1706

Mercure galant, novembre 1706 [tome 11].

2017
Source : Mercure galant, novembre 1706 [tome 11].
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Mercure galant, novembre 1706 [tome 11]. §

[Le Roy d’Espagne nomme Mr le Duc de S. Jean Secrétaire général des Guerres]* §

Mercure galant, novembre 1706 [tome 11], p. 33-42.

Le Roy d’Espagne a donné la Charge de Secretaire general des Guerres, qu’avoit Mr le Marquis de Canales, à Mr le Duc de S. Jean, qui n’est pas moins distingué par sa valeur & par son merite, que par sa naissance. Il a toûjours esté fort attaché au service de son veritable Souverain, & depuis l’entrée du Roy d’Espagne dans ses Etats, il est toûjours resté auprés de sa personne. Il a servi ce Prince en Italie, & il l’a aussi accompagné dans ses Campagnes de Portugal, & c’est dans ces differentes occasions que ce Seigneur a donné de frequentes marques de sa valeur & de son courage. La Charge que le Roy son Maître vient de luy donner, prouve parfaitement la confiance que ce Prince a en luy, puisque cet employ est un des plus importans du Royaume d’Espagne, sur tout en temps de guerre. Mr le Duc de Saint Jean est d’une des plus illustres Maisons de toute l’Espagne. Elle est alliée à celles de Velasco, de Medina-Céli, de Medina-Sidonia, de Cantelmi, de Bragance, Doria, de Spinola, & à plusieurs autres de ce rang. Elle estoit déja dans une grande consideration sous les regnes de Ferdinand & Isabelle. Cette Reine admit dans sa plus étroite confidence un des ayeux de ce Duc, & elle ne decidoit d’aucune affaire sans le consulter. Il fut lié d’une étroite amitié avec le Cardinal Ximenez, & ce Cardinal le produisit à la Cour. Feu Mr le Duc de Saint Jean, pere de celuy à qui Sa Majesté Catholique vient de donner la Charge de Secretaire general des Guerres, a esté fort consideré sous le regne de Philippe IV. & de Charles II. son fils. Il porta les armes avec beaucoup de gloire dans les guerres que ces Princes ont soûtenuës pendant leur regne. Ce Seigneur eut beaucoup de part à la confiance de Dom Juan d’Autriche, fils naturel de Philippe IV.

Sa Majesté C. ayant nommé Mr le Duc de Saint Jean à la Charge de Secretaire general des Guerres, qu’avoit Mr le Marquis de Canales, ce Prince a nommé à la Viceroyauté de Navarre, que ce Duc laisse vacante, Mr le Prince Tserclaës de Tilly, Grand d’Espagne, & Capitaine des Gardes de S.M.C. Ce Monarque l’avoit depuis peu honoré de la Grandesse, Sa Majesté en ayant reçû de grandes marques de fidelité & de zele pour son service. Ce Prince, qui n’est pas moins propre pour le Cabinet que pour la Guerre, & qui a montré autant de valeur à la teste des Armées du Roy Catholique que de prudence & de conduite à la teste de ses Conseils, descend de ce renommé Comte de Tilly, General des Troupes de l’Empire, de Baviere, & de l’Union Catholique. Ce grand Capitaine aprés s’estre signalé en Hongrie contre le Turc, eut le commandement des Troupes de Baviere, sous le Duc Maximilien ; & il se distingua fort à la Bataille de Prague en 1620. Il prit ensuite Elbogen, défit le Comte de Mansfeld, un des Chefs des Rebelles, & le contraignit d’abandonner le haut Palatinat. Il défit le Marquis de Bade à Wimpsen en 1622. & il défit aussi l’armée du Comte de Mansfeld prés d’Armstad, & il poussa ce Comte hors d’Allemagne. Il avoit auparavant aidé l’Archiduc Leopold à prendre Breda, & il avoit pris luy-même Heidelberg, Capitale du Palatinat du Rhin. La Diete de Ratisbonne l’honora du titre de Comte en 1623, n’ayant auparavant que celuy de Baron. Il défit ensuite l’armée du Comte d’Halberstad à Statlo, & il fut obligé d’envoyer des Trompettes pour empêcher ses Soldats de continuer le carnage. Il fit en cette occasion cinq mille prisonniers, du nombre desquels estoient le Duc de Weimar, celui d’Altembourg, plusieurs autres Princes, & prés de trois cens Colonels ou Capitaines. Aprés avoir jetté la terreur dans la Thuringe, il prit Leipsic en 1631. mais il y fut défait trois jours aprés par le Roy de Suede. Il rallia depuis ses Troupes, prit quelques Villes dans la Hesse, & repoussa Horn, Chef du party Protestant. Enfin il fut blessé à mort en deffendant le passage du Leck, & il mourut à Ingolstad en 1633. Il fit de grands biens à l’Eglise de Nôtre-Dame d’Ottingen, & il laissa 60000. écus à de vieux Regimens qui avoient combattus sous luy. Voila quel a été le Heros qui a tant fait d’honneur à la Maison de Tserclaës. Celuy qui porte aujourd’huy ce nom le soûtient avec honneur, & rien ne prouve mieux qu’il est digne de le porter, que le don que le Roy d’Espagne luy vient de faire d’un des plus beaux emplois de la Monarchie, sur tout dans les temps de troubles. Ce choix a esté universellement applaudi en Espagne.

Vœu pour le Roy à l'occasion de la Procession generale §

Mercure galant, novembre 1706 [tome 11], p. 112-115.

VOEU POUR LE ROY À L’OCCASION DE LA PROCESSION GENERALE,
Ordonnée le XXVIII. Aoust par Monsieur l’Archevêque & Primat de Narbonne, & faite le Dimanche cinquiéme Septembre, jour de la Naissance de Sa Majeste, pour obtenir de Dieu la prosperité de ses armes, & pour luy demander la Paix.

SEIGNEUR, nous benissons le jour que la Puissance
A fait pour estre celebré.
C’est en ce jour d’amour, de paix, & de clemence
Que ton Saint Nom est adoré.
L’EGLISE rend hommage à son Sacré Mistere ;
C’est en ce jour si salutaire
Que tous les Dons de ta bonté
En merveilles ont éclaté :
Ce jour fecond en allegresse,
Par un Ordre de ta Sagesse
Nous a donné LOUIS Deffenseur de tes Loix :
Il est le modele des Rois ;
Sa pieté malgré l’envie,
De l’Empire François a banni l’Heresie.
Mais si tes Ennemis l’attaquent aujourd’huy,
Pour affliger l’Eglise & vaincre son appuy,
Ne les laisse pas dans leur rage
Triompher de ton heritage.
Protege ton HEROS, comble le de bien-faits ;
GRAND DIEU, si tu l’as fait Maistre de la Victoire,
Ne luy refuse pas la gloire
De donner à nos vœux la Paix.

Ces Vers sont de Mr Leonard, Chanoine de l’Eglise Primatiale de Narbonne, à qui l’on doit pardonner une fausse rime en faveur de son zele.

[Le Roy d’Angleterre continuë de voir ce que Paris a de plus curieux] §

Mercure galant, novembre 1706 [tome 11], p. 158-164.

Le Roy d’Angleterre ayant esté aux Carmelites du Fauxbourg Saint Jacques, ce Prince y entendit d’abord la Messe, aprés laquelle il examina l’Eglise avec une attention particuliere, & il la trouva une des plus brillantes de Paris. Le Maistre Autel luy parut tres-magnifique, & les Tableaux qui ornent cette Eglise d’une grande beauté. Il vit ensuite la Superieure de cette Maison qui l’attendoit à la grille, & à laquelle il fit de grandes honnestetez. Il parut fort touché des sentimens de pieté qu’il remarqua dans le discours de cette sainte fille. De l’Eglise des Carmelites ce Monarque alla à celle du Val-de-grace. Il admira long-temps toutes les beautez de ce grand Edifice, & particulierement celles du Dôme, peint par feu Mr Mignard. J’aurois trop de choses à vous dire si je voulois vous parler à fond de ce grand ouvrage dont on a fait plusieurs descriptions, tant en Prose qu’en Vers. Le Poëme du feu Sr Moliere sur ce sujet a sur tout esté fort admiré, & il a esté si recherché à cause de la beauté des Vers, ainsi que des Vignettes & du Parnasse qui se trouve à la teste, dessigné par feu Mr Mignard, que les exemplaires en sont devenus tres-rares. Il vit ensuite l’Abbesse qui l’attendoit à la teste de sa Communauté, & il luy parla de la maniere obligeante qui luy est si naturelle.

Ce Prince en sortant du Val-de-Grace alla à l’Eglise des Benedictins Anglois où est le Tombeau du Roy son pere ; il y demeura pendant quelque temps & il y parut penetré des veritez de la Religion. Ce Prince dit des choses fort tendres en parlant du Roi son pere, au Superieur de cette maison qui l’étoit venu recevoir en bas à la Porte de l’Eglise avec toute sa Communauté.

Le lendemain 8. du mesme mois, Sa Majesté Britanique alla au Palais. Il vit d’abord la Sainte Chapelle, où il y fut reçû par Mr le Tresorier accompagné de la plus grande partie des Chanoines. Il entendit la Messe dans cette Eglise. On luy en fit ensuite voir les ornemens pretieux, & le Tresor, & il adora la portion de la vraye Croix que l’on y conserve. Il demanda par quel moyen on avoit eu cette Sainte Relique, on luy en rendit un compte fidelle, & on prit de là occasion de l’entretenir sur la pieté de Saint Loüis Fondateur de cette Eglise. Ce Monarque parla de ce grand Saint avec toute la veneration qui est duë à sa memoire.

De la Sainte Chapelle il passa dans la Grande Salle qu’il trouva d’une vaste étenduë ; il visita ensuite la Grande Chambre & toutes les autres Chambres qu’il trouva toutes dignes de la Majesté du Prince au nom de qui on y rend la Justice. Le nombre des Boutiques de la Grande Salle, ainsi que les differentes Galleries qui y conduisent & qui en font comme des ruës particulieres, luy plût beaucoup & remply de la grandeur de cet édifice, il dit en sortant que ce Palais convenoit bien aux Princes qui l’avoient fait bâtir, & qui y avoient long-temps habité.

Ce Monarque alla ensuite dans l’aile où est la Chambre des Comptes, & il fut surpris de trouver un si grand Bastiment aprés tout ce qu’il venoit de voir.

[Mort de Mr de Sainte Marthe, Doyen de la Cour des Aydes]* §

Mercure galant, novembre 1706 [tome 11], p. 188-231.

Quoy que je sois accablé d’un grand nombre de choses que j’ay à vous faire sçavoir, je ne puis neanmoins m’empêcher de vous envoyer un article fort étendu à l’occasion de la mort de Mr de Sainte Marthe Doyen, de la Cour des Aydes. La France, ou plutost tout le monde Chrêtien, & particulierement l’Empire des Lettres, doivent tant à cette famille, que ceux qui en font profession ne peuvent se dispenser de luy rendre la justice qui luy est deuë. D’ailleurs cet article ne doit pas estre indifferent, estant remply du détail des ouvrages composez par plusieurs personnes de cet illustre & sçavante famille, & qui sont tous les jours d’une grande utilité au Public.

Mre Abel de Sainte-Marthe, Chevalier Seigneur de Corbeville, Doyen de la Cour des Aides de Paris, Garde de la Bibliotheque du Roy à Fontainebleau, mourut le 30. Octobre dernier dans sa quatre-vingt-uniéme année.

Il étoit l’aîné d’une Maison où le merite, la vertu, le sçavoir & la probité ont esté hereditaires depuis prés de trois cens ans, & il ne se trouvera peut-estre pas une famille en France qui ait eu le bonheur d’avoir un nombre aussi considerable de grands personnages, puisqu’on y verra plus de vingt-quatre Hommes illustres, & qui ont rendu par leur belles actions, ou par leurs sçavans écrits leur memoire à jamais recommandable à la posterité.

La famille de Sainte Marthe a encore l’avantage particulier de n’avoir eu aucun membre dans lequel on ait pû remarquer aucune tache, & l’on pourroit à juste titre luy donner le mesme éloge qu’au fameux Chevalier Bayard, appellé le Chevalier sans reproche, pour marquer toutes les grandes qualitez qu’il possedoit, exempts de deffaut : car il est rare que les plus illustres Maisons n’ayent eu des sujets vitieux qui leur ayent causé de sensibles mortifications, quoique les fautes soient personnelles ; & c’est ce qui ne s’est point trouvé pendant le cours de trois siecles dans la Maison de Sainte-Marthe.

Mr de Sainte-Marthe dont je vous apprens la mort, nâquit le 10. d’Aoust 1626. Il apprit avec succés les belles Lettres, & tout ce qu’un Gentilhomme doit sçavoir pour la profession des Armes ; son cœur le portoit à choisir ce dernier party qui luy étoit plus naturel que tout autre ; mais sa famille qui connoissoit sa capacité, & qui d’ailleurs craignoit de le perdre s’il suivoit son penchant pour l’Armée, l’engagea à choisir le party de la Robe, & luy fit prendre une Charge de Conseiller à la Cour des Aides ; il en a rempli les fonctions pendant prés de cinquante années, dont il en a passé prés de vingt à la teste de cet illustre Corps, avec tant de pénetration, de fermeté, de désinteressement & d’integrité, qu’il s’est toûjours acquis l’admiration & l’estime de tous ceux dont les interests ont été confiez à ses soins ; il a toûjours esté le ferme Protecteur de la veuve & de l’orphelin, du pauvre & de l’ignorant ; il goûtoit dans ses travaux du plaisir, & de l’agrément, parce que comme rien n’échapoit à ses lumieres, il découvroit infailliblement celuy qui plaidoit injustement, & ressentoit la joye de confondre l’iniquité du plus fort, en soûtenant les droits du foible.

Malgré les grandes occupations que luy donnoit sa Charge, qu’il remplissoit si dignement, il ne laissoit pas de trouver des momens pour se donner aux belles Lettres qui sembloient luy estre hereditaires, de mesme qu’à tous ceux de sa famille ; il travailla à la continuation des Eloges des Hommes illustres de son temps, à l’exemple de Scevole de Sainte-Marthe son ayeul, il fit imprimer en 1693. le Recueil qu’il avoit fait des excellens Plaidoyers de Mr de Corberon, Avocat General au Parlement de Metz, & depuis Maistre des Requestes son Beau pere, ausquels il a joint ceux de Mr de Sainte-Marthe son pere, si celebre dans le Barreau, & à qui le Roy donna en recompense de plusieurs écrits qu’il avoit composez par son ordre, pour le soûtien des droits de la Couronne, une place dans son Conseil en 1621. & la Charge de Garde de sa Bibliotheque à Fontainebleau en 1627. avec plusieurs Pensions. Le Public reçoit tous les jours un plaisir sensible de la lecture de ces Plaidoyers, & en tire une tres-grande utilité à cause des Arrests intervenus en consequence, que Mr de Sainte-Marthe a eu le soin d’y joindre. Il a fait de plus la belle Traduction de la Pedotrophie, fameux Ouvrage en Vers Latins, du grand Scevole son ayeul, & qui sera immortel tant à cause de la force & l’energie de ce Poëme, que de l’élegance & de la beauté des Vers qu’on égaloit à ceux de Virgile. Cette Traduction qu’il fit imprimer cinq ou six ans avant sa mort, a esté reçuë du Public avec tout l’empressement & toute l’avidité possible, si l’on peut se servir de ce terme.

Mr de Sainte-Marthe avoit le cœur genereux & tendre ; il compâtissoit extrêmement à la misere de quantité de familles ruinées ou chancelantes, qu’il soutenoit par de tres-grandes charitez, ce qui l’obligeoit souvent d’oublier ce qu’il se devoit à luy-mesme, & aux interests de sa maison : les plaisirs les plus vifs qu’il ait ressenti ont esté ceux d’en procurer aux autres, & de soulager dans leurs afflictions les malheureux, qu’il visitoit luy-mesme, ne voulant s’en rapporter qu’à ses yeux ; il a toûjours eu cependant une attention tres-grande à ce qu’on ne pût avoir de connoissance des charitez qu’il faisoit ; & ce n’est que pendant le cours de sa maladie, & depuis sa mort que l’on a découvert une partie des bonnes œuvres qu’il faisoit pendant sa vie, par les desolations & les pleurs qu’on a vû répandre à tous ceux qui sentoient qu’ils alloient perdre leur veritable pere, & par l’aveu qu’ils ont fait des soulagemens annuels que Mr de Sainte-Marthe leur accordoit.

Tant de belles qualitez luy ont fait obtenir de Dieu la mort des Prédestinez, s’étant pendant deux mois de temps, préparé à rendre compte de ses actions à son Souverain Maistre, avec toute la resignation & la soûmission imaginable ; on a remarqué que quoiqu’il sçût sa condamnation de mort par les Medecins, il a toûjours conservé une tranquillité d’esprit admirable, & qu’il cherchoit luy-mesme à consoler ceux qu’il voyoit dans la desolation que sa perte leur devoit causer, en les assurant qu’il se portoit toujours de mieux en mieux ; fermeté d’autant plus surprenante qu’elle n’étoit point affectée, & qu’il est rare de trouver un malade abandonné des Medecins qui rassure les autres sur l’état de sa santé, avec un jugement & un esprit reposé comme le sien. Il a esté enterré aux Minimes de la Place Royale dans la Chapelle où l’avoit été Madame sa mere, qu’il avoit toujours aimée tendrement, & qu’il avoit coûtume d’appeller la meilleure mere qu’il y eut jamais. Il y avoit fait faire de son vivant, son Epitaphe, qu’on voit à la droite de l’Autel.

Il épousa en premieres Noces, le 25. Fevrier 1654. Dame Marie de Corberon, fille & heritiere de Mre Nicolas de Corberon, Avocat General au Parlement de Metz, & ensuite Maistre des Requestes ; le nom de cette famille est assez connu aussi-bien que les noms de tous ceux qui en ont esté.

En secondes Noces le 28. Juillet 1658. Dame Marie Heron, alliée dans la Robe, qui luy a survécu.

Le premier du nom de la famille de Sainte-Marthe, duquel les Titres anciens donnent connoissance ; fut Guillaume Raymond de Sainte-Marthe qui l’an 1350. étoit appointé par le Roy Philippe de Valois, à trente livres par mois pour la garde de son Château de Roquebert en Gascogne ; cela se verifie par sa Quittance tirée de la Chambre des Comptes de Paris, de l’an 1350. communiquée par Mr d’Erouval Auditeur de ladite Chambre des Comptes on n’a pas trouvé de suite de filiation jusqu’à Nicole de Sainte Marthe, qui se voit cy-aprés.

Nicole ou Nicolas de Sainte-Marthe rendit de grands services au Roy Charles VII. dans la Guerre contre les Anglois, & fut fait Chevalier au siege de Bayonne, par Gaston, Comte de Foix, qui commandoit l’Armée de Charles VII. avec le fameux Comte de Dunois, la terreur & le fleau des Anglois, en l’année 1461. Il est à remarquer que personne ne pouvoit prétendre à l’honneur de Chevalier qu’il n’eut une noblesse tres ancienne, & le titre d’Ecuyer, ou de Damoiseau ; ainsi ce Titre glorieux que reçût Nicole à ce siege, présuposoit déja la noblesse de son sang, qui s’est conservée jusqu’en nos jours en sa posterité.

Louis de Sainte-Marthe, premier du nom, son fils, Ecuyer Seigneur de Villedan au pays de Lodunois, du Chapeau, de la Voutonne, &c. comparut avec deux chevaux à l’Arriereban du Poitou, convoqué l’an 1463. sous le Roy Louis XI. pour Colas de Sainte-Marthe son pere, comme il se justifie par un Rôlle de la Chambre des Comptes de Paris, contenant les Nobles du pais qui s’engagerent au service du Roy cette année ; il servit le Roy Charles VIII. en qualité de Capitaine à l’expedition de Naples, & il y mena son fils aîné, qui fut tué à l’attaque du Pas & Detroit de Cancelle, prés le Mont Cassin l’an 1495.

Gauthier de Sainte-Marthe, premier du nom, son fils, Ecuyer Seigneur de Villedan de la Riviere, de la Baste en Curzay, de Lerné, du Chapeau & des Nandes en Aunis, sur la mer, prés de la Rochelle, Conseiller & premier Medecin du Roy François I. avoit esté élevé dans l’esperance de porter les armes ; mais son frere aîné ayant pris ce party, il s’attacha à la recherche des secrets de la Nature, où il fit des progrés si merveilleux qu’il devint l’Oracle de la Medecine, & l’Esculape de l’Europe ; il a reçû des éloges du celebre Salomon Macrin dans ses Poësies, de Leon de Sainte-Maure de l’illustre Maison de Montausier & de Conrad Lommeau de Saumur, sur son merveilleux sçavoir ; il fut honoré de l’estime particuliere de Renée de Bourbon, Princesse du Sang, Abesse de Fontevraud, qui le fit Chef de son Conseil ; il mourut en ce lieu, & fut enterré au Chœur de l’Abbaye Royale de Fontevraud, prérogative qui ne s’accordoit qu’aux Rois, Princes & autres grands Seigneurs qui se faisoient inhumer dans ce Monastere. Son Epitaphe s’y voit encore aujourd’huy. Il avoit épousé Marie Marquet, fille de Michel Marquet, Sieur de la Bedoüaire, Secretaire du Roy, & de Jeanne de Neubourg dont la famille a tant de belles alliances.

Louis de Sainte-Marthe, second du nom, son fils, Ecuyer Sieur de Neuilly & du Chapeau, épousa Nicole le Fevre, sœur de René le Fevre Sieur d’Estrepié, President au Parlement de Paris, en la cinquiéme Chambre des Enquestes, & Doyen de l’Eglise de Poitiers, fille de Guillaume le Févre Sieur de Bizay, & d’Estrepié, Procureur du Roy au Baillage de Loudun, & de Mathurine Berthelot Dame de Bizay, cousine germaine de Guillaume Briçonnet Archevesque & Duc de Rheims Pair & Chancelier de France.

Gaucher, dit Scevole de Sainte Marthe, son fils, Chevalier Seigneur d’Estrepié, de Beausse, des Humeaux & de la Jalletiere, President Tresorier de France, & General des Finances à Poitiers, Intendant de Bretagne, surnommé par plusieurs Autheurs, le grand Scevole, fut un des plus celebres personnages de son siécle, tant pour son éloquence admirable, que pour les excellens ouvrages qu’il a donnez à la posterité. Sa reputation vola parmy tous les Sçavans de l’Europe, & son nom estoit aussi connu chez les Etrangers qu’en France : il fut honoré de l’estime particuliere des Rois Henry III. & Henry IV, qui luy confierent divers emplois dignes de sa fidelité. Sa constance parût aux Etats de Blois, & à l’assemblée des Notables de Roüen ; son integrité dans l’Intendance des Finances dans l’Armée de Bretagne sous Monsieur le Duc de Montpensier, & son zele pour le rétablissement de la Religion, dans la commission du Roy, avec le Chancelier de Navarre en Poitou ; la reduction de Poitiers sous l’obéissance d’Henry IV. fut un de ses plus signalez services. Le President de Thou, Davila & autres Historiens, disent que ce grand homme ajoûtoit la Politique aux belles Lettres ; ses ouvrages latins de la Pedotrophie & des Hommes Illustres, égalent ceux des premiers Poëtes & Orateurs. La Ville de Loudun qu’il sauva de sa ruine, luy donna le nom de Pere de la patrie, & le nom de Sainte Marthe y est encore honoré à present par tous les habitans, qui ont appris de leur pere l’obligation qu’ils avoient à ce grand homme, & qui ont soin d’en faire souvenir leurs enfans, afin que la memoire d’un si grand bien-fait ne se perde jamais ; il avoit épousé Renée de la Haye, Seigneur ou Dame de Malaquet, de Veniez & de Beausse.

Abel de Sainte Marthe son fils aîné suivit les traces de son pere, & fut un des plus sçavans hommes de son temps, tant à cause de ses ouvrages latins en Prose & en Vers employez en partie à celebrer les Victoires d’Henry le Grand & de Louis le Juste, que de l’éloquence & du feu de ses Plaidoyers qui ont fait tant de bruit, & dont Mr de Sainte Marthe son fils qui vient de mourir, en avoit recueilli une partie, qu’il a fait imprimer avec ceux de Mr de Corberon. Le Roy Louis XIII. le gratifia de plusieurs pensions, luy donna une place dans son Conseil, & le fit Garde de sa Biblioteque à Fontainebleau ; il avoit épousé Geneviéve Meraut, mere de Mr de Sainte Marthe, Doyen de la Cour des Aides mort sans enfans.

Scevole de Sainte Marthe eut encore d’autres enfans qu’Abel, du nombre desquels furent les fameux jumeaux Scevole & Louis, si semblables de corps, d’esprit, de pensées & d’inclinations, que toutes ces qualitez naturelles leur firent passer toute leur vie ensemble dans une parfaite union, en composant le merveilleux Livre de l’Histoire Genealogique de la Maison de France, ouvrage qui leur a coûté à chacun 50 années de travail, & qui sembloit ne pouvoir jamais estre entrepris par un mortel, à cause des recherches immenses & du travail qu’il faloit faire pour achever un si grand ouvrage. Le Roy Louis XIII. à qui ils le presenterent, leur accorda une pension de trente mille livres, il aimoit à les voir à cause de cette surprenante ressemblance de corps & d’esprit, & ce Prince demandoit souvent, comment se portoient les deux jumeaux, sans se servir du nom de Sainte Marthe, ce sont ces termes : ils ont esté visitez des premiers du Royaume, & consultez par les Princes du Sang, à cause de l’étenduë de leurs lumieres : leur cabinet étoit le rendez vous des illustres Sçavans. L’aisné des deux jumeaux nommé Scevole, épousa Elisabeth du Moulin, fille de Pierre du Moulin ancien Avocat, & Maistre des Requestes de la Reine Catherine de Medicis, & de Claude de la Salle son épouse : Louis, son jumeau, mourut sans enfans à quatre vingt-sept ans, cinq ans aprés la mort de son frere aisné.

Pierre Gaucher, dit Scevole de Sainte Marthe, fils aisné de Scevole de Sainte-Marthe, un des jumeaux, Ecuyer, Sieur de Meré & Deslionnieres, Conseiller du Roy en ses Conseils, Maistre d’Hôtel ordinaire de Sa Majesté, Historiographe de France, a suivi dignement les traces de ses Ancêtres ; c’est luy qui aidé de ses freres Abel Louis de Sainte Marthe, General des Prestres de l’Oratoire, & Nicolas Charles de Sainte-Marthe, Prieur de Claunay, a mis au jour le fameux Livre de Galliâ Christiana en quatre gros volumes in folio, qui doit servir d’un éternel monument à leur gloire, & dont le Clergé de France leur aura une éternelle obligation : ce Livre a esté receu avec une approbation si generale de tous les Prélats de France, que pour témoigner à Mrs de Sainte-Marthe la reconnoissance qu’ils en avoient, ils leur accorderent une pension de quinze cens livres, & une somme de six mille en argent comptant, avec de grands éloges prononcez par le President de l’Assemblée du Clergé tenuë en 1656.

Mr de Sainte-Marthe travailla encore à quantité d’autres ouvrages qu’il a mis au jour ; sçavoir au Catalogue de tous les Rois, Princes Souverains du monde, & de tous les Cardinaux qui vivoient alors ; au Traité Historique des Armes de France & de Navarre, & à la juste balance des Cardinaux ; mais son plus grand ouvrage est le travail immense qu’il entreprit à l’exemple du Galliâ Christiana, qui est l’Orbis Christianus, auquel il a travaillé pendant plus de trente années, la mort l’a interrompu pendant l’impression de cet ouvrage, qu’il a laissé avec une tres-grande quantité de manuscrits de sa composition à son frere le General des Peres de l’Oratoire qui sont restez aprés sa mort dans la Maison de Saint Magloire. Le public pourra joüir un jour des peines que ce grand homme a prises pendant sa vie à tant d’ouvrages, si quelque Sçavant de l’Oratoire veut se donner la peine de les ranger, & de les mettre au jour. Il avoit épousé Dame Anne Suart, fille d’Antoine Suart Conseiller & Medecin ordinaire du Roy, & de Damoiselle Philippe Pepin son épouse ; il a laissé plusieurs enfans, l’aisné desquels est :

Pierre Gaucher de Sainte-Marthe, Chevalier des Ordres de Nostre-Dame de Mont-Carmel, & de S. Lazare de Jerusalem, qui commande presentement le second Bataillon des Bombardiers du Roy ; il s’est distingué par sa valeur & par sa conduite aux siéges de Luxembourg, de Philisbourg, de Manheim, Frankendal & à celuy de Montmelian, & il fait revivre aujourd’huy la gloire de ceux de ses ancêtres qui se sont distinguez par les armes ; il est chef de la famille depuis la mort de Mr de Sainte Marthe Doyen de la Cour des Aides.

N’ayant suivi seulement que la ligne des aisnez, je n’ay point parlé de Loüis & de Nicolas de Sainte Marthe, Chevaliers Seigneurs de Boivre, & successivement Lieutenans Generaux du Poitou ; ils ont rendu des services considerables à l’Etat dans l’administration de ses importantes Charges ; Nicolas de Sainte-Marthe laissa une fille unique & heritiere.

Marie Urbaine de Sainte-Marthe qu’il avoit euë de Marie Urbaine de l’Aunay d’Onglée, Maison remplie d’une infinité de belles alliances, & tres-ancienne par elle-mesme ; elle eut de tres grands biens, & épousa Loüis François le Fevre, Chevalier de Caumartin Conseiller d’Estat ordinaire, fils de Mre [blanc] le Fevre de Caumartin, Garde des Sceaux de France, & pere de Mre Urbain Loüis le Fevre de Caumartin, aujourd’huy Conseiller d’Etat ordinaire, & Intendant des Finances, qui a si bien soûtenu le poids de toutes les affaires de Finances qui lui ont été confiées depuis qu’il est en place. La Maison de Caumartin est si connuë, que je ne vous en diray pas davantage.

Georges de Sainte-Marthe Ecuyer Sieur de Charenton, fils puisné de Loüis de Sainte-Marthe, Lieutenant General, & frere de Nicolas de Sainte-Marthe aussi Lieutenant General, épousa en 1640. Renée Roger, fille d’Yves Roger, Chevalier Seigneur de la Vaumartin, dont il eut Renée de Sainte-Marthe, qui épousa Antoine de la Rochefoucaut, Chevalier Seigneur de Neüilly-le-Noble, de Buaupersil, de la Roche, de la Chasteigneraye, de la Bertaudiere & de Chastillon, dont est venu Paul-Loüis de la Rochefoucaut, l’an 1662. Cette Maison n’a pas besoin d’éloge.

Il y a eu plusieurs autres branches de la Maison de Sainte Marthe, de l’une desquelles nommée Chandoiseau est Denis de Sainte Marthe, aujourd’huy Prieur des Benedictins du Convent des Blancs Manteaux à Paris, celebre Theologien qui a donné quantité de beaux ouvrages au public, entr’autres le Traité de la Confession contre les erreurs des Calvinistes, expliquées par l’Ecriture Sainte & la Tradition ; cet Ouvrage a esté imprimé en 1685. la réponse aux plaintes des Protestans touchant la prétenduë persecution de France, imprimée en 1688. les Entretiens touchant l’entreprise du Prince d’Orange en 1689. & tout nouvellement quatre Volumes in quarto de la vie & des actions de Saint Gregoire le Grand, qu’il a dediez au Pape, dont il a reçu une Lettre remplie de grands Eloges. Il fait un des principaux ornemens de son Ordre dont il est extrêmement chery ; son merite & son genie superieur qui le font estimer de tout le monde luy sont presque inconnus. Sa conduite est si exemplaire, & il mene une vie si retirée, qu’on ne sçauroit le trouver que dans la meditation, dans la retraite, dans la priere, ou dans le travail.

Il avoit pour frere Gaucher-Loüis de Sainte-Marthe, Ecuyer Seigneur de Chandoiseau, qui a esté Capitaine des Grenadiers du Regiment d’Auvergne ; il fut blessé au Siege de Luxembourg, où il s’exposa souvent avec un courage intrepide & une ardeur incroyable ; le Roy ayant connu son cœur & son merite, luy confia la Majorité de Casal pour le recompenser de ses services, & il est mort dans cet employ.

Voicy la Note de quelques ouvrages que Mrs de Sainte-Marthe ont donnez en divers temps.

Scæv. Sammarthani Poëmata, de re cum Thuano atcipitaria & aliquod de ejusdem carmin. in 8°. apud Pariston. 1587.

Scævol. Sammarthani Poëmata varia 8°. Par. 1575.

Les premieres œuvres du Sieur de Sainte-Marthe, in 8°. Paris 1569.

Sammarthanica expeditio rupellana inParis. 1629.

Histoire Genealogique de la Maison de la Trimoüille, par Sainte-Marthe, in 12. Par. 1668.

Scæv. Sammarth. Elog. illust. Gall. in 12. Aug. Pict. 1606.

Je dois ajoûter à cela que le Pere de Sainte-Marthe, Prestre de l’Oratoire, & neveu du feu General, va donner une nouvelle édition du Gallia Christiana, fort augmentée.

[Discours touchant les articles qui entrent dans les Mercures] §

Mercure galant, novembre 1706 [tome 11], p. 231-233.

Quoyque toutes mes lettres soient remplies de pieces curieuses, sçavantes & historiques, dont la lecture fait, dites-vous, plaisir ; vous vous plaignez qu’elles ne répondent pas souvent au titre qu’elles portent. Vous dites qu’elles doivent estre faites pour tout le monde, & que la plûpart des goûts estant differens, chacun y doit trouver dequoy satisfaire le sien. Que les uns ne lisent que les Genealogies pour apprendre à connoître les familles, & qu’elles ennuyent les autres, qui souvent ne les regardent pas ; que d’autres sont fort indifferens pour les articles qui ne parlent point de guerre ny de politique, & que d’autres passent par dessus pour ne s’attacher qu’à ceux de Litterature, & qu’enfin plusieurs se plaignent de ne plus voir dans mes Lettres, où chacun doit trouver quelque chose qui convienne à son genie, & à son esprit, de l’ancien enjouëment, & des Vers galans, qui souvent y ont fait tant de plaisir aux Lecteurs, & sur tout aux Dames. Vous avez raison ; mais vous devez convenir que chaque chose a son temps, & que le bruit des Tambours & des Trompettes est si grand que lorsqu’il éclate, il empêche que celuy des Jeux & des Ris ne soit entendu. Cependant en attendant que la Paix descende du Ciel, qui seul la peut donner aujourd’huy, j’auray le plus d’égard qu’il me sera possible à ce que vous me demandez.

Madrigal §

Mercure galant, novembre 1706 [tome 11], p. 233-235.

Je commence en vous envoyant les Vers que vous allez lire. Les premiers sont d’un sçavant homme, qui n’est pas moins galant que sçavant, lorsqu’il veut se délasser par quelques ouvrages enjoüez ; c’est un Madrigal qui a fait beaucoup de bruit dans le monde, qui est adressé à une Belle, & qui se plaignoit de n’en avoir pas reçu de Bouquet le jour de sa Feste.

MADRIGAL.

Je connois peu les Saints que l’Almanach amene.
J’ay tort, mais aprés tout les Juges du Linon,
De mon crime peut-estre adouciroient la peine.
Je vous croyiois Iris, Amarante ou Climene ;
Enfin toûjours mon cœur vous donnoit quelque nom,
De ceux qui sont festez sur les bords d’Hipocrene,
Et que donne Venus quand elle est la maraine ;
Mais j’avois oublié que vous estes Nannon.

[Vers envoyez à une Dame le jour de sa Feste] §

Mercure galant, novembre 1706 [tome 11], p. 235-239.

Les Vers qui suivent furent envoyez avec un beau Bouquet artificiel à Mademoiselle P.… le jour de sa Fête. Ils sont de Mr le Gendre de la Terrasse, Gentilhomme servant du Roy, qui a disputé le dernier Prix de Poësie à l’Academie Françoise, & qui a fait plusieurs Ouvrages en Vers qui ont été bien reçûs du Public.

Hier au lever de l’Aurore
Iris, pour vous cueillir des fleurs
J’allay dans le jardin de Flore.
J’en cherchois avec soin des plus vives couleurs,
De celles dont on voit briller vostre visage,
Et déja mon cœur esperoit,
De vous voir sur ces fleurs remporter l’avantage,
Lorsqu’à mes yeux surpris la Déesse paroist,
Et d’un ton plein d’aigreur m’adressant la parole :
C’est donc pour la beauté dont tu fais ton Idole !
 Que tu viens me solliciter,
 Ose-tu presumer, dit-elle,
Que j’orne de mes dons une jeune mortelle,
Dont les trop fiers appas osent me disputer,
 La gloire d’estre la plus belle ;
À moy dont l’immortelle & l’aimable fraîcheur,
Pourroit à Venus mesme enlever plus d’un cœur.
Sçache que le Soleil sensible à ma priere !
Pour faire évanoüir les plus brillantes fleurs,
 A dans sa brûlante carriere,
 Semé d’excessives chaleurs.
Au lieu d’un doux zephir dont la feconde haleine,
 Se plaisoit à les parfumer,
De son soufle mortel un vent qui se déchaîne,
 Acheve de les consumer.
 Tel est l’effet de ma vengeance !
Que je sçauray contre elle encore mieux signaler.
Iris, je ne puis vous celer,
À quel point je sentis une si vive offense ;
Mais avecque les Dieux il faut dissimuler,
Et ne parler qu’avec reserve.
Dans l’extrême embarras où je me vis alors,
J’imploray le secours de la docte Minerve,
Elle m’ouvrit ses plus riches tresors.
Voy, dit-elle, ces fleurs que mon Art a produites !
Choisis ce bel Oëillet, avec ces Marguerites ;
 Ce ne sont point de fragiles beautez,
 Telles que Flore en a dans son Empire :
Elles ne doivent rien au soufle du Zephire :
Et l’esprit est l’Auteur de ces dons si vantez.
 Apprens que de ces fleurs charmantes,
Les Vents impetueux respectent les couleurs,
 Et que des saisons inconstantes,
 Elles craignent peu les rigueurs.
 Offre à l’objet de ta tendresse
Cet ornement digne d’une Princesse.
Iris, puis-je esperer qu’un bouquet si charmant,
Formé des mains d’une Déesse,
Et présenté par un Amant,
Meritera l’accüeil de ma belle Maîtresse.

Air nouveau §

Mercure galant, novembre 1706 [tome 11], p. 242-243.

Peut-estre que si Mr le Marquis de Carman avoit demandé à Mlle de Marcognet avant que de l’épouser, qui estoit son Tircis, elle luy auroit répondu ce que vous trouverez dans les paroles suivantes.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’air Quoy vous me demandez qui sera mon Tircis la page 243.
Quoy ? vous me demandez qui sera mon Tircis,
Pouvez-vous en douter, vous seul le devez estre :
Oüy si j’ay de l’amour, vous seul l’avez fait naistre,
Et vous seul avez droit d’estre vainqueur d’Iris.
images/1706-11_242.JPG

[Messe appellée Messe Rouge, & ce qui s’est passé ensuite dans la Grand’Chambre] §

Mercure galant, novembre 1706 [tome 11], p. 257-259.

La ceremonie de la Cour des Aides estant finie, Mrs du Parlement assisterent à la Messe, qu’on nomme Messe Rouge, à cause que la Cour y assiste en robbes rouges. Elle ne fut pas celebrée selon l’usage ordinaire par un Evêque. Mr l’Evêque d’Orleans qui devoit officier s’étant trouvé incommodé. Mr l’Abbé Dongois, Chanoine de la Sainte Chapelle, officia, & il eut l’honneur du bougeoir, qu’on ne donne qu’aux Evêques. La Musique de cette Messe étoit de la composition de Mr  Berniers, Maistre de Musique de la Sainte Chapelle.

La Compagnie estant ensuite rentrée dans la Grande Chambre, on n’y fit point les harangues ordinaires, parce qu’il n’y avoit point d’Evêque à remercier ; mais Mr le Premier President qui ne manque jamais à cette Messe, parla sur les devoirs d’un Magistrat, & son discours fut trouvé remply de pensées tres-justes, & fort convenables à son sujet. Ce qu’il dit sur le ministere des Avocats fut tres-applaudy. Il donna ensuite un grand repas, où plusieurs Membres de cette auguste Corps furent conviez.

[Article des Enigmes] §

Mercure galant, novembre 1706 [tome 11], p. 370-372.

Le veritable mot de l’Enigme du mois passé estoit les Tetons : Ceux qui l’ont trouvé sont Mrs Tamiriste, son gendre & sa fille : J.B. de Vienne, & Mlle Dansvicq son accordée : le gros Biset & son ancien ami Emeraut le Substitut : l’Abbé de l’Existance : le Chevalier soûpirant de la Croix des Petits-Champs : le Solitaire du Marais : Manon de l’Aigle : la jeune Muse renaissante : la plus jeune des belles Dames de la ruë des Bernardins : la sœur des trois freres : la belle inconnuë de la ruë S. Jacques de la Boucherie : l’Orpheline D.L. de la ruë neuve S. Eustache : l’agreable Brune de la ruë Pierre Sarrazin : la Bergere Climene & le Berger Tircis.

L’Enigme nouvelle que je vous envoye est de Mr d’Aubicourt.

SONNET ENIGMATIQUE.

Des plus foibles humains sûr & charmant mobile,
Lorsque l’on me confie à quelqu’un de bon sens,
Qui pour me balancer m’agite en certain sens,
Je fixe par mon bransle où je calme leur bile.
***
Si je sers à la Cour, en Province, à la Ville.
Chez Ducs, Comtes, Marquis, Princes les plus puissans.
Artisans, Villageois, Bourgeois & Partisans,
Je n’ay pas le renom d’estre une ame servile.
***
C’est à mes mouvemens qu’est dû le doux repos,
Qui tres-souvent modere & reprime à propos
Les cris réiterez de la plus tendre enfance :
***
Cet excés si commun contraire à la santé
Avec assez de soin ne peut estre évité
Dés l’instant qu’un mortel a reçû la naissance.