec Mr le Duc de Vendosme sur les projets de la Campagne, & en revint le 8. de Juillet rendre compte à Sa Majesté. Il fut résolu que l’on formeroit deux Armées de toutes les Troupes, ce qui fut fait de la maniere suivante.

[Feste de S. Maur] §

Mercure galant, juillet 1702 [première partie] [tome 9], p. 365-372.

Le Dimanche 6. Aoust Monseigneur arriva à six heures & demie du soir à S. Maur, & y fut reçû par Monsieur le Duc, & par Monsieur le Prince de Conty. Madame la Duchesse n’arriva qu’aprés Monseigneur. Il y eut promenade dans les Jardins. L’on se mit au jeu ensuite, on soupa à dix heures, & on se remit au jeu jusqu’à minuit.

Le Lundy Monseigneur se leva à sept heures & demie, fit un déjeuner fort leger, & alla à Villeneuve S. Georges. Il courut un Loup dans la Forest de Sena. Madame la Princesse de Conti arriva pour le souper, que l’on servit à sept heures, & lorsqu’il fut fini, il y eut une Musique executée par les sieurs Cocherot & Thévenart de l’Opera, & par les Damoiselles Couperin & Maupin. La premiere est de la Musique du Roy & Niece du sieur Couperin Organiste de Sa Majesté, qui accompagna avec une Epinette. Les sieurs Visée, Forcroy, Philbert, des Cottaux & quelques Violons furent aussi de ce Concert, qui recommença aprés une reprise de Lansquenet. Monseigneur se coucha à minuit. Le Mardy Mesdemoiselles Couperin & Maupin chanterent un Motet à la Messe de Monseigneur, accompagnées par le sieur Couperin avec l’Epinette. Le dîner fut servi à une heure. Madame la Duchesse de Bourgogne arriva à trois & demie avec ses Dames, & s’arresta prés du Chasteau, à voir une Machine qui a paru déja aux Foires, où quatre personnes montées sur de petits Chevaux de bois, courent la bague avec beaucoup de vitesse. Monseigneur, & les Princes & Princesses s’y rendirent un moment aprés, & Madame la Duchesse de Bourgogne courut la Bague avec d’autres Dames. Ce divertissement dura trois quarts d’heure, aprés lesquels la Compagnie entra au Chasteau. Madame la Duchesse de Bourgogne visita d’abort l’Appartement de Monseigneur, qui est magnifiquement meublé, & dont la vûë est fort belle. On la conduisit ensuite dans d’autres qui sont encore plus heureusement exposez. On se mit au jeu sur les quatre heures, & il survint un Orage considerable demi heure aprés. Il cessa sur les six heures, & l’on monta dans des Caleches pour aller à la nouvelle Maison qui appartenoit ci-devant à Mr de la Toüanne. On servit dans le Sallon une tres-belle & abondante Colation. Ce furent les Officiers de Monsieur le Duc qui la servirent. Lors qu’elle fut finie l’on alla voir l’Orangerie, & l’Appartement des Bains, qu’on trouva tres-beaux. Ensuite on traversa le Jardin & la Terasse qui sont admirables, pour la vûë & pour la propreté. L’on trouva au haut du Pont qui separe les deux Jardins, des Calesches de Monseigneur & de Monsieur le Duc. On monta dedans, & on se promena dans les grands Jardins jusqu’à l’entrée de la nuit. Lorsqu’on fut rentré dans la Maison, on joüa jusqu’à dix heures, & les Officiers du Roy servirent le souper sur deux grandes Tables, comme il se pratique à Marli. Monsieur le Duc en fit aussi servir d’autres tres-delicates pour toutes les personnes de la Cour, ainsi qu’il avoit fait les jours précedens. On se mit au jeu aprés le souper, pendant lequel Mademoiselle Couperin chanta quelques recits des vieux Opera accompagnée des sieurs Couperin & Forcroy. Le jeu dura jusqu’à prés de quatre heures, & Madame la Duchesse de Bourgogne monta en carosse pour retourner à Marly par une pluye effroyable qui continuoit depuis dix heures du soir. Elle changea de chevaux à la Porte S. Antoine, ainsi qu’elle avoit fait la veille. Elle alla entendre la Messe à S. Eustache, & sortit par la Porte de S. Honoré, changea de chevaux à Neüilly, & arriva avant huit heures à Marly. Monseigneur ne revint de S. Maur que le Mercredy suivant, & ce Prince se rendit ce jour là à Marly.

Le Roy d’Espagne estant fort satisfait des services que luy rend Mr le Duc de Vendosme, & connoissant d’ailleurs l’esprit, la penetration, & le zele de ce Prince pour luy, Sa Majesté lui a donné une place dans son Conseil d’Etat, où comme Prince de son sang, il a pris séance avant les Conseillers d’Etat qui composent ce Conseil, S.M.C. assiste à tous les Conseils qui se tiennent. Elle se couche de bonne heure, parce qu’il n’y a pas ordinairement d’action de guerre le soir, & elle se leve à trois heures du matin pour travailler.

Monsieur le Comte de Toulouse a cru que paroissant devant Civitavecchia, il devoit non-seulement envoyer faire compliment au Pape, mais choisir pour cette fonction un homme aussi distingué par sa sagesse que par sa naissance, & par ses emplois. Il n’eut pas de peine à en trouver un, puisqu’il avoit avec luy Mr le Marquis d’O. Il l’y envoya avec Mr le Chevalier de Comminges, & Mr de Valincourt. Sa Sainteté leur fit tout l’accuëil que devoient attendre des Envoyez d’un si grand Prince.

Enigme §

Mercure galant, juillet 1702 [première partie] [tome 9], p. 372-374.

Ceux qui ont trouvé le mot de l’Enigme du mois passé, qui estoit l’Or, sont Messieurs :

Bardet & son ami du Plessis du Mans ; Bonet Brulatou de Rion en Auvergne ; Bayle & Galliot. Tamiriste le beau Marquis de devant Saint Mederic, & son Ami ; le fameux Enilezam G.C. II. l’Infortuné Pigis de la ruë S. Antoine ; le Fils de My My, & la petite Catherine. Mademoiselle Javote, jeune Muse du coin de la ruë de Richelieu ; l’aimable Maman & son fidelle fils ; la belle parente de la Bastille & son petit cousin de la ruë de Savoye ; Mademoiselle Fourniere, ruë S. Jean de Latran.

ENIGME.

Dans la fleur de mes jours on me tenoit pour belle.
L’éclat & la fraîcheur me donnoient des appas.
Belle, ou non, ce seroit une chose nouvelle.
Si dans le cours des ans, je ne vieillissois pas.
***
Ce temps qui me vieillit fait que je suis feconde,
J’ay formé des petits qui plairont en tous lieux,
Je les retiens captifs dans ma grotte profonde
Pour les livrer un jour à la Table des Dieux.
***
Je suis seiche à vos yeux, cependant je suis bonne,
J’ay le nom d’un Auteur d’un assez grand renom,
Dans les fureurs de Mars on fait voler ce nom,
Un Royaume en est digne, & moy d’une Couronne.

Air nouveau §

Mercure galant, juillet 1702 [première partie] [tome 9], p. 374-375.

Vous lirez avec plaisir les Vers de l’Air que vous trouverez icy gravé.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Prince dont les vertus égalent la naissance, doit regarder la page 375.
Prince, dont les vertus égalent la naissance,
Et la grandeur de vos Ayeux.
Vous estes des François la plus belle esperance
Et vous nous promettez un Siecle glorieux.
Le nom que vous portez, pour nous de bon augure,
Nous rappelle le sang de nos premiers Dauphins,
Mais on attend de vous une race future
De plus grands Souverains[.]
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[Suite des affaires d’Italie] §

Mercure galant, juillet 1702 [première partie] [tome 9], p. 384-395.

Si la Victoire du Roy de Suede inquiette beaucoup les Hollandois, les continuels avantages que les François remportent en Italie ne leur cause pas moins d’inquietude. On apprend tous les jours que les Ennemis ont beaucoup plus perdu au Combat de Vittoria qu’on n’avoit publié d’abord. On assure qu’il y a plus de quinze cens hommes tuez ou noyez. Les principaux Officiers du Regiment Darmstat, de Commercy & de Visconti sont du nombre des premiers. Les Officiers prisonniers, & les Trompettes des Ennemis en ont reconnu plusieurs entre les morts. On a trouvé parmi le butin beaucoup de vaisselle d’argent & d’argent monnoyé. On a pris aussi des Carrosses, des Chaises, des Chariots & plusieurs beaux Attelages.

Le 27 Juillet le Roy d’Espagne, & Monsieur le Duc de Vendosme vinrent camper à Vittoria. La puanteur y estoit fort grande parce que l’on n’avoit pas encore retiré les cadavres des hommes, & des Chevaux qui y avoient esté tuez la veille, & que la Riviere du Crostolo en estoit toute remplie. Les troupes qui estoient restées à Castelnovo joignirent le 28. Les Maraudeurs de l’armée se présenterent ce jour-là devant Reggio. Le Gouverneur fut obligé de se servir de son canon pour les faire retirer. Il envoya un Trompette avec une Lettre d’excuse à Mr de Vendosme. Le Roy d’Espagne luy écrivit le 29. Qu’il estoit venu en Italie pour conserver, & défendre ses Etats & la tranquilité du Pays, que son intention estoit qu’il reçût ses troupes dans sa Ville dont il prendroit la protection, & que s’il refusoit de le faire, sa personne & sa Ville seroient traitées selon les rigueurs de la guerre. Mr d’Albergotti y fut envoyé le même jour avec mille chevaux, & quatre pieces de Canon. Il fut suivy le lendemain par Mr d’Immecour les trois Bataillons de la Marine & celui du Cottentin. Cette Place se rendit à discretion à la premiere sommation. Il y avoit dedans quatre cens fantassins, & cent cinquante chevaux des troupes de Modene. On trouva dans la Place vingt Canons, avec une grande quantité de grain, & de poudre, & l’on y établit des Fours, & un Hôpital. On y laissa Mr d’Immecour en qualité de Commandant. Quelques Lettres portent que Guastalla fut investi en même temps ; mais on avoit encore lieu d’en douter parce que d’autres Lettres de l’Armée n’en parloient pas.

Le 30. Mr de Vendosme détacha Mr d’Albergotti avec mille chevaux, suivis de Mr d’Orgemont, & des Regimens de Vendosme & de Tournesis, pour aller à Modene, qui suivit l’exemple de Reggio, & se rendit aussi bien que la Citadelle, dés qu’elle eut vû paroître les Troupes. Le Roy d’Espagne avoit fait sçavoir à Monsieur le Duc de Modene que s’il ne faisoit ouvrir les portes de cette Place, il entreroit en Vainqueur dans le Pays, & Mr de Modene s’estima fort heureux d’avoir trouvé le moïen d’éviter le sacq de son Pays, qu’il avoit lieu d’apprehender. Ce Prince se retira à Bologne. Mr d’Orgemont fut mis dans Modene pour y commander. Monsieur le Duc de Vendosme fit baisser le Pont qu’il avoit à Cazal-maggiore, audessous de Guastalla, où Mr de Laubepin s’estoit déja avancé avec les deux Galiotes, & s’estoit rendu maistre de la navigation du Pô.

Le 31. l’Armée alla camper à Novellara où elle sejourna le premier d’Aoust pour attendre du pain. Elle marcha le lendemain, & se rendit à Testa, sur la Parmegiana, où les Ennemis avoient rompu & brûlé tous leurs Ponts. Pendant que nous avancions vers eux, & que nous mettions des Troupes dans Modene, & dans Reggio ils quittoient les Postes qu’ils avoient devant Mantouë à Courtotone, à la Porte Pradelle, & à Cerese, & Mr le Prince de Vaudemont les faisoit démolir leurs Fortifications & les retranchemens qu’ils avoient faits.

Voicy la situation des Armées selon les lettres du 5 de ce mois. Mr le Prince Eugene est à la droite du Pô qu’il avoit passé ; il y a devant lui le Zero. Cette Riviere, ou Canal a assez de profondeur. Quelques-uns disent même, qu’elle est d’une largeur raisonnable. L’Armée Allemande a sa droite du côté de Guastalla. Mr le Prince Eugene avoit laissé dans Borgoforte, les Troupes qu’il croyoit necessaires pour la deffense de ce Poste. On a de la peine à penetrer son dessein. Il ne met devant lui qu’une petite Riviere, pendant qu’il en a une considerable derriere luy, dans laquelle ses Troupes pourroient estre renversées, s’il estoit pressé. L’Armée des deux Couronnes, qui a passé la Parmegiana à Testa, n’est pas à trois lieuës de luy, & fait face au Zero. L’Armée de Mr le Prince de Vaudemont, qui n’est plus necessaire auprés de Mantouë, a ordre d’avancer, & de joindre. Sa marche, doit estre de cinq jours, & il peut y avoir une action avant qu’il ait joint. On a tenu conseil dans l’Armée des deux Couronnes, pour sçavoir si on attaqueroit, les avis se sont trouvez partagez, quoique l’on ne doute presque pas du succez ; mais la Personne du Roy d’Espagne devant estre precieuse, on a crû devoir attendre l’Armée de Mr le Prince de Vaudemont : voilà en quelle situation estoient les Armées le 5. de ce mois, lorsqu’on a ouy batre au champs dans l’Armée du Prince Eugene. Je ne sçay pas ce qui est arrivé depuis, si je l’apprens avant que ma lettre soit fermée, je vous en feray part. Bien des gens se persuadent que pendant que le Prince Eugene tenoit cette bonne contenance, il faisoit passer derriere luy tous ses équipages, & son gros canon pour le conduire à Ostiglia, & qu’il se retireroit ensuite ; je croy que vous en sçaurez des nouvelles avant que vous receviez ma lettre.

Je dois ajoûter icy que l’on a trouvé 30 pieces de Canon dans Modene, & qu’on les a fait conduire dans la Citadelle afin qu’elle fut plus en estat de se défendre. On s’est emparé de Corregio, & de Carpi. Ces deux petites Places appartiennent à Monsieur le Duc de Modene ; ainsi le Roy d’Espagne est à present Maistre de tout le Modenois, à la reserve de Bercelle. On a mis dans Corregio qui n’est fermé que d’une simple muraille, deux Compagnies de Grenadiers pour la garder. On a desarmé les peuples de ces deux Places pour plus de sureté. Ce n’est pas qu’on n’ait lieu d’estre tres content du Peuple & de la Noblesse de Modene qui a temoigné beaucoup de joye de voir arriver les troupes des deux Couronnes, se voyant par là délivrée des mortelles inquietudes où estoit ce Duché. On parle diversement de la situation des Ennemis. On dit qu’ils ont leur droite à Borgoforte, & que leur gauche s’étend vers Revero. On assure qu’ils font un Pont à Revero, & un autre à Ostiglia. Mr le Prince Eugene cherchant à profiter de la separation des deux Armées fait aplanir tous les chemins par les Paysans, & couper les hayes & les buissons. Cependant la terreur est dans son Armée depuis le combat du 26. & Mr du Gua s’estant mis en marche avec six cens chevaux, a rencontré un gros corps de Cuirassiers qui pour fuir plus aisement ont abandonné leur cuirasses. Ainsi il y a peu d’apparence que le Prince Eugene risque une bataille. Je suis, Madame, vostre, &c.