1703

Mercure galant, mai 1703 [tome 5].

2017
Source : Mercure galant, mai 1703 [tome 5].
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Mercure galant, mai 1703 [tome 5]. §

[Prélude] §

Mercure galant, mai 1703 [tome 5], p. 5-6.

Je suis persuadé que je ne puis mieux commencer ma Lettre que par les Vers suivans.

AU ROY.

Deux mots, Grand Roy, daignes m’entendre.
Tu ne fais rien qui puisse me surprendre.
La raison ? je la vais donner :
Par mon étonnement, j’offencerois ta gloire.
Vas, cours au Champs de Mars, reviens sans la Victoire,
Et j’auray de quoy m’étonner.

Ces Vers sont de Mr l’Abbé de Poissi. Ce qui suit estant à la gloire du mesme Monarque doit meriter vôtre attention.

[Madrigaux] §

Mercure galant, mai 1703 [tome 5], p. 6-7.

Presage sur la Campagne de la presente année 1703.

AU ROY.

Lorsqu’aprés soixante ans d’un Regne glorieux,
Je vois encore le feu qui brille dans tes yeux,
GRAND ROY ? de tes projets j’ose tout me promettre.
Et vous ? tremblez fiers Ennemis ;
Mon Roy, vous a cent fois soumis ;
Son bras sçaura bien tost, encore vous soumettre.

Envoy du 2. May 1703 §

Mercure galant, mai 1703 [tome 5], p. 12.

Envoy du 2. May 1703.

C’Est un May que je vous envoye,
Il doit vous donner de la joye,
Puisqu’il parle d’un grand Heros
Qui pour nos suretez immole son repos.
Vous ? qui depuis trente ans portez par tout sa gloire,
Et sur la terre & sur les eaux :
Mercure, aprestez vous par des chants de victoire,
À vanter de Louis les triomphes nouveaux.

DU LIVETY.

[Le Sort de la Langue Françoise] §

Mercure galant, mai 1703 [tome 5], p. 71-90.

On vend chez la Veuve Barbin au Palais, Le Sort de la Langue Françoise : c’est un petit Ouvrage composé par Mr de Lionniere. Il est dedié à Mr l’Abbé Bignon, c’est un espece de tribut qui luy est dû, puisqu’il se trouve à la teste des Gens de Lettres. L’Epitre dedicatoire est fort modeste. Elle est dans le goût du Magistrat, qui n’aime pas les loüanges. La Preface est tres longue ; c’est une Satyre continuelle contre les Medisans & contre la Medisance. L’Auteur les ataque dans tous les estats, dans tous les âges & dans tous les sexes ; en effet il peint les Medisans avec les couleurs les plus odieuses ; il appuye tout ce qu’il en dit par quantité d’excellens Passages Latins : Voicy comme il peint le faux Sçavant. Cet homme de lettres qui occupe un Poste éclattant plustost par brigue que par merite & qui pour avoir fait quelques mauvais livres, qui ne sont ny de son caractere, ny de sa profession, est consulté comme un oracle, n’approuve que ce qui symbolise avec sa maniere d’écrire. Un stile noble & élevé, est pour luy un phebus perpetuel, un lieu d’histoire éclaircy, un nouveau sentiment étably sur de solides fondemens, sont des sentiers détournez, il veut qu’on suive le grand chemin, & ne permet pas qu’on répande nulle part aucune érudition, c’est se singulariser mal à propos. Pour luy plaire il faut l’imiter, estre toujours rampant, ne s’élever jamais, ou si l’on veut voler, ne faire que raser la terre, & mépriser froidement comme luy, le rapide vol des Aigles qui fendent l’air, & qui s’aprochent du Soleil, pour en voir fixement les brillantes beautez.

Cet Auteur nous dit ensuite que la prévention est dans la Litterature, ce que l’amour propre est dans la Morale, que comme celle cy est la source de tous les déreglemens du cœur, celle là est la cause de tous les égaremens de l’esprit : que par elle l’homme est opposé à luy même, qu’elle fait souvent tomber en des contradictions qui de toutes les fautes sont les moins excusables à un homme d’esprit. De quelle utilité ajoute-t-il peut estre une critique particuliere ; qu’importe qu’un ouvrage ne soit pas selon les regles ordinaires, il suffit qu’on le trouve beau, qu’il plaise, qu’il interesse, qu’il occupe agréablement & se fasse lire avec plaisir, n’est ce pas là le but de l’Auteur, un livre n’a-t-il pas toute la perfection qu’on luy peut souhaiter quand il est marqué de tous ces caracteres, mais certains petits Maistres, Esclaves de l’Art, qui comme des écoliers ne s’éloignent jamais des regles & suivent scrupuleusement les preceptes, trouvent que quelque belle que soit la peinture de cet ouvrage, elle ne doit pas estre regardée comme un chef-d’œuvre. Voilà le stile & l’esprit de cette Préface.

Mr de Lionniere pretend qu’il y a un si grand rapport entre la Nation & la Langue, que rien ne fait mieux connoistre une Nation que sa Langue, de même que rien ne contribuë davantage à la beauté d’une Langue que le genie de la Nation, que ce sont deux choses tellement liées ensemble, qu’elles ont les mêmes commencemens, les mêmes progrés, & les mesmes resolutions. Sur ce principe l’Auteur en faisant l’histoire de la Langue Françoise a fait un petit abregé de celle de la Monarchie. Il nous apprend que ce qu’on a nommé dans la suite des temps la Langue Françoise n’estoit dans les commencemens qu’un jargon grossier & l’expression confuse d’un mélange de plusieurs Peuples qui par la necessité du Commerce conformerent enfin leur langage. Ces peuples mêlez dont les langues se confondirent, furent les anciens Danois qui conduits par Pharamond firent la Conquête de la Frise-Westphalie, & les Gaulois qui se joignirent à Merové contre les Romains aprés la mort de Clodion qui avoit conquis la Flandre, l’Artois & une partie de la Picardie où il avoit étably le Siege de son Empire dans la ville d’Amiens. Les Colonies Romaines meslées ensuite avec les Gaulois firent un jargon du Gaulois, de l’Allemand, & de la Langue Latine, & ce jargon tiroit tous ses mots de la derniere de ces Langues. Telle fut la Langue Françoise sous la premiere Race de nos Rois où la France estant dans son enfance, son langage n’estoit aussi qu’un babil.

Sous la seconde race de nos Rois, la France estant dans son adolescence son humeur boüillante se fixa, elle devint plus sociable & plus propre pour le Commerce, ce fut aussi alors que Charlemagne qui avoit des qualitez immortelles, fonda l’Université de Paris : cependant le grand amour que les Sçavans eurent de ce temps là pour le Grec & le Latin, l’affectation qu’ils avoient de parler ces deux Langues même dans le particulier, firent négliger la Langue Françoise à un point qu’elle sembloit étrangere dans son propre Pays : cependant malgré les ombres qui la cachoient malgré ou l’obscurité l’on la laissoit, elle faisoit entrevoir certains petits traits qui estant mieux formez pouvoient estre réguliers & dont l’assemblage pouvoient faire un objet charmant : ici nôtre Auteur fait la description des Sçavans de ces siecles Barbares ; leur plus belles productions, dit il, font pitié on n’y trouve ny ordre ny netteté, ny agrément, & plusieurs autres choses de cette force qui nous donneroient une assez mauvaise opinion de ces anciens Auteurs si nous l’en croyons. La Langue Françoise parmy ce nombre de Sçavans demeura en Friche.

Ce ne fut que sous la troisiéme race de nos Rois que la Langue Françoise se ressentit de tout le changement qui se fit remarquer dans la Monarchie : mais les efforts furent bien encor impuissants, les Grammairiens, les Historiens, les Poëtes, & les Orateurs demeuroient au pied de la montagne, les neuf Sœurs les regardoient de bien loin ; & le Dieu qui preside sur ce Mont Sacré, ne prenoit nul plaisir à leurs chants. L’Auteur fait une exacte description du Caractere de tous les Auteurs qui fleurirent en France depuis le commencement de cette troisiéme race jusqu’au seiziéme siecle ; il en fait voir la rudesse, la dureté & la secheresse. Il place le premier changement considerable qui s’estoit fait dans la Langue Françoise, sous le regne de Charles IX. quoy qu’on dût attendre qu’il l’eut placé sous celuy de François I. la mort enleva ce jeune Prince lorsqu’il montoit sur le Parnasse ; les Muses Françoises, ennemies de l’Esclavage & de toute contrainte disparurent de la Cour sous le regne de son Sucesseur qui fut un regne de troubles & de divisions : il fait dans cet endroit l’éloge de la Reine Marguerite de Valois, sur laquelle comme sur tous les évenemens du regne du Roy son frere, il fait une dissertation purement historique. Le regne d’Henry IV. fut encor remply de guerres & de divisions ; l’Auteur nous en apprend à son ordinaire les principaux évenemens, & arrive au regne, tant desiré de Louis XIII. qui est proprement l’époque du rétablissement de la Langue Françoise par l’establissement de la celebre Academie qui fut établie par les soins du Cardinal de Richelieu. Il conclud du changement qui se fit dans la langue sous ce regne, que la posterité du Cadet de Saint Louis devoit l’emporter sur celle de l’aisné, quelque glorieuse & quelque auguste qu’elle ait esté : aprés un grand éloge de l’Academie Françoise, il dit, que la Langue Françoise dans le siecle passé estoit riche & parée d’ornemens precieux, mais qui estoient mal placez & mal assortis, & ausquels il manquoit du goust & de l’ordre : que dans celuy cy au contraire elle s’est dépouillée de tout ce qui luy estoit inutile, qu’on en a banny de certaines expressions usées qui estoient comme de vieilles pieces cousuës sur un bel habit ; sur quoy il fait la comparaison de ces deux Etats où s’est trouvée nostre Langue, avec les Dames de Province & celles de la Cour par raport à leurs manieres de se mettre ; il fait l’éloge de tous ces grands hommes qui perfectionnent la langue, qui examinent tout, qui pesent tout au poids du goust & de la politesse. Les graces Athiques, les expressions fleuries des Grecs, & l’urbanité des Romains sont icy prodiguées en faveur de ces illustres hommes qu’il compare à ceux qui s’attachent à l’agriculture, qui ôtent la mousse des arbres, rafraîchissent les racines, purifient le tronc des chancres devorans. Il fait l’éloge des Predicateurs, ces Heros Apostoliques qui portent l’onction jusqu’au cœur, par le choix des paroles qui en sont les envelopes & le vehicule. Aprés s’estre recrié sur la censure Magistrale que les Sçavans veulent exercer sur les ouvrages d’esprit, il cite la conduite des Academiciens qui pesent le merite, & lorsqu’il est trouvé de poids, luy rendent la justice qui luy est deuë. Il pretend enfin que plus de douze siecles écoulez avant que la Langue ait pû obtenir cette perfection où nous la voyons aujourd’huy, sont une preuve bien évidente de son excellence : & c’est du rapport qu’il établit entre la Langue & la Nation qu’il prouve la grandeur de celle cy par la perfection de la premiere : le Panegyrique du Roy venoit trop bien icy pour que Mr de Lionniere manquast de le faire ; il le fait avec son éloquence ordinaire, ce feu & cette agréable varieté qu’il a semé dans tout son ouvrage ; Verité qui nous doit engager à luy pardonner d’avoir plustost fait l’histoire de la Nation que celle de la Langue. Du reste cet ouvrage sera encor plus estimé lorsqu’on sçaura que c’est par les ordres d’un puissant Souverain que Mr de Lionniere l’a fait.

Air nouveau §

Mercure galant, mai 1703 [tome 5], p. 102-103.

L’Air qui suit, est de la composition de Mr l’Abbé de Poissy.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Quel pressant soucy vous devore, doit regarder la page 102.
Quel pressant soucy vous devore,
Le jour ne paroist point encore,
Vous vous alarmez vainement
De long temps sur ce Mont on ne verra l’Aurore ;
Dans les bras du Sommeil, tout dort paisiblement,
Pourquoy chercher la solitude
Avant que le Soleil nous ramene le jour.
Ah ! si vous n’aviez point d’amour
Auriez vous tant d’inquietude.
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[Revuë de la Compagnie des Cannoniers des Côtes] §

Mercure galant, mai 1703 [tome 5], p. 132-135.

Je vous ay déja parlé de la Compagnie des Canonniers des Costes, que l’on doit à Son Altesse Serenissime Monsieur le Duc du Maine. On mande de la Rochelle que Mr le Maréchal de Chamilly en a fait la revuë, & qu’il en a esté charmé, ainsi que tous ceux qui ont vû cette Compagnie, dont la beauté & l’habillement attirent les yeux de tous ceux qui la voyent. On benit le Drapeau avant la revue, & la ceremonie s’en fit avec beaucoup de pompe, il y eut pendant la Messe une tres-belle Simphonie, composée & executée par les Hautbois de la même Compagnie. L’habit d’ordonnance des Officiers est de drap bleu doublé de rouge, avec des agrémens en broderie d’or. Le Drapeau est bleu, & le milieu est rempli d’un cartouche des couleurs de la livrée de Monsieur le Duc du Maine. On voit dans le milieu de ce cartouche un Canon d’or tirant, & monté sur un affut fleurdelisé d’or. Les armes de Son Altesse sont dans le haut de ce cartouche avec cette Devise en lettres d’or.

Tonantis imago.

qui veut dire par une double allusion que Monsieur le Duc du Maine est l’image de Jupiter, & le Canon celuy de la foudre.

Les Sergens sont habillez de drap bleu avec des agréemens d’or, & les Hautbois & le Tambour sont vêtus d’écarlate de la livrée de Son Altesse, avec des agrémens d’or & des paremens de velours.

Le commandement de cette Compagnie a esté donné à Mr Ferrand d’Ecossay, Brigadier des Armées du Roy & Lieutenant general de l’Artillerie des Costes de l’Ocean.

[Lettre touchant au petit voyage fait par Madame la premiere Présidente du Parlement de Navarre] §

Mercure galant, mai 1703 [tome 5], p. 135-148.

La Lettre suivante m’a paru si agreablement écrite, & la galanterie Espagnole y est si bien marquée, que j’ay crû que vous la liriez avec plaisir.

A MONSIEUR ***

Vous avez bien perdu, Monsieur, de ne vous estre pas trouvé à Bayonne ces jours passez, vous qui aimez tant Mr le Premier President du Parlement de Navarre, vous auriez esté sans doute bien aise d’y faire vostre Cour à Madame son Epouse. Vous sçavez par combien d’endroits Mr Dalon nous a engagez à luy estre dévoüez pendant qu’il estoit Avocat general dans nostre Parlement ; nous aurions esté ravis de trouver cette occasion de luy marquer en la personne de Madame la Premiere Presidente que nous n’avons point perdu la memoire de la protection & de la bienveillance dont il nous a toûjours honorez ; mais Mr l’Evêque & Mr de la Gibaudiere ne nous ont rien laissé à faire, & ont même surpassé nos desirs. Cette Dame n’avoit point d’autre dessein que de voir Bayonne, la Mer, & la Frontiere : Elle partit de Pau le Lundy de Pasques, & vint coucher à Ortez, toute la Bourgeoisie sous les armes alla à sa rencontre jusqu’à une lieuë de la Ville, où les Jurais luy firent leur compliment. Le Maire à la teste du Corps de Ville alla luy en faire un autre chez Mr le Baron de Laur où elle logea. Vous connoissez Monsieur & Madame de Laur, & vous n’aurez pas de peine à croire qu’ils firent les honneurs de leur Gouvernement, avec tout l’esprit & toute la politesse qui leur est naturelle. Ils avoient assemblé beaucoup de noblesse, ils donnerent un souper magnifique, & ensuite un grand Bal. Le Mardi Madame la premiere Presidente alla coucher à Lannes, où Mr le Curé la reçut en homme qui sçait vivre, & qui est accoutumé à voir chez luy bonne Compagnie. Le Mercredy elle arriva à Bayone sur les quatre heures du soir, & alla loger chez Mr Abbadie. Personne n’estoit instruit de sa marche, mais la nouvelle de son arrivée s’estant répanduë dans la Ville, elle fut saluée de neuf coups de Canon ; Mr l’Evêque, Mr de Gibaudiere, Mr de Villette, Mr le Commandant du Chasteau neuf, Mr Dargou, & toutes les personnes de distinction allerent luy rendre visite : chacun luy offrit un appartement qu’elle ne voulut pas accepter, Comme il estoit tard, elle ne sortit point & soupa chez elle. Le Jeudy elle alla entendre la Messe à la Cathedrale, où elle fut accompagnée par Mrs le Gouverneur & un grand nombre d’Officiers, elle fut ensuite rendre visite à Mr l’Evêque, & dîner chez Mr de la Gibaudiere. L’apresdinée elle voulut voir la maison de Mr le Duc de Gramont ; d’abord qu’elle parut sur le Port tous les Bâtimens la saluerent de tout leur Canon. Mr Dargou la conduisit à l’Arsenal, où l’on bâtissoit un Vaisseau, & où elle fut saluée par deux Fregates du Roy qui y estoient. Mr de Gibaudiere la mena ensuite à la Citadelle, où elle fut saluée d’onze coups de Canon, en entrant & en sortant : elle soupa chez Mr l’Evêque, dont vous connoissez les manieres nobles & gracieuses : il luy donna le lendemain son Equipage pour aller à S. Jean de Luz ; plus de trente Officiers ou personnes de consideration l’accompagnerent. Elle fut reçuë au bruit de toute l’Artillerie, tant sur terre que sur mer. Les Magistrats la visiterent en Corps : elle coucha chez Mr de la Aubiague. Il y eut bal aprés soupé, où les Basques se distinguerent fort. Le Samedy elle alla à Andaye où Mr le Gouverneur luy donna dîner, & ensuite le divertissement de voir jetter des Bombes. Il luy avoit fait preparer un Batteau pour passer en Espagne. Mr le Gouverneur de Fontarabie en ayant esté averti vint la recevoir sur le bord de la riviere avec une nombreuse suite, il l’a conduisit d’abord à l’Eglise au bruit de sa formidable artillerie, & ensuite chez luy où il donna un grand regale de Chocolate ; il voulut toûjours servir luy même Madame la premiere Presidente avec toute la galanterie Espagnole ; c’est à dire à genoux, quelque instance qu’elle fit pour l’en empêcher. Aprés s’estre promenée sur les ramparts, & avoir vu ce qu’il y a de curieux à Fontarabie, elle repassa en France, où Mr le Gouverneur voulut la suivre dans un batteau separé par respect, mais Madame la premiere Presidente l’obligea à entrer dans le sien : il luy dit galament : Madame, je ne suis plus en Espagne ; me voici presentement vostre prisonnier : c’est à vous à ordonner de mon sort. Monsieur, luy répondit elle d’une maniere toute charmante, on se feroit honneur d’un prisonnier de vostre consequence ; mais nous ne voulons point nous broüiller avec les Dames d’Espagne. Aprés l’avoir saluée tres respectueusement & fait beaucoup d’honnestetez à tous les François qui estoient avec elle, il repassa la riviere, & Madame la premiere Presidente revint à Saint Jean de Luz. Le Dimanche elle alla au Socoüa, où Mr de Saint Germain la reçut au bruit du Canon de sa Place, & luy donna un grand dîner. La mer estoit horrible ce jour là, c’est à dire dans toute sa beauté pour ceux qui sont à terre. Le soir, Madame, la premiere Presidente retourna à Bayonne, Mr l’Evêque luy donna un souper somptueux, elle coucha chez Mr de Gibaudiere. Quelque priere qu’on luy fit pour l’obliger à demeurer encore un jour à Bayonne, elle voulut absolument partir le lendemain, on luy avoit fait preparer un bateau que l’on remplit de toutes sortes de rafraîchissemens, elle devoit aller coucher chez Mr le Comte d’Apremont Comme la magnificence est une vertu hereditaire de cette maison. Je ne doute point qu’elle n’y ait esté receuë avec beaucoup de splendeur. Voilà, Monsieur, une Relation bien simple, mais bien exacte des honneurs qu’on a rendus à Madame la premiere Presidente de Navare dans son petit voyage. Ils estoient deus à son rang, mais elle en a reçeu un qui n’estoit deu qu’à sa personne, c’est l’hommage de tous les cœurs : elle a charmé tout le monde moins par sa beauté & par l’éclat de son teint que par son esprit, par sa modestie & par ses manieres douces & engageantes. Il est si rare dans nos Provinces de trouver toutes ces qualitez dans une jeune personne de vingt ans, qu’on ne pouvoit se lasser de l’admirer, & depuis trois jours qu’elle est partie elle fait le sujet de toutes les conversations. Je n’avois garde, Monsieur, de vous laisser ignorer une chose qui vous fera je croy beaucoup de plaisir. Je seray toûjours ravy de vous en faire, & de vous marquer avec combien d’attachement je suis vostre tres humble & tres obeissant Serviteur, à Bayonne le 17. Avril 1703.

Madame la premiere Presidante du Parlement de Navare est fille de Mr Choart, Sur intendant de la Maison de Madame la Dauphine, & Parente de Mr de Chamillart.

[Essais de graveure] §

Mercure galant, mai 1703 [tome 5], p. 169-170.

La guerre n’empêche pas les Lettres & les Arts de fleurir sous ce Monarque qui les aime. Les Livres nouveaux qui paroissent tous les jours marquent que le bruit des armes n’effraye point les Muses de France. On a vû depuis peu des Essais de Litterature, qui excitent des troubles dont l’Empire des Lettres, ne peut que profiter, & l’on vient de voir deux Livres remplis de Tailles-douces, intitulez, Essais de Graveure, par Pierre Bourdon, Graveur à Paris, où l’on voit de beaux contours d’ornemens, traitez dans le goust de l’Art, propres aux Horlogeurs. Orfévres, Ciseleurs, Graveurs, & à toutes personnes curieuses. Ces livres se vendent à Paris chez l’Auteur, Place Dauphine. Ils sont gravez avec propreté, & il y a des coups de Maistre parmi ses Essais.

Air nouveau §

Mercure galant, mai 1703 [tome 5], p. 170-172.

Pendant que les Lettres & les Arts qui ont besoin du travail de la main, fleurissent malgré la guerre, les Arts qui demandent plus de meditation d’esprit que de travail, ne sont pas moins cultivez, & les Dames s’en mêlent aussi, seulement pour leur plaisir, c’est ce que vient de faire Mademoiselle Choisin, dont l’esprit répond à la vertu, en mettant en Air les paroles suivantes.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Fuyez mes pas, accablé de douleur, doit regarder la page 171.
Fuyez mes pas, accablé de douleur
Je viens icy charmer ma triste inquietude
Heureux, si cette solitude
Peut suspendre un moment les troubles de mon cœur.
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[Mort de Charles Perrault]* §

Mercure galant, mai 1703 [tome 5], p. 232-253.

La mort vient d’enlever un homme qui aimoit également les belles Lettres & les beaux Arts, c’est Mr Perrault de l’Academie Françoise, cy-devant Controleur General des Bâtimens du Roy, & Premier Commis des Bâtimens sous feu Mr Colbert pendant vingt années.

Il a eu trois freres illustres chacun dans leur genre. Pierre Perrault l’aisné aprés avoir quitté sa Charge de Receveur General des Finances de Paris, composa un Traité de l’Origine des Fontaines imprimé en 1674. Il a fait plusieurs traductions entre autres, celle du Poëme Italien du Tassoni intitulé La Secchia rapita : le Sceau enlevé. Il fit voir par cette excellente traduction, qu’il ne connoissoit pas moins les beautez de la langue Italienne, que ceux de la langue Françoise.

Le second, Mr l’Abbé Perrault. Docteur de Sorbonne, tres recommandable par sa doctrine & par sa pieté.

Claude Perrault de l’Academie des Sciences, Docteur en Medecine. Il estoit tres-grand Physicien ainsi qu’il est aisé de le remarquer par les quatre volumes des Essais de Physique qu’il a donné au Public ; il estoit aussi tres-habile Mathematicien, & tres excellent Architecte, la Façade du Louvre, l’Arc de Triomphe, l’Observatoire & la Chapelle de Sceaux, sont de son dessein, & il a traduit Vitruve où il a joint des notes sçavantes.

Charles Perrault qui est celuy qui vient de deceder, fit connoistre avant que d’estre en place le goust qu’il avoit pour les belles Lettres dans un âge peu avancé, & donna au Public un petit livre intitulé, Dialogue de l’Amour & de l’Amitié : Cet ouvrage eut tout le succés imaginable, on en fit plusieurs éditions & il fut traduit en plusieurs sortes de langues, le succés de ce livre fut cause qu’il parut peu de temps aprés plusieurs Dialogues, qui furent assés bien reçus ; mais qui ne servirent qu’à donner du relief au Dialogue de l’Amour, & de l’Amitié.

Mr Perrault n’ayant pas moins de goust, pour les Arts que pour les Lettres & s’estant trouvé premier Commis de Bâtimens sous Mr Colbert, Employ qu’il exerça pendant prés de vingt années, favorisa auprés de ce Ministre tous ceux en qui il trouva du genie pour les Arts, pour les belles Lettres & pour les Sciences, ce qui ne contribue pas peu à les rendre digne du siecle de Louis le Grand, il procura beaucoup d’avantage à l’Academie Françoise, & c’est sur ses Memoires que les Academies de Peinture, de Sculpture, & Architecture ont esté formées ; il a long-temps présidé aux Academies des Sciences, & des Inscriptions : Vous sçavez le reste à cet égard, dont la verité ne doit pas estre ici trop clairement expliquée, quoy qu’il ne se soit rien passé qu’à sa gloire.

Aprés la mort de Monsieur Colbert, Mr Perrault quitta son employ qui l’avoit en quelque façon obligé d’abandonner les Muses, afin de ne s’occuper qu’à tout ce qui pouvoit servir à l’accroissement des beaux Arts & à les faire fleurir selon l’intention du Roy, qui n’épargnoit rien pour cela. Il fut chargé de tout ce soin sous Mr Colbert, & si l’on examine l’estat où ils se trouvoient en France, à la mort de Mr Colbert, & celuy où ils estoient auparavant dans le mesme Royaume, on connoistra ce qu’ils doivent à Mr Perrault, qui se trouvant déchargé de ce soin après la mort d’un Ministre qui le cherissoit, travailla dans son loisir à quantité d’ouvrages differens, il fit des Poësies de tout genre toutes tres belles, & plusieurs ouvrages en Prose ; il travailloit à faire imprimer ensemble tous ceux qui estant moins considerable que les autres pouvoient échaper plus aisément à ceux qui prenoient soin de les ramasser.

Mr Perrault donna au Public la Vie de Saint Paulin en Vers François : cet ouvrage fut applaudy & critiqué. Le titre donna prise à ceux qui ne vouloient pas applaudir cet ouvrage, & la beauté des vers le fit admirer de ceux qui cherchoient à luy rendre justice. Il est certain que cet ouvrage est travaillé avec autant de soin que s’il ne contenoit pas un tres grand nombre de vers, & que l’on ne peut aller au delà de Mr Perrault dans les Peintures qu’il a fait des choses qu’il a voulu representer : Jamais homme n’a foüillé plus avant dans la Nature, ny fait de Peintures plus vives & plus naturelles, même des choses qui paroissoient les plus ingrates ; de sorte qu’il y a une infinité d’endroits dans son Poëme, qui peuvent estre regardez comme originaux, & qui ne peuvent estre assez louez.

Il en a fait un autre intitulé, le Siecle de Louis le Grand, dans lequel parlant comme il doit du regne du Roy, il fait voir que les Arts & les Sciences, ont esté portées à un si haut point sous ce regne, qu’il s’y est fait beaucoup de choses qui surpassent infiniment quantité de celles qui ont esté faites par les Anciens. Les Amateurs outrez de l’Antiquité, ne purent souffrir que Mr Perrault trouvât aucuns ouvrages dans les Arts & dans les Sciences, qui fût au dessus des moindres ouvrages des Anciens ; & luy declarerent la guerre : cependant il n’a pas esté si opposé aux Anciens qu’ils ont voulu le faire croire, il leur a quelque fois égalé les modernes, il a toujours parlé des premiers avec l’estime qu’ils meritoient ; il a fait voir cette estime pour Homere en traduisant en Vers François son Dialogue avec Hector, qui est dans le sixiéme Livre de l’Illiade, & qui est un des meilleurs morceaux de ce Poëte. Mr Perrault lut cette version le 31. Mars 1693 à la reception de Mr l’Abbé de Fenelon, aujourd’huy Archevesque de Cambray, à l’Academie Françoise, il protesta dans le discours qui preceda cette lecture qu’il reconnoissoit Homere pour le plus excellent, le plus vaste & le plus beau genie que la Poësie ait jamais eu, & que pour persuader les incredules il avoit traduit en François cet endroit de l’Illiade. Il est vray que Mr Perrault a fait soulever contre luy beaucoup de Partisans de l’antiquité pour s’estre opposé fortement à ceux qui disent qu’il n’y a point aujourd’huy d’Auteurs qui puissent estre comparez aux Homeres, aux Virgiles, aux Demosthenes, aux Cicerons, aux Aristhophanes, aux Terences & aux Euripides. Cette dispute a fait naistre de part & d’autre plusieurs ouvrages où il y a beaucoup de bonnes choses à aprendre ; mais enfin on attend encore aujourd’huy réponse aux quatre volumes des Paralelles des Anciens, & des Modernes de Mr Perault. Il y a lieu de croire qu’il a deffendu la bonne cause puisque l’on n’y répond point : En effet à examiner sans préjugé, les beautez, les finesses, la justesse, & l’exactitude de nos Modernes auprés des détails languissans, des fades plaisanteries & des détails outres & figurez de quelques Anciens, on trouvera que Mr Perrault a rendu justice à chacun, en loüant ceux des anciens & des modernes qui avoient merité des loüanges, & en refusant d’en donner à ceux de ces mêmes anciens, & de ces mêmes Modernes qui n’en avoient pas merité.

Mr Perrault a fait beaucoup d’Ouvrages qu’il n’a regardé que comme des amusemens & qui ne laissent pas d’avoir leur merite, comme il sçavoit bien peindre, & qu’il tiroit d’une matiere tout ce qu’elle pouvoit luy fournir, on ne doit pas s’étonner si tous ces Ouvrages ont esté bien reçus du Public, & si le succez de Chreslidis a esté si grand. Je ne parle point d’un assez grand nombre d’autres ouvrages que l’on trouvera dans le recuëil de ses œuvres. Son genie estoit universel & brilloit dans les moindres bagatelles, on peut dire qu’il changeoit en or tout ce qu’il touchoit. L’heureuse fixion où l’Aurore & le petit Jour sont si ingenieusement introduits, & qui parut il y a neuf ou dix années, a fait naistre tous les Contes des Fées qui ont paru depuis ce temps-là, plusieurs personnes d’esprit n’ayant pas cru ces sortes d’ouvrages indignes de leur reputation ; ainsi il a paru un fort grand nombre de ces divertissantes bagatelles qui ne laissent pas d’avoir une morale utile. Enfin Mr Perrault qui passoit d’un genre d’écrire à un autre avec toute la facilité imaginable, continuoit lorsqu’il est mort, les vies des hommes illustres sous le regne du Roy, dont il a déja donné deux volumes au Public. Il estoit tellement honneste homme, & si ennemi des complaisances basses & interessées ausquelles la pluspart des hommes sont sujets, que si on l’avoit voulu obliger d’en avoir, il auroit plutost paru Misantrope que flateur.

Il n’a laissé qu’un fils qui rassemble en luy toutes les bonnes qualitez de son pere, & de ses oncles, & qui fait voir dans sa personne toutes les marques d’une heureuse éducation. Ce fils est le seul fruit qui luy restoit de son mariage avec Marie Guichon fille de Samuel Guichon Seigneur de Rosiere, prés de Troyes en Champagne. Ce mariage tres heureux par les bonnes qualitez de l’époux, & par la beauté & la vertu de la femme, n’a duré qu’environ sept ans ; & Mr Perrault perdit trop tost une Femme qu’il avoit sujet d’aimer, & qu’il a regretté toute sa vie. Feu Madame Perrault avoit trois freres. Mr Guichon l’aîné est Tresorier des Fortifications, & d’une probité tres-connuë dans cet emploi. Les deux autres sont Ecclesiastiques, & tres distinguez par leur pieté, l’un à Paris, où il est Chanoine de l’Eglise de Nostre Dame, & l’autre à Verdun, où il est Chanoine de la Cathedrale.

Cet Article ne doit estre regardé que comme une legere ébauche de ce que l’on peut dire de Mr Perrault, son éloge regarde celuy qui sera reçu Academicien en sa place. On ne doit point regarder ce que je donne comme des ouvrages travaillez ; à peine ai je le temps de les écrire avec precipitation, & souvent je n’ay pas celuy de me les relire une seule fois à moy-même : ainsi ils doivent estre bien differens des ouvrages que l’on a eu le temps de travailler avec soin, & qu’on laisse reposer pour y retoucher aprés les avoir reveus avec de nouveaux yeux.

[Nouvelles de l’entrevue de Mr l’Electeur de Bavière et de Mr le Maréchal de Villars]* §

Mercure galant, mai 1703 [tome 5], p. 316-326.

Vous attendez sans doute avec bien de l’impatience, aprés tant d’avantages & de si heureuses dispositions pour ce qu’il doivent produire, des nouvelles de l’entrevuë de Monsieur l’Electeur de Baviere & de Mr le Maréchal de Villars : ils n’avoient pas l’un & l’autre moins d’impatience de se voir & de joindre leurs troupes ; Mr le Maréchal de Villars qui estoit à Donetchiny, où est la source du Danube, détacha Mr le Marquis d’Usson avec douze cens Chevaux, & le General Maffei qui commandoit le Corps des Troupes Bavaroises le plus avancé, & qui estoit à Friding sur le Danube, à six lieuës du lieu où campoit Mr le Maréchal de Villars, détacha Mr le Baron de Montigny-Languet Colonel de Cuirassiers avec trois cens Cuirassiers, qui rencontra Mr d’Usson à Derling ; ce Baron arriva à quatre heures du matin dans le camp de Mr d’Usson, on en vint d’abord au qui vive, qui fut terminé par des embrassades. Mr de Montigny vint donner avis de l’approche de S.A.E. & des vivres qu’on amenoit à l’armée du Roy, sous une escorte de cinq mille hommes. Mr de Montigny qui fut le premier de l’armée de Baviere qui vit Mr le Maréchal de Villars, avoit marché pendant quatre jours & quatre nuits parmi les Imperiaux, qui prirent toujours les Troupes qu’il commandoit pour des Troupes Allemandes. Enfin l’entretien de S.A.E. & de Mr le Maréchal de Villars se fit le douze. Ce Maréchal devoit se rendre ce jour-là à midy chez Monsieur l’Electeur, qui estoit à Dutliny. Il plut beaucoup pendant toute la matinée, ce qui n’empêcha pas S.A.E. de monter à cheval le matin pour satisfaire l’impatience où Elle estoit de voir Mr le Maréchal de Villars ; ce Prince s’approcha de hauteur en hauteur avec une assez grosse escorte, & envoya couriers sur couriers pour en apprendre des nouvelles ; enfin dés qu’il le sçut à une lieuë, il doubla le pas, & dés qu’il aperçut la Troupe où ce Maréchal étoit, il se mit au galop, & enfin le reconnoissant de loin, il poussa droit à luy à toutes jambes, & sans luy donner le temps de descendre de cheval, il se jetta à son col, & l’embrassa tendrement, mais avec tant de vivacité, que l’on crut pendant un moment qu’ils alloient tous deux tomber par terre, & firent des demonstrations de joie de part & d’autre, qui faisoient plaisir à voir ; Mr l’Electeur laissa même paroître quelques larmes, & dit à Mr de Villars, Qu’il n’y avoit rien qui ne fût au-dessous du service qu’il venoit de luy rendre. Ce Maréchal eut à peine le loisir de luy dire, Que les ordres du Roy estoient si precis, non seulement de tout tenter, mais aussi de tout hazarder pour venir à son secours, & que les Troupes & les Officiers qu’il avoit l’honneur de commander, estoient si devoüées au service & à la gloire de Sa Majesté, qu’il avoit toûjours esperé que rien ne leur seroit impossible ; que d’ailleurs l’ancien & respectueux attachement qu’il avoit toûjours eu pour S.A.E. avoit fait redoubler l’ardeur qui estoit necessaire pour surmonter tous les obstacles qui s’estoient presentez.

Mr l’Electeur de Baviere, aprés avoir marqué de nouveau à Mr de Villars combien il luy estoit redevable, luy dit le desespoir où l’avoit jetté six jours auparavant une Lettre interceptée & écrite par Mr le Prince de Bade à Mr le Cardinal Lamberg, par laquelle il luy mandoit, Que Mr de Villars s’estoit retiré de devant ses retranchemens, & que tout autre passage estoit impossible ; il ajoûta que sa joie fut extrême, lorsqu’il aprit le même jour qu’il avoit heureusement passé les Montagnes ; je vous assure, continua t-il, en s’adressant à ce Maréchal, que je n’en aurai de ma vie une pareille. Mr de Villars presenta ensuite à Son Altesse Electorale les Officiers de consideration qui l’avoient accompagné, ce Prince les reçut avec toute la politesse du monde, & chacun fut charmé de ses manieres & de son air gracieux. La joie estoit universelle, on se remit en marche pendant que Mr de Baviere & Mr de Villars continuerent de s’entretenir seuls, & que les François & les Bavarois s’embrassoient, & faisoient connoissance par l’entremise de Mr de Monasterol & de Mr Simeoni.

On trouva l’Armée Bavaroise en bataille, & Mr l’Electeur, pour faire honneur à Mr le Maréchal, ordonna trois salves de toute l’artillerie & de toute la mousqueterie, & pour signal de chaque salve, ce Prince crioit, Vive le Roy, en jettant son chapeau en l’air. On dîna, & on bût de bon cœur à la santé du Roy, & c’estoit un plaisir de voir la joie des Officiers Bavarois peinte sur leur visage, & avec quel empressement tous ces Officiers & les Officiers François se montroient les uns aux autres sans se lasser de se regarder.

On ne peut observer une plus belle discipline que celle qui s’observe parmy les Bavarois. Un soldat n’oseroit entrer dans le Quartier general sans une permission expresse d’un Officier des Gardes.

Le Courier qui raporta ces nouvelles, dit aussi que l’on avoit trouvé des vivres & des fourages en abondance, & que les hommes se sauvoient en Suisse, ou dans les Montagnes.

Ce Jeudy 16. May Mr l’Electeur de Baviere arriva à l’Armée de Mr le Maréchal de Villars, il estoit accompagné de plusieurs Seigneurs & Officiers Bavarois, avec un Cortege de cinq Carosses, il fit la reveuë generale de l’Armée, où il fut salué de deux décharges du canon & de la mousqueterie. Toutes les Troupes se mirent en bataille, on chanta le Te Deum, aprés lequel ce Prince & tous ceux qui l’acompagnoient, furent conduits par Mr le Maréchal & les Officiers Generaux dans un lieu où l’on avoit preparé un dîner magnifique, pendant lequel le Regiment Royal de Cavalerie luy servit de Garde, les Cavaliers ayant tous l’épée haute.

Le même jour Mr le Maréchal de Villars écrivit une Lettre aux Magistrats de Schaffouse, qui leur fut portée par Mr de Masseraback Brigadier des Armées du Roy, par laquelle il les assure que le voisinage de son Armée ne leur apportera aucunes incommoditez, & qu’au contraire ils en tireront les mêmes utilitez que ceux de Bâle, les exhortant de laisser passer les Officiers & Soldats François.

Pendant que les Armées de France & de Baviere se réjoüissoient de leur jonction, vous connoîtrez par la Lettre suivante quels mouvemens faisoit l’Armée de Mr le Maréchal de Tallard, & quelles estoient ses forces.

Enigme §

Mercure galant, mai 1703 [tome 5], p. 372-373.

L’Enigme qui suit est de Mr Daubicourt.

ENIGME.

La taille courte à large pance
Tout pesant qu’est mon corps, il est des plus dispos,
Je voltige & fais mille sauts
Et j’observe en dansant une juste cadence.
Si l’éclat de mes airs chagrine un endormy
Je fais souvent plaisir au studieux qui veille.
Le diligent est mon ami,
Et je suis incommode où regne la bouteille.