1704

Mercure galant, juin 1704 [tome 6].

2017
Source : Mercure galant, juin 1704 [tome 6].
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Mercure galant, juin 1704 [tome 6]. §

[Service fait dans la Ville du Mans pour Mr le Duc d’Aumont] §

Mercure galant, juin 1704 [tome 6], p. 34-39.

On a fait dans la Ville du Mans un Service pour le repos de l’ame de feu Mr le Duc d’Aumont, à la pompe funebre duquel on ne pouvoit rien ajouter : Madame l’Abbesse du Pré, sœur de ce Duc, n’a pû se consoler de cette perte qu’au pieds des Autels. Mr l’Evesque du Mans qui s’acquitte toujours avec éclat de tout ce qui regarde les fonctions de son Ministere, a bien secondé, dans ce pieux dessein, Madame l’Abbesse du Pré, qui de son costé mêle à tout ce qu’elle fait les sentimens nobles & genereux, si naturels à ceux de son nom, & aux devoirs les plus rigides de la vie Religieuse. Aussi est-elle autant honorée dans tout le Maine, qu’elle est respectée dans tout son Ordre. Toute la Ville du Mans & la Noblesse du voisinage ont voulu lui donner dans cette occasion des marques publiques de leur respect & de leur zele en assistant à ce Service. Mr l’Evesque du Mans y officia Pontificalement, & eut pour Diacre Mr l’Abbé de Tressin, Comte de Lion, son neveu, qui joint toute la conduite d’un digne Ecclesiastique aux sentimens d’un homme de sa qualité, & pour Sous diacre Mr l’Abbé de Druillet, aussi estimé par son merite personnel que par un vray talent pour la Chaire. L’Eglise estoit tenduë de noir avec une fort grande quantité d’Armes La Representation estoit élevée de trois marches avec une infinité de Chandeliers d’argent remplis de Cierges ; le Dais estoit fort riche, & tout ce qui regardoit les Ornemens de cette Eglise rendoit cette Pompe funebre des plus éclatantes : la Musique de la Cathedrale se fit admirer dans cette occasion. Le Pere de la Ferté, Jesuite, prononça l’Oraison funebre du Défunt avec beaucoup d’éloquence, il ne pût s’empêcher de faire connoistre dans son Discours l’amitié particuliere qui le lioit à cet illustre Défunt ; il peignit l’honneste Homme, le grand Seigneur & le Chrêtien, & ces trois portraits réunis, composoient celuy de feu Mr le Duc d’Aumont ; on jugera fort aisément de quelle beauté fut cet éloquent Discours, lorsqu’on sçaura que le cœur du Pere de la Ferté n’y avoit pas moins de part que son esprit ; comme la réputation de cet illustre & sçavant Predicateur est fort répanduë, chacun souhaita d’entendre cette Oraison funebre ; de maniere que l’Assemblée fut tres nombreuse ; le Clergé, la Noblesse, le Presidial, la Prevosté, l’Election, le Maire, le Corps de Ville & tous les Etats differens, s’y rendirent en Corps. Les Dames les plus distinguées de la Ville & du voisinage s’y trouverent aussi en fort grand nombre ; de sorte que quoiqu’on eut pris de grandes précautions pour conserver un bon ordre, qu’on eut placé un bon nombre de Gardes aux Portes de l’Eglise, l’affluence fut si grande, que le Pere de la Ferté demeura un tres-longtemps avant que de pouvoit passer jusqu’à la Chaire.

[Eloge du Pere Bourdalouë par Madame de Pringy] §

Mercure galant, juin 1704 [tome 6], p. 40-52.

Je vous envoye l’Eloge que je vous ay promis à la fin de ma derniere Lettre. J’ay appris depuis ce temps-là que cette piece d’Eloquence a esté faite par une personne de vostre Sexe, ce qui doit faire redoubler les applaudissemens qui sont dût à cet Ouvrage. Ce n’est pas la premiere fois que la même personne s’en est attirée de grands par d’autres Ouvrages qui ont fait beaucoup de bruit dans le monde.

ELOGE
du Pere Bourdaloüe.

C’est en vain que la Renommée voudroit publier la gloire & les vertus de l’homme juste il n’appartient qu’à la Religion de découvrir ce qu’il a pû faire pour elle. Les Heros dont le Panegyrique n’est qu’un enchaînement des vertus morales, peuvent se confier aux cent voix ; mais les Saints dont la vie n’est qu’un tissu de vertus Chrestiennes, ne se transmettent à la posterité que par le regret que l’on a de leur perte, & par l’imitation de leurs vertus.

C’est dans nos justes regrets que l’on peut voir la perte que l’Eglise fait du Pere Louis Bourdaloüe, ce Ministre du Seigneur dont le zele éclatant à si bien fait valoir le talent qu’il avoit reçû ; ce chef-d’œuvre de l’éloquence qui sans incarner la verité, prêchoit si purement la verité incarnée ; ce prodige de connoissance, de justesse & d’expressions qui n’avoit pas moins de force pour deffendre la verité, que de fecondité pour en exprimer les beautez, nous engage à payer un tribut à la douleur quand il paye celui qu’il devoit à la nature.

L’on ne sçauroit, qu’avec des larmes, voir disparoitre de l’Eglise militante, cette lumiere que nulle ombre n’a obscurcie, ce flambeau qui pendant six Lustres a éclairé toute la France, cet homme parfait par la droiture de son cœur autant que par l’excellence de son esprit.

Si la douleur que l’on doit avoir de sa perte est si legitime, la reconnoissance que l’on doit à ses travaux, est un engagement indispensable, & nos loüanges doivent accompagner nos regrets, puisqu’il nous faut pleurer celui que nous admirions.

Il n’y eut jamais de merite plus extraordinaire & plus uniforme. Il joignoit à la vivacité la plus étonnante, la solidité la plus parfaite ; & nous pouvons le regarder comme le plus Chrêtien & le plus excellent des Predicateurs ; comme le plus Chrêtien, puisqu’il a presenté la verité dans toute la pureté de sa doctrine ; comme le plus excellent, puisque jamais homme n’a dit tant de choses en si peu de mots, ni tant de mots sans superflu & sans redites. Predicateur Chrêtien, il a eu le zele d’un Apostre, c’est la premiere consideration : Predicateur excellent, il a eu l’esprit d’un Ange ; c’est la seconde, & le sujet de nostre admiration.

Cet homme de Dieu commença sa carriere comme l’Apostre. La Grace lui mit un voile épais sur les yeux, il ne vit point l’attrait des grandeurs humaines, le charme des plaisirs, le surprenant de ses talens, il ne vit que Dieu seul, & dans le respectueux tremblement d’une ame innocente qui contemple attentivement la Majesté du Tres-Haut, il forma le dessein d’estre absolument à lui sans partage & sans delay.

La majesté de nostre sainte Religion se presenta d’abord à ses yeux, la verité de ses dogmes s’y révela, la sainteté & l’impénetrabilité s’y graverent ; enfin la grandeur & la divinité de la Loy de J.C. s’imprimerent dans son cœur & le déterminerent à l’étude d’un Dieu Crucifié.

Quel progrés ne fit-il point dans ce vaste ocean des veritez éternelles. Toûjours attentif & toûjours enrichi, il ne fut pas longtemps sans répandre les lumieres qu’il avoit reçuës, il fut élevé par la misericorde de Dieu au dessus de la nature, & il y éleva les autres par la parole, il sentit la necessité de la Grace, & la puissance du Reparateur, par les continuelles victoires qu’il remporta par la force de son saint Nom ; & comme un veritable Apôtre, il fit de l’homme foible qui l’écouta, l’homme éclairé qui le suivit.

Revestu du sacré Sacerdoce, il en connut toute la sainteté & toute la dignité ; il en remplit aussi tous les devoirs sans se soustraire à aucun, sous pretexte de necessité. Toutes ses idées estoient soûmises à la foy. Ses maximes portoient à la Morale la plus exacte, & son exemple estoit l’écho de sa parole.

Dans les Dogmes, toûjours d’accord avec l’Eglise. Dans la Morale, toûjours semblable aux preceptes de Jesus-Christ, & dans la Pratique, dérobant à la nature pour donner à la grace.

L’admiration qu’il devoit au Seigneur ne finissoit en luy, que par la meditation des vanitez du monde ; & la reflexion qu’il faisoit sur les vains projets des hommes, l’élevoit au dessus de leurs foiblesses, pendant qu’il travailloit à les guerir de leurs infirmitez.

C’est du milieu de ces saints exercices que sortoit cette odeur de suavité qui faisoit goûter sa doctrine. Il montoit dans la Chaire de la Verité selon l’intention de l’Eglise ; le zele de la Maison de Dieu l’enflammoit, & il estoit animé de son esprit. Le joug imperieux des raisons humaines ne l’a jamais assujetti, il n’estoit soûmis qu’à la Foy & à la Verité : il la puisoit dans les Saintes Ecritures, & la répandoit dans les ames pour y faire germer la Predestination des Saints.

Sans violence & sans dureté, il estoit juste ; sans foiblesse & sans tolerance, il estoit doux ; sans emportement & sans promptitude, il estoit vif ; sans rigueur, il estoit fort ; & sans relâche il estoit Chrestien.

Que n’a-t-on point vû de son zele dans l’exercice de son ministere. Plein de l’ardeur que la verité inspire, il transportoit les ames au dessus de cette region des morts où la nature les attire, & les élevoit malgré le poids des sens & des habitudes, jusques au goust de la verité. Il ébranloit une ame au seul nom de l’Eternité, il l’attiroit par celui de la felicité ; & pendant qu’elle se trouvoit interdite par ces veritez, elle estoit assujettie par la victorieuse misericorde de Dieu.

Il élevoit même les ames les plus sensibles au dessus d’elle-mêmes, il leur presentoit la grandeur de la Majesté Divine, avec tant de zele, que le fremissement de leur adoration brisoit leur cœur. Leur amour propre alors loin de favoriser leur erreur, cherchoit sa ressource dans l’imitation du zele par lequel elle venoit d’estre confondue.

Qui nous a jamais donné une idée plus parfaite du neant des grandeurs humaines, le Pere Bourdaloüe presentoit les estres dépoüillez des apparences que causent nos illusions ; & remettant les choses dans l’ordre de leur nature, il conduisoit l’homme au point de vûe de la verité, & c’est ainsi que le zele apostolique qui l’animoit, le rendoit le plus chrestien des Predicateurs : mais l’esprit angelique qu’il avoit reçu, le rendoit le plus excellent ; c’est le second motif de nos regrets & de nostre admiration.

Rien ne marque si sensiblement la superiorité d’un esprit, que de penetrer aisément la verité & de l’exprimer facilement. C’est sous cette idée que nous concevons de quelle maniere agissent les Anges. Ces pures intelligentes voyent Dieu, voila leur penetration. Elles veulent l’aimer, voila leur expression. Or cet acte exprimé qu’elles produisent perpetuellement fait l’excellence & le bonheur de leur nature ; mais la nature humaine n’a pas le même avantage. L’homme ne voit Dieu qu’imparfaitement. Dieu est visible & caché pour luy. L’homme ne l’aime que foiblement, parce que son desir est partagé, aussi bien que sa connoissance, il n’a pour découvrir la verité que l’attention, & pour l’exprimer que la parole. Celuy dont nous pleurons la perte a bien fait valoir ces deux moyens. Attentif sans interruption, il découvre dans le sein de la verité, le mystere de sa perfection & de la sanctification des autres. Juste & fecond dans ses expressions, la parole estoit en luy une beauté toujours ancienne & toujours nouvelle, qui comme un glaive à deux tranchans, renversoit l’obstination de l’Impie & soûtenoit la timide confiance du Iuste.

L’on n’a jamais vû l’éloquence humaine s’élever aussi haut, que dans la bouche de cet Orateur Chrêtien. Fier de porter la verité toute pure, elle osoit paroistre dans tout son éclat, parce qu’il ne l’employoit que pour soumettre les esprits & les cœurs sous le joug de Jesus-Christ.

Jamais le feu, le vif, le surprenant d’une imagination brillante n’a mieux servi la verité. Il avoit tant de facilité pour en exprimer les traits, & tant de force pour en imprimer les caracteres, que l’on étoit contraint d’avoüer en l’écoutant qu’il ne pouvoit estre imité.

Il a servi l’Eglise sous cette pompeuse figure d’un Astre nouveaux que la ressemblance de nulle autre n’avoit annoncée. Merveilleux dans ses discours les plus simples, simple dans le merveilleux de ses plus excellens Discours. On reconnoissoit que les dons du Ciel étoient répandus sur lui avec abondance, & qu’il estoit le plus Chrestien & le plus excellent des Predicateurs.

Ce parfait modele d’un homme Apostolique ne peut estre trop à regretter, & la douleur des témoins de son éloquence leur fait encore entendre sa voix dans le silence de son Tombeau.

[Stances] §

Mercure galant, juin 1704 [tome 6], p. 53-66.

Le Pere Bourdaloüe ayant part à l’Ouvrage suivant, je crois le devoir ajouter icy. Quoique cet Auteur ne se nomme point, il ne laisse pas d’estre fort connu dans le monde par quantité d’endroits qui doivent faire plaisir à un honneste homme.

SUR LA MORT
De Mr l’Evêque de Meaux, de Mr l’Abbé Boileau, & du Pere Bourdaloüe.
STANCES
Irregulieres.

 Toutes les vertus aux abois,
Autour de trois cercüeils, joignent leurs pleurs aux nôtres.
L’Eglise, comme nous, a perdu dans un mois,
 Trois Interpretes de ses Loix,
 Et la France y perd trois Apôtres.
***
BOSSUET, comparable aux plus sacrez Auteurs,
Attaquoit par tout les erreurs,
Et contre elles s’armoit en Pere de l’Eglise.
Maître de son pinceau, dans ses hardis portraits,
BOILEAU, frappant les cœurs avec leurs propres traits,
Inspiroit du salut l’amour & l’entreprise ;
Et BOURDALOUE, austere & terrible au peché,
 Comme un Xavier, comme un Ignace,
A fait pâlir le vice, & triompher la Grace,
 Autant de fois qu’il a prêché.
***
Ses moindres qualitez, ses plus simples paroles,
Sa presence, son nom, tout nous prêchoit en luy,
 Loin de tous interests frivoles,
Il cherchoit son salut, dans le salut d’autruy.
***
Son zele Apostolique & son esprit sublime
Répandoient de la Grace & le Lait & le Miel ;
Et ses talens divins ne cherchoient d’autre estime,
Que celle qui l’aidoit à nous conduire au Ciel.
***
 Digne Enfant de sa Compagnie,
 Digne Disciple de Jesus,
Il a tout l’avant-goût, quand il finit sa vie,
Des fruits qu’il promettoit à toutes les vertus.
***
Tout ce que l’on estime, & tout ce que l’on loüe,
Tout ouvrage parfait, tout excellent Sermon,
Tout chef-d’œuvre quitte son nom,
Et prend celui de BOURDALOUE.
***
Ainsi ce nom fameux, par le temps respecté,
Transmet à l’avenir de ses droits la memoire.
Le merite est déja son Immortalité,
Et sa propre vertu sera toûjours sa Gloire.
***
Celle, dont il joüit, devoilée à nos yeux,
Ne souffre a nôtre foy ny doute ny surprise
BOSSUET & BOILEAU, comme luy, dans les Cieux,
Sont au rang, où les met le Peuple, avant l’Eglise.
***
Ne mêlons point icy de sentimens humains
 À nôtre encens, à nos loüanges.
 Leur vie étoit celle des Anges ;
 Et leur mort est celle des Saints.
***
 L’une n’est que l’écho de l’autre,
 De leur vertu vient leur bonheur ;
 Et si nôtre vie est la leur,
 Leur mort aussi sera la nôtre.
***
Ils meritent nos pleurs, nos regrets & nos vœux ;
Mais au lieu d’écouter nôtre douleur extrême,
 Imitons-les, vivons comme eux,
 Si nous voulons mourir de même.
***
 Instruits de toutes les façons,
 Par la parole & par l’exemple,
 Mettons à profit les leçons,
Qu’on nous fait sur le Trône, ainsi que dans le Temple.
***
 S’il nous faut des Saints pour Pasteurs,
NOAILLES est le chef & l’exemple des autres ;
 Et parmi nos Prédicateurs,
 Nous avons encore des Apôtres.
***
La Rüe, avec l’éclat, dont brille un Cherubin,
Interprete zelé du sens de l’Evangile,
Rend le cœur à la Grace attentif & docile,
 Le fait brûler d’un feu divin.
 Par des Images éclatantes,
 Par des descriptions sçavantes,
Il suspend les esprits qu’il veut assujettir,
Les soumet à la Foy, plus qu’à son éloquence,
Joint à l’art de toucher, le don de convertir,
 Et porte par les traits qu’il lance,
 Tout Pecheur à la Penitence,
 Et tout Impie au repentir.
***
Massillon, penetré de ce qu’il prêche aux autres,
Oppose, avec succez, ses maximes aux nôtres,
Tourne vers les devoirs le penchant de nos cœurs,
Donne aux vices divers, leurs plus noires couleurs,
En dégage, avec art, nos ames obsedées,
 Approche nôtre esprit du sien,
 Et nous soûmet à ses idées,
 Pour nous mener du mal au bien.
***
Loin de tout faux éclat, La Ferté dans son zele,
Fuyant toute grandeur qui n’est pas éternelle,
Eleve jusqu’au Ciel & l’homme & ses desirs ;
À la Loy de son Dieu le rend souple & fidelle,
Luy donne vers ce centre une pente nouvelle,
 En fait l’objet des ses soupirs,
Luy fait aimer la Croix, & mepriser pour elle
 Et les honneurs & les plaisirs.
***
Gaillard, plein de l’esprit d’Ignace,
Ne se cherchant sur rien, cherche & trouve en tout lieu,
Le salut du prochain & la gloire de Dieu ;
Et fait ceder par tout la Nature à la Grace.
***
Pour diriger nos soins, pour conduire nos pas,
Les guides ne nous manquent pas,
Si La Rüe est un BOURDALOUE,
La Boissiere & Guibert font de sçavans Tableaux ;
Dom Jerôme & Palu reforment nos defauts ;
Anselme, Maure, Hubert qu’on recherche & qu’on loüe,
Sont encore de l’Eglise Oracles & Flambeaux ;
Et nous pourons trouver, comme la Cour l’avoüe,
Dans l’Evêque d’Agen, un Evêque de Meaux.
***
Du zele & des vertus la pratique sincere,
Ne laisse plus d’excuse à nôtre lâcheté.
Le Trône même est une Chaire,
Où nous prêche la Pieté.
***
Par sa Religion, par ses puissans exemples,
LOUIS gagne & conduit au Ciel plus de Mortels,
 Que n’en ramenent à nos Temples
 Les Ministres de nos Autels.
***
 Nos Guerriers ont part à la gloire,
Dont LOUIS se couronne, en cuëillant des lauriers,
 Tous les Chrêtiens sont des guerriers,
 Et le salut est leur Victoire.
 Sur les pas de ce Conquerant,
 De ce Fils aîné de l’Eglise,
 Courons par le chemin qu’il prend,
Au succés, de tous les plus grand,
Sa Foy répond de l’entreprise,
Et son exemple en est garand.

[Les Dames au Roy d’Espagne sur ce que sa Majesté ne les regarde gueres] §

Mercure galant, juin 1704 [tome 6], p. 115-124.

L’Ouvrage qui suit convient assez au temps, il est de Mr du Mont, Baron de Blaignac.

LES DAMES AU ROY D’ESPAGNE,
Sur ce que Sa Majesté ne les regarde gueres.
ODE.

Tandis que le recit de vos faits heroïques,
 Grand Prince, occupe nos Epoux ;
Souffrez que nous venions, peu sages politiques,
 De vous-même nous plaindre à vous.
Nos langues voudroient bien se faire violence,
 Et suprimer nôtre chagrin ;
Mais le Sexe offensé connoist-il le silence,
 Et la douleur a-t-elle un frein.
***
Vous ne l’ignorez-pas ? telle est nôtre foiblesse,
 Nous aymons à troubler vos cœurs,
Nous en voulons sur tout à l’austere sagesse
 Des Monarques & des Vainqueurs.
Nôtre orgüeil se flattoit que l’éclat de nos charmes
 Renverseroit vôtre fierté.
Cent Heros avant vous ont bien rendu les Armes
Au doux brillant de la beauté.
***
Achile fut jadis vaincu par sa Captive
 Son Roy même fut son Rival.
Hercule éprouva-t-il une flame moins vive ?
 Ha ! que vous les imitez mal.
Il est vray que marchant sur leurs augustes traces,
 Vous soûmettez vos Ennemis,
Mais toûjours défiant, & peu charmé des graces,
 Vous ne vous êtes point soûmis.
***
Devons nous l’exiger, un cœur comme le vôtre
 Seroit-il sensible à nos traits.
 Helas à cet affront vous en joignez un autre
 Bien plus honteux à nos attraits.
L’ébloüissant secours d’une riche parure
 Fortifie en vain nos appas,
Vous triomphez en nous de l’art de la nature,
 Et vous ne nous regardez pas.
***
Le desir de vous plaire, à soi-même est funeste,
 Loin de nous il fait fuir vos yeux,
Depuis quand la jeunesse est-elle si modeste.
 Et les Rois si peu curieux.
Faudra-t-il que par vous dans le siecle où nous sommes
 Ce changement soit établi ?
Sçavez-vous qu’il vous sied plus mal qu’aux autres hommes,
 De mettre le Sexe en oubli.
***
Nous mépriseriez-vous ; mais quoy la Seine & l’Ebre
 Ventent si fort vôtre bonté ;
Par vôtre grand courage êtes-vous plus celebre
 Que par vôtre affabilité.
Autant qu’à nos souhaits vos yeux sont insensibles,
 Autant les Heros sont humains
Nous apprehendez-vous ? sommes-nous plus terribles
 Que les Bataillons des Germains.
***
Fuyez-vous leurs Drapeaux ? craignez-vous leur présence ?
 Quand vers vous leur Chef les conduit.
Ne supportez vous pas avec impatience,
 Qu’ils vous soient ravis par la nuit
Vous allez au devant de leurs fureurs guerrieres,
 Vous vous en faites un devoir.
Faut il grimper des Monts & franchir des Rivieres,
 Tout cede au desir de les voir.
***
Injuste empressement, preference cruelle
 Meriteront-ils ces regards ?
S’ils vous montrent, grand Prince, une ardeur mutuelle,
 Qu’il vous en coûte de hazards.
Pour former contre vous quelque affreuse tempête
 Comme eux joignons nous nos efforts ?
Avons-nous fait voler autour de vôtre tête
 Un plomb qui semât mille morts ?
***
Le Pô nous a-t-il vû par la rage animées
 Marcher au son de leur Tambours.
Lorsque nous vous cherchons nous ne sommes armées
 Que de nos innocens amours.
Que nous sert-il, ô Ciel, d’être peu formidables,
 Nôtre nom vous est plus suspect
 Que les ruses d’Eugenne, & ces faux redoutables
Qui s’embrasent à nôtre aspect.
***
Jusques où poussez-vous l’excés de l’injustice
 Vous tremblez grand Prince, est-ce à vous.
Vôtre vertu n’est pas une vertu novice.
 Si quelqu’un doit craindre, c’est nous.
Tous vos jours sont liez par un tissu de gloire,
 Vous êtes fidele & constant,
Roy, jeune, beau, guerrier, cheri de la Victoire,
 Pour nous vaincre en faudroit-il tant.
***
Disons-le toute-fois, nous ne sçaurions vous craindre,
 Nous osons même vous blâmer
Vôtre vertu qui peut seule vous y contraindre
 Contre nous peut bien vous armer.
Mais par de vains propos nôtre troupe jalouse
 Retarde vos justes plaisirs.
Courez où vous appelle une adorable Epouse,
 Tendre objet de tous vos desirs.
***
Elle ne vous a veu que Maître de l’Espagne,
 Elle brûle de vous revoir,
Vangeur du Milanés, Vainqueur de l’Alemagne
 Dont vous êtes le desespoir.
Allez la retrouver, & laissez à Vandôme
 Vôtre Foudre & vos Etendarts,
Marie encore plus que tout vôtre Royaume,
 Est digne de tous vos regards.

[Fête galante donnée à Mr le Duc de Mantoue par Mr le Baron de Breteüil]* §

Mercure galant, juin 1704 [tome 6], p. 181-183.

Vous sçavez que Mr le Baron de Breteüil Introducteur des Ambassadeurs, a une fort belle maison à Charonne, où il reçoit tous les Jeudis les Ministres étrangers qui sont en cette Cour. On s’y promene, on y joüe, & chacun s’y divertit selon son goût ; il a donné dans ce lieu une Feste des plus galantes à Mr le Duc de Mantoüe ; il y avoit deux tables dans un lieu tres-delicieux, elles estoient de vingt-quatre couverts chacune ; il y avoit un grand nombre de Dames. La Symphonie, & les voix ne furent pas oubliées, de maniere que Mr le Duc de Mantoüe fut tres-satisfait de cette Feste ; il dit même à Mr de Breteüil, qu’elle n’étoit pas d’un Particulier, mais d’un Souverain, & qu’il en parleroit au Roy.

[Epitaphe du Frere Compagnon du R. P. Bourdaloüe] §

Mercure galant, juin 1704 [tome 6], p. 199-200.

EPITAPHE DU FRERE,
Compagnon du R.P. Bourdaloüe.

D’Autres du grand Bourdaloüe,
Chantent l’éternel renom,
Pour moy seulement je loüe
Son fidele compagnon.
***
Tel que la chate d’Enée
Le bon frere pas à pas
A suivi sa destinée,
Même jusques au trepas.
***
Dans les degrez de la Chaire,
Plus fier de son Orateur,
Que Maillard le debonnaire
N’étoit de son Confesseur.
***
Il meurt aprés ce grand homme,
Et ne veut plus se prester.
Le cheval d’un Pape à Rome,
Ne se laissa plus monter.

[Feste donnée à Monsieur le Duc de Mantoue par Mr le Baron de Breteüil] §

Mercure galant, juin 1704 [tome 6], p. 203-212.

L’article que vous venez de trouver dans ma Lettre de la Feste donnée à Mr le Duc de Mantoüe par Mr le Baron de Breteuil est si imparfait, que j’ay cru devoir ajouter à cet Article la Relation suivante, qui remplira entierement vostre curiosité.

Mr le Baron de Breteüil fut nommé par le Roy au commencement du mois de May dernier, pour avoir seul le soin de la reception & du traitement fait à Monsieur le Duc de Mantoüe à Luxembourg ; ce Baron a toûjours accompagné ce Duc à Versailles, à Paris, à Meudon, & à Saint Germain en Laye, ainsi que dans tous les lieux où on a crû avoir besoin de sa presence & ce Baron s’est acquité dans toutes ces occasions des fonctions de cet employ, avec toute la capacité & la politesse possible, & d’une maniere dont le Roy & Monsieur le Duc de Mantoüe ont esté également satisfaits ; mais pour finir cette commission avec la magnificence qui est ordinaire à ce Baron, il donna le 12. de ce mois une Fête à ce Prince dans sa maison de Charonne. Mr de Mantoüe lui ayant dit, cinq ou six jours auparavant, qu’il vouloit s’y aller promener sur le recit qu’il en avoit oüy faire.

Ce Prince y arriva sur les six heures du soir, & aprés une promenade d’une heure, il entra avec les Dames dans un Sallon preparé pour la Musique, où tout ce qu’il y a de plus belles voix d’hommes & de filles à l’Opera chanta de la Musique Françoise & Italienne, dont la Simphonie estoit composée de tout ce qu’il y a de plus exquis dans l’orquestre de l’Opera ; ce divertissement étant fini, un fameux Joueur de Gobelets amusa la Compagnie jusqu’au moment où l’on se mit à table. Le souper estoit preparé dans l’Orangerie qui est fort grande : elle estoit entourée de petits Orangers, & l’on voyoit entre ces Orangers de grands vases bleus remplis de toutes sortes de fleurs ; de parfaitement beaux Tableaux, regnoient au dessus tout autour de la salle qui étoit éclairée par six lustres, & par quantité de girandolles. Il y avoit dans le fonds un buffet des plus magnifiques, il étoit à trois étages, & garni de tout ce que l’Orfevrie peut avoir de plus beau, en argent, & en vermeil doré. Il y eût deux Tables de vingt-quatre couverts chacune, derriere lesquelles plusieurs personnes mangerent debout. Plusieurs Tables furent aussi servies pour la suite.

Lorsque la Compagnie passa du Sallon de la Musique à la Salle du souper, l’allée qui regne le long de l’Orangerie parut tout d’un coup illuminée de la maniere du monde la plus galante. La Table où estoit Monsieur le Duc de Mantoüe estoit vis-à-vis une porte qui est dans le milieu de l’Orangerie, & qui répond à une longue allée du bois : cette porte ne s’ouvrit que dans le moment que la compagnie se trouva vis-à-vis pour se mettre à table, & lors qu’on l’ouvrit tout le bois se trouva illuminé, & l’allée terminée par une grande arcade de lumieres, qui se reflechissoit dans des miroirs placez derriere la table. Des haubois & des violons joüoient dans ce bois pendant le souper, & Mesdemoiselles Desmatins, & Maupin, & le sieur Thevenard chanterent sur la fin de ce magnifique repas.

Pendant le souper on illumina le reste du Jardin, en sorte que lorsque S.A. entra en la maison, elle trouva toute la face du Jardin qui la regarde, & les allées qui y répondent éclairées d’une decoration de lumieres tres-ingenieusement rangées ; Les Orangers qui regnent le long de la grande allée étoient tous éclairez par plusieurs lumieres, & le fond de la perspective étoit terminé dans l’éloignement par une haute & brillante Pyramide, dont les lumieres produisoient un effet merveilleux, & que l’on ne se pouvoit lasser d’admirer.

La Feste finit par un grand bal, qui dura jusqu’à plus de deux heures aprés minuit ; je ne vous parlerai point des Dames qui composoient le bal : elles estoient non seulement d’une qualité tres distinguée, mais je crois qu’il seroit difficile d’en rassembler de plus belles dans Paris.

Mr le Duc de Mantoüe estant allé deux ou trois jours aprés cette Feste à Versailles, en parla avec Eloge, & elle lui donna occasion de marquer au Roy combien il est satisfait de la conduite de Mr le Baron de Breteüil à son égard, & de la maniere dont il s’est acquité de sa Commission, en executant toutes les choses qu’il a pû desirer depuis qu’il étoit en France.

[Sa Majesté Britannique fait l’honneur aux Peres Jesuites du College de Louis le Grand d’aller voir representer une Tragedie dans ce College] §

Mercure galant, juin 1704 [tome 6], p. 273-277.

Sa Majesté Britannique ayant oüy dire beaucoup de bien d’une Piece de Theatre, intitulée Philippes le Bon, Duc de Bourgogne, composée par le P. le Clerc Jesuite, & qui avoit esté representée par les petits Pensionnaires du College de Loüis le Grand, souhaita d’en voir une representation. On n’eût pas plûtôt appris cette nouvelle dans ce College, qu’on en fit paroître beaucoup de joye, & qu’on se prepara à donner une seconde representation de la Tragedie que S.M.B. souhaitoit de voir. Ce Monarque s’y rendit le 8. Juin accompagné de Madame la Princesse d’Angleterre sa sœur. Tous les Jesuites de ce College le reçûrent à la descente de son Carrosse, & le conduisirent au son des trompettes & des timbales, avec toute sa suite dans une Salle où il fut complimenté par Messieurs les Princes de Nassau, de Croy & de Ligne, le Comte de Beaufort Croy, & par Messieurs les Marquis de Lanmari, du Roure, d’Estain, le Comte & l’Abbé de Malauze, & par plusieurs autres Pensionnaires de qualité du même College. Sa Majesté, vit ensuite representer la piece dont je vous viens de parler. Mr le Prince de Pons ouvrit le Téatre par un nouveau compliment à Sa Majesté, & vers le milieu de la piece, tandis que les Musiciens chantoient un Intermede, on apporta une magnifique Collation qui fut presentée par les plus distinguez d’entre les Pensionnaires. Monsieur le Marquis de Lanmary grand Echanson de France fut de ce nombre, il eut l’honneur de faire pour la premiere fois les fonctions de grand Echanson, & de servir a boire à Sa Majesté, ce qu’il fit avec le grand air & la bonne grace qui l’accompagne toûjours. La piece finie, S.M.B. alla voir la Bibliotheque ; les Jesuites en corps le reconduisirent ensuite jusqu’à son carrosse, comblez & confus en même temps de toutes les bontez d’un Prince si aimable & si digne des trois Couronnes qui lui appartiennent. Ce Monarque s’en retourna au bruit des acclamations que lui donna le peuple de tous les lieux par où il passa, les ruës retentissoient des cris de joye, & des vœux que ce peuple formoit en faveur de ce Prince, & pour honorer la sainteté du feu Roy Jacques II. son pere, dont la memoire sera toûjours en veneration.

[Détail de tout ce qui s’est passé au Siege de Suze] §

Mercure galant, juin 1704 [tome 6], p. 277-288.

Je viens à ce qui s’est passé en Italie depuis le mois dernier, & je crois devoir commencer par le siege de Suze. Mr le Duc de la Feüillade qui avoit fait voir beaucoup de conduite & de valeur depuis qu’il sert en Italie où il s’est acquis l’amour des troupes & des peuples, & qui par sa conduite a sauvé Chamberi, avoit merité par toutes ces choses que le Roi lui fit l’honneur de le faire commander en chef au Siege de Suze, & ce Duc a répondu par une expedition aussi prompte qu’elle paroissoit difficile, à l’honneur que le Roy lui a fait en le nommant General d’une de les Armées. Ce Duc arriva le 29. du mois de Mai devant Suze avec 24. Bataillons, 4. Regimens de Dragons, & quelques pieces d’Artillerie, & suivant sa vivacité ordinaire pour le service & pour la gloire du Roy, il s’empara d’abord de plusieurs hauteurs, & d’autres postes avantageux. La Ville de Suze se trouvant resserrée par la perte de ces postes, & jugeant bien par la maniere dont les choses se passoient, qu’elle risqueroit beaucoup si elle osoit faire la moindre resistance, se rendit au premier coup de canon ; mais les ennemis qui ne comptoient pas sur la resistance que feroit cette Ville, fonderent toutes leurs esperances sur un corps de plus de quinze cens Fantassins, qui se retrancherent sur la montagne de la Brunette, & comme il falloit les y forcer avant que de prendre une redoute appellée la Redoute de Catinat, ainsi que le Château ou Citadelle de Suze, ils comptoient qu’il faudroit bien du temps à Mr de la Feüillade pour emporter leurs retranchemens & ces deux postes ; ils avoient lieu de le croire, & la chose étoit difficile, & auroit pû même paroitre impossible à d’autres qu’à Mr le Duc de la Feüillade, puis qu’il s’agissoit de faire monter du canon par des lieux fort élevez, & de s’en servir contre des retranchemens, & contre deux postes bien fortifiez. Mr le Duc de la Feüillade ne perdit pas un moment de temps, & prit des mesures si justes, que le 5. de ce mois au matin il emporta les retranchemens que les ennemis avoient fait sur la montagne de la Brunette : ils eurent plus de quatre cens hommes tuez en cette occasion, où l’on fit plusieurs prisonniers, du nombre desquels étoient le Colonel Schalembourg Allemand, le Comte de Sautena Lieutenant Colonel, & frere de celui qui est mort à l’Abbaye de la Trappe, & trois autres Officiers de consideration. Il vint cinq cens Deserteurs qui se rendirent à Mr le Duc de la Feüillade, & le reste des troupes que les ennemis avoient de ce côté-là se retira sous la Redoute de Catinat. Mr de Valieres Maréchal de Camp, eût une contusion à la mammelle gauche. Nostre perte fut si peu considerable en cette occasion qu’il n’y eust aucun Officier de tué ni blessé. Mr le Duc de la Feüillade ne laissa pas prendre long-temps haleine à ses troupes, qui n’étoient pas moins impatientes que lui d’achever leur conqueste, & fit attaquer deux jours aprés, c’est à dire le 7. du même mois, la Redoute de Catinat : elle fut battuë avec tant de vigueur qu’elle se rendît dés le même jour, & quatre vingt hommes qui la deffendoient furent faits prisonniers de guerre. Mr le Duc de la Feüillade toujours excité de la même ardeur de vaincre & de servir le Roy, fit battre la Citadelle aussi-tost aprés la prise de la Redoute de Catinat, & l’on fit un si grand feu, que les ennemis qui craignoient d’estre emportez d’assaut, battirent la chamade quatre jours aprés, & même avant que la breche fust assés grande pour y monter. Mr le Duc de la Feüillade jugea à propos de leur accorder une capitulation honnorable, & la Garnison sortit le 12. avec deux pieces de canon, ayant à sa teste Mr de Corbilli Gouverneur de la Place. Cette Garnison fut conduite à Turin, & donna d’autant plus de loüanges à Mr le Duc de la Feüillade des bons traitemens qu’elle en avoit reçûs, qu’elle avoit des ordres de Mr de Savoye d’en user tout autrement avec les François, en cas qu’elle eust quelque avantage sur eux.

Mr le Chevalier de Tessé Colonel des Milices de Dauphiné, fut nommé par Mr le Duc de la Feüillade pour apporter au Roy des nouvelles de cette conqueste, & il rapporta qu’elle n’avoit pas couté cinquante hommes, parmi lesquels il n’y avoit personne de distinction. Cette conqueste fut jugée si importante, tant par sa situation, cette Place n’étant qu’à huit lieuës de Turin, que par les avantages qu’on en peut tirer, & par la gloire dont les troupes de S.M. se sont couvertes par la prise de la Ville de Suze, des retranchemens des ennemis, de la Redoute de Catinat, & de la Citadelle, que l’on a crû que tant d’avantages remportez dans le même temps, & qui ne sont regardez que comme une seule action, meritoient qu’on chantast le Te Deum, pour en rendre graces à Dieu, ce qui s’est fait avec la solemnité ordinaire. On ne peut rien ajouter à la joye que le Peuple en témoigna pendant toute la soirée du mesme jour, par les feux que chacun fit allumer le soir devant sa porte, & qui durerent bien avant dans la nuit, ce qui augmenta la gloire de Mr le Duc de la Feüillade.

[Repas donné chez le duc d’Albe]* §

Mercure galant, juin 1704 [tome 6], p. 305-306.

Le lendemain, qui estoit le jour que l’on chanta le Te Deum pour la prise de Suze, tout le Palais de Mr le Duc d’Albe fut illuminé, & il donna un repas magnifique. On ne peut s’empêcher de demeurer d’accord que rien n’est au dessus des manieres éclatantes & nobles de leurs Excellences. Tous ceux qui les connoissent ne peuvent se lasser de les loüer & de les admirer, & ceux qui les voyent souvent, assurent que l’on n’est jamais sorti d’auprés d’eux, sans avoir senti augmenter l’estime & l’attachement qu’on a pour leurs Personnes.

[Repas donné par M. de Dangeau au duc de Mantoue]* §

Mercure galant, juin 1704 [tome 6], p. 306-308.

Le 22. Mr le Marquis de Dangeau donna à souper à Monsieur le Duc de Mantoüe dans son Appartement de Versailles ; la table estoit de seize couverts, il n’y eut que quatre hommes à table ; sçavoir, Monsieur le Duc de Mantoüe, deux de ses principaux Officiers, & Mr l’Abbé de Polignac : douze Dames que Mr le Marquis de Dangeau avoit invitées, occuperent les douze places qui restoient à remplir. Ces Dames servirent d’un grand ornement à cette table, puisqu’elles avoient joint à leur beauté naturelle un grand nombre de Pierreries, & qu’elles estoient fort parées. Mr le Marquis de Dangeau tint une table de huit couverts dans un autre lieu ; Monsieur le Duc de Mantoüe fut regalé d’un recit de Musique Italienne de la composition de Mr Couperin, qui fut chanté par Mademoiselle Couperin, sa cousine ; les paroles estoient de Mr le Marquis de Dangeau, & elles furent fort applaudies.

[Article des Enigmes] §

Mercure galant, juin 1704 [tome 6], p. 370-374.

Le mot de l’Enigme du mois passé estoit la Lampe ; ceux qui l’ont trouvé sont Messieurs Duchesne de la Cour du Maure : de Beauvais, de la ruë S. Martin : le jeune Notaire, de Vaulx Avocat au Parlement de Bretagne, Sénéchal de la Thebaudais : Bardet & son ami Duplessis, Maistre Chirurgien à Lyon : Hallé : l’Amoureux Gillet, nouveau devineur du cloître S. Benoist : la Chicorée Bourgeois : le Gouverneur des Porcherons : le Contrôlleur de la Guinguette : le Docteur Jean-Jaques-François : le grand Turc de la ruë Clocheperce : l’Ami constant de Versailles : Tamiriste & sa fille Angelique : Une des plus grandes Princesses du monde : la belle Therese de la ruë Beaubourg : l’Aimable Cousine, F.M.S. l’aimable Maman & son cher fils du quartier S. Honoré : l’aimable veuve Marchande vis à vis les Quinze vingt : sa charmante fille, sa devote pensionnaire & son bon voisin : la belle Etrangere aux yeux noirs, de la ruë S. Honoré : l’aimable Charlotte Henriette de la ruë du petit Lion : la jolie Cremone : Mlle du Croissant, de la ruë Saint Denis : la Gaillarde du Champ de l’Aloüette : l’aimable Louttrasse de Bayonne : la chere Minette sauvage de Montivilliers : Mlle Fleuret : Mlle du Moutier la fille de l’Arsenal : la Presidente de l’Election de Chaumont, & Magny.

Je vous envoye une nouvelle Enigme.

ENIGME.

Je tire mon éclat d’une vive peinture,
Et dois mon sort à l’art bien plus qu’à la nature,
Des plus hideux mortels, comme des plus parfaits,
L’on me voit emprunter la figure & les traits.
Mon corps est spongieux, ma matiere est legere,
Le souffle de la voix la detruit ou l’altere
Au milieu des plaisirs, je confonds chaque Estat,
J’y confonds le Manant, l’Honnête homme & le Fat,
Et tel à s’énoncer sans moy seroit timide,
Qui fier de mon appuy, pense, parle, & decide.

[Article curieux touchant les couches de Mme la Duchesse de Bourgogne] §

Mercure galant, juin 1704 [tome 6], p. 386-402.

Le 25. de ce mois, Madame la Duchesse de Bourgogne commença à sentir quelques douleurs, qui augmenterent un peu sur le midy. Elles devinrent plus vives à une heure & demie : Elles furent plus considerables sur les deux heures, & depuis trois jusqu’à cinq, & un plus d’une minutte, que cette Princesse accoucha ; elles furent tres aiguës & tres frequentes : Elle en eût une sur les 3. heures qui lui fit faire d’assez grands cris pour faire croire qu’elle étoit accouchée. Un de ses Valets de Chambre ayant entendu Mr Clement prononcer distinctement ce mot, je le tiens, crût qu’il parloit du Prince, dont il étoit persuadé que la Princesse venoit d’accoucher : Cependant, Mr Clement ne parloit que d’une carreau qu’il avoit demandé. Ce Valet de Chambre animé par l’ardeur de son zele, courut dans le petit appartement de Monseigneur le Duc de Bourgogne, où ce Prince avoit résolu de demeurer pendant tout le temps que la Princesse seroit en travail, & lui dit que Madame la Duchesse de Bourgogne étoit accouchée d’un Prince. À l’instant toutes les Chambres de l’appartement de Madame la Duchesse de Bourgogne, qui étoient remplies de monde, retentirent de cette grande nouvelle, qui se répandit aussi-tôt dans tout Versailles, où l’on alluma quantité de feux : on envoya promptement des ordres pour les faire éteindre, mais il n’étoit plus temps d’arrêter plusieurs Couriers qu’on avoit dépêchez à Paris, pour porter la nouvelle de cet heureux accouchement. Avant que Monseigneur le Duc de Bourgogne fut détrompé, Monsieur le Duc d’Albe se jetta aux pieds de ce Prince, pour qui il a une veneration particuliere, & luy dit en embrassant ses genoux, qu’aprés la joye qu’il avoit de le voir Pere, il ne manqueroit rien à son bonheur, s’il voioit que le Roy son Maître le fût aussi. Monseigneur le Duc de Bourgogne répondit à ce Duc, je sçay, Monsieur, que vôtre joye répond bien à la nôtre, c’est un jour bienheureux pour nous, j’en souhaite un pareil au Roy d’Espagne.

On apprit dans ce moment-là que la joye que l’on sentoit étoit prématurée, ce qui donna beaucoup de chagrin, mais enfin on l’oublia, à cinq heures & plus d’une minute, que Madame la Duchesse de Bourgogne fut délivrée, aprés avoir souffert ces douleurs avec une constance merveilleuse. Le Roy demeura toûjours auprés de cette Princesse, ainsi que Monseigneur, & tous les Princes & Princesses. Mr Clement eût quelque inquiétude, lorsque Madame la Duchesse de Bourgogne fut accouchée, parce que l’Enfant ne crioit point ; ce qui causa un silence qui dura quelques momens. Le Roy se baissa & demanda à l’oreille à Monsieur Clement ce que c’étoit que l’Enfant, il répondit tout bas, que c’étoit un garçon. S.M. luy demanda si elle pouvoit le déclarer. Madame la Duchesse de Bourgogne, qui observoit le Roy, prit la parole, & dit qu’elle connoissoit bien aux mouvemens du visage de S.M. que c’étoit un garçon ; & la verité fut aussi-tôt déclarée tout haut dans la Chambre.

Le Roy dit alors, voila le quatriéme que Clement me donne. À quoy Mr Clement répondit, qu’il esperoit encore luy donner les Enfans du Prince qui venoit de naître.

Ce fut Monseigneur le Duc de Berry qui annonça cette nouvelle à Monseigneur le Duc de Bourgogne en l’embrassant. Mr le Nonce ordinaire fut le premier Ministre étranger qui y fut introduit, & qui par consequent complimenta le premier S.M. sur cette heureuse naissance. Monsieur & Madame la Duchesse d’Albe entrerent ensuite ; Mr le Duc d’Albe dit au Roy, que le bonheur de la France étoit une felicité pour l’Espagne, & qu’aprés la part qu’il prenoit à ce bonheur public, rien ne le touchoit davantage, que de le voir bisayeul, Monseigneur, ayeul, & Monseigneur le Duc de Bourgogne, pere. Le Roy luy répondit, qu’il luy étoit obligé d’avoir de pareils sentimens, qu’il sçavoit qu’ils étoient sinceres, & qu’il étoit persuadé que ce bonheur seroit bien celebré en Espagne.

Le Roy alla à la porte de la Chambre & fit des honnêtetez aux Dames qui étoient en grand nombre dans le grand Cabinet, & reçût leurs complimens ; il y avoit une infinité de Personnes de l’un & de l’autre sexe, & Sa Majesté leur déclara qu’elle avoit donné au Prince qui venoit de naître, le nom de Duc de Bretagne. Cependant, l’on mit le jeune Prince dans un lange, & on le remit entre les mains de Madame la Maréchale de la Mothe, qui le porta auprés du feu, il fut ensuite ondoyé par Mr le Cardinal de Coëslin, en presence du Curé de Versailles ; aprés quoy il fut emmaillotté par la Garde de Madame la Duchesse de Bourgogne : Ce Prince se trouva si grand & si fort qu’on fut obligé de lui mettre un bonnet du troisiéme âge, & qu’on eût beaucoup de peine à luy enfermer les bras. Madame la Maréchale de la Mothe prit ensuite ce Prince & le porta à Monseigneur le Duc de Bourgogne, qui le baisa : puis elle le porta à la porte de la Chambre, où l’on fit venir la Chaise & les Porteurs du Roy : Elle entra dedans, elle mit le Prince sur ses genoux & le porta dans l’apartement qui luy étoit destiné. Mr le Maréchal de Noailles se chargea de l’y conduire, & Monseigneur le Duc de Bourgogne luy en marqua sa joye. On nomma alors un des Exempts qui servent auprés du Roy, pour être auprés du Prince, & pour le servir alternativement avec ses camarades. Peu de temps aprés, Mr le Marquis de la Vrilliere, Secretaire, Greffier de l’Ordre du S. Esprit, luy porta de la part du Roy, le Cordon bleu & la Croix de l’Ordre que Madame la Maréchale de la Mothe luy mit.

Aussi tôt que Madame la Duchesse de Bourgogne fut accouchée, le Roy envoya Monsieur des Espinets, Ecuyer de la petite Ecurie, à la Reine d’Angleterre, pour luy apprendre cette nouvelle ; & il fit une si grande diligence, que cette princesse arriva sur les six heures à Versailles.

Le Roy s’étant acquité de toutes les choses que je viens de vous marquer, de la maniere noble & aisée dont il remplit les plus penibles devoirs de la Royauté ; dit qu’il devoit aller remercier le Ciel de toutes les graces qu’il répandoit sur luy tous les jours, & alla prier Dieu à la Chapelle. Monseigneur le Duc de Bourgogne s’y rendit aussi & y demeura en priere, pendant trois quarts d’heure. Ce Prince y avoit été seul fort long-temps le jour precedent, & l’on avoit remarqué qu’il ne vouloit pas être connu.

Le Roy tint Conseil de Ministres au sortir de la Chapelle, rien ne pouvant déranger ce Prince, qui ne remet jamais au lendemain les affaires qui regardent son Etat, & ausquelles le jour est marqué pour y travailler. Il change seulement les heures, lorsqu’il s’y trouve obligé par des affaires tres-pressantes, & qui ne peuvent estre remises. Je ne puis m’empêcher de vous faire remarquer icy une chose qui n’est pas ordinaire à tous les Souverains, qui fuyent avec soin tous les spectacles douloureux, & qui peuvent leur donner des idées de la mort, & même la leur representer. Le Roy n’en a jamais usé de même, & on l’a vû en plusieurs occasions passer des journées & des nuits entieres auprès des personnes mourantes qui le touchoient, & donner tous ses soins à tout ce qui pouroit contribuer au retablissement de leur santé & au salut de leurs ames, donnant ses ordres pour toutes ces choses, & faisant lui-même une partie de ce qui auroit pû estre fait par d’autres. Ce Prince a demeuré auprés de la Reine sa mere, de la Reine son Epouse, & de Madame la Dauphine, presque jusques au moment qu’elles ont rendu l’ame, & lorsque les deux dernieres ont été sur le point de mettre des Princes ou des Princesses au monde, il ne les a point quittées pendant leurs plus vives douleurs ; & l’on peut dire qu’il a toûjours beaucoup contribué par ses soins & par sa presence au soulagement de ces mêmes douleurs.

De quelque côté que l’on regarde ce Prince, on ne trouvera rien dans ses actions qui ne soit digne d’admiration, & il s’en attire même par des endroits qui ne serviroient qu’à faire voir la foiblesse des autres hommes. Il sembloit qu’aprés l’accouchement de Madame la Duchesse de Bourgogne, ce Monarque ne dût penser qu’à son ressentiment contre Monsieur le Duc de Savoye : rien n’étoit plus vrai-semblable, & il n’auroit suivi que les sentimens qui sont ordinaires au cœur humain dans de pareils cas : mais ce n’est pas sans sujet qu’on a donné le surnom de Grand à ce Monarque, puis qu’il ne le dément en rien. Ce Prince l’a fait voir en n’écoutant, ni la foiblesse humaine, ni la vengeance à l’égard de Monsieur le Duc de Savoye, aprés l’accouchement de Madame la Duchesse de Bourgogne. Le sentiment le plus general étoit, que S.M. ne lui écrivist point pour lui en donner avis ; cependant ce Prince n’a suivi que les sentimens d’un Heros Chrêtien, & a fait voir qu’il l’est veritablement, en écrivant à Monsieur le Duc de Savoye, pour lui apprendre que Madame la Duchesse de Bourgogne est accouchée d’un Prince. Je ne dis rien de cette action, dont le seul récit fait l’Eloge.

Je ne vous ai rien dit pour ne pas interrompre le cours d’une relation plus curieuse, des feux qui furent allumez dans Versailles, dans l’instant même que l’on y apprit l’accouchement de Madame la Duchesse de Bourgogne. Tout Versailles parut en feu dans le même moment, & chacun chercha à se distinguer, en faisant paroître la grandeur de sa joye. Monsieur le Duc d’Albe fit faire des illuminations, qui surprirent d’autant plus, qu’on n’avoit pas eu le temps de s’y preparer ; plusieurs fontaines coulerent devant son logis, où l’on distribua beaucoup d’argent. Mr de Villacerf fut le premier qui fit tirer des fusées volantes, & il en partit ensuite une si prodigieuse quantité du grand Commun, que tout Versailles fut couvert du feu qu’elles répandirent. Toute ces réjoüissances durerent jusqu’au lendemain matin. On chanta le Te Deum à la Messe du Roy, & tous les Ministres Etrangers qui sont en France se rendirent à Versailles pour faire compliment à S.M.