Scene première. §
Leandre, Lidamant, Fabrice caché.
LEANDRE de nuit.
L'Histoire me surprend.
LIDAMANT.
L'Histoire me surprend. Dedans ces dependances
Je laisse à vous conter beaucoup de circonstances
Qui la rendroient plus belle. A present qu’il est nuit
Et qu’elle m’attend seule, retirez vous sans bruit,
1425 Et me laissez aller.
LEANDRE.
Et me laissez aller. Moy que je vous delaisse !
Me soubçonneriez vous de si grande foiblesse,
Vous estant veu chez elle en un si grand danger
Y retourner sans moy ce n’est pas m’obliger,
Non non, je suis vos pas, disposez de ma vie,
1430 Ne croyez pas pourtant que ce soit par envie,
De sçavoir vos secrets, ny troubler vostre Amour,
J'attendray dans la ruë & jusqu’au poinct du jour.
Ouy, je veux s’il le faut toute la nuit attendre.
LIDAMANT.
{p. 100}
Ce seroit abuser de vous, mon cher Leandre,
LEANDRE.
1435 On n’abuse jamais d’un veritable Amy
Celuy là ne l’est point qui ne l’est qu’à demy.
Quoy qu’il puisse arriver durant cette entreveue,
Sçachez que vous aurez un Amy dans la rue,
Qui pour vous seconder a le cœur assez fort,
1440 Et qui vous defendra mesme jusqu’à la mort.
LIDAMANT.
Puis-je douter de vous, & de vostre courage,
En voyant cette preuve ? & ce grand tesmoignage
Qu'il vous plaist me donner de vostre affection ?
J'accepte la faveur, mais à condition
1445 Que vous me traiteréz avec mesme franchise.
LEANDRE
Ne perdez point de temps suivez vostre entreprise
FABRICE bas caché derriere eux.
Je les voy, mais d’icy je ne les entends pas.
Approchons de plus pres, & marchons sur leurs pas.
Il s’approche.
LEANDRE
{p. 101}
J'oy du bruit. Qui va là ?
FABRICE.
J'oy du bruit. Qui va là ? Nul ne va, je demeure.
LEANDRE.
1450 Passez vostre chemin, viste mais tout à l’heure.
LIDAMANT.
Et pourquoy ? Passez outre.
FABRICE.
Et pourquoy ? Passez outre. Il n’est pas de besoin
De passer plus avant, je ne vay pas plus loing.
LIDAMANT.
Amy que cherchez vous ?
FABRICE,
Amy que cherchez vous ? A vous rendre service.
LEANDRE l’espée à la main.
Passez, ou je.
FABRICE
Passez, ou je. Tout beau Monsieur, je suis Fabrice.
LIDAMANT.
1455 Que fais tu là ?
FABRICE.
Que fais tu là ? Je viens.
LEANDRE.
{p. 102}
Que fais tu là ? Je viens. Retourne t’en maraut
Ou je te,
LIDAMANT.
Ou je te, Laissez le ne parlez pas si haut,
Ne faites point de bruit icy mon cher Leandre,
Celle que je viens voir nous pourroit bien entendre,
Son logis n’est pas loing.
LEANDRE.
Son logis n’est pas loing. Est-ce proche d’icy ?
LIDAMANT.
1460 Nous sommes arrivez peu s’en faut le voicy.
LEANDRE.
Quoy ! c’est là son logis ?
LIDAMANT,
Quoy ! c’est là son logis ? Ouy c’est le logis mesme,
Que je cherche où se tient cette beauté que j’ayme,
LEANDRE.
A t’elle un pere ?
LIDAMANT.
A t’elle un pere ? Ouy.
LEANDRE.
A t’elle un pere ? Ouy. Quoy ! c’est cette maison,
Où l’on vous a tenu pres d’une heure en prison ?
LIDAMANT.
{p. 103}
1465 C'est la mesme maison & la mesme personne.
LIDAMANT.
Où son pere. Arriva.
LEANDRE bas.
Où son pere. Arriva. Que ce discours m’estonne.
Qui vous surprit chez elle, & qui vous obligea,
A vous cacher ainsi.
LIDAMANT.
A vous cacher ainsi. Je vous l’ay dit desja,
C'est là que m’arriva cette belle adventure,
LEANDRE
1470 Amy, songez y mieux. La nuit estant obscure,
Vous estre un peu mespris ?
LIDAMANT.
Vous estre un peu mespris ? Vous mocquez vous de moy ?
Asseurement c’est là.
LEANDRE.
Asseurement c’est là. Cela ne peut pas estre.
LIDAMANT.
{p. 104}
Voila, je le sçay bien, sa porte & sa fenestre,
1475 Ne passez pas plus outre, Amy demeurez-là,
Je m’en vais apeler.
LEANDRE.
Je m’en vais apeler. Que veut dire cela ?
Cette maison sans doute est celle d’Orazie
De quel estonnement est mon ame saisie ?
Quoy ! mon meilleur Amy seroit-il mon rival
LIDAMANT.
1480 Retirez vous, je vay luy faire le signal,
Car je ne voudrois pas,
LEANDRE.
Car je ne voudrois pas, Vous m’avez ce me semble,
Conté lors que tantost nous discourions ensemble,
Que celle maintenant qui vous attend icy
Est la mesme qui m’a tant causé de soucy,
1485 Troublant de ma Maistresse encor la fantaisie.
LIDAMANT.
Ouy c’est la mesme.
LEANDRE bas.
Ouy c’est la mesme. Donc ce n’est pas Orazie,
Car nous estions ensemble, il n’en faut point douter,
Et que l’autre qui vint
LIDAMANT.
{p. 105}
Et que l’autre qui vint Je ne puis escouter.
LIDAMANT.
Estoit. Tout beau l’on ouvre.
JULIE à la fenestre.
Estoit. Tout beau l’on ouvre. Est-ce vous.
LIDAMANT à Leandre.
Estoit. Tout beau l’on ouvre. Est-ce vous. On m’appelle.
JULIE.
1490 Est-ce vous Lidamant ?
LIDAMANT.
Est-ce vous Lidamant ? Ouy c’est moy.
LEANDRE bas.
Est-ce vous Lidamant ? Ouy c’est moy. L'infidelle.
C'est Julie. Ah grands Dieux, je suis tout interdit.
JULIE.
Attendez je descends.
LIDAMANT bas à Leandre,
Attendez je descends. La servante m’a dit
Qu'elle s’en va m’ouvrir.
LEANDRE.
Qu'elle s’en va m’ouvrir. Oyez je vous supplie.
LIDAMANT.
Devant*. Je ne le puis.
LEANDRE bas.
{p. 106}
Devant*. Je ne le puis. Ah perfide Julie,
1495 Si c’est.
LIDAMANT.
Si c’est. Elle m’attend.
LEANDRE.
Si c’est. Elle m’attend. La Dame.
JULIE à la porte.
Si c’est. Elle m’attend. La Dame. Lidamant.
LEANDRE.
Me voila. Qui tantost.
JULIE.
Me voila. Qui tantost. Entrez donc promptement
LIDAMANT en entrant.
Nous nous verrons apres.
Scene III. §
Tomire, Julie, Leandre, Lidamant, Florimonde, Fabrice.
TOMIRE derriere le Theatre.
Ouvrez Julie, ouvrez.
JULIE derriere le Theatre.
{p. 109}
Ouvrez Julie, ouvrez. Grands Dieux je desespere,
C'est Monsieur.
LEANDRE
C'est Monsieur. Je me trompe, ou c’est la voix du pere.
On entend des bruits d’espee derriere le Theatre.
Tomire derriere le Theatre.
Quel bruit, Penses tu donc eviter mon
courroux*.
Lidamant sort avec Florimonde entre ses bras dans l’obscurité.
Ne vous estonnez point Madame asseurez vous.
TOMIRE.
1525 Dieux cruels qui souffrez ce meschant qui m’affronte
Comment me laissez vous survivre à cette honte.
LIDAMANT.
Puis que je suis dehors, je vous deffendray bien.
FLORIMONDE.
Menez moy droit chez vous, & je ne crains plus rien.
LIDAMANT.
{p. 110}
Cherchons un mien amy qui m’attend à la rue.
FLORIMONDE.
1530 Est-ce Leandre ?
LIDAMANT.
Est-ce Leandre ? Ouy.
FLORIMONDE.
Est-ce Leandre ? Ouy. Grands Dieux je suis perduë,
LIDAMANT.
De quoy vous troublez vous ?
FLORIMONDE.
De quoy vous troublez vous ? Lidamant escoutez,
Leandre est.
LIDAMANT.
Leandre est. C'est en vain que vous le redoutez,
Leandre est mon Amy, ne craignez rien Madame,
Il n’est plus temps icy de vous cacher.
FLORIMONDE.
Il n’est plus temps icy de vous cacher. Je pasme,
1535 Je suis morte autant vaut.
LIDAMANT.
Je suis morte autant vaut. Leandre.
LEANDRE.
{p. 111}
Je suis morte autant vaut. Leandre. Me voicy,
LIDAMANT.
Ah grands Dieux quel malheur vient d’arriver icy.
LEANDRE.
Ne le puis-je sçavoir ?
LIDAMANT.
Ne le puis-je sçavoir ? Admirez mon adresse,
Comme* je discourois avecque ma maistresse,
Son pere est arrivé, qui frappe, & nous surprend,
1540 Personne ne respond, & sur l’heure on entend,
Que cedant à l’excez du
courroux* qui l’emporte
Aydé de son valet, il rompt du pied la porte.
Et l’espée à la main, le bon homme est venu,
M'attaquer furieux. De peur d’estre cognu,
1545 N'ayant autre moyen, j’ay tué la chandelle,
Et dans l’obscurité, j’ay sauvé cette belle.
De peur qu’on n’ait dessein de courir apres nous
Je fay le guet icy, conduisez là chez vous.
LEANDRE.
Fabrice le peut faire avec plus d’asseurance
1550 Et nous demeurerons icy pour sa deffence.
LIDAMANT.
Seulle avec un valet & dans ce lieu suspect !
Non ce seroit par trop luy manquer de respect.
Lidamant s’en va.
{p. 113}
Scene V. §
Tomire, Lisis, Fabrice, Lidamant,
Tomire, & Lisis l’espée à la main.
TOMIRE dans la rue.
Si les forces du corps, me manquent, j’ay du
cœur*,
& plus qu’il ne m’en faut pour venger mon honneur.
LIDAMANT l’espée à la main.
1565 Nul ne passe, arrestez.
TOMIRE.
Nul ne passe, arrestez. Attend moy de pié ferme,
Infame, car ta vie est à son dernier terme,
Il faut que je te tuë.
FABRICE.
Il faut que je te tuë. Ah je tremble de peur.
LIDAMANT.
Rejoignons nostre amy qui doit estre en lieu seur.
FABRICE.
Où diable suis-je allé ? j’estois bien las de vivre ?
TOMIRE.
{p. 114}
1570 Où vas-tu traistre ? Ah Dieux, je ne le sçaurois suivre,
Lisis mon mal me presse & ne puis advancer.
LISIS prend Fabrice.
Voicy quelqu’un des siens.
FABRICE pris.
Voicy quelqu’un des siens. Eusse je peu penser
Que mon maistre jamais m’eust delaissé ?
TOMIRE.
Que mon maistre jamais m’eust delaissé ? Qu'il meure,
Le traistre, le pendart, que ce soit tout à l’heure.
FABRICE.
1575 Monsieur, au nom des Dieux ayez pitié de moy.
FABRICE.
Ton nom ? Le Curieux Impertinent, je croy
Si la peur ne me trompe.
TOMIRE.
Si la peur ne me trompe. Infame rend l’espée.
FABRICE presentant son espée.
{p. 115}
Elle ne fut jamais aux combats occupée,
C'est trop peu de l’espée. Ah prenez mon chapeau,
1580 Mon poignard, mon pourpoint, mes chausses, mon manteau,
Et s’il en est besoin, jusques à ma chemise.
TOMIRE.
Es-tu pas le valet ?
FABRICE.
Es-tu pas le valet ? Je parle sans faintise.
TOMIRE.
Du traistre qui ravit, l’honneur de ma maison,
FABRICE.
Ouy Monsieur je le suis, & vous avez raison.
FABRICE,
Son nom ! C'est Lidamant qui loge chez Leandre.
TOMIRE.
Je ne te turay pas, mais je te feray pendre,
FABRICE.
Il faut en quelque lieu qu’il soit l’aller chercher.
TOMIRE.
{p. 116}
Mais Lisis soustiens moy, je ne sçaurois marcher
Je periray plustost que l’affront m’en demeure.
Scene VI. §
Leandre, Florimonde, un valet, Orasie & Nerine, au logis de Leandre, dans l’obscurité.
Leandre vient chez luy avec Florimonde qu’iltient par la main, pensant tenir Orasie, ouvre avec la clef la porte, & Orasie &Nerine, escoutent dans la Chambre de Florimonde, en obscurité.
LEANDRE
1590 De la chandelle hola.
Un valet derriere le Theatre.
De la chandelle hola. Bien Monsieur tout à l’heure.
Orasie dans la Chambre de Florimonde
bas à Nerine.
Escoutons ce que c’est, j’entends du bruit icy.
LEANDRE à Florimonde.
Me voila belle ingratte à la fin esclaircy ?
Pourriez vous soustenir.
Orasie à Nerine,
{p. 117}
Pourriez vous soustenir. C'est avec une femme
Qu'il parle, escoutons le ?
LEANDRE à Florimonde.
Qu'il parle, escoutons le ? N'estre pas une infame ?
1595 Ingratte, desloyalle, inconstante, & sans foy ?
Que me respondrez vous ?
FLORIMONDE bas.
Que me respondrez vous ? Justes Dieux sauvez moy.
LEANDRE à Florimonde.
Est-ce pour ce suject que vous estes venue
Tantost à mon logis ?
ORASIE à Nerine.
Tantost à mon logis ? C'est celle que j’ay veue
Chez luy, c’est elle mesme.
LEANDRE à Florimonde.
Chez luy, c’est elle mesme. Ay-je autre chose à voir ?
1600 Vous voila maintenant ingrate en mon pouvoir.
Voions si vous pourrez rencontrer quelque ruse
Quelle fourbe à present vous servira d’excuse ?
Aurez vous bien le front d’oser me maintenir
Que je me suis trompé ? pourrez vous soustenir
1605 Que cette verité soit fausse comme l’autre ?
Parlez donc respondez car il y va du vostre.
{p. 118}
Mais que pourrez vous dire ? ha miserable jour,
Qui premier alluma le feu de mon Amour.
ORASIE bas à Nerine.
Nerine escoute un peu de quelle hardiesse
1610 Il soustient son amour, & comme il le confesse.
Elle entre en l’obscurité par la porte qui respond dans la Chambre de Leandre.
NERINE,
Que faictes vous Madame ?
ORASIE bas à Nerine.
Que faictes vous Madame ? Ah Nerine je veux
Entrer dans cette Chambre afin d’approcher d’eux
Pour ouïr de plus pres ma sentence derniere.
LEANDRE.
Veut-on pas promptement apporter la lumière ?
Un valet derriere le Theatre.
1615 Je la cherche Monsieur, je m’en vay de ce pas.
FLORIMONDE bas.
S'il l’apporte grands Dieux, que ne dira t’il pas ?
Voyons si je pourrois de ses mains me deffaire.
LEANDRE.
{p. 119}
Respondez, n’ayant rien à dire, il se faut taire.
Florimonde s’eschappe de ses mains & dit bas.
Courage tout va bien, je suis hors de ses mains.
Leandre pensant reprendre Florimonde prend Orasie par le bras, qui se trouve au pres de luy dans la mesme Chambre.
LEANDRE.
1620 Vous pensez eschaper mais vos efforts sont vains.
FLORIMONDE bas.
Ah Dieux, si je pouvois trouver la porte ouverte.
LEANDRE.
Mais que gagneriez vous ? la fourbe est decouverte,
Non non, ne craignez rien, je seray trop vangé
Quand je vous convaincray de m’avoir outragé,
1625 La chandelle venant vous n’aurez plus d’excuse,
Je veux que vous soyez entierement confuse,
Et mesme vous oster le pouvoir de mentir.
ORASIE bas.
Je ne veux dire mot, il m’a prise pour elle,
1630 Quand on apportera tantost de la chandelle,
Et qu’il me cognoistra, Dieux qu’il sera surpris,
{p. 120}
Voyant qu’il parle à moy.
FLORIMONDE bas.
Voyant qu’il parle à moy. J'ay repris mes esprits,
Quel
heur* pour moy d’avoir trouvé la porte ouverte.
Sans cela j’estois morte, & courois à ma perte.
Elle entre dans sa Chambre & ferme la porte.
1635 Me voicy maintenant en lieu de seureté.
LEANDRE.
Seray-je encor long temps en cette obscurité ?
De la chandelle hola.
Un valet apporte de la chandelle.
De la chandelle hola. Monsieur, je vous l’apporte.
LEANDRE.
Sors promptement d’icy. Je vay fermer la porte.
Le valet sort & Leandre va fermer la porte.
ORASIE bas.
Dieux qu’il sera surpris à l’heure qu’il verra
1640 Que c’est à moy qu’il parle, & qu’il me cognoistra.
LEANDRE.
Et bien perfide, & bien desloyalle Orazie !
Est-ce une illusion que cette jalousie ?
Vous estes innocente, & vous avez raison.
Non, vous n’avez commis aucune trahison ?
1645 Vous n’avez point trompé Leandre qui vous ayme,
Mais peut-estre ay-je tort, & ce n’est pas vous mesme
{p. 121}
Non, non, c’estoit un autre à qui je m’adressois,
Je me suis abusé Madame cette fois
Je me trompe sans doute & vous pren pour un autre.
ORASIE.
1650 Dieux ! c’est un procedé merveilleux que le vostre.
Quoy ! ne vous troubler point en cette occasion ?
Me voir d’un sens rassis, & sans confusion ?
Parler avec ce front, avec cette impudence ?
LEANDRE.
Ouy je me prens à tort à la mesme innocence ?
1655 Vous devez me blasmer. Car j’y procede mal
De vous livrer moy mesme aux mains de mon rival.
ORASIE.
Je devois en effect me plaindre la premiere
Leandre, cette ruse est un peu trop grossiere,
Vous voyant convaincu, dites moy de quel front
1660 Osez vous maintenant paslier cet affront ?
Vous voir entre mes bras lors que vous pensiez estre
Entre les bras d’un autre, & me faire paroistre
Que c’est illusion, & que c’est en effect
Moy que vous surprenez à present sur le fait ?
1665 Et ce qui fonde mieux cette surprise extresme
{p. 122}
Feindre parler à moy
comme* estant elle mesme.
LEANDRE.
Voyez avec quel front cette infidelle ment.
Ah je perds de tout point icy le jugement,
J'estois avec un autre impudente effrontée ?
ORASIE.
1670 A quoy bon ce discours ? la mine est esventée,
Mon oreille & mes yeux m’ont dit la verité.
LEANDRE.
Voyez la trahison, voyez la lacheté,
Mais cette femme encor qu’est elle devenue ?
Comment a t’elle peu disparoistre à ma veue.
ORASIE
1675 Pourquoy demandez vous ce que vous sçavez bien ?
LEANDRE
Cette fourbe est grossiere, & ne vous sert de rien.
Parlons avec raison, dites moy je vous prie,
Avez vous bien encor assez d’effronterie,
De vouloir devant moy nier impudemment,
1680 Que
comme* vous estiez avecque Lidamant,
Vostre pere arrivant, vous a traittez de sorte
Qu'à tous deux il a fait soudain gaigner la porte ?
{p. 123}
Que Lidamant n’a pas luy mesme eu le soucy
De vous mettre en mes mains pour vous
conduire* icy ?
1685 Dites que j’ay menti, que j’ay peu me mesprendre
Qu'il est faux que je sois,
ORASIE.
Qu'il est faux que je sois, Vous me raillez Leandre !
Quels contes fabuleux icy me faites vous ?
A moy qui dès ce soir n’a point esté chez nous ?
Dire que vous m’avez en ces lieux amenée,
1690 Moy qui chez vostre sœur ay passé la journée,
Exprez pour m’esclaircir, & voir ce que je voy.
LEANDRE frappe à la porte de sa sœur.
Nous le sçaurons bien tost, Florimonde ouvrez moy.
FLORIMONDE, ouvre, entre, & dit bas.
Il faut dissimuler,
LEANDRE.
Il faut dissimuler, Est-il vray qu’Orasie
Estoit avecque vous ?
FLORIMONDE.
Estoit avecque vous ? Dieux quelle frenesie,
1695 Orasie avec moy ! mais pour quelle raison ?
Je devois dans deux jours aller à sa maison,
Comme vous m’avez dit tantost pour cette affaire
{p. 124}
Dont vous m’avés parlé, mais elle pour quoy faire,
Venir en mon logis.
ORASIE.
Venir en mon logis. Quoy pouvez vous nier
1700 Que je sois arrivée icy pour vous prier
De demeurer
ceans* ? & que vous ?
FLORIMONDE l’interrompant.
De demeurer ceans* ? & que vous ? Ces paroles
Mon frere, ne sont rien que des contes frivoles.
Tout ce qu’elle vous dit est faux asseurement.
LEANDRE.
Et bien que dites vous, voyez vous pas comment
1705 On vous manque à present, Icy de garantie ?
Voyons si vous avez aucune repartie,
Ma sœur ne songe à vous en aucune façon,
Et d’elle vous voulez me donner du soubson,
Et par un procedé qui n’est pas legitime,
1710 Vous la faites tremper mesme dans vostre crime,
Mais je la cognoist bien je sçay bien quelle elle est.
FLORIMONDE bas à Orasie.
Pardonnez chere Amy, icy mon interest,
Doit marcher le premier.
ORASIE.
{p. 125}
Doit marcher le premier. Je commence à comprendre
L'affaire comme elle est. Escoutez moy Leandre.
1715 Madame asseurez vous, que je n’oubliray rien,
Gardez vostre interest je garderay le mien.
Puisque la verité se depeint toute nuë,
Il faut qu’en cét estat elle vous soit cognuë,
Je veux declarer tout, & parler franchement.
NERINE.
1720 Quelqu’un frappe à la porte.
LIDAMANT derriere le Theatre.
Quelqu’un frappe à la porte. Ouvrez.
LEANDRE.
Quelqu’un frappe à la porte. Ouvrez. C'est Lidamant
Nous sçaurons maintenant le nœu de cette affaire
FLORIMONDE bas.
Tout est perdu l’on va descouvrir le mistere,
Qui pourroit l’advertir du danger où je suis.
Rentrons, Dieux je retombe en un gouffre d’
ennuis*.
Elle entre dans sa Chambre.
{p. 126}
Scene VII. §
Lidamant, Leandre, Orasie, Florimonde.
LIDAMANT.
1725 De crainte que quelqu’un vous suivist dans la ruë,
J'ay demeuré derriere, & bien qu’est devenue
La beauté que je viens de mettre entre vos mains.
LEANDRE luy montrant Orasie qui se cache.
Lidamant la voila, mais vos projets sont vains,
Si vous la pretendés. Car je perdray la vie,
1730 Avant que de souffrir qu’elle me soit ravie,
Elle est entre mes mains & j’en suis possesseur.
LIDAMANT.
Ce procedé Leandre est-il d’homme d’honneur ?
Voyez à quel amy justes Dieux, je me fie ?
M'user d’une si lasche, & noire perfidie ?
1735 Si vous ne me rendez, mais je dis au plustost,
La Dame que je viens de vous mettre en depost,
Nous romprons je vous jure, & nous aurons querelle.
LEANDRE luy monstrant Orasie.
Est-ce cette beauté.
LIDAMANT.
{p. 127}
Est-ce cette beauté. Non non, ce n’est point elle,
Gardez bien celle-là, je ne la cognoy point.
LEANDRE
1740 Mes sens sont à ce coup interdis de tout point,
Je suis tout hors de moy.
LIDAMANT.
Je suis tout hors de moy. Comme avez vous l’audace,
De vouloir
supposer* cette Dame en sa place ?
Dites qui vous oblige à me traitter ainsi ?
Sy c’est que vous ayez d’autre dessein icy,
1745 Parlez moy clairement Leandre je vous prie,
Ce procedé vers moy passe la raillerie.
Comme* Florimonde escoute à la porte de sa chambre ce qu’on dit, Orazie la surprend & l’emmeine.
ORASIE prenant Florimonde par le bras.
Je m’en vais à tous deux remettre les esprits,
Est-ce pas là l’object dont vous estes espris ?
Lidamant respondez.
LIDAMANT.
Lidamant respondez. Vous mocquez vous Leandre ?
1750 Qui vous peut obliger à me vouloir surprendre ?
Si celle que je cherche & que j’aime est icy ?
Car en effect voila la beauté que j’adore.
{p. 128}
ORASIE à Leandre.
Et bien Leandre, & bien, me direz vous encore,
1755 Qu'elle ne songe à rien, qu’elle ne sçait que c’est,
Je fais ici premier marcher mon interest.
LEANDRE l’espée à la main.
Veilley-je ! ou si je dors ? infame cette espée
Au deffaut d’un poignard dedans ton sang trempée,
Me vengera bien tost, d’une perfide sœur,
1760 Il faut oster la vie, à qui m’oste l’honneur.
FLORIMONDE en fuyant.
Sauvez moy Lidamant.
LIDAMANT retenant Leandre.
Sauvez moy Lidamant. Dieux ? que viens-je d’entendre ?
Comment donc ? cette Dame est vostre sœur Leandre ?
LEANDRE.
Ouy qui me doit payer un si sanglant affront,
LIDAMANT l’espée à la main.
Moderez vous un peu ne soyez pas si pront
1765 Je la sers, & je doy m’armer pour sa deffense.
LEANDRE.
{p. 129}
Son sang, ou je mouray, lavera cette offence
Sçachant bien qui je suis, vous imaginez vous,
Qu'aucun la serve à moins que d’estre son espoux ?
LIDAMANT.
Me l’accorderez vous si je vous la demande,
1770 En cette qualité ?
LEANDRE.
En cette qualité ? Quelle faveur plus grande
Pourois-je recevoir au monde, justes Dieux ?
Ma sœur seroit heureuse, & moy trop glorieux.
LIDAMANT à Florimonde.
Donnez moy vostre main puis qu’il plaist à Leandre.
FLORIMONDE.
Mon frere y consentant je ne m’en puis deffendre.