POQUELINa (JEAN BAPTISTE) §
Comédien fameux, connu sous le nom de MOLIERE, étoit fils d’un Valet de Chambre Tapissier du Roi, & nâquit à Paris environ l’an 1620. Il fit ses Humanitez sous les Jésuites au College de Clermont. On le destinoit au Barreau ; mais au sortir des Ecoles de Droit il choisit la profession de Comedien, par l’invincible penchant qu’il se sentoit pour la Comédieb, toute son étude & son application ne furent que pour le theatre. Sa prémiere Comédie fut celle de l’Etourdi : il l’exposa au public dans la ville de Lion l’an 1653. S’étant trouvé quelque tems après en Languedoc, il alla offrir ses services à Mr. le Prince de Conti, qui le reçut avec des marques de bonté très-obligeantes, donna des appointemens à sa Troupe, & l’engagea à son service tant auprès de sa personne, que pour les Etats de Languedoc. Aiant passé le Carnaval à Grenoble l’an 1658, il vint s’établir à Rouen. Il y sejourna pendant l’été ; & après quelques voyages qu’il fit à Paris secretement, il eut l’avantage de faire agrèer ses services & ceux de ses camarades à Monsieur, qui lui ayant accordé sa protection, & le titre de sa Troupe, le presenta en cette qualité au Roi & à la Reine Mere. Cette Troupe commença de paroître devant leurs Majestez & toute la Cour le 24 d’Octobre 1658, sur un Théatre dressé exprés dans la salle des Gardes du vieux Louvre, & eut le bonheur de plaire, desorte que sa Majesté donna ses ordres pour l’établir à Paris. La salle du petit Bourbon lui fut accordée, pour y representer la Comedie alternativement avec les Comediens Italiens. On lui accorda la sale du Palais Roial au mois d’Octobre 1660c. Moliere obtint une pension de mille francs l’an 1663. Sa troupe fut arrêtée tout-à-fait au service de sa Majesté l’an 1665, & il continua jusques à sa mort à donner des Pieces qui eurent un grand succés. La derniere de ses Comédies fut Le malade imaginaire. Il en donna la quatriéme représentation le 17 de Février 1673, & mourut le même jour (A). Voilà ce que j’ai tiré de sa Vie imprimée à la tête de ses Oeuvres. J’eusse peut-être bien fait de n’en rien tirer ; car ce Livre-là est plus connu, & plus manié, que ne le sera jamais mon Dictionaire, & ainsi je n’apprens rien de nouveau à qui que ce soit, en copiant quelque chose de ce qui se trouve dans cette Vie de Moliere. On n’y a point rapporté un fait que bien des gens m’ont assûré, c’est qu’il ne se fit Comédien que pour être auprès d’une Comédienne dont il étoit devenu fort amoureux. Je laisse à deviner si l’on s’en est tû parce que cela n’est pas véritable, ou de peur de lui faire tort. Plusieurs personnes assûrent que ses Comédies surpassent ou égalent tout ce que l’ancienne Grece & l’ancienne Rome ont eu de plus beau en ce genre-là (B). {p. 788}Il ne faudroit pas s’étonner qu’il ait si bien réussi à representer les desordres des mauvais ménages, & les chagrins des maris jaloux, ou qui ont sujet de l’être ; car on assûre qu’il savoit cela par expérience autant qu’homme du monde (C). Je m’en rapporte à un Livre qui a été imprimé, {p. 789}& dont je donne quelques Fragmensd. Ce qu’il y a de plus étrange est qu’on a dit que sa femme étoit sa fillee. Il avoit une facilité incroiable à faire des Versf ; mais il se donnoit trop de liberté d’inventer de nouveaux termes, & de nouvelles expressions (D) : il lui échapoit même fort souvent des barbarismes (E). Vous trouverez dans Monsr. Bailletg ce qu’il faut juger de son talent.
Quelques-uns prétendent que la gloire de l’invention n’appartient pas à Moliere, & qu’il profita beaucoup des Comédies que les Italiens avoient jouées à Paris (F). On a tort de dire que Monsr. Despreaux changea de langage après la mort de ce grand Comique ; il l’avoit loué vivant, il le blâma mort si l’on en veut croire certains Censeurs ignorans. La vérité est qu’il ne cessa point de le louer quand il le vit dans le tombeau : il lui reprocha seulement d’avoir eu trop {p. 790} de complaisance pour le parterre, censure raisonnable à certains égards, injuste à tout prendre (G). Les Vers que le Père Bouhours composa à la louange de Moliereh sont les meilleurs qu’il ait jamais composez, si l’on rapporte au jugement de Monsr. Menagei. Je ne sai si les Italiens trouvent à leur goût les Comédies de Moliere traduites en leur langue par un homme de leur Nation transplanté en Allemagnek. Il est plus difficile dans un Ouvrage de cette nature que dans d’autres de communiquer à une Version toutes les beautez de l’Original. Au reste, ce que j’ai rapporté du panchant de notre Moliere pour la Comédie, se trouve avec de nouvelles circonstances dans un Livre de Monsr. Perrault (H). On sera bien aise d’apprendre ce que devint après la mort de Moliere la troupe de Comédiens dont il avoit été le Chef (I) : cela peut fort servir à faire connoître le mérite de cet Acteur.
[Remarques] §
(A) Et mourut le même jour.] Le principal personnage de la derniere Comédie de Moliere est un malade qui fait semblant d’être mort. Moliere représentoit ce personnage, & par conséquent il fut obligé dans l’une des Scênes à faire le mort. Une infinité de gens ont dit qu’il expira dans cette partie de la Piece ; & que lorsqu’il fut question d’achever son rôle, en faisant voir que ce n’étoit qu’une feinte, il ne put ni parler, ni se relever, & qu’on le trouva mort effectivement. Cette singularité parut tenir quelque chose du merveilleux, & fournit aux Poëtes une ample matiere de pointes & d’allusions ingenieuses : c’est apparemment ce qui fit que l’on ajoûta beaucoup de foi à ce Conte. Il y eut même des gens qui le tournérent du côté de la réflexion, & qui moralisérent beaucoup sur cet incident. Mais la vérité est que Moliere ne mourut pas de cette façon : il eut le tems, quoique fort malade, d’achever son rôle. Voici ce qu’on conte dans sa Vie. « Le 17 Fevrier 16731, jour de la quatriéme représentation du Malade Imaginaire, il fut si fort travaillé de sa fluxion qu’il eut de la peine à joüer son rôle : il ne l’acheva qu’en souffrant beaucoup, & le public connut aisément qu’il n’étoit rien moins que ce qu’il avoit voulu joüer : en effet, la Comedie étant faite il se retira promptement chez lui ; & à peine eut-il le tems de se mettre au lit, que la toux continuelle, dont il étoit tourmenté, redoubla sa violence. Les efforts qu’il fit furent si grands, qu’une veine se rompit dans ses poulmons. Aussi-tôt qu’il se sentit en cet état, il tourna toutes ses pensées du côté du ciel : un moment après il perdit la parole, & fut suffoqué en demie heure par l’abondance du sang qu’il perdit par la bouche2 ».
Pour ne rien dissimuler, j’avertis ici mon Lecteur, que si l’on en croit d’autres Ecrivains, Moliere n’eut pas la force d’assister à la représentation jusques à la fin ; il falut l’emporter chez lui avant que toute la Piece eût été jouée. « La mort de Moliere – – – arriva d’une maniere toute surprenante. Il y avoit long-temps qu’il se trouvoit fort incommodé, ce qu’on attribuoit au chagrin de son mauvais menage, & plus encore au grand travail qu’il faisoit. Un jour qu’il devoit joüer le Malade imaginaire, piece nouvelle alors, & la derniere qu’il avoit composée, il se trouva fort mal avant que de commencer, & fut prest de s’excuser de jouer sur sa maladie ; cependant comme il eut vu la foule du monde qui étoit à cette representation, & le chagrin qu’il y avoit de le renvoyer, il s’efforça, & joüa presque jusqu’à la fin, sans s’appercevoir que son incommodité fût augmentée : mais dans l’endroit où il contrefaisoit le mort, il demeura si foible, qu’on crut qu’il l’étoit effectivement, & on eut mille peines à le relever. On lui conseilla pour lors de ne point achever, & de s’aller mettre au lit : il ne laissa pas pour cela de vouloir finir ; & comme la piece étoit fort avancée, il crut pouvoir aller jusqu’au bout sans se faire beaucoup de tort ; mais le zêle qu’il avoit pour le public eut une suite bien cruelle pour lui ; car dans le temps qu’il disoit de la ruë-barbe, & du scené dans la ceremonie des Medecins, il lui tomba du sang de la bouche ; ce qui ayant extremement effrayé les spectateurs & ses camarades, on l’emporta chez lui fort promptement, où sa femme le suivit dans sa chambre. Elle contrefit du mieux qu’elle put la personne affligée, mais tout ce qu’on employa ne servit de rien : il mourut en fort peu d’heures, après avoit perdu tout son sang, qu’il jettoit avec abondance par la bouche3 »
. Les Poëtes, comme je l’ai déjà dit, ne laissérent pas tomber cette occasion de pointiller ; ils firent courir quantité de petites Pieces : mais « de tout ce qu’on fit sur cette mort, rien ne fut plus approuvé que ces quatre vers Latins, qu’on a trouvé à propos de conserver : »
» Roscius hic situs est tristi Molierus in urnâ,» Cui genus humanum ludere, ludus erat.» Dum ludit mortem, Mors indignata jocantem» Corripit, & mimum fingere sæva negat4.
Joignons à ces Vers Latins cette Epitaphe Françoise5 :
Cy git qui parut sur la SceneLe singe de la vie humaine,Qui n’aura jamais son égal,Qui voulant de la Mort, ainsi que de la Vie,Estre l’imitateur dans une Comedie,Pour trop bien reüssir, y reüssit fort mal ;Car la Mort en estant ravie,Trouva si belle la copie,Qu’elle en fit un original.
(B) Plusieurs personnes assûrent que ses Comédies surpassent ou égalent tout ce que l’ancienne Grece & l’ancienne Rome ont eu de plus beau en ce genre-là.] Mr. Perrault s’est attiré beaucoup d’Adversaires, pour s’être opposé fort vivement à ceux qui disent qu’il n’y a point aujourd’hui d’Auteurs, que l’on puisse comparer aux Homeres & aux Virgiles, aux Demosthenes & aux Cicerons, aux Aristophanes & aux Terences, aux Sophocles & aux Euripides. Cette Dispute a fait naître de part & d’autre plusieurs Ouvrages, où l’on peut apprendre de très-bonnes choses. Mais on attend encore la Réponse au Parallêle de Mr. Perrault, & l’on ne sait quand elle viendra. Je croi pouvoir dire qu’en fait d’Ouvrages de plume, il n’y a gueres de choses où tant de gens aient reconnu la supériorité de ce Siecle, que dans les Pieces Comiques. Peut-être cela vient-il de ce que les graces & les finesses d’Aristophane ne sont pas à la portée de tous ceux qui peuvent sentir le sel & les agrémens de Moliere ; car il faut demeurer d’accord que pour bien juger des Comiques Grecs, il faudroit connoître à fond les défauts des Atheniens. Il y a un ridicule commun à tous les tems & à tous les Peuples, & un ridicule particulier à certains Siecles, & à certaines Nations. Il y a des Scênes d’Aristophane qui nous paroissent insipides, qui charmoient peut-être les Atheniens, parce qu’ils connoissoient le défaut qu’il tournoit en ridicule. C’étoit un défaut que peut-être nous ne savons pas ; c’étoit le ridicule ou de quelques faits particuliers, ou de quelque goût passager & commun en ce tems-là, mais qui nous est inconnu lors même que nous pouvons consulter les originaux. Voilà des obstacles qui ne nous permettent point d’admirer ce Poëte selon son mérite, ni en Grec, ni en Latin, ni dans les Versions Françoises les plus fidelles, & les plus polies, qu’on nous en puisse donner. Moliere n’est pas sujet à ce contre-tems : nous savons à qui il en veut, & nous sentons facilement s’il peint bien le ridicule de notre Siecle : rien ne nous échape de tout ce qui lui réussit. Il semble même qu’à l’égard de ces pensées, & de ces fines railleries à quoi tous les Siecles & tous les Peuples polis sont sensibles, il soit plus fécond qu’Aristophane, & que Terence. C’est une prérogative de grand poids ; car enfin l’on ne peut pas accuser ce Siecle de manquer de goût pour les endroits relevez des Poëtes Latins. Montrez aux Dames d’esprit certaines pensées d’Horace, d’Ovide, de Juvenal, &c. ; montrez-les leur en vieux Gaulois ; faites-en la Traduction la plus plate qu’il vous plaira, pourvu qu’elle soit fidelle, vous verrez que ces Dames conviendront que ces pensées sont belles, délicates, fines. Il y a des beautez d’esprit qui sont à la mode dans tous les tems. C’est en celles-là que l’on diroit que notre Moliere est plus fertile, que les Comiques de l’Antiquité. Il a des beautez qui disparoîtroient dans les Versions, & à l’égard des Païs où le goût n’est pas semblable à celui de France ; mais il en a un grand nombre d’autres qui passeroient dans toutes sortes de Traductions, & de quelque goût que les Lecteurs fussent, pourvu qu’ils entendissent l’essence des bonnes pensées. Voiez l’Article Amphitryon6.
(C) On assûre qu’il savoit par expérience les chagrins des maris jaloux, ou qui ont sujet de l’être.] J’ai lu dans un petit Livre imprimé l’an 1688, que7 l’on a donné moins de louanges à Moliere, que l’on n’a dit de douceurs à sa femme ; qu’elle étoit fille de la defunte Bejard Comedienne de campagne, qui faisoit la bonne fortune de quantité de jeunes gens de Languedoc, dans le temps de l’heureuse naissance de sa fille. C’est pourquoi, ajoûte l’Auteur, il seroit très-difficile dans une galanterie si confuse de dire qui en étoit le pere ; tout ce qu’on en sçait est que sa mere assûroit que dans son dereglement, si on en exceptoit Moliere, elle n’avoit jamais pu souffrir que des gens de qualité, & que pour cette raison sa fille étoit d’un sang fort noble ; c’est aussi la seule chose que la pauvre femme lui a toujours recommandée, de ne s’abandonner qu’à des personnes d’élite. On l’a crue fille de Moliere, quoi qu’il ait été depuis son mary ; cependant on n’en sçait pas bien la verité – – –8. Moliere épousa la petite Bejard quelque tems après avoir établi sa troupe à Paris ; il fit quelques pieces de theatre, & entre autres la Princesse d’Elide, où sa femme qui joua la Princesse, 9parut avec tant d’éclat, qu’il eut tout lieu de se repentir de l’avoir exposée au milieu de cette jeunesse brillante de la Cour. Car à peine fut-elle à Chambor où le Roi donnoit ce divertissement, qu’elle devint folle du Comte de Guiche, & que le Comte de Lauzun devint fou d’elle. On fit appercevoir10 Moliere, que le grand soin qu’il avoit de plaire au public lui ôtoit celui d’examiner la conduite de sa femme ; & que pendant qu’il travailloit pour divertir tout le monde, tout le monde cherchoit à divertir sa femme. La jalousie reveilla dans son ame la tendresse que l’étude avoit assoupie ; il courut aussi tôt faire de grandes plaintes à sa femme, en lui reprochant les grands soins avec lesquels il l’avoit élevée ; la passion qu’il avoit étouffée ; ses manieres d’agir, qui avoient été plûtot d’un amant que d’un mary ; & que pour recompense de tant de bontez, elle le rendoit la risée de toute la Cour. La Moliere en pleurant luy fit une espece de confidence des sentimens qu’elle avoit eu pour le Comte de Guiche, dont elle lui jura que tout le crime avoit été dans l’intention, & qu’il falloit pardonner le premier égarement d’une jeune personne, à qui le manque d’experience fait faire d’ordinaire ces sortes de demarches ; mais que les bontez, qu’elle reconnoissoit qu’il avoit pour elle, l’empescheroient de retomber dans de pareilles foiblesses. Moliere, persuadé de sa vertu par ses larmes, lui fit mille excuses de son emportement, & lui remontra avec douceur, que ce n’étoit pas assez pour la reputation, que la pureté de la conscience nous justifiât ; qu’il falloit encore que les apparences ne fussent pas contre nous ; sur tout dans un siecle où l’on trouvoit les esprits disposez à croire mal, & fort éloignez de juger des choses avec indulgence11. Elle recommença bientôt sa vie avec plus d’éclat que jamais – – – – – 12. « Moliere averti, par des gens mal intentionnez pour son repos, de la conduite de son épouse, renouvella ses plaintes avec plus de violence qu’il n’avoit encore fait ; il la menaça même de la faire enfermer. La Moliere, outragée de ses reproches, pleura, s’évanouït, & obligea son mari, qui avoit un grand foible pour elle, à se repentir de l’avoir mise en cet état. Il s’empressa fort à la faire revenir, en la conjurant de considerer que l’amour seul avoit causé son emportement, & qu’elle pouvoit juger du pouvoir qu’elle avoit sur son esprit, puis que malgré tous les sujets qu’il avoit de se plaindre d’elle, il étoit prêt de lui pardonner, pourvu qu’elle eût une conduite plus reservée. Un époux si extraordinaire auroit pu lui donner des remords, & la rendre sage : sa bonté fit un effet tout contraire ; & la peur, qu’elle eut de ne pas retrouver une si belle occasion de s’en separer, lui fit prendre un ton fort haut, lui disant qu’elle voyoit bien par qui ces faussetez lui étoient inspirées ; qu’elle étoit rebutée de se voir tous les jours accusée d’une chose dont elle étoit innocente ; qu’il n’avoit qu’à prendre des mesures pour une separation, & qu’elle ne pouvoit plus souffrir un homme, qui avoit toûjours conservé des liaisons particulieres avec la de Brie13, qui demeuroit dans leur maison, & qui n’en étoit point sortie depuis leur mariage. Les soins que l’on prit pour appaiser la Moliere furent inutiles : elle conceut dès ce moment une aversion terrible pour son mary ; & lors qu’il se vouloit servir des privileges qui lui étoient dus par le mariage, elle le traittoit avec le dernier mepris. Enfin elle porta les choses à une telle extremité, que Moliere, qui commençoit à s’appercevoir de ses méchantes inclinations, consentit à la rupture qu’elle demandoit incessamment depuis leur querelle ; si bien que sans arrêt du Parlement, ils demeurerent d’accord qu’ils n’auroient plus d’habitude ensemble. Cependant ce ne fut pas sans se faire une fort grande violence, que Moliere resolut de vivre avec elle dans cette indifference ; & si la raison lui faisoit regarder sa femme comme une personne, que sa conduite rendoit indigne des caresses d’un honnête homme, sa tendresse lui faisoit envisager la peine qu’il auroit de la voir sans se servir des privileges que donne le mariage. Il y rêvoit un jour dans son jardin d’Auteuil, quand un de ses amis nommé Chapelle, qui s’y venoit promener par hazard, l’aborda, & le trouva plus inquiet que de coutume : il lui en demanda plusieurs fois le sujet. Moliere, qui eut quelque honte de se sentir si peu de constance pour un malheur si fort à la mode, resista autant qu’il pût ; mais comme il étoit alors dans une de ces plenitudes de cœur si connuës par les gens qui ont aimé, il ceda à l’envie de se soulager, & avoua de bonne foi à son ami, que la maniere dont il étoit forcé d’en user avec sa femme, étoit la cause de l’accablement où il se trouvoit. Chapelle, qui le croyoit être au dessus de ces sortes de choses, se railla de ce qu’un homme comme lui, qui sçavoit si bien peindre le foible des autres hommes, tomboit dans celui qu’il blâmoit tous les jours, & lui fit voir que le plus ridicule de tous étoit d’aimer une personne qui ne répond pas à la tendresse qu’on a pour elle. Pour moi, lui dit-il, je vous avouë que si j’estois assez malheureux pour me trouver en pareil état, & que je fusse fortement persuadé que la personne que j’aimerois accordât des faveurs à d’autres, j’aurois tant de mépris pour elle, qu’il me gueriroit infailliblement de ma passion : encore avez vous une satisfaction que vous n’auriez pas si c’étoit une maitresse ; & la vengeance, qui prend ordinairement la place de l’amour dans un cœur outragé, vous peut payer tous les chagrins que vous cause vôtre épouse, puis que vous n’avez qu’à la faire enfermer : ce sera même un moyen assûré de vous mettre l’esprit en repos. Moliere, qui avoit écouté son ami avec assez de tranquillité, l’interrompit pour lui demander s’il n’avoit jamais été amoureux : ouï, lui répondit Chapelle, je l’ai été comme un homme de bon sens doit l’être, mais je ne me serois pas fait une si grande peine pour une chose que mon honneur m’auroit conseillé de faire, & je rougis pour vous de vous trouver si incertain. Je vois bien que vous n’avez encore rien aimé, lui répondit Moliere, & vous avez pris la figure de l’amour pour l’amour même. Je ne vous rapporterai point une infinité d’exemples, qui vous feroient connoître la puissance de cette passion ; je vous ferai seulement un recit fidelle de mon embarras, pour vous faire comprendre combien on est peu maître de soi, quand elle a une fois pris sur nous l’ascendant que le temperament lui donne d’ordinaire. Pour vous répondre donc sur la connoissance parfaite que vous dites que j’ai du cœur de l’homme, par les portraits que j’en expose tous les jours au public, je demeurerai d’accord que je me suis étudié autant que j’ai pu à connoître leur foible ; mais si ma science m’a appris qu’on pouvoit fuir le peril, mon experience ne m’a que trop fait voir, qu’il étoit impossible de l’éviter, j’en juge tous les jours par moi-même ».
Il fait ensuite l’Histoire de son mariage ; & après quelques réflexions il ajoûte14 : Je me suis donc determiné à vivre avec elle comme si elle n’étoit pas ma femme. Mais si vous sçaviez ce que je souffre, vous auriez pitié de moi : ma passion est venuë à un tel point, qu’elle va jusqu’à entrer avec compassion dans ses interéts ; & quand je considere combien il m’est impossible de vaincre ce que je sens pour elle, je me dis en même temps, qu’elle a peut-être la même difficulté à detruire le penchant qu’elle a d’être coquette, & je me trouve plus de disposition à la plaindre qu’à la blâmer. Vous me direz sans doute qu’il faut être Poëte pour aimer de cette maniere ; mais pour moi je croi qu’il n’y a qu’une sorte d’amour, & que les gens, qui n’ont point senti de semblables delicatesses, n’ont jamais aimé veritablement – – –15. N’admirez vous pas que tout ce que j’ai de raison ne serve qu’à me faire connoître ma foiblesse sans en pouvoir triompher ? Je vous avouë à mon tour, lui dit son ami, que vous êtes plus à plaindre que je ne pensois ; mais il faut tout esperer du tems : continuez cependant à vous faire des efforts.
Voilà quel étoit le sort de ce Bel-Esprit. Au milieu des acclamations de toute la Cour, brillant de gloire, l’admiration de toute la France & des païs étrangers, il étoit rongé de mille chagrins domestiques. Son mariage lui ôtoit & l’honneur, & le repos : il n’avoit pas même la consolation de haïr sa croix ; je veux dire la personne qui lui causoit tant de troubles. C’est ici que l’on pouvoit dire, Médecin gueri-toi toi-même : Moliere, qui divertissez tant le public, divertissez-vous vous-même. Vous jouez tout le monde ; vous donnez de si bons conseils aux pauvres cocus ; profitez tout le prémier de vos railleries. Il a peut-être dit mille fois avec Horace16, j’aimerois mieux passer pour le plus chétif de tous les Auteurs, & être content, que d’avoir un si grand esprit, & un génie si admiré, & souffrir tant d’inquiétudes
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(D) Il se donnoit trop de liberté d’inventer de nouveaux termes & de nouvelles expressions.] Prenez bien garde qu’on ne blâme ici que l’excès de sa liberté ; car au fond, l’on ne nie pas qu’il ne s’en servit bien souvent d’une maniere très-heureuse, & qui a été utile à notre Langue. Il a fait faire fortune à quelques phrases, & à quelques mots, qui ont beaucoup d’agrémens ; & si quelque Grammairien en jugeoit d’une façon toute contraire, il mériteroit d’être traité comme celui qui censura le Poëte Furius d’avoir inventé certains mots Latins qui abregeoient le discours, & qui n’avoient rien de rude pour les oreilles délicates. Lisez ces paroles d’Aulugelle. Non hercle idem sentio cum Cæsellio Vindice grammatico, ut mea opinio est, haud quaquam inerudito. Verum hoc tamen petulanter inscitêque ; quod Furium veterem poëtam dedecorasse linguam Latinam scripsit hujuscemodi vocum fictionibus, quæ mihi quidem neque abborrere à poetica facultate visæ sunt, neque dictu profatuque ipso tætræ aut insuaves esse ; sicuti sunt quædam alia ab illustribus poetis ficta durè & rancidè. Quae reprehendit autem Caesellius Furiana, hæc sunt ; quod terram in lutum versam lutescere dixerit, & tenebras in noctis modum factas noctescere, &c
17. Au reste, il n’y a point de meilleure forge de nouveaux mots que la Comédie ; car si elle produit quelque nouveauté de langage qui soit bien reçue, une infinité de gens s’en emparent tout à la fois, & la répandent bientôt au long & au large par de fréquentes répétitions. On ne peut contester légitimement aux bons Auteurs le droit de forger de nouveaux mots, puisque sans cela les Langues seroient toujours pauvres, stériles, languissantes. Voiez sur ceci Vossius18 & plusieurs autres Ecrivains19. On doit donc généralement parlant demeurer d’accord, que Moliere avoit le droit d’enrichir de nouveaux termes les matieres du Théatre où il avoit acquis une si grande réputation : mais ce que l’on peut prétendre c’est qu’il abusoit de son droit ; car il faut se souvenir que ces sortes de matieres ne font point sentir à ceux qui les traitent la pauvreté d’une Langue, autant que la sentent les Ecrivains des matieres dogmatiques. Il faut avouer, dit Mr. Arnauld20, qu’on ressent plus le manquement qu’a nostre langue de certains mots, quand on traite des matieres de science, que quand on parle ou qu’on écrit des choses communes de la vie civile. Il parle ainsi dans une Préface où il rend raison de la liberté qu’il s’est donnée d’inventer les mots philosophisme, philosophistes, advertance. Il est sûr qu’un Poëte Comique n’est pas aussi excusable que les Philosophes qui forgent des mots. Une nécessité indispensable y contraint ceux-ci. Lisez cette plainte de Lucrece :
Nec me animi fallit, Graïorum obscura repertaDifficile inlustrare Latinis versibus esse,(Multa novis verbis præsertim cum sit agendum,)Propter egestatem linguæ, & rerum novitatem21 ;
…………………………………………………Nunc & Anaxagoræ scrutemur Homœomeriam,Quam Græci memorant, nec nostra dicere linguaConcedit nobis patrii sermonis egestas22.
Ce n’étoit pas à cause des loix de la quantité qu’il se trouvoit dans la disette ; car ceux qui se servoient de la prose en philosophant, se plaignoient tout comme lui de manquer de mots. Quanta verborum nobis paupertas, imo egestas sit, nunquam magis quam hodierno die intellexi. Mille res inciderunt, cum forte de Platone loqueremur, quæ nomina desiderarent, nec haberent : quædam vero cum habuissem, fastidio nostro perdidissent. Quis autem ferat in egestate fastidium23 ?
Notez en passant la double source que Seneque nous indique de la pauvreté des langues, l’une est qu’on n’a point trouvé certains mots, l’autre est qu’on en laisse tomber plusieurs dans le non-usage. Mais notez aussi que les Romains, lors même qu’ils ne composoient que des Epigrammes, se plaignoient de ne trouver pas les mots qu’il leur eût falu24, & concluez que notre Moliere a pu sentir les mêmes besoins, & qu’à cause de cela il a dû avoir son recours à l’invention. Notez enfin que la naissance d’un mot est pour l’ordinaire la mort d’un autre25. Cela est vrai principalement en France, & ainsi l’on ne peut pas espérer que notre Langue cesse jamais d’être disetteuse.
(E) Il lui échappoit – – – – des barbarismes.] J’en pourrois marquer cent exemples ; mais je me bornerai à deux, que je tire d’une Piece que l’on a mise à la tête de ses Oeuvres dans quelques Editions. C’est un Remerciment au Roi ; il y donne un tour merveilleux, & peut-être n’a-t-il rien fait de meilleur en matiere de petits Ouvrages. Considérez bien ces quatre Vers : il s’adresse à sa Muse.
Vous pourriez aisément l’étendre26,Et parler des transports qu’en vous font éclaterLes surprenans bienfaits, que sans les meriterSa liberale main sur vous daigne repandre.
Cela veut dire, selon le sens de l’Auteur, que sa Muse avoit reçu de grands bienfaits, encore qu’elle ne les méritât point ; mais selon la Grammaire cela signifie, qu’encore que le Roi ne méritàt point ces bienfaits, il ne laissoit pas de les répandre sur la Muse de Moliere. C’est donc s’expliquer barbarement. Voici l’autre exemple.
Les Muses sont de grandes prometeuses,Et comme vos sœurs les causeusesVous ne manqueriez pas sans doute per le bec.
Le sens de l’Auteur est que sa Muse ressembleroit à ses sœurs qui ont beaucoup de babil ; mais selon la Grammaire cela signifie clairement & uniquement qu’elle ne manqueroit pas de caquet comme les autres Muses en manquent. Remarquez bien que par barbarisme je n’entends pas des expressions, ou des paroles tirées des autres Langues, & inconnues à la Françoise ; j’entens un arrangement qui choque les regles, & que nos bons Grammairiens regardent comme barbare.
On voit dans le même Poëme Marquis repoussable
; terme barbare. On y voit prevenant amas
; autre terme barbare : car le mot prevenant n’est en usage qu’au figuré, & ne signifie pas un homme qui a passé devant d’autres.
(F) Quelques-uns prétendent – – – – qu’il profita beaucoup des Comédies que les Italiens avoient jouées à Paris.] La preuve que je vais donner sera tirée d’un Livre anonyme : mais n’importe ; puisqu’il est imprimé, il suffit à justifier ce que j’avance, car j’ai seulement à prouver qu’il y a des gens qui assûrent que les Comédies Italiennes représentées à Paris servirent d’original à Moliere. Lisez ce qui suit, c’est un discours que l’on prête à Arlequin. « Si les Comediens Italiens n’eussent jamais paru en France, peut-être que Moliere ne seroit pas devenu ce qu’il a été. Je sçay qu’il connoissoit parfaitement les anciens Comiques : mais enfin il a pris à notre Theatre ses premieres idées : Vous sçavez que son Cocu Imaginaire est il Ritratto des Italiens ; Scaramouche interrompu dans ses amours a produit ses Fâcheux ; ses Contre-temps ne sont que, Arlequin, Valet étourdi, ainsi de la plûpart de ses Pieces, & dans ces derniers temps son Tartufe n’est-il pas notre Bernagasse. A la vérité il a excellé dans ses Portraits, & je trouve ses Comédies si pleines de sens, qu’on devroit les lire comme des instructions aux jeunes gens, pour leur faire connoistre le monde tel qu’il est. Cependant ces excellens originaux Italiens ne nous produisent plus rien27 »
.
(G) Mr. Despreaux lui reprocha d’avoir eu trop de complaisance pour le parterre, censure raisonnable à certains égards, injuste à tout prendre.] Moliere étoit mort quand Mr. Despreaux le loua dans l’une de ses Epitres28autant ou plus que dans la Satire qu’il lui avoit adressée29. C’est donc très-injustement que l’on a dit qu’il l’avoit loué par politique, & par la crainte d’en être raillé publiquement, soit qu’il ne dit rien à son avantage, soit qu’il osât le critiquer. Mais enfin, me direz-vous, il le critiqua lorsqu’il n’y avoit rien à craindre ; cela n’est-il point suspect ? Non, vous répons-je : je croi que s’il avoit fait l’Art Poëtique pendant la vie de Moliere, il y auroit mis la Censure que l’on verra ci-dessous. Elle étoit pour ainsi dire essentielle à son sujet : elle contient une Observation très-légitime, & qui devroit être une regle inviolable, si l’on ne faisoit des Comédies que pour les faire imprimer ; mais comme elles sont principalement destinées à paroître sur le Théatre en présence de toutes sortes de gens, il n’est point juste d’exiger qu’elles soient bâties selon le goût de Monsr. Despreaux. Voici ses paroles :
Etudiez la Cour, & connoissez la ville,L’une & l’autre est toujours en modeles fertile.C’est par là que Moliere illustrant ses écritsPeut-être de son Art eût remporté le prix ;Si moins ami du peuple en ses doctes peintures,Il n’eût point fait souvent grimacer ses figures,Quitté pour le bouffon, l’agreable & le fin,Et sans honte à Terence allié Tabarin.Dans ce sac ridicule où Scapin*Comedie de Moliere. s’envelope,Je ne reconnois plus l’Auteur du Misanthrope30.
C’est blâmer Moliere de ce qu’il a travaillé non seulement pour les esprits fins, & de bon goût, mais aussi pour les gens grossiers. Il a eu ses raisons, & il eût pu dire ce que l’on suppose qu’Arlequin disoit en semblable cas. Voici ce que c’est. « Ces plaisanteries, luy dis-je, ne sont pas desagréables dans vos Comedies, le mal est qu’elles ne sont pas toutes également bonnes. J’en conviens, me dit-il, mais elles ne laissent pas de divertir certains jeunes gens, qui ne viennent à notre Theatre que pour rire, qui rient de tout, & souvent sans sçavoir pourquoy. Nous jouons souvent devant ces sortes de gens, & il faut leur donner des plaisanteries de leur portée, faute dequoy on trouveroit souvent une grande solitude dans notre Theatre. Je suis fâché, luy dis-je, que vous ayez presque quitté vos anciennes Pieces, elles étoient du goût de toutes les personnes de bon sens, on y trouvoit plusieurs choses utiles pour les Mœurs, & votre Theatre étoit un lieu où j’ose dire qu’en y voyant le ridicule du vice, on se sentoit porté même par la seule raison à prendre le parti de la vertu. Si nous ne representions que nos anciennes Pieces, me dit-il, notre Hôtel seroit peu frequenté, & je vous répons ce que Cinthio répondit autrefois à saint Evremont, que l’on verroit mourir de faim de bons Comediens avec des Comedies excellentes31. »
Souvenons-nous que les frais des Comédiens sont grands, & que l’usage de la Comédie est de divertir le Peuple, aussi bien que le Sénat32. Il faut donc qu’elle soit proportionnée au goût du public, c’est-à-dire, qu’elle soit capable d’attirer beaucoup de monde ; car sans cela, ne fût-elle qu’un elixir de pensées rares, ingénieuses, fines au souverain point, elle ruïneroit les Acteurs, & ne serviroit de rien au peuple.
Observation générale contre les Censeurs de ce Dictionaire.Ce ne sont pas seulement les Critiques de Moliere qu’on peut repousser par de telles réflexions : il y a beaucoup d’autres Livres que l’on censure, parce qu’on ne songe pas aux divers usages à quoi ils sont destinez, & parce que l’on y trouve cent choses que l’on voudroit que l’Auteur eût retranchées. J’ai bien à faire de cela, dit l’un ; que m’importe, dit l’autre, qu’un tel ait été mal marié : à quoi bon tant de Citations, tant de pensées gaillardes, tant de réflexions Philosophiques, &c. C’est le langage perpétuel de ceux qui critiquent ce Dictionaire : mais ils me permettront de leur dire, qu’ils ont négligé de se pourvoir de la chose qui leur étoit la plus nécessaire pour bien juger de cet Ouvrage. Ils n’ont point connu qu’il doit servir à toutes sortes de Lecteurs, & que par cela même qu’il ne seroit fait que selon le goût des plus grands puristes33 il sortiroit de sa sphere naturelle. Songent-ils bien que si je m’étois réglé sur leurs idées de perfection, j’aurois fait un Livre qui leur eût plu à la vérité, mais qui eût déplu à cent autres, & qu’on eût laissé pourrir dans les magazins du Libraire ? La pauvre chose pour lui, que deux gros volumes qui ne contiendroient que ce qui peut plaire à ceux qui se piquent d’un air grave, & d’un goût exquis, & qui voudroient qu’on leur expliquât par monosyllabes les matieres les plus étendues. Qu’ils fassent la réflexion que faisoit Socrate à la vue d’une soire34 ; on le veut bien : mais la soire sera pourtant ce qu’elle doit être.
(H) Son panchant – – – pour la Comédie se trouve avec de nouvelles circonstances – – – – – dans Mr. Perrault.] Moliere est l’un des Hommes illustres dont Mr. Begon35 a fait graver les Portraits, & dont il a procuré au public l’Eloge Historique. Monsr. Perrault qui a écrit ces Eloges assûre, que Moliere naquit avec une telle inclination pour la Comedie, qu’il ne fut pas possible de l’empescher de se faire Comedien. A peine eut-il achevé ses Estudes où il reussit parfaitement bien, qu’il se joignit avec plusieurs jeunes gens de son age & de son goust, & prit la resolution de former une Trouppe de Comediens pour aller dans les Provinces jouer la Comedie. Son pere – – – – le fit solliciter par tout ce qu’il avoit d’amis de quitter cette pensée, & n’aiant pu rien gagner par leurs remontrances, ni par les promesses qu’ils lui firent de sa part, il lui envoia le maître chez qui il l’avoit mis en pension pendant les premieres années de ses études – – – – – ; mais bien loin que le maître lui persuadât de quitter la profession de Comedien, le jeune Moliere lui persuadât d’embrasser la même profession. – – – – Sa trouppe étant formée il alla jouer à Rouen & de là Lyon, où aiant plu au Prince de Conti, &c35. Tout le reste de l’Eloge est bien curieux.
(I) On sera bien aise d’apprendre ce que devint après la mort de Moliere la troupe de Comédiens dont il avoit été le Chef.] Voici ce que j’ai trouvé sur ce sujet dans un Ouvrage de Mr. Chappuzeau. Cette troupe avant que d’être établie au Palais Roial, avoit fait connoître son mérite à Paris sur les fossez de Nesle, & au quartier de saint Paul, à Lion, & en Languedoc. Elle avoit passé avec raison pour la plus forte de la Campagne. Les deux freres Bejar, & du Parc, étoient du nombre de ses principaux Acteurs. Du Croisi Chef d’une troupe de Campagne & la Grange très-bon Comédien se joignirent avec eux. Elle occupa quelque tems la sale du petit Bourbon, en s’accommodant avec les Comédiens Italiens que l’on y avoit déjà établis. Ensuite le Théatre du Palais Roial lui fut ouvert, & elle y représenta jusqu’au commencement du Careme 1673. Moliere étant mort en ce tems-là, il eut quatre Comédiens de sa troupe qui prirent dans celle de l’Hôtel de Bourgogne, & comme ceux qui restoient ne furent pas en état de continuer, il plut au Roi de réduire en un seul corps la troupe du Marais37, & la troupe du Palais Roial. Mr. Colbert fut chargé de faire choix des plus habiles Acteurs qui restoient dans la troupe du Palais Roial, & des plus habiles de celle du Marais, & d’en former une belle troupe sous le nom de la Troupe du Roi. Elle fut établie dans l’Hôtel du Roi à la rue Mazarine38, & commença à se montrer en public le Dimanche 9 de Juillet 1673 : le Théatre du Palais Roial & celui du Marais furent interdits aux Comédiens. Notez que Moliere, qui fut le prémier Orateur de la troupe du Palais Roial, résigna cette charge six ans avant sa mort au Sieur de la Grange39.