Jean-François de La Harpe

1800

Des comiques d’un ordre inférieur dans le siècle de Louis XIV (Lycée, t. II, chap. VII)

2015
Source : Jean-François de La Harpe, « Des Comiques d’un ordre inférieur dans le siècle de Louis XIV » [1800], in Lycée, ou Cours de littérature ancienne et moderne, Paris, Depelafol, 1825, tome II, chap. VII, p. 294-331.
Ont participé à cette édition électronique : Camille Amaouche (OCR et stylage) et Chayma Soltani (Structuration et encodage TEI).

Section Première.
Quinault, Brueys et Palaprat, Baron, Campistron, Boursault. §

{p. 294}Le premier qui, profitant des leçons de Molière quitta le romanesque et le bouffon pour une intrigue raisonnable et la conversation des honnêtes gens, fut le jeune Quinault, qui donna sa Mère coquette, en 1665, sous le titre des Amants brouillés. Elle s’est toujours soutenue au théâtre, et fait voir que Quinault avait plus d’un talent : elle est bien conduite : les caractères et la versification sont d’une touche naturelle, mais un peu faible. On y voit un marquis ridicule, avantageux et poltron, sur lequel Regnard paraît avoir modelé celui du Joueur, particulièrement dans la scène où le marquis refuse de se battre. Il y a des détails agréables et ingénieux, et de bonnes plaisanteries : telle est celle d’un valet fripon à qui l’on donne un diamant pour déposer que le mari de la Mère coquette est mort aux Indes, quoiqu’il n’en soit rien. Il doute un peu du diamant : il demande s’il est bon; on le lui garantit.

{p. 295} Enfin (dit-il) s’il n’est pas bon, le défini n’est pas mort.

Les deux jeunes amants, Isabelle et Acante, sont un peu brouillés par de faux rapports de valets que la Mère coquette a gagnés. Cependant Isabelle voudrait s’éclaircir davantage : elle écrit pour Acante ce billet, qui est très-joli :

Je voudrais vous parler et nous voir seuls tous deux.
Je ne conçois pas bien pourquoi je le désire.
Je ne sais ce que je vous veux;
Mais n’auriez-vous rien à me dire?

Brueys et Palaprat, nés tous deux dans le midi de la France, et qui avaient la vivacité d’esprit et la gaieté qui caractérisent les habitants de ces belles provinces, réunis tous deux par la conformité d’humeur et de goût, et qui mirent en commun leur travail et leur talent, sans que cette association délicate ait jamais produit entre eux de jalousie, nous ont laissé deux pièces d’un comique naturel et gai. Je ne parlerais du Muet, dont le fond est imité de l’Eunuque de Térence : il y a des situations que le jeu du théâtre fait valoir, mais la conduite est défectueuse. La pièce, qui a cinq actes, pourrait finir au troisième : il y a un rôle de père d’une crédulité outrée, et la scène du valet déguisé en médecin est une charge trop forte. Je veux parler d’abord de l’Avocat Patelin, remarquable par son ancienneté originaire, puisqu’il est du temps de Charles VII, et qui n’a rien perdu de sa naïveté quand on l’a rajeuni dans la langue du siècle de Louis XIV. C’est un monument curieux de la gaieté {p. 296} de notre ancien théâtre, et en même temps de sa liberté; car il paraît certain que ce fut un personnage réel que ce Patelin joué sur les tréteaux du quinzième siècle. Brueys et Palaprat l’ont fort embelli; mais les scènes principales et plusieurs des meilleures plaisanteries se trouvent dans le vieux français de la farce de Pierre Patelin, imprimée en 1656 sur un manuscrit de l’an 1460, sous ce titre: Des tromperies, finesses et subtilités de maître Pierre Patelin, avocat. Pasquier en parle dans ses Recherches avec des éloges exagérés, qui font voir que l’on ne connaissait encore rien de mieux. Mais le témoignage des auteurs qui ont travaillé sur les antiquités françaises, et les traductions que l’on fit de cette pièce en plusieurs langues, prouvent qu’elle eut de tout temps un très-grand succès, parce qu’en effet le naturel a le même droit sur les hommes dans tous les temps, et qu’il y en a beaucoup dans cet ouvrage. Sans doute le procès de M. Guillaume contre un berger qui lui a volé des moutons, et les ruses de Patelin pour lui escroquer six aunes de drap, sont un fond bien mince, et qui est proprement d’un comique populaire : le juge Bartolin, qui prend une tète devenu pour une tête d’homme, est de la même force qu’Arlequin qui mange des chandelles et des bottes. Mais Patelin et sa femme, M. Guillaume et Agnelet, sont des personnages pris dans la nature, et le dialogue est de la plus grande vérité. Il est plein de traits naïfs et plaisants, qu’on a retenus et qui sont, passés en proverbes. On rira toujours de la scène où le marchand {p. 297}drapier confond sans cesse son drap et ses moutons; et celle où Patelin, à force de patelinage (car son nom est devenu celui d’un caractère) vient à bout, d’attraper une pièce de drap, sans la payer, à un vieux marchand avare et retors, est menée avec toute l’adresse possible. Il y a bien loin du moment où le rusé fripon aborde M. Guillaume, dont il n’est pas même connu, à celui où il emporte le drap, et pourtant il fait si bien, que la vraisemblance est conservée, et qu’on voit que le marchand doit être dupe.

Le Grondeur doit être mis fort au-dessus de l’Avocat Patelin : il est vrai que le troisième acte, qui est tout entier du genre de la farce, ne vaut pas, à beaucoup près, celle de Patelin ; mais les deux premiers sont bien faits, et il y a ici un caractère parfaitement dessiné, soutenu d’un bout à l’autre et toujours en situation, celui de M. Grichard. La pièce fut mal reçue dans sa nouveauté ; mais le temps en a décidé le succès, et on la regarde aujourd’hui comme une de nos petites pièces qui ont le plus de mérite et d’agrément.

Il y a si longtemps que le Jaloux désabusé de Campistron n’a été joué, qu’on ignore communément que cette comédie, fort supérieure à toutes les tragédies du même auteur, est en effet son meilleur ouvrage; l’intrigue en est bien conçue, le principal caractère, celui d’un mari jaloux qui ne veut pas le paraître, est comique, et a fourni à La Chaussée le Durval du Préjugé à la mode, et des scènes entières évidemment calquées sur celles de {p. 298} Campistron. Le rôle de Célie, femme du jaloux, est original et intéressant. Elle n’a consenti qu’à regret à feindre une coquetterie qui n’est ni dans ses principes ni dans son caractère, et uniquement pour déterminer son époux à marier sa sœur Julie à un honnête homme qui l’aime et qui en est aimé. Dorante (c’est le nom du mari) s’oppose à cette union par des vues d’intérêt, et Célie, sous le prétexte de recevoir chez elle les jeunes gens qui courtisent cette jeune personne, est l’objet de mille cajoleries concertées qui désespèrent Dorante dont elle connaît le faible, et lui arrachent enfin son consentement au mariage. Le dénouement est amené d’une manière très-satisfaisante, et par un aveu de Célie, qui met dans tout son jour la sensibilité de son cœur, sa tendresse pour son mari dont elle n’a pu soutenir l’affliction, et la pureté des motifs qui la faisaient agir. La pièce est écrite de manière à faire voir que Campistron, qui n’a jamais pu s’élever jusqu’au style tragique, pouvait plus aisément s’approcher de la facilité élégante qui convient à la comédie noble. J’ai vu représenter cette pièce avec succès, il y a vingt-cinq ans, et je ne sais pourquoi elle a disparu du théâtre, comme d’autres que l’on néglige de reprendre pour en jouer qui ne les valent pas.

Baron, ou plutôt, à ce que l’on croit, le père La Rue sous son nom, transporta sur la scène française la meilleure pièce de Térence, l’Andrienne. Il a fidèlement suivi l’original latin dans l’intrigue, qui a de l’intérêt, mais nullement dans {p. 299} la diction, dont il est bien éloigné d’avoir la pureté, la grâce et la finesse. Le dénouement est comme celui de presque tontes les comédies de Térence, une reconnaissance de roman, mais cependant mieux amenée que celle de l’Eunuque du même auteur, que Brueys a conservée dans le Muet. On dispute aussi à Baron l’Homme à bonnes fortunes, mais avec moins de vraisemblance. Cette pièce fort médiocre ne demandait aucune connaissance des anciens, et Baron pouvait être l’original de Moncade, fat assez commun, que quelques femmes ont gâté, et qu’un valet copie à sa manière. La prose en est très-négligée; c’est une de ces pièces dont le jeu des acteurs fait le principal mérite, qu’on va voir quelquefois et que l’on ne lit point. On a voulu remettre, il y a quelque temps, la Coquette du même auteur, très mauvais ouvrage qui n’a eu aucun succès.

On doit savoir d’autant plus de gré à Boursault de ce qu’il a eu de talent, qu’il le devait tout entier à la nature. Il n’avait fait dans sa jeunesse aucune espèce d’études, et né en Bourgogne, il ne parlait encore à treize ans que le patois de sa province. Arrivé dans la capitale, il sentit ce qui lui manquait, et s’appliqua sérieusement à s’instruire au moins dans la langue française. Il y réussit assez pour devenir un homme de bonne compagnie, et ses agréments le firent rechercher à la cour. On lui offrit une place qui pouvait séduire l’ambition, celle de sous-précepteur du Dauphin. Il fut assez sage et assez modeste pour la refuser, parce qu’il ne savait {p. 300} pas le latin, et par là il se sauva d’un écueil où tant d’autres échouent, celui de paraître au-dessous de sa place. Thomas Corneille, qui était de ses amis, voulut l’engager à briguer une place à l’Académie française, l’assurant, non sans vraisemblance, que ses succès au théâtre, et l’estime générale dont il jouissait, lui ouvriraient toutes les portes. Boursault eut encore la modestie de s’y refuser. Son ami eut beau lui dire qu’il n’était pas nécessaire de savoir le latin, et qu’il suffisait d’avoir fait preuve qu’il savait écrire en français, Boursault répondit qu’il était trop ignorant pour entrer dans une compagnie où il y avait tant d’hommes des plus instruits de la nation. Un écrivain qui se faisait une justice si exacte sur le mérite qui lui manquait, et qu’on peut acquérir, est bien digne qu’on la lui rende pour le mérite qu’il eut et qu’on n’acquiert pas. Il avait beaucoup d’esprit, du talent naturel, et ce qui doit encore recommander davantage sa mémoire aux gens de lettres, peu d’hommes leur ont fait plus d’honneur par la noblesse des sentiments et des procédés. On sait que Boileau l’avait attaqué dans ses premières satires, dont il a depuis retranché son nom. Il lui savait mauvais gré de s’être brouillé avec Molière, et c’est en effet le seul tort que Boursault ait eu. Boileau était excusable de prendre la querelle de son ami ; mais Boursault vengea la sienne propre bien noblement. Boileau, qui n’avait pas encore fait la fortune que ses talents lui valurent depuis, s’étant trouvé aux eaux de Bourbon, malade et sans argent, Boursault, qui se {p. 301} rencontra par hasard dans le même endroit, le sut, et: courut lui offrir sa bourse de si bonne grâce, qu’il le força de l’accepter. Ce fut l’époque d’une réconciliation sincère et d’une amitié qui dura autant que leur vie.

Il ne faut pas parler de ses tragédies, qui sont entièrement oubliées et qui doivent l’être, quoique son Germanicus ait eu d’abord un si grand succès, que Corneille l’égalait aux tragédies de Racine. Ce jugement, encore plus étrange que le succès, puisqu’un homme de l’art doit s’y connaître mieux que les autres, ne servit qu’à offenser Racine, et ne sauva pas Germanicus de l’oubli; mais Boursault fut plus heureux dans la comédie. Ce n’est pas que ses pièces soient régulières, il s’en faut de beaucoup; ce ne sont pas même de véritables drames, puisqu’il n’y a ni plan ni action : ce sont des scènes détachées qui en font tout le mérite, et ce mérite a suffi pour les faire vivre. Dans ce genre de pièces, qu’on appelle improprement épisodiques, et qui seraient mieux nommées pièces à épisodes, le Mercure galant était un des sujets les mieux choisis : aucun autre ne pouvait lui fournir un plus grand nombre d’originaux faits pour un cadre comique. Tous cependant ne sont pas également heureux : on en a successivement retranché plusieurs, entre autres la scène du voleur de la gabelle, qui avait quelque chose de trop patibulaire. Elle n’est pas mal faite ; mais il ne faut pas mettre sur le théâtre un homme qui peut en sortant être mené au gibet. On a supprimé aussi quelques scènes un peu {p. 302} froides ; par exemple, celle qui roule sur une housse de lit, dont une femme a fait une robe, et plusieurs autres scènes qui ne valent pas mieux; mais il ne fallait pas en retrancher une fort jolie, celle où M. Michaut vient demander qu’on l’anoblisse dans le Mercure. Ces suppressions ont réduit la pièce à quatre actes, de cinq qu’elle avait. Elle fit en naissant une fortune prodigieuse; on assure dans les Recherches sur le Théâtre, de Beauchamps, quelle fut jouée quatre-vingts fois. Si le fait est vrai, ce nombre extraordinaire de représentations ne lui a pas porté malheur comme à Timocrate, qui n’a jamais reparu; au contraire, il est peu de pièces qu’on joue aussi souvent que le Mercure galant. Il est vrai que le talent rare de l’acteur qui la jouait à lui seul presque tout entière a pu contribuer à cette grande vogue; mais on ne peut disconvenir qu’il n’y ait beaucoup de scènes d’une exécution parfaite, plaisamment inventées et remplies de vers heureux. Ce qui le prouve, c’est, qu’ils sont dans la mémoire de tous ceux qui fréquentent le spectacle.

Boniface Chrétien, Larissole, les deux procureurs et l’abbé Beaugénie, sont excellents dans leur genre. L’invention des billets d’enterrement, qui sont la ressource d’un malheureux libraire qu’un livre in-folio a mis à l’hôpital; l’idée singulière de mettre dans la bouche d’un soldat ivre la critique des irrégularités de notre langue, et de faire de cette critique de grammaire un dialogue très-comique; l’importance que l’abbé Beaugénie met {p. 303} à son énigme; la satisfaction qu’il en a et l’analyse savante qu’il en fait ; la querelle de maître Sangsue et de maître Brigandeau; la supériorité que l’un affecte sur l’autre, tout cela est très-divertissant, et surtout la scène des procureurs est si exactement conforme au style du palais, et d’une tournure de vers si aisée, si naturelle et si adaptée au vrai ton de la comédie, que j’oserai dire (sous ce rapport seul) quelle rappelle la versification de Molière. Elle est si connue, que je n’en citerai qu’un seul exemple, uniquement pour soumettre mon opinion au jugement des connaisseurs.

Au mois de juin dernier, un mémoire de frais
Pensa dans un cachot te faire mettre au frais.
Tu l’avais fait monter à sept cent trente livres,
Et ton papier volant, tel que tu le délivres,
Étant vu de messieurs, trois des plus apparents
Firent monter le tout à trente-quatre francs ;
Encore dirent—ils que, dans cette occurrence,
Ils te passaient cent sous contre leur conscience.

Cela est très-gai; mais ce qui l’est un peu moins, c’est que des faits très attestés aient prouvé que ce n’est pas une plaisanterie.

Le sort à d’Esope à la ville fut aussi très-brillant : il eut quarante-trois représentations; mais il ne s’est pas soutenu depuis, tant ce premier éclat d’une nouveauté est souvent un présage trompeur. Le style est bien inférieur à celui du Mercure galant, et la médiocrité des fables que débite Ésope {p. 304} est d’autant plus sensible que la plupart avaient déjà été traitées par La Fontaine. On serait tenté d’en faire un reproche grave à l’auteur, si lui-même ne s’en était accusé avec cette franchise modeste et courageuse dont j’ai déjà cité plus d’un témoignage. Voici comme il s’exprime dans sa préface. « Ce qui m’a paru le plus dangereux dans cette entreprise, ça été d’oser mettre des fables en vers après l’illustre M. de La Fontaine, qui m’a devancé dans cette route, et que je ne prétends suivre que de très loin. Il ne faut que comparer les siennes avec celles que j’ai faites, pour voir que c’est lui qui est le maître. Les soins inutiles que j’ai pris de l’imiter m’ont appris qu’il est inimitable, et c’est beaucoup pour moi que la gloire d’avoir été souffert où il a été admiré. » Boursault, qui s’était bien trouvé des pièces à tiroir, et qui apparemment se sentait plus fait pour les détails que pour l’invention et l’ensemble, voulut mettre encore une fois Esope sur la scène, et ne mit pas dans cette nouvelle pièce plus d’intrigue et de plan que dans l’autre. C’est un défaut d’autant plus blâmable, que rien ne l’empêchait de placer son Ésope dans un cadre dramatique, et de lui conserver son costume de philosophe et de fabuliste. Esope à la cour ne fut représenté qu’après la mort de l’auteur; il fut d’abord médiocrement goûté; mais à toutes les reprises il eut beaucoup de succès, et il est resté au théâtre. Cependant la critique, même en mettant de côté le vice du genre, peut y trouver des défauts très {p. 305} marqués : le plus grand est d’avoir fait Esope amoureux et aimé, deux choses incompatibles, l’une avec sa sagesse, l’autre avec sa figure. Mais, à cet amour près, son caractère est aussi noble que son esprit est censé, et la pièce offre tour à tour des scènes touchantes et des scènes comiques, toutes également morales et instructives. On sait que le repentir de Rodope, qui a méconnu sa mère un moment, a toujours fait verser des larmes : l’auteur a touché un des endroits du cœur humain les plus sensibles. Il a retrouvé son comique du Mercure galant dans le personnage du financier, M. Griffet, et dans la manière dont il explique ce que c’est que le tour du bâton. Enfin le dénouement est heureux ; il l’a tiré d’une fable de La Fontaine, intitulée le Berger et le Roi, et l’usage qu’il en a fait est intéressant et théâtral. Je citerai encore une scène d’un ton très-noble et d’une intention très-morale, celle où un officier veut engager Esope à le servir de son crédit pour supplanter un concurrent. C’est là que se trouve ce mot si ingénieux qu’il adresse à cet officier, qui, très-piqué de ce qu’Ésope, en parlant de lui, s’est servi du nom de soldat, lui dit avec hauteur :

Je ne suis point soldat, et nul ne m’a vu l’être ;
Je suis bon colonel, et qui sers bien l’état.
Monsieur le colonel, qui n’êtes point soldat,

répond Ésope. Il y a peu de reparties aussi heureuses. Si l’on n’était convaincu par des exemples très-récents que des gens qui impriment {p. 306} journellement savent pas même de quels auteurs a parlé Boileau dans l’Art poétique, on ne concevrait pas que dans une feuille périodique on ait attribué tout à l’heure à un avocat de nos jours, comme une chose toute nouvelle, un trait si frappant d’une pièce aussi connue que l’Ésope à la cour, de Boursault.

Je ne dois pas omettre ici une anecdote digne d’attention. Quand cet ouvrage fut représenté en 1701, on fit supprimer au théâtre quelques endroits du rôle de Crésus et de celui d’Esope, comme trop hardis. Il faut croire qu’ils le parurent moins à l’impression : les voici. Crésus dit, à propos des hommages et des louanges qu’on lui prodigue :

Je m’aperçois, on du moins je soupçonne
Qu’on encense la place autant que la personne,
Que c’est au diadème un tribut que l’on rend,
Et que le roi qui règne est toujours le plus grand.

A la place des deux derniers vers, dont le second est fort bon et dit ce qu’il doit dire, on en mit deux dont le second est fort mauvais :

Qu’on me rend des honneurs qui ne sont pas pour moi,
Et que le trône enfin l’emporte sur le roi,

Le trône qui l’emporte sur le roi est un plat galimatias. Mais comme on avait beaucoup loué Louis XIV, on ne voulait pas qu’il entendît que le roi qui règne est toujours le plus grand. On ne voulut pas non plus qu’Esope récitât devant lui les vers suivants, adressés à Crésus :

{p. 307} Par des soins prévenants, votre âme bienfaisante
En répand sur un seul de quoi suffire à trente ;
Et ce qu’un seul obtient, répandu sur chacun,
Vous feriez trente heureux, et vous n’en faites qu’un.

Si Louis XIV avait été instruit de cette suppression, par qui se serait-il cru offensé, ou par le poète, qui répétait après tant d’autres ces vieilles et utiles vérités, ou par ceux qui en faisaient évidemment à leur souverain une application si maligne?

Section II.
Regnard. §

Ce ne fut qu’en 1696, vingt-trois ans après la mort de Molière, que la bonne comédie parut enfin renaître avec tout son éclat, dans une pièce de caractère et en cinq actes. Le Joueur annonça, non pas tout-à-fait un rival, mais du moins un digne successeur de Molière : Regnard eut cette gloire et la soutint. Il avait alors près de quarante ans, et la vie qu’il avait menée jusque-là, son goût pour le plaisir, le jeu et les voyages, semblaient promettre si peu ce qu’il est devenu, que quelques détails sur sa personne et ses aventures, d’ailleurs curieux par eux-mêmes, ne feront que répandre plus d’intérêt sur la notice de ses ouvrages dramatiques.

Regnard, célèbre par ses comédies, aurait pu l’être par ses seuls voyages : c’était chez lui un goût dominant qui ne fut pas toujours heureux, mais {p. 308} qui était si vif, qu’éteint parti pour voir la Flandre et la Hollande, il alla, en se laissant toujours entraîner à sa passion, d’abord jusqu’à Hambourg, de Hambourg en Danemark, en Suède, et de Suède jusqu’en Laponie. Un simple motif de complaisance pour le roi de Suède, qui le pressa de visiter la Laponie, ou plutôt sa curiosité naturelle, le conduisit jusque près du pôle, précisément au même endroit où des savants ont été de nos jours vérifier des calculs mathématiques et déterminer la figure de la terre. Il fut accompagné dans ce voyage par deux gentilshommes français qui avaient voyagé en Asie, nommés, l’un Fercourt, et l’autre Corberon. Arrivés à Tornéo, qui est la dernière ville du globe du côté du nord, ils s’embarquèrent sur le lac du même nom, qu’ils remontèrent l’espace de huit lieues, arrivèrent jusqu’au pied d’une montagne qu’ils nomment Métavara, et gravirent avec peine jusqu’au sommet, d’où ils découvrirent la mer Glaciale. Là ils gravèrent sur un rocher une inscription en vers latins, qui ne seraient pas indignes du siècle d’Auguste :

Gallia nos genuit, vidit nos Africa, Gangem
Hausimus, Europamque oculis lusastravimus omnem.
Casibus et variis acti terrâque marique,
Sistimus hic tandem, nobis ubi de fuit orbis.

On peut les traduire ainsi :

Nés Français, éprouvés par cent périls divers,
Le Gange nous a vus monter jusqu’à ses sources,
{p. 309} L’Afrique affronter ses déserts,
L’Europe parcourir ses climats et ses mers ;
Voici le terme de nos courses,
Et nous nous arrêtons où finit l’univers.

C’étaient les compagnons de Regnard qui avaient été sur les bords du Gange; pour lui, il ne connaissait l’Afrique et la Grèce que par le malheur d’y avoir été esclave. L’amour fut la cause de cette disgrâce. A son second voyage d’Italie, Regnard rencontra à Bologne une dame provençale, qu’il appelle Elvire, et dont il nomme le mari Deprade. Il conçut pour elle une passion très-vive, et comme elle était sur le point de revenir en France, il s’embarqua avec elle et son mari à Civita-Vecchia, sur une frégate anglaise qui faisait route pour Toulon. La frégate fut prise par deux corsaires algériens, et tout l’équipage mis aux fers et conduit à Alger pour y être vendu. Regnard fut évalué, on ne conçoit pas trop pourquoi, beaucoup plus cher que sa maîtresse; ce qui pourrait faire naître des idées peu avantageuses sur la beauté qu’il avait choisie, quoiqu’il la représente partout comme une créature charmante. Leur patron s’appelait Achmet Talem. Il s’aperçut que son captif s’entendait en bonne chère : il le fit cuisinier. Ainsi bien en prit à Regnard d’avoir été en France un gourmand de profession. A l’égard d’Elvire, on ne nous dit pas ce que Talem en fit, et c’est apparemment par discrétion. Au bout de quelque temps, Achmet eut affaire à Constantinople ; il y mena ses deux esclaves, dont il rendit la captivité {p. 310} très rigoureuse jusqu’à ce que la famille de Regnard lui fit toucher une somme de douze mille livres, qui servit à payer sa rançon, celle de son valet de chambre et de la Provençale. Ils revinrent à Marseille, et de Marseille à Paris. Pour comble de bonheur, ils apprirent la mort de Deprade, qui était demeuré à Alger chez un autre patron. Rien ne s’opposait plus à leur union; et ils croyaient, après tant de traverses, toucher au moment le plus heureux de leur vie, lorsque Deprade, que l’on croyait mort, reparut tout à coup avec deux religieux mathurins qui l’avaient racheté. Cette dernière révolution renversa toutes les espérances de Regnard, qui, pour se distraire de ses chagrins, se remit à voyager. Ce fut alors qu’il tourna vers le nord après avoir vu le midi, et que de la Hollande il passa jusqu’à Tornéo.

Il s’amusa depuis à embellir toute cette aventure d’un vernis romanesque, et il en composa une nouvelle intitulée la Provençale. Toutes les règles du roman y sont scrupuleusement observées. Comme il est le héros de son ouvrage, il commence par faire son portrait sous le nom de Zelmis; et, soit à titre de romancier, soit à titre de poète, soit par la réunion de ces deux qualités, il se dispense absolument de la modestie. Voici comme il se peint : «Zelmis est un cavalier qui plaît d’abord; c’est assez de le voir une fois pour le remarquer; et sa bonne mine est si avantageuse, qu’il ne faut pas chercher avec soin des endroits dans sa personne pour le trouver {p. 311} aimable; il faut seulement se défendre de le trop aimer. »

Passe pour l’éloge, puisqu’il faut qu’un héros de roman soit accompli; mais sa bonne mine, qui est si avantageuse, et les endroits de sa personne ne sont pas une prose digne des vers du Légataire et du Joueur. Tout le reste est écrit de ce style : d’ailleurs, tout y est monté au ton de l’héroïsme. Elvire a bien plutôt la dignité romaine que la vivacité provençale : elle en impose d’un coup d’œil à Mustapha, le chef des pirates, qui a pour elle tout le respect que des corsaires africains ont toujours pour de jeunes captives. Le roi d’Alger (quoiqu’il n’y ait point de roi à Alger) se trouve au port, à la descente des captifs, et ne manque pas de devenir tout d’un coup éperdument amoureux d’Elvire. Il la mène dans son harem, où ses rivales la voient entrer et frémissent de jalousie. Toujours fidèle à son amant, elle se refuse à toutes les instances du roi, qui, de son côté, ne brûle pour elle que de l’amour le plus pur et le plus respectueux, tel qu’il est ordinairement dans le climat d’Afrique. Elle parvient même à voir son amant, qui exerce dans Alger la profession de peintre, avec la permission de son patron. Ils concertent tous deux les moyens de s’enfuir, et ils en viennent à bout ; mais par malheur ils sont rencontrés sur mer par un brigantin d’Alger qui les ramène. Baba Hussan (c’est le nom du roi d’Alger) ne se fâche point du tout de la fuite de la belle captive; il finit même par lui rendre la liberté, {p. 312} comme il convient à un amant généreux. Elle retrouve le beau Zelmis, dont la vie et la fidélité ont aussi couru les plus grands dangers. Deux ou trois favorites de son maître sont devenues folles de l’esclave : il fait la plus belle défense ; mais pourtant, surpris avec une d’elles dans un rendez-vous très innocent, il se voit sur le point d’être empalé, suivant la loi mahométane, lorsque le consul de France interpose son crédit, et le délivre du pal et de l’esclavage.

Tel est le roman qu’a brodé Regnard sur sa captivité d’Alger, et qui n’est pas plus mauvais que beaucoup d’autres. S’il avait écrit ainsi tous ses voyages, ils ne seraient pas fort curieux. Ceux de Flandre, de Hollande, d’Allemagne, de Pologne, de Suède, sont d’un autre ton, mais pourtant ne contiennent guère que des notions générales qui se rencontrent partout ailleurs. Celui de Laponie mérite une attention particulière : c’est le seul où il paraisse avoir porté plutôt l’œil observateur d’un philosophe que la curiosité distraite d’un voyageur. Peut-être la nature même du pays, qui était fort peu connu, et les mœurs extraordinaires de ses habitants suffisaient pour attirer son attention. Peut-être aussi le désir de plaire au roi de Suède, qui ne l’avait engagé à faire ce voyage que pour recueillir les observations qu’il y pourrait faire, le rendit plus attentif qu’il ne l’aurait été naturellement ; et cet esprit courtisan que l’on prend toujours auprès des rois asservit pour un moment l’humeur indépendante et libre d’un homme {p. 313} absolument livre à ses goûts, et qui semblait ne changer de lieu que pour se défaire du temps. Quoi qu’il en soit, il a décrit avec exactitude tout ce que le pays et les habitants peuvent avoir de remarquable, soit qu’il ait tout vu par lui-même, soit qu’il ait consulté, dans la rédaction de son voyage, l’histoire de la Laponie, écrite en latin par Joannes Tornœus, l’ouvrage le meilleur qu’on ait composé sur cette matière, et dont Regnard cite souvent des passages et atteste l’autorité. Un des articles les plus curieux est celui de la sorcellerie, dont les Lapons font grand usage. Notre auteur va voir un Lapon qui passait pour le plus grand sorcier de son pays, et qui prétendait avoir un démon à ses ordres, qu’il pouvait envoyer à l’autre bout de l’Europe, et faire revenir en un moment. On le conjure de dépêcher bien vite son démon en France, pour en rapporter des nouvelles. Le sorcier a recours à son tambour et à son marteau, qui sont des instruments magiques. Il fait des conjurations et des grimaces, se frappe le visage, se met tout en sang; mais le diable n’en est pas plus docile, et l’on n’en a pas de nouvelles. Enfin le sorcier, poussé à bout, avoue que son pouvoir commence à tomber depuis qu’il est vieux et qu’il perd ses dents; qu’autrefois il lui aurait été facile de faire ce qu’on lui demandait, quoiqu’il n’eût jamais envoyé son démon plus loin que Stockholm. Il ajoute que, si l’on veut lui donner de l’eau-de-vie, il ne laissera pas de dire des choses surprenantes. On l’enivre d’eau-de-vie pendant deux ou trois jours, {p. 314} et nos voyageurs, pendant ce temps, lui enlèvent son tambour et son marteau, qu’il pleure amèrement à son réveil, comme le bon Michas pleure ses petits dieux 1Le tambour et le marteau n’étaient pourtant pas des pièces assez curieuses pour être apportées en France, et ce n’était pas la peine d’affliger ce bon Lapon et de le priver de son démon familier.

Les poésies diverses de Regnard ne sont pas indignes d’attention. Ce sont des épîtres et des satires remplies d’imitations des anciens, et surtout d’Horace et de Juvénal: la versification en est souvent négligée, prosaïque, incorrecte ; il y a même des fautes de mesure et de fausses rimes, qui font voir que l’auteur, devenu poète par instinct, n’avait guère étudié la théorie de l’art des vers ; mais parmi tous ces défauts il y a des vers heureux et des morceaux faciles et agréables. En voici un tiré d’une épître dont le commencement est emprunté de celle où Horace invite Torquatus à souper. Regnard y fait la description de la maison qu’il occupait dans la rue de Richelieu, qui était alors une extrémité de Paris.

Je te garde avec soin, mieux que mon patrimoine,
D’un vin exquis, sorti des pressoirs de ce moine
Fameux dans Auvilé plus que ne fut jamais
Le défenseur du Clos vanté par Rabelais.
Trois convives connus, sans amour, sans affaires,
Discrets, qui n’iront point révéler nos mystères,
{p. 315} Seront par moi choisis pour orner ce festin.
Là, par cent mots piquants, enfants nés dans le vin,
Nous donnerons l’essor à cette noble audace
Qui fait sortir la joie et qu’avouerait Horace.
Peut-être ignores-tu dans quel coin reculé
J’habite dans Paris, citoyen exilé,
Et me cache aux regards du profane vulgaire.
Si tu le veux savoir, je vais te satisfaire.
Au bout de cette rue où ce grand cardinal,
Ce prêtre conquérant, ce prélat amiral,
Laissa pour monument une triste fontaine,
Qui fait dire au passant que cet homme, en sa haine,
Qui du trône ébranlé soutint tout le fardeau,
Sut répandre le sang plus largement que l’eau,
S’élève une maison modeste et retirée,
Dont le chagrin surtout ne connaît point l’entrée.
L’œil voit d’abord ce mont dont les antres profonds
Fournissent à Paris l’honneur de ses plafonds,
Où de trente moulins les ailes étendues
M’apprennent chaque jour quel vent chasse les nues.
Le jardin est étroit ; mais les yeux satisfaits
S’y promènent au loin sur de vastes marais.
C’est là qu’en mille endroits laissant errer ma vue ,
Je vois croître à plaisir l’oseille et la laitue ;
C’est là que, dans leur temps, des moissons d’artichauts
Du jardinier actif secondent les travaux ,
Et que de champignons une couche voisine
Ne fait, quand il me plaît, qu’un saut dans ma cuisine.

Il y a des négligences dans ces vers ; mais c’est bien le ton et la manière qui convient à l’épître et à la satire. Regnard a traduit assez bien, à quelques fautes près, cet endroit d’Horace : Pauper Opimius, etc.

{p. 316} Oronte, pâle, étique, et presque diaphane
Par les jeûnes cruels auxquels il se condamne,
Tombe malade enfin : déjà de toutes parts
Le joyeux héritier promène ses regards,
D’un ample coffre-fort contemple la figure
En perce de ses veux les ais et la serrure.
Un avide Esculape, en cette extrémité,
Au malade aux abois assure la santé,
S’il veut prendre un sirop que dans sa main il porte.
Que coûte-t-il? lui dit l’agonisant. Qu’importe?
Qu’importe? dites-vous. Je veux savoir combien.
Peu d’argent, lui dit-il. Mais encor? Presque rien :
Quinze sous. Juste ciel ! quel brigandage extrême!
On me tue, on me vole : et n’est-ce pas le même,
De mourir par la fièvre ou par la pauvreté ? etc.

Le scepticisme dont Regnard faisait profession est porté jusqu’à l’excès dans une épître où il s’efforce de prouver qu’il n’y a réellement ni vice ni vertu, puisque telle action est criminelle dans un pays et louable dans un autre. Il y a longtemps qu’on a pulvérisé ce sophisme frivole; mais il n’est pas inutile d’observer que ces systèmes d’erreur, sur lesquels on a fait de nos jours des volumes dont les auteurs se croyaient une profondeur de génie bien supérieure au plus grand talent dramatique , se retrouvent dans les amusements de la jeunesse d’un poète comique, et ne valent pas une scène de ses moindres pièces. Observons encore combien tout change avec le temps, les circonstances et les personnes, puisque cette mauvaise philosophie de Regnard n’a pas produit le plus petit scandale, et qu’on a imprimé, avec approbation {p. 317} et privilège du roi, cette même pièce où l’on avance que tout est incertain, et que, sur toutes les matières de métaphysique et de morale,

Une femme en sait plus que toute la Sorbonne.

Ce vers scandaleux est une injure à la Sorbonne et au bon sens, sans être un compliment pour les femmes.

Une des premières pièces de la jeunesse de Regnard est une épître à Quinault, où Boileau est cité avec éloge. C’est bien là la franchise étourdie d’un jeune homme : reste à savoir si Quinault en fut content; mais Boileau ne dut pas en être très flatté, non plus que Racine, dont l’éloge succède immédiatement à celui de Campistron ; et c’est ainsi que les talents sont encore loués tous les jours. Une autre épître est adressée à ce même Despréaux, à la tête de la comédie des Ménechmes. Regnard, avant cette dédicace, s’était brouillé avec le satirique, et avait répondu assez mal à sa satire contre les femmes par une satire contre les maris. Il avait même fait une autre pièce, qui a pour titre le Tombeau de Boileau, et dans laquelle il y a des traits dignes de Boileau lui-même. Il suppose que ce grand satirique vient de mourir du chagrin que lui a causé le mauvais succès de ses derniers ouvrages. Il décrit son convoi :

Mes yeux ont vu passer dans la place prochaine
Des menins de la mort une bande inhumaine.
De pédants mal vêtus un bataillon crotté
Descendait à pas lents de l’Université.
{p. 318} Leurs longs manteaux de deuil traînaient jusques à terre
À leurs crêpes flottants les vents faisaient la guerre,
Et chacun à la main avait pris pour flambeau
Un laurier jadis vert, pour orner un tombeau.
J’ai vu parmi les rangs, malgré la foule extrême,
De maint auteur dolent la face sèche et blême ;
Deux Grecs et deux Latins escortaient le cercueil,.
Et, le mouchoir en main, Barbin menait le deuil.

Ce dernier vers est plaisant. Regnard rapporte les dernières paroles de Boileau, adressées à ses vers :

« O vous, mes tristes vers, noble objet de l’envie,
Vous dont j’attends l’honneur d’une seconde vie!
Puissiez—vous échapper au naufrage des ans,
Et braver à jamais l’ignorance et le temps !
Je ne vous verrai plus ; déjà la mort affreuse  
Autour de mon chevet étend une aile hideuse2!
Mais je meurs sans regret dans un temps dépravé,
Où le mauvais goût règne et va le front levé ;
Où le public ingrat, infidèle, perfide,
Trouve ma veine usée et mon style insipide.
Moi qui me crus jadis à Regnier préféré ;
Que diront nos neveux? Regnard m’est comparé!
Lui qui, pendant dix ans, du couchant à l’aurore,
Erra chez le Lapon ou rama sous le Maure !
Lui qui ne sut jamais ni le grec ni l’hébreu ,
Qui joua jour et nuit, fit grand’chère et bon feu ! » etc.

Du couchant à l’aurore n’est pas très-bien placé avec le Lapon et le Maure, qui sont au nord et au midi. Regnard reproche à Boileau d’être jaloux de {p. 319} lui : il ne travaillait pourtant pas dans le même genre. Au surplus, on a oublié ces querelles de l’amour-propre, et l’on ne se souvient plus que des productions de leur génie.

Celles de Regnard lui ont donné une place éminente après Molière, et il a su être un grand comique sans lui ressembler. Ce n’est ni la raison supérieure, ni l’excellente morale, ni l’esprit d’observation, ni l’éloquence de style qu’on admire dans le Misanthrope, dans le Tartufe, les Femmes savantes : ses situations sont moins fortes, mais elles sont comiques; et ce qui le caractérise surtout, c’est une gaieté soutenue qui lui est particulière, un fonds inépuisable de saillies, de traits plaisants : il ne fait pas souvent penser, mais il fait toujours rire. La seule pièce où l’on remarque ce comique de caractère, ces résultats d’observation qui lui manquent ordinairement, c’est le Joueur, et c’est aussi son plus bel ouvrage, et l’un des meilleurs que l’on ait mis au théâtre depuis Molière. Il est bien intrigué et bien dénoué : se servir d’une prêteuse sur gages pour amener le dénouement d’une pièce qui s’appelle le Joueur, et faire mettre en gage par Valère le portrait de sa maîtresse à l’instant où il vient de le recevoir, est d’un auteur qui a parfaitement saisi son sujet : aussi Regnard était-il joueur. Il a peint d’après nature, et toutes les scènes où le joueur paraît sont excellentes. Les variations de son amour, selon qu’il est plus ou moins heureux au jeu ; l’éloge passionné qu’il fait du jeu quand il a gagné ; ses fureurs mêlées de {p. 320} souvenirs amoureux quand il a perdu; ses alternatives de joie et de désespoir; le respect qu’il a pour l’argent gagné au jeu, au point de ne pas vouloir s’en servir, même pour retirer le portrait d’Angélique; cet axiome de joueur qu’on a tant répété, et qui souvent même est celui des gens qui ne jouent pas,

Rien ne porte malheur comme payer ses dettes ;

tout cela est de la plus grande vérité. Le mémoire que présente Hector à M. Géronte, des dettes actives et passives de son fils, est de la tournure la plus gaie. Les autres personnages, il est vrai, ne sont pas tous si bien traités. La comtesse est même à peu près inutile, et le faux marquis est un rôle outré, et quelquefois un peu froid : mais il est adroit de l’avoir fait démarquiser par cette même madame la Ressource, qui rompt le mariage du Joueur avec Angélique. Il n’est pas non plus très-vraisemblable que le maître de trictrac, qui vient pour Valère, prenne Géronte pour lui, et débute par lui proposer des leçons d’escroquerie. Ces sortes de gens connaissent mieux leur monde ; mais la scène est amusante, et tous ces défauts sont peu de chose en comparaison des beautés dont la pièce est remplie. Il y a même de ces mots heureux pris bien avant dans l’esprit humain.

Ce Sénèque, monsieur, est un excellent homme.
Etait-il de Paris?
Non , il était de Rome ,

{p. 321} répond le joueur désespéré, qui ne songe à rien moins qu’à ce qu’il dit; et tout de suite il s’écrie avec rage :

Dix fois à carte triple être pris le premier!

Ce dialogue est la nature même : le poète, qui était joueur, n’a eu de ces mots-là que dans la peinture d’un caractère qui est le sien ; et Molière, qui en est rempli, les a répandus dans tous ses sujets; en sorte qu’il a toujours trouvé par la force de son génie ce que Regnard n’a trouvé qu’une fois et dans lui-même.

Après le Joueur, il faut placer le Légataire : il y a même des gens d’esprit et de goût qui préfèrent cette dernière pièce à toutes celles de Regnard : c’est peut-être le chef-d’œuvre de la gaieté comique, j’entends de celle qui se borne à faire rire. Elle est remplie de situations qui par la forme approchent du grotesque, telles que le déguisement de Crispin en veuve et en campagnard, mais qui dans le fond ne sont ni basses ni triviales, et ne sortent point de la vraisemblance. Le testament de Crispin s’en éloigne d’autant moins, que cette scène rappelait une aventure semblable, qui venait de se passer en réalité. Mais il y a loin d’un testament supposé, qui n’est pas, après tout, une chose très rare, à la manière dont le Crispin de Regnard fait le sien, en songeant d’abord à ses affaires, et ensuite à celles de son maître. Jamais rien n’a fait plus rire au théâtre que ce testament. On a dit avec raison que cette pièce n’était pas d’un bon exemple, et ce n’est {p. 322} pas la seule où la friponnerie soit impunie. Mais du moins le personnage nommé légataire universel est celui qui naturellement doit l’être, et la pièce est une leçon bien frappante des dangers qui peuvent assiéger la vieillesse infirme d’un célibataire. Il est bien étrange qu’on ait imaginé depuis de refaire cette pièce sous le nom du Vieux Garçon, et qu’un autre auteur, tout aussi confiant, ait cru faire un célibataire, en mettant sur la scène un homme de trente ans qui ne veut pas se marier.

Les Ménechmes sont, après le Légataire, le fond le plus comique que l’auteur ait manié. Le sujet est de Plante : nous avons vu, à l’article de ce poète latin, combien il est resté au-dessous de son imitateur: celui-ci multiplie bien davantage les méprises, et met à de bien plus grandes épreuves la patience du Ménecline campagnard. La ressemblance ne produit guère dans Plaute que des friponneries assez froides; dans Regnard elle produit une foule de situations plus réjouissantes’ les unes que les autres. J’avoue que cette ressemblance n’est guère vraisemblable, et qu’en la supposant aussi grande qu’elle peut l’être, le contraste du militaire et du provincial dans le langage et les manières est si marqué, qu’on ne peut pas croire que l’œil d’une annuité puisse s’y tromper. Mais ce contraste divertit, et l’on se prête à l’illusion pour l’intérêt de son plaisir. Un trait d’habileté dans l’auteur, c’est d’avoir donné au Ménechme officier, non seulement une jeune maîtresse qu’il aime, mais une liaison d’intérêt avec une vieille folle dont il est {p. 323} aimé. La douleur de la jeune personne ne pouvait pas être risible, et on l’aurait vue avec peine humiliée et chagrinée par les duretés et les brusqueries du campagnard; aussi Regnard ne la laisse-t-il dans l’erreur que pendant une seule scène, et se hâte-t-il de l’en tirer. Mais pour la ridicule Araminte, il la met en œuvre pendant toute la pièce, avec d’autant plus de succès, que personne ne la plaint, et qu’étant fort loin de la douceur et de la modestie d’Isabelle, elle pousse jusqu’au dernier excès les extravagances de son désespoir amoureux, et met, à force de persécutions, le pauvre provincial absolument hors de toute mesure. Les scènes épisodiques du Gascon et du tailleur sont dignes du reste pour l’effet comique, et ces sortes de méprises, nées de la ressemblance, sont un fonds si inépuisable, que nous avons au théâtre italien trois pièces sur le même sujet, qui toutes trois sont vues avec plaisir.

Il s’en faut de beaucoup que Démocrite et le Distrait soient de la même force que les ouvrages dont je viens de parler, qui sont les chefs-d’œuvre de Regnard. Je crois qu’il se trompa quand il crut que Démocrite amoureux pouvait être un personnage comique : il y en a peu au théâtre d’aussi froids d’un bout à l’autre. Peut-être la crainte de dégrader un philosophe célèbre a-t-elle empêché l’auteur de le rendre propre à la comédie; peut-être à toute force était-il possible d’en venir à bout; mais ce qui est certain, c’est que Regnard y a entièrement échoué. Démocrite est épris de sa {p. 324} pupille, comme Arnolphe l’est de la sienne; mais qu’il s’en faut que sa passion ait des symptômes aussi violents et aussi expressifs que celle d’Arnolphe ! Il ne sort jamais de sa gravité ; il ne parle de sa faiblesse que pour se la reprocher; c’est pour ainsi dire un secret entre le public et lui, et un secret dit à l’oreille. Ces sortes de confidences peuvent être philosophiques, mais elles sont glaciales. Le public veut au théâtre qu’on lui parle tout haut, et qu’on ne soit rien à demi. C’est là où Molière excelle à savoir jusqu’où un travers dérange l’esprit, jusqu’où une passion renverse une tête; il va toujours aussi loin que la nature. D’ailleurs, l’amour d’Arnolphe produit des incidents très théâtraux; celui de Démocrite n’en produit aucun. Le froid amour d’Agélas pour la pupille de Démocrite, et l’amour encore plus froid de la princesse Ismène pour Agénor, et une reconnaissance triviale, achèvent de gâter la pièce. Cependant elle est restée au théâtre. Comment? comme plusieurs autres pièces, pour une seule scène, celle de Cléanthis et de Strabon. La situation et le dialogue sont, dans leur genre, d’un comique parfait. Mais s’il y a des ouvrages qu’une seule scène a fait vivre au théâtre, ils y traînent d’ordinaire une existence bien languissante, et il y en a peu d’aussi abandonnés que Démocrite.

Le Distrait vaut mieux, puisque du moins il amuse; mais la distraction n’est point un caractère, une habitude morale : c’est un défaut de l’esprit, un vice d’organisation, qui n’est susceptible {p. 325} d’aucun développement, et qui ne peut avoir aucun but d’instruction. Une distraction ressemble à une autre, et dès que le Distrait est annoncé pour tel, on s’attend, lorsqu’il paraît, à quelque sottise nouvelle. Regnard a emprunté une grande partie de celles du Ménalque de La Bruyère, et sa pièce n’est qu’une suite d’incidents qui ne peuvent jamais produire un embarras réel, parce que le Distrait rétablit tout dès qu’il revient de son erreur, et qu’on ne peut, quoi qu’il fasse, se fâcher sérieusement contre lui. Tel est au théâtre l’inconvénient d’un travers d’esprit, qui est nécessairement momentané. D’ailleurs, il y a des bornes à tout, et peut-être Regnard les a-t-il passées de bien plus loin que La Bruyère. Ménalque oublie, le soir de ses noces, qu’il est marié; mais on ne nous dit pas du moins qu’il ait épousé une femme qu’il aimait éperdument ; et le Distrait, qui est très-amoureux de la sienne, oublie qu’elle est sa femme, à l’instant même où il vient de l’obtenir. La distraction est un peu forte, et la folie complète n’irait pas plus loin. L’intrigue est peu de chose : le dénouement ne consiste que dans une fausse lettre, moyen usé depuis les Femmes savantes; et ce n’est pas la seule imitation de Molière, ni dans cette pièce, ni dans les autres de Regnard : il y en a des traces assez frappantes. Mais enfin le Distrait se soutient par l’agrément des détails, par le contraste de l’humeur folle du chevalier et de l’humeur revêche de madame Grognac, à qui l’on fait danser la courante. Au reste, le Distrait tomba dans sa {p. 326} nouveauté, et c’est la seule pièce de Regnard qui ait éprouvé ce sort. Il fut repris au bout de trente ans, après la mort de l’auteur, et il réussit.

Les Folies amoureuses sont dans le genre de ces canevas italiens où il y a toujours un docteur dupé par des moyens grotesques, un mariage et des danses. Regnard avait essayé son talent pendant dix ans sur le théâtre italien ; il fit environ une douzaine de pièces, moitié italiennes, moitié françaises, tantôt seul, tantôt en société avec Dufrény. Le voyage qu’il avait fait en Italie dans sa première jeunesse, et la facilité qu’il avait à parler la langue du pays, lui avaient fait goûter la pantomime des bouffons ultramontains, et les saillies de leur dialogue. Il est probable que ses premiers essais en ce genre influèrent dans la suite sur sa manière d’écrire. On peut remarquer que les Français, nation en général plus pensante que les Italiens et les Grecs, sont les seuls qui aient établi la bonne comédie sur une base de philosophie morale. La gesticulation et les lazzi font chez les Italiens plus de la moitié du comique, comme ils font la plus grande partie de leur conversation, et quelquefois de leur esprit

Il ne faut pas parler du Bal et de la Sérénade, premières productions de Regnard, qui ne sont que des espèces de croquis dramatiques formés de scènes prises partout, et roulant toutes sur des friponneries de valets, qui dès ce temps étaient usées. Mais le Retour imprévu (dont le sujet est tiré de Plaute), quoique fondé aussi sur les mensonges {p. 327} d’un valet, est ce que nous avons de mieux en ce genre. Les incidents que produit le retour du père, et le personnage du marquis ivre, et la scène entre M. Géronte et madame Argante, où chacun d’eux croit que l’autre a perdu l’esprit, sont d’un comique naturel sans être bas, et achèvent de confirmer ce que Despréaux répondit à un critique très-injuste, qui lui disait que Regnard était un auteur médiocre. «Il n’est pas, dit le judicieux satirique, médiocrement gai. »

Section III.
Dufrény, Dancourt, Hauteroche. §

Dufrény, qui fut longtemps lié avec Regnard, se brouilla avec lui à l’occasion du Joueur, dont il prétendit, avec assez de vraisemblance, que le sujet lui avait été dérobé; mais quand il donna son Chevalier joueur, il prouva que les sujets sont en effet à ceux qui savent le mieux les traiter. La comédie de Regnard eut la plus complète réussite, et l’ouvrage de Dufrény échoua entièrement. En général, il fut aussi malheureux au théâtre que Regnard y fut bien traité. La plupart de ses pièces moururent en naissant, et celles même qui lui ont fait une juste réputation n’eurent qu’un succès médiocre. Le Chevalier joueur, ta Noce interrompue, la Joueuse, la Malade sans maladie, le Faux honnête homme, le jaloux honteux, tombèrent dans leur nouveauté, et ne se sont pas relevés, quoique dans toutes ces pièces il y ait des choses très {p. 328} ingénieuses. C’est là surtout ce qui le distingue : il pétille d’esprit, et cet esprit est absolument original. Mais comme cet esprit est toujours le sien, il arrive que tous ses personnages, même ses paysans, n’en ont point d’autre ; et le vrai talent dramatique consiste au contraire à se cacher pour ne laisser voir que les personnages. Cela n’empêche pas que Dufrény ne mérite une place distinguée. L’Esprit de contradiction, le Double veuvage, le Mariage fait et rompu, les trois plus jolies pièces qu’il nous ait laissées, sont d’une composition agréable et piquante, et d’un dialogue vif et saillant. Ses intrigues sont toujours un peu forcées, excepté celle de l’Esprit de contradiction; aussi n’a-t-il qu’un acte. Ses rôles, dont la conception est la plus comique, sont la femme contrariante dans la pièce que je viens de citer, la veuve du Double veuvage, la coquette de village dans la pièce de ce nom, le président et la présidente du Mariage fait et rompu, le Gascon Glacignac dans la même pièce, le meilleur de tous les Gascons que l’on ait mis sur la scène, et le Falaise de la Réconciliation normande. Il a peint dans cette pièce des originaux particuliers au pays de la chicane et de la plaidoirie, la science approfondie des procès, et les haines domestiques et invétérées qu’ils produisent. Le tableau est énergique, mais d’une couleur monotone et un peu rembrunie : il y a des situations neuves et très artistement combinées; mais l’intrigue est pénible, et les derniers actes languissent par la répétition des mêmes moyens employés dans les premiers. La prose de {p. 329} Dufrény est en général meilleure que ses vers, quoiqu’il en ait de très-heureux, et même des morceaux entiers pleins de verve et d’originalité : tel est entre autres celui où il fait l’éloge de la haine dans la Réconciliation normande. Mais sa versification est souvent dure à force de viser à la précision : son dialogue, à force de vouloir être serré, est souvent hache en monosyllabes, et devient un cliquetis fatigant. Son expression n’est pas toujours juste; mais elle est quelquefois singulièrement heureuse, par exemple dans ces vers, où il parle d’un plaideur de profession :

Il achetait sous-main de petits procillons
Qu’il savait élever, nourrir de procédures ;
Il les empâtait bien, et de ces nourritures
Il en faisait des bons et gros procès du Mans.

Certainement l’idée d’engraisser des procès comme des chapons est une bonne fortune dans le style comique. Le Dédit est la seule pièce où Dufrény ait été imitateur. La principale scène, où les deux sœurs se demandent pardon toutes deux et se mettent à genoux l’une devant l’autre, est une copie de la scène des deux vieillards dans le Dépit amoureux de Molière, et le fond de l’intrigue est un déguisement de valet, comme il y en a dans vingt autres pièces.

Dancourt marche bien loin après Dufrény, et pourtant doit avoir son rang parmi les comiques du troisième ordre, ce qui est encore quelque {p. 330} chose. Son théâtre est composé de douze volumes, dont les trois quarts sont comme s’ils n’étaient pas ; car s’il est facile d’accumuler les bagatelles, il n’est pas aisé de leur donner un prix. Cet auteur courait après l’historiette ou l’objet du moment pour en faire un vaudeville qu’on oubliait aussi vite que le fait qui l’avait fait naître. De ce genre sont la Foire de Bezons, la Foire de Saint- Germain, la Déroute du Pharaon, la Désolation des Joueuses, l’Opérateur Barry, le Vert-Galant, le Retour des Officiers, les Eaux de Bourbon, les Fêtes du Cours, les Agioteurs, etc. Ses pièces même les plus agréables, celles où il a peint des bourgeois et des paysans, ont toutes un air de ressemblance. Mais il n’en est pas moins vrai que le Galant Jardinier, le Mari retrouvé, les Trois Cousines, et les Bourgeoises de qualité, seront toujours au nombre de nos petites pièces qu’on revoit avec plaisir. Il y a dans son dialogue de l’esprit qui n’exclut pas le naturel: il rend ses paysans agréables sans leur ôter la physionomie qui leur convient, et il saisit assez bien quelques-uns des ridicules de la bourgeoisie.

De Dancourt à Hauteroche il faut encore descendre beaucoup : qu’on juge quel chemin nous avons fait depuis Molière, sans sortir d’un même siècle! C’est ici du moins qu’il faut s’arrêter. On joue quelques pièces de Hauteroche : son Esprit follet est un mauvais drame italien, écrit en style de Scarron, et fait pour la multitude, qui aime les histoires d’esprits et d’apparitions. Le Deuil est {p. 331} encore un conte le revenant, et Crispin Médecin, et le Cocher supposé, ne doivent leur existence qu’à l’indulgence excessive que l’on a ordinairement pour ces petites pièces qui complètent la durée du spectacle.