Jean Marie Bernard Clément

Joseph de La Porte

1775

Anecdotes dramatiques [extraits sur Molière]

Édition de Alexandra Dias Vieira
2015
Source : Clément et La Porte, Anecdotes dramatiques, Paris : Veuve Duchesne, 1775 (3 volumes)
Ont participé à cette édition électronique : Frédéric Glorieux (Structuration et encodage TEI).

La fin du XVIIe siècle voit apparaître un genre de l’histoire littéraire moins fréquent aujourd’hui : les anas. Il s’agit de recueil d’anecdotes à propos d’un auteur, qui produisent peu à peu une tradition autonome, avec des reprises et des déformations, jusqu’au début du XIXe siècle. L’étude de ces anecdotes est nécessaire, car elles nourrissent des légendes qui plaisent à la mémoire, au risque de déformer l’image d’un auteur, d’en fausser la lecture et l’enseignement. Molière a été particulièrement bien servi, entre notamment : La Vie de M. de Molière de Grimarest (1705) et le Moliérana, Cousin d’Avalon (1801). Les Anecdotes dramatiques de Clément et Laporte (1775) s’imposent entre les deux comme un recueil très général, sur les auteurs, les acteurs et les pièces, et parfois aussi, les représentations. Alexandra Dias Veira en a tiré ici toutes les anecdotes concernant Molière. Cette compilation était une partie de son travail de Master II (2014), sous la direction de Georges Forestier. En éditant le Moliérana, elle cherchait systématiquement la généalogie de chaque micro-récit. Cette précision a été conservée ici, si bien que les anecdotes les plus reprises sont encadrées de références bibliographiques en ordre chronologique, permettant de retracer la tradition.

Bibliographie §

  • 1667, Perroniana sive excerpta ex ore cardinalis Perronii, Genève.
  • 1693, Ménagiana, ou bons mots, rencontres agréables, pensées judicieuses, et observations curieuses de M. Ménage, Amsterdam.
  • 1694, Les Paroles remarquables, les bons mots, et les maximes des orientaux, Paris.
  • 1694, Arliquiniana ou les bons mots, les histoires plaisantes et agréables recueillies des conversations d’Arlequin, Lyon.
  • 1694, Sorbierana sive execerpta ex ore Samuël Sorbiere, Toulouse.
  • 1695, Valesiana ou les pensées critiques, historiques et morales, et les poésies latines de Monsieur de Valois, Paris.
  • 1699, Parrhasiana ou pensées diverses sur des matières de critique d’histoire, de morale, et de politique, Amsterdam.
  • 1700, Chevraeana, ou diverses pensées d’histoire, de critique, d’érudition et de morale. Recueillies et publiés par Mr Chevreau, Amsterdam, 1700.
  • 1701, Vigneul-Marville : Mélanges d’histoire et de littérature, premier volume, Paris.
  • 1703, Le Naudaeana et Patiniana, ou singularitez remarquables, prises des conversations de Mess. Naude et Patin, Amsterdam.
  • 1704, Furetiriana, ou les bons mots, et les remarques, d’histoire de morales, de critique, de plaisanterie, et d’érudition, de Mr Furetier, Paris.
  • 1705, Grimarest, Sieur de : La Vie de M. de Molière.
  • 1708, Vasconiana ou recueil des bons mots, des pensées les plus plaisantes et des rencontres les plus vives des Gascons, Paris.
  • 1710, Vasconiana ou recueil des bons mots, des pensées les plus plaisantes et des rencontres les plus vives des Gascons, seconde édition augmentée, Paris.
  • 1710, Saint Evremoniana ou recueil de diverses pieces curieuses, avec des pensées judicieuses, de beaux traits d’histoire, et des remarques très utiles de Monsieur de Saint-Evremont, Caen.
  • 1715, Ménagiana, ou les bons mots et remarques critiques, historiques, morales et érudition, de Monsieur Ménage, recueillies par ses Amis, tome premier et second, Paris.
  • 1721, Segraisiana ou mélange d’histoire et de littérature. Recueilli des entretiens de Monsieur de Segrais de l’Académie françoise, Paris.
  • 1722, Baillet, Adrien : Jugemens des savans sur les principaux ouvrages des auteurs, tome cinquième, Paris, 1722.
  • 1723, Huetiana, ou pensées diverses de M. Huet, evesque d’Avranche, Amsterdam.
  • 1723, Segrais : « Memoires, anecdotes de Mr de Segrais », dans Œuvres diverses de M. de Segrais, tome I, Amsterdam.
  • 1730, **** Ana ou bigarrures calotines, Paris.
  • 1730, Anonimiana ou mélanges de poésies d’éloquence et d’érudition, Paris.
  • 1740, Scaligerana, Thuana, Perroniana, Pithoeana et Colomesiana ou remarques historiques, critiques, morales, et littéraire de Jos. Scaliger, J. Aug. De Thou, le cardinal du Perron, Fr. Pithou, et P. Colomiés avec les notes de plusieurs savans, 2 tomes, Amsterdam.
  • 1741, Carpentariana ou remarques d’histoire, de morale, de critique, d’érudition et de bons mots de Mr Charpentier de l’Académie françoise, Paris.
  • 1742, Bolaeana, ou bons mots de M. Boileau avec les poésies de Sanlecque, etc, Amsterdam
  • 1742, « Santoliana, ou les bons Mots de Monsieur de Santeuil », dans La Vie et les bons mots de Monsieur de Santeuil, tome premier, Cologne, p. 29-178.
  • 1754, Longueruana ou recueil de pensées de discours et de conversations, partie I et II, Berlin.
  • 1775, Clément et Laporte : Anecdotes dramatiques, 3 tomes, Paris.
  • 1801, Cousin d’Avalon, Charles-Yves : Moliérana ou recueil d’aventures, anecdotes, bons mots et traits plaisans de Pocquelin, de Molière, Paris.

Anecdotes dramatiques §

Vie de Molière §

Molière (Jean-Baptiste Poquelin, si célèbre sous le nom de) né à Paris en 1620, mort en 1673, était fils et petit-fils de Valet-de-chambre Tapissier du Roi. Il passa quatorze ans dans la maison paternelle, où l’on ne songea qu’à lui donner une éducation conforme à son état. Sa famille, qui le destinait à la charge de son père, en obtint pour lui la survivance ; mais il conçut un dessein fort opposé aux vues de ses parents : il demanda instamment, et on lui accorda avec peine, la permission d’aller faire ses études au Collège de Clermont. Il remplit cette carrière dans l’espace de cinq ans, pendant lesquels il contracta une étroite liaison avec Chapelle*, Bernier* et Cyrano*. Chapelle*, aux études de qui l’on avait associé Bernier*, avait pour Précepteur le célèbre Gassendi*, qui voulut bien admettre Poquelin à ses leçons, comme dans la suite il y admit Cyrano*. Les Belles-Lettres avaient orné l’esprit du jeune Poquelin ; les préceptes du Philosophe lui apprirent à raisonner. C’est dans ses leçons, qu’il puisa les principes de justesse, qui lui ont servi de guide dans la plupart de ses ouvrages.

Le voyage de Louis XIII à Narbonne en 1641, interrompit des occupations d’autant plus agréables pour lui, qu’elles étaient de son choix. Son père, devenu infirme, ne pouvant suivre la Cour, son fils y alla remplir les fonctions de sa charge, qu’il a depuis exercée jusqu’à sa mort ; mais à son retour à Paris, il céda à son étoile, qui le destinait à être Paris parmi le Restaurateur de la Comédie.

Le goût pour les Spectacles était presque général en France, depuis que le Cardinal de Richelieu avait accordé une protection distinguée aux poètes dramatiques. Plusieurs sociétés particulières se faisaient un divertissement domestique de jouer la Comédie. Poquelin entra dans une de ces sociétés, qui fut connue sous le nom de l’Illustre Théâtre. Ce fut alors qu’il changea de nom, pour prendre celui de Molière, soit par égard pour ses parents, qui désapprouvaient cette profession, soit pour suivre l’exemple de plusieurs de ses Camarades. La Béjart, Comédienne de Campagne, se l’associa ; et bientôt liés par les mêmes sentiments, leurs intérêts furent communs : ils formèrent de concert une Troupe, et partirent pour Lyon. On y représenta l’Étourdi, qui enleva presque tous les Spectateurs au Théâtre d’une autre Troupe de Comédiens établis dans cette ville. Quelques-uns d’entre eux prirent parti avec Molière, et le suivirent en Languedoc, où il offrit ses services au Prince de Conti*, qui tenait à Béziers les États de la Province. Ce Prince avait connu Molière au Collège, et s’était amusé à Paris des représentations1 de l’Illustre Théâtre, qu’il avait plusieurs fois mandé chez lui. L’Étourdi reparut à Béziers avec un nouveau succès ; le Dépit Amoureux et les Précieuses Ridicules y entraînèrent tous les suffrages ; on donna même des applaudissements à quelques Farces, qui, par leur constitution irrégulière, méritaient à peine le nom de Comédies, telles que le Docteur amoureux, les Trois Docteurs Rivaux, etc. Molière les a probablement supprimées, parce qu’il sentit qu’elles ne pourraient lui acquérir le degré de réputation auquel il aspirait. Dans les fréquents voyages qu’il fit à Paris, où il avait dessein de se fixer, il eut accès auprès de Monsieur, qui le présenta au Roi et à la Reine mère. Il joua en présence de leurs Majestés, et obtint la permission de jouer dans la Salle des Gardes du vieux Louvre, et ensuite dans celle du Palais Royal. Enfin sa Troupe fut arrêtée au service du Roi en 1665 ; et ce fut alors, que l’on vit règne le vrai goût de la Comédie sur le Théâtre Français.

 

Les Pièces de Molière sont l’Étourdi, le Dépit amoureux, les Précieuses ridicules, le Cocu imaginaire, Dom-Garcie de Navarre, l’École des maris, l’École des femmes, les Fâcheux, la Critique de l’École des femmes, l’Impromptu de Versailles, la Princesse d’Élide, le Mariage forcé, le Tartuffe, le Festin de Pierre, l’Amour médecin, le Misanthrope, le Médecin malgré lui, Mélicerte, le Sicilien, Amphytrion, George-Dandin, l’Avare, Pourceaugnac, les Amants magnifiques, Psyché, le Bourgeois Gentilhomme, les Fourberies de Scapin, les Femmes Savantes, la Comtesse d’Escarbagnas, et le Malade imaginaire. Molière avait encore composé, pour la Province et pour Paris, plusieurs petites Farces, comme le Docteur amoureux, le Docteur pédant, les Trois Docteurs Rivaux, le Maître d’École, le Médecin volant, la Jalousie de Barbouillé, la Jalousie du Gros-René, Gorgibus dans le sac, le Fagoteur, le Grand benêt de Fils, Gros-René petit enfant, etc, qui n’ont pas été imprimées.

Le rang que Molière doit occuper dans l’empire littéraire, est réglé depuis longtemps. Pour juger du mérite de ses ouvrages, il suffit de les comparer avec tout ce que l’antiquité offre de plus parfait dans ce genre. Plus l’examen sera approfondi, plus la supériorité de ce grand homme sera reconnue. Il puisa chez les Anciens les premières notions de l’Art qu’il devait perfectionner : il leur dût ce goût sûr, qui éclaira son génie, et lui fit surpasser tous les modèles. Bientôt il n’en voulut avoir d’autre que son génie même. La Nature et les ridicules de son siècle lui parurent une source inépuisable ; il en tira cette foule de tableaux si différents entre eux, et si ressemblants avec les objets qu’il avait voulu peindre. La Comédie prit une nouvelle forme, et s’anoblit entre ces mains. Il étudia le génie des Grands, les fit rire de leurs défauts, et osa substituer nos Marquis aux Esclaves des Anciens. Ces derniers ne jouaient sur leur Théâtre, que la vie commune et bourgeoise ; Molière joua sur le nôtre la Ville et la Cour. Spectateur philosophe, rien n’échappait à ses regards ; il est peu de condition, où il n’ait pas fouillé, peu de vices dans la société qu’il n’ait repris ; personne enfin n’a si bien connu l’art de trouver le ridicule des choses les plus sérieuses. Il allait le saisir où d’autres ne l’eussent pas même soupçonné. Aussi a-t-il joui d’un avantage bien rare, celui de réformer une partie des abus qu’il attaquait. Le jargon des Précieuses ridicules disparut ; celui des Femmes Savantes devint intelligible. On cessa de turlupiner à la Cour, et de se guinder à la Ville. On vit encore, je l’avoue, des avares et des hypocrites ; c’est qu’un vice est plus difficile à réformer qu’un ridicule, et que souvent on en rougit moins. Il faut convenir cependant que, même dans les chefs-d’œuvre de Molière, on souhaiterait un langage plus épuré, et des dénouements plus heureux. On lui reproche encore de s’être trop occupé du Peuple, dans quelques-unes de ses Comédies ; et ce reproche est fondé ; mais il faut envisager les circonstances. Molière, chef d’une Troupe de Comédiens, avait besoin de plaire à la multitude, sans laquelle une pareille Troupe ne peut vivre : il était même souvent obligé d’amuser la Cour, qui, avec un goût délicat, aime encore plus à rire qu’à admirer. Il faut, d’ailleurs, distinguer les genres : le Médecin malgré lui, Pourceaugnac, les Fourberies de Scapin, etc, ne peuvent entrer en parallèle avec le Misanthrope, le Tartuffe, les Femmes Savantes, etc ; mais plus d’un trait, dans ces première productions, décèle le génie qui enfanta les secondes. Molière, en introduisant le bon goût sur la scène comique, n’avait pu en bannir entièrement le mauvais ; il était obligé d’encenser quelquefois l’idole qu’il voulait renverser. En un mot, il imitait la sagesse de certains Législateurs, qui, pour accréditer de bonnes lois, se soumettent eux-mêmes à d’anciens abus.

Tome I, p. 2 §

Pour n’avoir pas trouvé bonne cette Comédie2, Molière encourut la haine de son Auteur ; et Boulanger en fit imprimer une autre contre lui, intitulée Élomire Hypocondre. Élomire est l’anagramme de Molière.

Tome I, p. 4 §

C’est dans les Dialogues d’Érasme3, que l’auteur a puisé ce qu’il y a de meilleur dans cette Comédie4, où l’on trouve beaucoup de choses qui ressemblent aux Précieuses Ridicules, et aux Femmes Savantes de Molière.

Tome I, p. 33-34 §

1704, Furetiriana, p. 103-105
1705, Grimarest, p. 148-150
1742, Bolaeana, p. 104-105

Racine voulant donner sa Tragédie au public, la lut à Corneille qui lui dit : « Cette Pièce me fait voir en vous de grands talents pour la poésie ; mais ces talents ne sont point pour le Tragique ». Il lui conseilla de s’appliquer à tout autre genre. Corneille n’était point jaloux ; mais il préférait Lucain* à Virgile* ; et c’est de lui que Boileau a dit :

Tel excelle à rimer, qui juge sottement
Tel s’est fait, par ses vers, admirer dans la Ville,
Qui jamais, de Lucain*, n’a distingué Virgile*.

Les Amis de Racine l’avaient assuré de la bonté de sa Pièce ; sur cette confiance, il la fit jouer par la Troupe de Molière ; et la Pièce tomba. Il s’en plaignit à ceux qui lui avaient conseillé de la faire représenter. Votre Pièce est excellente, lui répondirent-ils ; mais vous la donnez à une Troupe qui n’entend que le Comique ; faites-la jouer à l’Hôtel de Bourgogne ; vous verrez quel succès elle aura. Ce conseil fut suivi ; et la Pièce réussit très heureusement. Le parti que prit Racine de faire jouer sa Tragédie sur un autre Théâtre, fut cause que Mademoiselle du Parc*, la meilleure Actrice de la Troupe de Monsieur, la quitta pour passer dans celle de l’Hôtel de Bourgogne ; ce qui mortifia Molière, et fut, entre lui et Racine, la source d’un refroidissement qui dura toujours, quoiqu’ils se rendissent mutuellement justice sur leurs ouvrages.

Un bel esprit se trouvant à un Sermon auprès d’un Abbé, celui-ci faisait des contorsions épouvantables, et des grimaces de désespéré, en répétant sans cesse ces mots : « O Racine, Racine » ! après le Sermon, le bel esprit, curieux de savoir ce qui agitait si fort cet Ecclésiastique, prit la liberté de le lui demander avec l’air de l’intérêt. « Eh ! quoi, Monsieur, lui dit l’Abbé, vous ne savez pas ce qui arriva à Racine au sujet de sa Tragédie d’Alexandre ; il la donna d’abord à la Troupe de Molière ; et elle n’eut pas de succès ; mais l’ayant fait jouer ensuite à l’Hôtel de Bourgogne par d’excellents Acteurs, elle enleva tous les suffrages. Voilà, Monsieur, une partie de ce qui m’arrive à moi-même. C’est moi qui ai composé le Sermon que vous venez entendre ; c’est, au dire des connaisseurs, un discours parfait ; je l’ai donné à débiter à ce bourreau ; voyez quel effet cela produit dans sa bouche ! Mais je ferai comme Racine ; je lui ôterai mon Sermon ; et je le ferai prêcher par quelqu’un qui s’en acquittera mieux que lui ».

1801, Moliérana, 61, p. 99

Tome I, p. 45 §

Benserade* avait attaqué Molière qui résolut de s’en venger, quoique son agresseur fût protégé par un Seigneur de plus haut rang. La Poète Comique s’avisa donc de faire des vers dans le goût de ceux de Benserade*, à la louange du Roi qui représentait Neptune dans une fête, et qu’il plaça à la fin du Prologue des Amants Magnifiques. Il ne s’en déclara point l’Auteur ; mais il eut la prudence de le dire à Sa Majesté. Toute la Cour trouva ces vers très beaux, et, tous d’une voix, les donna à Benserade*, qui ne fit point de façon d’en recevoir les compliments, sans néanmoins se livrer avec trop d’imprudence. Le grand Seigneur qui le protégeait, était ravi de le voir triompher ; et il en tirait vanité, comme s’il avait lui-même été l’Auteur de ces vers. Mais quand Molière eut bien préparé sa vengeance, il déclara publiquement qu’il les avait faits ; ce qui piqua également et Benserade* et son Protecteur.

Tome I, p. 62-63 §

1705, Grimarest, p. 40-42

Molière logeait chez un Médecin, dont la femme, extrêmement avare, voulait augmenter le loyer de la portion de maison qu’il occupait ; sur le refus qu’il en fit, l’appartement fut loué à un autre. Depuis ce temps-là, Molière n’a cessé de tourner en ridicule les Médecins qu’il avait déjà attaqués dans le Festin de Pierre. Il définissait un Médecin : « Un homme que l’on paye pour conter des fariboles dans la chambre d’un malade, jusqu’à ce que la Nature l’ait guéri, ou que les remèdes l’aient tué ». Pour rendre ses plaisanteries plus agréables, dans le jeu de cette Pièce, qui fut d’abord représentée devant le Roi, l’Auteur y joua les premiers Médecins de la cour avec des Masques qui ressemblaient aux personnages qu’il avait en vue. Ces Médecins étaient Messieurs de Fougerais, Esprit, Guenaut et d’Aquin. Comme Molière voulait déguiser leurs noms, il pria son ami Boileau de leur en faire de convenables. Boileau en composa en effet qui étaient tirés du Grec, et qui désignaient le caractère de chacun de ces Messieurs. Il donna à M. de Fourgerais, le nom de Desfonandrés, qui signifie tueur d’hommes ; à M. Esprit, qui bredouillait, celui de Bahis, qui signifie jappant, aboyant. Macraton fut le nom qu’il donna à M. Guenaut, parce qu’il parlait lentement ; et enfin celui de Tomès, qui signifie un Saigneur, à M. d’Aquin5 qui ordonnait souvent la saignée.

1801, Moliérana, 7, p. 38

Tome I, p. 66 §

La Critique de quelques Comédiens de Molière fait la matière du premier Acte, qui n’a presque aucun rapport avec le reste. Un Chevalier railleur dit à un Marquis, zélé partisan de Molière :

Hors Molière, pour vous il n’est point de salut.

Tome I, p. 70-71 §

Boileau n’était pas content de ces deux vers, quoiqu’en dépit de leur irrégularité grammaticale ils aient passé en proverbe :

Le véritable Amphitrion,
Est l’Amphitrion où l’on dîne ;

Il fallait pour l’exactitude, chez lequel on dîne. Rotrou avait dit avant Molière, dans sa Comédie des Sosies :

Point, point d’Amphitrion, où l’on ne dine point.

Quant à l’ouvrage même, qui s’est si fort acquis la faveur du Public, Despréaux ne le goûtait que médiocrement. Il prétendait que le Prologue de Plaute* valait mieux que celui de Molière. Il ne pouvait souffrir les tendresses de Jupiter envers Alcmène, et surtout la Scène où ce Dieu ne cesse de jouer sur le terme d’Époux et d’Amant. Plaute* lui paraissait aussi plus ingénieux dans la Scène et dans le jeu du Moi. Il citait même un vers de Rotrou, qu’il prétendait plus naturel que ces deux-ci qui sont de Molière :

Et j’étais venu, je vous jure,
Avant que je fusse arrivé.

Voici le vers de Rotrou :

J’étais chez nous longtemps avant que d’arriver.

Tome I, p. 71 §

1705, Grimarest, p. 103-104

Madame Dacier6 avait composé une dissertation, pour prouver que l’Amphitrion de Plaute* était fort au-dessus du Moderne ; mais ayant ouï dire que Molière voulait faire une Comédie des Femmes Savantes, elle supprima sa dissertation.

Dans le fort de la dispute de Perrault* et de Madame Dacier sur les Anciens et les Modernes, Bayle disait : « S’il n’y avait qu’à comparer l’Amphitrion de Plaute* avec celui de Molière, pour décider cette dispute, je crois que M. Perrault* gagnerait sa cause. »

1801, Moliérana, 39, p. 69

Tome I, p. 71 §

« J’étais hier à la Comédie, disait une jeune Dame. Je vis jouer l’Amphitrion de Molière. Ah ! Que cette Pièce me fit de plaisir ! Je le crois bien, lui dit une femme aussi vertueuse que spirituelle : cette Comédie est sans doute divertissante : c’est bien dommage qu’elle apprenne à pécher. »

Tome I, p. 72 §

Avant Molière, un Poète Italien, Ludovico Dolce7, avait imité l’Amphitrion de Plaute* dans une Comédie intitulée Il Marito8. Dryden9 a aussi traité le même sujet, et a beaucoup profité de l’Amphitrion de Molière. Madame de Montaigue10 parle d’une autre Pièce, jouée à Vienne, sous le même titre, et dont elle nous a conservé l’idée. « Cette farce, dit-elle, commence par Jupiter qui tombe amoureux d’Alcmène, en lorgnant cette Belle à travers une ouverture de nuages. Mais le plus plaisant est l’usage que ce Dieu fait de sa métamorphose. Au lieu de courir chez sa Maîtresse avec les transports d’un Amant, il fait appeler le Tailleur du Prince, et lui filoute un habit galonné ; il escroque à son Banquier un sac d’argent, à un Juif une bague, etc ; et toute l’intrigue roule sur le chagrin que tous ces gens-là causent au véritable Amphitrion pour les dettes contractées par le Dieu ».

Tome I, p. 155-156 §

Mlle Beauval, Actrice de la Troupe de Molière, devait jouer devant le Roi à Chambord, dans le Bourgeois-Gentilhomme, le rôle de Nicole11. Le Roi, qui n’aimait point cette Actrice, dit à Molière, qu’il fallait donner ce rôle à un autre. Molière représenta respectueusement au Roi, que, la Pièce devant être jouée, dans peu de jours, il était impossible qu’une autre personne pût apprendre ce rôle dans un temps si court. De sorte que Mlle Beauval joua le personnage que Molière fait pour elle, et le joua si bien, qu’après la Pièce, le Roi dit à Molière : Je reçois votre Actrice.

Tome I, p. 128 §

Cette excellente Pièce avait été donnée en 1667 ; mais le même préjugé, dit-on, qui fit tomber Le Festin de Pierre, parce qu’il était en Prose, nuisit au succès de l’Avare. Molière, en homme qui connaissait le monde, donna le temps au Public de revenir, et ne rejoua l’Avare qu’environ un an après. Selon son attente, on vint alors voir avec empressement, ce qu’on avait méprisé peu de temps auparavant.

Tome I, p. 128 §

Cette Comédie a été traduite en plusieurs Langues, et jouée sur plus d’un Théâtre d’Italie et d’Angleterre. La Traduction surtout de M. Filding12, qui eut à Londres, en 1733, plus de trente représentations, passe pour une des meilleures.

Tome I, p. 128 §

M. Riccoboni13, dans ses remarques sur les Comédies de Molière, a prétendu que la première Scène du Second Acte de l’Avare est tirée du Dottor Bachettone, ou Le Docteur Dévot ; mais après des recherches très exactes, il a été démontré que la Pièce Italienne est postérieure aux ouvrages de Molière. Avec une plus grande connaissance de notre ancien Théâtre, M. Riccoboni aurait vu que la Belle Plaideuse, mauvaise Comédie de Boisrobert, avait fourni à notre Poète le Canevas de ces Scènes, où un fils emprunte de l’argent d’un Usurier, et cet Usurier se trouve être son père ; où le père veut donner comme argent comptant des effets de nulle valeur. Il est étonnant que M. Riccoboni qui a cherché des ressemblances entre les Comédies Italiennes et celles de Molière, n’ait pas fait mention d’une Pièce de l’Arioste intitulée Gli Suppositi14, où se trouve le commencement de la sixième Scène du Second Acte de l’Avare.

Tome I, p. 128 §

1704, Furetiriana, p. 103-105
1705, Grimarest, p. 148-150
1742, Bolaeana, p. 104-105

Après que Racine se fut brouillé avec Molière, au sujet de la Demoiselle Du Parc* qu’il enleva à ce dernier, pour la faire entrer à l’Hôtel de Bourgogne, Molière donna son Avare, où Despréaux fut des plus assidus. « Je vous vis dernièrement, lui dit Racine, à la Pièce de Molière ; et vous riiez tout seul sur le Théâtre. Je vous estime trop, lui répondit son ami, pour croire que vous n’y ayez pas ri, du moins intérieurement ».

1801, Moliérana, 61, p. 99

Tome I, p. 129 §

Molière était sujet à un mal de poitrine, qui l’assujettissait à un grand régime, et avait dégénéré en une toux habituelle. C’est à quoi Frosine15 fait allusion dans le second Acte de l’Avare16, en disant à Harpagon17, dont Molière jouait le rôle : « Ce n’est rien ; votre fluxion ne vous sied point mal ; et vous avez grâce à tousser ».

Tome I, p. 129 §

Béjar le Comédien18, qui fut camarade de Molière en Province et à Paris, demeura estropié d’une blessure qu’il avait reçue au pied, en séparant deux de ses amis qui se battaient en duel. Il fut chargé du rôle de la Flêche19 dans la Comédie de l’Avare ; et Harpagon dit de ce Valet, par allusion : « Je ne me plais point à voir ce chien de boiteux-là »20. Ce fut un signal pour les Acteurs de Province ; ils se mirent tous à boiter, non-seulement dans le rôle de la Flêche, mais dans tous ceux que Béjard remplissait à Paris. On substitue aujourd’hui au mot de boiteux, toute autre injure qui vient dans la tête de l’Acteur.

Tome I, p. 155 §

On prétend que Molière a peint le caractère du Bourgeois-Gentilhomme, d’après une personne qui avait à-peu-près le même ridicule ; mais lorsqu’on veut vérifier cette Anecdote, on nomme vingt personnes différentes ; ce qui engage à croire que Molière n’a eu que des vues générales en composant ce personnage.

Tome I, p. 155 §

On disait que le Philosophe de cette Comédie [Le Bourgeois gentilhomme] était copié d’après Rohaut*, quoiqu’ami de l’Auteur, qui fit emprunter son chapeau pour le donner à Du Croissy*.

Tome I, p. 155 §

À la première représentation de cette Pièce[Le Bourgeois gentilhomme], le Roi n’en dit pas un mot ; et tous les courtisans en parlèrent avec le dernier mépris. Le déchaînement était si grand, que Molière n’osait se montrer : il envoyait seulement Baron* à la découverte, qui lui rapportait toujours de mauvaises nouvelles. Au bout de cinq ou six jours, on joua cette Pièce pour la seconde fois. Après la représentation, le Roi, qui n’avait pas encore porté son jugement, dit à Molière : je ne vous ai point parlé de votre Pièce à la première représentation, parce que j’ai appréhendé d’être séduit, par la manière dont elle avait été représentée ; mais en vérité, Molière, vous n’avez encore rien fait qui m’ait mieux diverti, et votre Pièce est excellente. Aussitôt l’Auteur fut accablé de louanges par les Courtisans, qui répétaient, tant bien que mal, ce que le Roi venait de dire à l’avantage de cette Pièce.

1801, Moliérana, 12, p. 43-44

Tome I, p. 156 §

Molière, dans cette même Comédie, a donné, dit-on, le portrait de Mlle Molière*, sous le personnage de Lucile21. Il y a grande apparence que cette Anecdote est vraie ; car ce portrait est très ressemblant à tous ceux qu’on a faits de cette Actrice. Molière l’a placé dans cette Scène si naïve, et si ingénieuse en même temps, où Cléonte22, Amant de Lucile, s’imagine qu’elle lui est infidèle, et se croyant assez fort pour l’oublier, ne peut se résoudre à la trouver laide sur le portrait que lui en fait Covielle23, et prête des charmes à tous les défauts que ce Valet relève dans le portrait de sa Maîtresse.

Tome I, p. 156 §

Lully* ayant traité d’une charge de Secrétaire du Roi du Grand-Collège, alla trouver la compagnie pour se faire recevoir : mais ces Messieurs lui répondirent unanimement, qu’ils ne voulaient point de farceur. Il eut beau leur dire qu’il n’avait jamais représenté sur le Théâtre que trois fois, dans le Bourgeois-Gentilhomme, et cela devant le Roi ; ils furent sourds. Il alla s’en plaindre à M. de Louvois, qui lui dit que les Secrétaires du Roi avaient raison. Quoi ! Monsieur, lui répondit Lully*, si le Roi vous ordonnait, tout Ministre que vous êtes, de danser devant lui, vous le refuseriez ? M. de Louvois ne sachant que lui répondre, lui expédia un ordre qui le fit recevoir.

Tome I, p. 156-157 §

L’ambassadeur de Siam, étant à Paris en 1686, vint à la Comédie Française, et vit jouer le Bourgeois-Gentilhomme. Il comprit tout le sujet de la Pièce, sur ce qu’on lui en expliqua ; et dit à la fin, qu’il aurait souhaité qu’il y eût dans le dénouement de certaines choses qu’il marqua. Il vit aussi l’Avare ; et ce qu’il y eut de surprenant, c’est qu’il dit, pendant la Pièce, qu’il gagerait que la cassette où était l’argent de l’Avare serait prise, et que l’Avare serait trompé.

Tome I, p. 176 §

Le Carnaval : Lorsque cette Mascarade a été représentée sur le Théâtre de l’Opéra, elle a toujours été précédée de quelque autre Divertissement, le plus souvent de l’Eglogue de Versailles, et quelquefois du Ballet de Villeneuve Saint-Georges. Ce Divertissement a paru, pour la première fois, en 1675, pour amuser le Public, après qu’on en eut régalé la Cour.

Tome I, p. 178 §

La Casaque : C’est une de ces petites Farces, que Molière donnait en Province, et qu’il faisait jouer ensuite à Paris après les grandes Pièces.

Tome I, p. 213 §

La Scène cinquième du troisième Acte de cette Pièce [Les Femmes savantes], est l’endroit qui a fait le plus de bruit. Trissotin et Vadius y sont peints d’après Nature. Car l’abbé Cotin* était véritablement l’Auteur du Sonnet à la Princesse Uranie. Il l’avait fait pour Madame de Nemours, et il était allé le montrer à Mademoiselle24, Princesse qui se plaisait à ces sortes de petits ouvrages ; et qui, d’ailleurs, considérait fort l’Abbé Cotin*, jusques-là même, qu’elle l’honorait du nom de son ami. Comme il achevait de lire ses vers, Ménage* entra. Mademoiselle les fit voir à Ménage*, sans lui en nommer l’Auteur. Ménage* les trouva, ce qu’effectivement ils étaient, détestables. Là-dessus, nos deux Poètes se dirent à-peu-près l’un à l’autre, les douceurs que Molière a si agréablement rimées.

1801, Moliérana, 36, p. 64-67

Tome I, p. 213 §

1705, Grimarest, p. 21-23

Un Bourgeois de Paris, qui faisait l’homme d’importance, s’imagina que Molière l’avait pris pour l’original de son Cocu Imaginaire. Il en marqua son ressentiment à un de ses amis : « Comment, lui dit-il, un Comédien aura l’audace de mettre impunément sur le Théâtre un homme comme moi ! »...

« De quoi vous plaignez-vous, répond son ami ? Il vous a peint du beau côté, en ne faisant de vous qu’un Cocu Imaginaire : vous seriez bien heureux d’en être quitte à si bon marché ».

1801, Moliérana, 37, p. 67-68

Tome I, p. 213 ; tome III p. 368 §

Cette petite Comédie est tirée d’une Pièce Italienne, intitulée Il Cornuto per opinione25. Elle fut représentée quarante fois de suite, quoique pendant l’absence de la Cour et en été ; et commença à montrer que Molière perfectionnait de beaucoup son style par son séjour à Paris.

Un nommé Neufvillenaine26 fit imprimer cette Pièce avec un argument à chaque Scène, et la dédia à Molière, en lui disant : Qu’enchanté des beautés de cette Comédie, il s’était aperçu, après y avoir été cinq à six fois, qu’il l’avait retenue par cœur ; que, dans ce même temps, un de ses amis en Province l’ayant prié de lui mander des nouvelles de cette Pièce, il la lui avait envoyée ; mais, quelque temps après, ayant vu qu’il s’en était répandu plusieurs copies très-difformes, il avait pris le parti de la faire imprimer, et de la lui dédier.

 

C’est la même que celle de Molière, avec un argument en prose à chaque Scène. Neufvillenaine, qui se nomme pas, la dédia à Molière, et lui manda qu’enchanté des beautés de cette Pièce, il s’était aperçu, après y avoir été cinq ou six fois, qu’il l’avoir retenue par cœur ; que, dans ce même temps, un de ses amis en Province l’ayant prié de lui donner des nouvelles de cette Comédie, il la lui avait envoyée ; mais quelque temps après, ayant vu qu’il s’en était répandu plusieurs copies très-difformes, tant des vers que de la prose, il avait pris le parti de la faire imprimer, et de la lui dédier.

Tome I, p. 224 §

Cette petite Pièce est une peinture naïve des ridicules de la Province. Bien des gens de goût se récrièrent contre elle ; mais le peuple pour qui Molière l’avait faite, la vie en foule et avec plaisir. Le rôle de la Comtesse était rempli par Hubert*, Acteur si excellent pour ces sortes de caractères de femmes, que les rôles de Mde. Pernelle27, de Mde. Jourdain28, de Mde. de Sotenville29 et celui-ci, furent faits exprès pour lui, par Molière, à ce que l’on prétend.

Tome I, p. 224 §

À la Scène seizième de cette Comédie [La Comtesse d’Escarbagnas], après que M. Thibaudier a lu des vers ; Le Vicomte dit, parlant à la Comtesse.

« Je trouve ces vers admirables, et ne les appelle pas seulement deux strophes, comme vous ; mais deux épigrammes aussi bonnes que toutes celles de Martial*. »

La Comtesse

« Quoi ! Martial, fait-il des vers ? Je pensais qu’il ne fit que des gants »

M.Thibaudier

« Ce n’est pas ce Martial-là, Madame ; c’est un Auteur qui vivait il y a trente ou quarante ans »30.

Ce Martial, qui ne faisait point de vers, était un Marchand Parfumeur, et joignait à cette qualité celle de Valet-de-chambre de Monsieur.

Tome I, p. 225 §

Mde. de Villarceaux31, dont le mari était Amant aimé de Ninon de l’Enclos*, avait un jour beaucoup de monde chez elle. on demanda à voir son fils. Il parut accompagné de son Précepteur. On loua son esprit. La mère voulut justifier les éloges ; elle pria le Précepteur d’interroger son élève sur les dernières choses qu’il avait apprises. Allons, Monsieur le Marquis, dit le grave Pédagogue : Quem habuit successorem Belus Rex assyriorum ? Ninum32, répondit le jeune Marquis. Mde. de Villarceaux, frappée de la ressemblance de ce nom avec celui de Ninon*, ne put se contenir. Voilà, dit-elle, de belles instructions à donner à mon fils, que de l’entretenir des folies de son père. Le Précepteur eut beau protester qu’il n’y entendait point malice ; cette Scène se répandit dans toute la Ville ; il parvint à Ninon* qui en rit longtemps. Molière en fit sa dix-neuvième Scène de la Comtesse d’Escarbagnas.

Tome I, p. 226-227 §

Mlle Molière* rentrait dans sa loge après avoir joué dans cette Comédie33, lorsque le Président Hescot34 du Parlement de Grenoble y entra avec elle. il lui fit des reproches d’avoir manqué au rendez-vous ; la conjura de lui dire en quoi il avait pu lui déplaire ; et la supplia de ne le point traiter comme le plus criminel des hommes, tandis qu’il était le plus amoureux. Ce langage qui avait un air d’intelligence, étonna fort Mlle Molière*, qui ne connaissait pas le Président. Elle répondit sur un ton d’aigreur qui ne fit qu’irriter cet Amant passionné. Enfin, il porta les choses au point de la traiter de la dernière des créatures, et de vouloir lui arracher le collier qu’il disait lui avoir donné. On ferma les portes, les Comédiens accoururent, un Commissaire vint, le Président coucha en prison, et n’en sortit que le lendemain sous caution. Son erreur venait de ce que s’étant ouvert à la Ledoux35 de sa passion pour Mlle Molière*, cette femme l’avait trompé en lui donnant une nommée La Tourelle qui avait une ressemblance parfaite avec Mlle Molière*, et qui avait pris son nom. La Ledoux et La Tourelle furent punies devant la porte de la Comédie.

Tome I, p. 230 §

Il parait que la Princesse d’Élide de Molière a pu fournir le sujet de la Coquette Fixée36.

Tome I, p. 242 §

On trouve dans cette Comédie37 la même plaisanterie de l’Avare de Molière, qui demande à la Flèche à voir ses mains, et qui, après les avoir vues toutes deux, demande encore les autres. Voici comment Chapuzeau38 a mis en œuvre ce trait comique :

Crispin (C’est le Riche Vilain).

Çà, montre moi la main.

Philippin

Tenez,

Crispin

L’autre.

Philippin

Tenez, voyez jusqu’à demain.

Crispin

L’autre

Philippin

Allez la chercher ; en ai-je une douzaine ?

Tome I, p. 255 §

Une Comédie Italienne du Sechi39, intitulée : La Filia creduta Maschio40 fournit à Molière l’idée et le Canevas de cette Pièce, qui est la seconde qu’il ait fait représenter au Théâtre du Petit-Bourbon*. Elle avait été jouée auparavant aux États de Languedoc, tenus à Béziers.

Tome I, p. 270, 271 §

Molière avait fait cette petite Pièce pour les Provinces ; et la donna à Paris, lorsqu’il vint y débuter devant le Roi et toute la Cour. Elle fut jouée après Nicomède. La Tragédie étant achevée, Molière vint sur le Théâtre, et après avoir remercié Sa Majesté en des Termes très modestes de la bonté qu’elle avait eue d’excuser ses défauts, et ceux de toute sa Troupe, qui n’avait paru qu’en tremblant devant une assemblée aussi auguste, il lui dit : « Que l’envie qu’ils avaient eue d’avoir l’honneur de divertir le plus grand Roi du monde, leur avait fait oublier que Sa Majesté avait à son service d’excellents originaux, dont ils n’étaient que de très faibles copies ; mais que, puisqu’elle avait bien voulu de leurs manières de campagne, il la suppliait très-humblement d’avoir agréable qu’il lui donnât un de ces petits divertissement qui lui avaient acquis quelque réputation, et dont il régalait les Provinces ».

Ce Compliment fut fort bien reçu, et la petite Comédie du Docteur Amoureux très applaudie. Molière faisait le Docteur, et la manière dont il s’acquitta de ce personnage, le mit dans une si grande estime, que le Roi donna ses ordres pour établir sa Troupe à Paris.

[…] Le Docteur Amoureux fit renaître la mode de représenter de petites Pièces d’un Acte ou de trois, après celle de cinq. Usage qui était perdu depuis longtemps, et qui a toujours subsisté depuis.

Tome I, p. 270-271 §

Outre Le Docteur Amoureux, Molière avait fait plusieurs autres petites Farces pareilles, comme Les Trois Docteurs Rivaux, Le Maître d’école, etc. On a cru que, dans ces sortes de Pièces, chaque Acteur de la Troupe de Molière, en suivant un plan général, tirait le Dialogue de son propre fond, à la manière des Comédiens Italiens ; mais si l’on en juge par deux Pièces du même genre qui sont parvenues jusqu’à nous, elles étaient écrites et dialoguées en entier. Ces deux Pièces se trouvent dans le Cabinet de quelque curieux. Le grand Rousseau* les avait. C’est Le Médecin malgré lui ; et La Jalousie de Barbouillé qui est un Canevas, quoi qu’informe du troisième Acte de George Dandin.

Tome I, p. 271 §

1742, Bolaeana, p. 31-32

Despréaux ne se lassait pas d’admirer Molière, qu’il appelait toujours le Contemplateur. Il disait que la Nature semblait lui avoir révélé tous ses secrets, du moins pour ce qui regarde les mœurs, et les caractères des hommes. Il regrettait fort qu’on eût perdu la petite Comédie du Docteur Amoureux, parce qu’il y a toujours quelque chose de saillant et d’instructif dans ses moindres ouvrages. Selon lui, Molière pensait toujours juste, mais il n’écrivait pas toujours juste, parce qu’il suivait trop l’essor de son premier feu, et qu’il lui était impossible de revenir sur ses ouvrages.

1801, Moliérana, 62, p. 100

Tome I, p. 271 §

1721, Segraisiana, p. 212-214

Ce furent les Précieuse Ridicules, qui mirent Molière en réputation. La Pièce ayant eu, comme on sait, l’approbation de tout Paris, on la joua à la Cour qui était alors au voyage des Pyrénées, où elle fut très-bien reçue ; et cela anima le courage de l’Auteur. « je n’ai plus que faire, dit-il, d’étudier Plaute* et Térence*, ni d’éplucher les fragments de Ménandre*. Je n’ai plus qu’à étudier le monde. »

1801, Moliérana, 64, p. 100-101

Tome I, p. 272-273 §

Molière joua le rôle de Dom Garcie, et ce fut par cette Pièce qu’il apprit qu’il n’avait point de talent pour le sérieux, comme Auteur. La Pièce et le jeu de Molière furent très mal reçus. Cette Pièce, imitée de l’Espagnol, n’a jamais été rejouée depuis sa chute. La réputation naissante de Molière souffrit beaucoup de cette disgrâce, et ses ennemis triomphèrent quelque temps. Visé* s’en réjouit dans son Mercure Galant41. Dom Garcie ne fut imprimé qu’après la mort de l’Auteur. Molière, comptant sans doute qu’il ne le serait jamais, en tira quelques traits qu’il jugea dignes d’être insérés dans d’autres Pièces. Tels sont des endroits de la cinquième scène de l’Acte second, et la Scène huitième du quatrième Acte du Misanthrope ; et quelques vers de l’Acte second, qui sont dans la sixième Scène de l’Amphitrion.

Tome I, p. 274 §

1705, Grimarest, p. 76-77

Don Quichotte, Comédie, jouée par la Troupe de Molière après le retour de Baron, qui avait quitté cette Troupe, pour se mettre dans celle de campagne de laRaisin. Molière, contre son ordinaire, joua assez mal le principal rôle ; et l’on remarqué que lesDom Quichotteet lesSanchon’ont jamais fait grande fortune au Théâtre.

1801, Moliérana, 72, p. 106-108

Tome I, p. 282 §

L’idée principale de cette Comédie [L’École des femmes] est tirée d’un Livre intitulé : Les Nuits Facétieuses du Seigneur Straparole42, dans une histoire duquel un Rival vient tous les jours faire confidence à son ami, sans savoir qu’il est son Rival, des faveurs qu’il obtient de sa Maîtresse.

Tome I, p. 282-283 §

1705, Grimarest, p. 27-29

L’École des Femmes éprouva dans sa naissance de grandes contradictions. Plapisson43, qui passait pour un grand Philosophe, était sur le Théâtre, pendant la représentation ; et à tous les éclats de rire que le Parterre faisait, il haussait les épaules et regardait le Parterre en pitié ; et quelquefois aussi le regardant avec dépit, il disait tout haut : Ris donc, Parterre, ris Donc. Le Duc de… ne fut pas un des moins zélés. Censeurs de cette Pièce. Qu’y trouvez-vous à redire d’essentiel ? Lui dit un connaisseur. Ah ! Parbleu, ce que j’y trouve à redire est plaisant ? S’écria le Duc : Tarte à la crème. Mais Tarte à la crème, n’est point un défaut, répondit le Bel-esprit, pour la décrier comme vous faites. Tarte à la crème est exécrable, répliqua le Courtisan : Tarte à la crème, bon Dieu ! Avec du sens commun peut-on soutenir une Pièce où l’on ait mis Tarte à la crème ? Cette expression fut bientôt répétée par tout le monde. Molière fit jouer peu de temps après la Critique de l’École des Femmes. La Tarte à la crème n’y fut pas oubliée ; et quoique, ce mot étant devenu proverbe, la raillerie que Molière en fit dans la critique, fût partagée entre ceux qui l’avaient employé ; le Seigneur qui savait en être l’original, fut si vivement piqué d’être mis sur le Théâtre, qu’il s’avisa d’une vengeance aussi indigne d’un homme de sa qualité, qu’elle était imprudente. Un jour qu’il vit passer Molière par un appartement où il était, il l’aborda avec les démonstrations d’un homme qui voulait lui faire caresse. Molière s’étant incliné, il lui prit la tête, et en lui disant : Tarte à la crème, Molière ; Tarte à la crème ; il lui frotta le visage contre ses boutons qui, étant fort durs et fort tranchants, le mirent en sang. Le Roi qui vit Molière le même jour ; apprit la chose avec indignation, et le marqua au Duc d’une manière assez vive.

1801, Moliérana, 40, p. 69-70

Tome I, p. 283-284 §

Mlle Debrie*, grande et bien faite, extrêmement jolie, et bonne Comédienne, était fort aimée de Molière. Elle jouait dans le Tragique, et le noble Comique. Parmi les rôles de ce dernier genre, on cite celui d’Agnès44 de L’École des femmes, qu’elle rendait supérieurement. Quelques années avant sa retraite du Théâtre, ses camarades l’engagèrent à céder son rôle d’Agnès à Mlle Ducroisy ; et cette dernière s’étant présentée pour le jouer, tout le Parterre demanda si hautement Mlle Debrie*, qu’on fut forcé de l’aller chercher chez elle, et on l’obligea de jouer dans son habit de Ville. On peut juger des acclamations qu’elle reçut ; et ainsi elle garda le rôle d’Agnès, jusqu’à ce qu’elle quitta le Théâtre. Elle le jouait encore à 65 ans.

Tome I, p. 284 §

Thomas Corneille* se faisait appeler M. de Lille, apparemment pour le distinguer de son frère. On croit que c’est de lui que Molière a voulu parler dans son École des femmes, lorsqu’il fait dire à Chrysalde :

Quel abus de quitter le vrai nom de ses pères,
Pour en vouloir prendre un bâti sur des chimères !
De la plupart des gens c’est la démangeaison ;
Et, sans vous embrasser dans la comparaison,
Je sais un paysan, qu’on appelait Gros-Pierre,
Qui, n’ayant pour tout bien qu’un seul quartier de terre,
Y fit tout à l’entour faire un fossé bourbeux
Et de Monsieur de L’Île en prit le nom pompeux.45
1801, Moliérana, 11, p. 42

Tome I, p. 284-285 §

Despréaux disait que, lisant à Molière sa satire qui commence par :

D’où vient, cher le Vayer46, que l’homme le moins sage
Pense lui seul avoir la raison en partage,
Et qu’il n’est point de fou qui, par belles raisons,
Ne loge son voisin aux Petites-Maisons, etc.

Molière lui fit entendre qu’il avait eu dessein de traiter ce sujet-là ; mais qu’il demandait à être traité avec la dernière délicatesse : qu’il ne fallait point surtout faire comme Desmarets*, dans ses Visionnaires, qui a justement mis sur le Théâtre des fous des Petites-Maisons. Mais le dessein du Poète Comique était de prendre plusieurs fous de société qui tous auraient des manies pour lesquelles se faire le procès les uns aux autres, comme s’ils étaient moins fous pour avoir différentes folies. Molière avait peut-être en vue cette idée, quand, à la fin de la première Scène de L’École des femmes, il faisait dire d’Arnolphe par Chrysalde :

Ma foi, je le tiens fou de toutes les manières.

Arnolphe dit de son côté de Chrysalde :

Il est un peu blessé sur certaines matières.

Tome I, p. 285 §

Stances de Despréaux à Molière, sur la Comédie de L’École des femmes, que plusieurs gens frondaient.

En vain mille jaloux esprits,
Molière, osent, avec mépris,
Censurer ton plus bel ouvrage
Sa charmante naïveté
S’en va, pour jamais, d’âge en âge,
Divertir la postérité

Que tu ris agréablement !
Que tu badines savamment !
Celui qui sut vaincre Numance,
Qui mit Carthage sous sa loi,
Jadis, sous le nom de Térence*,
Sut-il mieux badiner que toi ?

Ta Muse, avec utilité,
Dit plaisamment la vérité ;
Chacun profite à ton école :
Tout en est beau, tout en est bon ;
Et ta plus burlesque parole
Est souvent un docte Sermon.

Laisse gronder tes envieux :
Ils ont beau crier, en tous lieux,
Qu’en vain tu charmes le vulgaire ;
Que tes vers n’ont rien de plaisant.
Si tu savais un peu moins plaire,
Tu ne leur déplairais pas tant.
1801, Moliérana, 58, p. 95-96

Tome I, p. 285-286 §

Cette petite Pièce [La Critique de l’École des femmes] est le premier ouvrage de ce genre qu’on connaisse au Théâtre ; c’est un Dialogue plutôt qu’une véritable Comédie. Molière y fait autant la satire de ses Censeurs, que l’apologie de L’École des femmes.

Visé* avance un fait, au sujet de la Critique de L’École des femmes, qu’il faut rapporter ici tout faux qu’il parait être. « Nous verrons dans peu, continua Clorante, une Pièce de Molière intitulée : La Critique de l’École des Femmes, où il dit toutes les fautes que l’on reprend dans sa Pièce, et les excuse en même temps ; elle n’est pas de lui, répartit Straton47, elle est de l’Abbé du Buisson, qui est un des plus galants homme de ce siècle. J’avoue, lui répartit Clorante, que cet illustre Abbé en a fait un, et que, l’ayant portée à l’auteur dont nous parlons, il trouva des raisons pour ne la point jouer, encore qu’il avouât qu’elle fût bonne ; cependant, comme son esprit consiste principalement à se savoir bien servir de l’occasion, et que cette idée lui a plu, il a fait une Pièce sur le même sujet, croyant qu’il était seul capable de se donner des louanges ».

Tome I, p. 286-287 §

Cette Pièce [l’École des maris] est la première de cet Auteur, représentée sur le Théâtre du Palais Royal, et la première qu’il ait fait imprimer. Sa qualité de Chef de la Troupe de Monsieur, fut un devoir pour lui de la dédier à ce Prince.

[…] Un conte48 de Bocace* a fourni à Molière l’idée de sa Pièce ; tout le monde sait que, dans ce conte, une femme amoureuse d’un jeune homme, trompe son Confesseur, qui, pensant uniquement remplir les devoirs de son ministère, porte au jeune homme des présents et des billets de sa Maîtresse. Molière a substitué un Vieillard au Confesseur ; et, au lieu d’une femme mariée, il a pris une jeune pupille dont le vieillard amoureux se trouvait le tuteur.

Tome I, p. 288 §

Cette Comédie49 fut précédée d’un Prologue intitulé L’Ombre de Molière50, par l’Auteur de la Comédie, lequel a gardé l’Anonyme, et a fait imprimer L’École du monde, sous le titre de Dialogues en vers. Duchesne a imprimé cette Pièce avec celles de M. l’Abbé de Voisenon51 ; mais il n’y a pas d’apparence qu’elle soit de lui, l’Auteur l’ayant dédiée à Sa femme : à moins cependant que cette dédicace ne soit une feinte.

Tome I, p. 321-322 §

Il y a dans cette Pièce une Scène52, où l’on fait croire à un vieillard, que les Esprits malins se sont emparés de sa maison, Scène que Renard a employée dans son Retour Imprévu53. On trouve aussi, dans la même Pièce, un monologue d’un Avare à qui l’on a pris son argent, dont Molière a profité dans la dernière Scène du quatrième Acte de son Avare. Voici le Monologue de la Rivey54.

Severin seul, regardant sa bourse.

Jésus, qu’elle est légère ! Vierge Marie, qu’est-ce qu’on a mis dedans ? Hélas ! Je suis perdu, je suis détruit, je suis ruiné. Au voleur, au larron ! Prenez-le. Arrêtez tous ceux qui passent. Fermez-les portes, les huis, les fenêtres. Misérable que je suis ! Où cours-je ? À qui le dis-je ? Je ne sais où je suis, que je fais, ni où je vais. (Aux spectateurs) Hélas ! Mes amis, je recommande à vous tous ; secourez-moi, je vous prie ; je suis mort, je suis perdu. Enseignez-moi qui m’a dérobé mon âme, ma vie, mon cœur, et toute mon espérance ? Que n’ai-je un licol pour me pendre ? Car j’aime mieux mourir que de vivre ainsi. Hélas ! Elle est toute vide, vrai Dieu ! Qui est ce cruel qui tout-à-coup m’a ravi mes biens, mon honneur et ma vie ? Ah ! Chétif que je suis : que ce jour m’a été malencontreux ! A quoi veux-je plus vivre, puisque j’ai perdu mes écus que j’avais si soigneusement amassés, et que j’aimais et tenais plus chers que mes propres yeux ? Mes écus que j’avais épargnés, retirant le pain de ma bouche, n’osant manger mon saoul ; et qu’un autre jouit maintenant de mon mal et de mon dommage !55.

Tome I, p. 326-327 §

1705, Grimarest, p. 12-15

C’est la première Pièce régulière que Molière ait donnée au Public. Elle avait d’abord été jouée à Lyon, en 1653. Le Prince de Conti*, devant lequel on la représenta, admira les talents de l’Auteur, et voulut se l’attacher en qualité de Secrétaire ; mais heureusement pour la gloire du Théâtre Français Molière préféra de suivre l’impulsion de son génie.

1801, Moliérana, 2, p. 34-35

Tome I, p. 335 §

M. Fouquet* engagea Molière à composer cette Comédie pour la fameuse Fête qu’il donna, au Roi, et à la Reine Mère56, dans sa maison de Vaux, aujourd’hui appelée Villars. Jamais entreprise de Théâtre ne fut si précipitée ; et la Comédie des Fâcheux fut conçue, faite, apprise, et représentée en quinze jours.

À la première représentation de cette Pièce, dès que la toile fut levée, Molière parut sur le Théâtre en habit de Ville, et, s’adressant au Roi, avec le visage d’un homme surpris, fit des excuses en désordres, de ce qu’il se trouvait là seul, et manquait de temps et d’Acteurs pour donner à Sa Majesté le divertissement qu’Elle semblait attendre. En même temps, au milieu de vingt jets d’eau naturels, s’ouvrit une coquille, d’où sortit une Naïade qui s’avança au bord du Théâtre, et d’un air héroïque, prononça les vers que M. Pélisson* avait faits et qui servent de Prologue.

Tome I, p. 335-336 §

Bien des gens ont cru que Chapelle*, Auteur du Voyage de Bachaumont, avait beaucoup aidé Molière dans ses Comédies. Ils étaient certainement fort amis ; mais on tient de M. Despréaux qui le savait de Molière, que jamais il ne s’est servi d’aucune Scène qu’il eût empruntée de Chapelle*. Il est bien vrai que dans la Comédie des Fâcheux, Molière, étant pressé par le Roi, eut recours à Chapelle* pour lui faire la Scène qu’il eût empruntée de Chapelle*. Il est bien vrai que dans la Comédie des Fâcheux, Molière, étant pressé par le Roi, eut recours à Chapelle* pour lui faire la Scène de Caritidés, que Molière trouva si froide qu’il n’en conserva pas un seul mot, et donna de son chef cette belle Scène que nous admirons dans les Fâcheux. Et sur ce que Chapelle* tirait vanité du bruit qui courut dans le monde qu’il travaillait avec Molière, ce fameux Auteur lui fit dire par M. Despréaux qu’il ne favorisât pas ces bruits-là ; que autrement il l’obligerait à montrer sa misérable Scène de Caritidés, où il n’avait pas trouvé la moindre lueur de plaisanterie. M. Despréaux disait de ce Chapelle*, qu’il avait certainement beaucoup de feu, et bien du goût, tant pour écrire que pour juger ; mais qu’à son Voyage près, qu’il estimait une Pièce excellente, rien de Chapelle* n’avait frappé les véritables connaisseurs, toutes ses autres petites Pièces de Poésies étant informes et négligées, et tombant souvent dans le bas ; témoin ses vers sur l’Éclipse, où il finit par ce quolibet, Gare le Pot au noir : et fait venir, comme par machine, Juste-Lispe, afin de trouver une rime à Éclipse.

Cependant c’était ce même Chapelle* qui donnait le ton à tous les beaux-esprits, comme à tous les ivrognes du Marais ; on prenait son attache pour débiter dans le beau monde des vers prétendus anacréontiques, où régnaient, disait-on, le plus beau naturel et les plus heureuses négligences.

Tome I, p. 336-337 §

[1693] 1715, Ménagiana, tome III, p. 24
1705, Grimarest, p. 26-27

Le Roi, en sortant de la première représentation des Fâcheux, dit à Molière, en voyant passer le Comte de Soyecourt, insupportable Chasseur : voilà un grand original que tu n’as pas encore copié. C’en fut assez : la Scène du Fâcheux Chasseur fut faite et apprise en moins de vingt-quatre heures ; et, comme Molière n’entendait rien au jargon de la chasse, il pria le Comte de Soyecourt lui-même, de lui indiquer les termes dont il devait se servir.

1801, Moliérana, 38, p. 68-69

Tome I, p. 337 §

Cette Farce57 était sans doute le Canevas du Médecin malgré lui, que Molière n’appelait jamais autrement que le Fagoteux.

Tome I, p. 316 §

Corneille dit qu’en travaillant à cette Pièce, il ne fit que céder aux instances de quelques personnes qui avaient tout pouvoir sur lui. Mais un peu d’intérêt aida sa complaisance. On trouve une quittance de Mademoiselle Molière*, en ces termes : je soussigné confesse avoir reçu de Troupe, en deux payements, la somme de deux mille deux cents livres, tant pour moi que pour M. Corneille, de laquelle somme je suis créancière avec ladite Troupe, et dont elle est demeurée d’accord pour l’achat de la Pièce du Festin de Pierre, qui m’appartenait, et que j’ai fait mettre en vers par ledit Sieur Corneille.

Tome I, p. 354 §

Le Silence du Roi sur cette Comédie [Les Femmes savantes], causa à Molière le même chagrin qu’il avait éprouvé au sujet de son Bourgeois Gentilhomme. Car ce ne fut qu’à la seconde représentation, qui fut donnée à Saint Cloud, que Sa Majesté dit à Molière que sa Pièce était très-bonne, et qu’elle lui avait fait beaucoup de plaisir.

Tome I, p. 354 §

1724, Carpentariana, p. 55-56

Molière a joué dans ses Femmes Savantes, l’Hôtel de Rambouillet*, qui était le rendez-vous de tous les beaux-esprits. Molière y eut un grand accès, et y était fort bien venu ; mais lui ayant été dit quelques railleries piquantes de la part de Cotin* et de Ménage*, il n’y mit plus le pied, et joua, comme nous l’avons dit, Cotin* sous le nom de Trissotin, et Ménage sous le nom de Vadius. Cotin* avait introduit Ménage* chez Madame de Rambouillet : ce dernier allant voir cette Dame après la première représentation des Femmes Savantes où elle s’était trouvée, elle ne put s’empêcher de lui dire : Quoi ! Monsieur, vous-souffrirez que cet impertinent de Molière nous joue de la sorte ? Ménage* ne lui fit point d’autre réponse que celle-ci : Madame, j’ai vu la Pièce, elle est parfaitement belle ; on n’y peut rien trouver à redire, ni à critiquer. Si ce récit est vrai, il fait honneur à Ménage*.

1801, Moliérana, 65, p. 101-102

Tome I, p. 355 §

L’Abbé Cotin*, irrité contre Despréaux qui l’avait raillé dans sa troisième satire, sur le petit nombre d’Auditeurs qu’il avait à ses Sermons, fit une mauvaise satire contre lui dans laquelle on lui reprochait, comme un grand crime, d’avoir imité Horace58 et Juvenal59. Cotin* ne s’en tint pas à sa satire ; il publia un autre ouvrage sous ce titre : La Critique désintéressée sur les satyres du temps60. Il y chargea Despréaux des injures les plus grossières, et lui imputa des crimes imaginaires, comme de ne reconnaître ni Dieu, ni Foi, ni Loi. Il s’avisa encore, malheureusement pour lui, de faire entrer Molière dans cette dispute, et ne l’épargna pas, non plus que Despréaux. Celui-ci, ne se vengea que par de nouvelles railleries ; mais Molière acheva de le perdre de réputation, en l’immolant sur le Théâtre, à la risée publique, dans la Comédie des Femmes savantes.

Tome I, p. 355-356 §

cf. 1742, Bolaeana, p. 34

Boileau corrigea deux vers de la première Scène des Femmes savantes, que le Poète Comique avait faits ainsi :

Quand sur une personne on prétend s’ajuster
C’est par les beaux côtés qu’il la faut imiter

Despréaux trouva du jargon dans ces deux vers, et les rétablit de cette façon :

Quand sur une personne on prétend se régler,
C’est par ses beaux endroits qu’il lui faut ressembler ;61

Ce fut aussi Despréaux, à ce que prétendent quelques-uns, qui fournit à Molière l’idée de la Scène des Femmes savantes, entre Trissotin et Vadius. La même Scène s’était passée entre Gilles Boileau, frère du satirique, et l’Abbé Cotin*. Molière était en peine de trouver un mauvais ouvrage pour exercer sa critique, et Despréaux lui apporta le propre Sonnet de l’Abbé Cotin* avec un Madrigal du même Auteur, dont Molière sut si bien faire son profit dans sa Scène incomparable.

Tome I, p. 356 §

Molière fit acheter un des habits de Cotin* pour le faire porter à celui qui faisait le personnage dans sa Pièce.Molière joua d’abord Cotin* sous le nom de Tricotin, que plus malicieusement, sous prétexte de mieux déguiser, il changea depuis en Trissotin, équivalant à trois fois sot. Jamais homme, excepté Montmaur*, n’a tant été turlupiné que le pauvre Cotin*. On fit en 1682, peu de temps après sa mort, ces quatre vers :

Savez-vous en quoi Cotin*
     Diffère de Trissotin ?
     Cotin* a fini ses jours,
     Trissotin vivra toujours.

À l’égard de Vadius, le Public a été persuadé que c’était Ménage*. Et Richelet62, aux mots s’adresser et reprocher, ne l’a pas dissimulé. Ménage* disait à ce sujet : « On dit que les Femmes Savantes de Molière, sont Mesdames de…63 et l’on me veut faire accroire que je suis le Savant qui parle d’un ton doux. Ce sont des choses cependant que Molière désavouait. »

1801, Moliérana, 25, p. 52-53

Tome I, p. 357-359 §

L’auteur de Bolaeana dit, au sujet de cette idée plaisante de Bayle, « je rapportai la chose à M. Despréaux, qui me dit, qu’à la vérité, il aurait fallu marcher un peu sur la cendre chaude ; mais qu’à la faveur des défilés de l’art Oratoire, il se serait échappé d’un pas si délicat. Il n’y a rien, disait-il, dont la Rhétorique ne vienne à bout. Un bon Orateur est un espèce de Charlatan, qui sait mettre à propos du baume sur les plaies. »

Tome I, p. 360-361 §

Cette Comédie a reçu sur le Théâtre plusieurs changements qu’il n’est pas inutile de savoir. Ce sujet fut apporté en France par les Comédies Italiens, qui l’avaient eux-même imité des Espagnols. Tirso de Molina64, Auteur Espagnol, est le premier qui l’a traité sous le titre de El Comvidado de Piedra65, ce qui a été mal rendu en notre langue par le Festin de Pierre : ces paroles signifiant précisément le Convié en un Repas. C’est-à-dire, la Statue de Pierre Conviée en un Repas. Ce qui a fait faire ce changement de titre, c’est qu’en effet la Statue Conviée, représente un Commandeur nommé Don Pedro. Toutes les Troupes de Comédiens ont ajusté ce sujet à leur Théâtre. De Villiers66, Comédien, la traita pour le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne*. Les Italiens la représentèrent aussi à leur manière. Molière la fit paraître en Prose, sur le Théâtre du Palais Royal, avec beaucoup plus de régularité et d’agréments. Dorimond67 mit ensuite le même sujet en vers. Rosimond68 fit encore une autre Comédie sur le même plan pour la Troupe du Marais. Enfin Corneille le jeune* a tourné en vers la Pièce de Molière, en y faisant quelques changements, et supprimant la Scène du pauvre qui demande l’aumône à Don Juan ; elle parut sous cette nouvelle forme, et c’est cette dernière qu’on joue présentement sur le Théâtre Français.

Tome I, p. 360-361 §

Molière a inséré, dans cette Pièce, deux Scènes imitées du Pédant Joué69, Comédie de Cyrano de Bergerac*. Mais lui-même, dans son enfance, en avait fourni l’idée à Cyrano*. Quand on reprochait à Molière cette sorte de plagiat, il répondait : « Ces deux Scènes sont assez bonnes : cela m’appartenait de droit : il est permis de reprendre son bien où on le trouve ». La première Scène des Fourberies de Scapin est faite d’après la première Scène de la Soeur, Comédie de Rotrou70. Voici cette Scène, en partie :

Lélie

O fatale nouvelle et qui me désespère !
Mon oncle te l’a dit, et le tien de mon père ?

Ergaste

Oui

Lélie

     Que pour Eroxène il destine ma foi,
Qu’il doit absolument m’imposer cette Loi ?
Qu’il promet Aurélie aux vœux de Polidore ?

Ergaste

Je vous l’ai déjà dit, et vous le dis encore.

Lélie

Et qu’exigeant de nous ce funeste devoir,
Il nous veut obliger d’épouser dès ce soir ?

Ergaste

Dès ce soir

Lélie

Et tu crois qu’il te parlait sans feinte ?

Ergaste

Sans feinte

Lélie

Ah ! Si l’amour tu ressentais l’atteinte,
Tu plaindrais moins ces mots qui te coûtent si cher,
Et qu’avec tant de peine il te faut arracher.
Et cet avare écho qui répond par ta bouche,
Serait plus indulgent à l’amour qui me touche.

Ergaste

Comme on m’a tout appris, je vous l’ai rapporté ;
Je n’ai rien oublié, je n’ai rien ajouté
Que désiriez-vous plus ? Etc.

Tome I, p. 361 §

Molière, en traitant le sujet bizarre du Festin de Pierre, y avait hasardé quelques traits un peu forts qu’il a retranchés, entre autres celui-ci : Don Juan, dans une Scène avec un pauvre qui lui demandait l’aumône, ayant appris de lui qu’il passait sa vie à prier Dieu71, et qu’il n’avait pas souvent de quoi manger, ajoutait : « Tu passes ta vie à prier Dieu ; il te laisse mourir de faim ! Prends cet argent, je te le donne pour l’amour de l’humanité. »

1801, Moliérana, 93, p. 136-138

Tome I, p. 392-393 §

Cette Pièce est en partie une de ces petites Farces que Molière avait préparées en Province, sous titre de Gorgibus dans le Sac72. Despréaux donna atteinte à cette Pièce, par ces deux vers de son Art Poétique :

Dans ce sac ridicule, où Scapin s’enveloppe,
Je ne reconnais plus l’Auteur du Misanthrope.73

En effet, les gens de goût se récrièrent contre cette Comédie ; mais le Peuple, à qui Molière avait eu intention de plaire, la vit, et la voit encore avec plaisir. Il était même aisé de répondre aux critiques, que Molière a bien su lui-même distinguer les bonnes Pièces d’avec ces espèces de Farces, qu’il était obligé de faire pour déférer au goût de la plus grande partie des Spectateurs, et soutenir son Théâtre.

Tome I, p. 394-395 §

1705, Grimarest, p. 165

Quand Boileau a reproché à Molière,

…......D’avoir à Térence* allié Tarabin :

Il avait principalement en vue, comme on sait, les Fourberies de Scapin, dont la moitié est prise du Phormion de Térence*, et la Scène du Sac empruntée des Farces de Tabarin. On sera peut-être curieux de voir ici l’extrait de deux de ces Farces que Molière connaissait sûrement.

Piphagne, Farce à cinq personnages, en Prose.

Piphagne est un vieillard qui veut épouser Isabelle. Il confie son projet à son Valet, Tarabin, et lui ordonne d’aller acheter des provisions pour le festin des noces. D’un autre côté, Francisquine enferme dans un sac son mari Lucas, pour le dérober à la vue des Sergents qui le cherchent. Elle enferme dans un autre le Valet de Rodomont, qui vient pour la séduire. Sur ces entrefaites, Tabarin arrive pour exécuter sa commission. Francisquine, pour se venger, et de son mari, et du valet de Rodomont, dit à Tabarin que ce sont deux cochons qui sont dans ces sacs, et les lui vend vingt écus. Tabarin prend un couteau de cuisine, délie les sacs, et est fort surpris d’en voir sortir deux hommes. On rit beaucoup de son étonnement : et tous les Acteurs finissent par se battre à coups de bâtons.

Francisquine, seconde Farce.

Lucas veut faire un voyage aux Indes ; mais il est inquiet comment faire garder la vertu de sa fille Isabelle. Il en confie la garde à Tabarin qui promet d’être toujours dessus. Lucas part. Isabelle charge Tabarin d’une commission pour le Capitaine Rodomont, son Amant. Tabarin promet à Rodomont de le faire entrer dans la maison de sa Maîtresse ; et il lui persuade, pour que les voisins ne s’en aperçoivent pas, de se mettre dans un sac. Le Capitaine y consent ; et tout de suite on le porte chez Isabelle. Dans le même temps, Lucas arrive des Indes. Il voit ce sac où est Rodomont ; il le prend pour un ballot de marchandises, et l’ouvre. Il est fort étonné d’en voir sortir Rodomont, qui lui fait croire qu’il ne s’y était caché, que pour ne pas épouser une vieille qui avait cinquante mille écus. Lucas, tenté par une si grosse somme, prend la place du Capitaine, et se met dans le sac. Alors Isabelle et Tabarin paraissent. Rodomont dit à sa Maîtresse qu’il a enfermé dans ce sac un voleur, qui en voulait à ses biens et à son honneur. Ils prennent tous un bâton, battent beaucoup Lucas, qui trouve enfin le moyen de se faire reconnaître ; et la Pièce finit.

1801, Moliérana, 57, p. 94

Tome I, p. 408 §

1705, Grimarest, p. 104-106

Le sujet de cette Pièce [George Dandin] est pris d’un Conte de Bocace*.

Lorsque Molière se préparait à donner cette Pièce, un de ses amis lui fit entendre, qu’il y avait dans le monde un Dandin, qui pourrait se reconnaître dans la Pièce ; et qui était en état, par sa famille, non seulement de la décrier, mais encore de le desservir dans le monde. Vous avez raison, dit Molière à son ami ; mais je sais un moyen sûr de me concilier l’homme dont vous parlez : j’irai lui dire ma Pièce. Au Spectacle, où il était assidu, Molière lui demanda une de ses heures perdues, pour lui faire une lecture. L’homme en question se trouva si honoré de ce compliment, que, toutes affaires cessantes, il donna parole pour le lendemain, et il courut tout Paris pour tirer vanité de la lecture de cette Pièce. Molière, disait-il à tout le monde, me lit ce soir une Comédie ; voulez-vous en être ? Molière trouva une nombreuse assemblée, et son homme qui présidait. La Pièce fut trouvée excellente ; et lorsqu’elle fut jouée, personne ne la faisait mieux valoir que celui qui aurait pu s’en fâcher, une partie des Scènes que Molière avait traitées dans sa Pièce lui étant arrivées. Ce secret de faire passer sur le Théâtre des traits un peu hardis a été trouvé si bon, que plusieurs Auteurs l’ont mis en usage depuis avec succès.

1801, Moliérana, 9, p. 41

Tome I, p. 412 §

Ce titre74 semble indiquer le Canevas de la seconde Scène du troisième Acte des Fourberies de Scapin, où ce dernier fait mettre Géronte75 dans un sac.

Tome I, p. 414 §

Ne serait-ce point ici le modèle76 sur lequel Molière aurait travaillé son Thomas Diafoirus77 du Malade Imaginaire ?

Tome I, p. 452 §

Cette Pièce[ ? ? ?] était une réponse à la critique que Molière avait faite des Comédiens de l’Hôtel de Bourgogne*, dans son Impromptu de Versailles. Beauchâteau et de Villiers y jouaient des rôles sous leurs noms propres.

Tome I, p. 453-454 §

Cette Pièce [L’impromptu de Versailles] est une conversation satyrique dans laquelle Molière se donne carrière contre les comédiens de l’Hôtel de Bourgogne*, et Boursault*, qui avait fait contre lui la Comédie du Portrait du Peintre. Boursault* n’est pas épargné ; il est nommé avec le dernier mépris ; mais ce mépris ne tombe que sur l’esprit et sur les talents ; il avait attaqué Molière par un endroit plus sensible. Ce qui regarde les Comédiens de l’Hôtel de Bourgogne*, peut avoir été dicté par l’esprit de vengeance ; mais du moins le bon goût l’a-t-il réglé, et l’utilité publique en pouvait être l’objet, puisque dans l’imitation chargée du jeu de ces Acteurs, on découvrait le ton faux et outré de leur déclamation chantante.

Tome I, p. 470-471 §

On trouve, dans cette Farce, un Canevas informe du troisième Acte de George Dandin. Le grand Rousseau* avait cette Pièce manuscrite. Voici ce qu’il en dit, dans une lettre à Brossette78.

« Vous me demandez une analyse de la Farce du Barbouillé, cela sera bientôt fait. Le Barbouillé commence par se plaindre des chagrins que lui donne sa méchante femme. Il va consulter le Docteur sur les moyens de la mettre à la raison. Celui-ci parlant toujours, ne lui donne pas le temps de s’expliquer. La femme arrive, et le Docteur, continuant toujours ses tirades, les impatiente l’un et l’autre, au point de lui dire des injures. Entre autres choses, la femme lui dit qu’il est un âne, et qu’elle est aussi Docteur que lui : et le Docteur répond : Toi docteur ? Vraiment je crois que tu es un plaisant Docteur. Des genres, tu n’aimes que le masculin : à l’égard des conjugaisons, de la syntaxe, et de la quantité, tu n’aimes que, etc. Ils s’en vont, hormis la femme qui demeure pour attendre son galant avec qui elle est surprise par le mari qui amène avec lui son beau-père Villebrequin. Elle donne des coups de bâton au Barbouillé, feignant de les donner au galant : son père et elle se tournent contre le mari, qui continue ses invectives. Le docteur met la tête à la fenêtre, et leur fait à tous des réprimandes : il descend pour mettre la paix entre eux : ils se sauvent tous pour se dérober à la volubilité de sa langue ; et le Barbouillé, plus impatienté que les autres, pendant qu’il poursuit ses déclamations, lui attache une corde au pied, et l’ayant fait tomber, le traîne à écorche cul jusques dans la coulisse, avec quoi finit la Comédie. Tout cela est revêtu du style le plus bas et le plus ignoble que vous puissiez imaginer. Il est aisé de voir que ces sortes de Farces n’ont jamais été écrites par Molière ; mais par quelque grossier Comédien de campagne, qui en avait rempli les Canevas à sa manière. On sait assez que ces Farces n’étaient que des Improvisades à la façon des Italiens qui ne pouvaient divertir que par le jeu du théâtre ».

Tome I, p. 506 §

1705, Grimarest, p. 153-155

C’est ici la dernière production de Molière. Le jour qu’il devait représenter le Malade Imaginaire pour la troisième fois, il se sentit plus incommodé qu’à l’ordinaire, du mal de poitrine auquel il était sujet. Il exigea, ce jour-là, de ses camarades, qu’on commençât la représentation à quatre heures précises. Sa femme et Baron* le pressèrent de prendre du repos, et de ne pas jouer. « Hé ! Que feraient, répondit-il, tant de pauvres ouvriers ? Je me reprocherais d’avoir négligé, un seul jour, de leur donner du pain ». Les efforts qu’il fit pour achever son rôle, augmentèrent son mal ; et l’on s’aperçut qu’en prononçant le mot juro, dans le Divertissement du troisième Acte, il lui prit une convulsion. On le porta chez lui dans sa maison, rue de Richelieu, où il fut suffoqué d’un vomissement de sang, le 17 février 1673.

Tome I, p. 506 §

1705, Grimarest, p. 161
1715, Ménagiana, tome I, p. 78

Quand Molière mourut, plusieurs mauvais Poètes lui firent des Épitaphes. L’un d’entre eux alla en présenter une de sa façon au Prince de Condé*, Plût-à Dieu, Monsieur, dit durement le Prince en la recevant, que Molière me présentât la vôtre !

1801, Moliérana, 51, p. 85-86

Tome I, p. 507 §

Deux mois avant la mort de Molière, Despréaux l’étant allé voir, le trouva fort incommodé de sa toux, et faisant des efforts de poitrine qui semblaient le menacer d’une fin prochaine. Molière, assez froid naturellement, fit plus d’amitié que jamais à Despréaux Ce qui engagea Boileau à lui dire : « Mon pauvre Monsieur Molière, vous voilà dans un pitoyable état. La contention continuelle de votre esprit, l’agitation de vos poumons sur votre Théâtre, tout devrait vous déterminer à renoncer à la représentation. N’y a-t-il que vous dans la Troupe qui puisse exécuter les premiers rôles ? Contentez-vous de composer ; et laissez l’action Théâtrale à quelqu’un de vos camarades ; cela vous fera plus d’honneur dans le Public, qui regardera vos Acteurs comme vos Gagistes ; sentiront mieux votre supériorité. Ah ! Monsieur, répondit Molière, que me dites-vous là ? Il y va de mon honneur de ne point quitter. Plaisant honneur, disait en soi-même le Satirique, à se noircir tous les jours le visage pour se faire une moustache de Sganarelle, et à dévouer son dos à toutes les bastonnades de la Comédie » !

Tome I, p. 507-50879 §

Dans le temps que Molière composait le Malade Imaginaire, il cherchait un nom pour un Levrier de la Faculté, qu’il voulait mettre sur le Théâtre. Il trouva un garçon Apothicaire, armé d’une seringue, à qui il demanda quel but il voulait coucher en joue. Celui-ci lui apprit qu’il allait seringuer de la beauté à une Comédienne : « Comment vous nommez-vous, reprit Molière » ? Le Postillon d’Hippocrate lui répondit qu’il s’appelait Fleurant. Molière l’embrassa, en lui disant : Je cherchais un nom pour un personnage tel que vous. Que vous me soulagez, en m’apprenant le vôtre ! Le Clistériseur80 qu’il a mis sur le Théâtre, dans le Malade Imaginaire, s’appelle Fleurant. Comme on sut l’histoire, tous les Petits-Maitres à l’envie allèrent voir l’original du Fleurant de la Comédie. Il fit force connaissances ; la célébrité que Molière lui donna, et la science qu’il possédait, lui firent faire une fortune rapide dès qu’il devint Maître Apothicaire. En le ridiculisant, Molière lui ouvrit la voie des richesses.

Tome I, p. 508 §

Le latin macaronique, qui fait tant rire à la fin de cette même Comédie, fut fourni à Molière par son ami Despréaux, en dînant ensemble avec Mlle Ninon de Lenclos* et Madame de la Sablière.

Tome I, p. 508-509 §

Dans la même Pièce, l’Apothicaire Fleurant, brusque jusqu’à l’insolence, vient, une seringue à la main, pour donner un lavement au malade. Un honnête-homme, frère de ce prétendu malade, qui se trouve là dans ce moment, le détourne de le prendre. L’Apothicaire s’irrite, et lui dit toutes les impertinences dont les gens de sa sorte sont capables. À la première représentation, l’honnête-homme répondait à l’Apothicaire : « Allez, Monsieur, on voit bien que vous n’avez coutume de parler qu’à des culs. Tous les Auditeurs qui étaient à la première représentation, s’en indignèrent ; au-lieu qu’on fut ravi à la seconde d’entendre dire : « Allez, Monsieur, on voit bien que vous n’avez pas coutume de parler à des visages »

Tome I, p. 509 §

Le mari de Mlle Beauval était un faible Acteur : Molière étudia son peu de talent, et lui donna des rôles qui le firent supporter du Public. Celui qui lui fit le plus de réputation alors, fut le rôle de Thomas Diaforius81, dans le Malade Imaginaire, qu’il jouait supérieurement. On dit que Molière, en faisant répéter cette Pièce, parut mécontent des Acteurs qui jouaient, et principalement de Mlle Beauval qui représentait le personnage de Toinette82. Cette Actrice, peu endurante, après lui avoir répondu assez brusquement, ajouta : « Vous nous tourmentez tous ; et vous ne dites mot à mon mari ? J’en serais bien fâché, reprit Molière ; je lui gâterais son jeu. La Nature lui a donné de meilleures leçons que les miennes pour ce rôle ».

Tome I, p. 509-511 §

1705, Grimarest, p. 71-75

Peu de jours avant les représentations du Malade Imaginaire, les Mousquetaires, les Gardes-du-corps, les Gendarmes et les Chevaux-légers entraient à la Comédie sans payer ; et le Parterre en était toujours rempli. Molière obtint de Sa Majesté un ordre, pour qu’aucune personne de la Maison du Roi n’eut ses entrées gratis83 à son spectacle. Ces Messieurs ne trouvèrent pas bon que les Comédiens leur fissent imposer une loi si dure, et prirent pour un affront qu’ils eussent eu la hardiesse de le demander. Les plus mutins s’ameutèrent, et résolurent de forcer l’entrée ; ils allèrent en troupe à la Comédie, et attaquèrent brusquement les gens qui gardaient les portes. Le Portier se défendit pendant quelque temps ; mais enfin étant obligé de céder au nombre, il leur jeta son épée, se persuadant qu’étant désarmé, ils ne le tueraient pas. Le pauvre homme se trompa. Ces furieux, outrés de la résistance qu’il avait faite, le percèrent de cent coups ; et chacun d’eux, en entrant, lui donnait le sien. Ils cherchaient toute la Troupe pour lui faire éprouver le même traitement qu’aux gens qui avaient voulu soutenir la porte ; mais Béjart, qui était habillé en vieillard pour la Pièce qu’on allait jouer, se présenta sur le Théâtre : « Eh ! Messieurs, leur dit-il ; épargnez du moins un pauvre vieillard de soixante et quinze ans, qui n’a plus que quelques jours à vivre ». Le compliment de cet Acteur qui avait profité de son habillement pour parler à ces mutins, calma leur fureur. Molière leur parla aussi très-vivement de l’ordre du Roi ; de sorte que, réfléchissant sur la faute qu’ils venaient de faire, ils se retirent. Le bruit et les cris avaient causé une alarme terrible dans la Troupe. Les femmes croyaient être mortes ; chacun cherchait à se sauver. Quand tout ce vacarme fut passé, les Comédiens tinrent conseil pour prendre une résolution dans une occasion si périlleuse. « Vous ne m’avez point donné de repos, dit Molière à l’assemblée, que je n’aie importuné le Roi pour avoir l’ordre qui nous a mis tous à deux doigts de notre perte ; il est question présentement de voir ce que nous avons à faire ». Plusieurs étaient d’avis qu’on laissât toujours entrer la maison du Roi ; mais Molière, qui était ferme dans ses résolutions, leur dit que, puisque le Roi avait daigné leur accorder cet ordre, il fallait en presser l’exécution jusqu’au bout, si Sa Majesté le jugerait à propos ; et je pars dans ce moment, leur dit-il, pour l’en informer. Quand le Roi fut instruit de ce désordre, il ordonna aux Commandants de ces quatre Corps, de les faire mettre sous les armes le lendemain, pour connaître, faire punir les plus coupables, et leur réitérer ses défenses. Molière, qui aimait fort la harangue, en alla faire une à la tête des Gendarmes, et leur dit, que ce n’était ni pour eux, ni pour les autres personnes qui composaient la Maison du Roi, qu’il avait demandé à Sa Majesté un ordre pour les empêcher d’entrer à la Comédie ; que sa Troupe serait toujours ravie de les recevoir quand ils voudraient les honorer de leurs présence ; mais qu’il y avait un nombre infini de malheureux qui tous les jours, abusant de leurs noms et de la bandoulière de Messieurs les Gardes-du-Corps, venaient remplir le Parterre, et ôter injustement à la Troupe le gain qu’elle devait faire ; qu’il ne croyait pas que des Gentils-hommes qui avaient l’honneur de servir le Roi, dussent favoriser ces misérables contre les Comédiens de Sa Majesté ; que d’entrer au Spectacle sans payer, n’était point une prérogative que des personnes de leur caractère dussent ambitionner, jusqu’à répandre du sang pour se la conserver ; qu’il fallait laisser ce petit avantage qui n’ayant pas le moyen de dépenser quinze sols, ne voyaient le spectacle que par charité. Ce discours fit tout l’effet que l’Orateur s’était promis ; et depuis ce temps-là, la Maison du Roi n’est point entrée gratis à la Comédie.

1801, Moliérana, 4, p. 36

Tome I, p. 518 §

1730, ****Ana, p. 18

Le fameux Comte de Grammont, dont le Comte Hamilton a écrit les Mémoires, a fourni à Molière l’idée de son Mariage Forcé. Ce Seigneur, pendant son séjour à la Cour d’Angleterre, avait aimé Mlle Hamilton. Leur amours mêmes avaient fait du bruit ; il repassait en France sans avoir conclu avec elle ; les deux Frères de la Demoiselle le joignirent à Douvres, dans le dessein de faire avec lui le coup de pistolet. Du plus loin qu’il l’aperçurent, ils lui crièrent : « Comte de Grammont, Comte de Grammont, n’avez-vous rien oublié à Londres ? Pardonnez-moi, répondit le Comte, qui devinait leur intention ; j’ai oublié d’épouser votre sœur ; et j’y retourne avec vous, pour finir cette affaire. »

1801, Moliérana, 3, p. 35

Tome I, p. 518 §

Cette Pièce [Le Mariage Forcé] fut représentée la première fois au Louvre accompagnée d’un Ballet du même titre, où Louis XIV dansa. Elle fut mise en vers par un anonyme, en 1674.

Tome I, p. 532 §

L’Auteur composa cette Farce de plusieurs Fragments des petites Pièces qu’il avait faites et jouées Province, entre autres, du Médecin volant, et du Fagoteux. Le fond du sujet en est tiré d’un ancien Conte ou Fabliau, intitulé : Le Vilain Mire84, qui était manuscrit à la Bibliothèque du Roi, et qui a été imprimé en 1756.

Tome I, p. 533 §

Il y a une anecdote assez plaisante au sujet de la Chanson que chante, dans cette Pièce, Sganarelle : Qu’ils sont doux ! Bouteille, ma mie. M. Roze, de l’Académie Françoise, fit des paroles Latines sur cet air, d’abord pour se divertir, ensuite pour faire une petite malice à Molière, à qui il reprocha d’être plagiaire. Ce reproche donna lieu à une dispute vive et plaisante. Roze soutenait, en chantant les paroles Latines, que Molière les avait traduites en François d’une ancienne épigramme. Voici ces paroles :

     Qudum Dulces
     Amphora amoena !
     Qudum Dulces !
     Sunt tuae voces !
Dum fundis merum in calices ;
Utinam semper esses plena !
Ah ! Ah ! Cora mea lagena,
     Vacua cur jaces ?
1801, Moliérana, 8, p. 39-40

Tome I, p. 533 §

Le Perruquier dont parle Despréaux de son Lutrin, s’appelait Didier l’Amoris85. Sa première femme était une clabaudeuse86 éternelle qu’il savait étriller sans s’émouvoir. Molière a merveilleusement bien peint leur caractère dans la première Scène de son Médecin malgré lui.

Tome I, p. 537 §

Molière n’avait composé que les deux premiers actes de cette Pastorale ; elle fut représentée en cet état à Saint-germain. Guérin*, fils du Comédien de ce nom, acheva cette Pièce en 1699, y joignit des intermèdes, et changea la versification des deux premiers actes, qu’il mit en vers libres et irréguliers. La comparaison n’est pas à son avantage. Il a substitué un bouquet de fleurs au présent du moineau que Mirtil donnait à sa Maîtresse.

Tome I, p. 558 §

C’est la Pastorale de Molière, dont Guérin*, fils du comédien, mit les deux actes en vers lyriques, y en ajouta un troisième et des Intermèdes. Les Comédiens refusèrent cette Pastorale87. La Dlle Raisin prit les intérêts de l’auteur ; et obtint de Monseigneur, un ordre de faire jouer la Pièce.

Tome I, p. 559 §

Le Père Geoffroy88, Jésuite, fit jouer en 1753, au Collège de Louis le Grand, une Comédie intitulée aussi le Misanthrope : mais différente à tous égards de celle de Molière.

Tome I, p. 559 §

Les comédiens avaient jugé peu favorablement du Misanthrope à la lecture, et ne l’avaient reçu que par considération. Ce Chef-d’œuvre étant tombé, Molière le retira. Il le remit au Théâtre un moins après, et le fit précéder du Fagotier ou Médecin malgré lui. Le Fagotier comme il l’avait prévu, eut un si grand succès, qu’on le donna trois mois de suite, mais toujours suivi du Misanthrope. La farce fit écouter la Comédie.

Tome I, p. 559 §

On rapporte un fait singulier, qui peut avoir contribué à la disgrâce de la meilleure Comédie [Le Misanthrope] qui ait jamais été faite. À la première représentation, après la lecture du Sonnet d’Oronte, le Parterre applaudit : Alceste démontre dans la suite de la Scène, que les pensées et les vers de ce Sonnet étaient

De ces colifichets dont le bon-sens murmure.

Le Public confus d’avoir pris le change, s’indisposa contre la Pièce. Despréaux, après en avoir vu la troisième représentation, soutint que cette Comédie aurait bientôt un succès des plus éclatants.

1801, Moliérana, 31, p. 59-61

Tome I, p. 559 §

Les ennemis de Molière voulurent persuader au Duc de Montausier*, fameux par sa vertu austère et sauvage, que c’était lui que Molière jouait dans le Misanthrope. Le duc de Montausier* alla voir la Pièce, et dit en sortant, qu’il aurait bien voulu ressembler au Misanthrope de Molière.

1801, Moliérana, 33, p. 62

Tome I, p. 559-560 §

1705, Grimarest, p. 101

Les faux dévots, irrités de la Comédie du Tartuffe, dont il avait paru trois Actes dès 1664, firent courir dans Paris plusieurs libelles très satyriques contre Molière. C’est à l’occasion du plus outré de ces libelles, qu’il fait dire à son Misanthrope :

Et, non contents encore du tort que l’on me fait,
Il court, parmi le monde, un livre abominable,
Et de qui la lecture est même condamnable
Un Livre à mériter la dernière rigueur, etc.
1801, Moliérana, 49, p. 81-82

Tome I, p. 560-561 §

Boileau racontait que Molière, après lui avoir lu le Misanthrope, lui avait dit : « Vous verrez bien autre chose ». Ce seul mot nous fait regretter que Molière n’ait pas fourni une plus longue carrière.

1801, Moliérana, 41, p. 71-72

Tome I, p. 560-561 §

1742, Bolaeana, p. 151

Il y a dans cette même Comédie un trait que Molière, habile à saisir le ridicule partout où il se trouvait, copia d’après Nature ; et ce fut Boileau qui le lui fournit. Molière voulait le détourner de l’acharnement qu’il faisait paraître dans ses satires contre Chapelain* ; il lui disait que Chapelain* était en grande considération dans le monde ; qu’il était particulièrement aimé de M. Colbert*, et que ses railleries outrées pourraient lui attirer la disgrâce de ce Ministre et du Roi même. Ces réflexions trop sérieuses ayant mis le Poète satirique de mauvaise humeur : « Oh ! Le Roi et M. Colbert* feront ce qu’il leur plaira, dit-il brusquement ; mais à moins que le Roi ne m’ordonne expressément de trouver bons les vers de Chapelain*, je soutiendrai toujours qu’un homme, après avoir fait Pucelle, mérite d’être pendu ». Molière se mit à rire de cette saillie, et l’employa ensuite fort à propos dans la dernière Scène du Second Acte de son Misanthrope.

1801, Moliérana, 34, p. 62-63

Tome I, p. 561 §

Lorsque Molière donna son Misanthrope, il était brouillé avec Racine. Un Flatteur crut faire plaisir à ce dernier, après la première représentation, en lui disant : « La Pièce est tombée ; rien n’est si froid ; vous pouvez m’en croire, j’y étais. Vous y étiez, reprit Racine ; et moi je n’y étais pas. Cependant je n’en croirai rien, parce qu’il est impossible que Molière ait fait une mauvaise Pièce ; retournez-y ; et examinez-la mieux »

1801, Moliérana, 32, p. 61-62

Tome I, p. 561 §

Baron* prétendait que la force et le jeu de la déclamation étaient tels que des sons tendres et tristes, venant à porter sur des paroles gaies et même comiques, n’en excitent pas moins dans l’âme ces émotions douloureuses qui nous arrachent des larmes. On lui a vu faire plus d’une fois l’épreuve d’un effet si surprenant, sur les paroles de cette chanson du Misanthrope, dont Molière oppose le naturel au précieux du Sonnet d’Oronte89 :

Si le Roi m’avait donné
Paris sa grand’Ville, etc.90

Baron* prenant ces tons de douleur et de sentiment qu’il avait si fort à sa disposition, ses yeux se remplissaient de pleurs ; les sanglots lui coupaient la voix ; on sentait de la difficulté à se refuser à l’espèce nouvelle de cette fiction intéressante. La Nature se trouvait surprise ; et dans cette illusion d’un art porté à sa perfection ; il eût été mal-aisé que les ris, s’il en eût échappé, n’eussent pas été comme forcés.

Tome I, p. 561 §

Angelo, Docteur de l’ancienne Troupe Italienne, disait à Molière, qu’il avait vu représenter à Naples une Pièce intitulée : Le Misanthrope. Il lui en rapporta le sujet, et même quelques endroits particuliers, qui lui avaient paru remarquables ; entre autres, le caractère d’un homme de Cour fainéant, qui s’amuse à cracher dans un puits pour faire des ronds. Molière l’écouta avec beaucoup d’attention ; et, quinze jours après, Angélo fut surpris de voir dans l’affiche de la Troupe de Molière, la Comédie du Misanthrope annoncée et promise ; et trois semaines, ou tout au plus tard un mois après, on représenta cette Pièce.

Tome II, p. 7-8 §

Brécourt* a été un bon Comédien dans le Tragique et dans le comique. Après avoir joué Antiochus91 dans la Tragédie de Bérénice92, il représentait le rôle de Colin93 dans la petite Comédie de La Noce de Village94. Cet Acteur jouant d’original le rôle d’Alain95, dans L’École des femmes, fit dire à Louis XIV, charmé de son jeu : Cet homme-là ferait rire une pierre.

Tome II, p. 41 §

Cette Pastorale96 faisait partie du Ballet des Muses, donné à Saint Germain devant Louis XIV, par Benserade*, et dont elle formait la troisième entrée. Le peu de succès de cette Pièce, ainsi que de celle de Mélicerte, ne fit pas jouer un rôle bien brillant à Molière dans cette Fête.

Tome II, p. 93-94 §

Lorsqu’on reprochait à Molière d’avoir donné cette farce [Monsieur de Pourceaugnac], il répondait qu’il était Comédien aussi bien qu’Auteur, et qu’il fallait qu’il consultât l’intérêt de ses Acteurs aussi bien que sa propre gloire. C’était aussi la réponse que le célèbre Shakespeare, chez les Anglais, pouvait faire à la plupart de ses critiques.

1801, Moliérana, 88, p. 132

Tome II, p. 94 §

La Troupe de Molière fit doubler, pour la première fois, à la seconde représentation de cette Pièce[Les Précieuses ridicules], le prix ordinaire des places, qui n’était alors que de dix sols au Parterre.

Tome II, p. 95 §

1693, Ménagiana, p. 278 (reprise en 1715 : tome I, p. 251-252 ; tome II, p. 65)
1705, Grimarest, p. 19-20

Tout l’Hôtel de Rambouillet* se trouva à la première représentation des Précieuses ridicules : La Pièce fut jouée avec un applaudissement général. Au sortir de la Comédie, Ménage* prenant Chapelain* par la main : « Monsieur, lui dit-il, nous approuvions, vous et moi, toutes les sottises qui viennent d’être critiquées si finement et avec tant de bon-sens ; mais croyez-moi, pour me servir de ce que Saint Rémi dit à Clovis : il nous faudra brûler ce que nous avons adoré, et adoré ce que nous avons brûlé. »

1801, Moliérana, 13, p. 44

Tome II, p. 95 §

1705, Grimarest, p. 20

Un jour qu’on représentait les Précieuses Ridicules, un vieillard s’écria du milieu du Parterre : « Courage, Molière ; voilà la bonne Comédie. »

1801, Moliérana, 14, p. 44-45

Tome II, p. 95-96 §

Depuis 1673, année dans laquelle la France perdit Molière, on ne vit pas, dit M. de Voltaire dans ses Questions sur l’encyclopédie, une seule Pièce supportable, jusqu’au Joueur du Trésorier de France Renard ; et il faut avouer qu’il n’y a eu que lui seul, après Molière, qui ait fait de bonnes Comédies en vers. La seule Pièce de caractère qu’on ait eu depuis lui, a été le Glorieux de Destouches97, dans laquelle tous les personnages ont été généralement applaudis, excepté malheureusement celui du Glorieux, qui est le sujet de la Pièce. Rien n’étant si difficile que de faire rire les honnêtes gens, on se réduisit à donner des Comédies romanesques, qui étaient moins la peinture fidèle des Ridicules, que des essais de Tragédie bourgeoise. Ce fut une espèce bâtarde, qui, n’étant ni comique, ni tragique, manifestait l’impuissance de faire des Tragédies et des Comédies. Cette espèce cependant avait un mérite, celui d’intéresser ; et dès qu’on intéresse, on est sûr du succès. Quelques Auteurs joignirent aux talents que ce genre exige, celui de semer leurs Pièces de vers heureux. Voici comme ce genre s’introduisit.

Tome II, p. 102-103 §

Cette Pièce faisait partie des Fêtes superbes que Louis XIV, dans son nouveau Palais de Versailles, donna à la Reine sa mère, et à Marie-Thérèse, son épouse, sous le titre des Plaisirs de l’Isle enchantée. Ces fêtes offrirent, pendant sept jours, tout ce que la magnificence et le bon goût du Prince, le génie et les talents de ceux qui le servaient, pouvaient enfanter de plus merveilleux et de plus varié. L’Italien Vigarani98, un des plus ingénieux Décorateurs et des plus surprenant Machinistes de son temps ; le célèbre Lully*, qui annonça, dans cette Fête, les charmes de sa Mélodie ; le Président de Périgny99, chargé des vers consacrés aux Éloges des Reines ; Benserade*, si connu par son talent de lier la louange du personnage dramatique avec celle de l’Acteur ; Molière enfin, qui fit les honneurs de la Seconde journée par sa Princesse d’Élide, et ceux de la sixième par un essai des trois premiers actes de Tartuffe ; tout cela rendit cette Fête une des plus éclatantes de l’Europe. Louis XIV n’avait donné à Molière que très peu de temps pour le spectacle qu’il lui demandait ; aussi ce Poète eut-il recours aux ouvrages d’un autre, pour y puiser une idée ; et c’est d’Augustin Moreto, Auteur Espagnol, qu’il emprunta la fable de La Princesse d’Elide. Ce fut même, de sa part, une galanterie assez fine, de présenter à deux Reines, Espagnoles de naissance, l’imitation d’un des meilleurs ouvrages de Théâtre de leur Nation. Il fut si pressé, qu’il ne pût mettre en vers que le premier Acte et la moitié de la première Scène du second. Cette Comédie, ainsi que Psyché, fut traduite en Italien par Riccoboni, qui les fit jouer dans son pays avant de venir en France.

Tome II, p. 109 §

Molière ne put faire que le premier Acte, la première scène du Second, la Premier du troisième, et les vers qui se récitent dans le Prologue. Le temps pressait : Pierre Corneille se chargea du reste de la Pièce : il voulut bien s’assujettir au plan d’un autre, et ce génie mâle, que l’âge rendait sec et sévère, s’amollit pour plaire à Louis XIV. L’Auteur de Cinna fit, à soixante-cinq ans, cette déclaration de Psyché à l’Amour, qui passe encore pour un des morceaux les plus tendres et les plus naturels qui soient au Théâtre. Toutes les paroles qui se chantent sont de Quinault*. Lully* composa les airs et les paroles de la Plainte Italienne. Voyez Pirame de la Serre.

Tome II, p. 109-110 §

Baron, fils du fameux Baron*, Comédien, l’était lui-même, et assez médiocre. Il avait ce que les Comédiens appellent l’emploi des grands Amoureux, tragique et comique. Il était froid ; cependant il eut une fois, en sa vie, de la chaleur dans un rôle. On avait remis Psyché. Mademoiselle Desmares100, qu’il aimait, et dont il était adoré, jouait le rôle de Psyché ; lui, celui de l’Amour, qu’il rendit avec tant de vivacité, qu’il donna de la jalousie à feu M. Le Régent101, dont Mademoiselle Desmares était la Maîtresse. Le Prince s’en plaignit. Mademoiselle Desmares avoua sa passion extrême pour Baron ; et elle rompit, pour ce dernier, avec son Altesse Royale.

Tome II, p. 110 §

La superbe Salle des Machines, construite par les sieurs Ratabon102 et Vigarani103 au Château des Tuileries, ne servit qu’aux seules représentation de Psyché, et fut abandonnée jusqu’en 1716. On en fit usage alors pour les Ballets, dont on amusa la jeunesse de Louis XV. C’est la même qui servit à recueillir l’Opéra après son incendie, et dans laquelle nous voyons aujourd’hui les Comédiens de la Nation.

Tome II, p. 110 §

M. de la Motte104 disait que le Roman de Psyché par la Fontaine, est un sujet propre à produire un Spectacle magnifique, où la Terre, les Cieux et les Enfers peuvent offrir ce qu’ils ont de plus varié, et que ce sujet eût pu seul lui faire inventer l’Opéra.

Tome II, p. 120 §

Cette Pièce, très ancienne en Italie, est tirée d’une Comédie Espagnole, intitulée Desdein con le Desdein, d’Augustin Moreto105. C’est de cette dernière, que Molière a pris l’idée de la Princesse d’Elide ; et plusieurs Poètes modernes ont plus d’une fois employé cette situation. M. de Marivaux surtout, en a très bien profité dans l’Heureux Stratagème.

Tome II, p. 169 §

Molière, bien moins satisfait que personne, des deux ouvrages qu’il avait joints au Ballet des Muses, donné par Benserade* à Saint-Germain-en-Laye en présence de Sa Majesté, travailla à réparer son honneur dans la reprise qu’on devait faire de ce même Ballet, en composant la Comédie du Sicilien, pour la mettre à la place de la Pastorale Comique et de Mélicerte. Le succès de la nouvelle Pièce vengea notre Poète des airs avantageux qu’avait pris Benserade* avec lui depuis la Pastorale Comique. Voyez les Amants Magnifiques. Voyez la Pastorale Comique.

Tome II, p. 169-170 §

C’est dans la troisième Scène du Sicilien, plaisamment imaginée pour procurer à Adraste le moment de prendre ses mesures avec Isidore, que l’on trouve cette phrase passée en proverbe, assassiner, c’est le plus sûr. M. de Voltaire, dans ses Questions sur l’Encyclopédie, prétend que « Molière a risqué, en plaisantant, cette maxime ; mais que M. Rousseau de Genève dit très sérieusement la même chose, et qu’il veut que son Gentilhomme Menuisier, quand il a reçu un démenti ou un soufflet, au lieu de les rendre ou de se battre, assassine prudemment son homme. » L’impression de ces derniers mots en lettre italique, pourrait faire penser qu’ils se trouvent dans l’Emile de M. Rousseau ; c’est une infidélité de la part de l’Auteur des Questions sur l’Encyclopédie ; le mot d’assassinat, si révoltant, n’est point prononcé ; M. Rousseau se contente de dire « qu’il ne veut pas qu’Émile se batte ; que ce serait une extravagance ; mais qu’il se doit justice ; et qu’il en est le seul dispensateur. »

Tome II, p. 202 §

Cette Comédie n’est qu’une traduction libre de la Serva amoroso106 de M. Goldoni107, qui lui-même a pris dans le Malade Imaginaire de Molière, la plus grande partie du sujet de sa Pièce, et notamment le caractère de la Belle-mère, et tout le dénouement.

Tome II, p. 202 §

Voici une Comédie qui a fait beaucoup de bruit, et a été longtemps persécutée. Les gens qu’elle joue, ont bien fait voir qu’ils étaient plus puissants en France, que tous ceux que Molière avait joués jusqu’alors. Les Marquis, les Précieuses, les Médecins ont souffert doucement qu’on les représentât ; et ils ont feint de se divertir avec tout le monde, des peintures qu’on faisait au Théâtre ; mais les hypocrites n’ont point entendu raillerie ; ils se sont effarouchés d’abord, et ont trouvé étrange que Molière eût la hardiesse de jouer leurs grimaces, et de vouloir décrire un métier, dont tant d’honnêtes gens se mêlent. C’est un crime qu’ils ne purent lui pardonner ; et ils s’armèrent tous contre sa Comédie avec une fureur incroyable. Ils n’avaient garde de l’attaquer par le côté qui le blessait ; ils couvrirent leurs intérêts de la cause de Dieu ; et le Tartuffe, dans leur bouche, était une Pièce qui offensait la piété. Elle était, d’un bout à l’autre, pleine d’abomination ; et l’on trouvait rien qui ne méritait le feu.

Tome II, p. 202 §

Lorsque Molière donna son Tartuffe, on lui demanda de quoi il s’avisait de faire des sermons ? « Pourquoi sera-t-il permis, répondit-il, au Père Maimbourg, de faire des Comédies en chaire, et qu’il ne me sera pas permis de faire des sermons sur le Théâtre » ?

1801, Moliérana, 21, p. 50

Tome II, p. 202-203108 §

Les trois premiers Actes du Tartuffe avaient été représentés à la sixième journée des fêtes de Versailles le douze mai 1664, en présence du Roi et des Reines. Le Roi défendit dès-lors cette Comédie pour le Public, jusqu’à ce qu’elle fût achevée et examinée par des gens capables d’en faire un juste discernement, ajoutant que pour lui, il ne trouvait rien à dire à cette Comédie. Les Faux dévots profitèrent de cette défense pour soulever Paris et la Cour contre la Pièce et contre l’Auteur.

Molière ne fut pas seulement en butte aux Tartuffes ; il avait encore pour ennemis beaucoup d’Orgons, gens simples et faciles à séduire. Les vrais dévots étaient même alarmés, quoique l’ouvrage ne fût guère connu ni des uns ni des autres. Un Curé, dans un livre présenté au roi, décida que l’Auteur était digne du feu, et le damnait de sa propre autorité. Des Prélats109 et le Légat110, après avoir entendu la lecture de cet ouvrage, en jugèrent plus favorablement ; et le Roi promit verbalement à Molière de faire représenter sa Pièce ; mais sa Majesté exigea qu’elle fût annoncée sous le titre de l’Imposteur ; que l’Acteur chargé de ce rôle, portât le nom de Panulphe ; que l’on déguisât le principal personnage sous l’ajustement d’un homme du monde, en lui donnant un petit chapeau, de grands cheveux, un grand collet111, une épée et des dentelles sur l’habit.

Tome II, p. 203-204 §

Louis XIV marchait vers la Lorraine sur la fin de l’été de 1662. Accoutumé, dans ses premières campagnes, à ne faire qu’un repas le soir, il allait se mettre à table un jour de jeûne, lorsqu’il conseilla à M. l’Évêque… qui avait été son Précepteur, d’aller en faire autant. L’Évêque fit observer à Sa Majesté, qu’il n’avait qu’une collation légère à faire un jour de jeûne. Cette réponse ayant fait rire un Courtisan, le Roi voulut en savoir le motif. Le rieur répondit que Sa Majesté pouvait se tranquilliser sur le compte du Prélat, et lui fit un détail exact de son dîner, dont il avait été témoin. À chaque mets exquis et recherché que le conteur faisait passer sur la table de l’Évêque, Louis XIV s’écriait : Le pauvre homme ; et chaque fois il assaisonnait ce mot d’un ton de voix différent, qui le rendait extrêmement plaisant. Molière, qui, en qualité de Valet de chambre, avait fait le voyage, fut témoin de cette Scène, dont il sut si bien se servir dans son Tartuffe. Le Roi, en écoutant les trois premiers Actes de cette Comédie aux Fêtes de Versailles, ne se rappelait point la part qu’il avait à cette Scène ; Molière l’en fit ressouvenir, et ne lui déplut pas.

Tome II, p. 203 §

On a ignoré longtemps où Molière avait pris le nom de Tartuffe, qui a fait un synonyme de plus dans notre langue, avec les mots d’Hypocrite et de Faux-Dévot. Voici ce que la Tradition nous apprend à cet égard. Molière se trouvant chez le Nonce du Pape avec deux Ecclésiastiques, dont l’air mortifié et hypocrite rendait assez bien l’idée qu’il avait alors dans la tête, en travaillant à sa Comédie de l’Imposteur, on vint présenter à son Excellence des Truffes à acheter. Un de ces Dévots, qui savait un peu l’Italien, à ce mot de Truffes, sembla, pour les considérer, sortir tout-à-coup du dévot silence qu’il gardait ; et choisissant saintement les plus belles, il s’écriait d’un air riant : Tartufoli, Signor runtio, Tartufoli. Molière, qui était toujours un Spectateur attentif et observateur, prit de-là l’idée de donner à son Imposteur le nom Tartuffe.

1801, Moliérana, 78, p. 118-119

Tome II, p. 204 §

Plusieurs personnes ont écrit que Molière devait au Théâtre Italien l’idée de sa Comédie du Tartuffe. On cite un canevas très-ancien, dont on dit que notre Poète a beaucoup profité. Mais c’est tout le contraire : ce sont les Italiens, et en particulier le Poète Gigli112, qui ont tiré ce Canevas de la Comédie de Molière, et l’ont intitulé Doctor Bacchetone113. Le Tartuffe était bien antérieur aux Farces Italiennes, dont on prétend que Molière a fait usage : c’est ce qui a été vérifié d’une manière à ne laisser aucune doute.

Tome II, p. 205 §

Molière dut à Chapelle* la connaissance de la fameuse Ninon de l’Enclos*. Ce grand Comique lui ayant lu sa Comédie du Tartuffe, Ninon admira l’ouvrage et lui fit le récit d’une aventure pareille à celle du Héros de sa Pièce ; mais avec des couleurs si fortes, et des jours si bien ménagés, que Molière, en la quittant, dit avec modestie aussi rare aujourd’hui que les talents, que, si sa Pièce n’avait point été faite, il n’aurait jamais osé la mettre sur la Scène, après avoir entendu le récit de Ninon. L’aventure particulière, dont Mademoiselle de l’Enclos* fit le récit à Molière, est ainsi racontée par M. de Voltaire dans la vie de cette fille célèbre. « Lorsque M. de Gourville114, qui fut nommé vingt-quatre heures pour succéder à Colbert*, et que nous avons vu mourir l’un des hommes de France le plus considéré ; lors, dis-je, que ce M. Gourville, craignant d’être pendu en personne, comme il le fut en effigie, s’enfuit de France en 1661, il laissa deux cassettes pleines d’argent, l’une à Mademoiselle de l’Enclos*, l’autre à un faux dévot. À son retour, il trouva chez Ninon* sa cassette en fort bon état. Il y avait même plus d’argent qu’il n’en avait laissé, parce que les espèces avaient augmenté depuis ce temps-là. Il prétendit qu’au moins le surplus appartenait de droit à la dépositaire ; elle ne lui répondit qu’en le menaçant de faire jeter la cassette par les fenêtres. Le Dévot s’y prit d’une autre façon ; il dit qu’il avait employé son dépôt en œuvres pies, et qu’il avait préféré le salut de l’âme de Gourville à un argent qui sûrement l’aurait damné ».

Tome II, p. 205 §

On prétend que l’original du Tartuffe était l’Abbé Roquette, Evêque d’Autun115 ; et que M. de Guilleragues116, à qui Despréaux a adressé une Épître117, sachant que Molière travaillait à cette Comédie, lui porta un ample Mémoire de toutes les hypocrisies de l’Abbé Roquette.

Tome II, p. 205 §

Molière, après avoir lu le Misanthrope à Boileau, lui dit : « Vous verrez bien autre chose ». il mettait alors la dernière main au Tartuffe. Ce trait fait voir la préférence qu’il donnait à ce dernier ouvrage sur l’autre.

Tome II, p. 206 §

Deux ans après, le Roi donna une permission authentique de remettre Tartuffe au Théâtre. Tout le monde en faisait compliment à Molière : ses ennemis mêmes lui en témoignèrent de la joie, et étaient les premiers à dire que le Tartuffe était de ces Pièces excellentes, qui mettaient la vertu dans tout son jour. « Cela est vrai, disait Molière ; mais je trouve qu’il est très-dangereux de prendre ses intérêts : au prix qu’il m’en coûte, je me suis repenti plusieurs fois de l’avoir fait ».

Tome II, p. 206 §

« J’avais autrefois, dit Ménage*, entendu lire à Molière trois Actes de son Tartuffe, chez M. de Montmor*, où se trouvèrent aussi M. Chapelain*, M. l’Abbé de Marolles et quelques autres personnes. Je dis à M. le Premier Président de Lamoignon*, lorsqu’il empêcha qu’on le jouât, que c’était une Pièce dont la morale était excellente, et qu’il n’y avait rien qui ne pût être utile au Public ».

Tome II, p. 206-207 §

Le fameux Père Bourdaloue118 fut un de ceux qui déclamèrent contre le Tartuffe ; et voici ce qu’on trouve dans son sermon du septième Dimanche après Pâques.

« Comme la vraie et la fausse dévotion ont je ne sais combien d’actions qui leur sont communes ; comme les dehors de l’une et de l’autre sont presque tous semblables, il est non seulement aisé, mais d’une suite presque nécessaire, que la même raillerie qui attaque l’une, intéresse l’autre, et que les traits dont on peint celle-ci, intéressent celle-là ; et voilà ce qui est arrivé, lorsque les esprits profanes ont entrepris de censurer l’hypocrisie, en faisant concevoir d’injustes soupçons de la vraie piété, par de malignes interprétations de la fausse. Voilà ce qu’ils ont prétendu, en exposant sur le Théâtre et à la risée publique un hypocrite imaginaire, et tournant dans sa personne les choses les plus saintes en ridicule ; en lui faisant blâmer les scandales du siècle d’un manière extravagante ; le représentant consciencieux jusqu’à la délicatesse et au scrupule sur des points moins importants, pendant qu’il se portait d’ailleurs aux crimes les plus énormes ; le montrant sous un visage de Pénitent, qui ne servait qu’à couvrir ses infamies ; et lui donnant selon leurs caprices, un caractère de piété le plus austère ; mais, dans le fond, le plus mercenaire et le plus lâche »

Tome II, p. 207-208 §

La Bruyère, en traçant le caractère du Faux Dévot dans son Chapitre De la Mode, a eu le dessein de critiquer le Tartuffe : nous ne mettrons sous les yeux du Lecteur, que les traits qui frappent ouvertement sur cet ouvrage : « Onuphre119 ne dit point ma haine et ma discipline : au contraire ; il passerait pour ce qu’il est, pour un hypocrite ; et il veut passer pour ce qu’il n’est pas, un homme dévot. S’il se trouve bien d’un homme opulent à qui il a su imposer, il ne cajole point sa femme ; il est encore plus éloigné d’employer, pour la flatter, le jargon de la dévotion. Ce n’est point par habitude qu’il parle mais avec dessein, et selon qu’il lui est utile, et jamais quand il servirait qu’à le rendre très-ridicule. Il ne pense point à profiter de toute la succession de son ami, ni à s’attirer une donation générale de tous ses biens. Il ne se joue point à la ligne directe ; et il ne s’insinue jamais dans une famille où se trouvent à la fois une fille à pur et un fils à établir ; il y a là des droits trop forts et trop inviolables. »

Tome II, p. 208 §

Le changement le plus marqué qu’on ait fait au Tartuffe, est à ce vers120, Acte III, Scène VII.

Ô ciel ! pardonne-lui121 la douleur qu’il me donne

Il y avait :

Ô ciel ! pardonnez-moi, comme je lui pardonne

Tome II, p. 208 §

On permit de jouer sur le Théâtre Scaramouche Hermite, Pièce très-licencieuse, dans laquelle un Hermite, vêtu en Moine, monte la nuit par une échelle à la fenêtre d’une femme mariée, et y reparaît de temps en temps, en disant : Questo per mortificar la carne. Cette Pièce fut représentée à la Cour ; et le Roi, en sortant, dit au grand Condé* : « Je voudrais bien savait pourquoi les gens qui se scandalisent si fort de la Comédie de Molière, ne disent rien de celle de Scaramouche*. À quoi le Prince répondit : La raison de cela, Sire, c’est que la Comédie de Scaramouche* joue le Ciel et la Religion, dont ces Messieurs ne se soucient point ; mais celle de Molière les joue eux-même ; et c’est ce qu’ils ne peuvent souffrir. »

1801, Moliérana, 20, p. 49-50

Tome II, p. 208 §

Molière se donnait beaucoup de peines pour la représentation de ses Pièces, et pour former le jeu de ses camarades. On en voit une image fidèle dans l’Impromptu de Versailles. Rien de ce qui pouvait rendre l’imitation plus vraie et plus sensible, n’échappait à son attention. Il obligea sa femme, qui était extrêmement parée, à changer d’habit ; parce que la parure ne convenait pas au rôle d’Elmire122 convalescente, qu’elle devait représenter dans le Tartuffe.

Tome II, p. 209 §

La première Comédie que Piron* vit à Paris, fut le Tartuffe : son admiration allait jusqu’à l’extase. À la fin de la Pièce, ses transports de joie augmentant encore, ses voisins lui en demandèrent la raison : « Ah ! Messieurs, s’écria-t-il, si cet ouvrage n’était pas fait, il ne se ferait jamais. »

1801, Moliérana, 68, p. 104

Tome II, p. 209 §

Des acteurs de Province jouaient dans une ville dont l’Évêque était mort depuis peu de temps. Le Successeur, moins favorable au Spectacle, donna ordre que les Comédiens partissent avant son entrée. Ils jouèrent encore la veille ; et comme s’ils eussent dû paraître le lendemain, celui qui annonça dit : « Messieurs, vous aurez demain le Tartuffe. »

1801, Moliérana, 19, p. 48-49

Tome II, p. 209 §

Les Camarades de Molière voulurent absolument qu’il eût double part, sa vie durant, toutes les fois qu’on jouerait le Tartuffe, ce qui a toujours été depuis régulièrement exécuté.

Tome II, p. 215-216 §

Une tradition constante veut que le sujet de cette Tragédie123 ait été donné à Racine par Molière. On dit aussi, que lorsque cette Pièce fut représentée, Racine n’avait presque rien changé à deux récits admirables, qui sont dans l’Antigone de Rotrou124, et que Racine s’était appropriés, soit qu’il crût ne pouvoir mieux faire, que de retirer deux si beaux morceaux de la poussière ; soit que Molière ne lui ayant donné que six semaines pour achever sa Tragédie, il ne lui fût pas possible de faire autrement. Mais l’ayant fait imprimer quelques temps après, il la mit dans l’état où nous la voyons aujourd’hui.

Tome II, p. 231125 §

Despréaux* distinguait ordinairement deux sortes de Galimatias : le Galimatias simple et le Galimatias double il appelait Galimatias simple celui où l’Auteur entendait ce qu’il voulait dire, mais où les autres n’entendaient rien : et le Galimatias double, celui où l’Auteur ne s’entendait pas plus lui-même, qu’il n’était entendu des lecteurs. Il citait par exemple de ce dernier genre de Galimatias, ces quatre vers de la Tragédie de Tite et Bérénice126 du grand Corneille. Acte premier, Scène deuxième.

Faut-il mourir, Madame ; et si proche du terme,
Votre illustre inconstance est-elle encor si ferme,
Que les restes d’un feu, que j’avais cru si fort,
Puissent dans quatre jours se promettre ma mort ?127

Baron* devait faire le rôle de Domitian128 dans cette Tragédie ; et comme il étudiait son rôle, l’obscurité de ces vers lui fit quelque peine : il alla en demander l’explication à Molière, chez qui il demeurait. Molière, après les avoir lus, lui dit qu’il ne les entendait pas non plus ; mais attendez, dit-il à Baron*, M. Corneille doit venir souper avec nous aujourd’hui ; et vous lui direz qu’il vous les explique. Dès que Corneille arriva, le jeune Baron* alla lui sauter au cou, comme il faisait ordinairement, parce qu’il l’aimait ; et ensuite le pria de lui expliquer ces quatre vers, disant qu’il ne les entendait pas. Corneille, après les avoir examinés quelques temps, dit : « Je ne les entends pas trop bien non plus ; mais récitez-les toujours ; tel qui ne les entendra pas, les admirera ».

Tome II, p. 303 §

« J’avais environ onze ans, dit M. de Voltaire, quand je lus tout seul, pour la première fois, l’Amphitryon de Molière. Je ris au point de gober à la renverse. »

Tome II, p. 316 §

En annonçant cette Pièce129, faite pour célébrer l’année séculaire de la mort de Molière, le sieur le Kain* exprima les sentiments de reconnaissance des Comédiens, et de leur piété filiale envers l’homme de génie, le Fondateur, et le plus parfait modèle de la bonne Comédie, leur bienfaiteur et leur père. Il déclara en même-temps, que les Comédiens réservaient le produit de la représentation à l’érection de la Statue de Molière.

Tome II, p. 318 §

L’Auteur Anglais, qui a traduit dans sa langue L’Avare de Molière, fait ordonner par son Avare, qu’on écrive en lettres d’or cette Sentence qui le charme : « Il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger »130. Un moment après, il songe qu’il lui en coûterait trop, et que cette maxime sera tout aussi lisible, en l’écrivant avec de l’encre ordinaire. Le traducteur a renchéri131 sur l’original.

Tome II, p. 324-325 §

Molière a puisé dans cette Comédie de Boisrobert132, l’idée de plusieurs Scènes de l’Avare ; on reconnaît entre autres celles-ci : Ergaste133, fils d’Amidor, vieillard riche, mais avare, est épris des charmes de Corine134. Cette dernière plaide pour une riche succession ; mais faute d’argent, elle ne peut finir ce procès. Ergaste lui en cherche de tous côtés ; et enfin un Notaire vient lui annoncer qu’il a trouvé la somme qu’il désire, mais à un très-gros intérêt. Ergaste accepte la proposition ; et il n’est plus question que de le mettre aux mains avec l’Usurier.

Le Notaire.

…… Il sort de mon étude ;
Parlez-lui

Ergaste.

     Quoi ! C’est-là celui qui fait le prêt ?

Le Notaire.

Oui, Monsieur

Amidon, au Notaire.

     Quoi ! C’est-là ce Payeur d’intérêt ?
À son fils
Quoi ! C’est donc toi méchant, filou, traîne-potence ?
C’est en vain que ton œil évite ma présence.
Je t’ai vu.

Ergaste

Qui doit être enfin le plus honteux,
Mon Père ? Et qui paraît le plus sot de nous deux ? Etc.135

Tome II, p. 377-378136 §

Une aventure extraordinaire fournit le sujet de cette Comédie137. Un Président du Parlement de Grenoble, étant devenu amoureux de la femme de Molière, s’adressa à une autre femme, nommée le Doux, dont le métier était de procurer du plaisir à ses connaissances. Cette femme crut pouvoir substituer à l’épouse de Molière une nommée la Tourette, qui ressemblait si parfaitement à cette Actrice, qu’il était difficile de ne pas s’y méprendre. En effet, elle soutint si bien le personnage, que le Président y fut trompé. Mais malgré la décence que cette fausse Molière lui fit, de lui parler sur le Théâtre, il alla dans la loge de l’Actrice : et cette visite fut suivie d’une explication où toute la fourberie fut découverte. La le Doux et la Tourette furent condamnées au fouet et subirent ce châtiment devant l’Hôtel de Guénégaud où logeait Molière.

Tome II, p. 393 §

1705, Grimarest, p. 138-139

Cette comédie [Monsieur de Pourceaugnac] fut faite à l’occasion d’un gentilhomme Limousin, qui dans une querelle qu’il eut sur le Théâtre avec les Comédiens, étala une partie du ridicule dont il était chargé. Molière, pour se venger de ce Campagnard, le mit en son jour sur la Scène, et en fit un divertissement au goût du peuple, qui se réjouit fort à cette pièce.

1801, Moliérana, 89, p. 133

Tome II, p. 406 §

C’est par les critiques fines et judicieuses, dont cette Pièce [L’Impromptu de Versailles] est parsemée, que Molière a ouvert les yeux des Comédiens sur les défauts et les beautés de leur art. En reprochant à Montfleury138, qu’il appuyait sur les derniers vers pour attirer l’approbation, et faire faire le brouhaha ; en reprochant à Mademoiselle du Château139, qu’elle conservait un visage riant dans les plus grandes afflictions, il disait à tous les Comédiens présents et à venir de ne pas les imiter. Préville140 disait dans les Foyers devant cent personnes : « Je voudrais pour tout au monde, qu’on n’eût pas enlevé au public le droit de siffler. Je l’ai vu applaudir au Jeu forcé de quelques-uns de mes camarades : j’ai chargé mes rôles, pour recevoir les mêmes applaudissements. Si la première fois que cela m’arriva, un connaisseur m’eût lâché deux bons coups de sifflet, il m’aurait fait rentrer en moi-même ; et je serais meilleur. »

Tome II, p. 432 §

Le Roi de Prusse141 dit quelque part, dans ses ouvrages, à l’occasion des Pièces de ce genre, qu’il aimerait mieux se voir jouer dans une Comédie bien faite et dans le bon genre, que d’assister seulement à l’une de nos Pièces modernes.

Le même Prince voyait jouer le Cercle142 par ses Comédiens : les beaux esprits Français qui l’entouraient, souriaient à tous les traits fins, à toutes les Épigrammes, dont cette Pièce est remplie. Le Roi, surpris de n’éprouver pas la même sensation, leur en demanda la cause. « Sire, lui répondirent-ils, il faudrait, pour bien sentir toutes les finesses de cette Pièce, que Votre Majesté connût Paris comme nous. Oui, dit le Prince ! Ah ! je comprends ; mais je n’ai pas besoin de me transporter à Paris, pour goûter toutes les beautés du Misanthrope ».

Tome II, p. 443 §

Louis XIV demanda à Racine, à Quinault* et à Molière, un sujet où pût entrer une décoration, qui représentait les enfers, et que l’on conservait avec soin dans le garde-meuble. Racine proposa le sujet d’Orphée, Quinault* l’Enlèvement de Prosperpine, et Molière, aidé du grand Corneille, s’attacha au sujet de Psyché, qui obtint la préférence. La Grange-Chancel143 avait souvent entendu dire à Racine, que le sujet d’Orphée était le plus susceptible de tout ce qui peut former un grand Spectacle ; en conséquence il traita ce sujet pour le mariage de Louis XV.

Tome II, p. 475 §

Le Roi du Portugal a fait traduire notre Tartuffe, l’a fait représenter à Lisbonne ; et la Pièce à eu le plus grand succès.

Tome II, p. 475 §

On raconte qu’Armand144, ce fameux Acteur comique, enlevé à la Scène Françoise depuis quelques années, entreprit, en buvant avec deux de ses camarades, de les faire pleurer avec la Fable du Tartuffe. « Figurez vous, les bons amis, leur disait-il, un honnête Gentilhomme, qui retire chez lui un misérable, à qui il donne sa fille avec tout son bien, et qui, pour le récompenser de ses bontés, veut séduire sa femme, le chasser de sa propre maison, et se charge de conduire un Exempt145 pour l’arrêter. Ah ! Le coquin, le monstre, le scélérat ! » S’écriaient les Convives déjà gris ; et, en disant cela, ils fondaient en larmes. Alors Armand, continuant avec ce sang-froid qui le rendait si plaisant : « Là, là, consolez-vous, leur dit-il ; ne pleurez pas ; mon Gentilhomme en fut quitte pour la peur. L’Exempt lui dit :

Remettez-vous, Monsieur d’une alarme si chaude.

« Que diable ! C’est le sujet du Tartuffe que tu nous débites ! Eh ! Oui, mes amis. A-t-on si grand tort de dire que nombre de Comédiens ne connaissent que leur rôle, même dans les Pièces qu’ils représentent journellement ? »

Tome III, p. 39-40 §

Béjart*, (Armande-Gresinde-Claire-Élisabeth), épousa en première noces Molière, en secondes Guerin Détriché : elle était très-aimable, jouait supérieurement dans le comique noble, chantait avec des grâces et un goût qui lui ont attiré, dans son temps, autant d’adorateurs que d’applaudissements. Elle quitta le Théâtre le 14 Octobre 1694, et mourut le 3 Novembre 1700. La Demoiselle Béjart sa mère, qui avait épousé en secret le sieur de Modène146, était aussi Comédienne, jouait les Soubrettes et les rôles ridicules, et mourut en 1672.

Tome III, p. 163-164 §

Ducroisy*, (Philippe Gassaud), Gentilhomme du pays de Beauce, était avec distinction, à la tête d’une Troupe de Comédiens de Province, lorsqu’il se joignit à celle de Molière, qui, peu de temps après, vint à Paris. Ducroisy* y fut un des meilleurs Acteurs de la Troupe du Palais Royal ; et ce fut pour lui que Molière composa le rôle de Tartuffe, que Ducroisy* joua au gré de l’Auteur et des Spectateurs. Plusieurs années après la mort de Molière, Ducroisy*, étant goutteux147, se retira à Conflans-Sainte-Honorine, qui est un bourg près de Paris, où il avait une Maison. Ses amis l’y allaient voir ; et il y vécut en fort honnête homme, se faisant estimer de tout le monde, et entre autres de son Curé, qui le regardait comme un de ses meilleurs Paroissiens. Il y mourut ; et le Curé en fut si fort touché, que, n’ayant pas le courage de l’enterrer, il pria un Prêtre de ses amis de faire la cérémonie à sa place.

Tome III, p. 230 §

Hubert* (André) Acteur François, mort en 17…. Il était l’original de plusieurs rôles qu’il représentait dans les Pièces de Molière ; et comme il était entré dans le sens de ce fameux Auteur, par qui il avait été instruit, il y réussissait parfaitement. Jamais Acteur n’a porté si loin les rôles d’homme en femme. Celui qu’il représentait dans les Femmes Savantes, Mde. Jourdain148, dans le Bourgeois Gentilhomme ; et Mde. Jobin149, dans la Devineresse150, lui ont attiré l’applaudissement de tout Paris. Il s’est fait aussi admirer dans le rôle du Vicomte de l’Inconnu, ainsi que dans ceux des Médecins, et des Marquis ridicules. Les rôles de femme, que Hubert* jouait, furent donnés à Mlle Beauval.

Tome III, p. 254 §

La Grange151, (Charles Varlet, sieur de) né à Amiens en Picardie, excédé par les chicanes152 de son Tuteur, prit le parti de se faire Comédien, et courut quelques années les Provinces : il s’engagea ensuite dans la Troupe de Molière, qui prit plaisir lui-même à l’instruire. La Grange n’avait qu’une fille unique qu’il aimait beaucoup, et qu’il maria à un homme qui la trompa ; il en mourut de chagrin. Il fut enterré à Saint-André-des-Arcs. On prétend qu’il laissa plus de cent-mille écus de bien.

Tome III, p. 340-349 §

Molière (Jean-Baptiste Poquelin, si célèbre sous le nom de) né à Paris en 1620, mort en 1673, était fils et petit-fils de Valet-de-chambre Tapissier du Roi. Il passa quatorze ans dans la maison paternelle, où l’on ne songea qu’à lui donner une éducation conforme à son état. Sa famille, qui le destinait à la charge de son père, en obtint pour lui la survivance ; mais il conçut un dessein fort opposé aux vues de ses parents : il demanda instamment, et on lui accorda avec peine, la permission d’aller faire ses études au Collège de Clermont. Il remplit cette carrière dans l’espace de cinq ans, pendant lesquels il contracta une étroite liaison avec Chapelle*, Bernier* et Cyrano*. Chapelle*, aux études de qui l’on avait associé Bernier*, avait pour Précepteur le célèbre Gassendi*, qui voulut bien admettre Poquelin à ses leçons, comme dans la suite il y admit Cyrano*. Les Belles-Lettres avaient orné l’esprit du jeune Poquelin ; les préceptes du Philosophe lui apprirent à raisonner. C’est dans ses leçons, qu’il puisa les principes de justesse, qui lui ont servi de guide dans la plupart de ses ouvrages.

Le voyage de Louis XIII à Narbonne en 1641, interrompit des occupations d’autant plus agréables pour lui, qu’elles étaient de son choix. Son père, devenu infirme, ne pouvant suivre la Cour, son fils y alla remplir les fonctions de sa charge, qu’il a depuis exercée jusqu’à sa mort ; mais à son retour à Paris, il céda à son étoile, qui le destinait à être Paris parmi le Restaurateur de la Comédie.

Le goût pour les Spectacles était presque général en France, depuis que le Cardinal de Richelieu avait accordé une protection distinguée aux poètes dramatiques. Plusieurs sociétés particulières se faisaient un divertissement domestique de jouer la Comédie. Poquelin entra dans une de ces sociétés, qui fut connue sous le nom de l’Illustre Théâtre. Ce fut alors qu’il changea de nom, pour prendre celui de Molière, soit par égard pour ses parents, qui désapprouvaient cette profession, soit pour suivre l’exemple de plusieurs de ses Camarades. La Béjart, Comédienne de Campagne, se l’associa ; et bientôt liés par les mêmes sentiments, leurs intérêts furent communs : ils formèrent de concert une Troupe, et partirent pour Lyon. On y représenta l’Étourdi, qui enleva presque tous les Spectateurs au Théâtre d’une autre Troupe de Comédiens établis dans cette ville. Quelques-uns d’entre eux prirent parti avec Molière, et le suivirent en Languedoc, où il offrit ses services au Prince de Conti*, qui tenait à Béziers les États de la Province. Ce Prince avait connu Molière au Collège, et s’était amusé à Paris des représentations153 de l’Illustre Théâtre, qu’il avait plusieurs fois mandé chez lui. L’Étourdi reparut à Béziers avec un nouveau succès ; le Dépit Amoureux et les Précieuses Ridicules y entraînèrent tous les suffrages ; on donna même des applaudissements à quelques Farces, qui, par leur constitution irrégulière, méritaient à peine le nom de Comédies, telles que le Docteur amoureux, les Trois Docteurs Rivaux, etc. Molière les a probablement supprimées, parce qu’il sentit qu’elles ne pourraient lui acquérir le degré de réputation auquel il aspirait. Dans les fréquents voyages qu’il fit à Paris, où il avait dessein de se fixer, il eut accès auprès de Monsieur, qui le présenta au Roi et à la Reine mère. Il joua en présence de leurs Majestés, et obtint la permission de jouer dans la Salle des Gardes du vieux Louvre, et ensuite dans celle du Palais Royal. Enfin sa Troupe fut arrêtée au service du Roi en 1665 ; et ce fut alors, que l’on vit régner le vrai goût de la Comédie sur le Théâtre Français.

 

Les Pièces de Molière sont l’Étourdi, le Dépit amoureux, les Précieuses ridicules, le Cocu imaginaire, Dom-Garcie de Navarre, l’École des maris, l’École des femmes, les Fâcheux, la Critique de l’École des femmes, l’Impromptu de Versailles, la Princesse d’Élide, le Mariage forcé, le Tartuffe, le Festin de Pierre, l’Amour médecin, le Misanthrope, le Médecin malgré lui, Mélicerte, le Sicilien, Amphytrion, George-Dandin, l’Avare, Pourceaugnac, les Amants magnifiques, Psyché, le Bourgeois Gentilhomme, les Fourberies de Scapin, les Femmes Savantes, la Comtesse d’Escarbagnas, et le Malade imaginaire. Molière avait encore composé, pour la Province et pour Paris, plusieurs petites Farces, comme le Docteur amoureux, le Docteur pédant, les Trois Docteurs Rivaux, le Maître d’École, le Médecin volant, la Jalousie de Barbouillé, la Jalousie du Gros-René, Gorgibus dans le sac, le Fagoteur, le Grand benêt de Fils, Gros-René petit enfant, etc, qui n’ont pas été imprimées.

Le rang que Molière doit occuper dans l’empire littéraire, est réglé depuis longtemps. Pour juger du mérite de ses ouvrages, il suffit de les comparer avec tout ce que l’antiquité offre de plus parfait dans ce genre. Plus l’examen sera approfondi, plus la supériorité de ce grand homme sera reconnue. Il puisa chez les Anciens les premières notions de l’Art qu’il devait perfectionner : il leur dut ce goût sûr, qui éclaira son génie, et lui fit surpasser tous les modèles. Bientôt il n’en voulut avoir d’autre que son génie même. La Nature et les ridicules de son siècle lui parurent une source inépuisable ; il en tira cette foule de tableaux si différents entre eux, et si ressemblants avec les objets qu’il avait voulu peindre. La Comédie prit une nouvelle forme, et s’anoblit entre ces mains. Il étudia le génie des Grands, les fit rire de leurs défauts, et osa substituer nos Marquis aux Esclaves des Anciens. Ces derniers ne jouaient sur leur Théâtre, que la vie commune et bourgeoise ; Molière joua sur le nôtre la Ville et la Cour. Spectateur philosophe, rien n’échappait à ses regards ; il est peu de condition, où il n’ait pas fouillé, peu de vices dans la société qu’il n’ait repris ; personne enfin n’a si bien connu l’art de trouver le ridicule des choses les plus sérieuses. Il allait le saisir où d’autres ne l’eussent pas même soupçonné. Aussi a-t-il joui d’un avantage bien rare, celui de réformer une partie des abus qu’il attaquait. Le jargon des Précieuses ridicules disparut ; celui des Femmes Savantes devint intelligible. On cessa de turlupiner à la Cour, et de se guinder à la Ville. On vit encore, je l’avoue, des avares et des hypocrites ; c’est qu’un vice est plus difficile à réformer qu’un ridicule, et que souvent on en rougit moins. Il faut convenir cependant que, même dans les chefs-d’œuvre de Molière, on souhaiterait un langage plus épuré, et des dénouements plus heureux. On lui reproche encore de s’être trop occupé du Peuple, dans quelques-unes de ses Comédies ; et ce reproche est fondé ; mais il faut envisager les circonstances. Molière, chef d’une Troupe de Comédiens, avait besoin de plaire à la multitude, sans laquelle une pareille Troupe ne peut vivre : il était même souvent obligé d’amuser la Cour, qui, avec un goût délicat, aime encore plus à rire qu’à admirer. Il faut, d’ailleurs, distinguer les genres : le Médecin malgré lui, Pourceaugnac, les Fourberies de Scapin, etc, ne peuvent entrer en parallèle avec le Misanthrope, le Tartuffe, les Femmes Savantes, etc ; mais plus d’un trait, dans ces premières productions, décèle le génie qui enfanta les secondes. Molière, en introduisant le bon goût sur la scène comique, n’avait pu en bannir entièrement le mauvais ; il était obligé d’encenser quelquefois l’idole qu’il voulait renverser. En un mot, il imitait la sagesse de certains Législateurs, qui, pour accréditer de bonnes lois, se soumettent eux-mêmes à d’anciens abus.

Tome III, p. 344 §

Tantôt Plaute*, tantôt Térence*,
Toujours Molière cependant :
Quel homme ! Avouons que la France
En perdit trois, en le perdant.

Tome III, p. 344 §

Molière étant mort, les Comédiens se disposaient à lui faire un Convoi magnifique : mais M. de Harlai, Archevêque de Paris, ne voulut pas permettre qu’on l’inhumât en terre sainte. La femme de Molière alla sur le champ à Versailles se jeter aux pieds du Roi, pour se plaindre de l’injure que l’on faisait à la mémoire de son mari, en lui refusant la sépulture ecclésiastique. Le Roi la renvoya, en lui disant que cette affaire dépendait du ministère de M. l’Archevêque, et c’était à lui qu’il fallait s’adresser. Cependant Sa Majesté fit dire à ce Prélat, qu’il fît en sorte d’éviter l’éclat et le scandale. L’Archevêque révoqua donc sa défense, à condition que l’enterrement serait fait sans pompe et sans bruit. Il se fit en effet par deux Prêtres qui accompagnent le corps sans chanter ; et on l’enterra dans le cimetière qui est derrière la Chapelle* de Saint-Joseph, dans la rue Montmartre. Tous ses amis y assistèrent, ayant chacun un flambeau à la main. L’épouse du défunt, s’écriait partout : « Quoi ! L’on refuse la sépulture à un homme qui mérite des Autels ! ».

1801, Moliérana, 50, p. 83-85

Tome III, p. 344-345, 347 §

1742, Bolaeana, p. 35

Molière récitait en Comédien sur le Théâtre et hors du Théâtre ; mais il parlait en honnête-homme, riait en honnête-homme, avait tous les sentiments d’un honnête-homme. Despréaux trouvait la prose de Molière plus parfaite que sa Poésie, en ce qu’elle était plus régulière et plus châtiée, au-lieu que la servitude des rimes l’obligeait souvent à donner de mauvais voisins à des vers admirables : voisins que les Maîtres de l’Art appellent des Frères Chapeaux.154

La Dame Poisson, femme d’un des meilleurs Comiques que nous ayons eus, fille de Ducroisy*, Comédien de la Troupe de Molière, et qui avait joué le rôle d’une des Grâces dans Psyché en 1671, a donné ce portrait de Molière. « Il n’était ni trop gras ni trop maigre. Il avait la taille plus grande que petite, le port noble, la jambe belle, il marchait gravement, avait l’air très-sérieux, le nez gros, la bouche grande, les lèvres épaisses, le teint brun, les sourcils noirs et forts, et les divers mouvements qu’il leur donnait, lui rendaient la physionomie extrêmement comique. À l’égard de son caractère, il était doux complaisant, et généreux. Il aimait fort à haranguer ;et quand il lisait ses Pièces aux Comédiens, il voulait qu’ils y amenassent leurs enfants, pour tirer des conjectures de leurs mouvements naturels. »

1801, Moliérana, 1, p. 33

Tome III, p. 345-346 §

À peine Molière fut mort, que Paris fut inondé d’épitaphes à son sujet ; toutes assez mauvaises, à l’exception de celle que le célèbre La Fontaine composa, et d’une Pièce de vers du P. Bouhours.

Vers du P. Bouhours sur Molière.

     Ornement du Théâtre, incomparable Acteur,
     Charmant Poète, Illustre Acteur,
     C’est toi, dont les plaisanteries
     Ont guéri du Marquis l’esprit extravagant :
     C’est toi qui, par tes momeries.
     A réprimé l’orgueil du Bourgeois arrogant
     Ta Muse, en jouant l’hypocrite,
     A redressé les faux Dévots ;
     La Précieuse, à tes bons mots,
     A reconnu son faux mérite ;
     L’homme ennemi du genre humain,
     Le Campagnard, qui tout admire,
     N’ont pas lu tes écrits en vain :
Tous deux se sont instruits, en ne pensant qu’a rire.
Enfin tu réformas la Ville et la Cour :
     Mais quelle fut ta récompense ?
     Les Français rougiront un jour
     De leur peu de reconnaissance.
     Il leur fallait un Comédien
Qui mit, à les polir, son art et son étude ;
Mais, Molière, à ta gloire il ne manquerait rien,
Si, parmi leurs défauts, que tu peignis si bien,
Tu les avais repris de leur ingratitude.
1801, Moliérana, 52, p. 86

Tome III, p. 346 §

1694, Arliquiniana, p. 13-14

Épitaphe de Molière par la Fontaine.

Sous ce tombeau gisent Plaute* et Térence* ;
Et cependant le seul Molière y gît.
Leurs trois talents ne formaient qu’un esprit,
Dont le bel Air réjouissait la France
Ils sont partis ; et j’ai peu d’espérance
De les revoir, malgré tous nos efforts.
Pour un longtemps, selon toute apparence,
Térence* et Plaute* et Molière sont morts.
1801, Moliérana, 98, p. 142

Tome III, p. 346 §

Un Abbé présenta à M. le Prince l’Épitaphe suivante, dont on a parlé au bas de la page 507, du Second Tome de cet ouvrage155.

     Ci-gît qui parut, sur la scène,
     Le singe de la vie humaine,
     Qui n’aura jamais son égal ;
Mais voulant de la mort, ainsi que de la vie,
Être l’Imitateur, dans une Comédie,
Pour trop bien réussir, il réussit très-mal ;
     Car la Mort, en étant ravie,
     Trouva si belle la copie
     Qu’elle en fit un original.
1801, Moliérana, 96, p. 140-141

Tome III, p. 346-347 §

Molière avait un grand-père qui l’aimait beaucoup ; et comme ce vieillard avait de la passion pour la Comédie, il menait souvent le petit Poquelin à l’Hôtel de Bourgogne*. Le père, qui appréhendait que ce plaisir ne dissipât son fils, et ne lui ôtât l’attention qu’il devait à son métier, demanda un jour au bonhomme pourquoi il menait si souvent son petit-fils au Spectacle ? « Avez-vous envie, lui dit-il, d’en faire un Comédien ? Plût à Dieu, lui répondit le grand-père, qu’il fût aussi bon Comédien que Bellerose ». Cette réponse frappa le jeune homme.

Tome III, p. 347 §

Le père de Molière, fâché du parti que son fils avait pris d’aller dans les Provinces jouer la Comédie, le fit solliciter inutilement par tout ce qu’il avait d’amis, de quitter cette pensée. Enfin il lui envoya le Maître chez qui il l’avait mis en pension pendant ce temps-là, il pourrait le ramener à son devoir ; mais bien loin que cet homme l’engageât à quitter sa profession, le jeune Molière lui persuada de l’embrasser lui-même, et d’être le Docteur de leur Comédie ; lui représentant que le peu de Latin qu’il savait, le rendrait capable d’en bien faire le personnage, et que la vie qu’ils mèneraient, serait bien plus agréable que celle d’un homme qui tient des Pensionnaires.

1801, Moliérana, 17, p. 47-48

Tome III, p. 347 §

1715, Ménagiana, tome 4, p. 173-174

On était assemblé pour la seconde représentation du Tartuffe, lorsqu’il arriva une défense du Parlement de jouer cette Comédie. « Messieurs, dit Molière en s’adressant à l’assemblée, nous comptions aujourd’hui avoir l’honneur de vous donner le Tartuffe ; mais M. le Premier Président ne veut pas qu’on le joue ».

1801, Moliérana, 18, p. 48

Tome III, p. 347-348 §

Quoique Molière fût très agréable en conversation, lorsque les gens lui plaisaient, il ne parlait guère en compagnie, à moins qu’il ne se trouvât avec des personnes pour qui il eût un estime particulière. Cela faisait dire à ceux qui ne le connaissaient pas, qu’il était rêveur et mélancolique ; mais s’il parlait peu, il parlait juste. D’ailleurs il observait les manières et les mœurs, et trouvait le moyen ensuite d’en faire des applications admirables dans ses Comédies, où l’on peut dire qu’il a joué tout le monde, puisqu´il s’y est joué le premier en plusieurs endroit, sur ce qui se passait dans sa propre famille.

Tome III, p. 348 §

1705, Grimarest, p. 85-67

Baron* annonça un jour à Molière, un homme que l’extrême misère empêchait de paraître. « Il se nomme Mondorge156 », ajouta-t-il. « Je le connais, dit Molière ; il a été mon camarade en Languedoc ; c’est un honnête-homme. Que jugez-vous qu’il faille lui donner ? Quatre Pistoles, dit Baron*, après avoir hésité quelques temps. Hé ! Bien, répliqua Molière, je vais les lui donner pour moi ; donnez-lui pour vous ces vingt autres que voilà ». Mondorge parut ; Molière l’embrassa, le consola, et joignit au présent qu’il lui faisait, un magnifique habit de Théâtre, pour jouer les rôles Tragiques.

1801, Moliérana, 45, p. 77-78

Tome III, p. 348 §

Le Grand-Condé* disait que Corneille était le Bréviaire des Rois ; on pourrait dire que Molière est le Bréviaire de tous les hommes.

Tome III, p. 349 §

Louis XIV, se bottant pour aller à la chasse, demandait à Despréaux, en présence de plusieurs Seigneurs, quels Auteurs avaient le mieux réussi pour la Comédie ? Je n’en connais qu’un, reprit le Satyrique ; et c’est Molière ; tous les autres n’ont fait que des Farces proprement dites, comme ces vilaines Pièces de Scarron*. Le Roi demeura pensif ; et Despréaux, s’apercevant qu’il avait fait une faute, se mit à baisser les yeux, ainsi que les autres Courtisans. « Si bien donc, reprit le Roi, que Despréaux n’estime que le seul Molière ? » « Il n’y a, Sire, que lui qui soit estimable dans son genre d’écrire ». « Je n’eus garde, disait Despréaux, de vouloir rhabiller mon incartade157 ; c’eût été faire sentir que j’avais été capable de la faire ». Le Duc de Chevreuse158 le tira à quartier, en lui disant : « Oh ! Pour le coup, votre prudence était endormie !... » « Et où est l’homme, répondait Despréaux, à qui il n’échappe jamais une sottise ? »

Tome III, p. 349 §

Molière était désigné pour remplir la première place vacante à l’Académie Française. La Compagnie s’était arrangée au sujet de sa profession : il n’aurait plus joué que des rôles de Haut-Comique ; mais sa mort précipitée le priva d’une Place bien méritée, et l’Académie d’un sujet si digne de la remplir. Ce fait est attesté par une note de l’Académie Française.

1801, Moliérana, 5, p. 37

Tome III, p. 436 §

Deux ou trois ans après la mort de Molière, il y eut un hiver très-rude. Sa veuve fit porter cent voies159 de bois sur la tombe de son mari, et les y fit brûler pour chauffer les pauvres du quartier. La grande chaleur du feu fendit en deux la pierre qui couvrait la tombe.

Tome III, p. 467 §

Somaise*, (Antoine Bodeau de) vivait du temps de Molière, dont il se déclara l’ennemi ; il l’attaqua dans toutes ses Préfaces, et fit contre lui les Véritables précieuses, le Procès des précieuses ; il mit en Vers les Précieuses ridicules.

Tome III, p. 490 §

Un Acteur, jouant le rôle d’Harpagon dans cette Pièce, se laissa tomber en courant, et en criant au voleur, à la Scène de la Cassette160. Loin de chercher à se relever, il eut la présence d’esprit de continuer son rôle par terre, comme un homme affaissé sous le poids de la douleur et du désespoir. Il ne se releva qu’à l’endroit où la nature et la vérité lui permettaient de le faire ; et le Public fut persuadé qu’il était tombé exprès, pour mieux rendre son jeu.