1706

Mercure galant, mars 1706 [tome 3].

2017
Source : Mercure galant, mars 1706 [tome 3].
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Mercure galant, mars 1706 [tome 3]. §

[Feste aussi rare que curieuse, avec un tres beau discours, remply d’érudition sur le sujet de cette feste] §

Mercure galant, mars 1706 [tome 3], p. 12-43.

On trouve rarement des occasions de faire des Festes semblables à celle dont je vous envoye la description, ceux qui pourroient se donner cette satisfaction n’en faisant presque jamais. Vous trouverez dans la Relation de celle que je vous envoye, un Discours rempli d’érudition, & de remarques curieuses sur ce sujet, dont la lecture vous fera plaisir.

Le vingt-deuxiéme Février Mr Titon, Directeur General des Fabriques & Magasins d’Armes de Sa Majesté, finissant, par une grace du Ciel, particuliere, la cinquantiéme année de son mariage avec sa même & unique Femme, crut devoir en rendre à Dieu des actions de graces solemnelles, & pour ce sujet, il assembla dans sa belle Maison du Fauxbourg Saint Antoine, tous ses enfans & ses petis enfans, & en presence de Monsieur le Sourd, Curé de Saint Paul, de Mr l’Abbé Anselme, & de plusieurs personnes de distinction ; on dressa un Acte de ce renouvellement de Mariage, qui fut fait & passé par devant Pierre Savalette, Notaire au Chastelet.

L’Acte ayant esté signé par toute l’Assemblée, on mena solemnellement le Marié & la Mariée, de la Salle à la Chapelle domestique ; où s’estant mis à genoux au pied de l’Autel, & s’estant relevez aprés quelques courtes Prieres, pour se preparer à la Ceremonie. Le Pere Titon, leur second fils, Chanoine Regulier de Saint Augustin de la Congregation de Sainte Geneviéve, & Prieur de Saint Germain de Dourdan, Diocese de Chartres, leur fit debout le Discours qui suit.

Heureux les yeux qui voyent ce que vous voyez ; car en verité je vous dis que plusieurs ont desiré voir ce que vous voyez, & ils ne l’ont pas vû, en S. Matthieu ch. 15.

Lesquels dois-je le plus feliciter dans cette sainte & joyeuse ceremonie, ou de vous, Monsieur & Madame, ou de cette nombreuse posterité qui vous environnent ; ils voyent un Pere & une Mere de qui ils ont reçu la vie, renouveller ensemble ce beau & sacré lien, par lequel ils sont & se font honneur d’estre vos enfans : ils voyent ce que peut la force d’un temperament sage & bien reglé, qui vous a conduit tous deux jusqu’à l’âge de ce precieux renouvellement, avec toute la vigueur d’esprit, & toute la santé des corps les plus robustes : ils voyent enfin la tendresse de l’union conjugale, si rare aujourd’huy entre les personnes mariées, perseverer neanmoins dans vos deux cœurs, malgré le nombre des années, avec toutes les graces des premiers jours de vostre Foy, & venir prendre encor de nouvelles forces aux pieds des Autels. Beati oculi qui vident quæ vos videtis ?

N’est-on pas heureux d’avoir de si beaux exemples domestiques, & ce bonheur est-il accordé à toutes les familles ? Combien y en a-t-il qui ont desiré de voir ce que nous voyons icy, qui ne l’ont jamais vû & qui ne le verront jamais ? Le Ciel vous a fait cette grace, Monsieur & Madame, & vous finissez aujourd’huy l’année cinquantiéme de vostre mariage : Année jubilaire si sacrée dans l’Ecriture sainte, si solemnelle dans les fastes des Romains, si privilegiée dans nos usages, & si digne de reconnoissance devant Dieu.

C’estoit cette année qu’on annonçoit par ordre exprés du Seigneur au son des trompettes, comme pour réveiller la joye des peuples, & pour leur faire oublier les maux, les pertes, les querelles, les inimitiez, en un mot toutes les miseres par où ils avoient passé jusqu’à ce temps. Il n’estoit permis à personne d’estre triste à l’ouverture de cette Année sainte. Seroit-il libre icy, Monsieur & Madame, à quelqu’un des Conviez de l’estre à l’ouverture de vos nôces jubilaires ? le nom seul en inspire de la joye & nous promet un veritable & innocent plaisir par le bon ordre que vous y avez donné : goûtez-le donc, cet innocent plaisir, puisque vous estes les principaux sujets de la Feste, & réjoüissez-vous dans le Seigneur de ce que tous les ennuis, les embaras, & les traverses du mariage sont passez pour ne jamais revenir.

Quelque joye qu’il y ait eu dans vos premieres nôces, elle n’a pû aprés tout estre entiere cette joye, & plusieurs idées de tristesse pouvoient la troubler en même temps. Il suffisoit alors de penser aux douleurs mortelles de l’enfantement, aux risques du Baptême, & au peril du salut des ames qui pouvoient perir en venant au monde. Il suffisoit de penser aux peines de l’éducation d’une famille, à l’incertitude des routes bonnes ou mauvaises qu’elles pouvoient prendre : Il suffisoit enfin pour troubler la joye de vos premieres nôces de sentir un grand cœur pour la gloire des Armes de son Roy, & de craindre que ce beau & noble projet ne pust jamais réüssir.

Mais aujourd’huy dans vos nôces jubilaires, toutes ses apprehensions sont dissipées, & toute idée de tristesse cessée, pour faire place à la joye pure & universelle de voir tous vos vœux accomplis ; des enfans vraiment Chrestiens & tournez au bien ; une famille bien élevée & bien établie ; une fortune solide & bien appuyée, enfin la gloire d’avoir servi l’Etat pendant quarante ans, & d’avoir merité l’estime du Monarque & de ses Ministres.

Rejoüissez-vous donc dans le Seigneur, qui a esté vôtre force durant ces cinquante années. Exultate Deo adjutori nostro. Poussez des cris d’allegresse vers le Dieu Jacob. Jubilate Deo Jacob. Vous avez le même bonheur que ce Patriarche ; & vous voyez comme luy les peines & les travaux de vostre mariage recompensez de la joye la plus parfaite qui puisse estre accordée à des hommes sur la terre. N’est-elle pas aussi pour nous cette joye, Messieurs & Mesdames, & n’avons-nous pas quelque part à cette Feste joyeuse ? Voicy l’ordre que nous donne le Seigneur d’Israël ; Buccinate in Meomenia tuba. Sonnez de la Trompette dans ce jour du renouvellement de mariage, joignez la douceur des fluttes & des hauts-bois à l’harmonie de l’orgue, la majesté des trompettes au bruit guerrier des tymbales, & que l’air retentisse icy des plus beaux chants de Musique dans ce jour si remarquable de nostre solemnité, in insignis die solemnitatis vestræ.

C’estoit dans ce grand jour que les Romains assembloient chez eux tous les descendans de leur mariage. Le pere & la mere distribuoient à chacun de leurs enfans une Medaille pour les engager de se ressouvenir à jamais de cette Feste : il se faisoit ensuite un grand repas, durant lequel le Marié & la Mariée portoient chacun sur leur teste une Couronne de fleurs : & cette année s’appelloit par excellence, l’Année de la Couronne, à cause du triomphe glorieux, qu’en recevoit leur mariage.

N’avons nous rien de semblable à ces innocentes ceremonies dans nos divines Ecritures ; & il n’y a-t-il pas encore une année digne de Couronne pour les personnes mariées ? Oüy, Seigneur, vous en avez preparé une à ceux que vous aimez sur la terre, & vostre Prophete Royal m’apprend que c’est vous-même qui benissez la Couronne de cette Année de faveur. Benedices Coronæ Anni benignitatis tuæ. En effet, n’est-ce pas une belle Couronne, Monsieur & Madame, que ce grand nombre d’enfans qui est autour de vous, entre les Benedictions que l’Ecriture Sainte promet à celuy qui craint le Seigneur. La principale est qu’il n’aura qu’une seule femme dans toute sa vie, qui vivra avec luy autant que luy, & qui le fera pere de tant d’enfans & de petits enfans, qu’il pourra en former le cercle d’une Couronne autour de sa Table ; uxor tua sicut vitis abundans : filii tui sicut novellæ olivarum in circuitu mensæ tuæ. Vous n’en voyez icy qu’une partie, Monsieur & Madame, le plus grand nombre de vos enfans est dans le Ciel autour du Thrône de l’Agneau ; il acheveroit icy l’autre moitié de vostre Couronne ; & il pourroit s’il eût vécu vous faire voir la quatriéme generation de vostre sang, mais il vaut encor mieux qu’il demande pour vous dans le Ciel une Couronne de gloire immortelle : aussi bien celle dont nous voudrions icy vous couronner, ne seroit qu’une Couronne de fleurs sujette à se fletrir.

Achevez plûtost vous-mesme le reste de la ceremonie des Romains en donnant une Medaille à chacun de vos enfans, & nous la mettrons cette Medaille, ou comme un cachet sur nôtre cœur, ut signaculum super cor ; pour aimer à jamais celuy dont elle represente l’image ; ou comme un brassellet au tour de nostre bras ut signaculum super brachium, pour nous ressouvenir toute nostre vie de la joye que le Ciel vous a preparée dans ce beau jour.

C’est par ces cinquante années de mariage que vous acquererez droit sur tous les privileges si souvent accordez par l’Eglise & par nos Rois, en faveur des veterans, & des jubilaires : car ils sont exempts de toutes les peines & de tous les exercices de leur état sans en perdre les honneurs & les droits. Les droits de vôtre mariage, Monsieur & Madame, c’est le respect, la tendresse, la complaisance, & la reconnoissance de vos enfans, c’est à eux de vous débarasser de tous les soins de la vie, & à se charger de tous les poids de vos affaires, afin que vous n’ayez plus qu’à joüir du fruit de vos travaux, à remercier Dieu des graces qu’il vous a faites, & à le prier sans cesse pour la conservation du Roy qui vous comblé de tant de biens, & qui vous a fait aujourd’huy tant d’honneur.

Vostre remariage ne sera pas mesme privé du fruit ordinaire de ce Sacrement : car si vous avez donné à l’Eglise des enfans dans vos premieres noces ; l’Eglise dans vos noces jubilaires vous en promet un bien plus excellent, & plus miraculeux que l’enfant qui fut promis par ces trois Anges à Sara, & à Abraham, dans l’extremité de leur vieillesse ; puisque c’est l’enfant Jesus qui doit estre le fruit de vostre mariage : vous l’enfanterez sans douleur, Madame : vous l’éleverez sans peine, Monsieur ; mais vous l’aimerez, s’il vous plaist, comme vostre cher Isaac, Il vous demande que vous le partagiez comme un de vos enfans, & que vous acheviez de donner aux pauvres la part de sa légitime.

C’est la plus belle reconnoissance que je puisse vous inspirer pour Dieu dans ce grand jour. N’est-il pas juste aussi, Messieurs & Mesdames, que nous le remercions icy de tout nostre cœur, pour cet agreable & rare spectacle qu’il nous accorde. Beati oculi qui vident quæ vos videtis. Quand on a obtenu du Ciel une guerison ou quelque faveur miraculeuse, on a coûtume d’en faire un Tableau qui represente le miracle : on l’attache par forme de vœux dans quelque Eglise à côté d’un Autel, ou bien on le suspend dans le lieu le plus noble & le plus apparent de la maison, pour servir de memorial à toute la famille.

Y eut-il jamais grace plus singuliere que celle que vous recevez aujourd’huy, Monsieur & Madame, & y eut-il faveur dont la memoire merite plus d’estre laissée à la posterité. Gravez la donc, s’il vous plaist, ou sur le marbre ou sur la toile, mais n’en laissez pas perdre la memoire. Pour moy, je me charge d’en remercier Dieu à l’Autel toute ma vie ; & puisque j’ay eu l’honneur, quoy que tres-indigne, d’avoir esté choisi seul entre tous vos enfans pour estre Ministre du grand sacrifice de nostre Religion, je vais l’offrir au Seigneur pour vous, Monsieur & Madame, pour la santé du Roy nostre bon Maistre, pour la prosperité de ses Armes, & pour toute cette illustre Assemblée, afin que nous meritions tous d’estre assis un jour aux Nôces de l’Agneau qui sont preparées dans le Ciel, & qui dureront dans toute l’éternité des siecles. Ainsi soit-il.

Ce Discours estant fini, Mr Titon, Prieur, benit sur l’Autel une grande Medaille d’or representant d’un costé le Portrait de Mr Titon, avec ces paroles latines. Maximilianus Titon, armis cudendis Præfect. qui signifient l’Office & le Titre que le Roy luy a donné ; & dans le revers de la Medaille, est une Pyramide ornée de Trophées d’armes, de toute sorte d’instrumens de guerre, avec Mars & Bellonne aux deux côtez, & au bas de la Pyramide, l’écusson aux Armes de Mr Titon, avec cette Devise latine. Jovis parat arma triumphis. C’est-à-dire :

Il prepare à son Roy, des armes pour sa gloire.

Cette Benediction estant finie, on commença la Messe, pendant laquelle on chanta un excellent Motet, sur ces paroles du Pseaume 80. Exultate Deo adjutori nostro. Jubilate Deo Jacob. Sumite psalmum & date tympanus psalterium jucundum cum cithara ; buccinnate in Neomenia tuba in insigni die Solemnitatis vestræ quia præceptum in Israël est. Ces paroles avoient esté mises en Musique par le celebre Mr Marchand, Organiste ; & elles furent chantées par des Musiciens de la Chapelle de Sa Majesté, accompagnez de Mrs Philidor freres, & par leurs enfants, Hautsbois de Sa Majesté, & par des Trompettes & des Tymbales de la Chambre.

À l’Offertoire Mr Titon, Prieur Celebrant, donna la Paix à baiser au Marié & à la Mariée, dans la main de laquelle Mr Titon mit la piece d’or qui venoit d’estre benite.

La Messe finie on chanta en Musique & au son des Instrumens, Domine salvum fac Regem. Puis le Celebrant dit à l’Autel le Verset & l’Oraison ; ensuite de quoy on rentra solemnellement dans la Salle, où Mr Morel, fils de Mr Morel Conseiller au Parlement, & petit-fils de Monsieur & de Madame Titon, leur presenta les Vers suivans.

EPITHALAME.

Aprés dix lustres écoulez,
Dans les parfaits plaisirs d’un Heureux Hymenée ;
Aux Autels vos sermens vos vœux renouvellez,
Vont encor de vos cœurs unir la destinée ;
Déja, pour éclairer un spectacle si beau,
L’Hymen rallume son flambeau,
L’Amour le suit, non tel que dans vostre jeunesse
Il parut entouré des plus ardens desirs :
Mais il vient, loin de vous bannissant les soupirs,
Ajoûter à vostre tendresse
Ce qu’il retranche à vos plaisirs.
Si de ses flammes amoureuses
Vous ne ressentez plus tous les emportemens
Vous aurez des nuits moins heureuses
Mais vos jours seront plus charmans.
Puisse la Parque qui les file
En prolonger le cours & le rendre tranquile !
Jadis par des nœuds glorieux
Tithon s’unissant à l’Aurore,
Cessa d’estre Mortel, joüist du sort des Dieux :
Ce que l’Hymen a fait, il le doit faire encore,
Pour un nouveau Titon, digne d’un si doux sort ;
Hymen, daigne montrer ton pouvoir & ton zele !
Fais que ces deux Epoux dont tu formes l’accord,
puissent revoir encor une Feste si belle.

Ces Vers ayant esté lûs plusieurs fois & admirez par la Compagnie, Mr Titon distribua sa Medaille d’argent à chacun des sept enfans, qui furent tous appellez dans leur rang par Mr Savalette Notaire ; il en distribua de bronze au reste de la Compagnie : & Madame Titon donna à chacun de ses douze petits-enfans, une bourse remplie de quarante Demy-louis d’or.

Dans le même temps on servit trois tables avec la même magnificence, & pendant tout le repas il y eut un grand concert de Trompettes & de Tambours.

Le reste de la journée se passa en réjoüissance, où se trouverent plus de trois cent personnes de distinction venuës de tous les quartiers de Paris, & sur les huit heures du soir, on tira un feu d’artifice dans le Jardin de cette belle Maison, dont le dedans, & les dehors estoient illuminez avec des lampes tout autour des allées du parterre & du grand bassin d’eau ; vis-à-vis duquel estoit placé le feu, qui réüssit beaucoup. Pendant ce temps-là les Trompettes & les Tymbales formerent un bruit de guerre qui répondoit à celuy des boëttes, dont on tira un grand nombre.

Le feu estant tiré, on servit aux Dames une Collation magnifique, aprés laquelle toute l’Assemblée but la santé du Roy à diverses reprises, & au son des Hautbois, des Flutes, de Trompettes, & des Tymbales, qui formoient des échos merveilleusement bien concertez ; ce qui dura jusqu’à onze heures du soir ; aprés quoy chacun se separa, en portant envie au bonheur de Monsieur & Madame Titon ; & plusieurs faisant des vœux au Ciel pour qu’il leur en arrivast un pareil.

[Critique de la nouvelle Grammaire Françoise]* §

Mercure galant, mars 1706 [tome 3], p. 46.

Un Auteur Anonime a rendu publique une Critique de la nouvelle Grammaire Françoise, dont on a donné l’extrait dans les Memoires de Trevoux, du mois de May 1705. Cette Critique est remplie de traits singuliers, il critique l’Alphabeth de la nouvelle Grammaire Françoise, ainsi que la maniere de s’en servir.

[Publication de l’Apocalypse de Saint Jean]* §

Mercure galant, mars 1706 [tome 3], p. 49-52.

Mr Vitringa, Professeur à Frankere, vient de publier en latin, l’examen de l’Apocalypse de Saint Jean, dans lequel il recherche les vrayes Hypotheses pour l’expliquer, & où il examine ce que Mr Bossuet, Evêque de Meaux a supposé dans son Commentaire sur cette Prophetie.

Ce Commentaire qui est un mélange de critique, de mystique, d’histoire, & de controverse sert en quelque maniere à l’Apologie de Mr  Jurieu, accablé sous les coups de feu Mr l’Evêque de Meaux, qui a fait voir la fausseté de ses prédictions. Cette Apologie n’est pas meilleure que l’ouvrage auquel elle sert de deffense. On y trouve par tout de fausses comparaisons, des similitudes forcées, ou outrées. La Beste de l’Apocalypse, dit-il, vint au monde sous le Pontificat de Gregoire VII …. L’une des sept testes de cette Beste orgueilleuse fut frappée d’une playe, lorsque l’Empereur Frederic Barberousse resista aux prétentions immenses d’Alexandre III. Le Commentateur applique aux Cardinaux, aux Docteurs, & aux Predicateurs de l’Eglise Romaine, mais particulierement aux Dominicains & aux Religieux de Saint François les proprietez de la seconde Beste dont il est parlé au chap. 13. v. 11. il est glorieux à ces deux Ordres d’estre privilegiées dans l’esprit du Ministre & distinguez entre les vengeurs de la Primauté du Saint Siege : mais il ne siéra jamais à nostre Auteur de donner place à Jean Hus, à Jerôme de Prague, & à leurs disciples, parmy les Joüeurs de Harpe, qui chantoient un Cantique nouveau, & qui ne s’estoient pas soüillez avec les femmes. Un homme de bon sens n’auroit pas associé à des Joüeurs Vierges une multitude de gens mariez ou corrompus ; & un Calviniste ennemi de la Transubstantiation, ne devoit pas recevoir une leçon du Transubstantiateur Jean Hus. Cet Auteur tres-visionnaire abandonne en plusieurs choses Grotius & les meilleurs Interpretes même de son party.

[Suite des divertissemens de Clagny] §

Mercure galant, mars 1706 [tome 3], p. 257-265.

Comme on parle souvent de Commedie en parlant de Mariage, l’Article qui suit se trouvera naturellement placée.

Je vous ay déja parlé des divertissemens de Clagny ; mais il s’en faut bien que je n’aye épuisé la matiere. Madame la Duchesse du Maine y a donné encore deux representations de Joseph. Monseigneur le Duc de Bourgogne, Madame la Duchesse de Bourgogne, Monseigneur le Duc de Berry, Madame, Monsieur le Prince, Madame la Princesse, & Mademoiselle d’Anguyen, se sont trouvez à la premiere de ces deux representations, & Monseigneur honora la derniere de sa presence. Jamais aucun spectacle n’a tiré plus de larmes, ny reçû plus d’applaudissemens. La beauté de la piece fut dignement soutenuë par l’excellence du Jeu. Madame la Duchesse du Maine continua à se faire admirer dans le rôlle d’Azaneth. L’imagination ne sçauroit aller au delà de toute la Noblesse, de la finesse & du naturel dont cette Princesse anime & soûtient ce caractere. Mr le Baron, pere, fit encore sentir de nouvelles beautez, dans le rôle de Joseph, & Mr de Malezieu joüa celuy de Juda, si exellemment, que les connoisseurs avoüerent, tout d’une voix, que jamais l’action Theatrale, n’avoit esté poussée plus loin. Aprés avoir fait verser tant de larmes, Madame la Duchesse du Maine jugea à propos de donner à Madame la Duchesse de Bourgogne, un divertissement bien different. Elle fut invitée de se trouver à Clagny le 8. de ce mois ; cette Princesse s’y rendit sur les sept heures du soir, accompagnée de Son Altesse Royale Madame, & suivie de tout ce qu’il y a de plus distingué à la Cour. Madame la Duchesse du Maine luy donna une Comedie-Ballet, intitulée, la Tarentole, de la composition de Mr de Malezieu. Il m’est impossible de vous faire icy le détail de tous les agrémens de ce spectacle : ce que je puis vous dire, c’est qu’il n’y a pas deux avis sur le merite de cette piece. Toute la Cour s’est récrié sur la conduite, sur l’invention & sur la nouveauté du sujet, qui ameine naturellement la Danse & la Musique : l’esprit y brille par tout. Les regles de l’Art y sont observées dans la derniere rigueur, & au lieu que dans la plûpart des Comedies Ballets, on voit des gens qui dansent, & qui chantent sans qu’on sçache pourquoy. Dans cette piece le chant & la danse naissent tellement de l’intrigue qu’elle ne pourroit subsister sans ces accompagnemens. Mr Matho, ordinaire de la Musique du Roy, a fait voir, en cette occasion, de quoy il est capable. Pour répondre à l’intention de l’Auteur, il falloit des Airs de differents mouvemens ; il en falloit dans le goust Italien, enfin il en falloit de tous les caracteres, & c’est ce qu’il a merveilleusement executé. Mr Balon ne s’est pas moins distingué par la beauté des Ballets, dont il a entremêlé ce spectacle, & où il s’est fait admirer encore par l’execution, avec Mrs du Moulins. Madame la Duchesse du Maine joüa le rôle d’une Suivante, qui a grand part à toute l’intrigue. Cette Princesse fit voir qu’elle n’estoit pas moins excellente Actrice dans le Commique que dans le Serieux. Mlle de Morase qui représentoit sa Maistresse, & qui pour tromper son pere contrefaisoit la muette, & paroissoit avoir des mouvemens convulsifs, fit des merveilles dans son rôle, qui est d’une execution fort difficile. Mr le Baron le pere, sous le nom de Mr de Pincemaille, joüoit le rôle du pere de la Malade. C’est un vieillard fort timide, fort avare & begue. Il est impossible de rien dire d’assez fort, pour donner une idée parfaite de l’excellence de son jeu, & peut-estre n’a-t-on jamais rien vû de comparable à la maniere dont il joüa. Mr de Malezieu qui traittoit la Malade en qualité de Medecin Empyrique, s’en acquitta dans la derniere perfection. Mrs ses fils, Mr de Caramont & Mr de Dampierre, Gentilshommes de Monsieur le Duc du Maine, qui avoient des rôles de carracteres fort differens, & qui avoient grande part à l’intrigue, reçurent aussi de grands applaudissemens, & l’on rit autant à la Tarentole, qu’on avoit pleuré à Joseph ; & les vieux Courtisans s’écrierent plus d’une fois, qu’on avoit rien vû de pareil depuis Moliere, & que Madame la Duchesse du Maine, sans sortir de sa maison, avoit trouvé le moyen de rappeller la memoire de ces divertissemens, où l’on voyoit toûjours reigner le bon goust, l’esprit & la magnificence.

[Extrait d’un Mandement de Mr le Cardinal de Noailles] §

Mercure galant, mars 1706 [tome 3], p. 265-271.

La varieté ne plaisant pas moins à l’esprit qu’aux yeux, je puis faire suivre l’Article que vous venez de lire, d’un Article bien different, & qui ne dois pas moins inspirer de charité que le precedent a causé de plaisir & de joye. Il fera voir l’attention de Mr le Cardinal de Noailles pour ce qui regarde le culte Divin. Je vous envoye, pour cet effet, l’extrait d’un Mandement de Son Eminence. Je ne vous en dis point le sujet, ce que vous allez lire vous le fera connoître.

L’Eglise de S. Marcel de Paris est une des plus illustres de nôtre diocese tant par son antiquité que par le merite du S. dont elle porte le Nom, & dont elle renferme le tombeau ; c’est le Patron de cette grande Ville en faveur de laquelle il a signalé par tant de Miracles sa Protection speciale auprés de Dieu : nous sommes donc particulierement obligés de procurer à cette Eglise les secours necessaires pour en prévenir la chût. La nuit du 15. au 16. Decembre dernier des mains sacrileges en volerent generalement toute l’argenterie, avec la meilleur partie des ornements ; les reparations qu’il a fallu faire depuis quelques années l’ont épuissée ; un de ses principaux Domaines vient d’être ruiné par incendie ; Elle est sans Vases sacrez ; il ne luy reste que quelques Ornemens fort usez, encore moins de linges ; de sept Cloches qui sont dans le Clocher il n’y en a que deux en estat de sonner ; ses revenus sont si mediocres qu’ils ne suffisent pas à beaucoup prés pour le simple necessaire des Chanoines qui la desservent. Toutes ces Considerations marquent assez les bessoins pressans de cette Eglise & l’obligation indispensable d’y pourvoir. À ces causes, Nous la recommandons instamment aux charitez des Fideles. Mandons aux Curez Prédicateurs de cette Ville d’exhorter dans leurs Prônes & Prédications, les Personnes qui sont en état de faire l’aumône, à donner en cette occasion des marques de leur zele pour la maison de Dieu ; sans quoy il seroit impossible d’y continuer le Culte divin : afin d’exciter davantage à une si bonne œuvre, Nous accordons, pendant le reste de ce saint temps de Carême & jusqu’au jour de Quasimodo inclusivement, quarante jours d’Indulgences à Ceux & Celles qui étant purifiez de leurs pechez par le Sacrement de Penitence ou du moins par la Contrition, visiteront devotement ladite Eglise, & y feront quelque aumône. Donné à Paris le quatriéme jour de Mars, mil sept cens six.

Les Aumônes seront mises dans le Tronc qui sera posé à cet effet en ladite Eglise, ou entre les mains de Madame la Maréchale de Lorge, de Madame la Premiere Presidente du Grand Conseil, de Mesdames les Presidentes de Nesmond, & de Lamoignon, de Madame Roulier la Conseillere d’Estat, Isle Nôtre-Dame, de Madame de la Hoguette, ruë de l’Université, de Madame Voisin Conseillere d’Estat, ruë du Chassemidy, de Madame Daguesseau la Conseillere d’Etat, de Madame Trudenne prés les Enfans rouges, & de Madame de Richebourg S. Ange, ruë de Touraine au Marais.

[Visite renduë par S.M.B à Mr le Nonce, pour voir sa Bibliotheque, & plusieurs Instrumens regardant diverses Sciences] §

Mercure galant, mars 1706 [tome 3], p. 271-283.

Je vous ay souvent parlé du Roy d’Angleterre, & vous avez dû connoistre, par tout ce que je vous ay dit de ce Monarque, que ses lumieres, sur toutes choses, sont infiniment au dessus de son âge, & que ce Prince cherche tous les jours à s’instruire, afin de ne rien ignorer, de tous ce qui peut rendre un homme parfait. Comme il y avoit long-temps qu’il entendoit parler de Mr le Nonce, comme d’un homme profond, en toutes sortes de sciences, qui estoit uniquement appliqué à l’estude, & chez qui on faisoit tous les jours quantités d’experiences, digne de la curiosité des plus grands hommes, ce Monarque qui n’a en vûë que des choses relevées, & qui ne fait ses plaisirs, que de ce qui peut estre utile, soûhaita d’aller chez Mr le Nonce, pour satisfaire sa curiosité : de maniere qu’il choisit un jour pour venir chez ce Prelat, & pendant qu’il se formoit par avance l’idée du plaisir qu’il devoit avoir ce jour là, Mr le Nonce, de son côté, n’oublioit rien de tout ce qui croyoit necessaire, pour repondre à l’attente qu’on avoit de luy & à l’honneur qu’un Grand Monarque luy devoit faire, en venant chez luy. Il envoya à la Porte de S. Honoré, deux de ses plus beaux carosses attelez de huit chevaux chacun. S.M.B. se mit dans l’un de ses carosses avec les personnes les plus distinguées de sa suite. Mr le Nonce reçût ce Monarque à la descente de son carosse. Le dîné fut servi peu de temps aprés son arrivée, la table n’estoit que de six ou sept couverts. Il y eut cinq services de vingt-cinq plats chacun. Il est aisé de s’imaginer que la profusion regnoit dans ce repas, avec la delicatesse, & que tout ce que la saison peut produire d’exquis n’y fut pas oublié. Il y eut un sixiéme service de fruits fins ; mais qui parurent si naturels qu’ils tromperent toute l’Assemblée. S.M.B. visita tous les appartemens à l’issuë du dîné. On passa dans la Bibliotheque de Mr le Nonce, qui est remplie d’un fort grand nombre de Livres curieux, & dont plusieurs se trouvent difficilement, parce qu’ils sont fort rares. S.M.B. en ouvrit plusieurs, & fit connoistre de la maniere qu’elle en parla, que non seulement ces Livres ne luy estoient pas inconnus ; mais qu’elle sçavoit tout ce qu’ils contenoient & que le jugement qu’elle en portoit, étoit juste. Monsieur le Nonce luy fit voir plusieurs instrumens de Matematique dont l’on se servit sur le champ pour diverses experiences : on en fit sur tout une sur le vuide qui attira l’attention de ce Monarque, & on se servit pour cet effet d’une nouvelle machine d’une grande utilité pour s’assurer au juste des experiences qu’on fait en Phisique avec la machine du vuide, au défaut de laquelle on a éprouvé qu’il arrive souvent que ces experiences n’estant repetées qu’au hazard, faute de s’appercevoir des instances qu’on obmet ; on ne retrouve point ce que d’habiles Phisiciens assurent qu’ils ont trouvé, ce qui fait qu’on les accuse de foux : assez legerement, ceux qui se servirent de cette machine en presence du Roy d’Angleterre, luy firent remarquer que dans les experiences ordinaires de la machine du vuide, on ne pompoit qu’au hazard & sans autre regle que celle de ses forces ; qu’on ne faisoit attention, ny au nombre des coups de pompe, ny à la capacité de la pompe & du bâton, ny à l’espace que le piston parcourt dans la pompe, & que par consequent on ne pouvoit répondre en aucune maniere à quel point de rarefaction on avoit porté l’air de la machine pneumatique par rapport à l’air exterieur, d’où il arrivoit que les experiences passées perdoient beaucoup de leur utilité, au lieu qu’au moyen de la nouvelle machine, on a trouvé une methode facile & generale pour découvrir au juste le rapport de l’air naturel à l’air rarefié, dans la nouvelle machine du vuide, le rapport du recipient ou balon de cette machine à sa pompe, & le nombre des coups de Pompe ou de piston necessaires dans toutes les suppositions possibles de ces rapports. On fit voir ensuite au Roy d’Angleterre quelques medailles anciennes dont il y en avoit de la famille Furia. On luy en fit voir une fort belle de Sence Pompée.

Sa Majesté Britanique aprés avoir examiné avec attention tout ce qu’elle avoit vû, & avoir fait paroistre beaucoup d’esprit dans tout ce qu’elle dit & dans toutes les demandes qu’elle fit pour estre instruite de beaucoup de choses, remercia Mr le Nonce avec la maniere toute gracieuse, qui luy est naturelle : & si ce Prélat fut charmée de l’esprit de ce Monarque & de ses manieres honnestes & obligeantes, tous ceux qui avoient esté presents à tout ce qui s’estoit passé, parurent extrêmement surpris de tout ce qu’ils avoient entendus & de la vivacité spirituelle de ce jeune Monarque, qui ne cherche point ce qu’il veut dire, & qui répond sur le champ aux choses qu’on luy dit, avec autant de presence d’esprit, que s’il avoit eu le temps de se preparer aux réponses qu’il fait, & aux choses obligeantes qu’il dit à ceux à qui il croit devoir faire quelques honnêtetez.

Ce Prince, en sortant de chez Mr le Nonce, alla à la Foire de S. Germain : & comme il avoit resolu de ne s’y pas faire connoistre, il avoit caché son Ordre ; mais sa Personne en découvrit plus que son Ordre n’auroit fait. Il fut d’abord reconnu, & dés que le bruit se fut répandu qu’il estoit dans la Foire, son air & ses manieres le firent d’abor remarquer. Ce Prince se retira aussitost qu’il se fust apperçu que la foule commençoit à se former autour de luy, & l’empressement qu’on avoit à le voir alloit devenir trop grand : & comme un Prince ne doit pas ignorer tout ce qui se fait dans un Païs étranger, sur-tout, lorsqu’il est sur les lieux, & qu’il doit, autant qu’il le peut, connoistre par luy-même ses usages & ses manieres. Ce Monarque entra, sortant de la Foire, dans un des lieux, où les spectacles que l’on y donne, attirent une grande foule de monde. Il y demeura pendant quelque temps, sans avoir esté reconnu ; mais s’étant apperçu, que les Acteurs commençoient à luy faire un compliment, ce Prince sortit, & s’en retourna fort satisfait de l’employ de sa journée.

Queste de Poisson §

Mercure galant, mars 1706 [tome 3], p. 390-399.

Je crois qu’aprés vous avoir parlé de la guerre, je puis vous en entretenir de Poësie. Les Poëtes chantent souvent les plus belles actions des Guerriers, & les font connoistre à la posterité. La piece que je vous envoye, est intitulée : Queste de Poisson. Je m’imagine déja vous entendre dire, que tout Paris est rempli de cette piece, & qu’il y a déja long-temps qu’elle est tombée entre vos mains. J’en demeure d’accord ; mais toutes les copies qui en ont esté faites n’ayant pas esté tirées de l’original, il s’en trouve tant de défigurez, que j’ay cru devoir vous en envoyer une copie correcte. D’ailleurs, des raisons d’une grande importance, m’obligent de faire connoistre que l’original de cette piece, n’a jamais esté plus long que la copie que je vous envoye. Il est rare de trouver un ouvrage qui se saisisse de l’estime de tout Paris aussi-tost qu’il commence à paroistre, ainsi qu’il est arrivé à celuy que je vous envoye. Je n’en sçay point d’autres raisons, sinon que s’il est aisé de faire de beaux ouvrages quand on employe une riche matiere, & qu’on la traite avec éloquence il est difficile de badiner sans tomber dans la bassesse, & sans que le badinage devienne fade. Nous avons des milliers de volumes de Lettres ; mais il ne se trouve parmi tant de volumes que les seules Lettres de feu Mr de Voiture, qui ayent esté admirées, à cause de l’esprit que cet Autheur y a fait paroître, en badinant agreablement.

QUESTE DE POISSON.

Quatre filles ? comment ay-je fait tout cela ?
 Et maintenant qu’en puis-je faire,
Si quand l’ouvrage est fait on en demeuroit là ?
 Ce seroit une bonne affaire,
Mais il faut les pourvoir, & c’est où me voilà.
***
 Les marier ! sans dot n’est plus d’usage,
Je trouverois ce mot aussi beau qu’Harpagon,
 On l’a proscrit ; c’est grand dommage,
 Que n’est-il encore de saison.
***
 Les mettray-je au theatre, non.
Quand elles le voudroient pourrois-je le permettre,
 Je suis trop sage, & trop discret ma foy,
Ouy trop sage pour les y mettre,
Trop discret pour dire pourquoy.
***
 Voyons donc ce que j’en dois faire ?
Guimpons les ; c’est le mieux, elles le veulent bien,
Mais on ne fait pas vœu de pauvreté pour rien,
Eh bien, Questons, la Cour me tirera d’affaire.
***
Commençons par le Roy, l’honneur des fleurs de lys,
Luy que pour l’imiter toute sa Cour contemple,
Et ne luy demandons que cinquante Loüis,
 Seulement pour servir d’exemple.
***
Monseigneur si je l’ay diverty quelque fois,
Aux cinquante loüis, en ajoutera trente,
Et je luy garentis sur mon geste, & ma voix,
 Pour le moins mille ris de rente.
***
L’Epoux d’Adelaïde, est-il moins généreux,
Non, je sçais à donner combien sa pente est grande,
Mais il trouvera bon que je ne luy demande,
 Que trente loüis pour eux deux.
***
 J’en auray bien dix de son frere,
 Tous biens sont communs entre amis,
Il est des miens, il me l’a bien promis,
 Dix loüis l’épreuve est légére.
***
Voyons ce que Madame, à son tour donnera,
Les sœurs de son filleul meritent bien par là,
Que dans leur bon dessein, ses dons les favorisent,
 Tenons nous en à ce qu’il luy plaira,
Mais non, ce seroit trop, dix loüis me suffisent.
***
 Pour l’illustre Duc d’Orleans,
Sous peine d’un Eloge il donnera cent francs,
Prenons de sa moitié qui pour luy seul soupire,
Dix loüis Dieu luy rende en ce qu’elle désire.
***
 Le digne fils du Grand Condé,
 Sçait doner des festes superbes,
Il sçait faire sortir dés qu’il la commandé
 Des festins de dessous les herbes :
Quoy qu’il n’ait point encor fait de petits presens,
Pour son apprentissage il va donner cent francs.
***
L’Intrepide Bourbon, & son aimable Epouse,
 Vont joindre leur present au sien,
Pour dix Loüis je les quitterois bien
 Si la rime n’en vouloit douze.
Par la belle Conti mes vœux sont prévenus.
 Une des Graces qui pour elle
 On quitte la Cour de Venus.
M’apporte dix Louis, c’est une bagatelle,
Mais des mains d’une Grace, ils valent mil écus.
***
Conti, le grand Conti, qu’en vain l’affreuse mort. …
Eh, pourquoy m’embarquer dans ces grandes paroles,
 Quel besoin de m’enfler si fort
 Pour luy demander dix pistoles.
***
L’Aigle de Jupiter, du Maine, à qui Louis,
 A confié le soin de son Tonnerre.…
Tout beau, de ces Objets mes yeux sont ébloüis
Moderons nostre essor, & rimons terre à terre,
Que son Epouse & luy m’aident dans mes besoins,
De vingt Louis pour eux, ce n’est pas une affaire,
Et ce sera sur l’état moins
De tous les biens que j’en espere.
***
Pour le grand Amiral, favory de Thetis
Qu’il mette dix Louis à la grosse avanture,
 C’est moy qui les luy garentis
 La Mer même n’est pas plus sûre.
***
Des Ducs, des Maréchaux, ne reglons point les rangs,
Ils donneront chacun cinquante francs.
***
Passons au Chef des Loix l’appuy de l’innocence
Ce sage à qui Themis a remis sa balance,
 Qu’il mette d’un côté cent francs,
 De l’autre, ma reconnoissance
Les cent francs, j’en suis seur, seront les moins pesans.
***
Jusqu’icy les effets ont suivi mes paroles
Des Ministres, j’attens un supplément nouveau,
Ils ne pourront entr’eux refuser vingt pistoles,
Ou la Seine pourra me refuser de l’eau.
***
 Ma foy, voicy ma somme faite ;
 Non, je croy qu’il y manque encor
 À peu prés un demi-marc d’or.
Eh bien, c’est aux Prelats à la rendre complete.
***
Mais que la Charité qui n’aime qu’à donner
 Ne prenne point pour un outrage
De ce qu’en la taxant je semble la borner
Ce que j’ay demandé ne la doit point gêner,
 Elle peut donner davantage,
 Je le prendray sans chicaner.

[Article des Enigmes] §

Mercure galant, mars 1706 [tome 3], p. 400-404.

Le mot de l’Enigme du mois passé, estoit le Limaçon ; ceux qui l’ont trouvé, sont Mrs : l’Abbé Coffinier : Gaignat, le Senateur Latin : Dubourg : Bequet du Pont Nostre-Dame, & sa charmante voisine : le bon pere du Hamel, & son neveu Nion : Poisac, Chappelier du Roy : Luc, ruë saint Honoré : Houlay, Sieur de Garabella : Loüis du grand éclaire : le Prieur d’Anglefort, Coadjuteur de Mr Jarcellat : le Contrôleur General de la premiere Caffetrie du monde : l’Agréable dans les compagnies : le pere Jacob du Pont de Nostre-Dame, & le Roy Jorand, du mesme endroit : le Mouton de l’Hostel des Ursins, & sa charmante Belle-sœur : l’Amant secret des deux pilliers d’or de la ruë S. Jacques : l’Amant du 31. Aoust 1705. l’engoüée Madame Vernier, & l’agréable Me Mirebault de l’Hôtel des Ursins : Cattin Toffiers, & son Compere Odiots : la belle Boursins de l’Hostel des Ursins, & l’aimable Bourelet : la voisine Mlle Rousseau de la ruë des Blancs-manteaux : la Presidente de l’Election de Chaumont & Magny : Barbe de Bantville : l’Aimable & spirituelle Louise, de la ruë neuve des Petits-Champs : la Grosse & son cher Marquis : la Maistresse de la jolie babiolle : la petite Brune de la ruë des Lombards : Manon Ouvré : la Gouvernante joviale de l’aimable & toute spirituelle petite poulette de la ruë de Clery : la belle à l’Anagrame, ses manieres fines, au delà de la Porte saint Honoré : la belle blonde, de la ruë des Anglois : la Bergere Climene & son Berger Tircis : le prétendant à Marie-Anne de l’Aigle : Mlle Courbon : la Prude amoureuse & sa petite sœur l’Intrigante, rue des Noyers : la brillante des enclos de la rue des Prouvaires : la petite devant le Palais, à l’Anagrame : le fils du sieur Maindeseles, Drapier d’Orleans : Son Compere de la Lance : Le gros tout rond de la Barbe d’or : le Maistre à la Gaillarde, sa belle belle-mere, rue Jean-pain-molet, & l’époux de la Princesse : la belle Origy du petit Hostel d’Harcour : Mr de S. Bigor, & le beau frere de l’Abbé.

Je vous envoye une Enigme nouvelle.

ENIGME.

J’altere la délicatesse,
Du lieu dont je suis l’ornement :
Je viens toujours tout doucement,
Et l’on me chasse avec vitesse.
L’on seroit bien fâché de ne me point avoir ;
Souvent on me desire avec impatience,
Et si-tost que je veux, prendre un peu ma croissance,
On me traite avec violence,
Et dans le lieu de ma naissance,
On ne sçauroit se resoudre à me voir.
J’embelis, j’enlaidis, l’on m’aime, l’on me hait,
Et l’on me fait, lorsque l’on me défait.
Des gens de pieté profonde,
Pour me garder sortent du monde,
Tout le reste du genre humain,
Me traite tour à tour d’une façon severe,
Mais malgré tout ce qu’on peut faire
On me chasse aujourd’huy, je reviendray demain.